Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Documentation Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 28 décembre 1839

(Moniteur belge n°364 du 30 décembre 1839)

(Présidence de M. Fallon)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Lejeune procède à l’appel nominal à 1 heure.

M. Mast de Vries donne lecture du procès-verbal de la dernière séance, dont la rédaction est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Lejeune donne communication des pièces adressées à la chambre :

« Le sieur François-Dominique Maertens, lieutenant au 14e régiment de réserve, né en Zélande, demande la naturalisation. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


« Le conseil communal de Furnes adresse des observations sur la concession du canal de l’Espierre. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget des travaux publics.


« Le sieur Jaspers, à Eeckeren, demande qu’il soit porté au budget des travaux publics une somme nécessaire au paiement des expropriations faites pour le réendiguement du polder de Lillo. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget des travaux publics.


« Le conseil communal de Lierereux (Liége) réclame contre le projet de réunir cette commune au canton de Vieil-Salm. »

- Dépôt au bureau des renseignements.


« Le général de brigade van Koekelberg, aide-de-camp honoraire du Roi, sollicite l’intervention de la chambre à l’effet d’obtenir soit une pension correspondant à son grade, soit une indemnité pour les pertes que la révolution lui a fait éprouver. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Un grand nombre de filateurs de coton des arrondissements de Mons et de Nivelles sollicitent de la législature de mesures de protection, afin de leur assurer la vente dans l’intérieur du pays, par compensation aux différents débouchés que leur industrie a perdus en 1830. »

M. le président – Je proposerai le renvoi à la commission avec invitation de faire un prompt rapport.

M. Milcamps – J’allais faire la même proposition que M. le président ; je me bornerai donc à l’appuyer de toutes mes forces.

- La proposition est adoptée.


« Le sieur Alexandre, notaire, adresse des observations sur le projet de loi relatif aux notaires de Neufchâteau. »

« Même pétition du sieur Henry, notaire à Yzel. »

- Dépôt sur le bureau de la chambre pendant la discussion de la proposition concernant les notaires de Neufchâteau.


« Les commis-greffiers du tribunal de première instance de Mons adressent des observations sur le projet de loi relatif à l’augmentation des traitements judiciaires. »

- Renvoi à la commission spéciale.


« Le conseil communal de Marchiennes-au-Pont demande qu’il soit alloué au budget des travaux publics un subside, pour réparer les grandes routes de Marchiennes. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion des travaux publics.


« Le sieur Metton-Leduc, professeur à Ixelles, demande qu’il soi alloué des fonds au département de la marine, pour créer un service régulier des paquebots de l’état. »

- Renvoi à la section centrale qui a examiné le budget de la marine, comme commission spéciale.


M. de Brouckere – On vient de vous faire connaître l’objet d’une pétition adressée à la chambre par M. le général van Koekelberg. Sans vouloir préjuger la valeur de cette pétition et jusqu’à quel point la chambre doit y avoir égard, je pense que la qualité du signataire et les services qu’il a rendus au pays, dans les premiers temps de la révolution, méritent quelque considération ; je demanderai, en conséquence, que la chambre veuille bien inviter la commission des pétitions à faire un prompt rapport sur ce mémoire.

Il y a une raison spéciale pour que ce rapport soit promptement fait ; c’est qu’à la pétition sont jointes des pièces importantes dont le général doit désirer n’être pas longtemps dessaisi ; un autre motif, c’est que cette pétition peut faire naître des observations sur la discussion du budget du ministère de la guerre ; aussi je demanderai que la commission veuille bien présenter son rapport avant la discussion du budget du ministère de la guerre.

- La proposition de M. de Brouckere est adoptée.


M. Pirmez demande le renvoi de la pétition de Marchiennes-au-Pont à la section centrale du budget des travaux publics, pour procéder à son examen promptement. Il fait observer qu’il y a entre la commune et le gouvernement un contrat.

- La proposition de M. Pirmez est adoptée. La pétition reste en outre déposée sur le bureau pendant la discussion du budget des travaux publics.


M. Jadot, informe la chambre qu’une affaire urgente l’empêche d’assister à la séance de ce jour.

Pris pour notification.

Décès d'un membre de la chambre

M. Adolphe Lesoinne, fils, écrit à la chambre pour lui faire part de la mort de M. Lesoinne, son père, décédé le 26 de ce mois.

- Pris pour notification.

Projet de loi portant le budget du ministère des travaux publics de l'exercice 1840

Discussion générale

M. le président – La parole est à M. de Mérode.

Plusieurs membres – M. le ministre des travaux publics n’est pas présent ; on ne peut commencer !

- M. le président, sur cette observation, suspend la séance pour attendre l’arrivée de M. le ministre des travaux publics, laquelle a lieu presque immédiatement après la suspension.

M. F. de Mérode – Messieurs, si jamais question fut instruite avec un extrême soin, c’est assurément la question dont on nous occupe en ce moment ; si M. le ministre des travaux publics a commis une erreur en autorisant l’exécution du canal de l’Escaut vers Roubaix, ce n’est certes pas faute d’un long et mûr examen. En cas de décision malencontreusement prise, il y a eu de sa part faute bien grave de sens et d’appréciation des faits ; car il s’est livré à des recherchez bien scrupuleuses sur tout ce qui pouvait motiver son jugement. Rien, en effet, n’a été épargné pour comparer la valeur des allégations contradictoires, délais, informations de toute nature, enquêtes, commissions. Se fût-il agi de la fortune du royaume entier, on n’eût point pris plus de précautions, cherché plus de lumières. Mais, en réalité messieurs, l’objet de tant de sollicitudes n’a point l’importance qu’ont voulu lui attribuer les champions de quelques intérêts locaux ou privés. La prospérité de l’agriculture de la Flandre, l’exportation de ses toiles, le débit des tissus de coton fabriqués à Gand, ne dépendent point des promenades plus ou moins longues que ferait le charbon du Hainaut sur les canaux flamands, mais bien plutôt des facilités que donnent généralement aux affaires les voies les plus courtes et les plus économiques de communication.

D’autre part, le canal de l’Espierre ne sera point un Pactole pour le Hainaut, mais il fournira aux exploitations charbonnières de cette province de notables facilités pour l’exportation de leurs produits. Telle est la vérité simple, dégagée du cortège de toutes les figures ou fantômes qu’on lui adjoint, si mal à propos ; de plus, comme il est vivement sollicité par nos voisins du département du Nord, ce canal contribuera à lier les intérêts belges aux intérêts de la France, pays avec lequel la Belgique a tant de relations profitables à entretenir, et, sous ce rapport, un refus de permettre la jonction des voies navigables des environs de Lille avec l’Escaut eût produit, selon moi, un effet moral très nuisible aux combinaisons d’une sage politique commerciale. Les marchés français ne sont point, sans doute, ouverts aux producteurs belges autant qu’ils le voudraient. Qui peut nier cependant que là sont encore les débouchés les plus larges et les plus avantageux aux pays, que nous représentons dans cette enceinte. Gardons-nous donc, pour l’intérêt des Flandres particulièrement, de mettre dans tous nos procédés envers les autorités françaises un esprit d’antagonisme difficultueux qui tendrait à détruire les dispositions réciproquement bienveillantes. Ne perdez pas de vue que le canal de Roubaix vers l’Escaut était commencé, et que si le gouvernement néerlandais, qui voulait autant que possible isoler la Belgique de la France, mettait obstacle à ce que des ouvrages dispendieux obtinssent leur complément nécessaire sur le territoire des Pays-Bas, nous ne pouvons plus aujourd’hui suivre les mêmes errements.

Le canal de l’Espierre est demandé par le commerce du Hainaut pour le débit d’une marchandise encombrante, qui a un besoin de voies d’eau multiples et courtes. Appartient-il au ministre des travaux publics d’adopter, envers l’industrie la plus importante d’une province belge, un système d’empêchement, véritable oppression des uns au bénéfice des autres, en admettant toutefois un prétendu profit. On oblige le charbon du Hainaut à circuler à travers les Flandres pour atteindre Dunkerque. Cela ne suffit-il pas ? Faut-il encore l’astreindre à naviguer exclusivement sur des canaux français ou à subir de longs détours pour arriver à Roubaix et lieux circonvoisins ?

Je concevrais peut-être l’inertie paralysante du gouvernement, si le commerce du Hainaut demandait au trésor public des frais coûteux d’exécution ; loin de là il ne sollicite aucun subside, il s’agit simplement de laisser faire, de ne pas empêcher une voie directe dont la nature même facilite la création.

L’on voudrait donc que le ministère des travaux publics devînt le ministère de l’empêchement public de travailler gratuitement. Mieux vaudrait alors le supprimer, car il prodigue des millions pour les chemins de fer qui grèvent notre avenir financier de dettes considérables, tuent la circulation sur un grand nombre de routes préexistantes, et ruinent une foule de personnes avec l’emploi d’une partie de leurs propres deniers versés dans les caisses de l’état qui paie les chemins de fer.

Plût à Dieu que la généralité des projets de routes et canaux fussent aussi économiquement réalisables que le canal de l’Espierre ; nous aurions bientôt celui de Zelzaete dont l’ajournement est très regrettable à mes yeux, malgré les millions qu’il devait coûter au pays ; nous aurions le canal du Luxembourg, qui féconderait une contrée, pauvre par la nature de son sol, il est vrai, mais qui peut gagner beaucoup si on lui procure des moyens économiques d’importation et d’exportation.

Messieurs, bien qu’elle fût composée de onze membres appartenant aux Flandres et de sept seulement étrangers à ces provinces, la majorité de la commission que j’ai eu l’honneur de présider à Courtray a été favorable au projet du canal de l’Espierre ; en effet, sur la question de savoir si une nouvelle voie destinée au transport des produits pondéreux du Hainaut est d’utilité publique, sept voix se sont prononcées affirmativement, sept contre, et cinq se sont abstenues, seulement, remarquez-le bien, « parce qu’il n’est pas prouvé à leurs yeux que le canal de l’Espierre n’aura pas de conséquences funestes pour l’industrie gantoise en faveur de l’industrie française. » L’abstention ne se motivait ni sur le préjudice que le canal de l’Espierre porterait à la navigation des Flandres, ni sur l’incompatibilité de l’existence de ce canal avec celui de Bossuyt à Courtray, ni même sur une conviction que l’industrie gantoise serait réellement lésée par le transport plus facile des charbons du Hainaut aux manufactures de Lille et environs, mais sur un doute que cette lésion fût possible.

Dans le doute abstiens-toi, c’est un bon principe de casuiste, c’est aussi un excellent principe d’égoïsme local, applicable à toutes les opérations qui ne servent que l’accroissement du bien d’autrui. Quant au ministre, qui ne doutait pas que la création gratuite du canal de Roubaix ne fût favorable aux exploitations charbonnières du Hainaut, placé entre une vague hypothèse et une certitude, il devait sortir du système d’empêchement et marcher enfin, non pas vers le système agissant, on ne lui demandait pas sa coopération, mais vers le système du « laissez faire ». C’est ce qu’il a jugé opportun, d’accord avec tout le conseil des ministres et d’accord avec le bon sens. Aussi, messieurs, s’étonnera-t-on plus tard, j’en suis persuadé, de l’opposition qui s’élève aujourd’hui contre une voie de communication directe, établie sans recours au trésor public, quand nous en construisons beaucoup qui lui coûtent si cher. A l’égard de la question constitutionnelle, elle a été suffisamment résolue par la réponse de M. le ministre des travaux publics. Je sais, d’ailleurs, qu’en procédure, les mauvaises causes se rattachent souvent aux moyens de nullité, grâce auxquels la forme emporte le fond.

C’est pourquoi j’éprouve, pour ce genre d’argumentation, peu d’attrait, déjà le pays souffre trop de tous les détails, de tous les obstacles qu’oppose à l’expédition des affaires, l’accroissement que l’on tend sans cesse à donner aux attributions de chambre ; elle ne suffit pas à ses fonctions législatives, et on la pousse constamment à s’immiscer dans l’administration ; alors toutes les prétentions de clocher se donnent ici pleine carrière ; les projets de loi les plus essentiels, proposés par le gouvernement ou par des membres de l’assemblée, demeurent au greffe, et la session parlementaire se passe en discussions étrangères aux véritables travaux dont nous avons à nous occuper ; interrompus encore par des vacances générales qu’il est difficile de concilier avec le principe d’indemnité mensuelle inscrit dans la constitution.

J’ose croire, messieurs, que ces vacances dont la légalité est au moins équivoque, ne seront prises qu’après le vote du budget des travaux publics, instamment et à bon droit sollicité par un ministre plein de zèle et de savoir, et qui ne ménage ni son temps ni ses peines pour bien servir le pays.

M. de Muelenaere – Cette discussion est d’une haute importance pour le gouvernement et pour le pays. La conduite du ministère des travaux publics relative aux canaux de l’Espierre et de Bossuyt, a été, en dehors de cette enceinte, l’objet de virulentes attaques. D’un autre côté, une partie du pays a conçu de vives inquiétudes ; la source de ces inquiétudes est d’ailleurs d’autant plus légitime et respectable, qu’elles se rattachent à des droits acquis par une possession, en quelque sorte, immémoriale. La discussion actuelle fournira au ministère un moyen légal et constitutionnel de s’expliquer, de justifier sa conduite et de dissiper ces inquiétudes, s’il parvient à prouver qu’elles sont mal fondées, ou de revenir sur ses pas, si réellement, comme nous en sommes convaincus, il s’est engagé dans une mauvaise voie. Mais, pour atteindre ce but, nos débats doivent demeurer graves et calmes, dégagés de toute personnalité. Par position et par caractère homme gouvernemental, je regrette sincèrement, dans cette occurrence d’avoir à combattre le pouvoir et d’anciens amis politiques. Mais j’obéis à une profonde conviction, je remplis un devoir sacré.

M. le ministre des travaux publics vous a présenté l’opinion des partisans du canal de Bossuyt comme absolument exclusive de la construction du canal de l’Espierre. Pour ma part, je proteste contre cette interprétation ! Dans le système suivi par M. le ministre des travaux publics, le canal de l’Espierre, en fait, exclut le canal de Bossuyt ; cela est évident. Aussi, est-ce le reproche grave que nous adressons au gouvernement.

Dans mon système, je n’exclus aucun des deux canaux ; l’un au contraire aide à la construction de l’autre, et tous deux peuvent se réaliser.

Mais avant d’aborder cette question, je vous prie de vouloir bien me permettre de me poser, pour quelques instants, sur le même terrain que M. le ministre des travaux publics, et de vous exposer ma pensée sur l’utilité respective pour la Belgique des deux canaux de Bossuyt et de l’Espierre, sur le but avoué et secret de ce dernier canal, sur les dangers qu’il présente pour notre navigation nationale et sur les garanties qu’offre la convention diplomatiques du 27 août.

La jonction de l’Escaut à la Lys et à la mer du Nord est une de ces conceptions dont la haute utilité ne saurait être révoquée en doute ; avec quelque peu d’intelligence des besoins matériels du pays, on en saisira au premier coup d’œil tous les avantages.

L’ancienne administration de Flandre, à une époque où les provinces n’étaient, pour ainsi dire, unies entre elles par aucun lien avait déjà conçu ce projet ; le malheur seul des temps en empêcha l’exécution.

Le canal de Bossuyt à Courtray forme le premier chaînon de ce grand et beau travail. C’est là, dans l’état actuel de la question, le seul objet à l’ordre du jour ; des observations générales sur l’ensemble du projet pourraient vous paraître intempestives.

Le but de ce canal est d’opérer une jonction de l’Escaut à la Lys et d’amener ainsi, à moins de frais, dans la vallée de la Lys et dans la partie de la Flandre située entre la Lys et la mer du Nord, les produits de nos provinces du Midi et de l’Est, et d’expédier, en retour, vers ces provinces les produits de la Flandre.

Depuis le village de Bossuyt, lieu de débouché de l’Escaut et du canal projeté, d’après les voies existantes, la distance à parcourir en descente, jusqu’à Gand, est de 75,000 mètres, et celle à parcourir en remonte, de Gand à Courtray, de 69,000 mètres. Ces deux chiffres réunis donnent une distance de 142,000 mètres. Cette navigation est intermittente ; sans accidents imprévus, elle exige vingt à vingt-cinq jours.

Le canal de Bossuyt à Courtray remplace ce parcours long, difficile et intermittent par une navigation continue de 15,000 mètres, qu’on peut faire en moins d’un jour.

Ainsi, dans l’état actuel de nos voies navigables, la distance à parcourir pour arriver à Courtray est de 142,000 mètres ; la navigation est intermittente et le batelier a besoin de 20 à 25 jours.

Dans l’hypothèse de la construction du canal de Bossuyt, la distance n’est plus que de 15,000 mètres ; la navigation est continue, et il ne faut au batelier qu’un seul jour au plus.

Il est vrai que les frais de construction du canal de Bossuyt s’élèvent à des sommes considérables.

Mais, d’après le péage proposé par le demandeur en concession lui-même et de l’aveu de M. le ministre des travaux publics (page 15 de sa première publication), le batelier gagnerait, indépendamment de l’économie du temps, qui serait ici considérable, le montant des frais de conduite de Bossuyt à Gand, ainsi que celui des droits imposés dans l’état actuel des choses, à la navigation des deux rivières.

« Les canaux de l’Espierre et de Roubaix, ajoute M. le ministre des travaux publics, comme ligne de jonction de l’Escaut à la Lys, ne peuvent en aucune manière servir d’équivalent au canal de Bossuyt ; lorsqu’il s’agit de comparer les lignes de jonctions de l’Escaut à la Lys, c’est Courtray qu’il faut prendre comme point de destination. Or, par le canal de Bossuyt, on atteint Courtray plus directement qu’on ne pourra le faire par la ligne de l’Espierre et de Roubaix.

L’utilité du canal de Bossuyt n’est donc contestée par personne, pas même par nos adversaires, tant elle est évidence pour tout le monde. Les avantages que ce canal offre à la navigation doivent produire une forte diminution sur le fret, et, par une conséquence naturelle, une baisse sur le prix du combustible pour le consommateur belge. Les charbons, la chaux, les ardoises, les fers, les pierres, etc. obtiennent par là un nouveau débouché. Ce débouché est sûr et durable ; il n’est pas subordonné au bon vouloir d’une puissance voisine. La Flandre est aujourd’hui obligée de se priver de ces objets ou d’en restreindre considérablement la consommation à cause de l’élévation du prix du transport. Le canal de Bossuyt à Courtray est d’un intérêt majeur, d’un intérêt presque vital pour la Flandre. Mais une étude réfléchie, désintéressée et consciencieuse que j’ai faite de cette question, m’a convaincu qu’il est encore plus utile à d’autres provinces, et surtout au Hainaut qu’à la Flandre.

Peut-on espérer les mêmes avantages pour la Belgique de la voie, provisoirement décrétée par l’Espierre et Roubaix, de la jonction de l’Escaut à la Lys par la basse Deule.

Consultons l’exposé ministériel publié en 1838 ; nous y lisons « Comme première section d’une ligne de jonction de l’Escaut à la Lys, le canal de l’Espierre ne peut avoir qu’une utilité restreinte, à cause de la nécessité de transiter par le territoire étranger, de l’étendue du parcours et de l’élévation des frais par cette voie. Il ne peut donc être mis en rapport avec le canal de Bossuyt à Courtrai. »

Indépendamment de ces considérations vraiment péremptoires, on a fait valoir bien d’autres raisons contre ce canal. Mais examinons plutôt les motifs qu’on fait militer pour son établissement. Ces motifs je les trouve dans une pétition qui vous a été adressée le 2 décembre dernier et parmi les signataires de laquelle figurent les demandeurs en concession. Afin qu’on ne m’accuse pas de vouloir affaiblir ces motifs, permettez-moi de vos citer textuellement les paroles des pétitions : « Il (le canal de l’Espierre) est indispensable pour que nous puissions approvisionner de nos houilles ces nombreuses fabriques de Tourcoing, de Lannoy et de Roubaix, à l’exclusion des charbonnages du département du Nord et des charbons anglais ; des intérêts essentiellement nationaux en réclament la construction, quand un intérêt privé, un intérêt français peut seul en souffrir.

Le but avoué du canal de l’Espierre est d’approvisionner de nos houilles les nombreuses fabriques de Tourcoing, de Roubaix et de Lannoy, à l’exclusion des charbonnages du département du Nord et des charbons anglais.

La Belgique veut donc, au moyen du canal de Roubaix, faire à la France une telle concurrence, qu’elle parvienne à exclure le charbon français du marché français. Mais les pétitionnaires croient-ils sérieusement que la France soit disposée à sacrifier bénévolement ses propres houillères à celles de la Belgique ?

Le charbon français jouit d’un droit protecteur ; dans certaines zones ce droit est modéré ; mais partout il est fixé dans l’intérêt combiné du producteur et du consommateur.

Si le canal de l’Espierre rend la navigation moins longue et plus facile et qu’il amène ainsi en France le charbon belge à meilleur compte, la France, fidèle à son système de douanes, s’empressera de rétablir l’équilibre rompu et d’augmenter les droits d’entrée dans la proportion des avantages que la nouvelle voie de navigation procurera aux charbons belges sur les charbons français. Si la consommation diminue ou que les extractions en France prennent assez d’extension pour suffire à la consommation, le canal d’Espierre, par la même raison, ne vous sera d’aucun secours réel.

Quant à la concurrence du charbon anglais, que vous paraissez redouter pour l’approvisionnement des fabriques de Roubaix, Lannoy et Tourcoing, cette crainte est entièrement chimérique. Dans l’état actuel des choses, cette concurrence est physiquement impossible ; on l’a déjà dit à satiété, c’est une supposition ridicule. Les houilles anglaises ne viennent pas dans cette contrée, elle ne peuvent y venir. Les frais de transbordement et la longue et dispendieuse navigation que ces houilles, après avoir traversé le détroit du Pas-de-Calais, auraient à faire dans l’intérieur du territoire français y mettent un obstacle insurmontable.

Où est donc cette intérêt essentiellement nationale qui réclame d’une manière si impérieuse le canal de l’Espierre ? Je le cherche en vain ; je ne le trouve nulle part.

Un intérêt français, disent les pétitionnaires, pourra seul en souffrir.

Un intérêt français ! Eh, grand Dieu ! comment peut-on proférer une pareille absurdité. C’est une injure faite à votre bon sens et à votre sagacité.

Quoi ! un intérêt français pourra seul en souffrir !

Mais quelqu’un de vous ignore-t-il donc, messieurs, les intrigues qu’on a ourdies, les ressorts qu’on a fait mouvoir depuis quinze années, pour arracher au gouvernement des Pays-Bas et au gouvernement belge, cette malencontreuse concession. Je passe sous silence une foule de faits et d’actes très significatifs ; je ne veux m’arrêter qu’à des documents publics. La France elle-même me semble un juge un peu plus compétent que les pétitionnaires, de ce qui est conforme ou contraire à ses intérêts. Or, voyons comment le canal de l’Espierre est considéré en France par tous les organes de l’opinion publique, soit qu’ils appartiennent à l’opposition, soit qu’ils défendent les actes du gouvernement.

Le retard qu’éprouvait le concession du canal de l’Espierre était devenu en 1838 un grief contre le gouvernement français, de la part de l’opposition. Un article virulent fut inséré dans l’ « Echo du Nord ». Un journal, dépositaire de la pensée gouvernementale, répondit à cette accusation ; je n’extrairai qu’une partie de cette réponse.

« Le Moniteur belge, incertain, ne se prononçait pas (sur la concession du canal de l’Espierre) et nous faisait craindre un refus définitif. Cette affaire sommeillait à Bruxelles dans les cartons de M. le ministre des travaux publics.

« M. le ministre des affaires étrangères, M. le comte Molé, averti par le préfet de l’état de choses, apporta un zèle constant dans la poursuite de cette affaire, et fut dignement secondé par M. Serrurier, ministre plénipotentiaire de France auprès de S.M. le Roi des Belges.

« L’instruction relative au canal de Roubaix prit un nouveau cours, fut poussé avec vigueur. On doit beaucoup de reconnaissance à M. Mimerel, pour les nombreuses et efficaces démarches qu’il a faites à Bruxelles dans l’intérêt d’un projet si longtemps entravé.

« Dans le milieu de cette année (1838), une commission d’enquête fut convoquée à Courtray. Son résultat fut tel que le gouvernement pût, sans inquiétude pour sa responsabilité et les intérêts qu’il doit protéger, prendre une décision définitive.

« Nous arrivions donc à la conclusion, et nous paraissions tout près d’obtenir l’arrêté royal.

« M. Nothomb, ministre des travaux publics, crut devoir préalablement consulter la chambre de commerce des grandes villes de la Belgique ; c’était un retard fâcheux, mais qu’il a bien fallu subir. Maintenant une nouvelle discussion est établie sur la proposition des ingénieurs belges, de ne consentir le canal de l’Espierre que comme canal de petite section.

« Voilà où en est une affaire qui n’a pas été abandonnée un seul jour depuis huit ans..

« Comment vient-on sommer le ministre, chargé de nos intérêts au-dehors, de s’interposer dans un conflit aussi important avec toute l’autorité et tout l’ascendant de la France, quand ce ministre ne s’est jamais départi de ses instructions énergiques adressées au ministre de France à Bruxelles, quand celui-ci apporte une persévérance patriotique à les faire triompher. »

Et cependant, d’après les pétitionnaires, un intérêt français seul peut souffrir de la construction du canal de l’Espierre et de Roubaix. C’est donc pour le triomphe d’un intérêt anti-français que M. le ministre de France à Bruxelles apporte cette « persévérance patriotique », dont on lui sait si grand gré dans son pays ; c’est pour le triomphe d’un intérêt anti-français qu’on somme le gouvernement, après tant de retard, d’intervenir dans le conflit « avec toute l’autorité et tout l’ascendant de la France » ; c’est pour le triomphe d’un intérêt anti-français que la France devrait enfin couper le nœud gordien avec l’épée d’Alexandre.

Il résulte de tout ce que j’ai l’honneur de vous dire : 1° que le canal de Bossuyt, comme opérant la jonction de l’Escaut à la Lys, est un travail éminemment national ; que de l’aveu de M. le ministre des travaux publics, le canal de l’Espierre ne peut être mis en parallèle, sous ce rapport, avec le canal de Bossuyt ; que ce canal maintient la navigation sur le sol belge, au profit de la Belgique, et qu’il tend à compléter notre ligne de navigation à la mer du Nord ; qu’il est un bienfait incontestable pour une grande partie de la Flandre, et qu’il doit considérablement augmenter la consommation de tous leurs produits du Hainaut.

2° Que le canal de l’Espierre ne fait qu’ajouter une troisième route aux deux voies déjà ouvertes sur le centre du département du Nord ; qu’il ne procure au Hainaut aucun débouché nouveau, aucun marché dont cette province ne soit déjà en possession ; qu’il sera toujours facultatif à la France de compenser en faveur de ses houillères, par une augmentation de droits à l’entrée, les facilités que ce nouveau canal pourra procurer à la navigation vers la France.

Le canal de l’Espierre n’a pas le but avoué par les pétitionnaires ; ce canal cache un but secret et ce dernier but est tout à l’avantage de la France, tout au détriment de la Belgique.

C’est au mois de juin 1828 que le roi de France a posé lui-même la première pierre à la nouvelle écluse sur la Deule. Le journal officiel français, en rendant compte de ce voyage, s’exprimait ainsi : S.M. est allée à Wambrecies mettre la première pierre à la nouvelle écluse sur la Deule, « du canal de l’Escaut par Roubaix à Dunkerque. »

Après une pareille déclaration, est-il permis de douter encore des intentions de la France ?

M. le ministre des travaux publics, dans la séance du 26 décembre, a paru révoquer en doute une opinion attribuée à M. Cordier, ancien ingénieur en chef du département du Nord. J’ai lu l’ouvrage de M. Cordier, et le passage auquel on fait allusion s’y trouve en entier.

Cet ingénieur, dominé par la pensée que les canaux isolés ne suffiront pas à la prospérité du pays, mais qu’il faut les mettre en communication avec la mer, soutient qu’au moyen des constructions et des améliorations qu’il signale, on peut imprimer à la navigation, dans le département du Nord, un mouvement rapide, inconnu dans toute autre localité et faire suspendre la navigation de l’Escaut ou de la Lys en Belgique.

Voilà ce qui paraissait possible à M. Cordier, en 1820. Combien le canal de l’Espierre n’aiderait-il pas à l’exécution de ces travaux ? Il est vrai qu’en 1820, M. Cordier n’osait pas espérer un pareil honneur pour la France. M. de Vauban, dit-il, qui s’occupait avec la même sollicitude des ouvrages nécessaires au commerce et de ceux utiles à la défense, fut le premier qui conçut la pensée d’ouvrir une communication entre la Deule et l’Escaut, par la Marque et par Roubaix. Ce canal serait l’un des plus fréquentés de France et placerait cette contrée dans la situation la plus favorable pour étendre indéfiniment ses relations de commerce. Mais, ajoute M. Cordier, lorsque ce célèbre ingénieur proposait l’exécution de cet ouvrage, Tournay et le cours de l’Escaut appartenaient à la France. Maintenant cette entreprise n’est plus praticable dans son ensemble. On doit se borner à canaliser la Marque depuis la Deule jusqu’au Pont-à-Tressin et à ouvrir une communication entre la Marque, Roubaix et Tourcoing.

Pour ma part, j’ai des craintes sérieuses que la concession du canal de l’Espierre, telle qu’elle est faite, ne contribue puissamment à enlever aux Flandres sa navigation vers Dunkerque pour la transporter sur le sol français. Ce qu’on a fait pour le canal de Condé est une preuve manifeste de toute l’importance qu’attache la France à assurer la navigation sur son territoire. Aussi les bénéfices de cette navigation sont-ils considérables pour un pays.

Qu’on ne m’objecte pas l’état d’imperfection des canaux français et leur faible tirant d’eau. Ce qui a déjà été exécuté prouve ce qu’on peut faire encore. L’état de la Scarpe et de la Deule est entièrement changé depuis quelques années. De mauvaises rivières navigables qu’elles étaient naguère, on en a fait d’assez bons canaux.

Ce qui n’existe pas aujourd’hui peut se faire demain. Je lis dans un mémoire, rédigé il y a quelques temps déjà par des ingénieurs belges chargés des études du canal de l’Espierre : « Qu’on donne seulement au gouvernement ou aux concessionnaires la perspective d’avoir la navigation qui passe maintenant par les Flandres, ils jugeront bientôt qu’ils peuvent, sans élever les péages existants, trouver, dans l’augmentation de leurs produits, des moyens très efficaces pour améliorer de mauvais canaux. Une petite protection de la douane achèvera au besoin de faire pencher la balance en leur faveur, témoin ce que l’on fait pour le canal de Condé. »

Aussi la commission d’enquêté, instituée par l’arrête du 31 mai 1838 et qui s’est réunie à Courtray le 3 septembre de la même année, s’est-elle montrée vivement préoccupée de ce danger. Cette commission était composée, 1° de trois membres désignés par la députation de la Flandre occidentale ; 2° de trois membres désignés par la députation de la Flandre orientale ; 3° de trois membres désignés par la députation du Hainaut et 4° de neuf membres désignés par M. le ministre des travaux publics, indépendamment du président, également désigné par M. le ministre.

Le première et la plus importante question dont toute commission d’enquête ait à s’occuper, c’est la question d’utilité publique du projet soumis à son investigation. Toutes les autres questions sont nécessairement subordonnées à celle-là.

La question d’utilité publique du canal de Bossuyt à Courtray a été résolue affirmativement par la commission d’enquête, à la majorité de 15 voix contre 4. il ne pouvait en être autrement ; les considérations en faveur de ce canal sont trop évidentes, trop palpables.

Avant que la commission se prononçât sur l’utilité publique du canal de l’Espierre, un membre du Hainaut proposa l’amendement suivant : « Le gouvernement sera invité à faire insérer dans le cahier des charges de la concession du canal de l’Espierre, une condition suivant laquelle il se réserve le droit de prendre telles mesures qu’il jugera nécessaires pour empêcher : 1° que les canaux de l’Espierre et de Roubaix ne puissent, à l’avenir, faire concurrence aux canaux des Flandres pour la navigation de la Belgique vers Dunkerque ; 2° que les mêmes canaux de l’Espierre et de Roubaix ne puissent faire concurrence au canal de Bossuyt à Courtray pour les transports de la Belgique sur la haute Lys belge. »

M. le sénateur de Haussy, auteur de cet amendement, reconnaissait donc que le prolongement sur le territoire belge du canal français de Roubaix pouvait, dans un avenir plus ou moins lointain, enlever aux Flandres la navigation de la Belgique vers Dunkerque et rendre inexécutable, par une concurrence ruineuse, la construction du canal si éminemment utile de Bossuyt à Courtray.

Le gouvernement lui-même, partagea les justes appréhensions de M. de Haussy, puisqu’ c’est l’amendement qui a donné naissance à la convention diplomatique du 27 août dernier.

Nous démontrerons plus tard combien les garanties que renferme la convention du 27 août sont insuffisantes ou illusoires.

L’amendement de M. de Haussy tendant à faire disparaître les principaux griefs contre le canal de l’Espierre et à paralyser les effets désastreux que sa construction pouvait entraîner ; cet amendement était donc de nature à rallier bien des opinions au projet. Cependant, malgré cet amendement, auquel les votes étaient subordonnés, sur la question principale, sur la question d’utilité publique du canal de l’Espierre, 7 membres répondirent oui, 7 membres non, et 5 déclarèrent s’abstenir.

L’abstention de ces derniers était fondée sur ce que, dans tous les cas, il ne leur était pas prouvé que le canal de l’Espierre n’aurait pas des conséquences funestes pour l’industrie gantoise au profit de l’industrie française.

Cette crainte était d’autant plus justifiée, que M. Cordier, dans l’ouvrage déjà cité, affirme qu’avec un canal qui les alimente d’eau et de charbon, les fabriques de Roubaix et de Tourcoing pourraient fabriquer davantage et à plus bas prix que toutes les villes rivales d’Angleterre.

Quoiqu’il en soit, une abstention, ainsi motivée, doit être considérée comme défavorable au canal de l’Espierre.

Dès lors la question d’utilité publique de ce canal a été résolue négativement par la commission d’enquête à la majorité de 12 voix contre 7.

Si l’on s’obstine à ne vouloir tenir aucun compte des abstentions, il restera vrai qu’à la commission il y a eu partage sur cette question, et qu’ainsi l’utilité publique du canal de l’Espierre n’a pas été reconnue.

Comment donc le gouvernement, sans enquête ultérieure, sans instruction contradictoire nouvelle, sans avoir consulté sur ce conflit les conseils provinciaux de la Flandre et du Hainaut, sans avoir entendu les parties intéressées sur les prétendues garanties de la convention diplomatique du 27 août, comment, dis-je, le gouvernement a-t-il osé assumer sur lui la responsabilité d’accorder la concession du canal de l’Espierre à l’exclusion absolue du canal de Bossuyt ?

Qu’il me soit permis, à présent, de jeter un coup d’œil sur la convention diplomatique du 27 août.

Ce qu’il y a de plus clair dans la convention, c’est que, par son article 1er, elle impose à la Belgique l’obligation de décréter l’exécution du canal de l’Espierre, destiné à servir de prolongement au canal français de Roubaix jusqu’à l’Escaut vers Warcoing. Voilà quel était depuis vingt ans le but des efforts incessants de la France ; ce but est atteint. Vainement me dira-t-on que le concessionnaire d’après l’article 18 du cahier des charges, entreprend à ses risques et périls et à ses frais, sans charge, aucune pour le trésor de l’état, tous les travaux nécessaires à l’établissement du canal et de ses dépendances. Cette assertion eût-elle exacte, il n’en reste pas moins vrai que l’article 1er de la convention impose une servitude sur le sol belge pour l’utilité et au profit du sol français.

Nous avons vu plus haut que l’amendement adopté par la commission d’enquête faisait une loi au gouvernement de prendre telles mesures qu’il jugerait nécessaires pour empêcher : 1° Que les canaux de l’Espierre et de Roubaix ne pussent à l’avenir faire concurrence aux canaux des Flandres pour la navigation de la Belgique vers Dunkerque ; 2° que les mêmes canaux de l’Espierre et de Roubaix, ne pussent faire concurrence au canal de Bossuyt à Courtray, pour le transport des produits de la Belgique sur la haute Lys belge.

Cette double condition se trouve-t-elle être replie par la convention ?

L’article 2 du traité est ainsi conçu :

« Aussitôt et aussi longtemps que la nécessité en sera reconnue par le gouvernement belge, dans l’intérêt de la navigation belge sur Dunkerque, les conducteurs de tous bateaux venant de l’Escaut et entrant dans le canal de l’Espierre seront astreints à faire une consignation dont ils obtiendront la restitution en produisant la preuve que leurs cargaisons n’auront point été déchargées sur des parties du territoire français situées au-delà de Watten, ou au-delà de Cassel, dans l’hypothèse d’un canal d’Hazebrouck à Bergues. » Je ne veux pas épiloguer sur des mots, et j’admets volontiers que l’article 2 doit être compris dans ce sens, que la consignation est obligatoire dans l’état actuel des lignes des canaux français conduisant de la Belgique à Dunkerque par la Lys, et qu’elle n’est pas subordonnée à la construction d’un canal d’Hazebrouck à Bergues.

Mais cette stipulation ainsi comprise offre-t-elle quelque garantie réelle ?

D’après l’article 1er des articles additionnels du cahier des charges, la somme à consigner est fixée à 25 centimes par tonneau.

Evidemment cette somme de 25 centimes par tonneau est une garantie illusoire ; les bateliers la sacrifieront volontiers aussitôt qu’il leur sera ouvert en France une navigation à grande section.

Il est vrai que, par l’article 7 des articles additionnels du cahier des charges, le gouvernement s’est réservé le droit d’augmenter le taux de la consignation, si ce taux est reconnu insuffisant. Mais sera-t-il bien facile à la Belgique, en présence de cet intérêt français si actif, si exclusif, d’augmenter plus tard le taux de la consignation ? De l’aveu de tout le monde, la somme de 25 centimes par tonneau est insuffisante. Pourquoi donc avez-vous fixé la consignation à ce taux ? Mieux valait, dans tous les cas, l’abaisser plus tard que d’être obligé de l’augmenter.

Mais il est une observation pénible à faire, c’est que la convention du 27 août pêche par sa base, par l’absence d’une stipulation fondamentale, sans laquelle toutes les autres stipulations ne peuvent avoir aucun résultat pratique.

La France s’efforce depuis longtemps à transporter la navigation belge sur le sol français. Une série de faits et d’actes sont là qui nous accusent cette tendance. Je suis loin d’en faire un blâme au gouvernement français ; c’est l’intérêt de la France, et cet intérêt, elle sait l’apprécier à toute sa valeur.

Maintenant que la France a obtenu, pour le département du Nord, ce qu’elle convoitait en vain avec tant d’ardeur depuis Vauban, elle chercha à tirer tous les avantages possibles de la possession nouvelle que lui a faite la convention diplomatique du 27 août. Elle exécutera loyalement, je le crois, cette convention pour tout ce qui a été formellement stipulé entre les hautes parties contractantes. Mais n’attendons rien au-delà, ce serait s’exposer à une cruelle déception.

D’après l’ordonnance royale du 25 novembre 1837, le droit imposé aux houilles étrangères, de la mer à Halluin exclusivement, est de 50 centimes les 100 kilogrammes, ou 5 francs par tonneau. D’Halluin inclusivement jusqu’à la Meuse et le département de la Moselle exclusivement, le droit n’est que de 15 centimes, ou d’un franc 50 centimes le tonneau. Les importations à faire par le canal de l’Espierre, sont dans la zone favorisée.

Or, comme vous n’avez pas stipulé que la France devrait porter au même taux le droit d’entrée sur les charbons depuis la Meuse jusques et y compris le canal de Furnes à Dunkerque, et qu’elle ne pourrait, sous aucun prétexte, établir de droit différentiel dans cette nouvelle zone ainsi modifiée, la convention du 27 août nous livre entièrement à la merci de la France et elle ne nous offre aucune garantie pour la conservation de notre navigation nationale sur Dunkerque. Toutes les mesures que la Belgique pourra prendre en exécution de la convention du 27 août en faveur de la navigation belge, la France les rendra entièrement illusoires par une simple modification à son système douanier sur l’entrée des houilles étrangères par la zone d’Halluin à la mer.

Le retrait de la tolérance, en vertu de laquelle on peut acquitter les droits à Condé, pour les charbons se rendant par les eaux des Flandres en France, imposerait à cette navigation un droit de cinq francs par tonneau, tandis que, par l’Espierre et le canal de Roubaix, on continuerait à ne payer qu’un francs 50 centimes par tonneau : donc une différence déjà, d’après les ordonnances existantes, de 3 francs 50 centimes, au profit des canaux de l’Espierre et de Roubaix. Cette différence de 3 francs 50 centimes, le gouvernement veut la combattre par une consignation de 25 centimes au tonneau.

M. le ministre des travaux publics ne craint rien de la part de la France. Aux arguments les plus forts, les plus accablants, il se borne à répondre dans une note du Moniteur. « En augmentant le taux de la consignation, le gouvernement ne ferait qu’user d’un droit que la constitution lui reconnaît ; dès lors le gouvernement français ne pourrait y voir des motifs de représailles d’aucun genre. »

Le gouvernement français ne prendra pas de mesure de représailles ; mais il usera de son droit, et l’intérêt de sa navigation qu’il n’a jamais cessé de favoriser, lui en imposera le devoir. Comment pourriez-vous avoir un doute raisonnable à cet égard, lorsque les faits sont là pour vous démontrer ce que le gouvernement a déjà fait par anticipation dans ce but ?

Par la loi du 28 avril 1816, la France, pour venir en aide à sa navigation par Condé, frappait la navigation charbonnière d’un droit double de celui qu’on payait à Condé. La séparation de cette zone n’avait lieu qu’à Baizieux ; la loi plaçait donc le canal de l’Espierre, dont on ne prévoyait pas encore la possibilité d’exécution, dans la zone du double droit.

En déplaçant cette séparation à Halluin la loi du 2 juin 1836 portait déjà le canal de l’Espierre dans la zone favorisée. Mais il était stipulé que, d’Halluin à Baizieux exclusivement, les droits sur la houille entant par des canaux devaient être acquittés d’avance au bureau de Condé.

Par l’ordonnance du 25 novembre 1837, encore en vigueur, cette exception n’est pas reproduite et le canal de l’Espierre se trouve sans aucune restriction dans la zone la plus favorisée.

Cette gradation est, sans aucun doute, très remarquable. Ces précautions prises à l’avance au profit du canal de l’Espierre nous donnent la mesure de ce que la France fera pour atteindre son but, qui ne saurait être autre ici, je le répète, que d’attirer à elle notre navigation, et de faire jouir le département du Nord des avantages réservés jusqu’ici à des provinces belges.

Pour empêcher que les canaux de l’Espierre et de Roubaix ne puissent faire concurrence au canal de Bossuyt à Courtray pour le transport des produits de la Belgique sur la haute Lys, la convention porte qu’à partir de l’époque à laquelle le canal de Bossuyt sera livré à la navigation, les bateaux qui descendraient la Lys, chargés de pierres de houille ou de chaux, seront tenus de payer, au profit du concessionnaire de ce canal, à leur passage à l’écluse de Commines, un droit spécial, à fixer par le gouvernement belge et destiné à assurer au canal de Bossuyt le marché des rives de la Lys, en aval de cette écluse.

Ces stipulations ne répondent pas même au vœu de l’amendement. Celui-ci voulait assurer au canal de Bossuyt tous les produits belges sur la haute Lys ; la convention les réduit à trois espèces, la houille, les pierres et la chaux. La haute Lys belge comprend évidemment tous les villages belges situés sur cette rivière ; c’est un triste jeu de mots que de vouloir ici borner la haute Lys belge au point où une seule de ses rives devient française. Cependant la commission ne permet l’établissement d’un droit spécial au profit du canal de Bossuyt qu’en aval des écluses de Commines. Vous abandonnez ainsi l’approvisionnement direct des communes populeuses de Commines, Warneton et Neuve-Eglise, et le hameau de Pont-Rouge, aux concessionnaires du canal français de Roubaix, au détriment du canal national de Bossuyt.

La convention n’assure donc pas même au canal de Bossuyt les faibles avantages que l’amendement lui-même tendait à lui garantir. Or, l’amendement lui-même était déjà insuffisant, et le gouvernement, pour se montrer impartial, aurait dû envisager la question d’un autre point de vue. Que prétendent les demandeurs en concession du canal de l’Espierre ? l’approvisionnement du centre du département du Nord. Ils n’ont pas, disent-ils, d’autre but. Que veut le demandeur en concession du canal de Bossuyt ? l’approvisionnement des Flandres et de la haute Lys, sans former aucune prétention sur le centre du département du Nord. N’eût-il pas été facile au gouvernement de concilier les parties, d’accorder à l’un et à l’autre objet de sa demande, rien de plus aux demandeurs en concession du canal de l’Espierre, rien de moins au demandeur en concession du canal de Bossuyt ? On devait donc prendre les limites que la nature elle-même a posées, l’embouchure de la basse Deule dans la Lys entre Warneton et le Pont-Rouge ; de cette manière le canal de l’Espierre obtenait, sans aucune concurrence, l’approvisionnement du centre du département du nord et le canal de Bossuyt l’approvisionnement des Flandres et de la haute Lys, également sans concurrence.

J’ai donc pu dire avec raison que le canal de l’Espierre, dans le système de M. le ministre des travaux publics, exclut le canal de Bossuyt.

Quoique je persiste à croire que le canal de l’Espierre ne peut pas procurer au Hainaut des avantages réels et durables, cependant je ne m’oppose pas à sa construction, à la condition toutefois que le canal de l’Espierre, loin d’entraver la confection du canal de Bossuyt, vienne, au contraire, concourir à son exécution. Les intérêts de la Flandre et du Hainaut obtiennent ainsi une satisfaction ; on accorde à la France ce qu’elle peut légitimement désirer, et dès lors le gouvernement français est lui-même désintéressé dans la question. A la vérité on trompe quelque peu les espérances des concessionnaires du canal français de Roubaix ; les bénéfices qu’ils attendaient du canal de l’Espierre leur sont enlevés, mais leur part est encore assez belle et ils n’ont aucun motif de se plaindre.

Le canal de Roubaix (dont M. le ministre des travaux publics évalue la dépense totale à 5,000,000), concédé en 1825, devait être livré à la navigation le 1er janvier 1829. Ce canal n’est pas même encore achevé aujourd’hui ; il ne peut se terminer qu’autant qu’on fasse le canal de l’Espierre ; sans cela, le canal de Roubaix restera, pour ainsi dire, entièrement improductif ; il ne sera jamais qu’une impasse. On conçoit aisément l’immense intérêt qu’ont les propriétaires du canal français de Roubaix à la construction du canal de l’Espierre, puisque c’est le seul moyen de donner vie à leur canal.

La dépense pour le canal de l’Espierre n’est évaluée par les demandeurs en concession, qu’à 1,100,000 francs, et cette évaluation semble même quelque peu exagérée.

Qu’est-ce que la dépense d’un million pour les concessionnaires du canal de Roubaix, en présence des revenus que leur donnera ce canal lorsque celui de l’Espierre sera construit ?

Déjà, en 1820, M. Cordier annonçait que ce canal aurait été l’un des plus fréquentés de France. Les chiffres cités par M. le ministre des travaux publics prouvent qu’en 1820 on ne pouvait encore se faire aucune idée de l’importance qu’aurait cette navigation.

La chambre de commerce d’Ypres, admise à l’audience du roi des Pays-Bas le 8 août 1827, s’exprimait ainsi : « le concessionnaire du canal de Roubaix est tellement convaincu, sire, de l’inutilité de ses travaux sur le territoire français s’il n’obtient pas cette jonction (la jonction à l’Escaut par le canal de l’Espierre) qu’il est prêt à faire le canal à ses frais et dépens, sans aucune compensation ou coopération de la part du gouvernement (manque un mot) que ceux qui demandent la concession de ce canal (manque quelques mots) en tireront le revenu pendant toute la durée de la concession à titre gratuit et à pur bénéfice.

Il résulte d’un mémoire imprimé que j’ai sous les yeux que M. le président de la chambre de commerce de Tournay a déclaré, en conseil de régence de cette ville, le 31 août 1838, qu’au besoin on réduirait à zéro le péage demandé pour le canal de l’Espierre.

Des ingénieurs belges, dans un mémoire rédigé en 1834, après avoir exposé tous les avantages que les concessionnaires français recueilleraient de la construction du canal de l’Espierre, ajoutent ces mots : « les concessionnaires du canal français de Roubaix gagneraient beaucoup encore et s’estimeraient fort heureux si on leur permettait seulement de faire gratis le canal de l’Espierre. »

Le comité de conservation de la Flandre orientale exprimait déjà la même opinion à l’époque de la première enquête.

Les calculs que le comité produit à l’appui de ses observations, prouvent que le canal de l’Espierre donnera un revenu annuel très considérable ; et comme ce collège est aussi d’avis que les concessionnaires du canal de Roubaix se chargeraient volontiers de la dépense du canal de l’Espierre, ce serait, ajoute le comité de conservation, un véritable scandale d’abandonner gratuitement de tels avantages à des particuliers au détriment des contribuables, dont les avantages diminueraient les charges. Vous avez cette pièce sous les yeux, vous pouvez en prendre lecture.

C’est donc moins la concession en elle-même du canal de l’Espierre que je blâme, que le mode de concession.

Dans la position que leur a faite la convention de Paris, les concessionnaires du canal de Roubaix devaient faire gratis le canal de l’Espierre ; la propriété devait en appartenir au gouvernement et les revenus de ce canal devaient être versés dans le trésor de l’état pour continuer en partie à la construction du canal de Bossuyt.

Il résultait de ce système un autre avantage pour la Belgique, c’est que le gouvernement, étant propriétaire du canal de l’Espierre, pouvait ainsi contribuer efficacement à rendre illusoire, quant aux Flandres, la mise à exécution du projet d’amélioration de la canalisation de Lille vers Dunkerque.

J’ai encore à traiter plusieurs questions, mais je suis fatigué ; je demanderai la parole dans le cours ultérieur des débats.

Je vous ai, messieurs, franchement exposé mon opinion sur la question à l’ordre du jour. Je vous prie d’être persuadés que je n’ai fait qu’obéir à un devoir pénible et impérieux, et que je n’ai d’autre désir, d’autre but que de concilier autant que possible tous les graves intérêts engagés dans la concession du canal de l’Espierre et de contribuer ainsi au bien-être général du pays.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Messieurs, la conclusion de l’honorable préopinant, jusqu’à présent, n’est autre qu’un blâme jeté sur le gouvernement, un blâme jeté sur moi personnellement. Ce blâme je le repousse ; je le repousserai loin de moi. Il nous avait annoncé, en commençant, qu’il nous présenterait cette question dégagée de toute personnalité ; je regrette qu’en terminant il ait, à l’appui de son opinion, cité des assertions cent fois démenties.

On prétend, je le sais, on prétend que les concessionnaires français du canal de Roubaix ont, à plusieurs reprises, offert de construire gratuitement le canal de l’Espierre en Belgique. Messieurs, j’ai lu cette assertion dans beaucoup de mémoires ; j’ai interpellé les concessions français sur cette allégation, elle a toujours été démentie par eux. Je pourrais vous donner lecture de la lettre que les concessionnaires français m’ont écrite à ce sujet ; je pourrais vous donner lecture des demandes adressées au gouvernement des Pays-Bas pour obtenir le canal de l’Espierre en Belgique ; il n’y est pas question de construction gratuite.

Je me réserve de faire insérer ces lettres au Moniteur. (Ces lettres sont effectivement insérées au Moniteur de ce jour.)

On vous a aussi représenté le roi Guillaume comme hostile au canal de l’Espierre ; il l’a été d’abord ; je vous l’ai avoué moi-même ; il ne l’était plus dans les derniers temps.

Je suis également détenteur d’une lettre que je m’abstiens de lire, et qui peut trouver place dans les colonnes du Moniteur (Lettre insérée au Moniteur de ce jour.)

« De deux choses l’une, ou vous auriez dû demander aux concessionnaires français la construction gratuite en Belgique, du canal de l’Espierre, ou, en leur concédant, avec des péages, le canal de l’Espierre en Belgique, vous auriez dû leur imposer la construction du canal de Bossuyt. »

Telle est l’alternative que pose l’honorable préopinant, telle est l’alternative qu’aurait dû poser le gouvernement ; il ne l’a pas posée ; là est, dit-il, la faute.

Je n’ignorais aucune de ces allégations ; j’ai moi-même posé cette alternative aux concessionnaires français ; mais elle a toujours été repoussée.

Ils ont déclaré la première condition, à savoir la construction gratuite du canal de l’Espierre en Belgique, absolument impossible. Quant à la deuxième, qui leur imposait la construction d’un autre canal devant coûter cinq millions, ils l’ont regardée comme tout à fait en dehors des lois qui régissent les concessions dans tous les pays.

L’honorable préopinant nous a donné des conseils ; nous avons fait mieux, nous sommes restés dans le possible ; nous avons imposé aux concessionnaires du canal de l’Espierre la clause du rachat.

Mais ce ne sont là, messieurs, que de pures allégations qui ne changent rien au fond de la question qu’il faut voir, et je regrette que l’honorable préopinant s’en soit écarté en terminant son discours.

L’honorable membre s’est bien a gardé de se placer au point de vue du demandeur en concession du canal de Bossuyt ; il s’est bien garder de se placer au point de vue d’Ypres et de Courtray.

Il n’a pas demandé la prohibition du canal de l’Espierre ; il ne nous a pas dit, comme le demandeur en concession, dans sa lettre du 9 octobre ; il ne nous a pas dit, comme le disent depuis si longtemps les chambres de commerce d’Ypres et de Courtray, que la condition d’existence du canal de Bossuyt était la non-existence du canal de l’Espierre.

Messieurs, il y a deux questions dans cette question : c’est ainsi que j’avais moi-même résumé la discussion avant-hier ; c’est ainsi que l’honorable membre la présente à son tour, et avec raison ; il y a deux questions qui n’ont qu’une apparente connexité ; il y a deux marchés à desservir, le marché de la haute Lys belge et le marché français du département du Nord.

Est-il possible de desservir à la fois ces deux marchés par le canal de Bossuyt ? c’est ce qu’on a prétendu bien longtemps ; on a dit, pendant 15 ans, qu’il était possible de desservir ces deux marchés par ce canal ; ce n’est que dans ces derniers temps qu’il a été constaté à l’évidence qu’il était impossible de les desservir par un moyen commun, le canal de Bossuyt.

Et cependant, messieurs, c’est cette erreur bien constatée aujourd’hui, reconnue par le demandeur en concession du canal de Bossuyt lui-même ; c’est cette erreur qui motive l’opposition, qui explique l’indignation qu’a rencontrée ce qu’on appelle la préférence donnée par le gouvernement au canal de l’Espierre.

Sans doute, messieurs, s’il avait été possible au gouvernement de satisfaire deux besoins, le besoin de la consommation de Lille et de Roubaix, et le besoin de la consommation de la Flandre occidentale ; s’il avait été possible au gouvernement de faire desservir les deux marchés, le marché du département du nord et le marché de la haute Lys belge ; s’il avait été possible au gouvernement d’atteindre ce double but par le moyen unique du canal de Bossuyt, évidemment la préférence que le gouvernement est supposé avoir donné au canal de l’Espierre serait injustifiable.

Mais il n’est pas possible d’atteindre le marché du département du Nord par le même moyen qui vous conduit au marché de la haute Lys belge dans la Flandre occidentale, c’est-à-dire par le canal de Bossuyt : Nous avons ici non seulement les faits, mais l’aveu même du demandeur en concession : le canal de Bossuyt étant creusé, on continuerait à desservir le marché français par les canaux français : il y a en faveur des canaux français une différence de 1 franc 69 centimes sur les péages.

Il y a donc deux marchés à desservir, on ne peut assez le répéter : le marché de la haute Lys belge et le marché du département du Nord ; or, le marché du département du Nord, nous ne pouvons y parvenir que par le canal de l’Espierre.

Est-il désirable qu’on puisse, au lieu de faire un détour par Gand, arriver directement à Courtray ? Qu’au lieu de faire 142,000 mètres, on puisse arriver au marché de la haute Lys en faisant seulement 15,000 mètres ? est-il désirable que cela puisse être ? Nul doute, messieurs. Je résous donc, comme l’honorable préopinant, la question d’utilité publique pour le canal de Bossuyt.

Est-il désirable qu’au lieu d’arriver au marché du département du Nord par les canaux français, on y arrive par des canaux presque tous belges ? est-il désirable qu’au lieu d’arriver au marché du département du Nord par des voies très imparfaites, nous puissions y arriver par une grande et belle ligne de navigation ? est-il désirable qu’au lieu d’arriver au marché du département du Nord par une voie étrangère, où nous sommes en contact avec des intérêts rivaux, nous puissions y arriver par une ligne à nous, par une ligne que j’appellerai indépendante ? A mon tour, je dirai que certainement il faut répondre affirmativement à ces questions.

Mais ce qu’on a eu soin de passer sous silence, c’est l’importance des deux marchés, en les considérant au point de vue de la consommation, en les considérant au point de vue où doit se placer le Hainaut.

Le marché de la haute Lys belge de Harlebeke à Armentières est un marché de 35,000 tonneaux de houille, c’est un marché intérieur, je l’avoue en faveur duquel nous devons sans doute faire tout ce qui est possible ; mais je le répète, ce marché n’est qu’un marché de 35,000 tonneaux ; c’est tout ce qu’il demande à la production du Hainaut.

Or, le marché du département du Nord est bien autrement important ; le Hainaut peut espérer de fournir 10,000 tonneaux de houille à la seule consommation du district manufacturier de Roubaix. Ainsi, à ne voir que la valeur des marchés, nous desservons, au moyen du canal de l’Espierre, un marché bien autrement important pour la production du Hainaut que celui de la haute Lys belge.

« Nous n’avons qu’un but dans la Flandre occidentale, a dit l’honorable préopinant, c’est de voir diminuer le fret, c’est de voir arriver au marché de la haute Lys belge, le charbon du Hainaut à plus bas prix.

Messieurs, le charbon du Hainaut arrivera à l’avenir à plus bas prix sur la haute Lys belge ; il y arrivera de l’une ou de l’autre des deux manières suivantes : ou bien il y arrivera par le canal de Bossuyt à Courtray, si ce canal se fait ; si ce canal ne se fait pas, il y arrivera par le canal de l’Espierre, en transitant, il est vrai, par la France.

Il y a aura donc, dans tous les cas, une voie plus économique entre le Hainaut et le marché de la haute Lys.

Je prends les choses au pis ; le canal de Bossuyt ne se fera pas ; mais du moment qu’on dit qu’on ne demande que la réduction du fret pour cette partie de la Flandre occidentale, ce but sera atteint par le canal de l’Espierre. Le charbon lui arrivera en transitant par la France, à plus bas prix que par la voie actuelle. La concession du canal de Bossuyt à Courtray est une circonstance secondaire pour le consommateur de la haute Lys belge, puisque sa demande, de l’aveu du préopinant est seulement d’avoir le charbon à plus bas prix : la voie importe peu.

Si au contraire, malgré l’existence du canal de l’Espierre, le charbon continue à faire, pour se rendre à Courtray, le détour par Gand, c’est que ce canal, malgré toutes les prévisions qu’on a formées, n’aura pu s’emparer du marché de la haute Lys belge ; dès lors ce marché reste à la disposition de celui qui fera le canal de Bossuyt ; le canal de l’Espierre n’aura, dans ce cas, amené de changement ni en bien ni en mal.

Ainsi, si le canal de l’Espierre apporte à la haute Lys belge à meilleur prix le charbon du Hainaut, de quoi pourra se plaindre le consommateur, puisque son but est atteint ?

Si le canal de l’Espierre ne parvient pas à desservir le marché de la haute Lys belge, de quoi peuvent se plaindre les partisans du canal de Bossuyt, puisque ce canal se trouve sans concurrent ?

Le canal de Bossuyt à Courtray, comme je l’avais dit avant-hier, n’a pas seulement un but immédiat, celui d’amener le charbon de Mons plus économiquement sur la haute Lys belge. Il a un autre but qui n’est pas immédiat, qui est un but éloigné, c’est la jonction directe du Hainaut à la mer du Nord, projet que je ne me sens pas le besoin de repousser, l’opinion que je défends ne l’exige pas ; mais si je voulais donner l’éveil sur ce projet, si je voulais à mon tour faire un appel aux passions populaires, je dénoncerais ce projet aux trois villes influentes des Flandres, à Gand, à Bruges et à Ostende ; je leur dirais qu’on se réserve de créer une ligne navigable parallèle à la ligne actuelle, je soulèverais contre Ypres et Courtray le reste des deux Flandres.

Ce projet est ancien, nous le savons, il date de plus d’un siècle. Rien n’est plus naturel ; Ypres et Courtray demandent à supplanter Gand et Bruges ; Nieuport même avait rêvé la dépossession d’Ostende, et je vous ai montré que Nieuport se trompe ; on éviterait Nieuport par le canal de Loo.

Si ce but qu’on présente dans le lointain, qu’on n’a pas voulu dégager de tous les nuages, si ce but existe, qu’on l’avoue, et vous verrez les deux Flandres protester contre ces espérances de Courtray et d’Ypres.

De quoi donc, dit-on, vous préoccupez-vous ? le marché du département du Nord, vous l’avez ; vous n’obtenez donc de nouveau, en créant un nouvel accès à ce marché ; vous en avez deux ; l’un par l’Escaut inférieur et le canal de la Sensée, et l’autre par l’Escaut supérieur et la Scarpe, vous conduisant à la Deule, comme le premier. Sans doute, ce marché nous l’avons, le producteur du Hainaut l’a ; mais il faut pouvoir étendre ce marché, s’en assurer d’une manière indépendante la possession dans l’avenir. C’est ce qu’on espère voir se réaliser par la construction du canal de l’Espierre.

Vous craignez, dit-on, le charbon anglais, mais il ne peut arriver dans l’intérieur du département du Nord ; il faudrait pour cela que les communications fussent bien plus parfaites entre l’intérieur du département du Nord et Dunkerque, c’est là ce qu’a dit le préopinant. Cela m’a étonné, car il s’est mis en contradiction avec lui-même en disant bientôt après que rien n’était plus facile que d’améliorer les lignes de navigation entre Lille et la mer.

De quoi vous préoccupez-vous, disait hier un autre député de Courtray, le charbon anglais est de si mauvaise qualité que bientôt on en voudra plus. C’est encore là une assertion qui ne repose sur rien, mais qui se trouve vingt fois reproduite dans les nombreuses réclamations des chambres de commerce d’Ypres et de Courtray. Tout le monde sait que l’Angleterre a des charbons d’aussi bonne qualité que les nôtres ; pour n’en citer qu’un exemple, il y a du charbon dans New-Castle qui donne les mêmes résultats à peu près que les charbons du Flénu. Ceci est tellement vrai, que récemment les fabricants anglais de New-Castle qui nous fournissent des locomotives, ont supposé que notre charbon n’était pas d’aussi bonne qualité que celui de New-Castle, et ont exprimé le regret de ce qu’en envoyant une locomotive, ils ne puissent pas y joindre le coak nécessaire à son alimentation pendant un certain temps. Il m’a été proposé de demander qu’on complétât avec du charbon le chargement du premier navire ayant une locomotive à bord ; j’ai rejeté cette proposition ; je suis sûr que j’aurai, par ce seul essai, alarmé nos producteurs indigènes.

D’ailleurs faut-il, pour le prouver, autre chose que l’envahissement du littoral par le charbon anglais depuis que les zones ont été changées par l’ordonnance royale du mois de novembre 1837 ? Rouen n’a reçu que 16 bateaux de nos charbons en 1838, et encore était-ce pour compléter l’exécution d’anciens contrats. Tout le littoral a reçu de la Belgique un peu plus de 100 bateaux : exportation bien insignifiante. On peut dire que nous avons perdu le marché du littoral ; nous l’avons perdu, car quand une production de 1,400,000 tonneaux de houille n’est plus admise à fournir que 100 à 150 bateaux, le marché est perdu pour elle.

Vous avez donc perdu le marché du littoral ; la question est de savoir s’il faut en outre compromettre le marché intérieur ? Ne croyez pas que nos rivaux de production charbonnière restent dans l’inaction. D’abord ils sont associés à toutes les entreprises de canaux ; ils sont producteurs et navigateurs. Ce n’est pas tout. Anzin vient de construire un chemin de fer jusqu’à Denain ; on s’est occupé à le continuer sur Abscon, et bien on se prolongera vers Douay. Le bassin d’Anzin évitera le trajet difficile de la Scarpe ou de l’Escaut supérieur au moyen du chemin de fer d’Anzin à Douay ; il se met en rapport avec la Deule, qui offre une moins défectueuse navigation. Ce chemin de fer, Anzin l’aura pour son usage exclusif.

Supposez, messieurs, que nos rivaux restent en France dans l’inaction, c’est méconnaître toutes les idées qui dominent l’industrie, c’est supposer que les exploitants d’Anzin voient avec plaisir que nous nous rendons au marché commun par des moyens qui sont plus ou moins dans leur dépendance.

A notre tour, mettons-nous à l’œuvre ; assurons-nous la possession d’une voie à nous et sur laquelle on ne puisse exercer aucune influence. Que les exploitants d’Anzin prolongent leur chemin de fer vers Douay ; de notre côté, nous serons sans inquiétude sur l’avenir, si nous nous sommes créé chez nous une voie nouvelle et plus parfaite.

Je croyais, messieurs, vous avoir expliqué de quelle manière trois intérêts s’étaient longtemps trouvés en présence dans le département du Nord : l’intérêt de navigation, l’intérêt de production et l’intérêt de consommation.

En faisant allusion à certains noms propres, je vous avais fait apercevoir de quelle manière l’intérêt de production et l’intérêt de navigation ont pu l’emporter pendant 15 ans, en tenant en échec l’intérêt de consommation. Ces deux intérêts ont dû finir par fléchir en France, mais est-ce à dire que le gouvernement français, en sollicitant la construction du canal de l’Espierre, s’est donné le ridicule de demander le triomphe d’un intérêt anti-français ? Ce serait, comme je l’ai démontré, prendre la question dans le sens le plus restreint.

Le gouvernement français a très bien compris que si deux intérêts, celui de la production et celui de la navigation, devaient fléchir, ce n’était que pour le triomphe d’un troisième intérêt très français également et plus important.

Ne voulant pas reconnaître le but évident, le but patent du canal de l’Espierre, on est bien réduit à lui supposer un but secret, qu’on ne peut rendre vraisemblable qu’en se refusant à admettre les faits les mieux constatés. Le but secret du canal de l’Espierre, est dit-on d’établir une nouvelle ligne, au profit de la France, de l’Escaut à Dunkerque, par Saint-Omer, et d’enlever ainsi à la Belgique la grande navigation par les canaux flamands. Je croyais avoir déjà suffisamment prouvé l’impossibilité matérielle et l’invraisemblance morale de la chose. Sous ce dernier rapport, je vous avais dit qu’à une époque où le littoral français ne nous demandait pas de cent à cent cinquante bateaux, mais où nous lui en envoyions plus de mille, on n’était pas parvenu à perfectionner au point où on craint qu’on les perfectionne les canaux entre Dunkerque et Aire, et qu’on n’avait pas entrepris de réaliser la construction du canal de Bergues à Hazebrouck. Pensez-vous qu’on fasse un travail aussi considérable pour enlever aux canaux flamands leur navigation, maintenant réduite à moins de 40 mille tonneaux ? L’honorable député de Courtray, qui a parlé hier, a compris la force de cette objection. Aussi comment a-t-il cherché à y échapper ? En faisant la supposition la plus invraisemblable. Oui, a-t-il dit, il est vrai que l’ordonnance du 25 novembre 1837 a réduit à 40 mille tonneaux le transport vers le littoral. Mais qui nous dit, a-t-il ajouté, que les choses ne changeront pas ? Qui nous dit que l’on ne fera pas un retour vers l’ancien système de douane ? Cette supposition est de la dernière invraisemblance. C’est la supposition contraire qui est probable. La France ne reviendra pas sur ses pas. Ce que je crains, ce que craignent les producteurs du Hainaut, c’est qu’elle aille plus loin dans ses modifications, au profit de l’entrée de la houille anglaise par le littoral.

Il me vient une autre réflexion, qui vous prouvera encore combien cette supposition du perfectionnement des canaux entre Aire et Dunkerque, et de la construction d’un canal entre Bergues et Hazebrouck, est invraisemblable. Aussi longtemps que le système de douanes assurait le littoral français aux bassins d’Anzin et du Vieux Condé, je comprends qu’il y eût tendance à faciliter l’accès du littoral en partant de l’intérieur. Les producteurs français avaient intérêt à ce qu’on perfectionnât les voies de communication pour arriver au littoral, dont la consommation lui était assurée. Aujourd’hui, il se gardera bien de demander le perfectionnement de ces voies de communication, car ce ne serait plus à son profit, mais au profit du producteur anglais ; ce serait frayer à celui-ci, qui est déjà au littoral, le chemin de l’intérieur. A défaut d’un système des douanes, l’état imparfait des canaux est demeuré une barrière.

Charles X, en posant la première pierre de l’écluse de Wambrecies, a dit (on a dit pour lui) que c’était un canal de l’Escaut par Roubaix et Dunkerque. Qu’est-ce que cela prouve ? Est-ce qu’un dire prouve la possibilité matérielle de la chose ? Est-ce qu’un dire prouve l’intérêt actuel du producteur français à obtenir que ces voies de communication soient aujourd’hui perfectionnées afin d’attirer dans l’intérieur les houilles anglaises ?

M. F. de Mérode – Ce sont des mots à effet, et pas autre chose.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – M. Cordier, ajoute-t-on, a promis dans son ouvrage sur le département du Nord, que ces voies de communication seraient perfectionnées à ce point ? Mais que prouvent les promesses que M. Cordier a faites ?

Encore une fois les promesses de M. Cordier ou les dires de Charles X, il faut les mettre en rapport avec les possibilités matérielles, avec les intérêts actuels.

Ici qu’il me soit permis de signaler encore une fois une erreur que l’on a rendue populaire pour donner un caractère odieux au canal de l’Espierre. On suppose que c’est le canal de l’Espierre qui crée pour la première fois la possibilité d’aller à Dunkerque autrement que par les canaux flamands ; mais j’ai déjà fait remarquer que cette possibilité existe, qu’elle est antérieure au canal de l’Espierre. Je vous ai montré, et vous pouvez vérifier, par la carte, qu’on peut dès à présent aller de Mons à Condé, autrement que par les canaux flamands, de deux manières. (car puisqu’on répète toujours l’objection, je suis bien obligé d’en répéter la réfutation). On peut y aller, soit par l’Escaut supérieur, la Sensée et la Deule, soit par l’Escaut inférieur et la Scarpe pour arriver également à la Deule, d’où s’offre une ligne commune jusqu’à Dunkerque.

Remarquez encore que si on veut arriver à Dunkerque par le canal de l’Espierre, il faudra retomber dans cette ligne dont on ne veut pas se servir aujourd’hui. On craint que l’on ne se rende à Dunkerque autrement que par les canaux flamands, mais les exploitants des bassins du Vieux Condé et d’Anzin, actionnaires en grand nombre des canaux français, préfèrent la ligne étrangère de Belgique à la voie dont ils peuvent disposer dès à présent.

J’ai déjà eu soin de faire remarquer que la partie la plus défectueuse était celle entre Aire et Dunkerque. Vous avez pu vérifier mes explications dans le rapport fait récemment par l’ingénieur Forret. En effet, entre Aire et Dunkerque, il y a des points où la navigation obtient à peine un tirant d’eau d’un mètre à 1 mètre 10 c., à 1 mètre 20.

L’honorable préopinant s’est réservé d’examiner la question de constitutionnalité ; mais comme hier un honorable député de Tournay a traité cette question, je la discuterai en peu de mots, avant d’aborder le fond de la convention.

Il existe une loi du 19 juillet 1832, qui autorise le gouvernement à faire construire des canaux en concédant la perception de péages. Cette loi ne distingue pas entre les voies de communication qui aboutissent à la frontière et celles qui n’y aboutissent pas. Car un canal peut être très national, très-belge et aboutir à la frontière. On est amené à faire deux distinctions qui ne sont pas dans la loi ; au lieu de dire que le gouvernement ne pouvait concéder des voies de communication aboutissant à la frontière, on aurait dû dire qu’il ne pouvait concéder les canaux qui se trouvaient dans ce cas, mais qu’il pouvait concéder les routes. Car il existe deux routes aboutissant à la frontière française et construites par concession sans qu’on ait jugé à propos de contester la légalité de ces concessions. Il y a d’abord la route de Chimay à Trélon concédée par un arrêté royal du 23 avril 1836. Si la loi du 19 juillet 1832 devait s’entendre en ce sens que le gouvernement ne peut concéder la construction de voies de communication conduisant à l’étranger, alors la construction de la route de Chimay à Trélon n’aurait pas été légalement concédée. Il y a une autre route qui aboutit à la frontière et dont la construction a été concédée en vertu de la loi du 19 juillet 1832, c’est la route de Tournay à Roubaix, concédé par un arrêté royal du 25 juillet 1838, une route dans la même direction. Ainsi le gouvernement aurait pu concéder légalement la route de Tournay à Roubaix, et ne pourrait concéder légalement le canal que je puis aussi appeler le canal de Tournay à Roubaix. On voit donc que pour contester le droit du gouvernement, on est obligé d’introduire deux distinctions dans une loi qui ne distingue pas.

Le droit du gouvernement de concéder un canal aboutissant à la frontière n’est donc pas contestable.

Le gouvernement pouvait faire cette concession purement et simplement ; pourquoi ne l’a-t-il pas fait ? C’est parce qu’il voulait mettre deux restrictions à la perception des péages. Pourquoi a-t-il donné à ces deux conditions la forme d’une convention ? parce qu’il fallait, pour qu’elles eussent une véritable sanction, s’assurer le concours du gouvernement français. On aurait pu, en faisant l’acte de concession, imposer aux concessionnaires les deux restrictions ; mais il aurait fallu s’en rapporter à leur bonne foi.

On s’exposait aussi, de la part du gouvernement français, au reproche de faire acte de mauvais voisinage en imposant, sans son concours, ces deux restrictions.

Peut-on dire que la forme aurait changé la nature du droit ? Le gouvernement qui peut concéder est juge de la forme à donner à son acte.

Il existait une loi du 1er octobre 1831 qui autorisait le gouvernement jusqu’à la paix, à introduire dans le pays une armée étrangère : ce cas a dû malheureusement se réaliser deux fois : la première fois, la loi n’existait pas. La seconde fois, en présence de la loi, il n’a cependant pas été permis à l’armée étrangère de se précipiter sur notre territoire comme dans un pays conquis. Il a donc fallu régler les conditions de l’admission de l’armée française, et stipuler des garanties de retraite, lorsqu’il s’est agi du siège d’Anvers, en novembre 1832 ; cette convention, qui est du 10 novembre 1832, a-t-elle été soumise à l’assentiment de la législature ? Cette idée n’est venue à personne ; elle ne pouvait venir à personne. Tout le monde s’est dit que le gouvernement ayant une loi qui l’autorisait à admettre dans le pays une armée étrangère, était autorisé en même temps à régler les conditions de son entrée, et à donner à l’acte réglant les conditions telle forme qu’il jugerait convenable.

Aujourd’hui que cette loi n’existe plus, puisqu’elle n’avait de durée que jusqu’à la paix, si le gouvernement croyait utile l’entrée d’une armée étrangère sur notre territoire, la convention qu’il conclurait serait au préalable sujette à l’assentiment législatif.

Il y a eu encore d’autres conventions qui n’ont pas été soumises à l’assentiment législatif, d’autres conventions qu’au sujet desquelles personne jusqu’à présent n’a fait de réclamations. Je citerai les conventions postales. Dans les budgets (travaux publics, chapitre des postes, et budget des non-valeurs) figurent deux articles pour le transport des dépêches, et pour le remboursement aux offices étrangers. Les gouvernements sont, dans certains cas, entrepreneurs du transport des lettres, l’un par rapport à l’autre, et ces transports se règlent par des conventions entre les offices respectifs.

C’est ainsi qu’on a conclu une convention :

Avec l’Angleterre, 17 octobre 1834 ;

Avec la France, 27 mai 1836.

L’office des postes du prince de la Tour et Taxis, 11 juillet 1832 ; la Hollande, 6 septembre 1839.

Dans la convention faite avec le gouvernement anglais, il est stipulé que l’office belge paiera mille livres sterling, parce que c’est le gouvernement anglais qui fait les frais des paquebots. Quatre fois par semaine, il apporte les lettres qui nous viennent de Londres et emporte nos lettres à destination de Londres. Le gouvernement anglais se faisant entrepreneur de transport pour nous, une somme de 25,000 francs lui est accordée, et cette somme est prélevée sur les allocations du budget : cependant ceci grève l’état et l’on ne prétendra pas que c’est une convention qui rentre dans l’article 168 de la constitution. Si on fait les stipulations sous la forme de convention, c’est que la nature des choses exige que l’acte ait cette forme ; on agit en vertu de l’autorisation résultant de la loi annuelle du budget.

J’arrive à l’examen du fond de la convention.

La convention a eu pour but de donner à la Belgique une double garantie, et pour cela il fallait imposer une double restriction à la perception des péages.

Cette garantie concerne la navigation sur Dunkerque, et le canal projeté, de Bossuyt à Courtray.

Occupons-nous d’abord de la navigation sur Dunkerque (articles 2, 3 et 4 de la convention.)

En premier lieu, on se plaint de l’insuffisance de la consignation.

Mais le gouvernement belge peut en exiger une plus forte ; lisez l’article 2.

En second lieu, on dit qu’il n’existe aucun moyen de contrôle, ce qui m’a paru faire quelque impression ; je vous prie de relire l’article 4.

Si l’on avait bien lu, on n’aurait pu prétendre que la preuve que le bateau n’a pas été à Dunkerque serait arbitrairement faite au moyen d’un certificat délivré par une autorité étrangère, et qu’il faudrait s’en rapporter aveuglement à ce certificat ; messieurs, il n’en est rien. Voici comment la chose doit s’effectuer : Consignation au préalable, quand même le bateau déclarerait ne pas aller à Dunkerque, il faut qu’il fasse la consignation : c’est à lui de prouver qu’il n’y a pas été pour recouvrer la somme consignée. Et s’il y a doute sur l’exactitude des pièces qu’il présente, d’après l’article 4, on est autorisé à surseoir à la restitution de la consignation.

Quand l’honorable membre a développé cette objection, j’ai entendu à côté de moi : « C’est fort. » Vous pouvez en juger maintenant.

Cet article 4, on ne l’a pas obtenu sans peine : c’était mettre les autorités françaises en état de suspicion.

Passons à la garantie relative au canal de Bossuyt.

La commission d’enquête avait dit qu’il fallait assurer au canal de Bossuyt le marché de la haute Lys belge ; pense-t-on que cela veuille dire : La Lys depuis Menin jusqu’à Armentières ? Il est évident qu’on ne peut pas donner ce sens aux mots de haute Lys belge. La Lys, sur toute la frontière, ne peut être qualifiée exclusivement de haute Lys belge ; elle y est mitoyenne. Nous aurions donc pu soutenir qu’il a été satisfait à cet égard à la commission d’enquête en réservant le marché jusqu’à Menin ; mais nous avons été plus loin ; nous avons obtenu du gouvernement français de prolonger en quelque sorte la haute Lys belge jusqu’à Commines. On aurait pu la prolonger jusqu’à Deulemont, si l’écluse, au lieu d’être à Commines, se fût trouvée à Deulemont.

Il ne suffit pas de dire que l’on a privé le canal de Bossuyt à Courtray de son avenir ; il faut dire de quoi on le prive en ne lui assurant pas le marché depuis Commines jusqu’à Armenières, pour les choses venant du Hainaut, et que le canal de l’Espierre doit intercepter en quelque sorte. Remarquez que ce ne sont que de ces choses qu’il s’agit ; les choses provenant de la Flandre même ne peuvent être enlevées par le canal de l’Espierre au canal de Bossuyt. Or, de Commines à Armentières le mouvement annuel de la navigation charbonnière ne dépasse pas 6,000 à 7,000 tonneaux ; c’est ce qui passe à l’écluse de Commines, en remonte pour la consommation entre cet endroit en Armentières ; si le canal de Bossuyt, est chose sérieux cette perte ne peut compromettre son avenir.

Dira-t-on aussi que le droit stipulé par l’acte de concession comme devant être payé à l’écluse de Comines est insuffisant ?

La convention donne au gouvernement belge la faculté de l’augmenter ; l’article 5 est formel.

Si donc le droit de 2 francs est insuffisant, on peut l’augmenter. Si l’impossibilité de faire le canal résulte de l’insuffisance du droit que les demandeurs en concession le déclarent, le gouvernement s’empressera d’élever ce droit de 2 francs à 3 ou à 5 francs, comme ils le jugeront convenable, et il annoncera de nouveau l’adjudication.

Ce qui rend le canal de Bossuyt impossible, dit-on, c’est :

1° La perte du marché de Commines à Armentières.

Vous avez vu ce que c’est que cette perte.

2° L’insuffisance du droit à payer à l’écluse de Commines.

Ce droit, on peut l’élever.

Je crois avoir démontrer les objections présentées par l’honorable préopinant ; en y répondant, je me suis efforcé de rétablir les faits. J’ose ajouter que tout ce que j’ai dit avant-hier en exposant cette grande question subsiste.

Ordre des travaux de la chambre

M. de Brouckere (pour une motion d'ordre) – Avant de lever la séance, messieurs, je voudrais qu’il fût décidé si nous aurons séance lundi, oui ou non. Pour ma part je suis tout prêt à venir lundi et même mardi mais je désire que l’on décide, que l’on dise franchement si l’on veut que les vacances commencent lundi ou si l’on veut qu’elles ne commencent que mercredi, afin que nous ne venions pas ici pour ne pas non trouver en nombre.

M. F. de Mérode – C’est en provoquant constamment des décisions de cette nature qu’on entrave les travaux de la chambre ; chaque soir on remet en question s’il y aura séance le lendemain, et l’on arrive ainsi à empêcher qu’il y en ait une. Nous sommes maintenant bien avancés dans la discussion de cette immense affaire du canal de l’Espierre, qu’arrivera-t-il si l’on ne continue pas cette discussion ? C’est qu’au retour on la recommencera de plus belle ; tout ce qui a été dit jusqu’à présent sera dit de nouveau et lorsque nous aurons discuté pendant plusieurs jours nous serons au même point que maintenant.

M. Desmet – Je suis fâché, messieurs, de devoir contredire l’honorable M. de Mérode, mais je dois appuyer la motion de M. de Brouckere ; je désire savoir positivement s’il y aurait séance lundi ou s’il n’y en aura pas. Je demande donc que la chambre fixe dès aujourd’hui le jour de la rentrée et je proposerai de la fixer au 14 janvier.

M. A. Rodenbach – Je consens très volontiers à rester jusqu’à lundi, mais comme l’honorable M. de Brouckere l’a fort bien dit, il est probable que nous ne soyons pas en nombre. Je demande donc que la question soit mise aux voix ; ceux qui voudront rester voteront pour qu’il y ait séance lundi, et ceux qui ne voudront pas venir voteront en sens contraire. Mais si l’on ne prend aucune décision, ceux qui voudront continuer la discussion du budget des travaux publics seront dupes ; nous viendrons ici pendant trois ou quatre jours sans nous trouver en nombre.

M. Eloy de Burdinne – Il me paraît, messieurs, qu’il ne serait pas convenable de scinder la discussion du budget des travaux publics. Je suis persuadé que la chambre sera en nombre lundi ; la question qui nous occupe est trop importante pour qu’il en soit autrement.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Si la chambre se croit dans l’impossibilité de continuer à siéger jusqu’à ce qu’elle ait achevé la discussion du budget des travaux publics, je ne puis m’empêcher d’exprimer tout le regret que cela me ferait éprouver. Je dois rappeler aux membres de la chambre qu’à ce budget se rattachent de bien grands intérêts, je dois leur rappeler que, dans bien des circonstances, ils désirent eux-mêmes qu’on procède au ministère des travaux publics avec célérité, que les affaires ne restent en suspens. Vous serez peut être frappés, messieurs, des inconvénients qu’il y aurait à ne pas continuer la discussion du budget des travaux publics, lorsque vous songerez que vous réduirez par là l’action du ministère des travaux publics pendant 1840, que vous réduirez cette action d’un mois ; c’est-à-dire que l’année 1840, au lieu d’être une année de 12 mois, ne sera pour le ministère des travaux publics, qu’une année de 11 mois. Ce sera là, messieurs, une cause de retard bien fâcheuse pour les affaires.

M. Van Hoobrouck de Fiennes – Je regrette, messieurs, de devoir contrarier M. le ministre des travaux publics, mais je crois que si la chambre a l’intention de prendre une vacance, il est impossible qu’avant de se séparer elle examine le budget des travaux publics avec toute l’attention, tout le soin qu’il mérite. Le budget des travaux publics est un des budgets dont la discussion est la plus importante ; chacun de ses chapitres donne lieu à une discussion importante, il ne renferme pas un seul article qui ne se rattache peut-être à des questions de la plus haute importance. Veuillez remarquez, messieurs, que le département des travaux publics n’est créé que depuis trois ans, et que le budget de ce département nous a toujours été présenté au moment où nous allions nous séparer, de sorte que nous n’avons jamais pu l’examiner avec l’attention qu’il réclame. Pendant trois ans la section centrale m’a toujours confié l’honorable mission de faire la rapport de ce budget ; je l’ai examinée avec beaucoup de soin, et j’aurai cette année beaucoup d’observations à faire. Je reconnais que M. le ministre a successivement introduit dans son administration beaucoup d’améliorations ; mais, quelle que soit sa capacité, il est impossible qu’il ait pu examiner toutes les questions avec maturité ; il a dû lui échapper bien des choses sur lesquelles nous aurions à appeler son attention.

Je demande donc que si l’on a l’intention de prendre des vacances, on ne vote le budget des travaux publics qu’après la rentrée. M. le ministre lui-même conviendra que le service n’en souffrirait nullement, car ce n’est pas un délai de 15 jours qui peut faire quelque chose ; nous avons déjà voté un crédit de 12 millions pour le chemin de fer, et c’est précisément à cela qu’il importait de pourvoir.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Je remercie l’honorable préopinant de la justice qu’il a bien voulu me rendre. J’ajouterai que les améliorations qui ont été introduites dans le service l’ont été spontanément par le gouvernement, et l’honorable membre ne trouvera pas mauvais que je rappelle ici publiquement ce qui est arrivé il y a deux ans ; l’honorable préopinant, alors aussi rapporteur, ayant bien voulu me dire qu’il ferait l’éloge d’un service qu’il indiquait, je l’ai prié, précaution singulière de la part d’un ministre, de supprimer cet éloge (hilarité) ; je lui ai dit : « Ne faites pas cet éloge, car votre éloge serait rétorqué contre moi et deviendrait un obstacle à des réformes que je projette. »

Plusieurs voix – Vous avez très bien fait.

M. Eloy de Burdinne - Messieurs, on vous a dit que, l’année dernière, on avait voté les budgets, sans qu’on les eût convenablement examinés. Mais, messieurs, en demandant qu’on continue à s’occuper du budget des travaux publics, mon intention n’est pas que la chambre vote de confiance ; je veux au contraire que tous les budgets soient attentivement examinés ; mais puisqu’on a commencé la discussion de celui des travaux publics, et qu’il y a déjà trois jours que cette discussion dure, je demande que la chambre la termine, avant de se séparer.

M. Dumortier – Messieurs, vous votez maintenant qu’il est plus que jamais évident que la question qui nous occupe depuis trois jours est de nature à se prolonger ; il est évident que plusieurs jours s’écouleront encore avant que la discussion puisse être terminée ; il est évident, d’un autre côté, que cette discussion est entièrement connexe avec celle du budget des travaux publics, de façon que si vous voulez terminer absolument la discussion relative au canal de l’Espierre, il faut que vous preniez aussi la résolution de terminer le budget des travaux publics. Or, je le demande à l’assemblée, l’assemblée pense-t-elle, oui ou non, pouvoir terminer sans vacances le budget des travaux publics. Là, messieurs, est toute la question, et si nous mettons la main sur la conscience, nous serons forcés d’avouer que l’assemblée a manifesté hier d’une manière non équivoque son intention de prendre des vacances au nouvel an. Vous le savez, messieurs, les vacances de la nouvelle année sont d’un usage immémorial en Belgique, et ces vacances seraient absolument sans effet, si elles devaient arriver après les fêtes auxquelles elles sont destinées. A accorder à la chambre des vacances au 10 ou au 15 janvier, ce seraient des vacances sans nul effet, ce seraient des vacances illusoires ; mieux vaudrait ne pas en prendre du tout ; mais l’assemblée a manifesté hier le désir qu’elle voulait prendre des vacances ; eh bien, dans un pareil état de choses, il convient beaucoup mieux de les prendre à partir d’aujourd’hui. (Aux voix ! aux voix !)

Je propose à la chambre de décider si elle prendra, oui ou non, des vacances, et en cas que la question soit résolue affirmativement, je propose de fixer notre prochaine séance au mardi 14 janvier, à une heure.

- La chambre consultée décide qu’elle prendra des vacances ; elle décide ensuite que sa prochaine séance est fixée à mardi, 14 janvier, à une heure.

La séance est levée à 4 heures et demie.