(Moniteur belge n° 75 du 15 mars 1840)
(Présidence de M. Fallon)
M. Scheyven fait l’appel nominal à midi et demi.
La séance est ouverte.
M. Mast de Vries donne lecture du procès-verbal de la séance précédente dont la rédaction est adoptée.
M. Scheyven fait l’analyse des pièces adressées à la chambre.
« Les habitants de Grand-Rieux demandent le passage par leur commune de la route de Beaumont sur Avesnes. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
M. Milcamps – Messieurs, j’ai écouté avec beaucoup d’attention la discussion des graves questions qu’a fait naître l’arrêté ministériel qui met le général Vandersmissen en non-activité.
Aussi longtemps que la discussion ne consistait qu’en un débat d’opinions sur la légalité ou l’illégalité de l’acte ministériel, je n’y voyais pas d’inconvénient.
Je n’en eusse pas vu beaucoup non plus, si les membres, qui ont pris la parole dans la discussion s’étaient bornés à une expression de regret de la mesure ministérielle.
Mais aujourd’hui, messieurs, il ne s’agit plus d’opinions individuelles que, dans une discussion générale, chacun est libre d’exprimer comme il l’entend ; c’est la chambre tout entière, comme assemblée politique, qui est appelée à délibérer.
D’abord on lui demandait de déclarer qu’elle a vu avec regret la conduite du gouvernement dans l’affaire du général Vandersmissen.
Maintenant on lui demande de retrancher du budget le traitement du sieur Vandersmissen.
Au fond, et vis-à-vis du gouvernement, ces deux propositions ont la même portée ; je dirai même que la dernière en a une plus grande, puisqu’elle a pour objet d’annuler un des effets de la mesure ministérielle.
Si, maintenant encore, nous nous arrêtons aux motifs développés par l’auteur de ces propositions, la discussion s’agrandit singulièrement et acquiert plus d’importance.
Ce que nous proposons virtuellement, messieurs, c’est de renverser le cabinet c’est de déclarer que les ministres n’ont plus notre confiance ; je ne concevrais pas, en effet, qu’après l’adoption par la majorité de la proposition de M. Dumortier, le ministère tout entier ne déposât pas sur-le-champ les pouvoirs qu’il tient de la confiance du Roi.
Ce qu’on nous propose, c’est de déclarer que l’article 20 du traité n’est applicable qu’aux habitants des territoires réciproquement cédés par le traité.
Ce qu’on nous propose, c’est de déclarer que le sieur Vandersmissen ne peut invoquer le bénéfice de l’article 20.
Ce qu’on nous propose, c’est de déclarer que le sieur Vandersmissen est resté et continue de demeurer sous le poids d’un jugement de contumace qui le bannit du territoire de l’Etat.
Ce qu’on nous propose, c’est de déclarer que l’autorité chargée des poursuites militaires doit arrêter le sieur Vandersmissen, qu’elle doit continuer les poursuites à son égard, car j’aime à croire, messieurs, que vous ne verrez point de meilleur œil la suspension de l’exécution des lois par les agents du pouvoir que la prétendue violation de ces mêmes lois par le pouvoir lui-même : le sieur Vandersmissen sera poursuivi. Ce sera une condition obligatoire pour les successeurs des ministres actuels, c’est le legs que vous leur laisserez, legs que je désire n’exercer aucune influence fâcheuse ni au-dedans, ni au dehors.
J’avais donc raison de dire que la discussion grandissait par ces diverses propositions ; et quelle est la cause de cette agitation que nous voyons régner dans cette assemblée ?
Est-ce parce que le gouvernement, interprétant l’article 20 du traité d’une manière large et généreuse, a pensé que l’article 20 du traité était applicable au sieur Vandersmissen ?
Est-ce parce qu’il a pensé que la représentation volontaire du sieur Vandersmissen anéantissait de plein droit le jugement de contumace qui lui réunissait, le 29 novembre 1831, son grade, bien qu’il n’eût pas prêté le serment en vertu des décrets des 5 mars et 20 juillet 1831, dans le délai d’un mois, à partir de ces décrets.
Est-ce parce qu’il a cru qu’aux termes de l’article 124 de la constitution, le jugement de contumace cessant, le sieur Vandersmissen n’avait pas perdu son grade ?
Est-ce parce qu’il lui a paru que, dans les circonstances, la mesure qu’il a cru devoir et pouvoir immédiatement prendre, la seule qu’il a cru devoir ou pouvoir convenablement prendre, était de mettre le sieur Vandersmissen en non activité ?
Mais non, messieurs, vous ne tenez aucun compte de l’erreur dans laquelle serait tombé le ministère, si erreur il y a, ce dont je suis loin d’être convaincu. Vous nous parlez de trahison, de l’honneur et de la discipline de l’armée.
A Dieu ne plaise que je vienne ici défendre la conduite du sieur Vandersmissen dans nos événements politiques. Mais, dans ce moment, je ne vois plus qu’un homme qui a demande qu’on lui ouvrît les portes de la prison, et d’être jugé. Je m’interdis, devant la justice qui doit le condamner ou l’absoudre, toute opinion à son égard, si tant est que d’après la doctrine de plusieurs orateurs, le traité ne lui est pas applicable, doctrine que je désire encore n’exercer aucune influence sur les décisions de la justice.
On nous a dit que la mesure ministérielle porte atteinte à l’honneur, et compromet la discipline de l’armée. Eh ! mon Dieu, non. Je conçois que, si le gouvernement l’avait mis en activité ou en disponibilité, cette mesure aurait pu éveiller les susceptibilités, compromettre la discipline de l’armée. Mais ce n’est pas ce que le gouvernement a fait. Dans la pensée que le sieur Vandersmissen n’avait pas perdu son grade, et précisément pour ne porter aucune atteinte à l’honneur de l’armée, il l’a mis en non-activité. Il a pris cette mesure forcément, avec regret, il vous le dit ; les explications des ministres ne laissent aucun doute à cet égard.
Mais, messieurs, si vous étiez vivement convaincu que la mise en non-activité du sieur Vandersmissen compromet la discipline de l’armée, ce n’est pas seulement le retranchement du traitement que vous devez voter. Ce retranchement n’enlève rien du grade, n’empêche pas que le sieur Vandersmissen ne porte les insignes militaires ; or, ce sont ces insignes qui, à vos yeux, peuvent compromettre la discipline militaire ; donc vous devez, pour être conséquents, aller plus loin, vous devez demander le rapport de l’arrêté ministériel qui met le sieur Vandersmissen en non-activité. Sans doute vous ne l’obtiendrez pas des ministres actuels, mais il en sera différemment de leurs successeurs. Ceux-ci ne croiront pas pouvoir maintenir un acte qui porte prétendument atteinte à l’honneur de l’armée, qui compromet sa discipline ; j’aime à croire que ce sera le premier acte du nouveau cabinet.
Mais abstraction faite de toutes ces considérations, je reviens à la proposition qui provoque le vote de la chambre, et qui est motivé sur l’inapplication et du traité et de la constitution à l’égard du sieur Vandersmissen.
Mais ces questions d’inapplication sont-elles tellement claires que le plus léger doute ne puisse surgir ? Qu’il y ait du doute, je veux d’autre preuve que la division même qui règne à cet égard dans les sections, dans la section centrale, dans la presse, à cette tribune même. Vous n’y voyez rien d’obscur, rien d’ambigu, eh bien, messieurs, la question, à moi, ne me parait pas si évidente.
Je dis dans l’article 20 du traité : « Personne, dans les pays qui changent de domination, ne pourra être recherché ni inquiété pour cause quelconque de participation directe ou indirecte aux événements politiques. »
Y s’agit-il de changement de domination qui s’est opérée de fait ou de droit, c’est ce que l’article ne dit pas, il ne fait aucune distinction. Ce qu’on y voit, c’est une amnistie. L’amnistie est définie : l’oubli ou le pardon qu’un prince accorde à ses peuples par un traité ou par une loi ; ce sont les grandes puissances qui ont proposé le traité. Qu’ont-elles dû voir ? Elles ont dû voir que, relativement aux habitants du Limbourg et du Luxembourg, il s’était opéré de fait, en 1830, un changement de domination et que, par le traité, il s’opérait de droit, relativement à ces mêmes habitants, un nouveau changement de domination. Elles ont dû voir que, pour les habitants des parties conservées, il s’était opéré de fait, en 1830, un changement de domination que le traité n’a fait que conformer de droit, en même temps qu’il opérait de droit, pour les habitants des forts Lille et de Liefkenshoek, un changement de domination.
Mais aux yeux du prince avec lequel nous traitions directement, il n’y a eu changement de domination pour la Belgique que par le traité.
Pouvez-vous croire, messieurs, que les grandes puissances se sont arrêtées à toutes ces subtilités, à toutes ces distinctions, à toutes les argumentations qui ont fait la base de tous les discours que nous avons entendus ? Eh, non, messieurs, ce qu’elles ont voulu, c’est la réconciliation des deux princes avec leurs peuples. Et, selon moi, la disposition de l’article 20 emporte un oubli parfait du passé et s’applique, par la nature même de la paix, à toutes les parties de pays qui ont changé de domination. L’oubli ou le pardon, promis par le Roi des Belges, limité aux habitants des forts Lillo et de Liefkenshoek seulement a quelque chose de si mesquin, de si rétréci, que je ne sais m’y arrêter.
Du reste, si, avec le gouvernement, je me trompe, cette erreur, du moins, a sa source dans un sentiment généreux et bienveillant, bien moins pour le sieur Vandersmissen, qui ne me préoccupe pas, que pour toute autre personne qui pourrait être inquiète d’une interprétation étroite du traité, que pour les habitants du Limbourg et du Luxembourg contre lesquels je désire ne fournir aucun prétexte de réaction. C’est là le côté politique de la mesure.
Maintenant, messieurs, en supposant le traité applicable, et on a pu le supposer, voici quel a été le raisonnement du gouvernement.
La constitution a été promulguée le 7 février 1831 ; aux termes de l’article 124, les militaires ne peuvent être privés de leurs grades que de la manière prescrite par la loi. A cette époque le sieur Vandersmissen occupait un grade dans l’armée, il fut poursuivi pour proposition de complot faite le 25 mars 1831 ; c’est à cette époque qui a fui hors de sa patrie, c’est pour cette fuite et pour ne s’être pas présenté devant la haute cour, qu’en vertu de l’article 200 du code d’instruction militaire, il a été déclaré déchu de son grade et banni du territoire.
Mais la représentation volontaire ayant anéanti le jugement de contumace, étant replacé dans le même état où il était avant le jugement, rien ne restant plus de ce jugement, la conséquence, c’est que le sieur Vandersmissen était libre, conservait son grade, s’il ne l’avait pas perdu ou s’il n’en était pas privé par une autre cause que celle du jugement de contumace.
Ainsi, messieurs, le 29 novembre 1831, la haute cour militaire a reconnu que le sieur Vandersmissen avait conservé son grade quoi qu’il n’eût pas prêté serment, mais depuis, il n’est intervenu aucune loi sur la perte des grades que celle du 16 juin 1836, d’après laquelle les officiers de l’armée peuvent être privés de leurs grades pour résidence hors du royaume sans l’autorisation du Roi. Ici, il n’y a pas de questions de droit à examiner, vous n’ignorez pas, messieurs, que le droit conféré par cette loi est un droit de pure faculté, personnel au pouvoir exécutif. C’est une prérogative que la loi lui a donnée, et dont il use selon sa volonté.
Vous comprendrez, messieurs, que d’après toutes ces considérations je ne pourrais adopter la proposition de M. Dumortier.
M. Verhaegen (aîné) – Hier encore j’étais décidé à ne pas prendre part à la discussion, mais les assertions réitérées de quatre membres du cabinet, sur un fait qui domine tout le débat et qui me devient en quelque sorte personnel, me force à rompre le silence.
Pour justifier les mesures qu’il a prises à l’égard du général Vandersmissen, le ministère a prétendu qu’il avait été « forcément » juste et que l’article 20 du traité du 19 avril lui imposait l’obligation de l’amnistie. Jusque-là je pouvais me taire, le système du ministère avait été suffisamment combattu et il devenait inutile de rien ajouter aux nombreux arguments qu’on avait fait valoir.
Mais, messieurs, les ministres sont allés beaucoup plus loin ; M. le ministre des travaux publics en répondant dans la séance du 12 à l’honorable M. de Brouckere s’exprimait en ces termes : l’honorable membre trouve qu’il n’y avait pas lieu à l’application de l’amnistie ; il nous dit ce qu’il aurait fait à la place du ministère ; il aurait laisser juger, c’est-à-dire que le général Vandersmissen aurait été traduit devant la haute cour ; que son avocat aurait excipé de l’article 20 du traité et que la haute cour aurait déclaré l’amnistie applicable, etc.
Dans la séance d’hier, MM. les ministres de l’intérieur, de la justice et de la guerre ont confirmé l’assertion de leur collègue des travaux publics et ont répété à diverses reprises que le général Vandersmissen aurait invoqué l’amnistie, s’il avait été mis en jugement.
Comme les journaux ont annoncé, dans le temps, que j’étais chargé de la défense du général Vandersmissen, il m’importe de répondre aux assertions de MM. les ministres et surtout à celles de M. le ministre des travaux publics qui me concernent personnellement.
Voici ce qui a eu lieu :
Le général Vandersmissen, résolu de purger sa contumace, se présente à moi sous le poids d’une accusation grave, il m’annonce qu’il veut se soumettre à « des débats solennels » et aux « investigations les plus rigoureuses », il me demande de l’aider dans sa défense, pouvais-je m’y refuser ? Dans la position où il venait de se placer, un refus de ma part eût été une lâcheté.
Je ne vous dirai point quels moyens j’aurais fait valoir devant la haute cour, ces moyens devaient dépendre des débats ; il est toujours libre à l’avocat, après avoir entendu les témoins, après avoir examiné toutes les pièces, de prendre tel parti que lui demandent ses devoirs et sa conviction ; en matière politique, comme en matière civile, l’avocat juge son client avant de le défendre ; si les enquêtes établissent la culpabilité, il s’en rapporte à la justice… Il en est autrement peut-être en matière criminelle ordinaire !
Mais ce que je puis dire et affirmer sans manquer à aucune de mes obligations, c’est que je n’aurais jamais consenti à faire emploi d’une exception qui fût de nature à empêcher les investigations de la justice et les débats solennels. Le général Vandersmissen, d’ailleurs, ne voulait pas de l’amnistie ; il savait fort bien qu’une amnistie pouvait enlever la peine, mais qu’elle ne pouvait jamais le réhabiliter dans l’opinion, qu’elle devait, au contraire, le flétrir, et les débats devant cette chambre ne l’ont que trop prouvé. Il savait qu’il n’y avait de salut pour lui que dans une discussion franche et loyale qui mît la justice et le pays à même d’apprécier les hommes et les choses…
Si donc le général Vandersmissen n’a pas été soumis à l’épreuve judiciaire, ce n’est pas sa faute, ce n’est pas la mienne, et ma correspondance avec lui en est la preuve.
Je ne voulais pas faire usage de cette correspondance qui certes n’était pas destinée au grand jour de la publicité ; mais le général Vandersmissen, accablé sous le coup de cette fatale amnistie qui lui a refusé des juges, fait un appel à ma franchise et m’impose le devoir de prouver que ce n’est pas lui qui a reculé devant l’examen contradictoire de son procès. Voici ce qu’il m’écrit.
« Ixelles, le 13 mars 1840.
« Monsieur l’avocat,
« Les paroles du ministre de la guerre dans la discussion qui a eu lieu aujourd’hui, m’ont tellement irrité qu’il m’est impossible de me taire ; vous savez que je n’ai pas voulu de l’amnistie, pas plus que de la grâce qui m’a été offerte ; j’ai fort bien compris qu’il n’y avait pour moi d’autre moyen de justification que d’exposer ma conduite au pays entier, et c’est à cet effet que j’ai réclamé ma mise en jugement de tout mon pouvoir, c’est le ministère qui m’a mis dans l’impossibilité de me défendre, et si je suis aujourd’hui l’objet des attaques les plus violentes sans qu’aucune voix généreuse ne puisse venir à mon secours, c’est sa faute.
« Les lettres que je vous ai écrites dans le temps prouvent plus que je puis en dire, que mon seul but, en arrivant en Belgique, était de me soumettre à l’épreuve judiciaire, et je le comprenais d’autant mieux qu’alors que le fait imputé est grave, il n’y a d’autres moyens de se soustraire aux imputations qu’en mettant sa conduite au grand jour.
« Veuillez donc, je vous en prie, dire à la chambre ce qui s’est passé à l’occasion de la demande que j’ai faite pour obtenir ma mise en jugement et lire en séance publique les lettres que j’ai écrites à cet égard, veuillez n’avoir aucun scrupule comme avocat, puisque c’est à ma demande que vous le ferez.
« Agréez l’assurance de ma haute considération.
« Signé : général Vandersmissen. »
Cette lettre non seulement me met à mon aise, mais m’impose des obligations que je saurai remplir ; je vais donc vous donner connaissance de ma correspondance avec le général Vandersmissen.
Le 20 juin il m’écrit :
« Bruxelles, 20 juin 1839.
« M. l’avocat ;
« Je suis venu à Bruxelles pour purger ma condamnation et pour me faire juger ; il me tarde d’obtenir la permission de me constituer prisonnier, et de voir fixer le jour des plaidoiries. Je vous prie de vouloir prendre les mesures nécessaires pour obtenir ce but.
« Agréez, etc.
« (Signé) Gén. Vandersmissen. »
Je donnai connaissance à l’auditeur général de la détermination de M. Vandersmissen. Plusieurs jours se passèrent dans l’hésitation. Le gouvernement délibérait.
M. Vandersmissen s’impatienta ; le 30 juin, il m’écrivit ce qui suit :
« 30 juin 1839.
« M. l’avocat
« Il me semble qu’on veut traîner mon affaire en longueur ; après huit années d’exil, on ne peut trouver étrange que le temps me paraît bien long pour jouir de ma liberté dans ma patrie. Dès le 20 de ce mois, j’avais écrit à M. l’auditeur-général que j’étais entièrement à sa disposition pour purger ma condamnation, que j’étais prêt à me constituer aux Petits-Carmes, lorsqu’il le jugerait convenable ; depuis lors je suis entièrement sans nouvelles ; et me tenant éloigné du monde en dehors de Bruxelles, il me tarde de paraître devant mes juges. Si cela m’était refusé, il ne me resterait d’autres moyens que d’imprimer mon mémoire justificatif de ma conduite depuis le 26 août 1830 ; tant pis s’il peut compromettre des personnes haut placées.
« Veuillez vous charger de cette besogne, d’après les pièces et les notes que je vous ai remises, avant tout, veuillez informer M. l’auditeur-général de ma détermination.
« En attendant de vos nouvelles le plus tôt possible, agréez, etc.
« (Signé) gén. Vandersmissen. »
Je fis de nouvelles démarches à l’effet d’obtenir fixation du jour pour la plaidoirie, mais on m’annonça bientôt que l’affaire était terminée et qu’on avait résolu d’appliquer à M. Vandersmissen l’article 20 du traité des 24 articles.
Je donnai connaissance de cette résolution à M. Vandersmissen qui, le 3 juillet, m’écrivit :
« 3 juillet 1839,
« Monsieur l’avocat,
« La lettre que vous venez de m’adresser me frappe d’étonnement ; vous me dites, et je puis à peine croire, que, dans l’entrevue que vous venez d’avoir avec M. l’auditeur-général, celui-ci vous a donné connaissance que mon affaire était terminée et que le ministère avait été d’avis que je tombais dans l’amnistie accordée par le traité des 24 articles et que j’étais mis à la disposition du ministre de la guerre,
« Recevez, etc.
« Gén. Vandersmissen. »
Enfin, quelques jours après, il m’écrivit une dernière lettre qui résume toute sa pensée et qui prouve qu’Il prévoyait alors ce qui arrive aujourd’hui.
« Bruxelles, ce 9 juillet 1839,
« Monsieur l’avocat,
« L’Indépendant ayant annoncé la détermination prise à mon égard, les journaux de l’opposition ont blâmé fortement le ministère, et me placent ainsi dans une fausse position, j’aurai voulu pour le ministère et surtout pour moi, être jugé, afin de pouvoir me justifier aux yeux du pays d’une accusation grave, que des personnes intéressées à se disculper elles-mêmes ont bâtie contre moi. Si j’avais voulu me contenter d’une grâce, depuis longtemps elle m’était offerte, sous la seule condition d’en faire la demande, mais en accusé intéressé à mettre tout au grand jour, je l’ai refusée ; aujourd’hui l’amnistie me prive de nouveau du seul moyen que j’ai de me justifier aux yeux de mes compatriotes, et le ministère se place dans une fausse position envers les chambres. J’insiste donc de nouveau pour être jugé ; je veux me laver des insignes imputations dont j’ai été l’objet ; je crains que, plus tard, il n’en soit plus temps.
« Agréez l’assurance de ma haute considération.
« Le général Vandersmissen. »
Vous savez maintenant, messieurs, dans quelle position l’amnistie a placé désormais le général Vandersmissen ; et puisque mon devoir de représentant m’oblige à donner mon assentiment à la motion de l’honorable M. Dumortier, je suis heureux de pouvoir vous montrer comment le général Vandersmissen lui-même envisageait une mesure qui le livre à la réprobation publique, alors que des débats judiciaires auraient pu l’empêcher.
Voilà le service que le ministère lui a rendu.
M. le ministre de la guerre (M. Willmar) – Messieurs, j’ai besoin de répondre sur-le-champ à l’honorable préopinant, afin d’empêcher que la communication qu’il vient de faire ne change la véritable nature de la question. Le ministère n’a point dit que la mesure qu’il avait prise, il l’avait prise dans l’intérêt du général Vandersmissen, il l’avait prise à sa sollicitation. Il n’a pas été question de cela du tout, la mesure n’a pas été présentée ainsi, mais sous un point de vue tout à fait général.
En premier lieu, le ministère a cru qu’il fallait donner à l’amnistie contenue dans l’article 20 du 19 avril l’application la plus large et la plus généreuse ; et cela par deux motifs ; le premier pour montrer lui-même qu’il mettait de la générosité dans l’application de ce principe d’amnistie et pour produire l’effet que l’exemple de sa générosité fût imité par le gouvernement qui avait été avec lui partie au traité. Voilà quel a été exclusivement le mobile déterminant du gouvernement dans l’application de l'amnistie. Quant à ce qui concernait le général Vandersmissen lui-même, le gouvernement a voulu lui appliquer les conséquences qui découlaient rigoureusement de l’amnistie. Ces conséquences ont été l’annulation, en quelque sorte, du fait et le rétablissement dans les droits assurés par l’article 124 de la constitution.
Le ministère n’a rien voulu d’autre et dans les discours prononcés dans cette enceinte, il n’a rien allégué d’autre ; ce qu’il a dit, c’est qu’il avait voulu donner au général Vandersmissen la position qui lui était rigoureusement due et rien que cela, parce que le gouvernement comprenait très bien que les faits notoires dont le général Vandersmissen s’était rendu coupable ne pouvaient produire qu’un effet fâcheux et sur le pays en général et sur l’armée où cet effet devait se renfermer dans le for intérieur des militaires ; il a voulu consacrer, par la position la plus mauvaise donnée au général, qu’il ne voulait pas faire autre chose qu’exécuter de la manière la plus rigoureuse le devoir qui lui était imposé par la constitution.
Maintenant je n’ai plus rien à opposer aux communications que l’honorable représentant de Bruxelles vient de faire. Mais ce que je puis dire avec certitude, c’est que si le général Vandersmissen n’a pas lui-même imploré le bénéfice de l’amnistie, s’il n’a pas sollicité lui-même une position plus ou moins bonne dans l’armée, d’une manière officielle, il n’y a jamais eu de sa part aucune plainte sur ce que cette position lui eût été donnée, sur ce que le ministère lui eût appliqué l’amnistie et donné la position qui lui était rigoureusement due par la constitution. Au contraire, il a témoigné sa satisfaction.
L’historique des faits est à peu près tel que l’a exposé M. Verhaegen. Le général Vandersmissen s’est adressé à l’auditeur général qui déjà était préoccupé de l’idée que l’amnistie lui était applicable, il en a référé au ministre de la justice, et le cabinet entier a été immédiatement saisi de l’affaire ; il a mis naturellement plusieurs jours à délibérer sur une affaire aussi importante ; c’est ce qui explique le retard dont s’est plaint le général Vandersmissen. Mais enfin le cabinet a pris la détermination de lui appliquer l’amnistie. Le cabinet a reconnu que l’amnistie lui était applicable par les motifs que nous avons tous développés. Alors l’auditeur-général a donné au général Vandersmissen avis de cette résolution. C’est cette résolution qu’il a communiquée au défenseur qu’il avait choisi. Je prie la chambre de faire attention que, dans cette notification il y a étonnement exprimé, mais en aucune façon du regret.
L’auditeur général n’a pas ordonné l’incarcération du général Vandersmissen par cette seule raison qu’ayant immédiatement communiqué sa demande au ministre de la justice, il a vu immédiatement que le cabinet était persuadé qu’il était impossible de le juger.
C’est là le motif pour lequel il a laissé l’affaire en suspens jusqu’au moment où, après mûre délibération, Vandersmissen pût être instruit de l’opinion du cabinet qu’il était impossible d’intenter un nouveau procès, qu’il était nécessaire, dans l’intérêt de la loyauté du gouvernement et des populations plus ou moins compromises par une autre interprétation du traité, d’appliquer l’amnistie dans le sens le plus large possible.
Cette question décidée qu’il y avait lieu à application du principe, et que par conséquent, le général Vandersmissen serait mis à la disposition du ministre de la guerre, cette décision a donné lieu sur-le-champ de la part du ministre de la guerre, à examen de cette question particulière : quelle est la position du général Vandersmissen ? Le jugement porté contre lui a été scruté dans tous ses points, et notamment ce fait palpable qu’il y avait eu absence de l’armée pendant un assez grand nombre d’années, a attiré particulièrement mon attention. J’ai demandé à l’auditeur général s’il n’y avait pas lieu à poursuites du chef de désertion. Je suis bien aise de donner cette explication et de faire sortir de l’erreur où on est qu’à côté du crime de conspiration, il y avait un crime de désertion. Le crime de désertion n’existait pas. Peut-être sera-t-il utile de donner communication à la chambre des développements de cette idée qui se trouvent dans la réponse que m’a faite l’auditeur général, quand je l’ai consulté sur cette question.
La lettre est du 4 juillet 1839.
Voici les développements dans lesquels entre l’auditeur général :
« Monsieur le Ministre,
« Pour qu’un militaire puisse être considéré comme déserteur et poursuivi comme tel, il faut qu’au moment où il s’absente, il jouisse de toute sa liberté d’action et qu’il n’ait été contraint par aucune force, par aucune circonstance particulière à s’éloigner ; or, le militaire prévenu d’un crime, qui s’échappe de sa prison, comme celui qui, en vue de se soustraire à l’action qui peut être dirigée contre lui du chef d’un crime criminel, se retire à l’étranger, obéit à un sentiment qui domine entièrement sa volonté, celui de la crainte du châtiment ; il est sous l’influence d’une force majeure, et il ne peut ainsi être considéré comme conservant toute sa liberté d’action, comme quittant volontairement et spontanément sa position ; l’on ne peut donc voir dans cet abandon une désobéissance formelle à la loi militaire pour requérir l’application des peines qu’elle prononce.
« Le général Vandersmissen se trouvait dans cette situation lorsqu’au mois de mars 1831, il a abandonné la Belgique au moment où il venait d’être prévenu que l’ordre était donné de l’arrêté ; ce n’est donc point au service qu’il s’est soustrait, qu’il a voulu échapper. Il n’y a donc pas lieu dans une situation pareille, et lorsque le fait qui était imputé au général devait en cas de conviction, entraîner l’application d’une peine sévère, à diriger contre lui aucune action du chef de son absence et de son séjour à l’étranger.
« La question de savoir si dans un cas semblable un militaire pouvait être passible de la peine prononcée contre la désertion, a été jugée négativement par la cour le 29 mai 1832. »
Ce n’est pas simplement une opinion de l’auditeur général que j’ai tenu à communiquer à la chambre, mais la jurisprudence de la haute cour militaire qui a d’autres applications que celle dont je vous donne communication.
L’on rencontre pour motif dans son arrêt :
« Attendu qu’en s’évadant de la salle de police de Louvain, où ils étaient détenus sous la prévention de vol, les NN. n’ont pas voulu se soustraire au service mais se dérober à la poursuite criminelle dont ils étaient menacés ; qu’en conséquence cette fuite, suivie de l’arrestation des prévenus au-delà du rayon d’une lieue de leur garnison ne peut constituer une désertion dans le sens de la loi, et que c’est à tort que le conseil de guerre les a déclarés coupables du délit de première désertion. »
Arrêt qui trouve dans l’espèce une application directe.
Cette question n’est pas la seule qui ait été examinée ; on a traité aussi celle de l’absence ; mais une chose qui nous frappe, c’est que la loi de 1836 ayant été rendue postérieurement au fait de la conspiration, elle n’était en aucune façon applicable, d’autant plus qu’elle porte dans ces termes qu’elle ne concerne que les officiers en activité de service. La question a été soigneusement examinée.
« Dans la supposition que l’on veuille établir, malgré le texte formel des dispositions du code pénal militaire, une distinction entre l’absence illégale et la désertion, le général ne peut non plus être traduit devant un conseil d’enquête, car devant les juges il pourra également plaider la question de volonté ; que l’on donne donc au fait telle dénomination que l’on voudra, qu’on l’appelle désertion ou absence illégale, jamais on ne pourra décider que c’est pour se soustraire au service et non pour échapper à l’action qui le menaçait que Vandersmissen s’est éloigné ; et devant le conseil d’enquête, l’arrêt de la cour conservera toute sa force et devra recevoir son application, car il n’ira pas jusqu’à prétendre que les conseils d’enquête n’ont rien à examiner, qu’ils n’ont qu’à déclarer l’existence matérielle du fait, sans en rechercher la moralité, sans apprécier les circonstances dans lesquelles il a été posé ; s’il en était ainsi, si telle avait été l’intention du législateur, à quoi bon les mesures qu’il a prises pour assurer la défense des inculpés ? A quoi bon l’instruction à laquelle la loi veut qu’on se livre ? A quoi bon la nomination d’un conseil au prévenu, et que signifierait l’existence d’un conseil d’enquête ainsi borné dans ses attributions ? Une prétention semblable serait d’ailleurs contraire aux antécédents.
« Il y a plus, c’est qu’en admettant la distinction dont je viens de parler, on pourra soutenir l’incompétence du conseil d’enquête, en prétendant qu’à l’époque où le général s’est éloigné, le fait pour lequel on agir contre lui était qualifié désertion, et que les tribunaux devant lesquels il aurait dû être traduit de ce chef existant encore, c’est devant eux qu’il doit être poursuivi, la loi de 1836 n’ayant pu changer la nature du fait, qui, désertion en 1831, ne peut constituer aujourd’hui une absence illégale pour le faire comparaître devant d’autres juges ; et le conseil d’enquête devra s’abstenir.
« Je pense donc, M. le ministre, en réponse à la demande que vous m’adressez par votre dépêche du 2 de ce mois, cabinet numéro 4809, que non seulement il n’y a pas obligation d’exercer des poursuites contre le général Vandersmissen, mais même qu’il ne peut être traduit ni devant la cour, ni devant un conseil d’enquête pour le fait de sa fuite en pays étranger, fuite qui n’a été que la conséquence d’une action lavée maintenant par une amnistie, dont l’effet serait restreint si on ne l’étendait à toutes les circonstances qui se rattachent d’une manière plus ou moins directe au fait principal ; et si une poursuite était exercée (je pense que ceci rafraîchira les souvenir de l’honorable M. Verhaegen) la défense ne manquerait pas de réclamer avec fondement le bénéfice du traité du 19 avril 1839, dont l’application a déjà été faite au général, et des dispositions duquel M. l’avocat Verhaegen aîné m’a dit, lorsque je lui ai fait part de la détermination que j’avais prise, en me basant sur le traité, de ne plus agir contre son client, qu’il aurait excipé si on avait continué les poursuites.
« HOUYE. »
Je pense que cet exposé a pu établir bien clairement aux yeux de la chambre quelle est la manière de voir du cabinet au sujet du général Vandersmissen, surtout qu’il n’a été pour rien quant à lui-même dans la détermination que le cabinet a adoptée, mais que le cabinet a pris toutes les précautions pour ne faire que ce que les lois existantes exigeaient qu’il fît dans les circonstances graves où il se trouvait.
M. Verhaegen (aîné) – Les souvenirs de M. le ministre de la guerre l’auront mal servi ; car je n’ai pas tenu le langage qu’il me prête. J’en appelle à tous mes collègues, à tous mes amis, dès le principe j’en ai parlé à des membres de cette chambre, à des membres du sénat ; mon opinion a toujours été contraire à la mesure prise par le ministère ; j’ai déclaré tout d’abord que je la flétrirais devant les chambres.
M. Dubus (aîné) – D’après les lettres dont on a donné lecture, il paraîtrait que, par l’arrêté royal, le sieur Vandersmissen aurait été amnistié malgré lui, qu’aujourd’hui encore, il repousse l’amnistie et demande à être jugé. Je demanderai à M. le ministre de la guerre s’il a touché en 1839 le traitement qui lui a été attribué par l’arrêté, car s’il a repoussé l’amnistie, il a repoussé le traitement de non-activité qui n’en est que la conséquence.
M. le ministre de la guerre (M. Willmar) – Je n’ai aucune connaissance que le général Vandersmissen ait refusé le traitement qui lui était attribué. Je dois en conclure qu’il l’a touché, car quand les officiers touchent leur traitement, je n’en suis pas informé. Ce que je puis dire, c’est qu’il m’a remercié moi-même de la condition qui lui avait été faite.
M. F. de Mérode – Après le temps de réflexion que m’a donné la remise du vote sur la proposition de M. Dumortier, je me prononcerai formellement contre cette proposition et contre toute autre subsidiaire.
Je crois que certaines dispositions d’ordre légal, combinées avec le traité conclu entre la Belgique et la Hollande, ne forçaient pas le ministre de la guerre à rendre les épaulettes de général belge à un militaire qui, ayant pris librement la cocarde du pays et obtenu par cette démarche un avancement de trois grades en quelques semaines, profitait des bienfaits même de l’ordre nouveau pour le livrer à l’ennemi. Une telle obligation ne pouvait être la conséquence nécessaire et inévitable du traité. Car aux observations très sérieuses, j’en conviens, présentées par M. le ministre de la justice, on peut opposer l’axiome, summum ju, summa injuria.
J’ai, messieurs, exprimé un blâme à l’égard de la mesure défendue avec le talent de jurisconsulte qui distingue l’honorable ministre de la justice. S’il fallait toutefois traduire ma dissidence individuelle avec lui en censeur parlementaire collective, je m’y refuserais absolument. Je ne veux pas pour la Belgique le système politique délétère qui amène en France, à propos d’incidents successifs, la perpétuelle mobilité de l’administration supérieure. Déjà depuis 1830 elle a dévoré 53 ministres. Ce régime sans consistance tue, selon moi, le gouvernement constitutionnel, et je veux qu’il vive en dépit des passions contraires. Si je voulais travailler au renversement du ministère, j’accueillerais la proposition de M. Dumortier ; mais cet honorable membre a contre le gouvernement des griefs que je n’admets point.
Ainsi, par exemple, au moyen de noms propres qu’il range devant vos yeux sur la même ligne, ce qui ne doit pas flatter essentiellement tous les titulaires dont la conduite est forte différente, il cherche à embarrasser M. le ministre qui ne peut faire ici la critique de ses subordonnés et divulguer les motifs d’actes administratifs concernant l’état des personnes. Or, s’il est tel individu célébré par M. Dumortier qui prenne de préférence pour organe un pamphlet périodique ; honte de la presse, et entretienne avec ses rédacteurs d’intimes relations ; s’il plaît à l’un ou à l’autre des hommes qui ont servi la révolution dès ses premiers jours, soit de manquer à la discipline, soit de fomenter le désordre, faut-il que le gouvernement né de la révolution se compromette en leur faveur sans s’occuper d’abord de l’intérêt et de la dignité du service publics ? Moi, qui suis d’accord avec M. le ministre de la guerre à l’égard des principes qui dirigent généralement sa conduite, je ne puis donc me placer sur le terrain de son adversaire déclaré au point de critique ce qui est louable. J’ai manifesté mon opinion sur un fait spécial sans la moindre intention de transformer un incident en changement ministériel, aussi dans tout appel collectif qui tendrait directement ou indirectement à ce but, je montrerai qu’il n’est pas le mien.
Une considération finale, présentée hier, par plusieurs ministres et particulièrement par M. le ministre de l'intérieur, a, je dois le dire en outre, fait impression sur moi. 300 mille Belges sont maintenant sous la domination du gouvernement hollandais ; tandis que pas un Hollandais n’est passé sous la nôtre. Or, si l’interprétation même outrée et blessante de l’article 20 du traité a paru aux ministres un moyen d’éviter des vexations à nos anciens compatriotes du Luxembourg et du Limbourg, cette pensée de leur part mérite nos égards et les ménagements de ceux mêmes qui ne seraient pas de leur avis quant aux autres motifs de droit, traités trop savamment selon la lettre à mes yeux.
M. le ministre de l'intérieur a fait ressortir non sans force le préjudice que pourrait porter aux habitants des territoires cédés l’exemple donné par le gouvernement belge de livrer aux tribunaux les questions d’amnistie en partie d’ordre judiciaire et d’ordre diplomatique. Cette raison morale a produit sur moi plus d’effet que les arguments à l’appui de la stricte et en quelque sorte aveugle interprétation légale appliquée favorablement à Vandersmissen, arguments qui ne me semblent point encore invincibles, bien qu’ils aient été soutenus avec une déduction logique très habile.
Quoi qu’il en soit, la discussion qui a conduit le gouvernement aux débats explications les plus étendus, les plus appropriés par suite d’une longue et vie contestation sur un objet de nature à exciter justement l’irritable sollicitude de la chambre, ne peut être un mal en telle occurrence.
Déjà sans doute certaines articles généreux de la constitution ont donné lieu à de fâcheuses conséquences ; jamais cependant ils n’ont produit un résultat aussi pénible à subir que celui dont l’article 24, destiné à maintenir des droits honorablement acquis, vient d’être la cause ou l’occasion.
Et qu’il me soit permis, en terminant, messieurs, de réfuter une sorte de comparaison que j’ai entendue établir près de cette chambre même, entre la conduite de Vandersmissen et celle des officiers de l’armée des Pays-Bas qui se sont ralliés à la cause de l’affranchissement de la Belgique. Ceux-ci ayant fait « demi-tour », celui-là n’aurait eu que le tort de l’ « achever ». Messieurs, si dans une monarchie l’armée appartient indubitablement au prince, elle appartient également au pays dont il est la tête ; c’est pourquoi, abandonner le prince est généralement une faute militaire, destructive, non seulement de l’autorité royale, mais de la sécurité publique.
Mais le royaume des Pays-Bas se trouvait composé de deux nations distinctes au passé, et même au moment d’une réunion, qu’une politique mauvaise rendait plus fictive que réelle. Le prince était Hollandais de cœur et d’origine. Un mouvement surgit dans la capitale belge. Au lieu des les calmer on irrite les esprits.
Aux états généraux, tenus en Hollande, les députés hollandais déclarent en face des nôtres, non qu’il convient de s’entendre avec eux, mais qu’il faut dompter, écraser les rebelles. On en arrive à labourer de boulets les rues de la capitale, à bombarder la première ville commerciale du pays, dont l’entrepôt est livré aux flammes ; et l’on voudrait que tout loyal militaire belge eût continué à servir d’instrument destiné, non à réprimer l’émeute et le pillage, mais à dompter, écraser, humilier son propre pays, pour le soumettre à la suprématie d’une autre contrée ? Non, messieurs, la fidélité personnelle comme tout devoir a des bornes, que la conscience et la bonne foi distinguent. Les circonstances légitiment le demi-tour vers le sol natal exposé à l’oppression, à la servitude. Le tour entier est une évolution que tous réprouvent, vainqueurs et vaincus.
Si j’ai abordé par ce peu de parole un sujet délicat, c’est qu’il importe que des esprits sincères, mais faibles, ne s’inquiètent point des sophismes qui tendent à leur montrer des rapports entre les actes qui n’en ont point. Quant aux réclamations qu’adressait M. Vandersmissen pour être jugé, je m’étonne qu’il ait attendu si tard pour en venir là. Depuis longtemps, messieurs, la justice en Belgique offre la plus grande sécurité aux accusés innocents, tant civils que militaires. Pourquoi donc ne se constituait-il point prisonnier avant le traité. ? Neuf années s’écoulent sans qu’il tente une démarche de cette nature ; mais quand le traité ne laisse plus de doute sur l’indépendance du pays, le condamné par contumace y revient, sût qu’aucun jugement ne peut plus l’atteindre et qu’il a chance de recueillir peut-être, grâce à l’extrême libéralité de nos lois, le traitement qui devait n’appartenir qu’aux défenseurs de la patrie.
M. Dumortier (pour un fait personnel) – L’honorable préopinant, en commençant le discours que vous venez d’entendre, discours infiniment curieux, puisqu’il est la critique la plus amère du discours qu’il a prononcé avant-hier, m’a accusé d’avoir pris dans cette enceinte la défense d’hommes tarés, de misérables, d’hommes indignes de figurer dans les rangs de l’armée, et ce sont les chefs des volontaires de septembre que le préopinant désigne ainsi.
Certes, je ne mérite pas un pareil reproche ; car je n’ai jamais élevé la voix qu’en faveur d’hommes honorables ; si j’avais pu m’attendre à un pareil reproche, jamais du moins n’aurais-je cru qu’il me fût adressé par un ancien membre du gouvernement provisoire, par un homme qui a partagé la royauté momentanée, par le fait de ces volontaires qu’il regarde aujourd’hui comme des misérables, comme des hommes tarés. Ce sont ces hommes qui vous ont frayé, à vous, membre du gouvernement provisoire, le chemin au poste élevé que vous avez occupé et que la Belgique entière a salué de ses applaudissements. Et pour ces hommes qui ont pris les armes au commencement de la révolution vous n’avez que des expressions flétrissantes. Si parmi ces hommes, il s’en est trouvé qui aient commis des actes répréhensibles, je n’ai jamais cherché à justifier de tels actes.
Mais j’ai signalé, et je ne cesserai de signaler les abus d’un gouvernement qui, dans son aversion pour les hommes de la révolution, les a traqués successivement comme des bêtes fauves, et les a éloignés de tous emplois qu’ils devaient à la révolution ; et c’est ce même gouvernement qui aujourd’hui replace dans les rangs de l’armée un homme qui a trahi la révolution, un homme qui a porté atteinte à l’honneur de la cocarde belge.
Messieurs, il m’importe assez peu que dans cette circonstance le ministère fasse ou ne fasse pas une question de cabinet de la question qui nous occupe. Pour moi, je ne veux assumer aucune responsabilité en contribuant par mon vote à remettre un traître dans les rangs de l’armée ; je ne veux pas me rendre complice du ministère. Tout ce qu’on doit dire en pareil cas c’est : Faites ce que doit, adviendra que pourra.
M. le ministre de la guerre (M. Willmar) – J’ai déclaré positivement qu’il est fait que le gouvernement ait commis les abus qu’on vient de lui reprocher, qu’il est faux que le gouvernement ait traqué comme des bêtes fauves quelque catégorie d’officiers que ce soit. Je déclare qu’aucune mesure de répression n’a été prise sans qu’elle ait été provoquée par un fait spécial.
M. F. de Mérode – M. Dumortier m’a reproché d’abord d’avoir rétracté l’opinion que j’ai émise avant-hier. Je ne crois pas avoir rétracté mon opinion ; je l’ai modifiée d’après les raisons données par messieurs les ministres. A cet égard, si les discussions ne servaient pas à éclairer les membres de cette assemblée, je ne sais pas pourquoi elles auraient lieu. Mais j’ai signalé un argument qui a produit une grande impression sur mon esprit, et auquel personne n’a répondu.
Quant aux volontaires, jamais je n’ai abandonné leurs intérêts, quand ils se sont conduits comme ils le devaient. Mais parmi les volontaires, il en est qui ont abandonné le pays, qui ont cherché à renverser l’ordre de choses fondé à la suite de la révolution. D’autres ont commis d’autres actes également répréhensibles. Ces volontaires ne sont pas des patriotes ; ce sont des pêcheurs à l’eau trouble ; et les pêcheurs à l’eau trouble ne me trouveront jamais pour les appuyer.
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – L’honorable M. F. de Mérode a omis à dessein de répondre à une partie des attaques du député de Tournay. Ce député a semblé lui reprocher de l’ingratitude envers les volontaires qui l’ont élevé à la haute dignité de membre du gouvernement provisoire. Les explications données par l’honorable comte prouvent assez que jamais il n’a entendu blâmer les volontaires en masse, mais seulement ceux qui ont manqué à leurs devoirs. Quant à la position de membre du gouvernement provisoire, ce n’a pas été une faveur pour M. de Mérode, ça été une position toute de dévouement. Il y a risqué une grande existence pour lui et pour sa famille ; et nous n’avons pas perdu le souvenir de la mort de son illustre frère, au milieu des rangs des volontaires. J’ai dit.
M. Dolez – J’hésitais à prendre la parole, arrêté que j’étais par tout ce qu’il y a de pénible dans ce débat, où chacune de nos paroles est un arrêt de flétrissure pour un homme en faveur duquel aucune voix ne s’élève dans cette enceinte ; mais ce silence que je comptais garder, je n’ai pas pu résister au besoin de le rompre en entendant M. le ministre des affaires étrangères vous déclarer, avec une assurance que j’admire, que ses adversaires n’avaient pu trouver pour lui répondre des arguments de quelque valeur.
A mon tour, j’ai désiré consacrer un regard aux arguments de M. le ministre de l'intérieur, et examiner s’il mérite cette confiance si profonde qu’ont MM. les ministres dans le système qu’ils ont défendu.
Il m’importe d’abord de déterminer le terrain sur lequel roule le débat qui nous occupe.
M. le ministre des travaux publics nous a dit, dans son discours d’avant-hier ; « Nous avons été forcément juste sous le point de vue légal ; nous l’avons été bien à regret, mais nous ne pouvions faire autrement ; s’il avait été permis de nous abstenir, nous nous serions abstenus ; s’il nous avait été permis d’attendre, nous aurions attendu, mais nous ne le pouvions pas. »
M. le ministre de la guerre a tenu un pareil langage.
Il reste donc avoué que la réintégration du général Vandersmissen dans les rangs de notre armée est un fait déplorable, un fait poignant pour l’honneur et la dignité de l'armée.
Voyons maintenant s’il est vrai, comme on le prétend, que la légalité commandait au gouvernement la double mesure qu’il a prise. Je dis à dessein la double mesure parce que je prie la chambre de ne pas perdre de vue qu’il s’élève ici deux questions distinctes. La première, celle de savoir si l’article 20 du traité était ou non applicable à la position du sieur Vandersmissen ; la seconde, si, supposât-on même cet article applicable, il fallait réintégrer l’amnistié dans les rangs de notre armée ? Occupons-nous quelques instants de la première de ces questions. L’article 20 du traité porte :
« Art. 20. Personne, dans les pays qui changent de domination, ne pourra être recherché ni inquiété, en aucune manière, pour cause quelconque de participation directe ou indirecte aux événements politiques. »
Toute la question est de savoir quelle est la portée des mots : « les pays qui changent de domination. » Les pays qui changent de domination, dit le gouvernement, cela s’applique évidemment à la Belgique entière. La Belgique entière qui, au mois d’avril 1839, a changé de domination, a donc été, dans l’opinion du gouvernement, jusqu’à cette époque sous la domination « légale » (ce sont les expressions des organes du gouvernement) du roi Guillaume.
Le gouvernement, en avouant ce système, a senti lui-même qu’il était contraire au décret du congrès qui proclame l’indépendance du peuple belge, la déchéance à perpétuité des Nassau de tout pouvoir en Belgique. Aussi a-t-il cherché à tourner cette difficulté qu’il ne pouvait sérieusement songer à combattre.
C’est, vous a-t-il dit, au point de vue de la conférence qu’il faut se placer en interprétant l’article 20 du traité, et pour elle la Belgique entière changeait de domination.
Au point de vue de la conférence ! Mais ne pourrais-je point dire aux ministres que, dans un traité de paix, les principales parties contractantes sont les parties belligérantes. Je pourrais dire aux ministres que c’est donc au point de vue de la Belgique et de la Hollande qu’il faut se placer pour obtenir une saine interprétation du traité. Mais on veut que nous nous placions au point de vue de la conférence, un instant je consens à l’admettre. La conférence, pensait-elle que, jusqu’au 19 avril 1839, nous n’avions qu’une existence de fait ? Evidemment non, car, par les traités antérieures elle avait reconnu notre existence légale ; les puissances qui la composaient avaient des représentants près de notre gouvernement ; elle ne nous considérait donc pas comme un état purement de fait et donc l’existence était contraire aux droits du roi Guillaume et de la Hollande.
Mais voyons d’ailleurs si les clauses du traité ne nous démontrent pas à toute évidence que la gouvernement n’a pas eu, qu’elle ne pouvait avoir la pensée que le gouvernement lui prête.
L’article 1er du traité porte :
« Art. 1er. Le territoire belge se composera des provinces de : (ici l’énumération des provinces.)
L’article 2 porte :
« Art. 2. S.M. le roi des Pays-Bas, grand-duc de Luxembourg consent à ce que, dans le grand-duché du Luxembourg, les limites du territoire belge soient telles qu’elles vont être décrites ci-dessous, etc. »
L’article 3 porte :
« Art. 3. Pour les cessions faites dans l’article précédent, il sera assigné à S.M. le roi des Pays-Bas, grand-duc de Luxembourg, une indemnité territoriale dans la province du Limbourg. »
Remarquez bien l’ensemble de ces trois articles.
Par l’article premier, la conférence et les parties contractantes constatent un fait : La Belgique se composera de telles et telles provinces. Par le second, le roi Guillaume fait une cession de territoire à la Belgique, et par le troisième, la conférence et les parties contractantes décident qu’il sera assigné une indemnité au roi des Pays-Bas pour les cessions faites dans l’article précédent, c’est-à-dire, dans l’article 2. Ce sont donc les territoires dont il est question dans l’article 2 qui sont cédés et non pas les territoires dont il est question dans l’article premier à l’égard desquels on n’a fait que décréter l’existence d’un fait.
Plus loin, que porte l’article 6 du traité ? Il est ainsi conçu :
« Art. 6. Moyennant les arrangements territoriaux arrêté ci-dessus, chacune des deux parties renonce réciproquement pour jamais à toute prétention sur les territoires, villes, places et lieux situés dans les limites des possessions de l’autre partie, telles qu’elles se trouvent décrites dans les articles 1, 2 et 4. »
A cet article 6, vous voyez que les deux parties contractantes sont sur le pied d’une parfaite égalité. On ne reconnaît pas là qu’il y ait droit de la part du roi Guillaume, qu’il y ait simplement fait de la part de la Belgique. De part et d’autre, on échange des territoires, de part et d’autre, on renonce aux droits qu’on peut avoir sur les territoires échangés.
M. le ministre de l'intérieur, qui trouve que les arguments de ses adversaires n’ont rien de sérieux, vous a présenté comme motif péremptoire en faveur de son opinion le rapprochement de l’article 16 du traité des 18 articles avec notre article 20. Dans l’article 16, vous a-t-il dit, on ne parle que des villes, places, réciproquement évacuées, tandis que dans l’article 20 on parle des pays qui changent de domination. Ce changement, vous a-t-il dit, atteste que l’article 20 s’applique à la Belgique entière.
Mais, M. le ministre perd complètement de vue le véritable motif de cette modification pour en substituer un qui n’a d’autre mérite que de convenir à la thèse qu’il défend.
Par le traité des 18 articles, la Belgique ne cédait que quelques enclaves dans le Limbourg, par ce traité il n’y avait que quelques échanges insignifiants ; voilà pourquoi l’article 16 ne parlait que des villes, places et territoires cédés ; dans le traité des 24 articles, au contraire, ce ne sont plus quelques villes que l’on échange, c’est une partie notable du Luxembourg, que la conférence regarde comme un pays séparé, c’est une partie notable du Limbourg qui va se trouver aussi un pays séparé, annexé, dans les mains du roi Guillaume, à la confédération germanique. Il était dès lors tout naturel de substituer aux expressions des 18 articles, celles plus étendues qu’on trouve dans le traité du 19 avril. C’est donc parce que les stipulations territoriales étaient différentes dans les deux traités, que les expressions des articles 16 et 20 sont différentes.
D’après M. le ministre des affaires étrangères la modification apportée à l’article 20 devrait avoir été désirée par la Hollande exclusivement dans l’intérêt du général Vandersmissen, car il est le seul homme dans sa position ; lui seul, parmi ceux qui avaient tenter de ramener les Nassau en Belgique, n’avait point vu marquer définitivement son sort ; Grégoire, de Bast ont été acquittés par les assises de Mons ; Borremans a obtenu sa grâce, etc., et vous croyez que, pour un seul homme, qui devait d’ailleurs lui inspirer bien peu de sympathie, la Hollande aurait réclamé un changement de rédaction dans le texte du traité ? Oh non, personne ne le croira.
L’article 20, pour ne pas le faire sortir de sa portée, en l’interprétant sans subtilités, par les seules règles de la raison, se rapporte évidemment au statu quo auquel il a été mis fin par le traité. Si l’on en voulait une autre preuve que l’évidence même de son texte, nous la trouverions dans l’article 17, où nous lisons : « Dans les deux pays dont la séparation a lieu, en conséquence des précédents articles, les habitants les propriétaires, etc. » Remarquez la différence des expressions ; dans l’article 20, on parle des « pays qui changent de domination » ; dans l’article 17, on parle « des deux pays dont la séparation a lieu, conformément aux clauses du traité. » on ne voit donc, quand la conférence voulait stipuler pour la Hollande et la Belgique, mises en présence l’une de l’autre, elle parlait « des deux pays » dont « la séparation était prononcée » par le traité, et non de ceux qui changeaient de domination.
Dans votre séance d’hier, M. le ministre de la justice et M. le ministre des affaires étrangères ont produit un argument qui, tout en ayant une apparence juridique, s’adresse directement à vos plus légitimes sympathies. Ils vous ont dit : Prenez-y garde, si vous n’acceptez pas l’interprétation que nous assignons à l’article 20, vous allez exposer des Belges à mille dangers. Plusieurs de nos compatriotes ont été poursuivis et condamnés à Luxembourg pour des faits posés par eux dans cette ville, au moment et en faveur de la révolution, qu’ils y retournent demain, et vous les verrez subir les conséquences rigoureuses des arrêts qui les frappent. Il est vrai, messieurs, que plusieurs Belges ont été l’objet de condamnations dans le Luxembourg, et je pourrais vous en citer plusieurs exemples et aller par là au-devant de ceux dont M. le ministre des travaux publics vous a promis de vous parler aujourd’hui. Mais rassurez-vous, messieurs, ces honorables citoyens n’ont désormais rien à craindre, quelques interprétations que vous donniez à l’article 20 du traité. Il n’est point nécessaire d’en torturer le sens pour trouver dans le traité l’amnistie que vous désirez pour eux ; les principes les plus incontestables du droit public la leur assurent comme une conséquence nécessaire, inévitable du traité.
Aux termes de ces principes, un traité de paix oblige et protège non seulement le pays, mais tous et chacun de ses nationaux.
Vatel, dans son ouvrage sur le droit des gens, comme Grotius, dans son traité de la paix et de la guerre, sont d’accord sur ce point ; ils proclament hautement que, lors même qu’un traité ne contient aucune stipulation d’amnistie pour les sujets respectifs des souverains qui l’ont conclu, l’amnistie n’en dérive pas moins du traité.
« L’amnistie, dit Vattel, est un oubli parfait du passé ; et comme la paix est destinée à mettre à néant tous les sujets de discorde, ce doit être là le premier article du traité. C’est aussi à quoi on ne manque pas aujourd’hui. Mais quand le traité n’en dirait pas un mot, l’amnistie y est nécessairement comprise, par la nature même de la paix. »
Voilà, M. le ministre des affaires étrangères, des principes que vous n’avez pu perdre de vue qu’en cédant à une inexplicable préoccupation, causée sans doute par le besoin de trouver un argument pour le système que vous défendez. Rassurez-vous donc, et que la chambre se rassure avec vous ; le roi Guillaume, en faisant la paix avec la Belgique, l’a faite avec tous les Belges ; poursuivre un Belge pour un fait relatif à la guerre, ce serait de sa part une flagrante violation du traité, ce serait un cas de guerre !
Si le général Vandersmissen eût été Hollandais, il eût été couvert par le traité de paix ; mais il est Belge, la Hollande n’a donc point stipulé pour lui.
J’arrive maintenant à la réfutation d’arguments d’un autre ordre. Le ministère vous a dit : « Il faut au moins reconnaître que la question est douteuse, et dans le doute c’était le parti de la clémence qu’il fallait adopter ; vouliez-vous qu’on nous adressât le reproche d’avoir restreint l’amnistie ? »
Messieurs, si le gouvernement s’était borné à fermer les yeux sur la présence du général Vandersmissen en Belgique, s’il se fût borné à le considérer comme amnistié ; oh ! vous pouvez m’en croire, ni ma voix, ni aucune autre sans doute ne se serait élevée dans cette enceinte, pour le blâmer, car un acte de clémence trouvera toujours de la sympathie parmi nous ; qu’on ne s’y méprenne donc point, ce n’est point à l’acte de clémence que s’adressent nos reproches, c’est au fait qui blesse notre armée dans ses sentiments les plus nobles.
Vous vouliez un acte de clémence ? Eh bien, il fallait l’accomplir ; mais fallait-il, pour cela, quand le sieur Vandersmissen vous demandait des juges, fallait-il se jeter entre ses juges et lui pour lui donner des honneurs, au lieu de l’arrêt qu’il réclamait ?
M. le ministre de la guerre (M. Willmar) – Je demande la parole.
M. Dolez – M. le ministre de la guerre, qui vient de demander la parole, ne dira pas qu’on n’a point donné des honneur au général Vandersmissen, puisqu’on lui a rendu l’habit de son grade, et M. le ministre de la guerre vous l’a dit hier, c’est à l’habit, c’est aux insignes du grade que s’adressent les marques de respect et d’honneur ! Vous avez donc donné des honneurs là où il n’y a avait qu’à poser un acte de clémence.
M. le ministre des affaires étrangères disait encore, dans la séance d’hier, qu’il s’étonnait que nous trouvassions étrange qu’un homme sous l’accusation d’un fait de trahison contre son pays, fût réintégré dans l’armée, quand nous avions vu, dans un pays voisin, des officiers supérieurs qui, eux aussi avaient trahi leur serment, conserver leur position, obtenir même de l’avancement : messieurs, je ne sais jusqu’à quel point cette espèce d’apologie pratique de la trahison est morale et politique dans la bouche d’un ministre !
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Je n’ai pas fait l’apologie de la trahison ; relisez mon discours.
M. Dolez – Votre allusion, d’ailleurs, respecte peu l’histoire. Lorsqu’en 1815, au retour de l’île d’Elbe, l’armée française tout entière abandonnait un roi ramené par l’étranger pour se ranger sous ces aigles qui, tant de fois, l’avaient conduite à la victoire, est-il bien juste de dire qu’elle commettait un acte de honteuse trahison ? Non, messieurs, elle concourait à l’accomplissement d’une révolution qui, pour avoir été vaincue, n’a point pourtant été sans honneur et sans gloire, et quand, par un acte à jamais déplorable, le maréchal Ney, le brave des braves, a été puni de la peine des traîtres, la réprobation universelle a frappé ses juges et pèsera à jamais sur leur mémoire. (Mouvement d’approbation.)
Ne parlez donc point, M. le ministre, d’analogie entre la position du général Vandersmissen et celle des braves de l’armée française qui ont été vaincus à Waterloo.
Je vous ai dit tout à l’heure, messieurs, qu’un acte de clémence, loin d’appeler ma censure, aurait obtenu ma sympathie ; mais je devais m’élever, comme plusieurs de mes honorables collègues, contre cet acte inconcevable, injustifiable qui a replacé le sieur Vandersmissen dans les rangs de notre armée.
Le devait-on, messieurs, comme on l’a prétendu ? Je ne suivrai point M. le ministre de la justice dont le plaidoyer en 3 § qu’il a prononcé dans la séance d’hier, pour démontrer que le gouvernement devait nécessairement, inévitablement, rendre au sieur Vandersmissen la position qu’il avait avant l’acte si grave à la suite duquel il a quitté le pays ; je veux seulement, par quelques mots, prouver que le système produit ne résiste pas au plus léger examen des dispositions de nos lois.
Un décret du 5 mars 1831 porte, dans son article 3 :
« Les citoyens qui seront en fonctions lors de la promulgation du présent décret, et qui n’auront point prêté serment dans le mois qui la suivra, seront considérés comme démissionnaires. »
Suivant le ministère, ni l’une ni l’autre de ces dispositions n’étaient applicables au général Vandersmissen : « Le général Vandersmissen, a-t-on dit, avait été forcé de fuir : il ne pouvait rentrer dans le pays, sans s’exposer aux pénalités que les lois comminent contre le fait dont il s’était rendu coupable ; il n’était donc pas au nombre de ceux pour lesquels étaient établis les décrets dont il s’agit. » Est-il possible, messieurs, de méconnaître à ce point et le véritable esprit des décrets qui ordonnaient la prestation de serment et les plus simples notions de droit ? Au 5 mars 1831, nous étions voisins de la conspiration de Grégoire, non loin encore des événements d’Anvers ; quand le congrès appelait tous les fonctionnaires et les officiers de notre armée à prêter serment de fidélité à nos institutions, que voulait-il, messieurs ? il voulait qu’il n’y eût rien de douteux dans le dévouement des agents que le pays employait.
Et quand telle était l’intention du congrès, quand le congrès ne voulait pas même qu’il y eût un doute sur le dévouement à nos institutions, peut-on prétendre que son décret n’est point applicable à un homme dont l’antipathie pour nos institutions s’est manifestée par un acte éclatant ? Il ne pouvait pas, dit-on, se présenter pour prêter serment. M. le ministre de la justice sait mieux que moi qu’en droit, lorsqu’un homme s’est mis volontairement dans l’impossibilité d’obéir à une prescription de la loi, cet homme ne peut jamais invoquer le bénéfice de la force majeure. Ce n’est donc pas parce qu’il en était empêche par une force majeure, que le général Vandersmissen n’a point prêté serment, c’est parce qu’il ne le voulait point. Eh bien, messieurs, ce serment que deux lois l’obligeaient de prêter, il ne l’a point prêté ; il a fait plus, au lieu de venir prêter serment, au lieu de venir se présenter devant les tribunaux, il a, par une lettre, dont nos hommes d’Etat semblent aujourd’hui avoir perdu le souvenir, outragé ces institutions auxquelles il aurait dû jurer fidélité ; ainsi, là où il devait y avoir serment de fidélité, il y a eu outrage, et lorsque le défaut de serment de fidélité devait entraîner la déchéance du rang militaire, l’outrage n’a point suffi aux yeux des ministres pour entraîner cette déchéance. (Très bien ! très bien !)
Ce n’est point tout encore, messieurs, car, dans cette discussion, notre embarras n’est point de trouver des arguments péremptoires, nous n’en éprouvons d’autre que celui de choisir dans tous ceux que ce débat nous libre.
Une loi du 16 juin 1836 intervint plus tard ; elle porte dans son article premier :
« Les officiers de tout grade en activité, en disponibilité, en non-activité, ou mis au traitement de réforme, pourront être privés de leur grade et de leur traitement pour les causes ci-après désignés :
« 1°…
« 3° Pour absence illégale de leur corps ou de leur résidence pendant 15 jours ;
« 4° Pour résidence hors du royaume sans l’autorisation du Roi, après 5 jours d’absence. »
Ce texte, messieurs, était embarrassant pour MM. les ministres. Qu’ont-il fait pour y échapper ? Ils ont dit : « Mais la loi est postérieure aux faits posés par le général Vandersmissen, on ne pouvait la lui appliquer sans l’entacher de rétroactivité. » Nouvelle erreur ! Non, messieurs, le fait du général Vandersmissen, de ne point revenir endéans les 5 jours, après la publication de la loi, constituait une contravention à ses dispositions ; quand il continuait à rester illégalement absent pendant plus de 5 jours, il était dans le cas prévu par le numéro 4 de l’article que je viens de citer ; car son absence était illégale plus qu’aucune autre.
On a parlé des principes de la contumace ; eh bien, personne n’ignore qu’un de ces principes, c’est qu’un arrêt par contumace ne peut être rendu que quand le prévenu a été mis plusieurs fois en demeure de se présenter. Il y avait donc deux causes d’illégalité dans l’absence du général Vandersmissen, d’abord le défaut d’autorisation, puis celui de se rendre à l’appel que lui faisait la justice du pays. Il y avait deux causes d’illégalité, et la loi n’en exigeait qu’une seule !
Je n’insiste point davantage sur les considération que notre raison avait devancées ; mais, messieurs, je vous en conjure, pénétrez-vous bien de tout ce qu’il y a de grave dans ce débat, non seulement pour notre armée, mais pour le pays tout entier. Quant à l’armée, M. le ministre de la guerre, il est vrai, a cru vous rassurer en vous disant que la discipline, qui est son premier devoir, était là pour lui imposer silence sur un fait que la blesse dans ses sentiments les plus nobles. Moi aussi, messieurs, je pense comme M. le ministre que la discipline est une des premières vertus du soldat ; moi aussi je compte que, dans toutes les occasions, l’armée saura donner d’éclatantes preuves de discipline ; mais si la discipline peut étouffer les murmures de notre armée sur un acte qui l’affecte, qui l’humilie, elle ne peut l’empêcher d’en être profondément froissée. Mieux que moi, sans doute, M. le ministre de la guerre sait que, sous l’habit militaire et malgré les exigences de la discipline, battent des cœurs d’hommes et des cœurs d’hommes d’honneur ; et qui donc peut penser qu’ils soient insensibles à ce que tant d’entre nous considèrent comme une tache pour l’armée dans les rangs de laquelle ils figurent ?
Oh ! ne l’oublions point, messieurs, quelque puissantes que soient les règles de la discipline, quelque bien établies qu’elles soient, il est de ces désaffections qui s’infiltrent dans les armées et qui sont toujours dangereuses pour un pays ; et pouvez-vous ne pas craindre d’en faire naître de semblables dans le cœur de nos soldats ? Pour moi, messieurs, cette désaffection m’effraie. Je n’en veux point pour mon pays, je n’en veux point pour le gouvernement, je n’en veux point pour la chambre, je n’en veux point pour moi-même !
Le gouvernement vous a dit hier, messieurs, qu’il faisait de ce débat une question de cabinet, espérant réunir par là tous les partisans qu’il peut avoir dans cette chambre.
Depuis bientôt quatre ans que je suis parmi vous, je crois avoir prouvé que je ne suis point de ceux qui sont enclins à désirer le renversement d’un ministère, les questions de personnes sont assez indifférentes pour moi, et lorsque j’ai quelquefois blâmé ce qui me paraissait blâmable, je n’ai jamais été guidé par des considérations de cette espèce. Parfois sans doute j’ai trouvé le ministère en dessous de sa mission, parfois j’ai vu à regret le pouvoir s’énerver entre ses mains, mais, je l’avouerai, il est certain membre du cabinet pour lequel j’éprouve une sympathie d’autant plus profonde qu’elle a son point de départ dans le souvenir du temps de mes études universitaires, une sympathie que l’éclat d’un beau talent n’a fait qu’augmenter depuis que je suis dans cette enceinte ; mais, quoi qu’il doive advenir pour le cabinet par suite de la décision que nous allons prendre, il m’est impossible de ne pas adopter la motion de l’honorable M. d’Huart, rédigée par l’honorable M. Dumortier.
Nous devons, dans cette circonstance, ne point perdre de vue quelle est la position dans laquelle cette motion a placé la chambre. Jusqu’ici la responsabilité morale de l’acte qui a replacé le général Vandersmissen dans les rangs de l’armée n’a pesé que sur le ministère ; mais si vous repoussez la motion qui nous est soumise, cette responsabilité pèse désormais sur nous. J’attends, messieurs, de votre sagesse un autre résultat : vous saurez prouver par votre vote que si, comme représentant du pays, vous comptez toujours sur le dévouement et sur la discipline de l'armée alors qu’il faudrait défendre ou notre indépendance au dehors, ou nos institutions et l’ordre public au-dedans, l’armée peut en toute circonstance compter sur vous pour la défense de son honneur et de sa dignité. (Approbation générale.)
M. le ministre de la guerre (M. Willmar) – Je ne rentrerai pas dans toute la discussion pour suivre l’honorable préopinant, je ne traiterai qu’un seul point qui m’intéresse le plus. Je dirai seulement, en passant, que l’honorable préopinant a passé tout à fait à côté de l’argumentation contre l’applicabilité de la loi de 1836, qui reposait surtout sur ce que cette loi n’est applicable qu’aux officiers étant dans les cadres.
Ce qui me touche le plus, c’est ce que l’honorable préopinant a dit au sujet de l'armée. Je l’ai dit hier, et je le répèterai encore aujourd’hui, et chaque fois que l’occasion s’en présentera, j’éprouve un sentiment très pénible quand j’entends parler ainsi de mécontentement, de désaffection dans l’armée. J’ai le droit de parler au nom de l’armée, j'ai le droit de parler au nom de l’armée, j’ai le droit de dire que ce sentiment de désaffection n’y existe point ; je dois déclarer surtout que la manifestation publique qui en serait faite serait contraire aux devoirs militaires.
On a répété encore que le général Vandersmissen a été replacé dans les rangs de l’armée. Cela est d’une inexactitude complète ; la loi de 1836 définit la position de non-activité, et lorsqu’un officier est en non-activité, il est hors des cadres.
On a dit que l’armée doit se sentir déconsidérée, parce qu’il y a dans ses rangs un homme qui n’est pas digne de porter l’habit militaire.
Mais ce principe, messieurs, est un principe absurde, un principe réprouvé dans toutes les situations de la société, car nul n’est solidaire d’un acte qu’il n’a pas commis lui-même.
Que M. Vandersmissen ait le droit ou n’ait pas le droit de conserver le grade de général, cela ne touche en aucune façon l’honneur d’aucun officier de l’armée. Mais M. Vandersmissen avait évidemment ce droit en vertu de l’article 124 de la constitution, et l’armée a le sentiment de ce qui est juste ; elle veut que ses droits soient respectés, et elle comprend qu’on ne doit porter atteinte à aucun droit, sous quelque prétexte que ce puisse être.
Ce qui pourrait être douloureux, et ce qui cependant serait couvert par ce sentiment de devoir qui ennoblit tout, ce serait un commandement ; mais de la position actuelle de M. Vandersmissen a un commandement, il y a une distance immense, c’est aux ministres qui pourront se succéder à voir s’ils veulent franchir cette distance. Cette résolution seule serait une mesure véritablement pénible, une mesure qui pourrait réellement froisser.
Certes, il eût été préférable que la position à donner à M. Vandersmissen eût été autre ; qu’on eût pu lui donner une position indépendante du budget du ministère de la guerre. S’il avait eu l’âge nécessaire, la pension lui aurait été assurément donnée, et alors sa position étant une position définitive, tout contact avec les officiers qui auraient eu une répugnance naturelle à se trouver sous son commandement ; tout contact de ce genre eût été impossible ; mais la chose était impraticable, la loi s’y opposait. Tout ce qu’on a fait a été le résultat de l’application la plus rigoureusement étroite de la loi. Et, je le répète encore, le sentiment le plus exalté de l’honneur est toujours accompagné d’un sentiment de justice ; l’armée sent qu’il y a eu ici justice, et l’armée n’éprouve sous ce rapport, ni froissement dans son honneur, ni désaffection.
M. Metz – Messieurs, le sentiment qui s’attache au souvenir et au nom d’un traître est si pénible, que tout en approuvant la mesure dont il a été l’objet, on éprouve de l’embarras, du regret, de la répugnance à la soutenir.
Aussi, je conçois facilement les murmures qui, dans l’armée, ont accueilli le retour du général Vandersmissen.
Je regrette seulement, messieurs, que M. le ministre de la guerre ait pu voir un acte d’insubordination dans l’explosion irréfléchie peut-être, mais noble, d’un juste sentiment d’honneur ; ce n’était point par des peines, par des menaces qu’il fallait le réprimer, il fallait apprendre à l’armée les raisons qui forçaient le ministère à lui imposer de nouveau le général Vandersmissen.
M. le ministre de la guerre (M. Willmar) – Il n’y a eu ni peine, ni menace ; il y a eu une explication.
M. Metz – Je suis ami de la discipline ; car sans discipline, point d’armée possible, mais j’éprouve un profond et douloureux regret, que M. le ministre de la guerre n’ai pas senti, comme moi, que des hommes qui pourraient sans murmure ouvrir leurs rangs à un traître, étaient bien près d’être des traîtres eux-mêmes.
Mais que l’armée se calme, qu’elle se rassure, les débats de la chambre ont fixé la distance immense qui la sépare du général Vandersmissen. Relégué, d’ailleurs, dans la position la plus infinie qu’il était au pouvoir du gouvernement de lui donner, hors cadre et emploi, privé à jamais de tout commandement en Belgique, la réintégration du général Vandersmissen n’est plus aujourd’hui qu’un hommage forcé dû à la loi ; à cette même loi qui, si elle a protégé une fois un traître, protège toujours les officiers d’honneur contre l’arbitraire du pouvoir.
Messieurs, je me suis levé pour soutenir la mesure dont le général Vandersmissen a été l’objet, parce que, Luxembourgeois, chassé d’un pays où j’ai laissé 170,000 de mes compatriotes, protégés seulement contre un pouvoir despotique par l’amnistie qu’il s’agit d’interpréter en ce moment, je crois qu’il est du devoir et de la générosité de la Belgique de l’appliquer avec la plus grande extension possible.
Puisque le sort du ministère placé devant nous est en ce moment en jeu, qu’il me soit permis de dire un mot sur le ministère.
De tous les reproches, je dois le dire, celui qui serait le plus sensible à mon cœur, ce serait celui de soutenir pour lui-même le ministère dont la majorité a morcelé mon pays ; ce reproche, s’il était fondé, me déshonorerait aux yeux de mes compatriotes. Non, non, messieurs, je ne soutiens pas un ministère qui a déchiré mon pays, un ministère qui a soumis à un esclavage politique 170,000 de mes compatriotes, qui a ruiné leurs intérêts matériels ; non, ce ministère qui, à mes yeux, a compromis l’honneur de la Belgique depuis le trône jusqu’à la chaumière, non, ce ministère n’aura jamais ni mes sympathies, ni mon appui politique.
Est-ce à dire qu’il faille abattre uniquement pour le plaisir de détruire ? est-ce à dire que, cédant à mes répugnances personnelles, je doive, à la légère, livrer la Belgique à toutes ces agitations qui accompagnent toujours les crises ministérielles ? Non, messieurs, tout en déniant mon appui au ministère, je puis encore approuver un des actes qui a posés. Mais vienne un jour un ministère pur de la tache imprimée au front de celui auquel je m’adresse en ce moment, vienne un ministère auquel je ne croie pas la coupable faiblesse de partager demain la Belgique comme le cabinet actuel l’a partagée hier, et pour le créer ma voix ne manquera pas.
Messieurs, l’affaire du général Vandersmissen est donc à examiner devant vous. Je ne me dissimule pas que l’opinion est toute favorable au sentiment que je combats. L’opinion juge par le cœur beaucoup plus que par la raison : elle désapprouve hautement la mesure dont le général Vandersmissen a été l’objet. Il est difficile de faire comprendre à l’opinion que le gouvernement doit être le premier observateur de la loi ; et pour oser lutter contre elle, je dois être bien convaincu.
Messieurs, cette question se divise en deux. Il en est parmi vous qui croient que le général Vandersmissen pouvait être couvert par l’amnistie prononcée par le traité du 19 avril, et qui pensent cependant que le gouvernement ne devait pas replacer ce général dans les rangs de l’armée. Que vous disent ces orateurs ? Vous venez d’entendre leurs principaux arguments reproduits à l’instant dans l’éloquent discours de l’honorable M. Dubus. Ces arguments, les voici :
Ce n’est pas une seule loi, mais il y en a deux, il y en a trois, qui repoussaient le général Vandersmissen des rangs de l’armée belge. Vandersmissen n’a pas prêté serment. Vandersmissen, devait être jugé par un conseil de guerre. Vandersmissen, absent pendant plusieurs années du territoire belge, était par ce fait même déchu de son grade.
Ce sont là autant d’erreurs que de propositions. Et commençons par la loi de 1836, qui ne peut certainement pas être invoquée contre le général Vandersmissen, sans donner à cette loi un effet rétroactif, ce qui serait contraire aux premières notions de législation.
Le général Vandersmissen était soumis à la nécessité de prêter un serment, c’est vrai ; mais la position exceptionnelle dans laquelle le général se trouvait, ne le relevait-elle pas de l’obligation de prêter ce serment, tant que cette position n’avait pas cessé ?
Messieurs, permettez-moi de faire une supposition : si le général Vandersmissen, se présentant devant ses juges naturels, avait été acquitté ; s’il avait été reconnu que le général Vandersmissen n’était pas coupable de la haute trahison qu’on lui reproche, qu’elle eût donc été la proposition du général ? Croyez-vous qu’après avoir été absous du crime pour lequel il était poursuivi cous eussiez pu venir lui dire : Vous n’êtes plus général belge, quoique votre innocence eût été solennellement proclamée ; vous n’êtes plus général belge, parce que vous n’avez pas prêter le serment dans le délai prescrit par le décret du congrès ? N’eût-il pas pu répondre avec raison : « N’étais-je pas relevé, par ma position exceptionnelle de la nécessité de prêter le serment dans le délai prescrit par le décret du congrès ? Eh quoi ! si j’eusse été en prison sous l’accusation du crime énorme de haute trahison, sous l’accusation d’un crime qui entraîne la peine de mort, eussiez-vous alors exigé de ma part une prestation de serment ? »
Voilà ce que le général Vandersmissen aurait pu répondre, et croyez-vous que si le général Vandersmissen, étant en prison, et sous le poids de la condamnation qui le menaçait avait demandé à prêter le serment, croyez-vous qu’il eût été admis à le prêter, à prêter un serment de fidélité à un ordre de chose qu’il aurait été précisément accusé d’avoir voulu détruire ? Non, messieurs, le général Vandersmissen était dans une situation exceptionnelle, et sa position était, jusqu’au jugement définitif, suspendue par les poursuites dirigées contre lui ; acquitté, il rentrait de droit dans ses grades, honneurs et dignités.
Messieurs, le général Vandersmissen était-il couvert par l’amnistie ? Voilà la question principale qui nous occupe. Qu’il me soit permis de dire un mot encore sur les conséquences de l’amnistie, en le supposant applicable au général Vandersmissen.
J’ai dit, il y a un instant, que le général Vandersmissen avait été acquitté par la haute cour militaire ; il devait rentrer dans ses grade, honneurs et dignités, qu’il n’aurait pu perdre que par l’arrêt qui l’eût flétri comme traître. Eh bien, ce que l’arrêt d’acquittement eût fait pour le général, l’amnistie, dans la supposition qu’elle lui soit applicable, a produit le même effet. Et ici je réponds à l’honorable M. d’Huart qui disait que, dans tous les cas, si le gouvernement avait été sage, le général eût été traduit devant la haute cour militaire.
Cela, messieurs, eût été contraire à toutes les règles en matière pénale, d’après lesquelles l’amnistie doit être appliquée. L’amnistie est un fait qui, semblable à un jugement, innocente l’accusé, éteint toute poursuite, s’oppose à ce qu’un accusé puisse être jugé. C’est comme si le fait incriminé n’avait pas existé. L’amnistie empêche même qu’un jugement de contumace puisse être purgé par celui qui l’a subi. Pour prouver que cela est vrai, et qu’il n’appartient pas aux tribunaux de l’appliquer, que c’est un acte du pouvoir exécutif, qu’il me soit permis de vous dire en deux mots l’opinion de l’auteur estimable qui a traité la matière.
« L’amnistie, dit-il, est plus qu’un jugement d’absolution, elle a toute la force d’un jugement d’acquit. Faire donc des poursuites contre un fait amnistié, c’est violer le grand principe de non bis in idem, sur lequel reposent toutes les garanties de l’ordre social : l’irrévocabilité est tellement de l'essence de l’amnistie, qu’il n’est pas même besoin au condamné par contumace de se représenter pour faire tomber le jugement, il est anéanti de plein droit, etc., etc. »
Vous voyez donc que le général Vandersmissen, en supposant toujours l’amnistie applicable, ne devait plus être soumis à la décision des juges qui l’avaient condamné, l’amnistie annulant les poursuites commencées et ne permettant pas de soumettre le général à des poursuites nouvelles, à un jugement qui en est le dernier acte.
Maintenant, demandons-nous si le général Vandersmissen devait être compris dans l’amnistie contenue au traité du 19 avril 1839.
Après les révolutions on sent toujours que les lois ordinaires ne sont plus applicables.
On sent bientôt qu’alors que la société est rendue au repos, il faut dissiper les inquiétudes, bannir les craintes, faire taire les haines, ramener par la clémence des hommes qu’un égarement politique a séduits un moment, et ne leur laisser d’autre supplice que le spectacle de la consolidation de l’ordre de choses qu’ils ont voulu renverser et du bonheur du pays qu’ils ont voulu déchirer par la guerre civile. Alors apparaît l’amnistie comme un acte d’humanité et de raison. Oubli du passé est alors une sage maxime d’Etat.
En effet, qui ne se révolterait à l’idée qu’en 1840 l’échafaud politique aurait pu se dresse encore, hideux, sur le sol pacifié et généreux de la Belgique ! Cependant c’est là ce que demandent, sans le savoir, ceux qui pensent que le général Vandersmissen n’était pas couvert par l’amnistie contenue dans le traité du 19 avril 1839.
Peut-on supposer que le roi Guillaume eût pu abandonner ceux qui avaient cherché à ramener son pouvoir dans un pays qu’il était contraint d’abandonner ? Peut-on penser que la conférence qui, comme on le disait dans une discussion mémorable, avait voulu fermer le gouffre des révolutions, eût voulu le laisser ouvert encore pour y jeter quelques Belges égarés ? Non, mille fois non. Je suis persuadé que, si elle eût été consultée sur le point de savoir si l’amnistie était applicable au général Vandersmissen, elle eût répondu sans hésiter que l’amnistie s’applique à la Belgique entière, qu’elle couvrait tous les Belges.
Mais, messieurs, c’est par le traité lui-même que nous adversaires prétendent établir l’inapplicabilité de l’amnistie au général Vandersmissen.
Voyons quelle était, pour apprécier le traité de 1839, la position des parties. Qu’on ne s’abuse pas sur cette position. Le traité de 1839 n’est, mot à mot, que la reproduction du traité accepté en 1831, alors que la Belgique accablée par des revers, victime de la trahison, était soumise à la nécessité honteuse d’abandonner des frères qu’elle avait conviés à prendre part à sa révolution, qu’elle avait juré de conserver alors que la Belgique était, pour le dire en un mot, contrainte de passer sous les fourches caudines de la conférence. C’est à cette époque qu’il faut se reporter pour voir avec quelle hauteur elle pouvait traiter lorsqu’on lui présenta l’acte du 15 novembre 1831.
Et en 1839 quelle était encore la position des parties ? On s’est épouvanté du mot usurpation qu’on appliquerait au roi Léopold. Je ne m’explique pas cette crainte, parce qu’il est certain qu’aux yeux du roi Guillaume il y a eu usurpation, tant que sa renonciation n’est pas venue sanctionner la possession du Roi Léopold, possession qu’il méconnaissait à tel point, qu’en 1831 il est venu chercher à le chasser de la Belgique, qu’il croyait encore être sa propriété.
Voilà la position sous l’influence de laquelle les parties vivaient. Le roi Guillaume avait perdu la Belgique, avait perdu le Luxembourg, dont il ne possédait que la forteresse ; et il prenait encore le titre de roi des Pays-Bas et de grand-duc de Luxembourg. Cela doit-il être étonnant, quand on se rappelle que Louis XVIII, à Hartwel, datait, en 1810, 11 ou 12, de la 15e année ou 18e anniversaire de son règne ? Faut-il nous étonner alors que le roi Guillaume ait considéré comme un usurpateur celui qui était monté sur son trône dont la révolution l’avait chassé. C’est ce sentiment que le roi Guillaume devait reconnaître le gouvernement issu de notre révolution, qui a présidé au traité, c’est lui qui vous a mis dans la nécessité de demander la renonciation du roi Guillaume à la Belgique, qui vous a mis dans la nécessité de demander le consentement du roi grand-duc pour que les limites tracées par le traité du 19 avril dans le Luxembourg fussent agréées.
Mais, dit-on, ce sont ces mots : « qui changent de domination », qui prouvent qu’on n’a voulu appliquer l’amnistie qu’aux parties cédées. Je parcourrai rapidement les arguments sur lesquels on s’est appuyé, parce que mon intention n’est pas de prouver que le gouvernement a appliqué littéralement le traité, mais qu’il a sagement agi en l’appliquant comme il l’a fait.
Quels sont donc « les pays qui changent de domination » ? Vous voyez à l’article premier qu’il s’agit des pays qui constituent la Belgique, que dans l’article 2 il s’agit du grand-duché et des limites tracées par la conférence, que l’article 4 est relatif au Limbourg. L’article 6 porte que, moyennant les arrangements territoriaux stipulés, chacune des deux parties renonce à toute prétention.
Le traité reconnaissait ainsi que la domination légale, qui avait jusque-là appartenu au roi Guillaume, était transportée au gouvernement belge, qui jusque là n’avait possédé que de fait, et cela était juste, car la possession de fait ne peut se convertir en droit que par l’acquiescement de celui contre lequel ce fait était posé.
Je viens à l’argument posé dans l’article 24, ce qu’en entendait par « territoires, villes, places et lieux qui ont changé de domination. » Que porte l’article 4, disait M. Dumortier. Que des commissaires seraient nommés pour faire la remise « des territoires, villes, places et lieux qui devaient changer de domination », et que c’était là l’explication de ces mots « changement de domination, » qu’ils ne s’appliquaient qu’aux territoires, villes, places et lieux dont les commissaires étaient chargés de se faire réciproquement la remise. Mais ces mots, « territoire, etc., » vous les trouverez partout où il s’agit de qualifier la Belgique elle-même. C’est un argument sans réplique, s’il est établi que par ces mots : territoires, villes, places et lieux, on a entendu la Belgique entière.
Voyons, à cet égard, les premiers articles du traité. Quelle est la teneur de l’article premier ? c’est la constitution de la Belgique. Voyez l’article 6, le roi Guillaume renonce aux territoires, villes, places et lieux qui constituent la Belgique ; ce sont les mêmes mots qu’à l’article 24. Et il me paraît évident qu’à l’article 24, ces mêmes mots signifient encore la Belgique entière.
Au reste, voyez dans les protocoles qui ont servi de base au traité du 15 novembre. Qu’a-t-on demandé aux plénipotentiaires belges et hollandais, le 27 décembre 1831 ? De s’expliquer sur les points à insérer encore au traité.
Le ministre plénipotentiaire de la Belgique, rappelant l’article 16 du traité des 18 articles, s’exprimait ainsi :
« Aucun habitant des villes, places et territoires évacués réciproquement, ne sera ni recherché ni inquiété pour sa conduite politique passée. »
A cet article se trouvait accolée la disposition, que dans tous les pays évacués, les habitants conserveront pendant deux ans le droit de disposer de leurs propriétés, et par le tarif on entend les habitants de la Belgique entière, aussi bien que des autres parties du Limbourg et du Luxembourg.
Le plénipotentiaire belge a ajouté :
« A la rigueur, aucun habitant ne contient d’autre clause précise et positive que l’engagement de n’intenter aucun procès ni criminel, ni correctionnel sous prétexte de crimes, dont depuis la révolution de septembre 1830, des habitants du territoire cédé auraient pu se rendre coupables aux yeux du gouvernement mis en possession définitive, de la ville ou commune qu’ils habitent. »
« Mis en possession définitive », ces mots indiquent que le véritable droit des parties contractantes résulte du traité, attendu que la Hollande contestait en droit ce que la Belgique possédait en fait, et la Belgique, qui possédait en fait, contestait à la Hollande le droit. Tout a été réglé par la possession définitive. C’est à partir de ce moment, que droit et fait, tout a été confondu.
Et la Hollande, par laquelle nous ne pouvons pas nous laisser vaincre en générosité, que proposait-elle de dire dans l’acte qu’elle soumettrait à la conférence :
« Personne ne pourra être recherché ni inquiété en aucune manière pour cause quelconque de participation directe aux événements politiques. »
C’est là ce que proposait la Hollande ; aucun pays, personne d’exclu.
C’est là ce que la conférence a cru préciser davantage en disant :
« Personne, dans les pays qui changent de domination, ne pourra être recherché. »
Et supposons qu’il y ait doute dans l’interprétation du traité.
Quand j’ai vu, dès le premier jour, le ministère, comme en cour d’assises, traduit à la barre de la chambre et se défendant maladroitement, comme le font tous les accusés, j’ai vu de suite qu’il s’égarait dans une fausse route. Oui, je le dis au ministère, avec M. Trentesaux, votre position était simple, grande, belle encore, vous l’avez rapetissée en ne faisant de l’affaire de Vandersmissen qu’un acte de justice, une obligation, vous l’avez compromise par une fatale confiance dans votre intelligence, dans votre pouvoir, vous vous êtes crus infaillibles, et combien n’en est-il pas qui vous condamnent ; vous avez cru à l’omnipotence ministérielle, et je vous au vu bien près d’être à terre. Que ne déclariez-vous que de hautes raisons politiques avaient nécessité l’application de l’amnistie à Vandersmissen, que, généreuse dans l’interprétation du traité, la Belgique, dans le doute, l’en couvrait, que vous saviez que, livrés à l’esprit réactionnaire dans le Luxembourg, les malheureux habitants que vous aviez dû abandonner attendaient de vous que vous fissiez tout pour leur assurer une large application de l’amnistie, que des Belges encore condamnés par contumace dans la ville de Luxembourg, ne comptaient que sur votre coopération pour les faire jouir de l’amnistie ; que, dans le Luxembourg, le pouvoir était aux aguets pour voir si vous interpréteriez le traité avec rigueur ; que ne disiez-vous que vous aviez faire taire des répugnances, la loi peut-être, pour donner au gouvernement néerlandais une grande preuve de modération, d’extrême loyauté, l’engager à être juste, plus que juste peut-être, généreux, magnanime dans l’interprétation du traité, le convier enfin à vous imiter, à rendre au repos et à l’aisance les amis de la révolution belge qu’il a poursuivis et ruinés, à sauver des éventualités d’un jugement définitif des Belges condamnés, et même à mort, dans le Luxembourg : voilà le sentiment généreux qui nous a guidés, voilà celui qu’il fallait hautement avouer, et la chambre vous eût compris ; oui, il fallait lui dire comme ce noble lord anglais accusé, devant le parlement, d’avoir recueilli, caché le prétendant fugitif : « Si le fils de votre roi, disait-il, était venu vous demander asile, qui de vous eût été assez lâche pour le lui refuser ? Qui de vous n’eût fait comme moi ? » Le parlement se leva, il était absous : voilà le langage qu’il fallait tenir ; il fallait à l’instant et sans hésitation nous dire : « Qui de vous, par une mesquine interprétation du traité, veut exposer dans les pays cédés les malheureux habitants à des réactions politiques ? nous les avons abandonnés, et ne faut-il pas, par notre exemple, forcer le roi Guillaume à être généreux ? faisons tout pour diminuer le malheur d’une position que nous leur avons faite ; nous avons pu nous tromper mais écoutez notre justification. » Oui, voilà le langage qu’il fallait tenir devant nous, et vous n’eussiez pas, je le crois, attendu longtemps votre bill d’absolution.
M. le ministre des finances (M. Desmaisières) – Messieurs, personne plus que moi n’éprouve de sentiment de répulsion pour les traîtres, personne plus que moi n’a eu en horreur les faits de trahison qui sont imputés au général Vandersmissen, et, je le déclare ici hautement et franchement, si je n’avais pas constamment trouvé mes honorables collègues du ministère animés du même sentiment, je n’aurais pas hésité un seul instant à m’en séparer.
Je voudrais, messieurs, que tous vous eussiez pu assister aux séances du conseil où la question du général Vandersmissen vint à devoir être agitée ; je voudrais que vous eussiez pu, témoins invisibles, assister à nos débats ; que dis-je ? à nos débats ! Il n’y en a pas eu ; il n’y en a jamais eu ; constamment cette question nous a trouvés tous animés des mêmes sentiments de répulsion d’abord, des regrets ensuite, et il y aura toujours réprobation pour les actes qui sont imputés au général Vandersmissen.
Mais, ministres du Roi, nous avons dû comprendre, nous avons compris, comme vous le comprendrez aussi, messieurs, je n’en doute pas, et j’en ai pour garantie ce même patriotisme qui vous fait ici si chaleureusement exprimer votre opinion, nous avons compris, dis-je, que nous avions autre chose à faire que de nous laisser aller à des sentiments que nous éprouvions comme vous et nous moins vivement que vous.
Nous avons compris qu’avant de prendre une résolution, nous en avions bien peser les conséquences, et pour les 300,000 Belges de la révolution dont une loi bien cruelle, celle de la nécessité la plus absolue, nous avait forcés à nous séparer, et pour la Belgique que nous avons faite elle-même.
C’est ce devoir que nous avons voulu remplir, et les nombreux faits cités par les honorables collègues et auxquels on n’a pas répondu, parce qu’il n’y a rien à répondre à des faits, sont là pour démontrer que nous avons bien compris quelles pouvaient être ces conséquences.
Si le ministère eût agi autrement qu’il ne l’a fait, les reproches en sens inverse ne lui auraient pas manqué ; ils auraient été plus vifs encore peut-être, et il faut le dire, ils auraient été fondés. Voici, messieurs, ce que l’on nous aurait dit : L’amnistie décrétée par l’article 20 du traité doit, comme toutes les amnisties politiques, être interprétée dans le sens le plus général. Nous avions, vis-à-vis des 300,000 anciens frères qui ont fait la révolution avec nous, en consentant à leur retour à la Hollande, contracté l’obligation la plus sacrée d’interpréter dans le sens le plus large cette amnistie posée par l’article 20 du traité. Nous devions désirer que, sous aucun prétexte, aucune réaction ne fût possible ; nous avions le plus grand intérêt à ce que les mots « qui changent de domination » s’entendissent aussi bien de la domination de droit que de celle de fait.
Tout vous commandait de prendre une position telle que le gouvernement ne pût résister, en aucune manière, aux représentations que vous lui feriez sur les actes de réaction politique que, sous prétexte de telle ou telle interprétation donné à l’article 20 du traité, il aurait pu vouloir commettre ; vous n’aviez devant vous que le seul acte de trahison imputé au général Vandersmissen qui vous présentait l’occasion de prendre cette position, et alors que vous pouviez d’autant mieux saisir cette occasion, de la prendre cette position si désirable dans l’intérêt de tous, et alors que vous pouviez d’autant mieux saisir cette occasion que, par sa mise en non activité, vous écartiez le général Vandersmissen de tout contact avec l’armée, vous avez préféré sacrifier lâchement les intérêts qui, après l’acceptation du traité par nous, doivent nous être les plus chers : ceux de l’inviolabilité de 300 mille anciens frères.
Voilà, messieurs, ce que l’on n’aurait pas manqué de nous dire. Je vous le demande maintenant, le gouvernement pouvait-il agir autrement qu’il ne l’a fait ? Non, certainement ; aussi votre section centrale l’a très bien compris ; c’est son rapport à la main que je vais démontrer qu’il en est ainsi ; et qu’on ne vienne pas dire que ce rapport n’est pas l’expression fidèle des délibérations de la section centrale. J’ai trop de foi dans le caractère élevé et tout de loyauté de son honorable auteur pour pouvoir admettre une telle supposition.
Je lis à la page 2 de ce rapport qui explique par les votes partiels comment il faut entendre le vote sur la question des regrets émis par la majorité :
« Deux questions se présentent :
« 1° Le sieur Vandersmissen pouvait-il profiter de l’amnistie accordé par l’article 20 du traité du 19 avril 1839 ?
« 2° En supposant l’affirmative, devait-il être rétabli dans son grade ?
« Sur la première question, un membre a soutenu que la Belgique n’ayant changé de domination que par l’effet du traité, tout Belge avait droit à la faveur de cet article. Quatre membres prétendaient au contraire que la Belgique avait changé de domination, d’abord par l’expulsion des troupes du roi Guillaume, ensuite par les décrets qui proclament l’indépendance nationale et l’exclusion des Nassau, et enfin par l’avènement du Roi ; que l’article 20 ne pouvait s’appliquer qu’aux Belges qui, par l’effet du traité repassaient sous le joug du gouvernement des Pays-Bas, et aux habitants des territoires jusqu’alors détenus par ce gouvernement, qui revenaient à la Belgique. Qu’entendre la disposition dans le sens du premier membre, ce serait enlever le bénéfice de l’amnistie aux parties cédées du Limbourg et du Luxembourg, puisque, son cette opinion, elles n’auraient pas changé de domination.
« Le sieur Vandersmissen était sujet belge et fonctionnaire de la Belgique, lors des faits pour lesquels il avait été condamné ; ces faits étaient étrangers à ceux dont le traité sanctionnait les résultats ; il ne devait pas plus profiter de cette disposition qu’un fonctionnaire néerlandais ne le pourrait pour échapper aux conséquence d’un acte de trahison qu’il aurait commis, à la même époque, contre son gouvernement.
« En conséquence, deux membres regardaient l’amnistie comme excédant les pouvoirs accordés au Roi par l’article 73 de la constitution : ils étaient d’avis qu’il y avait là violation flagrante de cette disposition, et ils estimaient qu’il était urgent de réprimer un pareil acte. Deux membres excusait un acte de clémence, irrégulier, il est vrai, mais que des considérations politiques et un sentiment de générosité pouvaient avoir dicté ; deux membres se sont abstenus. »
Vous le voyez, messieurs, à l’exception de deux membres qui ont regardé l’amnistie comme excédant le pouvoir accordé au Roi par l’article 73 de la constitution, qui on été d’avis qu’il y avait là violation flagrante de cette disposition, et qui estimaient qu’il était urgent de réprimer un pareil acte, la section centrale a eu des regrets, mais n’a pas pensé qu’il y avait violation flagrante de la constitution, et qu’il fallait réprimer un pareil acte. »
Aussi voit-on à la page 18 du rapport, là où il est question du chapitre VI (traitement de non-activité) qu’aucun chiffre n’a été rejeté, que la section centrale, sans que le rapport fasse la moindre mention d’opposition de la part des deux membres eux-mêmes de la minorité, qui voulaient réprimer l’acte d’amnistie appliqué au général Vandersmissen, loin de rejeter le traitement de celui-ci, propose une majoration de 1,200,000 francs pour le cas où les réductions qu’elle proposait à d’autres articles du budget viendraient à être adoptées par la chambre ; voici le passage du rapport :
« Chapitre VI – Traitements divers
« Art. premier – Traitements temporaires de non-activité : fr. 258,025 64.
« Si la chambre croyait pouvoir adopter les réductions sur le nombre d’officiers qui ont été proposées aux articles 3, 4 et 5 de la première section, et 1 et 2 de la deuxième section du chapitre premier, elle aurait à statuer sur la position à donner à ces officiers, et c’est à cette fin que la section centrale propose ici une majoration de 1,200,000 francs.
« Les trois autres articles n’ont donné lieu à aucune observation, et la section centrale en propose l’adoption. »
Eh bien, messieurs, ce que la section centrale n’a pas fait, on vient vous proposer de le faire, on vient vous proposer de décider tout d’abord que vous rejetterez le crédit nécessaire au payement du traitement de non-activité du général Vandersmissen ; on vient vous proposer de décider tout d’abord la question dans le sens du blâme, dans le sens des deux membres de la minorité de la section centrale, qui auraient voulu la répression de l'acte par lequel l’amnistie de l’article 20 du traité a été appliquée au général Vandersmissen.
Dans la préoccupation du but que l’on veut atteindre par cette décision que l’on provoque de votre part, on ne voit pas combien serait environnée de dangers de toute espèce, et pour la nation, et pour les habitants des territoires cédés, et pour la chambre elle-même, la situation politique que l’on aurait amenée.
C’est à vous, messieurs, à voir si, comme la section centrale, vous voulez éviter de mettre le pays dans une situation aussi fâcheuse. C’est à vous à voir si, lorsqu’à peine notre nationalité vient d’être sanctionnée par un traité qui nous a imposé des conditions dures, bien dures sans doute, vous voulez vous exposer à rendre ces conditions plus dures encore envers ceux de nos frères des territoires cédés qui ont pris une part active à notre révolution, et n’en doutez pas, messieurs, c’est là ce qui arriverait infailliblement si, par nos propres fautes, nous allions faire naître des circonstance que d’autres que nous pourraient regarder, peut-être comme heureuses.
(Moniteur du 16 mars 1840) M. Devaux – Messieurs, si l’on s’était borné à une amnistie ordinaire, on n’aurait peut-être pas usé d’un droit bien incontestable ; mais peu de voix dans le pays se seraient élevées contre cette mesure ; aucune bien certainement n’aurait réclamé dans cette enceinte. Tous ici, nous comprenons la clémence, tous nous la désirions.
Mais on ne s’est pas borné à la clémence ; on ne s’est pas borné à ne pas poursuivre, à oublier les coupables ; on a rendu un grade à l’amnistié, on l’a remis en honneur, on l’a placé dans une position élevée, à côté et au-dessus de ceux qui avaient résisté peut-être à des sollicitations criminelles, à côté et au-dessus de ceux qui avaient défendu l’honneur du drapeau belge contre lui, à côté et au-dessus de ceux qui avaient découvert et déjoué ses efforts. C’est sous notre drapeau qu’on lui accorde une position qu’il n’a pas obtenue sous le drapeau pour lequel il avait quitté le nôtre. Car le roi Guillaume a assez respecté son armée pour ne pas l’y recevoir.
De pauvres soldats qui, à la même époque, ont abandonné leur corps pour aller soutenir un père infirme, pour revoir une mère mourante, gémissent peut-être encore sous les verrous à l’heure qu’il est ; et celui qui était là pour donner l’exemple et non pour le recevoir, celui qui devait marcher à la tête de tous, celui qui n’était pas, comme de malheureux soldats, entré forcément dans l’armée, mais de son plein gré, celui qui répondait d’une place de guerre, la première devant l’ennemi, celui-là, lorsqu’après avoir trahi tous ces devoirs, après avoir épousé la cause de l’ennemi, après avoir passé à l’ennemi, il rentre en Belgique, ce n’est pas le châtiment qui l’attend, ce n’est pas même l’indulgence ou l’oubli, ce sont des honneurs et un traitement.
Faut-il soumettre un pareil fait aux subtilités d’une discussion de légiste ? Faut-il entrer dans une discussion de droit ? J’oserais presque dire qu’il n’y a point ici de question de droit, ou, s’il y en a une, les lumières d’un profond jurisconsulte ne sont pas nécessaires à sa solution : un enfant peut la résoudre.
L’article 20 du traité établit une amnistie pour les territoires cédés, et pas ailleurs. Cela est clair comme le jour ; clair dans la lettre du traité, clair dans son esprit. Dans la lettre, car l’article 24 dit que les pays qui changent de domination sont les territoires cédés du Limbourg et du Luxembourg ; clair dans l’esprit de la loi ; car admettez l’interprétation contraire, et il s’en suivra qu’il y a amnistie en Belgique, dans les pays cédés, mais non en Hollande ; car la Hollande bien certainement n’a pas changé de domination. Ainsi le traité cesserait d’être réciproque. Et, si lors de son acceptation, un procès politique à raison de tentatives révolutionnaires, d’adhésion à la révolution belge, avait été pendant dans le Brabant septentrional, les poursuites auraient continué leurs cours après le traité, la sentence aurait été prononcée, les coupables punis. Mais si en Belgique, à la même époque, un complot orangiste avait été déféré aux tribunaux, les poursuites devaient cesser à l’instant, le procès était supprimé, les accusés recouvraient de plein droit leur liberté. Messieurs, un traité ne consacre pas de choses semblables. Il ne permet pas la vengeance à l’une des parties par la même disposition qui impose l’oubli à l’autre.
Le traité n’établit pas d’amnistie pour la Belgique parce que personne ne l’a jamais demandée, parce qu’une amnistie chez nous est inutile, attendu que depuis dix ans le gouvernement, les lois, les chambres, les tribunaux, les moeurs, tout a conspiré pour l’indulgence. Faut-il rappeler le sort de Grégoire, de la bande armée du Luxembourg, de Vandersmissen lui-même, car à quelles peines a-t-il été condamné ? A quitter la Belgique lorsqu’il l’avait déjà abandonnée, à ne plus faire partie de l’armée lorsqu’il s’en était retiré.
Le traité n’établi pas d’amnistie pour la Belgique, cela me paraît l’évidence même. Mais en veut-on une preuve autrement irrécusable qu’une argutie subtile. C’est le gouvernement lui-même qui la donne, non par ses paroles, mais, ce qui est autrement décisif, par ses actes. Oui, le gouvernement a pensé lui-même que le traité n’établir pas d’amnistie politique pour la Belgique. Il a pensé, non pas il y a cinq ou six ans, mais même depuis la ratification du traité, car depuis la ratification du traité, on a poursuivi en Belgique pour crimes politiques commis antérieurement. Les accusés Barthels et Kats ont été jugés en mai dernier, par la cour d’assises du Brabant pour des faits politiques antérieurs au traité. S’il y avait amnistie, elle existe pour eux comme pour Vandersmissen, il ne peut y avoir en cette matière deux poids et deux balances ; tous devaient être amnistiés, toutes les poursuites devaient être également abolies.
Mais supposons l’article 20 applicable à la Belgique (et désormais le contraire est assurément bien établi), rien ne forçait à rétablir M. Vandersmissen dans son grade.
Eût-il été acquitté même par un jugement du chef de conspiration, il ne devait pas rentrer dans son grade, parce qu’il l’avait perdu, de plus, d’un autre chef encore.
Dans aucun cas, le traité n’emportait la réintégration ; car il n’obligeait qu’à ne pas rechercher, à ne pas poursuivre, mais nullement à rétablir les coupables dans des fonctions publiques.
Si des mesures d’oubli et de clémence avaient de telles conséquences, elles seraient impossibles dans bien des cas et absurdes dans d’autres.
Comment ! quinze jours avant l’acceptation du traité un complot ourdi par des officiers auraient été découvert, ils auraient fait le serment de renverser le gouvernement, de porter atteinte à la vie du Roi, et quinze jours après il aurait fallu, lorsque peut-être ils n’avaient pas encore renoncé à leurs desseins, non seulement leur rendre la liberté, mais les replacer dans l’armée et dans leurs grades, fussent-ils les plus élevés !
Comment ! si un juge, qui lui aussi est inamovible dans sa position, s’était, il y a quelques années, laisser gagner ou corrompre par nos ennemis, si sous cette influence, il avait condamné ou acquitté dans un procès politique, si le fait ayant été prouvé, il avait été condamné et flétri, il faudrait aujourd’hui non pas seulement le rendre libre à la société, mais aller le chercher dans le bagne pour le replacer sur les siège des magistrats du haut duquel il déciderait encore de nos intérêts, de notre vie et de notre honneur.
Ainsi donc, la guerre venant à éclater désormais, les agents de l’étranger seraient en droit de dire à ceux de nos militaires dont ils voudraient ébranler la fidélité, que risquez-vous ? Si nous sommes vainqueurs, la récompense vous attend. Si la Belgique triomphe, la paix suivra, et la paix établira l’amnistie qui efface le passé et vous rend, vous le savez, votre position dans l’armée.
Je voudrais qu’on me montrât, dans les annales d’un peuple civilisé, un traité de paix par suite duquel deux gouvernements, qui se sont fait la guerre, conviennent qu’ils rétabliront dans leurs grades et honneurs militaires ceux qui ont passé à l’ennemi.
Ce serait une véritable monstruosité ; jamais les conventions internationales n’ont pu sanctionner rien de pareil.
Messieurs, la conférence de Londres a souvent été fort maltraitée dans cette enceinte ; mais jamais on ne lui avait fait une injustice semblable. Car enfin, nous pouvons être en dissentiment avec elle sur bien des points, sur des principes de liberté, d’émancipation nationale ; mais, sur l’honneur militaire,les puissances absolues sont d’accord avec les autres, elles en connaissent et en respectent les lois comme nous. Il me serait impossible de croire que les représentants des cinq grandes puissances militaires de l’Europe aient voulu stipuler des honneurs pour la désertion.
Nous devions, dit-on, encourager le gouvernement hollandais à l’humanité. Messieurs, si jamais il s’est trouvé à l’égard du gouvernement hollandais un homme dans la position où se trouve M. Vandersmissen à l’égard du gouvernement belge, ce que nous devons désirer comme nation civilisée, c’est que le gouvernement hollandais ne nous imite pas.
Le meilleur moyen d’encourager le gouvernement hollandais à ne pas user de réactions, n’était-ce pas de donner au traité des conséquences raisonnables, n’était-ce pas se borner à ne pas punir, à ne pas inquiéter d’anciens coupables et à ne pas les mettre en évidence ? Il n’était pas de plus mauvais moyen de détourner des réactions que de rendre la clémence même odieuse.
J’ai écouté avec grande attention ce qu’on dit MM. les ministres. Je voulais trouver une véritable raison pour justifier la position qu’on a donné à M. Vandersmissen ; j’en voulais surtout une pour l’armée, une qui pût adouci ou diminuer l’effet moral que la mesure a dû produire dans ses rangs, je n’en ai pas trouvé une seule. Au lieu de diminuer le mal, M. le ministre de la guerre me paraît l’avoir plutôt aigri, en nous dépeignant le général amnistié réduit en quelque sorte à cacher son uniforme, à se cacher lui-même, et les officiers s’étudiant à éviter sa rencontre pour ne pas saluer les insignes de celui à qui ils ne peuvent accorder leur considération.
M. le ministre de la guerre nous a beaucoup parlé de la discipline de l’armée : la discipline, dit-il c’est l’abnégation, le sentiment exalté du devoir, mais à quel foyer allumerez-vous cet enthousiasme du devoir, si on flétrit ce qui en est le principe ? Vous voulez une armée forte, une organisation respectable, et peut-être viendrait-je dans quelques jours appuyer vos efforts dans ce sens ; mais qu’est-ce que le nombre, qu’est-ce que l’organisation, quand le moral manque ? Ne voyez-vous pas que par de pareils actes, on fait plus que diminuer de dix milles hommes l’effectif de l’armée ? (S’adressant à M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères, qui sourit : ) Ne riez pas, M. le ministre, comptez le moral de l’armée pour quelque chose, pour beaucoup. Quand on parle de l’importance des dispositions morales de l’armée, ce ne sont pas des sourires qui doivent accueillir nos paroles.
MM. Dolez, de Brouckere et d’autres – Très bien ! très bien !
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – C’est l’exagération qui me fait sourire.
M. Devaux – Je ne crois pas me laisser emporter par l’exagération dans ce débat, je fais effort au contraire pour me maintenir dans les bornes de la modération.
Si le gouvernement a d’autres motifs que ceux qu’il avoue, je suis bien disposé à croire que ces motifs sont graves, et surtout, je n’en ai pas de doute, ils sont honorables. Mais il y a des actes devant lesquels il faut s’arrêter. Il y a pour le gouvernement comme pour les particuliers une ligne que des considérations de moralité publique doivent empêcher de franchir.
Avant de prendre cette mesure, il fallait avoir épuisé tous les moyens d’y échapper. S’il n’en restait pas d’autre, il fallait y être condamné par les tribunaux. Condamné même, il fallait se réfugier dans cette enceinte et demander à la législature de couvrir de son égide l’honneur de l’armée.
Messieurs, l’armée a moralement beaucoup souffert depuis quelque temps. Je suis de ceux qui, tout en sympathisant avec elles, ont contribué à ces souffrances par leur vote en faveur de la paix. Ce vote je l’ai cru commandé par la nécessité et les plus hauts intérêts du pays. Aujourd’hui de nouvelles souffrances lui sont imposées, mais cette fois inutilement et sans nécessité. Dans un cas comme dans l’autre, l’armée a fait son devoir. Elle a souffert en silence, elle n’a pas fait un vain bruit de ses plaintes. C’est précisément ce qui me touche, c’est parce qu’elle n’a pas enfreint la discipline, c’est parce qu’elle a fait son devoir, que nous sommes d’autant plus rigoureusement tenus de faire le nôtre envers elle.
M. le ministre de l'intérieur a rappelé dans cette discussion qu des gouvernements avaient quelques récompensé ceux mêmes qui les avaient trahis. Messieurs, il y a des gouvernements qui ont commis bien d’autres immoralités ; je ne demanderai pas ce qu’ils sont devenus, mais je dirai que si, sous ces gouvernements, j’avais fait partie d’une assemblée législative et qu’on fût venu me demander de concourir par mon vote à de tels actes, je m’y serais refusé.
Nous nous trouvons ici, non pas devant une question politique, mais devant une question de morale publique. Ces questions-là, je ne connais qu’une manière de les résoudre. A ceux qui voudraient me les faire trancher dans un autre sens, je n’ai qu’un mot à répondre : Cela m’est impossible.
Entre un oui et un non, il y a ici la morale sociale tout entière. Si j’émettais un vote favorable à la réintégration, il me semble que ce vote me tourmenterait comme une mauvaise action. Dans l’intérêt du pays, ni à l’étranger je n’oserais l’avouer en présence d’hommes de cœur. Père de famille, je redouterais presque que mes enfants ne vinssent à le connaître un jour. Et si, dans l’avenir, un invasion ennemie menaçant la Belgique, un général coupable venait (ce qu’à Dieu ne plaise) à livrer notre indépendance à l’étranger, je ne me croirais pas bien sûr de n’avoir pas ma part de responsabilité de ce crime ; je me dirais que, par mon vote, j’ai peut-être contribué à ébranler la moralité militaire, à répandre dans les rangs de l’armée le scepticisme en matière d’honneur et de fidélité, à la familiariser avec les idées de déshonneur. Rien, messieurs, ne m’arrachera un pareil vote, il m’est impossible.
L’honorable M. de Mérode vient de faire un appel à ceux qui veulent la force et la stabilité du pouvoir. Depuis dix ans, j’ai concouru ici, autant que je l’ai pu, à affermir cette force et cette stabilité. Mais par respect pour mes antécédents même, et pour l’appui que je pourrai prêter encore au pouvoir dans l’avenir, je ne puis m’associer à mon honorable collège, lorsqu’après avoir déclaré ici, avant-hier, que « le gouvernement a porté la plus grande atteinte au principe qui sert de fondement à l’existence de toute armée » ; il vient, aujourd’hui qu’il peut empêcher encore cette atteinte de produire une partie de ses effets, la sanctionner par son vote, et nous dire en quelque sorte : « périsse le principe qui sert de fondement à l’existence de l’armée, dans l’intérêt de la force et de la stabilité du pouvoir. » Servir ainsi le pouvoir, c’est l’ébranler dans ses fondements. Car, qu’est-ce que le pouvoir sans la considération publique, sans la considération de ceux sur qui il s’appuie. Que devient la force réelle du pouvoir si nous, hommes gouvernementaux, qui lui prêtons notre appui, nous érigeons en doctrine que nous lui pardonnons tout, que nous le soutenons à tout prix, qu’il n’y a aucune condition à notre concours, que nous avons un parti pris sur toutes les fautes possibles. Je dis qu’un pareil principe sape le pouvoir dans sa base, car il lui ôte ce qui, dans le gouvernement représentatif, lui est le plus précieux, le plus indispensable : la valeur morale de l’appui de la majorité des chambres.
(Moniteur belge du 15 mars 1840) M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – J’ai exprimé clairement, hier, mon opinion sur la trahison, que j’ai considérée comme odieuse, quel que soit le souverain au préjudice duquel elle a lieu, personne n’a le droit de me prêter une opinion contraire ; c’est ce que l’on pourrait croire d’après une observation du préopinant. Il nous a dit qu’il parlait avec modération, et cependant il nous a assuré que retrancher dix mille hommes à l’arme, ce serait moins l’affaiblir que d’avoir placé le général Vandersmissen dans une position d’inactivité ; c’est une telle absurdité que j’ai trouvée ridicule.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Dans d’autres circonstances plus douloureuses, la question de sentiment était aussi en lutte avec la question politique ; l’honorable préopinant s’est laissé, comme nous, dominer par la question politique, il n’a pas dit alors, en se renfermant dans la question de sentiment, que le vote que l’on demandait au nom de la raison politique était impossible. Ce n’est pas par la question de sentiment que nous nous sommes laissés guider lui et moi ; nous avons cédé à des considérations supérieures, à des considérations politiques ; nous avons regardé comme secondaires les inconvénients qu’offrait la mesure rattachée à la question de sentiment.
Dans ce débat il y a une grande question politique ; cette question s’est fait jour à travers la discussion ; elle doit dominer vos esprits. Cette question la voici :
Fait-il que l’amnistie soit limitée ou générale : faut-il nous borner à une amnistie restreinte et donner au gouvernement néerlandais le droit d’y mettre aussi des restrictions ; ou bien, faut-il, en proclamant une amnistie générale nous procurer le droit de demander au gouvernement néerlandais et grand-ducal une amnistie toute aussi étendue ?
Voilà, messieurs, la question politique qui s’offre à vous comme hommes d’Etat, et devant laquelle disparaissent et le général Vandersmissen, et les inconvénients qui se rattachent à sa réintégration, inconvénients que le ministère n’a pas méconnu et qui lui ont dicté les regrets dont il vous a fait part, dès le début de cette discussion.
Depuis 1831, je dois le dire, j’ai vécu sous la présomption que l’amnistie était générale ; dans les relations nombreuses que j’ai eues avec des personnes compromises pour faits politiques, qu’elles appartinssent soit à la Belgique proprement dite, soit aux provinces destinées à être morcelées, je leur ai toujours présenté l’amnistie comme générale ; je l’ai crue générale.
On vous a déjà dit, messieurs, qu’il y aurait danger à restreindre l’amnistie, que d’autres personnes que celles qui se trouvent dans les parties cédées du Limbourg et du Luxembourg peuvent avoir besoin de l’amnistie. En effet, messieurs, il y a des personnes condamnées par contumace par la cour d’assises de Luxembourg qui n’appartiennent pas aux parties cédées. Ces personnes, je puis en faire connaître quelques-unes : M. Demoor, natif de Bruxelles, qui se trouvait dans le grand-duché en 1830, comme ingénieur en chef du Waterstaat, a été condamné par contumace par la cour d’assises de Luxembourg. M. Demoor ne se trouve pas dans les parties cédées, il n’y appartient ni pas son domicile ni par sa naissance. M. Heuschling était à la même époque, inspecteur vérificateur du cadastre dans le Luxembourg. M. Ereldding était inspecteur forestier dans le Luxembourg. M. Mathieu, aujourd’hui major dans notre armée, y était receveur des contributions.
Ces cinq personnes ont été condamnées par contumace, par la cour d’assises de Luxembourg à 5 années de travaux forcés. Le procureur du Roi à Neufchâteau, M. Ruth, a été condamné à la peine de mort ; M. Ruth était alors substitut à Arlon, où il remplissait les fonctions de procureur du Roi.
Il s’agissait donc pour nous, pour mes collègues et pour moi, non pas du général Vandersmissen, mais il s’agissait d’obtenir l’application la plus large de l’amnistie, il s’agissait d’obtenir que l’application de l'amnistie pût être invoquée par des personnes étrangères, et par leur résidence et par leur naissance, au Luxembourg allemand et au Limbourg hollandais.
Ces condamnations, messieurs, furent prononcées en 1833 ; on appela sur elles l’attention du gouvernement qui promit que la position de ces personnes ferait l’objet de sa sollicitude. En juillet 1833, lorsque les négociations furent reprises à Londres, aucun changement ne fut demandé dans la clause qui forme l’article 20 du traité. Il faut en conclure que les personnes dont il s’agit tombaient sous l’application de cette clause, sinon le ministère d’alors aurait manqué aux engagements qu’il avait pris en faveur de ces personnes. On trouva seulement qu’il y avait dans la rédaction primitive du traité du 15 novembre 1831 une lacune relativement au maintien des actes civils et judiciaires. Cette lacune on la fait remplir. Je veux parler de l’article nouveau, en vertu duquel les actes rendus dans le Limbourg et le Luxembourg pendant l’occupation belge, continueront à être obligatoires après l’évacuation.
Nous avons toujours été dominés, messieurs, par l’idée que l’amnistie était générale, sinon, lorsqu’il y a un an nous avons demandé des explications à la conférence de Londres sur différentes clauses du traité nous eussions également demandé des explications sur l’article 20, notamment en ce qui concerne les personnes dont j’ai parlé tout à l’heure, et dont quelques-unes se sont adressées individuellement à moi pendant mon séjour à Londres. J’ai reçu, entre autres, une lettre de M. l’inspecteur Demoor, qui me demandait si j’étais bien assuré que l’article 20 lui fût applicable.
« Les mots, pays qui changent de domination, ne peuvent laisser de doute, dit-on ; ils ne s’appliquent qu’à la partie du Limbourg qui est devenue hollandaise et à la partie du Luxembourg qui est devenue définitivement allemande » ; ainsi, MM. le traité ne stipulerait le changement de domination qu’à nos dépens ; il n’y aurait pas de changement de domination au profit de la Belgique ? Comment ! j’ai besoin de démonter à l’honorable M. Dolez, rapporteur du projet de loi concernant le traité, j’ai besoin de démontrer à l’honorable préopinant qui, dans la discussion mémorable du traité nous a indiqué, avec une raison si élevée, toute la portée de cet acte, j’ai besoin de leur dire que le traité du 19 avril ne stipule pas seulement un changement de domination de fait à nos dépens, mais qu’il stipule aussi aux yeux de l’Europe, de la Hollande et de sa dynastie, un changement de domination, en droit, à notre profit !
Mais, objecte-t-on, avant le traité, notre existence n’était donc qu’une existence provisoire, qu’une existence de fait ? Oui, messieurs, ce n’était qu’une existence provisoire, une existence de fait, vis-à-vis des puissances qui ne nous avaient pas reconnus, vis-à-vis des puissances qui n’avaient pas dérogé à l’acte général du congrès de Vienne, vis-à-vis de la dynastie hollandaise, en faveur de laquelle le royaume des Pays-Bas avait été érigé. Personne n’a démontré avec plus de force que l’honorable préopinant quelle était, sous ce rapport, la valeur du traité. Jetant les regards sur l’avenir et comparant la situation que nous obtenions par le traité à celle que nous aurions sans le traité, dans la supposition d’un remaniement de l’Europe, voici ce que cet honorable membre nous disait :
« Et lorsque ce jour arrivera, lorsque les armes ou la diplomatie s’apprêteront au remaniement de l’Europe, ne croyez pas qu’entre une Belgique constituée, reconnue et considérée par tous et une Belgique non délimitée, provisoire dans un état de quasi-révolution, la différence fût nulle. »
Il y avait donc, de l’aveu de l’honorable préopinant, avant le traité, une Belgique provisoire, une Belgique non constituée, une Belgique qui se trouvait dans un état de quasi-révolution ; il s’est donc opéré par le traité dans cette Belgique provisoire, dans cette Belgique en état de quasi-révolution, il s’y est opéré en droit un changement de domination qui n’existe encore qu’en fait.
Lisez, messieurs, les actes de la conférence de Londres, à chaque pas vous y trouverez cette déclaration que, par le traité à intervenir entre la Belgique et la Hollande, entre la Belgique et la Confédération germanique, entre la Belgique et les cinq puissances, il s’agit de régler les conditions du changement de domination survenu en Belgique, de sanctionner définitivement ce changement de domination. Je pourrais, par exemple, donner lecture du mémoire justificatif de la conférence, du 4 janvier 1831, où elle explique toute la marche suivie relativement à la Belgique, où elle annonce avoir accepté la tâche de régler le changement de souveraineté survenu en Belgique.
Il s’agissait donc dans cet acte non pas seulement d’un changement de domination à imposer à la Belgique, à ses dépens, dans les deux parties de provinces ; il s’agissait (et c’était même l’idée dominante) de sanctionner en droit le changement de domination survenu en Belgique aux dépens de la Hollande et de la dynastie hollandaise.
C’est là, messieurs, le véritable sens du traité ; en présence de ces considérations politiques, le sens des expressions : « pays qui changent de domination », est bien autrement large, bien autrement étendu qu’il ne l’est aujourd’hui dans la manière de voir de l’honorable préopinant.
Nous songions donc, messieurs, moins au général Vandersmissen, lorsque la question de l’application de l'amnistie s’est offerte à nous, par suite de son retour en Belgique, nous songions moins à lui qu’au sort des populations que nous avons été forcés d’abandonner, qu’au sort des populations des parties du Limbourg et du Luxembourg qui nous restent, qu’au sort de tous ceux en Belgique qui peuvent se trouver compromis par suite de participation aux événements de 1830.
« Mais, dit l’honorable préopinant, la mesure qui a été prise est plus qu’une amnistie. » Non, messieurs, la mesure qui a été prise n’est qu’une amnistie, rien qu’une amnistie, mais l’application de l’article 20 du traité nous a forcement amenés à faire l’application d’un article de la constitution belge. Ce n’est pas directement en vertu de l’amnistie que le général Vandersmissen s’est trouvé réintégré dans son grade, c’est indirectement par l’effet d’une loi intérieure, de notre loi constitutive, de l’article 124 de la constitution.
« L’amnistie n’enlève que la peine, dit l’honorable M. Verhaegen. »
Non, messieurs, l’amnistie enlève plus que la peine, l’amnistie est plus qu’une grâce, l’amnistie est même plus qu’un arrêt d’acquittement ; l’amnistie est une fiction de droit public, d’après laquelle les faits eux-mêmes sont censés n’avoir jamais existé aux yeux de la loi. Tel est messieurs, le sens de l’amnistie, telle est la définition donnée de l’amnistie par tous ceux qui se sont occupés de cette matière..
L’honorable membre dit que l’amnistie n’est pas applicable au général Vandersmissen, mais qu’en admettant même qu’elle lui soit applicable, il nie que l’amnistie doit avoir pour effet de le réintégrer dans son grade. Nous avons démontré que l’amnistie est applicable au général Vandersmissen, lorsqu’on y donne l’acception que des hommes politiques doivent y donner. Nous rechercherons donc en peu de mots comment il se trouve que l’amnistie réintègre indirectement le général Vandersmissen dans son grade. C’est, messieurs, en vertu de l’article 124 de la constitution, dont l’honorable membre n’a tenu aucun compte, qu’il n’a pas même cité. Il a parlé comme si cet article n’existait pas. Certes, si l’article 124 de la constitution n’existait pas, évidemment l’amnistie n’aurait pas pour effet de réintégrer le général Vandersmissen dans son grade ; Je suis réellement étonné de devoir insister sur ce point qui a été expliqué par plusieurs honorables membres. Si le général Vandersmissen n’avait pas été militaire, si par exemple il avait été un employé amovible, personne n’aurait songé à le réintégrer dans sa position. La réintégration du général Vandersmissen dans son grade n’est pas l’effet d’un acte du gouvernement, c’est un fait accompli de plein droit, en vertu de l’article 124 de la constitution belge.
« Les militaires ne peuvent être privés de leurs grades, honneurs et pensions que de la manière déterminée par la loi. »
M. Dumortier – Lisez la loi de 1836.
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – On a déjà répondu à cela.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Mais, dit-on, Vandersmissen, même amnistié par le traité, même invoquant l’article 124 de la constitution, se trouvait déchu de son grade, il se trouvait déchu pour deux causes : la désertion et l’omission de serment ; il avait déserté en 1831, il n’avait pas prêté le serment à la même époque.
Messieurs, on a répondu à ces deux objections, on vous a démontré que la désertion n’existe que quand l’absence est volontaire ; on vous a démontré que l’omission de serment n’emporte la déchéance que lorsque l’omission est volontaire.
Eh bien, dans la circonstance donnée, y a-t-il, pour constituer le délit de désertion, le caractère indispensable de la criminalité, la volonté ? Y a-t-il eu, en ce qui concerne les conséquences de l’omission de serment, y a-t-il encore ce caractère essentiel, la volonté ?
Non, messieurs, on vous l’a prouvé à l’évidence : les faits sont connus de vous tous. (Dénégation.) On vous a cité, relativement à la désertion, la jurisprudence militaire, jurisprudence qu’il est impossible de nier.
Aussi ces deux objections doivent être écartées. Vandersmissen s’est présenté, il a demandé l’impunité, en vertu de l’article 20 du traité du 19 avril ; il a demandé de l’argent, car, à mes yeux, ce qu’il voulait surtout, c’est de l’argent ; il a demandé de l’argent, en vertu de l’article 124 de la constitution :
« On l’a replacé, dit-on, sous le drapeau qu’il avait méconnu, on l’a mis en contact avec les officiers de l’armée. »
Messieurs, il a été répondu à toutes ces objections. Le général Vandersmissen, d’après les lois militaires, se trouve dans une position qui doit être considérée comme étant en-dehors des cadres de l’armée.
Il fallait simplement, dit l’honorable préopinant, lui appliquer l’amnistie, et non pas le réintégrer dans son grade ; mais l’application de l'amnistie au général Vandersmissen entraînait de plein droit sa réintégration dans son grade, en vertu de l’article 124 de la constitution. Si vous aviez refusé le bénéfice de cet article au général Vandersmissen, il aurait demandé à être jugé, il n’aurait pas profité de l’amnistie, car il lui fallait non seulement de l’impunité, mais encore de l’argent.
Une voix – Il a désiré être jugé.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Je dis qu’il n’a pas voulu être jugé. Si le désir d’être jugé était si vif chez le général Vandersmissen, pourquoi dont a-t-il tardé pendant 8 ans à se présenter ? Ignorait-il l’existence du traité du 15 novembre ? Ne savait-il pas qu’il y avait dans ce traité un article qui le « menaçait » d’une amnistie ? Pourquoi n’est-il pas rentré avant la signature du traité du 19 avril ?
Messieurs, je ne veux pas rendre la position du général Vandersmissen plus pénible qu’elle ne l’est, sans quoi j’insisterai davantage sur l’attitude étrange qu’il semble vouloir prendre aujourd’hui.
Si j’avais un conseil à donner au général Vandersmissen, je lui aurais dit : Contenez-vous de l’impunité, ne demandez pas de l’argent ; en demandant de l’argent, vous provoquerez des discussions scandaleuses, et ce scandale retombera sur vous. Acceptez l’impunité, elle doit vous suffire ; en, l’acceptant, vous ne faites que céder à un sentiment naturel, puisqu’elle vous rouvre les portes de la patrie que vous avez méconnue ; mais en demandant de l’argent, vous vous exposez à un fâcheux éclat.
Une voix – Mais le général Vandersmissen demande à être jugé.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – On répète que le général Vandersmissen demande à être jugé ; oui, messieurs, il le demande aujourd’hui ; mais s’il tenait tant à être jugé, il ne devait pas accepter son traitement ; au lieu d’aller remercier le ministre de la guerre, il eût dû lui dire : Je ne demande pas de traitement de non-activité, je demande un jugement. Et alors, messieurs, on aurait examine si l’on pouvait, sans poser un précédent défavorable à nous-mêmes, accorder à un condamné, quoique amnistié, la faculté d’être jugé. Mais, je le répète, c’est tardivement que le général Vandersmissen fait cette réclamation.
Dans toute cette discussion, il s’agit uniquement de donner l’application la plus étendue à l’article 20 du traité du 19 avril. Et c’est nous qui avons besoin de donner à cet article l’interprétation la plus absolue, soit en faveur des habitants de parties cédées, soit en faveur de nos propres concitoyens.
Le ministre partage, dans un sens individuel, les regrets que vous approuvez tous. Il vous a dit qu’il n’avait agi qu’en surmontant les répugnances les plus vives. Mais, d’un autre côté, vous serez aussi, nous l’espérons, dominés, comme nous, par les considérations politiques qui justifient la mesure.
Messieurs, tous les gouvernements rencontrent de ces conditions dures ; les gouvernements qui se constituent, surtout, à la suite des révolutions sont forcés de reconnaître, au nom de la légalité, certaines positions. Cela est arrivé au gouvernement de la restauration comme au gouvernement de juillet.
A la chambre des députés de France, on a réclamé en 1831 et 1832 une révision générale des pensions. L’homme illustre, alors président du ministère français, Casimir-Périer, a demandé à la chambre, au nom de la légalité, qu’elle ne fît pas cette révision. Et les chouans eux-mêmes, les partisans de Georges Cadoudal, ont continué à jouir de la pension qui leur avait été allouée par le gouvernement de la restauration.
M. Dolez – On ne leur a pas rendu leurs épaulettes.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Que celui qui m’interrompt nous prouve, s’il lui est possible, que sans violer l’article 124 de la constitution, ont eût pu donner un traiter au général Vandersmissen sans lui rendre ses épaulettes ; qu’il nous prouve que nous eussions pu faire cette distinction.
Je le répète, messieurs, tous les gouvernements, surtout ceux qui se sont constitués à la suite de révolutions, ont eu à subir de ces actes regrettables. C’est ainsi que les pensions légalement allouées par le directoire et l’empire aux plus grands adversaires de la famille des Bourbons ont continué à leur être payées par le gouvernement de la restauration ; et le gouvernement de juillet, comme je le disais tout-à-l’heure, paie encore aujourd’hui les pensions des chouans, quoique ces pensions aient, à deux reprises, donné lieu aux discussions les plus vives dans le sein de la chambre des députés.
Mon intention, messieurs, n’est pas de faire un rapprochement de noms propres . je sais, et l’honorable M. Dolez a eu soin de s’emparer de ce moyen, je sais que, par un rapprochement de noms propres, on peut montrer que le général Vandersmissen n’est dans aucune des positions qui peuvent commander l’intérêt qui s’attache à tels ou tels noms qu’on pourrait citer. Mais ce n’est pas à ces noms seulement qu’on doit avoir égard, on doit réfléchir aux répugnances qu’avait à surmonter le gouvernement de la restauration, lorsque, par exemple, il devait contribuer à payer des pensions à ceux qui l’avaient trahi. (Mouvement.) Oui, la maison des Bourbons avait le droit de dire qu’on l’avait trahie.
Messieurs, il faut rapprocher les situations, il faut rapprocher les questions de légalité, et on arrive à des situations analogues. C’est en obéissant à la légalité que le gouvernement de la restauration a conservé leurs grades et leurs pensions à des hommes qu’il lui savait hostiles, c’est en tenant compte encore de la légalité que le gouvernement de juillet, par exemple, a été forcé de conserver dans son grade certain maréchal, malgré toutes les réclamations des chambres…
Une voix – A-t-il conservé dans son grade le maréchal Bourmont ?
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Non, le maréchal Bourmont n’a pas été conservé dans son grade, et pourquoi ? parce qu’il n’avait pas voulu prêter au gouvernement de juillet le serment qu’il pouvait prêter. Dès lors le maréchal Bourmont était légalement déchu de son grade.
Mais un autre maréchal, qui était chargé du commandement dans les journées de juillet, a envoyé son serment, et par suite, le gouvernement de juillet a dû légalement lui continuer le traitement de son grade.
Une voix – Le maréchal duc de Raguse.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Voilà ce que j’aurais dit en beaucoup moins de mots, si je n’avais pas été interrompu à tous moments.
Messieurs, pour terminer, je dirai que le gouvernement belge n’est pas le seul, ni le premier gouvernement qui ai eu à subir ces conditions que j’appelle regrettables, dures, fâcheuses ; c’est là, je ne puis assez le répéter, le sort des gouvernements qui veulent respecter la légalité à la suite de révolution.
Soyez comme nous, préoccupés de la question politique, reportez-vous aux appréhensions du mois de juillet dernier ; alors nous avions plus qu’aujourd’hui des inquiétudes sur le sort des compatriotes que nous abandonnions. Ne soyez pas infidèles aux promesses que vous leur avez faites ; replacez-vous sous l’empire de ces souvenirs pour juger l’acte que nous avons posé, acte qui consacre l’application la plus générale de l’amnistie, celle qui nous donne le droit de dire aux puissances étrangères, au roi Guillaume, à la conférence de Londres, que d’après nous l’amnistie est absolue et non limitée.
De toutes parts – La clôture ! la clôture !
M. Vandenbossche – Messieurs, je voudrais pouvoir motiver mon vote. (Non ! non ! la clôture ! la clôture !)
Des membres – Faites imprimer votre discours dans le Moniteur (Adhésion).
M. de Brouckere – Je crois être le premier inscrit. Je renonce à la parole, si la chambre veut clore dès à présent la discussion.
M. Peeters – Messieurs, je n’ai pas l’habitude d’abuser des moments de la chambre. Mais dans une question aussi importante que celle qui nous occupe, je désire pouvoir motiver mon vote. Je demande à être entendu avant qu’on ne prononce la clôture.
M. Demonceau – Je suis également inscrit, mais je déclare que je renoncerai à la parole si la chambre ferme la discussion.
- La chambre, consultée, ferme la discussion sur l’incident.
M. le président – Voici la proposition sur laquelle la chambre est appelée à statuer :
« La chambre décide que le montant du traitement de disponibilité alloué par le projet de budget au sieur Vandersmissen sera retranché de l’imputation dans laquelle ce traitement est compris. »
- L’appel nominal étant demandé, il est procédé à cette opération.
85 membres répondent à l’appel.
5 s’abstiennent.
42 répondent oui.
38 répondent non.
En conséquence la proposition est adoptée.
Se sont abstenus : MM. Perceval, de Puydt, Meeus, Simons et Trentesaux.
Ont répondu non : MM. Coghen, David, de Behr, de Florisone, de Garcia, de Man d’Attenrode, F. de Mérode, W. de Mérode, Demonceau, de Nef, Desmaisières, de Terbecq, de Theux, B. Dubus, Eloy de Burdinne, Hye-Hoys, Mast de Vries, Metz, Milcamps, Morel-Danheel, Nothomb, Peeters, Pirmez, Polfvliet, Raikem, Scheyven, Smits, Ullens, Vandenhove, Vandensteen, Vanderbelen, Van Volxem, Ch. Vilain XIIII, Wallaert, Willmar, Zoude, Cogels, Fallon.
Ont répondu oui : MM. Angillis, Brabant, Coppieters, de Brouckere, Delehaye, Delfosse, de Meer de Moorsel, de Potter, de Renesse, de Roo, Devaux, de Villegas, d’Hoffschmidt, d’Huart, Doignon, Dolez, Dubois, Dubus (aîné), Dumont, Dumortier, Duvivier, Fleussu, Jadot, Kervyn, Lange, Lebeau, Lys, Maertens, Manilius, Mercier, Pirson, Puissant, Rodenbach, Rogier, Seron, Sigart, Thienpont, Troye, Van Cutsem, Vandenbossche, Verhaegen,
Les membres qui se sont abstenus sont invités à énoncer les motifs de leur abstention.
M. de Perceval – Comme conséquence de l’opinion que j’ai émise dans la séance d’hier, je me suis abstenu, parce que, d’un côté, je ne puis approuver la réintégration du sieur Vandersmissen dans les rangs de l’armée, et que de l’autre, je n’ai pas voulu adopter la motion qui vous a été soumise, attendu que le gouvernement a déclaré, à mon grand regret, qu’il en faisait une question de cabinet, et que le ministère a toute ma confiance.
M. de Puydt – La proposition de l’honorable M. Dumortier, ayant acquis par la discussion et par la déclaration même des ministres, une portée qu’elle n’avait pas d’abord, je ne crois pas devoir, en la votant, m’associer à ses résultats.
D’un autre côté, je ne veux pas, en votant contre cette proposition, paraître excuser, ni directement, ni indirectement la conduite du sieur Vandersmissen, que dans mon for intérieur, je considère comme ayant perdu tout droit à l’estime de ses anciens camarades pour avoir forfait à l’honneur militaire, en désertant à l’ennemi, après avoir tenté de trahir son pays.
M. Meeus – Les motifs de mon abstention sont à peu près les mêmes que ceux de M. l’honorable de Puydt. Lorsque la proposition de M. Dumortier, qui est celle de M. d’Huart, fut lue par le bureau, je l’avoue franchement, elle reçut mon assentiment. Mais lorsque le ministère, sans y être obligé, malgré moi, en fit une question de cabinet, je me suis trouvé dans une position délicate. Ne voulant pas qu’une question dans laquelle le ministère avait agi avec une bonne foi évidente entraînât sa chute, je ne pouvais pas voter pour la proposition.
D’un autre côté, il m’était impossible, d’après les principes de la morale publique, de sanctionner la mise en non-activité du général Vandersmissen. Dans cette position, j’ai dû m’abstenir.
M. Simons – J’ai voté contre le traité du 19 avril, parce qu’après un examen approfondi, dans ma conviction intime, je l’avais trouvé inique dans son ensemble, et désastreux dans ses conséquences.
Plus que jamais dominé par cette idée, que les débats dans cette occasion ont singulièrement confirmés, je dois franchement l’avouer, je ne me sens pas cette impartialité qui est indispensable pour émettre un vote consciencieux sur une question d’interprétation d’un traité que, dans un moment douloureux, j’ai repoussé avec indignation.
Dans cet état de choses, j’ai cru devoir m’abstenir à prendre part à la discussion comme au vote sur cette grave question.
Ce qui, surtout, m’a déterminé à prendre ce parti dès le commencement de ces débats, c’est que la solution de cette question pouvait de nouveau compromettre mes malheureux anciens compatriotes ; c’est que cette solution pouvait aggraver singulièrement leur position, qui n’est déjà que trop fatale.
Que ceux qui ont voté ce traité, sur quelques bancs qu’ils se trouvent, en supportent toutes les conséquences ! Ils auront beau reculer maintenant devant l’effet de ses dispositions, ils ne se soustrairont certes pas à la responsabilité accablante qu’ils ont assumée dans ce moment suprême, et qui les poursuivra toujours dans quelque position dans laquelle ils peuvent éventuellement se trouver.
M. Trentesaux – J’ai usé de la faculté de m’abstenir. Je ne pouvais pas voter contre une proposition ayant pour but d’exprimer des regrets et un blâme sur la conduite du ministère, parce que j’aurais manqué à ma conscience. Je blâme la conduite du ministère comme ayant été inintelligente. Rien n’était si facile que de faire ce qu’on fait partout ailleurs, à la suite des révolutions : présenter une loi d’amnistie.
Mais, d’un autre côté, je n’ai pas voté pour la proposition à cause des conséquences que le ministère y attachait, parce que je ne suis pas partisan des changements de ministère, en Belgique surtout j’ai mille raisons pour ne pas être partisan des changements de ministère.
Voilà pourquoi je me suis abstenu.
- La séance est levée à 5 heures.
(Au Moniteur du 16 mars 1840, on pouvait lire ce qui suit : Les ministres ont offert leur démission au Roi ; S.M. s’est réservé de statuer.