(Moniteur du 7 juin 1839, n°158)
(Présidence de M. Raikem)
M. de Renesse procède à l’appel nominal à 1 heure.
M. B. Dubus donne lecture du procès-verbal de la séance précédente dont la rédaction est adoptée.
M. de Renesse présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.
« Des habitants de la ville de Saint-Hubert demandent que la chambre maintienne le système de deux arrondissements judiciaires dans le Luxembourg. »
« Le sieur Claude Martin, tailleur en cristaux à Bruxelles, né en France et habitant la Belgique depuis 1817, demande la naturalisation. »
« La chambre de commerce et des fabriques de Venloo demande que les modifications aux droits d’entrée, etc., par la province de Limbourg soient étendues à d’autres branches de leur industrie. »
« Le sieur Delguste, journalier à Grand-Camp, demande une indemnité du chef des dommages qu’éprouve son habitation située au bas d’un remblai du canal d’Antoing. »
« Le sieur D.-D. Ernotte, à Bruxelles, demande que la chambre s’occupe du projet de loi relatif aux indemnités. »
« Le sieur Adrien Mertens à Loenhaut se plaint d’avoir reçu sa démission de receveur communal et demande que la chambre intervienne pour qu’il soit replacé. »
« Plusieurs signataires du mémoire de réclamation de la croix de fer demandent que la chambre s’occupe de cet objet. »
- La pétition du sieur Martin est renvoyée à M. le ministre de la justice ; les autres pétitions, moins celle des habitants de la ville de Saint-Hubert, sont renvoyées à la commission des pétitions chargée d’en faire le rapport.
M. Polfvliet informe la chambre que son état de santé ne lui permet pas encore d’assister à la séance.
- Pris pour notification.
Il est donné message de plusieurs messages du sénat faisant connaître l’adoption des projets de loi relatifs aux objets ci-après :
1° Crédit au département de la guerre pour l’apurement des créances comprises dans la loi du 24 mai 1838 ;
2° Taxe sur le port des journaux ;
3° Maintien de la qualité de Belge à des habitants des parties du Limbourg et du Luxembourg détachés de la Belgique ;
4° Péage du chemin de fer ;
5° Circonscription judiciaire du Limbourg ;
6° Officiers étrangers admis au service de la Belgique pour la durée de la guerre ;
7° Mise à la disposition du gouvernement des miliciens des classes de 1832, 1833 et 1834, jusqu’au 1er mai 1840 ;
8° Crédit au département de la guerre pour le payement des créances arriérées des exercices 1830 et 1831 ;
9° Nouvelle division administrative du Limbourg ;
10° Modifications à la loi électorale dans le Limbourg et le Luxembourg ;
11° Crédit au département de la marine pour l’établissement du service de pilotage ;
12° Cession du canal de Charleroy ;
13° Crédits au département des travaux publics pour dépenses à faire aux canaux de Terneuzen et Charleroy ;
14° Réorganisation des conseils provinciaux du Limbourg et du Luxembourg ;
15° Péage sur l’Escaut.
Il est ensuite donné lecture de trois messages du sénat, faisant connaître
1° La nomination des membres du jury d’examen ;
2° Le rejet du projet de loi relatif à l’élection d’un sénateur dans le Limbourg ;
3° L’adoption avec amendement du projet de loi relatif à la circonscription judiciaire du Luxembourg.
M. Zoude – Je demande que l’on donne lecture de la pétition des habitants de Saint-Hubert, concernant le projet de loi relatif à la nouvelle circonscription judiciaire du Luxembourg.
M. le président – On pourra statuer sur la proposition de M. Zoude, lorsqu’il s’agira de la discussion du projet de loi ; en attendant, la pétition restera déposée sur le bureau.
M. de Renesse – Messieurs, par pétition daté de Venloo du 3 de ce mois, la chambre de commerce de cette ville, demande que la chambre veuille adopter dans la session actuelle, quelques modifications au tarif des douanes en faveur des parties cédées du Limbourg, analogues à celles qui ont déjà été adoptées pour le Luxembourg.
En appuyant la pétition de cette chambre de commerce, je crois devoir observer avec elle, qu’il est urgent de faire droit à sa réclamation, qui est d’autant plus fondée, que déjà, pour le Luxembourg, les chambres et le gouvernement ont jugé nécessaire de prendre des mesures, pour empêcher la ruine de différentes industries de la partie cédée de cette province.
Pour le Limbourg, les mêmes raisons existent : toutes les industries qui réclament des modifications au tarif des douanes ont leurs débouchés en Belgique, et elles seraient anéanties, si leurs relations avec ce pays devaient entièrement cesser ; il leur serait d’ailleurs impossible de présenter leurs produits sur les marchés de la Belgique, sans une diminution des droits actuels. Vouloir mettre cette question si importante pour une partie de la province de Limbourg, à une autre session, ce serait occasionner des pertes considérables à l’industrie d’un pays, qui déjà, dans l’intérêt de la Belgique, doit subir un morcellement su désastreux, et l’on ferait en outre un préjudice assez notable aux habitants des parties belges du Limbourg et de la province de Liége, qui sont habitués à se servir de ces produits de l’industrie de ce pays d’outre-Meuse.
Comme il est probable, que la session de la chambre sera close dans une couple de jours, j’ai l’honneur de demander à M. le ministre de l'ntérieur, s’il ne compte pas présenter un projet de loi portant des modifications au tarif des douanes en faveur de certaines industries de la partie cédée du Limbourg, et pour le cas où le projet ne pût être présenté actuellement, je crois devoir recommander particulièrement à M. le ministre la demande de la chambre de commerce de Venloo, afin qu’à la prochaine session de la chambre, un pareil projet soit présenté à la législature.
M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Messieurs, le sénat a modifié le projet de loi relatif à la nouvelle circonscription judiciaire du Luxembourg. Ce projet amendé forme l’objet de la convocation ; je crois que la chambre est dans l’intention de s’en occuper séance tenante (Oui ! oui !) Désire-t-on renvoyer le projet de loi à la section centrale et suspendre un instant la séance ? La section centrale pourra faire tout de suite son rapport. (Adhésion.)
- Les membres de la section centrale sortent de la salle, la séance est suspendue à une heure et demie ; elle est reprise à deux heures moins un quart.
M. Heptia, rapporteur – Messieurs, la section centrale à laquelle vous avez renvoyé le projet de loi sur la circonscription judiciaire du Luxembourg, amendé par le sénat, vient vous proposer d’adopter ce projet. La section centrale n’a pas cru devoir rentrer dans la discussion de tous les détails du projet, parce que tous vous les connaissez ; elle s’est bornée à examiner s’il y avait convenance ou non d’adopter le projet de loi tel qu’il vous a été renvoyé.
La section centrale a pensé que le rejet du projet aurait des conséquences fâcheuses qu’il fallait éviter. En effet, le rejet, dans le moment actuel, équivaudrait à un véritable ajournement, et l’on ne peut se dissimuler que cet ajournement dans les circonstances où nous nous trouvons, pourrait avoir de graves conséquences. Le cours de la justice criminelle pourrait se trouver entravé ; il serait difficile, si pas impossible, de compléter le jury pour le service de la cour d’assises ; il surgirait probablement un grand nombre de difficultés en matière de procédure criminelle qui donneraient lieu à un grand nombre de pourvoi en cassation.
La section centrale a pensé aussi qu’il fallait ramener le calme dans les esprits et qu’il était nécessaire de faire cesser toute cette effervescence qui règne depuis longtemps dans le Luxembourg.
Ce sont ces considérations seules dont la section centrale s’est occupée ; elle n’est pas rentrée dans la discussion du projet primitif, ce serait chose oiseuse en ce moment ; vous avez tous présentes à l’esprit les raisons qui ont été mises en avant tant en faveur du système primitif du gouvernement, repris par le sénat, qu’en faveur de celui qui a été adopté dernièrement par la chambre. (Aux voix !)
M. Zoude – Messieurs, je ne viens pas examiner si le sénat en revenant sur l’ajournement qu’il avait d’abord adopté, a violé ou non son règlement ; cet examen n’est pas de ma compétence.
Mais ce qui m’appartient de faire, ce qu’il m’importe d’examiner, ce sont les motifs qui l’ont déterminé à revenir sur son premier vote ; car s’ils étaient fondés, ils devraient nécessairement exercer une grande influence sur la décision que vous allez prendre.
Mais je crois qu’il est loin d’en être ainsi ; en effet, qu’ont dit plusieurs honorables sénateurs ? qu’il fallait calmer l’agitation qui règne dans la province, et qu’ils le pouvaient aujourd’hui qu’ils étaient plus éclairés ; à quoi un autre orateur dont l’opinion ne se fait guère entendre que dans les grandes questions, ce qui donne plus de poids à ses paroles et lui concilie une grande influence sur ses collègues, ce sénateur, en preuve de lumières acquises, a ajouté que Neufchâteau n’avait pas perdu une seule commune, et qu’il y aurait injustice à supprimer un arrondissement resté intact, et puis un des ministres est venu dire qu’il fallait se hâter de prendre une décision satisfaisante pour la province.
Eh bien, messieurs, aucun de ces faits n’existe, il n’y a pas d’agitation dans la province, mais beaucoup d’inquiétude et bientôt il y aura du désespoir, si vous adoptez le projet qui vous est présenté.
Quant aux lumières qui sont survenues tout à coup, vous en apprécierez la portée, lorsque le sénateur qui ne se prononce d’ordinaire qu’après mûr examen, a dit consciencieusement sans doute, mais on ne peut plus erronément, que Neufchâteau ne perdait pas une commune ; ce que perd Neufchâteau par le projet, dont trois sont les plus populeux, les plus riches, les plus féconds en affaires, ce qu’il perd c’est la moitié de ses justiciables en nombre et les 2/3 en affaires.
Et, quant à la décision qu’on a dit satisfaisante pour le Luxembourg, je me permettrai de répondre à M. le ministre, qu’étant étranger à la province, il n’a pu apprécier toute l’importance de la décision.
Messieurs, le fait est que le projet du sénat mécontente toutes les populations sauf celle de Marche qui, échappée au naufrage, s’estimerait encore heureuse, quand son ressort eût été même réduit à des proportions plus exiguës, parce qu’au moins il conserve son existence.
Mais en est-il de même des autres arrondissements ? Non, certainement non.
Saint-Hubert, vous l’avez anéanti entièrement, et son palais de justice, d’un style grandiose, qui ne le cède en magnificence à aucun autre du royaume, ce palais n’aura plus d’écho, et à la honte de notre révolution à laquelle Saint-Hubert avait donné les gages les moins équivoques, ce palais n’offrira peut-être dans quelques années que des ruines, et il ne restera à Saint-Hubert que le souvenir d’avoir été le chef-lieu de la province avant la prise du Luxembourg par les Français ; il lui restera encore le souvenir d’avoir entendu les arrêts que la cour supérieure de Luxembourg venait y prononcer, lorsque la forteresse était investie ; il lui restera enfin le souvenir d’avoir possédé un chef-lieu administratif et judiciaire, qu’une révolution, qui devait réparer bien des torts, sera venu détruire tout à fait.
Et Neufchâteau, qui pendant quarante ans a été le siège du tribunal de la plus grande importance, verra-t-il avec cette satisfaction que l’on préconise, d’être abaissé au dernier rang, d’être privé de la moitié de sa population et de se voir enlevé les 2/3 de ses affaires ; et l’injustice, ou plutôt l’imprévoyance du projet qui enlève aux notaires de ce chef-lieu une position acquise à laquelle vous ne pouvez porter atteinte ; et cependant, par le silence du projet, vous les priveriez du droit d’instrumenter dans les cantons qu’on leur enlève, pour lesquels ils ont été assermentés, et qui forment la moitié de leur clientèle ; vous disposeriez ainsi de leur état et de leur fortune si vous adoptez le projet du sénat, sans un amendement au moins en ce qui les concerne.
L’on a pourvu au sort des notaires de Saint-Hubert, ceux de Neufchâteau valent bien la peine qu’on s’en occupe aussi.
Le tribunal d’Arlon sera-t-il plus satisfait ? Non ; Arlon qui ne date que de hier est mécontent de ce que l’on n’a pas assez spolié un tribunal voisin qui a 40 ans d’existence ; il fallait l’enrichir de plus de dépouilles. Et quel droit a-t-il à invoquer ? Aucun, car tous ses établissements il ne les possède qu’à titre provisoire, et il ne pouvait en être autrement, car si nos différends avec la Hollande s’étaient terminés comme nous l’avons espéré quelque temps, le siège provincial serait rentré à Luxembourg, et Arlon eut été rendu à ce qu’il était auparavant.
Seront-elles satisfaites les populations de ces cantons que vous arrachez à leurs habitudes, aux liens d’affection, aux relations d’affaires et au voisinage pour plusieurs ? seront-elles satisfaites d’être traînées au loin dans une ville dont les moeurs et le langage sont différents des leurs et où le déplacement sera plus frayeux par le plus grand éloignement d’abord, et ensuite parce que les prix de tous les objets sont plus élevés à Arlon. Ajoutez à ces inconvénients ceux qui résulteront de la gêne des douanes dans lesquelles Arlon sera enlacé.
Que dirai-je maintenant des souffrance de toutes les provinces, si, en adoptant le projet, vous établissez le tribunal principal à Arlon, c’est-à-dire au point le plus extrême de la province, c’est là que vous traînerez tous les justiciables pour les appels correctionnels, appels qui sont d’autant plus fréquents pour les délits forestiers que les communes sont plus boisées, et ce sont précisément celles qui sont les plus éloignées d’Arlon. Or, l’on sait que lorsqu’un délinquant de cette nature est acquitté par un tribunal de première instance, l’administration forestière interjette appel ; il en est de même pour une égratignure dans un cabaret ; le ministère public appelle d’un jugement d’acquittement, et prévenus et témoins devront se transporter à l’extrémité du pays, et la cour d’assises qui y siégerait aussi ; que de frais pour l’état par le déplacement des témoins, des jurys et que de pertes de temps pour tous et le temps. Messieurs, dans un pays comme le nôtre, c’est un trésor dont nous sommes fort économes ; il sera cependant gaspillé aux frais de l’état.
Et le maintien du tribunal principal à Arlon nous présage un autre malheur, celui du maintien du gouvernement provincial ; alors ce ne seront plus seulement les témoins, les jurés, les conseillers provinciaux, c’est nous tous qui devrons traverser une longue province pour solliciter ou pour défendre nos intérêts près de l’administration centrale, ce seront nos enfants pour la milice.
Sont-ce bien là les moyens de nous attacher à ce lambeau de partie allemande à laquelle on veut sacrifier les neuf dixièmes de la province ?
Messieurs, nous le disons franchement, il n’y a pas d’affection entre la population wallonne et la population allemande.
L’antipathie sépare les deux pays, elle a pour fondement la différence de langage, de mœurs, des habitudes ; en effet le mauvais idiome allemand qu’on y parle, donne généralement à ceux qui l’habitent un ton, une allure tudesque entièrement contraire aux formes plus douces des parties wallonnes. J’y ajouterai sans hésitation un esprit d’avidité dont, non seulement, les voyageurs mais encore les fonctionnaires établis à Arlon ont souvent eu à se plaindre. Je n’irai pas puiser les preuves de ce que j’avance dans les nombreuses pétitions que j’ai déposées sur le bureau ; on peut facilement faire croire que les expressions en sont exagérées ; j’en prendrai les preuves dans un document officiel, une lettre du gouvernement au ministre des finances, où il dit que les fonctionnaires et employés ont été rançonnés outre mesure ; que le prix des loyers y est excessif ; qu’ils ont été à des prix usuraires, que des fonctionnaires ont dû se retrancher du strict nécessaire pour satisfaire aux exigences des propriétaires coalisés.
J’ajouterai encore aux motifs d’antipathie l’égoïsme dont Arlon n’a cessé de faire preuve : c’est ainsi qu’il y a deux ans, le conseil provincial vota l’établissement d’un athénée à Saint-Hubert ; bientôt la ville fut en rumeur : il lui fallait encore cette institution, et la régence offrit vite une somme de 40 mille francs et un subside annuel, je crois de 10,000 francs. Au moyen de cette offre, le conseil révoqua le lendemain ce qu’il avait décidé la veille.
Messieurs, en voulant nous accoler à Arlon, vous voulez unir des éléments qui se repoussent mutuellement, vous renouvellerez le mariage de la Belgique avec la Hollande, et comme celui-ci on sera forcé de le rompre un jour.
Les vérités que je vous annonce, messieurs, elles vous seront présentées chaque année dans les doléances que ne cessera de vous adresser le conseil provincial, et lorsque persuadés par la force des raisons, par une expérience malheureuse, que le pays aura faite, vous serez ramené à changer l’ordre des choses que vous aurez établi, que de regrets vous éprouverez de vous être laissés entraîner par la précipitation.
Mais il faut indemniser Arlon, et quoiqu’il ait seul jusqu’ici profité des fruits de la révolution, je consens volontiers à cette indemnité ; mais ce n’est pas, comme on l’a dit, en faisant acte de présence en face du Luxembourg allemand, en y établissant une garnison moutonnière telle que serait celle des fonctionnaires attachés au chef-lieu administratif et judiciaire, mais bien par des bastions garnis de canons, par une forteresse enfin dont on s’est abstenu de parler jusqu’ici et pour cause peut-être.
Oui, Arlon sera fortifié, la sécurité du pays l’exige ; autrement il resterait ouvert jusqu’à la Meuse et l’ennemi pourrait être aux portes de Namur et de Dinant, qu’à peine la nouvelle de son irruption serait parvenue à Bruxelles.
Eh bien Arlon fortifié, ne sera-t-il pas largement indemnisé de ce qu’il aura pu perdre ? Les bâtisses qu’il a faites seront loin de suffire aux besoins d’une garnison dont la force devra toujours être en rapport avec celle du Luxembourg.
Mais si Arlon n’est pas fortifié, ce qui dépend du gouvernement seul, il y aurait une haute imprévoyance d’y placer les chefs-lieux des administrations, les archives, les caisses, etc., car alors je le demande, quel serait le fonctionnaire qui oserait s’abandonner au sommeil, si le moindre nuage venait à obscurcir l’horizon politique à une lieue de la confédération germanique, de la Prusse et un proche voisinage de la France.
Arlon sera donc fortifié ; et s’il ne l’était pas, il ne sera pas le siège de la province.
Messieurs, un grand magistrat, administrateur distingué, un homme profond, entouré de la vénération de ses administrés, M. Thorn enfin, dans son rapport au Roi comme gouverneur du Luxembourg, disait que tout l’avenir du pays se trouvait dans le choix du chef-lieu, que, libre dans son choix, le gouvernement devrait choisir le centre de la province, que ce centre ne pouvait pas être Arlon, lorsque pour s’y rendre des cantons éloignés il faudrait parcourir 20 à 30 lieues ; que c’est au choix d’une position excentrique qu’il fallait attribuer la prétendue stérilité du sol ardennais.
Eh bien ! puisqu’il s’agit de l’avenir du pays, où pouvons-nous puiser des lumières ailleurs que dans le conseil provincial, juge naturel des besoins de la province ? Le gouvernement lui-même, dans l’intérêt de sa responsabilité, doit satisfaire au devoir de le consulter, et c’est alors seulement que chaque localité se soumettra avec résignation au sort qui l’attend, parce que tous nous aurons alors la conviction que les intérêts et les besoins de chacun auront été pesés et soigneusement examinés.
Persuadé que ce moyen est le seul qui puisse apaiser toutes les inquiétudes, je reviendrai à ma première proposition, celle de l’ajournement qui donner le temps de prononcer en parfaite connaissance de cause.
Si contre mon attente et celle de la province, à deux localités près, vous adoptez le projet qui place le tribunal principal à Arlon, je présenterai un deuxième amendement, celui que dicte la justice, d’autoriser les notaires du chef-lieu de Neufchâteau, à instrumenter dans tous les cantons qu’on distrait de son ressort.
Je demanderai finalement au ministère, comme solidaire du gouvernement déchu, comment et de quelle manière il acquittera la promesse royale donnée par Guillaume, d’indemniser complètement Saint-Hubert, le jour où la loi portant suppression de son tribunal sera mise à exécution.
L’accomplissement de cette promesse, nous la réclamons et j’adjure le gouvernement de s’en expliquer, si la loi du sénat vient à être adoptée.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Messieurs, mon intention n’est pas de répondre à tous les détails du discours que l’honorable député de Neufchâteau vient de prononcer. Ce discours vous paraîtra comme à moi-même un argument de plus en faveur d’une prompte solution de la question qui vous est soumise.
Si l’honorable M. Zoude dont toute la modération d’esprit et de caractère vous est connue, a cru devoir aller aussi loin dans les paroles qu’il vient de faire entendre ; s’il a cru devoir se livrer à des arguments, selon moi, en dehors de la question, et propres seulement à nourrir la division qui existe déjà dans la province, que sera-ce donc si vous laissez la question indécise, si vous la laissez s’agiter pendant plusieurs mois dans la province, si vous la livrez au conseil provincial futur du Luxembourg belge.
Je trouve donc dans les paroles de M. Zoude un argument de plus pour en finir. Je supplie la chambre de rendre par une solution quelconque le repos à la province ; la solution ne peut venir que d’en haut.
C’est à regret vous devez vous le rappeler, que le gouvernement avait abandonné le système des trois tribunaux ; le sénat y est revenu, en cédant à des motifs de convenance, à des circonstances que vous apprécierez, comme le sénat les a appréciées.
Je dois répondre à la partie du discours de l’honorable M. Zoude relative à Saint-Hubert. Je pense que le gouvernement doit chercher à procurer une indemnité quelconque à Saint-Hubert ; cet objet ne sera pas perdu de vue, et je crois pouvoir dire que mon honorable collègue, M. le ministre de l'ntérieur, fera de cette affaire un examen tout particulier ; mais il doit compter à cet égard sur le concours provincial.
Quant à l’amendement relatif aux notaires de Neufchâteau, c’est là une question qui n’a pas échappé au gouvernement ; mais c’est un objet qui réclame une instruction qui n’a pu être faite. Si l’honorable préopinant veut déposer un projet de loi spécial, je prends l’engagement d’en faire l’objet d’un examen particulier.
M. Metz – Messieurs, si ce que vient de vous dire l’honorable M. Zoude, de l’antipathie de la partie wallonne pour ce qui reste encore de la malheureuse partie allemande dans le Luxembourg réservé à la Belgique est vrai, on a dans cette antipathie et dans l’espèce de violence à laquelle l’honorable M. Zoude n’a pu échapper lui-même, le secret de tout ce qui a été dit contre Arlon.
Cette antipathie, si réellement la partie wallonne l’éprouve pour la partie allemande qu’un malheur commun doit unir intimement (très-bien !) n’est certainement pas partagée par nous.
Nous aimons à vivre avec la partie wallonne comme on aime à vivre avec de bons frères.
Nous allons donner à l’instant même une preuve des sentiments qui nous animent pour la partie wallonne, en votant pour le projet de loi qui tend à remettre Neufchâteau en possession d’un tribunal dont cette ville était réellement privée par notre première loi, loi que j’avais appuyée moi-même de toutes mes forces. Je pense répondre ainsi par des faits à ce que vient de dire l’honorable M. Zoude (Approbation.)
Messieurs, je suis appelé naturellement à justifier, sous un autre point de vue, le vote que je vais émettre. J’avais d’abord demandé que la réorganisation judiciaire du Luxembourg eût lieu de manière à n’attribuer à cette province que deux tribunaux ; j’ai cru qu’ils suffisaient à l’administration de la justice dans le Luxembourg ; je ne vous ai pas dissimulé en même temps les graves intérêts locaux qui se trouvaient en jeu, mais j’ai pensé qu’il fallait leur préférer l’intérêt général. Le sénat a eu une opinion différente ; il a pensé que ces intérêts locaux étaient assez graves pour faire fléchir un peu l’intérêt général : le sénat a donc modifié le projet de loi que nous lui avions envoyé.
Je me rallie au projet amendé par le sénat, et pourquoi ? Par le motif, que ce que j’ai surtout combattu vivement lors de la première discussion, ça été la question d’ajournement ; j’ai supplié alors la chambre de ne pas nous abandonner à un ajournement qui perpétuerait dans le Luxembourg les divisions malheureuses qui y règnent, divisions que M. le ministre des travaux publics vous a parfaitement signalées et que vous pourrez retrouver dans le discours de l’honorable M. Zoude.
Eh bien, si nous n’adoptions pas le projet de loi, nous arriverons forcément à cet ajournement qui prolongerait d’une manière déplorable l’agitation dans ce pays. Je viens maintenant, dans l’intérêt du Luxembourg, vous prier, messieurs, d’adopter le projet de loi amendé par le sénat.
M. de Behr – Si l’on veut ajourner le projet de loi, on doit ajourner les arrêts de la cour d’assises.
Des voix – L’on n’ajournera pas !
- L’ajournement est mis aux voix et n’est pas adopté.
La chambre passe à la discussion des articles du projet de loi.
« Art. 1. La province de Luxembourg est divisée en trois arrondissements judiciaires dont les chefs-lieux demeurent fixés à Arlon, à Neufchâteau et à Marche. »
- Adopté.
« Art. 2. L’arrondissement d’Arlon se compose des cantons d’Arlon, Messancy, Etalle, Fauvilliers, Florenville et Virton. »
M. Zoude – Je voulais présenter un amendement pour restituer le canton de Florenville à l’arrondissement de Neufchâteau ; mais je le retire à regret, puisque la chambre paraît disposée à adopter le projet de loi, tel qu’il a été modifié par le sénat.
- L’article 2 est adopté.
« Art. 3. L’arrondissement de Neufchâteau comprend les cantons de Neufchâteau, Paliseul, Sibret, Bastogne, Bouillon, Saint-Hubert et Wellin.
« Art. 4. L’arrondissement de Marche se compose des cantons de Marche, Durbuy, Erezee, La Roche, Houffalize, Vielsalm et Nassogne. »
« Art. 5. Le nombre des juges composant le tribunal d’Arlon est réduit à six, y compris le président et le vice-président. »
« Le nombre de juges composant le tribunal de Neufchâteau est réduit à trois, y compris le président ;
« Ces réductions s’opéreront au fur et à mesure des vacatures. »
« Art. 6. Toutes les sections d’une même commune font partie du canton auquel appartient le chef-lieu de la commune. »
« Art. 7. Les membres du tribunal de Saint-Hubert continueront à jouir de leurs traitements, jusqu’à ce qu’ils soient replacés. »
« Art. 8. Le cens requis pour être porté sur la liste des jurés dans la province de Luxembourg est réduit pour les communes autres que celles du siège ordinaire de la cour d’assises, à 90 fr. »
« Art. 9. Les citoyens qui auront fait partie du jury et qui auront satisfait aux réquisitions à eux faites, n’auront droit à être dispensés que pendant les quatre sessions suivantes. »
« Dispositions transitoires
« Art. 10. Les nouvelles listes du jury pour le service de la cour d’assises seront dressées par la députation et réduites, conformément à la loi, dans les délais qui seront déterminés par le gouvernement. »
- Ces articles sont successivement adoptés.
« Art. 11. Les affaires pendantes devant le tribunal de Saint-Hubert qui, par suite de la nouvelle circonscription, deviendraient respectivement de la compétence, soit du tribunal de Neufchâteau, soit de celui de Marche, y seront poursuivies sur une assignation faite à personne ou à domicile. »
M. de Behr – Il y a une lacune dans cette disposition. On y parle bien des affaires pendantes devant le tribunal de Saint-Hubert et on pose les règles d’après lesquelles elles seront poursuivies devant les tribunaux d’Arlon et de Neufchâteau. Mais il y a des cantons distraits de l’arrondissements judiciaire de Neufchâteau et adjoints à l’arrondissement d’Arlon. Il n’y a pas de mode prescrit pour ces affaires qui devront être portées devant le tribunal d’Arlon. Je pense que le gouvernement pourra par un arrêté pris en exécution de la loi disposer qu’il sera procédé pour ces affaires de la même manière que pour celles qui sont maintenues pendantes devant le tribunal de Saint-Hubert et qui deviennent de la compétence d’un autre tribunal.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) - Le cas n’est pas aussi grave qu’on pourra le croire d’après l’observation de l’honorable préopinant. Le tribunal de Saint-Hubert disparaît. Il est évident qu’il fallait une disposition pour décider de quelle manière seraient poursuivies les affaires pendantes devant ce tribunal et qui seront du ressort des tribunaux de Marche et de Neufchâteau. Mais le tribunal de Neufchâteau subsiste toujours ; et d’après les informations que j’ai prises, toutes les affaires pendantes devant ce tribunal et qui deviendraient de la compétence du tribunal d’Arlon, lesquelles sont en très petit nombre, pourront être jugées très prochainement. Le gouvernement pourra s’informer de l’époque à laquelle ces affaires seront terminées, et fixer en conséquence l’époque de la mise à exécution de la loi. Si cela n’était pas possible le gouvernement vous proposerait une disposition spéciale au commencement de la session prochaine. Dans tous les cas mieux vaut ajourner ces affaires là qu’ajourner toute la loi.
- L’article 11 est mis aux voix et adopté.
Les articles 12 et 13 sont mis aux voix et adoptés ; ils sont ainsi conçus :
« Art. 12. Les notaires actuels de résidence à Saint-Hubert auront le droit d’instrumenter dans tout le ressort de l’arrondissement de Neufchâteau.
« Les avoués et huissiers exerçant près le tribunal de Saint-Hubert auront le droit d’exercer prés de celui de Neufchâteau ou de Marche, d’après le choix qu’ils feront immédiatement à la suite de l’exécution de la présente loi et dont ils donneront connaissance au gouvernement. »
« Art. 13. Le gouvernement fixera l’époque de la mise à exécution de la présente loi. »
La chambre procède par appel nominal sur l’ensemble de la loi ; en voici le résultat :
59 membres prennent part au vote.
56 votent pour l’adoption.
3 (MM. Heptia, Vandenbossche et Zoude) votent contre.
La chambre adopte.
Ont voté pour l’adoption : MM. Andries, Van Cutsem, Berger, Brabant, Coghen, de Behr, de Brouckere, Dechamps, de Longrée, W. de Mérode, Demonceau, de Nef, de Perceval, de Puydt, Dequesne, de Renesse, de Sécus, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, Devaux, Doignon, Dolez, B. Dubus, Duvivier, Eloy de Burdinne, Fallon, Frison, Sigart-Goffin, Hye-Hoys, Jadot, Lebeau, Lecreps, Lejeune, Liedts, Manilius, Mast de Vries, Mercier, Metz, Milcamps, Morel-Danheel, Nothomb, Peeters, Pirmez, Raikem, Raymaeckers, A Rodenbach, C. Rodenbach, Simons, Smits, Thienpont, Trentesaux, Ullens, Vandenhove, Vanderbelen, Van Volxem, H. Vilain XIIII.
M. le président – La parole est à M. Brabant pour un fait personnel.
M. Brabant (pour un fait personnel) – Je vais avoir l’honneur de donner lecture à la chambre du passage d’un discours prononcé à la dernière séance par un honorable représentant d’Anvers, qui n’est pas présent. J’ai attendu jusqu’à ce moment dans la pensée qu’il viendrait peut-être à la séance. M. Rogier s’est exprimé ainsi :
« Depuis 1832, la commission des finances est saisie d’un grand nombre de dossiers dont beaucoup ont été égarés, on ne sait où ils sont. Je demanderai ce que sont devenus divers dossiers de créances de la province d’Anvers, qui étaient entre les mains de la commission des finances et dont M. brabant, qui est malheureusement absent, était rapporteur.
Le projet de loi relatif à ces créances avait été présenté le 16 avril 1836. La commission des finances s’en est occupée dans le commencement de décembre de la même année, et a nommé rapporteur un représenta d’Anvers ; cet honorable membre ayant cessé de faire partie de la chambre, n’a jamais fait son rapport. La commission des finances m’a nommé rapporteur en mars 1838, et j’ai fait le rapport. Mais aucune pièce n’a été égarée. Après l’adoption du projet de loi par la chambre, les pièces ont été remises à M. le ministre de la guerre pour la discussion au sénat. J’ai une lettre de M. le ministre de la guerre qui justifie du renvoi de ces pièces. Je trouve donc que l’honorable M. Rogier aurait pu se dispenser de diriger contre moi une semblable imputation.
M. le président – La parole est à M. Zoude.
M. Zoude – M. le ministre des travaux publics a déclaré tout à l’heure que M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères à indemniser la ville de Saint-Hubert. Je demanderai quel genre de compensation lui sera accordé.
M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Vous comprenez que je ne puis à cet égard faire aucune promesse spéciale. Tout ce que je puis dire, c’est que j’examinerai avec soin les propositions du conseil provincial tendant à accorder un dédommagement quelconque à la ville de Saint-Hubert.
M. de Brouckere – Il faut avant tout que la régence fasse sa demande d’indemnité.
M. Doignon – Une affaire très grave préoccupe en ce moment tous les esprits ; je veux parler de la ratification du fameux traité de séparation. Je demande au gouvernement s’il peut nous faire connaître l’état des choses à cet égard, s’il peut nous dire si les ratifications sont arrivées, si elles ont été données purement et simplement et si comme nous l’espérons bien, elles ne sont pas encore accompagnées de réserves et de restrictions auxquelles le gouvernement aurait acquiescé comme précédemment.
M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Messieurs, je puis répondre que les ratifications de la part des puissances sont toutes arrivées ; elles sont pures et simples. Dans la séance du 31 mai, la conférence en a fixé l’échange au 8 de ce mois, si faire se peut. De notre part, les ratifications ont été expédiées de Bruxelles, lundi dernier, de manière que l’échange pourra avoir lieu au plus tard le 8.
Je saisirai cette occasion pour informer la chambre que l’erreur qui avait été commise dans la réduction du tonneau néerlandais en pieds anglais a été rectifiée ; d’après cette rectification, ce sera exclusivement le tonneau néerlandais qui servira de base à la perception du droit.
M. le ministre donne ensuite lecture de l’arrêté royal suivant :
« Léopold, Roi des Belges,
« A tous présents et à venir, salut,
« Vu l’article 70 de la constitution,
« De l’avis de notre conseil des ministres,
« Nous avons arrêté et arrêtons :
« Art. 1er. La session de 1838-1839 de la chambre des représentants et du sénat est close.
« Art. 2. Le présent arrêté sera communiqué à la chambre des représentants et au sénat, par notre ministre de l’intérieur et des affaires étrangères.
« Donné à Bruxelles, le 6 juin 1839.
« Léopold,
« Par le Roi : Le ministre des l’intérieur et des affaires étrangères, de Theux. »
M. le président – Aux termes de la constitution, l’assemblée doit immédiatement se séparer. La séance est levée.
- La chambre se sépare aux cris de « Vive le Roi. »