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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 29 janvier 1841

(Moniteur belge n°30 du 30 janvier 1841)

(Présidence de M. Fallon)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Lejeune fait l’appel nominal à 2 heures.

M. Scheyven donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier, dont la rédaction est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Lejeune fait connaître l’analyse des pièces suivantes.

« Le collège échevinal de Namur demande qu’il soit ouvert au budget des travaux publics une allocation pour que l’on puisse s’occuper des travaux les plus nécessaires à la navigation de la Meuse. »

- Renvoi à la section centrale chargée du budget des travaux publics.


« Des jardiniers fleuristes de Bruxelles demandent que la chambre, en allouant le subside demandé pour le jardin d’horticulture, impose à cet établissement la condition de ne pas vendre des fleurs, ni bouquets, ni autres objets de détail. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


Par lettre du 29 janvier, M. de Theux informe la chambre qu’une indisposition l’empêche d’assister à la séance de ce jour, et que le même motif l’a empêché d’assister à la séance d’hier.

- Pris pour notification.

Projet de loi, détaché du projet de budget des voies et moyens, sur les distilleries

Discussion générale

M. le président – La discussion est ouverte sur l’ensemble du projet de loi de la section centrale, auquel le gouvernement se rallie.

M. Hye-Hoys (pour une motion d’ordre) – Messieurs, à la séance du 4 décembre dernier, l’honorable M. de Florisone a fait un rapport sur une pétition d’un grand nombre de distillateurs de Gand ; cette pétition a été envoyée par la chambre à M. le ministre des finances avec demande d’explication avant la discussion du budget des voies et moyens. Je suppose que M. le ministre est préparé à les donner aujourd’hui.

M. le ministre des finances (M. Mercier) – Le rapport sur cette pétition est prêt ; je pourrai le transmettre à la chambre, à la séance de demain.

M. Desmet (pour une autre motion d’ordre) – Nous avons voté trois centimes additionnels. Maintenant, nous abordons assez brusquement la discussion sur l’article du budget des voies et moyens relatifs aux distilleries. Je demande quand aura lieu la discussion générale sur ce budget. Je demande si l’on peut entrer dans des considérations générale à propos de l’objet en discussion.

Plusieurs membres – Certainement.

M. Cogels – Je crois que le budget des voies et moyens est voté (dénégation), sauf les exceptions.

M. de Garcia – C’est l’exception qui a été votée.

M. le président – Il faut prendre garde que cet incident ne prenne une partie de la séance. Ouvrons la discussion générale. Si quelque membre présente des observations étrangères à la discussion, on pourra faire telle proposition qu’on jugera convenable.

- La discussion générale est reprise.

M. Vandenbossche – Messieurs, arrivés à la discussion d’une branche de nos impôts, j’ai demandé la parole non pas pour m’opposer à une augmentation que propose le gouvernement, mais pour démontrer que nous n’avons pas besoin d’augmenter les impôts pour pourvoir à nos besoins.

L’Etat a de grandes dépenses à supporter ; les recettes ordinaires ne peuvent y faire face, nous devons trouver d’autres ressources, mais nous ne devons pas les chercher dans des augmentations de toutes les branches de nos revenus, comme le ministre se propose de le faire, ni dans la vente du peu de domaines qui nous restent encore. L’impôt, pour une grande partie de nos différentes branches de revenus, n’est déjà que trop élevé.

Nous devons rassembler les ressources que nous avions eu en dehors des impôts et de la vente de nos domaines, si nous ne voulons pas finalement courir à notre perte.

Je me permettrai, messieurs, de vous en signaler une partie. Je réclame votre attention et votre indulgence.

Il est hors de doute que, séparés de la Hollande, nous avions à partager avec elle les bénéfices communs aussi bien que les dettes communes ; de même il est hors de doute que nous avions à recevoir récompense, ou à exercer des reprises pour tout ce que nous avions payé pour la Hollande, comme la Hollande avait à exercer des reprises ou à réclamer récompense, pour tout ce qu’elle avait payé pour la Belgique.

Nous avons partagé avec la Hollande les dettes communes ; nous avons récompensé la Hollande de tout ce que notre diplomatie a prétendu qu’elle avait payé pour la Belgique, il s’agit impérieusement, à présent, de partager avec elle les bénéfices communs, et d’exiger récompense de tout ce que nous avons payé pour la Hollande.

Que le partage des dettes communes ne nous a point enlevé notre droit au partage des bénéfices communs, c’est ce qui résulte du rapport de la commission des finances du 27 juillet 1838. Il porte :

« Cet emprunt (l’emprunt décrété par la loi du 2 août 1822), ayant été destiné à des besoins du trésor ou à l’exécution de diverses lois, et aussi à la construction extraordinaire des vaisseaux de guerre, ne soulève, quant au chiffre, aucune observation que celle qui précède. La commission pense toutefois que c’est ici le lieu de faire remarquer que la Belgique pourrait prétendre à exercer des reprises envers la Hollande relativement au matériel naval acquis ou construit pendant la communauté ; mais en restant dans les limites que la commission s’est posées, elle ne croit pas devoir aborder la discussion de ce point, non plus que de tous les autres bénéfices de la communauté qui profitent exclusivement à la Hollande. »

Cet article du rapport démontre que la commission a examiné la question de la dette abstraitement de la question des bénéfices, disposée à traiter séparément de ces deux objets.

Le détail de la dette, que M. le ministre des affaires étrangères nous a donné, démontre que la conférence de Londres a envisagé la liquidation dans le même esprit. Elle n’y a vu que la dette avec abstraction des bénéfices, et attendu que nos droits aux bénéfices communs n’ont jamais fait le sujet d’une contestation, elle a fixé notre quote-part dans la dette, sauf à régler plus tard, entre parties, le partage des bénéfices communs.

La conférence à déterminé notre part dans la dette comme notre commission des finances l’a voulu. Pour les 6 premiers numéro du tableau, la commission des finances a évalué notre quote-part à 1,690,000 florins.

La conférence a adopté l’évaluation.

La commission a évalué notre quote-part, pour l’ancienne dette belge et la part de la dette austro-belge à 525,000 florins.

La conférence a admis la somme de 2,215,000 florins.

Notre commission a mordicus soutenu que la dette dite française, qui était une dette purement belge, avait été compensée par des créances effectives du gouvernement des Pays-Bas à charge du gouvernement français. La conférence, qui tenait pour principe le droit de récompense, au cas que l’une des parties du royaume aurait payé pour l’autre ou que la communauté eût payé exclusivement pour l’une d’elles, pour être conséquente avec ce principe, s’est trouvée forcée à nous faire subir cette récompense au profit de la Hollande, et à nous imposer de ce chef, une rente de 1,000,000 de florins.

La commission des finances a rejeté les numéros 7 et 8 des dettes communes du royaume des Pays-Bas ; la conférence n’a point contredit sa décision ; c’étaient des dettes du syndicat d’amortissement, lequel étant passible d’une liquidation spéciale, ses dettes ne pouvaient point se trouver amalgamées avec les dettes publiques du royaume : ces dettes étaient d’ailleurs exagérées dans le tableau, on les a diminuées et notre diplomatie, en dehors du rapport de la commission, a proposé, je pense, de nous charger de ce chef d’une rente de 1,185,000 florins, et la conférence y a souscrit.

La commission n’a pas cru avoir mandat de s’occuper spécialement des 600,000 florins stipulés pour prix d’avantages de commerce et de navigation. Notre diplomatie a admis la somme, sans stipuler les avantages dont elle n’était que le prix.

Tout démontre enfin, que la conférence à prononcé, quant aux dettes, dans le même esprit que notre commission des finances, c’est-à-dire sauf à régler, plus tard, entre parties, le partage des bénéfices et de tout ce qui s’y rattache.

C’est notre quote-part dans ces bénéfices communs, notre juste récompense à profiter, et les avantages de commerce et de navigation que nous payons six cent mille florins par an, que j’entends, en premier lieu, que nous réclamions.

Comme on ne s’est jamais occupé des ressources du pays, en dehors des impôts ou de la vente de nos domaines, je me permettrai, messieurs autant que je le puis, de vous les signaler, en commençant pas les droits et les avantages que nous avons à répéter contre le gouvernement hollandais.

1° En 1815, le duc de Wellington avait mérité de la patrie commune ; le gouvernement des Pays-Bas a cru devoir lui en témoigner sa reconnaissance. Le roi Guillaume, par un arrêté du 29 septembre 1815, lui a conféré 1083 hectares de propriétés boisées belges. L’équité, conforme au principe de la conférence, exige que la Hollande rembourse à la Belgique la moitié de leur valeur. Je pense qu’on peut estimer cette valeur à 1,400 florins l’hectare ; ensemble à 1,512,000 hectares. Nous aurions donc de ce chef à répéter une somme de 756,000 florins.

2° Pendant 1816, jusques et compris 1830, le trésor public a amorti pour 70,358,000 florins de dette active purement hollandaise. D’après les principes de la conférence, la Hollande nous doit récompense de ce chef dans la proportion de 16/31 ; dont pour un capital nominal de dette active de 36,313,000 florins. La somme active, calculée à 50 p.c. forme une somme effective de 18,156,500 florins.

3° Pendant les années 1819 à 1830 inclus, le trésor commun a aussi amorti pour 56 millions de florins de dette différée purement hollandaise ; la Belgique de ce chef doit être récompensée d’après la même proportion, et par ainsi pour un capital nominal en dette différée de 28,000,000. La dette différée, calculée à 1 ¼ p.c., il nous revient, de ce chef, une somme effective de 361,250 florins.

4° La Belgique a droit, d’après les mêmes principes de la conférence aux 16/31 des bénéfices communs. Je ne connais pas l’avoir de la communauté. Toutefois, l’honorable M. Dumortier, dans ses observations complémentaires, nous a signalé la flotte, qui compte 30 bâtiments de guerre, construits pendant notre réunion. J’évalue leur valeur à vingt millions de florins, la Belgique devrait donc profiter de ce chiffre une somme effective de 10,322,580 florins.

5° La Belgique, toujours d’après les principes de la conférence, a droit aux 16/31 de la caisse des colonies au 1er octobre 1830. Cette caisse doit posséder tout leur produit net, depuis 1815 jusqu’à ladite époque 1830, en tant qu’il n’a pas été versé dans le trésor général de l’Etat, ou dépensé à ses besoins.

De ce produit on n’a jamais rendu compte ; rien n’a été porté au budget de recettes de ce chef, rien, par conséquence n’a été appliqué aux besoins de l’Etat ; cependant tout annonce que, tous les frais et dépenses de leur administration intérieure payés, elles ont produit des sommes considérables à la mère patrie. J’estime qu’on peut les évaluer à 5 millions, au moins, par an ; ensemble, pour les 15 années, à 75 millions, sauf au roi Guillaume, qui s’en est arrogé la direction suprême, à en rendre compte, ce que nous sommes en droit d’exiger, en cas de contestation ; maintenant donc mon chiffre, je dis que la Belgique a droit de ce chef à une somme effective de 38,709,677 florins.

Ensemble : 68,306,007 florins.

Voilà autant d’objets auxquels la Belgique a droit en principe et auxquels, le traité ne m’annonce pas, que nous avons renoncé ; nous les avons donc encore à réclamer ; sauf à examiner les chiffres.

Nous avons, dans le traité du 19 avril, partagé les dettes du syndicat, ou transigé sur icelles. Avons-nous de ce chef renoncé au partage de ses bénéfices ?

M. le ministre dans son rapport du 1er févier 1839, dit à ce sujet :

« Pour déférer au désir de la cour de La Haye, et bien que l’on n’ait point constaté si, au lieu d’un passif, cette opération n’offrirait point à la Belgique un boni considérable, on n’admettrait point la liquidation du syndicat d’amortissement, et l’on mettrait de ce chef à la charge du gouvernement belge, 1,185,000 florins. »

D’après cette explication, il paraît que le ministre envisageait le syndicat comme devant présenter un déficit effrayant tandis qu’il était plus que moralement établi que cette institution devait avoir un boni considérable.

Le ministre avait sous les yeux l’état de situation du syndicat d’amortissement, au 15 janvier 1829. Suivant cet état, le syndicat jouissait d’un revenu annuel de 13,399,328 85 ½ florins. Par contre, il n’avait, pour toutes dettes corrélatives, qu’une dépense annuelle à supporter de 10,868,118 florins 92 ½ c. ; de sorte qu’au 15 janvier 1829, le syndicat avait un revenu pour et net de 2,531,201 florins 93 c. Croire que cette institution, dont on ne connaissait aucune opération désastreuse, aurait pu avoir au 1er octobre 1830 plus de 40 millions de pures dettes, est humainement impossible. Le ministre, d’ailleurs, avait encore une pleine connaissance des ventes que le syndicat avait opérées en Belgique. Il y avait vendu pour 94 millions de francs de domaines, soit pour une somme de 44,415,000 florins des Pays-Bas. Le syndicat a créé des los-renten, acceptables au pair en payement des prix de ventes. Il les a négocié à 86 p.c., il a donc directement reçu, pour prix de ces domaines vendus, une somme de 38,196,900 florins des Pays-Bas. Il a reçu des dotations plus considérables encore, décrétées par des lois qui étaient à la connaissance du ministre ; dès lors, d’ailleurs où des décrets royaux insérés aux bulletins des lois lui ont prescrit toutes ses obligations, il était connu au ministre que les obligations du syndicat n’ont jamais pu absorber ses revenus annuels ; jamais on n’a entendu dire que le syndicat ait fait une fausse spéculation. Dans cet état de choses, est-il possible que le ministre ait sérieusement cru que le syndicat, en huit années de temps, avait tout absorbé et même avait créé des dettes effrayantes ? Je ne le pense pas ; aussi je ne puis croire que le ministre, dans le passage de son rapport relativement au syndicat, ait pu avoir eu l’intention de renoncer au partage de ses bénéfices. Quoi qu’il en soit du ministre, le traité n’en fait aucune mention, et la législature n’y a point renoncé ; nos réclamations de ce chef nous restent donc ouvertes comme toutes les autres.

Cette idée m’a souri, tenant d’ailleurs pour principe qu’on peut en tout temps et en tout cas réclamer contre les erreurs, les omissions, les faux ou doubles emplois d’un compte. J’ai voulu examiner la situation et la fortune du syndicat, au sujet duquel j’avais déjà recueilli quelques notes depuis le mois de mars 1839, qui m’autorisaient, quoiqu’incomplètes, à prétendre, lors de la discussion des vingt-quatre articles, que la Belgique devait profiter de ses bénéfices, une somme de 80 millions de florins, au lieu de payer 1,185,000 florins de rente pour son déficit. J’ai fait une liquidation de cette ténébreuse institution, dont je me permettrai de vous présenter les résultats.

D’après mes calculs, le syndicat possédait au 1er octobre 1830 :

1° En dette active donnant un intérêt de 2 ½ p.c. un capital de 240,598,000 florins.

2° En sommes prêtées à 4 ½ p.c. un capital de 14,236,327 florins.

3° En billet de change, tirés au sort et désignés pour passer à la dette active pendant les années 1831 à 1849, pour un capital de 85,500,000 florins.

4° En billets de change non sortis, mais réservés pour les tirages subséquents, pour un capital de 397,974,000 florins.

5° En dette différée, un capital de 977,442,000 florins.

6° Le syndicat possédait en sus un revenu sur la caisse des colonies, affecté au paiement des intérêts et au remboursement du capital de 30,000,000 de florins levé à leur usage.

M. le président – Je ferai remarquer à l’orateur que la chambre ne peut saisir tous ces chiffres. Il pourrait se borner à les faire insérer dans le Moniteur et n’indiquer oralement que les résultats.

M. Vandenbossche – C’est ce que je vais faire, M. le président.

Je ne parle pas des domaines conservés en nature, par la raison que ceux-ci ne sont pas le sujet d’une liquidation entre parties, chaque pays ayant droit à ceux situés sur son territoire.

De tous ces capitaux, ainsi que de l’annuité à charge de la caisse des colonies, le traité du 15 novembre, adjugeait expressément les 16/31 à la Belgique, outre que, d’après les principes professés par la conférence de Londres, elle avait à y prélever, hors part, une somme nominale en dette active de 72 millions 69 mille florins. Le roi Guillaume avait adhéré à ce traité du 15 novembre sans condition ni restriction aucune : ce serait donc de son propre mouvement que notre ministère aurait renoncé à ces bénéfices ! Or, en concevoir une pareille opinion, serait lui faire injure ; aussi répugne-t-il de penser qu’il aurait pu méconnaître, à ce point, les intérêts de son pays qu’il avait accepté la mission de défendre. On doit donc dire ; Non, il n’y a pas renoncé ; et la législature y a moins renoncé encore, car le traité n’en fait aucune mention. Ainsi nos droits aux bénéfices nous restent, et il convient que le gouvernement les réclame et les fasse valoir.

Une rencontre que j’ai eue devrait me faire penser que le gouvernement ne partagerait pas, de prime abord, mes opinions à ce sujet. Souvent, je me suis dit que, supportant notre part dans les dettes, nous devions exiger notre part dans les bénéfices, dont nos diplomates de Londres avaient oublié de proposer le partage. Un jour, rencontrant un de nos diplomates, je lui disais qu’il devait réclamer notre quote-part de la flotte et des autres avantages communes ; il m’a répliqué que le gouvernement hollandais ne se donnerait pas la peine de répondre à une pareille réclamation. Cette réplique, je dois le dire, m’a singulièrement affecté. Comment ! Le gouvernement hollandais n’y répondrait pas ? Je conçois que l’obstination de notre diplomate à vouloir forcer la majorité de la conférence a nous enlever le Luxembourg et le Limbourg, sa condescendance toute gratuite, si pas plus, à imposer la navigation de la Meuse et des deux bouches de l’Escaut, de droits odieux à cette même majorité de la chambre des représentants et du sénat pour souscrire à deux différentes reprises, à ces conditions, ne nous ont point placés sur une échelle bien élevée dans l’opinion de l’Europe ; mais que nous serions tombés si bas, que le gouvernement hollandais se croirait autorisé à ne point répondre à nos réclamations et à repousser, avec le mépris du silence, ces prétentions, peut-être les seules justes, peut-être les seules rationnelles, que notre diplomatie ait élevées contre lui, depuis notre régénération, voilà ce que je ne conçois pas. Si, toutefois, le gouvernement hollandais s’oubliait à ce point, il serait de notre dignité de lui montrer qu’il nous a mal jugés. S’il ne nous répond pas, s’il ne nous rend pas justice, suspendons nos négociations politique et suspendons aussi le payement des cinq millions de florins, jusqu’à ce qu’il se soit ravisé, et bornons-nous à négocier sur les relations commerciales et industrielles entre les deux peuples, qui ne doivent pas souffrir des différents qui pourraient diviser leurs gouvernements.

Dira-t-on que ne point payer aux termes du traité serait faire naître des ferments d’hostilités et de guerre ? Je ne pense pas, messieurs, que cette crainte doit nous occuper. Le gouvernement hollandais sait très bien qu’il est redevable à notre diplomatique que le traité nous impose une rente de 5 millions de florins en sa faveur, il n’ignore pas qu’en droit et en équité c’est lui qui, au lieu de recevoir, devrait payer à la Belgique une rente de 5 millions au moins, et que la conférence de Londres lui aurait imposé cette rente, si notre diplomatie ne l’avait pas induite en erreur sur la consistance de la dette, et n’avait pas oublié de réclamer nos justes récompenses et le partage des bénéfices communs. Dans cet état de choses, avons-nous à craindre que le gouvernement hollandais qui, en droit et en équité, devrait payer la rente à la Belgique, pourrait se trouver formalisé de ce que nous ne la lui payons pas ? Pareille opinion serait au contraire faire injure au caractère de ce gouvernement.

Réclamons ce qui est juste et employons tous les moyens pour l’obtenir ; renonçons, par contre, à toute prétention non fondée, et le gouvernement hollandais, au lieu d’y trouver une cause de rupture, y trouvera un motif pour nous accorder son estime.

Notre diplomatie, si je suis bien informé, élève des prétentions à la totalité de l’encaisse du caissier général des Pays-Bas au 1er octobre 1830. Ces prétentions ne sont pas fondées : le gouvernement hollandais y a des droits comme nous ; cet encaisse ne peut être que le sujet d’une liquidation entre parties. Poursuivre ces prétentions par la voie de la diplomatie ne peut jamais avoir un résultat favorable pour la Belgique ; si la Hollande renonce un jour à ses droits de ce chef, ce ne sera que pour autant que la Belgique renonce à son tour à des droits trois fois plus considérables. Des négociations à ce sujet tourneront nécessairement à notre détriment et à notre honte. Elles commenceraient par nous rendre odieux, et finiraient par nous rendre ridicules. Abandonnons ces prétentions et liquidons loyalement l’encaisse du caissier général, mais réclamons la liquidation et le partage des bénéfices communs, et en attendant, suspendons tout payement de la rente des cinq millions de florins ; nos dépenses seront diminuées d’autant, et nos recettes, par ce seul moyen suffiront à nos besoins.

Nous avons encore d’autres ressources pour subvenir à nos besoins sans recourir à de nouveaux impôts.

Ce sont les domaines que retient la société générale, et leur produit qu’elle a reçu et qu’elle conserve dans ses caisses depuis 1830.

Il y a plus de cinq ans que le gouvernement lui-même a nommé une commission pour rechercher ses droits et actions de ce chef, envers cette société. Il y a plus de cinq ans qu’un premier rapport a été fait à ce sujet, dont le résultat était de concilier les prétentions réciproques.

On établissait que les domaines avaient été cédés au roi, en remplacement d’une portion de sa liste civile ; par conséquent, cédés à la personne royale et nullement à la personne privée de Guillaume, que la liste civile était, de sa nature, irréductible et inaliénable, que par conséquent le roi pouvait en jouir mais qu’il ne pouvait pas les aliéner au préjudice de cette liste civile.

On a admis ensuite que le roi avait validement cédé tous ces domaines à la société générale aux termes de ses statuts, et on est finalement arrivé à reconnaître au gouvernement droit, qualité et action pour exiger de la société un compte, etc.

La société, au contraire, prétend que tous ces domaines lui ont été vendus par S.M. le roi Guillaume, qui en était le propriétaire en nom privé ; qu’elle ne peut reconnaître au gouvernement belge aucun droit de ce chef, et, s’il croyait y avoir des droits, que c’était avec le roi Guillaume qu’il avait à les régler.

Le ministre, sans consulter la chambre, a attrait la société devant le tribunal ; et sur le point de perdre son procès, il a conclu avec le gouverneur de la société une convention, laquelle étant déférée à la chambre des représentants, celle-ci l’a renvoyée en section, et la section centrale, de concert avec les membres de la première commission, ont de nouveau examiné les principes sur la matière, et, de nouveau, un rapport a été fait de ses délibérations.

J’ai contesté les principes de la commission spéciale, ainsi que de la majorité de la section centrale, réunie avec les membres de la première commission, dans trois mémoires que j’ai fait publier et distribuer aux membres des deux chambres.

Il est finalement temps que la chambre prenne des décisions à cet égard. Les circonstances nous pressent, l’intérêt du pays, l’intérêt de la section centrale lui-même exigent que l’un et l’autre connaissent définitivement la position où ils se trouvent. Guillaume ou le gouvernement hollandais conserve, nonobstant le traité de paix, l’administration des domaines situés en Hollande. Le syndicat d’amortissement saisit les fonds que la société générale possède chez son banquier à Amsterdam, et les tribunaux déclarent la saisie valable. Le gouverneur, l’honorable M. Meeus, a signalé ces actes à la chambre des représentants, comme l’effet d’un séquestre illégalement maintenu par le gouvernement hollandais sur les biens et propriétés de la société générale, et il a réclamé l’intervention du gouvernement pour négocier diplomatiquement à Utrecht, afin de lui faire obtenir et l’administration des domaines et la libre disposition de ses fonds. Des membres de la chambre ont appuyé cette réclamation et M. le ministre des affaires étrangères me semblait même vouloir y condescendre. Cependant, messieurs, il y aurait de l’imprudence, pour ne pas dire plus, de prendre à la légère une pareille détermination, et de nous engager dans une négociation diplomatique, sur une affaire dont nous ne connaîtrions peut-être pas ni la cause ni les résultats. Examinons, avant tout, quels sont les droits de la société générale à ces domaines qui lui appartiennent au même titre que ceux situés en Belgique, et nous arriverons à connaître les motifs de la conduite de Guillaume et du syndicat d’amortissement.

Quels sont les motifs de la conduite de Guillaume et du syndicat ? La Société générale a toujours soutenu que la loi du 26 août 1822 a cédé la propriété des biens y désignés à la personne privée du roi Guillaume, et notre législature n’a jamais décidé le contraire. Le roi Guillaume a accueilli cette interprétation, comme lui étant infiniment favorable, peut-être même a-t-il fini par sérieusement y croire. D’autre part, le roi Guillaume soutient qu’il n’a pas rétrocédé la propriété de ces domaines à la société générale ; par conséquent qu’il en est resté le propriétaire. Et, aujourd’hui que le siège de la société se trouve dans un pays étranger, il a repris et il conserve l’administration de ceux de ses domaines qui se trouvent situés en Hollande.

Il croit agir ainsi avec d’autant plus de raison que la société, depuis même que le gouvernement belge a levé le séquestre sur ses biens, se refuse à payer au syndicat ou à lui les revenus perçus de ceux situés en Belgique, aux termes de son arrêté du 28 août 1822.

La prétention du roi Guillaume, qu’il n’a jamais cédé la propriété des domaines à la société générale, est-elle fondée ? La banque et ses partisans auront beau dire non, Guillaume dit oui ; et je ne pense pas qu’il en fasse même une question ; aussi je me trouve forcé de partager son opinion. En effet, il a conféré, par son arrêté du 28 août 1822, les domaines à la société comme fonds et gagne, mais à condition :

1° qu’elle en eût compté les revenus, savoir 500,000 florins, à la liste civile et l’excédant à la caisse d’amortissement ;

2° qu’à la dissolution de la société, ces biens ou la valeur d’iceux passeraient en toute propriété à l’Etat, c’est-à-dire que les domaines que la société n’aurait pas vendus passeraient en nature à l’Etat, et que ceux que la société aurait eue dans le cas de devoir aliéner, passeraient à l’Etat en valeur.

Y a-t-il un seul homme au monde qui pourrait trouver dans ces stipulations une cession de propriété en faveur de la société générale ? La propriété est expressément stipulée en faveur de l’Etat. Mais, dira-t-on, voyez les statuts, ils y dérogent et le Roi Guillaume les a approuvés. Guillaume a approuvé les statuts en exécution de l’article 37 du code de commerce, il les a donc approuvés exclusivement comme roi. Mais cet acte, acte de pure formalité, passé en sa qualité de roi, ne pouvait en rien obliger sa personne comme homme privé.

Si les domaines lui appartenaient en privé nom, c’était en nom privé qu’il devait en disposer. En sa qualité de roi, il ne pouvait même ni faire ni adopter de stipulations qui obligeassent sa personne. L’approbation des statuts est donc pour la société générale un titre bien insignifiant, si non un titre ridicule, pour prétendre que le roi Guillaume lui avait cédé la propriété. Au surplus, comment a-t-il confirmé les statuts ? Expressément en conformité de son arrêté du 28 août 1822, désapprouvant ainsi formellement toutes les stipulations qui y étaient contraires.

Cette question, messieurs, n’est pas du ressort de la législature, c’est aux tribunaux, si elle se trouve un jour contestée, à en connaître. J’ai voulu en dire quelques mots, pour désabuser mes honorables collègues, qui pensent servir le pays en ne contestant point à la société générale ses prétentions à la propriété de nos domaines.

La conduite de Guillaume envers la société démontre à l’évidence ses opinions sur les droits qu’il lui reconnaît et sur la portée qu’il entend donner à son arrêté du 28 août et aux statuts de la société. Toutes les illusions doivent disparaître sur la prétendue propriété des domaines de la société générale, et sur la soi-disant ratification de leur aliénation.

Toutes les prétentions de la société générale à la propriété des domaines que le roi Guillaume lui a conférée, comme fonds et gage de sa solvabilité, sont des chimères, que le gouvernement et les chambres réunis ne sont pas même en état de convertir en réalité. Ces domaines, qu’ils soient situés en Belgique, ou qu’ils soient situés en Hollande, sont irrévocablement perdus, quant à leur propriété, pour la société générale et ses actionnaires. Ceux situés en Belgique appartiennent incommutablement soit à la personne privée de l’ex-roi Guillaume, soit à la nation belge.

C’est à la législature à examiner les principes et à prendre une décision. Si elle trouve que, par la loi du 26 août 1822, les domaines y désignés ont été, constitutionnellement et validement cédés à la personne privée du roi Guillaume, alors ils lui appartiennent encore, au même titre, aujourd’hui. Que le gouvernement belge abandonne donc toutes ses prétentions aux susdits domaines, et leurs produits ; qu’il lève l’interdiction qu’il a faite, à la société, de payer, et que celle-ci verse dans la caisse du syndicat d’amortissement les revenus des domaines situés en Belgique, elle rentrera dans la libre possession de ses fonds saisis.

Si la législature, au contraire, trouve que ces domaines n’ont été cédés qu’à la personne royale, en remplacement d’une portion de sa liste civile, comme les deux commissions qui ont examiné la matière l’ont établi dans leurs rapports, lors, du jour de notre séparation avec la Hollande, ces domaines sont retournés à leur principe, et appartiennent de nouveau à la nation belge, à qui la société générale doit compte de sa gestion. Que la législature décrète cette décision, et le syndicat cessera également ses poursuites contre la société, laquelle rentrera, de même que dans le premier cas, dans la libre disposition des capitaux qu’elle a déposés, chez son banquier à Amsterdam, ou partout ailleurs en Hollande.

Moyennant cette décision, la société, dégagée de mille chimères de gain et de fortune qu’elle bâtit sur nos domaines, se trouverait en même temps débarrassée d’une infinité d’entraves que les actes du syndicat d’amortissement doivent porter à ses opérations financières, et d’une infinité d’inquiétudes qui en sont la suite nécessaire. Elle se trouverait, au surplus, débarrassée de la garde de toutes ces sommes provenues des revenus de nos domaines, qu’elle conserve depuis 1830, dans ses caisses, sans aucun profit pour la société ; car toutes les sommes sont là en dépôt pour être recueillies par qui de droit, sauf par ceux qui en tiennent les clefs, à en disposer dans leur intérêt propre sous leur responsabilité personnelle envers la société, mais laquelle en resterait responsable et vers celui auquel ces dites sommes seront finalement reconnues devoir appartenir. La société désirerait que le gouvernement en fit directement une question diplomatique. Sans doute que la diplomatie pourrait, peut-être convertir en vérité ses rêves, que les domaines lui appartiennent en propriété.

Avant d’entreprendre une pareille démarche, il s’agit de voir où elle pourrait nous conduire. Notre diplomatie commencerait par reconnaître au gouvernement hollandais des droits aux produits de nos domaines ; elles soutiendrait que ces domaines ont été dûment cédés à la société générale par S.M. le roi Guillaume, aux termes de ses statuts. Elle proposerait au gouvernement hollandais un arrangement tel quel sur leurs produits ou à leur égard, afin de faire restituer à la société générale les fonds que le syndicat en retient. En tout cas, elle proposerait des sacrifices pour parvenir à ses fins. Je suppose que le gouvernement hollandais accepte nos offres et nos conditions, où serions-nous arrivés ? En premier lieu notre gouvernement, par l’intermédiaire de ses diplomates, aurait formellement reconnu que la propriété de tous ces domaines appartient à la société générale ; que le roi Guillaume les lui avait validement vendus ou cédés en toute propriété, par conséquent qu’il avait le droit d’en disposer ou de les vendre. Or, comme ce droit ne pourrait lui appartenir qu’en qualité de propriétaire, en privé nom de ces biens, le gouvernement belge, par une conséquence ultérieure, reconnaîtrait que la loi du 26 août 1822 avait constitutionnellement et validement cédé les biens y désignés à la personne privée du roi Guillaume, et qu’il en était le propriété incommutable comme particulier.

Le gouvernement belge aurait donc commencé, sans aucun examen, par reconnaître à l’ex-roi Guillaume, ainsi qu’à la société générale, des titres et des droits qu’il pourrait trouver plus tard avoir intérêt à leur contester. La société générale en serait-elle plus avancée ?

En exécution de la convention que notre diplomatie serait parvenue à contracter, la société verserait le montant des revenus qu’elle a en caisse, d’après les conditions dont les parties seraient convenues, et elles récupérerait la libre disposition des sommes et valeurs qu’elle a déposées en Hollande.

Mais tout cela ne la mènerait pas au port. La société n’aurait échappé à un embarras que pour en courir un autre, peut-être plus grand encore. D’après ces principes, que le gouvernement belge aurait reconnu virtuellement, sinon formellement, pour vrais, le roi Guillaume avait été le propriétaire en privé nom des domaines ; or, le roi Guillaume ne les a jamais vendus ni cédés, donc l’ex-roi Guillaume en serait encore aujourd’hui le propriétaire au même titre, et toutes les illusions qu’elle s’est faites jusqu’à présent, ainsi que les négociations diplomatiques elles-mêmes, tourneraient à son détriment et à la honte du gouvernement. En effet, que l’ex-roi Guillaume vienne réclamer de la société générale des domaines situés en Belgique, ainsi que le montant de leur revenu jusqu’à concurrence des cinq cent mille florins de sa liste civile, pour toutes les années de son règne, depuis notre révolution, la société, que lui répondrait-elle ? oserait-elle lui soutenir qu’il les lui a vendus aux termes de ses statuts ? L’ex-roi Guillaume ne pourrait-il pas lui répliquer qu’impudemment elle en impose ; attendu que tous les actes qui émanent de lui protestent expressément et formellement du contraire, que son arrêté du 28 août 1822, et son arrêté approbatif des statuts du 13 décembre de la même année, sont là pour le prouver, outre que le dernier n’est qu’un acte de pure formalité, prescrit par la loi, et posé en sa qualité de roi, lequel ne peut jamais impliquer une convention particulière, à moins d’en faire expressément mention ? Y aurait-il d’ailleurs un seul tribunal, je ne dirais pas en Belgique, mais dans toute l’Europe, qui, connaissant ces titres, oserait accueillir les prétentions de la société, et décider que le roi Guillaume lui a vendu les domaines ? L’honneur de la magistrature et le respect qu’elle inspire, doivent nous faire dire : non.

La société appellera-t-elle alors le gouvernement à son secours, pour contester au roi Guillaume sa qualité de propriétaire, en privé nom ? Mais le gouvernement lui-même l’aurait reconnu.

Invoquera-t-elle la convention que je suppose que notre diplomatie serait parvenue à contracter ? mais l’ex-roi Guillaume répondrait que cette convention ne le regarde pas, et que c’est là res inter alios.

De sorte que nos propres tribunaux se trouveraient forcés d’accueillir les conclusions de l’ex-roi, et d’y condamner la société générale, nonobstant toutes les manœuvres qu’elle pourrait employer pour s’y soustraire ; ce qui rendrait sa situation plus critique peut-être que celui où vient de la placer le syndicat d’amortissement ; car elle aurait déjà payé ce qu’elle se trouverait condamner à payer encore.

Ce n’est pas tout. Là ne se borneraient pas les troubles et les embarras qu’elle doit attendre de la par de l’ex-roi Guillaume dont elle n’a plus le moindre ménagement à espérer. La société l’a méconnu, à son tour il la méconnaîtrait et tacherait de la perdre.

Le roi Guillaume a conféré les domaines que la loi du 26 août 1822 venait de lui céder en remplacement d’une portion de sa liste civile, à la société générale pour lui servir de fonds et de gage de solvabilité. La société, de ce chef, avait obtenu un crédit immense, première base de prospérité. Elle pouvait perdre tous ses capitaux que les créanciers n’avaient pas à craindre pour leurs créances ; aussi longtemps que ces domaines existaient, ils leur servaient de gage. Ils pouvaient les décréter afin de se faire payer sur leur prix de vente ; mais la société, sans autorisation et sans nécessité aucune, pouvait-elle vendre ces domaines par pure spéculation, et diminuer ou anéantir ainsi le gage ostensible de son crédit et de ses créanciers ? Incontestablement non.

L’arrêté du 28 août, dont les dispositions sont seules obligatoires pour Guillaume, ne contient rien dont on pourrait induire pareille opinion. Il oblige la société à verser les revenus soit dans la caisse de la liste civile soit dans la caisse d’amortissement, de là il résulte que le roi Guillaume voulait qu’elle en eût l’administration. Mais cette administration n’était pas même une faveur ; c’était au contraire une charge que le roi Guillaume lui avait imposée, en considération des bénéfices à résulter de l’immense crédit que ces domaines devaient lui procurer. Cette administration peut dont lui être enlevée sans lui faire la moindre injure.

Qu’a fait la société générale ? Après notre révolution, prévoyant que la nation belge aurait tôt ou tard contesté au roi Guillaume sa prétendue qualité de propriétaire en privé nom, et repris les domaines situés en Belgique, comme étant redevenus sa propriété, elle a commencé, étant parvenue à circonvenir le gouvernement du régent et le congrès sur la nature de sa qualité et de ses droits, par s’en proclamer le propriétaire aux termes de ses statuts. Puis, pour donner de la consistance à ses prétentions, elle a entrepris, sans autorisation aucune ou sans nécessité, mais par pure spéculation, de vendre la grande partie des domaines situés en Belgique, comptant sans doute que les ventes au moins seraient respectées et les acquéreurs maintenant dans la libre possession de leurs biens acquis, d’après le système qu’il n’y a pas à revenir sur un fait accompli, au moyen duquel on avait déjà vu, depuis un demi-siècle, consacrer tant de spoliations et, qu’en tout cas, la société se trouverait libérée en restituant le prix de vente, quelle que pourrait être la résolution qu’on prendrait à son égard.

Vains calculs en présence de Guillaume. Le fait accompli n’aurait aucune influence sur son esprit. La société a vendu ce qu’il ne lui appartenait pas de vendre ; l’ex-roi Guillaume poursuivrait indistinctement la nullité des ventes, et les tribunaux (qu’on ne s’y trompe pas) se trouveraient forcés de la prononcer. Les acquéreurs évincés exerceraient leur recours contre la société générale, laquelle ne pourrait pas échapper à leur restituer leur prix de vente, ainsi que des loyaux coûts et même des dommages intérêts spéciaux à ceux des acquéreurs qui, n’étant ni directeurs ni actionnaires de la société, ignoraient, à juste titre, sa qualité et ses droits et qui par conséquent doivent être censés avoir acquis de bonne foi.

Voilà où la négociation diplomatique, imprudemment sollicitée, nous mènerait, si on devait inconsidérément l’entreprendre, avant d’avoir examiné et établi les principes d’où le roi Guillaume, ainsi que la Société, entendent faire découler leurs droits et leurs prétentions.

Charger nos diplomates à Utrecht de négocier sur cette matière, avant d’avoir solennellement discuté les droits et actions du gouvernement belge, du chef des domaines que retient la société générale, et d’avoir déterminé en quoi ils consistent, a toujours été à mes yeux l’équivalent d’une trahison des intérêts du pays. Je me suis déjà expliqué à ce sujet avec nos ministres, et je maintiens à la tribune mon opinion.

Je demande formellement que la discussion de la question des droits et actions du gouvernement, envers la société générale du chef des domaines, soit mise à l’ordre du jour immédiatement après les budgets, et que toute négociation diplomatique à ce sujet soit remise jusqu’à ce que la chambre se soit prononcée sur les différents points qui s’y rattachent.

Comme je l’ai déjà dit, si la chambre décide que la loi du 26 août 1822 a constitutionnellement et valablement cédé les domaines y désignés à la personne privée du roi Guillaume, le gouvernement belge n’a rien à y prétendre, et par conséquent rien aussi à négocier. Il doit se borner à lever l’interdiction qu’il a faite à la société générale de verser les revenus entre les mains du syndicat d’amortissement ou de l’ex-roi Guillaume, aux vœux de celui-ci, et à indemniser la société des dommages que cette interdiction lui a causés. Si, au contraire, la chambre décide que la loi du 26 août a cédé les domaines à sa personne royale, en remplacement d’une portion de sa liste civile, alors les domaines auront appartenu à la royauté ; et, avec l’extinction de celle-ci pour la Belgique, ils seront retournés à leur principe et redevenus la propriété de la nation. Alors, depuis notre séparation de la Hollande, la société générale doit compte de son administration au gouvernement belge, et solder entre ses mains tous les revenus et produits qu’elle en a perçus. Ensuite, si contre toute attente, le syndicat d’amortissement s’obstinait à conserver entre ses mains les sommes et valeurs qu’il a saisies et qu’il retient, négocions diplomatiquement alors, afin d’en obtenir la restitution. Entretemps, que le gouvernement belge avance à la société générale le montant de toutes ses sommes et valeurs saisies, avec subrogation à tous ses droits, il en aura les moyens, et la législature aura la volonté, car nous tous nous désirons soutenir la société ; il n’y a, en Belgique, que ses imprudents amis qui finiraient par la perdre.

J’ai eu l’honneur de proposer à la chambre un projet de loi créant de nouvelles bases d’impôts. La chambre a daigné prendre ma proposition en considération. Cette proposition a ému les capitalistes et provoquer leurs cris et leurs réclamations. Je n’y attendais.

Les objections que mon projet a rencontrées m’ont démontré qu’il laissait beaucoup à désirer et qu’il était susceptible de différents amendements avant d’être érigé en loi ; mais aucune ne m’a convaincu qu’il fallait en rejeter le principe, et j’espère que la législature le convertira en loi, après y avoir apporté les modifications qu’il réclame, si point pour l’exercice suivant, si point pour augmenter nos recettes, pour faire disparaître les privilèges et niveler les impôts aux vœux de l’équité et de la constitution.

Si nous rassemblons les ressources que j’ai l’honneur de vous signaler, nous n’avons pas besoin d’y introduire l’impôt que j’ai proposé, ni d’augmenter une branche quelconque de nos revenus, pour subvenir à nos besoins, nous pourrions, au contraire, en réduire et même supprimer quelques-unes ; cependant je ne m’opposerai pas à l’augmentation de quelques articles de nos impôts qui sont susceptibles de majoration sans trop froisser les intérêts des contribuables, je ne demanderai pas non plus des diminutions sur d’autres, quelqu’élevés qu’ils soient, car j’aimerais à voir la caisse de l’Etat plutôt pleine que vide.

Mais ce que je désire, ce que je demande, c’est que le gouvernement ne néglige aucune mesure pour augmenter le bien-être et la richesse de la nation, en protégeant son commerce et son industrie. A cet effet, que doit-il faire ? En premier lieu, il doit réclamer du gouvernement hollandais la jouissance, pour les habitants de la Belgique de la navigation et du commerce aux colonies appartenant à la Hollande, sur le même pied, avec les mêmes droits et les mêmes avantages que les habitants de la Hollande ; droits et avantages que nous avons acquis, par le traité des 24 articles, moyennant la redevance annuelle de 600,000 florins que nous payons de ce chef, parmi les 5 millions que le traité nous impose.

Cette proposition surprendra peut-être mes honorables collègues, attendu que notre plénipotentiaire à Londres a déclaré en 1831, au sénat, que nous devions ces 600,000 florins pour la navigation des eaux intérieures de la Hollande, et que notre ministre des affaires étrangères et de l’intérieur, dans son rapport des 1er et 2 février 1839, nous a déclaré que les avantages commerciaux pour la navigation dans les eaux intérieures de la Hollande avaient été évalués, en 1831, à 600,000 florins. Ces assertions sont inexactes. Jamais le gouvernement hollandais ne nous a offert la navigation de ses eaux intérieurs moyennant une redevance de cette nature ; voilà ce que le traité des 18 articles, ainsi que le traité des 24 articles du 15 novembre 1831 établissent d’une manière incontestable.

Le premier, dans son article 7, nous applique les dispositions des articles 108 à 117 de l’acte général du congrès de Vienne. Or, d’après l’article 9 de cet acte, la libre navigation du Rhin et de la Meuse jusqu’à leur embouchure, et par conséquent au travers du territoire hollandais, nous était assurée moyennant de nous conformer aux règlements relatifs à la police de cette navigation. L’article 9 du traité du 15 novembre, qui répète les dispositions des préliminaires déclare en outre réciproquement libre la navigation des eaux intermédiaires entre l’Escaut et le Rhin, moyennant des péages modérés, stipulant au surplus que les deux pays adopteraient provisoirement à cet égard les tarifs de la convention de Mayence. Ces navigations nous suffisaient, elles nous furent concédées sous d’autres conditions, et il n’était pas question de nous soumettre à des frais ultérieurs pour les obtenir. Quant à la navigation et au commerce en général, entre la Belgique et la métropole hollandaise, les avantages étaient réciproques et il ne s’agissait point de les acheter ni de les vendre à prix d’argent. Le droit de navigation dans les eaux intérieures de la Hollande ne peut donc jamais constituer l’objet de la redevance des 600,000 florins que nous payons pour prix d’avantages de commerce et de navigation. Mais sort-il de là que ce soient les avantages du commerce et de la navigation aux colonies de la Hollande ?

Ces avantages, en premier lieu, sont les seuls qui peuvent rationnellement compenser une rente annuelle de 600,000 florins ; tous les autres, en face de la redevance, sont des avantages ridicules, des chimères, des absurdités. D’ailleurs, ce sont ces avantages que le gouvernement hollandais nous a proposés, et je n’ai trouvé, nulle part, qu’il nous en ait jamais proposé d’autres.

Comment ces avantages n’ont-ils pas été stipulés dans le traité ? Comment notre diplomatie l’ignorait-elle, et y en a-t-elle substitué d’autres ? Malgré la singularité de ces circonstances, que c’est le commerce et la navigation aux colonies hollandaises qui constituent l’objet de la redevance des 600,000 florins, voilà ce que nous prouvent les pièces des négociations. Voici les faits :

Personne n’ignore que, dans le principe, la Hollande voulait nous faire partager les dettes anciennes aussi bien que celles contractées en commun. La conférence de Londres a rejeté cette prétention extravagante. Elle nous a imposé le traité des 18 articles pour préliminaires de paix. L’article 12 de ce traité portait :

« Le partage des dettes aura lieu de manière à faire retomber sur chacun des deux pays la totalité des dettes qui originairement pesait, avant la réunion, sur les divers territoires dont ils se composent, et à diviser dans une juste proportion celles qui ont été contractées en commun. »

Après l’invasion du mois d’août, les négociations ayant été reprises, le gouvernement hollandais a voulu revenir à sa première idée, de faire partager par la Belgique sa vieille dette, de même que la nouvelle. Ses plénipotentiaires ont présenté à la conférence, en date du 3 septembre 1831, une série de propositions également préliminaires d’un arrangement définitif. Relativement au partage des dettes, ils proposaient :

« 1° Les dettes du royaume des Pays-Bas, telles qu’elles existent à la charge du trésor royal, savoir : 1° la dette active à intérêts ; 2° la dette différée ; 3° les différentes obligations du syndicat d’amortissement ; 4° les rentes remboursables sur les domaines ayant hypothèques spéciales, seront réparties entre la Hollande et la Belgique d’après la moyenne proportionnelle des contributions directes, indirectes et des accises du royaume, acquittées par chacun des deux pays pendant les années 1827, 1828 et 1829.

« La moyenne proportionnelle dont il s’agit, faisant tomber approximativement sur la Hollande 15/31 et sur la Belgique 16/31 des dettes susmentionnées, il est entendu que la Belgique restera chargée d’un service d’intérêts correspondant.

« En considération de ce partage des dettes du royaume des Pays-Bas, les habitants de la Belgique jouiront de la navigation et du commerce aux colonies appartenant à la Hollande sur le même pied, avec les mêmes droits et les mêmes avantages que les habitants de la Hollande. »

Quant au partage des dettes, les principes étaient établis et définitivement fixés dans le traité des 18 articles ; il ne s’agissait plus de poser de nouveaux préliminaires à ce sujet ; la conférence a donc dû rejeter le premier paragraphe de ces propositions, et ordonner la production de propositions qui eussent été de nature à mener les parties à un arrangement définitif sur ce point de leurs différends. Les plénipotentiaires hollandais, en conformité de ces injonctions, se soumettant aux prescriptions de l’article 12 du traité des 18 articles, ont présenté à la conférence un tableau de dettes qui pouvait mener à ce résultat.

Or, ayant renoncé à leurs propositions que contenait le paragraphe premier, lesquelles comprenaient le prix des avantages stipulés en faveur de la Belgique dans le paragraphe 3, ils ont substitué à ce premier paragraphe, dans leur tableau de dettes, un dernier numéro, portant pour prix d’avantages de commerce et de navigation, une redevance annuelle, à charge de la Belgique, de 600,000 florins ; donc, moyennant cette somme, les avantages stipulés au paragraphe 3 nous étaient finalement acquis.

Tels était le sens et la portée du dernier numéro du tableau des dettes. Il ne pouvait même recevoir une autre interprétation. En effet, la redevance de 600,000 florins a été stipulée par les plénipotentiaires hollandais pour prix d’avantages de commerce et de navigation ; ils devaient donc préalablement nous avoir offert des avantages corrélatifs de cette nature ; car un prix suppose nécessairement un objet auquel il se rapporte. Or, les plénipotentiaires hollandais nous avaient offert des avantages de commerce et de navigation dans le paragraphe 3 de leurs propositions du 3 septembre, et nulle part ils ne nous en avaient offert d’autres ; donc la redevance, stipulée dans le dernier numéro du tableau des dettes, devait nécessairement se rapporter aux avantages contenus dans le susdit paragraphe.

Mais qu’est-il arrivé ? Notre plénipotentiaire, d’après son mémoire du 26 septembre suivant, adressé à la conférence, a persisté à envisager le commerce et la navigation aux colonies, comme ne nous restant offerts qu’au prix de partager avec la Hollande la totalité des dettes du royaume des Pays-Bas, ce qui, dans son opinion, devait augmenter le montant de notre dette, évaluée dans le tableau à 8,400,000 florins par an, d’une somme de 7 millions de florins de rente. Ayant ainsi son imagination fixée sur les propositions du 5 septembre et sur l’énormité du prix, il n’a pas réfléchi au dernier numéro du tableau des dettes, qui s’y trouvait substitué, et il a rejeté les avantages de commerce et de navigation proposés, tandis qu’il n’a pas réclamé contre la redevance de 600,000 florins, à laquelle le gouvernement hollandais les avait finalement estimés. La conférence, de son côté, n’étant que médiatrice, arbitre ou juge entre parties, ne pouvait décider que sur leurs prétentions réciproques, et par conséquent elle n’a pas pu stipuler, dans le traité, les avantages, malgré la diplomatie belge qui venait de les repousser, et elle a dû comprendre, parmi le montant de la dette la redevance des 600,000 florins, sans en apprécier le rapport ou la portée, attendu que notre diplomatie était censée l’admettre, vu qu’elle ne la contestait point. Voilà comme on est arrivé à nous faire charger du payement d’un prix sans en avoir l’objet.

Cet objet, la jouissance, pour les habitants de la Belgique, du commerce et de la navigation aux colonies hollandaises sur le même pied, avec les mêmes droits et les mêmes avantages que les habitants de la Hollande, notre gouvernement doit les réclamer dans l’intérêt du commerce belge. Dira-t-on que notre plénipotentiaire l’a rejeté, et que par conséquent nous n’y avons plus de droit ? Je réponds à cette objection que la Hollande ne peut jamais conserver ensemble l’objet et le prix ; si elle nous refuse les avantages de commerce et de navigation stipulés, alors elle doit nous libérer de la redevance des 600,000 florins qui en constitue le prix ; le refus qu’a fait notre plénipotentiaire d’accepter ces bénéfices ne peut conférer à la Hollande d’autres droits que la conservation de l’option. Qu’elle opte, ou nous jouirons des avantages ou nous n’en payerons pas le prix.

Nos diplomates contesteront-ils mes explications ? Ceci est possible, car aujourd’hui l’homme haut placé n’aime pas qu’on révèle ses torts, et quoique le proverbe dise : qu’il n’y a rien de si beau que de reconnaître ses erreurs et de les avouer, il y en a, qui se damneraient pour échapper à un pareil aveu, et d’autres à qui il n’est pas donné de les reconnaître. Je m’y attends, vu que les intérêts du pays semblent si souvent placés en seconde ligne, voire même postposés à de simples intérêts d’amour-propre. Il est possible encore que nos diplomates se trouveront, ici, appuyés par le gouvernement hollandais (car il y va de son intérêt) pour soutenir que nous payons cette redevance en considération de la navigation dans les eaux intérieures de la Hollande ; mais tout cela ne pourrait point arrêter nos réclamations. Car, pour contredire victorieusement mes assertions, ils auront besoin de subministrer une preuve appuyée de pièces non apocryphes.

On ne peut point contester que les plénipotentiaires hollandais, en date du 5 septembre 1831, n’aient présenté à la conférence, une série de propositions préliminaires, et que parmi ces propositions se trouvait une offre déterminée d’avantages de commerce et de navigation.

On ne peut contester que, le 23 septembre suivant, notre plénipotentiaire à son tour ait également présenté une série de propositions et qu’il n’y est point du tout parlé d’avantages de commerce et de navigation quelconques. On devra convenir que le lendemain 24 septembre la conférence a communiqué au plénipotentiaire belge les prétentions du gouvernement hollandais, et que parmi les pièces se trouvait le tableau de dettes. On devra convenir que notre plénipotentiaire, en réponse à ces prétentions, a rédigé et présenté à la conférence, le 26 septembre, un mémoire auquel notre ministre des affaires étrangères, dans la séance du 20 octobre 1831, a donné pour titre : « Travail complet digne de toute l’importance de l’objet. »

Le tableau de dettes contient la stipulation d’une redevance annuelle de 600,000 florins pour prix d’avantages de commerce et de navigation. Cette stipulation, isolément considérée, est absurde. Il est donc incontestable qu’elle se rapporte à des avantages de commerce et de navigation déterminés, précédemment proposés ; pour contredire mes assertions, on devra donc prouver, par pièces non apocryphes, que le gouvernement hollandais, antérieurement au 24 septembre 1831, et antérieurement à la présentation de son tableau de dettes, ait révoqué son offre faite dans le troisième paragraphe du troisième point de ses propositions du 5 septembre, et qu’il y ait substitué ou séparément proposé, comme avantage spécial, à des conditions analogues, la navigation dans les eaux intérieurs de la Hollande. Toutes les révocations et toutes les propositions postérieures n’infirment pas mes assertions et n’ôtent rien aux droits que nous avons et que je propose de réclamer de ce chef.

Je ne parlerai pas des autres moyens que nous possédons pour protéger notre commerce et notre industrie ; ils sont connus ; l’honorable M. de Foere et d’autres membres les ont suffisamment signalés à l’attention du gouvernement et de la chambre. D’ailleurs une commission est nommée pour rechercher les moyens de leur porter secours ; et j’espère que nous ne tarderons pas à en voir les heureux résultats. Mais, en dehors de toute protection directe, je crois, avant de finir, devoir signaler quelques mesures à prendre en faveur de notre ancienne industrie linière.

Personne n’ignore que l’Angleterre inonde notre pays de fils de lin filés à la mécanique, au détriment de notre filature à ma main. Il s’agit avant tout d’en rechercher les causes. Quelles sont-elles ?

1° La faculté pour le marchand d’étendre ses opérations ;

2° La facilité du tisserand de se procurer ces fils de la finesse voulue ;

3° L’ignorance où l’on est encore de leur valeur respective avec nos fils filés à la main.

Les fils de lin filés à la main ne peuvent se procurer qu’aux marchés et doivent nécessairement s’acheter comptant ; au surplus, ce sont les marchands qui doivent en assortir les qualités, de sorte que, pour avoir un assortiment de 100 kilos d’une qualité voulue, on doit parcourir différents marchés et acheter parfois 3 et 400 kilos pour arriver aux cent kilos qu’on désire obtenir. De manière que pour avoir un magasin de fils assorti des différentes qualités que demande le commerce, on doit avoir de fortes sommes d’argent, sinon se livrer à des banquiers qui ne prêtent leur argent qu’à des taux très élevés, au point que les intérêts qu’ils paient enlèvent aux marchands une partie de leurs bénéfices, de sorte que les plus fortes maisons se trouvent encore bornées dans leurs opérations.

En Angleterre, des maisons opulentes fabriquent des fils de lin, à la mécanique, et les livrent à nos négociants à crédit, lesquels à leur tour les livrent, également à crédit, à nos teinturiers, à nos tordeurs, à nos autres marchands disséminés dans le pays. Au surplus, ces fils filés à la mécanique sortent de la fabrique tout assortis et numérotés, de sorte que, pour faire ce genre de commerce, on n’a guère besoin d’avoir une connaissance de la matière, ni d’avoir un grand fonds de caisse.

Tout homme peut être marchand de fil à la mécanique, et, avec une fortune égale, faire dix fois plus d’affaires que s’il se bornait aux fils filés à la main. Voilà, je pense, les principales causes que les fils filés à la mécanique inondent notre pays, au détriment de nos fils des Flandres, filés à la main, avec lesquels ils rivalisent en prix, quand même ils leurs sont d’un tiers peut-être inférieurs en valeur.

Ce n’est pas tout : les fils la mécanique détruisent encore l’ancienne réputation de nos toiles.

Nos pauvres tisserands, qui n’ont quelquefois que la chaîne ou la trame d’une toile, vont chercher au magasin de fil à la mécanique ce qui leur manque, et ce qu’ils obtiennent également à crédit. Ainsi, beaucoup de nos toiles sont mélangées de fils filé à la mécanique et de fil filé à la main, ce qui ne permet presque pas de les distinguer à la vue de nos bonnes toiles composée entièrement de fils filés à la main, et ainsi les unes et les autres se trouvent, pêle-mêle vendues et exportées sous le titre de toiles des Flandres. Or, comme pour l’usage, il y a une différence marquante entre les unes et les autres, que les toiles de fil à la mécanique ou mélangées de ces fils valent un tiers ou davantage de moins comparativement aux toiles de fils filés à la main, il s’ensuit que nos bonnes toiles perdent de leur réputation sur les marchés étrangers et que finalement nous ne pourrons plus les exporter qu’en concurrence avec les toiles anglaises ; ce qui amènerait finalement la perte totale de cette incomparable industrie des Flandres.

Le gouvernement est en état de prévenir cette perte, il pourrait même, peut-être, relever cette industrie, voire la vivifier, indépendamment des protections directes qu’elle réclame, qu’elle mérite, et auxquelles elle a droit.

Que s’agit-il de faire à cet effet ?

Un respectable bourgeois d’Alost a fait une expérience sur la valeur respective des fils filés à la mécanique et de ceux filés à la main. Il a prouvé que les fils filés à la main valaient 30 p.c. de plus que ceux filés à la mécanique. Il a communiqué son expérience à la commission de l’industrie linière, il lui a promis d’ailleurs, de faire une expérience analogue sur les toiles. Je voudrais, en premier lieu, qu’un homme pareil fût encouragé à continuer ses expériences, ne fût-ce que par une lettre flatteuse et par la restitution, avec reconnaissance, des dépenses que ces expériences pourraient lui avoir coûtées.

Je voudrais en second lieu que le gouvernement fît imprimer la relation de ses expériences et les communiquât à toutes les régences des localités où l’industrie linière s’exerce, avec ordre de les publier non pas une seule fois, mais tous les dimanches après le service divin, où il y a le plus de rassemblement d’habitants. De cette manière on ferait connaître au public la valeur respective de ces fils, qu’il ignore encore, car le fil filé à la mécanique se vend au même prix ou environ que le fil filé à la main. Ceux qui persisteraient à en douter y trouveraient le moyen de vérifier si l’expérience est juste ou non.

Quant aux toiles, on devait prévenir à ce qu’on ne substitue point des toiles de fils à la mécanique aux toiles de fils filés à la main. A cet effet, on devrait envoyer à toutes les communes des estampilles pour marquer les toiles qui s’y fabriquent, afin que le marchand ne puisse point se méprendre sur la qualité de la toile qu’il achète. La régence serait chargée de commettre des hommes qui, sous leur responsabilité, appliqueraient l’estampille. On pourrai les rétribuer moyennant une minime redevance à supporter par chaque tisserand qui viendrait estampiller sa toile. On devrait également envoyer des estampilles particulières aux villes et communes où il y a un marché de toiles.

De cette manière tout le monde achèterait ce qu’il veut, mais il l’achèterait suivant sa valeur respective ; nos toiles emporteraient leur empreinte en pays étranger, nul ne serait plus trompé, et nos bonnes toiles conserveraient leur antique réputation que tous les pays leur ont reconnue depuis des siècles. Ces seules mesures suffiraient peut-être à leur conserver la supériorité sur les toiles de fil à la mécanique. Notre industrie linière revivrait, et le peuple dans l’aisance supportera les impôts sans murmurer.

M. Eloy de Burdinne – Messieurs, en prenant la parole, mon intention n’est certes pas de réfuter les arguments du préopinant ni de le suivre sur le terrain où il a placé la question.

Je renoncerais volontiers à la parole, si la chambre reconnaissait que les moyens proposés par l’honorable M. Vandenbossche sont de nature à éviter de nouveaux impôts.

Dans le doute je parlerai. C’est aussi en vue de donner mes idées tendantes à éviter d’être obligé de devoir frapper de nouvelles contributions.

Les moyens que je crois devoir signaler différent un peu du système du préopinant.

Si on pouvait réaliser ce qu’il prétend être notre droit, je suis de son avis, nos impôts suffiraient, nous ne devrions pas recourir à de nouveaux moyens.

C’est avec beaucoup de plaisir que je vois la chambre disposée à s’occuper de la rectification des lois financières.

Aujourd’hui, nous allons faire (au moins je l’espère) que la loi sur les eaux-de-vie donnera au trésor un produit de trois à quatre millions, comme cette matière donnait, avant la modification que nous avons apportée à cette loi en 1833.

Je crois devoir appeler l’attention de M. le ministre des finances sur la révision des lois de l’accise sur le sel et sur le sucre.

Dans mon opinion, si la loi sur le sucre était modifiée et qu’elle rentrât dans l’intention du législateur qui a voté cette loi, il en résulterait une augmentation de recette considérable.

Cette question n’étant pas l’ordre du jour, je n’en dirai pas davantage, mais je me permettrait de demander à M. le ministre si son intention est de nous proposer des modifications à la loi des sucres et du sel, modifications qui soient de nature à produire une augmentation de recette considérable en faveur du trésor ; en un mot, pour que la loi qui frappe d’un impôt la consommation du sucre en faveur du trésor, ne soit plus un mensonge, mais bien une vérité.

Pour atteindre ce but, je demanderai de communiquer quelques idées qui me sont suggérées par le désir que j’éprouve d’éviter de recourir à de nouveaux impôts ; impôts que nous éviterons (j’aime à le croire) si nous voulons nous occuper immédiatement de la révision de la loi sur les sucres, et en y apportant les modifications que l’expérience a démontrés nécessaires, pour que l’impôt soit perçu au profit du trésor.

La consommation du sucre en Belgique peut être portée à 12,000,000 de kilogrammes brut, si pas à 15 millions.

Dont 9 millions au moins viennent de l’étranger et 3 millions proviennent du sucre de betteraves, et non 5 millions, comme on le croit.

Trente établissements donnent environ 100,000 kilogrammes, taux moyen annuellement.

En imposant le sucre brut exotique à raison de 40 francs par 100 kilogrammes, on percevra un impôt de consommation sur le sucre exotique de 2,800,000 francs.

Je ne m’opposerai pas à ce qu’on frappe d’un impôt le sucre indigène. Mais on doit faire attention que cette industrie est dans l’enfance, en outre qu’elle a beaucoup souffert dans son début, trompée qu’elle fût par la loi qui paraissait lui donner un avantage de 37 francs par 100 kilogrammes sur le sucre exotique.

Nous pourrions, sous le rapport de l’impôt à frapper le sucre indigène, consulter la loi française sur la matière, ayant égard à ce que la Belgique n’a pas de colonie à ménager.

La valeur du sel est de 4 cent., il est frappé d’un impôt de 17 centimes. (17 centimes d’impôt par kilogramme de sel est bien constaté, on peut le prouver par ce qu’il coûtait, avant l’impôt en 1815, et ce qu’on l’a payé immédiatement lorsque l’impôt fut établi.)

On estime la consommation du sel à raison 20 livres par personne : en Belgique on peut la porter à 15 kilogrammes par tête qui paient à raison de 17 centimes, de manière que l’impôt, taux moyen par tête, devrait rapporter 2 francs 50 centimes par tête d’habitants, et quatre millions d’habitants payent réellement 10,200,000 francs.

L’Etat ne perçoit que 3,788,000 francs : déficit pour le trésor, 6,412,000 francs sûrement par suite de fraude ou de vice de la loi.

Il est constant que si en France la consommation du sel est calculée à raison de 20 livres par tête ou 10 kilogrammes, on peut estimer que la consommation de cette denrée peut être fixée à raison d’un tiers en sus en Belgique, et on ne me taxera pas d’exagération quand on réfléchira que la classe pauvre mange du sel avec tous ses aliments, quand le pain est salé en Belgique, que le sel entre pour une quantité considérable dans la salaison des porcs dont on fait un grand usage, que le bœuf est salé ce qui n’a pas lieu en France, et qu’en thèse générale, on pourrait même soutenir que la consommation du sel en Belgique est double, c’est-à-dire que si un Français consomme annuellement 10 kilogrammes de sel, un Belge en consomme 20 kilogrammes. Les Français mettent plus de sel dans ce qu’ils disent que dans ce qu’ils mangent. Le Belge fait le contraire, il en met plus dans ce qu’il mange que dans ce qu’il dit.

M. Milcamps – Messieurs, ce serait une chose à la fois curieuse et utile, qu’un résumé exact de nos discussions en matière de lois d’accises et de douanes.

Permettez-moi d’user de cette liberté d’une manière succincte, en ce qui concerne le projet de loi sur les distilleries.

En 1830, les distilleries étaient régies par la loi du 28 août 1822. Elle présentait un système de législation fort productif, mais vexatoire, qui suscita les réclamations les plus vives, à ce point que je m’étonnerais qu’on voulût y revenir.

Je ne vous parlerai pas de la loi provisoire du 4 mars 1831, qui, dans l’intérêt des distilleries des campagnes y apporta quelques modifications sans faire cesser les plaintes.

En 1833, la chambre des représentants adopta un projet de loi qui introduisit un nouveau système de législation, dans le but de diminuer le droit d’accise et de débarrasser cette industrie de ses entraves. Elle fixa le droit à 18 centimes par journée de travail et par hectolitre de matière macérée.

Les conséquences de la modicité de ce droit, disait-on, sont de relever les prix de nos grains indigènes, de diminuer le prix des viandes, de favoriser nos exportations et d’imposer une barrière à la fraude.

Un projet de loi qui devait procurer de si grands avantages ne pouvait manquer de recevoir l’approbation de toutes les branches du pouvoir législatif. Aussi le sénat adopta-t-il le nouveau système. Seulement il proposa de fixer le droit d’accise à 22 centimes, au lieu de 11.

Le projet de loi examiné de nouveau par la chambre des représentants, diverses voix s’élevèrent contre cette taxe de 22 centimes. M. le ministre des finances pensa que le chiffre de 22 centimes amenait la loi à ce qu’elle devait être. La loi fut adoptée.

Une loi qui, en 1833, était ce qu’elle devait être ne semblait pas susceptible d’être changée.

Cependant, en 1837, le gouvernement, sans changer le système, proposa une augmentation de droit jusqu’à concurrence de 40 centimes par jour de travail et par hectolitre de matière macérée ; mais alors il ne s’est plus agi de la faveur due aux distilleries. On eut en vue la diminution de l’usage immodéré du genièvre et la morale publique, plus encore que l’intérêt du trésor. On s’autorisa ce chiffre effrayant des délits commis pendant l’année 1835.

Une proposition qui avait pour fondement la morale publique devait être accueillir, et la loi fut adoptée.

Aujourd’hui, sans non plus rien changer au système, le gouvernement propose une nouvelle augmentation et de porter le droit à 60 c. et ici, messieurs, il ne s’agit plus d’encouragement à l’industrie et de morale publique, on s’appuie uniquement sur l’intérêt du trésor. Seulement le gouvernement s’attache à établir que cette augmentation ne sera pas un appât à la fraude.

Qu’est-ce que tout cela démontre ? Cela démontre qu’en matière de lois d’accises et de douanes, il n’y a pas de principe ; le principe est admis, c’est uniquement sur la quotité du droit et sur la manière de le percevoir que portent les actes législatifs.

J’admets donc le principe de l’impôt, et je ne m’occuperai que de la quotité du droit.

Faut-il le porter à 60 centimes par journée de travail et par hectolitre de matière macérée ?

Le gouvernement nous le propose, et je l’ai déjà dit, il ne se fonde que sur l’intérêt du trésor, c’est-à-dire sur notre situation financière, qui exige que nous recourrions à de nouveaux impôts, à des emprunts.

Assurément ces augmentation n’est pas de nature à exercer une influence favorable sur le prix de nos grains, sr le prix des viandes, sur les exportations, et ainsi disparaissent les motifs sur lesquels on s’était tant appuyé en 1833 pour réduire la taxe de l’impôt ; en exercera-t-elle sur la moralité publique, on le dira, mais je n’en croirai rien.

Je refuserais l’impôt si je reportais mes regards sur le passé, sur ces entreprises gigantesques qui ont amené notre fâcheuse situation financière, sur ces entreprises dont quelques-unes, je le reconnais, ont été créées dans des motifs d’une véritable utilité ; mais beaucoup d’autres dans des vues où n’entraient pour rient l’intérêt général et le bonheur du pays. Mais je vois des faits presqu’accomplis, je vois des ouvrages commencés ou décrétés et pour lesquels le gouvernement a pris des engagements, et je sens que, dans de pareilles circonstances, je ne puis refuser au gouvernement les moyens d’exécution de la loi et d’accomplissement de ses obligations.

J’attendrai néanmoins la discussion avant d’émettre mon opinion sur l’adoption ou le rejet de la loi proposée.

M. Doignon – J’ai peu d’observations à présenter dans cette discussion générale.

Je crois devoir le dire en commençant : le ministère a, selon moi, commis une première faute ; puisque de tous côtés on était d’avis qu’il convenait de majorer le droit sur les distilleries, et que pour cet impôt le mois de janvier est notoirement le plus productif, le gouvernement aurait dû avant notre séparation, en décembre dernier, provoquer le vote de la loi actuelle, qui était urgente. Nous n’aurions pas ainsi perdu une bonne partie de cet impôt, tandis que nous en avons tant besoin.

Mais nous soutenons que ce n’est que provisoirement, et en attendant la révision de la législation actuelle et de la législation précédente, que nous devons voter cette loi, et nous demandons qu’il soit procédé sans retard à cette révision.

Ici, le gouvernement commet une seconde faute en voulant au contraire maintenir le système de 1822.

Il est superflu de vous entretenir des effets désastreux de la loi actuelle, par rapport à la morale publique. Les opinions sont fixées sur ce point. Depuis longtemps, de toutes parts, on a regretté le régime antérieur.

Récemment encore, vos sections ont émis leurs vœux à cet égard. Il est de même généralement reconnu que la loi relative aux débitants de boissons ne remplit pas le but désiré.

En 1837, vous avez nommé une commission, à l’effet de rechercher les modifications à apporter à la loi de 1833. Elle a rempli sa mission avec beaucoup de soin ; elle a approfondi la question et elle a même procédé à une enquête. Tout en adoptant des modifications et tout bien considéré, elle-même a pensé qu’il convenait de changer le système actuel.

(Ici l’orateur donne lecture d’un extrait du rapport de cette commission.)

« Dans ses notes, en réponse à l’observation de la section centrale, M. le ministre a dit, que vouloir le régime de 1822, c’était vouloir le retour de toutes les plaintes qui se sont élevées contre ce système. Mais personne ne veut le régime de 1822, purement et simplement. Nous ne le voulons qu’avec des modifications qui le rendent supportable autant que possible. Voilà comment on veut ce système. L’art ayant fait des progrès, il y a aujourd’hui nécessité de faire plusieurs modifications, de changer notamment les moyens de contrôle et de surveillance.

M. le ministre dit dans sa note que le plus grand obstacle à la fraude est dans l’élévation des amendes, jointe à l’impossibilité de les réduire par voie de transaction. Mais à l’égard de ce nouveau système modifié, rien n’empêcherait d’opposer à la fraude le même obstacle.

Du reste, on peut augmenter le rendement du genièvre ; ce qui augmenterait les droits en proportion.

Je pense donc que la chambre doit se décider à procéder, dans le moindre délai possible à la révision de la législation. Je vois avec plaisir que la section centrale, dans son rapport distribué aujourd’hui, partage cette manière de voir. Elle exprime le vœu que le gouvernement s’occupera sérieusement de la révision de la loi actuelle, ainsi que de la législation précédente sur les distilleries, afin de pouvoir soumettre aux chambres, le plus tôt que faire se peut, un système qui soit de nature à produire un accroissement d’impôt plus considérable que celui qui est proposé. »

Mais je ne sais s’il convient de se borner à ce vœu ainsi exprimé par la section centrale dans son rapport. Dans la circonstance que le gouvernement veut maintenir le régime de 1833, je crois que la chambre devrait prendre l’initiative ; ou il faut que quelqu’un de nous veuille bien s’en donner la peine. Je crains que ce vœu ne soit stérile comme tant d’autres, si la chambre elle-même ne prend aucune mesure. On pourrait au surplus amender l’article 1er dans le sens de la révision, et le commencer ainsi : « En attendant la révision de la loi actuelle et de la législation précédente sur les distilleries, et sans rien préjuger à cet égard, etc. »

Il me reste à faire observer que l’article 1er n’indique pas l’époque à partir de laquelle le droit sera perçu. On avait indiqué le 1er janvier ; il faudra fixer une autre époque ; peut-être pourrait-on indiquer le 15 févier. Le 1er février me paraît un peu tôt.

J’ai des observations à faire sur l’article 5 relatif aux taxes municipales. Je les présenterai quand nous serons arrivés à la discussion de cet article.

M. le ministre des finances (M. Mercier) – Il y aurait lieu de s’étonner, si l’honorable préopinant prenait une fois la parole sans adresser des reproches, sans imputer des fautes au gouvernement. Jamais cela n’est arrivé, et il est à croire qu’il persévérera dans son système ; il aura toujours des reproches à faire à tous les ministères, quels qu’ils soient. Mais les reproches qu’il nous adresse aujourd’hui, ont-ils le moindre fondement ? est-il fondé à s’en prendre au gouvernement, si une loi, présentée en novembre, n’a pas été discutée avant le 1er janvier ? A-t-il dépendu de nous « de faire voter cette loi à la chambre », pour me servir de l’expression de l’honorable membre ? Est-ce là une faute que l’on puisse attribuer au gouvernement ? Quant à moi, je pense qu’il n’y a de reproche à faire à personne. C’est le temps qui a manqué. Mais au moins, le gouvernement n’a mérité, sous ce rapport, aucun reproche. La preuve que son intention était que la loi fût votée avant le 1er janvier ; c’est qu’il avait indiqué cette époque dans le projet de loi comme devant être celle de sa mise à exécution.

La seconde faute commise par le gouvernement, selon l’honorable membre, c’est de maintenir la législation actuelle. C’est après mûre réflexion, après avoir examiné les dispositions de la loi de 1822, après nous être assuré de l’état de l’industrie de la distillation en Belgique, que nous avons pensé qu’il était préférable de ne pas abandonner le système de la loi de 1837. En effet, il existe des distilleries de toute nature. Depuis 1822, cette industrie a fait d’immenses progrès ; nous avons des appareils de distillation continue, des distilleries à vapeur, mais non continues, des distilleries ordinaires, des distilleries au bain-marie. Il est impossible de soumettre toutes ces usines à un régime uniforme, et il en est beaucoup auxquelles la loi de 1822 ne pourrait pas s’appliquer.

L’honorable membre ajoute qu’il y aurait certaines modifications à apporter aux dispositions de la loi de 1822 ; il sait, dit-il, ce qu’elles ont de vexatoire et d’odieux. Je lui répondrai que ce sont ces mesures odieuses et vexatoires qui doivent garantir le paiement de l’impôt. Il est impossible de faire une loi qui assure complètement la rentrée de l’impôt, sans que des mesures vexatoires y soient introduites. Ou bien il faudrait qu’il y eût, comme en Angleterre, des employés en permanence dans chaque distillerie. Alors toutes les opérations seraient surveillées, et la rentrée de l’impôt serait assurée. Mais à quel prix ? Que de frais entraînerait un tel système ! En Angleterre, c’est chose facile ; il n’y a que onze distilleries qui produisent 63 millions. Il n’est pas trop coûteux ni difficile, pour surveiller onze distilleries, d’établir un personnel qui demeure à poste fixe à peu près dans chaque usine. Mais il n’en est pas de même en Belgique, où près de 800 distilleries disséminées dans tout le pays sont en activité.

Quant au vœu que l’honorable préopinant voudrait faire exprimer par la chambre, je dirai que chaque membre de cette chambre peut user du droit d’initiative, et que si un système meilleur que celui qui régit la matière était présentée, le gouvernement s’y rallierait très volontiers. Mais quand le gouvernement ne présente pas un nouveau système, c’est qu’il a jugé qu’il est préférable de s’en tenir à celui qui est actuellement en vigueur.

Je me bornerai à ces observations quant à présent, et j’attendrai la discussion.

M. Eloy de Burdinne – Je demanderai à M. le ministre des finances ce qu’il se propose de faire relativement aux impôts sur le sucre et le sel. S’il trouve bon de ne rien faire, je me joindrai à quelques honorables membres pour soumettre à la chambre une proposition.

M. le ministre des finances (M. Mercier) – L’honorable M. Eloy de Burdinne s’exprime ici comme si le gouvernement ne s’était pas déjà prononcé sur la question des sucres, comme si nous n’avions pas annoncé que nous nous occupions de cet objet. Il est vrai, toutefois, que je ne suis pas encore fixé sur toutes les bases du système à arrêter définitivement.

C’est à tort donc que l’honorable membre nous reproche de ne rien faire en ce qui concerne la législation des sucres. Je ne décline nullement la probabilité qu’une loi sur cet objet sera présentée à un époque assez rapprochée.

M. Doignon – Messieurs, M. le ministre des finances m’a répondu avec un peu d’humeur, mais je ne l’imiterai pas.

J’ai dit au ministère qu’il aurait pu faire voter la loi en discussion pour la fin du mois de décembre. Sans doute, si la majoration demandée était contestable, si elle avait été contestée, peut-être aurait-on pu dire que le temps avait manqué. Mais toutes les sections on été d’accord sur cette majoration.

Messieurs, il y avait évidemment urgence de voter cette loi. En effet, il est de notoriété publique que c’est dans les mois de janvier et de févier que les distilleries sont le plus en activité ; de sorte que ce sont ces deux mois qui doivent produire le plus. Eh bien ! on les laisse ainsi passer, tandis qu’il s’agissait d’une loi qui, certes, aurait été votée à temps par la chambre, si le ministère lui-même eût réclamé l’urgence.

Je dois donc maintenir ce que j’ai dit.

M. le ministre des finances (M. Mercier) – Messieurs, ce qui arrive aujourd’hui prouve à toute évidence que la question n’était pas aussi simple que le prétend l’honorable M. Doignon. A peine la discussion est engagée sur le projet relatif au distilleries qu’on réclame une discussion générale, et je crois que jusqu’à présent on a largement usé de la faculté qui a été laissé d’établir cette discussion générale. A l’occasion de cette loi on en passe d’autres en revue ; et je ne vois pas que la discussion doivent être sitôt terminée. Bien que l’honorable préopinant prétende que nous sommes tous d’accord, des systèmes différents se produisent ; lui-même en voudrait un autre ; il propose à la chambre d’émettre un vœu en faveur d’une autre législation. Tout cela ne donne-t-il pas lieu à discussion ? Plus tard on viendra sans doute faire encore d’autres propositions.

La question n’était donc pas aussi simple qu’il l’a prétendu ; et, en tout cas, je déclare qu’il n’a aucunement dépendu du gouvernement qu’elle ne fût décidée plus tôt.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Lebeau) – Messieurs, nous n’entrons jamais dans cette chambre sans former la résolution de n’opposer à des attaques (Erratum inséré au Moniteur du 31 janvier 1841:) vives, à des attaques même injustes, que la plus grande modération. Mais il est des reproches tellement absurdes, d’une si révoltante injustice, qu’il est impossible de rester, en les écoutant, dans les bornes de cette parfaite modération dont nous voudrions ne jamais sortir.

De ce nombre est assurément le reproche qui vient d’être adressé à mon collègue par M. Doignon. En quels termes ce reproche est-il formulé ? « Le ministère a tort de n’avoir pas fait voter la chambre sur le projet des distilleries avant le 1er janvier. » Mais de quel droit et par quel moyen le ministère ferait-il donc voter la chambre sur telle ou telle question ? A-t-il des ordres à intimer à la chambre ? Est-ce que le ministère, lorsque la chambre se décide, au lieu de discuter les lois, à prendre des vacances, vacances pour lesquelles, je crois, l’honorable M. Doignon a voté, est maître de lui dire : « Vous n’irez pas en vacances, je vous tiens en charte privée… » A-t-il le droit, comme le président des communes en Angleterre, d’envoyer l’huissier, à la verge noire, appréhender les membres au collet jusqu’à ce que la chambre ait voté telle ou telle loi ?

Voilà à quelles absurdités on arrive lorsqu’on se laisse dominer par une manie de dénigrement systématique contre tous les ministères. Qu’arrivera-t-il de là, messieurs ? C’est que ces accusations par leur fréquence, par le vide de sens qui les caractérise et par leur banalité même, deviennent indignes d’une réfutation, et que nous pourrions en vérité nous abstenir d’y répondre à l’avenir.

M. le président – La parole est à M. Dumortier.

M. Dumortier – J’aurai d’assez nombreuses observations à faire. (A demain ! à demain !)

M. le président – Je préviens la chambre que M. de Nef a fait parvenir au bureau l’amendement suivant à l’article 1er :

« Une déduction de 10 p.c. est accordée sur les droits pour tous les vaisseaux, d’une capacité au-dessous de 20 hectolitres. »

- La séance est levée à 4 heures et demie.