(Moniteur belge n°37 du 6 février 1841)
(Présidence de M. Fallon)
M. Lejeune fait l’appel nominal à midi et quart.
M. Scheyven donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.
M. Lejeune présente l’analyse des pétitions adressées à la chambre.
« Le sieur Jacques de Moor, commis agréé chef au bureau du receveur de la première division à Gand, demande à être compris ainsi que tous les employés de sa catégorie, dans la loi sur les pensions. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion de la loi.
« Le sieur Vreucop demande que les instituteurs primaires soient compris dans la loi des pensions. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion de la loi.
« Des débitants de boissons distillées d’Assenede, demande que la taxe d’abonnement sur le débit des boissons distillées soit supportée par les distillateurs et fabricants. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« La chambre de commerce d’Ostende adresse des observations sur le projet de modification de la législation sur les sucres indigènes »
- Renvoi à la commission des pétitions avec demande d’un prompt rapport.
« Le sieur Jean-Baptiste Vervaet, ex-bourgmestre, demande une récompense pour ses services patriotiques. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« M. le ministre de la justice informe la chambre que le sieur J.-B. Lemaire, qui a demandé la naturalisation, est décédé. »
- Renvoyé à la commission des naturalisations.
M. le ministre de l’intérieur (M. Liedts) renvoie à la chambre une pétition de négociants de Namur, relative au colportage. M. le ministre affirme en même temps la chambre que la question du colportage fait de sa part l’objet d’une instruction préalable.
- Renvoyé à la commission des pétitions.
M. Zoude, rapporteur de la commission des pétitions – Messieurs, le pétitionnaire se plaint de ce que, dans la liquidation de sa pension, on ait pris pour base le traitement dont il avait joui pendant les trois dernières années de son service ; et qu’en agissant ainsi, on a suivi la lettre plutôt que l’esprit de l’arrêté-loi de 1814.
Il aurait pu, dit-il, réclamer sa pension aussitôt la réduction des traitements des auditeurs militaires opérée par le gouvernement provisoire.
Nous pensons qu’ici il y a erreur : le nombre d’années requis pour avoir droit aux deux tiers du traitement était de 40 ans, aux termes de l’arrêté-loi. Son droit, sous ce rapport, n’est donc pas aussi fondé qu’il l’avance.
Et puis, si le gouvernement provisoire a réduit le traitement des auditeurs, parce qu’il trouvait que celui accordé précédemment était exagéré, le pétitionnaire peut-il bien argumenter d’un abus dont il a joui pendant un bon nombre d’années, pour se faire un droit de le perpétuer ? Nous ne le croyons pas.
Il y a plus, c’est que, si on pénètre plus avant dans la fixation du traitement alloué par le roi Guillaume, on voit qu’il n’était que de 2,200 florins, et que c’est par exception qu’il avait été accordé au pétitionnaire un supplément de 1,500 florins par la considération des frais plus considérables qu’il devait supporter. Et pour votre commission, c’est un doute si même on pouvait prendre le supplément en considération lors de la liquidation de sa pension, et si elle n’aurait pas dû être établie sur le traitement normal de 2,200 florins.
Quoi qu’il en soit, votre commission estime que c’est à tort que le pétitionnaire réclame contre l’application qui lui a été faite du règlement qui veut que la pension soit liquidée sur la moyenne du traitement des trois dernières années.
C’est ainsi que, lorsqu’un employé du ministère des finances subit une réduction dans son traitement, le règlement de 1814 lui est appliqué, à moins que, dans un délai déterminé, l’employé ne déclare qu’il continuera à supporter la retenue du plus fort traitement dont il avait joui. Ceux qui n’ont pas rempli cette condition ont été pensionnés comme l’a été le pétitionnaire, c’est-à-dire sur la moyenne des trois dernières années.
La réclamation du pétitionnaire, outre qu’elle ne nous a pas paru fondée, est encore inconvenante, au moins déplacée, si on prend en comparaison la pension des autres magistrats de l’ordre judiciaire. Il résulte, en effet, des renseignements fournis à la commission, que sur 119 pensions accordées, pendant les huit dernières années expirées au 1er janvier dernier, la moyenne n’est que de 945 francs ; et qu’il est beaucoup de magistrats, très recommandables par leur talent et le nombre d’années de leurs services, qui n’ont guère que le tiers de la pension dont se plaint encore le pétitionnaire.
D’après cet exposé, messieurs, votre commission vous propose le dépôt de cette pétition au bureau des renseignements. Elle se garde de vous demander le renvoi au ministère de la justice, parce que deux fois déjà il a été appelé à prononcer sur cette pétition, qu’il l’a écartée deux fois, et qu’il la rejetterait sans doute une troisième si vous en ordonniez le renvoi.
M. Cools – Je crois devoir combattre les conclusions de la commission. Je crois qu’elle a examiné l’affaire sous un faux point de vue. Il me suffira, pour le prouver, de rappeler brièvement les faits qui se présentent.
Le pétitionnaire était, sous l’empire français, procureur-général au traitement de 8,000 francs. Le gouvernement hollandais le nomme premier auditeur militaire des provinces méridionales, avec un traitement également d’à peu près 8,000 francs. Il a rempli ces fonctions jusqu’à la révolution.
En 1831, lors de l’organisation de la haute cour militaire, ses fonctions ont été supprimées. Deux ans après, il a été admis à la pension. Il est vrai que dans l’intervalle il a été auditeur de la province du Brabant. Mais évidemment il n’a rempli ces fonctions que provisoirement. Le pétitionnaire a demandé sa pension comme premier auditeur militaire au traitement de 8,000 francs. L’erreur vient de ce qu’il n’a pas été pensionné à raison de ces dernières fonctions qu’il avait remplies pendant quinze ans, mais à raison de celles qu’il a remplies pendant deux ans. Evidemment il ne devait pas en être ainsi ; car s’il avait été pensionné un an plus tôt, il l’aurait été comme auditeur-général ; parce qu’il a attendu quelque temps avant de faire sa demande, sa pension a été réduite. S’il avait attendu un an de plus, sa pension eût été moindre encore. Ainsi, plus il aurait rendu de services, plus sa pension aurait été faible.
Je demande le renvoi à M. le ministre de la justice.
Je crois que l’objection tirée de ce que le ministre a déjà pris une décision sur la pétition n’est pas fondée, puisqu’il y a un nouveau ministre à la tête de ce département. Je suis persuadé que M. le ministre reverra l’affaire et prendra une décision fondée sur l’équité et sur les considérations que j’ai fait valoir. C’est un point sur lequel la chambre n’a pas à se prononcer. Mais je demande le renvoi à M. le ministre de la justice, pour révision.
M. Dubus (aîné) – Lorsqu’on se préoccupe des intérêts individuels, le trésor est toujours exposé à avoir tort. D’après l’exposé de l’affaire, il paraît qu’on devrait avoir deux poids et deux mesures. Il y a une disposition de la loi de 1814 très dommageable au trésor, qui fait prendre pour base de la pension la moyenne du traitement des trois dernières années. Je dis que cette disposition est très dommageable au trésor, parce qu’ordinairement le plus fort traitement d’un fonctionnaire est celui de ses trois dernières années de service. Voilà que l’on veut une exception en faveur de ceux qui dans leurs trois dernières années de service n’ont pas touché le traitement le plus élevé.
Ainsi, on voudrait la loi de 1814, quand elle est si défavorable au trésor ; et quand elle est favorable au trésor on veut qu’elle ne soit pas appliquée. Vous ne pouvez admettre un tel système. La loi de 1814 doit être appliquée à tous. J’appuie les conclusions de la commission.
M. Cools – Je ne demande pas que l’on s’écarte des règles tracées par l’arrêté-loi de 1814. Seulement, je crois qu’il a été mal interprété. Je reconnais avec l’honorable préopinant que la lettre de la loi veut que la pension soit réglée d’après le traitement des trois dernières années. Je reconnais avec lui que c’est une clause en générale onéreuse pour le trésor, parce que le traitement dont jouissent les fonctionnaires dans les trois dernières années de leurs fonctions est d’ordinaire le traitement le plus élevé qu’ils aient eu. Mais il faut avoir égard à l’intention du législateur. S’il a pris les trois dernières années de traitement pour base de la pension, n’est-ce pas précisément parce que c’est dans ces trois dernières années que le fonctionnaire touche le traitement le plus élevé ? Si, par exception, un fonctionnaire a touché pendant ses dernières années de service un traitement de beaucoup inférieur à celui attaché aux fonctions qu’il a remplies pendant quinze années, faut-il qu’il pâtisse de cette exception ? Il y a erreur dans l’appréciation de la position de l’intéressé. Le pétitionnaire a été pensionné comme auditeur du Brabant ; or, c’est comme premier auditeur-général qu’il avait demandé la pension. C’est là qu’est l’erreur.
Je crois m’être assez expliqué pour faire comprendre que je ne veux pas m’écarter des règles tracées par l’arrêté-loi de 1814. Seulement je prétends que ces règles ont été mal appliquées.
M. Zoude, rapporteur – La conviction de la commission était telle que de prime abord elle voulait proposer l’ordre du jour. Ce n’est qu’eu égard à l’âge d’un ancien magistrat que la commission a proposé le dépôt au bureau des renseignements, comme un moyen plus honnête d’écarter sa demande. (On rit.)
- Les conclusions de la commission sont mises aux voix et adoptées.
PROJET DE LOI SUR LES PENSIONS
M. Zoude, au nom de la section centrale, chargée de l’examen du projet de loi sur les pensions, donne lecture d’un rapport relatif à ce projet de loi. (Nous donnerons ce rapport dans notre prochain numéro.)
- La chambre ordonne l’impression et la distribution de ce rapport.
M. Mast de Vries dépose le rapport sur le projet de loi relatif au traité avec la Porte Ottomane.
- La chambre ordonne l’impression et la distribution de ce rapport.
M. Desmet – D’après les journaux d’Arlon, il me paraît qu’un fait très grave vient de se passer sur la frontière dans la province du Luxembourg. Des douaniers du Grand-Duché sont entrés sur notre territoire ; ils ont saisi plusieurs ballots de marchandises, et ont maltraité les détenteurs de ces marchandises, et blessé même deux de ces détenteurs. Cette agression a même eu lieu sans qu’il y ait eu opposition de la part des détenteurs. Il paraît que les douaniers s’étaient beaucoup avancés sur le territoire belge, puisque les détenteurs croyaient avoir affaire à des employés de Belgique.
Je demanderai si le cabinet a connaissance de ce fait.
Si le fait est exact, je pense que le cabinet ne tardera pas à en demander une éclatante satisfaction, et qu’il ne voudra pas supporter que le territoire soit impunément violé.
M. le ministre de l’intérieur (M. Liedts) – Je dois déclarer à la chambre que jusqu’à l’heure qu’il est le gouvernement n’est pas instruit du fait auquel l’honorable préopinant a fait allusion. Il serait donc imprudent d’entrer dans quelque explication sur ce point.
M. le président – La discussion est ouverte sur l’article 9 (1er du chapitre II, pensions des magistrats, fonctionnaires et employés), ainsi conçu :
« Art. 9. Les magistrats, fonctionnaires et employés faisant partie de l’administration générale, et payés sur le budget de l’Etat, seront admis à faire valoir leurs droits à la retraite à 60 ans d’âge, et après 30 années de services pour lesquelles ils seront ou auront été assujettis à la retenue au profit du trésor public ou des caisses de retraite supprimées. »
M. le ministre des finances a proposé de dire dans cet article « pourront être » au lieu de « seront ».
M. Doignon – J’ai déjà eu l’honneur de dire que je ne pouvais adopter le système du projet de loi. Mon honorable collègue M. Dumortier, dont je regrette l’absence, a soutenu la même opinion. Nous pensons que le trésor public n’a déjà fait que trop de sacrifices pour les pensions ; et s’il y a lieu de les continuer, ce ne peut être que pour le passé, et pour les fonctionnaires anciens et ceux actuellement en exercice. Mais pour l’avenir et relativement aux fonctionnaires qui seront nommés par la suite, nous pensons qu’il faut mettre un terme aux sacrifices et adopter un autre système.
L’administration française nous donne un bel exemple d’économies dans cette matière. Les pensions, dans ce pays, se sont élevées à un chiffre si considérable et sont devenues une plaie si grande pour les finances, qu’enfin on a pris la résolution de faire cesser cet état de choses. On a donc partagé les fonctionnaires en deux catégories. On a établi une distinction entre les fonctionnaires existant au moment de la promulgation de la loi et ceux qui seront ensuite nommés à un emploi ou à des fonctions publiques. A l’égard des premiers on a tout le respect possible pour les positions existantes et pour les droits acquis. Mais à l’égard des individus qui seront nommés par la suite, on a adopté un tout autre système : on propose de créer des caisses de retraite pour chaque département ministériel, en décidant même formellement que le trésor public ne leur donnera plus aucun subside à l’avenir.
Tel est, sauf certaines modifications, le système que je voudrais voir adopter par la chambre.
Dans ce système, il faudrait au titre du chapitre en discussion : « Pensions des magistrats, fonctionnaires et employés », il faudrait ; dis-je, ajouter : « entrés avant la promulgation de la loi. »
Les dispositions qui suivent seraient applicables à ces fonctionnaires. Je pense qu’il y aurait lieu de les adopter dans leur ensemble, parce qu’en général elles sont calquées sur les dispositions actuellement en vigueur, et parce qu’il faut avoir tous les égards possibles pour les droits acquis. Mais pour les fonctionnaires futurs il n’y a pas de position existante ; il n’y a pas de droits acquis. Je voudrais que, pour eux, on adoptât le système du gouvernement français ; il faudrait alors ajouter à ce chapitre une section II, qui contiendrait quelques articles ainsi conçus, tels qu’ils se trouvent dans le projet français :
« Art. 1er. Il sera formé, dans les divers départements ministériels, des caisses ou fonds de retraite destinés à pourvoir aux besoins des magistrats, fonctionnaires, employés, agents ou préposés qui entreront en exercice, à partir de la promulgation de la présente loi.
« Art. 2. En aucun cas et à aucune époque, il ne pourra être alloué de subvention aux caisses ou fonds de retraite dont la formation est prescrite par l’article précédent.
« Art. 3. Les moyens de réaliser les fonds destinés à pourvoir à ces pensions seront établis par des règlements d’administration publique.
« Ces règlements détermineront également les conditions d’admissibilité imposées aux magistrats, fonctionnaires et employés qu’ils appelleront à concourir à la formation des caisses ou fonds de retraite. »
Vous voyez, messieurs, que, d’après ce système, il serait, ainsi que je l’ai dit, formé deux catégories de fonctionnaires.
Pour l’avenir, selon moi, la somme des sacrifices que le trésor a faits est comblée ; il faut y mettre un terme et créer auprès de chaque département une caisse spéciale. Les fonctionnaires devraient alors concourir par les propres moyens à la formation de cette caisse, et il serait déclaré que le gouvernement ne lui accorderait point de subvention.
Tel est le système dans lequel je désirerais voir entrer la chambre.
L’honorable M. Dumortier vous a proposé, pour la formation des caisses au profit des veuves et des orphelins, un article qui est conçu dans le même esprit, dans la même idée. Le dernier paragraphe de cet article est ainsi conçu :
« Si ces pensions s’élèvent à un taux supérieur aux revenus de la caisse, ce revenu sera partagé au prorata des pensions des titulaires, sans que, dans aucun cas, et à aucune époque, il puisse être alloué, à quelque titre que ce soit, des secours ou subventions à la caisse dont la formation est prescrite ci-dessus. »
Je pense, messieurs, que dans l’état où sont nos finances, nous devons adopter ce système. Je ne sais si le gouvernement est disposé à l’appuyer. J’attendrai qu’il s’explique.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – Nous ne pouvons en aucune manière nous rallier au système que défend l’honorable préopinant. Il est à remarquer d’abord qu’en France cette législation n’est encore qu’à l’état de projet, et je considère comme assez peu probable qu’elle soit admise par les chambres, parce que je suis persuadé que dans la discussion on en reconnaîtra tous les inconvénients et toute l’insuffisance.
S’il était décidé que les différents départements devaient pourvoir, par des retenus, aux pensions des fonctionnaires de l’Etat, j’admets facilement que, dans les premières années, en supposant que l’Etat prenne à sa charge, ainsi qu’il est proposé dans le projet français, les pensions accordées jusqu’au jour de la promulgation de la nouvelle loi, les retenues suffiraient pour faire face aux pensions accordées. Mais, dans 20 à 30 ans, ces retenues, même portées à un taux très élevé, deviendraient insuffisances. Or, il fait agir en vue de l’avenir et non seulement pour le présent.
Certes, messieurs, ce serait là un expédient que nous accepterions avec empressement, si nous n’étions dominés avant tout par l’intérêt général et si nous n’appréhendions d’entraîner la chambre et le pays dans une véritable erreur. Nous avons la conviction qu’après un certain nombre d’années ces caisses seraient insuffisantes et qu’alors on se trouverait dans la nécessité de demander des subsides, qu’on ne pourrait refuser ; je ne puis donner mon adhésion à une telle proposition. On ne pourrait refuser ces subsides ; en effet, quel serait l’administrateur, quel sera le gouvernement qui voudrait priver de leur place des employés qui n’ont pas démérité et qui, le lendemain de leur démission, se trouveraient sans ressources ? Eh bien, si on recule devant une pareille mesure, il en résultera dans le système de l’honorable préopinant, que l’administration finira par se composer de vieillards, d’hommes très âgés, impropres à tout service actif.
Si, d’un autre côté, la retenue est assez élevée pour faire face à toutes les prévisions, si elle s’élève à 10 ou 15 p.c. des appointements, le fonctionnaire ne trouvera plus dans son traitement des ressources suffisantes pour suffire à ses besoins et à ceux de sa famille.
Je l’ai déjà fait déjà observer, les traitements ont, en général, été réduits considérablement, surtout depuis notre régénération politique ; et faire subir aux employés de fortes retenues, c’est diminuer leurs traitements alors qu’ils sont déjà trop faibles.
Je le répète donc, je ne puis admettre le système présenté par l’honorable préopinant. Par ce qui s’est passé à l’égard des caisses instituées en 1815, nous pouvons prévoir ce qui arriverait si on établissait des caisses qui devraient suffire aux pensions de tous les fonctionnaires de l’Etat.
Du reste, j’ajouterai que le projet dont s’occupe la chambre ne modifie l’état actuel des choses qu’en réduisant le taux de certaines pensions, et même en diminuant les pensions du plus grand nombre de fonctionnaires. Le département des finances comprend à lui seul près des trois quarts des fonctionnaires civils de l’Etat ; eh bien ! toutes les pensions des fonctionnaires de ce département seront diminuées. On ne vient donc pas vous demander une aggravation, mais une diminution de charges pour le trésor.
Il n’est qu’un seul point, me semble-t-il, qui puisse donner matière à une discussion sérieuse ; c’est celui de savoir si on imposera une retenue de 3 p.c. pour subvenir à la caisse des veuves et orphelins des fonctionnaires de tous les départements sont distinction aucune.
M. Doignon – Le système que j’ai présenté a pour moi une autorité bien respectable, celle de l’administration française. M. le ministre doit savoir qu’à la tête du département des finances de France se trouvent de profonds financiers auxquels l’expérience et les lumières ne manquent pas Ainsi, venir dire que ce système est impraticable, qu’il est peu probable qu’il passera à la chambre, ce sont des assertions auxquelles vous ne devez pas ajouter foi. Je dis qu’il est probable que ce système sera admis ; car certainement, il a été profondément médité par ses auteurs, c’est-à-dire le gouvernement lui-même.
On vous a dit que les retenues deviendraient insuffisantes et qu’il faudrait ensuite demander des subventions au trésor. Mais si ce cas arrivait, il serait alors temps de demander ces subventions ; mais ce n’est pas une raison pour rejeter notre système. Du reste, si ce régime était admis, ce serait au gouvernement à décider les moyens de former ces caisses, à arrêter des règlements à cet égard et il les ferait tels que les caisses fussent suffisantes pour subvenir à toutes les éventualités.
Dans tous les cas, si mes idées ne sont pas adoptées, je crois avoir rempli un devoir en les communiquant à la chambre.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – Je ferai de nouveau cette observation que si le ministère ne voyait que la facilité de son administration, s’il n’agissait pas avec des vues d’avenir, s’il ne considérait que les conséquences immédiates du système présenté par l’honorable préopinant, il l’adopterait sans hésiter, il serait pour longtemps tranquille sur tout ce qui concerne les pensions ; mais c’est parce qu’il agit loyalement et en vue de l’avenir, qu’il ne peut consentir à s’y rallier.
En effet, qu’arriverait-il si on laissait à charge du trésor public toutes les pensions existantes ainsi que celles à accorder aux fonctionnaires actuellement en exercice ? Que ce ne serait que dans un temps très éloigné que les caisses de retraite auraient à supporter des pensions, et que notre administration n’aurait à supporter aucun des embarras que l’avenir réserverait au gouvernement par suite de l’adoption d’un tel système ; ce ne serait que lorsqu’on s’apercevrait de l’insuffisance des caisses de retraite, que l’on reconnaîtrait combien aurait été illusoire une disposition par laquelle il serait déclaré qu’aucun subside ne serait accordé pour le trésor public au fonds de pension.
M. Dubus (aîné) – Les raisons qui ont été données par M. le ministre des finances pour repousser les idées qui paraissent sur le point de l’emporter en France, me détermineraient, moi, à entrer dans ce système. Je verrais en effet les moyens d’éviter les abus. Car je trouve dans les raisons données par M. le ministre des finances, que, dans ses prévisions, nous ne sommes pas encore au dernier chiffre pour les pensions, et que malgré la loi, il a l’opinion que le chiffre des pensions ira encore en augmentant.
Je dois le croire ainsi, puisqu’il est d’avis que si l’on formes des caisses de retraite, et que l’on dote ces caisses conformément aux besoins du moment, dans 20 ou 25 ans, leurs ressources seront insuffisantes, c’est-à-dire que d’année en année le chiffre des pensions nouvelles continuera toujours à surpasser les extinctions. Je voudrais donc que l’on entrât dans le système des caisses de retraite pour arrêter l’augmentation du chiffre des pensions.
Quelle était la deuxième raison donnée par M. le ministre ? C’est que si l’on adoptait le système des caisses de retraite, le gouvernement pourrait se trouver plus tard dans la position de ne pas admettre facilement les employés à la retraite, à cause de l’insuffisance des ressources de ces caisses. Mais quel est l’abus dont on se plaint depuis la révolution ? C’est précisément la trop grande facilité avec laquelle on admet les fonctionnaires et employés à la retraite. Relisez toutes les pièces qui ont été distribuées à la chambre, lorsque des difficultés se sont élevées sur cette matière, vous verrez que c’est toujours là le principal abus qui a été signalé. Et cela se conçoit aisément, car du moment où le trésor doit faire tous les frais des pensions, les ministres admettent avec une grande facilité les employés à la retraite : ils font en cela chose agréable, d’abord à ceux qui demandent à être admis à la retraite, ensuite à ceux auxquels on donne les postes vacants ; plus on admet de fonctionnaires à la retraite plus on donne de l’avancement aux autres, et l’on sait que les fonctionnaires et les employés crient toujours pour avoir de l’avancement.
Du moment où il sera résolu que le trésor doit faire tous les frais de cette manœuvre, il est bien certain qu’elle se perpétuera ; il faut insérer dans la loi une disposition qui y mette une digue ; mais cette disposition, on ne nous la présente pas. S’il y avait une caisse de retraite suffisamment dotée dès l’abord, mais qui n’aurait pas d’autre subvention à attendre du gouvernement, alors il y aurait une garantie qu’il ne serait accordé des pensions de retraite qu’aux fonctionnaires qui y auraient réellement droit, alors on éviterait avec soin l’abus dont j’ai parlé tout à l’heure, puisque cet abus rendrait les ressources de la caisse de retraite insuffisantes.
J’appellerai votre attention, messieurs, sur le tableau qui a été distribué hier, et je vous prie de remarquer le progrès qu’il y a dans le chiffre des pensions de la caisse de retraite. Une circonstance vous aura frappé, c’est que la dernière année de toutes, celle par conséquent qui est la plus éloignée de la révolution, présente la plus grande différence entre les pensions nouvelles et les extinctions.
C’est cependant la révolution que l’on reconnaît comme la cause de l’augmentation du chiffre des pensions de la caisse de retraite, parce qu’elle a donné lieu à des modifications considérables dans l’organisation administrative, à des suppressions d’emplois et à des mises à la retraite nombreuses, pour des motifs politiques ou autres. Il a donc fallu que, dans les premières années après la révolution, le chiffre des pensions nouvelles fût plus élevé que le chiffre des extinctions ; mais à mesure que nous nous éloignons de la révolution, cette cause venant à cesser, vous devriez aussi voir cesser l’effet. Eh bien, c’est le contraire qui a lieu ; loin de diminuer, l’excédant du chiffre des pensions nouvelles sur celui des extinctions va toujours en augmentant. Ainsi, vous voyez que le chiffre des pensions nouvelles s’élève :
Pour 1838, à 110,000 francs.
Pour 1839, à 129,000 francs.
Pour 1840, à 173,000 francs.
Tandis que les extinctions ne se sont élevées en 1840 qu’à 76,000 francs, de manière qu’il y a pour cette dernière année un excédant de 97,000 francs. Le débet de la caisse de retraie s’est accru de près de 100,000 francs, c’est de toutes les années qui se sont écoulées depuis la révolution la plus désastreuses pour le trésor public. Conçoit-on les motifs de cela ? Y a-t-il eu en 1840 une nouvelle révolution qui ait amené la nécessité de mettre à la retraite un grand nombre de fonctionnaires ; ou bien a-t-on voulu être agréable à ceux qui voulaient obtenir la retraite en même temps qu’à ceux qui voulaient obtenir de l’avancement ? Je l’ignore, mais il est certain que cette manière d’administrer la caisse de retraite n’est pas du tout rassurante pour les intérêts du trésor public. A coup sûr, si l’on ne savait pas d’avance que le déficit de la caisse de retraite sera payé par le trésor public, on n’accorderait pas pour 173,000 francs de pensions en une seule année.
Ce qui a eu lieu pour la caisse de retraite n’a pas eu lieu pour les autres branches de l’administration. Nous ne connaissons pas les motifs de cette différence, et je ferai remarquer que le tableau qui nous a été présenté laisse à désirer en ce qui concerne les pensions civiles ; en ce qui touche les pensions de la caisse de retraite, on donne en regard le chiffre total des pensions nouvelles et le chiffre total des extinctions ; mais il paraît qu’en ce qui concerne les pensions nouvelles, on ne nous fait pas connaître le chiffre entier des extinctions, ce qui rendrait la comparaison plus frappante entre les pensions des autres administrations et les pensions de la caisse de retraite. Je lis à la fin des observations de M. le ministre :
« On doit observer, à l’égard des extinctions des pensions civiles portées dans les colonnes 14, 21, 29 et 37, qu’elles ne comprennent pas les extinctions des pensions accordées par le gouvernement précédent.
« Ces extinctions s’élèvent à la somme de 155,081 francs. »
Eh bien, messieurs, puisqu’on nous donne le chiffre entier des pensions nouvelles, il aurait fallu nous donner aussi le chiffre entier des extinctions, car c’est au moyen de la balance de ces deux chiffres que nous aurions pu reconnaître quel est le résultat pour le trésor. Si le chiffre des extinctions est inférieur à celui des pensions nouvelles, c’est le trésor qui paie la différence ; si le chiffre des pensions nouvelles est inférieur à celui des extinctions, c’est le trésor qui profite de la différence.
Quoi qu’il en soit, prenant les chiffres tels qu’ils sont donnés, nous y voyons déjà la confirmation de ce que je disais, d’après mes prévisions, dans une séance précédente, que pour les pensions autres que celles de la caisse de retraite, le chiffre des pensions nouvelles va toujours en diminuant depuis un certain nombre d’années. Le chiffre des pensions de l’ordre judiciaire, par exemple, s’est accru par le grand nombre de mises à la retraite qui ont été la suite de la révolution et des deux organisations judiciaires qui ont eu lieu depuis, l’un provisoire sous le gouvernement de la révolution, l’autre définitive en 1832 ; mais, comme je le disais, depuis une certaine époque, ce chiffre va toujours en se réduisant jusqu’à ce qu’il soit arrivé à une somme normale.
Ainsi, sur les 5 années de 1836 à 1840, la moyenne des pensions nouvelles accordées aux membres de l’ordre judiciaire est de 8,940 francs, tandis que, pour les mêmes années, la moyenne des extinctions qui nous sont renseignées et qui ne paraissent être que des extinctions de pensions accordées depuis la révolution, tandis que cette moyenne s’élève à 12,585 francs. Vous voyez, messieurs, que ce chiffre excède de beaucoup le chiffre des pensions nouvelles, et si nous avions le chiffre total des extinctions, nous trouverions une différence encore plus grande.
Je remarque aussi, messieurs, que pour le département de l’intérieur le chiffre des extinctions des pensions accordées depuis la révolution excède aussi pendant ces trois dernières années le chiffre des pensions nouvelles.
On dit, messieurs, que les changements apportés par le projet aux bases d’après lesquelles les pensions de retraite seront accordées, amèneront une différence favorable au trésor. Je pense, messieurs, qu’il ne suffit pas de changer les bases d’après lesquelles les pensions de retraire seront accordées, si l’on continue à accorder des pensions à tous ceux qui en demandent, comme on paraît l’avoir fait jusqu’ici.
Pour éviter cela, je désirerais beaucoup qu’on en vînt au système proposé en France, car ce système empêche par lui-même les abus, puisque les administrateurs des caisses que l’on veut établir en France auront un véritable intérêt à ne jamais arriver à un déficit, et que dès lors ils devront nécessairement être difficiles sur l’accomplissement de toutes les conditions moyennant lesquelles on accorde une pension.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – Messieurs, au début de son discours, l’honorable préopinant m’a prêté des paroles que je n’ai point prononcées. D’abord il a prétendu que, d’après mon opinion, les pensions du département des finances doivent nécessairement augmenter, parce que j’aurais dit que si l’on créait une caisse de retraite d’après les besoins actuels les ressources de cette caisse deviendraient insuffisantes. Ce n’est point là, messieurs, ce que j’ai fait observer à la chambre ; j’ai dit que les besoins du moment seraient nuls, parce que pendant une longue suite d’années il n’y aurait point des pensions à payer sur le montant des retenues qui seraient opérées par suite de l’adoption du système présente par l’honorable M. Doignon, mais j’ai ajouté qu’après 20 ou 25 ans on s’apercevait seulement que les ressources de la caisse de retraite seraient insuffisantes, à moins qu’on n’opérât des retenues tout à fait exorbitantes.
L’honorable préopinant était encore dans l’erreur quand il a cru que je repoussais le système de l’honorable M. Doignon, par le motif que ce système ne permettrait pas au gouvernement d’accorder facilement des pensions. Ce n’est pas là le motif sur lequel je me suis fondé ; j’ai fait remarquer à la chambre que le système dont il s’agit mettrait le gouvernement dans l’impossibilité d’accorder des pensions même à des fonctionnaires qui ne seraient plus capables de rendre le moindre service à l’Etat.
L’honorable membre fait aussi ressortir la différence qu’il y a entre le chiffre des pensions accordées aux fonctionnaires et employés du ministère des finances, et celui des pensions allouées aux fonctionnaires des autres départements. Mais quels sont les employés du département des finances ? Environ 5,000 de ces employés appartiennent au service des douanes, et nous ne pouvons pas, avec la meilleure volonté possible, laisser en activité des douaniers qui ne sont plus à même de faire le service comme il doit être fait dans l’intérêt de la chose publique. C’est bien souvent malgré eux que ces employés sont mis à la retraite, et je pourrais produire des réclamations de beaucoup de douaniers contre leur mise à la retraite, comme je pourrais également montrer bien des refus de pensions faits à d’autres fonctionnaires qui demandaient leur retraite.
Il faut donc des dispositions, ajoute l’honorable préopinant, pour poser une digue à un pareil état de choses. Eh bien, ces dispositions sont présentées à la chambre ; ces dispositions consistent principalement dans la fixation du maximum de pension, et dans la stipulation qu’en ce qui concerne les comptables, l’on ne tient compte que des ¾ des remises. Or ce sont, en général, les comptables qui ont le plus de propension à solliciter leur retraite, alors qu’ils sont encore aptes à rendre des services à l’administration.
Il est fort difficile à un ministre d’apprécier l’état physique d’un fonctionnaire âgé qui réclame la pension. Des certificats sont fournis, et le ministre se trouve souvent dans l’impossibilité de juger si en effet le fonctionnaire peut ou ne peut plus continuer son service. Comme les pensions étaient généralement assez considérables, il arrivait que les comptables trouvaient qu’il y avait plus d’avantage pour eux à solliciter leur retraite que de rester encore en exercice pendant quelque temps.
Mais il n’en sera plus de même aujourd’hui, ces comptables, qui pouvaient en vertu des dispositions existantes, obtenir une pension de 3 à 6,000 francs et plus ne pourront plus aspirer qu’à une pension, dont le maximum sera de 4,000 francs. Voilà une véritable digue posée à ce que l’honorable préopinant a appelé des abus.
Il y a dans la loi d’autres dispositions encore qui empêchent d’accorder une pension si le fonctionnaire ne se trouve pas dans certaines conditions d’âge et d’années de service.
L’honorable préopinant est revenu pour la troisième fois sir le chiffre des pensions qui ont été accordées en 1840. Je ne puis attribuer qu’à des circonstances fortuites l’élévation de ce chiffre. Les pensions que mon honorable prédécesseur a allouées, ainsi que celles qui ont été conférées sous mon administration, ne l’ont été qu’après un mûr examen. J’ajouterai toutefois que des pensions accordées en 1840, 33 seulement ont été conférées par suite d’arrêtés de démission proposés par le ministre actuel, et ces 33 pensions ne formaient qu’une somme de 24,000 francs. Si je fais cette observation, c’est uniquement pour répondre à celle de l’honorable préopinant, car les pensions qui ont été accordées en sus des 33 pensions dont je viens de parler, l’ont été aussi légitimement que celles que je me suis vu moi-même dans la nécessité de provoquer.
M. Zoude, rapporteur – Si j’ai bien compris la proposition de l’honorable M. Doignon, cette proposition tend à frapper la loi dans sa base ; cette base, ce principe est la récompense due aux fonctionnaires du chef des services qu’ils ont rendus à l’Etat. Je demanderai donc qu’on mette cette proposition aux voix ; si vous l’adoptez, vous voterez le rejet de la loi. Cependant, je dois dire que la loi est loin d’être défavorable au trésor public, puisqu’on a réclamé contre cette loi en faveur de plusieurs classes de fonctionnaires.
M. Pirmez – Messieurs, si je comprends bien la proposition de l’honorable M. Doignon, elle ne tend pas à faire rejeter la loi, elle a uniquement pour but de régler le sort des fonctionnaires à venir, mais elle conserve tous leurs droits à ceux qui sont en fonctions dans le moment actuel.
Je ferai remarquer que si on a été frappé, en France, des abus qui naissent de la multitude des pensions mises à la charge du trésor public, nous devons avec plus de raison encore chercher à régler cet objet pour l’avenir, car l’abus signalé en France doit devenir plus grand encore chez nous, par suite de certaines idées qui ont cours en Belgique et que l’on ne connaît pas chez nos voisins. En Belgique, l’Etat entreprend une foule de travaux publics qui sont livrés en France à la libre concurrence. Je citerai, par exemple, le chemin de fer. Jusqu’où l’application de ce système sera-elle poussée chez nous ? Je ne puis pas le prévoir ; mais dès à présent l’on voit que l’on crée une multitude d’employés pour le chemin de fer, et dans 20 ans, l’on pourra s’apercevoir où ce système nous aura menés, par la multitude des pensions qu’on viendra réclamer.
Le nombre des pensions à la charge de l’Etat doit donc devenir très considérable, si nous n’y opposons pas une digue dès aujourd’hui.
On nous a dit qu’après 15 ans, par exemple, il y aurait insuffisance. Mais quelle sera cette insuffisance ? Il faudrait présenter des calculs, on n’en présente aucun. Quand on sera venu à cette époque, on pourra remédier peut être aux inconvénients qui existeront alors. Mais ne voyez-vous pas qu’il y aurait un très grand inconvénient de donner, dès aujourd’hui, des droits à la pension à une multitude d’employés qui seront peut-être créés à cause de ces idées que nous avons maintenant. L’on viendra plus tard faire valoir des droits acquis, et vous serez obligés d’admettre les réclamations en vertu de votre loi.
L’arrêté-loi de 1814 ne donne pas de droits à la pension. On a torturé le sens de l’arrêté-loi de 1814, comme on torturera plus tard le sens de votre loi. Si vous examinez les termes et l’esprit de l’arrêté-loi de 1814, vous reconnaîtrez que cet arrêté donne seulement le droit de faire examiner les titres à une pension : le prince souverain, chef absolu, se réservait de décider s’il était de l’intérêt de l’Etat d’accorder la pension, mais, en donnant ces arrêtés, il n’avait pas entendu conférer un droit, il avait uniquement voulu régler la manière dont ce droit, de sa part, serait exercé. Mais ce sont ordinairement les fonctionnaires qui interprètent la loi, et l’on a interprété l’arrêté-loi de 1814 de telle manière que chaque fonctionnaire y voit maintenant un droit acquis pour lui. Si vous n’établissez pas de règles dans votre nouvelle loi, le trésor public sera grevé, dans vingt ans, d’une multitude pensions. Je crois donc qu’il serait très prudent d’adopter des dispositions dans le sens des observations de l’honorable M. Doignon.
M. le ministre de la justice (M. Leclercq) – Messieurs, il me semble que pour bien apprécier la proposition qui vous est faite, et par laquelle on voudrait modifier ou amender l’article en discussion, il faut réduire cette proposition à sa plus simple expression. Or, que signifie cette proposition ? Elle signifie que les traitements de tous les fonctionnaires, qui seront nommés postérieurement à la publication de la loi, seront diminués ; en d’autres termes, qu’on fera deux parts de tous les traitements ; une part qui sera remise au fonctionnaire public, pour servir à son entretien et à celui de sa famille aussi longtemps qu’il sera en fonctions ; une autre part, qui lui sera retenue et devra être assez forte pour servir à son entretien et à celui de sa femme et de ses orphelins, lorsqu’il sera sorti de fonctions, ou lorsqu’il sera décédé.
Eh bien pour se prononcer sur une pareille proposition, il suffit de se demander si les traitements sont aujourd’hui assez élevés pour qu’il puisse ainsi en être fait deux parts, car c’est à cela que se réduit la proposition : faire des traitements deux parts, l’une pour le présent et l’autre pour l’avenir. Or, les traitements ne sont pas assez élevés pour qu’on puisse en agir de la sorte.
Parcourons les différentes classes de fonctionnaires qui ressortissent aux divers départements ministériels et nous nous convaincrons que cette division est absolument impossible, si l’on veut que les traitements continuent à répondre au but que l’on se propose, en payant des traitements.
Voyons d’abord la série des fonctionnaires qui ressortissent au département de la justice ; examinez en premier lieu les traitements des membres de l’ordre judiciaire ; ces traitements tels qu’ils sont réglés aujourd’hui, sont insuffisants, on pourra les augmenter, et j’espère bien qu’on les augmentera ; mais quelque augmentation qu’on admette, ces traitements ne seront jamais juste que ce qu’ils doivent être, pour permettre au magistrat de vivre suivant le rang que sa position l’oblige de tenir dans la société.
Ce que je dis des magistrats de l’ordre judiciaire, je dois le dire des autres fonctionnaires qui ressortissent au département de la justice ; tous les traitements ont été fixés à un taux tel que, si on les réduisant encore, les titulaires ne pourraient plus vivre honorablement, eux et leurs familles.
Si du département de la justice nous passons au département de l’intérieur, quels sont les principaux fonctionnaires que nous y rencontrons ? En premier lieu, les employés attachés à l’administration centrale. Or, les traitements de tous ces employés ont été annuellement l’objet de discussions dans les chambres lors du vote des budgets. Par suite de ces discussions, tous les ministres qui se sont succédé dans ce département (et cette observation s’applique à tous les autres départements) ont apporté le plus grand soin à réduire ces traitements à un taux tel que, si on allait au-dessous, ils ne répondraient plus à la destination qu’on doit en attendre.
Si de l’administration centrale, nous passons aux autres fonctionnaires ressortissant au département de l’intérieur, nous trouvons les gouverneurs de province et les commissaires de district. Or, les gouverneurs représentants du Roi dans les provinces, jouissent d’un traitement de 14,000 francs. Je crois pouvoir affirmer, sans crainte de me tromper, que ce trainement dans la plupart des provinces est insuffisant, et que les gouverneurs, s’ils tiennent le rang qu’ils doivent tenir dans la province, doivent y mettre parfois du leur.
Quant aux commissaires de district, ils ne sont pas payés suffisamment. Il est possible que, dans quelques districts, le traitement soit suffisant, mais il n’est pas dans un plus grand nombre d’autres arrondissements.
Si maintenant nous passons au ministère des affaires étrangères, je dirai encore que les traitements, quoique élevés, n’y sont juste que ce qu’ils doivent être. En effet, nos envoyés à l’extérieur ne peuvent pas faire d’économies sur leurs traitements, s’ils vivent à l’étranger comme doivent vivre les représentants du pays, s’ils y entretiennent les relations de société que leur position les oblige d’entretenir. Ces traitements ne sont donc pas non plus susceptibles d’une retenue, ou, pour parler plus exactement, d’une réduction, car, je le répète, il s’agit d’une véritable réduction.
Il ne reste plus que le département des finances ; c’est sur ce département que portent en général les critiques. Il est possible que quelques fonctionnaires y jouissent d’un traitement assez élevé, c’est un point que je n’examine pas ; mais, en général, les traitements des employés ressortissant au département des finances ne sont encore là que ce qu’ils doivent être.
Il me paraît donc impossible d’admettre la proposition qui vous est annoncée, parce qu’admettre, ce serait faire subir une réduction à des traitements qui ne sont que ce qu’ils doivent être, et cette réduction devra être assez considérable, puisqu’elle devra, dans l’esprit de la proposition suffire pour subvenir à l’entretien du fonctionnaire qui a obtenu sa retraite, ainsi qu’à celui de sa femme et de ses enfants. Cette proposition sort tout à fait de l’esprit dans lequel doit être conçue une loi sur les pensions.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – Messieurs, j’ajouterai quelques mots à ce que vient de dire mon honorable collègue de la justice, sur les employés du département des finances. J’ai sous les yeux un tableau statistique qui a été dressé il y a deux ou trois ans, et dans lequel les traitements des fonctionnaires du département des finances sont renseignés par catégories. Eh bien sur 6,087 employés non comptables, 4,578 ont un traitement inférieur à 1,000 francs ; 604 un traitement de 1,000 à 1,100 francs ; 501 de 1,100 à 1,500 ; 238 de 1,500 à 2,000 ; 163 de 2,000 à 2,500, quelques-uns de 2,500 à 5,000 ; en enfin, 76 seulement au-dessus de 5,000 francs.
Le maximum du traitement des employés non comptables dans les finances, est fixé à 9 mille francs. Il est vrai que trois ou quatre fonctionnaires jouissent d’un traitement plus élevé ; mais c’est parce qu’ils étaient en possession de ce traitement avant l’arrêté qui a fixé le maximum à 9 mille francs.
J’ai cru utile d’exposer à la chambre cette statistique, parce que quand on parle des traitements des fonctionnaires des finances, on n’a jamais en vue que ces trois ou quatre traitements qui sont dans un cas exceptionnel. Nulle part la moyenne des traitements n’est moins élevée dans ce département.
Quant aux comptables, il est vrai, leurs traitements sont un peu plus élevés que ceux des employés de service actif, mais c’est qu’ils sont soumis à une responsabilité pécuniaire, et doivent fournir un cautionnement. Du reste, leurs remises ont aussi subi de grandes réductions depuis la révolution.
M. Desmet – M. le rapporteur répondant aux observations de MM. Doignon et Dubus, a dit qu’ils voulaient saper la base du projet en discussion. Je trouve qu’ils ont raison, parce que le projet est inadmissible ; il ne peut pas être mis à exécution ; il aurait pour résultat de grever le trésor à tel point, qu’on devra mettre un terme à son application faute de moyens d’y satisfaire.
M. le rapporteur dit que le projet de loi est bon parce qu’il rencontre beaucoup d’adversaires, parmi lesquels il a cité le clergé et la magistrature. Si vous voulez être juste, il faut que tous les fonctionnaires et employés trouvent dans la loi que vous faites un avantage égal. Or, si tous les fonctionnaires ont une part au râtelier de l’Etat, les dépenses seront tellement augmentées que le trésor ne pourra pas y suffire. C’est pour cela que je trouve que la loi n’est pas exécutable, et que je m’oppose à son adoption.
M. Pirmez a fait une observation fort juste. Le chemin de fer est aujourd’hui administré en régie, et il occupe un tel nombre d’employés que quand on devra les pensionner, les dépenses en éprouveront encore une augmentation très considérable. Si cette exportation était abandonnée à l’intérêt particulier, vous ne seriez pas exposés à cette augmentation de dépenses. Voilà le second avantage que la loi sur le chemin de fer a procuré au pays, quand elle a autorisé le gouvernement à construire et exploiter en régie.
Il n’y a qu’un moyen de faire une loi supportable, c’est d’adopter le système qui est en projet en France et qui a été préconisé par M. Doignon. En France, ce système n’a pas été présenté à la légère, mais à la suite des réclamations faites à la chambre française contre les abus auxquels avait donné lieu la collation des pensions, et parce qu’on était convaincu de l’impossibilité de subvenir au payement de ces pensions à cause de leur augmentation successive. On a trouvé que le seul moyen de remédier au mal était de créer des caisses de retraite.
L’honorable M. Pirmez a fait une autre observation également fort juste, relativement à la loi de 1814. Cette loi, comme il l’a dit, ne donne pas le droit d’exiger la pension, tandis que par la loi actuelle, ce droit est reconnu aux fonctionnaires après un certain temps de service. Les abus introduits dans l’exécution de cette loi sont tellement grands que quand vous entrez dans l’intérieur du pays, vous n’entendez que réclamations à cet égard. Il y a quelques mois qu’on a mis à la pension des receveurs encore dans la force de l’âge ; à l’un on a donné une pension plus forte que le produit de sa recette, à l’autre on n’a pas donné plus, mais à peu près autant que produisait sa recette. Je puis les citer, je veux parler des receveurs des deux communes dans le voisinage d’Alost. Je cite, afin que M. le ministre puisse répondre.
Pour s’opposer au système de M. Doignon, qu’a dit M. le ministre de la justice ? Les traitements des fonctionnaires sont tellement modiques, que si vous leur faites subir une réduction suffisante pour former une caisse de retraite, ils ne pourront plus suffire pour subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille. Je voudrais qu’on me citât une époque où les traitements ont été aussi élevés qu’aujourd’hui ? Sous le régime autrichien, savez-vous combien valaient les plus belles places du pays ? Quatre mille francs. On me répondra que la vie était moins chère qu’aujourd’hui. Mais la différence n’était pas très grande. On suppose que tous les employés sont sans fortune, c’est une erreur : presque tous au contraire en ont ; on peut dire que ce n’est que l’exception qui soit sans fortune.
On ne peut pas croire que quand vous donnez un traitement de dix à quinze mille francs au fonctionnaire en activité, on doive encore lui donner une pension quand il ne rend plus de service. Lorsqu’on veut donner des pensions, il faut indiquer les moyens de les payer. D’après la loi, qui payera les pensions que vous accorderez ? Les cultivateurs, les artisans et beaucoup d’autres conditions, enfin ceux qui n’obtiennent jamais de pension ; et à qui les payeront-ils ? A des personnes plus riches qu’eux ! et qui très souvent n’en ont aucun besoin.
M. Demonceau – Le système présenté par M. Doignon trouve ici des défenseurs. Certes s’il se bornait à émettre le principe qu’il y aura dans chaque département une caisse particulière affectée à ce département, je pourrais peut-être lui donner mon assentiment. Mais après avoir établi ces caisses dans chaque département, vouloir que dans aucun cas le trésor ne vienne au secours des caisses de retraite, je crois que ce serait aggraver la position des fonctionnaires auxquels doivent s’intéresser, dans tous les cas, tous les membres de cette chambre.
Dans le système français on établit une caisse de retraite dans chaque département, pour les employés de ce département, en déclarant qu’en aucun cas et à aucune époque, il ne pourra être alloué de subvention à la caisse de retraite. C’est un système qui revient à ceci : il n’y aura plus de pension à la charge du trésor public. Il sera créé autant de caisses de retraite qu’il y a de catégories de fonctionnaires publics. Ils se cotiseront pour avoir des pensions pour eux, leurs veuves et leurs orphelins.
Voilà la théorie française.
Mais ne serait-il pas possible de prendre un milieu entre cette théorie et celle de la loi qui nous est soumise ?
Je pense que M. le ministre de la justice reconnaîtra que les fonctionnaires de l’ordre judiciaire ne sont pas si favorablement traités par la loi que ceux des autres catégories. Voici pourquoi, il faut, pour exercer les fonctions de la magistrature, être arrivé à un âge assez avancé, avoir de l’expérience. Il y a dans la magistrature des hommes très capables qui peut-être n’atteindront jamais les 30 années de service, tandis que dans les finances et dans d’autres branches d’administration, on atteint facilement 30 ans de service, parce qu’on y entre à un âge bien moins avancé que dans la magistrature.
Le système de la loi qui nous occupe, il faut bien le reconnaître, n’est pas juste. Je ne suis pas étonné qu’il rencontre beaucoup d’opposition de la part de certains fonctionnaires. A coup sûr, bien que je sois fonctionnaire, ce projet ne rencontrera pas d’opposition de ma part, quoique je doive subir une retenue à laquelle je n’ai pas été soumis jusqu’à présent.
Je conçois que les fonctionnaires de l’administration des finances ne veuillent pas de la loi ; ils ont bien plus d’avantages avec leur caisse de retraite actuelle ; ils ont un règlement d’après lequel ils fixent leurs pensions comme ils l’entendent, et quand il y a déficit dans la caisse, on vient demander une subvention, c’est-à-dire que quand la caisse ne suffit pas au paiement des pensions à sa charge, c’est le trésor qui y pourvoit. Il est vrai qu’ils sont assujettis à une forte retenue, mais ils ont des droits plus élevés que les fonctionnaires des autres administrations.
Pourquoi les fonctionnaires de l’ordre judiciaire ne sont-ils pas satisfaits de la loi que nous faisons ? parce que sous la législation actuelle, ils ne subissent pas de retenue. C’est que vouloir leur faire subir une retenue, alors qu’il est reconnu que leurs traitement sont insuffisants, c’est, il faut l’avouer, mal choisir son temps. On veut leur faire subir une retenue au lieu de leur donner l’augmentation qu’on leur promet depuis bien des années. Il n’est pas étonnant que la loi ne soit pas bien reçue par eux.
L’avantage que présente la loi pour l’ordre judiciaire, c’est qu’au moyen de la retenue qu’on leur imposera, leurs veuves et leurs orphelins pourront avoir une pension qui les mettra à même de vivre honorablement.
Aujourd’hui, quelle est la position des fonctionnaires de l’ordre judiciaire ? Après avoir exercé leurs fonctions pendant 30 ans, ils obtiennent une pension. Mais si la mort vient à les frapper laissant une femme et des enfants dans le besoin, que peuvent faite cette veuve et ces enfants ? Réclamer des secours du gouvernement. Il n’y a pas longtemps, vous vous en souvenez, nous avons introduit au budget du ministère de la justice, une allocation affectée spécialement aux veuves de magistrats qui sont dans le besoin, tandis que les veuves des fonctionnaires des finances ont des pensions très élevées. Naguère, nous avons vu une veuve de conservateur des hypothèques réclamer une pension qui s’élevait à 10 ou 11 mille francs. On lui avait alloué une pension de 6 mille francs, elle était de 20 à 25 mille francs. Elle a réclamé, se fondant sur un règlement qui peut lui être applicable. Je cite cet exemple pour prouver la différence qui existe entre les fonctionnaires des finances et les fonctionnaires du département de la justice.
L’honorable M. Duvivier m’objecte que nous ne subissons pas de retenue ; je puis vous assurer que si vous faites le calcul d’une retenue sur le traitement d’un fonctionnaire à quelque ordre qu’il appartienne et que vous compariez la pension à laquelle il a droit, vous verrez que le produit de la retenue ne suffirait pas pour lui payer cette pension pendant longtemps. Vous verrez qu’il faudrait une trop forte retenue pour suffire aux pensions payées sur la caisse de retraite. Aussi voyez vos budgets ; vous donnez 4 à 500 mille francs par an pour les pensions du département des finances.
Je me résume donc. Voici comment je pense qu’il serait de l’intérêt du gouvernement et des fonctionnaires en général, qu’on adoptât un système à peu près analogue à celui qui est projeté en France, qu’on établît une caisse dans chaque département ministériel, et qu’il fût bien entendu que le gouvernement viendrait, en cas d’insuffisance, demander un subside annuellement aux chambres.
M. Dubus (aîné) – Je n’ai que deux mots à dire pour expliquer ma pensée, qui n’a pas été bien comprise. Lorsque j’ai demandé qu’on entrât dans le système d’avoir une caisse de retraite pour chaque département, j’ai ajouté que je voulais que ces caisses dussent dès le principe convenablement dotées ; je voudrais que les sacrifices du trésor public fussent déterminés d’avance et qu’ils ne dussent jamais être augmentés. S’il faut, par exemple, que le trésor public fournisse un subside de 600,000 francs annuellement, je l’admets ; mais il faut qu’avec cette dotation , quelles que soient les vicissitudes, on pourvoir à tous les besoins.
Voilà comme je t’entends. Je dis que dans un pareil système, nous serions assuré que les pensions ne seraient accordées que lorsqu’il aurait véritable nécessité, parce que l’on aurait toujours la crainte d’avoir un déficit dans la caisse de retraite, crainte que l’on n’a pas lorsque les pensions sont à la charge du trésor public.
Pour déterminer le sacrifice à faire par le trésor public, il y aurait des calculs à faire pour lesquels le concours du gouvernement serait nécessaire.
Je tenais à ce qu’on ne crût pas (comme cela a paru être la pensée de l’honorable rapporteur) que j’aurais voulu supprimer tout subside du trésor public ; mais je pense qu’il faut prendre des mesures pour limiter ce subside.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – Je crois qu’on perd de vue que c’est pour mettre un frein au trop grand accroissement des pensions que le projet de loi est soumis à vos délibérations. Une limite fixe n’est pas de nature à atteindre le but qu’on doit se proposer en bonne administration. Avec une limite fixe, pour ne pas dépasser le chiffre, on devra s’abstenir de mettre à la retraite des employés qui ne seront plus en état de rendre des services à l’Etat. C’est ainsi qu’à un fonctionnaire qui ne ferait rien, il vous faudra laisser un traitement intégral, au lieu de lui donner une pension de moitié de ce traitement. Voilà quel sera le résultat d’un chiffre fixé d’avance.
Du reste, au moyen de la loi en discussion, les abus que l’on prétend exister, en ce qui concerne une augmentation considérable du chiffre des pensions, deviendront impossibles. Cet accroissement cessera, non seulement parce que le taux de la pension sera considérablement diminué, mais aussi parce que les fonctionnaires auront intérêt à ne pas demander la pension. C’est ce que nous voyons dans l’ordre judiciaire. Y a-t-il un juge qui sollicite sa pension ? Non. Les magistrats restent en fonctions dans un âge très avancé plutôt que de réclamer leur retraite. Dans les finances, au moyen de la loi, je ne m’attends à aucune demande de pension. Les ministres n’auront pas à repousser de pareilles sollicitations. Ils auront, au contraire, à veiller à ce que des employés ne conservent pas trop longtemps leurs fonctions alors que leur âge ou leurs infirmités les mettent hors d’état de les remplir.
M. Vandenbossche – Le fonctionnaire qui a honorablement servi son pays et qui a usé sa vie à son service doit nécessairement être entretenu lorsqu’il n’est plus en état d’être conformé dans ses fonctions. Mais comme la plus grande partie des fonctionnaires n’a rien de trop pour vivre, faut-il faire des retenues, je pense que non. Je voudrais que l’on supprimât les retenues pour la caisse des retraites, que l’on donnât des pensions seulement à ceux qui en ont besoin, et qu’il y fut pourvu par des subsides.
Je partage l’opinion qu’on doit instituer une caisse pour les veuves, car ceci est un cas différent, l’Etat n’est pas tenu à leur entretien.
Si l’on veut faire des retenues pour une caisse des retraites, on doit nécessairement augmenter les traitements ; dans ce cas, cela ne reviendra-t-il pas au même ?
Dans tous les cas, je voudrais que l’on ne donnât pas de pension à celui qui a de la fortune, je ne consentirai jamais à admettre un autre système.
M. de Langhe – M. le ministre a dit qu’en fixant une limite on serait exposé à ne pouvoir, par suite de l’insuffisance des fonds, mettre à la pension ceux qui seraient hors d’état de continuer leurs fonctions. Ici j’invoquerai encore une fois le projet de loi français. La loi française…
M. le ministre des affaires étrangères (M. Lebeau) – Ce n’est qu’un projet de loi.
M. de Langhe – Je le sais ; mais c’est un projet préparé par des personnes qui ne sont pas novices en administration. Le projet de loi français fixe un maximum et dans le cas où la caisse des retraites ne pourrait faire face aux pensions qui seraient liquidées, il prescrit que la retenue soit augmentée de manière à équilibrer toujours les ressources et les besoins de la caisse des retraites. Voilà une mesure que l’on a prise, dans un pays où, quoi qu’on en dise, la plupart des traitements sont inférieurs à ceux de notre pays ; car, sauf quelques grandes sommités qui ont des traitements considérables et que justifie l’importance du pays, je maintiens que les emplois sont moins payés en France qu’en Belgique. Je citerai les receveurs, les employés de l’administration des douanes et des autres administrations financières, les membres de l’ordre judiciaire, moins rétribués que ceux de ce pays, quoiqu’on se plaigne de l’insuffisance de leurs traitements/
On dit que nous devons nous montrer plus grands, plus généreux qu’en France ; je le veux bien, nous trouvons si facilement des millions que ce n’est pas la peine de s’en faire faute.
M. Doignon – En vous signalant le système français, mon intention n’était pas de repousser toute modification à ce système. Ce qui convient en France peut ne pas convenir absolument dans ce pays. Il y a toujours des modifications à faire, quand on veut emprunter une législation étrangère ; il faut peser toutes les circonstances et elles varient d’une nation à l’autre.
D’après les observations faites par plusieurs honorables membres et notamment par MM. Dubus (aîné) et Demonceau, je crois que ma proposition doit être prise en considération, avec les modifications, dans le sens indiqué par ces honorables collègues.
Je pense qu’en supprimant l’article 2 dont j’ai donné lecture, vous pouvez adopter le reste de ma proposition.
Cet article est ainsi conçu :
« Art. 2. En aucun cas et à aucune époque, il ne pourra être alloué de subvention aux caisses ou fonds de retraite, dont la formation est prescrite par l’article précédent. »
On supprimerait cet article. Mais il serait impossible d’indiquer la limite des subventions. Comme il est impossible d’improviser une disposition de ce genre, je demande le renvoi de ma proposition à la section centrale. Je ferai donc à cet égard une proposition formelle, que je déposerai sur le bureau.
M. le ministre de la justice vous a dit que la retenue était une diminution de traitement. Cela n’est pas ; car, en même temps qu’on diminue les traitements des fonctionnaires, on leur donne un droit à la pension. En échange de la retenue, n’obtiennent-ils pas ce droit à la pension ? Leur sort se trouve ainsi assuré pour l’avenir. Au vrai, on ne peut donc appeler la retenue une diminution de traitement.
M. le ministre a dit au contraire qu’il était question d’augmenter les traitements. Mais s’il en est ainsi, tout inconvénient, dans son opinion, doit disparaître ; car si les traitements sont augmentés, il n’y a aucun inconvénient à exercer la retenue. Cette observation vient directement à l’appui de notre système, tendant à la création de caisses de retraite.
Je ferai la même observation que l’honorable M. de Langhe, à l’égard des emplois en France. Il est certain que dans ce royaume les traitements sont inférieurs à ce qu’ils sont ici, notamment dans l’administration des douanes, dans la magistrature, etc. A Lille, ville de premier ordre, un juge a un traitement de 2,400 francs, tandis qu’en Belgique, dans un tribunal de seconde classe, un juge a un traitement de 2,800 francs. Il y a une foule d’exemples semblables que l’on pourrait citer.
Je pense donc que mon système conciliera tous les intérêts. Je veux que l’on ait toutes les considérations possibles pour les positions existantes, pour les droits acquis. Mais à l’égard des fonctionnaires futurs, je l’ai dit, il n’y a pas de droits acquis ,par conséquent nous devons les régler d’après les intérêts du trésor, et surtout d’après notre situation financière qui est réellement critique.
Je vais déposer une proposition formelle.
M. Cogels – L’examen du tableau qui nous a été fourni par M. le ministre des finances m’a effrayé sur les conséquences de la loi qui nous est proposée. Ces conséquences, il m’a été impossible de les calculer ; j’ai remarqué seulement qu’il y a eu une augmentation progressive sur toutes les pensions de tous les départements ; et cependant il y a un de ces départements qui n’en est encore qu’à son enfance. Nous dire quelles seront les conséquences du système proposé par le département des travaux publics, c’est chose bien difficile ; car, ainsi que l’a fait remarquer l’honorable M. Pirmez, nous ne pouvons savoir quelle extension il prendra.
Je vois donc un grand danger à accorder un droit positif ; j’entends par droit positif de la fixation de la somme à laquelle le fonctionnaire aura droit par suite des retenues qu’il aura subies, et dont vous ne pouvez calculer la suffisance. Car, ainsi que je l’ai déjà fait remarquer, il s’agit ici d’une tontine pour laquelle vous n’avez aucune base.
Je voudrais donc que les retenues fusent simplement applicables à un fonds des veuves et des orphelins et que ce fonds fût distribué d’après les ressources que présenterait la caisse, sans qu’il pût en résulter aucune charge pour le trésor.
Pour ce qui regarde les pensions, je voudrais qu’elles fussent facultatives, que l’Etat pût les accorder et que la chambre limitât seulement les pouvoirs du gouvernement dans certaines bornes, afin qu’il ne pût jamais abuser de la faculté que nous lui aurions accordée.
L’honorable rapporteur de la section centrale a fait voit la position délicate dans laquelle pourraient se trouver quelques fonctionnaires vis-à-vis de leurs supérieurs dans les dernières années de l’exercice de leurs fonctions ; qu’on pourrait abuser de leur situation pour leur imposer des obligations auxquelles leur délicatesse ne permettrait pas de souscrire.
Je ne vois pas là un danger ; le gouvernement sera toujours disposé à user largement de la faculté que nous lui accorderons, et s’il se présentait quelques cas exceptionnels où on exigerait d’un fonctionnaire des choses que sa délicatesse ne lui permettrait pas d’accorder, l’injustice ne serait pas irréparable. Il y a une si grande mobilité dans l’administration que si une semblable injustice était reconnue, le fonctionnaire qui succéderait à celui qui l’aurait commise s’empresserait de la réparer.
Voilà ce que j’avais à dire sur le système en général, j’en viendrai maintenant aux catégories à établir pour chaque département.
L’article 9 a rapport à toutes les administrations quelconques. Déjà l’honorable M. Dumortier, dans la séance du 28 janvier, vous a fait voir l’inégalité choquante qui en résultait entre les membres de l’ordre judiciaire et ceux du département de finances, par exemple. L’honorable M. Demonceau vous l’a également démontrée. Je ne m’étendrai pas sur les inconvénients signalés par ces honorables membres, c’est-à-dire l’âge avancé auquel on entre habituellement dans la magistrature, tandis que dans l’administration des finances on entre assez généralement à l’âge de 17 à 18 ans.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – Je demande la parole.
M. Cogels – Il y a un calcul à établir. Voyons quelle est la positon de l’employé du département des finances et du magistrat.
L’employé entre en fonctions à l’âge de 18 à 20 ans et commence par recevoir un traitement de 600 francs. Ce traitement monte successivement jusqu’à 12 ou 15 cents francs. Alors il obtient une perception qui lui vaut 2,400 ou 2,500 francs, et c’est à la fin de sa carrière, quand il a 30 années de service qu’il a ordinairement de hauts traitements. Ainsi il devient conservateur des hypothèques, receveur de l’enregistrement, receveur des douanes, et touche alors des appointements de 6, 8 ou 10 mille francs. Comme la pension se calcule sur la moyenne des trois dernières années, bien qu’il n’ait effectivement subi de retenue que sur un traitement moyen de 1,800 à 2,000 francs, il peut toucher sa pension sur une base de 8 à 10 mille francs.
Maintenant quelle est la position du magistrat ? Il commence ordinairement par être juge d’un tribunal de première instance, et reçoit un traitement de 2,400 francs. Il s’élève graduellement jusqu’à une place de conseiller à la cour d’appel, fonctions pour lesquelles il reçoit 5,000 francs. Je trouve qu’il aura contribué à la caisse de retraire pour une moyenne de 3,700 francs. Et quel est l’âge auquel il jouit de la pension ? C’est assez généralement à 65 ou 70 ans.
Evidemment c’est encore là une anomalie choquante, et qui est contraire à toute justice distributive. Voilà sur quoi j’ai voulu attirer l’attention de la chambre. Je ne ferai pas de proposition, parce que je ne saurai, pour le moment, indiquer un moyen pour remédier à tous les inconvénients que je vous ai signalés, d’établir une base équitable. Ce serait l’objet d’un examen approfondi, auquel il m’a été impossible de me livrer sur es documents qui nous ont été fournis.
M. le ministre de la justice (M. Leclercq) – Je ne sais jusqu’à quel point il est conforme aux règles qui déterminent la marche de nos délibérations de discuter à l’occasion d’un article, sur un système qui n’est pas formulé. Quoi qu’il en soit à cet égard, il est assez difficile de suivre une discussion sur un pareil système, que le défaut de formuler laisse dans un vague au milieu duquel on ne peut rien saisir de bien précis.
Le fond de ce système, de quelque manière qu’on le formule, est celui-ci : l’article 9, tel qu’il a été proposé par le gouvernement et amendé par la section centrale, ne sera applicable qu’aux fonctionnaires actuellement en fonctions. Pour les fonctionnaires qui seront nommés à l’avenir, il ne leur sera plus applicable. Pour ceux-ci on fera une retenue sur leurs appointements, et c’est exclusivement à l’aide de cette retenue qu’on payera les pensions. Voilà le fond de ce système, pour autant qu’il n’est donné de le comprendre.
Pour l’appuyer, qu’a-t-on dit ? On a dit qu’en subsidiant une caisse de retraite avec les fonds de l’Etat, on le privait du moyen d’empêcher les abus dans la collation des pensions ; l’on ne veut donc pas que la caisse de retraite ou les caisses de retraite établies près des différents départements soient subsidiées des fonds de l’Etat et dès lors il faudra que les retenues servent exclusivement à payer les pensions ; car je ne vois pas d’autre moyen de satisfaire à ces payements : sauf toutefois à prendre des mesures pour que ces pensions ne soient ni trop élevés ni trop nombreuses.
Eh bien, de quelque manière qu’on retourne cette proposition, de quelque manière qu’on l’interprète, on arrive à une réduction de traitement. On dit qu’il n’y a pas réduction de traitement, parce qu’en compensation des retenues, le fonctionnaire sera assuré d’une pension pour lui, pour sa femme et ses enfants. Il lui sera assuré une pension, oui ; mais il n’en sera pas moins vrai qu’il aura un traitement moindre que celui qui est donné aujourd’hui au fonctionnement qui occupe la même position. Il y a donc réduction, réduction qui a, si l’on veut, une compensation pour l’avenir, mais c’est une réduction pendant tout le temps que durent les fonctions de chaque fonctionnaire public ; il n’y a pas moyen de sortir de là.
Et il en résulte que la question revient à savoir si les traitements sont assez élevés qu’on les divise ainsi en deux parts ; or, j’ai parcouru, il n’y a qu’un instant, les différentes catégories de fonctionnaires, et je crois avoir prouvé que leurs traitements ne sont tout au plus que suffisants pour leur entretien et celui de leurs familles.
On a cité, en parlant des membres de l’ordre judiciaire, ce qui se fait dans un pays voisin. Je ne sais ce qui se passe dans ce pays en ce qui concerne la manière de vivre des magistrats mais je sais ce qui se passe en Belgique. Et là les magistrats de l’ordre judiciaire, pour m’en tenir à ce que je connais le mieux, sont insuffisants, et si vous les élevez, ils ne seront justes que ce qu’ils doivent être.
Je prendrai un seul exemple, et dans une position moyenne, dans la classe des magistrats de cour d’appel : un conseiller de cour d’appel à 5,000 francs de traitement. Il doit demeurer à Bruxelles, à Liége ou à Gand.
Je pose en fait qu’un conseiller ne peut se loger dans une maison dont le loyer est moindre que 1,200 francs. Je sais même en beaucoup de cas au-dessous de la réalité ; je devrais dire peut-être 1,500 francs. Eh bien, je demande ce qu’il reste à ce magistrat, membre d’une cour souveraine, lorsqu’il doit retrancher 1,500 francs de ses appointements, je demande ce qui lui reste pour vivre honorablement dans la société, pour élever ses enfants honorablement dans le rang qu’il occupe ?
Je dis que dans cette position l’on doit reconnaître que les traitements sont au-dessous de ce qu’ils doivent être ; que si on les augmente, ils ne seront que suffisants, et que dès lors il est impossible de leur faire subir une réduction assez considérable pour mettre en action le système qu’on propose de substituer à celui qu’établir le projet.
Il est impossible de sortir de cette alternative : ou les traitements sont suffisants ou ils ne le sont pas. S’ils ne le sont pas, on ne peut les soumettre à une forte réduction, et c’est cependant là le fond du système que l’on propose.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – Je ne puis laisser passer sans observation les assertions sur lesquelles s’appuie l’honorable M. Cogels. Pour fonder l’opinion qu’il a manifestée sur la distinction qu’il voudrait établir entre les diverses classes de fonctionnaires, il vous a dit qu’en général les employés du département des finances entraient dans la carrière administrative à l’âge de 17 ou 18 ans. C’est une erreur ; il n’en est pas ainsi.
J’ai déjà fait remarquer à la chambre que le plus grand nombre des fonctionnaires de ce département se compose d’employés de la douane. Or, ce n’est pas à 17 ou 18 ans, mais à 23, 28 ou 30 ans qu’ils sont nommés. C’est donc une erreur manifeste que d’alléguer qu’en général les employés des finances entrent en fonctions à l’âge de 17 ou 18 ans.
Je dirai même que les surnuméraires, terme moyen, ne sont admis dans l’administration qu’à l’âge de 23 à 24 ans.
Il y a deux voies ouvertes pour entrer dans les emplois du département des finances ; celle des emplois subalternes des douanes ou des accises, et on ne les obtient qu’à l’âge de 23 à 30 ans, et celle du surnumérariat, on n’y est appelé généralement qu’à 22 ou 23 ans. Aucun employé ne peut d’ailleurs recevoir d’emploi effectif avant l’âge de 21 ans révolus.
Si des exemples bien rares du contraire ont eu lieu, si des surnuméraires ont été nommés à 18 ans, ce sont des exceptions qu’on ne peut citer comme règle générale, quand il s’agit des intérêts de tous les fonctionnaires d’un département.
Ce que l’honorable orateur a allégué relativement aux traitements est aussi inexact. D’abord, le traitement de 600 francs, au lieu d’être accordé à 18 ans, ne l’est qu’à 25. Il prétend que les employés montent successivement en grade, qu’ils arrivent vers la fin de leur carrière à des appointements de 10,000 francs et plus, et que c’est sur ces derniers appointements que les pensions sont établies. Eh bien, c’est encore là une exception. Il peut y avoir quelques pensions établies sur des traitements de 10,000 francs, mais elles sont en très petit nombre.
On peut se figurer facilement que ce cas ne peut former que l’exception, lorsqu’on voudra bien considérer que sur 8,000 traitements environ, il n’en est que 26 qui soient supérieurs à 8,000 francs, en y comprenant ceux de 16 employés comptables dont le maximum de la pension serait 4,000 francs d’après le projet.
Du reste, messieurs, quant aux pensions elles-mêmes, sous le régime actuel, il n’en est que 56 qui dépassent 3,000 francs sur le nombre de 1,767 qui sont accordés à des fonctionnaires du département des finances.
Mais, je le répète, quel est le but de la loi actuelle ? C’est précisément de restreindre les charges qui pèsent sur le trésor.
Quant aux magistrats, pour en revenir aux observations de l’honorable M. Cogels, eh bien ! pour eux on maintient l’état actuel des choses ; pour le fonctionnaire du département des finances au contraire, on diminue ses avantages, on rend sa positon infiniment moins favorable.
Je ferai encore observer que si le magistrat entre à un âge plus avancé dans la carrière, il n’en sort aussi que plus tard. L’employé du département des finances en service actif est très souvent forcé, dès l’âge de 55 ans, de renoncer à ses fonctions, tandis que le magistrat conserve les siennes jusqu’à 65, 70 ans et même plus longtemps encore.
M. Cogels – J’ai généralisé ce que M. le ministre des finances regarde comme une exception. C’est un tort que j’ai eu ; au lieu de dire généralement, j’aurais dû dire souvent.
Mais les renseignements sur lesquels je m’étais basé nous ont été fournis par M. le ministre lui-même et j’avais pris l’état littera B qui se trouve annexé au rapport sur le budget des finances.
Pour ce qui regarde l’âge, j’admettrai volontiers que ce n’est qu’à l’âge de 22 ou 23 ans que les fonctionnaires du département des finances commencent à jouir de traitements. Il y aura donc cinq ou six ans à réduire de mes calculs. L’inégalité deviendra un peu moins choquante en comparant la position des employés des finances et les magistrats de l’ordre judiciaire, mais elle n’en subsistera pas moins.
Quant à ce que vous a dit M. le ministre des magistrats qu’on maintenait dans leur position actuelle, je crois qu’il a commis une erreur. Car jusqu’aujourd’hui les magistrats n’ont été assujettis à aucune retenue et ils le seront à l’avenir. Ainsi sous ce rapport leur position se trouvera aggravée. Car ce n’est que dans la supposition de la retenue que j’ai établi mes calculs. J’ai dit que cette retenue pour les employés de l’administration des finances est bien plus productive que pour les magistrats, et cela est évident pour toutes les personnes qui m’ont suivi dans les calculs que j’ai établis et auxquels on ne peut rien reprocher quant à leur base. Il peut y avoir de légères erreurs dans les détails, mais je crois que la base de mes calculs est parfaitement exacte et qu’elle ne peut être réfutée.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – J’avais cru devoir relever l’erreur dans laquelle est tombée involontairement l’honorable préopinant ; du reste ce n’est pas seulement sur l’âge qu’ont porté mes observations, mais aussi sur les appointements.
Je ferai observer que nous discutons l’article 9. Ma réponse n’est relative qu’à la pension des fonctionnaires eux-mêmes. J’ai donc dit avec raison que les fonctionnaires de l’ordre judiciaire restent absolument dans la position où ils sont maintenant.
Lorsque nous discuterons la partie du projet relative aux retenues, on verra s’il est juste d’établir ces retenues en compensation des pensions qui seront accordées aux femmes et aux enfants des magistrats. Mais jusqu’à présent je soutiens, et chacun devra le reconnaître, en comparant l’article 9 aux dispositions aujourd’hui en vigueur, qu’il n’est rien changé à ce qui concerne la position des magistrats.
M. de Behr – Ainsi que l’a dit M. le rapporteur, la proposition de l’honorable M. Doignon tend évidemment à consacrer un système tout à fait nouveau. D’abord, suivant l’honorable membre, ce serait un règlement d’administration publique qui déterminerait les conditions d’admissibilité des fonctionnaires à la pension, mais alors il serait fort utile de discuter la loi qui nous occupe, car la plupart de ses articles deviendraient complètement inutiles. L’honorable M. Doignon dit que la loi en discussion s‘appliquerait aux magistrats, fonctionnaires et employés qui sont actuellement en fonctions, mais il a déjà un titre du projet qui s’applique à ces fonctionnaires, c’est le titre des dispositions transitoires ; le titre qui nous occupe en ce moment ne s’appliquera qu’aux fonctionnaires qui entreront en fonctions après la promulgation de la loi. Si l’on veut donc établir l’espèce de tontine, proposée par l’honorable M. Doignon, il me semble qu’il faut avant tout examiner ce système, car il est impossible de l’appliquer au projet de loi en discussion.
Si le système de l’honorable M. Doignon avait été proposé dans les sections, la section centrale aurait pu en faire l’objet de son examen ; mais aucun membre n’a mis ce système en avant dans la section ; cependant le projet de loi français existe alors comme aujourd’hui.
M. Van Cutsem – Messieurs, il me semble que si nous discutions les articles du projet qui sont soumis à notre examen, sans mettre en question tous les articles de la loi à la fois, nous avancerions beaucoup les travaux de la chambre ; en effet, qu’avons-nous fait depuis six séances que nous débattons les différentes dispositions de la loi, qui doit régler le sort de tous les fonctionnaires de l’Etat ? Nous avons admis en principe que les seuls ministres auraient droit à une pension dans des circonstances données ; ce n’est pas ainsi que nous devions procéder si nous voulons donner au pays les lois qu’il est en droit d’attendre de nous.
Les adversaires du projet de loi soutiennent que l’article 9, qui contient la base de la loi, doit donner lieu à beaucoup d’abus ; mais d’où peuvent naître ces abus, lorsque le législateur dit en termes formels ; que pour être admis à la pension, il faut avoir soixante années d’âge et trente années de service ? La loi ne laisse donc rien à l’arbitraire du pouvoir, tout en précis, tout est déterminé dans le projet que le gouvernement veut vous faire admettre.
Tous les moyens sont bons pour ceux qui veulent combattre le projet du gouvernement, pour ceux qui veulent refuser justice à d’anciens fonctionnaires ; l’honorable M. Desmet, pour ne pas accorder de pension aux ayants droit, va jusqu’à dire que tous les employés ont de la fortune, il finit enfin par se demander si quelqu’un en Belgique est sans fortune ; il suffit de relever de pareils moyens mis en avant pour combattre l’admission d’un projet de loi, pour dire que c’est sans motif qu’on veut le faire repousser par la représentation nationale ; je ne réfuterai pas le système de M. Vandenbossche, qui veut classer les fonctionnaires en deux catégories ; celle des riches et celle des pauvres, et ne donner de pension qu’à ces derniers. D’autres honorables membres en ont déjà démontré l’impossibilité.
Ils ne sont pas moins injustes que MM. Desmet et Vandenbossche, ceux des membres de cette assemblée qui veulent donner des pensions aux fonctionnaires qui sont aujourd’hui en place, et qui veulent les refuser à ceux qui obtiendront des emplois après la promulgation de la nouvelle loi sur les pensions, parce qu’ils veulent rémunérer d’une manière différente des services, des travaux semblables ; il faut que ceux qui font le même travail reçoivent la même récompense, le même salaire.
Il est évident pour moi que tous les honorables orateurs qui combattent le projet de loi du gouvernement sur les pensions, l’envisagent sous un point de vue faux ; s’ils le considéraient comme il doit l’être, il ne rencontrerait pas tant d’opposition parmi nous ; on croit que le gouvernement fait une faveur au fonctionnaires pensionné, on pense qu’il se rend agréable à lui, tandis qu’il est certain que la plupart des employés de l’Etat sont pensionnés, malgré eux, et vous n’aurez pas de peine à le concevoir quand vous voudrez y réfléchir un instant ; il suffira de vous dire que tout fonctionnaire aime mieux toucher en travaillant modérément, une somme trois fois supérieure à celle qu’il recevrait, pour pension de retraite, alors même qu’il n’aurait rien à faire, parce qu’il y a beaucoup de fonctionnaires qui peuvent entretenir leurs familles avec leur traitement, et qui ne peuvent plus le faire avec une modique pension. On peut donc assurer, sans crainte d’être démenti, que la plupart des fonctionnaires de l’Etat serviront le gouvernement aussi longtemps qu’ils le pourront, et que nous n’avons pas à craindre que le gouvernement abuse de la faculté qu’il aura de mettre certains fonctionnaires, dans des limites données à la retraite pour se faire des créatures. Je donnerai donc un vote favorable à l’article 9, parce qu’il fixe d’une manière juste et équitable les conditions dont le fonctionnaire devra justifier pour être admis à la retraite ; je donnerai encore mon assentiment à l’article 9 du projet du ministère, parce que tous les gouvernements qui se sont succédé en Belgique ont toujours été mis à même de récompenser de loyaux et longs services, et que je veux que le gouvernement que la Belgique s’est choisi, ne puisse pas être dans le cas de moins faire pour d’anciens serviteurs que ceux qui l’ont précédé. Faisons des économies, messieurs, je le veux bien, je le désire autant que qui que ce soit, mais que ces économies soient justes, et ne les faites pas quand vous vous exposez en diminuant le budget de l’Etat, à laisser sans asile et sans moyen d’existence ceux qui auront rendu pendant trente ans des services à leur pays et qui ne pourront plus continuer à lui en rendre parce qu’à leur âge y mettra obstacle.
M. le président – Voici l’amendement de M. Doignon : « Il sera formé dans les divers départements ministériels des caisses ou fonds de retraite destinés à pourvoir aux besoins des magistrats, fonctionnaires, employés, agents ou préposés qui entreront en exercice, à partir de la promulgation de la présente loi. »
- L’amendement est appuyé.
M. Demonceau – L’honorable M. Van Cutsem vient de nous dire que nous avons déjà perdu beaucoup de temps et que nous paraissons disposés à en perdre beaucoup encore ; je ne suis pas du tout de son avis ; je pense, messieurs, que nous nous occupons ici d’une loi qui est de la plus haute importante, et que, certes, ce n’est pas perdre son temps que de discuter un semblable projet comme nous l’avons fait. Nous avons examiné aussi bien le système de la loi proposée que celui que l’on pourrait y substituer, et il me semble que nous avons très bien fait d’en agir ainsi. Je ne pense donc pas que la majorité de l’assemblée partagera l’opinion de l’honorable député de Courtray, surtout quand il vient dire que le système de l’honorable M. Doignon tend à établir une distinction entre les fonctionnaires. Une semblable distinction n’existe pas plus dans le système de l’honorable M. Doignon que dans le système de la section centrale.
Vous venez, messieurs, d’entendre l’honorable président de la section centrale, vous faire remarquer que le projet renferme des dispositions transitoires qui maintiennent les droits existants à l’époque de la publication de la loi. Eh bien, la proposition de l’honorable M. Doignon fait précisément la même chose. Vous voyez donc, messieurs, que quant aux fonctionnaires qui seront en fonctions au moment de la promulgation de la loi, il n’y a aucune espèce de différence entre la proposition de M. Doignon et le projet de la section centrale ; seulement pour l’avenir, M. Doignon propose d’établir dans chaque département une espèce de tontine, une espèce de caisse de retraite dont les employés feraient les fonds, fonds dont le gouvernement surveillerait la répartition entre ceux qui auraient droit à la pension.
Voilà, si j’ai bien compris l’honorable M. Doignon, le système qu’il voudrait faire prévaloir ; il me semble que ce système mérite d’être examiné par la chambre. Du reste, si l’assemblée ne se croit pas assez éclairée sur la proposition elle pourrait la renvoyer à l’examen de la section centrale.
M. Doignon – Vous voyez, messieurs, que j’ai réduit ma proposition à des termes fort simples. Je ne veux, pour le moment, que faire examiner le principe de l’établissement de caisses de retraite ; quant à la question d’une subvention à accorder à ces caisses par l’Etat, je n’exclus pas cette idée ; je laisse la question entière. Ma proposition n’est, sous ce rapport, pas complète, mais je la présente principalement pour que la chambre examine le principe dont je viens de parler. Je demanderai donc, avant tout, que ma proposition soit renvoyée à la section centrale.
L’honorable M. de Behr ne me comprend pas lorsqu’il dit que je veux renverser tout le système du projet. Ma proposition ne s’applique qu’aux fonctionnaires qui entreront en exercice après la promulgation de la loi ; elle ne concerne nullement ceux qui sont actuellement en fonctions ; la position de ceux-là sera réglée par les dispositions du titre qui nous occupe en ce moment, et je crois même que, relativement aux fonctions actuels, il conviendra d’adopter ces dispositions parce qu’en général elles se trouvent en harmonie avec la législation actuelle. Mais il n’y a aucune raison pour appliquer les mêmes dispositions aux fonctionnaires qui entreront plus tard en fonctions, pour ceux-là on ne peut pas invoquer la législation actuelle, ils n’ont pas de droits acquis.
M. le ministre de la justice (M. Leclercq) – Messieurs, la proposition de l’honorable M. Doignon n’est que la reproduction de celle de l’honorable M. Dumortier, qui a été renvoyée à la section centrale et sur laquelle la section centrale a fait un rapport. Il me semble dont qu’il n’y a pas lieu à ordonner un nouveau renvoi, à moins qu’on veuille ne pas en finir.
M. de Behr – J’ai fait remarquer à l’honorable M. Doignon que toutes les dispositions du projet sont faites pour l’avenir ; c’est-à-dire pour les fonctionnaires qui entreront en exercice après la promulgation de la loi. Quant à ceux qui sont actuellement en fonctions, leur position se trouve réglée au titre des dispositions transitoires. Voici, en effet, ce que portent les articles 50 et 54 du projet.
« Titre IV – Dispositions transitoires.
« Art. 50. Les fonctionnaires, magistrats et employés encore en fonctions, qui auront, par suite de leurs services, acquis des droits à la pension en vertu des lois et arrêtés précédents, pourront faire liquider leurs pensions d’après les bases indiquées dans ces lois et arrêtés, mais seulement pour les années de services antérieurs à la date de la présente loi.
« Les services rendus après cette loi seront réglés conformément à ses dispositions et n’entreront en ligne de compte qu’autant que les pensions du chef des services antérieurs seront inférieures aux maximum établis par ladite loi, sans pouvoir, dans ce cas, en excéder le taux.
« Art. 54, 49 ancien. Les fonctionnaires, magistrats et employés actuellement en fonctions pourront se prévaloir, pour la liquidation éventuelle de leur pension personnelle, de tous les anciens services civils rendus par suite de nominations à des emplois rétribués par le trésor public, quoiqu’ils n’aient pas été soumis à la retenue ; mais seront seuls admissibles pour leurs femmes et enfants, les services pour lesquels ils ont contribué aux caisses de retraite supprimées ou pour lesquels ils déclareront, dans l’année qui suivra la publication de la présente loi, vouloir contribuer au profit du trésor, à raison de 1 ½ p.c. de leur traitement. »
Voici maintenant l’article 26 du projet de loi français :
« Art. 26. Les moyens de réaliser les fonds destinés à pourvoir aux pensions de retraite seront déterminés par des ordonnances rendues en forme de règlements d’administration publique, insérées au Bulletin des lois avant la fin de la prochaine session.
« Ces règlements détermineront également les conditions d’admissibilité imposés aux magistrats, fonctionnaires, employés, agents et préposés, qu’ils appelleront à concourir à la formation des caisses ou fonds de retraite. »
Eh bien, messieurs, c’est là le système de l’honorable M. Doignon, et vous voyez bien qu’avec ce système toute la loi devient inutile.
M. de Theux – Ce qui semble embarrasser singulièrement l’assemblée, c’est le tableau qui nous a été fourni, et dont il résulte que, pour l’administration de finances, le chiffre des pensions accordées excède tous les ans de beaucoup le chiffre des extinctions. L’on craint qu’il n’y ait point de limite dans le chiffre des pensions ; d’autre part, M. le ministre des finances assure que, d’après le projet de loi, le chiffre des pensions à accorder à l’avenir aux employés du département des finances sera considérablement réduit.
S’il était possible d’avoir des données sur ce point, cela jetterait beaucoup de lumière dans la discussion. Je conçois que cela peut donner lieu à un travail très considérable ; mais s’il était possible de fournir quelques éclaircissements à cet égard la discussion en serait singulièrement abrégée.
L’honorable M. Doignon a proposé un système qui me paraît présenter des difficultés dans l’application. Il est impossible de prévoir quelles seront les conséquences de ce système. Il y a d’ailleurs des questions de principe qu’il serait bon de résoudre avant de se fixer sur ce système.
Une de ces questions, c’est celle de savoir si l’on doit étendre le système des pensions aux veuves et aux orphelins des fonctionnaires de toutes les catégories, ou si l’on ne se bornera pas à maintenir ce qui existe pour certaines classes de fonctionnaires.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – Messieurs, il serait impossible de faire connaître par des chiffres rigoureux quelle sera l’influence de la loi sur la somme des pensions, je puis dire toutefois, que si je tiens compte des différentes dispositions du projet, et qui toutes sont moins favorables aux fonctionnaires de mon département que les règlements actuels, je crois pouvoir réduire d’un tiers la somme des pensions qui seraient accordées sous le régime de la loi nouvelle.
En ce qui concerne les veuves et es orphelins, je pense que nous ne devons pas nous en occuper pour le moment, car si nous traitons toutes les questions à la fois, nous n’arriverons jamais à un vote. Il faut faire de cette question l’objet d’une discussion spéciale. D’ailleurs, la chambre s’est déjà prononce à cet égard en décidant qu’elle commencerait par le titre 2 de la loi.
M. le président – Personne ne demandant plus la parole, je vais mettre aux voix l’amendement de M. Doignon.
M. Doignon – J’ai demandé le renvoi de mon amendement à la section centrale.
M. le ministre de la justice (M. Leclercq) – Je dois rappeler l’observation que j’ai faite tout à l’heure, c’est que cet amendement est le même que l’amendement de l’honorable M. Dumortier, amendement qui a été envoyé à la section centrale et sur lequel la section centrale a fait rapport. Le renvoi proposé est donc inutile, puisqu’il s’agirait de faire une instruction qui a déjà été faite.
M. de Behr – La proposition de M. Dumortier était relative aux veuves et aux orphelins, et non, je pense, aux titulaires eux-mêmes. L’honorable M. Dumortier s’est expliqué dans ce sens, si je ne me trompe.
M. le ministre de la justice (M. Leclercq) – Voici l’amendement de l’honorable M. Dumortier : « Je demande qu’il soit formé dans chaque ministère une tontine pour pourvoir aux pensions de retraite aux personnes qui sont jusqu’ici n’ont pas droit à la pension ou qui seront à l’avenir investies de fonctions publiques. »
La proposition de l’honorable M. Doignon est la reproduction de la disposition finale de cet amendement. La section centrale a fait un rapport dans ce sens sur l’amendement de l’honorable M. Dumortier.
M. le président – La section centrale a proposé le rejet de l’amendement.
M. le ministre de la justice (M. Leclercq) – Oui.
M. le président – Je vais mettre aux voix la proposition de M. Doignon, tendant à ce que l’amendement soit renvoyé à la section centrale.
M. Doignon – Je ne suis nullement convaincu que la proposition de l’honorable M. Dumortier sont bien la même que la mienne. M. Dumortier propose le contrat de tontine, mon amendement ne fait mention de rien de semblable. Il y a donc entre les deux propositions une nuance essentielle et dès lors il y a lieu de faire de ma proposition l’objet d’un examen ultérieur.
- Le renvoi de la proposition à la section centrale est mis aux voix et n’est pas adopté.
M. le président – Je mets maintenant l’amendement aux voix.
Des membres – Une nouvelle lecture.
(M. le président donne une nouvelle lecture de l’amendement.)
- L’amendement n’est pas adopté.
La chambre passe au vote de l’article 9. Elle adopte d’abord la substitution des mots « pourront être admis » à ceux-ci : « seront admis » ; puis elle adopte l’ensemble de l’article 9 avec cette modification.
La chambre passe à l’article 10.
« Art. 10. Il suffira de 55 ans d’âge et de 25 années de services pour les fonctionnaires et employés qui auront passé 20 années dans la partie active, comprenant les emplois et grandes indiqués au tableau n°1 annexé à la présente loi.
Voici ce tableau :
Tableau n°1 – Tableau des employés appartenant au service actif.
Agents actifs des administrations des douanes : Inspecteur des douanes et accises ; Contrôleurs ; Lieutenants ; Sous-lieutenants ; Brigadiers ; Préposés de 1er classe ; Préposés de seconde classe ; Patrons ; Matelots ; Mousses.
Agents actif des administrations des accises : Contrôleurs ; Commis de 1er classe à pied et à cheval ; Commis de deuxième classe à pied et à cheval ; Commis de troisième classe à pied et à cheval.
Agents actifs des forêts : Brigadiers ; Gardes.
Agents actifs des postes : Facteurs.
Agents actifs des ponts et chaussées : Conducteurs ; Gardes-côtes ; Gardes-déversoirs ; Eclusiers ; Pontonniers ; Machinistes ; Gardes convois du chemin de fer ; Conducteurs du chemin de fer.
M. de Garcia – Messieurs, l’article 10 du projet de loi fait une exception au principe général contenu à l’article 9, qui fixe à 30 ans de service et à 60 ans d’âge les conditions requises pour l’obtention d’une pension.
Cette exception porte en grande partie sur des employés qui entrent très jeunes dans l’administration, et notamment dans les accises, dans les mines, dans les ponts et chaussées et dans l’administration du chemin de fer. Il me paraît que l’exception se pose dans un cercle trop large. Je proposerai donc l’amendement suivant :
« Il suffira de 55 ans d’âge et de 30 années de service.. » (Le reste comme dans l’article 10).
Par cet amendement, la fatigue et la durée attachées au service des employés, compris dans l’exception établie par l’article 10 sera suffisamment compensée par l’âge de 55 ans où pourront être admis à la pension les employés y repris.
M. le président – M. de Garcia propose de substituer 30 ans à 25 ans de service.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – Je ne puis me rallier à l’amendement de M. de Garcia ; il le fonde sur ce que les employés des douanes entrent très jeunes au service. J’ai eu l’honneur de faire observer déjà qu’il n’en était pas ainsi. Ils entrent en général en fonctions de 25 à 30 ans et jusqu’à 35 ans. Comment voulez-vous alors qu’ils puissent avoir 30 ans de service à 55 ans d’âge ? La plupart n’auront à cet âge que 20 et au plus 25 ans de services. Ce serait rendre la disposition illusoire que d’admettre cet amendement. Il n’aura aucune influence sur les demandes de retraite, car nous ne devons pas craindre que ces employés sollicitent une pension, leur désir au contraire est de rester en fonctions. L’administration doit les mettre à la retraite malgré eux. Et jamais elle ne s’avisera de le faire sans nécessité.
M. de Garcia – On a parlé des employés de la douane, je ne sais pas l’âge qu’il faut pour y être admis.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – Il faut 25 ans.
M. de Garcia – Mais n’y a-t-il pas des employés des chemins de fer ? Voilà ce qui effraie la chambre. Ce sont les pensions qui doivent surgir de cette administration qui nous jetteront dans des dépenses considérables. Déjà cette observation a été faite au commencement de la séance.
Mesurez la portée de l’exception que vous allez voter. Je le répète, elle peut entraîner le trésor dans des dépenses énormes. Si le ministre pensait que les employés des douanes doivent être l’objet d’une exception, et qu’il faille les admettre à la retraite à 25 ans de service et 55 ans d’âge, soit, je modifierai mon amendement en ce qui les concerne. On ferait bien alors de faire un tableau par catégorie. Si on suivait le tableau dont il vient d’être donné lecture, nous pourrions faire une différence entre les catégories d’employés, admettre vingt-cinq ans de service et cinquante-cinq ans d’âge pour les uns, et trente ans de service et cinquante-cinq ans d’âge pour les autres. Je ne m’oppose pas à ce qu’on admettre à la retraite des employés à 55 ans d’âge et ayant 25 ans de service, quand il est démontré que la dureté de leurs services le réclame.
J’avais fait mon amendement sur le principe général posé dans l’article 10. D’après les observations de M. le ministre, je demanderai qu’il accompagne l’examen du tableau, et par suite, je réduis mon amendement à tous les employés compris au tableau, à l’exception de ceux de la douane.
M. de Behr – L’amendement présenté par M. de Garcia pourrait avoir une certaine importance, si l’obligation était imposée au gouvernement d’accorder la pension au fonctionnaire qui réunir les conditions d’âge et de service pour l’obtenir. Mais d’après l’article 9, le gouvernement pourra refuser la pension si l’employé est encore capable de remplir ses fonctions.
M. Pirmez – Je ferai remarquer que cette faculté existait aussi dans la loi de 1814, mais on en a fait un droit et un droit tel qu’on n’oserait pas le contester. Il en sera de même ici. On dit que le fonctionnaire pourra faire valoir ses droits à la pension. Ce sera un titre pour obtenir la pension tout aussi bien que les termes de la loi de 1814 qui disait qu’on pourrait obtenir la pension.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – Je crois que l’honorable M. Pirmez n’a pas saisi la portée que la chambre a entendu donner au mot « pourront ». Il signifie que le gouvernement ne sera pas forcé d’admettre un fonctionnaire à la pension sur sa demande. Tout à l’heure l’honorable membre a parlé de l’arrêté-loi de 1814, et il a dit, que peu à peu on avait considéré comme un droit au profit des fonctionnaires, la faculté qu’avait le gouvernement de les mettre à la pension. Ce n’est pas peu à peu, mais dès le principe, que cette interprétation a été donné à l’arrêté-loi, et cette loi a été donnée par la volonté de celui qui avait pris l’arrêté et qui ne lui a jamais attribué un autre sens.
M. de Garcia – Je demande la parole pour répondre un mot à M. de Behr. Cet honorable membre a dit que l’article 9 présente une garantie, et qu’il ne voyait pas l’utilité d’établir une exception dans l’article 10. En effet, dit-il, cet article, tel qu’il est modifié, et par le motif que maintenant il laisse au gouvernement la faculté d’accorder ou de ne pas accorder la retraite selon qu’il le jugera à propos, vous n’avez rien à craindre.
Je ne conçois rien à cette argumentation qui est trop absolue, et il faut en convenir, si elle est juste, on pourrait l’appliquer aux employés de toutes les catégories. Il y aurait alors, au moins, quelque chose d’équitable, surtout si vous avez une confiance entière que le gouvernement, dans tous les cas et dans toutes les circonstances, appliquera l’exception avec sagesse et distinction ; mieux vaudrait alors supprimer l’article 9 et le remplacer par l’article 10.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – Je dois faire observer que la disposition de l’article 10 est une mesure d’intérêt général purement et simplement. Elle n’a en aucune façon pour but de favoriser une classe de fonctionnaires ; elle est au contraire préjudiciable à ceux qu’elle concerne. Son but est de mettre le gouvernement à même de pouvoir éloigner de l’administration un employé reconnu n’être plus en état de rendre de bons services, alors que son insuffisance ne serait pas facile à constater. Déclarer à un employé qu’il est incapable de continuer son service, sans pourvoir le lui prouver à l’évidence, aurait, parfois, l’apparence d’une injustice ; tandis qu’avec une disposition formelle autorisant le gouvernement à pensionner un employé dans des circonstances données, on pourra congédier celui qu’on croira n’être plus capable de rendre des services. On le voit donc, la disposition n’est pas en faveur, mais elle est plutôt introduite au préjudice des fonctionnaires qu’elle concerne.
M. de Behr – M. Pirmez a dit que l’arrêté de 1814 était aussi facultatif qu’il n’imposait pas l’obligation d’accorder la pension quand on réunissait les conditions d’âge et de services. Il suffit de lire cette disposition pour voir qu’elle présentait du doute et ce doute a été interprété en faveur des fonctionnaires. Voici comment est conçu cet article.
« Les employés civils qui auront servi 40 ans, sans avoir atteint l’âge de 60 ans ainsi que ceux qui ont servi moins de 40 ans et qui seraient soit à cause de leur santé, soit à cause d’infirmités, hors d’état de continuer leurs fonctions, pourront obtenir la pension. »
Il s’agissait de savoir si les mots « pourront obtenir la pension » constituaient un droit acquis en faveur de ceux qui réunissaient les conditions sus énoncées. L’auteur de l’arrêté l’a interprété dans ce sens. Il n’est pas possible d’interpréter de la même manière l’article qu’on vient d’adopter. En effet voici comment il est conçu :
« Les magistrats, fonctionnaires et employés faisant partie de l’administration générale, et payés sur le budget de l’Etat, pourront être admis à faire valoir leurs droits à la retraite à 60 ans d’âge, et après 30 années de services, etc.
Il n’y a pas là de droits acquis ; il serait impossible de donner à la disposition une interprétation aussi fausse ; donc le gouvernement pourra refuser une demande de pension.
M. Pirmez – Il n’y a aucune différence entre les deux dispositions. Ce que l’on a dit vient corroborer ce que j’ai avancé. Vous pourrez obtenir la pension ou vous pourrez faire valoir vos droits à la pension, ce sont absolument les mêmes termes. Il est à remarquer que si un souverain absolu n’a pas pu résister aux demandes des fonctionnaires, sous le gouvernement actuel qui est le produit de l’élection, il sera bien plus difficile de résister aux fonctionnaires et on en sera convaincu si on considère que, pouvant être élus dans leur ressort administratif, ils sont une puissance et peuvent renverser le ministère. Si donc on n’a pas pu résister en 1814, on résistera moins aujourd’hui aux demandes des fonctionnaires.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Lebeau) – Messieurs, s’il pouvait s’élever le moindre doute sur la disposition introduite dans l’article adopté tout à l’heure, je trouve que par les explications dans lesquelles on vient d’entrer et qui sont d’accord avec celles qu’a données le gouvernement, ce doute serait complètement levé pour l’avenir. Le remplacement d’une expression impérative par une disposition facultative, dans une disposition sur le sens de laquelle tout le monde est d’accord ne permettra pas à l’administration de donner à cette disposition un autre sens.
M. Pirmez dit qu’il en a été de même de l’arrêté-loi de 1814, que bien que le gouvernement eût la faculté de n’accorder ou de ne pas accorder la pension, il n’y avait pas d’exemple qu’il en eût refusé.
C’est une erreur tant pour ce qui s’est passé avant 1830, que pour ce qui s’est passé depuis. Il est à ma connaissance qu’en plusieurs circonstances, des fonctionnaires réunissant les conditions stipulées dans l’arrêté-loi ont été éconduits, parce qu’en raison de leur âge et de leurs fonctions ils pouvaient encore servir l’Etat. La même chose a eu lieu depuis 1830 à plusieurs reprises ;
L’honorable préopinant peut être pleinement rassuré, surtout après les explications dans lesquelles tout le monde est entré ici.
Mon collègue, M. le ministre des finances, a démontré d’ailleurs que la disposition était plutôt défavorable que favorable aux fonctionnaires. Il vous est connu que des fonctionnaires de l’ordre judiciaire et administratif persistent à conserver des fonctions que leur grand âge ou leurs infirmités les mettent néanmoins dans l’impossibilité de remplir convenablement. Les voit-on solliciter leur pension ? Loin de là. Pourquoi ? Parce que d’après les lois actuelles, et surtout d’après la loi nouvelle, la pension les mettrait toujours dans une position moins bonne que celle du traitement d’activité.
La disposition qui alarme l’honorable membre est une disposition que les employés voudraient faire rayer de la loi. S’ils pouvaient se faire entendre ici ils demanderaient probablement la radiation d’une disposition qui autorise le gouvernement à leur donner, au lieu d’un traitement de 1,000 fracs, une pension de 4 ou 500 francs. Ils demanderaient à rester dans le droit commun, bien que dans la spécialité de leurs fonctions la vie soit plus vite usée. Si on examine attentivement la proposition de la section centrale, adoptée par le gouvernement, tous les scrupules doivent cesser.
M. Demonceau - J’appelle l’attention de la chambre sur la disposition qui vient d’être adoptée et à laquelle se rapporte la disposition en discussion. Je suis parfaitement d’accord que, moyennant la substitution des mots « pourront être » au mot « seront » , le gouvernement aura la faculté de refuser la pension ; mais un point qui m’inquiète, ce sont les opinions de MM. les ministres des affaires étrangères et des finances. Pensent-ils que l’article, tel qu’il est maintenant rédigé, donne au gouvernement le droit de retirer forcément la pension à un fonctionnaire ? Voilà la question. « Pourront être admis » cela suppose une demande ; or, MM. les ministres dit qu’ils auront le droit de mettre à la retraite ; on doit s’expliquer là-dessus. J’appelle sur ce point l’attention de la chambre.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Lebeau) – Il y a une réponse extrêmement simple à faire à l’honorable préopinant, c’est la constitution qui la fait ; elle porte que les magistrats sont inamovibles ; par conséquent ils ne peuvent pas être destitués.
Après cela, si l’on voulait que le gouvernement fût autorisé à mettre des magistrats à la retraite pour cause d’âge ou d’infirmité, cela devrait, en tous cas, faire la matière d’une loi spéciale.
Quant aux fonctionnaires de l’ordre administratif, il est évident que le gouvernement peut toujours les démissionner. S’il démissionne des fonctionnaires parce que leur âge ou leurs infirmités les mettent hors d’état de remplir leurs fonctions, le même arrêté qui les démissionne peut les admettre à faire valoir leurs droits à la retraite. Cela s’est toujours fait. Si, au contraire, il les révoque pour malversations, pour incapacité, pour insubordination, il peut alors n’user que d’une partie de son droit et ne pas les admettre à faire valoir leurs droits à la retraite. Voilà toute la question ; il n’y a rien là qui doive alarmer l’honorable préopinant.
Quant aux magistrats (ceci est du reste une question fort délicate), ils ne pourraient jamais être, je le répète, que l’objet d’une loi spéciale. Du reste, mon collègue de la justice s’en est expliqué en différentes occasions.
M. Demonceau – Mon observation vient de ce que j’avais entendu M. le ministre des affaires étrangères citer l’exemple de magistrats qui remplissent encore leurs fonctions, et que l’on voudrait bien mettre à la pension. Je voulais savoir si le gouvernement croyait trouver ce pouvoir dans la loi. On dit maintenant qu’il faudrait une loi spéciale, je ne sais si une telle loi serait possible en présence de la constitution qui consacre l’inamovibilité de la magistrature.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Lebeau) – J’ai cité l’exemple des magistrats pour prouver cette tendance naturelle à l’homme dans quelque position qu’il soit, à se faire illusion sur la situation et à se croire toujours apte à continuer ses fonctions, quels que soient son âge et ses infirmités. C’est ce que j’ai voulu prouver sous un point de vue général, philosophique (qu’on me passe l’expression), plutôt que pour faire allusion à telle ou telle classe de fonctionnaires publics.
M. Delfosse – La section centrale propose de comprendre parmi les employés du service actif les inspecteurs des douanes et accises, je demanderai à M. le ministre des finances, s’il ne conviendrait pas d’y comprendre également les inspecteurs, et les vérificateurs de l’enregistrement. Ces employés font aussi un service actif et on m’assure que ce service n’est pas moins fatigant que celui des inspecteurs des accises. S’il en était ainsi, il faudrait leur appliquer la faveur de l’article 10. J’attendrai sur ce point les explications de M. le ministre des finances.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – Le gouvernement n’a compris dans la catégorie du service actif que ceux qui sont chargés d’un service pénible qu’ils doivent faire même la nuit. Si l’on veut y ajouter les inspecteurs et les vérificateurs de l’enregistrement, il faudra y comprendre aussi les contrôleurs des contributions directes, parce qu’ils dont également des tournées. Je crois que cela nous mènerait trop loin et que nous devons nous borner aux employés qui ont souvent à faire leur service de nuit, comme les employés des douanes et même les employés des accises.
M. Delfosse – Je me déclare satisfait de cette explication.
M. Desmaisières – Si la proposition du gouvernement admise par la section centrale était adoptée, il en résulterait que le gouvernement ne pourrait mettre les fonctionnaires et employés de la douane à la retraite, que lorsqu’ils auraient 55 ans et 25 de service, dont 20 dans la partie active. Je demanderai à M. le ministre des finances s’il ne pense pas qu’il faudrait pour les employés de la douane fixer un âge moins élevé. Il est certain que le service de la douane est très pénible, qu’il abîme beaucoup les hommes qui s’y livrent. Ils sont assimilés, sous ce rapport, au service de l’armée. Leur service est même plus fatigant que celui de l’armée, parce qu’ils sont constamment en guerre.
Je crois donc qu’il faudrait réduire l’âge requis pour les employés des douanes à 50 ans. Cependant, je ne propose par d’amendement, j’attendrai l’explication de M. le ministre des finances.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – Nous avons conservé l’âge fixé dans les règlements en vigueur. Je crois qu’il n’est pas nécessaire de faire des changements à cet égard, d’autant plus que le gouvernement a toujours le droit de démissionner les employés qui ne seraient pas aptes à remplir convenablement leurs fonctions.
Je crois qu’il est préférable de conserver l’âge de 55 ans. C’est un terme moyen, c’est un âge auquel, en général, on ne peut pas remplir de fonctions dans le service actif.
M. Desmaisières – Sans doute, comme le fait observer M. le ministre des finances, le gouvernement a toujours le droit de démissionner les employés de la douane comme les autres ; mais je doit lui faire remarquer que si l’article est adopté tel qu’il est présenté, le gouvernement n’aura pas le droit de mettre à la pension ceux qui auront moins de 55 ans d’âge.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – On a oublié que cet article est en corrélation avec un autre. L’article 11 porte :
« Art. 11. Toute magistrat, fonctionnaire ou employé, reconnu hors d’état de continuer ses fonctions, pourra, quel que soit son âge, être admis à la pension, s’il a dix années de service. »
Eh bien, dans le cas dont vient de parler l’honorable préopinant, on appliquera l’article 11, parce que ce ne sera que quand il sera hors d’état de rendre des services qu’un fonctionnaire pourra être mis à la pension avant l’âge de 55 ans.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – Je désirerais faire quelques observations sur l’amendement de l’honorable M. de Garcia. Je dirai que les employés des accises, bien que n’ayant pas un service précisément aussi pénible que les employés des douanes, doivent cependant faire un service de nuit très fatigant et qui épuise leurs forces avant l’âge où les fonctionnaires ordinaires peuvent être admis à la retraite.
Je ferai la même observation quant aux gardes forestiers ; ils ont aussi un service très pénible et doivent être assimilés aux employés des douanes.
Je pense qu’en général tous les fonctionnaires qui figurent au tableau doivent être rangés pour diverses causes dans la même catégorie.
M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – Je crois que loin de vouloir restreindre les catégories des employés figurant au tableau n°1, il faudrait les étendre, si on veut être parfaitement juste vis-à-vis de tous ceux dont la vie s’use dans un service actif et souvent périlleux. Ainsi, je ne pense pas qu’il puisse entrer dans les vues d’aucun membre d’en exclure les machinistes, les gardes convois, les conducteurs du chemin de fer. Leur vie s’use dans une proportion bien plus forte que d’autres existences, et je ne pense pas qu’en aucun cas de pareils employés puissent être rangés dans la catégorie des employés en service ordinaire.
Il faudra même probablement, dans la suite, étendre cette exception en faveur d’autres employés attachés au service du chemin de fer.
M. Coghen – Messieurs, les ministres des finances et des travaux publics viennent déjà de vous indiquer des fonctionnaires auxquels l’exception doit être nécessairement appliquée.
Je citerai également les facteurs de la poste. Il est des facteurs en service pour la poste rurale qui doivent faire sept et huit lieues par jour. Il est impossible d’exiger pour ces employés 60 années d’âge et 30 ans de service.
Il en est de même des gardes forestiers qui doivent faire un service de nuit. Des conducteurs des mines qui, s’ils font leur service comme ils le doivent, sont obligés de descendre presque tous les jours dans les houillères, et d’exposer souvent leur vie. Les maintenir dans le tableau n’est qu’un acte de justice.
- L’amendement propose par M. de Garcia, au tableau, est mis aux voix ; il n’est pas adopté.
Le tableau n°1 et l’article 10 sont adoptés.
« Art. 11. Tout magistrat, fonctionnaire et employé, reconnu hors d’état de continuer ses fonctions, pourra, quelque soit son âge, être mis à la pension, s’il a 10 années de services. »
« Art. 12. Le magistrat, fonctionnaire ou employé, atteint d’infimité graves, reconnues provenir de l’exercice de ses fonctions, et qui l’auront mis dans l’impossibilité de les continuer, pourra être pensionné, quel que soit son âge, s’il a 5 ans de services. »
Ces deux articles sont adoptés.
M. Kervyn a proposé un article nouveau qui trouverait sa place entre es articles 12 et 13. Il est ainsi conçu :
« Dans le cas où un membre de la cour des comptes, qui aurait reçu deux mandats consécutifs de la chambre, ne serait plus réélu, chaque année de fonctions comptera pour deux ans dans la liquidation de la pension. »
M. le ministre des finances a aussi proposé l’amendement suivant, qui trouverait sa place entre les articles 12 et 13 de la section centrale »
« Le membre de la cour des comptes, qui a au moins dix années de services publics, peut, indépendamment des cas prévus ci-dessus, fait valoir ses droits à la pension, s’il cesser de faire partie de ce corps, par suite de non-réelection. »
M. de Behr – Je crois qu’il conviendrait de renvoyer ces amendements à la section centrale.
M. Kervyn – Je voulais faire la même proposition.
Le renvoi à la section centrale est adopté.
« Art. 13. Les pensions à liquider en vertu des articles précédents seront réglées pour chaque année d’exercice, à raison de 1/60 d’une année moyenne du traitement sujet à la retenue, dont l’ayant droit aura joui pendant les trois dernières années d’exercice.
« Pour les fonctionnaires et employés auxquels les remises tiennent lieu de traitement, cette moyenne s’établira sur les ¾ des remises pendant le même temps. »
- A cet article se rattache l’amendement propose par M. Verhaegen dans la séance du 23 janvier, et ainsi conçu :
« Pour ce qui concerne les membres de l’ordre judiciaire, elles sont réglées, pour chaque année de l’exercice à raison de 1/50 de l’année moyenne. »
- M. le ministre des finances a proposé de rédiger ainsi le second paragraphe de l’article :
« Pour les fonctionnaires et employés auxquels des remises, un casuel ou d’autres émoluments tiennent lieu de traitement ou de supplément de traitement, cette moyenne s’établira sur les ¾ des remises, du casuel ou des émoluments pendant le même temps. »
M. le ministre de la justice (M. Leclercq) – Il y a une erreur dans la rédaction de cette amendement ; il faut dire : « cette moyenne s’établira sur les ¾ des remises, sur le casuel ou les émoluments pendant le même temps. »
Je conçois bien qu’on liquide la pension sur les ¾ des remises, parce que les fonctionnaires qui ont des remises sont obligés de supporter des frais de bureau : c’est ce motif qui n’a fait porter la liquidation de la pension que sur les ¾ des remises ; mais pour les fonctionnaires qui ont un casuel ou des émoluments, il n’y a pas de dépense extraordinaire à supporter.
M. de Behr – Messieurs, il est impossible d’apprécier réellement la portée de ces amendements ; j’en demande le renvoi à la section centrale.
M. Demonceau – La section centrale a déjà son rapport sur l’amendement de M. Verhaegen ; elle en propose le rejet.
M. Delfosse – Je proposerai aussi un amendement à l’article 13 ; il serait ainsi conçu :
« Dans le cas de l’article 10, les pensions seront liquidées à raison de 1/50. »
Messieurs, les motifs de mon amendement sont très simples ; vous avez posé dans l’article 10 un principe dont il faut bien tirer les conséquences ; vous avez décidé, par cet article, que 25 ans de service actif équivalent à 30 ans de service sédentaire. Dès lors vous devez, pour être conséquents, accorder à ceux qui ont 25 ans de service actif la même pension qu’à ceux qui ont 30 années de service sédentaire, cela est de toute justice.
- Cet amendement ainsi que celui de M. le ministre des finances sont renvoyés à l’examen de la section centrale.
M. Demonceau – Il reste l’amendement de M. Verhaegen. Mais je ne sais pas si on peut le mettre en discussion, son auteur n’est pas ici pour le défendre.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Lebeau) – on peut toujours mettre en discussion le premier paragraphe de l’article 12, comme règle. Cela n’empêcherait pas l’adoption de paragraphes additionnels.
M. le président – Le premier paragraphe de l’article 13 est ainsi conçu :
« Art. 13. Les pensions à liquider en vertu des articles précédents seront réglées pour chaque année d’exercice, à raison de 1/60 d’une année moyenne du traitement sujet à la retenue, dont l’ayant droit aura joui pendant les trois dernières années d’exercice. »
M. Verhaegen a proposé l’amendement suivant :
« Pour ce qui concerne les membres de l’ordre judiciaire, elles sont réglées, pour chaque année d’exercice, à raison de 1/50 de l’année moyenne. »
M. Dolez – Il me semble, messieurs, qu’il y a des motifs de convenance pour ne pas discuter l’amendement de M. Verhaegen en son absence. Il est probable que l’honorable membre ne savait pas que l’on s’occuperait aujourd’hui de sa proposition. Si donc la chambre n’y voyait pas d’inconvénients, je demanderais que la discussion de cet amendement fût renvoyée à demain.
M. Zoude, rapporteur – L’honorable M. Verhaegen nous a déclaré qu’il ne tenait pas à son amendement, qu’il ne l’avait même propose que pour attirer l’attention de l’assemblée sur la nécessite d’augmenter les traitements des membres de l’ordre judiciaire.
M. Dolez – Alors mon observation devient sans objet.
- L’amendement est mis aux voix ; il n’est pas adopté.
Le premier paragraphe de l’article 12 est mis aux voix et adopté.
« Pourra obtenir une pension, quels que soient son âge et la durée de ses services, tout magistrat, fonctionnaire et employé qui, par suite des blessures reçues dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions, aura été mis hors d’état de les continuer et de les reprendre ultérieurement.
« Cette pension sera du 1/5 du dernier traitement, si le magistrat, fonctionnaire ou employé à moins de 10 années de service de 1/3, s’il en a 10, et de 1/2, s’il en a 20.
« Toutefois, elle pourra être portée dans le premier cas, au 1/3 dans le deuxième à la moitié, et dans le troisième aux 2/3 du traitement, quand le titulaire, victime de l’accident, aura donné à cette occasion des preuves d’une bravoure et d’un zèle extraordinaires. »
M. le ministre des finances (M. Mercier) – Je proposerai d’ajouter au premier paragraphe après les mots « blessures reçues » ceux-ci : « ou d’accidents survenus ». Il arrive quelquefois que les employés du service actif des douanes, en poursuivant des fraudeurs, sont victimes d’un accident, soit en faisant une chute, soit en traversant des fosses, des ruisseaux ou des rivières, soit de toute autre manière : il est juste de leur tenir compte d’un accident de cette nature. Il en est de même dans le service du chemin de fer : des accidents peuvent rendre un employé incapable d’exercer ses fonctions.
M. le ministre de la justice (M. Leclercq) – Je proposerai de subsister le mot « courage » à celui de « bravoure », l’article devant s’appliquer non seulement à des employés qui ont des combats à soutenir mais aussi à des personnes qui remplissent des fonctions où il ne s’agit pas de combattre, par exemple des magistrats.
M. Nothomb – Mathieu Molé, par exemple.
M. Demonceau – On a dit « bravoure et zèle », faudra-t-il que les deux conditions soient réunies ? On peut dans tel cas faire preuve de courage et dans tel autre preuve de zèle ; s’il suffisait de l’une de ces conditions, il faudrait remplacer le mot « et » par « ou ».
M. le ministre des finances (M. Mercier) – Il faut maintenir le mot et parce qu’il faut les deux conditions. Dans ce sens il est accordé un avantage plus considérable que dans la première disposition qui est déjà une faveur. Il y a donc lieu d’exiger la réunion des deux conditions.
M. Delfosse – Je demanderai si l’addition proposée par M. le ministre des finances des mots : « ou par suite d’accidents survenus » n’équivaudrait pas en partie à la suppression de l’article 12 ; cet article donne droit à la pension, après 5 années de services au fonctionnaire atteint d’infirmités graves provenant de l’exercice de ses fonctions. Si un employé est blessé par suite d’un accident survenu dans l’exercice de ses fonctions et si la blessure est telle qu’il ne puisse plus rester au service de l’Etat, il y aura évidemment « infirmité grave » dans le sens de l’article 12, et c’est cet article qu’il faudra appliquer. Il me semble, messieurs, que l’article qui nous occupe en ce moment ne devrait s’appliquer que dans le cas où l’employé aurait été blessé par suite d’une lutte dans laquelle il aurait montré du courage.
Puisque j’ai la parole, je ferai une autre observation qui porte sur le premier paragraphe de l’article 14 ; ce paragraphe fixe la pension au sixième du traitement pour l’employé qui n’a pas 10 années de service et au tiers pour celui qui a 10 années. Il y a là, messieurs, un germe d’inégalité que je trouve choquante et que je ne puis admettre. En effet, de deux fonctionnaires qui auront rendu à peu près les mêmes services, et qui se seront exposés aux mêmes dangers, l’on pourra avoir une pension double de celle qui sera accordée à l’autre et cela uniquement parce qu’il aura servi quelques jours de plus ; il serait, ce me semble, plus équitable de dire que le minimum de la pension à accorder dans le cas de l’article 14 serait fixé au sixième du traitement et que ce minimum s’augmenterait pour chaque année de service, d’une somme à déterminer ; de cette manière, il n’y aurait de différence sensible entre les pensions de même nature qu’autant qu’il y en aurait aussi une entre la durée des services et alors cette différence serait entièrement justifiée.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – L’article 12, dont a parlé l’honorable préopinant fait mention des fonctionnaires qui auront contracté des infirmités dans l’exercice de leurs fonctions, mais il ne s’agit pas là d’une événement spécial ; cet article peut concerner un employé, qui, par une longue assiduité au travail et avec une constitution faible, se trouverait longtemps avant l’âge dans l’impossibilité de remplir encore ses fonctions. Il y a toutefois une restriction dans la disposition relative à ces employés, car il est exigé qu’ils aient cinq années d’exercice ; cette restriction n’existe pas pour les cas prévus par l’article 14, c’est-à-dire à l’égard des fonctionnaires auxquels un accident serait survenu dans l’exercice de leurs fonctions.
L’article 14 établit un régime spécial, tandis que dans l’article 12 on rentre dans le système général quant à la fixation de la pension.
L’article 14 suppose quelque marque spéciale de dévouement ; par exemple, un douanier poursuivant la fraude est victime d’un accident ; il a paru convenable que cet employé fût récompensé d’une autre manière que celui qui a contracté quelques infirmités dans l’exercice de ses fonctions par suite d’une assiduité un peu trop grande et peut-être aussi d’une constitution faible.
L’honorable membre a fait quelques observations sur le deuxième paragraphe de l’article 14. Il a fait observer d’abord que des fonctionnaires qui auront un droit égal à la pension recevront cependant une somme différente selon qu’ils auront ou n’auront pas atteint 10, 20 ou 30 années d’exercice. Messieurs, notre intention n’est pas ici de fixer la pension en raison du nombre d’années de services, mais de dédommager autant que possible le fonctionnaire à qui un accident est survenu dans l’exercice de ses fonctions.
Il a fallu fixer quelques termes, comme on le fait toujours dans les dispositions de cette nature, mais personne n’aura à se plaindre de cela, car chaque fonctionnaire qui obtiendra une pension en vertu de cet article alors même qu’il n’aurait que le minimum, recevra toujours plus que ce à quoi il aurait droit en vertu des dispositions générales de la loi.
M. Coghen – Messieurs, l’article dont nous nous occupons accorde aux fonctionnaires devenus, par suite d’accidents survenus dans l’exercice de leurs fonctions, incapables de continuer ou de reprendre ces fonctions. Il leur accorde 1/6 ou 1/3 de leur traitement s’ils ont moins de 10 années de service, 1/3 ou 1/2 s’ils ont 10 années de service et 1/2 ou 2/3 s’ils ont 20 années de service.
Eh bien, messieurs, un douanier aura dans le premier cas 100 francs ou 200 francs, dans le deuxième 200 ou 300 francs et dans le derniers cas 300 ou 400 francs. Je vous le demande, messieurs, que peut faire un homme avec 100 francs par an ? On ne peut pas demander qu’un employé expose sa vie au service de l’Etat, dans la perspective de recevoir une pension de 100 francs, lorsque l’administration aura reconnu elle-même qu’il est incapable de continuer ou de reprendre ses fonctions.
Je demanderai, messieurs, que dans ce cas le minimum de la pension soit la moitié du traitement, quel que soit le nombre des années de service. Un nation ne peut pas vouloir que ses enfants exposent tous les jours leur vie à son service pour n’avoir à attendre que la misère.
Il est impossible d’improviser un amendement consacrant la modification que je viens d’indiquer ; mais je demanderai que l’article 14 soit renvoyé à la section centrale, pour qu’elle examine s’il y a lieu de modifier l’article dans ce sens.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – Messieurs, j’ignore si l’honorable M. Coghen a fait attention qu’il existe une disposition à l’article 18 du projet de la section centrale, qui fixe le minimum d’une pension quelconque à 175 francs. Peut-être cette disposition atteindrait le but que se propose l’honorable membre.
M. Delfosse – Messieurs, les explications que M. le ministre des finances vient de donner pour justifier l’addition qu’il a proposée à l’article 14 ne m’ont pas paru entièrement satisfaisantes. Il arrivera, en effet, dans le système de M. le ministre, que tel employé jouira du bénéfice de l’article 14 qui n’en sera pas plus digne que d’autres auxquels on appliquera la disposition moins favorable de l’article 12.
Je rendrai ceci clair par un exemple : Je suppose qu’un fonctionnaire en tournée se blesse en tombant de cheval ; voilà le cas prévu par M. le ministre ; ce fonctionnaire, parce qu’il aura fait une chute de cheval, peut-être par maladresse, jouira du bénéfice de l’article 14, c’est-à-dire qu’il sera dispensé de toute durée de service, et cependant il n’aura pas plus de titres à la bienveillance du gouvernement ; il en aura peut-être moins que le fonctionnaire qui aura contractés des infirmités graves dans l’exercice et par suite de l’exercice de ses fonctions.
Je ne suis pas non plus, messieurs, très satisfait des explications que M. le ministre des finances a données pour justifier la base d’après laquelle la pension est fixée. M. le ministre a dit que les employés qui seront admis à profiter du bénéfice de l’article 14 n’auront jamais à se plaindre, parce que dans tous les cas la pension sera plus élevée pour eux que pour les autres employés. Mais pourquoi ont-ils droit à une pension plus élevée ? C’est parce qu’ils ont donné des preuves de courage, c’est parce qu’ils ont soutenu une lutte au péril de leurs jours. C’est là un avantage qui est attaché à la nature des services rendus, et il ne convient pas d’établir une trop grande inégalité entre ceux qui ont rendu des services de ce genre, qui ont montré le même courage et couru les mêmes dangers, alors qu’il n’y a qu’une légère différence dans la durée des fonctions ; c’est cependant ce que vous faites en accordant pour dix années de service une pension double de celle qui serait donné pour neuf années onze mois et vingt-neuf jours ; j’ai indiqué tout à l’heure le moyen de faire disparaître cette inégalité ; il consiste à fixer pour tous un minimum qui serait augmenté en raison des années de service.
Il me semble qu’il n’y aurait aucun inconvénient à adopter cette proposition, et je demande qu’elle soit renvoyée à la section centrale, afin qu’elle en fasse l’objet d’un rapport dans la séance de demain.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – Messieurs, en ce qui concerne le second paragraphe de l’article 14, j’avoue qu’en multipliant les catégories, on arrivera à être plus équitable ; ainsi, je ne m’opposerai pas à un amendement qui serait rédigé dans ce sens et qui, par conséquent, ferait disparaître en partie l’inconvénient qui signale l’honorable préopinant.
Quant aux premières observations que l’honorable membre a présentées, je ferai remarquer qu’une disposition de loi doit renfermer une règle générale, et s’appliquer aux cas ordinaires et non pas aux cas exceptionnels. Or, les accidents qui surviennent dans l’exercice des fonctions ne sont pas ordinairement, comme le suppose l’honorable préopinant, des cas fortuits, comme, par exemple, une simple chute de cheval ; mais ceux que j’avais en vue, quand j’ai proposé mon amendement, sont des accidents qui surviennent aux douaniers dans l’exercice de leurs fonctions. Ainsi, par exemple, un douanier se met à la poursuite d’un fraudeur ; par suite d’une longue course, il prend un échauffement : il est bien constaté que cet échauffement est le résultat de son zèle, du dévouement qu’il a mit à remplir ses fonctions. Il est arrivé, il n’y a pas très longtemps qu’un douanier, étant en transpiration, a traversé une rivière et compromis sa santé au point de ne plus pouvoir supporter les fatigues du service.
Voilà les cas ordinaires que j’ai voulu atteindre par mon amendement.
- La chambre décide que l’article 14, avec les amendements, sera renvoyé à la section centrale.
La chambre passe à l’article 15
« Art. 15. Seront admis, comme susceptibles de conférer un droit à la pension, les services civils et judiciaires qui auront été rendus par suite de nominations faites en exécution des lois ou émanées du gouvernement, rétribués sur les fonds du trésor et assujettis à la retenue au profit du trésor ou des caisses de retraite supprimées.
« Il en sera de même des services militaires pour lesquels l’ayant droit déclarera, dans les six mois de la date de la présente loi, ou dans les six mois de sa nomination à un emploi civil ou judiciaire, vouloir s’assujettir, au profit du trésor, à une retenue extraordinaire de 1 ½ p. c. du traitement dont il jouira.
« Les services ne seront comptés que de la date du premier traitement d’activité, à partir de l’âge de 18 ans accomplis, sauf pour le surnumérariat dûment commissionné, qui ne sera pas soumis à ces deux conditions. »
M. de Puydt propose d’ajouter dans le dernier paragraphe, après les mots : « dûment commissionné » ceux-ci : « et pour les fonctionnaires auxquels à titre d’études spéciales, il est accordé par des lois antérieures un certain nombre d’années et sus du temps de service. »
M. Demonceau – Il me semble que l’article 15 préjuge un espèce de retenue sur tous les traitements des fonctionnaires. Ne conviendrait-il pas dès lors de l’ajourner, puisqu’on n’a pas encore décidé la question de savoir s’il y aura des retenues ?
- La chambre prononce l’ajournement de cet article, auquel M. le ministre des finances se rallie.
La chambre passe à l’article 16.
« Art. 16. Les pensions seront liquidées d’après la durée effective des services ; les jours qui, dans le total, ne formeront pas un mois seront négligés ; il en sera de même des fractions de francs. »
- Adopté.
« Art. 17. Dans aucun cas, et sous aucun prétexte, la pension ne pourra excéder les ¾ du traitement moyen ni le maximum déterminé par le tableau n°2, annexé à la présente loi.
Voici ce tableau :
« Tableau n°2 – Tableau des maxima de pension des fonctionnaires, magistrats et employés de l’ordre civil
« Fonctionnaires, magistrats et employés aux traitements fixes de
« - 3,000 et au-dessous : maximum de la pension : 2,000
« de 3,001 à 4,000 : 2,400.
« de 4,001 à 5,000 : 3,000
« de 5,001 à 6,000 : 4,000
« de 6,001 à 8,000 : 5,000
« de 8,001 et au-dessus : 6,000.
« Fonctionnaires à remises et salaires : 3,000 (projet du gouvernement), 4,000 (projet de la section centrale) »
M. Delfosse – Je demanderai à M. le ministre des finances s’il est bien utile d’établir plusieurs maximum. Ne suffirait-il pas de n’établir que le maximum le plus élevé ; celui de 6,000 francs ; avec cette réserve, il n’y aurait, je pense, nul inconvénient à laisser à chaque employé la pension à laquelle il a droit d’après les bases du projet, il y en aurait d’autant moins que la pension ne peut, dans aucun cas, dépasser les ¾ du traitement.
Si l’on établir plusieurs maximum, il y aura inégalité en ce sens que la même pension pourra être accorde pour des services qui n’auront eu ni la même durée ni la même importance, et cette inégalité s’étendra à un grand nombre des fonctionnaires ; si l’on n’établit qu’un maximum, celui de 6,000 francs , l’inégalité existera encore, il est vrai, mais elle ne portera que sur ceux qui, à raison de l’élévation de leur traitement, auraient droit à une pension de plus de six mille francs, et le nombre de ceux-là n’est pas grand.
Je prie M. le ministre des finances de vouloir bien donner des explications sur ce point.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – Messieurs, on a jugé convenable d’établir une distinction de cette nature, afin qu’il ne puisse jamais arriver que des fonctionnaires inférieurs aient la même pension que des fonctionnaires d’un rang plus élevé, par suite de quelques années en plus. On a en vue encore de ménager les ressources du trésor public, et je dois ajouter que c’est là le principal motif de la disposition.
M. Delfosse – Ce que M. le ministre vient de dire pour combattre mon observation, est justement ce qui devrait la faire admettre ; il est certain qu’il y aura plus d’égalité entre les fonctionnaires qu’il y aura moins de fonctionnaires lésés, si l’on établit un seul maximum, celui de six mille francs, que si l’on adopte le projet ; c’est dans le projet que les inconvénients signalés par M. le ministre existent, et ils disparaîtront, en grande partie, si mon observation est admise.
M. Dubus (aîné) – Il est difficile de ne pas établir différentes classes, si l’on admet que la pension doit être proportionnée au traitement et le maximum de la pension aussi. On dit qu’il arrivera, malgré le tableau présenté et adopté par la section centrale, que des fonctionnaires de traitements fort divers auront le même maximum. Mais cet inconvénient arrivera plus rarement que si vous adoptez un seul maximum pour tous.
Je ne comprends pas pourquoi, pour un léger inconvénient qu’on rencontre dans le système de la section centrale, on irait entrer dans un autre système où l’inconvénient sera plus grave. On propose de substituer une classe aux six proposées par la section centrale, et cela parce qu’on trouve que les classes ne sont pas assez nombreuses.
M. de Theux – Il est à désirer que le fonctionnaire ne demande pas légèrement sa pension. C’est pour cela qu’elle ne doit pas égaler le traitement d’activité ; voilà un motif pour maintenir les différents maximum.
M. Delfosse – Je persiste à croire qu’il serait utile de n’établir qu’un maximum ; le système contraire me paraît injuste. Voyez le tableau : le maximum de la pension sera le même pour le traitement de 3,000 francs que pour les traitements inférieurs. Il sera de 2,000 francs ; le fonctionnaire au traitement de 3,000 aura droit à ce maximum après 40 ans de service, mais il n’aura rien de plus après 45 ou 50 ans de service. Ainsi, les dernières années, les plus pénibles ne compteront pour rien. Pourquoi ne lui permettez-vous pas d’aller jusqu’à la limite que vous avez-vous même posée ? Pourquoi ne voulez-vous pas que la pension puisse, dans ce cas, s’élever aux trois quarts du traitement ? Certes, il n’y aurait là rien d’exorbitant.
L’article et le tableau sont mis aux voix et adoptés.
« Art. 18. Les pensions seront de la moitié du traitement dans tous les cas où elles ne s’élèveraient pas à 175 francs, sans toutefois qu’elles puissent excéder cette somme. »
- Adopté.
« Art. 19. Tout fonctionnaire, magistrat ou employé, révoqué de ses fonctions ou démissionnaire sans réunir les conditions prescrites par les articles 9 et 10 perd ses droits à la pension ; cependant, s’il est remis en activité, le temps de son premier service lui sera compté pour la pension. »
M. Devaux – Il est bien entendu que cela ne s’applique pas aux ministres.
M. le président – Les ministres sont soumis à un régime spécial.
M. Delfosse – Je ferai remarquer que l’amendement relatif à la cour des comptes, présenté par M. le ministre des finances, a quelque rapport avec cet article. Les conseillers de la cour des comptes sont nommés par la chambre. Quand ils ne sont pas réélus ils sont révoqués indirectement. Je désirerais qu’on fît marcher de front l’examen de cet article avec l’amendement de M. le ministre des finances.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – Je ne vois pas de corrélation.
M. Dubus (aîné) – Je désire savoir quel chapitre on entamera demain ; si on abordera celui relatif aux veuves ou celui relatif aux cultes.
M. le président – On propose de mettre à l’ordre du jour de demain l’article 19 et ensuite le chapitre IV.
M. Demonceau – Est-il entendu qu’on discutera d’abord l’amendement de M. Kervyn ?
Une voix – Sans doute.
M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – Il me semble que la proposition faite en faveur de la cour des comptes ne se rapporte pas directement à l’article 19. Cet article pose le principe que tout fonctionnaire révoqué perdra ses droits à la pension. Les membres de la cour des comptes sont une catégorie à part. S’ils cessent leurs fonctions, c’est par suite de non-réélection. C’est là un principe à part, qui se rattache à l’article 19, mais ne le domine en aucune manière. La chambre peut, ce me semble, aborder cet article, sans se préoccuper de la cour des comptes. Les membres de la cour des comptes tiennent leur mandat de l’élection, les fonctionnaires dont il s’agit sont nommé sar le gouvernement. C’est un principe tout à fait à part qui peut être discuté séparément. Nous aurons, en agissant ainsi, l’avantage de terminer un chapitre et de ne pas traîner indéfiniment cette discussion.
M. le président – Nous ne sommes plus en nombre.
Demain la discussion s’ouvrira sur l’article 19 et ensuite, si la chambre le trouve convenable, on abordera le chapitre IV. (Oui ! oui !)
- La séance est levée à 4 heures et demie.