(Moniteur belge n°151 du 30 mai 1840)
(Présidence de M. Fallon)
M. Lejeune fait l’appel nominal à 1 heure et demie. La séance est ouverte.
M. Mast de Vries donne lecture du procès-verbal de la précédente séance, dont la rédaction est adoptée.
M. Lejeune fait connaître l’analyse des pièces adressées à la chambre.
« Le sieur Hartman, major, né à Enkhuysen (Hollande), habitant la Belgique depuis 24 ans, demande la naturalisation. »
« Le sieur Jacques Ophoff, né à Vugh (Brabant septentrional), préposé des douanes à Echeren, demande la naturalisation. »
« Le sieur A.-P. Désiré, habitant Braeschaet depuis 1829, né à Rotterdam, demande la naturalisation. »
- Ces trois pétitions sont renvoyées au ministre de la justice.
« Les conseils communaux de Lueweghem, Alsline, Vasselaire, Elene demandent que le traitement des desservants des succursales soit augmenté pour la décharge des communes. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Les communes de Loenhout, Esschen, Westweze, Brecht et Calmsthout demandent la prohibition à la sortie du noir animal, et que le transport puisse s’en opérer à l’intérieur sans droit de barrière. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des habitants de la commune de Vieille-Salm demandent que cette commune soit divisée en trois communes distinctes sous les dénominations de Vieille-Salm, Salm-Château et Petit Thier. »
Sur la proposition de M. Metz, la commission des pétitions est invitée à faire un rapport sur cette pétition avant la clôture de la session.
Le sénat, par divers messages, informe la chambre qu’il a adopté :
- le projet de loi accordant des pensions de réformes à des militaires qui ne peuvent rester au service par suite d’infirmités ne donnant pas de droits à la pension de retraite ;
- le projet de loi accordant aux militaires pensionnés depuis la promulgation de la constitution, les avantages de la loi du 24 mai 1838 sur les pensions de retraite ;
- le projet de loi allouant au département de la guerre un crédit de quatorze millions de francs pour faire face aux dépenses de cet exercice, jusque dans le courant du mois de novembre ;
- le projet de loi autorisant le gouvernement à retenir sous les armes jusqu’au 1er mai 1841, les miliciens des classes de 1833, 1834 e 1835.
- le projet de loi relatif à la réduction du tarif de la navigation sur la Sambre ;
- le projet de loi modifiant l’article 8 de la loi du 6 juin 1839 sur les céréales ;
- le projet de loi autorisant l’établissement d’un pénitentiaires pour les jeunes délinquants ;
- le projet de loi autorisant un transfert du budget du département des travaux publics de l’exercice de 1838, à celui de l’exercice de 1839 ;
- les projets de loi conférant la naturalisation ordinaire au sieur Nicolas Chevalier, pharmacien à Remich (Luxembourg) et la grande naturalisation au sieur Pierre-Jean-Lous Von den Bussch, domicilié à Tongres, au sieur Alexandre-François Von den Bussch, domicilié à Tongres, au sieur Denis Moles Lebailly d’Hont, propriétaire à Bruges, et au sieur Joseph Zurstrassen, négociant à Verviers.
Le sénat informe la chambre qu’il a rejeté la prise en considération de la demande en naturalisation ordinaire du sieur Ferdinand-Joseph Molet, fermier à Rumes, province du Hainaut.
Le sénat a également renvoyé à la chambre les dossiers relatifs aux demandes de grande naturalisation qu’il a prises en considération des sieurs :
André-Joseph-Jules-Hubert Grand-Ty, fabricant à Verviers ;
Charles-Florimont Ligier, huissier près le tribunal de première instance de Tournay, domicilié à Lessines ;
Ferdinand-Ignace-Guillaume-Nicolas de Creeft, domicilié à Saint-Trond ;
Et les dossiers relatifs aux demandes en naturalisation ordinaire, qu’il a aussi prises en considération, du comte Arrivabene, rentier à Gaesbek, province de Brabant,
Du sieur Hippolyte-Joseph Dupont, négociant à Dour, province du Hainaut ;
Du sieur Jean-Pascal-Léopold Cazin, propriétaire à lens, province de Hainaut ;
Du sieur Ernest Jeannin, sergent d’artillerie ;
Du sieur Henri-Albert-Joseph Chotteau, typographe à Bruxelles ;
Du sieur Louis-Joseph Drumel, cultivateur à Ciney, province de Namur ;
Du sieur J.-B.-P. Dubrule, cultivateur à Ramegnies-Chin, province de Hainaut ;
Du sieur Auguste-Joseph Dubrule, frère du précédent ;
Du sieur Fidèle-Amand-Constant-Joseph Catteau, cultivateur à Nechin, province de Hainaut ;
Du sieur J.-B.-J. Weterings, pharmacien à Bruxelles ;
Du sieur Henri-Joseph Baux, instituteur à Florennes, province de Namur ;
Du sieur Marie-Joseph-Abel Detrand, instituteur à Ville-Pommeroeul, province de Hainaut ;
Du sieur Martial Duvernay, chapelier à Nieuport ;
Du sieur Charles Soyez, domicilié à Tilleur, rovince de Liége, délégué du gouvernement près des établissements d’Andennes ;
Du sieur Henri-Fleur-Ange Verdhust, commis des accises à Beveren (France occidentale) ;
Du sieur Eugène-Louis-François Robert, receveur du chemin de fer à Malines ;
Du sieur Désiré-François-Guillaume Bruex, fabricant à Furnes ;
Du sieur Joseph-Nicolas Begasse, fabricant à Liége ;
Du sieur Hubert Rogissart, propriétaire à Mino (Luxembourg) ;
Du baron Frédéric-Guillaume de Broich, major pensionné, à Namur ;
Du sieur Casimir-Hubert Wibault, fermier et brasseur, à Bleharies (Hainaut) ;
Du sieur Thomas Biolley, commis de commerce, à Verviers ;
Du sieur Antoine-Auguste-César Dernancourt, fermier à Maulde (Hainaut) ;
Du sieur Robert-François-Joseph Lefebvre, fermier à Herinnes (Hainaut)
M. Zoude – Une dénonciation faite par le sieur Tack, ingénieur à Gand, vous signale des prétendues dilapidations qui auraient été commises dans l’exécution des chemins de fer, et provoque une commission d’enquête qui serait composée de membres de la chambre, chargée de la recherche des abus dont toute l’administration des travaux publics ses serait rendue coupable.
Cette accusation pèserait d’abord sur les trois ministres qui ont eu successivement les chemins de fer dans leurs attributions, MM. Rogier, de Theux et Nothomb ; car cette accusation s’applique au passé comme au présent.
Viendraient ensuite le corps des ponts et chaussées, les entrepreneurs et adjudicataires des travaux, les propriétaires de terrains occupés par ces chemins, les experts qui ont été chargés de leur évaluation, les notaires qui ont rédigé les actes, les tribunaux qui ont prononcé les expropriations, tous les agents enfin qui, en matière quelconque, ont concouru à ces ventes.
Cet article des terrains étant le plus élevé, puisque seul il excéderait le chiffre de 4 1/2 millions de francs, étant aussi celui qui aurait exigé le plus grand nombre de coopérateurs, sans cependant qu’aucune indiscrétion ait été signalée, il est très présumable que ce grand chef d’accusation est au moins hasardeux, puisque le pétitionnaire ne précise rien, ne se livre qu’à des conjectures.
Or, si dans l’imputation d’un fait aussi grave, où des preuves sembleraient devoir être si faciles à acquérir, l’accusation reste dans le vague, que peut-on augurer de tous les griefs secondaires ?
D’après ce simple exposé et dans l’état actuel des choses, votre commission estime qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur cette pétition ; en conséquence, elle a l’honneur de vous proposer l’ordre du jour.
M. Delehaye – Je crois que la commission a mal saisi la pensée du sieur Tack. Je pense qu’elle a confondu sa brochure avec sa pétition. Dans sa pétition, le sieur Tack ne prétend pas qu’il y a eu des vols ; il déclare seulement que les travaux ont été faits de telle manière que les dépenses ont été plus fortes qu’elles n’auraient dû l’être. C’est ainsi que dans la discussion du budget des travaux publics j’ai fait connaître certains faits qui sont restés dans leur entier, et sur lesquels l’opinion publique est unanime dans les Flandres.
Aujourd’hui, le sieur Tack signale ces faits ; et la commission propose de passer à l’ordre du jour. Qu’en résulterait-il si vous adoptiez cette proposition ? Que vous ne prendriez pas l’intérêt du pays à cœur. Car si les faits sont exacts, il est à désirer que la chambre appelle sur ces faits l’attention de M. le ministre des travaux publics. Je crois que la dignité de cette assemblée et l’intérêt du pays exigent que la pétition lui soit renvoyée. Il verra que son prédécesseur a été induit en erreur par quelques-uns de ses agents ; et il est certain qu’il l’a été ; car le sable a été acheté à cinq ou six fois sa valeur. Voilà des faits que personne ne peut méconnaître. Dès lors n’importe-il pas de les prévenir ?
M. Nothomb – Messieurs, dans la pétition sur laquelle l’ordre du jour vous est demandé par votre commission, on s’en réfère à une brochure ; de sorte qu’il me semble que M. le rapporteur ne s’est pas écarté de la question en s’occupant un moment de la brochure.
Le pétitionnaire demande qu’il soit institué une commission d’enquête par la chambre, dans un double but ; dans le but d’établir 1° que les dépenses qui ont été faites jusqu’à présent pour les travaux du chemin de fer ont été exagérés, 2° que le montant des crédits demandés est également exagéré. Voilà donc le double but de la pétition, voilà le double objet assigné à l’enquête. C’est sur cette demande de nomination d’une enquête que l’ordre du jour vous est proposé, sans préjudice des explications que je pourrai donner spontanément à la première occasion. Cette occasion, la discussion de l’emprunt nous l’offrira. Ces explications, je les donnerai en général, n’ayant en vue que les choses elles-mêmes.
L’honorable préopinant, au contraire, ne demande pas qu’il soit fait une enquête parlementaire ; il demande qu’il soit fait sur la gestion de l’ancien ministre une enquête administrative par le nouveau ministre. C’est là le but du renvoi. C’est constituer l’ancien ministre des travaux publics en suspicion, et charger le ministre actuel de faire une enquête sur l’administration précédente. Il s’agit d’une accusation collective contre toute l’administration dont j’ai été le chef pendant plus de trois ans. Il ne s’agit pas ici de quelques abus partiels presque inséparables de toutes les affaires humaines, surtout possibles dans une entreprise aussi gigantesque, aussi neuve. Il ne s’agit pas de quelques erreurs individuelles. Il s’agit d’une accusation systématique, collective.
Tel est son caractère. Du moment qu’on dépouille l’accusation de ce caractère, l’enquête parlementaire devient sans objet ; car elle se réduirait alors à l’allégation de quelques abus partiels, qui ont pu se glisser dans l’administration du chemin de fer, comme il peut s’en glisser dans les autres administrations.
On vous a rappelé une discussion qui a signalé le cours de cette session : la discussion relative au sable. L’honorable préopinant prétend qu’aucun des faits qu’il a allégués n’a été détruit. Je crois, au contraire, que les fait ont été expliqués à la satisfaction de l’assemblée. Et pour vous parler spécialement des assertions de l’honorable membre, vous devez vous rappeler qu’il s’était particulièrement attaché à la fourniture du sable pour deux sections près de Gand, fourniture faite par adjudication publique. Or, c’est assurément la forme la moins compromettante pour l’administration, la forme que vous avez toujours recommandée comme assurant le plus de garantie. Si, malgré toutes les précautions de l’adjudication publique, il se trouvait par hasard que l’Etat eût été lésé, il ne faudrait pas s’en prendre à l’administration, mais aux défectuosités que présente la forme même la plus garantissante en apparence.
Je ne puis donc en aucune manière adhérer au renvoi à mon successeur, si l’on y attache le sens d’une enquête sur mon administration. J’ai donné les renseignements dans mon dernier rapport du 12 novembre 1839, sur toutes les parties de l’administration ; s’ils sont incomplets, M. le ministre des travaux publics les complètera dans le rapport qu’il doit faire cette année ; ce contrôle je l’accepte et ne le crains pas. Je regrette l’absence de mon honorable successeur ; je doute qu’il veuille du rôle qu’on lui décerne, en lui renvoyant la pétition.
Dans tous les cas, je demanderai formellement l’ordre du jour sur la proposition d’enquête parlementaire. Si la chambre était disposée à l’admettre, comme je ne puis subir une mesure dont le but serait de jeter un blâme sur moi, je demanderai une discussion préalable en la fixant à une autre séance. Je me réserve d’ailleurs de donner des explications dans la discussion de l’emprunt, explications qui se présenteront naturellement et qu’il est inutile de provoquer par un renvoi quelconque.
M. Zoude, rapporteur – L’honorable M. Delehaye accuse la commission de s’être occupée de la brochure, tandis qu’elle ne devait s’occuper que de la pétition. Mais la pétition renvoie à la brochure, et la brochure a été adressée à la chambre. La commission a donc dû se reporter à la brochure, d’autant plus que c’est là que sont allégués les faits les plus graves.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Lebeau) – Nous regrettons qu’une indisposition empêche le ministre des travaux publics de répondre directement à l’interpellation de l’honorable M. Nothomb. Mais je crois pouvoir déclarer en son nom, au nom de mes collègues et du mien, que nous n’hésiterons pas à voter pour l’ordre du jour pur et simple. Je ne sais, au reste, ce que les explications de M. le ministre des travaux publics apporteraient dans cette affaire. Il s’agirait, d’après le pétitionnaire, de faits nombreux qui se seraient passés à une époque assez éloignée, de faits dénaturés probablement par des ressentiments personnels. Je ne fais allusion, bien entendu, à rien de ce qui s’est passé dans la chambre, mais à ce qui s’est passé en dehors de la chambre. Quant à moi, je suis parfaitement déterminé à voter l’ordre du jour pur et simple ; et je ne crois pas que la chambre doive s’arrêter plus longtemps à cette triste affaire.
M. Delehaye – Le pétitionnaire énonce un fait, allégué par le ministre des travaux publics et contredit par tous les ingénieurs en chef, lequel fait est relatif à la longueur du chemin de fer. De ce fait résulte une exagération de dépenses de plusieurs centaines de mille francs. Je vous demande si un fait comme celui-là n’est pas de nature à appeler l’attention du gouvernement.
Si j’ai demandé le renvoi à M. le ministre des travaux publics, ce n’est pas pour faire un reproche à l’ancien ministère ; car j’ai reconnu que l’administration du chemin de fer avait remédié à certains abus, c’est uniquement pour que les faits qui ont été signalés ne puissent se renouveler.
On a dit qu’il était assez étrange que précisément les faits que je signalais se rattachassent à des fournitures faites par adjudication publique. Mais veuillez vous rappeler que j’ai dit qu’une administration qui ne consultait pas l’intérêt du pays pouvait toujours lui porter préjudice, quel que fût le mode employé. J’ai expliqué comment. J’ai dit que l’on insérait dans le cahier des charges une clause onéreuse qui était obligatoire ou ne l’était pas selon que tel ou tel était adjudicataire. C’est ainsi que le transport des sables, près de Gand, qui, d’après le cahier des charges, devait être effectué dans un délai de trois mois, n’avait pas même eu lieu, au bout d’une année.
C’est là un fait connu ; et par là on peut juger s’il y a eu des abus.
M. Nothomb – On n’en a pas cité de fait.
M. Delehaye – N’a-t-on pas payé jusqu’à 17 francs, à Bruges, des sables qu’on ne payait que 3 et 4 francs ailleurs ?
M. Nothomb – Cela a été expliqué.
M. Delehaye – Cela a été expliqué par vous, mais personne n’a admis vos explications.
Je voudrais que les abus que nous avons signalés ne pussent plus se renouveler, c’est pour cela que je demande le renvoi de la pétition au ministre des travaux publics.
M. Nothomb – Je vois que le préopinant attache un sens très défavorable pour l’administration dont j’ai été le chef, au renvoi qu’il demande de la pétition à mon successeur. C’est que, par exemple, selon lui, aucune explication satisfaisante n’a été donnée en janvier dernier sur les fournitures de sable, qu’un grand nombre d’abus se sont introduits dans l’administration du chemin de fer et que le ministre précédent n’a pas apporté tous les soins nécessaires à la répression de ces abus.
Il suffira donc d’un homme se présentant sans aucun antécédent, sans aucun de ces antécédents que peuvent donner le savoir éprouvé, et les services rendus, pour venir mettre en doute l’honneur collectif de toute une administration, pour donner en quelque sorte un démenti à la confiance accordé par les deux chambres pendant trois années à un homme politique ?
Je le demande, est-ce qu’un fait précis, un seul fait est indiqué dans la pétition ? Aucun.
M. Delehaye – Il en est dans la brochure.
M. Nothomb – Dans la brochure ! Mais vous avez dit que vous ne vouliez pas l’introduire dans la chambre. En effet, il n’est pas de la dignité de la chambre d’accueillir un pamphlet aussi dégoûtant. Laissez donc de côté la brochure, soyez conséquent avec vous-même. Eh bien, la brochure écartée, y-a-t-il un seul fait précis articulé ? S’il en est ainsi, qu’on le cite ; je me charge d’y répondre. Je demande le temps nécessaire pour recueillir les renseignements dont j’ai besoin et je répondrai à tous les faits qu’on voudra citer un à un. Je n’entends pas être traité autrement qu’on ne traite un homme qu’on accuse.
La tentative qu’on fait contre l’administration dont j’ai été le chef, on l’avait faite contre l’administration de la guerre ; cette tentative, si vous l’encouragez aujourd’hui, on peut la renouveler contre toutes les administrations du pays. C’est surtout parce que cette tentative se reproduirait, parce que vous donneriez une prime d’encouragement à toutes les mauvaises passions, que je demande maintenant l’ordre du jour pur et simple et sur la proposition d’enquête parlementaire et sur la demande du renvoi au ministère ; les explications du préopinant m’imposent cette double obligation.
Mais lorsqu’on posera un fait quelconque, je demanderai à être entendu. Par exemple, en ce qui concerne la longueur des lignes, je répondrai dans la discussion de l’emprunt ; je répondrai également alors à tous les faits dont on a entretenu le public. On nous accuse au sujet des terrassements, des terrains, des travaux d’art qu’on a comparés à ceux de l’Angleterre ; des locomotives.
Puisqu’on m’accuse, dussé-je prolonger même outre mesure vos discussions, je poserai moi-même les faits, parce qu’on n’oserait pas le faire en citant la brochure qu’on repousse de cette enceinte.
Je demande donc l’ordre du jour pur et simple sur la pétition, me réservant toutes les explications qui se rattachent aux nouveaux crédits demandés.
M. de Brouckere – Il ne m’appartient pas d’interpréter quelles sont les intentions qui ont dominé l’honorable député de Gand, quand il a demandé le renvoi de la pétition au ministre des travaux publics.
M. Delehaye – Pour éclairer la chambre.
M. de Brouckere – Quelles que soient ces intentions, je déclare que je n’appuie pas le renvoi au ministre. D’abord, je n’ai pas la pensée d’articuler ni contre l’honorable M. Nothomb, ni contre l’administration dont il a été pendant trois ans le chemin de fer, la moindre accusation de malversation ni le moindre reproche relativement à un acte répréhensible. Mais il vous a dit que, dans une administration aussi compliquée, aussi gigantesque que celle du chemin de fer, dans une administration qui a eu des sommes aussi immenses à dépenser, il doit nécessairement s’être glissé des abus. Ne croyez-vous pas que la chambre ne doit pas passer trop légèrement sur une pétition, quelle qu’elle soit, dans laquelle on signale les abus qui peuvent exister dans cette administration de l’aveu même du chemin de fer du département dont elle fait partie.
Qu’y a-t-il donc à faire ? Faut-il s’occuper de la proposition d’enquête ? Assurément non, car on ne fait d’enquête que quand il y a un commencement de preuve d’actes répréhensibles. Or, on n’a administré aucun commencement de preuve de cette espèce. Faut-il renvoyer la pétition au ministre ? Je crois que ce renvoi serait inopportun. Il est à remarquer que le ministre actuel est aussi l’objet des reproches du pétitionnaire. Que doit faire la chambre ? une seule chose ; ordonner le dépôt au bureau des renseignements.
Plusieurs voix – Non ! non !
M. de Brouckere – Si vous n’êtes pas de cet avis, vous voterez contre ma proposition. Ces murmures me paraissent bien inopportuns.
Je dis donc que, selon moi, la chambre n’a qu’une mesure à prendre, c’est d’ordonner le renvoi au bureau des renseignements. Voici pourquoi :
D’ici à peu de temps, à l’occasion de la loi de l’emprunt, nous aurons à discuter beaucoup d’actes relatifs à l’administration du chemin de fer. C’est si bien l’opinion de M. Nothomb que nous aurons à revenir sur les griefs élevés contre l’administration du chemin de fer, qu’il demande l’ajournement de ceux dont il a été question à la discussion de l’emprunt. C’est ainsi qu’il a fini. Quant aux faits j’y répondrai : je demande l’ajournement de la discussion afin de m’expliquer lorsque nous nous occuperons de la loi d’emprunt. Pour moi, j’aurais fait la même chose. Et la première fois qu’il a été question de la pétition, j’ai vu avec plaisir M. Nothomb demander un rapport à bref délai, afin qu’on pût s’occuper de la pétition quand viendrait le moment de discuter la loi d’emprunt, parce que dans les 90 millions, sont compris 66 millions pour le chemin de fer.
Eh bien, à l’occasion d’une demande de 66 millions, il est naturel que chaque membre puisse examiner de nouveau tout l’administration du chemin de fer. Je crois même pouvoir ajouter une chose, c’est que l’honorable M. Nothomb prendra fait et cause dans la discussion autrement que comme ancien ministre. Je crois qu’il n’est pas tout à fait d’accord avec le ministre actuel sur la somme nécessaire. En ordonnant le dépôt, vous ne préjugez rien. Je déclare que si de ce dépôt devait résulter la moindre apparence de blâme sur l’honorable M. Nothomb ou son administration, je voterais pour l’ordre du jour. C’est donc sans aucune espèce de blâme, c’est parce que je crois de la dignité de la chambre de ne pas prendre une décision qu’après avoir entendu toutes les explications, que je demande le simple dépôt sur le bureau des renseignements.
M. Delehaye – Je me rallie à cette proposition.
M. F. de Mérode – J’appuie les conclusions de l’ancien ministre des travaux publics. Je demande l’ordre du jour sur une pétition qui ne signale aucun fait avec allégation de preuves ; mais à propos de la pétition qui vient de vous être adressée, je dirai qu’il conviendrait, selon moi, d’établir une commission d’enquête pour examiner quels seraient les moyens d’éviter sur les chemins de fer toute dépense de luxe superflu soit dans leur construction, soit dans leur exploitation, et aussi quel serait le meilleur système propre à tirer de ces voies si commodes mais si onéreuses au trésor public le revenu net capable de le dédommager, autant que possible, et par conséquent de ménager les intérêts des contribuables et notre avenir financier.
Je soumets préalablement cette pensée aux membres de la chambre, afin qu’ils puissent la méditer pendant le petit nombre de jours qui s’écoulera d’ici à la discussion de l’emprunt. Messieurs, pour appeler votre attention sérieuse sur l’institution d’une enquête parlementaire telle que je l’indique, je puis vous assurer que j’ai recueilli de la bouche de l’un de nos ingénieurs les plus capables, que si l’on voulait exploiter ici les chemins de fer comme en Angleterre, on en tirerait probablement l’intérêt des capitaux levés pour la création de ces voies dispendieuses et les frais de leur administration.
M. Desmet – Sans doute il appartient à l’honorable M. Nothomb qu’on attaque de demander l’ajournement, mais nous, chambre, nous devons prononcer l’ordre du jour. Sans cela le premier homme venu pourrait traîner les ministres devant la chambre. Nous ne devons pas être dupes de tout cela, nous serions sous la férule de ces calomniateurs.
C’est avant l’arrivée de M. Nothomb au ministère des travaux publics, que les cahiers des charges étaient faits de telle manière qu’il y avait moyen de dévier des voies de la justice ; et quand ce ministre a fait au cahier des charges toutes les corrections possibles pour éviter les abus, je serais étonné qu’on ne passât pas à l’ordre du jour sur les accusations dont il est l’objet.
J’appuie ce que vient de dire M. de Mérode sur la nécessité de faire une enquête.
Plusieurs membres – C’est ce que demande le pétitionnaire.
M. Desmet – Ce n’est pas de cette enquête-là que je parle à présent. Le chemin de fer aura coûté 150 millions, je n’en fais pas un reproche aux ministres, c’est la chambre qui a voté la dépense ; mais elle n’a pas prévu que ces votes l’entraîneraient si loin. Dans aucun cas, la faute n’en est au ministre qu’on accuse injustement.
Je demande l’ordre du jour.
M. Dumortier – Je suis étonné de voir des députés s’opposer à la demande d’une enquête que je n’approuve pas, et ensuite demander une enquête pour arriver précisément au même résultat ; si vous voulez une enquête pour examiner les améliorations à introduire dans l’administration du chemin de fer, il faut examiner les vices de l’administration précédente. Vous demandez donc précisément ce que vous prétendez rejeter.
Je ne comprends pas ce système de vouloir et ne pas vouloir. Dans mon opinion, il n’y a pas lieu à voter une enquête. Une enquête ne doit pas venir d’une personne étrangère, mais de la chambre elle-même. Si quelqu’un dans la chambre veut proposer une enquête, qu’il le fasse, soit ; mais je ne pense pas qu’un membre fasse cette proposition. Une personne étrangère à la chambre ne peut pas faire une semblable proposition.
Qu’y a-t-il à faire ? Je ne connais pas la pétition plus que vous. Il paraît qu’elle ne contient aucun fait. Nous n’avons dès lors qu’à passer à l’ordre du jour. Nous ne pouvons pas la déposer au bureau des renseignements, car il n’y aurait aucun renseignement à prendre dans une pétition qui ne contient aucun fait. Cependant le droit de pétition est un droit tellement sacré que nous devons voir ce que nous avons à faire et le voir avec maturité.
Il est insolite dans les gouvernements parlementaires qu’un individu vienne dénoncer une administration publique au parlement. Je dis que cela est insolite, car vous n’avez pas d’exemples d’énonciations semblables à celles qui sont faites aujourd’hui. De toutes ces énonciations il n’en résulte rien qui puisse atteindre ni le ministre précédent des travaux publics, ni ceux qui ont géré le chemin de fer ; et je suis porté à croire que tout ceci n’est que de la récrimination ; non seulement on adresse des reproches de dilapidation à l’ancien ministre des travaux publics, mais encore à l’honorable M. Rogier, qui vient de reprendre la direction de ce département.
M. Delehaye – On n’adresse pas de reproches à M. Rogier.
M. Dumortier – J’en parle d’après ce que j’ai lu dans les journaux et je dis : puisqu’on adresse des reproches à M. Rogier, on peut avoir la mesure des reproches adressés au ministre précédent. Il est des hommes toujours tentés d’adresser des reproches d’improbité à ceux qui gouvernent l’Etat ; la Belgique, cependant, peut se glorifier d’avoir vu à la tête de ses administrations des hommes sans fortune et qui ont quitté le pouvoir les mains vides : notre pays n’a pas fourni les tristes exemples que présentent des pays voisins ; c’est ce que nous pouvons dire avec satisfaction à la face des nations.
Je crois qu’il y a lieu d’admettre la proposition de M. Nothomb, c’est-à-dire d’ajourner la discussion sur le chemin de fer jusqu’à la discussion sur l’emprunt. M. Nothomb a des explications à donner. Par cet ajournement vous ferez un acte de justice, et vous donnerez les moyens d’éclairer la chambre et le pays sur les accusations du sieur Tack. Si vous n’adoptez pas la proposition de M. Nothomb, j’appuierai la demande d’ordre du jour.
M. de Brouckere – J’avais demandé la parole pour relever ce qu’il y avait de singulier dans les contradictions où sont tombés MM. Desmet et de Mérode. Ces deux orateurs se sont levés pour prendre fait et cause en faveur de l’administration du chemin de fer, et pour repousser, avec toute le monde, la demande d’enquête ; mais chose singulière ; c’est qu’après avoir combattu la demande d’enquête, ils réclament eux-mêmes une enquête.
M. F. de Mérode – Mais c’est sous un autre rapport, c’est pour l’avenir !
M. de Brouckere – Si ce n’est pas cela que vous avez réclamé, je ne sais pas ce que vous avez dit. Vous demandez une enquête pour l’avenir ; mais il serait impossible d’examiner ce qu’il faut faire pour l’avenir sans examiner ce qui a été fait dans le passé. Quel est le but des deux honorables orateurs ? C’est qu’on fasse mieux, or, pour cela il faut savoir comment on a fait ; donc ces messieurs ont formellement demandé une enquête ; et moi, je me lève pour repousser cette demande, parce que je ne veux adresser aucune reproche aux administrations antérieures. S’il y a eu des abus dans ces administrations, ce sont ceux qui sont inséparables d’entreprises si neuves et aussi gigantesques.
L’honorable M. Desmet a dit qu’il s’agissait de connaître comment avaient procédé les administrations du chemin de fer depuis qu’il est en construction ; il pense qu’il y a des erreurs dans les manières de faire des adjudications, même avant que M. Nothomb fût directeur de ce département. C’est pour cela qu’il propose le dépôt au bureau des renseignements ; mais ce dépôt nous éclairera moins que l’ajournement de la discussion. J’appuie donc l’ajournement ; car, à l’occasion de l’emprunt, on examinera ce qui s’est passé dans les chemins de fer.
M. Nothomb – Je regrette que l’honorable préopinant, pour la deuxième fois, ait mal rendu mes paroles. Je voulais attirer votre attention sur une distinction très importante.
Je vous faisais remarquer qu’il s’agissait ici d’une accusation collective contre une administration, en remontant jusqu’à 1834 ; d’un accusation qui comprend tout le monde jusqu’au ministre ; qu’il ne s’agissait pas d’une accusation individuelle, portant sur des faits spéciaux. J’ajoutais qu’il se pouvait sans doute que, dans une administration si vaste, dans une entreprise aussi immense, il y ait eu des irrégularités, des abus même ; j’ai eu l’occasion de réprimer les abus quand ils m’ont été signalés. Y a-t-il là aveu de ma part d’abus commis par moi et encore à réprimer. Améliorer, n’est-ce pas réparer et prévenir les abus ; et je prétends avoir fait bien des améliorations. Est-ce que dans toutes les administrations, dans toutes les entreprises, il n’y a pas tous les jours répression d’abus à mesure qu’on les découvre ; ne donnez donc pas à mes paroles un sens qu’elles n’ont pas ; je n’ai pas reconnu l’existence d’abus non réprimés.
J’ai dit que les incriminations ou les récriminations ne reposent sur aucun fait ; pour vous le prouver, permettez-moi de lire la fin de la pétition.
« Dans sa pétition à la chambre, M. Désiré Tack se fait fort de prouver ;
1° POUR LE PASSE, c’est-à-dire pour l’emploi des fonds que vous avez votés jusqu’ici, l’analyse du compte-rendu présenté aux chambres législatives, le 12 novembre 1839, par M. Nothomb, analyse dont le pétitionnaire présente un développement global dans une brochure qui sera distribuée aux chambres, fournit les prémisses des preuves de la dilapidation DU TIERS des capitaux que vous avez votés jusqu’ici pour la construction de nos chemins de fer... et il se fait fort de vous démontrer que les dilapidations commises sous les auspices et le manteau d’adjudication, marchés et soumissions, ont été supérieures encore à cet énorme capital ;…
M. Nothomb – Vous voyez qu’on s’en réfère à la brochure ; hé bien, ce pamphlet écrit du style le plus ignoble, doit devenir la base de la discussion, je le lirai publiquement : vous m’arrêterez à la deuxième page.
« 2° POUR LE PRESENT, c’est-à-dire pour la nouvelle demande d’un crédit de 54 millions de francs que l’administration des travaux publics, c’est-à-dire MM Rogier-Nothomb et le conseil des ponts et chaussées, prétendent nécessaire pour l’achèvement des lignes décrétées formant le railway national, le pétitionnaire se fait fort, messieurs, de vous administrez les preuves que l’administration des travaux publics EST DANS L’IMPOSSIBILITE de justifier la demande de cet énorme capital aux yeux d’hommes compétents, désintéressés dans la question actuelle des marchés et fournitures. Il se fait fort de vous administrer dans le délai de la dizaine qui suivra le compte-rendu de sa pétition à la chambre, si elle reçoit un accueil favorable, les preuves flagrantes, irréfutables de ce que dans L’HYPOTHESE MEME OU L’ON NE FERAIT AUCUNES DILIGENCES POUR LE RECOUVREMENT DES CAPITAUX DILAPIDES SUR LES FONDS QUE VOUS AVEZ VOTES JUSQU’ICI, le dernier mximum des fonds nécessaires pour le parachèvement des lignes décrétées, avec une exécution loyale, honnête et l’économie qu’exigent les intérêts du pays, ne saurait dépasser les 28 à 30 millions de francs ; qu’ainsi l’énorme excédant que l’on vient vous demander ne peut avoir pour objet : 1° ou bien de couvrir des déficits occultes dans les caisses du département des travaux publics, déficits que l’on n’aurait encore qu’imparfaitement masqués par les chiffres faux et fantaisistes du document du 12 novembre ; 2° ou bien de répéter sur les nouveaux fonds les édifiantes opérations que vos propres discussions en janvier dernier et les révélations de la brochure du pétitionnaire ont démasquées dans l’emploi des capitaux précédemment votés, et donc il est sur le point de fournir de nouvelles preuves devant le jury. »
M. Nothomb – Le pétitionnaire, vous le voyez, n’a même aucune idée de la comptabilité ; il suppose des caisses au ministère des travaux publics. Quant à la cour des compte, elle n’existe pas pour lui.
Il n’y a donc aucun fait spécial dans la pétition ; si un fait spécial s’y trouvait, il y aurait lieu de demander des explications sur ce qui le concerne ; il y aurait lieu, en cas de silence de ma part, de demander au ministère actuel de s’enquérir du fait. Mais rien de semblable n’est articulé ; on se borne à lancer une accusation contre toute une administration, en se référant à un pamphlet dont personne n’oserait donner lecture dans cette enceinte.
Le dépôt au bureau des renseignements n’apprendrait rien à la chambre ; vous n’êtes en présence que d’allégations vagues et d’une brochure dont vous n’oseriez vous saisir officiellement.
M. Demonceau – Je crois apercevoir trois questions surgissant dans ce débat : Faut-il passer à l’ordre du jour ? faut-il renvoyer au bureau des renseignements ? faut-il ajourner la discussion ?
J’examinerai d’abord celle de savoir s’il faut renvoyer au bureau des renseignements. Mais pour ordonner ce renvoi, la pétition devrait contenir des renseignements positifs ; car déposer au bureau des renseignements des accusations vagues, n’a, selon moi, aucun sens. Si l’on désire avoir des renseignements exacts sur ce qui se passe aux travaux publics, la chambre les obtiendra dans la discussion du projet concernant l’emprunt pour terminer le chemin de fer.
Dans ce moment-ci et depuis dix jours à peu près, nous sommes en relations continuelles avec le ministère des travaux publics, afin de pouvoir mettre la chambre et le pays à même de bien comprendre ce qu’a coûté le chemin de fer jusqu’à ce jour, et ce qu’il doit coûter encore au maximum, pour être entièrement achevé. Vous aurez sous les yeux des documents que vous pourrez consulter ; ce ne sont pas là des allégations vagues, ce sont des calculs plus ou moins exacts qui émanent d’une administration qui a montré, selon moi, beaucoup de capacité. J’ai eu souvent l’occasion d’être en relations avec l’administration des travaux publics, et je dois le dire, à son honneur, que j’ai toujours obtenu les renseignements les plus exacts.
Je suis donc loin de supposer qu’il y ait eu ici, comme semble l’insinuer le pétitionnaire, qu’il y ait eu ici la moindre malveillance de la part de qui que ce soit dans l’administration du chemin de fer. C’est pour ce motif, messieurs, que je voterai l’ordre du jour. Si vous désirez avoir une discussion sur le véritable coût du chemin de fer et sur les dépenses auxquelles il doit donner lieu pour son entier achèvement, vous n’avez pas besoin pour cela d’une pétition telle que celle dont il s’agit en ce moment ; vous aurez des renseignements du ministère des travaux publics, vous les aurez peut-être dans 24 heures, et vous pourrez vous former une idée des travaux auxquels l’administration des travaux publics s’est livrée pour mettre la question à même d’être jugée en pleine connaissance de cause. Je pense donc, messieurs, qu’il y a lieu de passer à l’ordre du jour sur la pétition, et que lors de la discussion du projet de loi sur l’emprunt, vous obtiendrez tous les apaisements désirables relativement à l’administration des travaux publics.
M. Desmet – Il est bien facile, messieurs, de répliquer à des paroles qui n’ont jamais été prononcées ; c’est de cette manière cependant que l’honorable M. de Brouckere a répondu à l’honorable M. de Mérode et à moi, lorsqu’il a dit que nous demandions l’enquête en même temps que nous nous opposions à cette enquête. L’enquête que provoque la pétition est une enquête de défiance, de blâme pour l’administration du ministère précédent, tandis que l’enquête que nous demandons n’aurait d’autre objet que de nous apprendre où nous conduiront toutes les dépenses que nous avons déjà votées et que nous serons appelés à voter encore pour le chemin de fer. J’ai même ajouté que l’extension donnée au chemin de fer n’était pas le fait de l’administration, mais surtout le fait de la chambre.
J’ai donc été loin d’accuser le ministère qui a précédé celui dont l’honorable M. Nothomb a fait partie. J’ai dit seulement que M. Nothomb a introduit des modifications dans l’administration, qu’il avait surtout introduit dans les cahiers des charges des corrections telles que, sous ce rapport, ces abus sont presque devenus impossibles, je ne pense pas que l’on puisse voir dans ces paroles une accusation contre qui que ce soit.
M. F. de Mérode – Messieurs, l’enquête telle que la demande le sieur Tack est une enquête de récriminations et d’accusations lancées au hasard. L’autre enquête, telle que je l’entends, ne concernerait pas des dilapidations prétendues, mais des précautions à prendre pour qu’un ministre quelconque des travaux publics ne s’engouât point du faux brillant qui peut s’attacher à une organisation grandiose de ces travaux, à la multitude des voyageurs ou promeneurs qui circuleront sur les chemins de fer ; pour qu’on s’occupe sérieusement non de la recette brute, mais des revenus nets qui rentreront au trésor de l’Etat, dont les chemins de fer absorbent les ressources d’une manière inquiétante si on n’y prend garde.
Il est facile de comprendre la différence de ces deux genres d’enquête. On peut bâtir un édifice charmant et sans dilapidation. On peut bâtir le même édifice avec économie dans sa forme et ses ornements. C’est là l’économie que je veux atteindre. Je veux que nous soyons garantis contre l’entraînement des ministres que certains journaux poussent toujours à la magnificence sur un seul objet, comme si nous ressources étaient inépuisables et que nous n’eussions pas divers besoins à satisfaire.
M. Delehaye – Messieurs, comme l’a très bien dit le pétitionnaire, il ne s’agit pas seulement de signaler des abus passés, mais encore de prévenir des abus futurs. En ce qui concerne les dépenses à faire pour achever les lignes du chemin de fer décrétées, dépenses que l’administration a évaluées à 60 millions, le pétitionnaire dit qu’il se fait fort de prouver qu’une somme de 28 à 30 millions est suffisante pour cet objet. Remarquez bien, messieurs, que celui qui tient ce langage est un homme qui a l’habitude de ces sortes de choses ; c’est un ingénieur mécanicien très estimé, dont la capacité est universellement reconnue. Cet homme a une position sociale très bonne ; il a intérêt autant que nous tous à ce qu’il n’y ait point de dilapidations, à ce qu’il n’y ait point d’abus ; eh bien, il se fait fort de prouver que les dépenses du chemin de fer ont été considérablement exagérées. Jusqu’ici cet homme a seul parlé ; mais ses observations ont paru si sages, si fondées, que sa brochure n’est plus son ouvrage ; il avait fait insérer ses articles dans un journal, et ce sont des hommes en très grand nombre et très importants de la ville de Gand qui ont réuni ces articles en brochures et qui les ont fait imprimer à leurs frais.
M. Nothomb – Les orangistes.
M. Delehaye – Je trouve cette assertion tout à fait inconvenante ; je trouve fort étrange que M. Nothomb, qui voulait, lorsqu’il était ministre, ramener la paix dans le pays, vienne qualifier d’orangistes des hommes qui ont fait plus que lui pour la révolution, qui ont exposé leur vie pour elle, qui ont exposé pour elle une grande fortune, ce que M. Nothomb n’a certes pas fait. M. Nothomb croit avoir tout dit quand il a lancé l’épithète d’orangiste ; mais je crois pourvoir dire que les hommes auxquels il s’adresse peuvent invoquer des antécédents qu’il est loin de pouvoir invoquer lui-même, qu’ils ont, je le répète, fait beaucoup plus que lui pour la révolution. Ces hommes sont peu dévoués à la révolution parce qu’ils en ont reçu du bien ; ils avaient une position sociale très avantageuse ; ils occupaient des places qu’ils ont abandonnées du moment que le pays n’avait plus besoin de leur services.
Je le déclare sur l’honneur, parmi ceux qui ont fait imprimer la brochure dont il s’agit, il est beaucoup d’hommes dont chacun de nous s’estimerait honoré de pouvoir serrer la main ; lorsque ces hommes ont dénoncé les abus dont il est question, ils l’ont fait par véritable patriotisme et nullement par animosité ou par des motifs personnels quelconques. Ces abus existent, on ne peut pas les méconnaître ; lorsque nous avons signalé, par exemple, ce qui s’est passé à Gand et Bruges, on ne nous a pas réfuté ; eh bien messieurs, lorsque de semblables abus vous sont dénoncés, non pas par un seul homme, mais par les habitants les plus notables de la ville de Gand, non, messieurs, vous ne pouvez pas vous dispenser d’examiner les faits.
M. Nothomb – Je savais depuis longtemps que l’honorable préopinant s’était en quelque sorte donné, dans cette chambre, la mission de réhabiliter l’orangisme (Interruption.) Je me félicité qu’il ait bien voulu aller plus loin que je ne l’avais fait ; j’avais mis de la réserve dans cette discussion, je n’avais pas indiqué la source de cette accusation dont le véritable but n’est que politique, dont le véritable but c’est moi et moi seul (mouvement.) Il ne s’agit pas ici de l’administration, de ceux qui ont été mes agents, de quelques abus partiels, car s’il s’était agi d’abus partiels on me les aurait dénoncés à moi-même et j’en appelle à vous tous, messieurs, m’a-t-on jamais signalé un abus dont je ne me sois enquis immédiatement, que je ne me suis empressé de réprimer ? S’il s’agissait d’un autre que moi, s’il s’agissait d’autre chose que d’une affaire purement politique, on se serait, je le répète, adressé directement au gouvernement, à l’ancien ministre ou au ministre actuel.
Je me félicite donc que l’honorable préopinant ait bien voulu lever le voile et faire connaître que cette accusation n’est que le résultat d’une association d’orangistes, d’un système de persécution contre moi. Je vous dirai de quel jour date cette persécution ; on me l’a prédite dans cette chambre après une de nos séances de cet hiver, séance dont vous avez sans doute gardé le souvenir ; ce système de persécution date du jour où j’ai flétri dans cette enceinte la conduite des orangistes incurables, où en les qualifiant de factieux, j’ai obtenu le plus vif assentiment de toute l’assemblée, c’est de ce jour qu’a commencé un système de persécution contre moi, et le sieur Tack n’est qu’un instrument.
M. Delehaye – C’est une supposition.
M. Nothomb – Ce n’est pas une supposition ; j’ai le droit d’être cru aussi bien que vous.
Vous n’avez cité aucun fait ; citez des faits et je répondrai ; à mon défaut, le gouvernement les examinera ; citez des faits, et s’il en est à l’égard desquels je ne puisse pas répondre, le gouvernement est là pour les rechercher, pour les examiner ; mais nous ne sommes en présence d’aucun fait ; nous sommes en présence d’une accusation politique qui n’a que moi pour objet.
Maintenant, messieurs, que le véritable caractère de l’accusation nous est révélé, que le véritable but, le but politique en est connu, vous verrez s’il faut donner une prime d’encouragement à l’orangisme ; s’il faut donner une prime d’encouragement à l’esprit de parti ; vous verrez si, pour que la réputation d’un homme politique soit compromise, il suffira que cet homme ait pris une position courageuse à l’égard des ennemis de notre nationalité à l’égard de ceux qui protestent encore aujourd’hui contre notre indépendance ; vous verrez s’il suffira d’avoir pris publiquement, devant vous, position à l’égard de ces hommes, pour devenir la victime d’un système de persécution ; vous verrez si vous voulez encourager un semblable abus du droit de pétition. Je sais, messieurs, que ce droit est sacré, mais il ne l’est que lorsqu’on en fait un usage légitime.
J’expie, messieurs, j’expie quelques paroles que vous avez applaudies.
M. Demonceau – Je regrette, messieurs, que cette discussion ait pris le caractère qu’elle vient d’avoir ; il était facile, en attendant 24 heures, d’examiner très attentivement quelles seront les dépenses nécessaires pour la confection des chemin de fer. Je ne conteste pas les connaissances de l’ingénieur-mécanicien qui nous a adressé la pétition dont nous nous occupons ; mais l’on conviendra que cet ingénieur-mécanicien n’a pas à lui seul autant de capacité que toute l’administration du chemin de fer. On peut savoir très bien faire une locomotive sans être pour cela à même de faire le calcul d’un tracé d’une direction du chemin de fer ; il est possible que le sieur Tack puisse très bien dire ce que coûtera une chaudière, une locomotive plus ou moins bien confectionnée, mais peut-il dire pour cela ce que coûtera le chemin de fer ? Que certaines personnes dont je ne suspecte aucunement les intentions, aient confiance dans le sieur Tack, je le conçois ; mais je sais aussi que l’on est quelquefois dupe de sa confiance. Il ne fait pas que la chambre s’associé à une dénonciation qui n’est aucunement justifiée, et je ne pense pas qu’il y ait lieu de déposer au bureau des renseignements une pétition qui ne renferme aucun renseignement quelconque. Je crois qu’il fait adopter l’ordre du jour et je voterai dans ce sens.
- L’ordre du jour est mis aux voix et adopté.
M. de Brouckere – Messieurs, je viens déposer sur le bureau le rapport de la section centrale sur le projet de loi tendant à autoriser la vente de quelques bâtiments et terrains domaniaux, à l’effet d’acquérir des terrains enclavés dans le domaine de Laeken. Je ferai remarquer que la section centrale n’apporte aucune modification au projet du gouvernement, sinon à l’article 2, en ce qu’elle restreint le sens que le gouvernement avait donné à cet article.
M. Demonceau – La section centrale chargée d’examiner le projet de loi relatif à l’emprunt, m’a chargé de la rédaction de son rapport. Ce rapport est en ce moment à l’impression. Il sera probablement distribué demain matin.
Des membres – Quelles sont les conclusions de la commission ?
M. Demonceau – La section centrale propose l’adoption d’un chiffre de 65 millions. Ces 65 millions sont répartis comme suit : 40 millions pour la continuation des travaux du chemin de fer, 12 millions pour l’extinction des bons du trésor émis en vertu de la loi du 28 décembre 1839 ; 4 millions pour payer le prix des 4 mille actions dans le chemin de fer rhénan ; 8 millions pour compléter le crédit voté pour les routes ; et enfin 5 millions 100 et quelques milliers de francs pour éteindre, jusqu’à concurrence de pareille somme les bons du trésor émis en vertu de la dernière loi du budget des voies et moyens.
M. le président – A la dernière séance, la chambre avait décidé que tous les rapports seraient imprimés, distribués et mis provisoirement à l’ordre du jour. Ensuite, l’ordre du jour avait été réglé comme suit : D’abord, le projet de loi relatif au crédit de 5 millions de francs pour continuer les travaux du chemin de fer, le projet de loi relatif au crédit supplémentaire pour l’impression du bulletin officiel, et en troisième lieu le projet de loi ayant pour objet la vente de parcelles domaniales.
Les articles du projet de loi relatif au crédit de 5 millions de francs ont été adoptés. La chambre ne s’est plus trouvée en nombre quand il s’est agi de voter sur l’ensemble. S’il n’y a pas d’opposition, on va procéder à l’appel nominal.
Le projet de loi est adopté à l’unanimité de 59 membres qui ont répondu à l’appel nominal.
Ont répondu à l’appel nominal : MM. Coghen, Cogels, Cools, de Behr, de Brouckere, Dechamps, de Florisone, de Garcia de la Vega, de Langhe, Delehaye, Delfosse, de Meer de Moorsel, F. de Mérode, Demonceau, de Muelenaere, de Nef, de Perceval, de Renesse, Desmaisières, de Terbecq, Devaux, Doignon, Dolez, B. Dubus, Dumont, Dumortier, Fleussu, Hye-Hoys, Jadot, Lange, Lebeau, Lejeune, Liedts, Lys, Mast de Vries, Mercier, Metz, Nothomb, Peeters, Pirmez, Polfvliet, Puissant, Raikem, Raymaeckers, Scheyven, Sigart, Simons, Smits, Troye, Ullens, Van Cutsem, Vandenhove, Vandensteen, Vanderbelen, Van Volxem, Verhaegen, Willmar, Zoude, Fallon.
La section centrale, qui a examiné le projet, ne propose aucune modification.
L’article unique est ainsi conçu :
« Il est ouvert à l’article 1er, chapitre VI du budget du département de la justice pour 1839, un crédit supplémentaire de trois mille six cent quarante francs. »
Personne ne demandant la parole, il est procéder à l’appel nominal.
Le projet de loi est adopté à l’unanimité des 61 membres présents.
Ce sont les mêmes qu’au vote précédent, plus MM. de Sécus et Milcamps.
M. le président – Je prie M. le ministre de déclarer s’il se rallie au projet de la section centrale.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – Nous n’avons aucun motif pour nous opposer aux amendements de la section centrale, attendu qu’ils rentrent dans les vues du gouvernement. La restriction apportée dans les termes de l’article 2 est tout à fait dans l’esprit de la disposition fondamentale de cet article, qui n’a en vue que l’aliénation de terrains vagues, sans emploi et de non-valeur.
Quant à l’amendement apporté à l’article 3, ce n’est qu’un changement de rédaction auquel le gouvernement se rallie également.
M. Dumortier – Nous ne devons pas discuter un projet dont nous n’avons pas le rapport.
M. de Brouckere – Il est distribué depuis trois jours.
M. Dumortier – Nous arrivons ; nous n’avons pu prendre connaissance ni du projet, ni des amendements.
J’entends dire que la section centrale a introduit deux amendements ; M. le ministre déclare qu’ils rentrent dans la pensée du gouvernement. J’ignore de quoi il s’agit ; je voudrais qu’on voulût remettre la discussion à demain ou qu’on voulût bien donner lecture du rapport et des amendements.
M. de Brouckere, rapporteur – Si la chambre le désire, je donnerai lecture du rapport qui a été distribué à domicile avant-hier, ou bien j’expliquerai en quoi consistent les amendements.
(L’honorable membre analyse les motifs des amendements proposés par la section centrale et qu’il a développés dans son rapport.)
M. Jadot – Messieurs, lorsque, dans la séance du 20 de ce mois, M. le ministre des finances est venu nous présenter le projet de loi en discussion et qui a pour objet d’autoriser la vente de quelques bâtiments et terrains domaniaux, préoccupé des besoins du trésor, j’ai cru de prime abord que le désir d’y pourvoir était l’unique motif qui déterminait le gouvernement à nous faire cette proposition.
J’applaudissais d’autant plus volontiers à cette mesure que, dans une section, à l’occasion de l’examen du projet de loi par lequel on nous demande l’autorisation d’augmenter notre dette publique de plus de cent millions de francs, il avait été question de la proposer comme moyen de rendre le fardeau de l’emprunt moins accablant pour le pays.
Je n’ai pas tardé à me convaincre que je m’étais trompé sur les intentions du gouvernement.
Je n’examinerai pas non plus si les propriétés qu’il s’agit d’acquérir sont enclavées dans le domaine de Laeken et si elles avaient été achetées par S.M. le roi Guillaume dans la vue de les y annexer, ce qui toutefois me paraît douteux, puisque rien ne s’opposait à ce que ses vues fussent réalisées par l’acte même d’acquisition.
Enfin je n’examinerais ni si les 25 hectares d’un seul gazon et ornés de bouquets d’arbres sont engrenés dans le jardin de Laeken et en forment le complément nécessaire : il est vraisemblable que l’on pourrait en dire autant de toutes les propriétés contiguës à ce domaine, ni qu’elle est l’étendue qu’il est désirable qu’ait le domaine de Laeken pour qu’il soit en harmonie avec de hautes convenances ; toutes ces considérations s’effacent chez moi devant la question de savoir s’il est d’une convenance quelconque que l’Etat acquière des propriétés au moment même où il est obligé de recourir à la voie ruineuse des emprunts pour satisfaire à des besoins urgents.
Je désireras autant que personne que le domaine de Laeken pût réunir toutes les conditions nécessaires pour en rendre le séjour aussi agréable que possible, je voudrais même que l’état de nos finances nous permît d’ajouter d’autres résidences royales à celle-là et d’y annexer, comme dans presque tous les autres Etats, même les plus petits, des parcs et des forêts, tout cela ne serait qu’une bien faible compensation des soucis et des embarras que donne un Etat naissant mal affermi, dont l’administration marche d’un pas incertain et mal assuré ; mais puisque cela est impossible dans ce moment, je me borne à en exprimer le regret.
On me dira sans doute que le gouvernement serait blâmable s’il laissait échapper l’occasion d’acquérir ces propriétés.
Je conviens que l’occasion est belle, mais il est plus d’un moyen de la saisir, et j’engage le ministère à en constituer un autre que celui proposé, cela lui fera au moins autant d’honneur et le pays s’en trouvera mieux. Six cent soixante mille francs ne sont pas une ressource aussi faible qu’on pourrait bien le prétendre ; avec cette somme on ferait dix lieues de routes empierrées dans celles de nos provinces où le besoin s’en fait le plus vivement sentir, et l’on vivifierait ainsi toute une contrée.
J’adopterai la loi si l’article 3 est retranché, s’il est maintenu je m’abstiendrai.
M. Dumortier – Cette loi soulève plusieurs questions qui ne sont pas sans gravité : la première est celle de constitutionnalité, dont la section centrale n’a pas parlé. Cette question a déjà été traité par l’honorable M. Liedts, aujourd’hui ministre de l'intérieur. Alors il a pensé qu’en présence du texte formel de la constitution, on ne pouvait rien adjoindre à la liste civile. En effet, l’article 77 de la constitution porte : « La loi fixe la liste civile pour la durée de chaque règne. » Vous ne pouvez donc ni augmenter ni diminuer la liste civile pendant la durée du règne ; car, si vous l’augmentez maintenant, il est à craindre que, dans une autre circonstance, une chambre, qui ne se maintiendrait pas dans la limite de ses devoirs, voulût la restreindre, et qu’elle se prévalût pour cela du précédent que vous auriez posé. J’ai donc un scrupule sur cette question, sur laquelle j’appelle l’attention des personnes plus versées que moi dans les questions de droit. Je voudrais d’autant plus qu’on pût lever ce scrupule, que je désirerais beaucoup que plusieurs propriétés, enclavées dans le domaine de Laeken, fissent partie de ce domaine.
La seconde disposition est relative au moyen de faire face à la dépense proposée. Au nombre des terrains qu’il s’agit de vendre, je remarque cet article : « Ruines et terrain de l’ancien ministère de la justice, 91,000 francs. » Je désirerai savoir si dans une circonstance donnée, il ne serait pas convenable d’affecter ces terrains à une construction quelconque dans l’intérêt de l’Etat. Vous savez qu’on doit bâtir une cour de justice. Il a été question de la bâtir sur l’emplacement de l’ancien ministère de la justice. Vous vous ôtez cette faculté si vous aliénez ces terrains. Je sais qu’une société privée désire que le palais de justice soit construit en dehors de l’enceinte de la ville de Bruxelles. Je ne sais jusqu’à quel point cela est compatible avec la disposition de la constitution qui fait de Bruxelles la capitale du royaume, et les dispositions de la loi d’organisation qui font de Bruxelles le siège de la cour de cassation, et d’une cour d’appel. Je crois que ce serait violer la constitution et cette loi.
M. Coghen – L’emplacement où il est question de bâtir le palais de justice fait partie de la banlieue de Bruxelles.
M. Dumortier – J’ai toujours entendu dire que la banlieue de Bruxelles ne s’étendait pas au-delà de ses murs, ainsi on voudrait mettre en dehors de Bruxelles deux cours dont la constitution et la loi ont fixé le siège à Bruxelles. Je conçois que cela doive convenir à la société civile ; mais je ne sais jusqu’à quel point nous pouvons faire une illégalité pour faire plaisir à la société civile.
Avant de vendre ces terrains, il y aurait lieu de voir si l’on ne pourrait pas les utiliser, car si vous les vendez maintenant à bas prix et que vous deviez plus tard les racheter à un prix élevé, il est certain que vous aurez fait une mauvaise opération.
J’ajouterai une troisième observation, à mon avis très importante ; elle porte sur l’article 2, tendant à autoriser le gouvernement à aliéner les terrains vagues et sans emploi aux abords des nouvelles routes, des chemins de fer et des canaux et ceux qui se trouvent et se trouveront sans emploi par suite de démolitions, constructions, redressements et rectifications exécutés pour le compte de l’Etat. S’il ne s’agit ici que de voter la vente de ces terrains jusqu’à la concurrence du chiffre indiqué par M. le ministre des finances, je n’y vois aucun inconvénient ; mais s’il s’agit d’autoriser le gouvernement à aliéner annuellement des parcelles de terrains, j’y vois l’inconvénient que le produit de ces ventes, au lieu de servir à l’amortissement de la dette, ne servira qu’à faire face aux dépenses annuelles ; or, c’est là un vice réel. Les domaines sont des propriétés de l’Etat qui ne doivent être grevées que pour amortir la dette, autrement vous grèverez l’Etat, vous grèverez votre avenir. Dans un gouvernement bien organisé, il faut que les recettes effectives couvrent chaque année les dépenses. Je désire que le ministère se pénètre de cette vérité et entre dans le système normal d’après lequel les dépenses annuelles doivent correspondre exactement au chiffre des recettes réelles. Quant aux ventes de domaines, le produit doit en être affecté à une destination spéciale : l’amortissement de la dette. C’est ce qui avait lieu sous le roi Guillaume, c’est ce qui a lieu dans tous les pays, excepté en Belgique, où le produit de la vente des domaines ne sert qu’à faire face aux dépenses annuelles. C’est cet état de choses que l’on veut perpétuer dans la loi.
Il est vrai que l’autorisation ne serait donnée que pour les terrains dont la valeur ne dépasserait pas 4,000 francs ; mais on peut vendre de ces terrains pour un million ou un demi-million en quelques années. Certes, mieux vaudrait consacrer cette somme à l’amortissement de la dette que de la faire entrer dans le budget annuel, comme on veut le faire.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – On ne préjuge rien.
M. Dumortier – Dans la loi cela est vrai, mais en fait, la question sera préjugée ; car si vous vendez chaque année pour 500,000 francs de parcelles de terrains, vous ne formerez pas comme cela un fonds d’amortissement.
J’ai cru devoir combattre un système que je considère comme fort vicieux et comme déplorable pour le pays. Je voudrais que la disposition fût écartée. Ou si elle est admise, je voudrais que le gouvernement ne pût appliquer les fonds qu’à l’amortissement des biens enclavés dans le domaine de Laeken.
M. de Brouckere, rapporteur – L’honorable préopinant a commencé par adresser une sorte de reproche à la section centrale, parce qu’elle n’a pas examiné la question de constitutionnalité a propos de l’article 5 du projet. Il a rappelé que, dans une occasion précédente, un honorable membre de la chambre avait soutenu qu’on ne pouvait sous aucun prétexte rien ajouter à la liste civile pendant la durée du règne. Si la section centrale ne s’est pas expliquée sur cette question de constitutionnalité, c’est qu’elle a été tranchée par la chambre. En effet, par la loi du 27 mai 1837, vous avez alloué 100,000 francs destinés à faire quelques acquisitions de terrains pour le domaine de Laeken. Cette loi de 1837 soulevait absolument la même question. Un honorable membre n’avait point soutenu l’inconstitutionnalité du projet et avait seulement émis quelques doutes qui n’avaient été appuyés par personne. Lors du vote, il y a eu, je crois, unanimité ou presque unanimité pour allouer la somme de manière qu’aux yeux de la section centrale, il n’y avait plus question.
Le même orateur a fait remarquer que, dans les terrains à vendre, se trouvait celui de l’ancien ministère de la justice. Dans sa pensée, ce terrain pourrait être utile pour y construire un palais de justice. Selon lui, il a déjà été question de construire un palais de justice sur ce terrain.
A cet égard, l’honorable membre se trompe, il n’a été question que d’y construire un palais pour la cour de cassation, ce terrain est beaucoup trop petit pour suffire à un palais de justice. Il ne peut donc plus être question de ce terrain aujourd’hui que vous avez résolu qu’il serait construit un palais de justice où seront réunis la cour de cassation, la cour d’appel, le tribunal de première instance et les justices de paix.
Quant à la question traité par l’honorable M. Dumont, de savoir s’il est convenable que le nouveau palais de justice soit dans l’enceinte de la ville de Bruxelles ou sur les terrains de la nouvelle ville appartenant à la société civile, elle est étrangère à la question dont nous nous occupons. Cependant, sans que je veuille aucunement émettre une opinion sur cette question, je dois rectifier une erreur de l’honorable préopinant. Ces terrains, où il est question de construire le palais de justice font partie de la ville de Bruxelles, ils y ont été adjoint par un arrêté de 1839. Je n’entends, du reste, me prononcer nullement sur la question de savoir s’il convient de construire le palais de justice en dehors de l’enceinte de la ville de Bruxelles, car ce serait toujours en dehors de l’enceinte.
On a craint, si vous adoptez l’article 2 par lequel le gouvernement serait autorisé à aliéner les terrains vagues et sans emploi aux abords des nouvelles routes, que le produit de ces ventes ne fût absorbé annuellement par les dépenses ordinaires.
Mais l’honorable M. Dumortier qui se connaît si bien en budget, sait parfaitement que le gouvernement ne peut rien dépenser sans l’autorisation des chambres. Quand des parcelles domaniales sont vendues, le produit est porté au budget des recettes, et la chambre décide ensuite l’usage que l’on doit faire du produit de ces ventes.
Au commencement de cette discussion, un honorable membre a fait valoir quelques considérations concernant le plus ou le moins de convenance qu’il y aurait à faire l’acquisition des terrains qui doivent être annexés au palais de Laeken. Je crois que le rapport de la section centrale répond suffisamment à ces considérations ; d’ailleurs tout le monde puisera dans sa conscience les motifs de sa conviction.
M. Pirmez – Je ne comprends pas l’amendement de la section centrale par lequel elle veut réduire le prix des terrains. Il n’y a ordinairement aucune proportion entre le prix de location et le prix de vente ; c’est le plus souvent la position d’un terrain qui en fait tout le mérite. Tel terrain qui n’aurait rapporté que 50 francs de location peut être vendu 20,000 francs. Vous ne pouvez limiter le prix de vente sans faire tort au trésor, car le prix de vente dépend de l’opinion qu’on se fait de l’usage d’un terrain en conséquence de sa position.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – Messieurs, quelque justes que soient les observations faites par l’honorable préopinant, je ne crois pas cependant qu’elles puissent motiver e rejet de l’amendement proposé par la section centrale ; le gouvernement a cru pouvoir s’y rallier parce qu’en effet il était dans ses intentions de s’imposer lui-même une limite analogue à celle qui est stipulée dans l’amendement ; dans les cas où des parcelles de terrain, qu’il conviendrait de vendre, auraient une valeur plus élevée que celle qui y est déterminée, elles ne pourraient être aliénées que par suite d’une loi spéciale.
Je n’ajouterai rien, quant à la question constitutionnelle, aux explications tout à fait péremptoires qui ont été données par l’honorable M. de Brouckere ; mais je répondrai quelques mots à deux autres honorables préopinants ; On pourrait peut-être partager les regrets de l’un des préopinants s’il s’agissait de l’acquisition de terrains considérables ; mais telle n’est pas l’importance des parcelles que chacun de nous sans doute jugera de toute convenance d’adjoindre au domaine de Laeken, et qu’il serait fâcheux de voir vendre à des particuliers à cause de leur position. D’ailleurs il ne dépend pas du gouvernement de reculer cette acquisition à une autre époque, car ces biens ne manqueraient pas de passer bientôt dans d’autres mains.
Un honorable membre aurait désiré ne pas voir figurer parmi les maisons ou terrains qui peuvent être vendus l’emplacement de l’ancien palais de justice ; je ferais observer à cet égard que la loi n’impose par l’obligation d’aliéner ces domaines, mais en laisse seulement la faculté au gouvernement ; comme, d’un autre côté, il est certain que le produit de la vente des parcelles mentionnées à l’article 2, joint à celui des maisons et terrains indiqués à l’Etat, annexé à la loi, sera plus que suffisant pour parfaire la somme de 660,000 francs. On pourrait ne procéder à l’aliénation du terrain dont il s’agit que pour autant qu’il soit bien reconnu, qu’il ne peut être employé à la construction du bâtiment destiné à un service public.
Quant au prix de vente des parcelles domaniales, il sera nécessairement compris au budget de l’Etat ; il ne sera jamais de bien grande importance ; cependant le gouvernement ne pourra pas en disposer en vertu de la loi que nous discutons, pour pouvoir en affecter le produit à des dépenses quelconques, il devra obtenir l’assentiment des chambres qui, si elles le jugent convenables, pourront toujours le destiner à l’amortissement de la dette, selon le vœu exprimé par un des honorables préopinants.
M. Verhaegen – J’ai demandé la parole pour motiver le vote que je me propose d’émettre, et qui sera approbatif. Comme des scrupules avaient été manifestés sur la question de constitutionnalité, je tenais à dissiper les doutes à cet égard.
L’honorable M. de Brouckere a dit que cette question avait été tranchée en 1837 : En effet en 1837 la législature a considéré que ce n’était pas augmenter la liste civile que d’ajouter quelques terrains à Laeken ; mais je veux aller plus loin, je veux prouver que les scrupules n’ont pas même un prétexte.
D’après la manière dont la loi est présentée, on peut dire qu’au lieu d’augmenter les revenus de la liste civile, on va en augmenter les dépenses.
Car si, d’après cette loi, nous ajoutons 25 ou 35 hectares de terrain au domaine de Laeken, nous en laissons l’entretien à la charge de la liste civile. Pour qu’il y eût une augmentation de la liste civile, il faudrait qu’il y eût une augmentation de revenus ; or, c’est ce qui n’a pas lieu, puisqu’il ne s’agit que d’acquérir des terrains propres à augmenter la valeur et l’agrément de Laeken.
Supposez qu’il s’agisse d’acquérir des terrains ou des bâtiments pour les adjoindre à un palais situé au milieu de la ville ; il faudrait bien que l’Etat en supportât les frais ; on ne peut pas dire, en effet, que cette acquisition augmenterait la liste civile, puisqu’il n’en résulterait pour elle qu’une augmentation de dépense pour l’entretien.
Eh bien, ce que l’on doit comprendre clairement relativement à un palais de ville, doit être compris de la même manière relativement à un palais d’été.
Il y a donc impossibilité de considérer le projet de loi comme portant atteinte à la constitution d’après laquelle la liste civile est fixée pour toute la durée du règne.
Quant aux questions de convenances, inutile de répondre à ce qui a été dit ; Tout ce qui tend à augmenter le lustre et la splendeur de la couronne, dans les palais de ville comme dans les palais d’été, tourne en définitive à l’avantage commun.
Sous le rapport légal comme sous le rapport des convenances, le projet ne peut éprouver de difficultés, et nous lui donnons notre assentiment.
M. Pirmez – Il me paraît que ce serait exposer l’administration à adjuger les terrains au-dessous des prix que des personnes seraient disposées à en donner, que de fixer une limite à ce prix ; je voudrais que la limite n’existât pas. Les terrains situés près des canaux et des chemins de fer sont inappréciables ; leur valeur dépend souvent de l’imagination.
M. Raikem – Je ne puis partager l’opinion de ceux qui élèvent des doutes sur la question de constitutionnalité. A mon avis, le projet est très constitutionnel ; et je puis ajouter que cette question a été examinée par la section centrale qui, en 1837, a été chargée d’examiner le projet qui, à cette époque, fut converti en loi. Alors, on n’a pas manqué de faire valoir les arguments que l’on a présentés dans cette discussion.
Alors on a eu soin de faire remarquer qu’il ne s’agissait nullement d’augmenter la liste civile, mais qu’il s’agissait simplement d’autoriser l’agrandissement d’une habitation royale. C’est précisément ce dont il est encore question en ce moment.
Remarquez bien, messieurs, qu’on n’acquiert pas pour la liste civile, mais pour l’Etat ; c’est l’Etat qui devient propriétaire des biens qui doivent être acquis et qui doivent, d’après le projet, être réunis au domaine de Laeken. Je crois, messieurs, qu’après le vote qui a eu lieu à l’unanimité, moins un membre, dans une séance de 1837, la question ne peut plus souffrir de difficulté sérieuse, et, je le répète, cette question n’a pas passé inaperçue à cette époque ; elle a été approfondie par la section centrale. Je n’en dirai pas davantage sur ce point.
Je ferai une observation dans le sens des honorables préopinants sur le numéro 7, qui concerne les ruines et le terrain de l’ancien ministère de la justice. Dans une section on a appelé particulièrement l’attention de la section centrale, sur la question de savoir s’il ne conviendrait pas de distraire cet article du projet, si ces terrains ne pourraient pas servir dans la suite ; on aurait dans cette section désiré obtenir des renseignements de la part du ministère des finances sur le point de savoir s’il réellement il ne serait pas possible de faire usage de ce terrain, s’il ne serait pas plus utile dans un cas donné et que la section centrale ne définissait pas, de consacrer ce terrain à une construction quelconque, que de le mettre en vente. Il paraît, d’après ce que vient de dire M. le ministre des finances, que cette question n’a pas encore été approfondie par lui ; car il nous annonce qu’il examinera avec la plus scrupuleuse attention s’il y a lieu ou non de vendre le terrain, s’il y a lieu ou non d’en faire usage. Je crois cependant que, quand on vient demander une loi, c’est naturellement pour la mettre à exécution, que quand on vient demander l’autorisation de vendre un terrain, c’est pour que le terrain soit vendu ; il me semble enfin que l’examen annoncé de la M. le ministre des finances aurait dû précéder la présentation de la loi au lieu de la suivre. Quant à moi, il me serait impossible de dire s’il serait plus utile de vendre le terrain que de l’employer à un usage quelconque, mais cela doit faire l’objet des méditations du gouvernement, et comme on l’a fait remarquer, si dans la suite il devenait nécessaire d’acquérir un terrain pour faire une construction, on paierait nécessairement ce terrain plus cher qu’on aurait vendu celui dont il s’agit en ce moment. Or, c’est toujours une mauvaise affaire que d’acheter plus cher qu’on ne vend.
Je ferai maintenant une observation sur la disposition additionnelle à l’article 2 proposé par la section centrale :
« Cette autorisation n’est applicable qu’aux terrains dont le revenu ne s’élève pas au-dessus de 50 francs ou dont la valeur ne dépasse pas 4,000 francs. »
On peut, avant de mettre un terrain en vente, connaître le revenu de ce terrain ; lorsqu’il existe des baux ce sont ces baux qui fixent ce revenu, s’il n’y a pas de baux on peut le déterminer d’une autre manière ; mais comme l’a fort bien fait observer l’honorable M. Pirmez, comment pourrait-on fixer la valeur d’un terrain avant de le mettre en vente ?
Lorsqu’un immeuble aura été estimé 4,000 francs, le pouvoir qu’a le gouvernement de vendre cet immeuble cessera-t-il lorsqu’une hausse en portera le prix à 4,100 ou 4,200 francs ? S’il en était ainsi, il me semble qu’il ne conviendrait pas d’adopter la disposition telle qu’elle est proposée, mais qu’il faudrait se borner à en adopter la première partie qui concerne le revenu, car certainement il faut désirer que les terrains aliénés par l’Etat se vendent le plus cher possible, et il ne faut pas en arrêter la vente parce que le prix aura dépassé l’estimation.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – Messieurs, les observations présentées par l’honorable M. Pirmez ont sans doute quelque fondement ; le gouvernement ne s’est pas opposé à ce qu’une restriction soit apportée à la disposition de l’article 2, mais on ne peut se dissimuler qu’il serait possible que la dernière partie de cette disposition donnât lieu à des inconvénients. En effet, au moment de la vente, le prix peut s’élever plus haut que l’estimation. Il y aurait un moyen de tout concilier, ce serait de dire : « dont la valeur estimative ne dépasse pas 4,000 francs. » Je pense qu’aucun abus ne pourrait résulter d’une telle addition. Je proposerai donc de modifier la disposition de cette manière.
J’ai un mot à répondre à l’honorable préopinant relativement à ce qu’il a dit sur la question de savoir s’il y a lieu à vendre le terrain de l’ancien ministère de la justice. Je dois avouer que je suis étonné que cette observation vienne précisément d’un membre de l'ancien cabinet, car j’ai trouvé le projet tout rédigé en arrivant au ministère et je ne l’ai modifié que dans un sens restrictif ; je n’ai fait que restreindre des dispositions que le cabinet actuel trouvait trop générales ; mais l’état qui devait être annexé au projet et qui contenait la désignation spéciale des parcelles à vendre, cet état a été adopté tel qu’il était.
J’avais cru donner tout apaisement à l’honorable membre lorsque j’ai dit que le gouvernement examinerait avec soin s’il y a une destination que l’on devrait ou que l’on pourrait avec avantage donner au terrain dont il s’agit et que, dans l’affirmative, on ne procéderait pas à l’aliénation, puisque, dans tous les cas, le projet ne fait que donner au gouvernement une faculté dont il peut user ou ne pas user. J’ai même ajouté que probablement la vente de ce terrain n’aurait pas lieu, parce que le produit des parcelles que le gouvernement est autorisé à aliéner en vertu de l’article 2 joint à celui d’autres parcelles indiquées dans l’état annexé à la loi, suffira très probablement et au-delà pour parfaire la somme de 660 mille francs, qui est nécessaire.
M. de Muelenaere – Messieurs, les observations que je voulais faire se rapportaient au dernier paragraphe de l’article 2, et elles deviennent maintenant à peu près sans objet par suite de l’amendement proposé par le ministre des finances ; je crois qu’il est de toute nécessité de modifier la rédaction proposée par la section centrale, car, comme on l’a fait observer tout à l’heure un terrain estimé moins de 4,000 francs pourra fort bien être vendu à un prix plus élevé, et il serait certainement à déplorer que la vente dût être annulée par cela même qu’elle serait avantageuse pour l’Etat.
Il y aurait un autre inconvénient dans l’adoption de la disposition telle qu’elle a été rédigée par la section centrale, c’est qu’il dépendrait d’un individu quelconque d’empêcher que l’immeuble mise en vente soi adjugé ; il suffirait pour cela d’en porter la valeur à 4,100 francs par exemple ; alors la vente serait nulle et celui qui aurait usé de cette manœuvre aurait dès lors la chance d’obtenir plus tard le bien à meilleur marché. Si l’on ajoute le mot « estimative » comme l’a proposé M. le ministre, j’avoue qu’alors je ne vois plus ces inconvénients ; je crois cependant qu’il vaudrait encore mieux se borner à adopter la première partie de la disposition, qui établit que l’article ne s’applique qu’aux biens dont le revenu n’excède pas 50 francs.
M. Desmaisières – Je n’ai demandé la parole que pour faire connaître à la chambre qu’en effet le projet de loi dont nous nous occupons, avait été préparé par le ministère des finances avant que je ne quittasse ce ministère, mais qu’il n’avait pas encore été discuté en conseil.
M. Raikem – M. le ministre des finances m’a reproché, messieurs, l’observation que j’ai faite sur la question de savoir s’il est utile de vendre le terrain de l’ancien ministère de la justice, et il a dit que le projet de loi avait été préparé par le cabinet précédent.
L’honorable M. Desmaisières vient d’annoncer que ce projet n’avait pas encore été soumis au conseil ; s’il avait été soumis au conseil, j’aurais fait l’observation que je viens de présenter à la chambre, j’aurais demander là comme je l’ai demandé ici tout à l’heure, s’il n’est pas plus utile d’employer le terrain dont il s’agit à une construction quelconque que de le mettre en vente.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – Je crois, messieurs, que les observations que j’ai faites étaient empreintes de toute la modération possible. Le reproche est-il venu de ma part ? Evidemment non : le reproche est venu de l'honorable préopinant lui-même qui nous a formellement reproché de n’avoir pas fait avant ce que je promettais de faire après l’adoption de la loi ; c’est à cette critique que j’ai répliqué en faisant remarquer que le projet avait été préparé par le cabinet dont l’honorable membre faisait lui-même partie.
M. Dolez – En ce qui concerne le dernier objet dont on nous a entretenus, je pense, messieurs, que s’il existe un emploi immédiat, mieux vaut sans doute employer le terrain que de le vendre ; sauf à en racheter plus tard un autre ; mais s’il n’existe pas d’emploi immédiat pour ce terrain, ce serait sans doute une fort mauvaise opération que de le conserver, parce que l’on penserait pouvoir l’employer plus tard. Si, il y a dix ans, on avait procédé à la vente de l’ancien hôtel du ministère de la justice, l’intérêt aurait presque doublé le capital. Je crois donc que c’est faire aux auteurs du projet un reproche peu réfléchi, que de dire qu’ils font mal en demandant l’autorisation de vendre un terrain dont on pourrait avoir ultérieurement besoin. Je le répète, si un emploi immédiat se présente, rien de mieux que d’utiliser le terrain dont il s’agit, mais si l’emploi ne se présente que comme une chose possible, dans un temps plus ou moins éloigné, alors ce serait une très mauvaise opération que de le conserver.
M. Raikem – On dit, messieurs, que j’ai en quelque sorte adressé à M. le ministre des finances un reproche peu réfléchi ; j’aurais dû indiquer, dit-on, l’emploi immédiat qui peut être fait du terrain ; mais j’ai fait observer que je ne pourrais indiquer quel emploi on pourrait faire du terrain ; j’ai fait une simple question pour me décider à cet égard ; je n’ai pas dit : « Il ne faut pas vendre » ; je ne me suis pas même opposé à l’adoption de la loi ; j’ai uniquement demandé si M. le ministre ne prévoyait pas qu’il pût être fait un autre usage du terrain dont il s’agit ; s’il n’y a pas d’autre usage à en faire, je serai le premier à en appuyer l’aliénation. M. le ministre des finances avait dit qu’il verrait, après l’adoption du projet de loi, ce qu’il y aurait lieu de faire à cet égard ; or, c’est sur ce point que j’ai fait observer qu’il me semblait qu’on aurait dû examiner cette question auparavant ; j’étais dans mon droit en faisant cette observation, le reproche qu’on m’a adressé n’était donc nullement fondé.
Personne ne demandant plus la parole, on passe à la discussion des trois articles du projet de loi qui sont immédiatement adoptés, en la teneur suivante :
« Art. 1er. Le gouvernement est autorisé à aliéner, par adjudication publique, les maisons, bâtiments et usines, désignés dans l’état annexé à la présente loi. »
« Art. 2. Le gouvernement est également autorisé à aliéner, par la même voie, les terrains vagues et sans emploi aux abords des nouvelles routes, des chemins de fer et des canaux et ceux qui se trouvent et se trouveront sans emploi, par suite de démolitions, constructions, redressements et rectifications exécutés pour le compte de l’Etat.
« Cette autorisation n’est applicable qu’aux terrains dont le revenu ne s’élève pas au-dessus de 50 francs, ou dont la valeur estimative ne dépasse pas 4,000 francs. »
« Art. 3. Il est ouvert au gouvernement un crédit de six cent soixante mille francs (660,000 francs), imputable sur le produit de ces ventes et de celles encore à faire, en exécution de la loi du 27 mai 1837, pour être appliqué à l’acquisition de biens enclavés dans le domaine de Laeken ou qui l’avoisinent, et qui seront reconnus propres à en augmenter la valeur et l’agrément.
M. le président – La chambre est-elle d’avis de procéder immédiatement au vote ?
De toutes parts – Oui !oui !
Il est procédé à l’appel nominal.
55 membres y répondent.
2 s’abstiennent.
51 répondent oui.
2 répondent non.
En conséquence, le projet de loi est adopté. Il sera transmis au sénat.
M. Dumortier et M. Jadot, qui se sont abstenus, déclarent se référer, pour les motifs de leur abstention, au discours que chacun d’eux a prononcé dans le cours de la discussion.
Ont répondu oui : MM. MM. Cogels, Coghen, Cools, de Behr, de Brouckere, Dechamps, de Florisone, de Garcia de la Vega, de Langhe, de Meer de Moorsel, F. de Mérode, de Muelenaere, de Nef, de Perceval, de Renesse, de Sécus, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, Devaux, Dolez, Dumont, Fallon, Fleussu, Hye-Hoys, Lange, Lebeau, Lejeune, Liedts, Mast de Vries, Mercier, Metz, Milcamps, Nothomb, Peeters, Pirmez, Polfvliet, Raikem, Scheyven, Sigart, Simons, Troye, Ullens, Van Cutsem, Vandenhove, Vandensteen, Vanderbelen, Van Volxem, Verhaegen, Willmar, Zoude.
Ont répondu non : MM. Delehaye et Delfosse.
M. le président – Il s’agit de fixer l’ordre du jour de demain.
M. Mast de Vries – Messieurs, j’avais annoncé, dans une de nos dernières séances, que je présenterai, pour aujourd’hui, un rapport sur la créance du sieur Freyman-Depotter, d’Ostende, au sujet de laquelle M. le ministre a remis de nouveaux documents à la commission des finances, mais comme la commission n’a pas pu se réunir aujourd’hui, je demanderai que la loi de crédit dans laquelle est comprise la créance dont il s’agit, soit mise à l’ordre du jour de demain.
Il existe encore un autre projet de loi tendant à ouvrir un crédit de 142,000 francs au ministre de la guerre, pour travaux à exécuter à la place de Diest ; je demande aussi que ce projet de loi soit mis à l’ordre du jour de demain.
- La chambre décide que les deux projets de loi dont il s’agit seront mis à l’ordre du jour de demain. Elle décide ensuite qu’elle se réunira demain en séance publique à 2 heures.
La séance est levée à 4 heures et demie.