(Moniteur belge n°37 du 6 février 1840)
(Présidence de M. Fallon)
M. Mast de Vries procède à l’appel nominal à une heure.
M. B. Dubus donne lecture du procès-verbal de la dernière séance. La rédaction en est adoptée.
M. Mast de Vries donne communication des pièces adressées à la chambre :
« Les propriétaires et fermiers du polder Lillo demandent que la chambre s’occupe de la loi relative aux indemnités. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet sur la matière.
« Des notables et cultivateurs de la commune de Ruyen demandent que le droit sur le lin soit augmenté à la sortie. »
- Renvoi à la commission des pétitions avec demande d’un prompt rapport.
« Les habitants de la commune d’Heule (Flandre occidentale) demandent une augmentation du droit sur le lin à la sortie. »
- Renvoi à la commission avec demande d’un prompt rapport.
« Le sieur E. Vanmigem, instituteur, demande que la chambre s’occupe de la discussion de la loi sur l’instruction primaire et moyenne. »
- Renvoi à la section centrale chargée de l’examen du projet de loi sur la matière.
« Le conseil communal de Laplaigne (Hainaut) se plaint des dommages considérables causés au village par les inondations de l’Escaut. »
M. Doignon – Messieurs, je demande que cette pétition soit renvoyée à la commission des pétitions avec demande d’un prompt rapport. L’administration de l’Escaut est aujourd’hui dans les attributions du gouvernement, et c’est à lui qu’il incombe de pourvoir aux moyens de remédier aux inondations dont le conseil communal de Laplaigne se plaint. Ce village est, à l’heure qu’il est, en grande partie sous les eaux. Il est donc de tout urgence de prendre des mesures pour prévenir les ravages du fleuve. Je demande donc que la commission fasse un prompt rapport.
- Cette proposition est acceptée.
« Le conseil communal d’Auvelais demande le prompt achèvement de la route de Ligny à Dencé. »
M. de Garcia – Je demande que cette pétition soit renvoyée à M. le ministre des travaux publics, avec invitation de donner des explications à la chambre sur cette requête.
Voici le motif de ma proposition :
Dans le pays d’Entre-Sambre-et-Meuse, la construction de certaines routes est adjugée par voie de concession ; ces routes devraient être achevées depuis longtemps, mais les adjudicataires n’ont pas rempli les conditions du cahier des charges ; il en résulte que dans cette partie de la province de Namur il n’y a des routes ébauchées qui empêchent la circulation sur les chemins vicinaux.
M. le président – Je ferai observer à M. de Garcia que le règlement s’oppose à ce qu’une pétition soit renvoyée directement à un ministre, à moins d’avoir passé par la filière de la commission.
M. de Garcia**–** S’il en est ainsi, je demande que la pétition soit renvoyée à la commission, avec invitation de faire un prompt rapport ; je viens de justifier cette proposition. Une population entière se trouve privée de communication. La ville de Frosse est, par suite de l’ébauchement de ces routes, dans une sorte de blocus.
- La proposition de M. de Garcia est adoptée.
M. de Foere – Messieurs, la section centrale laisse en blanc les principales questions qui se rattachent au projet de loi.
D’abord, elle n’a pas décidé, dit-elle, s’il était vrai, ainsi que le prétend la deuxième section, que la rareté du numéraire se fît vivement sentir en Belgique. Elle n’a pas décidé non plus si, en achetant 27,600 kilogrammes d’argent au titre de 0,980, et si, en mêlant cet argent fin aux métaux que nous possédons, en le fabriquant en monnaie et en jetant cette monnaie dans la circulation, on parviendrait à augmenter réellement la masse de la monnaie circulante en Belgique. Il existe sur ce point des idées fort divergentes.
Voilà deux questions que la section centrale ne décide pas. Ce sont cependant deux points qui dominent le projet sous le rapport de son exécution la plus favorable. En effet, si on convertit les anciennes monnaies en lingot, il importe de savoir ce qu’on fera de ces lingots.
La section centrale ne décide pas si le besoin de numéraire se fait sentir en Belgique. Pour vérifier ce fait, il ne fallait pas qu’elle se livrât à des recherches de statistiques pénibles sur la question de savoir quelle est à l’intérieur du pays, dans les transactions journalières de toute nature, la somme de l’un moyen des échanges et, de l’autre, la somme de l'autre moyen des échanges qui est l’argent, question d’autant plus pénible à résoudre que la présence ou l’absence du crédit public et en particulier, avec toutes les fluctuations qu’il subit et auxquelles il est à chaque instant exposé, doit exercer une grande influence sur sa résolution. Mais sans se livrer à des recherches laborieuses et souvent inutiles, il existe des symptômes auxquels la section centrale pouvait reconnaître la rareté ou l’abondance de l’argent.
Avant d’énumérer ces symptômes de rareté numéraire, il est nécessaire de distinguer entre l’argent qui prend la direction des biens territoriaux et celui qui se jette dans le commerce, dans l’industrie, dans les fonds publics et dans les autres transactions journalières. L’argent que les valeurs territoriales absorbent est en dehors du crédit commercial et industriel. Plus le numéraire du pays prend cette direction, plus aussi le crédit commercial et industriel est affaibli. Or, personne ne peut nier aujourd’hui que l’argent se jette en masse sur les biens fonds, attendu que leur valeur est, depuis longtemps, très élevée et qu’ils ne donnent qu’un intérêt de 2 ou de 2 ½ p.c. La raison en est simple, c’est que le crédit commercial et industriel a reçu de graves atteintes et que les capitalistes cherchent à donner à leurs capitaux un placement sûr, quoique désavantageux quant aux intérêts.
C’est cette distinction, messieurs, que, dans une séance précédente, l’honorable ministre de l’intérieur a perdu de vue, lorsqu’il a voulu prouver l’abondance du numéraire qui existe dans le pays sous le rapport commercial, car c’était sous ce seul rapport que la question de l’abondance ou de la rareté du numéraire avait été soulevée. Il a donc pris pour un symptôme d’abondance du numéraire ce qui est, au contraire, un symptôme de sa rareté, car il est évident que, plus une marchandise, comme les terres, est chère, plus le cercle des capitaux et des acheteurs qui se jettent sur cette marchandise est agrandi, et plus, par conséquent, le cercle des capitaux confiés au commerce et à l’industrie s’est rétréci.
La première cause de la rareté de l’argent et de l’affaiblissement du crédit commercial est dans le fait que M. le ministre a allégué pour prouver l’abondance du numéraire commercial.
Le deuxième symptôme est dans la suspension de la banque de Belgique, qui a eu pour résultat aussi déplorable qu’infaillible l’affaiblissement du crédit commercial et industriel ; résultat qui, de longtemps, ne sera pas effacé. Il s’en est suivi que les bourses des capitalistes se sont serrées, pour ne les ouvrir qu’en présence de placements sûrs.
Le troisième symptôme sûr, c’est la défaveur que présente continuellement notre balance commerce extérieure. Je persiste à soutenir que la différence ne peut être payée à l’étranger qu’en numéraire. Il est des adversaires, et notamment l’honorable rapporteur du projet, qui conteste cette assertion que j’ai fondée sur des faits. Mais, en la contestant, il ne nous indique aucun autre moyen, par lequel nous soldons cette différence. Je désirerais connaître cet autre moyen ; alors une discussion régulière pourrait s’établir sur cette question, si toutefois, c’en est une. L’honorable rapporteur va même jusqu’à dire que le numéraire ne peut pas sortir du pays ; mais c’est encore une assertion gratuite. Et quand, messieurs, l’honorable M. Pirmez a-t-il lancé cette opinion dans nos discussions ? C’était en présence des faits qui, coup sur coup, se déroulent aux Etats-Unis devant les yeux du monde commercial tout entier. La rareté du numéraire aux Etats-Unis est produite par la seule cause que les opérations commerciales ont été conduites de façon à présenter une défaveur dans le commerce international. La balance a été rompue ; il a fallu faire face, au moyen du numéraire, aux avances que les banques d’Angleterre avaient faites à l’Amérique du Nord. Ces banques, et notamment la grande banque de Londres, a ressenti le contrecoup au point qu’il lui a fallu emprunter à la banque de France. Au surplus, le dernier message du président des Etats-Unis a dû dissiper radicalement toutes les hésitations qui pouvaient encre exister sur ce point.
Ne pensez pas que je veuille établir que la balance commerciale du pays sera toujours aussi considérablement en sa défaveur qu’elle les depuis … ans. Non, messieurs, la différence diminuera même malgré vous et aux dépens de votre aisance et de votre prospérité industrielle et commerciale. Voici comment vous serez amenés forcément à une espèce d’équilibre de votre balance commerciale. Les importations diminueront en raison des obstacles que rencontrent vos exportations ; l’industrie perdra de son activité dans la même proportion, et vous importations chercheront le niveau de vos exportations. Déjà les importations commencent à chercher cet équilibre, car il est entré dans le port d’Anvers, l’année passée, plus de 300 navires moins que l’année précédente, preuve évidente que vos importations sont déjà diminuées de beaucoup et que l’industrie n’a plus demandé au commerce maritime autant d’éléments de fabricats qu’elle en avait demandé pendant les années précédentes. Vous ferez tout ce que vous voudrez, jamais vous ne pourrez vous soustraire à une loi de la nature. Cette loi, c’est celle qui fait chercher à toutes choses leur niveau. Si vous, pendant quelque temps, vous prétendez, comme vous le faites maintenant, ne pas vous conformer à cette loi, pendant tout ce temps, vous tomberez victimes de vos calculs téméraires et, à la longue, la loi du niveau vous fera exécuter ses volontés impérieuses malgré vous et en dépit de toutes vos prétentions.
Un quatrième symptôme de rareté du numéraire, c’est celui qui déjà vous a été indiqué par l’honorable ministre des finances et par son prédécesseur. Ils ont attaché une grande importance à lever des bons du trésor à l’étranger, afin de faire arriver du numéraire dans le pays. Je ne concevrais pas cette importance, si la circulation du numéraire avait été suffisante aux besoins des transactions journalières. Dans ce dernier cas, et dans mon opinion, ces deux ministres eussent commis une faute grave.
La section centrale se demande : « Que faut-il faire de ces lingots ? » Les considérations que je viens d’avoir l’honneur de présenter à la chambre nous mènent à la réponse que, dans mon opinion, il faut convertir ces lingots en monnaie courante du pays ? J’ajouterai même, d’après l’avis de tous les hommes d’Etat, qu’un des plus grands devoirs qui incombent aux gouvernements de tous les pays est celui de pourvoir à une circulation suffisante de numéraire. L’argent est l’un des instruments des échanges qui s’opèrent chaque jour dans les transactions, et si cet instrument manque, surtout en présence de la restriction du crédit, il en résulte les plus déplorables perturbations. Il vous reste cependant un moyen en dehors de ces principes généralement reconnus, c’est celui d’établir un système de circulation, tel qu’il est établi en Ecosse ; mais alors je vous demanderai : Quels sont les moyens que vous avez d’établir ce système chez nous ? Pour ma part, je n’en découvre aucun.
La section centrale ne décide pas non plus, dit-elle, si, en jetant cette monnaie que les lingots auraient produite, dans la circulation, on parviendrait à augmenter réellement la masse de la monnaie circulante en Belgique. « Il existe sur ce point, ajoute-t-elle, des idées fort divergentes. » Si des idées doivent toujours prévaloir sur des faits généralement reconnus, alors je comprends que, pour le malheur du pays, nous resterons toujours plongés dans des doutes extrêmement pernicieux. Mais remarquez, messieurs, que c’est surtout l’opinion des rapporteurs qui domine dans les rapports qui nous sont présentés sur de semblables questions. Or, l’honorable M. Pirmez a plusieurs fois soutenu dans cette enceinte, non seulement que l’argent ne sort pas du pays, mais qu’il ne peut en sortir. Mais si le numéraire ne peut sortir du pays, je ne comprends pas pourquoi il doute que deux millions de numéraire n’augmenteraient pas dans cette proportion la masse de la monnaie qui circule dans le pays.
Je bornerai là , pour le moment, mes observations. Je conclus à la conversion des lingots en monnaie du pays, eu égard aux causes qui, en présence surtout de l’affaiblissement du crédit, produisent chez nous la rareté du numéraire et qui l’augmenteront encore.
M. Pirmez, rapporteur – Messieurs, l’honorable préopinant dénature le sens des mots que j’ai pu prononcer dans d’autres circonstances. Quand j’ai dit que le numéraire ne sortait pas du pays j’ai toujours expliqué que ce n’était pas le numéraire qui fait la balance commerciale d’un pays. Si l’honorable membre avait lu attentivement mon rapport, il aurait vu que mon opinion n’est pas telle qu’il l’a commentée.
Que la chambre me permettre de lire un passage de ce rapport :
« Toutefois on a fait remarquer, sur cette importante question, que l’exposé de motifs dit que le directeur de la monnaie ne pourrait peut-être pas se procurer facilement les 27,600 kilogrammes d’argent nécessaire à cette opération, attendu le prix élevé auquel reviendrait en ce moment la matière rendue à Bruxelles. Si cette crainte est fondée, ne doit-on pas conclure que le besoin de monnaie métallique se fait si peu sentir à Bruxelles, que la demande n’en peut élever assez la valeur pour en payer les frais de fabrication, et que les métaux précieux y sont plus estimés sous une autre forme que sous celle de la monnaie, ne serait-elle pas bientôt refondue, ou bien, ne la transporterait-on pas dans d’autres pays où elle a cours, si, dans ces pays, la matière métallique se trouve dans une condition plus favorable sous la forme monétaire ? »
Si l’honorable préopinant avait lu ce passage avec quelque attention, il aurait vu que je suis loin de dire que le numéraire ne va jamais à l’étranger, puisque j’expose une des causes pour lesquelles il pourrait s’y rendre.
Quant à ce qu’a dit l’honorable préopinant sur le prix des terres, je pense que la grande ou la petite quantité de numéraire n’exerce aucune influence à cet égard ; mais ce qui influe sur cet objet, ce sont les richesses, c’est la grande quantité de choses qui se trouvent dans le pays. Ainsi, par exemple, si vous étiez quatre fois plus riches, et que vous eussiez beaucoup moins de monnaies, les terres seraient encore plus chères que maintenant. La valeur des terres doit toujours augmenter avec la civilisation. Plus on créera les autres richesses avec facilité, plus la valeur des terres augmentera, parce qu’on ne peut pas créer la terre ; mais on peut créer avec facilité une infinité d’autres choses.
La monnaie n’influe donc nullement sur le prix des terres ; ainsi que l’a dit l’honorable préopinant, M. le ministre de l'intérieur s’est trompé, en avançant, dans une séance précédente, que la cherté des terres prouvait qu’il y avait beaucoup de numéraire dans le pays ; mais de ce que l’honorable préopinant a signalé une erreur de la part du ministre de l’intérieur, il ne s’ensuit pas que lui-même ne se soit pas trompé à son tour.
M. d’Huart – Messieurs, je pense que, dans ma position d’ancien ministre des finances, il m’importe de donner à la chambre quelques explications pour lui faire comprendre comment il se fait que c’est seulement en 1839 que le projet de loi en discussion a été présenté à la chambre ; il m’importe surtout de vous démonter qu’à cet égard, il n’y a pas eu négligence de ma part, et qu’il n’y a pas eu non plus préjudice causé à l’Etat, par suite d’un délai qui s’est écoulé depuis 1830.
Ce n’a été que dans les derniers temps de mon ministère, c’est-à-dire vers la fin de l’année 1838, que j’ai appris, d’une manière indirecte, qu’il existait dans les caisses du trésor d’anciennes monnaies provinciales et autres. Après ma sortie du ministère, il m’est revenu que, dès 1834, un ou deux mois après mon entrée aux affaires, le caissier de l’Etat avait écrit à mon prédécesseur une lettre dans laquelle il parlait, en quelque sorte incidemment, des monnaies dont il s’agit. Si je suis bien informé, il fut répondu à la première partie de la lettre, et on annonça une réponse ultérieure à la partie de la même dépêche qui concernait les anciennes monnaies provinciales ; mais cette réponse ne fut pas donnée, j’entrai au ministère, et jamais, jusqu’en 1838, mon attention ne fut éveillée sur cet objet.
Vous savez, messieurs, que, chaque semaine, le caissier de l’Etat transmet au ministère des finances un était de situation de caisse, qui indique d’une part le montant des dépenses assignées sur les fonds qui existent en caisse, et de l’autre, le solde disponible, défalcation faite du montant de ces dépenses qu’on appelle dispositions courantes.
A aucune époque, il ne fut, de mon temps, fait mention de ces états de situation des monnaies dont il s’agit, bien que la somme des « cents » et des « demi cents », retirés de la circulation par la loi monétaire de 1832, eût figuré dans ces états, comme un fonds en quelque sorte immobile, comme une masse de métal dont il ne pouvait pas être disposé pour le moment. Ainsi cette circonstance spéciale prouve encore qu’il m’a été impossible de deviner qu’il se trouvait d’anciennes monnaies provinciales dans les caisses du trésor.
Je ferai remarquer, messieurs, qu’il n’est résulté de cette immobilisation d’anciennes monnaies dans les caisses de l’Etat, aucun préjudice pour le trésor public, par la raison bien simple que je n’ai pas émis ni dû émettre des bons du trésor, pour suppléer à la somme que ces anciennes monnaies représentaient, puisque j’ignorais leur existence.
A présent que l’état des choses à été signalé à mon successeur, qu’il est connu de la chambre et du pays, je crois qu’il n’y a pas d’autre marche à suivre que celle que M. le ministre des finances a proposée et que la section centrale a approuvée. Je pense qu’il a très bien fait de s’empresser à vous présenter un projet de loi, afin de pouvoir disposer activement du solde présenté comme disponible dans les états de situation de caisse ; je suis encore d’avis qu’il a proposé les meilleurs moyens de tirer parti de ces anciennes monnaies ; je crois enfin, que s’il ne résulte pas de préjudice pour le trésor, par la transformation des lingots en monnaie nationale, il convient de recourir à ce moyen plutôt qu’à la vente, à moins toutefois que les bénéfices de ce dernier mode ne soient notables et évidents. Les motifs de mon opinion à cet égard sont faciles à saisir : en transformant les lingots en monnaies, dans le pays, on lui assure une fabrication qui a toujours par elle-même une certaine importance, et, quoi qu’on en dise, en envisageant les choses dans la pratique, je suis autorisé à prétendre que déverser successivement dans la circulation de la Belgique plusieurs millions en pièce de cinq, de deux, et d’un franc, c’est-à-dire en monnaies d’argent quelconque on facilite les besoins des transactions en augmentant réellement pour un temps plus ou moins long l’existence d’une plus grande masse de numéraire dans le pays.
M. de Foere – Au lieu de répondre aux questions de principe, que le rapport avait soulevé, et que j’ai discutées, mon honorable adversaire s’attache à une question d’exécution ; or, je n’ai pas parlé des mesures d’exécution.
C’est la grande richesse en numéraire du pays, qui influe sur le prix exorbitant des terres. Je persiste à soutenir que c’est l’affaiblissement du crédit commercial et industriel, qui jette les capitaux sur l’achat des terres, et le grand nombre d’acheteurs, et la masse de numéraire, qui se trouvent en présence d’une petite quantité de terres qui sont présentées en vente. Il en est de même dans la vente de toutes les marchandises lorsque la marchandise est rare, et que, d’ailleurs, il y a beaucoup d’acheteurs, la marchandise est chère.
M. Cogels – Je partage l’opinion de l'honorable M. Pirmez en ce qui concerne la valeur des terres ; elle ne dépend pas de l’abondance du numéraire, mais des richesses et surtout des moyens de circulation, de ce remarquable système de banque et de crédit. Le grand point est donc que ce système soit bien établi, que le crédit soit à l’abri des atteintes de l’intérieur ; car il est impossible de le mettre à l’abri des atteintes qu’il peut recevoir de l’extérieur. Ainsi la Belgique est en relation avec la France, l’Angleterre, l’Amérique et la Hollande ; quand une crise financière se prononce sur les principales places, à Paris, à Londres, ou à Amsterdam, il est impossible que nous n’en ressentions pas les contrecoups.
Quant aux moyens de prévenir les atteintes que le crédit peut recevoir de l’intérieur, cela ne dépend que de la bonne organisation des banques. Toutes les banques de France ont dans les statuts un article essentiel par lequel elles doivent avoir toujours, pour faire face au remboursement des billets qu’elle ont en circulation, une réserve proportionnée, soit en lingots, soi en numéraire ; je n’ai jamais vu cela dans les statuts d’aucune de nos banques. C’est pour cela que nous en avons vu deux dans une situation fort difficile : l’une suspendre ses paiements, l’autre soutenir son crédit d’une manière admirable, mais cependant n’est pas à même de prêter au commercer et à l’industrie tous les secours qu’ils pouvaient attendre d’elle.
C’est choses n’ont pas lieu en France. Malgré la crise anglaise et la crise américaine, toutes les banques de France ont continué leurs paiements et leurs escomptes. On a vu la banque de France prêter 16 millions à la banque Laffite, et éviter ainsi une crise qui aurait eu un grand retentissement, qui aurait affecté le commerce de Paris, et même le commerce en général. Elle a agi dans son intérêt, en soutenant un établissement rival. C’est donc des moyens de circulation et de la manière dont il sont établis, que doit dépendre la richesse et le plus ou moins de cherté des terres.
Maintenant on veut que le gouvernement soit obligé de convertir les anciennes monnaies en monnaies nouvelles. Je ne pense pas qu’il faille imposer au gouvernement l’obligation d’opérer cette conversion, car il pourrait en résulter dans l’avenir une abondance momentanée de numéraire sur la place, car chez nous l’abondance du numéraire dépend de l’état de nos changes. Quand le change sur Paris est avantageux, nous y envoyons des espèces ; quand il est à perte, nous en recevons. La circulation n’en souffre pas, parce que les billets de banque sont là et que le paiement en étant assuré, peu importe qu’on paie en billets ou en écus.
J’ai dit qu’il pourrait résulter de la conversion une abondance momentanée de numéraire en circulation dans l’avenir. On commencerait peut-être par ressentir une gêne. Pour faire la conversion, il faudrait faire venir de l’argent fin qu’on devrait aller chercher sur les places étrangères, contre des remises soit en lettre de change, soit en écus ; de ces achats jusqu’à la confection de la monnaie nouvelle, il y aurait plutôt rareté qu’abondance. Il faut laisser au gouvernement la faculté dont il usera comme il jugera bon, de convertir au fur et à mesure des besoins, ou de faire la vente des lingots ; il nous viendra toujours de la nouvelle monnaie, car cette vente se fera probablement sur le marché de Paris, d’où on pourra nous remettre des écus de cinq francs.
J’approuve notre système monétaire, c’est ce qui nous a sauvés d’une crise lors de la suspension de la banque de Belgique. Les banquiers ont pu vider leurs portefeuilles, recourir à la banque de France et recevoir plusieurs millions en huit ou dix jours. Par la facilité de nos communications, nous serons toujours à l’abri d’une véritable disette de numéraire. Elle pourra avoir lieu pendant quelques jours, mais jamais se prolonger pendant quinze jours.
Voilà les seules observations que je voulais présenter dans la discussion générale. Peut-être proposerai-je un sous-amendement ; je me réserve de le faire lors de la discussion des articles, si je le crois nécessaire.
M. Duvivier – Tout ce que vient de dire l’honorable M. d’Huart m’a remis en mémoire ce qui s’est passé relativement à la lettre écrite au ministre des finances en juin 1834. A cette époque la banque a, en effet, annoncé l’existence d’anciens métaux provenant de monnaies provinciales retirées de la circulation, qui se trouvaient chez les divers agents de la banque. J’ai répondu à l’un des deux objets que contenait cette lettre, en annonçant toutefois qu’il serait incessamment répondu au second. C’est à la fin de juillet que je fis cette réponse, et le 4 août suivant, c’est-à-dire quelques jours après, je quittai les affaires. Vous voyez que le délai qui s’est écoulé entre ma réponse et le moment de ma sortie du ministère a été trop court pour que la réponse que j’annonçais pût être faite.
Il me semble que, dans cet état de choses, la banque aurait dû rappeler à mon successeur qu’une partie de sa dernière dépêche n’avait pas reçu de réponse. L’affaire eût été remise sous les yeux de l’honorable M. d’Huart qui m’a succédé. Il eût pu l’examiner et donner une réponse. D’après ce que vient de dire mon successeur, la banque ne lui ayant pas réclamé les réponses au second point de la lettre qu’elle m’avait écrite, les choses en sont restées en cet état, sans qu’il y ait eu faute de ma part, non plus que de celle de mon honorable successeur.
Quoi qu’il en soit, les observations de l’honorable M. d’Huart restent dans toute leur force ; bien que les choses fussent restées dans cet état, il n’en est résulté aucun préjudice pour l’Etat. Ce qu’il y a à faire maintenant, c’est d’adopter, sauf toutefois quelques amendements, les conclusions de la section centrale, et de voter le projet.
Je bornerai là mes observations, elles suffiront pour prouver qu’il n’y a pas plus de ma faute que de la faute de M. d’Huart, si cette affaire est restée jusqu’à ce jour sans être terminée.
M. Pirmez – La rareté de l’argent veut du crédit. Quand vous avez du crédit, il est impossible qu’il y ait du numéraire. C’est lorsqu’il y a de la défiance qu’il y a du numéraire. Lors de la suspension de la banque de Belgique, il y a eu beaucoup plus de numéraire qu’avant. Cette suspension de la banque a du faire revenir du numéraire.
Maintenant qu’il y a de la confiance, ce numéraire doit partir. Si vous faites les échanges avec des billets, vous ne les faites pas avec du numéraire. Les métaux précieux ont la vertu de satisfaire d’autres besoins que celui d’échanger. Si vous faites vos échanges avec des billets, les métaux précieux seront employés à satisfaire d’autres besoins. Quand les billets existent, il n’y a pas de numéraire ; vouloir que le crédit existe en même temps que le numéraire, c’est une contradiction.
M. de Foere – Je partage, sous tous les rapports, les observations que l’honorable M. Cogels a soumises à la chambre, ainsi que le dernier principe développé par l’honorable rapporteur. Mais ces deux honorables membres ont continuellement subordonné leurs observations à la question du crédit. Certainement, lorsque le crédit est grand, il opère en sens inverse sur le numéraire. Vous n’avez besoin d’autant de numéraire, quand vous avez beaucoup de crédit, que quand le crédit est affaibli. Eh bien, je partage, sous tous rapports, cette opinion ; elle est incontestable. Les faits l’ont prouvée dans tous les pays.
Mais remarquez que le crédit n’est pas seulement un principe ; c’est un fait ; et il ne dépend pas de vous d’établir ce fait. Ce fait doit être établi par des causes. Lorsque, comme en ce moment, le crédit public est affaibli, je ne conçois pas qu’on admette les conséquences du principes, comme si le crédit était dans toute sa force.
M. Pirmez – Le crédit n’est pas affaibli.
M. de Foere – J’ai établi que le crédit est affaibli par plusieurs causes, qui ont produit partout les mêmes effets. Si vous pouviez augmenter le crédit, ce serait fort bien ; car plus il y a de crédit, moins il y a de numéraire. Mais il ne faut pas admettre des paroles sur le crédit comme un fait ; il faut établir le fait.
Je partage aussi l’opinion de l'honorable M. Cogels sous le rapport des lingots, comme dépôt, comme garantie dans les banques. Ces lingots n’appartiennent pas aux banques ; ils appartiennent au pays, à l’Etat. Mais si l’Etat veux vendre ces lingots à la banque, ce dépôt servira de garantie, non pour l’Etat, mais pour la banque.
C’est par ces simples observations que j’aurai l’honneur de répondre à mes honorables contradicteurs.
- La discussion générale est close.
La chambre passe à la discussion des articles.
L’article premier proposé par la section centrale, auquel le gouvernement se rallie, est ainsi conçu :
« Les monnaies provinciales ou du pays dont fait mention l’article 21 de la loi du 5 juin 1832, n°442, cesseront d’avoir cours à une époque que le gouvernement indiquera. Il fixera en même temps un délai postérieur à cette époque dans lequel ces monnaies pourront être échangées au trésor, sur le pied des tarifs existants. »
M. Cogels – Le délai dont il est question dans cet article étant illimité, j’avais l’intention de proposer comme minimum un délai d’un ou deux mois. Mais M. le ministre des finances vient de me donner des explications où j’ai trouvé des garanties suffisantes. Comme j’y ai pleine confiance, je ne présenterai pas d’amendement.
M. Devaux – D’après l’article premier, non seulement on pourra payer les contributions avec les anciennes monnaies ; mais même ces monnaies pourront être échangées au trésor. Je demanderai s’il ne résultera pas de cette disposition ce danger que des monnaies de ce genre qui se trouveraient dans des établissements étrangers, par exemple à Lille, à Utrecht, pourraient venir en grande quantité en Belgique pour être échangés. Ne suffirait-il pas de refondre ce qu’il y a dans les caisses ? Apparemment, il n’y a plus beaucoup de ces monnaies dans le pays ; et si vous accordez la faculté d’échange, il pourra venir de ces monnaies de l’étranger dans le pays, et la perte retombera sur la Belgique.
M. Cogels – Je crois que les craintes de l’honorable préopinant ne sont pas fondées. Si elles l’étaient, il y a longtemps que ces monnaies seraient arrivées dans le pays puisqu’elles y ont cours légal, puisque nous sommes obligés de les recevoir.
Les anciennes monnaies provinciales ne forment pas une somme considérable. Les escalins de Brabant et de Liège et les plaquettes ont déjà été convertis en nouvelles monnaies, sous l’ancien gouvernement. Il n’y a donc que les ducatons, etc. ce qui prouve le peu d’importance de ce qui reste de ces monnaies, c’est qu’il n’y en a que pour 2 millions de francs dans les caisses de l’Etat ; et il y en a fort peu aujourd’hui dans la circulation. Nous qui sommes sur une place financière, où il y a le plus de mouvement de monnaies, nous ne voyons de ces monnaies, ni dans nos transactions, ni entre les mains de nos caissiers.
Je ne crois donc pas que les craintes de l’honorable M. Devaux soient fondées. Je pense qu’il n’est pas nécessaire de modifier la loi.
M. le ministre des finances (M. Desmaisières) – J’avais l’intention de faire l’observation que vient de lui présenter l’honorable préopinant.
J’y ajouterai que c’est précisément parce que moi-même j’avais fait l’observation que vient de faire M. Devaux, que j’ai engagé M. Cogels à renoncer à son amendement.
Le délai pour l’échange doit être assez long pour que tous les nationaux puissent en profiter. Aussi le gouvernement fixera un délai assez long pour qu’il en soit ainsi ; mais il aura soin qu’il ne soit pas tellement long qu’il puisse laisser à l’agiotage, aux spéculateurs étrangers le temps de déverser dans les caisses de la banque les parties de ces anciennes monnaies provinciales qu’ils peuvent encore posséder ; car il en est qui circulent à l’étranger ; c’est ainsi que celles du Luxembourg circulent encore en Allemagne.
M. Devaux – On répond faiblement aux craintes que j’ai exprimées. On dit que, s’il existait des anciennes monnaies, elles entreraient dans la circulation. Mais un fait prouve que cela n’est pas exact. Le caissier de l’Etat ayant voulu remettre ces monnaies en circulation, n’a pu y réussir. Les étrangers ont dû éprouver les mêmes difficultés. Si on offre la faculté non seulement de payer les contributions avec ces monnaies, mais encore de les échanger, il est certain que tout ce qu’il y en a à l’étranger, en quelque quantité que ce soit, refluera en Belgique. Je crois qu’il serait préférable d’admettre ces monnaies seulement en acquit des contributions, mais de ne pas les admettre à être échangées.
M. Hye-Hoys – Je ne sais si à Anvers il n’existe pas d’anciennes monnaies. Mais je puis assurer qu’à Gand il y en a pour 23 ou 30 mille francs. Je demanderai à M. le ministre des finances s’il croit que la somme qu’il demande suffira pour retirer ces anciennes monnaies de la circulation.
M. Pirmez, rapporteur – Sans doute il est possible qu’il y ait des monnaies provinciales ailleurs qu’en Belgique. Mais cela n’est pas présumable. Comment y aurait-il à Utrecht ? Elles ont cours dans ce pays-ci, et la tarification légale dépasse la valeur intrinsèque.
La section centrale a cru devoir adopter l’article premier dans les termes où elle l’a présenté, comme mesure de justice, pour laisser le temps de se défaire de ces anciennes monnaies, qui ont été reçues en vertu de la loi. Remarquez que ces monnaies provinciales devaient être reçues non comme monnaie de billon, mais sur le même pied que les pièces de 5 francs. On a trouvé juste de laisser à ceux qui les ont reçues le temps de les faire rentrer au trésor.
M. Dumortier – Il me semble qu’on n’a pas répondu aux observations de l’honorable M. Devaux. Ses observations restent debout. Il ne me paraît pas rationnel d’autoriser l’échange des anciennes monnaies provinciales, alors qu’il est probable qu’il y en a en dehors du pays ; je conçois que l’on accorde la faculté de faire rentrer dans le trésor la monnaie qui circule dans le pays ; je ne vois pas pourquoi l’on accorderait cette faculté pour la monnaie qui circule à l’étranger.
Je pense donc, avec l’honorable M. Devaux, qu’il faut supprimer dans l’article premier le mot « échange ». Comme il l’a fort bien dit, la faculté de payer les contributions en ancienne monnaie c’est tout ce qu’on peut désirer.
M. le ministre des finances (M. Desmaisières) – Il y a au contraire, selon moi, nécessité de maintenir le mot « échange » car si, comme on paraît le vouloir, on n’opérait pas la démonétisation, on pourrait continuer de payer les contributions avec ces anciennes monnaies ; et, de cette manière, on arriverait au résultat contre lequel on s’est élevé. Nous avons en ce moment deux millions de francs de ces monnaies dans les caisses de l’Etat. Dans un an, deux ans, ce qui peut s’en trouver hors du pays arriverait au trésor. On ne pourrait les remettre en circulation ; il faudrait les refondre, et par suite il y aurait une nouvelle perte à subir par l’Etat. Il est donc nécessaire de démonétiser et de donner aux nationaux, mais seulement aux nationaux, tous les moyens possibles de ce défaire de ces monnaies qu’ils ont reçues et dont la circulation était permise par la loi.
M. Demonceau – Je ne sais s’il y a avantage à interdire l’échange. Car, s’il y a avantage à faire usage de ces monnaies, ceux qui devront payer leurs contributions les achèteront. Le résultat sera le même pour le trésor.
M. Dubus (aîné) – Il résulte de la loi du 5 juin 1832 que les monnaies, dont il s’agit, ont cours égal en Belgique. Voilà la base, d’où est partie le projet de loi et d’où est partie la section centrale, dans l’examen qu’elle en a fait.
Le projet de loi leur retire ce cours légal et fixe une époque à laquelle il sera permis de refuser ces monnaies, mais jusqu’à laquelle toute personne à qui ont les présentera sera forcée de les recevoir. Eh bien, messieurs, nous avons pensé que nul ne devait être victime de l’exigence de la loi ; supposons que le délai fixé soit le 30 juin : on sera donc obligé, par une disposition impérative de la loi, de recevoir encore, le 30 juin, les monnaies dont il s’agit en paiement d’une créance légitime ; évidemment il faut qu’on puisse le lendemain s’en défaire contre une valeur équivalente ; or, puisqu’on ne peut pas obtenir cette valeur d’un particulier quelconque en payant ses propres dettes, les monnaies en question n’ayant plus cours légal, il faut qu’on puisse les rapporter au gouvernement, puisque c’est le gouvernement qui est censé les avoir mises primitivement en circulation, puisque ce sont des monnaies frappées du timbre légal, du timbre du gouvernement ; sans cela il y aurait une sorte de violation de la foi publique.
Une voix – Vous n’êtes pas obligé de les démonétiser.
M. Dubus (aîné) – Messieurs, la loi de 1832 a prévu qu’il y aurait une époque où les monnaies dont il s’agit cesseraient d’avoir cours légal ; d’ailleurs si vous ne démonétisez pas ces monnaies, vous aurez toujours l’inconvénient d’avoir en circulation des monnaies qui ne sont pas en harmonie avec le système établi par la loi en vigueur, et c’est précisément pour cela que les auteurs de la loi de 1832 ont voulu que cette démonétisation se fît quelque jour.
Toute la question serait donc de savoir s’il y a opportunité de démonétiser maintenant les monnaies dont il est question, ou s’il convient d’attendre encore. La section centrale a aussi fixé son attention sur la question d’opportunité ; si elle avait craint que réellement on présentât de ces monnaies pour une valeur considérable, elle aurait pu croire que le moment n’était pas encore venu ; mais, d’après les faits qui lui ont été signalés, elle n’a pas cru que ce danger fût à craindre, d’abord elle avait remarqué dans l’exposé des motifs de M. le ministre, qu’à une époque très voisine de la révolution, on avait retiré de la circulation et fondu pour 12 millions et demi de francs des monnaies pour quelques centaines de mille francs ; enfin les membres de la section centrale qui ont quelque connaissance des faits assuraient tous qu’il y a fort peu ou point de ces monnaies en circulation dans le pays. Or, s’il y en avait une masse considérable entre les mains des particuliers, il est certain qu’on les verrait circuler, puisqu’elles ne sont pas démonétisées ; il n’y a donc pas lieu de croire que par cela seul qu’on les démonétiserait, il arriverait une somme considérable de ce monnaies ; Pour cela il faudrait supposer que quelqu’un les tient dans ses coffres dans l’intention de nous jouer ce tour-là.
On s’explique, d’ailleurs, facilement pourquoi l’on ne voit plus de ces monnaies en circulation dans le pays, lorsqu’on fait attention à ce qu’il en a déjà été retiré une masse considérable, et lorsque l’on considère, d’autre part, que la loi de 1832, qui en a annoncé la démonétisation plus ou moins prochaine, a dû nécessairement les faire refluer vers les caisses de l’Etat où il s’en trouve maintenant pour plus de 2 millions.
On a fait remarquer encore, messieurs, que l’on a essayé de remettre en circulation les monnaies dont il est question, et que l’on n’y a pas réussi. Je crois que l’on n’a pas bien saisi le fait auquel on a fait allusion. En effet, les fonds qui ont été avancés à la banque de Belgique, se composaient, en partie, de ces monnaies qui furent ainsi remises en circulation ; mais les monnaies dont il s’agit sont aussitôt rentrées dans les caisses de l’Etat ; comme ces monnaies ont court légal, on ne peut pas les refuser ; on les accepte donc, mais on s’empresse de s’en défaire et elles reviennent au trésor. C’est là, messieurs, une raison de plus pour croire qu’il en reste bien peu en circulation.
M. Dumont – Il me paraît, messieurs, qu’il s’agit seulement des anciennes monnaies provinciales et nullement des monnaies de l’ancien royaume des Pays-Bas, des pièces de 25, de 10 et de 5 cents. Cependant on allègue en faveur de la mesure proposée la nécessite d’en venir à avoir des monnaies qui soient en harmonie avec le système monétaire national. Dès lors il me semble qu’il faudrait prendre une disposition générale ou n’en pas prendre du tout. On dit, il est vrai, pour prouver l’urgence de la loi, que les pièces dont il s’agit reviennent toujours dans les caisses de l’Etat ; mais je ne vois en cela aucun inconvénient, puisque ces pièces, en circulant, font l’office de tout autre monnaie. Il me semble donc qu’il n’y a pas de raison pour démonétiser plutôt les pièces dont parle le projet de loi que les pièces de 25, de 10 et de 5 cents ; selon moi, si l’on a pour but d’obtenir de l’uniformité dans nos monnaies, il serait beaucoup préférable de prendre une disposition générale, de démonétiser toutes les monnaies étrangères.
M. le ministre des finances (M. Desmaisières) – Messieurs, tout le monde comprend qu’il n’y a pas grande nécessité de mettre hors de la circulation les pièces de 25, de 10 et de 5 cents ; car ces monnaies ont toujours cours légal dans le royaume actuel des Pays-Bas, et nous avons assez de rapports avec ce royaume pour vouloir même que ses monnaies circulent encore dans notre pays.
On dit que les pièces de 25 cents n’on pas la valeur intrinsèque qu’elles représentent. C’est là une erreur ; ces pièces sont à la vérité une monnaie de bas aloi mais elles ont plus que leur valeur, et c’est là une faute commise par le gouvernement des Pays-Bas. Le titre des pièces de un florin a été fixé à deux centimes trop élevé et comme les pièces de 25, de 10 et de 5 cents ont été mises en rapport avec le florin, il en résulte que les pièces de 25 cents ont une valeur intrinsèque d’un demi-centime de plus que leur valeur nominale. Aussi le gouvernement hollandais a-t-il, par une loi du mois de mars, je pense, de l’année dernière, ordonné la refonte de cette monnaie.
Je saisirai cette occasion pour répondre à une observation qui a été faite dans une autre séance par un autre membre qui a dit que nous devrions aussi battre une monnaie de bas aloi. Je ferai remarquer à cet ho membre que tous les gouvernements renoncent aujourd’hui à fabriquer de la monnaie de cette espèce, parce que la contrefaçon est trop facile.
M. Pirmez, rapporteur – Je ferai remarquer, messieurs, que la loi n’a pas la puissance de faire circuler une monnaie qui n’ait pas sa valeur intrinsèque ; si l’on voulait, par exemple , donner la valeur de un franc à une pièce qui n’aurait qu’une valeur intrinsèque de 90 centimes, évidemment le public ne recevrait de semblables pièces qu’avec la plus grande répugnance, et en effet ce serait des espèces d’assignat, ou plutôt chacune de ces pièces représenterait une pièce de 90 centimes, puis un assignat de 10 centimes, et il ne serait pas juste de dire que la loi aurait la puissance de faire circuler des assignats.
Quant à la démonétisation qu’il s’agit d’opérer, je crois qu’elle est d’autant plus urgente que la loi force les particuliers d’accepter les pièces dont il est question, les escalins, et., non pas comme appoint, mais en telle quantité qu’on voudrait les donner.
M. Dumortier – Messieurs, c’est moi qui, dans une séance précédente ai appelé l’attention de l'assemblée sur la nécessité de créer pour la Belgique une monnaie de bas aloi et je ne pense pas que ce que M. le ministre des finances vient de me répondre puisse en aucune manière détruire les arguments que j’ai présentés à cet égard.
A la vérité, messieurs, l’on a contrefait en France, une quantité énorme, les petits sous battus sous l’empire, et je tiens d’un des membres de la commission qui est maintenant chargée à Paris d’examiner cette question, qu’il existe pour plus de 12 millions de ces petits sous, tandis qu’il n’en a été battu que pour 4 millions. Je ne sais si je me rappelle bien exactement les chiffres, mais ce dont je suis certain, c’est qu’il existe trois fois autant de ces petits sous qu’il en a été battu. Savez-vous, messieurs, pourquoi il en est ainsi ? c’est que les petits sous dont il s’agit n’avaient pas, à beaucoup près, la valeur intrinsèque de 10 centimes, et que lorsqu’ils avaient circulé pendant quelque temps, ils avaient tout à fait la couleur du cuivre.
En Belgique, nous n’avons jamais vu de semblables contrefaçons ; cependant, sous le gouvernement autrichien, on a fabriqué beaucoup de monnaie de bas aloi ; c’étaient les escalins, les plaquettes, les pièces de cinq sous et de dix liards ; eh bien, ces monnaies n’on pas plus été contrefaites que l’on n’a contrefait les francs ou les pièces de 5 francs. Plus tard, sous le gouvernement des Pays-Bas, on a battu une grande quantité de pièces de 25 cents, de 10 cents et de 5 cents ; eh bien, ici encore, nous n’avons vu guère de fausse monnaie sous ces types.
Est-il nécessaire d’établir une monnaie de bon aloi en Belgique ? il ne peut exister aucun doute à cet égard ; évidemment c’est un véritable avantage pour le pays d’avoir une monnaie qui ne puisse pas aller à l’étranger. Aujourd’hui toutes nos monnaies, grandes et petites, sont du même type ; il peut arriver un moment de crise où le pays se trouve sans petites monnaies pour les transactions journalières ; ce serait une entrave qui pourrait entraîner les conséquences les plus graves. Supposons que nous soyons en guerre avec la puissance dont nous avons adopté les monnaies ; eh bien, cette puissance, au moyen d’une opération de bourse, peut retirer toute votre monnaie de la circulation, et par suite vous seriez livrés à la merci de votre ennemi.
Je maintiens donc qu’il est extrêmement désirable que la Belgique ait une monnaie de bas aloi, qui ne devrait pas dépasser un certain taux raisonnable, mais, qui, par exemple, irait de 65 à 70 p.c. de l’argent ; de cette manière, la circulation s’en ferait sans aucune fraude.
Je tenais à faire ces observations, parce que je considère qu’au lieu de refondre les anciennes monnaies provinciales, qui se trouvent actuellement dans les caisses de l’Etat, pour en faire des monnaies légales, on eût fait une monnaie de bas aloi pour la Belgique. Cela aurait donné lieu, il est vrai, à quelques délais ; mais ces délais auraient été compensés par l’avantage qu’aurait retiré le pays de la création de cette monnaie de bas aloi. Je maintiens, en tout cas, qu’il est fortement à désirer que, dans un temps plus ou moins rapproché, le gouvernement propose l’adoption du système dont j’ai eu l’honneur de vous entretenir.
M. Cogels – Messieurs, je ne puis partager l’opinion de l’honorable M. Dumortier sur l’utilité d’introduire dans le pays une monnaie de bas aloi. Ce serait une mesure tout à fait impolitique et extrêmement dangereuse, car ce ne serait pas même le moyen de conserver cette monnaie dans le pays ; c’est d’après la valeur réelle de nos monnaies que ce règle le change. Ainsi, quel serait le résultat de ce système ? C’est que dans toutes les circonstances où vous auriez de fortes remises, soit à Paris, soit à Londres, soit à Hambourg, votre monnaie de bas aloi perdrait de sa valeur réelle ; elle irait se convertir là en lingots ; vous seriez complètement privés de monnaie, et vous n’auriez pas le temps d’en frapper de nouvelle. Dans ce système, on pourrait donc provoquer la crise que l’honorable préopinant veut éviter. Lorsque nous avions le même système monétaire que la Hollande, le change sur la Hollande variait de 3 à 4 p.c. parce qu’en Hollande il y a de la monnaie de bas aloi. Eh bien, vous auriez le même résultat, toute votre monnaie sortirait du pays, et, je le répète, on appellerait peut-être par là la crise que l’on désire éviter.
M. Dumortier – Messieurs, loin que le système que je propose tende à diriger notre monnaie à l’étranger, il est l’unique moyen, au contraire, de la conserver dans le pays. C’est précisément pour ne pas faire sortir l’argent du pays qu’il est désirable que nous ayons notre monnaie à nous, une monnaie qui ne ressemble aucunement à celle de l’étranger.
M. Cogels – Messieurs, je n’avais d’abord pas compris l’honorable préopinant ; je croyais qu’il voulait étendre son système aux monnaies en général ; mais il paraît vouloir le restreindre aux monnaies de bas aloi, et en vouloir d’autres d’une valeur plus grande. Eh bien, vous ne conserveriez pas ces dernières ; et pourquoi ? parce que la moyenne de votre change en permettra l’exportation. C’est ce qui a lieu en Hollande ; je défie de trouver en ce moment une pièce de trois florins en Hollande. Pourquoi ? parce qu’on expédie ces pièces, et parce qu’il y a une autre monnaie de bas aloi qui est de moindre valeur.
M. Dumortier – Il est bien facile de répondre à cette dernière observation : si ces pièces sortent du pays, c’est que la monnaie dépasse la valeur légale ; dès lors il y a intérêt à frauder.
M. Pirmez, rapporteur – Messieurs, par monnaie de bas aloi, M. Dumortier entend sans doute une monnaie dont la valeur légale surpasse la valeur intrinsèque ; eh bien cette monnaie est un obstacle à la circulation. Allez sur les frontières où regorgent les sous français, et vous y verrez les marchands faire avec l’acheteur cette stipulation : « Vous me donnerez autant en sous, et autant en bon argent. » Eh bien, du moment qu’on peut faire une semblable stipulation, cette monnaie est un obstacle à l’échange ; la monnaie est faite pour favoriser les échanges et non pour les empêcher.
M. Demonceau – Messieurs, je prends la parole pour faire une simple observation qui résulte de la discussion à laquelle on vient de se livrer. L’honorable M. Dumont a pensé qu’il sera prudent de retirer de la circulation les pièces de 25 cents. Si ce que vient de dire M. le ministre des finances est vrai, j’appuierais de toutes mes forces l’opinion de l’honorable M. Dumont ; car si on ne retire pas ces pièces de la circulation, il en résulterait que, dans quelques temps, toutes les pièces de 25 cents seraient transformées en pièces d’un titre inférieur au titre actuel. Ce qu’ont dit les honorables préopinants a pour but de prouver que le gouvernement hollandais réduit le titre de ses monnaies.
M. le ministre des finances (M. Desmaisières) – La Hollande les refond.
M. Demonceau – Si elle les refond, ce n’est pas pour les refaire telles qu’elles sont aujourd’hui, mais c’est pour retrouver les deux centimes qu’il y a de trop dans la valeur actuelle.
M. le ministre des finances (M. Desmaisières) – Encore une fois, il ne serait pas sans danger, il serait complètement inutile même, que nous démonétisions les pièces de 25 cents, parce que la Hollande elle-même les refond ; et pourquoi les refond-elle ? Parce qu’elle ne veut plus de monnaie de bas aloi, comme partout on n’en veut plus ; et que les deux centimes qui se trouvent en trop dans la valeur fourniront à la Hollande le moyen de faire cette refonte sans perte.
M. d’Huart – Messieurs, il est très important de savoir si la Hollande, en refondant ses pièces de 5 cents, veut abandonner totalement la monnaie de bas aloi, ou si, au contraire, elle se dispose à refrapper ses pièces de 25 cents, d’une valeur réelle beaucoup inférieure à la valeur nominale ; car, dans ce dernier cas il est évident qu’il faudrait donner au gouvernement la faculté de démonétiser ces dernières pièces.
Je désirerais donc que M. le ministre des finances s’expliquât formellement sur ce point. Je ne vois pas pourquoi l’on resterait dans l’obligation de recevoir de l’étranger une monnaie dans la valeur intrinsèque serait considérablement en dessous de la valeur nominale, et si nous pouvions laisser imposer une pareille obligation à nos concitoyens, nous devrions le faire au profit de notre propre trésor en frappant nous-mêmes une monnaie de ce genre.
L’honorable M. Pirmez n’a pas été dans le vrai, lorsqu’il a pensé que le public pouvait arbitrairement refuser les pièces de 25 cents. L’observation est formelle d’après la loi monétaire de 1832 ; il y force d’accepter un dixième des paiements présentés en pièces de 25 cents.
M. Pirmez – Je n’ai pas dit cela : j’ai dit qu’il était impossible de forcer les particuliers à recevoir de la monnaie dont le titre légal serait plus élevé que la valeur intrinsèque. C’est en parlant des escalins que j’ai dit qu’on aurait beau écrire dans les lois que des monnaies auraient cours légal, que vous n’auriez pas la puissance de les faire accepter. Mais je n’ai pas parlé des pièces de 25 cents, je n’ai pas même prononcé ce mot.
M. le ministre des finances (M. Desmaisières) – Je répète que la Hollande a ordonné par une loi la refonte des pièces de 25, 10 et 5 cents, parce qu’elle renonce comme tous les autres pays, à la monnaie de bas aloi, parce que cette monnaie est trop facile à falsifier. En effet, cette monnaie a un aspect qui n’est pas bien déterminé, on peut l’imiter facilement ; elle s’use beaucoup plus vite que la monnaie d’argent ; les empreintes s’effacent, par conséquent, plus vite aussi. C’est ce qui fait que partout on renonce à cette espèce de monnaie.
Sans doute il y a des cas où il y a bénéfice à refondre les pièces de 25 cents ; cela est tellement vrai, que la Monnaie en a refondu quand le prix de l’argent fin qu’on devait y ajouter pour faire de la nouvelle monnaie n’était pas aussi élevé qu’il l’est actuellement, et elle a fait des francs belges. Je crois même qu’elle a bénéficié sur cette opération tout le cuivre qui se trouve mêlé à l’argent dans les pièces de 25 cents. Dans le moment actuel où ne ferait pas cette opération avec avantage à cause du prix élevé de l’argent fin.
M. d’Huart – Il est essentiel de bien s’entendre sur le point que j’ai indiqué tout à l’heure, c’est-à-dire s’il convient de savoir si, en démonétisant ses pièces de 25, 10 et 5 cents, il y a probabilité que la Hollande frappera une monnaie ayant un titre inférieur à notre monnaie légale. Si on ne peut pas nous assurer de ce qu’elle fera à cet égard, la prévoyance nous commande de donner au gouvernement la faculté, dont il usera quand il le jugera conforme à l’intérêt du pays, de démonétiser les pièces de monnaie hollandaise ayant un titre inférieur au 9/10 de fin, c’est-à-dire à notre monnaie légale.
Je n’aperçois aucun inconvénient à donner cette faculté au gouvernement. En la posant dans la loi comme je l’indique, il en usera suivant l’occurrence et probablement quand il y aura peu de cette monnaie en Belgique. La mesure ne ferait donc exporter aucun numéraire du pays ; seulement elle en préviendrait à l’avenir l’importation.
- L’article premier est mis aux voix et adopté.
M. d’Huart – Voici, sauf rédaction, l’amendement que je propose, soit comme article 2, soit comme deuxième paragraphe à l’article premier
« Le gouvernement est autorisé à démonétiser, lorsqu’il le jugera utile au pays, les pièces de 25, 10 et 5 cents du royaume des Pays-Bas. »
Voici comment j’entends l’exécution de cette mesure. Je ne détermine pas de délai parce qu’il ne peut être nullement question d’obliger les caisses publiques à recevoir ces pièces après le jour où elles seront démonétisées. Ceci ne portera d’ailleurs préjudice à personne parce qu’ainsi que je l’ai dit, le gouvernement saisira, pour mettre la chose à exécution, le moment où il y aura peu de ces pièces dans le pays. L’avis qui résultera d’ailleurs de la disposition que je propose d’introduire dans la loi, suffira pour en empêcher la grande affluence, et les relations commerciales avec la Hollande seront au surplus toujours telles que, s’il y avait même quelques milliers de ces pièces en Belgique, les intéressés trouveraient toujours, postérieurement à l’arrêté, le moyen facile de les faire échanger en Hollande.
Mon amendement peut avoir une grande portée aux yeux de quelques personnes ; pour moi, je ne la vois pas telle, et je trouve indispensable aux intérêts du pays de confier au gouvernement le pouvoir que je propose de stipuler dans la loi.
Si d’honorables membres craignent toutefois de se prononcer sur une proposition ainsi improvisée, qu’on la fasse imprimer et qu’on en diffère les discussions de 2 heures ; voilà un moyen de prudence que j’indique moi-même.
Au reste, la chambre serait toujours libre, au second vote, de modifier ou de rejeter même l’amendement, si elle le jugeait inutile ou dangereux.
M. le ministre des finances (M. Desmaisières) – Certainement, en principe, je ne m’oppose pas à ce qu’on donne au gouvernement la faculté de démonétiser, quand il le jugera convenable, les pièces de 25 cents, mais je dois faire remarquer qu’il y aurait danger à se prononcer immédiatement sur cette question. Vous savez tous que les anciennes monnaies provinciales sont arrivées toutes au trésor, parce que ces monnaies avaient été frappées de défaveur par suite de la loi qui en avait ordonné la refonte sous le régime précédent. Ne croyez-vous pas qu’en accordant au gouvernement la faculté de démonétiser les pièces de 25, 10 et 5 cents, ces pièces ne se trouvent aussi frappées de défaveur dans la circulation, et n’affluent au trésor, qui ne saura pas comment les écouler.
Je pense que, si M. d’Huart persiste dans son amendement, il faut le renvoyer à une loi spéciale, pour bien examiner la question, la retourner sous toutes ses faces, et voir si la mesure est opportune.
M. Demonceau – L’amendement de M. d’Huart lui a été suggéré par les observations que j’ai faites. Cependant pour moi, je n’aurais pas voulu aller aussi loin ; je trouve qu’il y a du danger à improviser des amendements, quand on n’est pas d’accord en fait. Car le ministre n’a pas fait de réponse positive sur les faits que j’ai énoncés. Si le gouvernement pense qu’il y a nécessité de démonétiser les pièces de 25, 10 et 5 cents, son attention ayant été appelée sur cet objet, étant prévenu du doute qui existe chez nous, il présentera un projet de loi qui aura plus d’étendue que la proposition de M. d’Huart. Car si nous arrivons à un système monétaire convenable, il faudra étendre la démonétisation à d’autres monnaies que les pièces de 5 cents, peut-être à la monnaie d’or qui n’a pas la valeur qu’elle devrait avoir.
Si vous dites que le gouvernement peut démonétiser les pièces de 25, 10 et 5 cents, vous allez faire affluer toutes ces pièces dans les caisses de l’Etat. Je crois qu’il y aurait danger à adopter cet amendement. J’ai fait mes observations, et je pense que M. d’Huart, en y réfléchissant, sera de mon avis qu’il vaut mieux laisser au gouvernement la responsabilité de la proposition.
M. Dubus (aîné) – Je ne suis pas frappé du danger que craint M. le ministre des finances. Il lui semble que, si l’amendement était admis, il jetterait de la défaveur sur les pièces de 25, 10 et 5 cents, et les ferait affluer au trésor. Si cela arrivait, il n’y aurait pas perte, puisque la valeur intrinsèque est supérieure à la valeur nominale. On les fera fondre pour frapper de nouvelles monnaies en harmonie avec notre nouveau système. Je rappellerai à la chambre que, par un article de la loi de 1832, les pièces de 50 et de 25 cents ont été assimilées à des pièces d’un franc et d’un demi-franc.
Cette assimilation a été faite, parce que nous manquions de francs et de demi-francs, et qu’il fallait attendre qu’on eût fabriqué de la nouvelle monnaie, avant de démonétiser l’ancienne. On était obligé de recevoir un dixième de ces pièces, comme un dixième de pièces d’un franc ou d’un demi-franc. Maintenant qu’on a jeté dans la circulation une monnaie nouvelle, on pourra l’augmenter, et le moment pourrait arriver où le gouvernement démonétisera les pièces de 25 cents. Si ces pièces affluent au trésor, il les recevra et les enverra à la monnaie, pour faire des francs et des demi-francs. Il n’y aura pas de perte.
On a mis en avant une autre crainte, c’est que cette monnaie pût être changée et que l’on fabriquât en Hollande des pièces de 25 cents ne présentant pas les mêmes avantages. On a insinué dans la discussion que le gouvernement hollandais paraît disposé à retirer ces pièces de la circulation pour les remplacer par d’autres pièces n’ayant pas la même valeur. Ces pièces, nous ne serions pas tenus de les recevoir ; elles n’auraient pas cours légal en Belgique. Il n’y a que les pièces fabriquées avant la révolution qui aient cours légal en Belgique ; les pièces fabriquées depuis ne sont que des lingots qui n’ont pour nous aucun caractère officiel.
M. Pirmez, rapporteur – Je trouve un grand inconvénient à la disposition proposée par l’honorable M. d’Huart. Elle discréditera es pièces de 2 cents et les fera refluer vers le trésor. Le trésor en reçoit déjà beaucoup et ne les émet pas facilement une fois qu’elles lui sont arrivées, parce qu’elles lui arrivent par sommes considérables, et on ne peut les comprendre dans les paiement que dans la proportion de 10 p.c.
On dit que la valeur intrinsèque de ces pièces est supérieure à la valeur légale. Cela est vrai ; mais le titre de ces monnaies est inférieur à celui des francs. Pour les refondre, il faudra acheter une certaine quantité d’argent fin, qui devra être mêlé à la matière des pièces de 25 cents. Commencez donc par ouvrir un crédit au ministre des finances avec cette destination si vous voulez la refonte de ces monnaies.
Je crois qu’on ferait bien d’ajourner la disposition proposée par M. d’Huart.
M. d’Huart – Jusqu’à présent, je n’aperçois, par les objections présentées, aucun inconvénient à la disposition que j’ai proposée ; on n’en a signalé aucun qui soit réel.
Quel est mon but, en faisant ma proposition ? c’est de donner au gouvernement la faculté de démonétiser les pièces de 25 cents quand il le jugera convenable. Quand le fera-t-il ? Quand les circonstances seront favorables, et alors qu’il y aura peu de ces pièces dans le pays ? je ne suis pas au courant de ce qui en est ; je ne sais s’il y a maintenant beaucoup de pièces de 25 cents en Belgique ; mais je sais qu’il y a des moment où il n’y en a pas, ou presque point ; or, ce serait un de ces moments que l’on choisirait.
L’honorable M. Dubus a dit qu’il n’y a pas que les pièces de 25 cents fabriquées sous le gouvernement des Pays-Bas qui aient cours légal en Belgique ; mais je vous demande comment il sera praticable d’examiner, pièce par pièce, leur millésime dans des paiements de quelque importance. Vous sentez que cela est, pour ainsi dire, impossible dans la pratique, et qu’on ne pourrait user ainsi des termes rigoureux de la loi de 1832.
Je répète que mon amendement peut être admis dès aujourd’hui puisqu’il sera soumis au second vote. Il n’y a nul inconvénient à différer le vote de la loi de 48 heures. D’ici là chacun examinera ma proposition, et si on me démontre qu’il y a eu moindre danger à l’introduire dans la loi, je m’empresserai de la retirer, car je n’ai d’autre intention que d’éviter un préjudice au pays.
M. Desmet – Je désire que la chambre ait égard à l’observation de l’honorable M. Pirmez, portant sur ce que les pièces de 25 cents, quoique d’une valeur intrinsèque supérieure à leur valeur légale, ne sont pas au titre de la monnaie du pays. C’est meilleur que de l’argent ouvragé, mais ce n’est pas aussi bon que l’argent de notre monnaie. Il y aurait donc perte pour le trésor à refondre ces monnaies.
On dit qu’il n’y a pas beaucoup de cette monnaie en circulation ; je ne suis pas de cet avis. Je vois qu’il en arrive toujours de Hollande et, par parenthèse, si cela était aussi bon qu’on le dit, la Hollande ne nous en enverrait pas tant. Je connais une société qui paie de cette manière le plus possible et jusqu’aux traitements de ses employés. Il y a déjà encombrement de cette monnaie dans le pays, prenez garde d’aggraver cet état de choses.
M. le ministre des finances (M. Desmaisières) – J’en suis fâché, mais je dois répéter de nouveau à la chambre que je crois que l’amendement de l’honorable M. d’Huart doit être renvoyé à la section centrale, pour faire l’objet d’un projet de loi séparé.
Je ne suis pas moi-même, en ce moment, en mesure de donner tous les éclaircissements nécessaires pour décider cette question. Il n’y a que peu de jours que j’ai réussi à me procurer la loi hollandaise. Elle fait l’objet d’une instruction suivie par la commission des monnaies ; ce n’est que quand j’aurai reçu le rapport de cette commission que je pourrai me prononcer sur ce point.
Je dois encore de nouveau ajouter qu’accorder, dans la loi, au gouvernement cette faculté de démonétiser ces monnaies, ce serait en frapper la circulation de défaveur ; ce serait les faire affluer au trésor, qui a déjà de la peine à se défaire de celle qu’il possède. On ne pourrait les refondre, parce que, comme l’a fait observer l’honorable rapporteur, le prix de l’argent fin qu’il faudrait y mêler pour les mettre au titre légal est trop élevé en ce moment.
M. d’Huart – Si c’est pour introduire, le cas échéant, mon amendement dans la loi actuelle, qu’on veut le renvoyer à la section centrale, je n’y vois aucune difficulté ; mais si l’on veut le renvoi sous prétexte d’en faire une loi séparée, je m’y opposerai, par la raison que, nous occupant aujourd’hui, de la démonétisation de certaines anciennes pièces, il serait insolite de voter sciemment une loi incomplète. Ce serait vouloir perdre du temps en nouvelles discussions.
Messieurs, la question est fort simple : quand vous y aurez réfléchi quarante-huit heures, vous n’hésiterez pas à adopter ma proposition. Je ne conçois pas en vérité, commet le gouvernement persisterait à s’opposer à l’adoption d’un pouvoir que je demande de lui conférer et dont il usera quand il le voudra, dans un an, dans deux ans, dans dix ans même s’il le veut, pour éviter dans l’avenir l’affluence dangereuse de monnaies étrangères qui pourraient être d’une valeur réelle infiniment inférieure à leur valeur nominale. Veuillez remarquez, je le répète, que ma proposition m’a été suggérée par l’information que nous a tout à l’heure donnée M. le ministre des finances lui-même, que la Hollande retire de la circulation les pièces de 25 cents, parce qu’elles ont maintenant, vu le prix élevé de l’argent, une valeur plus élevée que leur valeur nominale ; or, puisque la Hollande s’occupe, à cette heure, d’une opération qui tend évidemment à profiter des avantages de l’émission de nouvelles pièces de monnaie de bas aloi, il y a pour nous opportunité à armer notre gouvernement, par la loi du moyen d’empêcher le prélèvement de ce genre de bénéfices sur nos concitoyens.
M. Coghen – Je crois qu’il y aurait du danger à admettre l’amendement de l’honorable M. d’Huart. D’abord si on veut démonétiser les pièces de 25 cents, il faut les remplacer dans la circulation. Ce qui manque en Belgique, c’est la petite monnaie, la monnaie d’échange à l’usage des prolétaires. A défaut de demi-francs et de quarts de francs, il se sert des pièces de 25 cents. Si l’on veut démonétiser ces pièces, il semble qu’il faut démonétiser aussi les pièces d’or de 10 et de 5 florins, les pièces d’argent de 2 florins, d’un florin et d’un demi-florin. Ces pièces d’argent donneraient du bénéfice à la refonte ; les pièces de 25, de 10 et de 5 cents donneraient perte s’il fallait les refondre ; mais il n’y aurait pas perte, il y aurait même bénéfice si on pouvait ajouter à la matière de ces pièces la quantité d’argent fin nécessaire pour les mettre au même titre que les francs ; Autrement, il y aurait perte par suite des frais d’affinage et en raison de ce que le cuivre mêlé de ces pièces d’argent serait brûlé.
Il me semble que la proposition de l’honorable M. d’Huart pourrait être renvoyée à la commission chargée de l’examen du projet de loi relatif à la fabrication des pièces d’or. Peut-être pourrait-on l’introduire dans cette loi ; mais dans mon opinion il serait dangereux de démonétiser des monnaies qui ne seraient pas remplacées dans le commerce d’échange.
M. de Brouckere – Je conçois avec l’honorable M. Coghen qu’il y aurait du danger à admettre l’amendement de l’honorable M. d’Huart ; mais l’auteur de l’amendement lui-même ne demande pas que sa proposition soit votée, dès aujourd’hui, il demande qu’elle soit renvoyée à l’examen de la section centrale. Cette section pourrait nous faire un prompt rapport. Mais si vous allez voter la loi sans vous prononcer sur l’amendement de M. d’Huart, ce sera peut-être renvoyé à un temps très éloigné. Je crois, maintenant que la proposition est faite, que la solution ne devrait pas en être très retardée.
On a fait valoir beaucoup de raisons à l’appui de la proposition de M. d’Huart. J’en trouve une dans ce qu’a dit M. le ministre des finances. Il a avoué que le trésor avait beaucoup de peine à faire circuler les pièces de 25 cents qu’il possède en ce moment. Ainsi, la circulation de ces pièces est, dès aujourd’hui, difficile, c’est une raison de plus pour que vous ne retardiez pas indéfiniment le moment où le cours de ces pièces sera obligatoire ; car une monnaie dont le cours est obligatoire et qu’on reçoit avec répugnance est une gêne dans le commerce.
L’honorable M. Coghen dit que si on démonétise les pièces de 25 cents, il faudra démonétiser aussi celles de 3 et de 1 florin ; mais ces pièces ne sont pas au même titre, il y a une différence que M. ; Coghen sentira lui-même.
M. Coghen – Je l’ai indiquée.
M. de Brouckere – Il n’y a donc pas d’analogie.
Quant à la perte qu’il en résulterait pour le trésor, je crois qu’elle sera extrêmement minime, si toutefois perte il y a.
Enfin, en dernière analyse, ce n’est pas une obligation qu’il s’agit d’imposer au gouvernement, c’est une simple faculté qu’on lui donnerait et dont il userait quand le moment serait opportun.
D’après ces motifs, j’appuie la demande de M. d’Huart, que la proposition soit renvoyée à la section centrale pour qu’elle en fasse l’objet d’un prompt examen.
M. le ministre des finances (M. Desmaisières) – Je ne puis pas consentir, messieurs, à ce que la loi soit ajournée jusqu’à ce que la section centrale ait fait un rapport sur la proposition de M. d’Huart. Cet honorable membre a fait remarquer avec beaucoup de justesse, au commencement de cette séance, que si, par une cause qui ne peut aucunement lui être attribuée, ces monnaies anciennes sont restées pendant à peu près cinq ans dans le trésor sans qu’il en ait pu être fait usage, il n’en est cependant pas résulté de perte pour le trésor, parce que l’on n’a eu aucun égard à l’existence de ces monnaies dans les états de caisse qui sont adressées au ministère des finances deux fois par semaine, et que par conséquent l’on n’a pas émis plus de bons du trésor que si les monnaies dont il s’agit s’étaient trouvées remplacées par d’autres espèces dans les caisses de l’Etat. Mais, messieurs, il n’en est plus de même aujourd’hui : je sais, moi, que ces monnaies sont là et que je ne puis pas en faire usage ; par conséquent je suis obligé de tenir l’encaisse disponible toujours au chiffre nécessaire sans tenir compte de l’existence des monnaies dont il s’agit. Il en résulte que je dois émettre des bons du trésor en plus jusqu’à concurrence du montant de ces monnaies, ce qui donne lieu à une perte de 300 francs par jour. Je pense, messieurs, que cette circonstance doit vous engager à ne pas retarder le vote de la loi qui vous est soumise jusqu’à ce qu’on ait examiné la question soulevée par l’honorable M. d’Huart, question, je le répète, qui est très compliquée et sur laquelle je ne puis pas encore me prononcer moi-même, puisque encore une fois, je n’ai réussi à avoir la loi hollandaise que depuis peu de jours, et qu’elle fait l’objet d’une instruction de la part de la commission des monnaies à laquelle je l’ai renvoyée.
M. F. de Mérode – Je voterai, messieurs, pour l’amendement de M. d’Huart parce que, si cet amendement n’est pas reconnu utile d’ici au second vote, on pourra le supprimer alors, et parce que les raisons par lesquelles on l’a combattu ne me paraissent pas suffisantes.
J’ai entendu émettre des assertions contradictoires par les honorable membres qui se sont opposés à l’amendement ; ainsi, M. Coghen a dit qu’il manque de la petite monnaie et qu’il faut, pour ce motif, conserver les pièces de 25 cents dans la circulation, tandis que, d’un autre côté, M. le ministre des finances a dit qu’il y a dans le trésor public encombrement de ces pièces. Je ne puis pas concilier ces deux assertions car s’il y a réellement besoin de petite monnaie, rien ne doit être plus facile que de faire écouler du trésor public les pièces de 25 cents qui y seraient entassées.
Quant à la monnaie d’or, je désirerais aussi qu’on en vînt au projet qui tend à autoriser le gouvernement à frapper des pièces de 25 francs d’un titre à peu près égal à celui des pièces de 10 florins qui sont encore en circulation ; de cette manière nous pourrions avoir de la monnaie d’or dans la circulation sans devoir la tirer de l’étranger.
Si la Hollande frappe des pièces de 25 cents d’un titre inférieur à celles qui ont été frappées précédemment, il en résultera que les inconvénients redoutés par M. le ministre des finances augmenteront encore prochainement : sous ce rapport, je désire que l’amendement de M. d’Huart puisse être accepté ; toutefois si d’ici au second vote, qui ne doit pas nécessairement avoir lieu demain, mais qui peut sans inconvénients être remis de quelques jours, nous obtenons des renseignements qui nous prouvent que l’amendement donnerait lieu à des inconvénients, alors on pourra le supprimer, et, dans ce cas, je serai le premier à en voter le rejet.
J’ai dit, messieurs, qu’il manque de la petite monnaie dans ce pays, et cela est très exact ; les francs, les demi-francs et les quarts de franc ne sont pas assez abondants. Quant à l’embarras qui peut résulter, pour le trésor et pour les fortes maisons, des pièces de 25 cents, il provient de la difficulté de faire accepter ces pièces en grande quantité.
Si l’amendement de M. d’Huart est destiné à détruire les effets que la nouvelle loi hollandaise pourrait avoir pour notre pays, alors il serait possible que cet amendement ne fût pas complet ; car cette loi ne frappe pas uniquement les pièces de 25, de 10 et de 5 cents, elle frappe tout le système monétaire, aussi bien les pièces de trois florins, de un florin et d’un demi-florin que les autres. Avant donc de prendre une mesure pour détourner les effets de la loi hollandaise, il faut connaître les dispositions de cette loi ; lorsque M. le ministre l’aura fait examiner, on pourra voit s’il convient de prendre une mesure, et si cette mesure ne doit pas être générale.
M. Meeus – Ce ne sont pas seulement les petites pièces de monnaie, messieurs, qui sont rares en Belgique, ce sont les pièces de monnaie de toute espèce, et cela parce que nous n’avons pas de monnaie à nous. J’ai déjà eu l’honneur, dans d’autres circonstances, d’appeler l’attention de la chambre et du gouvernement sur cette question que je regarde comme étant de la plus haute importance pour le pays. Nous n’avons pas, je le répète, de système monétaire à nous ; nous avons tantôt de la monnaie française, tantôt de la monnaie des Pays-Bas, selon que les changes sur Londres et sur Amsterdam font refluer telle monnaie de tel pays vers tel autre pays. Ainsi, il arrive bien souvent que l’argent français manque entièrement en Belgique : il n’y a pas si longtemps que l’on payait un agio considérable sur les pièces de 5 francs ; sur un encaisse très considérable qu’il y avait à la banque, il n’y avait pas pour un million de pièces de 5 francs. Si dans un moment où le change sur Paris est en avance, le change sur Amsterdam se trouvait également en avance, ce qui est arrivé, mais fort heureusement pendant 15 jours seulement, au commencement de 1839, la Belgique se trouverait à la fois dépourvue de monnaie française et de monnaie hollandaise, et comme je l’ai fait remarquer en différentes occasions, depuis 1833, il arriverait nécessairement alors que la Belgique manquant de moyens d’échange, il y aurait une crise ; car, en définitive, il faut bien l’avouer, les hommes ne sont que de grands enfants, les valeurs représentatives ne leur vont pas toujours ; il arrive des moments où ils veulent du numéraire ; eh bien le numéraire peut nous manquer totalement dans telle ou telle circonstance, parce que, je le répète, nous n’avons pas de monnaie à nous.
La loi monétaire qui est en vigueur dit bien que nous frapperons des pièces de 5 francs à l’effigie de notre roi, mais elle n’a pas créé de système monétaire belge ; il résulte tout bonnement de cette loi que nous allons chercher à Paris ou ailleurs des lingots, que nous payons en pièces de 5 francs, mais en dernière analyse il n’y a pas une seule pièce de 5 francs de plus dans le pays.
Eh bien messieurs, dans un pays comme la Belgique, qui est surtout composé d’industriels et de petits industriels ; où les petits industriels, il faut en convenir, ne travaillent la plupart du temps qu’à l’aide de capitaux empruntés ; dans un semblable pays il est indispensable de se mettre à l’abri des crises d’argent, car les crises d’argent amènent la défiance, et celle-ci fait que tout le monde veut avoir du numéraire, parce que, comme je l’ai déjà dit, les hommes sont de grands enfants qui estiment souvent les capitaux qu’autant qu’ils sont représentés par des espèces métalliques ; le manque de numéraire peut donc amener des perturbations dont les suites sont incalculables.
Toutes les nations, messieurs, ont un système monétaire à elles ; la Belgique fait seule exception à cette règle générale, et cependant c’est la Belgique qui a le plus besoin d’avoir un système monétaire à elle, parce que, je le répète, la Belgique est plus industrielle que les autres pays, parce qu’elle renferme une foule de petits industriels qui ne vivent que de capitaux levés.
Après cela, messieurs, quel est le système monétaire qui convient à la Belgique ? lorsque le moment sera venu d’examiner cette question, il s’agira de savoir si vous voulez un système d’or ou un système d’argent, car j’espère bien qu’on ne tombera plus dans la faute où toutes les nations sont tombées jusqu’ici, de vouloir à la fois un système d’or et un système d’argent. Le législateur a voulu établir un rapport entre deux matières entre lesquelles la nature n’en a pas établi ; la nature n’a établi aucun rapport entre l’or et l’argent, et, par conséquent, il est ridicule de dire : « Autant de parcelles d’argent valent un parcelle d’or. » Cela peut être vrai aujourd’hui, mais cela ne sera plus vrai dans un an ; aussi nous avons vu constamment les pièces de 20 francs être vendues comme de la marchandise, nous les avons toujours vue au-dessus du pair.
En France, messieurs, le système d’argent a prévalu par la force des choses, et c’est ce qui a sauvé la France, dans ces derniers temps, d’une crise commerciale.
En Angleterre on a admis le système d’or qui facilite extrêmement l’exportation du numéraire ; eh bien, l’Angleterre, qui est en relations avec le monde entier, s’est trouvée tout à coup dépourvue d’or, et l’on a vu la banque d’Angleterre, après avoir eu en caisse plus de 12 millions de livres sterling, n’en avoir plus que 3 millions, tandis que la banque de France avait pour plus de 240 millions de pièces de 5 francs ; la raison de cette différence est facile à saisir, c’est qu’on n’emporte pas l’argent comme on emporte l’or.
Je pense, messieurs, que ces motifs devront engager la Belgique à adopter le système d’argent, qui convient surtout à un peuple industriel qui doit tout faire pour se mettre à l’abri des crises d’argent.
Je n’en dirai pas davantage sur ce point car je m’aperçois, messieurs, que je me suis écarté un peu de l’objet en discussion.
Je ne voterai pas pour l’amendement de M. d’Huart, parce que je suis convaincu que, dans l’absence d’un système monétaire ; il ne faut rien démonétiser ; tout peut être utile, et je me rappelle que les 4 ou 5 millions de pièces de 25 cents qui se trouvent dans les caisses de l’Etat sont venus très à-propos dans un moment où, par suite de l'élévation du change sur Paris, le manque des pièces de 5 francs se faisait vivement sentir. Il faut donc se garder de démonétiser légèrement ces pièces : car si nous ne les avions pas eues dans la circonstance que je viens de rappeler, nous aurions pu être embarrassés.
M. de Brouckere – Vous auriez eu autre chose.
M. Meeus – C’est fort bien, on a toujours autre chose ; mais quand on n’a pas d’argent et qu’il en faut, il se manifeste souvent une crise avant qu’on ait pu s’en procurer. En 1832, il est arrivé qu’en moins de huit jours on a exporté de la Belgique à Paris pour 20 à 22 millions (si ma mémoire est fidèle) de pièces de 5 francs, et pour empêcher une crise, la société générale n’a eu d’autre moyen que de faire vendre à Paris des fonds publics et d’autres valeurs contre du numéraire qu’elle faisait ensuite venir par la diligence. Tous les jours il partait à peu près la même somme. Ce manège a duré pendant environ 24 ou 25 jours, et si la société générale n’avait pas pu faire cela, une crise était inévitable.
M. Coghen – Messieurs, les considérations que mon honorable ami a fait valoir pour le système monétaire a établir dans le pays, ont été celles qui ont déterminé le gouvernement en 1832, à préférer le système d’argent au système d’or. Mais je prierai mon honorable ami de bien méditer si, en abaissant le titre des monnaies, on atteindrait le but qu’il se propose. Le seul moyen, à mon avis, serait d’avoir beaucoup de petites monnaies, de celles qu’on ne fait pas circuler facilement. Mais quant au titre des monnaies, comme le change à l’extérieur se règle toujours d’après la valeur intrinsèque de la monnaie dans les pays sur lesquels on opère le change, l’abaissement du change à l’étranger sur la Belgique permettrait peut-être de faire le même mouvement qu’on fait aujourd’hui. Toutefois, il faut remarquer que si nos monnaies étaient différentes de celles de la France, elles ne seraient peut-être pas reçues dans ce pays, et dès lors l’inconvénient signalé par l’honorable dépuré de Bruxelles n’existerait pas.
M. d’Huart – Messieurs, je vous ferai remarquer que l’honorable M. Meeus a fait la guerre non à mon amendement, mais à la loi monétaire de 1832, car il a signalé les inconvénients qui, selon lui, devaient résulter du système consacré par cette loi.
Je me permettrai d’appeler l’attention de l'honorable M. Meeus sur les motifs qui m’ont fait présenter mon amendement, motifs qu’il n’a pu rencontrer dans son discours, parce qu’il n’était pas présent à la séance, lorsque je les ai développés.
M. le ministre des finances nous a déclaré que la Hollande retirait de la circulation les pièces de 25 cents pour les refondre, et il nous a été facile d’en conclure que cette opération avait pour but de se procurer le moyen de refrapper des pièces nouvelles de 25 cents d’une valeur réelle inférieure à la valeur nominale.
Craignant donc que la Hollande ne procédât au battage d’une monnaie de très bas aloi, qui établit une différence notable entre la valeur réelle et la valeur nominale, j’ai eu pour but d’empêcher qu’il n’affluât plus tard dans nos caisses une masse de ces pièces de 25 cents d’un nouveau titre, et c’est pour donner au gouvernement le moyen de prévenir ce préjudice que j’ai présenté mon amendement ; je ne demande pas qu’il use de la faculté de démonétiser les pièces de 25 cents dans un délai déterminé ; il sera maître de choisir l’époque qu’il reconnaîtra la plus favorable selon les circonstances.
J’entends M. le ministre des finances dire qu’il n’a pas déclaré qu’en Hollande on frapperait des pièces nouvelles de 25 cents d’une valeur beaucoup inférieure à la valeur nominale ; il est vrai que M. le ministre n’a pas dit cela, il n’a même donné aucune réponse aux questions itératives que nous lui avons adressées à cet égard ; il nous a simplement dit qu’on refondait les pièces de 25 cents en ce moment, parce qu’elles avaient une valeur réelle trop élevée ; or nous en tirons ces conclusions, qu’on ne retire ces pièces que parce qu’il y aura avantage à les transformer en monnaie de bas aloi d’un titre inférieur à la valeur. C’est dans cette prévision qu’il est utile de donner au gouvernement le pouvoir qui fait l’objet de mon amendement, pouvoir qui est aussi large que possible, et je ne conçois qu’il puisse refuser, puisqu’il est laissé juge en définitive.
M. le ministre des finances (M. Desmaisières) – Messieurs, je n’ai pas dit que la Hollande se proposait de refondre les pièces de 25, 10 et 5 cents, pour en faire une monnaie d’un titre inférieur à celui que ces pièces ont actuellement ; mais j’ai expliqué les véritables motifs pour lesquels cette refonte était ordonnée en Hollande. Cette refonte, ai-je dit, a été ordonnée parce qu’on y renonçait à la monnaie de bas aloi, parce qu’on suivait en cela le principe qui est aujourd’hui admis partout, que la monnaie de bas aloi est une mauvaise monnaie qui est toujours désavantageuse, en ce sens qu’elle peut être falsifiée aisément, et que les empreintes s’effacent aussi facilement par l’usage.
Messieurs, l’amendement de l’honorable M. d’Huart me semble, je le répète, devoir être renvoyé à la section centrale ; car cette amendement soulève des questions très graves sur lesquelles je ne suis pas à même de me prononcer quant à présent. Et si je n’ai pas répondu à la question itérative de l’honorable préopinant qui désirait savoir si, en effet, le but du gouvernement hollandais était de convertir les pièces de 25 cents en monnaie d’un titre inférieur, c’est parce que réellement je ne le sais pas moi-même. Je le répète, il n’y a que peu de jours que j’ai reçu la loi hollandaise ; je l’ai transmise à la commission des monnaies pour en faire l’examen ; il y a une instruction, et quand cette instruction sera achevée, je serai alors, et alors seulement, à même de me prononcer sur la question.
Ainsi, il faut un délai plus ou moins long pour que la chambre puisse prendre une décision en connaissance de cause, sur l’amendement de l’honorable M. d’Huart ; or, comme je l’ai dit tout à l’heure, chaque jour de retard apporté au vote de la loi cause une perte d’environ 300 francs au trésor.
M. le président – Personne ne demande plus la parole, je mets aux voix la proposition de M. le ministre des finances, tendant à renvoyer l’amendement de M. d’Huart à la section centrale, pour qu’elle en fasse, s’il y a lieu, l’objet d’un projet de loi spécial.
La proposition de M. le ministre des finances est adoptée.
Les deux articles ci-après sont ensuite mis aux voix et adoptés sans discussion.
« Art. 2. Le gouvernement est autorité à faire effectuer la refonte desdites monnaies, tant celles qui se trouvent déjà dans les caisses du trésor que celles qui y rentreront par suite des dispositions de l’article qui précède.
« Cette refonte se fera par les soins et sous les yeux de la commission des monnaies. »
« Art. 3. Le gouvernement prendra les dispositions nécessaires pour la conversion de ces monnaies en monnaies légales, ou pour la vente des lingots qui en proviendront, après avoir fait constater le poids et le titre par la commission ci-dessus mentionnée. »
M. le ministre des finances (M. Desmaisières) – Messieurs, la chambre se rappellera qu’un crédit avait été demandé au budget pour faire face à la dépense de la refonte. Ce crédit constituait une des trois majorations qui ont été non pas rejetées, mais ajournées jusqu’au vote des lois spéciales qui s’y rapportaient. J’ai en conséquent l’honneur de proposer une disposition additionnelle qui formerait l’article 4 de la loi ; cet article serait ainsi conçu :
« Il est ouvert au gouvernement un crédit de 125,000 francs pour faire face aux frais et dépenses qui résulteront de l’exécution des dispositions qui précèdent. »
M. d’Huart – Messieurs, d’après le projet de loi, il n’était demandé aucun crédit pour faire face aux dépenses d’exécution. M. le ministre des finances vient de présenter une disposition qui comble cette lacune. Je me proposais de soumettre un amendement, pour arriver au même but, et je crois, d’une manière plus certaine et plus convenable dans l’espèce ; je voulais demander qu’un compte spécial fût ouvert pour cet objet, et que le gouvernement opérât par voie de déduction. Ce mode de procéder aurait l’avantage de ne pas obliger le gouvernement de revenir plusieurs fois à la charge, car rien n’indique que le crédit soit suffisant. S’il entre de nouvelles monnaies dans le trésor, il faudra demander de nouveaux fonds. Mais puisque le gouvernement a adopté un système d’exécution qui lui paru sans doute le plus convenable, je ne soumettrai pas d’amendement.
M. Demonceau – Messieurs, lors de la discussion du budget des finances, il avait été convenu que l’article qui figurait dans ce budget pour la dépense dont il s’agit, serait ajourné pour en faire un article de la loi que nous venons de discuter. Comme M. le ministre des finances a présenté un amendement, je pense que c’est cet amendement qui doit avoir la préférence.
M. Delehaye – Messieurs, à la première lecture de l’amendement de l’honorable M. d’Huart, j’étais disposé à l’adopter parce qu’il m’offrait un moyen de pourvoir à cette dépense, sans élever le chiffre du budget des voies et moyens ; mais, réflexion faite, il s’agit ici d’autoriser le gouvernement à user d’un chiffre sans limites, et par ce motif, j’aime mieux voir porter une somme plus forte au budget des dépenses que de laisser du vague, de ne rien déterminer. La proposition de M. le ministre des finances est préférable, en ce qu’elle fixe le chiffre présumé de la dépense.
- L’article 4 nouveau est mis aux voix et adopté.
M. le président – La chambre entend-elle passer immédiatement au vote sur l’ensemble ?
M. le ministre des finances (M. Desmaisières) – Cet article nouveau n’est pas un amendement, c’est la reproduction d’un article du budget des finances, ajourné jusqu’au vote de cette loi.
- La chambre décide qu’il sera passé au vote sur l’ensemble.
On procède à l’appel nominal.
Le projet de loi est adopté à l’unanimité de 55 membres qui répondent à l’appel nominal. Il sera transmis au sénat.
Ces membres sont : MM. Brabant, Coghen, Cools, Coppieters, de Behr, de Brouckere, de Florisone, de Garcia de la Vega, de Langhe, Delehaye, F. de Mérode, Demonceau, de Nef, de Renesse, de Roo, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, Devaux, d’Hoffschmidt, d’Huart, Donny, Dubus (aîné), B. Dubus, Dumont, Dumortier, Duvivier, Eloy de Burdinne, Hye-Hoys, Lange, Liedts, Lys, Manilius, Mast de Vries, Meeus, Milcamps, Morel-Danheel, Nothomb, Pirmez, Raikem, Raymaeckers, A. Rodenbach, Sigart, Simons, Smits, Thienpont, Ullens, Vandenbossche, Vandenhove, Vanderbelen, Ch. Vilain XIIII, Wallaert, Willmar, Zoude, Cogels et Fallon.
La séance est levée à 4 ½ heures.