(Moniteur belge n°117 du 26 avril 1840)
(Présidence de M. Fallon)
M. Scheyven fait l’appel nominal à 1 heure.
M. Mast de Vries lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. Scheyven donne lecture d’un message par lequel le sénat informe la chambre qu’il a nommé le baron de Potesta membre du jury d’examen en remplacement de M. de Fernelmont qui n’a pas accepté.
M. Zoude, rapporteur – Messieurs, dans la séance du 23, vous avez renvoyé à votre commission des pétitions la demande adressée par le sieur Vanheldem, fermier à Thorn, commune du Limbourg cédé, à l’effet d’être autorisé à importer dans une commune belge son mobilier rural en exemption de droit, conformément à l’article 17 du traité du 19 avril dernier.
Ce fermier vous exposé qu’il a déjà pris son recours vers le ministre des finances, qui, par résolution du 20 févier, a bien autorisé l’entrée de quelques meubles, mais a refusé celle des bestiaux, grains et fourrages ;
Que cependant par décision dont copie authentique est jointe à la pétition, le commissaire hollandais à Maestricht a accordé la libre sortie de tous ces objets, en vertu du même article 17 du traité, qui, de la part de la Hollande, reçoit une interprétation aussi large qu’elle est restreinte en Belgique ;
Qu’il est évident que l’intention bien formelle des auteurs du traité a été de donner à chacun des habitants qui voudrait changer de territoires la faculté la plus étendue de disposer de ses propriétés, que c’est bien pour manifester sa pensée de la manière la plus claire qu’on a ajouté les mots : de quelque nature qu’elles soient.
Le mot générique « meuble » eût suffi sans doute pour faire entendre qu’il était applicable à tout ce qui pouvait se transporter facilement sans détérioration ; mais on n’a pas voulu laisser subsister le moindre doute, c’est pourquoi on y a ajouté les mots : de quelque nature qu’ils soient.
En effet, si dans un appartement ou main ordinaire d’habitation, on entend par meubles les objets mobiliers, tels qu’ustensiles de ménage, linge, habillements, etc., on ne peut entendre autrement le meuble d’une ferme, que les bestiaux qui garnissent les écuries, et les récoltes qui sont logées dans les granges.
Qu’une autre interprétation qui serait donnée par le département des finances serait évidemment la restriction d’un article auquel le traité a voulu donner le sens le plus large, à tel point même, qu’il aurait été difficile d’employer d’autres expressions pour mieux rendre sa pensée.
C’est d’après ces considérations que votre commission à l’honneur de vous proposer le renvoi de cette pétition à M. le ministre des finances avec demande d’explications, dans le cas où il ne voulût pas modifier sa résolution du 20 février ; le priant de prendre en considération que c’est le 28 courant que le pétitionnaire doit quitter le territoire cédé pour rentrer en Belgique.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. de Brouckere – Conformément à l’autorisation donnée par la chambre, à la séance d’avant-hier, la section centrale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la Sambre a fait imprimer son rapport ; il a été distribué. Je ne monte à la tribune que pour que le procès-verbal fasse acte de la présentation de ce rapport.
M. Dubus (aîné) – Ce rapport nous a été distribué, mais ce qui n’avait pas été dit, c’est qu’une modification importante a été introduite au projet du gouvernement, on supprime la limite qui y était posée. Cette modification est trop importante pour être discutée si précipitamment. Je demande que la discussion soit renvoyée à lundi, nous serons en nombre suffisant pour apprécier cette modification.
M. Pirmez – Je ne m’opposerai pas à la remise de la discussion à lundi. Mais je ferai observer qu’il n’a été donné, dans l’exposé des motifs, aucune raison pour limiter la quotité de la réduction de moitié.
M. Dubus (aîné) – C’est une question de revenu qui est appréciée dans le projet, puisque le ministre disait que, dans son opinion, la réunion du droit n’amènerait pas de perte ; mais la suppression en amènerait. D’après le projet de la section centrale, on pourrait supprimer tout le droit. Ainsi, vous voyez que cela change la question.
M. Pirmez – Le ministre pourra agir là comme dans beaucoup de circonstances ; il a la faculté de changer, comme il le juge à propos, le prix des places sur le chemin de fer, ce qui est bien plus important. En attendant jusqu’à lundi, vous n’en saurez pas davantage que maintenant.
M. de Brouckere – Je suis loin de m’opposer à l’ajournement proposé, dès lors, toute discussion serait prématurée. Cependant, je dois faire observer, avec l’honorable préopinant, que si, dans le projet du gouvernement, on ne demandait la faculté de réduire le droit sur la Sambre que jusqu’à concurrence de moitié, cette limite, que le gouvernement s’imposait, avait quelque chose d’arbitraire, n’était fondée sur rien. Cela est si vrai que, dans le volumineux rapport du ministre, il n’y a pas un mot sur cette limite ; il y est dit, au contraire, qu’il est impossible d’indiquer une réduction définitive. Quand on discutera le projet, je ferai connaître les motifs qui ont déterminé la section centrale à supprimer la limite que le gouvernement s’était imposée à lui-même.
Pour le moment, il me suffit de faire voir que ce changement n’entraîne, pour le gouvernement, aucune obligation quelconque, de telle manière que, si le gouvernement pensait qu’en réduisant le droit sur la Sambre canalisée de plus de moitié, cette réduction serait préjudiciable au trésor, il ne serait pas dans l’obligation de la faire. Ce n’est qu’une faculté que la chambre accordera au gouvernement, si elle le juge à propos, quand elle aura à voter le projet.
M. le président – Personne ne demandant la parole, la discussion de ce projet est ajournée à lundi.
M. le ministre de la guerre (M. Buzen) – Messieurs, en vous présentant, le 22 de ce mois, un projet de loi relatif à un crédit provisoire de trois millions, j’avais en vue de faire face aux dépenses les plus urgentes du département de la guerre jusqu’à la fin du mois de mai, d’après un état de ces dépenses préparé par mon honorable prédécesseur.
Ce crédit alloué, il restera encore sept mois de l’exercice de 1840, pour lesquels le service ne sera pas assuré.
Il peut y être pourvu de deux manières :
1° Par le vote du budget soumis à la chambre, après une discussion sur les détails ;
2° Par un dernier crédit provisoire global s’élevant à la somme totale de ce budget.
Le premier de ces moyens me paraît inadmissible, parce qu’il compromet ma responsabilité vis-à-vis des chambres, vis-à-vis de l’armée et vis-à-vis du pays.
Le second seul me mettra en mesure de m’acquitter dignement des devoirs que m’impose la position difficile où je me trouve placé.
Je dois, messieurs, à la franchise de la conduite que je veux tenir devant les chambres, de vous exposer clairement les motifs de cette opinion.
Arrivé depuis très peu de jours aux affaires, il m’a été impossible d’approfondir assez le budget de la guerre, ni de me rendre un compte assez exact de ses rapports avec l’organisation des différentes branches du service, pour apprécier la valeur relative des crédits affectés à chacune.
Les dépenses de la guerre doivent être ramenées à un ordre normal, c’est là une chose reconnue et comprise par tout le monde ; mais cet ordre normal, pour être durable, doit s’établir successivement, sans secousses, et reposer sur des formes d’organisation, exigeant un examen mûri, qui ne m’est pas permis de faire, ni même d’essayer dans ces circonstances tout à fait insolites.
Si l’on se décidait à discuter le budget présenté par mon prédécesseur, je me verrais dans la nécessité de m’opposer systématiquement, à toutes les réductions, même à celles qui me paraîtraient admissibles au premier aspect, parce que telle est la nécessité de ma position, parce qu’en y consentant sans une suffisante connaissance de cause, je m’exposerais à subir une situation dans laquelle je ne pourrais en opérer d’autres plus importantes peut-être, et plus rationnelles, quand j’aurai pu faire une étude méthodique du mécanisme de l’administration.
La chambre appréciera, je n’en doute pas, cette nécessité d’une position aussi exceptionnelle, qu’à tel système, dont les éléments auront été préparés et combinés par moi, puisque ce système doit nous faire entrer dans une ère nouvelle, dont il faut mûrement peser et calculer les conséquences.
Le second moyen que j’ai indiqué, celui d’un crédit global, me semble tout concilier, et je puis dire avec la confiance qu’inspirent des intentions droites, il ne blesse en rien les vues d’économie que chacun peut avoir conçus, parce que je suis fermement décidé, non seulement à ne pas dépasser le chiffre du crédit qui me serait alloué, mais à faire de moi-même, dès à présent, et successivement, toutes les réductions que je reconnaîtrai provisoirement praticables pendant la durée de l’exercice, et qui seraient en même temps compatibles avec les réductions définitives du budget normal à établir pour l’exercice suivant, et avec le bien-être et la juste attente de l’armée.
Plusieurs économies paraissent déjà avoir été faites sur les dépenses des quatre derniers mois écoulés, et d’autres sont préparées ; ce qui me porte à reconnaître la possibilité d’en opérer encore dans cette espèce d’état transitoire. C’est là un engagement que je puis formellement prendre, tandis que, par la discussion immédiate du budget, je ne pourrais consentir à aucune réduction sans faire contrainte à la prudente réserve où je dois me tenir.
Il est une autre considération non moins importante, et d’une nature toute spéciale, que je dois invoquer à l’appui de mon opinion , c’est que, dans l’intérêt de la confiance que doit inspirer un ministre de la guerre, et de l’influence qu’il doit exercer sur l’armée, je dois seul et spontanément proposer le système d’économie à introduire dans l’administration de l'armée, sans me le laisser imposer ; je dois enfin me présenter devant les chambres avec un budget qui soit mon œuvre.
Un pareil budget, je pourrai le justifier, le défendre, et le faire exécuter avec l’autorité et la conviction nécessaires.
Entendue de cette manière, la demande d’un crédit provisoire total, c’est, je l’avoue, à proprement parler, la demande d’un vote de confiance. Je n’ai de précédents à invoquer, pour la motiver que les crédits de 1830 et 31 ; mais comme à côté de la nécessité, qui est à peu près la même aujourd’hui, mais dans un ordre inverse, l’expérience des années écoulées a placé des moyens suffisants de contrôle, je l’hésite pas à considérer cette marche comme la seul qu’il me soit permis de suivre, pour faire le bien dans un sens absolu, et en respectant tous les intérêts.
Si la chambre en juge autrement, si elle n’admet pas mes motifs, si elle ordonne la discussion du budget présenté, je dois déclarer franchement l’intention de me tenir dans la position négative que je viens d’annoncer.
M. F. de Mérode – Messieurs, les discussions qui ont eu lieu ces jours derniers, et d’abord sur un crédit relatif au chemin de fer des provinces rhénanes, objet tout à fait étranger à nos affaires intérieures, n’étaient pas de nature à permettre une manifestation sérieuse sur la formation nouvelle du ministère. Aujourd’hui, c’est d’un troisième crédit provisoire pour le département de la guerre qu’il s’agit. Et assurément, messieurs, sans les circonstances qui ont amené le troisième et singulier retour, vers une forme insolite de voter un budget, nous ne serions pas forcés d’y avoir recours itérativement. Vous n’ignorez pas, messieurs, que je respecte la prérogative royale, non moins nécessaire à l’ordre constitutionnel, que les droits des chambres. Loin de moi la pensée de la soumettre à l’omnipotence de l’une d’elles, omnipotence plus à craindre, peut-être, que celle d’un monarque absolu. Aussi, est-ce dans l’intérêt même de la royauté que j’exprimerai tous mes regrets de la composition de ce ministère installé récemment, et je crois, en conscience, devoir exprimer le désir qu’il soit modifié.
Vous me rendrez la justice, messieurs, que j’ai toujours combattu en faveur des idées morales, soit dans la politique intérieure, soit dans la politique du dehors.
C’est ainsi qu’aucun effort ni tentative ne m’ont semblé superflus pour éviter à nos compatriotes cédés une pénible séparation. Plusieurs fois j’ai parlé sans doute aux yeux des hommes d’Etat ou qui croient mériter ce nom un langage candide. Cependant, messieurs, je persiste à croire que l’on ne doit pas gouverner seulement par la tête, mais aussi par le cœur, et si les membres du cabinet démissionnaire avaient mieux conçu ce qui me paraît une vérité certaine, au lieu d’appuyer d’abord un acte de nature à provoquer ici d’orageux débats sur des raisons de froide légalité en postposant d’une manière tardive les raisons morales qui la justifiaient beaucoup mieux, le budget de la guerre serait voté maintenant, et de funestes exemples n’eussent pas été donnés au pays.
Je n’assistais pas au commencement de la première séance où fut proclamé le programme du nouveau ministère, je n’ai personnellement aucun grief contre les auteurs de cette pièce, assez en rapport d’ailleurs avec le système du précédent cabinet. Ce qui m’afflige et me désenchanterait complètement de l’ordre constitutionnel si son avenir n’était pas meilleur que le présent, c’est de voir trois hommes qui exerçaient des emplois de confiance sous le précédent ministère ne pas craindre de remplacer ceux dont ils tenaient leurs fonctions administratives, et qu’ils ont contribué à renverser sans aucun des procédés antérieurs ou subséquents que prescrivait une bienséance vulgaire.
Les règles en politique constitutionnelle, comme en autres matières, ont besoin de se combiner entre elles et de se faire mutuellement certaines concessions.
Selon les principes d’une théorie parfaite de gouvernement représentatif, il faudrait que les administrations, les tribunaux, les chambres, fussent composés d’individus circonscrits dans leurs fonctions respectives et propres. Les juges ne devraient pas abandonner leurs sièges pour venir prendre place dans cette enceinte, appliquer les lois et concourir à leur promulgation. Les employés supérieurs des ministères ne devraient pas quitter leurs bureaux pour contredire peut-être dans le parlement ceux dont ils sont destinés à suivre ailleurs la direction. Les représentants devraient être exclusivement choisis parmi les citoyens probes et instruits sur lesquels aucune influence quelconque ne pourrait être exercée.
Mais la théorie idéalement parfaite est d’ordinaire détestable en réalité. Une représentation nationale privée de fonctionnaires amovibles ou inamovibles manquerait de beaucoup de renseignements précieux dans la discussion des lois, et d’un élément essentiel, la pratique des affaires.
A l’époque même de la révolution, lorsque les idées gouvernementales étaient en pleine défaveur, on a considéré comme nécessite l’exigibilité d’un certain nombre d’agents délégués de la puissance exécutive. Seront-ils maintenant affranchis de toute espèce de conditions à l’égard d’un pouvoir non moins indispensable à l’Etat que celui du parlement, c’est-à-dire envers l’autorité gouvernementale.
Prenons-y garde, messieurs. Si le fonctionnaire peut se prononcer, non seulement contre les projets de loi présentés par les ministres ou contre des actes critiques sans intention ni forme hostiles, mais aussi contre le ministre lui-même, contre son maintien au département qu’il occupe, en saisissant ensuite hardiment l’occasion de remplacer ce même ministre ; croyez-moi, tout homme ayant acquis déjà quelque expérience pratique du gouvernement redoutera plus que personne l’admission de fonctionnaires délégués du Roi.
Si l’on reconnaît donc et le besoin de réunir dans un parlement diverses catégories de personnes, pour que chacune y apporte son tribut, et la nécessité non moins impérieuse de concilier les rapports d’égalité et les relations différentes de ces rapports qui existent entre le ministre et le représentant fonctionnaire, on avouera que le sentiment des convenances, honorable produit non de subtilités légales, mais des mœurs, est la seule sauvegarde des divers intérêts opposées.
Il est dur, dit-on, de ne pas pouvoir occuper le premier poste qu’on se sent capable de remplir, après le vote librement émis contre un ministre. Mais sera-ce moins dur pour ce ministre de voir son adversaire, plus ou moins habile, cumuler, avec les avantages d’une place déléguée, le droit de ruiner sans gêne celui même dont il la tient ? l’un en se résignant à restreindre son ambition et à attendre l’époque convenable pour monter plus haut ne subit que l’inconvénient auquel devait éventuellement le soumettre l’acceptation libre d’une double influence parlementaire et administrative. L’autre subirait le coup d’une main, qui garderait le bénéfice pendant qu’elle en frapperait le collateur. En un mot ; « soigneux maintien du commis, renversement facile du commettant. », voilà la devise du représentant fonctionnaire, selon les principes de l’anarchique morale égoïste que je combats.
Voici ce que répliquait M. Jaubert, ministre actuel des travaux publics en France, à propos de la loi de disjonction qu’attaquait M. Dupin, procureur général à la cour de cassation, et ce en répondant à M. Dupin :
« Ai-je dit qu’un député fonctionnaire ou non devait être servile ? Oh ! messieurs, je crois que ne peut m’attribuer une pareille pensée. Je suis de ceux qui ont montré le plus d’attachement peut-être à leur parti, et cependant toutes les fois que ma conscience m’a commandé de produire à cette tribune un dissentiment, je l’ai fait sans hésiter. Faut-il tout approuver aveuglément, quand on est fonctionnaire ? Personne ne l’a dit, et l’honorable M. Dupin se donne trop beau jeu lorsqu’il suppose que j’établis la question en ces termes. Ce serait une thèse absurde contre laquelle l’honneur de cette chambre entière se révolterait.
« Qu’ai-je dit, le droit pour les députés est égal ; fonctionnaires ou non fonctionnaires, ils ont été envoyés par leurs commettants dans cette chambre pour dire ce qu’ils croient être la vérité. Qu’ils la disent sans détour, mais qu’ils la disent à leurs risques et périls, électoraux ou autres. Si le député fonctionnaire est parfaitement libre, je demande qu’il soit bien reconnu que le gouvernement l’est aussi, et qu’en prononçant des révocations que des démissions spontanées auraient peut-être dû prévenir, il use d’une prérogative qui lui apparient essentiellement, qui est dans son devoir, selon les saines notions du gouvernement représentatif. »
Eh bien, à quoi, messieurs, ai-je, moi, récemment convié les fonctionnaires représentants qui croiraient nécessaire de voter pour ou contre une question dans un sens dont le résultat serait non seulement la critique d’un fait ou le rejet d’une loi, mais le renversement même de leurs commettants dans l’ordre du pouvoir exécutif ? Les ai-je engagés à un acte de bassesse ? non, je les ai invités à un acte honnête, à un acte délicat et consciencieux ; savoir à donner la démission du poste qui leur est confié par leur commettant dans l’ordre du pouvoir représentatif, exécutif conformément à une conviction motivée et sincère. Ceux qui auraient jugé mes idées comme trop rigides ne penseront pas que je pousse aujourd’hui trop loin l’exigence de la délicatesse.
Si je demande avec instance qu’on la respecte, c’est précisément afin d’éviter les destitutions qui trop souvent lèsent et le destituant et le destitué ; c’est afin de ne pas forcer les ministres à y avoir recours, pour écarter de l’administration des membres qui, jouissant sans limite des avantages d’une double existence, trouveraient par elle le moyen de s’affranchir des égards qu’il doivent à leur supérieur, et trop de facilités aussi pour tenter de les supplanter quand l’occasion s’en présenterait.
Je ne veux donc pas favoriser l’intimidation, arme à l’usage du régime du bon plaisir. Si ce régime revenait un jour, ce ne serait qu’après le régime d’une liberté indigeste que je m’efforce de repousser, parce que c’est lui qui est maintenant à craindre. Les gouvernements comme les individus n’ont pas toujours les mêmes maladies. Il leur faut, en certaines circonstances, des débilitants ; quand il y a pléthore, par exemple. Assurément, il n’y a pas chez nous pléthore d’autorité dans le pouvoir chargé de l’exécution des lois ; aussi dirai-je aux électeurs : Ne craignez pas d’élire aujourd’hui un nombre modéré toutefois de représentants fonctionnaires délégués des ministres, tel qu’il existe maintenant dans cette chambre, si, bien entendu, ces fonctionnaires se trouvent, en vertu de règles morales acceptées par l’opinion publique, obligés de se conduire avec franchise et réserve, dans leur double qualité. Ce n’est pas l’indépendance seule qu’il faut pour conserver un gouvernement constitutionnel, c’est aussi de la fixité, de la prudence et de la prévoyance, à l’égard des intérêts publics que l’instabilité compromet grandement. Or, le représentant fonctionnaire, moralement contraint de reporter ses regards sur lui-même avant de concourir à la déchéance d’un cabinet, sera aussi, quand il s’agira d’un tel événement plus circonspect que son collègue placé dans l’indépendance absolue. Celui qui la possède s’abandonne souvent avec trop de légèreté au premier mouvement qui le pousse. Il renverse une administration sans s’inquiéter assez des suites d’une crise ministérielle et de l’apprentissage que vont faire, au détriment du pays, de nouveaux venus. Le coup porté, il retourne à ses affaires personnelles, à sa maison de campagne ou de ville, laissant à quelques hommes animés d’une plus sérieuse sollicitude le soin de réparer la brèche qu’il a ouverte. Je sais ce que m’en a coûté de servitudes et de peines gratuites le remblai provisoire de ces vides dont l’imprévoyance se soucie peu.
Je cherchais à servir le pays avec dévouement par l’action ; aujourd’hui que je n’appartiens plus au gouvernement, j’use seulement de la parole, et si je parviens à démontrer clairement d’utiles vérités, je m’estimerai heureux qu’elles triomphent aux dépens des anachronismes soi-disant libéraux dont on voudrait faire, pour nous, de l’histoire actuelle. « Raison est un beau nom, la réalité est triste », disait, le 22 mars dernier, dans la basilique de la capitale de France, un des plus remarquables orateurs religieux de ce royaume. A son exemple, je proclamerai hardiment ces mots : « indépendance est un beau nom, la réalité est triste » ; il ne suffit pas, en effet, de se montrer indépendant du pouvoir ; il faut l’être de la vaine popularité, il faut l’être de toute crainte pusillanime de la presse dénigrante, il faut l’être des préjugés et des passions jalouses, et combien est rare cette excellente et réelle indépendance. Tout électeur, comprenant donc que l’indépendance vulgaire qui se donne plus d’importance qu’elle n’en mérite, et qu’aujourd’hui je compare à la bravoure de théâtre, n’est pas seule avantageuse à l’ordre et à la conservation des droits sociaux ; tout électeur perspicace, dis-je, ne s’effrayera nullement d’une certaine dose de discipline introduite au milieu des éléments de liberté absolue qui ont besoin de contrepoids dans le parlement comme ailleurs.
Si le gouvernement abusait réellement du pouvoir en Belgique, ne rencontrerait-il pas sur son chemin, d’une part, la conscience chez plusieurs membres liés à lui par leurs fonctions, et qui s’auraient s’en démettre à propos, d’autre part, une résistance plus prompte encore chez la grande majorité, composée de ceux qu’aucun emploi révocable ne rattache à l’existence ministérielle ? ne trouverait-il pas en outre un sénat éligible qui cesserait d’accorder son concours aux ministres, le jour où l’abus sérieux oserait se dresser devant un corps nanti de toute l’indépendance possible ? Ne trouverait-il pas la magistrature inamovible ; et enfin cette liberté de la presse possédant une si haute influence quand elle attaquerait des torts graves, puisqu’elle a déjà tant d’action pendant qu’elle s’acharne sur les moindres défauts.
Récemment, en France une question de cabinet s’est présentée sous l’apparence d’un vote sur un crédit d’un million applicable aux dépenses secrètes du gouvernement. Nous avons été engagés dans une discussion de même nature, c’est-à-dire que l’affaire malheureuse et individuelle qui nous a occupés masquait une véritable affaire de parti. Si la sincérité se fût développée sur beaucoup de lèvres, elles eussent dit franchement : L’acte qui a réintégré le général Vandersmissen a offusqué certains amis du ministère. Cultivons dans leur âme une disposition si bénévole pour nous en ce moment et qui peut amener la dissolution du cabinet dont la majorité appuyait et appuierait encore ultérieurement l’existence.
Nous exploitons l’incident que nous fournit la queue du traité, le ministère aura amené le navire au port où nous voulons qu’il fût conduit. Après la tempête excitée par ce même traité, nous aurons la cargaison quitte et sauve des bourrasques qu’elle devait subir pour aller si loin ; en un mot, s’il était permis de rire quand on aborde un si grave sujet, je dirai qu’on a joué ici la fable de Bertrand et Raton. En effet, si la répugnance à l’égard de la réintégration du général Vandersmissen eût été si vive, par exemple, chez M. le ministre des affaires étrangères, qu’elle méritât à ses yeux d’être biffée par un acte extra-parlementaire, qui a constitué la chambre en pouvoir judiciaire et administratif, eût-il pu accepter du ministère précédent, après cette réintégration bien connue, une mission avantageuse à Francfort, mission à laquelle il a renoncé seulement parce que le traitement proposé pour ce poste a été réduit ?
Messieurs, la tactique qui culbute une administration, non parce qu’une majorité nouvelle s’est formée, mais, comme disait récemment un pair de France, à l’aide d’agglomérations fortuites, à l’aide d’un pêle-mêle d’opinions, de sentiments, d’ambitions, de vœux, d’espérances contradictoires, une telle tactique est peut-être, selon les principe d’une morale très relâchée, tolérable chez les représentants qui n’ont contracté avec le pouvoir ministériel aucun lien. Mais elle est un scandale chez ceux qui lui sont attachés par ces liens. Si la stabilité naît d’une pareille œuvre, quel que puisse en être le résultat pour les intérêts matériels du pays, elle sera fatale à ses intérêts moraux ; et qu’est-ce qu’un gouvernement sans moralité sui generis ? Si la chambre accorde son concours au cabinet actuel sans qu’il soit modifié dans la personne de trois de ses membres, je courberai la tête sous la triste influence qui, maintenant, porte ses esprits vers une sorte d’insouciance à l’égard des torts politiques. Honneur à celui qui réussira, malheur à celui qui tombera, fût-il loyal et droit dans sa conduite. Ce sera là le type de progrès vers lequel nous marcherons. Croyez-moi, messieurs, ce que je dis n’est pas dirigé contre des hommes, je m’inquiète peu des hommes, et pourquoi serai-je ennemi de ceux qui ne se sont pas constitué mes adversaires et que j’ai vivement soutenus quand ils marchaient dans la bonne voie ?
Si MM. Desmaisières, de Theux, Nothomb eussent supplantés MM. les ministres présents des finances, des affaires étrangères et des travaux public, après avoir conservé ou pris de leurs mains des emplois de confiance, je ne serais pas plus coulant pour eux, et je suis certain que les mêmes ministres qui, aujourd’hui, ont atteint le pouvoir, et qui dans cette hypothèse l’auraient perd, applaudiraient à mon langage, ce qui prouve qu’il est juste et motivé.
Ne fais pas à un autre ce que tu ne voudrais pas qu’il te fût fait.
Aussi longtemps que les trois membres du cabinet que je voudrais voir replacés dans leur position précédente, car je suis loin de leur souhaiter du mal, siègeront au banc ministériel, les représentants, fonctionnaires délégués, sont affranchis dans cette enceinte de tout ménagement quelconque envers le ministère : Ils peuvent lui faire une opposition hostile, avec adresse ; car l’écolier n’est pas plus grand que le maître, et le délégué n’est point forcé de suivre un autre exemple que celui de son commettant. Ce sera là, messieurs, une conséquence juste du maintien du ministère tant qu’il ne sera pas modifié. Elle ne lui plaira pas, sans doute, mais tout arbre, jusqu’à ce qu’il soit coupé, porte son fruit. Messieurs, les trois membres du ministère qu’à mon grand regret, je suis forcé de combattre, pourraient me mettre en demeure de justifier les reproches d’ambition répréhensibles que je leur adresse, s’ils n’avaient pas accepté trois portefeuilles.
Mais ni plus ni moins tous trois ont profité de la chute des ministres à laquelle ils ont concouru ; n’est-ce pas là une singulière coïncidence ? Déjà le lendemain ou le surlendemain de la démission du précédent ministère remise entre les mains du Roi, et non encore acceptée, M. Lebeau consentait à se mettre à la tête du nouveau cabinet, c’est lui-même qui nous l’a dit. Le ministre actuel des finances n’a pas donné sa démission ni au moment du vote qui entraînait la retraite du précédent ministère, ni postérieurement. Que devait-il faire pour prouver qu’aucune envie de parvenir aux dépens de son chef n’avait amené sa détermination ? Refuser absolument toute proposition de le remplacer ; c’était là une nécessité d’honneur. Personne n’a engagé M. le ministre des finances actuel a se mettre sur les rangs comme député. Le gouvernement, il le sait aussi bien que moi, était plutôt opposé à ce qu’il siégeât dans cette chambre, et ce qui s’est passé rendra les ministres de plus en plus circonspects, lorsqu’il s’agira d’autoriser de nouveaux fonctionnaires revêtus de hauts emplois à faire partie de la représentation. Ce ne seraient pas les électeurs, qui devront craindre de les élire, mais les ministres qui redouteraient leur concurrence et leur antagonisme. Voilà, messieurs, où conduira l’abus de l’indépendance parlementaire absolue des représentants fonctionnaires délégués du gouvernement. Le régime constitutionnel est un régime de conciliation. Sans une haute moralité, sans les égards utiles, indispensables surtout de la part des fonctionnaires entre eux, ce régime ne pourra pas vivre. Tous devraient la comprendre, ceux que la révolution a élevés plus encore que les autres.
Messieurs, si j’ai usé de la presse, si je parle même contre des personnes, croyez-moi, il m’en coûté ; j’aime à obliger, non pas à nuire, et c’est le cœur oppressé que j’ai péniblement conçu ce que je viens de dire non sans effort sur moi. Je m’y suis résigné comme à un devoir dont beaucoup d’autres ne voudraient pas se charger ; car si le gouvernement représentatif devient partout un escamotage dont le résultat toléré par la faiblesse inerte des uns sera célébré par l’imprévoyante satisfaction des autres, le mal auquel nous avions échappé jusqu’à présent rendra tout principe dérisoire, et la liberté régulière et honnête fera place à je ne sais quelle lutte incessante et peu digne. « Trouver en trois siècles trente années continues d’un gouvernement législateur et pacifique, écrivait Volney dans son tableau des Etats-Unis de l’Amérique. Voilà le bienfait dont les dieux furent toujours avares. » Si nous prenons nous-mêmes les précautions nécessaires à sa longue conservation, pourquoi mériterions-nous que la Providence devînt envers nous plus généreuse ? De ce discours trop long peut-être, mais qu’il m’était difficile d’abréger, on me demandera quelle est la conclusion pratique pour le moment ; la voici, messieurs, déjà je l’ai indiquée.
Nous avons trois ministres contre lesquels aucune blâme ne l’élève. Qu’ils restent et se complètent : que les autres reprennent leurs fonctions antérieures. La faute commise s’oubliera ; et, loin de nuire, elle nous aura fait faire un pas immense vers le plus beau, le plus noble progrès, le progrès dans la moralité politique. Là est, je ne crains pas de l’assurer, bien plus que dans les millions de promeneurs circulant sur les chemins de fer, l’avenir du pays et de la liberté.
J’adopterai le crédit provisoire, demandé par M. le ministre de la guerre, en me réservant mon vote, selon les circonstances, sur l’ensemble du budget.
M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – En répondant au discours de l’honorable préopinant, mon ancien collègue au gouvernement provisoire, mon ancien collègue au ministère, et je dirai aussi mon ancien ami, j’espère qu’il me m’échappera aucune parole capable de blesser la juste susceptibilité de personne, capable surtout de porter atteinte à l’honneur de qui que ce soit. L’honorable préopinant avait déjà essayé, par une voie que pour ma part je respecte, la lutte qui vient de reprendre aujourd’hui, avec des formes dont la chambre aura sans doute apprécié la convenance.
Pour ma part, je veux bien passer sur ces formes, mais je ne saurais, en aucune manière, accepter la leçon de morale politique que l’honorable préopinant vient d’adresser à trois de ses collègues et à moi en particulier.
S’il est dans cette chambre un membre qui n’a pas le droit d’adresser des leçons à ses collègues sur leur conduite politique et administrative, je n’hésite pas à le dire, ce membre est l’honorable comte Félix de Mérode. De tout autre, je concevrais la prétention de nous donner des leçons de conduite politique et parlementaire ; mais de lui, moins que de tout autre, nous ne pouvons les accepter.
Ne se souvient–il pas, cet honorable collègue, aujourd’hui si susceptible dans ces questions, ne se souvient-il pas de la conduite tenue par lui-même, alors qu’il était non pas le subordonné du ministère, mais partie intégrante du ministère ; ne se souvient-il pas de sa conduite, alors qu’il avait l’honneur de siéger à côté de mon honorable ami et moi, comme ministre d’Etat, alors que cette loi qui nous a occupés avant-hier était mise en discussion ? Je cite cet exemple parce qu’il est remarquable entre tous, l’honorable membre ayant donné mille autres exemples de principes entièrement contraires à ceux qu’il vient de proclamer aujourd’hui.
Il s’agissait d’une loi sur le chemin de fer. L’honorable membre savait que tous ses collègues attachaient la plus grande importance à l’adoption de cette loi. Je lui avais, pour mon compte, déclaré que j’en faisais, en ce qui me concernait, une question de portefeuille. Je le déclarai en conseil. L’honorable membre qui, je veux bien le croire, n’a jamais été mu par aucune espèce d’ambition quelconque, ne prêchait pas à cette époque les doctrines dont il se montre le si vif apologiste. Il ne les prêchait ni ne les pratiquait. Il ne donna pas sa démission. Il resta le collègue des ministres et vint appuyer dans cette chambre des propositions qui avaient pour but de frapper la loi au cœur même.
Un autre ministre d’Etat qui avait fait parte du précédent cabinet proposa dans cette discussion un amendement que je considérais comme renversant la loi.
Cet amendement fut soutenu par le discours et par le vote de l’honorable comte de Mérode, notre collègue dans le cabinet, qui ne donna pas sa démission, et resta le collègue de celui qu’il combattait.
En combien d’autres circonstances, ne vint-il pas, soit par des discours, soit par de démarches, combattre les vues de ceux dont il était le collègue !
Eh bien, je dis qu’un ancien ministre qui, étant ministre, a tenu une telle conduite, une conduite si attentatoire à tous les principes parlementaires, est le plus incompétent des hommes pour venir donner des leçons de morale parlementaire.
Quant à mon collègue et à moi, quelle a été notre conduite dans la discussion qui a donné lieu au renversement du cabinet ? il s’agissait d’un vote où, tout le monde l’a reconnu, la conscience de chacune était intimement liée. Non seulement les membres de l’opposition contre l’ancien ministère n’acceptèrent pas la proposition qu’il avait faite, mais ses amis les plus intimes repoussèrent, comme contraire à l’honneur et aux intérêts de l’armée, la proposition sur laquelle il a eu le malheur de s’opiniâtrer aveuglément.
Est-ce nous, sont-ce les fonctionnaires de cette chambre, qui ont conseillé au cabinet de faire de cette malheureuse question une question de cabinet ? est-ce nous qui l’y avons provoqué ? Ne pouvons-nous pas rappeler que nos propres amis lui ont conseillé de ne pas faire de cette affaire une question de cabinet ; le ministère, soit par confiance en lui-même, soit par tout autre sentiment, que je ne puis apercevoir, n’a pas écouté ce conseil.
On a voulu mettre notre conscience entre nos devoirs et nos places. On aurait voulu que, dans cette circonstance, un homme d’honneur sacrifiât sa conscience à sa position. On nous connaissait bien mal, ou l’on devait savoir que notre choix ne serait pas douteux. Ce que je dis ici, j’ai eu soin de le dire avant le vote à plusieurs ministres même et à celui qui vient nous combattre aujourd’hui. Je leur ai dit que, quelle que fût la décision du ministère, je croyais mon honneur engagé à voter contre la proposition.
Est-ce à dire que, lorsqu’un fonctionnaire public aura été investi, comme député, de la confiance de ses concitoyens, il ne pourra plus se détacher du ministère, même en donnant sa démission ? Sera-t-il enchaîné corps et âme à un cabinet, sans pouvoir s’en séparer par un acte d’indépendance ? Ce n’est pas ainsi que nous avons compris la position et le devoir des fonctionnaires. Placés par nos antécédents dans une position particulière, mon honorable collègue et moi, après avoir donné un vote radicalement hostile au ministère, nous n’avons pas cru devoir continuer à le servir, non pas que nous avions voulu poser ainsi des principes absolus de servilisme des fonctionnaires vis-à-vis des ministères ; nous avons au contraire conseillé à nos honorables collègues, fonctionnaires publics, de conserver leurs fonctions : nous pensions que la démission donnée par eux eût été en effet d’un mauvais exemple et eût posé des antécédents dont plus tard on eût pu se prévaloir contre les fonctionnaires publics.
Nous nous sommes appliqué les principes que nous avions professés dans une autre circonstance ; mais jamais nous n’avons entendu que les obligations des fonctionnaires publics vis-à-vis du gouvernement allassent jusqu’à le servir dans toute circonstance donnée ; et notamment nous avons cru que la circonstance relative à la réintégration du général Vandersmissen était une excuse pour toute espèce de fonctionnaires. Nous croyons qu’après avoir voté contre le ministère, dans cette circonstance, nous aurions pu même avec honneur conserver nos places. Si nous ne l’avons pas fait, ç’a été par un scrupule exagéré peut-être ; mais si nous avions écouté les conseils d’hommes qui sont aussi compétents que l’honorable préopinant, en ce qui concerne la morale, nous eussions conservé nos places et nous l’eussions fait avec l’assentiment du pays.
Etait-ce une comédie que nous jouions en donnant notre démission ? Avions-nous espéré arriver plus promptement ainsi au pouvoir auquel nous aspirions ? Ah, si c’était une comédie, il faut avouer que cette comédie était pour nous une chose très grave ; que cette comédie a été rendue très sérieuse par la précipitation, avec laquelle ces démissions ont été acceptées et avec laquelle même il paraît qu’il avait été procédé à notre remplacement. Et, puisqu’on parle de délicatesse, nous demanderons si, après que les fonctionnaires publics se sont séparés d’un ministère, après que ce ministère lui-même a donné sa démission et a fait cesser l’incompatibilité qui existait entre lui et les fonctionnaires, nous demanderons si la délicatesse est entièrement compatible avec la conduite tenue à l’égard de ces fonctionnaires, laquelle a reçu sans doute l’approbation de l’honorable préopinant.
Du reste, ceci n’est pas une récrimination, je ne veux pas en faire. Il m’est très pénible d’avoir à soutenir une telle lutte ; je croyais (aussi n’étais-je pas préparé à cette discussion) que l’honorable préopinant se serait calmé après avoir jeté son premier feu dans deux ou trois lettres publiées dans les journaux. Je n’aurais pas pensé que de sens rassis, et après un mois de réflexion la même aigreur, la même injustice aurait pu se manifester chez un de mes anciens amis.
Du reste, comme j’ai eu l’honneur de le dire à mon honorable adversaire, qui nous menace de sa colère parlementaire, et qui veut bien nous choisir au nombre de trois pour victimes de sa future opposition, comme j’ai eu l’avantage de le lui dire, la menace de cette opposition ne m’effraie pas, car j’aime mieux le compter parmi mes adversaires que parmi mes amis parlementaires. (On rit.)
M. F. de Mérode – Vous ne disiez pas cela autrefois.
M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – Je ne sais de quelle époque vous voulez parler ; mais je sais que, de tout temps, M. le comte, j’ai préféré (et cette opinion est partagée par un grand nombre de mes collègues) vous avoir pour adversaire parlementaire que pour ami parlementaire. En aucune occasion je n’ai eu besoin ni de vous, ni de votre concours ; je puis m’en passer encore pour l’avenir. Que ceci soit dit en passant.
M. F. de Mérode prononce quelques mots qui ne parviennent pas jusqu’à nous.
M. le président (s’adressant à M. F. de Mérode) – Vous avez prononcé votre discours tranquillement et sans être interrompu ; veuillez ne pas interrompre l’orateur.
M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – Je ne puis que répéter publiquement ce que j’ai dit à cet honorable membre dans un entretien particulier qui a précédé le vote. Je ne sais si l’honorable préopinant avait l’intention d’exercer sur moi une influence quelconque, mais enfin sa menace est restée sans résultat.
Je m’étonne qu’un honorable membre qui se pose ici comme le défenseur extrêmement susceptible de l'autorité et du pouvoir, à peine un nouveau cabinet est venu remplacer l’autre après une crise qu’on déplorait, à peine ce nouveau cabinet est assis sur ce banc et avant qu’il ait posé aucun acte, je m’étonne, dis-je, que cet honorable membre, qui se déclare le soutien de l’autorité, fasse tous ses efforts pour entamer, ébrécher ce cabinet.
L’honorable préopinant suppose la possibilité que trois des membres du nouveau cabinet se retirent et que trois restent en place. Sans doute pour reprendre à côté deux les trois ministres démissionnaires, tandis que d’un autre côté, nous reprendrions notre position administration. L’honorable membre trouve cela très naturel, très moral, très constitutionnel. Je le veux bien, mais je dois ici répéter qu’avec de tels principes j’aime mieux compter l’honorable membre parmi mes adversaires que parmi mes défenseurs politiques.
Du reste, je ne doute pas que quand le temps aura calmé l’esprit de M. de Mérode, à la bonté duquel chacun de nous rend justice, je ne doute pas qu’il ne nous rende un peu de cette bienveillance, de cette estime qu’il nous prodiguait autrefois. Nous sommes toujours restés les mêmes, notre conscience ne nous reproche rien, si donc il s’est séparé de nous, la faute en est à lui et non pas à nous. (Bien ! très bien !)
M. F. de Mérode – J’ai été pendant plusieurs années membre du conseil des ministres avec divers ministères ; j’ai soutenu mes collègues avec le dévouement dont le Moniteur fait foi ; mais je ne voulais pas être lié à toutes les combinaisons que le ministère voulait faire prévaloir, à toutes les lois qu’il proposait. Je ne voulais pas être tellement attaché à ces divers cabinets qu’il m’annulassent en quelque sorte complètement. Ainsi, pour le chemin de fer, puisqu’on en a parlé, je demandas qu’il commençât à Louvain où finit la ligne de canaux, qu’il s’étendît jusqu’à la frontière prussienne dans la partie du pays où il n’y a pas de canaux. Voilà quelle a été ma conduite dans cette affaire, où il n’y avait pas de question de cabinet, car il était impossible de faire une question de cabinet d’un vote dans une question de cette nature. Si la chambre avait adopté l’amendement que j’avais proposé, non comme membre du conseil des ministres, mais comme membre de la chambre, car j’avais soin de ne parler qu’à mon tour, il n’en serait résulté aucun tort pour les ministres qui avaient voulu un système plus large, plus complet.
On me reproche d’avoir de sens rassis, et après un mois de réflexion, renouvelé des attaques contre d’anciens amis, d’anciens collègues. J’ai dit que j’étais animé par un motif tout moral et non par une animosité personnelle : je m’en suis expliqué à cet égard de la manière la plus formelle. Je n’avais reçu jusqu’ici aucune explication des ministres, car, voici trois semaines que ce que j’ai publié par la voie de la presse a paru, et personne ne m’a répondu. J’ai été assez étonné de voir une patience aussi longue au sujet d’attaques aussi vives. Aujourd’hui M. le ministre des travaux publics a essayé de me répondre ; mais qu’on veuille relire mon discours et lire sérieusement le sien, et je pense qu’on ne trouvera pas qu’il ait détruit un seul de mes arguments. Je lui demanderai franchement (je fais un appel à sa conscience) si des employés de province agissaient, dans une circonstance semblable, envers le ministère actuel comme il a agi vis-à-vis du précédent cabinet, se sentirait-il réellement satisfait.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Lebeau) – Messieurs, au milieu des aménités que l’honorable préopinant a prodiguées aux membres du nouveau cabinet, j’ai été, je ne sais par quel privilège, l’objet d’une prédilection toute particulière. Mon nom a été, pour lui, le texte d’accusations très vivaces : des reproches d’ambition, d’envahissement du pouvoir par une espèce d’escamotage, ne m’ont pas été épargnés. L’honorable préopinant paraît avoir, à mon égard, manqué un peu de mémoire ; l’honorable préopinant paraît avoir oublié que, sollicité de prendre le pouvoir, je ne l’ai accepté que dans les moments de péril, et alors que d’autres se gardaient bien de le prendre ; j’ai accepté le pouvoir, messieurs, à une époque où le pays était dans une espèce d’anarchie ; et en trois mois et demi, aidé du concours des mandataires de la nation et de quelques amis dévoués, je suis parvenu à faire sortit la Belgique de la crise où menaçait de périr sa nationalité renaissante.
Aussitôt que le pays fut constitué, cet ambitieux, quelles sont les premières pensées qui l’aiment, quels besoins ressent-il ? C’est de rentrer dans la vie privée Alors qu’il avait le droit de rester au pouvoir, car ses actes avaient tous été sanctionnés et par la législature et par le succès, il est passé sur les bancs des députés, d’où il a systématiquement appuyé un cabinet dans lequel aucun de ses amis politique ne figurait.
A une époque où le canon de l'ennemi menaçait de ruiner notre métropole commerciale, alors que, par des engagements trop absolus, on s’était mis dans l’impossibilité d’obtenir le concours des grandes puissances pour l’exécution des traités, pour la libération du territoire, mon honorable ami et moi sommes rentrés au pouvoir, mais nous en sommes sortis presqu’aussitôt, après qu’eut été signée la convention du 21 mai 1835, convention qui a fait un lit si doux, un lit d’édredon, dans lequel, et je n’en parle pas avec une pensée de reproche, sont venus se coucher nos successeurs. Alors nous avions, après de pénibles débats, fini par obtenir le concours des chambres ; nous étions appuyés par la majorité parlementaire, et c’est vrai à tel point que lorsque notre retraite fut annoncée à cette tribune, un honorable membre de l’opposition la plus énergique s’écria que cette retraire attaquait la prérogative des chambres et l’esprit du gouvernement constitutionnel. Voilà, M. le comte, les ambitions que vous signalez à la vindicte de la chambre et du pays.
Nous avons, il est vrai, en nous retirant volontairement, accepté des fonctions administrations, nous les avons acceptées alors que nos successeurs avaient hautement ratifié les principaux actes de notre politique extérieure et intérieure ; acte que quelques-uns d’entre eux avaient critiqués dans les rangs de l’opposition. Nous avons donc pu accepter honorablement de hautes fonctions publiques.
Pendant cinq ans et demi, nous avons encore, par la conviction où nous étions, qu’un pouvoir naissant a si besoin d’appui, prêté notre concours aux ministres. Je rappellerai, entre autres, de questions importantes, dans le discussion desquelles nous avons soutenu le gouvernement : je veux parler du service de santé et du marché des lits de fer, questions dans lesquelles il était si facile de compromettre alors sa popularité.
Je suis, par instinct, par conviction, porté à défendre le pouvoir, mais c’est à condition qu’il ne s’abdique par lui-même. Ainsi, je le dirai avec franchise, le cabinet a perdu beaucoup dans notre opinion, à l’époque des dernières négociations, à l’époque du traité de paix ; alors, toutefois, nous avions mis par-dessus tous les intérêts de notre ambition ; si nous n’avions eu en vue qu’une conquête de portefeuilles, rien n’était plus facile que de renverser le cabinet. Il suffisait, pour cela, de nous allier à ceux qui le soutenaient naguère, et qui se posaient ses adversaires, à l’honorable comte lui-même ; nous n’en avons rien fait, parce que nous foulons aux pieds les intérêts d’une mesquine ambition, vis-à-vis des intérêts du pays.
Oui, messieurs, dès ce moment notre confiance dans le cabinet a été fortement ébranlée. M. le comte de Mérode a parlé tout à l’heure de ma mission à Francfort ; eh bien, j’en parlerai aussi. Oui, j’ai accepté la mission de Francfort ; et pourquoi ? parce qu’il y avait commencement de scission entre le ministère et moi, parce que je voyais s’augmenter les motifs de dissidence entre le gouvernement et mes convictions. Cet éloignement de mon pays était dicté par des pressentiments sur ce qui devait se passer inévitablement un peu plus tard. Il n’a pas dépendu de moi de me soustraire, quand je le pouvais encore honorablement, à la nécessité d’une rupture publique avec le ministère.
L’épisode qui a renversé le cabinet est venu en effet quelque temps après. Mais, mon honorable collègue, le ministre des travaux publics, vous l’a dit, loin d’organiser à l’avance une prétendue coalition, dans le but de renverser le ministère, un de nos amis lui donnait des avertissements et cherchait à l’éclairer sur les dangers qui le menaçaient. Oui, le péril a été signalé au ministère ; on l’a convié à chercher les moyens de l’éviter honorablement. Est-ce là la conduite d’hommes qui conspireraient dans l’ombre pour le renversement d’un cabinet ? le bon sens de cette chambre et son esprit de justice répondront pour moi.
L’événement qui a amené la chute du cabinet, est un fait anormal ; ce n’était pas un système politique qui était soumis à la discussion, c’est à tel point que des amis très chauds de l’ancien ministère, pour ne pas le suivre dans la route où il s’était engagé, ont fait, dans cette circonstance, violence et à leurs sentiments privés et à leurs affections politiques : des hommes dont la conscience, dont l’indépendance est au-dessus de tout soupçon, n’ont pas hésité de sacrifier à leurs devoirs leurs sympathies les plus intimes. Ils avaient résolu de sacrifier leurs affections à leurs devoirs ; nous, nous avions résolu de sacrifier nos places ; nous avons fait moins qu’eux ; toutefois, nous avons marché sur les traces de ces honorables membres qui, comme nous, voyaient dans le débat autre chose qu’une question parlementaire ; il y avait là pour eux comme pour nous, une question de haute moralité.
En parlant de question de moralité, je ne prétends jeter aucun blâme sur les opinions qui, dans ce grave débat, ont été contraires à la mienne : je respecte toutes les convictions sincères ; mais la mienne était aussi profonde que celle des nombreux amis de l’ancien ministère qui ont voté contre lui.
Je regrette, messieurs, d’avoir eu à vous présenter ces explications toutes personnelles à propos d’un incident que j’aurais désiré ne pas voir surgir et que nous n’avons nullement provoqué.
M. de Theux – Messieurs, le ministère démissionnaire n’avait jamais compté que les convenances seraient observées à son égard par tous les membres du nouveau ministère ; aussi nous ne sommes pas étonnés de quelques-uns des reproches qui nous ont été adressés. Mais nous aurions désiré que M. le ministre des travaux publics eût au moins observé les formes, les convenances parlementaires vis-à-vis de la minorité qui nous a appuyés dans le vote du 14 mars ; il se trouve dans le discours de ce ministre des termes que je considère comme offensants pour cette minorité qui, nous nous en glorifions, était composée d’hommes des plus honorables parmi ceux de cette assemblée ; d’hommes qui, par leurs lumières, aussi bien que par leur caractère et leur indépendance ont toujours joui de la confiance du pays. Si parmi ces honorables membres de la minorité on compte peu de fonctionnaires, nous nous en glorifions encore ; d’autant plus que l’indépendance des fonctionnaires qui ont voté avec nous a toujours été à l’abri de tout soupçon.
Le péril, dit-on, nous a été signalé, soit par quelques-uns des ministres actuels, soit par leurs amis ; pour moi, messieurs, je le déclare, jamais je n’ai reçu d’avis de ce genre de leur part. Quant aux démissions données par deux gouverneurs, elles n’ont point été acceptées avec précipitation ; en les acceptant nous avons cru remplir un devoir, mais, nous le déclarons sur l’honneur, nous avons agi sans passion.
On a dit, qu’en 1834, le ministère a quitté un lit très doux, dans lequel nous sommes venus nous coucher à sa place. Je ne sais si la mémoire de M. le ministre des affaires étrangères lui fait défaut ; mais je l’invite à lire deux des discours les plus remarquables qui, dans ces circonstances, ont été prononcés par M. Nothomb, l’ami dévoué de ce ministère, et partant même comme commissaire du gouvernement : 1° lors de la discussion du budget des affaires étrangères pour 184 ; 2° à la suite des pillages du mois d’avril 1834. Qu’on lise, messieurs, ces deux discours qui n’ont point été contredits par le ministère ; et l’on verra si celui-ci avait la confiance de la chambre, ainsi que M. le ministre des affaires étrangères vient de le dire ; l’on verra si leur situation était douce, agréable ; si, en un mot, ils étaient couchés dans un lit de repos.
Au surplus, messieurs, nous croyons avoir assez payé de notre personne, et dans des circonstances assez difficiles, pour ne point encourir le reproche d’être venu nous coucher sur un lit de roses en acceptant de la part du Roi les fonctions de ministres. Les sessions ont été assez laborieuses depuis 1834 jusqu’à présent, les circonstances ont été assez difficiles, assez graves pour que nous ne puissions pas encourir le reproche de mollesse.
C’est depuis les négociations relatives au traité de paix du mois d’avril 1839 que l’honorable ministre des affaires étrangères et ses amis ont commencé à perdre confiance dans notre ministère. Messieurs, si vous vous rappelez certains discours qui ont été prononcés dans la discussion de ce mémorable traité, vous vous rappellerez aussi que nos sentiments étaient très divergents : ceux qui sont devenus aujourd’hui nos adversaires politiques nous reprochaient en quelque sorte avec amertume de n’avoir point, à l’instant même, accepté l’adhésion du roi Guillaume au traité des 24 articles.
M. Devaux – Cela n’est pas.
M. de Theux – On peut consulter les discours de cette époque.
Nous n’avons point partagé cette opinion ; nous avons cru que nous avions un devoir de conscience, un devoir d’honneur à remplir envers nos concitoyens du Limbourg et du Luxembourg, envers le pays entier, c’est pour cela que nous avons prolongé les négociations jusqu’à la dernière extrémité, et que nous ne nous sommes déterminés à accepter le traité que lorsque nous avions acquis la conviction que toute autre issue était impossible.
Au surplus, messieurs, le traité du 15 novembre 1831 a subi d’importantes modifications dans ses dispositions matérielles ; il a subi des modifications tellement importantes que l’on pourrait presque doute si, avec les stipulations pures et simples du traité des 24 articles, avec les charges et l’arriéré qu’il nous imposait, l’indépendance du pays n’eût pas été rendue difficile.
J’ai dit.
M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – Je ne répondrai pas longuement aux observations de l’honorable préopinant ; je dois seulement dire qu’il n’a pas bien saisi la partie de mon discours à laquelle il a fait allusion ; s’il croit y avoir trouvé un reproche adressé à la minorité qui s’est prononcée en sa faveur le 14 mars dernier, je déclare qu’il n’a été nullement dans mon intention d’attaquer cette minorité, que je considère tous les votes qui ont été émis dans cette circonstance comme des votes consciencieux ; que chacun pouvait apprécier à sa manière la question dont il s’agissait. Je suis d’autant plus éloigné d’attaquer les membres de la minorité que je compte parmi eux plusieurs amis particuliers : que j’estime au même degré tous mes honorables collègues qui composaient cette minorité. Je n’ai donc eu, je le répète, aucune intention de jeter le moindre blâme sur un seul des votes qui ont été émis dans cette circonstance.
M. le général Willmar – Je n’avais aucunement l’intention de me mêler au débat soulevé par l’honorable comte de Mérode, et je serai encore très court, me référant d’ailleurs complètement aux observations que l’honorable M. de Theux vient de présenter et dont j’aurai peut-être l’occasion d’appuyer quelques-unes tout à l’heure.
Ce qui m’a déterminé à prendre la parole, c’est la manière absolue dont l’honorable ministre des travaux publics d’abord, et l’honorable ministre des affaires étrangères après lui, ont posé la question concernant le général Vandersmissen, comme une question de morale, d’honneur, de conscience. Je prétends, moi, avoir fait aussi un acte de conscience et de bonne morale, en proposant la mesure qui a été prise relativement à ce général et en la soutenant de tout mon pouvoir…
M. le ministre des affaires étrangères (M. Lebeau) – Je n’ai pas dit le contraire.
M. le général Willmar – J’ai fait cela pour appliquer de la manière la plus large possible un principe qui a toujours été considéré par les hommes ayant de l’élévation d’esprit et de cœur comme celui par lequel on devait clore une révolution, le principe de l'amnistie. Dans les circonstances particulières où nous nous trouvions, il y avait un motif de haute morale pour appliquer ce principe sans aucun espèce de restriction ; il fallait donner l’exemple à notre ancien adversaire et notre nouvel allié, pour l’engager à appliquer de son côté le même principe à ceux de nos compatriotes qui pouvaient être compromis vis-à-vis de lui, pour l’engager à le leur appliquer aussi de la manière la plus large possible Voilà, messieurs, le principe qui nous a guidés, et je crois que la conscience, la morale et l’honneur ont été amplement satisfait.
Lorsque la question a été discutée, on a mis en avant que nous avions porté atteinte à l’honneur de l’armée. J’ai eu, messieurs, pendant que j’étais au ministère la plus grande attention à tout ce qui pouvait intéresser l’honneur de l’armée. Je puis dire que je suis allé à cet égard jusqu’à la délicatesse ; j’ai eu soin également d’empêcher que l’armée ne fût délibérante ; eh bien, messieurs, je crois avoir rendu hommage aux sentiments d’honneur et de fidélité de l’armée, en ne craignant pas de placer à côté d’elle l’exemple de l’impunité, lorsque des circonstances impérieuses m’ont paru l’exiger. Je pense qu’en agissant de cette manière, j’ai bien mieux rendu hommage à l’honneur et à la fidélité de l’armée que ceux qui ont témoigné assez de défiance pour croire qu’un exemple pareil pourrait être dangereux, pourrait avoir des conséquences fâcheuses.
Un des honorables préopinants a dit que le ministère avait persévéré avec une sorte d’obstination dans cette mesure qui a été l’occasion de la retraite du cabinet, et il a ajouté que le ministère avait été averti des dangers que cette question renfermait pour lui. L’honorable membre a fait allusion sans doute à un ouvrage politique qui a paru depuis la signature du traité. Cet ouvrage méritait en effet d’autant plus l’attention que beaucoup de monde le considérerait comme le manifeste anticipé du futur ministère. Je crois avoir lu l’article de cette publication auquel l’honorable membre a fait allusion, et lorsque j’ai vu depuis comment l’honorable auteur de cet article a traité la question, j’ai été surpris qu’il ait pu maîtriser si longtemps une indignation aussi profonde et qu’il se soit contenté dans l’ouvrage dont il s’agit d’émettre un simple doute sur les suites que la question pourrait avoir.
L’honorable ministre des affaires étrangères s’est fait un mérite vis-à-vis de l’ancien cabinet de l’appui qu’il a accordé, non pas au ministère, mais au ministre de la guerre en particulier dans deux questions très graves mais tout à fait spéciales, que j’ai rencontrées à mon entrée dans l’administration : la question du service de santé et celle des lits militaires. J’avoue que j’ai été surpris d’entendre l’honorable orateur rappeler ce souvenir en faisant en quelque sorte la critique des actes qui ont été posés alors par le ministère de la guerre, en citant comme une chose extraordinaire, comme un service signalé, l’appui qu’il y avait donné ; je crois cependant que l’honorable membre était un de ceux qui avaient apprécié la conduite du ministre de la guerre qui, homme politique tout nouveau, se trouvait en présence de deux questions excessivement graves, de deux questions qui excitaient l’opinion populaire d’une manière injuste, selon moi, mais aussi d’une manière extrêmement forte. Il y avait du courage à se poser devant cette opinion, à dire : « cette opinion a tort, elle blesse la justice, je ne la subirai point. » (Très bien.)
Eh bien, je traiterai la question autrement que l’honorable préopinant, et je lui paierai ici un tribut de reconnaissance pour la manière dont il a appuyé le ministère de la guerre dans la question du service de santé et dans celle des lits militaires. On voulait faire de cette dernière question une simple question d’argent, tandis que c’était une question de morale et une question de santé pour l’armée. On a beau vouloir encore aujourd’hui qualifier de déplorable la mesure qui a été prise à cet égard, cette mesure était le complètement d’un état de choses ou le bien-être du soldat est mieux signé qu’en aucun autre pays et qui fait honneur à la Belgique, et, je le répète, on a beau la qualifier de déplorable, je me ferai toujours honneur de l’avoir soutenue ; je paie ici volontiers un tribut de reconnaissance à ceux qui m’ont prêté leur appui dans cette question.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Lebeau) – L’honorable préopinant me paraît avoir très mal saisi une partie de mon discours. Quand j’ai dit que la question relative au sieur Vandersmissen n’était pas une question politique mais une question de moralité, l’honorable préopinant aurait bien dû comprendre que je ne voulais attaquer par là aucune opinion ; que je voulais tout simplement définir l’objet de ce débat ; c’est une question de moralité, mais ceux qui ont voté dans un autre sens que moi, ne sont à mes yeux ni moins moraux ni moins honnêtes que moi.
Quant à la supposition que j’aurais évoqué le souvenir de deux discussions dans lesquelles j’ai soutenu le ministre de la guerre, avec une arrière-pensée de critique, il est impossible d’admettre cette supposition ; je me suis fait un point d’honneur de soutenir le ministre de la guerre dans cette question, parce qu’il me paraissait avoir pris, dans ces circonstances, la position d’un homme de cœur et de sens, et que j’ai toujours de la sympathie pour les hommes qui prennent une semblable position dans une chambre législative ; voilà pourquoi j’ai appuyé le ministre de la guerre dans les questions dont il s’agit, et en évoquant ce souvenir, j’entends plutôt en faire honneur au général Willmar qu’exercer la moindre critique contre lui.
M. F. de Mérode – M. le ministre des affaires étrangères, pour me réfuter, a fait valoir son ancienne conduite ; je n’ai point attaquer l’ancienne conduite de M. le ministre actuel des affaires étrangères ; je l’ai toujours apprécié, et c'est pour cela qu’à une époque de luttes longues et rudes, je l’ai soutenu de toutes mes forces ; s’il avait continué à suivre la même marche, certes je ne me serais pas plaint de le voir au poste qu’il occupe, je ne m’en plaindrais pas s’il y était parvenir autrement, s’il n’avait pas remplacé des hommes sous l’administration desquels il a rempli jusqu’au dernier moment d’importantes fonctions.
Quels sont les hommes qui, en dehors de cette chambre, célèbrent aujourd’hui l’avènement de M. le ministre des affaires étrangères ? Sont-ce nos amis communs d’autrefois ou bien ceux que nous avons combattus ensemble ? Où se trouve le changement de principe ? Certes ce n’est pas chez moi.
M. Dolez – L’honorable comte de Mérode vous a dit, dans son premier discours, que le régime constitutionnel était un régime de conciliation. Cette pensée, je l’adopte de bien bon cœur, mais je dois regretter que les paroles irritantes dont ce même discours abonde soient si peu en harmonie avec elle.
Je n’ai pu, pour mon compte, écouter sans regrets cette diatribe toute personnelle et sans aucun but utile, des hommes de talent et de cœur, qui depuis quelques jours seulement ont l’honneur de siéger dans le conseil du roi.
Certes, j’aurais compris, il y a quelques jours, alors qu’un des membres du nouveau cabinet venait, au nom de ce ministère, proclamer quels étaient les principes suivant lesquels il comptait gouverner, j’aurais compris, dis-je, qu’étant en désaccord avec lui sur ce principe, l’honorable M. de Mérode fût venu sur ce terrain se constituer son loyal adversaire. Mais alors, il a gardé le silence ; d’antipathie, quant aux principes, il n’en a point manifesté, il n’en atteste pas encore aujourd’hui, ce n’est qu’aux hommes qu’il s’attaque.
Messieurs, alors qu’au nom des sentiments de morale, l’on attaque individuellement des hommes qui n’ont encore pu poser aucun acte depuis qu’ils sont au pouvoir, alors qu’on les attaque en posant des principes que je crois de nature à porter atteinte à la dignité, à l’indépendance d’une grande partie des membres de cette chambre, qu’il me soit permis, au nom de ces mêmes sentiments, de les défendre devant vous.
Trois des ministres actuels étaient fonctionnaires publics lorsqu’ils prirent part au vote qui a renversé le dernier cabinet. Au nom des principes de morale, ils auraient dû, suivant M. le comte de Mérode, voter avec le ministère qu’ils servaient, alors que celui-ci avait attaché son existence même à la question qui s’agitait dans cette chambre, quelle que fût d’ailleurs leur conviction.
M. F. de Mérode – Je n’ai pas dit cela.
M. Dolez – C’est ce que vous avez nettement proclamé.
M. F. de Mérode – Je n’en ai pas dit un mot.
M. Dolez – Vous l’avez écrit dans vos lettres et répété dans votre discours.
Messieurs, en matière de sentiments de morale, il nous est permis sans doute d’être nos propres juges, il nous est permis d’avoir sur ces sentiments des pensées qui soient en désaccord avec celles de l’honorable comte de Mérode.
Je dirai donc, pour mon compte, qu’au nom de ces sentiments qu’il invoque, je ne puis admettre cette doctrine presque flétrissante que l’honorable comte a proclamée, que les fonctionnaires publics qui siègent avec nous dans cette chambre, n’y jouissent pas d’un même degré d’indépendance.
Sans doute, je blâmerais de la part de tout fonctionnaire public, comme de la part de tout député, je blâmerais, dis-je, toute opposition systématique, toute opposition qui, sans interroger les actes, ferait aveuglément la guerre aux personnes. Mais, d’autre part, j’entends défendre, pour ceux de mes collègues qui sont fonctionnaires, moi qui ne le suis pas, l’indépendance des votes qu’ils doivent émettre avec nous.
Etrange doctrine de morale que celle qui vient dire à un homme : Puisque vos talents vous ont appelé à servir votre pays ; puisque le hasard ne vous a pas fait naître dans une position où il vous soit possible de rejeter loin de vous les emplois, vous devez voter pour le ministère qui gouverne le pays, alors même que votre conscience cous dit qu’il est impossible de le faire sans cesser d’être homme d’honneur !
Oh ! sans doute, messieurs, vous le reconnaîtrez avec moi, proclamer une telle doctrine, c’est bien mal comprendre ces sentiments de morale dont l’honorable comte de Mérode prétend se faire l’apôtre. Pour moi, je dis à mes collègues qui sont fonctionnaires publics, je leur dis que, dans cette chambre, dans le pays, partout il trouveront des hommes de cœur, des hommes d’honneur qui proclameront que, quand ils ont suivi l’impulsion de leur conviction, ils sont restés dans la ligne de l’honneur et de la délicatesse.
Me rapprochant de la position spéciale dans laquelle se sont trouvés les honorables membres du cabinet qui ont été l’objet des attaques directes de M. de Mérode, je demanderai à l’honorable membre, s’il n’y a pas eu dans la conduite qu’ils ont tenue, et délicatesse et dignité !
Appelés à émettre leur vote, non pas sur le système du cabinet qui dirigeait alors le pays, mais sur un fait unique, isolé, qui ne se rattachait à aucun antécédent, qui ne devait avoir aucune conséquence ; appelé à émettre leur vote sur ce fait, ils le font avec franchise, et leur vote se trouve d’accord avec celui de la majorité de cette chambre. Jusque-là, quel homme qu’aucune passion n’aveugle osera prétendre qu’ils devaient se démettre des fonctions qu’ils exerçaient ? Quelques jours après, par un retour auquel, pour mon compte je ne m’attendais pas, et qu’il n’est pas aujourd’hui dans mon intention de clamer ; quelques jours après, on annonce que l’ancien cabinet va rester au pouvoir. Quelle est alors la conduite de ces hommes qu’on attaque aujourd’hui avec tant d’aigreur ? Voyant que la loi des gouvernements parlementaires se trouve renversée ; voyant que la majorité doit céder à la minorité, ils remettent entre les moins du Roi la démission de leurs fonctions. Je le demande encore, leur conduite en cette occurrence n’a-t-elle point été aussi digne que noble ? Messieurs, j’étais tenté de me livrer à un parallèle qui peut-être n’eût point été sans intérêt. Mais je m’arrête, car je l’ai dit au début de mon discours, j’aime à penser avec l’honorable comte que le régime constitutionnel doit être pour nous un régime de conciliation, et c’est parce que je le désire que je veux soigneusement m’abstenir dans ce débat de toute parole qui pourrait devenir inutilement irritante. Un tel résultat serait trop contraire à mes désirs, à mes vœux dans l’intérêt de mon pays.
J’invite l’honorable comte de Mérode à y réfléchir froidement, et j’aime à croire qu’il ne tardera point à reconnaître que ces attaques individuelles sont peu convenables, peu dignes et surtout sans aucun résultat utile pour le pays, dont je le crois trop ami pour ne point sentir qu’il doit s’en abstenir désormais.
Je l’engage et j’engage la chambre entière à se pénétrer de la sagesse d’un des principes que l’honorable comte émettait tout à l’heure ; on ne doit pas perdre de vue que nous vivons sous un régime de conciliation. Cette conciliation, efforçons-nous de l’atteindre, et nous aurons mérité, non pas seulement la sympathie du pays, mais encore l’approbation de notre propre conscience, parce que, quels que sont les bancs que nous occupons dans cette chambre, tous nous pourrons dire que nous avions uniquement consulté les véritables intérêts du pays.
Quant à moi, désintéressé dans la question de personnes, qui ne sont, à mes yeux, que bien secondaires, j’ai toujours, pendant le cours de ma carrière parlementaire, appuyé le pouvoir, quand j’ai cru qu’il m’était permis de le faire. Cette conduite, qui m’était inspirée par mon dévouement aux intérêts de mon pays, je continuerai à la suivre à l’avenir, mais toujours avec franchise et indépendance.
(Moniteur belge n°118 du 27 avril 1840) M. le ministre de la justice (M. Leclercq) – Messieurs, si dans cette circonstance, je n’étais mû que par des sentiments personnels, je me tairais, parce que, dans tout ce qui a été dit, il n’y a rien qui me concerne personnellement ; et, quant à mes collègues, ils n’ont besoin de personne pour les défendre ; leurs paroles, que vous venez d’entendre, y suffisent, si toutefois leur conduite ne les défend pas mieux encore que des paroles.
Mais un sentiment d’un ordre plus élevé me force à rompre le silence. C’est celui-là même qui m’(a poirté à entrer de nouveau dans la carrière politique, et à quitter pour elle, pour cette vie agitée, la vie paisible que je menais depuis 8 années. Ce sentiment, je dois m’en expliquer, pour répondre à une allusion de l’honorable comte de Mérode, qui désirerait, dit-il, une modification ministérielle, au détriment de trois des collègues avec lesquels je me suis associé, et qu’il voudrait expulser du ministère.
Ce sentiment, messieurs, qui m’a conduit à accepter le pouvoir, c’est celui de la situation morale dans laquelle se trouve le pays. Dans l’ordre moral, le pays est exposé aux funestes divisions qu’entraînent toujours les classifications de partis, et que développeront bientôt, si on ne les arrête à temps, ces malheureuses classifications, qu’on a jetées dans son sein, ces classifications de catholiques, de libéraux et de faux libéraux, comme disait tout à l’heure M. le comte de Mérode, classifications qui n’ont aucun sens en présence des grands principes de liberté qui sont consacrés par notre constitution. Si ces divisions tendaient à se continuer, à se propager, la nation belge, entourée de grandes nations, n’aurait qu’une existence éphémère. (Vive adhésion.)
Voilà la situation morale qui m’a frappé, lorsque j’ai été conduit à accepter le pouvoir. J’ai pensé qu’en présence, comme je viens de le dire, des grands principes de liberté consacrés par la constitution, tous les hommes dévoués au pays devaient s’unir pour faire cesser ces divisions ; j’ai pensé qu’il suffisait de la franchise et de la loyauté dans les hommes qui occupent le pouvoir, pour qu’on pût se fier à eux. Et si j’ai consenti à m’associer aux collègues qui sont assis à mes côtés, c’est que j’ai vu en eux, non pas les seuls hommes qui puissent marcher dans cette voie (car tous les hommes raisonnables en Belgique peuvent y marcher, et y marcheront avec nous), mais des hommes qui, par leur caractère, leurs opinions et leurs vues politiques, avaient, dans l’état actuel des esprits, le plus de chances de lutter avec avantage contre les obstacles que nous devions rencontrer, en nous chargeant de la direction des affaires du pays.
Tels sont les motifs pour lesquels je me suis associé à eux. Ces motifs vous disent assez qu’il n’y a aucune modification partielle de ministère possible. Le ministère aura la confiance de la chambre, il l’aura, parce qu’il la mérité ; il la mérite par son caractère, par ses principes, par son attachement à la constitution. Si malheureusement je me trompais, eh bien, messieurs nous nous retirerions tous ensemble, nous laisserions la place à des successeurs plus heureux que nous, pour faire le bien que nous avions médité ; et nous n’aurions qu’un regret, celui de n’avoir pu le faire nous-mêmes. (Très bien ! très bien !)
(Moniteur belge n°117 du 26 avril 1840) M. F. de Mérode – Je voudrais que l’honorable M. Dolez, qui me reproche de manquer à l’esprit de conciliation ; je voudrais qu’il eût la bonté de concilier avec ce que nous voyons maintenant la conduite de MM. les ministres actuels, lorsqu’il s’est agi de la destitution de l'honorable M. Desmet, ici présent, destitution que cependant je n’avais pas blâmée, quoique M. Desmet fût mon ami.
M. Dolez – Messieurs, j’avoue qu’il me serait très difficile de concilier le fait que vient de rappeler l’honorable comte de Mérode, avec celui auquel j’ai fait allusion tout à l’heure, attendu qu’à l’époque à laquelle remonte ce fait, j’étais entièrement étranger aux affaires politiques. J’ignore donc la véritable position des faits dont il me parle. Quand j’ai pris la parole, je n’ai nullement entendu défendre a conduite qu’ont pu tenir, dans une autre circonstance que je ne connais pas les hommes qui siègent aujourd’hui au banc des ministres. Mais j’ai voulu m’élever au nom des principes moraux qu’on invoquait, contre une doctrine qui me paraissait contraire à ces principes. Me suis-je trompé dans mes observations ? Je ne le crois pas. L’honorable comte a d’ailleurs tort, me semble-t-il, que je lui ai répondu à des attaques dont je n’étais point l’objet.
Par la profession que j’exerce, j’ai l’habitude de défendre les autres, et si je n’avais pas cette tendance par profession, je crois que mon caractère m’y porterait. Il me paraît qu’en politique, comme en morale, c’est aux autres à défendre ceux qui sont injustement attaqués. C’est en obéissant à ce sentiment que j’ai pris la parole ; et je crois n’avoir rien dit qui soit de nature à blesser en quoi que ce soit l’honorable comte de Mérode.
M. Dubus (aîné) – Messieurs, ce qui me détermine à prendre la parole, c’est le fait auquel vient de faire allusion l’honorable préopinant. Il y a un progrès que je me plais à constater et dont ceux qui partagent mon opinion doivent tenir à prendre acte. Le langage qu’on tenait en 1833 n’est pas celui qu’on tient aujourd’hui. Je me réjouis sincèrement de cette modification importante dans l’opinion de deux membres du cabinet. En 1833, un honorable membre de cette chambre, commissaire de district, fut destitué. Dans les explications données sur cette destitution, le ministre de l’intérieur de cette époque a déclaré qu’il reconnaissait les talents administratifs et les vertus privées de ce fonctionnaire, mais que, dans toutes les circonstances, dans cette chambre, il s’était montré opposé au ministère et qu’il avait été destitué pour sa conduite parlementaire.
Je crois reproduire exactement les motifs donnés par M. le ministre de l'intérieur : je me suis élevé de toutes mes forces contre de pareils motifs. Je soutins alors, comme je l’ai fait toujours, que dans cette chambre les fonctionnaires amovibles ne sont pas fonctionnaires mais députés de la nation, qu’ils peuvent remplir leur mandat suivant leur conscience et que le gouvernement n’a aucun droit à exercer à leur égard du chef de leur conduite dans cette chambre et ne peut les destituer pour cette conduite
Deux membres du cabinet d’abord ont combattu cette doctrine. Ils ont posé un système contraire ; ils ont prétendu que le député étant en même temps fonctionnaire amovible n’avait la liberté de son vote que dans les matières indifférentes, mais que, quand il s’agissait de question de cabinet, il fallait ou qu’il votât pour le ministère ou qu’il se retirât, que c’était pour lui une question d’honneur, que s’il ne donnait pas sa démission, le ministère avait le droit de le destituer. Voilà quelle était la doctrine de 1833. je suis bien aisé que ce ne soit plus la doctrine d’aujourd’hui, encore une fois, je m’en réjouis. J’en prends acte.
M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – La doctrine que j’ai soutenue comme membre du cabinet en 1834, je suis encore prêt à la soutenir aujourd’hui. J’ai été tellement conséquent, ainsi que mon honorable ami, que nous n’avons pas hésité à nous faire à nous-mêmes l’application de la doctrine que nous avions professée. Mais qu’on veuille bien se reporter à la discussion de 1834, qu’on veuille bien en parcourir l’ensemble, et l’on verra que, même à cette époque, nous n’avons pas posé de règle absolue de système inflexible, en ce qui concerne la conduite des fonctionnaires amovibles, dans cette chambre, vis-à-vis du ministère. Quand avons-nous dit que le devoir de prononcer une destitution commençait pour le ministère ? c’est lorsque la conduite du député fonctionnaire était injurieuse pour le ministère, était radicalement hostile, outrageante, opposante dans toutes les questions grandes et petites. Mais nous avons eu soin de poser à cette règle les plus nombreuses exceptions.
Voilà les principes que nous avons posés et pratiqués, car dans un grand nombre de circonstances beaucoup de fonctionnaires membres de cette chambre, même dans des questions de confiance, se sont séparés de nous sans que nous ayons songé à nous séparer d’eux.
La cas auquel on a fait allusion était un cas spécial. Les principes posés alors par nous ont été adoptés par la chambre à une forte majorité. L’honorable préopinant avait proposé un amendement dans le but d’appeler le blâme de la chambre sur la conduite des ministres à cette occasion et l’amendement fût repoussé à une grande majorité. Nos principes sont les mêmes, ce sont ceux que partageait la chambre en 1834.
M. Desmet – Jusqu’à présent, depuis huit ans qu’elle a eu lieu, je n’avais pas pris la parole sur ma destitution, mais quand on vient dire qu’elle a été prononcée par un cas tout à fait exceptionnel, je ne puis plus garder le silence. J’en appelle à mes anciens collègues, quand m’a-t-on destitué ? Après trois ans d’administration dans les moments les plus pénibles, quand, en 1831, j’avais sauvé une partie du pays, en envoyant, sans avoir d’ordre du ministre, dix mille hommes dans les Flandres, quand, à la même époque, j’avais pourvu aux besoins des volontaires, manquant de vivres et de vêtements, n’ayant rien pu obtenir du ministère qui avait laissé mes lettres sans réponse. Voilà quand on m’a destitué ; et pourquoi ? parce que partout l’ai voté avec les patriotes et avec la majorité de la chambre.
M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – Les faits auxquels vient de faire allusion l’honorable préopinant, sa conduite patriotique en 1831, je ne la conteste pas ; il dit qu’il a sauvé le pays, je le souhaite et je l’en félicite. Mais ces faits se sont passés sous un ministère autre que celui qui s’est vu dans la nécessité de le destituer. Cette destitution, je la regarde comme juste. J’aime à croire qu’il puisait son opposition dans son patriotisme, dans son indépendance, mais il voudra bien se rappeler que cette opposition avait revêtu le caractère le plus violent, le plus injurieux.
M. Desmet – Injurieux, je le nie !
M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – Le caractère le plus injurieux, car les expressions de traître, d’hypocrite, assaisonnaient tous les discours de l’honorable membre.
M. Desmet – Relisez le Moniteur.
M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – Nous l’avons relu plusieurs fois avant de prendre la mesure.
M. Dumortier – Messieurs, je ne veux pas prolonger une discussion que je ne puis m’expliquer, mais qui a un résultat, celui de montrer le vif regret des ministres déchus d’avoir perdu leurs portefeuilles (Hilarité.)
M. de Meer de Moorsel – Vous n’étiez pas ici quand la discussion a commencé.
M. Dumortier – Si M. de Meer de Moorsel veut me répondre, j’aurai beaucoup de plaisir à l’entendre.
Mon intention n’est pas de prolonger ces débats ni surtout d’intervenir dans la discussion relative aux destitutions. J’invite les ministres de s’abstenir, de s’abstenir à jamais de tout système de destitution ; parce que toujours ce système doit amener la chute des ministres qui l’adopteront. Les destitutions ont été pour beaucoup dans la chute du ministère en 1834 ; elles ont été pour beaucoup dans la chute de celui qui est tombé, il y a un mois. Elles tueront tout ministère qui voudra user d’un tel moyen. J’adjure donc les ministres nouveaux, en que le Roi a placé sa confiance, à s’abstenir de toute destitution politique, dans l’intérêt de leur propre conservation. Ce n’est pas, au reste, pour traiter ce sujet que j’ai demander la parole. Quand je me suis levé, c’était pour faire une interpellation aux ministres.
Dans le discours que vous avez entendu, le député de Hasselt s’est loué du résultat des négociations. Il l’a proclamé comme méritant l’approbation de la chambre et du pays. Pour moi, je ne pense pas que le pays ait cru devoir tant s’en louer, car je crois que jamais des négociations n’ont été conduites avec plus de maladresse que celles entamées à cette époque. A diverses reprises, l’honorable M. Gendebien et moi, nous nous sommes levés pour demander communications des pièces. Ces pièces, aux termes de la constitution, devaient être communiquées à la chambre ; le ministère d’alors a toujours prétendu que le jour n’était pas venu de faire cette communication. Je viens aujourd’hui la demander. Il est temps que la chambre sache comment les négociations ont été conduites dans les affaires les plus importantes pour elle.
M. de Theux – Je ne répondrai pas au regret que le préopinant nous a supposé. Je laissera à la chambre le soin d’apprécier l’opportunité de ses observations. Ce que je tiens à déclarer, c’est que j’ignorais que l’honorable comte de Mérode avait le dessein de parler et de soulever la discussion qui nous a occupés aujourd’hui.
Quant à l’opposition de M. Dumortier à l’ancien ministère, la cause en est connue, il l’a souvent déclaré dans ses conversations particulières. Il blâme les négociations diplomatiques de 1838. Sans doute, l’honorable membre a plus d’une fois exprimé le regret de n’avoir pas pris part à ces négociations. On peut apprécier jusqu’à quel point on doit ajouter une entière confiance aux regrets qu’il exprime.
M. Dumortier – Je demande la parole.
M. de Theux – Dès lors on peut apprécier jusqu’à quel point on doit avoir confiance dans les regrets qu’il exprime. Je suis fâché d’avoir à faire cette déclaration, mais il est des circonstances où l’on est obligé de dire la vérité quoiqu’on aimât mieux garder le silence.
M. le général Willmar – Je confirme d’abord ce que l’honorable M. de Theux vient de déclarer ; j’ai entendu dire aussi que l’opposition de M. Dumortier ne venait que de son regret excessif de ne pas avoir pris part aux négociations. Mais ce n’est pas de cela dont je voulais parler. Il a argumenté par supposition d’intention, il a fait en cela une chose d’habitude ; mais je fais aussi une chose d’habitude en lui disant qu’il a avancé une chose qui n’est pas.
M. le président – La parole est à M. Raikem.
M. Raikem – Après ce qu’ont dit mes honorables collègues, je n’ai plus rien à dire.
M. Dumortier – Je remercie M. de Theux d’avoir répété tout haut une parole qui, je le sais, se dit tout bas depuis quelques jours.
Lorsqu’on n’a pas d’arguments à opposer à un homme d’honneur, qui n’a jamais transigé avec ses devoirs, qui a soutenu le ministère aussi longtemps que sa conscience le lui permettait et qui l’attaqué quand il a vu qu’il trahissait le pays, on invoque des faits graves, on l’attaque dans son honneur par des insinuations qui ressemblent fort à des calomnies et on les fait circuler sur ces bancs pour tâcher de rendre son adversaire odieux et de justifier la soif insatiable que l’on a d’un portefeuille. A de telles menées souterraines l’honneur d’honneur ne sait répondre, mais il s’estime heureux lorsqu’elles paraissent au grand jour puisqu’alors il est à même de pouvoir se défendre. C’est la position dans laquelle je me trouve aujourd’hui, et je vous prie, messieurs, de vouloir rien me permettre, contre mon habitude, de vous entretenir de moi, car j’éprouve le besoin de me justifier d’une insinuation calomniatrice la plus poignante que l’on pusse adresser à mon caractère et qui, si elle était vraie, me rendrait méprisable à mes propres yeux, car le député qui se sert de son mandat pour faire ses propres affaires est digne du plus souverain mépris.
On m’accuse d’avoir fait de l’opposition au ministère déchu pour n’en avoir pas obtenu des faveurs. Messieurs, j’en appelle à vous tous, voilà dix ans que j’ai l’honneur de siéger dans cette assemble, qu’y ai-je gagné, qu’ai-je obtenu ? Ai-je jamais cherché le plus petit emploi, la plus petite faveur ? Ai-je jamais sollicité la plus petite chose ? Je défie qui que ce soit de venir prétendre que j’ai obtenu ou seulement sollicité la chose la plus minime pour moi ou pour les miens. J’ai vu passer près de moi les places et les faveurs, les titres et les gros emplois. J’ai vu des hommes médiocres obtenir de hautes fonctions, des hommes avides s’accrocher au pouvoir, se couvrir de distinctions tandis que je sacrifiais ma fortune et ma santé à défendre la cause du pays. Je l’ai vu sans en rien désirer, et la chambre me rendra cette justice d’être du petit nombre d’hommes qui siègent ici depuis la révolution et qui n’ont jamais rien demandé ni rien obtenu.
Mais, disent les ministres déchus, vous avez regretté de ne pas avoir été envoyé à Londres ; je dirai à la chambre les choses comme elles se sont passées. Puisqu’on prête à mon opposition des intentions que je regarde comme calomnieuses, je crois devoir exposer ma conduite à la chambre et au pays.
Messieurs, vous vous souvenez (peut-être M. de Theux l’a-t-il oublié) du travail que j’ai publié en 1838, sur les 24 articles. Ce travail produisit en Europe (je crois pouvoir le dire, quoiqu’il soit mon ouvrage), une sensation telle que n’en avait pas produit, depuis longtemps, aucun travail diplomatique. Jusque-là, la question de la dette n’avait pas été comprise. Moi-même, qui avais parlé souvent sur cette question, je ne l’avais pas comprise auparavant. Les observations que je présentais étaient neuves et précises. Elles firent voir à l’Europe l’injustice dont la Belgique avait été victime ; elles furent appréciées par tout le monde, à tel point que M. de Theux, dans son rapport, quand il présent les 24 articles, dit que la réduction de la dette était due en grande partie au travail d’un membre qui ne nomma pas, mais qu’il désigna suffisamment dans le rapport.
Lorsque j’eus présenté ce travail, on me demanda de faire partie d’une commission pour examiner la question de la dette. J’acceptai cette mission ; je défendis mon opinion et vous avez pu voir que le travail de la commission a été presque entièrement semblable à celui que j’avais publié. A cette époque, la presse et les représentants m’indiquaient unanimement comme devant défendre les droits du pays près de la conférence, mais je n’ai demande ni sollicité d’aucune manière auprès du gouvernement pour aller à Londres, et je défie l’ex-ministre qui vient de parler de prétendre que j’aie cherché directement ou indirectement à être chargé d’une mission du gouvernement. Je le déclare cependant, si le gouvernement n’avait nommé, j’aurais accepté, heureux de trouver cette occasion de défendre les droits du pays. Ma conscience me disait que notre cause ne pouvait être perdue si elle était bien défendue, et je sentais la possibilité d’éviter les désastres qui ont depuis pesé sur le pays par suite de l’incurie et de l’ineptie du ministère. Je le sentais, mais je n’ai jamais rien demandé de semblable. Il y a plus, à cette époque, le ministère était vivement attaqué par la presse ; des attroupements menaçants s’étaient formés, et j’allais moi-même engager les journalistes à prêcher la paix, certain que le ministère n’accepterait pas le traité. Est-ce là la conduite que me prête le préopinant ?
Lorsque plus tard la chambre s’est réunie, vous tous mandataires de la nation, vous m’avez appelé à faire partie de la commission de l’adresse. Dans cette commission, trois projets furent présentés par messieurs de Mérode, Dechamps et moi, et après que M. de Theux, consulté, eut opté pour mon projet, il chercha à m’empêcher d’être nommé rapporteur et à faire nommer un honorable collègue qu’il avait écarté la veille de la commission d’adresse. Mais ai-je gardé au gouvernement la plus petite rancune de sa conduite envers moi ? J’en appelle à vos souvenirs. Chaque fois que le ministère a été attaqué dans cette chambre, a été inviter à donner des explications sur la politique qu’il entendait suivre, un seul homme s’est levé pour le défendre, et cet homme, c’est celui que M. de Theux accuse aujourd’hui d’avoir travaillé contre le ministère pour n’avoir pas été envoyé à Londres.
Lorsque l’honorable M. Gendebien, que nous regrettons tous de ne pas revoir parmi nous, insistait pour que des explications fussent données, j’ai toujours demandé que la chambre s’en rapportât au ministère, persuadé que jamais il n’aurait trahi les droits du pays.
Une pareille conduite a-t-elle quelque rapport avec ce que vient de dire le député d’Hasselt ? Quel jour mon opposition a-t-elle commencé ? Je le dirai avec franchise ; c’est du jour où M. Molé déclara à la chambre des pairs de France que la question de la dette et du territoire n’a pas encore été introduite par le gouvernement belge. Alors mes yeux se sont dessillées : alors j’ai compris que j’avais été mystifié ; de ce jour date mon opposition qui n’a pas cessé jusqu’au jour où il est tombé. J’ai vu que le ministère nous avait trompés ; j’ai vu que, lorsqu’il a mis dans le discours de la Couronne les mots persévérance et courage, il avait trompé le Roi, l’assemblée nationale et le pays. J’ai trouvé que cette conduite compromettait au plus haut degré la dignité nationale, qu’il est de notre devoir de respecter et alors j’ai refusé à jamais ma confiance à un ministère qui avait trahi le pays. (Marques d’approbation.)
M. de Theux – M. Dumortier aurait pu se dispenser de faire le panégyrique de son désintéressement, car jamais je n’ai pensé qu’il fût animé par des motifs d’intérêts. Je suis convaincu même qu’il ne voulait que rendre des services au pays ; mais j’avais la conviction comme elle est généralement partagée, que M. Dumortier n’aurait pu, dans les circonstances données, rendre au pays les services qu’il croyait pourvoir lui rendre.
M. Dumortier – Ces services vous les avez rendus !
M. de Theux – Le pays en jugera.
En ce qui concerne la commission d’adresse, j’ai déjà eu l’honneur de déclarer à la chambre de la manière la plus formelle que je n’avais pas accepté le projet d’adresse de M. Dumortier, non plus que celui de la section centrale. Cette déclaration a été confirmée par plusieurs membres de la section centrale.
M. Doignon – M. Dechamps a dit le contraire.
M. de Theux – Peu importe ce qu’a dit M. Dechamps ; ce que j’ai dit est la vérité Ce que j’ai dit a été confirmé par plusieurs membres de la section centrale ; je me suis toujours opposé à la proposition de M. Dumortier et à celle de la section centrale.
M. Raikem – J’ai demandé la parole pour faire une simple observation sur l’allégation de M. Dumortier, que le ministère aurait voulu nommer un autre que lui rapporteur de la commission d’adresse. Comme je présidais cette commission, je dois protester contre cette insinuation. Chacun sera convaincu qu’on a voté librement ; en définitive l’honorable M. Dumortier a été nommé rapporteur ; mais on voudra bien en convenir, je l’espère, aucune influence n’était possible à exercer sur aucun membre de la commission.
Lorsqu’on a fait un reproche à M. Dumortier de s’être fait nommer rapporteur dans un section centrale, j’ai protesté en faveur de M. Dumortier contre ce reproche ; j’ai dit qu’aucune influence autre que celle puisée dans la conscience n’avait pu dicter leurs votes aux membres de la section centrale Ce que j’ai fait en faveur de M. Dumortier, je l’ai fait pour protester contre une assertion de sa part. Malgré tout ce qu’a pu dire l’honorable préopinant, la chambre n’en restera pas moins convaincue que les membres des commissions et des sections centrales votent selon leur conscience.
M. Dumortier – Je suis charmé d’apprendre par M. Raikem que je me suis trompé. Le motif qui m’a induit en erreur, c’est que lors du vote auquel il a fait allusion, les membres de la commission ont envoyé chercher trois membres qui étaient chez M. le ministre de l'intérieur et qu’immédiatement après le vote ayant eu lieu, a amené le résultat que vous savez. Je suis charmé de savoir que si ces membres étaient assemblés au ministère, ce n’était pas pour savoir comment ils devaient voter.
Les deux articles du projet de loi sont successivement mis aux voix et adoptés par assis et levé.
Ils sont ainsi conçus :
« Art. 1er. Il est ouvert au ministère de la guerre un crédit provisoire de trois millions de francs (fr. 3,000,000), pour faire face aux dépenses de l’exercice courant. »
« Art. 2. La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa promulgation. »
Le projet de loi est adopté à l’unanimité des cinquante-cinq membres qui ont pris part au vote. En conséquence il sera transmis au sénat.
M. de Brouckere – M. le ministre de la guerre vient d’exposer à la chambre l’impossibilité où il se trouve de soutenir la discussion du budget présenté par son prédécesseur : il faut que la chambre prenne une décision en conséquence de cette déclaration ; car après avoir voté un crédit provisoire nous n’avons pas de budget, et il nous en faudrait voter de mois en mois de semblables. Je crois qu’il faudrait que la section centrale s’entendît avec M. le ministre de la guerre pour savoir ce qu’il faut faire dans les circonstances où nous nous trouvons.
- Cette proposition est adoptée.
M. le président – La section centrale est convoquée pour lundi, à 11 heures.
- La séance est levée à 4 heures.