(Moniteur belge n°325 du 21 novembre 1839)
(Présidence de M. Fallon)
M. Mast de Vries procède à l’appel nominal à midi et demi. L’assemblée n’est pas assez nombreuse.
La séance est ouverte à une heure et un quart.
M. Mast de Vries donne lecture du procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
Il donne ensuite communication des pièces adressées à la chambre :
« Le conseil communal de Thielt adresse des observations en faveur du projet de déplacement du chemin de fer entre Gand et Bruges. »
« Les notaires de Neufchâteau demandent d’être autorisés à continuer à instrumenter dans les cantons qui ont été distraits de leur arrondissement par la loi du 16 juin dernier. »
« Le sieur Barbarot, lieutenant honoraire pensionné, demande que la chambre s’occupe du projet de loi relatif aux pensions militaires. »
« Le sieur Dewael-Vermoelen demande qu’il soit pris des dispositions protectrices de la fabrication du sucre de betterave, avec la garantie qu’il ne sera rien changé pendant longtemps à la législation sur les sucres coloniaux. »
« Les conseils communaux du canton d’Achel adressent des observations sur le projet de loi relatif à la nouvelle circonscription des cantons. »
« Le sieur P. Vande Pitte ayant tenu une salle de ventes qu’il a été obligé de fermer, demande un emploi quelconque. »
« Les sieur A. D. Horwath, soldat au dépôt du 4e de ligne, engagé en 1830 pour moins de 4 ans, demande son congé. »
« Quatre messagers de la cour de cassation et du parquet demandent une augmentation de traitement. »
« Le sieur Charles Van Belloen, cultivateur à Berthem, demande un secours qui l’indemnise des pertes qu’il a essuyées par l’ouragan du 6 juin. »
« Le sieur G. Rayemaeckers, aubergiste à Corbeeck-Loi, demande à être indemnisé des pertes qui a essuyées en 1831, par suite de l’agression hollandaise. »
« Le sieur E. Malfait, saunier à Courtray, demande que le budget de 1840 abaisse l’impôt sur le sel au chiffre de 12 francs, et que les privilèges disparaissent. »
« Le sieur Linaertes, receveur des contributions à Mechelen (Limbourg), demande une augmentation de traitement. »
« Un grand nombre de notables de Bastogne demandent l’achèvement du canal de Meuse et Moselle, et l’établissement d’une route de Bastogne à Stavelot et de Bastogne à Buret. »
M. de Roo – Je demande que la requête du conseil communal de Thielt soit renvoyée à M. le ministre des travaux publics, avec invitation d’en faire l’objet d’études spéciales et de présenter un rapport à la chambre avant la discussion de son budget.
Les avantages du projet proposé par le conseil communal de Thielt ont été démontrés dans une brochure qui a été distribuée à la chambre. Il en résultera pour le trésor un produit de 360 mille francs au moins, tandis que la voie actuelle suffit à peine à couvrir les frais d’exploitation.
M. Delehaye – Je ne m’oppose pas au renvoi proposé par l’honorable préopinant, mais aux allégations dont il a appuyé sa demande de renvoi. Je conteste de toutes mes forces ce qu’on vient d’avancer sur les grands avantages qu’il y a à déplacer le chemin de fer de Gand à Bruges. Il sera suffisamment prouvé, lors de la discussion qui doit avoir lieu devant vous, que le nouveau chemin serait plutôt nuisible qu’avantageux pour le trésor. Mais je le répète, je ne m’oppose pas au renvoi de la requête, persuadé que plus on y aura réfléchi, plus on sera porté à maintenir l’état actuel des choses.
M. de Roo – Ce n’est pas le moment de discuter cette question. Je demande seulement le renvoi au ministre des travaux publics, avec invitation de faire un prompt rapport.
M. Demonceau – Je prie M. le président de m’admettre au serment. Je demanderai ensuite la parole.
- M. Demonceau prête serment.
Il lui en est donné acte.
M. Demonceau – Messieurs, vous savez que nous avons, pour la régularité des travaux de la chambre, une commission chargée d’examiner les pétitions et de vous faire un rapport. Il n’est pas dans les habitudes de la chambre de renvoyer directement une pétition aux ministres sans qu’elle ait passé par la commission des pétitions. C’est ce qu’on a décidé pour une affaire bien autrement importante, pour une pétition relative au chemin de fer de Liége à la frontière ; j’avais demandé le renvoi direct au ministre, et on m’a fait l’objection que je fais aujourd’hui.
Nous pouvons demander un prompt rapport à la commission ; nous verrons alors si elle propose le renvoi au ministre des travaux publics.
M. A. Rodenbach – Le précédent rappelé par l’honorable préopinant est exact ; j’appuie le renvoi à la commission des pétitions, mais avec demande d’un prompt rapport, parce que la question soulevée par la requête dont il s’agit doit être décidée avant la discussion du budget des travaux publics.
M. de Roo – Le renvoi à la commission des pétitions serait un renvoi aux calendes grecques. L’année dernière nous n’avons eu dans toute la session de rapport que sur un seul feuilleton de pétitions.
Nous avons une foule de précédents de renvois directs aux ministres quand il s’agissait d’objets se rattachant à leur budget. L’article 33 de la constitution le permet.
Je persiste dans ma proposition.
M. de Behr – Nous n’aurons probablement pas de séance avant l’examen des budgets ou au moins avant la formation de la section centrale. Dans ces circonstances il conviendrait de renvoyer la pétition au ministre avec invitation de faire un rapport à la section centrale. J’appuierai le renvoi au ministre, mais sans demande d’explications.
M. de Langhe – Je ne vois pas de difficulté à demander un rapport à la commission sur quelques pétitions urgentes, avant la discussion du budget. Nous ne connaissons pas celle dont il s’agit, nous ne pouvons pas prendre de décision.
Nous connaîtrons ce qu’elle contient d’après le rapport de la commission, et sur ses conclusions nous pourrons prononcer en connaissance de cause.
Toutes les fois qu’on a demandé un prompt rapport à la commission des pétitions, il a été fait.
Je demande donc qu’on se borne à ordonner le renvoi à la commission des pétitions avec invitation de faire un prompt rapport.
- La proposition de M. de Roo n’est pas adoptée.
Le renvoi à la commission des pétitions avec demande d’un prompt rapport est ordonné.
M. Zoude – Des notaires de l’arrondissement de Neufchâteau réclament une mesure législative qui les autorise à continuer à instrumenter dans les cantons qui ont été distraits de leur arrondissement par la loi du 16 juin dernier.
Lors de la discussion de la loi relative à l’organisation judiciaire du Luxembourg, on a renoncé à proposer un amendement dans le sens de la pétition dont il s’agit, pour ne pas compromettre le sort de la loi, beaucoup de membres ayant invité les députés du Luxembourg à faire de leur amendement l’objet d’un projet de loi spécial.
Je demande le renvoi de cette pétition avec demande d’un prompt rapport.
Il est fâcheux que les nombreux travaux dont la chambre a dû s’occuper, pendant la dernière séance, ne lui aient permis de consacrer qu’une séance au rapport des pétitions. Je demanderai qu’on décide que la prochaine séance sera consacrée au rapport des pétitions et qu’à l’avenir deux séances par mois seront employées à ces rapports, jusqu’à ce que l’arriéré soit épuisé. Si on continuait à ne pas s’occuper des rapports de la commission des pétitions, le droit de pétition écrit dans la constitution deviendrait une lettre morte.
Le renvoi de la pétition est ordonné.
La chambre décide que la séance de demain sera consacrée au rapport des pétitions.
M. Lys – Je demande la parole sur la troisième proposition de M. Zoude. Il est inutile de décider qu’il y aura deux séances par mois consacrées aux pétitions, le règlement portant qu’il y en aura un par semaine. Si l’un des quatre jours indiqués par le règlement est absorbé par d’autres travaux, il y en aura toujours au moins deux de consacrés aux pétitions. En adoptant la proposition de M. Zoude on prendrait une mesure contraire au règlement.
M. le président – Le sieur Barbarot demande que la chambre s’occupe de la loi sur les pensions militaires. Des requêtes de même nature ayant été renvoyées à la commission chargée d’examiner la loi sur les pensions militaires, celle-ci lui sera également renvoyée.
Les autres pétitions seront renvoyées à la commission chargée d’en faire le rapport.
M. Angillis, rapporteur de la commission chargée d’examiner le projet de loi concernant les céréales, s’exprime en ces termes – Messieurs, la commission nommée pour examiner le projet de loi proposé par le gouvernement et amendé par le sénat, pour prohiber, pour un temps limité la sortie des céréales, les pommes de terre et farines de pommes de terre, s’est assemblée ce matin pour examiner le projet ; elle en a reconnu l’utilité et la nécessité : en conséquence, et vu l’urgence et l’impossibilité d’y faire aucun changement, attendu que le sénat n’est pas réuni en ce moment, et que nous ne pouvons pas perdre du temps sans de graves inconvénients, elle a l’honneur de vous proposer à l’unanimité, l’adoption pure et simple de ce projet, tel qu’il a été proposé par le gouvernement et amendé par le sénat.
Quant aux deux pétitions des brasseurs de Malines et de Louvain, et que vous avez renvoyées à l’examen de la même commission, elle a pensé que ces pétitions méritent toute l’attention de la législature : en conséquence elle propose d’inviter le gouvernement à faire une proposition spéciale à ce sujet, c’est-à-dire, un projet de loi pour faire droit à la demande des pétitionnaires, demande qui paraît également urgente.
- La chambre ordonne l’impression et la distribution de ce rapport et en fixe la discussion à demain.
M. Duvivier – Je préside une commission incomplète, deux de ses membres ayant cessé de faire partie de la chambre. Cette commission était chargée d’examiner tout ce qui est relatif aux traitements d’attente. Je prierai le bureau de compléter cette commission ;: les deux membres qui ont cessé d’en faire partie sont MM. Verdussen et Keppenne.
M. le président – Le bureau pourvoira au remplacement de ces deux membres.
L’ordre du jour est le scrutin pour compléter la nomination des membres de la commission des finances
Nombre de votants, 57
Majorité absolue , 29
M. Donny a obtenu 35 suffrages
M. Demonceau, 25
M. Mercier, 20
M. Devaux, 16
M. Donny, ayant seul réuni la majorité, est proclamé membre de la commission des finances, et il va être procédé à un scrutin de ballottage entre MM. Demonceau et Mercier, qui ont obtenu le plus de voix.
Voici le résultat de ce scrutin :
Nombre de votants, 56.
M Demonceau a obtenu 34 suffrages.
M. Mercier en a obtenu 22.
En conséquence, M. Demonceau est proclamé membre de la commission des finances, qui se trouve ainsi complétée.
M. le président – La parole est à M. Van Cutsem.
M. Van Cutsem – Messieurs, votre assemblée, après avoir annulé l’élection de M. Desmet, a demandé à la troisième commission si toutes les opérations électorales devaient suivre le sort de l’élection de M. Desmet, ou si on devait seulement annuler certaines opérations électorales, et laisser subsister les autres, et recommencer les futures élections, à partir des opérations valides : en d’autres termes, d’examiner les opérations électorales qui ont précédé l’élection de M. Desmet, et de lui dire quelles sont celles qui ont été faites en conformité de la loi et quelles sont celles qui ont eu lieu conformément à la loi.
Quand on propose la solution d’une question quelconque à un corps constitué, la première chose qu’il a à faire, c’est de s’assurer qu’il est compétente pour la résoudre.
Pour établir cette compétence, il doit trouver une loi qui fasse rentrer la solution des questions proposées dans le cercle de ses attributions, et la représentation nationale, pas plus que tout autre corps, ne peut juger hors des limites que lui fixent la constitution ou les lois qu’elle porte en exécution de cette même constitution.
Ces principes admis, je demanderai à ceux qui veulent nous faire apprécier aujourd’hui, après l’annulation de l’élection du président du tribunal de Termonde, le mérite des opérations électorales, sur quelles dispositions de la constitution, ou de la loi électorale, ou du règlement de la chambre, ils se fondent pour provoquer une décision de notre part sur la validité et l’invalidité des opérations électorales qui ont précédé l’élection déjà annulée.
Sur l’article 34 de la constitution, me répondent d’honorables membres, qui statue : que chaque chambre vérifie les pouvoirs de ses membres et juge les contestations qui s’élèvent à ce sujet. Sur l’article 40 de la loi électorale, disent encore d’autres membres, qui portent : la chambre des représentants et le sénat prononcent sur la validité des assemblées électorales en ce qui concerne leurs membres.
Après cette citation, on s’écrie : Lisez les articles, et il en résulte que rien n’est plus positif que la compétence de la chambre pour décider la question qu’on lui soumet, puisqu’il y a contestation sur les opérations électorales, qui doivent être d’après les uns annulées pour le tout, d’après les autres partiellement, et que les articles invoqués disent que toutes les contestations électorales seront jugées par la chambre.
Si l’article 34 de la constitution et l’article 40 de la loi électorale portait, l’article 34 de la constitution : Chaque chambre apprécie les opérations électorales et les contestations qui s’élèvent à ce sujet, et l’article 40 : La chambre des représentants et le sénat prononcent seuls sur la validité des opérations électorales, il serait évident pour moi que nous aurions aujourd’hui le droit de résoudre la question qui est soumise à la chambre ; mais l’article 34 contient quelque chose de plus : cet article dit que la chambre vérifie les pouvoirs de ses membres et juge les contestations qui s’élèvent à ce sujet ; l’article 40 veut que la chambre se prononce sur la validité des assemblées électorales en ce qui concerne leurs membres.
Que résulte-t-il donc de ces articles bien entendus, sainement interprétés ? A mon avis, on doit déduire que la chambre a seulement le droit de juger les opérations électorales, lorsqu’elle a besoin de les apprécier pour recevoir dans son sein un homme qui s’y présente comme l’élu du peuple ou pour l’en écarter.
Voilà ce qui est écrit dans ces articles ; or, avons-nous encore besoin d’apprécier ces opérations électorales de Termonde pour recevoir dans cette enceinte ou en repousser un homme qui veut y pénétrer comme l’élu du peuple ? Evidemment non, puisque l’élection de M. Desmet a été annulée par la majorité de cette assemblée depuis plusieurs jours. Sur quoi vous basez-vous donc, vous mes honorables collègues, qui voulez nous faire juger des opérations électorales que nous ne pouvons apprécier que dans un seul cas, lorsque je vous prouve que nous ne nous trouvons pas dans la circonstance où l’appréciation des élections nous est permise ?
Messieurs, mes adversaires, en invoquant une loi pour établir notre compétence, ont admis que si je vous prouvais qu’il n’y avait pas de loi qui fît rentrer l’appréciation de la question qu’on vous soumet dans nos attributions, nous n’étions pas compétents pour en connaître ; je vous ai montré que les articles invoqués ne prouvaient pas notre compétence, et qu’il n’y a pas d’autres lois qui nous la donnent pour juger des opérations électorales hors des cas déterminés dans les articles 34 de la constitution et 40 de la loi électorale. Il s’ensuit que vous vous trouvez d’après mes adversaires mêmes, dans la nécessité de vous déclarer incompétents pour juger les opérations électorales de l’arrondissement de Termonde : c’est dans ce sens que j’émettrai mon vote sur la question de compétence qui est actuellement en discussion.
M. Milcamps – La chambre en thèse générale, est-elle compétente pour faire autre chose que de prononcer sur l’admission ou la non-admission d’un membre élu. Sa compétence s’étend-elle jusqu’à pouvoir décider que, par suite de la nullité d’une élection qu’elle a déclarée, les opérations électorales doivent être reprises à tel point ou à tel autre ?
Au cas spécial, la chambre doit-elle ordonner que, pour la nomination du deuxième député de Termonde, le collège de ce district ne sera convoqué que pour achever les opérations illégales interrompues, c’est-à-dire, pour procéder au scrutin de ballottage entre MM. Vilain XIIII et de Decker ?
Telles sont, messieurs, les deux questions que, dans son rapport, la commission a posées et qu’elles a résolues affirmativement.
Nous professions une opinion tout à fait opposée, et nous allons vous en donner les motifs.
Je parlerai peu de la compétence de la chambre, car je ne connais qu’elle qui soit appelé à décider d’une élection ; mais je parlerai du droit de la chambre.
Dans les réélections générales chaque député présumé élu membre de la chambre délibère sur la validité des pouvoirs de ses collègues avant même que les siens ne soient vérifiés. Après que la chambre est constituée, chaque député délibère également sur la validité des pouvoirs des élus.
Et tout cela est conforme au texte comme à l’esprit de la constitution et de la loi électorale.
L’article 34 de la constitution porte que chaque chambre vérifie les pouvoirs de ses membres et juge les contestations qui s’élèvent « à ce sujet ».
« A ce sujet » ; mais cela veut bien dire au sujet des pouvoirs de l’élu ; d’où la conséquence que la compétence ou plutôt le droit de la chambre est restreint à vérifier si le député est régulièrement ou légalement élu.
L’article 40 de la loi électorale dispose que la chambre des représentants et le sénat prononcent seuls sur la validité des opérations électorales, « en ce qui concerne leurs membres. »
« En ce qui concerne leurs membres » ; mais cela veut encore dire, en ce qui concerne les élus : d’où la conséquence que la compétence ou le droit de la chambre est restreint à la vérification des pouvoirs de l’élu, s’il est régulièrement et légalement élu.
Tel nous paraît être le sens naturel, clair et précis de ces deux articles, entendus dans ce sens, ils s’accordent avec les principes généraux et la nature des choses.
La chambre ne fait pas les députés, elle les déclare, elle les vérifie, elle ne les élit pas, elle ne motive pas ses résolutions ; c’est un jury qui déclare que le député est admis ou n’est pas admis.
Cependant, la majorité de la commission argumentant de la généralité, selon elle, des termes de l’article 34 de la constitution, prétend que la chambre ne se borne pas à vérifier les pouvoirs de ses membres, à prononcer sur l’admission ou la non admission du député élu, mais qu’elle juge les contestations qui s’élèvent au sujet de cette vérification. Elle peut donc, ajoute la commission, décider qu’une élection reste valide jusqu’à tel point, que la nullité ne commence que là où l’élection a été viciée.
Mais la majorité de la commission fait là un sophisme nommé pétition de principe, car elle fonde sa preuve sur la chose même qu’il faut prouver. Elle dit : la chambre juge les contestations au sujet de la vérification des pouvoirs de l’élu, donc elle peut décider qu’une élection reste valide jusqu’à tel point. Cette conclusion n’est pas en rapport avec les prémisses, elle est fausse ; on doit conclure au contraire que la chambre juge les contestations à l’effet de vérifier si l’élu a des pouvoirs et doit être admis.
Aussi la majorité de la commission n’était-elle pas très rassurée sur le fondement de son argumentation tirée de l’article 34 de la constitution.
Si cet article 34, dit-elle, pouvait laisser quelques doutes, l’article 40 de la loi électorale achèverait de les lever ; il porte :
« La chambre des représentants et le sénat prononcent seuls sur la validité des opérations électorale, le ce qui concerne leurs membres. »
Ce n’est donc pas, ajoute la majorité, exclusivement sur l’élection, prise dans une acception générale, que la chambre prononce, mais c’est sur la validité des opérations électorales qu’elle déclare entachées de nullité ; elle peut juger si une élection doit être invalidée intégralement ou bien partiellement.
Pour arriver à cette conséquence, la majorité a dû supprimer dans son argumentation les mots « en ce qui concerne leurs membres », et qui donnent à l’article 40 un sens restrictif qui ne s’applique qu’au membre élu, qu’on ne peut étendre à d’autres personnes qui, n’étant pas élues, n’ont et ne peuvent avoir des pouvoirs ; il ne s’agit dans l’article 40 comme dans l’article 34 que de la vérification des pouvoirs de l’élu. La chambre juge les contestations des assemblées électorales à l’effet de s’assurer si l’élu a des pouvoirs réguliers ; elle décide comme jury, elle confirme ou annule l’élection.
« La chambre, disait M. Dupin, ne décide jamais qu’en formule générale, elle n’attribue ou ne refuse pas ses bulletins à tel candidat ; car elle abdiquerait ses fonctions pour prendre celles d’un bureau de collège ; elle se borne à déclarer si une élection est ou n’est pas régulière. » Et ici cependant on veut que la chambre prenne les fonctions du bureau du collège, qu’elle forme elle-même la liste des deux candidats qui ont obtenu le plus de voix dans le premier scrutin.
Le raisonnement de la majorité de la commission comme vous le voyez, est le même sur l’article 40 que sur l’article 34. le vice de ce raisonnement provient de ce qu’elle perd de vue que la chambre seule prononce sur la validité des opérations des assemblées électorales en qui concerne ses membres seulement, et point, par conséquent, en ce qui regarde d’autres personnes.
Ainsi nulle possibilité d’étendre la compétence de la chambre au-delà des limites des articles 34 de la constitution et 40 de la loi électorale. Il ne s’agit dans ces articles que des pouvoirs de l’élu ; c’est la seule question soumise à la chambre. Si la chambre va au-delà, elle abdique ses fonctions pour prendre celles d’un bureau de collège. Le bureau de Termonde n’a pas formé une liste des deux candidats qui avaient réuni le plus de voix, c’est la chambre qui va décider comment elle doit être formée, les noms de ceux qui y figureront ; et si elle le décide, il sera heureux que le pouvoir exécutif pense comme elle. Il notifiera aux électeurs qu’ils aient à nommer soit M. de Decker, soit M. Vilain XIIII ; car, s’il ne le faisait pas, et il ne le ferait pas s’il croyait que la chambre viole la constitution ou la loi, Dieu sait alors ce qui arriverait de la décision de la chambre.
Je ne crois pas devoir en dire davantage sur la question de compétence.
Il s’agit actuellement de la question au fond.
Doit-on ordonner, relativement à l’élection du deuxième député de Termonde, qu’il soit procédé à de nouvelles élections intégralement, ou bien que le collège ne sera convoqué que pour achever les opérations illégalement interrompues, c’est-à-dire pour procéder au scrutin de ballottage entre MM. Vilain XIIII et de Decker ?
La solution de cette question posée par la majorité de la commission paraît tout entière dans l’interprétation des articles 35 et 36 de la loi électorale.
Pour ceux qui pensent qu’en matière d’élections parlementaires la chambre peut tout, la solution de cette question est sans difficulté. Ils peuvent se déterminer, indépendamment du point de droit, par les affections politiques, mais pour ceux qui pensent que la chambre ne peut tout, la question de droit doit leur paraître le point déterminant de leur vote.
Je disais tout à l’heure que la solution de la question me paraissait tout entière dans les articles 35 et 36 de la loi électorale.
Nul n’est élu au premier tour de scrutin, dit l’article 35, s’il ne réunit plus la moitié des voix.
Dans ce cas, selon l’article 36, il devait être fait un scrutin de ballottage entre les deux personnes qui avaient réuni le plus grand nombre de voix.
Dans l’élection des deux députés de Termonde, un seul, M. de Terbecq, au premier tour de scrutin, avait réuni la majorité absolue ; tout était consommé à son égard ; la chambre a vérifié ses pouvoirs, elle a trouvé que les formes substantielles pour cette élection avaient été observées ; son président a proclamé M. de Terbecq membre de la chambre, et cette nomination est régulière et légale.
Quant à l’élection du deuxième député de Termonde, aucun candidat n’avait obtenu au premier tour de scrutin la majorité absolue. Les formes substantielles, nous l’avons déjà dit, avaient été observées dans ce premier scrutin. L’article 36 voulait qu’il y eût une liste de deux candidats qui avaient obtenu le plus grand nombre de voix, qu’il y eût un scrutin de ballottage entre ces deux personnes, et que les suffrages ne fussent donnés qu’à ces deux personnes.
Est-ce ainsi, est-ce conformément à l’article 36 de la loi électorale qu’on a procédé pour l’élection du deuxième député de Termonde. Non. Il n’y a pas eu de liste formée de deux candidats, il n’y a pas eu de scrutin de ballottage entre ces deux candidats ; on a fait tout autre chose ; on est parvenu à l’élection d’un candidat qui, au premier tour de scrutin, n’était pas au nombre des deux qui avaient obtenu le plus grand nombre de suffrages. Il y a donc eu dans ce deuxième scrutin, violation des formes substantielles prescrites par la loi ; dès lors, il n’y a pas eu une élection régulière, la chambre a dû l’annuler, et c’est ce qu’elle a fait.
Mais on m’objecte qu’il y a eu pour cette élection un scrutin qui a fait un député, M. de Terbecq, et qui, quant à l’élection du deuxième député, a donné la majorité relative à Messieurs. Vilain XIIII et de Decker.
Je réponds : la loi voulait que si, au premier tour de scrutin, personne n’obtenait la majorité absolue, il y eût un scrutin de ballottage entre les deux candidats qui avaient obtenu le plus grand nombre de voix. L’élection, quant au deuxième député, ne pouvait donc être consommée que par le scrutin de ballottage, qui suivant l’esprit de la loi, devait être instantanée ; ce deuxième scrutin était une formalité substantielle ; si donc, pour l’élection du deuxième député de Termonde, les formes substantielles n’ont pas été observées, soit dans le premier scrutin, soit dans le scrutin de ballottage, ou vice versa, l’élection est irrégulière et nulle.
Mais, objecte-t-on encore, le premier scrutin a donné un droit acquis à MM. Vilain XIIII et de Decker, d’être portés sur la liste, d’être ballottés.
Un droit acquis ! Mais qu’est-ce qu’un droit acquis ? Il semble d’abord que chacun est fixé sur le sens de ce mot ; c’est un droit conféré par la loi ou par une convention d’une manière irrévocable.
Mais, messieurs, une élection n’est pas faite dans l’intérêt de telles ou telles personnes, ni même de l’élu, mais elle est faite dans l’intérêt général ; d’un autre côté, ce prétendu droit acquis est soumis à l’observation instantanée du scrutin de ballottage. A défaut de ce scrutin de ballottage, tous les avantages du premier scrutin ont disparu.
Mais comment, objecte-t-on enfin, déclarer valide le premier scrutin quant à M. de Terbecq, et le déclarer nul à l’égard de MM. Vilain XIIII et de Decker ? mais il y en a une raison toute simple, c’est qu’à l’égard de l’élection de M. de Terbecq, tout a été consommé au premier scrutin aux termes de l’article 35, et que, quant à l’ élection du deuxième député et à l’égard de MM. Vilain XIIII et de Decker, rien n’est consommé ; il y avait à remplir les formalités prescrites par l’article 36 ; c’est que, pour le deuxième député, il fallait accomplir les formalités prescrites par les articles 35 et 36.
D’après ces considérations, je pense, messieurs, qu’il y a lieu de repousser les conclusions de la commission.
M. Desmet – J’appartiens à la majorité de la commission, qui a pensé que la chambre seule est omnipotente pour juger toutes les opérations électorales. L’honorable préopinant croit que la chambre ne s’occupe que de vérification de pouvoirs et qu’elle ne peut aller au-delà. Il invoque dans son système l’article de la constitution portant que « chaque chambre vérifie les pouvoirs de ses membres. »
Mais cette disposition doit être entendue en ce sens que chaque chambre s’occupe seulement de la vérification des pouvoirs de ses membres et non de la vérification des pouvoirs des membres de l’autre chambre. C’est-à-dire que la chambre des représentants ne peut s’occuper des élections du sénat, comme de même le sénat ne peut s’occuper des nôtres.
On a critiqué le rapport de la commission sous ce rapport qu’elle aurait trouvé l’article de la constitution insuffisant et qu’elle aurait dû recourir à l’article 40 de la loi électorale pur appuyer son opinion. Mais, messieurs, la majorité de la commission n’a pas trouvé l’article de la constitution insuffisant.
Mais elle a trouvé que l’article 40 de la loi électorale, votée quelques mois après la constitution, complète la disposition de la constitution. C’est ainsi que l’a entendu M. le ministre des travaux publics, qui a bien fait sentir que la chambre était seule compétente de toutes les contestations en matière d’élection aux chambres.
Je suppose qu’il n’en soit pas ainsi. Qui sera le seul juge ? le bureau électoral. Ce serait les bureaux électoraux qui seraient omnipotents, qui eux seuls prononceraient sur les contestations qui s’élèveraient dans les opérations électorales ; tout ce pouvoir serait donc dans ces bureaux, et celui des chambres serait réduit à rien. Où serait donc l’article 34 de votre constitution, qui serait réellement supprimé, car il ne serait plus d’aucune utilité.
On a objecté encore que la chambre ne peut réglementer, donner des ordres, qu’elle ne peut dire : «Vous recommanderez l’élection à tel point. » Mais veuillez faire attention que la chambre ne donne pas d’ordre. Elle dit : « Une telle opération est bonne et donne des droits acquis. » La chambre n’ordonne rien, elle ne fait que juger, elle décide que telle ou telle opération est valide et qu’elle donne tel et tel droit à ceux qui l’ont obtenu dans l’élection. Je pense donc que la question est fort claire, et que la chambre, et la chambre seule, est juge compétente, et qu’il y a un droit acquis qu’on ne peut enlever à ceux qui l’ont obtenu.
Je conclus à l’adoption des conclusions de la commission.
M. Mercier – Messieurs, mon vote dans la question qui nous est soumise sera conséquent avec celui que j’ai émis sur la validité de l’élection de M. Desmet ; tout en respectant la décision de la chambre, je n’ai pu changer ma conviction à cet égard : l’article 47 de la constitution veut que la nomination des représentants soi le résultat direct de l’élection. Une loi réglementaire ne pouvait déroger à ce principe fondamental qu’en cas de nécessité absolue ; cette nécessité existe, messieurs, au scrutin de ballottage lorsqu’il y a parité de voix, mais au scrutin de ballottage seulement, parce que c’est seulement alors qu’il y a probabilité que les mêmes électeurs, se trouvant en présence de deux candidats entre lesquels ils ont déjà été appelés à se prononcer, il y a probabilité, dis-je, que des renouvellements ultérieurs de scrutin produiraient toujours le même résultat ; il me paraît donc évident que le dernier paragraphe de l’article 36 ne s’applique et ne peut s’appliquer qu’au scrutin de ballottage ; dans toute autre circonstance on doit nécessairement se soumettre au jugement des électeurs pour rester dans l’esprit et dans les termes de l’article 47 de la constitution. Ces considérations suffiraient pour m’empêcher d’adopter l’avis de la commission qui tend à reconnaître un droit acquis à un autre candidat ; toutefois, j’appuierai mon vote sur d’autres motifs que je vais produire.
Les dispositions de l’article 34 de la constitution, et de l’article 40 de la loi électorale soit loin d’être favorables à l’opinion de la majorité de la commission sur la question qui nous est soumise. L’article 34 de la constitution porte que chaque chambre vérifie les pouvoirs de ses membres, et juge les contestations qui s’élèvent à ce sujet. L’honorable rapporteur de la troisième commission, expliquant ce texte, en dénature le sens en disant que la chambre juge les contestations qui s’élèvent au sujet de cette vérification, ce qui n’est pas exact ; ce ne sont pas les contestations qui se présentent au sujet de la vérification, mais bien celles qui s’élèvent au sujet des pouvoirs de ses membres, que chaque chambre est appelée à juger ; elle n’a donc à s’occuper que de ce qui est relatif à la validité de ses pouvoirs. L’article 40 de la loi électorale est et devra être conforme à l’article 34 de la constitution.
En effet, il ne se borne pas à dire que les chambres prononcent sur la validité des opérations des assemblées électorales, ce qui devrait être, d’après l’explication de l’honorable rapporteur ; mais il ajoute : « en ce qui concerne leurs membres » ; cette dernière disposition, exclut nécessairement tout examen des opérations électorales, en tant qu’elles ne concerneraient pas les membres des chambres. Or, il ne s’agit pas actuellement d’un membre de la chambre, puisque l’élection de M. Desmet a été invalidée.
Ma conclusion d’après ce que je viens d’avoir l’honneur d’expliquer, doit être ou que la chambre n’a pas à se prononcer sur les conclusions de la troisième commission ou, ce qui dans mon opinion entraîne le même résultat, que la validité de l’élection de ses membres pouvant seule être soumise à son jugement, il suffit qu’une élection soit annulée pour que toutes les opérations qui s’y rattachent soient considérées comme non avenues.
(Moniteur belge n°326 du 22 novembre 1839) M. Lys– Messieurs,
La question qui se présente à décider étant, pour ainsi dire, réglementaire, je crois devoir motiver mon vote.
La simple exposition des faits me paraît suffisante pour faire partager l’opinion de la majorité de la commission.
En effet, messieurs, les élections de Termonde eussent été terminées au vœu de la loi, si le bureau principal en avait été fidèle observateur.
Il aurait proclamé membre de la chambre, comme il l’a fait, M. de Terbecq, et il aurait fait procéder à un scrutin de ballottage entre MM. de Decker et Vilain XIIII. Loin de là, il créa un scrutin intermédiaire, dans lequel il fit figurer M. Desmet au nombre des candidats ; la nomination de ce dernier en fut le résultat : c’est là l’opération, messieurs, que vous avez annulée.
Par cette décision, les choses sont ramenées au point où elles étaient lorsque le premier vote des élections de Termonde fut terminé.
Il reste certain, pour moi, que les électeurs de Termonde doivent faire aujourd’hui ce qu’ils auraient fait en juin dernier ; si le bureau principal n’avait pas dévié, ils auraient alors procédé à un scrutin de ballottage entre MM. de Decker et Vilain XIIII, et il ne leur reste rien autre à faire aujourd’hui.
Peu importe, messieurs, pour l’exécution de la loi, qu’elle ait été mal interprétée par le bureau susdit ; peu importe qu’un long délai se soit écoulé depuis la décision de ce bureau, par laquelle la loi était violée, ce délai ne pouvant être abrégé, la chambre seule étant compétente pour statuer ; peu importe que les chances puissent être plus favorables aujourd’hui à M. de Decker, par l’absence de M. Vilain XIIII ; peu importe enfin que, depuis juin dernier, les électeurs de Termonde aient pu changer d’opinion sur le mérité de leurs candidats : ce sont là, messieurs, des circonstances qui, si elles existaient, ne peuvent être un obstacle à l’exécution de la loi ; peu importe enfin que les électeurs de Termonde n’aient à procéder aujourd’hui qu’à un scrutin de ballottage ; vous ne devez voir que l’accomplissement de la volonté du législateur.
Vous avez validé les premières opérations du bureau de Termonde ; son premier scrutin établit, et c’est là chose jugée par vous, que M. de Terbecq est membre de cette chambre, et qu’il devait y avoir un scrutin de ballottage entre MM. de Decker et Vilain XIIII. Vous ne pouvez, messieurs, scinder votre décision ; vous ne pouvez donner au premier scrutin une demi-validité, il doit sortir ses effets pour le tout ; par ce scrutin là, la majorité des électeurs a voulu que M. de Terbecq fût proclamé membre de cette chambre, et qu’il y eût scrutin de ballottage entre MM. de Decker et Vilain XIIII. Il ne restait en juin qu’à faire ce scrutin de ballottage, pour connaître la décision flottante des électeurs entre MM. de Decker et Vilain XIIII. Il ne peut leur rester rien autre chose à faire aujourd’hui ; les électeurs ont usé d’une partie de leurs droits, leur vote est acquis à MM. de Decker et Vilain XIIII à l’exclusion d’autres, et ce droit ne pouvait leur être retiré, qu’en annulant ce premier vote. Ils sont seuls aptes à être nommés membres de cette chambre, comme M. de Terbecq était le seul membre proclamé.
Mais, dira-t-on, vous réduisez les électeurs à n’avoir aucun choix à faire, car M. Vilain XIIII est absent, et il ne leur restera plus qu’un seul candidat. Je répondrai, messieurs, que cela fût-il ainsi, cela ne pourrait rien changer à la loi ; mais si la majorité des électeurs ne voulait plus de M. de Decker, elle a un moyen fort simple pour s’en débarrasser, en nommant M. Vilain XIIII ; ce dernier n’acceptant point, une nouvelle élection devient nécessaire, et cette majorité choisira alors la personne qu’elle désirera.
En suivant l’opinion de l’honorable préopinant, le bureau qui verrait dans les élus qui doivent être soumis au ballottage, ses ennemis politiques, aurait toujours un moyen de les éloigner en élevant un incident qui suspendrait ce ballottage.
Quant à la question de compétence, nous avons eu à apprécier les opérations électorales de Termonde ; il y a eu une élection complète, l’une des élections a été admise, l’autre a été rejetée. La chambre, conformément à l’article 34 a donc vérifié les pouvoirs, et par suite elle a dû juger les contestations qui s’élevaient à ce sujet. Or, lorsque la chambre, comme dans le cas qui se présente, a rejeté une élection parce que le bureau du collège électoral était sorti des bornes lui prescrites par la loi ; je dis que dès lors la chambre a le droit de prescrire la voie dans laquelle le collège électoral devait rentrer. Si vous en agissiez autrement, messieurs, vous pourriez annuler de nouveau les élections de Termonde, parce qu’il serait sorti de la voie prescrite par la loi, et vous pourrirez ainsi priver pour longtemps le district de Termonde de l’un de ses représentants.
La loi électorale, messieurs, vous autorise, article 40, à prononcer sur la validité des opérations électorales.
Mon vote sera, messieurs, qu’un scrutin de ballottage entre MM. de Decker et Vilain XIIII est la seule opération à laquelle doivent être appelés les électeurs de Termonde.
(Moniteur belge n°325 du 21 novembre 1839) M. Devaux – Je n’examinerai pas la question de la compétence de la chambre ; dans mon opinion cette question est assez oiseuse. Je suis d’avis qu’en annulant l’élection de M. Desmet la chambre a par cela même annulé entièrement cette élection. Les conclusions de la commission tendent à poser un précédent nouveau ; cependant il est douteux pour moi que le fait soit nouveau. Je regrette de ne pas avoir eu le temps de le vérifier ; mais nous avons fait tant de vérifications de pouvoirs qu’il est impossible qu’il ne se soit pas présenté. Nous avons annulé tant d’élections qu’il me paraît impossible qu’il n’y en ait pas un où la nullité ait porté sur le scrutin de ballottage.
Quoi qu’il en soit, lorsque, il y a quelques mois, quelques temps après l’élection de Termonde, j’appris que les électeurs avaient soulevé la question de savoir s’il n’y aurait pas lieu de recommencer l’élection partiellement ; prévoyant que cette question nouvelle serait soulevée à la chambre, je commençai pas le doute ; depuis lors, je l’ai examinée, et, parti du doute, je suis arrivé à la conviction que nous ne pouvons pas faire autre chose que d’annuler entièrement l’élection de M. Desmet. Je tâcherai de vous faire partager cette conviction, en m’attachant à prouver que vous ne pouvez annuler partiellement une élection sans violer le principe fondamental de l’élection et les règles qui doivent nous guider en matière de vérification de pouvoirs. Nous ne pouvons pas ordonner qu’il sera procédé à un scrutin de ballottage à cinq mois de distance du premier scrutin. Il faut d’ailleurs (et c’est ce qu’a oublié le préopinant qui vient de parler) se rendre compte des règles suivies en fait de vérifications de pouvoirs. On ne se conforme pas en cette matière aux règles du droit civil, on juge d’après l’esprit plutôt que d’après la lettre de la loi. Il y a beau y avoir des nullités dans une élection ; des électeurs n’ayant pas le droit de voter ont beau avoir pris part au vote : si leur vote n’ont pas eu d’influence sur le résultat de l’élection, nous déclarons l’élection valide. Ce qu’il faut, c’est que la majorité des électeurs ait pu se manifester ; cela étant, nous passons sur le reste. Nous sommes donc très larges dans les règles qui doivent présider à la vérification des pouvons. Si nous ne voulons pas méconnaître ces règles essentielles, nous devons annuler l’élection tout entière ; nous ne pouvons séparer le premier scrutin du second par un intervalle de plusieurs mois.
Je remonte à l’esprit de la loi, je me demande : Qu’est-ce qu’un ballottage ? c’est un pis-aller électoral, c’est une nécessité fâcheuse que la loi a dû adopter pour en finir. Il peut se faire (surtout lorsqu’il y a plusieurs élections à la fois, par exemple, deux par exemple, et mille électeurs étant présents) qu’il n’y ait qu’une élection faite au premier tour de scrutin, et que, pour la seconde élection, le candidat qui avait obtenu le plus de voix n’en ait que vingt. Voilà donc vingt électeurs qui font la loi à 980 électeurs ! c’est là une mesure fâcheuse, c’est une nécessité que la loi a dû subir, mais qu’elle a subie comme une nécessité ; pourquoi ? parce qu’il faut en finir et parce qu’il ne fait pas tenir les électeurs trop longtemps sous peine de n’en plus avoir. Le législateur a pensé que quand les voix sont ainsi éparpillées, quand il n’y a pas de préférence marquée, c’est qu’aux yeux de beaucoup d’électeurs, beaucoup de candidats sont ou également bons ou également mauvais. Quand la loi prescrit un scrutin de ballottage elle veut qu’il ait lieu le même jour que le premier scrutin, parce qu’alors les circonstances, les électeurs sont les mêmes et que la position du candidat n’a pas changé.
Aux yeux de la loi, le scrutin de ballottage est une mesure fâcheuse en ce qu’elle fait prévaloir l’opinion de la minorité des électeurs ; lors donc qu’il y a doute, il faut restreindre cette mesure au lieu de l’étendre. Mais si vous ordonnez un scrutin de ballottage à plusieurs mois d’intervalle d’un premier scrutin, votre décision, je suis fâché de le dire, serait absurde ; c’est ce que vous feriez en adoptant les conclusions de la commissions. Vous décideriez que les électeurs de Termonde vont être rassemblés ; mais est-ce pour savoir leur opinion ? non ; leur opinion vous ne voulez pas la savoir ; vous voulez seulement qu’ils vous disent ce qu’ils pensent du choix que quelques-uns d’entre eux ont fait il y a six mois. Mais, pourraient dire les électeurs, depuis six mois les choses sont bien changées, nous ne sommes plus dans les mêmes circonstances ; il y a six mois, l’adoption d’un traité de paix, approuvé par les uns, blâmé par les autres, avait semé quelque irritation ; il y a six mois, il n’était pas question de la crise commerciale dont nous souffrons aujourd’hui ; depuis lors un des candidats a démérité, nous sommes unanimes à cet égard… Qu’importe, répondrez-vous, nous ne voulons pas vous écouter, nous vous demandons seulement ce que deux cents d’entre vous ont pensé il y a six mois. Remarquez que ma supposition est bien près de la vérité, puisque la position de l’un des candidats a changé en ce sens qu’il se retire de la candidature. Ainsi vous assemblez les électeurs pour procéder à l’élection d’un candidat, alors même qu’ils ne voudraient pas de lui, c’est-à-dire pour jouer une comédie électorale.
Je conçois qu’un bureau, pendant l’élection annule un scrutin de ballottage et le fasse recommencer, parce qu’à l’instant, ou le lendemain, les circonstances étant les mêmes, on peut procéder à un nouveau scrutin ; mais il n’en est pas de même au bout de six mois ; et pourquoi, lorsque vous pouvez avoir l’opinion de la majorité, vous contenteriez-vous de celle de la minorité ?
Mais, dit-on, il faudra donc annuler aussi l’élection du représentant élu au premier scrutin ? Non, parce que cette élection est complète et régulière. On prétend que dès lors il y a droit acquis en faveur des deux candidats entre lesquels devrait avoir lieu le scrutin de ballottage. Mais c’est résoudre la question par la question, car il s’agit de savoir s’il y a droit acquis.
Contre qui des droits acquis ? Est-ce contre les électeurs ? mais l’élection se fait dans l’intérêt du représentant ou dans l’intérêt de l’opinion des électeurs. En cas de doute, pour qui faut-il se prononcer ?
La chambre, dit-on, juge les opérations électorales, donc il faut qu’elle décide que telle partie de l’opération est valide. Mais c’est encore là résoudre la question par la question ; car il faut savoir si la chambre peut disjoindre les deux scrutins. Or, elle peut séparer ce qui n’est pas divisible lorsque six mois se sont écoulés.
Un bureau, objecte-t-on, pourra donc toujours annuler l’élection quand les candidats lui déplairont ? Un bureau électoral a bien d’autres pouvoirs que ceux qu’on redoute ici. Un bureau électoral peut introduire une nullité quand il veut ; cela dépend de lui.
Voyez où vous arrivez. On vous demande aujourd’hui de fractionner une élection en deux scrutins ; rien n’empêchera que demain on vous demande de fractionner les scrutins eux-mêmes. On demande aujourd’hui de déclarer qu’il existe des demi-représentants ; demain on vous demandera de déclarer qu’il en existe des quarts. Je suppose une élection se faisant en un tour de scrutin ; l’appel nominal a lieu, et les électeurs déposent leurs votes ; tout se fait dans le plus grand ordre. Au réappel il se présente trente électeurs nouveaux ; le bureau déclare qu’ils ne voteront pas ; il ferme le scrutin, le dépouille et proclame un élu. La chambre déclarera-t-elle que toutes les voix données à l’élu lui sont acquises, et qu’il faut recommencer le scrutin au moment seulement où il a été fermé ? la chambre déclarera-t-elle qu’il n’y a autre chose à faire qu’à compléter le scrutin ?
En m’ingéniant un peu, je pourrais trouver d’autres circonstances qui entraînerait à fractionner les scrutins, en suivant le système que je combats.
Remarquez, messieurs, que nous sommes à cinq mois de l’élection de Termonde ; si vous décidez qu’il n’y aura qu’un scrutin de ballottage, il ne se fera probablement que dans un mois ; et probablement encore cette opération partielle ne vous sera soumise qu’au moment où vous prendrez quelques vacances ; ainsi vous n’en ferez la vérification qu’en février. Si vous prononcez une autre annulation, vous aurez encore un scrutin de ballottage à ordonner, et vous serez bientôt à onze mois de l’époque de la première élection.
Il y a des exemples que des élections successives ont duré deux ou trois ans. Toutes les fois que vous appellerez les électeurs à Termonde, ce ne sera pas pour consulter leur opinion ; ils seront enchaînés entre deux candidats choisis par une minorité, et entre deux candidats qui, par le temps, ont pu acquérir de mauvaises qualités politiques, tandis qu’à côté d’eux des citoyens en auront acquis de très bonnes ; mais, n’importe, les électeurs seront enchaînés.
Je trouvais la question claire il y a quelques jours ; d’autres la croyaient obscure. Le gouvernement lui-même ne crut pas devoir se prononcer, parce qu’il doutait ; eh bien, messieurs, dans le doute, il faut se prononcer pour que l’opinion des électeurs ne soit pas enchaînée.
M. Dumortier – La question qui se présente aujourd’hui est entièrement neuve pour la législature ; jamais, que je ne sache, elle n’a été soulevée dans la chambre des représentants. Nous avons bien annulé des élections de ballottage ; mais la question des droits acquis n’a été agitée pour la première fois que par les conseils provinciaux. Dans les deux provinces du Hainaut et de Liége, elle a été résolue affirmativement en faveur des droits acquis par les personnes admises au ballottage ; et c’est ainsi qu’elle arrive à la législature.
Les conseils provinciaux sont aussi composés d’hommes distingués qui discutent à l’abri des passions politiques ; et les conseils que j’ai désignés ont tous deux tranché la difficulté de la même manière. Or, il est à remarquer que l’article de la loi provinciale relatif à la vérification des pouvoirs des conseillers provinciaux élus, est identiquement le même que celui qui est relatif à la vérification des pouvoirs des membres des chambres législatives.
C’est dans un tel texte que les assemblées provinciales ont puisé leur pouvoir de maintenir les droits acquis et de n’annuler dans une élection que ce qu’elle avait de vicieux.
Comment peut-on dire que nous ne sommes pas compétents pour décider de la question ? Que l’on discute la question au fond, je le comprends, mais ce que je ne comprends pas c’est qu’on mette en discussion la compétence de la chambre : la loi électorale et la constitution sont formelles sur ce point. Si la chambre n’est pas compétente, quel pouvoir sera donc compétent ? Ce ne sera pas le gouvernement ; vous diriez qu’il empiète sur votre autorité dans le cas où il voudrait trancher la question. Sera-ce le barreau ? Alors vous lui accordez un droit que la loi lui dénie.
Mais, dit-on, l’article 40 de la loi électorale porte que les chambres législatives prononcent seules sur la validité des opérations électorales en ce qui concerne leurs membres : et l’on ajoute : cela prouve que vous ne pouvez prononcer que sur la validité des élections relatives aux membres de la chambre des représentants. Voilà l’objection telle qu’on nous la présente. Pour moi, messieurs, quand j’ai entendu donner une pareille interprétation à l’article 40 de la loi électorale, je me suis demandé si les orateurs avaient lu cet article. En effet, les mots : en ce qui concerne leurs membres, étaient indispensables ; leur omission aurait obligé les deux assemblées à vérifier collectivement les pouvoirs des élus. Donner un autre sens à l’article 40, c’est manquer non seulement au sens légal, c’est manquer aux règles de la grammaire.
L’honorable député qui a parlé avant moi a présenté une série de faits qui tendraient à prouver que les conclusions de la commission conduiraient à l’absurde ; on peut faire bien d’autres suppositions. Supposez que mile électeurs se donnent leurs voix à eux-mêmes, et vous arrivez à une élection impossible. D’après cet exemple, on voit que les suppositions ne prouvent rien contre la loi, car il y en a qui ne peuvent se réaliser. Dans l’élection de Termonde, nous ne pouvons annuler qu’une seule chose, c’est le scrutin intermédiaire dont la loi ne veut pas. Qu’avez-vous à ordonner ? c’est d’ordonner que l’on fasse ce que la loi prescrivait de faire, à l’époque des élections. La question ainsi posée devient excessivement simple.
« Mais, dit-on, qu’arrivera-t-il si, dans l’intervalle, l’un des deux renoncent à la candidature ? »
Je réponds en demandant : « Qu’arrivera-t-il si l’un des deux renonce immédiatement à la candidature ? Et remarquez, messieurs, que je ne fais pas ici une supposition, je fais allusion à un fait qui s’est présenté ; en effet, dans une élection qui a eu lieu à Saint-Nicolas, au moment où l’on allait procéder au ballottage, un des deux candidats a déclaré qu’il renonçait à sa candidature : les électeurs étaient-ils par cela enchaînés ? étaient-ils par cela dans la nécessité de nommer l’autre candidat ? Evidemment non ; ils pouvait voter en masse pour celui qui avait déclaré ne pas vouloir être nommé ; alors, celui-ci n’acceptant pas, les électeurs auraient été appelés à recommencer les opérations. Eh bien les électeurs de Termonde seront encore libres d’en agir ainsi, si tant est que l’un des deux candidats qui doivent être ballottés ait renoncé à sa candidature, mais cela n’est nullement prouvé jusqu’ici. Quoi qu’il en soit, il faut de toute nécessité que la loi sorte ses effets.
On ne veut point qu’il y ait un intervalle de quelques mois entre le premier scrutin et le scrutin de ballottage. En effet, lorsque la chose est possible il est préférable que le ballottage ait lieu immédiatement ; mais cela ne peut pas toujours se faire, et je puis citer un exemple d’un ballottage qui a eu lieu plusieurs semaines après le premier scrutin. Alors, lors de l’élection de Maestricht dont il a été parlé ces jours derniers, le scrutin de ballottage a été remis à trois semaines de distance, et trois semaines après le premier scrutin les électeurs sont venus donner leurs voix ; cependant personne dans l’assemblée n’a songé à demander l’annulation de l’élection.
A cet égard je me permettrai, messieurs, de vous citer ce qui s’est passé au congrès. On a voulu, en matière de ballottage introduire un système tout différent de celui qui a été admis ; quelques membres pensaient que les électeurs qui avaient pris par au premier scrutin devaient seuls être admis à voter au scrutin de ballottage ; mais le congrès n’a pas admis ce système, et pourquoi ne l’a-t-il pas admis ? Parce que le corps électoral est un, et qu’il importe assez peu quelles sont les personnes qui votent et celles qui ne votent pas. Le congrès, en écartant le système dont je viens de parler, a prouvé qu’il ne connaissait qu’une chose, la permanence du corps électoral
Or, ce principe de la permanence du corps électoral admis, il importe fort peu de savoir quels sont les électeurs qui prennent part au scrutin de ballottage, puisque là, comme au scrutin primitif, c’est toujours le corps électoral qui vote.
On dit, messieurs, toujours pour démontrer la prétendue fausseté de la proposition de la majorité de la commission que le bureau électoral peut introduire des nullités, de manière à faire durer une élection pendant plusieurs années. Je ne pense pas, messieurs, que cela soit exact : lors de l’élection à Ostende de M. le baron de Mooreghen, comme sénateur, le bureau était parvenu à annuler plusieurs bulletins portant le nom de ce candidat, de manière que la majorité fut accordée au président du bureau ; eh bien, messieurs, qu’a fait le sénat ? s’est-il borné à annuler l’élection ? non, messieurs, il a été plus loin, il a attribué les voix à celui qui les avait réellement obtenues, et il l’a proclamé sénateur.
M. Devaux – C’était une élection faite.
M. Dumortier – Soit ! il n’en est pas moins vrai que le sénat a respecté les droits acquis. mais, dit-on, qu’est-ce que des droits acquis ? Les droits acquis, messieurs, étaient ceux que le bureau de Termonde devait respecter, c’étaient ceux que MM. Vilain XIIII et de Decker tenaient du vœu des citoyens. N’est-il pas absurde, en effet, de venir dire que le vote des électeurs a donné des droits à M. de Terbecq et qu’il n’en a pas donné à MM. Vilain XIIII et de de Decker, que le scrutin a eu un effet, quant au premier, et qu’il n’en a pas eu quant aux autres ? En vérité, je ne comprends pas un pareil système ; si vous reconnaissez la puissance du scrutin électoral relativement à l’un, vous devez la reconnaître relativement aux autres ; mais dire que le même vote a donné des droits à celui-ci et n’en a pas donné à celui-là, c’est faire la part de l’un et la part de l’autre, c’est avoir deux poids et deux mesures, et c’est ce que vous ne pouvez pas faire.
Il est un fait qui me décide surtout, c’est que, comme à Ostende, l’opération qui a enlevé à M. de Decker et Vilain XIII les droits que leur accordaient la loi et la volonté des électeurs, a été faite au profit du président du bureau électoral.
Remarquez, messieurs, que, si en pareille circonstance, vous n’admettez pas le système des droits acquis, vous ouvrirez singulièrement la porte à la fraude, car c’est alors surtout que vous verrez se présenter le cas auquel a fait allusion l’honorable député de Bruges, auquel je réponds ; c’est alors que les bureaux électoraux introduiraient fréquemment des nullités dans l’intention de favoriser tel ou tel candidat ; si, au contraire, vous maintenez le principe des droits acquis, vous supprimez la fraude, puisque vous supprimez l’intérêt qu’on pourrait avoir à la commettre. Or, messieurs, je crois que c’est sous ce point de vue principal, sous le point de vue de la moralité des élections qu’il faut surtout envisager la question.
L’honorable député de Bruges a prétendu que si nous admettions les droits acquis en faveur de MM. Vilain XIIII et de Decker, nous serions amenés à reconnaître des demi-députés, des quarts, des huitièmes de députés, je crois que l’honorable membre a fait des suppositions qui ne peuvent pas se réaliser, car de deux choses l’une : ou bien les députés à élire seront nommés au premier tour de scrutin, et alors il n’est pas question de fractions de députés ; ou bien, il y a lieu de procéder à un scrutin de ballottage, et en ce cas il faut respecter les droits acquis ; c’est là le seul moyen de fermer la porte à la fraude, et admettre le système contraire, ce serait lui accorder une véritable prime.
M. de Brouckere – Messieurs, l’opinion que je professe et que j’ai déjà fait connaître à la chambre dans une précédente séance a été très bien défendue par les honorables membres qui ont parlé avant moi. Cependant je demanderai la permission d’ajouter encore quelques considérations ; je dois le dire, j’attache une haute importance à toutes les questions électorales, et je pense qu’il doit en être ainsi pour tous les corps qui sont omnipotents, qui jugent sans contrôle lorsqu’il s’agit d’admettre ou de repousser ceux qui se présentent comme ayant été élus. Du jour où ces questions seront traitées avec tiédeur, il est impossible que les majorités n’abusent pas de leur pouvoir, et alors les élections seraient complètement faussées.
Je commencerai, messieurs, par faire remarquer à la chambre ce qu’il y a d’insolite, de bizarre dans la discussion même qui s’agite ; en effet, dans une séance précédente, nous avons décide que l’élection de l’honorable M. Desmet était nulle. Voilà un vote complet, voilà un vote auquel il ne manque rien. Maintenant que vient-on nous proposer ? on vient nous proposer d’interpréter ce vote, on vient nous proposer de déclarer que ce vote n’a pas toute la portée qu’il semble avoir. Voyez les conclusions de la commission, messieurs, et vous serez convaincus de l’exactitude de ce que je viens de dire : on nous propose de déclarer que la chambre « n’entend annuler dans l’élection de Termonde que les seules opérations électorales qui ont suivi le premier tour de scrutin » ; est-ce, je vous le demande, ou n’est-ce pas un vote interprétatif de notre vote qu’on vient nous demander ? c’est sans contredit un vote interprétatif. Je dis plus, c’est un vote restrictif. Eh bien je vous le demande, en quelle occasion avons-nous agi ainsi ? Quand avons-nous, après avoir émis un vote complet, voulu revenir sur ce vote pour y donner un sens restrictif ? Jamais. Voilà ce qui arrive quand on entre dans une fausse voie, on arrive presque toujours à des résultants qui, passez-moi l’expression, touchent quelque peu l’absurde.
Après cette observation préliminaire que je crois assez frappante, je vais reprendre deux questions qui ont été agitées ; la première c’est de savoir si la chambre est compétence. Selon moi la chambre est incompétente pour connaître de la question qui est soulevée. On s’est appuyé et l’on s’est appuyé exclusivement de deux dispositions, l’une de la constitution, l’autre de la loi électorale, pour soutenir la compétence ; et, chose singulière, c’est que pour toute personne qui voudra lire ces deux dispositions sans préoccupation aucune et surtout les lire en entier, il paraîtra évident qu’elles condamnent le système de ceux qui les invoquent.
« La chambre vérifie les pouvoirs de ses membres et juges les contestations qui s’élèvent à ce sujet. »
Qu’y a-t-il de plus positif que le sens de ces mots : « à ce sujet » ? Au sujet de quoi ? Mais au sujet des pouvoirs de ses membres ; et quand plus personne n’est présenté comme membre de la chambre, la chambre n’a plus rien à vérifier. Or, vous avez déclaré que M. Ch. Desmet n’était pas membre de la chambre ; vous avez annulé l’espèce de pouvoir que lui avait conféré le collège électoral de Termonde. Dès ce moment votre compétence est épuisée ; vous n’avez plus rien à faire ; car vous ne pouvez, d’après la constitution, qu’examiner les contestations qui s’élèvent au sujet de la vérification des pouvoirs des membres de la chambre. Il n’y a plus de membre au cas actuel, donc vous n’avez plus rien à examiner.
La loi électorale n’est pas moins positive. Elle dit que la chambre et le sénat prononcent seuls sur la validité des opérations des assemblées électorales, « en ce qui concerne leurs membres. »
Eh bien, encore une fois, il n’y a pas ici un second membre envoyé par le collège électoral de Termonde, car vous avez annulé l’élection ; il n’y a donc plus rien à examiner ; je le dis avec une entière conviction, n’eussé-je que ces deux dispositions, cela me suffirait pour être persuadé que du moment que la chambre a annulé une élection, elle n’a plus rien à examiner après cela.
Messieurs, si la chambre agissait autrement, si, ce que je ne puis supposer, revenant sur son premier vote, la chambre voulait déclarer comment aura lieu l’élection de Termonde, il en résulterait que la chambre s’arrogerait le droit de donner des ordres, de donner des instructions, de règlementer. Or, la chambre n’a pas le droit de donner des ordres, de donner des instructions à personne, la chambre n’a pas le droit de rien réglementer au-dehors ; elle règlemente tout ce qui concerne la marche de ses opérations, elle fait des lois, mais elle n’a pas de subordonnés au-dehors. Si vous alliez revenir sur votre décision de samedi, et déclarer que les électeurs reprendront les opérations électorales à partir seulement du second scrutin, c’est un ordre que vous leur donneriez, ce sont des instructions que vous leur transmettriez.
Eh bien, la chambre a si peu le droit de donner de semblables ordres, de donner de semblables instructions, qu’après ce que vous aurez décidé, le collège électoral de Termonde pourra encore impunément agir en sens contraire de ce que vous aurez décidé. Qu’en résulterait-il ? je sais que nous conserverions le droit d’annuler de nouveau l’opération ; mais il y aura toujours cette conséquence fâcheuse que la chambre se discrédite, qu’elle compromet sa dignité, en décidant une chose qu’il dépend de celui contre qui on l’a décidée de ne pas respecter ; j’en conclus bien logiquement, je crois, que la chambre n’a d’autre pouvoir que de valider ou d’annuler les élections ; elle ne peut aller au-delà.
J’arrive à un argument que l’honorable orateur auquel je succède a fait valoir. Il vous dit : « Il y a ici une question : si vous ne voulez pas la jugez, qui donc la jugera… ? » Qui la jugera ? mais ce sont les électeurs ! Je ne connais que les électeurs compétents pour décider ici, sauf cependant que nous resterions dans notre droit d’annuler les opérations pour le cas où elles auraient été faites contrairement à la constitution ou aux lois.
J’aborde maintenant l’autre question, celle de savoir si, dans le cas où la chambre est compétente, elle peut n’annuler qu’une partie des opérations électorales de Termonde. Et ici je serai très court, car réellement cette partie de la question a été très bien développée par d’autres orateurs.
Pour soutenir que nous ne pouvons annuler que le scrutin de ballottage, on n’a fait valoir qu’un seul argument, c’est que les deux personnes entre lesquelles le ballottage devait avoir lieu, ont des droits acquis, droits que nous ne pourrions par conséquent pas leur ôter.
D’abord, messieurs, il est à remarquer qu’en règle générale, un acte ne donne pas de droits acquis à ceux qu’il concerne que lorsqu’il est non seulement complet, mais encore irrévocable.
Ainsi, par exemple, un testament est fait, il est revêtu de toutes les formes ; donne-t-il quelques droits à ceux en faveur de qui il est fait ? Non : les droits ne commencent que quand il est irrévocable, et il n’est irrévocable qu’à la mort du testateur. Ainsi d’un contrat de mariage. Un contrat de mariage se fait, il est parfait, donne-t-il des droits. ? Non, il ne donne de droits que pour autant que le mariage s’ensuit.
Eh bien, cette règle générale s’applique aussi aux opérations électorales. Les opérations électorales ne peuvent donner de droits à qui que ce soit que lorsque non seulement l’opération est complète, mais encore lorsqu’elle a été déclarée valable par la chambre ; dès ce moment, les opérations électorales sont devenues irrévocables, et alors seulement ceux qu’elle concerne ont des droits acquis.
Voulez-vous, messieurs, une preuve, selon moi bien évidente, que le principe général que je défends s’applique à la matière électorale ? Eh bien, rappelez-vous la question que faisait tout à l’heure un honorable orateur ? Il demandait ce que ferait la chambre pour le cas où M. Vilain XIIII déclarerait aujourd’hui qu’il n’accepterait pas le mandat de député et que par conséquent le scrutin de ballottage, en ce qui le concerne, serait inutile. Et à cela l’orateur qui l’a suivi, a répondu : je ferais ce que j’aurais fait, si M. Vilain XIIII avait fait une semblable déclaration le jour même des élections.
Eh bien, messieurs, M. Vilain XIIII aurait-il le jour même fait cette déclaration, vous n’y auriez eu aucun égard. Et pourquoi n’y auriez-vous pas eu égard ? c’est que M. Vilain XIIII n’avait pas encore des droits acquis, et qu’on ne renonce pas à une perspective de droits. Encore une fois, c'est la règle générale en matière d’actes. Comment M. Vilain XIIII aurait-il pu dire, avant que le scrutin de ballottage fût terminé : Messieurs, je déclare que je n’accepterai pas le mandat de député, il est donc inutile de me ballotter ? On lui aurait répondu : Vous n’avez pas de droits acquis, vous allez être ballotté ; quand vous aurez été élu et que l’opération aura été reconnue valable, vous déclarerez que vous n’acceptez pas ; ce n’est qu’après la déclaration, par la chambre, de la validité de votre élection, que vous avez un droit acquis, et alors seulement vous pourrez y renoncer.
Messieurs, je vais vous citer un autre exemple, et, en le citant, je devrai faire allusion à une décision du sénat, décision exorbitante, selon moi, et dont je n’aurais toutefois pas parlé, si l’honorable M. Dumortier ne l’avait invoquée à l’appui de son opinion ; car, en règle générale, je pense qu’un corps ne doit jamais censurer un autre corps. Permettez-moi, messieurs, de supposer un moment que le résultat de l’élection de Termonde ait été le suivant : Deux députés étaient à élire (chaque fois qu’il y a deux députés à élire, il y a possibilité, et cela se prouve par les chiffres, que trois candidats aient la majorité absolue au premier tour de scrutin) ; eh bien, je suppose que l’honorable M. de Terbecq ait eu le plus grand nombre de voix, et que MM. Vilain XIIII et Desmet soient venus ensuite et aient eu le même nombre de voix, avec la majorité absolue. Le bureau électoral de Termonde, après s’être assuré que M. Vilain XIIII est plus âgé que M. Ch. Desmet, aura déclaré MM. de Terbecq et Vilain XIIII élus. La chambre est saisie de la question. Après examen, elle trouve, par exemple, que M. Vilain XIIII a eu une voix de moins que M. Ch. Desmet ; je le demande maintenant, en abondant dans le système de nos adversaires, que fera la chambre ? déclarera-t-elle qu’il doit y avoir un scrutin de ballottage entre M. Ch. Desmet et M. Vilain XIIII ? Non, car la chambre aura reconnu que M. Desmet a eu un vote de plus que M. Vilain XIIII. Déclarera-t-elle qu’il y aura un scrutin de ballottage pour M. Desmet tout seul. ? mais non, car il ne peut y avoir de scrutin de ballottage que lorsqu’il y a au moins deux personnes à ballotter. Déclarera-t-elle que le bureau principal de Termonde a eu tort de dire que c’était M. Vilain XIIII qui était l’élu et que c’était M. Desmet représentant ? Dès lors supprimez la loi électorale, car du jour où la chambre pourra déclarer représentant un autre que celui que le bureau principal a déclaré, vous n’avez plus besoin d’élections : la chambre prendra qui bon lui semblera ; un candidat aura eu 50 voix de moins que son concurrent, il n’en pourra pas moins être représentant, si cela plaît à la chambre, la chambre décidant sans contrôle, et pouvant déclarer élu un autre que celui que le bureau principal aura proclamé.
Et voyez où cela nous conduit. Avec un tel principe, que n’aurait-on pas à craindre dans des temps de trouble, dans des temps d’agitation, où les majorités sont toujours envahissantes, et où le pays n’est pas assez calme pour s’occuper beaucoup de matière électorale ? En pareil temps, si l’on admettait ces principes, il n’y aurait plus d’élection. La chambre choisirait ses membres, comme une académie, par exemple, choisit les siens.
Messieurs, je bornerai là mes observations, parce que si on les joint à celles qui ont été présentées par d’honorables orateurs qui ont défendu la même cause, il me semble devenu de toute évidence que la chambre ne peut pas revenir sur son vote de samedi, et subsidiairement que si même elle voulait y revenir, ce ne serait plus que pour dire qu’en déclarant non valable l’élection de M. Desmet, elle a entendu annuler toutes les opérations électorales en ce qui concerne le second scrutin.
M. Dolez – Messieurs, je ne discuterai pas la question du fond ; je me rallie entièrement aux arguments présentés par les honorables MM. Devaux et de Brouckere. Je me contenterai de citer un antécédent dans lequel le système des droits acquis invoqué par la commission n’a pas été admis et n’a pas même été invoqué.
Voici cet antécédent :
En 1835, lors de l’élection de Mons, deux candidats avaient obtenu à peu près le même nombre de suffrages, M. Duval de Beaulieu et M. de Puydt, notre collègue. Le bureau principal, croyant pouvoir attribuer à M. Duval de Beaulieu certains votes portant le baron Duval, l’avait proclamé au premier tour de scrutin. Différents électeurs, et je puis en parler d’une manière authentique, car j’étais du nombre de ceux qui protestèrent contre cette décision, prétendant qu’il devait être procédé à un scrutin de ballottage entre MM. Duval de Beaulieu et de Puydt, la réclamation fut déférée à la chambre. La chambre reconnut qu’en effet c’était à tort que le bureau principal avait attribué la majorité absolue à M. Duval de Beaulieu. Quelle devait être la conséquence de cette décision dans le système de droits acquis que veut faire prévaloir la commission ? C’était qu’il fallait procéder à un scrutin de ballottage entre M. de Puydt et son concurrent, qui avait obtenu à peu près le même nombre de suffrages. Comment procéda la chambre ? par l’annulation de l’élection de M. Duval de Beaulieu. Comment le gouvernement entendit-il cette décision ? dans le sens de l’opinion que nous soutenons.
Voici le texte de l’arrêté du roi :
« Léopold, etc.
« Attendu que l’élection de M. le comte Duval de Beaulieu, en qualité de membre de la chambre des représentants, a été annulée à la séance du 7 de ce mois ;
« Vu l’article 30 de la loi électorale ;
« Sur le rapport de notre ministre de l’intérieur ;
« Nous avons arrêté et arrêtons :
« Art. 1er. Le collège électoral du district de Mons est convoqué pour le 1er septembre prochain à l’effet d’élire un membre de la chambre de représentants.
« Article 2. Notre ministre de l’intérieur est chargé de l’exécution du présent arrêté. »
Voilà donc comme le ministre de l’intérieur d’alors, qui est encore le ministre de l’intérieur d’aujourd’hui, a cru devoir procéder après l’annulation de l’élection de M. le comte Duval de Beaulieu. Il a fait procéder à des élections complètes, laissant aux électeurs une liberté absolue ; M. Rémy de Puydt fut proclamé député au premier tour de scrutin.
Après un antécédent pareil, y a -t-il possibilité de revenir sur la règle si sage suivie à cette époque ?
Plusieurs orateurs ont démontré qu’il y avait au moins un doute très grave ; s’il y a doute, il faut respecter les antécédents ; il faut respecter le voeu des électeurs qui doit être libre dans sa manifestation.
Au fond j’ajouterai une seule considération à celles qui vous ont déjà été soumises. On a démontré par différentes hypothèses les dangers que présente le système préconisé par la commission. J’en entrevois un plus grave que tous ceux qui nous ont été cités. Dans l’espace de quelques mois, n’est-il pas possible que deux hommes qu’on croyait dignes des suffrages de leurs concitoyens aient démérité de la manière la plus évidente, soient devenus complètement indignes non seulement de la confiance des électeurs, mais même de l’insigne honneur de siéger dans cette enceinte ? Eh bien si vous adoptez le système de la commission, qu’en résultera-t-il ? c’est que les électeurs sont obligés de voter pour deux indignes ; et la représentation nationale doit ouvrir son sein à un indigne !
Quand de pareils résultats sont atteints par un système, il est juge, il faut infailliblement le repousser, je voterai contre le rapport de la commission et en agissant ainsi, je crois voter conformément à l’esprit de la loi électorale.
M. Dechamps – Pour bien apprécier la question qui nous occupe, il est bon de se rappeler les faits qui ont soutenu cette question. Vous vous souvenez que lorsque les élections de Termonde se sont présentées à notre vérification, une première question a été soulevée, celle de savoir si le scrutin intermédiaire ordonné par le bureau de Termonde ne violait pas l’article 36 de la loi électorale. Une deuxième question a ensuite été soulevée, elle était relative à la portée de la décision de la chambre, si elle prononçait l’annulation de l’ élection. Vous vous souvenez que des interpellations très vives ont eu lieu de la part de MM. Devaux et Dolez, et que ces honorables membres ont refusé de participer au vote parce qu’ils n’en connaissaient pas la portée. Dans leur opinion, il y avait doute si la chambre, en annulant l’élection de M. Desmet, annulait l’élection entière, ou seulement le deuxième scrutin. Les avis étaient partagés, plusieurs orateurs soutenaient l’opinion contraire. Des membres ont demandé comment le gouvernement interpréterait la loi. Il y avait doute si la chambre était maîtresse de résoudre la question avant de voter sur l’élection de M. Desmet ; et moi-même, si la clôture n’avait pas été prononcée, j’aurais présenté un amendement tendant à résoudre cette question subsidiaire. Vous voyez donc que l’argumentation de MM. de Brouckere et Mercier, qui consiste à dire que pour juger les contestations relatives aux vérifications de pouvoirs, il faut qu’il y ait un membre en cause ; cette question qui est soulevée maintenant n’est pas autre que la première ; c’est une interprétation de notre premier vote ; c’est une déclaration que la chambre doit faire sur la portée de ce vote.
Plusieurs membres ont provoqué cette interprétation. Peu importe maintenant que nous ayons discuté et résolu cette question avant de prononcer sur l’annulation de l’élection ou que nous nous en occupions maintenant ; il n’en résulte pas moins que ces deux questions n’en forment qu’une. Je ne vois pasl a portée de l’argumentation de nos adversaires qui pensent que parce que nous avons d’abord annulé l’élection de Termonde, nous n’avons plus rien à y voir.
La question de compétence est renfermée dans les deux articles de la loi électorale et de la constitution. Plusieurs orateurs ont prétendu que l’interprétation qu’ils donnaient à cette décision était évidente ; j’avoue qu’avec la meilleure volonté du monde, je ne puis m’empêcher de trouver la mienne également évidente. Nos adversaires disent que la chambre juge les contestations qui s’élèvent au sujet des pouvoirs de ses membres. Mais ils ont oublié un mot important, le mot « vérification » ; l’article de la constitution dit que la chambre juge des contestations qui s’élèvent au sujet de la « vérification des pouvoirs de ses membres ». Les termes de l’article sont généraux ; toute considération qui s’élève au sujet de la vérification des pouvoirs de ses membres, dit l’article, est jugée par la chambre.
Voyez quel serait le résultat de l’argumentation judaïque qu’on nous oppose. Il en résulterait une impossibilité. S’il fallait qu’il y eût un membre sur la sellette, voici la conclusion à laquelle nous serions forcés d’arriver. C’est que lorsque nous vérifions les pouvoirs d’un élu, nous ne pourrions pas annuler son élection, parce qu’il n’y aurait pas de membre en cause, un élu n’étant membre de la chambre que quand ses pouvoirs ont été vérifiés et qu’il a été admis. Les termes de la constitution sont clairs, elle consiste la chambre juge suprême de toutes les contestations qui peuvent s’élever à l’occasion de la vérification des pouvoirs de ses membres. L’article 40 de la loi électorale n’est pas moins explicite. J’ai déjà répondu à plusieurs objections. Quelques membres ont attribué aux mots : « en ce qui concerne leurs membres, » un sens qu’ils ne comportent pas. Comme il est parlé, dans l’article, de la chambre des représentants et du sénat qui prononcent sur la validité des pouvoirs de leurs membres, il fallait bien ajouter que c’était en ce qui concerne leurs membres respectifs. Il me paraît clair que la chambre, en vertu de cet article, prononce sur la validité des opérations électorales en ce qui concerne l’élection de ses membres.
J’arrive à la question du fond, et je tâcherai de résumer brièvement cette discussion en prenant les objections quoi m’ont paru les plus fortes.
Il me paraît que les orateurs qui ne partagent pas l’avis de la majorité de la commission n’ont pas attaqué directement notre thèse. Ils se sont laissés allés à des suppositions plus ou moins impossibles, plus ou moins chimériques ; ils ont tourné autour de la question, sans vouloir l’aborder de front. Quand la commission vous disait qu’il lui paraissait évident que le premier tour de scrutin accordait des droits de deux sortes : le droit d’être élu au baron de Terbecq, parce qu’il avait réuni la majorité absolue des suffrages, et le droit d’être ballottés ensemble à MM. de Decker et Vilain XIIII ; la commission, en vous disant qu’il lui paraissait évident que ces derniers droits acquis étaient aussi positifs que celui de M. de Terbecq, n’a pas cru résoudre la question par la question.
En supposant qu’aucune cause de nullité ne fût intervenue dans les élections de Termonde, il n’est pas contestable que le droit était acquis à MM. de Decker et Vilain XIIII d’être ballottés exclusivement ensemble, sans qu’on pût admettre un troisième candidat.
En annulant l’élection de M. Desmet, la chambre a annulé les opérations du deuxième scrutin, mais a-t-elle annulé aussi les opérations du premier scrutin ?
On a dit que les opérations du premier scrutin étaient complètes relativement à l’élection de M. de Terbecq, mais qu’il n’en était pas ainsi à l’égard des autres ; c’est là une erreur. Ces opérations sont complètes à l’égard de MM. Vilain XIIII et de Decker, comme à l’égard de M. de Terbecq. Elles sont complètes en ce sens qu’elles donnent à ces messieurs le droit d’être ballottés. On dit que vous liez les électeurs ; mais évidemment ce sont les électeurs qui se sont liés eux-mêmes, en donnant le plus grand nombre de voix à MM. de Decker et Vilain XIIII.
L’honorable M. de Brouckere a dit que pour qu’il y eût droit acquis, il fallait qu’il fût irrévocable ; eh bien précisément il l’est. Je suppose toujours qu’aucune cause de nullité ne fût intervenue dans l’élection de Termonde ; eh bien, après le premier tour de scrutin, est-ce que le droit de MM. de Decker et Vilain XIIII n’était pas irrévocable ?
Dans une foule de cas, lorsqu’il s’agit de nullités, la loi consacre les principes que nous invoquons. Je ne vous citerai qu’un exemple : L’article 408 du code d’instruction criminelle dispose que, lorsqu’ « il y aura eu violation ou omission de quelques-unes des formalités que le Code prescrit sous peine de nullité, cette omission ou violation donnera lieu, sur la poursuite de la partie condamnée ou du ministère public, à l’annulation de l’arrêt de condamnation, et de ce qui l’a précédé, à partir du plus ancien acte nul. »
On vous a rappelé qu’il y a des précédents ; que deux conseils provinciaux, devant lesquels la question s’est présentée, n’ont pas hésité à la résoudre de la même manière que nous. Les conseils provinciaux du Hainaut et de Liége, dans la même question, n’ont pas annulé l’élection entièrement ; ils ont décidé qu’il fallait procéder, non à une élection entière, mais à un scrutin de ballottage.
On a argumenté de l’inconvénient de séparer les deux scrutins d’une élection par un intervalle de plusieurs mois ; on vous a dit que le corps électoral ne serait plus composé des mêmes personnes.
Mais on se tromperait en considérant le corps électoral seulement comme composé des mêmes individus ; C’est un être moral, n’importe de quels individus il se compose. Cela est tellement vrai, que les individus qui forment le corps électoral au commencement des opérations électorales ne sont plus les mêmes qui le forment à la fin de l’élection.
Il y a un précédent dans la chambre. Lors de l’élection de M. Corneli, il y a eu une suspension assez longue dans les opérations électorales. Du reste, veuillez bien le remarquer, et nous ne sortons pas de cette idée, c’est que nous avons à déclarer un principe. Nous devons déclarer quel principe nous adoptons à l’occasion de l’élection de Termonde. Le reste est l’affaire des électeurs. Remarquez que toutes les objections que l’on fait relativement à l’élection future, auraient pu être soutenues lors de la première élection. On vous a dit : Vous allez enchaîner les électeurs. Mais ils étaient déjà enchaînés ; car je le répète, par le premier tour de scrutin, ils s’étaient enchaînés eux-mêmes. Quelle injustice peut-il y avoir à remettre les choses comme elles se trouvaient, surtout alors que c’est par l’erreur du bureau principal, et non par celle des électeurs qui ont protesté, que l’erreur a été commise et que l’élection a été entachée de nullité.
Je me bornerai à ces observations.
- Les conclusions de la commission, tendant à ce que la chambre déclare qu’elle n’entend annuler dans les élections de Termonde que les seules opérations électorales qui ont suivi le premier tour de scrutin, sont mise aux voix par appel nominal.
Voici le résultat du vote :
60 membres sont présents.
3 (MM. Ullens, de Nef et Vanderbelen) s’abstiennent.
57 prennent part au vote.
33 votent pour l’adoption.
24 votent contre.
La chambre adopte.
Ont voté pour l’adoption : MM. Brabant, Coppieters, David, de Behr, Dechamps, de Florisone, de Foere, de Garcia de la Vega, de Potter, Demonceau, de Perceval, de Roo, de Sécus, Desmet, de Terbecq, de Theux, Dubus (aîné), B. Dubus, Dumortier, Fallon, Kervyn, Lys, Manilius, Mast de Vries, Metz, Morel-Danheel, Nothomb, Pirmez, Raikem, Simons, A. Rodenbach, Vandenbossche, Wallaert, Zoude, Vandensteen.
Ont voté contre : MM. Delehaye, Cools, de Brouckere, Lange, Devaux, de Villegas, d’Hoffschmidt, Dolez, Donny, Dubois, Duvivier, Jadot, Kervyn, Meeus, Mercier, Milcamps, Pirmez, Raymaeckers, Puissant, Sigart, Troye, Verhaegen, Van Cutsem, de Langhe, Vandenhove.
MM. de Nef, Ullens, et Vanderbelen déclarent s’être abstenus parce qu’ils n’ont pas considéré la chambre comme compétente et qu’ils ont pensé qu’elle n’avait plus aucun vote à émettre après avoir annulé l’élection de M. Desmet.
La séance est levée à 4 heures.