(Moniteur belge n°52 du 21 février 1840)
(Présidence de M. Fallon)
M. Lejeune fait l’appel nominal à une heure.
M. B. Dubus lit le procès-verbal de la séance précédente, dont la rédaction est adoptée.
M. Lejeune présente l’analyse des pièces adressées à la chambre :
« Des propriétaires et cultivateurs de la commune de Russeignies demandent des mesures protectrices de l’industrie linière. »
- Renvoyé à MM. les ministres de l’intérieur et des finances.
« Des habitants des communes de Haringhe, Rousbrugghe, Beveren (district de Furnes), Anvers, Wilmaersdonck et Oorderen demandent le rétablissement de la langue flamande dans certaines provinces pour les affaires de la commune et de la province. »
Renvoyé à la commission des pétitions.
M. le président – Les sections ayant autorisé la lecture d’une proposition qui a été déposée hier sur le bureau par M. de Foere, M. de Foere a la parole pour donner lecture de sa proposition.
M. de Foere (à la tribune) – Je propose qu’il soit nommé une commission chargée :
1° De rechercher les causes qui ont produit la situation fâcheuse dans laquelle se trouve l’industrie et le commerce extérieur du pays ;
2° D’assigner les moyens les plus propres à remédier au mal qui, de tous les points de la Belgique, est signalé ;
3° De présenter à la chambre les bases du système commerciale et naval qu’il conviendrait, dans l’intérêt de l’industrie et du commerce du pays, d’établir.
La commission sera composée de sept membres. Cinq seront nommés par la chambre et pris dans son sein. Les deux autres seront nommés par le sénat et pris également dans son sein.
M. le président – A quel jour M. de Foere désire-t-il développer sa proposition ?
M. de Foere – Messieurs, je crois l’avoir suffisamment développée hier, je me bornerai à ces développements, si la chambre veut bien s’en contenter.
M. le président – La proposition étant développée, je dois demander si elle est appuyée.
- La proposition est appuyée.
M. le président – Je mets maintenant aux voix la prise en considération de la proposition.
M. d’Huart – Le banc des ministres est vide, il faudrait au moins que M. le ministre de l'intérieur fût présent, avant que la chambre procédât à la prise en considération d’une proposition qui est très importante. Le ministre a peut-être des objections à présenter. Quant à moi, messieurs, si la chambre le permet, je dirai quelques mots sur la forme de la proposition, qui ne me paraît pas pouvoir être prise en considération dans l’état où elle est présentée.
L’honorable M. de Foere, qui avait d’abord introduit la chose sous forme de motion d’ordre, en fait maintenant une espèce de projet de loi qui devrait être délibéré par les deux chambres ; il est vrai que l’honorable membre n’entend pas qu’il y faille la sanction du pouvoir royal, mais ce qu’il y a de certain, c’est qu’il veut que les deux chambres en connaissent.
Messieurs, c’est là une question très grave, ce serait le premier pas dans une voie nouvelle. Jusqu’ici, la chambre n’a été saisie d’aucune motion qui ait eu cette portée, c’est-à-dire de faire délibérer la chambre sur une proposition d’enquête, de concert avec le sénat.
Si l’honorable M. de Foere, au lieu de demander qu’il soit nommé une commission de sept membres, dont cinq à désigner par la chambre, et deux par le sénat, avait demandé la nomination d’une commission dans la chambre, ou en dehors de la chambre, il serait dans son droit ; mais vouloir que la chambre nomme cinq membres de cette commission et qu’il y ait obligation pour le sénat d’en nommer deux, ce serait sortir de nos usages et de nos attributions.
La proposition, telle qu’elle est formuée, ne pourrait donc, à mon avis, être prise en considération.
M. de Foere – Messieurs, quoique je n’admette pas les observations présentées par l’honorable préopinant, puisque la manière dont il envisage la question pourra me faire atteindre le but que je me suis proposé, je ne m’oppose pas à ce que ma proposition soit modifiée.
Nous devons bientôt discuter le projet de traité de commerce et de navigation avec la France, la chambre n’a aucune espèce de renseignement, aucun document ; le ministre n’en a donné aucun dans l’exposé de motifs, quand il a présenté le projet de loi, tandis que toujours il a l’habitude d’exposer les motifs des projets qu’il présente. Comme ces traités sont de la plus haute importance pour le pays, j’ai voulu que la chambre fût bien renseignée sur les bases sur lesquelles doivent reposer de semblables traités. Pourvu que j’atteigne mon but, peu importe par quelle voie ; si l’honorable M. d’Huart veut proposer un amendement, je ne m’y opposerai pas.
M. Dumortier – Je suis partisan, en principe, de la proposition de M. de Foere. Je crois que, dans les circonstances actuelles, pour éclairer la marche à suivre tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, il est nécessaire de connaître à fond l’état de l’industrie ; et nous ne pourrions avoir cette connaissance que quand nous aurons fait une enquête. Je ferai remarquer que la proposition, telle qu’elle est formulée, n’est pas constitutionnelle. L’honorable M. de Foere dit que la chambre nommera une commission d’enquête dans laquelle le sénat se fera représenter par deux membres, pour examiner l’état de notre industrie. Cela n’est pas conforme à ce que veut la constitution. D’après la constitution, chaque chambre a le droit d’enquête. Nous avons le droit de nommer une commission d’enquête. Le sénat a également le droit d’en nommer une ; mais nous n’avons pas le droit de dire au sénat de nommer une commission de ce genre, nous devons nous borner à ce qui nous compète ; nous pouvons ordonner une enquête faite par la chambre, mais nous ne pouvons pas prescrire au sénat, non plus qu’aux ministres, d’en faire une.
M. de Foere – Je consens à modifier ma proposition en ce sens que le paragraphe concernant les membres du sénat sera supprimé, et que la commission sera composée de sept membres de la chambre.
M. Desmet – Je demanderai à M. de Foere si son intention est que l’enquête soit faite par la chambre, conjointement avec le gouvernement.
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – il me semble qu’indépendamment des observations qui viennent d’être faites, il en est plusieurs autres à faire sur la rédaction de la proposition. Il serait à désirer que cette proposition ne fût pas discutée à l’improviste et qu’on en remît la discussion à un autre jour.
Je propose de l’ajourner immédiatement après le second vote de la loi sur les chemins vicinaux.
M. de Foere – Je préférerais qu’un jour précis fût fixé. Je demande a fixé à mercredi la discussion de ma proposition.
M. Lebeau – Pour autant que la loi sur les chemins vicinaux soit terminée.
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Je propose de fixer cette discussion à la séance qui suivra le vote définitif de la loi sur les chemins vicinaux.
- Cette proposition est adoptée.
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Messieurs, le dernier orateur que vous avez entendu hier a singulièrement grandi le cercle de la discussion. Son discours a porté sur le danger d’accroître l’influence du clergé, sur les faveurs exorbitantes dont jouirait le culte catholique en Belgique, au détriment d’autres intérêts, sur la nature et la destination de l’établissement dont il s’agit et sur la conduite personnelle du chef diocésain de Liége. Nous rencontrerons brièvement ces diverses observations.
D’abord, pour parler de l’influence démesurée du clergé que l’honorable préopinant semble tant redouter, je pense que cette influence n’est nullement à craindre avec nos institutions politiques et nos libertés constitutionnelles, avec la situation géographique du pays, avec nos populations agglomérées, avec l’aisance et les ressources des habitants, avec leur goût pour les lettres et les arts, avec l’importance des professions libérales. Je dis que, par ces diverses considérations, si une influence abusive était tentée, elle ne pourrait pas réussir à s’établir dans ce pays. Aussi est-il des hommes qui, loin de redouter l’influence du clergé, prévoient une époque, plus ou moins rapprochée, où elle ira en décroissant ; voilà donc de quoi rassurer pleinement l’honorable préopinant ! En ce qui concerne les faveurs exorbitantes accordées au culte catholique, ses observations n’ont pas plus de fondement.
Veuillez remarquer que, par l’effet des lois des 11 août et 12 novembre 1789, le culte catholique a été privé des immenses ressources qu’il possédait dans ce pays. Depuis lors, diverses mesures réparatrices ont été prises. Mais y a-t-il excès dans les mesures prises par les divers gouvernements, et surtout par le gouvernement belge ? Evidemment non . J’ai déjà, en 1834, fait remarquer à la chambre qu’en réunissant le budget décennal et le budget annal de 1830, l’on y trouverait pour le culte catholique, en Belgique seulement, 913,000 francs de plus qu’il n’a été porté au budget de la Belgique, avant la loi sur la dotation des vicaires ; il est vrai que cette somme n’avait pas encore reçu d’application ; mais le gouvernement pouvait en disposer, quand il l’aurait jugé utile. Le traitement des vicaires a été fixé avec parcimonie, en ayant égard aux circonstances. C’est par ce motif qu’il n’a pas été élevé au-delà de 500 francs. On a pris en considération que, dans quelques localités, le budget des fabriques pourra fournir un supplément, et que, dans d’autres, les communes pourront voter un supplément de 200 francs. Cette position n’a donc rien de brillant.
Je ferai remarquer, d’autre part, que les dépenses en faveur du culte catholique diminuent d’année en année considérablement, par suite de l'extinction des pensions mises à la charge du trésor public, par suite des lois d’expropriation. On a parlé du cardinal, mais cette question a été déjà trop longuement agitée ; il a été démontré, à la dernière évidence, qu’il appartenait au culte de la presque unanimité des habitants du pays d’avoir un représentant dans le sacré collège.
La majoration proposée cette année, pour réparation de certains édifices, pour allouer des traitements à quelques vicaires, pour convertir quelques chapelleries en paroisses, a été pleinement justifiée dans cette chambre, n’a rencontré aucune opposition ; je n’ai donc pas besoin de la justifier de nouveau.
Il semblerait, à entendre l’honorable préopinant, que la demande relative au petit séminaire de Rolduc soit la conséquence de la facilité avec laquelle avait été accueillie la première demande dont je viens de parler ; mais il n’en est rien. Le petit séminaire de Rolduc est compris dans le rapport de la section centrale du budget de l’intérieur. C’est sur mon consentement que cette proposition a été distraite du budget et renvoyée aux sections. Il y n’a donc eu de la part du gouvernement aucune espèce de surprise.
La question qui s’agite, dit le préopinant, n’est pas une simple question d’argent ; elle a une bien autre portée. Il s’agit de créer une concurrence hostile aux collèges communaux. L’honorable membre ne veut pas, dit-il, favoriser le développement d’une opinion contraire à la sienne, établir une concurrence défavorable ; mais l’observation qu’il a présentée a été rétorquée en sens inverse, alors qu’on a soutenu que les fonds portés au budget de l’Etat avaient précisément pour objet de développer l’opinion que l’honorable préopinant semblerait préférer. Vous voyez comment on fait échange de reproches dans cette matière. Il serait donc préférable, au lieu de porter la question sur ce terrain, de la présenter sous son véritable point de vue, sous celui d’une question financière.
J’ai dit que le petit séminaire de St-Trond n’a pas pour objet de faire concurrence avec les collèges communaux du Limbourg. Dans la ville même de Saint-Trond, existe un collège communal bien organisé, qui offre toutes les garanties aux pères de famille, et qui est très fréquenté. Dans ce collège, les externes seuls reçoivent l’instruction. La bourgeoisie tient beaucoup à la conservation de ce collège. Aussi la régence, qui a accueilli avec empressement la proposition de l'évêque d’établir à Saint-Trond un petit séminaire, n’a-t-elle aucunement l’intention de consentir ultérieurement à la suppression de son propre collège.
Il est vrai qu’une expression échappée hier à l’honorable M. Simons aurait pu faire croire que ce petit séminaire aurait en même temps une autre destination. On aurait pu croire que cet établissement avait pour objet de remplacer aussi l’athénée de Maestricht. Mais il n’en est rien ; et pour le prouver, je donnerai lecture du passage d’une lettre de l’administration du séminaire, que je crois de nature à donner tout apaisement à mon contradicteur.
Voici le passage de cette lettre :
« Il est important de faire ici la remarque qu’on n’admet au séminaire de Rolduc que les jeunes gens qui se destinent à l’état ecclésiastique. On compte sur un cinquième, dont la vocation ne se soutient pas. Une autre observation essentielle c’est que la demande de subside à l’Etat a été calculée sur une diminution d’élèves, à raison de la perte du territoire, et qu’il n’est rien demandé pour l’école normale, qui n’est pas comprise dans le plan de l’architecte. »
Ainsi encore, l’école normale dont on a parlé comme devant servir à former de bons secrétaires, de bons bourgmestres, n’est pas même comprise dans le crédit dont il s’agit. On a aussi parlé du dépérissement de l’enseignement. Nous appelons de nos vœux la discussion de la loi ; mais nous ne pouvons laisser passer sans observations ce qu’on a dit sur l’état de l’enseignement. Faisant même abstraction des établissements libres, nous ferons remarquer qu’il est alloué au budget de l'intérieur des sommes plus fortes que celles qu’allouait le budget des Pays-Bas. Les subsides accordés aux divers établissements situés en Belgique, dans les provinces méridionales des Pays-Bas, y compris les athénées de Maestricht et de Luxembourg, ne montaient qu’à 84,656 francs ; et la somme affectée annuellement aux établissement d’enseignement moyen du royaume (quoique les athénées de Luxembourg et de Maestricht n’en fassent plus partie) s’élève à présent à 110,650 francs.
D’autre part, les budgets des villes et des provinces contiennent des allocations bien supérieures, en faveur des établissements d’instruction des différents degrés, à celles portées aux mêmes budgets en 1830 et dans les années antérieures. Et si l’on disait que, malgré ces allocations, l’enseignement est dans un état de dépérissement dans les établissements d’instruction moyenne, je crois que l’on s’exposerait à un démenti de la part de plusieurs collèges.
Ainsi les collèges d’Anvers, Malines, Bruxelles, Bruges, Gand, Liége, et plusieurs autres encore, ne consentiraient nullement à accepter la mauvaise réputation qu’on semble vouloir faire à l’enseignement moyen en général. Les établissements dont je viens de parler ont souvent reçu, sous le rapport de l’enseignement, des éloges que je considère comme fondés et que l’honorable membre, j’en suis sûr, ne voudrait pas récuser. Dans une autre occasion, j’ai fait remarquer tout ce qui a été fait dans le pays en faveur des beaux-arts. On voit donc que ce n’est pas un esprit rétrograde qui préside soit à l’administration centrale, soit aux administrations locales.
On a établi une comparaison avec ce qui s’est passé dans cette enceinte, lors de la demande de crédit pour le casernement de la gendarmerie à Bruxelles, et pour les fêtes de septembre. Je répondrai brièvement à cette comparaison.
En ce qui concerne la caserne de gendarmerie, je dirai que j’ai soutenu la demande de crédit par toutes les considérations que je pouvais raisonnablement faire valoir ; mais je n’ai pu alléguer la considération qu’on a invoquée hier, que la caserne était destinée à former une école de gendarmerie. Il n’en est rien. Je sais que la province a mis en avant cette considération pour obtenir un subside sur le budget de la guerre. Mais M. le ministre de la guerre n’a pas admis cette considération, parce qu’elle n’est pas fondée sur la réalité des faits. Force donc nous a été de présenter la question sous son véritable point de vue, celui d’un secours à la province du Brabant, à raison des dépenses extraordinaires qu’exige le maintien de la tranquillité dans la capitale.
Du reste, je ferai observer que, si cette demande avait été accueillie nous aurions eu à vous soumettre une autre demande qui se présentait avec un degré d’intérêt au moins égal. Je veux parler d’une demande de la province du Limbourg qui, par suite de l’exécution du traité, est entraînée dans des dépenses de construction de plusieurs casernes de gendarmerie, dépenses auxquelles, sans le traité, elle n’aurait pas été assujettie.
Quant aux fêtes de septembre, vous vous rappellerez qu’on s’est borné à réduire le crédit au chiffre qui était portée au budget de 1839.
On a parlé des indemnités réclamées par les villes de Bruxelles, du chef des pillages ; le gouvernement n’a jamais voulu reconnaître le principe d’une indemnité, parce que ce principe ne peut être invoqué avec fondement. Mais il a toujours montré des dispositions à venir au secours de la capitale, et il a donné des preuves de cette intention.
S’agit-il des industries du territoire cédé ? Veuillez vous rappelez ce qui s’est passé. C’est dans la session dernière que vous avez voté une loi très favorable aux industries du Luxembourg ; et vous avez si bien pris en considération le traité, que vous avez stipulé cette faveur pour les établissements existants avant l’exécution du traité. Je pourrais encore citer des dispositions que vous avez prises pour admettre certains produits, pour admettre les céréales. Mais je tenais à faire remarquer que dans cette loi il y a une disposition spéciale pour les établissements existants avant le traité.
Quant aux fonctionnaires, vous avez assuré leur sort.
Les petits séminaires, a-t-on, n’ont une existence légale, ni en France, ni en Belgique. C’est là une erreur, que je dois de nouveaux combattre. En France, comme en Belgique, tous les diocèses ont leur petit séminaire, ou bien les élèves du petit séminaire sont dans le même local que ceux du grand séminaire, quand ce local est suffisant. Indépendamment des dispositions que j’ai citées hier, je pourrais citer une autre disposition, celle qui exempte, en France, les petits séminaires de la rétribution universitaire. C’est la preuve la plus manifeste que ces établissements ont une existence légale.
J’ai aussi parlé des bourses qui ont été accordées en France, mais j’ai dit qu’elles n’existaient plus. Quant à la Belgique, je pourrais vous renvoyer à un arrêté du 2 octobre 1827, relatif au concordat. Vous trouverez dans la bulle que cite cet arrêté, qu’elle mentionne clairement l’existence des petits séminaires. Mais il y a plus. Il existe un intérêt spécial pour le petit séminaire de Rolduc. Par un arrêté du 20 juin 1830, le petit séminaire de Rolduc a été considéré comme première section du séminaire épiscopal.
J’ai dit, messieurs, que dans certaines localités les élèves des petits séminaires et des grands étaient confondus dans le même local. Je pourrais citer à l’appui ce qui existait à Namur sous le gouvernement français : des élèves des deux sections étaient réunis dans le même local.
Quand je fais l’énumération de ces dispositions, je n’entends pas dire qu’il existe, de la part de l’Etat, une obligation de pourvoir aux dépenses des petits séminaires ; telle n’est pas ma pensée. Je veux établir qu’ils ont une existence légale. Quant à ce que l’on semble appréhender que l’on vienne demander des subsides pour d’autres petits séminaires, je dis que ce danger n’est pas réel ; car il ne se présentera plus d’occasion semblable.
On a contesté qu’en France les grands séminaires soient entretenus aux frais de l’Etat ; dans le budget français de 1840, je vois figurer une somme de 1,200 francs pour les édifices diocésains, dans lesquels figurent les grands séminaires ; et le gouvernement français alloue encore des fonds pour location de bâtiments, en attendant qu’on puisse en approprier pour les grands séminaires.
L’on a aussi parlé des ressources du diocèse de Liége : je ne sais si on a voulu faire allusion au budget de la cathédrale. Messieurs, le budget de la cathédrale est entièrement séparé du budget du séminaire ; la cathédrale est un établissement spécial dont les revenus ne peuvent être détournés à une autre destination. Y aurait-il de la justice à détourner ces revenus ? le diocèse de Liége avait une cathédrale, la plus belle de la Belgique ; elle a été détruite par la révolution de 1792. Un autre édifice a été destiné pour cathédrale ; mais cet édifice est loin d’être aussi splendide que ceux des autres diocèses qui ont eu le bonheur de conserver leurs cathédrales ; celle de Liége est moins belle que celle de Malines, de Tournay, de Namur, de Gand et de Bruges.
L’on a parlé des donations qui auraient été faites à l’évêque de Liége ; si quelques donations ont été faites, c’est pour une destination spéciale. Et en vain, a-t-on voulu parler d’une donation faite par un de nos anciens collègues ; l’on sait qu’elle n’était pas faite à l’évêque ; d’ailleurs, par suite des discussions élevées par les héritiers de la femme, qui prétend y avoir des droits par son contrat de mariage, la succession a été enlevée pour la plus grande partie.
On n’a donc signalé aucune ressource dont le diocèse pût disposer pour établir le petit séminaire à Saint-Trond.
J’ai de la répugnance, messieurs, à parler de l’attaque personnelle dirigée contre l’évêque de Liége ; cependant, comme ces attaques ont un caractère politique, force m’est d’en dire quelques mots.
Il me semble qu’il eût été suffisant de refuser son vote à la demande de subside, sans ajouter des accusations contre un prélat qui n’est pas ici pour se défendre. Quoi qu’il en soit de cette considération toute morale, je me bornerai au côté purement politique.
Le conduite de ce prélat aurait peut-être influé sur le traité du 19 avril, a-t-on dit : Mais, messieurs, c’est là une accusation lancée avec une légèreté que j’ose dire impardonnable.
Quand on connaît le fait, on sait de quelle manière le gouvernement prussien a toujours insisté pour l’exécution du traité de novembre 1831. L’exécution de ce traité était une idée fixe pour le cabinet de Berlin, et les démêlés survenus, événements en Prusse entre le gouvernement et le clergé prussien, n’ont été pour rien dans la question du traité. D’ailleurs, l’évêque de Liége a déclaré de la manière la plus formelle qu’il était étranger aux démêlés dont il s’agit. De plus, la police prussienne, si active, n’aurait pas manqué de publier les documents qui eussent compromis ce prélat s’il en eût existé. L’accusation n’a donc aucun fondement.
L’on a encore rappelé le démêlé de Tilff : il semblerait que le gouvernement se fût empressé de céder sous l’influence d’une menace ; il n’en est rien. Le gouvernement n’a été influencé en aucune manière. Mon opinion sur cette affaire n’a pas être douteuse ; par un amendement que j’avais présenté à l’article 14 de la constitution, et par un amendement de M. Van Meenen, nous avions voulu prévenir des abus d’autorité de la part des municipalités, tels qu’on en avait vu dans l’ancienne république batave. Nous n’avons pas voulu qu’en matière de culte l’arbitraire subsistât, soit dans les mains du gouvernement, soit dans toutes autres mains. Il suffit de relire les discussions du congrès pour ne conserver aucune espèce de doute sur ce point.
M. de Foere – Messieurs, le premier et dernier orateur qui, dans la séance d’hier, ont pris la parole sur le projet de loi actuellement en discussion, ont considérablement agrandi sa proportion. Je suis loin de blâmer leurs évolutions, poussées jusqu’aux dernières limites de la question. Ils étaient dans leur droit parlementaire. Je préfère des adversaires qui posent leurs objections d’une manière franche, positive et ouverte. Avec ceux-là, la discussion est possible ; et elle peut conduire à des résultats certains, sinon sur tous les points, du moins sur un grand nombre qui, sans être franchement discutés, continuent d’entretenir l’agitation dans le pays. Je les préfère à ces adversaires que l’on rencontre surtout dans les régions supérieures, qui rarement discutent les questions à fond. Ils les éludent d’une manière ou d’autre, soit en opposant des fins de non recevoir, soit en répondant par des misérables niaiseries, soit enfin en dépensant la force de leur logique à de futiles questions latérales, sans aborder le fond de la discussion. Ils appellent cela de la tactique, et cette tactique, qui n’en est pas une, fait renaître constamment les mêmes questions, et nous fait perdre un temps précieux. Leur défaut n’est pas de pousser souvent des principes ou des faits à l’excès, comme l’ont fait les deux honorables adversaires que j’ai maintenant devant moi et que je combattrai, avec la même franchise avec laquelle ils se sont présentés, hier sur l’arène de nos débats.
Je commencerai d abord par parer aux coups de grosse artillerie. Les honorables députés de Liége et de Bruxelles, auxquels j’aime à reconnaître un cœur généreux, me sauront gré d’avoir pris la défense d’un absent, d’un homme d’esprit et de talent qui, sous beaucoup de rapport, mérite leurs égards et que j’ai l’honneur de compter parmi mes amis. Je lui dois cette défense, et je promets à mes honorables adversaires qu’elle sera impartiale.
L’honorable député de Liège croit que son évêque abuse de son autorité quand il intervient dans les élections pour soutenir le ministère actuel. Cette opinion implique deux questions qu’il est bon de poser, une fois pour toutes, sur leur véritable terrain. L’une, c’est la question ministérielle dans les Etats représentatifs, l’autre, c’est celle de l’autorité des évêques dans les élections.
La solution de la question ministérielle, considérée sous le rapport des hommes qui sont au pouvoir, est entièrement livrée aux opinions qui, dans les élections, distribuent leurs forces entre les hommes qui sont en possession du pouvoir et entre ceux qui y aspirent. Il appartient aux électeurs de bien apprécier l’intelligence et les talents, la justice et le dévouement des hommes auxquels ils donnent leur préférence.
Sans doute, trop souvent pour le malheur des Etats, cette appréciation des électeurs n’est pas juste ; c’est le sort de tout ce qui est livré aux faiblesses de l’humanité ; mais le droit d’élection s’exerce librement. Si cette liberté était enlevée aux électeurs, l’esprit et le but de la loi électorale et des Etats représentatifs seraient entièrement détruits. Si donc l’évêque de Liège exerce dans les élections son influence pour maintenir le ministère actuel, il en a incontestablement le droit. Mais est-il, dans l’exercice de son droit, juste appréciateur des hommes qui sont au pouvoir ? C’est là une autre question, dans laquelle moi-même je ne partage pas l’opinion de monseigneur de Liége. S’ensuit-il qu’il abuse de son influence ? L’affirmation serait absurde ; l’accusation pourrait être dirigée contre tous les partis électoraux qui jouissent du libre exercice de leur droit d’élection et exercent leur influence sur l’action électorale. Ici commencerait la lutte malheureuse et déloyale de l’interprétation des intentions. Chaque électeur serait mis en état de suspicion. Il s’ouvrirait une guerre morale dans laquelle les partis se déchireraient gratuitement aux dépens de toute grandeur d’âme et d’élévation de sentiment.
Sans doute, il serait désirable que, dans le pays, il n’existât pas de partis ; mais là où ils existent, il est dans l’intérêt de l’Etat qu’ils soient maintenus dans leurs droits électoraux et qu’ils se balancent les uns les autres. L’oppression d’un parti serait le triomphe de l’autre, et ce triomphe ne serait pas toujours dans l’intérêt du pays. S’il était permis à l’un parti d’imposer ses convictions à l’autre, l’abus serait là et nulle part ailleurs.
Mais notre honorable collègue semble croire aussi que les évêques n’ont pas le droit d’intervenir dans les élections et que, s’ils interviennent, ils commettent un abus d’autorité. Je partage parfaitement l’opinion de mon honorable adversaire, s’il parvient à prouver que c’est par voie d’autorité que l’évêque de Liége exerce son droit incontestable d’influencer les élections ; mais, comme j’ai affaire à un bon jurisconsulte, il comprendra bientôt que son objection repose sur un abus de mots ou sur une confusion de principes.
Le pouvoir des évêques est limité aux commandements de Dieu, aux commandements de l’Eglise et aux lois canoniques. En dehors de ces lois, ils n’exercent plus aucune autorité, aucun pouvoir. C’est par ces lois que le clergé et les fidèles connaissent leurs devoirs et les évêques leur pouvoir. S’il n’en était pas ainsi, toutes les actions humaines, même les plus indifférentes, seraient livrées à l’arbitraire et à la confusion les plus épouvantables. Dans l’ordre ecclésiastique, comme dans l’ordre civil, ce sont les lois qui établissent les droits et les devoirs. Or, il n’existe aucune loi ecclésiastique qui attribue aux évêques d’intervenir, par voie d’autorité, dans les élections, ni aucune loi qui ordonne aux curés et aux fidèles de suivre à cet égard les prescriptions des évêques. La conséquence directe en est que les curés et les fidèles ne sont pas obligés d’obéir à leurs évêques si, par voie d’autorité, ils leur ordonnaient de choisir tel candidat plutôt que tel autre. Ce serait un véritable abus d’autorité.
J’ai promis d’être impartial, et j’espère que mon honorable adversaire me fera la justice de croire que jusqu’ici j’ai tenu parole.
Après avoir posé les principes, l’honorable député de Liége, qui me saura gré d’avoir pris la défense de son évêque, comprendra que toute la question réside dans un fait. L’évêque de Liége a-t-il ordonné, par voie d’autorité, d’élire M. Hanquet plutôt que M. Delfosse ? C’est ce que mon adversaire n’a pas prouvé. S’il parvient à prouver ce fait, je le répète, je partage entièrement l’opinion que l’évêque de Liége a commis un abus de pouvoir. Mais si monseigneur de Liége n’intervient dans les élections que par voie de proposition, par voie de conseil, ou de persuasion, alors je ne puis plus m’associer à l’opinion de mon honorable adversaire. Là, l’évêque de Liége, comme le gouverneur de cette province, comme le bourgmestre de cette ville, comme les chefs des sociétés publiques et secrètes, est parfaitement dans son droit. L’autorité du conseil appartient à tout le monde, elle ne peut certes pas être exercée avec plus de droit que par les évêques envers leurs diocésains, quoique, je dois le répéter, ceux-ci ne soient pas obliger de suivre ces conseils, non seulement quand ils ont une persuasion contraire, mais même quand, en matière libre, ils doutent ; car la maxime de Saint-Augustin ; in dubiis libertas, est généralement admise et pratiquée sur tous les points de la catholicité.
Pour rassurer complètement l’honorable membre, je pousseras l’impartialité plus loin. Si l’évêque de Liége, comme le ministère actuel, persécutait ou destituait les ministres sous ses ordres qui n’ont pas voulu suivre ses conseils en matière d’élection ; s’il vexait les fidèles pour le même motif ; s’il leur refusait les sacrements ou quelque autre devoir de son ministère, alors je dirais encore que ses conseils dégénèrent en abus d’autorité ; mais ce sont là des suppositions qui ont besoin d’être transformées en faits, et en faits incontestables. Or, je ne pense pas que l’on puisse les établir. J’en ai moi-même une preuve irréfragable. Je suis honoré de l’amitié de l’évêque de Liége et de plusieurs autres évêques du pays. Ils savent très bien que je fais de l’opposition, même de système ou de principe à l’administration actuelle. Je dois une obéissance directe à l’évêque de mon diocèse sous tous les rapports sous lesquels il est investi, par les lois canoniques, de son autorité sur le clergé ; eh bien, je dois déclarer, en l’honneur de tous ces dignes évêques, que, bien loin d’avoir jamais cherché à faire peser quelque pouvoir sur mes opinions et mes votes parlementaires, ils n’ont pas même cherché directement ou indirectement à exercer la moindre influence, ni par voie de conseil, ni par voie de persuasion. C’est au point que j’ignore si le vénérable évêque de Bruges est pour ou contre l’administration actuelle, ou si elle lui est indifférente.
Messieurs, nos évêques comprennent très bien leur position. C’est celle qui a été tenue par le haut clergé du pays dans tous les grands événements de notre histoire nationale. Ils se sont toujours attachés à la cause de la nation. La raison en est fort simple, c’est que les hommes au pouvoir, les gouvernements, (Erratum au Moniteur du 25 février 1840 :) les dynasties même passent ; mais les nations restent, et s’ils avaient l’imprudence de s’attirer contre eux la nation, en exerçant un pouvoir exorbitant ou pernicieux, la cause de la religion qu’ils ont le devoir de défendre en souffrirait cruellement.
Les principes que j’ai posés sur l’autorité des évêques et sur les droits et les devoirs de leur clergé et de leurs diocésains, enlève toute la gravité à un fait que l’honorable député de Liége nous a allégué. Il nous a dit que bon nombre de familles catholiques de cette ville gémissent sur la situation dans laquelle elles se trouvent, relativement aux abus d’autorité commis par l’évêque de Liége, sous le rapport des élections. Je n’éprouve pas le besoin de rechercher si le fait est vrai. Je crois que l’honorable membre est incapable de nous imposer un fait faux. Mais s’il est vrai, ces plaintes, ces gémissements sont gratuits. Puisque ces familles ne doivent aucune obéissance à leur évêque sous le rapport des électeurs ; puisque, si elles ont des convictions consciencieuses contraires, en matière d’élection, aux conseils de leur évêque, elles ne sont pas obligées de suivre ces conseils ; puisque, dans ce cas, elles jouissent d’une liberté complète d’action, qu’elles n’en sont, ni plus ni moins catholiques, ni plus ni moins orthodoxes, je ne conçois pas de quel droit ces familles se plaignent, ni quelle peut être la juste cause de leurs gémissements. L’honorable membre ne prétendra certes pas que l’évêque de Liége doive suivre les conseils de ces familles, ce serait tirer contre lui-même avec beaucoup plus d’aplomb que de justesse.
Mais, dira peut-être l’honorable membre, les fidèles ignorent leurs droits ; ils confondent les conseils avec les préceptes. Dans ce cas, est-il juste que leur évêque porte le blâme de leur ignorance ? Que ces familles s’instruisent dans leurs droits et dans leurs devoirs ; qu’elles jouissent des uns et pratiquent les autres et tout rentrera dans l’ordre. Il sera mis un terme à leurs plaintes et à leurs gémissements. Qu’elles prennent le premier catéchisme qui tombera entre leurs mains, il les instruira de leurs devoirs, et en dehors de ces devoirs, elle jouissait d’une liberté complète. Qu’elles aient en outre envers leur évêque le respect et la déférence dus à toute autorité et que les simples convenances sociales leur prescrivent, et l’évêque de Liége n’aura aucun motif de les blâmer, alors même qu’elles voteraient contre ses candidats.
L’honorable membre conteste au chef du diocèse de Liége le droit d’intervenir dans les élections ; il devrait s’abstenir ; peut-être, selon lui, son pouvoir, n’est pas de ce monde.
Messieurs, le pouvoir des évêques ne peut s’exercer en dehors du clergé ; mais en dehors de ce cercle, ils ont les droits de tous. Ce principe, consacré par notre constitution, de l’égalité de tous devant la loi, est le plus beau triomphe que la civilisation actuelle ait remporté sur les préjugés. Quant à moi, je n’entends pas cette égalité devant la loi comme les anarchistes, comme ceux qui veulent confondre les rangs, partager les terres ; l’égalité devant la loi ne proscrit que les abus des privilèges, des catégories. L’égalité devant la loi impose à tous des devoirs. Eh bien c’est en présence de ce principe que l’on conteste aux évêques d’intervenir dans les élections ! N’est-ce pas là détruire le principe ou tous ses résultats.
Dès qu’une fois vous avez fait brèche au principe, dès que vous aurez admis des exceptions, elles iront en progression, tantôt vous exclurez telles catégories, tantôt telles autres catégories.
Au surplus, les évêques ont un devoir à remplir, c’est de faire pratiquer les bons préceptes de la religion et de la morale ; cette pratique est dans l’intérêt de l’Etat ; et c’est dans ce sens qu’ils ont le devoir envers l’Eglise, et même envers l’Etat, d’intervenir dans les matières où ils croient pourvoir influer d’une manière utile sur la moralité du pays.
L’honorable député de Bruxelles nous a parlé hier de balance rompue ; il nous a dit que c’était porter atteinte à la constitution que de faire des exceptions dans la distribution des indemnités. Eh bien, messieurs, ici ce serait une véritable exception, ce serait un véritable ostracisme. Ce serait proscrire telle partie de la nation et admettre aux élections telle autre partie. Tous les chefs d’établissements quelconques, les bourgmestres, les gouverneurs, ceux qui sont à la tête de sociétés publiques ou de sociétés secrètes exercent de l’influence sur les élections ; je ne connais pas dès lors pourquoi, dans un intérêt contraire, dans un intérêt avoué par la Belgique entière, les évêques ne pourraient pas le faire, surtout lorsque ce n’est pas par voie d’autorité, par voie d’ordonnance, lorsque c’est uniquement par voie de conseil, par voie de proposition, par voie de persuasion ; je ne conçois pas, dis-je, pourquoi l’on voudrait alors faire peser une exception injurieuse sur les autorités ecclésiastiques.
L’honorable député de Bruxelles a critiqué deux mandements de l’évêque de Liége, qui ont été publiés l’un avant, l’autre depuis la révolution. Par son premier mandement, l’évêque de Liége déplorait ou blâmait l’union catholico-libérale, et je crois que l’honorable député de Bruxelles, auquel je reconnais un cœur droit et généreux, aurait dû accorder à l’évêque de Liége le droit d’exprimer librement son opinion à cet égard. Quand on se trouve devant un événement aussi majeur qu’une révolution, sans doute tous sans exception doivent pouvoir dire leur pensée en toute liberté. Les conséquences d’une révolution sont souvent très pernicieuses pour un pays, et je ne pense pas que l’honorable membre ait des raisons fondées pour contester ni à l’évêque de Liége ni à aucun autre le droit de manifester son opinion à cet égard.
Quant à l’autre mandement, que l’on dit contraire au gouvernement prussien, quel en était l’objet ? L’objet de ce mandement, si je me le rappelle bien était la doctrine d’Hermès, doctrine que le gouvernement prussien protégeait exclusivement. L’évêque, en publiant un mandement à cet égard était parfaitement dans son droit, il ne faisait même que remplir son devoir, car il devait prémunir le clergé de son diocèse contre les erreurs de cette doctrine, et si le gouvernement prussien la protégeait, ce n’était pas un motif pour l’évêque de Liége de manquer à ses devoirs.
L’honorable député de Bruxelles nous a aussi entretenus de l’institution du cardinalat en Belgique ; il a considéré cette institution comme une faveur qui avait été particulièrement accordé à l’archevêque de Malines. Messieurs, je suis pertinemment informé depuis longtemps que le digne archevêque de Malines n’a pas recherché le cardinalat ; bien au contraire, il s’est très longtemps opposé à ce que cette dignité lui fût accordée. Lorsqu’enfin il l’a acceptée, et lorsqu’un subside a été demandé de ce chef à la chambre, c’était à la chambre à examiner si l’institution du cardinalat était nécessaire ou utile en Belgique. La chambre a émis son vote à cet égard, et je ne pense pas que le digne archevêque de Malines ait à subir les conséquences du vote de la chambre.
L’honorable député de Bruxelles a dit aussi que le subside demandé pour le petit séminaire de Rolduc porterait atteinte à la liberté d’instruction, que l’allocation de semblables subsides constituerait pour les collèges ecclésiastiques une faveur, que cela leur donnerait une influence au détriment des collèges laïques. Si l’honorable membre avait jeté les yeux sur la liste qui nous a été présentée par le rapporteur du dernier budget de l’intérieur, il aurait vu qu’un grand nombre de collèges laïques sont subsidiés par l’Etat. Eh bien, messieurs, si dans un besoin aussi urgent, aussi bien constaté que celui dont il s’agit aujourd’hui, l’Etat ne venait pas au secours du collège de Saint-Trond, ce serait certainement là détruire le principe de la liberté de l’instruction.
Au surplus, comme l’honorable député de Bruxelles l’a fait observer lui-même, la liberté d’instruction produit la meilleure production. C’est aux familles à examiner quels sont les collèges qui donnent la meilleure instruction, qui forment le mieux les élèves soit dans la science, soit dans la morale, et lorsqu’il existe une parfaire liberté pour les familles d’envoyer leurs enfants, soit à tel collège, soit à tel autre, je ne pense pas que la liberté de l'enseignement puisse être affectée, mais je pense au contraire que dans ce cas la liberté de l’enseignement est complète par le libre choix que possèdent toutes les familles d’envoyer leurs enfants dans tel établissement plutôt que dans tel autre.
M. Dumortier – Messieurs, si l’honorable député de Bruxelles qui a parlé à la fin de la séance d’hier se fût borné à contester l’intitulé du crédit qui nous est demandé, ou à combattre l’élévation du chiffre, je ne me serais pas levé pour lui répondre, mais lorsque l’honorable membre est venu porter la question sur un terrain tout à fait différent, lorsqu’il est venu présenter la demande de crédit comme une infraction à la constitution, comme une violation de la liberté de l'enseignement, j’ai cru qu’il était de mon devoir de lui répondre quelques mots.
Messieurs, je ne puis en aucune façon considérer le vote d’un subside qui n’est que le résultat des graves événements de l’année dernière, comme une atteinte portée à la liberté de l’enseignement. D’abord, je dois déclarer que si l’on venait dans des circonstances ordinaires faire la demande d’un crédit semblable à celui dont il s’agit en ce moment, je le refuserais positivement, mais nous ne nous trouvons pas ici dans une position ordinaire ; nous nous trouvons à la suite de l’exécution d’un traité qui a enlevé à l’évêché de Liége un de ses principales institutions. Cela modifie totalement la question, et je le démontrerai tout à l’heure.
L’honorable préopinant auquel je réponds considère les petits séminaires et le vote que la chambre est appelé à émettre relativement au petit séminaire du diocèse de Liége, comme une chose inconstitutionnelle. L’évêque de Liége a dit dans un rapport, je pense, que de ce petit séminaire il sort de bons instituteurs, de bons secrétaires ; « eh bien, s’écrie-t-on ! cela porte atteinte à la liberté d’enseignement. » Je ne vois point, messieurs, en quoi la liberté d’enseignement peut être lésée de ce qu’il existe des écoles qui ne sont point payées par le gouvernement ; mais, bien au contraire, ces écoles sont précisément le résultat de la liberté d’enseignement, elles ne peuvent exister que par cette liberté. Si vous voulez établir la concurrence, si vous voulez établir des écoles rivales faites-le ; tout sera au mieux.
Des membres – Mais on demande un subside.
M. Dumortier – J’ai déjà dit que nous nous trouvons dans des circonstances spéciales, qu’il s’agit de réparer un mal causé par le traité. Je reviendrai sur ce point.
Ce qui paraît tourmenter l’honorable député de Bruxelles, c’est que les petits séminaires sont fort fréquentés, qu’il en sort de bons instituteurs, de bons secrétaires, et de là il conclut que la demande de crédit porte atteinte à la liberté de l’instruction : Voilà, s’écrie-il, où l’on marche, voilà la marche que nous voulons arrêter. Il faut en convenir, messieurs, c’est bien malheureux de voir des établissements qui ont la confiance du pays, produire de bons instituteurs, de bons secrétaires.
Remarquez, messieurs, que les crédits que nous votons annuellement pour l’instruction publique sont tous accordés à des établissements qui ne sont pas le moins du monde sous la direction de l'épiscopat ; je ne pense pas que les collèges épiscopaux touchent un centime sur les fonds que nous allouons pour l’instruction secondaire. Ces établissements se soutiennent donc par eux-mêmes, par la confiance qu’ils inspirent aux pères de famille, et certes on ne peut pas voir en cela une atteinte portée à la liberté de l’enseignement. Disons-le, messieurs, lorsqu’on s’élève contre des établissements qui ne prospèrent que parce qu’ils ont la confiance du pays, c’est contre le pays lui-même que l’on s’élève.
L’honorable préopinant s’est plaint de l’intervention des évêques dans les élections : pour mon compte, j’ai toujours été opposé aux interventions hiérarchisées, et je ne saurais les approuver. D’abord j’admets le règne des influences, je dis que les élections sont le résultat des influences ; mais si quelqu’un n’est pas en droit de blâmer l’influence que des évêques peuvent exercer en pareil cas, je crois que c’est l’honorable préopinant auquel je réponds. Comment ! vous ne voulez pas l’intervention des évêques dans les élections du pays, et vous voulez bien de l'intervention des sociétés secrètes ; il faudrait commencer par vous mettre d’accord avec vous-même.
Quant à moi, je ne puis pas plus approuver une semblable intervention, qu’elle parte du tablier, ou qu’elle parte de la mitre. Mais voilà comment nous sommes faits : nous voyons la paille dans l’œil de notre voisin et nous ne voyons pas le sommier dans le nôtre ; nous voyons la crosse dans la main de notre ennemi et nous ne voyons pas le maillet que nous tenons dans la nôtre. (Hilarité).
Messieurs, il faut être juste envers tout le monde, même envers les évêques. La question se borne donc à des termes très simples ; il s’agit de savoir si c’est en vertu du traité du 15 novembre que l’évêché de Liége a perdu une de ses principales ressources, un de ses principaux établissements. Je n’ai pas voté messieurs, pour le traité, je l’ai combattu de tous mes moyens, j’ai employé tous mes efforts pour éviter au pays cette humiliation. Mais lorsque le traité a été exécuté, je me suis soumis à la loi de la nécessité, et j’ai prêté mon vote à fermer toutes les plaies qui résultaient du traité. Qu’avez-vous fait par suite du traité ? Vous avez pris à tâche de cicatriser toutes les blessures faites par le traité. A cet effet, vous avez commencé par maintenir les traitements des fonctionnaires publics des parties cédées. Plus tard, vous avez établi un droit considérable pour racheter le péage sur l’Escaut. Vous avez ensuite admis un tarif qui grève le pays à perpétuité, et cela pour donner une fiche de consolation aux frères qu’on nous a enlevés, et qui certes mériteraient d’être encore Belges aujourd’hui.
Eh bien, puisque vous avez accordé toutes ces réparations, pourquoi donc refuseriez-vous à l’évêché de Liége ce que vous avez donné à d’autres. Vous parlez de justice distributive, vous parlez d’égalité. Mais, commencez donc vous-même par entrer dans des voies d’égalité ; soyez, je le répète, juste envers tout le monde, même envers les évêques.
Messieurs, la chambre a pris à tâche, dans toutes les circonstances, de porter remède à tous les malheurs que les événements avaient pu causer aux établissements du pays. Ainsi, pendant notre état de guerre avec la Hollande, nous avons consenti à payer sans interruption la dette inscrite au byboek, qui s’élevait à un somme quelconque. Nous avons également payé pendant la même époque, aux hospices et à d’autres institutions de bienfaisance du pays l’intérêt des sommes qu’ils avaient à réclamer à charge de la dette hollandaise.
Nous avons donc cherché par tous les moyens à porter remèdes aux plaies que les événements avaient faites aux établissements du pays. Mais à cet égard, dès qu’il s’agit d’un évêque, il semble que nous devions écarter la demande. Pour moi, je n’ai pas deux poids et deux mesures. J’ai voté contre le traité que je regardais comme un acte déplorable pour le pays. Mais du moment que le traité a été voté, j’ai concouru à cicatriser toutes les plaies qui en ont été la conséquence, et maintenant qu’il y a encore une mesure semblable à prendre, je suis encore disposé à y donner mon vote. Le traité a exproprié l’évêché de Liége d’une propriété qui lui était précieuse : c’est donc un devoir pour le pays de concourir à faire disparaître les conséquences de cette expropriation. Vous avez voté le traité pour constituer la Belgique ; eh bien, vous avez constitué la Belgique aux dépens d’une institution nationale, vous devez donc offrir un dédommagement à cette institution nationale.
Je voterai donc pour le crédit qui nous est demandé. Mais j’engage vivement le gouvernement de veiller à ce que la dépense ne soit pas exagérée ; je l’engage surtout à ne pas écouter les conseils des architectes qui sont toujours disposés à faire des édifices pompeux et monumentaux, alors qu’il ne s’agit que de construire un bâtiment simple et utile ; je l’engage à apporter la plus grande économie dans les constructions, pour ne pas être exposé à faire de nouvelles demandes qui sont toujours déplaisantes, et qui même peuvent être rejetées.
M. Milcamps – Messieurs, nous n’avons à examiner dans cette discussion aucune question de droit. La demande d’un crédit de 100,000 francs pour l’érection d’un petit séminaire à Saint-Trond, en remplacement de celui de Rolduc, ne repose pas sur un droit. Les sections et la section centrale ont reconnu que l’Etat n’est pas obligé d’intervenir, et cependant la section centrale, à l’unanimité, conclut à l’adoption de l’allocation.
Nous n’avons pas à examiner non plus ce que c’est qu’un petit séminaire ; ce n’est pas un établissement destiné à former de bons prêtres, une maison de probation, c’est un collège ou école moyenne, et chacun sait ce qu’est une école moyenne.
Ce que nous avons à examiner, c’est la question de savoir s’il existe de motifs suffisants pour allouer le crédit demandé.
Je n’entends pas faire de l’objet qui nous occupe une question politique, encore moins une question personnelle ; à chacun ses droits : que l’autorité ecclésiastique fasse ses efforts pour faire dominer les idées religieuses, que, par des institutions nombreuses et fortes, elle envahisse l’instruction, même l’instruction nationale, nous n’avons mot à lui dire ; nous sommes une nation qui a pour objet direct de sa constitution la liberté en tout et pour tous, liberté de croyance et d’enseignement, de discipline et de culte. La seule chose qui nous soit permise, tout en reconnaissant que l’Etat ne peut intervenir contre la puissance religieuse, dans les cas même où elle devient prépondérante et exclusive, c’est de créer pour les intérêts politiques et les questions sociales des institutions nationales, en un mot, un enseignement public.
Je n’examine pas si toutes les libertés consacrées par la constitution sont des nécessités de l’époque. Elles demandent une longue expérience pour pouvoir être appréciées et jugées, et d’ailleurs il ne s’agit de tout cela aujourd’hui que bien indirectement ; j’en ai dit un mot parce qu’on en a parlé.
Je reviens à l’allocation demandée.
De tous les motifs donnés à l’appui, et que nous trouvons dans le rapport de la section centrale, le moins fondé et plus inconséquent est celui de force majeure.
Je dis le moins fondé parce personne ne répond de la force majeure ; je dis le plus inconséquent, parce que nous sommes à la veille d’une discussion dans laquelle nous aurons à délibérer si nous voterons des subsides en faveur des victimes de l’agression hollandaise et des pillages, qui invoqueront aussi la force majeure.
Ce n’est pas, messieurs, que je considère les questions relativement à ces trois points, comme identiques, mais on ne peut nier qu’elles ont de l’analogie. Il est douteux qu’il soit moins difficile au diocèse de Liége de réparer ses pertes résultant du traité, qu’aux victimes de réparer leurs désastres.
La province de Limbourg possédait, à Rolduc, un petit séminaire, ou école moyenne. Les pères de famille y trouvaient un moyen facile de faire instruire leurs enfants. Rolduc se trouvant compris dans la partie cédée et séparée du diocèse de Liége, ils ont intérêt, les pères de famille, de voir rétablir le petit séminaire dans la partie conservée. Au point de vue de l’instruction, cette école moyenne est pour la province de Limbourg utile, d’une utilité permanente. Jusqu’ici il n’est pas démontré que l’enseignement des écoles moyennes dirigées par des ecclésiastiques soit inférieur à celui des écoles dirigées par des laïques. D’ailleurs, que demande-t-on pour la province ? un moyen d’instruction, le rétablissement d’une école dont elle était en possession.
Mais, ce n’est pas l’administration provincial, dans un intérêt provincial, qui réclame ce subside, ce n’est pas pour acquérir au profit de la province, c'est vrai et je le regrette, c’est le diocèse de Liége qui réclame, quoi ? Un don, un acte de munificence nationale, à titre de réparation de dommage pour pouvoir acquérir pour sa maison. Mais c’est là justement le vice de la demande ; c'est ce qui constitue la difficulté. C’est établir un précédent pour tous les cas où l’autorité ecclésiastique viendra vous exposer qu’il y a quelque chose à faire dans tel ou tel lieu, dans l’intérêt de l’instruction.
C’est un exemple à imiter dans l’avenir ; je veux bien reconnaître, dans un intérêt provincial, la justice de la demande. Je veux bien accorder à la province un subside, aux fons qu’on se propose, mais à cette condition de ne le remettre au diocèse qu’à condition de le rendre si l’établissement cessait d’avoir sa destination. Donner de l’argent à une mainmorte, pour acquérir, mais c’est extraordinaire. Je ne veux pas donner au diocèse de l’argent pour réparation d’un dommage causé par le traité, parce que ce serait établir un précédent pour toute demande de subsides qu’auraient à faire tous ceux qui auraient éprouvé des pertes par le traité ; un précédent dangereux devant la grave discussion pour pertes résultant de l’agression hollandaise et des pillages. Je veux à cet égard conserver une liberté d’action, et qu’on ne puisse pas m’opposer un préjugé.
Aujourd’hui, nous discutons pour réparer un dommage causé par le traité. C’est une mesure d’équité qu’on réclame.
Bientôt il s’agira de dommages causés par les pillages dont la ville de Bruxelles et autres demanderont a fortiori la réparation aussi à titre d’équité.
Il s’agira de réparer les dommages causés par l’agression hollandaise. Ce sera une mesure d’équité et d’humanité qu’on réclamera.
Après avoir voté le subside réclamé par le diocèse de Liége pour réparer les pertes causées par le traité à sa maison, pourrions-nous échapper à l’accusation de manquer aux règles de la justice distributive, si nous refusions des subsides aux victimes de l’agression hollandaise et des pillages ?
Ceux qui ont une opinion arrêtée, d’accorde des subsides à ces victimes, doivent se réjouir de la proposition qui nous est faite de voter un subside en faveur du diocèse de Liége. Sera-ce le plus grand nombre ? Je l’ignore.
Songez que nous, législateurs, nous ne sommes que sous le poids d’une responsabilité morale, mais aux yeux de l’homme de bien c’est la plus grave de toutes.
Depuis deux jours que je m’occupe de cette affaire, je suis dans une grande perplexité. Je ne sais quel parti prendre ; d’abord, je trouvais qu’il était impossible d’accorder le crédit par les motifs donnés par la section centrale, ensuite il me paraissait qu’il était juste de donner aux pères de famille du Limbourg un moyen facile de faire instruire leurs enfants. Aujourd’hui les principes me replacent dans l’incertitude. Je me demande, si, au lieu d’accorder le crédit au diocèse de Liége, on n’atteindrait pas le même résultat en l’accordant à la province, à la condition que j’ai exprimée ou à toute autre que la législature trouverait convenable. Je me demande surtout si cette allocation est tellement urgente, que la discussion n’en puisse être ajournée jusqu’à celle de la loi sur les indemnités.
M. le président – M. Milcamps propose d’ajourner la discussion.
M. Dolez – Par sous-amendement je propose de joindre cette discussion à celle du projet de loi sur les indemnités.
M. le président – La parole est à M. F. de Mérode.
Des membres – Est-ce sur la motion d’ordre ?
M. le président – La question d’ajournement ne suspend pas la discussion sur le projet de loi.
M. Fleussu – Messieurs, je crois que si nous voulons gagner du temps, nous devons mettre aux voix la proposition de M. Milcamps, car si elle est adoptée, tous les discours qui auraient été prononcés avant cette adoption, l’auraient été en pure perte. Messieurs les ministres, qui se montrent si économes des moments de la chambre, ne laisseront sans doute pas échapper cette occasion de faire une économie si facile. (Aux voix ! aux voix !)
M. le président – C’est une infraction au règlement qu’il s’agit de mettre aux voix.
M. Demonceau – Messieurs, après un premier ajournement, on vient en proposer un autre, alors que la question est instruite. Ce n’est pas ainsi qu’une chambre délibère. Il faut trancher la question, dire oui ou non : Vous êtes assez éclairés pour vous prononcer. L’on vous propose de voter l’ajournement, et voilà deux jours que nous discutons. Est-ce dont ainsi que la législature croit pouvoir procéder ? Quant à moi, je tiens beaucoup à émettre mon opinion, et surtout à faire comprendre à la chambre de quelle manière j’envisage la question telle qu’elle lui est soumise. Je regrette qu’on se soit écarté du véritable point de vue. J’avoue que cette question peut avoir quelque rapport avec la question dite des indemnités, je me permets de la rappeler chaque fois que nous avons trouvé une réclamation assez instruite pour y faire droit, toujours nous nous sommes empressés de l’accueillir. Moi-même j’en ai donné l’exemple.
Qu’on me permette de rappeler une discussion à laquelle nous nous sommes livrés le lendemain du jour où le traité a été voté ; il s’agissait alors de chercher à réparer des pertes qui, dans mon opinion, sont irréparables. Que fîmes-nous alors ? Un projet de loi nous fut proposé, et nous fûmes unanimes pour donner au Luxembourg au moins quelques fiches de consolation.
Le gouvernement n’avait pas songé au Limbourg, car, vous vous en souvenez, et le Limbourg trouva en moi un défenseur comme le Luxembourg, car toujours le Luxembourg comme le Limbourg trouveront en moi un défenseur. Nous obtînmes une exception en faveur du Limbourg. Le Limbourg avait adressé plusieurs réclamations. Quelles furent les paroles que nous entendîmes dans cette enceinte ? les réclamations ne sont pas suffisamment instruites, mais nous vous promettons de la manière la plus solennelle, ce sont ceux qui ont voté le traité qui ont fait cette promesse, nous promettons, de la manière la plus solennelle, disaient-ils, de saisir toutes les occasions de faire oublier, de réparer les malheurs qu’entraîne ce traité.
Faites tomber une pluie d’or dans les parties cédées du Limbourg et du Luxembourg, vous ne les empêcherez pas de maudire le nom de ceux qui les ont cédés. (Exclamations !)
Aujourd’hui surtout qu’après avoir décidé leur séparation sous le rapport civil, vous avez amené leur séparation sous le rapport religieux.
Permettez-moi d’avoir cette opinion, contester-la si vous voulez, mais permettez-moi de dire ma pensée.
M. Verhaegen – C’est une insulte à la majorité de la chambre.
M. Demonceau – J’entends un honorable membre dire que mes paroles sont une insulte à la majorité de la chambre.
Plusieurs voix – Oui ! oui !
M. Demonceau – Je regrette sincèrement qu’on m’attribue cette intention. Toujours, dans cette enceinte, j’ai respecté la majorité ; si l’honorable collège qui me reproche de lui faire insulte est aussi soucieux que moi de la respecter, il ne lui serait arriver de dire hier qu’il fallait que le pays sût comment les majorités se formaient dans cette enceinte.
M. le président – C’est aux populations cédées que s’appliquaient les paroles de M. Demonceau.
M. Demonceau – Je n’adresse à la chambre aucun reproche, mais je dis que j’ai entendu, que les populations cédées se plaindront toujours du résultat de l’acceptation du traité.
M. Dolez – Vous ne savez pas ce que vous dites.
M. Demonceau – Je ne m’écarte en aucune manière de la véritable question. Je rappelle ce qui s’est passé lors de la discussion du traité et depuis son acceptation, et ce que plusieurs voudraient bien oublier.
Je fus l’adversaire du traité.
M. Lebeau – Pas trop.
M. Demonceau - Je l’ai combattu autant que possible, par un vote toujours négatif.
M. Lebeau – Je vous ai vu perplexe.
M. Demonceau – Quand il s’agit de livrer ses frères et de compromettre des intérêts graves, on peut être perplexe.
M. Lebeau – J’ai été le confident de vos irrésolutions ; et je les affirme.
M. Demonceau – L’honorable collègue peut ne pas avoir eu d’irrésolutions, c’est possible.
J’arrive à la question d’ajournement. Je dis que l’affaire me paraît suffisamment instruite, pour être examinée et décidée par la chambre. Je dis que la question d’indemnité peut avoir quelque rapport avec celle qui s’agite en ce moment ; mais la question d’indemnité, en général, n’est pas arrivée au degré de maturité que celle-ci a atteint. Il me semble que nous pouvons, sans inconvénient, discuter cette question. Quand nous arriverons au vote, nous verrons s’il y a lieu d’ajourner oui ou non.
Deux raisons doivent déterminer la chambre à continuer la discussion. Pour ceux qui veulent de l’ajournement, leur conviction est faite ; mais pour ceux qui ne veulent pas de l’ajournement, ils doivent désirer entendre le pour et le contre. Si vous commencez pas décider qu’on votera l’ajournement, vous placez plusieurs membres dans une position telle qu’ils ne pourront pas exprimer leur opinion.
Tout se réunit pour vous engager à continuer la discussion.
M. Liedts – Je viens appuyer de peu de mots l’ajournement proposé par M. Milcamps…
M. le président – Ce n’est pas de cela qu’il s’agit en ce moment ; il s’agit de savoir si on dérogera au règlement. M. Fleussu propose de suspendre la discussion principale.
M. Liedts – J’ai demandé la parole pour soutenir la proposition de M. Milcamps d’ajourner la question qui vous occupe jusqu’à la discussion de la loi sur les indemnités.
M. d’Huart – Je ne trouve dans le règlement aucun article qui porte que la discussion principale doive continuer quand une proposition d’ajournement est faite. Je ne vois que l’article 24 qui soit relatif au cas dont il s’agit, il est ainsi conçu :
« Art. 24. Les réclamations d’ordre du jour, de priorité de rappel au règlement, ont la préférence sur la question principale et en suspendent toujours la discussion. La question préalable, c’est-à-dire, celle qu’il n’y a pas lieu à délibérer, la question d’ajournement, c’est-à-dire, celle qu’il y a lieu de suspendre la délibération ou le vote pendant un temps déterminé, et les amendements, sont mis aux voix avant la proposition principale, les sous-amendements avant les amendements.
« Si dix membres demandent la clôture d’une discussion, la président la met aux voix ; il est permis de prendre la parole pour on contre une demande de clôture.
« Il n’est pas permis de prendre la parole entre deux épreuves. »
Messieurs, trouvez-vous qu’il y ait quelque chose qui s’oppose à la discussion immédiate de la proposition d’ajournement ? Nullement. Il s’agit même d’une question de priorité. Or, ce qui s’applique à la priorité, s’applique également à l’ajournement. D’après le 1er paragraphe de l’article 24, les questions de priorité suspendent toujours la discussion ; nous serions en droit de soutenir qu’il y a lieu de discuter la question d’ajournement sans discuter le fond de la question.
Je pense que M. Liedts est dans son droit en prenant la parole pour appuyer la proposition de M. Milcamps et qu’il pourra en même temps dire ce qu’il voudra sur le fond de la question.
M. le président – Nous sommes d’accord que la motion d’ajournement peut se discuter en même temps que la question principale ; mais nous ne sommes pas d’accord s’il faut suspendre la discussion de la question principale pour ne s’occuper que de la question d’ajournement. Voilà l’incident.
M. d’Huart – Je crois avoir démontré que la question d’ajournement est mise sur le même niveau que la question de priorité, et doit avoir la préférence sur la question principale, et en suspendre toujours la discussion, d’après le règlement. La proposition de M. Milcamps suspend la discussion de la question au fond. C’est la question d’ajournement qu’il y aurait lieu de discuter. Mais je conçois qu’il convient de laisser à ceux qui veulent parler sur l’ajournement la faculté de dire quelque chose du fond de la question, parce que cela peut appuyer la prise en considération de l’ajournement. Je pense que M. Liedts est dans son droit, qu’il peut appuyer la demande d’ajournement et parler du fond sans que la chambre ait aucune résolution à prendre pour le moment.
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – L’honorable préopinant reconnaît qu’on ne peut pas voter maintenant sur la question de M. Milcamps.
Tout ce qui résulte de l’article 24 du règlement, c’est qu’avant de voter sur la question principale, on doit voter sur la question d’ajournement. Je pourra en outre présenter quelques considérations à l’appui de ces observations.
Je rappellerai d’abord les antécédents de cette affaire. Lors de la discussion du budget de l’intérieur, l’honorable M. de Brouckere proposa de distraire cet article et de le renvoyer à l’examen des sections. Il promit et la chambre donna son assentiment à cette promesse, qu’on s’occuperait du fond sans délai, aussitôt que les sections auraient terminé leur examen. Je demande maintenant l’exécution de cette promesse.
Je puis donner de bonnes raisons à l’appui de ce que je demande. Je dis que la question dont il s’agit n’est pas la même que celle d’indemnité. Je déclare que, s’il s’était agi uniquement d’une demande d’indemnité, pour une perte de plus-value sur l’établissement de Rolduc qui aurait dû être mis en vente, je n’aurais jamais fait la proposition dont la chambre est saisie ; mais je l’ai faite parce qu’il s’agit d’un établissement public, d’un établissement indispensable au diocèse de Liége. J’ai pressé la discussion parce qu’il y a urgence de statuer sur cette demande.
Quand il s’est agi de la discussion de la loi de douane, de la loi relative aux fonctionnaires, nous n’avons pas demandé l’ajournement jusqu’à la décision de la question générale des indemnités. Pourquoi ? Parce qu’il y avait urgence de statuer à l’égard des fonctionnaires ainsi que sur les questions de commerce et d’industrie.
Remarquez que dans le projet de loi présenté par le gouvernement et dans celui proposé par la section centrale, il s’agit d’une catégorie spéciale d’indemnités ; des maisons du Parc qui ont été brûlées ou dégradées lors de l’attaque du mois de septembre 1830.
Je ferai remarquer, en outre, que cette discussion a été mise à l’ordre du jour sans contradiction ; elle a figuré sur le même ordre du jour que la loi d’indemnité ; mais il a été décidé par la chambre que la discussion aurait lieu entre les deux votes de la loi sur les chemins vicinaux ; si on voulait proposer l’ajournement, c’était quand j’ai demandé la mise à l’ordre qu’on devait faire cette proposition. C’est après une discussion que l’ordre du jour que j’ai proposé a été adopté. D’ailleurs, la discussion est commencée, je crois qu’elle est assez avancée pour ne pas devoir se prolonger beaucoup.
Par ces diverses considérations, je demande le maintien de l’ordre du jour, la continuation de la discussion du fond, simultanément avec la proposition d’ajournement faite par M. Milcamps, laquelle sera mise aux voix en premier lieu.
M. Fleussu – Il m’a paru que la raison indiquait la marche que j’ai proposée. Je ne parle pas maintenant du règlement, j’en dirai deux mots tout à l’heure.
M. Milcamps a trouvé qu’il y avait une parfaite analogie entre l’indemnité réclamée en faveur de l’évêque de Liége et les indemnités dues à ceux qui ont souffert des dégâts de la guerre, en un mot, de toutes les conséquences de notre révolution. M. Demonceau, bien qu’il ne partage pas du reste son opinion, a été de son avis à cet égard : il a confessé qu’il y avait quelque analogie entre ces deux questions.
Je vous avoue que mon intention était aussi de vous faire la proposition d’ajournement que vous a faite l’honorable M. Milcamps. Je l’aurais faite sans penser que personne eût à se plaindre ; car que demande-t-on ? pour ne rien préjuger sur une question qui peut occasionner à la Belgique une dépense de plusieurs millions, on demande le renvoi au moment où vous vous occuperez de toutes les indemnités. A quel délai nous recule-t-il ? Il y a longtemps que les indemnités sont à l’ordre du jour, c’est une des plus anciennes propositions faites à la chambre ; elle remonte à 1832 ; deux rapports ont été faits sur cette proposition. Et depuis quand, sommes-nous saisis de la proposition qui s’agite en ce moment ? C’était lorsqu’on discutait en sections le budget de l’intérieur, que M. le ministre a présenté cette demande d’allocations.
C’est une chose remarquable que la manière dont nous avons été saisis de cette affaire. Le budget était fait lorsque le ministre a saisi la section centrale (les sections n’ont pas eu à s’en occuper), d’une allocation de 100,000 francs pour cet objet, vous annonçant l’intention de reproduire cette allocation au budget des deux exercices suivants. Le ministre n’ayant pas fait connaître les motifs de sa proposition, on a demandé à quel titre ce subside était demandé. La section centrale n’ayant pas énoncé d’opinion, il a fallu renvoyé aux sections la demande de crédit, car il faut bien pour base à nos discussions un travail préparatoire.
Les sections l’ont examinée ; quoi qu’on en dise, il y a eu divergence d’opinion ; car s’il y a eu unanimité dans la section centrale, c’est parce qu’il y a eu une espèce de transaction, c’est parce qu’on a voulu, par un subside une fois payé, en finir avec cette difficulté.
Mais maintenant nous connaissons les véritables motifs de la demande. Ce n’est plus à titre d’indemnité que M. le ministre demande l’allocation, c’est comme subside en faveur d’établissement d’instruction publique avantageux aux deux provinces de Liége et du Luxembourg. Ainsi ce n’est plus à titre d’indemnité que vous demandez ce subside ! Ainsi, quand un évêque viendra demander un subside en faveur de son petit séminaire, vous le lui accorderez ; car il y aura alors les mêmes motifs qu’aujourd’hui. Alors comme aujourd’hui, ce ne sera pas une indemnité, mais un subside en faveur d’un établissement d’instruction publique, utile à une province. Je dis que, maintenant que nous connaissons le véritable motif de la demande, la question a changé de face, et que nous ne devons pas hésiter à ajourner le projet. Ou il s’agit d’une indemnité, ou il s’agit d’une demande de subsides contraire à nos institutions en matière d’instruction. Dans le premier cas, il y a lieu d’ajourner le projet jusqu’à la discussion de la loi des indemnités ; dans l’autre cas, nous ne pouvons admettre la demande. A quelle époque nous recule le renvoi ? A la loi des indemnités, immédiatement après le budget de la guerre. Et l’on trouve ce retard trop long pour une demande qui n’est pas urgence, car le séminaire de Rolduc est encore debout. Je vous demande ce qui presse ! Vous avez deux ans pour le transférer en Belgique.
Trancher la question, nous a dit un orateur ; quand on veut trancher de suite la difficulté, c’est parce qu’on a une opinion faite d’avance. Je ne suis ni pour l’évêque parce qu’il est évêque, ni contre l’évêque parce qu’il est évêque ; je demande le temps de m’éclairer sur le principe général des indemnités, je m’abstiendra si on me le refuse.
Un mot sur la disposition du règlement que je trouve explicite.
Il porte :
« Art. 24. Les réclamations d’ordre du jour, de priorité et de rappel au règlement ont la préférence sur la question principale, et en suspendent toujours la discussion. »
L’honorable M. Milcamps demande le renvoi à la loi des indemnités ; cette proposition est une réclamation de priorité. Dès lors, aux termes du règlement, elle doit avoir la préférence sur la question principale et en suspendre la discussion.
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Je n’ai nullement dit ce qu’on me prête.
M. Fleussu (s’adressant à M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères) – Vous l’avez dit ; d’ailleurs les sténographes sont là.
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Soit, je l’ai dit dans mon premier discours, on avait demandé si des crédits du même genre que celui qui nous occupe ne seraient pas demandés en faveur d’autres petits séminaires. J’ai répondu qu’une semblable demande ne pourrait se reproduire parce que la Belgique ne se trouverait pas désormais dans la situation où elle a été à l’époque du traité.
M. Fleussu (à M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères) – Vous avez dit que le crédit était demandé comme subside en faveur d’un établissement d’instruction publique.
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – C’est une subtilité que de diviser mon discours. Ce que j’ai dit, je le maintiens.
M. Fleussu (à M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux)) – Vous vous rétractez.
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) (à M. Fleussu) – Du tout, vous me répondrez si vous le jugez à propos.
M. le président – J’invite M. Fleussu à ne pas interrompre l’orateur.
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – J’ai dit qu’il s’agissait d’une simple demande d’indemnités en faveur d’un établissement public nécessaire au diocèse de Liége et dont il était prouvé par l’exécution du traité.
Plusieurs membres – C’est très vrai.
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Du reste, s’il y a eu quelque chose d’ambigu dans mes expressions, je suis maître de donner une explication. Cette explication, je viens de la donner, il ne peut donc rester de doute dans l’esprit de personne.
On dit qu’il n’y a rien d’urgent dans cette question ; mais l’urgence est évidente, car on ne commence pas des bâtisses d’un jour à l’autre. Il faut que la chambre statue pour qu’on sache si on sera dans le cas de pouvoir commencer ou non.
On a dit que la demande avait été faite à la section centrale, après la présentation du budget. Le fait est vrai ; mais j’en ai donné le motif dans la discussion ; c’est que les plans n’ont été remis qu’après la présentation du budget ; force donc m’a été de m’adresser à la section centrale.
Je pourrais citer une autre circonstance où, dans la chambre, on n’a pas proposé d’ajournement. Cependant, c’était une circonstance qui touchait à la question des indemnités ; c’est quand il s’est agi de restaurer les digues des polders. Quel a été l’effet immédiat de ces travaux ? de rendre aux propriétaires des prairies inondées l’usage de leurs propriétés. Voilà plusieurs années que la chambre a voté ce crédit. Vous voyez que les propriétaires des polders se sont adressés à la chambre pour obtenir une indemnité, et qu’on a trouvé que c’était une question spéciale, indépendante de la question des indemnités.
M. Lebeau – Il faut bien se pénétrer de l’idée que tous ceux qui demandent l’ajournement ne sont pas animés d’un esprit d’hostilité contre le projet actuel ; et je crois même que l’ajournement serait un moyen d’assurer au projet en discussion une majorité plus grande. Quant à moi, je le déclare franchement, je suis très décidé à voter pour un subside ; je crois qu’il y a d’excellentes raisons pour le faire ; mais je suis en même temps d’avis que le gouvernement ferait, dans les circonstances actuelles, chose très politique en se ralliant à la motion d’ajournement.
Quelles que soient les précautions dont la section centrale s’est environnée dans le rapport soumis à vos débats, quelle que soit la réserve dont elle ait cru devoir prendre acte, la demande qu’on fait à la chambre est la demande d’une indemnité ; cela est évident ; toutes les protestations ne pourront changer la nature des choses : c’est une indemnité, une indemnité politique ; c’est un acte réparateur, car ce n’est pas l’acquit d’une obligation légale. Sur ce point, il y a accord parfait entre les membres de la section centrale et le gouvernement. Aux termes de la législation existante, l’Etat ni la province ne doivent pas intervenir dans la dépense à résulter du transport du petit séminaire de Rolduc à Saint-Trond. Ce n’est pas, sans doute, un acte de pure munificence qu’on demande. La situation du pays ne permettrait pas de faire une pareille demande. C’est donc, quoi qu’on puisse dire, un acte d’indemnité politique. Qu’il s’applique à une catégorie différente en fait de ceux sur lesquels reposent les propositions d’indemnité qui ont été soumises aux chambres depuis sept années, c’est ce que je ne méconnais pas ; mais que ce soit une indemnité politique, il est impossible de le contester. La logique est plus forte que toutes les protestations. Quoi que vous fassiez, vous aurez préjugé la grande question d’indemnité, par la solution que vous donnerez au projet en discussion.
On argumente, contre l’ajournement, de ce que la chambre a fait relativement au Luxembourg ; mais il y avait là urgence évidente ; là le moindre délai pouvait amener les résultats les plus fâcheux pour les personnes, les plus désastreux pour les choses. Alors les fonctionnaires publics, au moment de notre dépossession du territoire cédé, se trouvaient sans pain, ainsi que leur famille. Là, une demande d’ajournement eût été une cruauté. Les industries du Luxembourg, qui vivaient des relations qu’elles s’étaient créées avec le reste du royaume de Belgique, ces industries, auxquelles vous avez accordé une faveur, une véritable indemnité, croulaient le jour où une ligne douanière se serait élevée entre elles et nous. Il y avait là urgence immédiate. Mais ici en est-il de même ? le projet de loi est la réfutation la plus évidente de l’urgence qu’on veut mettre en avant.
Comment, il y a urgence ! vous ne pouvez attendre quinze jours ! mais nous sommes au cœur de l’hiver, on ne peut songer à bâtir, et vous-mêmes demandez que le subside soit réparti entre trois exercices. Le ministre ne se borne pas à cela : il veut bien laisser indécise, laisser aux éventualités futures la somme de 200,000 francs qui doit compléter le subside.
Je dis, dès lors, qu’il n’y a pas urgence de l’aveu même du gouvernement. Et quel retard peut résulter de la motion de l'honorable M. Milcamps ? Un retard de quinze jours ; car la loi sur les indemnités est à l’ordre du jour immédiatement après le budget de la guerre ; mettons un mois plus tard ; certes il n’y a pas péril en la demeure.
Messieurs, je crois que la loi des indemnités serait un excellent passeport pour le projet actuel. Cette loi des indemnités, sur laquelle je ne veux rien préjuger parce qu’il y a telle catégorie qui peut être écartée, telle autre peut être admise, est la plus naturelle de la présente discussion, et je déclare d’avance que je suis porté à mettre dans cette catégorie les réclamations de la province de Limbourg.
L’ajournement donnerait quelque chose d’impartial à la demande ; et sans accuser les intentions de personne, si, l’on veut précipiter le vote de la loi, elle pourra prendre au dehors une couleur de parti.
Je crois avoir fait la preuve, dans ma carrière parlementaire, non seulement d’impartialité, mais encore de bienveillance envers le clergé chaque fois que j’ai traité des questions qui le concernaient, et je puis me permettre de vous le répéter ; craignez qu’en mettant trop de précipitation dans cette circonstance, vous ne donniez à votre vote la couleur, ou du moins l’apparence d’une affaire de parti.
M. F. de Mérode – Messieurs, je vote la somme nécessaire au rétablissement d’un petit séminaire dont a besoin le diocèse de Liége, ce n’est pas une indemnité que j’applique à la personne de monseigneur Van Bommel, mais bien un subside équitable pour un objet d’utilité publique. C’est pour le même motif que j’ai voter en faveur du subside proposé pour une caserne de gendarmerie à Bruxelles, et précédemment pour une somme considérable destinée à la construction d’un palais de justice dans la capitale.
Ces édifices sont tous très utiles ; c’est pourquoi je crois devoir leur allouer des fonds, nullement toutefois afin d’être agréable soit à monseigneur l’évêque de Liége, soit au colonel commandant la gendarmerie, soit aux présidents de la cour de cassation ou d’appel. Je ne confonds pas l’allocation dont il s’agit avec une loi d’indemnité. Les indemnités concernent des intérêts privés, des intérêts personnels ; ici, messieurs, il s’agit d’un intérêt d’une autre nature. La privation de son petit séminaire est pour un diocèse une perte très sensible et très fâcheuse. Ce diocèse se trouve déjà privé d’une partie notable de sa circonscription. Faut-il encore y ajouter la privation de l'un des moyens indispensables de recruter le ministère ecclésiastique. On veut faire de cette loi un passeport pour les indemnités ; eh bien, je ne veux pas qu’une loi serve de passeport à une autre ; je veut me décider sur chaque loi par des motifs tirés de la loi même. Il est à croire qu’il ne s’agit pas ici d’indemnités ; qu’il s’agit d’un objet d’utilité publique dans le sens religieux. Tout ce que vous votez pour le culte dans les budgets est considéré comme étant d’utilité publique. S’il s’agissait d’indemnité, je la refuserais avant d’avoir accordé des indemnités à ceux qui souffrent par suite de la révolution ; car il ne doit pas y avoir de privilège pour les évêques.
M. Dumortier – Si je croyais que mon vote, donné dans cette circonstance, fût un précédent en faveur de la loi d’indemnité, que je me propose de combattre, je voterais contre la loi. Mais il n’existe aucune espèce de similitude entre ces deux lois. De quoi s’agit-il dans la loi d’indemnité ? Il s’agit d’indemniser les personnes qui ont souffert par le fait de la guerre ou par le fait des pillages, deux choses qui n’ont pas été le résultat de la volonté nationale ; ici il s’agit d’indemniser un établissement perdu par le fait de la volonté nationale, ou, pour parler plus exactement, par suite de la volonté de la majorité de la représentation nationale. C’est une étrange confusion que de vouloir réunir deux choses aussi distinctes ; autant vaudrait mettre les pensions avec les indemnités, tout est indemnité si vous voulez. Il faut donc écarter la motion qui est faite ; et si l’on avait laissé la discussion suivre son cours, elle serait peut-être terminée. Messieurs, il est fâcheux qu’on emploie des moyens détournés pour combattre la proposition qui est en discussion. Si cette proposition ne vous convient pas, combattez-la franchement ; mais n’allez pas, par des moyens détournés et dilatoires, chercher à faire échouer une mesure que vous ne pouvez combattre. De tels moyens sont bons tout au plus au barreau, mais ils sont indignes de la représentation nationale.
L’honorable M. Lebeau a parlé de l’effet de la loi sur le public ; suivant lui, la précipitation du vote pourrait prendre une couleur de parti.
M. Lebeau – C’est un doute que j’ai manifesté.
M. Dumortier – Messieurs, le pays ne regardera jamais comme une affaire de parti, une loi destinée à fermer les plaies faites par le fatal traité, et qui est une suite de celles que vous avez votées. Mais, après avoir accordé justice à tous les particuliers, si vous la refusiez à l’évêque de Liége, alors il serait vrai de dire que votre vote ne serait autre chose qu’un vote de parti.
M. Desmet – L’ajournement est une fin de non recevoir. Il n’y a aucune analogie entre un subside et une indemnité. La loi des indemnités présente les plus grandes difficultés et comprend plusieurs catégories. Je dirai comme M. Dumortier : Si l’on croyait que l’adoption du subside en discussion fût un passeport pour les indemnités, je voterais contre la loi ; je veux aussi combattre les indemnités qui grèveraient le pays tout entier. Le diocèse de Liége est sans petit séminaire, voilà un fait certain ; il en est privé par suite des traités ; voilà un autre fait ; il faut donc lui en donner un autre : et tout cela n’a aucun rapport avec les indemnités.
M. Liedts – Je suis véritablement étonné d’entendre contester par le député de Tournay l’analogie qui existe entre le projet en discussion et la loi des indemnités. On prétend qu’il ne s’agit que d’accorder un subside à un établissement public : mais cette prétention irait peut-être contre les intentions de ceux qui la soutiennent s’ils en examinaient les conséquences. Qui accorde un subside a le droit d’en surveiller l’emploi ; si donc le gouvernement accorde véritablement un subside au petit séminaire, il aura le droit de surveillance sur ce petit séminaire ; ce n’est certes pas là ce que l’on veut.
On prétend ensuite qu’il ne s’agit pas de subside, mais de cicatriser une plaie faite par le traité ; cette plaie, dit-on, est votre œuvre ; c’est à vous à la fermer ; je prends la question sur ce terrain et j’admets le fait et la conséquence. Alors je vous demanderai comment vous pourrez refuser une indemnité à ceux qui ont souffert par suite du statu quo ? Vous avez organisé ce statu quo pour la Belgique ; vous l’avez demandé, dût-il durer pendant un siècle ; eh bien, des familles ont perdu leurs habitations ensevelies sous les eaux pendant la durée de ce statu quo ; leurs pertes sont le résultat de votre œuvre ; et cependant vous déclarez aujourd’hui que vous ne voulez pas leur accorder aucune indemnité ; car la question des propriétaires n’est pas décidée.
Comme la plus grande analogie existe entre la loi que nous discutons et la loi des indemnités, je crois que le gouvernement doit consentir à l’ajournement, afin que toutes ces questions soient vidées en même temps. Mais, dit-on, il faut trancher la question sur laquelle nous délibérons parce qu’elle est mûre. Si l’on veut décider le principe je le veux bien aussi ; mais comment pourrait-on accorder 100 mille francs à l’évêque de Liége, avec la pensée de refuser les indemnités ? peut-on avoir deux poids et deux mesures ? Peut-on refuser quelque soulagement à de pauvres familles qui souffrent depuis si longtemps ?
J’appuie l’ajournement.
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Ceux qui ont perdu, par suite de la guerre de la rupture des polders, des pillages, demandent non un subside, mais une indemnité complète ; si vous voulez de même une indemnité complète pour le petit séminaire de Liége, il faudrait accorder cinq à six cent mille francs. Mais ce n’est pas cela qu’on demande, on réclame simplement un subside. Il s’agit d’une question spéciale d’intérêt général. La question des indemnités et celle du petit séminaire ont des côtés essentiellement distincts : vous avez entendu des orateurs vous dire ici qu’il y avait dans la loi en discussion des motifs d’intérêt public.
Il faut donc que chacun puisse voter librement et apprécier pour chaque cas particulier les motifs de la décision qu’il convient de prendre. Ici, la question a été tellement discutée, qu’on est déjà à peu près en mesure de pouvoir statuer. Il n’y a donc aucun motif raisonnable pour ajourner.
M. Demonceau – Je ne sais, messieurs, si je ne me suis pas exprimé assez clairement ; mais l’honorable M. Fleussu m’a attribué des idées qui ne sont pas les miennes. Il a dit que j’avais reconnu que c’est une indemnité ; j’ai déclaré que c’est une catégorie d’indemnité, mais j’ai eu soin d’ajouter que chaque fois que des questions de ce genre nous étaient arrivées instruites, nous les avions tranchées. Eh bien, dans ce moment, ceux qui considèrent la question sous le rapport d’une indemnité véritable, devraient, ce me semble, voter dès aujourd’hui cette indemnité, et ne pas chercher à la repousser, par des fins de non-recevoir, car remarquez bien, messieurs, que ce sont précisément ceux qui ont parlé contre la proposition qui demandent l’ajournement. (Réclamations.) Il y en a beaucoup, et l’honorable auteur de la proposition d’ajournement, auquel nous devons surtout nous en rapporter, a eu soin de dire que nous allions entrer dans une question grave, et qu’il ne voulait pas la trancher, ainsi par un vote approbatif. La demande d’ajournement qu’il a faite paraît donc avoir un but tout opposé à celui que semblent désirer ceux qui l’appuient.
Eh bien, ceux qui veulent maintenir la question des indemnités dans une bonne position devraient appuyer toutes celles qui sont demandées ; car plus ils laisseront voter de lois d’indemnités plus ils auront de précédents en leur faveur. Déjà nous avons plusieurs de ces précédents ; nous avons le précédent relatif aux fonctionnaires ; le rachat du péage de l’Escaut ; nous avons celui qui concerne les établissements industriels du Luxembourg, celui qui concerne les polders de Lillo, etc. Eh bien, ceux qui désirent que la question des indemnités soit admise, ceux qui désirent un système d’indemnités comme je voudrais le voir admettre, c’est-à-dire des indemnités proportionnées aux ressources de l’Etat et données en ayant égard aux circonstances dans lesquelles les faits qui ont donné lieu à des demandes de ce genre peuvent avoir été posés, ceux-là, loin de s’opposer à ce que l’on vote aujourd’hui le crédit demandé, devraient voter avec nous.
Le rapport qui nous est soumis relativement à la question des indemnités a distingué sept espèces ou catégories d’événements, qui pourraient donner lieu à indemnité ; il faudrait donc, si l’on adoptait l’ajournement, joindre une huitième catégorie à celles qui existent déjà, il faudrait y joindre les événements qui ont été le résultat immédiat du traité ; viendrait donc la question de savoir s’il faut donner une indemnité à l’évêché de Liége pour le mettre à même de transférer son petit séminaire de Rolduc à Saint-Trond. Eh bien, cette question resterait encore isolée, il faudrait toujours l’examiner à part. Pourquoi donc, à présent qu’elle est à peu près instruite, ne voulez-vous pas la décider ? Pourquoi vous, qui désirez voir admettre le système des indemnités, vous opposez-vous à ce qu’il soit établi un nouveau précédente en votre faveur ? Tout se réunit donc pour rejeter l’ajournement.
M. Milcamps – Je regrette, messieurs, que la proposition que j’ai faite, ait excité quelques rumeurs dans sa discussion. Je l’ai faite de bonne foi, consciencieusement, sans opposition, sans esprit de parti, sans arrière-pensée ; et les motifs sur lesquels je l’ai appuyée le prouvent. Je ne reviendrai pas sur ces motifs. Je me contente d’y persister ; sans même rencontre les objections qu’on a faites à ma proposition. Messieurs, je ne puis me dispenser de répondre à un honorable orateur, qui a dit que ce n’était pas par des motions ou par des propositions semblables à celles que j’ai faite, qu’on honorait une assemblée législative. Quant à moi, en faisant ma proposition, je n’ai pas eu, et personne, je pense, ne croira que j’aie exposé le moins du monde l’honneur de la chambre.
J’ai pensé, messieurs, et c’est une conviction que j’ai, une conviction profonde, que la loi que vous allez voter, si elle est adoptée, établit un préjugé en faveur des victimes de l’agression hollandaise et des pillages. Vous aurez beau donner un motif apparent à votre vote, tout le monde croira que vous avez voulu réparer un dommage causé par le traité. Or, la réparation d’un dommage causé est elle autre chose qu’une indemnité. Mais, a dit l’honorable M. Parmentier, le traité est le résultat de la volonté nationale, non, messieurs, le traité est le résultat d’une force majeure.
Ceux qui ont éprouvé du dommage par le canon hollandais ne manqueront pas d’invoquer votre vote. Sans doute votre vote ne vous liera pas de droit. Vous pouvez, si vous le voulez, réparer le dommage causé à l’un et le refuser à l’autre, mais la responsabilité morale est là, et celle-là seule peut vous atteindre.
M. Dolez – Si j’avais besoin d’une preuve du bien-fondé de la demande d’ajournement faite par l’honorable M. Milcamps, je la trouverais dans les motifs contradictoires qui ont été produits par les adversaires de cette demande pour la faire repousser. « Votez la loi en discussion, dit l’honorable M. Demonceau, ce sera un antécédent favorable dans la grande question des indemnités. » « Si je pouvais penser, dit l’honorable M. Dumortier, que le vote de la loi actuelle pût former un antécédent pour la question des indemnités, je me garderais bien de l’adopter. » Voilà, messieurs, quel est le terrain mouvant sur lequel se placent les adversaires que nous avons maintenant à combattre.
Quant à moi, messieurs, qui n’a point encore d’opinion formée sur la grave question des indemnités, et qui, alors même que je serais fixé à cet égard, ne voudrais point voir la chambre s’engager à son insu dans un système quelconque ; quant à moi, qui ne voudrais pas voir la chambre se lier par des antécédents devant lesquels elle craindrait peut-être quelque jour de reculer, je dis qu’il est indispensable, qu’il est de la dignité de la chambre d’adopter la motion d’ajournement.
Il ne s’agit dans l’espèce que d’une indemnité pour un préjudice causé par le traité. Cela est reconnu non seulement par les honorables orateurs que nous entendus tout à l’heure, mais encore par la section centrale, qui a posé la question de cette manière, à l’unanimité.
Permettez-moi, messieurs, de vous rappeler, puisqu’on l’oublie, ce que la section centrale dit à cet égard dans son rapport :
« Quant au subside pétitionné, dit ce rapport à la page 4, la section centrale a pensé qu’il n’existait aucune obligation de la part de l’Etat à intervenir dans la dépense pour la construction du petit séminaire, comme il n’en existe aucun pour les provinces et la commune ; en effet, aucune disposition légale ne met à sa charge, soit une partie, soit la totalité de ces sortes de dépenses. Elle n’a pas été d’avis non plus que le diocèse de Liége pouvait demander ce subside comme un droit résultant de l’exécution du traité. Elle a reconnu le danger qu’il y aurait d’admettre un semblable antécédent, parce que ce serait ouvrir la porte à de nombreuses réclamations qui ne manqueraient pas de surgir ; au reste, le subside n’est point réclamé comme un droit. Mais elle a cru, eu égard aux circonstances, qu’il était convenable, que l’équité même exigeait d’allouer un subside.
« En effet, il est incontestable que la translation du petit séminaire de Rolduc à Saint-Trond doit être attribué à la seule cause de l’exécution du traité du 9 avril, et que si jusqu’ici cet établissement est encore toléré à Rolduc, il n’existe aucune garantie pour son existence future.
« Si donc le traité, qui a assuré au pays une existence nationale, a nécessité cette translation et qu’il en est résulté des pertes considérables pour le diocèse de Liége, il est au moins équitable qu’il ne lui refuse point un subside. »
On lit encore à la page 7 du même rapport :
« La section centrale n’a pas cru qu’il conviendrait de soumettre le subside de l’Etat à la condition de faire intervenir, pour une partie dans la dépense, les provinces de Liége et de Limbourg, qui jouissent principalement du bienfait de cet établissement ; elle a pensé qu’il serait injuste d’exiger d’elle une part spéciale dans une dépense nécessitée par l’exécution du traité, alors que leurs intérêts mêmes ont été fortement froissés par ce même traité. »
Est-ce clair, messieurs, est-ce évident ? La section centrale déclare qu’il n’y a point d’obligation pour l’Etat, qu’il n’y a point de droit pour le diocèse de Liége, mais que l’équité exige la réparation d’un mal résultant du traité qui a consolidé notre nationalité, notre indépendance.
Eh bien, messieurs, quand nous en viendrons à la grande question des indemnités, quels seront donc les motifs que l’on fera valoir ? On dira aussi alors que les malheurs qui ont frappé quelques victimes dans les événements qui ont préparé et amené notre indépendance, doivent être réparés dans le pays. Si les mêmes motifs doivent être invoqués dans les deux circonstances, et s’ils doivent amener une solution identique, n’est-il pas évident qu’il y a une connexité inévitable entre les deux cas ?
Quant à moi, d’accord cette fois avec l’honorable M. Dumortier avec lequel il m’arrive du reste assez souvent de ne pas l’être, je pense que, pour ne point émettre un vote qui lie la chambre pour l’avenir, il est indispensable d’admettre la motion d’ajournement.
On a dit, messieurs, que dans l’espèce il y a une urgence toute particulière. Déjà l’honorable M. Lebeau a répondu à cette observation, mais qu’il me soit permis de rappeler à la chambre un antécédent de fraîche date qui atteste hautement que des motifs d’urgence ne motivent point à vos yeux la marche exceptionnelle qu’on veut vous faire suivre aujourd’hui. Il y a quelques jours, messieurs, un notaire du Limbourg, qui, lui aussi, était frappé dans ses intérêts, frappé même dans son existence et dans celle de sa famille, par l’exécution du traité, est venu demander à la chambre un subside bien minime de 600 francs, je pense ; il disait dans sa pétition que le traité lui avait fait perdre tous ses moyens d’existence ; il invoquait l’urgence de ses besoins. Eh bien, qu’a fait la chambre. S’est-elle émue à la voix d’un père de famille qui manquait du plus strict nécessaire ? A-t-il pensé qu’il fallait suspendre ses travaux et faire droit, avant tout autre examen de la question d’indemnités ? A-t-elle déclaré l’urgence ?
Non, messieurs, la pétition a été déposée au bureau des renseignements, où on la laisse reposer en paix !
L’honorable M. Dumortier qui ne ménage guère d’ordinaire des opinions qu’il n’adopte point, vous disait tout à l’heure qu’une proposition telle que celle de M. Milcamps n’était qu’un moyen détourné pour parvenir au rejet de la loi ; qu’une semblable proposition n’était qu’une de ces armes dont on pouvait faire emploi au barreau, mais point dans cette enceinte.
Si l’honorable M. Dumortier avait, comme moi, l’honneur d’appartenir au barreau, il saurait que ce n’est pas par des moyens détournés que ses membres obtiennent d’ordinaire cette justice, qui est le but de leurs travaux, de leurs efforts, mais que c’est la vérité à la bouche et prenant la loi pour boussole que l’avocat aime à s’adresser au juge. J’ajouterai à cette réponse que je devais à l’observation du député de Tournay que, quant au barreau nous demandons justice, nous avons l’habitude et le bonheur de trouver, pour nous la rendre, des juges impartiaux et tenant d’une main ferme, mais égale, la balance qui leur est confiée. J’aime à croire, messieurs, qu’en parlant dans cette enceinte comme député du pays, je trouverai, dans votre décision, ces mêmes sentiments d’indépendance et d’impartialité. Je voterai pour la motion de l'honorable M. Milcamps.
M. Dumortier – Messieurs, l’honorable député de Mons vous dit : Votez l’ajournement, vous ferez une chose conforme à la dignité de la chambre, conforme à tous les usages parlementaires. La dignité de la chambre !... mais véritablement, c’est la comprendre d’une manière singulière. Comment ! vous faites consister la dignité de la chambre à ajourner une discussion, alors qu’elle est arrivée à son terme. Comment ! la dignité de la chambre consiste à ne rien produire. Moi, je comprends la dignité de la chambre d’une tout autre manière : elle consiste, selon moi, à voter les lois, quand elles sont justes, et à ne pas entraver, je le répète, par des moyens détournés, les discussions qui touchent à leur terme. La dignité de la chambre se trouve par là profondément blessée, car si la chambre pouvait souffrir qu’au moyen d’un incident, on rendît les discussions interminables, évidemment l’assemblée serait, à juste titre, taxée d’impuissance, et perdrait toute sa dignité. Je combats souvent les projets du gouvernement, mais il ne m’est jamais arrivé, et il ne m’arrivera jamais de recourir à des moyens détournés pour écarter une discussion qui tend à son terme. De pareils moyens ne prouvent qu’une chose : c’est la faiblesse des arguments de ceux qui sont opposés à la discussion.
L’honorable préopinant prétend qu’au barreau tout est toujours plein de dignité, et que les avocats se présentent toujours devant la justice, la loi à la main et la vérité à la bouche. Quoique je n’aie pas, comme l’a dit le préopinant, l’honneur d’être avocat, je dirai que je suis cette fois d’accord avec lui, d’autant plus que dans toute question judiciaire il y a toujours des avocats en présence dont l’un plaide le pour, et l’autre le contre, et qui tous deux se présentent la loi à la main et la vérité à la bouche (Hilarité).
Pour en revenir à la proposition d’ajournement, je dis que nous devons la rejeter, parce que nous ne devons pas confondre des choses entièrement distinctes. Jamais je ne pourrais consentir à voter des indemnités pour des faits qui sont contraires à la volonté nationale ; jamais je ne pourrai consentir à voter une indemnité, par exemple, pour un misérable, tel que Libry-Bagnano, qui a causé la révolution ; jamais je ne pourrai consentir à voter des indemnités pour dédommager des étrangers. Je ne me prononce pas ici sur les faits de dommage dont a parlé l’honorable M. Liedts, c’est une question à examiner plus tard.
Messieurs, je crois donc qu’il est nécessaire de séparer la question qui nous occupe de la question sur les indemnités ; il serait d’une haute imprudence de confondre ces deux questions. Je demande qu’on vote maintenant sur la proposition de crédit ; je le demande au nom de l’honneur de la chambre, qui serait vivement compromis, si l’on ajournait de nouveau la question. Le pays pourra dire : la chambre ne peut plus rien produire ; il a fallu quinze jours pour voter une loi, telle qu’elle, sur les chemins vicinaux ; et maintenant, après avoir discuté pendant deux jours sur une question aussi simple, si la chambre prononce un ajournement, c’est l’impuissance parlementaire que vous aurez prononcée.
M. le président*–** Personne ne demandant plus la parole, il va être procédé au vote sur la motion d’ajournement proposée par M. Milcamps. (L’appel nominal !*)
L’appel nominal étant réclamé, il va y être procédé. Ceux qui veulent l’ajournement répondront oui, ceux qui ne veulent pas l’ajournement répondront non.
Voici le résultat du vote :
72 membres y prennent pas.
29 répondent oui. 43 répondent non.
En conséquence, la motion d’ajournement n’est pas adoptée.
Ont répondu oui : MM. Angillis, Coghen, David, de Behr, Delehaye, de Puydt, de Roo, Devaux, de Villegas, Dolez, Dubois, Dumont, Fleussu, Jadot, Lange, Lebeau, Delfosse, Liedts, Lys, Milcamps, Pirmez, Puissant, Rogier, Seron, Sigart, Thienpont, Trentesaux, Troye et Verhaegen.
Ont répondu non : MM. Cools, Coppieters, de Florisone, de Garcia de la Vega, de Meer de Moorsel, F. de Mérode, W. de Mérode, Demonceau, de Nef, de Potter, de Renesse, de Sécus, Desmaisières, Desmet, de Theux, d’Hoffschmidt, d’Huart, B. Dubus, Dumortier, Eloy de Burdinne, Fallon, Hye-Hoys, Kervyn, Lejeune, Delfosse, Maertens, Meeus, Morel-Danheel, Nothomb, Polfvliet, Raikem, Raymaeckers, Scheyven, Simons, Smits, Ullens, Van Cutsem, Vandenbossche, Vandensteen, Vanderbelen, Wallaert, Willmar, Zoude et Dedecker.
La séance est levée à quatre heures et trois quarts.