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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 20 mai 1839

(Moniteur des 20 et 21 mai 1839, n°140-141)

(Présidence de M. Raikem)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Lejeune procède à l’appel nominal à 1 heure.

M. Kervyn donne lecture du procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Lejeune présente l’analyse des pétitions suivantes :

« Le conseil communal d’Izel demande le maintien du tribunal de première instance de Neufchâteau et du canton de Florenville dans le ressort de ce tribunal. »

« Le conseil communal de Virton demande que cette ville soit le siège de l’athénée provincial et de l’administration. »

- Ces deux pétitions resteront déposées sur le bureau pendant la discussion des projets de loi sur la circonscription.


M. d’Huart informe la chambre qu’une maladie grave survenue à l’aîné de ses enfants l’empêche d’assister aux travaux de la chambre.

- Pris pour notification.

Projet de loi portant des modifications à la loi électorale pour les provinces de Limbourg et de Luxembourg

M. de Behr dépose le rapport de la section centrale sur le projet de loi contenant des modifications à la loi électorale.

Rapport de la section centrale

Projet de loi tendant à faire procéder à l'élection d'un sénateur dans les arrondissements de Tongres et de Maeseyck

Rapport de la section centrale

M. Lejeune dépose le rapport de la section centrale sur le projet de loi tendant à faire procéder à l’élection d’un sénateur dans les arrondissements de Tongres et de Maeseyck.

- Ces deux projets sont mis à l’ordre du jour.

Projet de loi accordant un crédit extraordinaire pour les travaux sur les canaux de Gand à Terneuzen et de Bruxelles à Charleroi

Dépôt

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) dépose un projet de loi relatif à une demande d’un crédit extraordinaire de 658,802 francs 47 centimes pour les travaux de Gand et Terneuzen et de Bruxelles à Charleroy.

Avant de descendre de la tribune, M. le ministre des travaux publics donne les explications verbales qui suivent :

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) - Messieurs, le projet que je viens de déposer l’adoption de la convention relative au canal de Charleroy. Il y a peu de jours que la commission chargée d’examiner la question qui se rattache à ce canal, a déposé son rapport. Elle conclut aujourd’hui à l’adoption de la convention.

Il résultera de l’adoption de la convention un excédant assez considérable sur la recette de cette année, pour qu’on puisse espérer que la dépense extraordinaire à faire pour le canal de Gand à Terneuzen se trouvera couverte par cet excédent.

C’est là ce qui a engagé le gouvernement à réunir les deux objets.

Les trois crédits dont la demande fait l’objet du projet de loi, s’élèvent ensemble à 658,802 fr. 47 c. Je vous disais, messieurs, qu’il serait probable que nous pourrions couvrir cette dépense par les seules recettes du canal de Charleroy qui seront faites pendant les sept mois de cette année (nous supposons que le canal soit repris à partir du mois de juin.) En effet, pendant les sept mois, octobre 1838 à avril 1839, le canal a produit 525,659 fr. 67 c. : différence en plus sur les crédits demandés, 133,132 fr. 70 c.

Mais il est à observer que nous sommes à la veille d’une augmentation considérable dans la navigation du canal, par deux causes : l’ouverture des embranchements et la rentrée des charbons belges en Hollande.

Il suffit que cette augmentation atteigne en 7 mois le chiffre de 44,000 tonneaux pour couvrir la différence qui vient d’être indiquée.

Ainsi, si nous avions demandé séparément un crédit pour le canal de Gand à Terneuzen, il aurait fallu trouver sur les revenus ordinaires du budget la somme nécessaire de 217,000 francs. Si, au contraire, la chambre peut en même temps statuer sur la question (suffisamment instruite) de la reprise du canal de Charleroy, toutes les dépenses pourront se faire sans bourse délier.

Je proposerai donc que la chambre renvoie le projet de loi à la section centrale du budget des travaux publics, réunie à la commission du canal de Charleroy.

- Cette proposition est adoptée.

M. Zoude déclare que le rapport sur la question du canal de Charleroy sera distribué demain soir.

Projet de loi sur la circonscription judiciaire du Luxembourg

Discussion générale

M. de Puydt (pour une motion d'ordre) – Messieurs, nous avons à l’ordre du jour d’aujourd’hui le projet de circonscription judicaire pour le Luxembourg.

On ne contestera pas, messieurs, que le terme légal de notre session ne soit près d’expirer, et que par conséquent il ne convienne de ne s’occuper que de projets extrêmement urgents. Or je considère le projet de circonscription judiciaire du Luxembourg comme n’étant pas extrêmement urgent, et je crois qu’il devrait être ajourné.

Il y avait dans le Luxembourg, avant le morcellement, cinq arrondissements judiciaires. Par le morcellement, l’un de ces arrondissements est entièrement séparé. Un autre a été fractionné. Il n’en reste plus, je pense, qu’environ deux cantons. Mais c’est précisément dans ces deux cantons que se trouve le chef-lieu d’un tribunal. Ainsi, il est pourvu aux besoins de la justice dans toutes les parties du Luxembourg qui nous reste.

Il n’y a donc pas sous ce rapport nécessité de nous occuper du projet de circonscription qui est soumis à nos délibérations.

D’un autre côté, le gouvernement a présenté un projet, et dans son exposé des motifs, il en a indiqué un autre. La députation provinciale consultée sur la matière a présenté également un projet différent de celui du gouvernement, et elle en a aussi indiqué un autre.

Voilà de compte fait quatre projets. Les villes de Marche, Saint-Hubert et Neufchâteau ont pareillement proposé des projets, tous projets différents entre eux, différents de ceux du gouvernement et de ceux de la députation provinciale. Dans tous, c’est une confusion de prétentions, d’idées qui prouve évidemment que la matière n’est pas suffisamment éclairée, et cela vient, comme l’on peut s’en convaincre par l’examen des pièces, de ce que l’organe naturel de l’opinion et des besoins de la province n’a pas été consulté, je veux parler du conseil provincial.

Je pense donc que la chambre ferait sagement, si elle ajournait le projet de loi qui n’est pas urgent, pour s’occuper des lois qui doivent être nécessairement votées avant notre séparation, qui sera prochaine.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Messieurs, le gouvernement doit s’opposer à l’ajournement qui vient d’être proposé. La chambre s’associera sans doute aux motifs qui engagent le gouvernement à insiste pour qu’on stature sur la nouvelle circonscription, qui est devenue malheureusement nécessaire dans le Luxembourg.

Le gouvernement, le pays se trouvent dans une positon extraordinaire, et il est indispensable pour le gouvernement que le pays en sorte.

Ce serait, selon moi, agir contrairement aux intérêts des deux provinces qui doivent être morcelées, que d’ajourner une question aussi irritante que celle que soulève la circonscription nouvelle.

La question, quoiqu’ait dit l’honorable préopinant, est suffisamment éclairée. Il y a un grand nombre d’opinions, mais cette diversité d’opinions s’explique par la diversité d’intérêts locaux qui se rattachent à cette question. Dans trois mois, dans six mois, vous vous retrouverez en présence des mêmes intérêts, avec cette différence que vous aurez prolongé l’incertitude dans les deux provinces, et contribué à exciter encore davantage les passions.

Il faut, dit l’honorable préopinant, que l’organe naturel de la province soit consulté. Il est vrai que les conseils provinciaux du Limbourg et du Luxembourg n’ont pas été consultés, mais ils n’ont pu l’être. Le gouvernement, prenant en considération l’urgence de la mesure, a consulté, aux termes de la loi provinciale, la députation des états de chacune des deux provinces ; les avis de ces deux collèges vous sont connus. Dès lors le gouvernement a satisfait à la loi provinciale ; il y a satisfait autant que l’exigeaient les circonstances ; peut-être même eût-il pu se dispenser de consulter les députations. Car je crois que lorsqu’on a dit dans la loi provinciale qu’on devait consulter les conseils provinciaux sur les circonscriptions administratives et judiciaires, on a entendu parler de changements faits en temps ordinaire, et non pas d’une réorganisation administrative et judiciaire devenue nécessaire par suite d’événements politiques qui bouleversent subitement toutes les situations dans deux provinces.

C’est ainsi qu’à la rigueur l’on aurait pu entendre la loi provinciale ; le gouvernement ne s’est pas arrêté à cette interprétation. Voulant obtenir une instruction complète, il n’a pas hésité à consulter la députation de chacune des deux provinces.

Le gouvernement, dans un autre projet de loi qui vous est soumis, vous a demandé à être autorisé cette année à fixer lui-même l’époque de la réunion des conseils provinciaux du Limbourg et du Limbourg, et en vous demandant ce pouvoir extraordinaire, il tenait encore compte des circonstances. Le gouvernement attendra que ces deux provinces, telles qu’elles seront constituées par le traité du 15 novembre, soient en quelque sorte complètement rassises. C’est alors qu’on pourra assembler les conseils provinciaux, sans s’exposer aux discussions les plus animés, les plus dangereuses.

Il est donc possible que les conseils provinciaux ne soient réunis qu’en septembre ou octobre prochain. Eh bien, il ne faut pas leur livrer les questions qui se rattachent aux conséquences du démembrement politique des deux provinces. En un mot, il faut que pour la session provinciale dans les deux provinces, de même que pour la session parlementaire prochaine, il faut que la Belgique se trouve complètement reconstituée, il faut que le pays et le gouvernement soient sortis de la position extraordinaire où ils sont maintenant.

J’insiste donc pour que l’ajournement soit écarté.

M. Zoude – J’ai demandé l’ajournement et j’appuie, à cet égard, la proposition de M. de Puydt, parce que dans le Luxembourg, il y a absence complète des motifs invoqués par M. le ministre pour justifier du besoin d’organiser le Limbourg.

Il y a nécessité, dit-il, sous peine de voir la justice interrompue dans une partie de la province, et lorsque les circonstances ne permettent pas d’y suivre la marche plus que rationnelle, d’opérer d’abord la circonscription définitive des cantons.

Aucun de ces motifs ne milite pour le Luxembourg ; les justiciables des parties belges conservent leurs tribunaux.

Il n’y a donc pas d’urgence ; dès lors le gouvernement aura le temps de suivre la marche toute rationnelle de fixer d’abord la circonscription cantonale, dont les intérêts pourraient être compromis si on commençait par la fin, c’est-à-dire par la délimitation des arrondissements judiciaires.

La loi dit bien qu’on fera cesser les bizarreries que l’on rencontre çà et là, que des communes, par leurs fractions, appartiennent à deux arrondissements judiciaires.

Mais la nécessité forcera plusieurs communes à demander de changer de canton quand on les organisera, et alors dans quel dédale va-t-on s’aventurer ?

Rien donc, messieurs, ne justifie la précipitation avec laquelle on pousse à des changements qui, j’en conviens, peuvent avoir un bon côté, mais qui seront mal accueillis par des populations qui demande, avec instance, à la chambre, de ne se prononcer qu’en parfaite connaissance des choses.

Eh bien, messieurs, nous devons en faire aveu : accablés depuis plusieurs jours d’une masse de projets de loi, sortant à peine de la grave question de l’Escaut, qui a absorbé toute notre attention pendant une semaine, beaucoup d’entre vous conviendront qu’il ne leur est pas resté assez de loisir pour s’occuper de la question du Luxembourg, qui est aussi grave pour nous que celle de l’Escaut pour Anvers.

Le Luxembourg se trouve dans l’occasion heureusement rare, où l’on peut organiser tout à neuf, comme l’a dit un magistrat dont le Luxembourg s’honore et qui préside aujourd’hui l’administration de la province la plus étendue et la plus populeuse du royaume, il faut se garder d’une méprise qui pourrait compromettre, à toujours, le sort d’une province.

Veuillez donc, messieurs, vous hâter lentement, et je puis garantir que nos populations, lorsqu’elles seront assurées que vous avez pesé leurs intérêts dans la balance de la justice, se soumettront avec résignation à vos décrets.

Mais veuillez suivre la marche plus que rationnelle, a dit le ministre, de commencer par la circonscription cantonale.

Veuillez vous occupez d’une loi, plus urgente encore que celle qui vous est soumise et dont, jusqu’ici, on n’a pas encore parlé : c’est d’une modification à apporter nécessairement à la loi sur le jury que je veux parler ; celle qui est maintenant en vigueur ne peut plus être exécutoire dans le Luxembourg, et la cour d’assises de juillet prochain ne pourra avoir lieu, parce que le nombre des jurés qui nous restent n’est plus suffisant. Il n’y a plus dans le Luxembourg belge que 300 jurés, ; or, d’après les radiations qui doivent se faire par messieurs les présidents de première instance et d’appel, ce nombre se réduit à 114, qui ne sera donc plus ici que de 75. Or, on sait que pour un tirage au sort il en faut strictement 112. Il est donc urgent de s’occuper de la révision de la loi sur le jury si on veut que le cours de la justice ne soit pas interrompu dans le Luxembourg. J’insiste sur l’ajournement.

M. Metz – Messieurs, pour ceux qui ont fait partie de la section centrale, la question qui vient d’être jetée au milieu des débats , n’est pas neuve ; elle a été agitée dans le sein de la section centrale, elle a été soumise à un vote, et la section centrale à la majorité des six voix contre une voix que vous avez entendue aujourd’hui, la section centrale, dis-je, s’est prononcée contre l’ajournement. En cela, la section centrale a cru qu’elle servait les intérêts du pays bien mieux que ceux qui viennent aujourd’hui demander l’ajournement, pour laisser dans le Luxembourg un germe de discorde, pour y introduire, pour y perpétuer, si je puis dire, une espèce de guerre civile

Mais est-il besoin de chercher d’autres exemples de la vérité de ce que je viens de vous dire dans ce qui se passe autour de vous ? N’êtes-vous pas assaillis par des députations de toutes les localités du Luxembourg ? Les uns invoquent leur intérêt, les autres leur droit ; ceux-ci leur perte, ceux-là ce qu’ils auront à souffrir . Si vous ne prenez pas une décision, chacun s’accrochera à la localité un peu importante dont ressort le lieu de son domicile ; on colportera des pétitions, on forcera peut-être des signatures, et on mettra le Luxembourg dans un tel état de division qu’il n’y aura pas dans cette province 25 personnes qui s’entendront. Voilà certainement l’état des choses que l’on vous engage à sanctionner. Certes c’est bien mal entendre l’intérêt du Luxembourg que de vous engager à ne pas détruire ce germe de discorde.

On dit qu’il n’y a pas urgence. Cela est vraiment singulier, lorsqu’un tribunal chef-lieu, celui d’Arlon, avec un personnel considérable, voit son personnel réduit au point de ne plus comprendre que 25 mille habitants. N’est-il pas nécessaire que les magistrats de ce tribunal sachent s’ils continueront de résider à Arlon, ou s’ils devront se transporter au fond des Ardennes ? N’est-il pas nécessaire de fixer définitivement sans délai la circonscription judiciaire du Luxembourg pour que les membres du barreau sachent où ils fixeront leur domicile ? Autrement voilà toutes les localités un peu importantes qui se disputeront les tribunaux. Celles qui ont un tribunal craindront de ne pas le conserver ; il y aura sans doute de grandes exagérations de constructions que l’on viendra ensuite invoquer comme un droit. On ne peut laisser le pays dans un tel état d’incertitude. On veut demander l’avis du conseil provincial, organe naturel de la province. Est-ce bien sérieusement que l’on fait cette demande ? Quand on s’est adressé à la députation permanente formée des membres de chacun des arrondissements administratifs de la province, croyez-vous que l’on ne se soit pas adressé à l’organe le plus désintéressé de la province ? Toutes les fois que des intérêts de ce genre se sont débattus dans le conseil provincial, faute de s’entendre et après les plus vives discussions, cette assemblée s’en est rapportée à la députation permanente. Voici ce que m’écrivait à ce sujet un des membres les plus distingués du conseil provincial :

« On vous a rendu d’une manière fort juste les débats qui ont eu lieu dans l’occasion. Les intérêts de clocher avaient suscité une telle fermentation, que l’assemblée, qui a voulu prévenir un conflit de passions et d’intérêts qui désunissait des membres et donnait lieu à de fâcheuses conséquences, a fini par se débarrasser de cette affaire. »

Voilà, je pense, plus qu’il n’en faut pour faire rejeter la proposition d’ajournement ; ce que vous pouvez faire de mieux, c’est de fixer le plus tôt possible le sort du Luxembourg.

M. de Puydt – On se tromperait bien sur mes intentions si l’on croyait que je veux perpétuer des germes de discorde dans le Luxembourg. Personne ne désire plus que moi la paix et sa prospérité. J’ai agi de conviction. Je vois des questions irritantes ; mais je suis convaincu que si la chambre renvoyait l’affaire à une autre session, toutes ces questions irritantes seraient suspendues ; toutes ces discussions d’intérêt particulier cesseraient ; on attendrait la décision du conseil provincial, et quelle que fût cette décision, on s’y conformerait. Pour en être convaincu, il suffit d’entendre les organes des différentes députations ; ils s’en rapportent tous au conseil provincial. Ainsi, quand je fais cette proposition, ce n’est pas dans l’intention de perpétuer des germes de discordes, c’est afin de les faire cesser.

M. de Brouckere – Je ne pense pas que la motion de l’honorable M. de Puydt ait des chances de succès ; je ne prolongerai donc pas la discussion qu’elle a soulevée, car en résultat ce ne serait que perdre du temps.

Sur quels motifs s’appuie la demande d’ajournement ? Sur deux motifs ; le premier est que vous n’avez pas l’avis du conseil provincial. Si les renseignements nous manquaient sur la question à traiter, je comprendrais cette objection ; mais loin de nous manquer, les renseignements sont en si grand nombre qu’il a fallu tout l’intérêt qui s’attache à cette question pour que nous ayons le courage de les examiner tous. Dans ma section (j’appartiens à celle de l’honorable M. Zoude), nous avions cru qu’on devait remettre la discussion parce que nous n’avions pas tous les renseignements nécessaires ; mais la question n’est plus la même aujourd’hui que dans les sections.

Le second motif qu’on fait valoir est que l’irritation sera moins grande dans le Luxembourg. Au contraire, plus vous attendrez, plus l’irritation sera grande. Aujourd’hui une partie du Luxembourg est à Bruxelles pour exercer quelque influence sur les membres de la chambre. Chaque jour nous recevons chez nous deux ou trois députations. Si vous tardez, vous aurez à Bruxelles des députations en plus grand nombre encore que celles qui s’y trouvent maintenant.

Nous avons pris connaissance de toutes les pièces, nous avons entendu tous les intéressés, prenons donc une décision ; je ne vois pas à quoi l’avis du conseil provincial pourrait nous servir.

M. de Puydt – Je retire ma proposition.

Discussion des articles

Article 1er

M. le président – Personne ne demandant la parole sur l’ensemble du projet, la discussion est ouverte sur l’article 1er. D’après le projet du gouvernement, la province du Luxembourg serait divisée en trois arrondissements judiciaires ; elle serait divisée en deux arrondissements judiciaires d’après le projet de la section centrale.

M. Metz – Je ne sais si c’est bien sérieusement que le gouvernement demande le maintien des trois tribunaux dans le Luxembourg, car il ne peut se dissimuler que deux tribunaux ne soient suffisants pour les besoins de la justice. Les états provinciaux avaient même en 1825 exprimé le vœu qu’il n’y eût qu’un seul tribunal pour toute la province.

La pensée du gouvernement, celle de beaucoup d’entre vous et la mienne (car il m’est plus pénible qu’à qui que ce soit de prendre part à la discussion d’une question dont, la solution, quoi qu’on fasse, blessera toujours un grand nombre de nos frères), est de porter le moins possible atteinte à des intérêts particuliers ; mais ces intérêts ne doivent-ils pas disparaître devant un intérêt plus élevé, devant l’intérêt général ?

N’est-il pas d’intérêt général que les magistrats soient entourés de la considération publique, et n’est-il pas certain qu’ils n’obtiendront cette considération que s’ils se livrent habituellement et toujours à l’exécution de leurs fonctions ? C’est dans ce sens qu’est conçu le rapport soumis à la section centrale ; il porte :

« La trop grande multiplicité des tribunaux est un très grand mal plutôt qu’un bien ; il en résulte en effet des tribunaux sans importance, d’un personnel restreint, et, malgré le petit nombre de ses membres, sans occupations pendant une grande partie de l’année ; un barreau peu nombreux, sans émulation, sans instruction (car quel sera le jeune homme de talent se sentant un peu d’avenir qui voudra rester attaché à un tel siège ?) partant des causes mal instruites et souvent mal jugées ; les membres du barreau, obligés, pour gagner de quoi vivre, de se charger de toutes les causes quelconques, d’éterniser les procès par des chicanes, et de ruiner leurs clients ; ces corps judicaires sans dignité, des magistrats n’inspirant aucun confiance, ne jouissant d’aucune considération, tels sont en peu de mots les inconvénients graves et incontestables d’un pareil ordre de choses. »

Vous avez ensuite à envisager la population des arrondissements qu’il s’agit de former. L’arrondissement d’Arlon aurait 67,000 habitants, celui de Neufchâteau 51,000, celui de Marche 49,000 ; certes, une telle population, ne suffit pas pour donner de l’importance à des tribunaux. Ainsi le tribunal chef-lieu composé de deux sections, avec un procureur du Roi et deux substituts, aurait un ressorts de 67,000 habitants, c’est-à-dire au-dessous du tribunal qui a le ressort le moins populeux, le tribunal de Furnes dont le ressort est de 68,100 habitants.

Vous voyez par le tableau qui est sous vos yeux que le nombre des affaires commerciales et civiles soumises annuellement aux tribunaux de Marche, de Neufchâteau et d’Arlon, n’excède pas 100. Si vous déduisez de ce nombre les affaires commerciales, affaires pour la plupart insignifiantes, il n’en reste que 50 à 60 à juger par an ; cela suffit-il pour occuper un tribunal ? Est-ce fait pour donner de la considération aux magistrats qui le composent ? Croyez-vous que vous aurez rendu aux particuliers un grand service lorsque vous leur aurez fait perdre la confiance dans les magistrats, d’où il résultera qu’ils feront appel de la plupart de leurs jugements ?

Le tribunal de Verviers a plus d’affaires à lui seul que les trois arrondissements du Luxembourg réunis.

Comment fallait-il donc diviser la province ? Il fallait la diviser de manière à ce que les juges fussent occupés, et ne pas établir trois sièges pour prononcer sur un nombre d’affaires qui pourraient être décidées par deux et même par un seul. Dans l’intérêt des justiciables, il faut donner de la dignité à la justice ; il faut encore faire des divisions qui puissent faire subsister le barreau, sans quoi des hommes capables ne voudront pas en faire parie, et les affaires sur lesquelles les juges doivent statuer seront mal préparées.

Parmi de bons esprits, il en est qui croient même qu’un seul tribunal suffirait dans le Luxembourg ; à la vérité, il y a contre ce système une objection sérieuse, c’est celle des distances ; mais que font les distances pour les justiciables, quand il s’agit de trouver des juges dans lesquels ils aient confiance ? Je crois donc que l’on peut se borner à deux arrondissements judicaires dans le Luxembourg.

M. de Puydt – Je pense que nous devons nous en tenir au projet du gouvernement. Les considérations qu’a fait valoir le préopinant sont entrées dans les vues du gouvernement ; il a blessé le moins d’intérêts possible, et ce serait aller contre l’esprit de pacification qui doit diriger dans cette circonstance que de mettre les intérêts en présence. Il faut attacher plus d’importance que ne le prétend le préopinant aux distances à parcourir ; il faut apprécier les arrondissements par l’étendue des territoires, et non par les populations. La partie du Luxembourg pour laquelle on doit réorganiser des tribunaux à 186 lieues carrées, la plus grande de toutes les autres provinces, le Hainaut, n’en a que 149 ; il y a trois tribunaux dans le Hainaut, il en faut un nombre égal dans le Luxembourg. On blesserait les intérêts des justiciables en en mettant moins. Indépendamment des distances, il faut considérer que les communications dans le Luxembourg sont plus difficiles qu’ailleurs ; que le temps y est plus précieux, et qu’ils ne peuvent pas perdre deux ou trois jours sans en éprouver un très grand préjudice. Je voterai pour le projet du gouvernement.

M. Heptia, rapporteur – Messieurs, quand la section centrale a examiné le projet sur la circonscription judicaire du Luxembourg, elle a voulu donner aux intérêts des justiciables toute l’attention qu’ils méritaient. Elle s’était d’abord prononcée pour trois arrondissements judiciaires ; mais lorsque, le lendemain, elle a voulu former les trois arrondissements, elle a vu qu’il était impossible d’établir trois tribunaux suffisamment occupés pour obtenir la confiance qu’ils doivent avoir ; alors revenant sur la décision de la veille, à la majorité de 6 voix contre 1, elle s’est décidée pour deux arrondissements. L’honorable M. Metz vous a présenté une analyse succincte et assez complète des motifs qui ont déterminé la section centrale ; cependant j’ajouterai deux autres considérations.

Ce sont les distances que l’on oppose principalement à la formation de deux arrondissements, et c’est ce que M. de Puydt a fait valoir ; mais, avec deux arrondissements, ils auront chacun à peu près 10 à 11 lieues de long sur autant de large ; ce ne sont pas là des distances trop considérables pour des pays couverts de forêts.

Il est des arrondissements populeux d’une plus grande étendue : celui de Nivelles, par exemple, dont l’extrémité du côté de Liége est à 12 lieues de Nivelles ; on peut encore citer ceux de Huy et de Dinant. Dans un pays où la population est aussi rare que dans le Luxembourg, où les villages sont éloignés les uns des autres, et où se font peu d’affaires, il n’est pas nécessaire que les tribunaux soient très rapprochés.

Si l’on mettait trois tribunaux, les distances seraient de 8 lieues ; en supposant qu’on les établît à Arlon et à Neufchâteau, le rayon serait de quatre à cinq lieues : c’est évidemment trop rapprocher des tribunaux qui avaient trop peu d’affaires. Dans mon rapport, j’ai rappelé le nombre des affaires que le Luxembourg a présentées, en moyenne, de 1831 à 1834, et j’ai comparé ce nombre à celui des affaires qui ont été jugées, pendant la même époque, à Audenaerde, Termonde, Dinant où il n’y a que quatre juges. Les affaires du Luxembourg sont moins nombreuses que dans ces arrondissements.

Les objections touchant les distances que les justiciables ont à parcourir, ont peu d’influence sur eux, et doivent avoir encore moins d’influence sur vos esprits. D’ailleurs, il faut considérer que nous faisons une circonscription pour l’avenir, et que si on continue, ainsi que l’on a commencé, à faire des routes dans le Luxembourg, et que si l’on construit toutes celles qui sont projetées, les communications y deviendront très faciles.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Le gouvernement, en proposant trois arrondissements, a été dominé par l’idée qu’il fallait froisser le moins d’intérêts possibles. Ce n’est pas là une idée aussi mesquine qu’on pourra le croire ; c’est une idée politique, surtout dans les circonstances où nous nous trouvons : cette idée nous a aussi guidés dans une autre et récente discussion : nous avons voulu maintenir le statu quo autant qu’il était possible, et cette considération nous a inspiré un vote mémorable.

Selon vous, il serait impolitique de réorganiser le Luxembourg de manière à froisser trop d’intérêts, et il n’y a pas nécessité de le faire. La suppression de Saint-Hubert a été prononcée par la loi du 22 décembre 1828. Cet arrondissement tout entier est moins important que le lambeau restant de l’arrondissement d’Arlon, comme on peut le voir dans le tableau qui se trouve à la page 3 du rapport de la section centrale, d’après lequel Saint-Hubert donne une moyenne de 48 causes par an, tandis que le lambeau de l’arrondissement d’Arlon, comme on peu le voir dans le tableau qui se trouve à la page 3 du rapport de la section centrale, d’après lequel Saint-Hubert donne une moyenne de 48 causes par an, tandis que le lambeau de l’arrondissement d’Arlon quin nous reste, en donnerait 60. Partant de ce fait que la suppression de l’arrondissement de Saint-Hubert était annoncée, décidée depuis 1828, le gouvernement n’a vu la nécessité de respecter l’état de possession que dans trois localités, et il en est venu ainsi à l’idée de diviser le Luxembourg en trois arrondissements judiciaires.

Il ne faut pas, messieurs, n’avoir égard qu’à la population et au nombre d’affaires. Il faut aussi tenir compte, comme l’a très bien dit l’honorable M. de Puydt, tenir compte de l’étendue territoriale ; et, sur ce point, l’honorable membre a donné des détails auxquels je me réfère entièrement.

En résumé, messieurs, chacun des trois arrondissements, tels que nous proposons de les établir, sera à peu près aussi important que les arrondissements qui existent dans la partie wallonne depuis dix ans environ.

Ainsi, messieurs, je crois que, pour ne pas faire violence à trop d’intérêts, il est préférable d’adopter les trois arrondissements tels que nous le proposons. Je ne puis m’empêcher d’ajouter que je regrette vivement, sincèrement, que les Luxembourgeois n’aient pas compris le système de transaction présenté par le gouvernement ; c’est par leur division qu’ils ont fait naître l’idée de n’admettre que deux arrondissements ; je souhaite que personne ne s’en repente.

M. Pollénus – Messieurs, déjà, M. le ministre des travaux publics a fait valoir en faveur du projet du gouvernement une partie des considérations que je me proposais de développer moi-même. Ainsi qu’il l’a dit, ce n’est pas à la population seule qu’on peut s’arrêter pour établir un système de circonscription judiciaire, mais il est beaucoup d’autres considérations auxquelles il faut avoir égard ; il faut par exemple songer aussi que le système hypothécaire se lie intimement à l’organisation des tribunaux. Indépendamment de cela il faut également se représenter que la province de Luxembourg a été si fortement tiraillée par les événements politiques qu’il importe au plus haut degré de ne pas y faire naître de nouveaux sujets de mécontentement, et de s’en tenir au système de respecter autant que possible l’état de possession.

Je sais bien, messieurs, qu’en général il n’est pas désirable de voir se multiplier les cours judiciaires, tout ce qu’on peut dire à cet égard est exactement vrai ; mais cette considération n’est pas tellement absolue qu’elle ne doive pas quelquefois céder devant d’autres considérations. Un honorable membre qui a défendu l’établissement de deux arrondissements ne serait peut-être pas disposé dans telle autre circonstance à laisser porter atteinte à l’état de possession ; je m’explique : je demanderai par exemple à un honorable député d’Arlon s’il n’invoquerait pas l’état de possession dans le cas où il s’agirait de décider dans quelle ville on placera le chef-lieu de l’arrondissement ; eh bien, il me semble que cette considération est tout aussi puissance, lorsqu’il s’agit d’autres localités.

Il faut bien se garder, messieurs, d’augmenter le mécontentement et la douleur que doit éprouver la province de Luxembourg, par suite des événements politiques, en prenant des mesures qui feraient une impression d’autant plus pénible qu’elles ne sont dictées par aucune force étrangère, par aucune force majeure.

Messieurs, le projet de la section centrale soulève une autre question, celle de savoir si c’est la loi ou le gouvernement qui déterminera le chef-lieu des arrondissements judiciaires. Lorsque vous avez examiné tout à l’heure la proposition d’ajournement, on a engagé l’auteur de cette motion à la retirer pour ne pas prolonger indéfiniment le malaise qui résulterait pour le Luxembourg d’une situation plus ou moins incertaine, pour éviter les réclamations que les intérêts rivaux feraient naître ; on s’est écrié alors que ce qui était le plus important, c’était d’en finir le plus tôt possible, d’en finir aujourd’hui même. Eh bien, messieurs, obtiendrez-vous ce résultat si vous tenez en suspens la question la plus importante pour les localités, dont il s’agit, celle de la fixation des chefs-lieux ?

D’ailleurs, messieurs, toutes les lois émanées de la législature belge ont toujours fixé le siège des chefs-lieux ; je ne pense pas qu’il y ait ici des motifs de dévier de cette règle ; si la législature de 1832 et toutes celles qui se sont occupées d’organisation judiciaire, ont jugé à propos de déterminer le siège des chefs-lieux, je ne sais pas pourquoi on en agirait autrement en ce qui concerne le Luxembourg. Il me semble qu’il faut songer aussi à mettre de l’ensemble dans la législation.

J’ai entendu tout à l’heure M. le ministre des travaux publics m’objecter une loi de 1828 ; je vous avoue, messieurs, que je ne m’étais pas attendu à une objection de cette nature ; je ne m’étais pas attendu à voir le gouvernement belge puiser des principes de conduite dans l’organisation judicaire des Pays-Bas contre laquelle tant de réclamations se sont élevées ; je suis d’autant plus étonné de voir le gouvernement s’opposer à ce que la législature tranche la question, que ce serait éviter au ministère une mission qu’il me semble ne pas devoir rechercher.

Quoi qu’il en soit, si l’honorable ministre des travaux publics a trouvé des arguments dans la législation hollandaise, on pourrait lui opposer des lois beaucoup mieux connues, les lois de l’empire où la question est décidée dans un tout autre sens.

Il n’y a pas une demi-heure, messieurs, vous avez décidé que la question était entièrement instruite, l’auteur même de la motion d’ajournement l’a reconnu ; je ne vois donc pas ce qui vous empêcherait de fixer le siège des chefs-lieux ; je ne vois pas ce qui vous engagerait maintenant à déclarer que la question n’est pas suffisamment instruite ; je ne sais pas pourquoi vous iriez ainsi vous mettre en contradiction avec vous-mêmes.

Je voterai, messieurs, la proposition du gouvernement, qui tend à maintenir dans le Luxembourg trois arrondissements judiciaires avec les chefs-lieux qui existent actuellement. Je repousserai le système de la section centrale, qui laisse au gouvernement le soin de déterminer le siège des chefs-lieux.

M. de Puydt – J’ai pris la parole, messieurs, moins en mon nom qu’en celui d’un de nos honorables collègues, qu’un événement malheureux tient éloigné de la chambre ; voici ce que dit l’honorable M. d’Huart dans la lettre dont un paragraphe a été mentionné tout à l’heure :

« Je suppose, d’après la lecture des derniers journaux qui me sont parvenus, que le projet de loi présenté le 2 de ce mois par le gouvernement, pour la circonscription des arrondissements judiciaires du Luxembourg morcelé, sera le premier objet à l’ordre du jour. S’il m’eût été possible de participer à cette discussion, j’aurais appuyé la proposition du gouvernement, tendant à diviser la fraction restante de ladite province en trois arrondissements ayant pour chefs-lieux ceux projetés…

« Je ne puis croire qu’il soit question de réduire à deux le nombre des nouveaux arrondissements du Luxembourg. Du moins il sera impossible que les personnes ayant une connaissance exacte des localités y songeassent sérieusement. L’étendue du territoire est telle que les intérêts du plus grand nombre des justiciables seraient gravement compromis ; s’il en était ainsi, ce serait une nouvelle calamité à ajouter au terrible malheur qui est sur le point de se consommer pour les Luxembourgeois. »

Une voix – C’est une lettre !

M. de Puydt – C’est une lettre, il est vrai ; mais l’opinion qui y est exprimée est celle d’un homme qui connaît les localités, et qui est en état d’apprécier les intérêt du Luxembourg. Cette lettre doit donc être d’un certain poids dans cette disposition.

J’ajouterai une seule considération en faveur du projet. On vous a déjà dit que le projet avait pour but de diminuer la somme des mécontentements ; je m’associe à ce motif, mais il y a une autre cause qui doit nous faire adopter le projet : c’est l’avenir de la province. Or, cet avenir est gravement compromis, si la province est divisée en deux arrondissements judiciaires, car évidemment il faudrait exclure l’un des deux chefs-lieux d’Arlon ou de Neufchâteau. Or, si l’on excluait le chef-lieu de Neufchâteau, on ferait un tort irréparable à l’avenir agricole et industriel de l’Ardenne.

Messieurs, avant le morcellement, quand la province était entière, je comprenais la prépondérance qu’exerçait sur le Luxembourg la partie dite allemande, parce que dans la partie allemande, bien qu’elle ait moins d’étendue que la partie wallonne, il existait une agriculture plus prospère, en raison de la différence du sol, outre une multitude d’établissements industriels. Les habitants de l’Ardenne venaient s’approvisionner dans la partie allemande de grain et d’une foule d’objets nécessaires à la vie.

Aujourd’hui la partie allemande est réduite à deux cantons dont la population n’est plus que de 15 à 20 mille habitants. C’est à cette minime partie du Luxembourg qu’on sacrifierait tout l’avenir de la province, car évidemment, si vous ôtez à Neufchâteau le peu de vie qui s’y trouve, vous réduirez ce pays à un isolement complet.

Je sais qu’on prétendra que l’Ardenne est destiné à rester pauvre. On pense que la terre d’Ardenne est une mauvaise terre. C’est une erreur. Le sol de l’Ardenne pourrait, au moyen d’un certain travail, prospérer autant qu’aucun autre terroir.

Voilà justement pourquoi il ne faut pas abandonner ce pays à lui-même ; il faut conserver au centre de ce pays un peu de vie, et je prévois que si l’on divise le Luxembourg en deux arrondissements judiciaires, il y aura beaucoup de chances pour la fixation du chef-lieu à Arlon.

Voilà ce qu’il faut éviter. Ce n’est pas là une simple considération de localité. La question intéresse toute la Belgique. Car si par le morcellement la Belgique a perdu une partie du Luxembourg, elle peut compenser cette perte, en donnant des soins à l’avenir agricole du Luxembourg qui lui reste, en prenant des mesures qui augmenteront dans l’avenir la population du pays.

M. Heptia, rapporteur – Messieurs, l’on se tromperait, si l’on pensait que la section centrale a voulu froisser des intérêts, en proposant deux arrondissements judiciaires dans le Luxembourg. La section centrale s’est trouvée dans la position, il est vrai, de léser un peu les intérêts de la localité qui sera privée du chef-lieu d’un arrondissement ; mais la section centrale avait à éviter un autre écueil, celui de compromettre l’existence d’une bonne justice dans le Luxembourg. Cette dernière considération l’a emporté dans l’esprit de la majorité des membres de la section centrale. Elle a cru qu’il était de l’intérêt public d’environner la justice du respect auquel elle a droit, et d’établir des arrondissements suffisants, pour lui donner une occupation convenable.

Que peut être pour l’une ou pour l’autre des localités du Luxembourg d’avoir ou de ne pas avoir un chef-lieu judiciaire ? Figurez-vous le mouvement produit dans une ville de 16 à 1,700 âmes par un tribunal qui juge, année moyenne, 50 à 55 causes ? Il est évident que l’intérêt d’une localité n’est nullement favorisé par un mouvement d’affaires aussi peu important.

M. Verhaegen – Jamais question n’a été plus difficile pour moi. D’une part, l’on invoquer l’intérêt général, et de l’autre, il y a des droits qui paraissent balancer cet intérêt.

Ce que je vois de plus clair dans tout cela, c’est que deux points qui se trouvent à l’extrémité de la province sont en opposition avec d’autres points qui constituent le centre. Je vois Arlon et marche en opposition avec Saint-Hubert et Neufchâteau.

Que faire dans cette position ? le cas est embarrassant. Je vois dans cette question une question du mien et du tien, et la chambre est constituée en une sorte de tribunal, pour juger d’une question de propriété ou tout au moins de possession.

Je suis étranger à toutes ces localités ; je ne connais personne, ni à Arlon, ni à Neufchâteau, ni à Saint-Hubert, ni à Marche. J’ai vu toutes les députations, j’ai entendu toutes les réclamations, et au milieu de tout cela, je me trouve dans un embarras tel qu’il me serait difficile, si je m’éloignais de l’état actuel des choses, de prendre un parti.

Je sais bien qu’il est beaucoup plus convenable de ne pas augmenter le nombre des tribunaux. Je sais que la justice est beaucoup mieux rendue quand un tribunal peut rendre justice à un plus grand nombre de contribuables. On irait peut-être beaucoup plus loin encore, si l’on voulait établir un seul siège administratif et judiciaire dans le Luxembourg ; malheureusement cela n’est pas possible.

Si l’on établir deux arrondissements, une grave question s’élève. A qui donnera-t-on la préférence ? Est-ce à Arlon ou à Neufchâteau, à Saint-Hubert ou à Marche ?

Je crains que ceux qui envisagent l’intérêt d’Arlon ne se trompent, et je pense que chacun dans son intérêt respectif aurait mieux fait de s’en tenir à la proposition du gouvernement, proposition à laquelle, après avoir tout pesé, je donnerai moi la préférence.

En voici les motifs : Si nous avions à faire une circonscription là où il n’y en aurait pas, je pourrais raisonner comme ceux qui ne veulent que deux arrondissements, et j’irais peut-être beaucoup plus loin. Mais telle n’est pas la question. Nous voulons changer ce qui est. Il y avait auparavant dans le Luxembourg cinq arrondissements. Dans la partie qui nous reste et qui est encore aussi grande en étendue que le Hainaut, nous n’avons plus que trois arrondissements entiers et une partie du quatrième. Saint-Hubert, Neufchâteau et Marche, avaient des tribunaux avant la révolution.

Saint-Hubert ne doit pas nous arrêter, puisque déjà avant la révolution il était question de sacrifier ce siège judiciaire. Mais restaient Neufchâteau et Marche. Aujourd’hui, il est question de sacrifier Neufchâteau, pour donner ses dépouilles à Arlon. Je veux à Arlon tout le bien possible. Mais puis-je enlever à Neufchâteau ce que cette ville possède depuis un grand nombre d’années, pour le donner à Arlon, qui n’a et ne possède que depuis la révolution ?

Voilà le grand point de la difficulté. Quant à moi, je ne pense pas que la loi qu’on nous propose soit une loi qui ait pour but l’amélioration de ce qui est dans l’administration de la justice. Car, en ce cas, nous aurions peut-être à procéder à une révision pour tous les tribunaux du royaume. Mais ce que nous avons à apprécier maintenant, c’est une loi commandée par la nécessité. Si une partie du Luxembourg n’avait pas été détachée, nous n’aurions pas à nous occuper du projet de loi. Ce n’est pas une loi qui a le caractère d’une organisation générale. Si c’était une loi de cette espèce, il faudrait, je le répète, diviser le tout, et nous pourrions faire disparaître les inconvénients qui se rencontrent aujourd’hui dans les tribunaux d’autres provinces.

Mais aujourd’hui il ne s’agit pas de cela ; il s’agit de faire quelque chose résultant des circonstances présentes.

Déjà nous avons été dans la position de devoir froisser des intérêts en acceptant un traité qui nous a été imposé. Tâchons de froisser ici le moins d’intérêt possible. C’est dans ce but que je voterai pour la proposition du gouvernement.

M. Zoude – On a parlé plusieurs fois de Saint-Hubert d’une manière à lui ôter la considération à laquelle cette ville a droit ; c’est pourquoi j’entretiendrai la chambre de la position dans laquelle elle a été et de celle dans laquelle elle se trouve.

Saint-Hubert, avant la révolution, possédait une abbaye riche.

Lors de sa suppression on y a établit un chef-lieu administratif et un tribunal de première instance.

A la chute de l’empire, le gouverneur-général, M. Sack, supprima son ressort administratif, mais l’agrandit de l’arrondissement judiciaire de Neufchâteau, dont il ordonna la réunion à celui de Saint-Hubert.

Mais la durée du pouvoir prussien ne fut qu’éphémère, et l’arrêté de Sack ne reçut pas d’exécution.

Placé sous Guillaume, Saint-Hubert perdit, ainsi que Marche, une partie notable de son territoire, qui fut réuni à la province de Namur par un arrêté inconstitutionnel puisqu’il était en opposition avec l’article 3 de la loi fondamentale.

Quelques années après, les états provinciaux proposèrent spontanément de n’établir qu’un tribunal pour la partie wallonne du Luxembourg, dont le siège serait à Saint-Hubert.

D’autres combinaisons prévalurent l’année suivante, et Saint-Hubert fut sacrifié ; mais le roi Guillaume engagea sa parole royale à la députation de Saint-Hubert, que le jour où la loi recevrait son exécution, cette ville serait indemnisée de la perte qu’elle subirait.

Tous ces changements devaient s’opérer lorsque la province restait entière. Mais aujourd’hui tout est changé, le Luxembourg est morcelé, et la question qui se présente est celle de 2 ou 3 tribunaux ; dans le système de deux, la députation provinciale en propose, à l’unanimité, le siège à Arlon et à Saint-Hubert.

Messieurs, nous avons tous le même droit de possession ; les tribunaux de première instance ont été organisés à la fois à Marche, Saint-Hubert et Neufchâteau, comme dans toute la Belgique. Mais nous avons un titre que les autres villes voisines ne possèdent pas, la perte d’une riche abbaye qui donnait la vie à toute la ville ; et loin de décliner depuis lors, comme le dit un mémoire que l’on pourrait appeler libelle, tant il contient des faits erronés, Saint-Hubert a vu sa population s’accroître de près de moitié ; aussi le nombre des maisons s’est augmenté de 80, et il est aujourd’hui supérieur à celui de Marche et même à celui de Neufchâteau ; et ce qui prouve que le gouvernement lui-même reconnaît la supériorité de Saint-Hubert sur Marche, et sa plus grande population, c’est qu’il ne propose pour celui-ci qu’un conseiller provincial, et il en admet deux pour Saint-Hubert.

Articles 1 à 6

Les articles 1 à 6 de la section centrale sont successivement mis aux voix et adoptés ; ils sont ainsi conçus :

« Art. 1. La province de Luxembourg est divisée en deux arrondissements judiciaires, dont les chefs-lieux seront fixés par le gouvernement. »


« Art. 2. L’arrondissement du midi se compose des cantons d’Arlon, Messancy, Neufchâteau, Virton, Fauvillers, Bastogne, Florenville, Etalle, Sibert et Bouillon. »


« Art. 3. L’arrondissement du nord se compose des cantons de Marche, Durbuy, Laroche, Saint-Hubert, Nassogne, Wellin, Houffalize, Vielsalm et Paliseul. »


« Art. 4. Le nombre des juges composant le tribunal chef-lieu est fixé à sept, y compris le président et le vice-président.

« Cette réduction s’opérera au fur et à mesure des vacatures. »


« Art. 5. Le nombre des juges du tribunal non chef-lieu est porté à quatre, y compris le président. »


« Art. 6. Toutes les sections d’une même commune font partie du canton auquel appartient le chef-lieu de la commune. »

Article 7

La chambre passe à l’article 7 ainsi conçu :

« Art. 7. Les membres des tribunaux supprimés continueront à jouir de leurs traitements, jusqu’à ce qu’ils soient replacés. »

M. Pollénus – Si je demande la parole, ce n’est pas pour combattre cet article ; car c’est le principe que j’ai défendu dans la séance du soir de vendredi, lorsqu’il s’est agi de donner une position aux magistrats du Limbourg. J’ai alors invoqué les principes sur lesquels est basée la proposition du gouvernement qui est en discussion. En adoptant aujourd’hui une disposition contraire à celle adoptée pour le Limbourg, vous avez deux poids et deux mesures. Ce n’est pas là de la justice. Si, comme je le crois, il y a des motifs d’adopter la proposition du gouvernement pour le Luxembourg, il y avait les mêmes motifs pour adopter ma proposition relative au Limbourg.

M. de Behr – Je crois qu’il y aurait de l’avantage à supprimer les 4 tribunaux en laissant au gouvernement le soin d’en réorganiser deux. Je proposerai donc un amendement ainsi conçu :

« Les tribunaux actuels de la province de Luxembourg sont supprimés. »

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Voici comment je comprends l’exécution de la loi que vous votez par suite de l’adoption de deux arrondissements. Deux tribunaux seront supprimés. Le gouvernement ne pourra donc maintenir que deux des tribunaux actuels. Mais le personnel de la localité où siégera chacun des tribunaux conservés, formera le noyau du nouveau tribunal. La proposition de l’honorable préopinant établirait un système d’épuration qui mettrait le gouvernement dans une position très difficile. Je demande le maintien de la proposition du gouvernement.

M. Pollénus – Vous savez que les tribunaux sont institués par la loi en vertu de la constitution. Mais de quelle manière opérerez-vous votre système d’épuration ? C’est là un embarras très grave. Je pense qu’il est de toute nécessité que la loi supprime les tribunaux. Ce n’est qu’après cela que le gouvernement pourra faire son choix.

M. Dubus (aîné) – Je voterai contre l’amendement proposé par l’honorable député de Liége. Je ne crois pas que cet amendement puisse être admis en présence de l’article 100 de la constitution. Il y aurait, selon moi, un immense danger à l’adopter ; car il détruit la garantie de l’inamovibilité des juges. Lorsque, par des motifs politiques ou d’autres, on voudra ôter à des juges leur emploi, on supprimera leurs tribunaux, on les réorganisera et l’on nommera de nouveaux juges ; on éludera ainsi l’article 100 de la constitution. Il y a plus : il suffira pour procéder ainsi des modifications à la circonscription territoriale d’un tribunal.

On dit que si vous n’adoptez pas cette proposition, vous rencontrerez une difficulté relative aux juges du tribunal chef-lieu, puisque leur nombre va être réduit à 7. Mais les honorables membres qui font cette observation n’ont pas fait attention au second paragraphe de l’article 4 ainsi conçu : « cette réduction s’opérera au fur et à mesure des vacations. »

On voit d’après cela que les neuf juges continueront à siéger et que le tribunal ne sera réduit à 8 et 7 juges qu’au fur et à mesure des vacatures. Il n’y a donc aucune nécessité de prendre la mesure extraordinaire qui vous est proposée.

Je pense même que la question n’est plus entière ; elle est préjugée par l’article 4 ; car si vous supprimez tous les tribunaux, il n’y aura pas de réduction dans le personnel des tribunaux. Il aurait fallu faire cette proposition à l’article 4, ou proposer de rejeter la deuxième disposition de l’article 4.

M. de Behr – Les arguments sont applicables de tous points aux deux tribunaux que vous supprimez. Quels sont ces tribunaux ? Vous ne les connaissez pas. Les magistrats de tous les tribunaux du Luxembourg se prévaudront de l’inamovibilité. Les arguments s’appliquent donc à la disposition implicite de la loi ; car vous ne supprimez deux tribunaux qu’implicitement ; ainsi à plus forte raison les magistrats des tribunaux supprimés invoqueront-ils le principe de l’inamovibilité.

On a dit, messieurs, qu’il était dangereux de prononcer la suppression des tribunaux, parce que c’était attaquer l’inamovibilité des juges ; j’ai posé une question de principes, et je proposerai de composer les tribunaux restant des membres des quatre tribunaux, parce que je ne veux pas que l’inamovibilité soit compromise le moins du monde. Il y a des juges qui sont déjà très âgés, et il faut prendre les hommes qui ont le plus de mérite.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Il est très vrai qu’implicitement il y a deux tribunaux supprimés ; le personnel de ces tribunaux est en disponibilité ; voilà le sens de la loi, surtout d’après l’article 7. On ne touche pas à la question du personnel ; on reste autant que possible dans le principe de l’inamovibilité. Que résulterait-il, au contraire, des dernières paroles de l’honorable préopinant ? Prenons l’arrondissement du nord ; la question de chef-lieu est entre Saint-Hubert et Marche ; je suppose qu’on se décide pour Marche ; le gouvernement pourrait envoyer le personnel de Saint-Hubert à Marche et mettre à l’écart celui de Marche, ou conserver une partie du personnel de chaque tribunal ; le gouvernement lui-même reculera devant l’idée d’user d’une semblable faculté. Le personnel sera maintenu là où l’on maintient le chef-lieu de l’arrondissement du nord, puisque c’est celui que nous avons pris pour exemple. Il faut se borner à voter l’article comme il est.

M. Demonceau – Peut-on faire indirectement ce que l’on ne peut faire directement ? On ne veut pas déplacer un juge sans son consentement. Que résultera-t-il de l’exécution de la loi ? C’est que si vous fixez le siège du chef-lieu à Neufchâteau, vous n’aurez pas un personnel suffisant. Je ne le crois pas ; on ne peut le déplacer sans son consentement ; ainsi le veut la constitution. Changez donc la rédaction de l’article 4 si vous voulez préjuger la question.

M. F. de Mérode – Il n’y a aucune comparaison entre la suppression d’un tribunal et le déplacement d’un juge. Quand on supprime un tribunal, c’est par un acte administratif ou politique. Ce n’est pas la première fois qu’on supprime des tribunaux, et qu’on a déplacé des juges. On n’a établi l’inamovibilité que dans l’intérêt des justiciables, et non dans l’intérêt des juges. En supprimant un tribunal on ne porte pas atteinte à l’inamovibilité, on ne fait qu’un acte administratif ou politique.

M. Metz – J’entends plusieurs membres s’effrayer de la suppression de deux tribunaux ; mais par l’amendement on en supprimerait quatre.

- L’amendement est ainsi conçu :

« Les tribunaux actuels de la province de Luxembourg sont supprimés. »

Mis aux voix, il est rejeté.

L’article 7 est adopté.

Articles 8 et 9

« Article 8. Les notaires actuels de résidence aux chefs-lieux des arrondissements, qui se trouveront supprimés, auront le droit d’instrumenter dans tout le ressort de l’arrondissement auquel la commune de leur résidence actuelle sera réunie. »

M. Demonceau – La section centrale a pensé aux notaires ; je ne sais pourquoi elle n’a pas pensé aux officiers ministériels près des tribunaux. Quant aux notaires, il serait plus rationnel et plus conforme à la loi d’institution, de dire qu’ils transférer leur résidence au nouveau chef-lieu.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – On les suppose notaires d’arrondissement, quoique ne demeurant pas dans le nouveau chef-lieu ; c’est une fiction.

M. Demonceau – C’est contraire à la loi de ventôse de l’an XI. Il faut seulement leur donner la faculté de transférer leur résidence au nouveau chef-lieu.

Je reviens aux officiers ministériels : auront-ils le droit d’aller exercer devant le tribunal du nouveau chef-lieu ?

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Oui.

M. Demonceau – Dites-le dans la loi.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Je ne pense pas qu’il faille une loi pour cela ; il leur faudra une autorisation ou une nouvelle nomination.

Quant aux notaires, comme on dérogeait à la loi, il fallait le dire ; il fallait leur donner législativement la dispense de résider au chef-lieu. Voilà la pensée de la section centrale. On a fait ce que demande l’honorable orateur en faveur des notaires, mais en les dispensant de la résidence.

M. Demonceau – Je dois faire une observation, messieurs, c’est que dans la loi d’organisation judiciaire de 1832, il a été inséré un article spécial pour les officiers ministériels ; voici ce que porte cet article :

« Les officiers ministériels actuels continuent à exercer leurs fonctions ; néanmoins le nombre en est fixé par le gouvernement sur l’avis des cours et tribunaux. S’il y a lieu à réduction, elle s’effectuera par suite de démissions, de destitutions ou de décès. »

On a donc cru nécessaire d’insérer dans la loi une disposition pour maintenir les officiers ministériels en fonction ; on a donné ensuite au gouvernement le droit d’en fixer le nombre, d’après l’avis des cours et tribunaux, mais on a dit que ces réductions ne pourraient s’opérer que par suite de démissions, de destitutions ou de décès ; c’est par suite de cette dernière disposition que, si je suis bien informé, le nombre des officiers ministériels exerçant auprès du tribunal de Liége, qui a été réduit par suite de l’établissement du tribunal de Verviers, n’est pas encore arrivé à son état normal.

Ne serait-il pas convenable, messieurs, d’insérer dans la loi que nous faisons, un article semblable à celui dont je viens de parler ?

M. Heptia, rapporteur – Il me semble, messieurs, que pour satisfaire tout le monde, on pourrait insérer dans la loi un article nouveau conçu comme suit :

« Les avoués et huissiers exerçant près des tribunaux supprimés auront le droit d’exercer leurs fonctions près le tribunal dans le ressort duquel le lieu de leur résidence actuelle se trouvera compris. »

- Cet amendement est appuyé.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – On peut, sans inconvénient, adopter cette proposition ; elle rassurera les différents intérêts.

M. Dubus (aîné) – Messieurs, la proposition de l’honorable rapporteur de la section centrale met sur la même ligne les avoués et les huissiers ; or remarquez que les avoués doivent être domiciliés dans la ville même où est le siège du tribunal près duquel ils exercent leurs fonctions. Mais il n’en est pas de même des huissiers. Tel que l’amendement est rédigé, il autoriserait, me semble-t-il, dans certains cas, les avoués à exercer leurs fonctions auprès d’un tribunal siégeant dans une ville où ils n’auraient pas leur domicile. C’est ainsi, par exemple, qu’un avoué qui aurait son domicile à Neufchâteau, pourrait exercer près d’un tribunal d’Arlon. Or, cela me paraît impraticable.

M. Heptia, rapporteur – Je n’ai pas eu l’intention, messieurs, de déroger en aucune manière aux lois générales d’après lesquelles les avoués doivent résider dans le lieu où se trouve établi le tribunal près duquel ils exercent ; j’ai seulement voulu dire qu’ils seront avoués près ce tribunal nouveau, sauf à eux à se conformer pour le surplus aux lois générales qui leur ordonnent de résider dans le lieu où ils exercent leur profession.

La proposition de M. le rapporteur est mise aux voix et adoptée ; elle formera l’article 9 du projet.

Articles 10 à 12

M. de Behr – Messieurs, d’après les renseignements qui me sont parvenus, le nombre des jurés dans la partie de la province de Luxembourg qui reste à la Belgique est réduit à 300 environ, de sorte qu’après les épurations successives prescrites par la loi, il n’y en aura plus que 75 ; or, comme il faudra 3 fois 34 jurés, c’est-à-dire 102, il sera impossible d’exécuter la loi, si vous n’autorisez pas le tribunal à choisir les jurés dans la liste générale dressée par l’administration. Je proposerai donc la disposition suivante qui formerait l’article 10 de la loi :

« En exécution de l’article 11 de la loi du 15 mai 1838, les jurés pourront être pris dans les listes générales dressées par l’administration. »

Maintenant, messieurs, le code d’instruction criminelle ne permet de dispenser les jurés qui ont siégé à la cour d’assises que pour les quatre sessions suivantes ; dans la loi sur le jury que nous avons votée, nous avons étendu l’exemption à un terme de deux années ; eh bien ! il sera impossible d’appliquer cette disposition au jury tel qu’il se trouvera composé dans la province de Luxembourg, car le nombre des jurés étant extrêmement restreint, il en résulterait qu’aux dernières sessions le choix deviendrait impossible et que l’on retomberait ainsi dans les inconvénients de l’ancienne loi. Pour éviter ce mal, je proposerai un article 11 nouveau, conçus comme suit :

« Les citoyens qui auront fait partie du jury et qui auront satisfait aux réquisitions à eux faites n’auront droit à être dispensés que pendant les 4 sessions suivantes. »

Les listes des jurés de la province de Luxembourg, dressées par la députation des états, comprenaient, 796 individus, mais une partie des personnes portées sur ces listes vont passer à l’Allemagne ou à la Hollande ; il faudra nécessairement que la députation dresse de nouvelles listes qui ne comprennent plus que des habitants du territoire qui reste à la Belgique. Or, comme les chambres vont se séparer pour ne se réunir qu’au mois de novembre, il est indispensable que nous insérions une disposition à cet égard dans la loi. Je proposerai de rédiger ainsi cette disposition qui pourra former l’article 12 du projet :

« Les nouvelles listes du jury pour le service de la cour d’assises seront dressées par la députation, conformément à la loi, dans le délai déterminé par le gouvernement. »

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Les dispositions proposées par l’honorable préopinant sont en effet indispensables ; je ne puis donc que m’y rallier.

M. Pollénus – L’adoption des propositions de M. de Behr me semble aussi inévitable ; mais j’ai demandé la parole, messieurs, pour faire une simple observation ; c’est que la chambre aura à s’occuper également de la circonscription du Limbourg et que là les mêmes besoins se présentent. Comme les propositions faites par l’honorable député de Liége affectent principalement la loi du jury, je ne sais pas s’il ne serait pas convenable d’en faire une disposition spéciale qui s’appliquerait au Limbourg comme au Luxembourg. (Non ! non !) Du reste, messieurs, j’attache peu d’importance à cette observation, et s’il y a de l’opposition , je n’insisterai pas.

- Les articles 10, 11 et 12 nouveaux, proposés par M. de Behr, sont successivement appuyés et adoptés.

Article additionnel

M. de Behr – Messieurs, j’ai encore une disposition à proposer. L’article 255 du code d’instruction criminelle porte ce qui suit :

« La cour d’assises sera composée : 1° … 2° de quatre juges pris parmi les présidents et les juges plus anciens du tribunal de première instance du lieu de la tenue des assises, etc. »

Cette disposition pouvait être exécutée lorsque le tribunal était composé de 9 membres ; mais aujourd’hui qu’il est réduit à sept, il faudrait composer la cour d’assises de membres pris indistinctement parmi les juges et parmi les suppléants.

Je proposerai donc un amendement dans ce sens.

M. le président – Voici l’amendement de M. de Behr :

« Les juges qui siégeront à la cour d’assises pourront être pris indistinctement parmi les membres du tribunal, y compris les suppléants. »

- Cet amendement n’est pas appuyé.

Article 13

M. le président – Je mets aux voix l’article 13 du projet de loi :

« Le gouvernement fixera l’époque de la mise à exécution de la présente loi. »

- Adopté.

Article 14

M. Verhaegen – Messieurs, il y a dans le projet de loi une lacune qu’il est indispensable de combler. Que fera-t-on des causes pendantes devant les tribunaux supprimés ? L’amendement que je vais avoir l’honneur de déposer à pour objet de déterminer les moyens de porter ces causes devant les tribunaux qui sont maintenus. On pourrait imprimer mon amendement ainsi que celui de M. de Behr, qui n’a pas été appuyé, parce que je crois qu’on ne l’a pas compris. Il me semble que cette loi est votée avec trop de précipitation.

M. le président – Voici l’amendement de M. Verhaegen :

« Les causes pendantes devant les tribunaux supprimés seront respectivement portées devant les tribunaux maintenus, par exploit d’assignation en constitution de nouvel avoué, dans les délais de la loi, et il sera procédé conformément aux dispositions du code de procédure civile, en matière de reprise d’instance. »

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Messieurs, je crois que l’on pourrait adopter la proposition de M. Verhaegen. La loi se trouverait ainsi provisoirement complète pour être soumise au second vote.

Je demandera en outre qu’on fasse imprimer au bas de la loi l’amendement de M. de Behr, que nous pourrons examiner de nouveau et avec plus d’attention.

Quant à l’article 4 du projet, l’honorable M. Demonceau a fait une observation qui n’est pas entièrement exacte. L’honorable membre a trouvé que le mot « réduit » dans l’article 4 décidait la question. Je ne suis pas de cet avis. Pour le moment, les lois d’organisation judiciaire, quant au Luxembourg, portent que le tribunal d’un chef-lieu est composé de neuf juges. La loi s’exprime d’une manière générale. Nous disons de la même manière, en termes généraux, que le tribunal du chef-lieu dans le Luxembourg est réduit à 7 juges. Il n’est rien préjugé. On peut donc maintenir l’expression « réduit. »

Enfin, il y a au projet une erreur matérielle ou une faute typographique.

L’article 2 porte le canton de Nassogne au lieu de celui de Bastogne.

L’article 3 porte Bastogne au lieu de Nassogne.

Il est indispensable de faire une transposition.

M. Heptia, rapporteur – L’observation est juste ; on s’est trompé, les mots ayant beaucoup de ressemblance.

- L’amendement de M. Verhaegen est mis aux voix et adopté.

M. le président – Comme il y a des amendements, le second vote du projet de loi est remis à après-demain.


Sur la proposition de M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères, la chambre décide qu’elle tiendra séance mercredi soir, pour procéder à la nomination des membres du jury d’examen.

La séance est levée à 5 heures.