(Moniteur n°343 du 8 novembre 1840)
(Présidence de M. Fallon)
M. de Renesse fait l’appel nominal à 2 heures.
M. de Villegas lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. de Renesse présente ensuite l’analyse des pièces adressées à la chambre.
« Des brasseurs de la ville de Bruxelles adressent des observations sur le projet d’augmentation d’accise sur la bière. »
- Renvoi à la section centrale pour le budget des voies et moyens et insertion au Moniteur.
« Les marchands de bois, constructeurs de navires, armateurs, etc., demandent que le bois de chêne, propre à la construction civile et navale, venant du Rhin, soit assimilé, quant aux droits, aux bois venant de la Norwège, etc., et que le droit actuel de 6 francs soit réduit à 60 centimes. »
- Renvoi à la section centrale du budget des voies et moyens, et insertion au Moniteur.
« Des négociants de la ville de Neufchâteau demandent qu’il soit pris des mesures pour empêcher les ventes de marchandises neuves par les colporteurs, les marchands ambulants, etc. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur St. Lortz demande la discussion de la loi sur l’enseignement primaire. »
- Même décision.
« Les brasseurs des communes composant le canton de Contich, adressent des observations contre le projet d’augmentation d’accise sur la bière. »
- Renvoi à la section centrale du budget des voies et moyens et insertion au Moniteur.
« Des débitants de boissons distillées de la commune d’Assche, adressent des observations contre la loi relative à l’abonnement sur les distilleries. »
- Même décision.
« Des distillateurs de la ville de Hasselt adressent des observations sur les modifications proposées au budget des voies et moyens, relativement à l’accise sur les eau-de-vie indigènes. »
- Même décision.
« Des brasseurs de Hasselt adressent des observations sur les modifications proposées au budget des voies et moyens, relativement à l’accise sur la bière. »
- Même décision.
« Les habitants des communes de Damme, Lapschure et Oostkerke (Flandre occidentale) demandent la construction du canal de Zelzaete. »
- Renvoi à la section centrale chargée de l’examen de la proposition de M. Lejeune.
« Des propriétaires du polder de Borgerweert demandent la discussion de la loi sur les indemnités. »
- Renvoi à la commission spéciale chargée de l’examen de cette loi.
« Le sieur Bauhoumer, lieutenant au régiment d’élite, mis en non-activité pour motif de santé, réclame l’intervention de la chambre pour qu’il soit remis en activité de service. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Dominique Duez, pour son neveu François Quintart, incorporé dans la milice quoiqu’il fût soutien d’orphelins par suite de l’aliénation de son père, demande le renvoi de ce milicien dans ses foyers. »
- Même décision.
« Le sieur Louis-Chrétien Fleuriau, directeur adjoint de l’hôpital militaire de Tournay, habitant la Belgique depuis 1830, demande la naturalisation. »
- Renvoi à M. le ministre de la justice.
« Le sieur Jean-Baptiste-Auguste Fourny, armateur de pêche à Bruges, né à Boulogne-sur-Mer (France), demande la naturalisation. »
- Même décision.
- Sur la demande de M. Zoude, la commission des pétitions est invitée à faire un prompt rapport sur la pétition des négociants de Neufchâteau.
M. Zoude – J’ai l’honneur de déposer sur le bureau un projet de loi sur les pensions civiles. Je ne puis pas encore déposer le rapport, parce que c’est seulement dans la journée de samedi que le projet de loi a été définitivement arrêté, le rapport sera incessamment terminé, et je demanderai la permission de le faire imprimer.
La chambre autorise M. Zoude à faire imprimer son rapport lorsqu’il sera achevé.
M. Zoude – Dans la séance du 18 novembre dernier, j’ai eu l’honneur de vous faire un rapport sur une pétition d’un M. Rémy, entrepreneur d’une route ; la députation du conseil provincial du Hainaut a adressé à cet égard une réclamation à M. le président de la chambre ; elle dit qu’elle ne connaît ni le pétitionnaire ni l’objet dont il s’agit. Il résulte des recherches qui ont été faites à cet égard, que la députation permanente a raison et que le pétitionnaire n’a pas tort : celui qui a fait la pétition a écrit Hainaut pour Namur, c’est ce qui a donné lieu à la réclamation de la députation provinciale du Hainaut. Il résulte de là, messieurs, que la chambre n’a pas à revenir sur la décision qu’elle a prise relativement à la pétition dont il s’agit ; il n’y a qu’à rectifier l’erreur que j’ai signalée.
- La chambre donne acte à M. Zoude de sa communication et décide que l’erreur qu’il a signalée sera rectifiée.
M. de Muelenaere – Il existe, messieurs, dans la Flandre occidentale sur le canal de Bruges à Ostende, un pont domanial, construit par le syndicat d’amortissement en 1824 et sur lequel on perçoit un droit de péage ; cette taxe est tellement exorbitante que pour une voiture à ressorts et à deux chevaux elle s’élève à 2 francs. Vous comprendrez, messieurs, qu’une semblable taxe est nuisible tout à la fois à l’industrie, au commerce et à l’agriculture ; cette taxe nuit essentiellement au chemin de fer, dont ce pont constitue un des affluents. Pour mettre un terme à cette perception, qui est devenue réellement odieuse, la province a proposé au gouvernement de racheter le pont dont il s’agit, et elle a fait cette proposition uniquement dans le but de supprimer la taxe. Cette proposition a été agréée par M. le ministre des travaux publics et M. le ministre des finances paraît également y avoir donné son adhésion ; mais à cet effet il faut nécessairement un projet de loi, et il serait d’autant plus désirable que la perception de la taxe dont il s’agit pût cesser à dater du 1er janvier prochain, que pour la même époque la province a racheté encore d’autres ponts, appartenant à des particuliers, uniquement aussi dans le but d’abolir la taxe que l’on perçoit sur ces ponts.
La proposition faite par la province est de nature à ne rencontrer, je pense, aucune espèce d’objection dans cette enceinte, puisque le gouvernement serait rendu entièrement indemne et remboursé, non seulement de tout ce que la construction du pont a coûté mais en outre de tous les frais qui ont été faits pour l’entretien du pont depuis qu’il a été construit. Il serait donc très désirable que le projet de loi nécessaire pour admettre la proposition de la province pût être présenté, discuté et voté avant la fin de cette année.
Je demanderai donc à M. le ministre des finances qu’il veuille bien dire s’il ne serait pas possible de saisir immédiatement ou dans un très bref délai la chambre du projet de loi dont je viens de parler.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – Je ne puis donner l’assurance qu’un projet de loi sur l’objet dont vient de nous entretenir l’honorable préopinant, sera présenté et discuté assez tôt pour pouvoir être mis à exécuter au 1er janvier prochain ; toutefois, je tiendrai note particulière des observations qui viennent d’être faites par l’honorable M. de Muelenaere, pour provoquer une prompte décision à cet égard.
M. de Brouckere – Messieurs, les termes dans lesquels sont conçus les amendements que M. le ministre de l'intérieur a présentés à la loi sur les indemnités et les développements dans lesquels il est entré à cette occasion, ont donné à une classe d’intéressés des craintes qu’il est urgent de lever si elles ne sont pas fondées, parce que ces personnes se disposent à faire des démarches, à faire des frais qui seraient inutiles, si, comme je le pense, les craintes dont il s’agit n’étaient pas fondées. Il s’agit des propriétaires des marchandises qui étaient déposées à l’entrepôt d’Anvers au moment où cet entrepôt à été incendié ; ces propriétaires ont remarqué qu’il n’est point question d’eux dans les développements de M. le ministre de l'intérieur, et ils en ont tiré la conséquence (à tort, selon moi, je le répète) que l’indemnité qu’ils réclament ne serait point comprise dans la somme réclamée par M. le ministre des finances et dont le maximum est de 7 millions. Je prierai M. le ministre de vouloir donner quelques explications à cet égard.
M. le ministre de l’intérieur (M. Liedts) – Les marchandises qui ont été la proie des flammes lors du bombardement de la ville d’Anvers, qu’elles se trouvassent dans des entrepôts particuliers ou dans l’entrepôt public, sont comprises aussi bien dans le projet de loi primitif que dans le projet modifié par la section centrale et dans les amendements que j’ai eu l’honneur de soumettre à la chambre ; elles y sont comprises par cela même qu’elles n’en sont pas exclues. Les personnes dont l’honorable préopinant a parlé sont donc arrivées à une conclusion tout autre que celle à laquelle elles auraient dû arriver ; elles auraient dû se dire : « Par cela même qu’il n’y a pas exclusion pour les marchandises consumées dans le bombardement d’Anvers, ces marchandises sont comprises dans les pertes que le projet de loi a pour but de réparer. »
M. de Langhe – Messieurs, déterminé à voter contre presque tous les budgets, à moins que la discussion n’y apporte des modifications considérables, des modifications inespérées, je crois devoir vous faire connaître les motifs d’une résolution que je n’ai pu prendre qu’en acquit d’un devoir impérieux.
De grandes augmentations d’impôt vous sont demandées ; comme je ne veux pas flatter le peuple pas plus que le pouvoir, je dirai qu’à mon avis des augmentations ou de nouveaux impôts sont nécessaires ; je ne pense pas que nous puissions établir un véritable équilibre financier au moyen de diminutions de dépenses, mais du moins en proposant les augmentations indispensables aurait-on dû les accompagner de toutes les réductions possibles ; or, je vous le demande, est-ce là ce qu’on a fait ? En examinant les divers budgets de dépenses, et en les comparant aux budgets des années antérieures, je vois partout majorations sur majorations, je vois que les augmentations qui ont été accordées les années précédentes sont maintenues, même celles accordées à titre extraordinaire. Enfin, je vois que sous ce rapport notre ministère est un véritable ministère de progrès, et de progrès rapides. Parmi nos ministres je ne trouve qu’une exception, et je m’empresse d’en remercier l’honorable général qui est à la tête du département de la guerre. Lui seul est entré franchement dans la voie des économies, mais je crois que de fortes réductions sont encore possible dans son ministère. Non que je veuille réduire son armée à rien, laisser nos places fortes sans défense comme on a semblé le croire. L’indépendance de mon pays m’est aussi chère qu’à aucun de ceux qui font à ce sujet les phrases les plus pompeuses.
Je n’ai pas fait je n’ai pas désiré la révolution. Mais je m’y suis rallié de grand cœur surtout parce que j’y ai vu un moyen de parvenir à notre indépendance nationale pour conserver un bien aussi précieux, je ne reculerais certes pas devant de grands sacrifices, mais je veux que ces sacrifices soient nécessaires. Je veux qu’ils soient en concordance avec nos ressources.
J’ai dit que notre ministère, loin d’avoir une tendance vers l’économie, semblait au contraire très progressif en matière de dépenses. Il en est beaucoup qu’il me serait difficile de combattre en elles-mêmes parce que je n’ai pas sous la main les éléments nécessaires pour bien les apprécier. Mais ce que je puis dire, c’est qu’il y a huit ans, notre machine administrative ne fonctionnait pas trop mal et qu’elle fonctionnait à beaucoup meilleur marché. Et puis, on nous dit bien : « Proposez des économies, nous ne demandons pas mieux que d’en faire si elles sont possibles, » mais si l’on propose des économies majeures, on répond : la chose est grave, il faut y penser, nous verrons l’année prochaine. L’année prochaine on dira qu’on n’y a pas encore assez pensé, et ainsi on y pensera toujours. Si l’on propose de petites économies qui, réunies en faisceau, en forment de grandes, on répond : vous épluchez, vous marchandez, ce sont des petitesses indignes de la majesté de la chambre ; vous conviendrez, messieurs, qu’en se plaçant sur ce terrain la défense devient facile ; mais ces reproches me touchent peu, je ne me laisse pas ainsi entraîné sur un terrain qui n’est pas le véritable. Tant que je siégerai dans cette enceinte, je marchanderai toutes les fois qu’il me semblera utile de le faire, et si, lorsque mon mandat sera expiré, je me présente de nouveau devant mes électeurs et qu’ils trouvent que j’ai trop marchandé, eh bien ils me remplaceront par quelqu’un qui marchande moins, qui puisera dans leurs poches sans trop faire attention à ce qu’il y prend. Mais, je le répète, tant que je serai ici, aucune considération ne me détournera de l’accomplissement de ce que je regarde comme un de mes premiers devoirs.
On a comparé notre dette et nos impôts à ceux de quelques pays voisins, et on a trouvé qu’un Belge payerait moins qu’un Anglais, qu’un Hollandais et même qu’un Français. Si l’on avait eu d’autres citations à y ajouter, on n’aurait pas manqué de le faire. On dira qu’on n’a pas pu citer les pays qui sont gouvernés par un pouvoir absolu, parce là le produit des impôts n’est pas rendu public ; mais il est notoire que dans presque tous ces pays l’habitant paie moins que dans celui-ci. Et puis est-il absolument nécessaire que nous soyons la nation qui paie la dette la plus forte, qui soit le plus chargée d’impôts ? Je ne pense pas que ce soit pour parvenir à un pareil résultat que la révolution a été faite ou acceptée.
On a dit aussi que la chambre avait souvent entraîné le ministère dans la voie des dépenses ; et ici il faut rendre justice à tout le monde. Toutes les fois que la chambre a poussé le ministère dans la voie des dépenses, le ministère s’est laissé très facilement pousser. Il n’a fait aucune résistance, et il s’est mis à marcher à qui mieux mieux dans la voie où on le faisait entrer, de sorte qu’il serait difficile de savoir à qui donner la palme.
Après ces considérations générales, j’entre dans la discussion du budget qui nous occupe, ce budget ne peut guère se refuser, puisque presque toutes les allocations qui y sont proposée, résultent de lois ou d’engagements contractés.
Aussi je ne ferai qu’une seule observation : Nous avons eu à contracter des emprunts onéreux, parce que nous nous trouvions dans des circonstances désavantageuses. Il fallait par conséquent n’emprunter que ce qui était absolument nécessaire pour nos besoins les plus urgents. Quand l’horizon politique devient sombre, un homme sage remet à des temps meilleurs toutes les dépenses qui peuvent souffrir quelque retard. Ainsi devraient faire les ministres qui sont préposés à l’administration d’un Etat. Est-ce là ce qu’on a fait ici ? Le Moniteur me répond que non. Au moment où les inquiétudes étaient les plus vives, au moment où les fonds publics étaient au plus bas, nous avons vu les colonnes du Moniteur chargées d’annonces d’adjudications de toute espèce, même de doubles voies du railway, dépense dont, selon moi, on pourrait en grande partie se passer, mais qui, aux yeux même de ceux qui la croient utile, ne peut être considérée comme urgente, puisque pendant bien des années on n’en avait pas senti la nécessité.
Cette observation ne m’empêchera pas de donner mon assentiment au budget qui fait l’objet de nos délibérations. Le ministère a agi dans la plénitude des droits que nous lui avons donnés mais j’aurais voulu qu’il eût agi moins légèrement.
J’ai dit.
M. Delfosse – Messieurs, au moment où l’on va discuter les budgets, j’éprouve le besoin de faire connaître la ligne de conduite que je me propose de suivre dans cette discussion à laquelle je prends part pour la première fois.
Dans la session dernière, lorsque le ministère s’est formé, j’ai dit que bien qu’il n’eût pas toutes mes sympathies, il aurait mon appui à certaines conditions et dans certaines limites.
Il n’avait pas toutes mes sympathies, parce que pour les avoir, il eût fallu qu’il inscrivît sur son programme, en lettres bien lisibles, « réforme électorale » ; non pas cette réforme électorale qui pourrait conduire à l’anarchie, mais celle qui a été demandée par la plupart des villes du royaume, et qui étant un acte de justice consoliderait l’ordre.
Je lui devait mon appui, parce qu’il prenait la place d’une ministère que je considérais comme mauvais et dont je craignais le retour.
Je lui devais mon appui, parce qu’il montrait de bonnes intentions et parce que son programme, quoique incomplet, me paraissait satisfaisant. Mais je ne le lui devais qu’à la condition que ce programme serait exécuté.
Voyons s’il l’a été :
Une des promesses de ce programme, la meilleure peut-être, c’était l’impartialité. On voulait, disait-on, se tenir neutre entre les partis, entre les catholiques et les libéraux, ne voir en eux que des Belges, ayant tous droit à une égale protection.
La promesse était belle. Mais pour la tenir, il fallait, outre de bonnes intentions, une grande fermeté.
Les bonnes intentions n’ont pas manqué. On a voulu être impartial. Je dirai même qu’on l’a été. Mais on n’a pas su forcer tout le monde à l’être ; on a toléré des fonctionnaires qui ne l’étaient pas.
J’ai vu de hauts fonctionnaires agir comme si rien n’était changé, comme si M. de Theux était encore ministre. Je les ai vus dans les élections prendre ouvertement parti, et user de leur influence pour des hommes que, certes, le ministère actuel n’avait pas recommandés.
L’impartialité est un vain mot lorsque les dépositaires du pouvoir la gardent pour eux, et ne savent pas la communiquer à ceux qui sont sous leurs ordres.
Je n’ai rien à dire des autres parties du programme, si ce n’est qu’on en est encore à en attendre l’exécution. En général, le ministère a posé peu d’actes. Parmi ceux qu’il a posés, il en est qui ont excité une approbation générale ; il en est aussi auxquels je ne puis, pour ma part, donner mon assentiment.
Je ne puis donner mon assentiment ni à la circulaire relative aux processions, ni à la deuxième allocation de 100,00 francs portée au budget pour le petit séminaire de Saint-Trond, ni à la fin de non-recevoir opposée à la décision du conseil provincial de Liége, en ce qui concerne la publicité des séances de la députation permanente, publicité qui, étant restreinte aux affaires déjà discutées en séance publique par les conseils communaux, n’avait rien de bien effrayant.
Toutefois, je veux être juste, je veux tenir compte au ministère des difficultés de la situation et des obstacles dont il était entouré. Il n’y a pas un an encore qu’il est formé, et à peine était-il né qu’une crise inattendue venait lui causer de sérieuses inquiétudes.
Je lui sais gré de ne pas en avoir été trop effrayé, je sais gré surtout à l’honorable ministre de la guerre de ne pas avoir trouvé dans les craintes de guerre qui, il y a peu de temps encore, étaient générales, un prétexte pour mettre sur pied une armée et pour dépenser des millions, c’est ce que d’autres peut-être auraient fait à sa place. Je le remercie hautement de sa prudente inaction.
En entrant aux affaires, les ministres ont trouvé les principales positions occupées par des hommes dévoués au précédent ministère. Je dois rendre cette justice à M. de Theux qu’il savait choisir ses agents. Pour lui, le mérite était une chose secondaire, la communauté de vies et d’opinions était tout, et pour atteindre son but, il n’a jamais reculé devant une destitution. Nos ministres actuels n’ont pas voulu s’autoriser cet exemple. Je ne sais s’ils ont bien fait, car je pense un peu, sous ce rapport, comme M. de Theux, sans pousser aussi loin que lui les conséquences de son système. Je pense qu’il y a des positions politiques, heureusement fort rares, qu’un ministère ne doit pas laisser à ceux qui sont en dissentiment avec lui sur des questions vitales.
Je ne sais donc pas si nos ministres ont agi sagement, en ne faisant aucune mutation dans le haut personnel administratif. Je crains bien qu’il ne se soit créé par là beaucoup d’embarras sérieux. Ils auront souvent à s’adresser pour l’exécution d’un programme sur lequel on lit : « Impartialité à des hommes dont l’intolérance est connue, qui s’en font honneur et qui disent hautement qu’ils ne veulent ni « union », ni « conciliation. » »
Toutefois, je l’ai dit, je veux être juste, et je veux donner au ministère le temps de se reconnaître et de connaître ses agents, j’ai encore foi dans ses intentions. J’espère qu’il a la volonté et qu’il aura la force de faire exécuter son programme, et de se montrer sévère envers ceux de ses subordonnés qui ne s’y conformeraient pas sincèrement.
C’est parce que j’ai cet espoir que je lui passerai quelques fautes, du moins ce que je considère comme tel, et que je continuerai à l’appuyer ; mais cet appui ne peut être illimité.
Mes principes, en matière de budget, sont bien simples.
S’il s’agit d’impôts, je veux qu’on frappe le riche, qu’on ménage le pauvre.
Je me prononcerai donc contre tout nouvel impôt qui porterait sur des objets de première nécessité. Je demanderai qu’on s’adresse au faste et à la vanité. Je demanderai qu’on augmente l’impôt sur les chevaux de luxe, et qu’on en établisse un, s’il le faut, sur les équipages et les livrées.
En matières de dépenses, je suis partisan d’une sage économie.
Je me rallierai donc à toutes les économies qui seront proposées et qui ne me paraîtront pas de nature à compromettre les intérêts du pays.
J’espère que mes votes sur les divers budgets n’auront pas pour effet d’affaiblir le ministère ; s’ils avaient ce résultat, je serais peiné, mais je me consolerais par l’idée que j’ai rempli mon devoir.
Notre devoir à tous est de défendre la course du contribuable contre tout ministère, quel qu’il soit ; ce devoir, je le remplirai.
En le remplissant, je crois en remplir un autre, je croirai travailler à la consolidation de notre indépendance.
Si on veut la consolider, qu’on pose une digue forte à cette tendance malheureusement trop générale, de créer chaque jour des dépenses nouvelles.
Si on veut la consolider, qu’on s’arrête enfin dans cette voie au bout de laquelle il y a un abîme où elle irait infailliblement s’engloutir.
Beaucoup d’hommes honorables trouvent la garantie de notre indépendance dans le chiffre de notre armée. Moi, je la trouve dans la sagesse du gouvernement, dans la modération des impôts. Sans cette sagesse, sans cette modération, notre indépendance, pour me servir de l’expression d’un publiciste distingué, membre de cette chambre, sera comme une feuille morte, balayée par le premier vent.
M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) monte à la tribune et donne lecture d’un projet de loi qui tend à opérer au budget de son département un transfert de la somme de 134,622 francs 36 centimes.
M. le président – Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ce projet de loi qui sera imprimé et distribué, ainsi que l’exposé des motifs qui l’accompagne.
La chambre désire-t-elle renvoyer le projet à une commission ou aux sections ?
M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – Messieurs, je crois qu’il serait désirable que le projet fût renvoyé à la section centrale chargée de l’examen du budget des travaux publics. La chambre remarquera que ce projet se lie d’une manière intime au projet de budget lui-même.
Lorsque le budget de 1840 fut présenté par mon honorable prédécesseur, l’on demanda pour cet exercice un crédit de 3,090,000 francs, destiné à tous les frais d’administration et d’exploitation du chemin de fer.
Ce crédit de 3,090,000 francs était le même que celui qui avait été demandé pour 1838 et pour 1839. Cependant, messieurs, en 1840, exercice pour lequel on ne demandait pas d’augmentation de crédit, il y avait à exploiter une étendue beaucoup plus considérable de chemin de fer ; en effet, on avait exploité 326 kilomètres ; de là, messieurs, la prévision d’un déficit dans ce crédit, déficit que dans le courant de 1839, on présumait pouvoir s’élever à 641,000 francs.
Au mois de juillet dernier, lorsque je préparai les éléments du budget de 1841, je partais aussi de cette hypothèse qu’il y aurait déficit et je prévoyais la nécessité de demander un crédit supplémentaire, non de 641,000, mais de 375,000 francs ; ce n’est que lorsque nous avons pu vérifier les dépenses faites depuis le mois de juillet jusqu’à la fin de novembre, que nous avons eu la satisfaction de reconnaître que le crédit supplémentaire à demander ne serait ni de 641,000 ni de 375,000 francs, mais qu’il se réduirait à zéro. Je laisse, messieurs, à la chambre à apprécier cette réduction dans une dépense que nous regardions tous comme certaine.
Il est résulté aussi de cette vérification des dépenses faites depuis le mois de juillet, qu’il y aura une réduction considérable à opérer sur le crédit demandé au budget de 1841.
Portant toujours de cette hypothèse que le crédit de 3,090,000 fr. serait de beaucoup insuffisant pour 1840 comme pour 1841, alors surtout qu’il y avait de nouvelles sections à ouvrir, j’ai dû porter au budget de 1841 une allocation que je puis aujourd’hui avec toute sécurité réduire dans une proportion très considérable. Cette réduction pourra aller jusqu’à 600,000 francs.
Je tenais, messieurs, à faire à la chambre cette déclaration, qui se trouve d’ailleurs parfaitement confirmée par les développements du budget, qui doivent avoir été distribués aujourd’hui même à MM. les membres de la chambre.
- Le projet de loi présenté par M. le ministre est renvoyé à la section centrale chargée de l’examen du budget des travaux publics pour 1841.
M. de Foere – Je me proposais de présenter quelques observations sur le budget de la dette publique ; mais l’honorable député de Liége vient de prononcer un discours qui m’engage à en examiner préalablement quelques parties.
Je ne me constitue, messieurs, ni l’ami, ni l’ennemi du ministère ; je me suis toujours conduit à l’égard de toutes les administrations avec une parfaite indépendance ; jamais je ne suis entré dans des partis parlementaires.
Je ne tiens pas même compte des programmes des ministère et de leurs promesses ; je les attends à l’exécution. J’apprécie leurs actes, je les rattache à leurs programmes, et s’ils y sont conformes, si un ministère est conséquent avec lui-même, s’il marche dans une voie que je crois être celle des vrais intérêts du pays, ce ministère, quels que soient d’ailleurs les membres dont il se compose, obtient mon assentiment et mon appui.
L’honorable préopinant auquel je réponds ne donne pas au ministère toute sa sympathie, et pourquoi ? Un arrêté règle la discipline militaire à l’égard des processions publiques ; de plus, un subside est proposé pour le petit séminaire de Saint-Trond.
Messieurs, si l’honorable préopinant était entré dans le fond de ces deux griefs, si les reproches qu’il a articulés n’étaient pas vaguement adressés, nous aurions pu entrer en discussion pour justifier devant ses yeux, comme aux yeux de la chambre, les deux mesures prises par le ministère. Il faut espérer que lorsque le moment de la discussion sera venu, l’honorable membre présentera ses objections d’une manière claire et positive. Nous espérons d’être aussi en mesure de lui répondre.
Il a attaqué l’administration antérieure. Vous savez tous, messieurs, que je n’ai pas approuvé tous les actes de cette administration.
Mais quand on attaque un ministère mort, il faudrait d’autant plus être juste envers lui. Sous l’administration de M. de Theux, dit l’honorable membre, ce n’était pas le mérite qu’on appelait aux fonctions de l’Etat, c’était la communauté d’opinions et d’intérêts. Cette accusation est encore vague ; elle est aussi dénuée de toute espèce de preuve ; aucun fait n’a été cité ; mais ce qui est plus étonnant, c’est qu’il reproche en même temps au ministère actuel d’avoir maintenu en place des fonctionnaires qui, dans les élections, ont agi comme si M. de Theux eût encore été au pouvoir. C’est tomber dans une étrange contradiction. D’un côté l’honorable préopinant reproche à l’administration précédente d’avoir gouverné d’après le principe de conformité d’opinions et d’intérêts politiques, et, de l’autre côté, il accuse l’administration actuelle de n’avoir pas suivi cette règle.
Quant aux élections, j’ai toujours condamné et je condamnerai toujours un ministère quelconque qui détruira leur caractère de liberté entière. La liberté des élections est l’âme de la loi électorale et de la constitution ; elle est la vérité du gouvernement constitutionnel. Un fonctionnaire, si haut placé qu’il soit, doit être libre dans ses actions, quand il s’agit d’élections ; il ne doit avoir en vue que le véritable intérêt du pays ; jamais il ne peut être forcé d’agir contre sa conscience et contre son pays. Lorsque devant lui se pose un ministère qu’il croit insuffisant, ou qu’il croit agir contre les intérêts du pays, un haut fonctionnaire ne doit pas être placé entre sa conscience et les intérêts de sa place. Je m’opposerai toujours à la politique que l’honorable député de Liége voudrait implanter dans le pays, politique qui a existé dans une autre monarchie constitutionnelle, qui y a donné lieu à de graves abus qui ont été détruits par les efforts du parlement.
Une semblable politique, jetterait d’ailleurs la nation toute entière dans les passions des partis et des factions. Je protesterai toujours contre une politique aussi immorale que dangereuse.
Je m’associe à la dernière partie du discours que l’honorable membre a prononcé. Il a dit que la modération dans les impôts était la seule garantie de la nationalité belge. Cette opinion me fournit l’occasion de passer au budget de la dette publique. Comme l’honorable préopinant, je pense aussi que la plus grande garantie de notre nationalité, le moyen le plus efficace de maintenir notre neutralité et notre indépendance, est dans la modération des impôts.
Chaque année j’ai tâché de vous faire voir, messieurs, le danger qu’il y a à faire couvrir constamment le déficit des budgets des voies et moyens par une partie de la dette flottante. Ma voix, à cet égard, n’a pas été écoutée ; au contraire, les dépenses sont toujours allées en augmentant ; la nécessité de créer de nouveaux emprunts au moyen de la dette flottante en est devenue plus rigoureuse. Il a fallu couvrir les déficits dans les voies et moyens.
Chaque année il a fallu consolider une partie de la dette flottante ; chaque année le chiffre de la dette publique en est augmenté, tandis que, dans le sens inverse, les ressources du pays, pour faire face aux charges publiques, ont diminué.
L’honorable député d’Ypres vous a nettement fait observer que la comparaison entre les charges publiques de la Belgique et celles d’autres pays n’était pas fondée. Une semblable comparaison ne peut être juste qu’en prouvant qu’un habitant de la Belgique, s’il ne paie pas autant en impôts publics qu’un habitant de l’Angleterre, de la France ou de la Hollande, dispose d’autant de ressources pour payer les impôts publics.
L’Angleterre, la France, la Hollande, payent, comparativement parlant plus d’impôts publics, mais aussi ces nations disposent de beaucoup plus de ressources en industrie, en commerce, en navigation et en travail. Les richesses que ces nations ont accumulées par de longs efforts en commerce, en industrie et en navigation suffisent pour couvrir des budgets onéreux. Chez nous, vous le savez, messieurs, l’industrie, le commerce, la navigation vont en rétrogradant. On ne prend aucune mesure efficace, pour augmenter le travail du pays, seule source de prospérité, seul moyen de faire face aux charges publiques, qui prennent, chaque année, de l’accroissement, tandis que les ressources du pays, au lieu d’augmenter dans la même proportion, diminuent dans le sens inverse.
Vous êtes obligés de contracter des emprunts pour d’autres dépenses, pour celles que réclament les chemins de fer. Ces emprunts augmentent chaque année le déficit dans le budget des voies et moyens. Vous créez d’autres nouvelles dépenses et constamment vous en couvrez une partie au moyen de la dette flottante. De là le besoin, pour faire face à vos dépenses, de vous lancer, chaque année, dans la voie désastreuse des emprunts. Il est temps, messieurs, de vous arrêter. Vous avez devant vous l’exemple de l’Espagne. Vous savez où est arrivé, par la même voie des emprunts son crédit public. Vous connaissez les embarras qu’elle éprouve pour recouvrer les contributions et pour faire face aux dépenses les plus nécessaires de l’Etat. Si vous ne vous arrêtez pas dans cette voie, si dans la discussion publique du budget des dépenses, vous continuez d’abandonner les réductions et les économies que vous avez réclamées dans les sections, messieurs, vous entraînez, j’ose vous le prédire, le pays dans de graves embarras, peut-être même vous le menez à sa ruine. Il est temps de mettre un terme à des dépenses qui ne sont pas rigoureusement nécessaires.
D’autres dangers résultent de cette création de la dette flottante. Créer cette dette à des échéances fixes, c’est placer à chaque instant le trésor public dans de grands embarras. Il doit faire face aux dépenses courantes ; il cherche des ressources dans les bons du trésor, et lorsque des circonstances graves compliquent la situation de l'Europe, lorsque la paix est menacée d’une rupture, les bons du trésor ne présentent plus les mêmes ressources, ou bien ils deviennent excessivement onéreux pour le pays, soit par l’élévation des intérêts et des commissions, soi par les anticipations que, dans des besoins urgents, il faut peut-être accorder à des prêteurs étrangers. Si vous ne passez pas par leurs conditions onéreuses, vous exposez le pays au danger de ne pouvoir faire face aux échéances et de tomber dans la banqueroute. Vous devez gérer les affaires de l’Etat comme un bon père de famille gère les siennes et mettre un terme à ces dépenses qui ne sont pas d’une nécessité rigoureuse, si vous voulez arriver à l’équilibre entre les recettes et les dépenses et ne pas fouler aux pieds cette règle qui est la sauvegarde des Etat bien administrés.
Chez toutes les nations, en temps de paix, on amortit ses dettes en diminuant les dépenses. On les amortit encore par l’excédant des recettes. Chez nous, chaque année, on marche dans un sens inverse.
En 1815, après la guerre continentale, l’Angleterre avait 1,700 millions de dette flottante. En temps de paix, elle s’est ménagé des excédants de recette qu’elle a employés à l’amortissement successif de la dette flottante.
Aujourd’hui, elle est portée seulement à 7 ou 8 millions. Si vous ne portez pas le même économie, la même prévoyance dans votre administration, je n’oserai pas garantir l’existence du pays, malgré les belles phrases que vous lisez dans les discours du trône, et dans certaines revues sur notre neutralité et sur notre indépendance. La plus forte garantie de notre indépendance et de notre neutralité ne sera jamais ailleurs que dans la modération des impôts et dans les ressources que vous créerez dans le pays, pour faire face même à ces impôts modérés. Si vous continuez à marcher dans cette voie de dépenses qui ne sont pas couvertes et qui ne peuvent l’être par les ressources du travail national, vous irez jusqu’à faire réclamer par les populations contre cette neutralité et contre cette indépendance mêmes. Le pays réclamera d’autant plus que des nations voisines plus prospères, ne feront pas défaut de l’inviter à faire avec elles cause commune.
C’est parce que je suis attaché à notre indépendance, à notre nationalité, que je crois devoir vous signaler ce danger et vous faire envisager en face l’avenir du pays. Je demande donc avec instance que la chambre retranche toutes les dépenses qui ne sont pas rigoureusement nécessaires. En temps de paix, au lieu d’augmenter vos dépenses et votre dette publique la plus simple prévoyance vous impose le devoir de les réduire. Alors, si aux jours de danger de grands efforts sont réclamés pour repousser des attaques contre notre nationalité, le pays disposera des ressources que vous vous serez créées ; alors il se défendra avec dévouement parce qu’il défendra son bonheur et ses intérêts.
M. de Brouckere – Messieurs, les observations qui viennent de vous être soumises par les trois orateurs qui ont pris la parole, m’engagent à vous en soumettre quelques-unes de mon côté.
Je suis entièrement de l’avis de l'honorable préopinant auquel je succède ; un ministère doit être jugé non pas par ses promesses, mais par ses actes. Est-ce à dire pour cela qu’il faille ne faire aucun cas des engagements que prend un ministère au moment où il entre aux affaires ? Je ne le pense pas ; et fidèle à la manière de voir que j’ai toujours eue, j’estime qu’un ministère qui arrive aux affaires doit présenter son programme ; il le doit, parce qu’alors chacun de nous peut juger quelle sera la ligne de conduite qu’il suivra, et que s’il s’en écarte, il est certain de perdre la confiance de la chambre. Un ministère, en présentant son programme, se lie ; il prend l’engagement de suivre une ligne de conduite, dont il lui est presqu’impossible de s’écarter ; puisque, s’il s’en écarte, il ne peut compter sur l’appui de la majorité. C’est donc quelque chose qu’un programme. Je le répète, pour ma part je sais gré au ministère qui dirige aujourd’hui les affaires d’en avoir présenté un.
Sans doute les actes du ministères doivent être en rapport avec son programme. A cet égard, je suis entièrement de l’avis de l’honorable M. de Foere. Mais je ne sache pas que jusqu’ici l’on ait signalé un seul acte du ministère contraire à son programme.
Le ministère a annoncé qu’il chercherait à introduire des économies. L’orateur qui a parlé le premier a reconnu qu’il avait été en effet introduit dans le budget de la guerre des économies considérables ; il en a remercié le chef de ce département. Je crois que ces éloges doivent être adressés au cabinet tout entier, puisque c’est le cabinet tout entier qui décide les questions les plus importantes, et notamment celles de la force de notre armée, de l’importance des armements.
D’un autre côté, nous devons reconnaître encore que les efforts du gouvernement ont tendu à apporter dans les finances un ordre qui jamais n’y avait régné jusqu’ici.
J’ai signalé, à l’occasion du budget de l'an dernier, quels étaient les abus qu’il fallait faire cesser. Je me suis plaint de ce que le budget rendait mal compte de l’état de nos finances.
Dans le budget de cette année il y a harmonie entre les dépenses et les moyens d’y faire face. Non pas que je prétende approuver toutes les dépenses portées dans les budgets ni tous les impôts portés au budget des voies et moyens. Mais je dis que c’est la première fois que l’on a sérieusement cherché à établir une balance entre les recettes et les dépenses.
Quant au budget de la dette publique, qui, l’an dernier, ne rendait nullement compte des charges qui pèsent sur le pays de ce chef, il est la reproduction exacte de ces charges.
Le gouvernement avait promis de montrer de l’impartialité dans sa conduite, et de chercher à faire disparaître autant que possible toute scission entre les différentes opinions ; on reconnaît que les chefs des divers départements ont été fidèles à ces engagements ; mais on a reproché au ministère de ne pas avoir destitué des fonctionnaires placés par le précédent cabinet. Pour ma part, je l’en félicite ; j’ai plus d’une fois énoncé ma manière de voir sur ce point ; je trouve qu’un gouvernement peut et doit déplacer des fonctionnaires qui font de l’opposition dans l’exercice de leurs fonctions. Mais destituer un fonctionnaire parce qu’il ne partage pas en tout point les principes et la manière de voir du cabinet actuel, parce qu’il a plus de sympathie pour le cabinet précédent, cela serait à mes yeux anti-gouvernemental. C’est là une opinion que j’ai soutenue dans tous les temps. Je sais donc gré au gouvernement de ne pas avoir destitué des fonctionnaires, parce qu’ayant été placés par le cabinet précédent ils doivent être présumés avoir plus de sympathie pour ses principes que pour ceux qui le dirigent lui-même.
On a encore reproché au gouvernement de ne pas s’être mêlé plus qu’il ne l’a fait des élections dans quelques provinces. Je ne sais quel est le fait auquel l’honorable préopinant a fait allusion, puisqu’il ne l’a pas fait connaître ; mais ici encore, je répète ce que j’ai toujours dit : le gouvernement doit autant que possible s’abstenir de toute intervention dans les élections ; cependant si j’ai bien compris l’honorable membre, il a reproché au gouvernement de ne pas avoir empêché certaines personnes d’agir contre lui. Mais il ne s’est pas assez expliqué pour que je puisse entrer dans des détails.
Je le répète, moins le gouvernement se mêlera d’élections, plus je l’approuverai. Non pas que je prétende qu’il doive se montrer indifférent ou rester oisif en toute circonstance ; une telle conduite serait quelquefois contraire à sa mission ; et, par exemple, je le blâmerais s’il ne cherchait pas dans certains cas, à diriger plus ou moins les fonctionnaires dépendant de lui. Mais le ministère ne doit pas chercher à éloigner un homme de la représentation nationale sous le prétexte qu’il ne partage pas entièrement son opinion.
On a beaucoup loué le gouvernement de ne pas avoir profité de ce qui se passait à l’étranger pour augmenter le personnel de l’armée. Ces éloges sont mérités, mais je crois qu’il en est dû plus encore à la nation, dont l’attitude dans ces derniers temps a été vraiment admirable.
Tandis que dans tous les pays qui nous entourent on discutait la question de paix ou de guerre, tandis que dans ces pays, tous les ennemis de l’intérieur se réunissaient pour attaquer le gouvernement ; il y a eu chez nous un calme parfait, il n’y a eu qu’une seule voix qui s’est élevée, et cette voix réclamait pour le maintien de l’indépendance nationale. Vous le savez, dans certains pays, on nous regarde, ou du moins beaucoup d’entre nous, comme ne désirant qu’une chose, la réunion à la France. Eh bien ! dans les temps d’agitation, dans les circonstances critiques, ce cri n’a été répété par personne ; la presse comme le pays tout entier a été unanime pour demander le maintien de l’ordre de choses et des institutions créées par la révolution de 1830.
M. Doignon – J’ai aussi une question à faire au ministère ; elle se rapporte à tous les budgets ; je lui demanderai s’il a compris cette fois toutes les dépenses dans les budgets. Jusqu’à présent et depuis 1830, il ne s’est pas écoulé un exercice sans qu’on soit venu nous demander des crédits supplémentaires ou des transferts de toute espèce. Puisqu’on veut équilibrer les recettes avec les dépenses, il importe que rien ne soit omis. Un budget qui ne contient pas toutes les dépenses n’est réellement pas un budget. Je demande donc si le budget de l'exercice prochain comprend toutes les dépenses, ou si le ministère ne tient pas encire en réserve quelques projets de loi qui viendraient ajouter à nos charges ; je demande en un mot si les budgets sont complets.
Je ferai encore une autre observation ; chose inouïe dans un état constitutionnel, depuis dix années que nous sommes constitués, nous avons pas encore de comptes de l’Etat arrêtés. A défaut de ces documents, il est impossible de procéder avec exactitude à l’examen des budgets. Pour bien apprécier nos dépenses et avoir une base certaine, il faudrait que nous eussions sous les yeux le chiffre des sommes qui ont été réellement dépensées dans les années antérieures. Or, c’est par les comptes vérifiés que nous pourrions connaître ces sommes.
Cet élément essentiel à la formation de nos budgets nous manquent entièrement. En outre dans l’incertitude où l’on est et dans la crainte de nuire au service, on vote toujours des sommes plutôt trop fortes que trop faibles ; il résulte de là qu’il y a toujours des excédents ; et vous savez que nos ministres trouvent toujours un emploi à en faire.
On a donné quelques renseignements sur l’emprunt récemment contracté ; ils m’ont paru insuffisant ; nous ne voyons pas à quel taux il a été contracté et par conséquent jusqu’à quel point il est onéreux au pays. Cependant, il serait opportun, en ce moment, de connaître au juste toutes nos charges.
En voyant nos dépenses s’élever de 100 à 105 ou 106 millions, j’ai aussi été péniblement surpris de trouver dans le ministère actuel comme dans les précédents cette malheureuse tendance à augmenter chaque année les dépenses. Nous protestons de toutes nos forces, comme nous l’avons toujours fait, contre cette tendance, qui peut devenir un jour funeste au pays ; nous nous y sommes toujours opposés et ce n’est pas nous qui plus tard aurons à répondre de ses conséquences.
Je crois avec les honorables préopinants que les impôts sont suffisamment élevés, et qu’il y aurait danger à dépasser le taux qu’ils ont atteint. Que le gouvernement ne se fasse pas illusion, les impôts se sont perçus et se perçoivent avec peine ; il serait imprudent de toujours compter sur une récolte telle que celle de cette année. Je voudrais que le gouvernement fût témoin des scènes qui se passent bien souvent dans les bureaux des receveurs des contributions.
Si le Belge paye exactement l’impôt, c’est qu’il aime la paix, l’ordre, c’est qu’il est patient, et qu’il souffre longtemps avant de se plaindre avec éclat. Mais il n’en est pas moins vrai que l’impôt est lourd et qu’il le supporte avec difficulté. Le chiffre de 105 millions est énorme ; il excite dans les provinces des plaintes et du mécontentement.
J’avais à vous présenter d’autres considérations, qui déjà ont été développées par MM. de Langhe et de Foere ; je ne puis que conformer tout ce qu’ils ont dit.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – L’honorable préopinant demande si le budget de 1841 comprend toutes les dépenses de cet exercice, ou si plus tard, on ne viendra pas réclamer de nouveau des crédits supplémentaires. Je puis lui donner l’assurance que toutes les dépenses présumées sont comprises dans les budgets ; mais il m’est impossible d’affirmer qu’il ne surgira pas des événements qui donneront lieu à des dépenses imprévues et à des crédits supplémentaires. Il est tel événement qui peut donner lieu à des augmentations au budget de la guerre. Il ne nous est donc pas possible de répondre catégoriquement à la demande de l’honorable préopinant. Mais, je le déclare de nouveau, toutes les dépenses prévues ont été portées au budget.
L’honorable préopinant exprime également le vœu que les comptes des recettes et dépenses soient formés ; ces comptes ont été chaque année présentés par mes honorables prédécesseurs, quoique jusqu’aujourd’hui ils n’aient pas été arrêtés par la chambre ; les comptes définitifs de 1830, 1831, 1832 et 1833 ont été remis à la chambre par un de mes honorable prédécesseurs, et dans la séance de demain, je me propose de soumettre à votre examen celui de 1834. Quelques membres de la chambre ont pensé que ces comptes ne peuvent pas être arrêtés avant qu’il ne soit intervenu une loi générale réglant la comptabilité de l’Etat ; je ne puis partager l’opinion de ces honorables membres ; ces comptes sont rédigés sous une forme telle qu’ils ne peuvent rien laisser à désirer ; ils présentent les mêmes divisions, les mêmes articles que les budgets ; ils sont en outre accompagnés de tableaux renseignant les évaluations des produits ainsi que les recettes effectuées. Je ne pense pas qu’une loi générale sur la comptabilité puisse apporter des changements essentiels à la forme qui a été suivie par mes honorables prédécesseurs, et que j’ai adoptée moi-même dans le projet de loi que j’ai préparé et que j’aurai l’honneur de présenter demain à la chambre.
J’insiste pour que l’on veuille bien s’occuper le plus tôt possible de l’examen des comptes de l’Etat ; je demande que la commission chargée de cet objet veuille bien nous présenter ses conclusions, afin qu’une décision puisse être prise à cet égard. Cela est indispensable pour mettre de l’ordre dans nos finances et surtout pour satisfaire à l’article 115 de la constitution, qui exige que les comptes soient arrêtés chaque année par la chambre.
Les comptes des exercices 1835, 1836 et 1837 sont déjà soumis à la cour des comptes ; je suis persuadé que bientôt nous pourrons aussi les présenter à la chambre et alors notre situation financière pourra être entièrement régularisée.
Je crois, messieurs, avoir donné des explications suffisantes à la section centrale ainsi qu’à la chambre dans l’exposé que je lui ai présenté, sur les motifs pour lesquels il n’est pas convenable de faire connaître dès à présent toutes les conditions des emprunts qui ont été contractés ; ces motifs sont les mêmes que ceux qui ont déterminé mes honorables prédécesseurs à ne faire semblable communication que longtemps après la conclusion des emprunts qui avaient été faits sous leur ministère ; il existe en outre en ce moment une considération toute spéciale qui commande la réserve, c’est que la loi du 26 juin n’a pas reçu sa complète exécution et qu’il reste une fraction de l'emprunt à contracter.
M. Desmaisières – Messieurs, je ne comptais pas prendre la parole dans cette discussion, ou tout au moins je ne l’aurai pas prise en premier lieu, si des explications particulières ne m’avaient pas été demandés sur les notes ministérielles A et B annexées au rapport de la section centrale, et si ces demandes d’explication ne m’avaient prouvé que ces notes, exactes quant aux chiffres, étaient rédigées de telle manière dans leur texte que pour les uns elles avaient été jugées presque incompréhensibles et qu’aux autres elles avaient fait complètement prendre le change en ce sens qu’on a pu croire que c’était au budget de 1840 et rien qu’au budget de 1840, que le système de comptabilité auquel aujourd’hui la section centrale propose d’en substituer un autre, a été pratiqué à l’égard des imputations faites aux budgets des intérêts et de l’amortissement de la dette publique. Force n’est donc de rectifier les idées et les faits à cet égard, et ce qu’un honorable préopinant vient de dire tout à l’heure m’en impose d’autant plus l’obligation.
Ainsi que vous avez pu le voir par le rapport de votre section centrale dont j’ai eu l’honneur de faire partie, cette section, après une discussion approfondie, a adopté à l’unanimité comme devant, sans admettre d’exception aucune, servir de règle en matière de comptabilité budgétaire, ce principe : « qu’il faut comprendre au budget d’une année le crédit nécessaire au payement de tous les jours d’intérêt et d’amortissement appartenant à cette année quelles que soient les échéances semestrielles. »
C’est là, messieurs, la seule règle qui soit vraie, la seule qui satisfasse réellement au vœu formel de notre constitution qui prescrit aux chambres comme au gouvernement de porter chaque année au budget de l’Etat toutes les dépenses et recettes afférentes à l’année, qui donne son nom à l’exercice.
Quant à moi, messieurs, j’ai pu d’autant mieux adopter ce système que déjà je l’ai pratiqué dès sa fondation, en 1835, dans un établissement financier dont j’ai organisé la comptabilité, et qui, grâce à son utilité et à sa marche régulière, jouit d’un crédit et d’une prospérité non contestés.
Mais pourquoi ne le reconnaîtrions-nous pas tous ; ce système de comptabilité est tout à fait contraire aux précédents gouvernementaux et législatifs posés et suivis depuis 1831 dans nos budgets, successivement proposés et adoptés.
En effet, la première moitié de l’emprunt 5 p.c. de 100,800,000 fr., ayant été contractés avec jouissance du 1er novembre 1831, il aurait fallu imputer sur l’exercice 1831 les intérêts et l’amortissement pour les mois de novembre et décembre, tandis que rien n’a été porté ; il y a donc ici un rappel à faire de fr. 304,000 00.
La deuxième moitié du même emprunt ayant été contractée avec jouissance du 1er mai 1832, il aurait fallu, au budget de 1832, porter 8 mois d’intérêt et d’amortissement pour cette seconde moitié, et on n’en a imputé que 6 ; donc l’omission est encore ici de 2 mois, fr. 504,000 00
L’emprunt 4 p.c. de 30,000,000 a été contracté avec jouissance du 1er juillet 1836, et comme on n’a porté le semestre d’intérêt et d’amortissement, couru du 1er juillet au 31 décembre 1836 qu’au budget de 1837, il y a de ce chef un rappel à faire de fr. 750,000 00
En ce qui concerne l’emprunt 3 p.c. de 50,850,800 fr. dont la jouissance d’intérêt et d’amortissement partait du 1er août 1838, on n’imputât les 5 mois courus jusqu’au 31 décembre de cette année que sur le budget de 1839, et partant il y a de ce chef un rappel à faire de fr. 847 513 33.
Lorsqu’on en vint ensuite à faire figurer pour la première fois au budget de 1838 l’emprunt pour l’érection de l'entrepôt d’Anvers, on porta à ce budget les sommes nécessaires pour satisfaire au paiement d’une année d’intérêt et d’amortissement avec jouissance au 1er juillet 1837 et échue le 30 juin 1838, tandis que pour suivre le système proposé aujourd’hui à l’unanimité par votre section centrale, il aurait fallu imputer sur le budget de 1837 les six mois d’intérêt et d’amortissement, courus du 1er juillet 1837 au 31 décembre de la même année et au budget de 1838 toute l’année entière de 1838. De ce chef il y a donc un rappel à faire de six mois, soit fr. 44,444 44
Enfin, messieurs, arriva, en 1839, le moment de pourvoir à l’exécution de l’article 13 du traité du 19 avril, qui mettait à la charge de la Belgique une rente annuelle de 5 millions de florins, avec jouissance pour les créanciers, après transfert, à partir du 1er janvier 1839. Aucun crédit n’avait été porté au budget de 1839 pour cet objet, si ce n’est 611,000 francs environ pour le service provisoire de la dette active 2 ½ p.c., dont les inscriptions au grand livre d’Amsterdam avaient été transcrites, avant 1830, en duplicata au grand libve auxiliaire de Bruxelles. Cependant les principaux impôts, ceux surtout les plus sensibles pour les contribuables, par cela même que la perception en est directe, étaient grevés de nombreux centimes additionnels. La crise politique née de la discussion du traité et de la douloureuse séparation qui commençait à s’exécuter, de 400,000 de nos frères appartenant aux territoires cédés, était encore dans toute sa force ; la crise financière, commerciale et industrielle qu’avaient provoquée les événements financiers d’Amérique et d’Angleterre, et qui avait déterminé, pour nous, le désastre éprouvé par la banque de Belgique, sévissait encore fortement contre nos populations, qui,, en, outre, se trouvaient sous le coup d’une cherté de vivres excessive. Loin de pouvoir ralentir les travaux publics, pour diminuer momentanément les dépenses de l’Etat, il fallait, pour soutenir autant que possible nos populations laborieuses et industrielles, redoubler en quelque sorte d’activité ; chacune de ces causes influait d’une manière sensible et sur les dépenses de l’Etat à l’égard desquelles on pouvait d’autant moins réaliser des économies, et sur les recettes, qui allaient nécessairement en diminuant sur tout, par comparaison aux prévisions du budget des voies et moyens, et enfin sur le crédit public, qui en avait reçu une grave atteinte.
Dans cet état de chose, qu’avait à faire le ministre des finances ? il avait à choisir entre deux systèmes de comptabilité ; l’un, celui actuellement proposé par la section centrale, qui le forçait à grever l’exercice 1839 d’un semestre de plus de la rente du traité et de l’arriéré des autres emprunts, tandis qu’il était problématique encore si ce budget pouvait, sans surcharger les contribuables encore plus qu’ils ne l’étaient déjà, ainsi qu’on vient de le voir depuis 1831, à tous les emprunts contractés, ou pris définitivement à sa charge depuis 1830 par la Belgique, et qui permettait d’attendre un temps meilleur pour changer de système. Placé dans cette alternative, je n’hésitais pas, et après avoir consulté mes honorables collègues du ministère sur les économies qu’ils comptaient pouvoir réaliser sur les dépenses votées pour 1839, je proposais avec eux à la signature de S.M., un projet de loi qui, indépendamment des explications données dans l’exposé des motifs, faisait voir par son texte lui-même, par l’expression du « semestre échéant en 1839 », que le gouvernement appliquant à la dette du traité le système de comptabilité budgétaire suivi depuis 1831, pour les emprunts 5 p.c., 4 p.c., 3 p.c. et celui relatif à l’entrepôt d’Anvers, croyait ne devoir imputer qu’un seul semestre de la dette du traité sur le budget de 1839.
Ce projet de loi fut ensuite converti en loi le 5 juin sans aucune observation de la part d’aucun membre des deux chambres.
Ce ne fut que lors de la discussion du budget de 1840 que la question fut soulevée, et je n’eus, heureusement pour le crédit public, pas de peine à faire comprendre à tout le monde, que le moment n’était pas venu encore d’arriver à un changement de système, d’arriver aux vrais principes de comptabilité qui régissent la matière, et que l’on ferait sagement d’ajourner l’examen approfondi de la résolution à prendre à cet égard jusqu’au budget de 1841.
Il y a donc du chef de la dette du traité un rappel à faire de fr. 5,291,005 29.
Il faut encore pour les frais relatifs à l’amortissement et au paiement des intérêts des divers emprunts contractés depuis la révolution, fr. 35,916 66.
En sorte que le chiffre total à rappeler serait de fr. 7,979,879 72.
D’après le discours à l’appui du projet de budget de 1841, le chiffre de la dette flottante présumée s’élèverait actuellement, non compris le prêt fait à la banque de Belgique, à la somme de fr. 18,455,806 72. Mais déduisant l’amortissement à opérer conformément à la loi d’emprunt du 26 juin dernier, soit, 5,038,533 69, on trouve que le chiffre totale de la dette flottante présumée serait de fr. 13,417,263 03.
Ainsi le montant total de la dette flottante présumée, en y comprenant les 8 millions environ s’arriéré en comptabilité de la dette publique, s’élèverait à fr. 21,394,152 75.
Certes, messieurs, c’est là un chiffre que, bien qu’en pratique, il soit presque toujours couvert en quelque sorte par un chiffre élevé de dépenses arriérées, il importe de réduire le plus possible et le plus tôt possible, soit par des diminutions dans nos dépenses qui permettent ainsi d’arriver dans l’ère de paix où nous venons à peine d’entrer à des excédants de ressources ; soit par la réalisation, le plus immédiatement possibles, des ressources certaines, mais encore flottantes que présentent l’encaisse de 1830, les redevances dues par la section centrale, et au besoin la vente d’une partie de nos domaines, ressources qui couvrent, vous les avez, messieurs, largement ce chiffre total de la dette flottante présumée de 21 millions.
Messieurs, évitons le plus que nous pouvons de couvrir la dette flottante en recourant à des emprunts qui ne font que substituer une dette fondée à une dette flottante et ont l’inconvénient en outre d’éblouir, de faire fermer les yeux sur les augmentations des dépenses, qui bientôt amènent de nouvelles charges pour les contribuables.
M. Delfosse – Messieurs, l’honorable M. de Foere et l’honorable M. de Brouckere ont été d’accord sur ce principe qu’il faut juger un ministère d’après ses actes ; je suis entièrement de leur avis et je me propose, comme eux, de juger le ministère d’après ses actes, mais je pense qu’il est bien permis, avant qu’un nombre suffisant d’actes aient été posés, d’avoir des craintes ou des espérances ; si l’on a des espérances, on est disposé à appuyer le ministère, si l’on a des craintes, on l’est moins ; j’ai encore des espérances et j’ai expliqué par là l’appui provisoire et conditionnel que je suis disposé à donner au ministère.
L’honorable M. de Foere a approuvé la dernière partie de mon discours, je l’en remercie ; la première partie n’a pas eu le même avantage et je m’y attendais ; je savais bien que je ne serais d’accord avec l’honorable membre, ni sur la circulaire relative aux processions ni sur l’allocation du petit séminaire de Saint-Trond. Déjà l’année dernière un désaccord assez grave s’est manifesté entre nous sur cette allocation, ce désaccord doit se reproduire cette année, celà est inévitable.
L’honorable M. de Foere m’a sommé en quelque sorte d’ouvrir la discussion au fond sur les différents actes du ministère à l’égard desquels je me suis permis d’émettre une opinion. Le moment serait, je pense, mal choisi pour une telle discussion. Je tenais à émettre mon opinion sur ces actes ; je l’ai dit avec franchise, cela me suffit pour aujourd’hui ; lorsque le moment de les discuter sera venu, l’honorable M. de Foere peut être sûr que je ne reculerai pas.
L’honorable M. de Foere m’a fait un reproche que je ne crois pas avoir mérité ; il m’a reproché d’avoir attaqué les morts ; les morts que j’ai attaqués se portent assez bien, ils sont ici et peuvent, si cela leur convient, repousser mes attaques.
L’honorable M. de Foere a dit que les élections doivent être entièrement libres, que le ministère ne doit pas chercher à les influencer ; je suis parfaitement de son avis. J’approuve fort aussi l’honorable M. de Brouckere lorsqu’il assure qu’il ne fera jamais un reproche au ministère de laisser aux électeurs toute leur liberté ; mais ces honorables membres conviendront sans doute avec moi que lorsqu’un ministère a l’heureuse idée de laisser les élections libres, il doit, pour être conséquent, pour remplir son devoir, empêcher que ceux qui tiennent de lui leurs fonctions et leur influence ne s’en servent pour agir sur les électeurs, surtout pour agir dans un sens hostile ; c’est cette intervention de quelques fonctionnaires dans les élections que j’ai blâmée et que je blâme encore.
Je n’ai pas demandé de destitutions ; il y a certes des fonctionnaires qui sont bien mauvais, bien partiaux, mais je n’ai pas mission de demander ici qu’on les destitue ; j’ai incité, et j’étais dans mon droit, le ministère à prendre des mesures pour que les fonctionnaires se conforment à son programme ; le ministère doit vouloir que son programme soit exécuté et il ne pourra l’être que lorsque les fonctionnaires s’y conformeront.
J’ai dit, il est vrai, qu’il y a des positions politiques, heureusement fort rares, que le ministère ne doit pas laisser à des hommes qui sont en dissentiment avec lui sur des questions vitales, et j’aurais dû ajouter : malheur au ministère qui se trouve en dissentiment sur de pareilles questions avec des hommes que l’opinion soutient et que le pays aime. Mais ai-je demandé l’application actuelle de cette doctrine à telle ou telle personne ? Non ; j’ai seulement exprimé l’opinion que le ministère s’était peut-être créé des embarras en ne le suivant pas lors de son entrée aux affaires ; cette doctrine a été qualifiée d’anti-gouvernementale par l’honorable M. de Brouckere, et cela m’étonne de la part d’un esprit aussi judicieux ; ne sait-il pas où l’on s’entend aussi bien que chez nous à ce qui est gouvernemental : ne sait-on pas qu’en Angleterre la retraite du ministère entraîne toujours celle d’un certain nombre de hauts fonctionnaires ? ne sait-on pas qu’en France tout changement ministériel donne presque toujours lieu à des mutations dans le personnel des préfets ? Et, à vrai dire, je ne conçois sans cela ni l’action ni la responsabilité ministérielle ; j’assume donc bien volontiers la responsabilité de mes paroles ; je le répète, je ne provoque pas de destitution, mais je déclare hautement que le ministère doit se montrer sévère envers les fonctionnaires qui lui seraient hostiles et qui ne se conformeraient pas sincèrement à son programme.
M. le ministre de la justice (M. Leclercq) – Je ne puis pas laisser passer, sans y répondre, cette observation, faite deux fois, que le ministère aurait pu permettre à des fonctionnaires publics d’agir dans des vues tout à fait différentes de celles qui le dirigent, de se vanter en quelque sorte eux-mêmes de pouvoir agir impunément ainsi. Si ces reproches étaient fondés, nous ne mériterions pas de rester un seul jour à la tête des affaires, parce que nous manquerions gravement à notre premier devoir, qui est d’imprimer à l’administration du pays une marche ferme, uniforme et constamment d’accord avec ceux qui ont le droit, qui ont reçu la mission de la diriger ; mais, messieurs, ces imputations adressées à certains fonctionnaires, nous devons le déclarer, sont erronées, et je ne puis les attribuer qu’à cette susceptibilité d’opinions différentes, susceptibilité excusable par le dévouement à ces opinions, et d’où naît naturellement la crainte de les voir menacées par ceux qui ont le pouvoir en mains, quand on sait que personnellement ils ne les partagent pas.
Nous avons inscrit en tête de notre programme : « impartialité », nous y avons inscrit cette règle de conduite parce que nous croyons que c’est la seule que l’on puisse suivre dans un pays où il y a des opinions différentes, mais où néanmoins des opinions peuvent subsister et rester différentes sans que pour cela le pays cesse d’être gouverné suivant les principes que la constitution a consacrés, principes qui assurent à toutes les opinions une protection et des garanties suffisantes.
Cette règle de l'impartialité, nous l’avons suivie, messieurs, depuis que nous sommes au ministère, et nous espérons continuer à la suivre avec fermeté ; nous espérons qu’en la suivant nous atteindrons le but que nous nous sommes proposés et qui est, non point de faire disparaître les opinions différentes, il y en aura toujours, mais d’empêcher que ces opinions ne revêtent un caractère de passions, qui déchirent le pays en deux parties hostiles l’une à l’autre, et menacent ainsi sa sûreté intérieure et même son indépendance. Suivant cette règle, messieurs, nous ne nous enquérons pas des opinions personnelles que peut avoir un fonctionnaire public sur telle ou telle question : qu’il remplisse fidèlement les devoirs que la loi lui impose ; qu’il exécute loyalement les instructions qu’il reçoit, cela suffit, mais s’il cherchait à user de l’autorité qui lui appartient pour faire prévaloir ses opinions, quoiqu’elles fussent différentes de celles qui dirigent le gouvernement, s’il allait se jeter dans des luttes de partis, où il ne peut qu’oublier la dignité qu’un magistrat doit toujours garder, s’il manquait lui-même dans l’exercice de son autorité à l’impartialité qu’il doit à tous, à ce respect que toutes les opinions sincères ont droit d’attendre de lui, nous croyons qu’alors l’impartialité nous ferait un devoir de le semoncer d’abord, car nous serons toujours modérés en prescrivant la modération, puis de lui retirer les fonctions qui lui ont été confiées et qu’il ne peut conserver après avoir perdu la confiance qu’il n’a pas su continuer à mériter de la part du gouvernement.
Nous pouvons assurer, messieurs, qu’aucun fonctionnaire, qu’aucun magistrat investi d’une autorité quelconque dans le pays n’a manqué, sous ce rapport, à ses devoirs ; du moins nous n’en avons pas acquis la preuve, quoique nous y ayons veillé ; chaque fois que des plaintes nous ont été adressées à cet égard, nous nous sommes empressés d’ouvrir en quelque sorte une enquête pour nous assurer si ces plaintes étaient fondées, et chaque fois nous avons reconnu qu’elles étaient dues à ce que je viens d’appeler une susceptibilité excusable et bien naturelle quand des opinions différentes règnent dans un pays, sur certains points importants. Moi-même j’ai reçu des plaintes contre des magistrats qui étaient accusés d’avoir pris part à des luttes électorales, de ne pas s’être conduits comme tout magistrat qui se respecte doit toujours se conduire dans ces circonstances ; eh bien, messieurs, je me suis enquis des faits, et j’ai reconnu que les accusations qui m’avaient été adressées contre ces magistrats n’étaient pas fondées.
Du reste, en agissant comme je l’ai fait, j’ai rempli un devoir que je remplirai toujours, ainsi que mes collègues, chaque fois que des accusations semblables nous seront adressées. Chaque fois que des faits de cette nature nous seront signalés, nous rechercherons s’ils sont réels et s’ils le sont nous frapperons comme nous devons frapper dans un cas semblable, c’est-à-dire en renvoyant le fonctionnaire qui se serait mal conduit dans l’exercice de ses fonctions.
Puisque j’ai la parole, messieurs, je dirai un mot de l’imputation qui nous a été faite de marcher dans une voie progressive de dépenses.
L’honorable député d’Ypres qui nous adressé cette imputation aurait dû se souvenir de ces mots par lesquels il qualifiait les arguments de ceux qui demandent qu’une armée forte fût maintenue sur pied : « Ce sont, a-t-il dit, des phrases ronflantes. » Je pourrais peut-être dire aussi que ses paroles sont ronflantes, mais je m’en abstiendrai ; je lui dirai seulement que, pour prétendre que le ministère est engagé dans une voie progressive de dépenses, et pour le blâmer à ce sujet, il aurait dû examiner la nature de ces dépenses ; il aurait dû fonder sa critique sur quelques raisons. Alors nous aurions pu discuter ces raisons, nous aurions pu lui répondre ; mais jusque-là nous devons attendre la discussion des budgets ; nous devons attendre les rapports qui seront présentés par les sections centrales ; nous devons prier l’honorable membre d’examiner ces dépenses, avant de dire que nous sommes à cet égard dans une voie progressive.
Dans mon budget, par exemple, et je le cite de préférence parce que je le connais plus particulièrement, mes collègues pourraient probablement donner des explications analogues sur le leur, dans mon budget, il y a quelques majorations. Eh bien, si l’honorable membre en avait examiné la nature, il aurait vu qu’en réalité il n’était pas possible de s’en abstenir : car quelles sont ces augmentations ? il y en a deux. C’est une augmentation pour frais de justice, et une autre, assez considérable, pour l’entretien des détenus dans les prisons.
Eh bien, quant aux frais de justice, personne ne peut empêcher qu’ils ne soient plus élevés, personne ne peut faire qu’ils soient moins élevés une année que l’autre. Ces frais dépendent du nombre de procès criminels ; quand un procès criminel a été intenté, on ne peut s’empêcher d’y donner suite, et force est bien de payer les frais de justice. Si les délits ont occasionné des poursuites qui ont entraîné une dépense plus forte, il faut bien les payer. Il ne peut donc y avoir de ce chef aucune espèce de reproche à adresser au ministère ; la critique de ce chef est dénuée de raison, elle n’est propre qu’à égarer l’opinion et à jeter dans le public des germes de mécontentement toujours dangereux, surtout quand il s’agit d’impôts.
L’observation que je viens de faire s’applique également à l’augmentation pour l’entretien des détenus. J’ai eu l’honneur de demander un supplément de 400,000 francs pour cet objet. Pourquoi ? parce que les vivres ont été très chers, que le nombre des détenus a été plus considérable que l’année dernière, et qu’en conséquence il a bien fallu augmenter la dépense pour les nourrir.
Il y a des contrats d’adjudication. Les vivres sont tous adjugés aux enchères. La portion des détenus est fixée par les règlements, par conséquent il est impossible de la majorer d’une manière irrégulière : S’il y a augmentation de dépense, c’est parce que le nombre de bouches à nourrir est augmenté et qu’il faut bien les nourrir.
Vous voyez donc, messieurs, que si l’on entrait dans les détails, avant de critiquer, l’on reconnaîtrait que la critique n’est pas fondée, et dès lors on s’en abstiendrait.
M. de Langhe – Messieurs, j’ai fait des observations générales sur les budgets ; je croyais que le moment n’était pas venu d’entrer dans des détails, de sorte que je trouve injuste ce que j’appellerai la prétention de M. le ministre de la justice, qui veut que je justifie dès à présent ce que j’ai avancé en termes généraux sur l’ensemble des budgets. En, attendant que le moment d’aborder les détails soit arrivé, je dirai M. le ministre de la justice que son budget présente d’autres majorations que celles qu’il a signalées ; une, entre autres, de 165,000 francs, demandée pour nouvelles constructions ; l’année dernière, il n’a été voté pour cet objet qu’un crédit de 35,000 francs. Voilà une véritable majoration. Je me borne à cet exemple pour le moment. Quand on entamera la discussion de chaque budget, j’entrerai dans les détails, autant que mes connaissances me le permettront.
M. de Mérode – Messieurs, le ministère subit maintenant le reproche de n’avoir pas assez destitué ou sermonné les fonctionnaires qui ne partagent par les idées de l’honorable M. Delfosse. Si quelques-uns de nos ministres n’ont pas complètement répudié leurs opinions précédentes, ils doivent se destituer eux-mêmes pour satisfaire l’honorable membre ; car je me rappelle une époque et même très récente, où M. Delfosse et les ministres dont je parle, marchaient absolument en sens inverse. Cependant M. Delfosse accorde, provisoirement du moins, sa confiance au ministère ; il faut donc que quelqu’un ait changé d’avis, est-ce M. Delfosse, sont-ce les ministres avec lesquels il était en absolue dissidence et qu’il appuie aujourd’hui, du moins à peu près ; c’est là une énigme dont nous aurons peut-être une fois l’explication.
Messieurs, je ne puis admettre comme principe absolu le principe que la modération dans les impôts est le seul moyen de maintenir la nationalité d’un pays. Il y a d’autres nécessités pour conserver une nationalité quelle qu’elle soit au milieu de graves événements qui peuvent surgir.
En augmentant les impôts pour les mettre au niveau des dépenses, on empêchera l’augmentation de celles-ci, et c’est même le seul moyen d’atteindre le but ; par les emprunts on endort un pays dans une funeste sécurité, parce qu’il lui semble que les agréments et facilités qu’on lui procure de cette manière ne lui coûtent rien ; il est persuadé que ces avantages lui arrivent en quelque sorte comme de la manne tombée du ciel ; c’est une erreur dont il importe de le tirer.
Et ici, je dois accorder au ministère mon assentiment pour les propositions qu’il a faites à l’égard du budget : c’est là un objet capital pour le pays, c’est un service que le ministère lui a rendu, en lui faisant bien connaître sa situation financière, et en demandant des majorations d’impôts. Vous voyez donc que je suis impartial toutes les fois que le ministère présentera au pays des mesures qui sont de nature à le servir, sans le flatter, il trouvera mon appui pour cet objet spécial.
M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – Messieurs, la discussion de chaque budget mettra chaque ministre à même de répondre d’une manière précise aux observations qui, jusqu’ici, ne se sont formulées que d’une manière tout à fait générale.
Nous ajournons donc les honorables orateurs qui ont reproché au ministre son goût pour les dépenses progressives ; nous les ajournons à la discussion de nos budgets.
Cependant nous ne pouvons pas non empêcher de répondre dès à présent à un reproche que nous tenons à repousser, parce qu’il est fait avec bonne foi, comme toutes les paroles qui sortent de la bouche de l’honorable orateur auquel je réponds, portent ce caractère.
Faisant allusion aux circonstances critiques dans lesquelles le pays s’est trouvé avec toute l’Europe, l’honorable membre a reproche au ministère, et en particulier au département des travaux publics, de ne pas avoir ralenti les travaux, de ne pas avoir diminué les dépenses, dans le but de se ménager des ressources dont le trésor pourrait avoir besoin pour faire face à des dépenses plus importantes.
Eh bien, messieurs, je dois le dire, plus les circonstances ont paru critiques, plus j’ai pensé qu’il était d’une sage politique d’entretenir dans le pays l’activité à laquelle il était habitué. Je crois que c’eût été commettre une très grande faute, au milieu des inquiétudes générales, que de ralentir tout à coup des travaux qui sont si nécessaires à la prospérité générale.
Je n’ai donc pas hésité, non seulement à continuer les travaux avec la même activité, mais encore à faire savoir à nos nombreux industriels, et à nos milliers d’ouvriers, qu’ils pouvaient compter sur l’avenir, et que si l’orage allait grossissant, le travail resterait toujours assuré aux fabriques et aux ouvriers. Je crois avoir fait en cela preuve de prudence, et je ne pense pas avoir mérité le reproche de légèreté qui est tombé un peu légèrement de la bouche de l’honorable préopinant auquel je réponds.
Le reproche dans tous les cas ne peut s’adresser aux travaux qui s’exécutent en vertu de contrats antérieurs ; il ne pourrait s’adresser qu’aux travaux qui sont ou seront exécutés en vertu de contrats nouveaux.
Or, dans les contrats nouveaux, il s’agit de deux espèces de travaux ; des travaux de parachèvement et de constructions nouvelles. Quant aux travaux de parachèvement, je crois avoir démontré dans la discussion de l’emprunt que la plus sage économie exigeait qu’on terminât le plus tôt possible les ouvrages qui, restant inachevés, absorbent un capital inactif ; que la véritable économie consistait donc à achever des travaux qui, étant terminés, devaient rapporter au trésor des ressources dont il a besoin.
Quant aux travaux entièrement nouveaux, en annonçant leur adjudication, j’ai cédé à deux grandes considérations ; j’ai voulu assurer réellement, efficacement du travail au pays ; j’ai voulu que le pays prît confiance en lui-même et ne se décourageât pas dans l’avenir. Ajouterai-je que de toutes parts des démarches n’ont cessé d’être faites auprès du département des travaux publics pour que les sections promises aux localités qui en manquaient fussent mises en adjudication le plus tôt possible, à raison même des circonstances critiques où nous nous trouvions.
Un honorable préopinant a dit qu’il était bon que le pays sentît le poids de nouveaux impôts ; qu’étant chargé de nouveaux impôts, il ne continuerait pas de vivre de cette espèce d’illusion dans laquelle il aurait vécu jusqu’ici, à savoir que les services publics lui étaient données pour rien.
Ici, messieurs, c’est encore au service du chemin de fer, je pense, qu’on a fait allusion. L’on a dit que ce chemin ne couvrait pas ses frais.
Eh bien, messieurs, il résulte du compte qui vous sera rendu, il résulte des développements que j’ai fournis à l’appui du budget que le chemin de fer fait jusqu’ici honorablement face à ses affaires ; que le chemin de fer, à l’inverse de beaucoup d’autres institutions, couvre déjà en très grande partie les intérêts des capitaux qui y sont engagés.
Dès aujourd’hui, il résulte très manifestement des chiffres qui vous ont été soumis, de ceux qui vous seront soumis encore, que les intérêts des capitaux engagés dans le chemin de fer en exploitation sont de près de 4 p.c. Qu’on me cite d’autres travaux publics, d’autres institutions du pays, qui produisent un tel rapport, et alors je passerai volontiers condamnation, en ce qui concerne le chemin de fer.
Cet intérêt de 4 p.c. ne peut aller chaque année qu’en augmentant, car les frais d’administration et d’exploitation restent sensiblement les mêmes, alors que les produits vont chaque année grossissant dans une proportion énorme.
Du reste, messieurs, c’est aussi quand nous en viendrons au chemin de fer que nous le défendrons et que nous pourrons le défendre sous tous les rapports des produits.
En attendant, je dois donner à la chambre l’assurance que nous essayons tous les moyens pour arriver à la plus grande économie, soit dans les constructions, soit dans l’exploitation. De notables économies ont déjà été obtenues, de notables économies le seront encore.
Voilà ce que je puis promettre à la chambre, et je la conjure d’avoir foi dans ma promesse.
M. Delfosse – M. le ministre de la justice a laissé échapper une expression que je crois devoir relever. Il a parlé d’ opinions « excusables » ; s’il a voulu par là faire allusion à mon opinion, je lui dirai que quand je parle dans cette enceinte, j’émets des opinions franches et consciencieuses, et que je n’ai pas plus besoin d’excuse pour mes opinions que M. le ministre de la justice pour les siennes.
M. le ministre de la justice (M. Leclercq) – Je n’ai pas dit cela.
Je n’ai rien à rectifier dans ce que j’ai dit, mais j’ai à rectifier les paroles de l’honorable préopinant. Je n’ai pas parlé d’opinions excusables, c’eût été une sottise ; j’ai parlé de susceptibilités excusables de la part de personnes dévouées à leurs opinions, et qui naturellement quoiqu’à tort se laissaient aller à la crainte en voyant investis de l’autorité des hommes qui avaient des opinions contraires.
M. Delfosse – J’ai entendu le mot « excusable » ; que vous ayez dit « opinion excusable » ou « susceptibilité excusable », peu importe, c’est contre le mot « excusable » que je réclame.
Si ce mot s’applique à moi, je maintiens mon observation. S’il s’applique à d’autres, je la retire.
Puisque M. le ministre a nié l’intervention de hauts fonctionnaires dans les élections, il me faut bien, malgré moi, citer des faits et des personnes. Mon honorable ami, M. Delehaye, que l’on n’accusera sans doute pas d’avancer légèrement des faits, m’a affirmé qu’un haut fonctionnaire de sa province a dit à un candidat qui venait lui demander sa protection : vous avez voté dans tel sens aux élections, je serai contre vous.
Je demanderai à M. le ministre de la justice : Est-il vrai, oui ou non, qu’un procureur du Roi dévoué à l’ancien ministère ait ouvert la salle du parquet, le sanctuaire de la justice, à une réunion d’électeurs de son parti.
L’opinion publique et la presse ont accusé le commissaire d’arrondissement de Liége d’avoir cherché à influencer les dernières élections provinciales. Ce fonctionnaire a-t-il nié le fait ? Non.
Je citerai un fait plus significatif encore. Il s’agit de l’élection de la députation permanente de Liége ; ce corps, tel qu’il était composé, convenait fort au gouverneur : sur beaucoup de questions, il se divisait en deux fractions égales, et la voix du gouverneur faisait majorité. Vous sentez, messieurs, que le statu quo devait convenir à ce fonctionnaire, et qu’il n’avait nul intérêt à écarter les membres sortants qui ne partageaient pas ses opinions ; au contraire, il y avait du danger à vouloir les écarter, parce qu’on pouvait par là compromettre la réélection des autres membres ; le gouverneur fît donc des ouvertures à mon ami M. Hubart, membre sortant, à la réélection duquel il s’était forcément opposé il y a deux ans, et lui dit que l’on appuierait sa candidature, s’il voulait appuyer celle de ses collègues ; M. Hubart répondit, comme il devait le faire, que de pareilles transactions ne lui convenaient pas, qu’il n’entendait pas se séparer dr ses amis politiques, et qu’il voterait avec eux. Par suite de ce refus, qui honore M. Hubart, on a intrigué contre cet honorable citoyen, et on est parvenu à l’écarter à la majorité d’une voix ; voilà la récompense qu’il a reçue de son dévouement à la révolution et de son attachement au pays ; le jour même de l’élection il y eut chez le gouverneur un dîner auquel M. Hubart assista, comme tous les autres membres du conseil provincial, et au moment où il allait se retirer, le gouverneur s’approcha de lui et lui dit : M. Hubart je regrette ce qui s’est passé, mais vous n’avez pas voulu voter pour vos collègues et alors il a bien fallu…
Voilà, messieurs, des faits que je tiens de mon ami Hubart dont personne, je pense, ne suspectera la véracité : ces faits parlent assez haut, je n’en dirai pas davantage.
M. le ministre de la justice (M. Leclercq) – Je n’ai rien voulu dire qui pût déplaire à qui que ce soit ; si je pouvais croire qu’il en fût ainsi, je rétracterai à l’instant toutes mes paroles. Quand j’ai parlé de susceptibilité il n’y avait là rien qui pût blesser l’honorable préopinât, et, en ajoutant ce que je vais ajouter, je pense qu’il sera convaincu.
Il y a, messieurs, des susceptibilités honorables ; aussi le mot peut être employé dans un sens favorable, et c’est dans ce sens que je l’ai employé ; on peut mettre de la susceptibilité à soutenir des opinions morales, religieuses ou politiques que l’on professe sincèrement, et cette susceptibilité ne peut que faire honneur à l’homme qui la ressent ; c’est de celle-là que j’entends parler et que j’ai assez montré que j’entendais parler ; loin de déplaire à l’honorable député de Liége, il me semble que mes paroles ne pouvaient que lui être agréables.
Quant aux détails dans lesquels il est entré, la chambre me permettra de ne pas le suivre ; ce sont des questions de personnes que je désire et que je dois désirer m’abstenir de traiter ; ce que je puis déclarer, c’est que le gouvernement aura toujours l’œil ouvert et ne permettra à aucun de ses agents de manquer à ses devoirs.
Si quelques-uns sont accusés d’y avoir manqué, et continuent à rester en place, c’est que nous n’avons jamais reçu les informations qui pouvaient nous donner la conviction qu’ils y avaient réellement manqué, et je crois que jusqu’à preuve ultérieure, sous ce rapport, nous avons bien agi en agissant comme nous l’avons fait, et nous aimons encore à croire qu’il n’y a dans toutes les imputations dont il ont été l’objet, que de ces susceptibilités honorables dont je parlais tout à l’heure.
- La discussion générale est close.
M. Scheyven dépose sur le bureau le rapport sur le budget de la justice.
M. le président – Ce rapport sera imprimé et distribué, à quel jour veut-on fixer la discussion ?
M. Dubus (aîné) – Je demande qu’on attende que le rapport ait été distribué avant d’en fixer la discussion. Il est très long et le règlement veut qu’il y ait un intervalle de trois jours entre la distribution et la discussion pour qu’on ait le temps d’examiner.
- La chambre décide que le jour de la discussion de ce rapport sera fixé ultérieurement.
La séance est levée à 4 heures et demie.