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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 15 mai 1839

(Moniteur du 16 mai 1839, n°136)

(Présidence de M. Raikem)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Lejeune procède à l’appel nominal à 1 heure.

M. de Renesse donne lecture du procès-verbal de la séance précédente, la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Lejeune présente l’analyse d’une pétition des administrations communales de Vliermal et Cortessem (Limbourg), qui demandent que le canton de Looz fasse partie de l’arrondissement de Tongres.

- Cette pièce est renvoyée vers la section centrale chargée de l’examen du projet de loi sur la matière.


M. Mercier, élu membre de la chambre par le district de Nivelles et admis dans la séance d’hier, prête serment.

Projets de loi qui ouvre un crédit au département de la guerre pour liquider des dépenses arriérées de 1830, 1831 et 1832

Rapport de la commission

Projets de loi qui ouvre un crédit au département de la guerre pour payement des créances de 1831 et années antérieures

Rapport de la commission

M. Mast de Vries, au nom de la commission des finances, présente un rapport sur des demandes de crédits destinés à couvrir des dépenses arriérées de 1830, 1831 et 1832.

- La chambre en ordonne l’impression et la distribution et, sur la demande de M. le rapporteur, met le projet à l’ordre du jour pour être discuté après ceux qui y ont déjà été mis précédemment.

Projet de loi concernant les péages et la police judiciaire sur les chemins de fer

Rapport de la section centrale

M. Van Hoobrouck de Fiennes, au nom de la section centrale du budget des travaux publics, fait rapport sur le projet de loi tendant à proroger jusqu’au 1er juillet 1840 la perception du péage sur le chemin de fer. M. le rapporteur demande que la chambre déclare l’urgence de ce projet et le vote immédiatement.

M. Dumortier – Je ne pense pas, messieurs, que l’assemblée soit disposée à voter immédiatement sans examen une loi aussi importante que celle dont il s’agit. Nous avons provisoirement accordé au gouvernement la faculté de régler le péage sur le chemin de fer, mais c’était là une dérogation à la loi primitive dans laquelle vous avez stipulé que ce péage ne pourrait être réglé que par une loi ; il me semble qu’il serait temps de rentrer dans la légalité, c’est du moins là une question que nous aurons à examiner. Mais ce n’est pas la seule ; la loi qu’il s’agit de proroger accorde au gouvernement la faculté de faire des règlements de police, et je ne sais pas si nous pouvons continuer à déléguer ainsi le pouvoir législatif ; je ne sais pas jusqu’à quel point nous pouvons, par exemple laisser au gouvernement le droit d’emprisonner les citoyens. Vous voyez donc, messieurs, que la question est extrêmement grave, et que la proposition de M. le rapporteur ne saurait être adoptée.

M. Van Hoobrouck de Fiennes, rapporteur – J’aurai l’honneur de vous faire remarquer, messieurs, que vous avez déjà virtuellement adopté ce projet en adoptant le budget du département des travaux publics, et, en second lieu, que la prorogation n’est demandée que jusqu’au 1er juillet 1840, et que la loi a été prorogée d’année en année depuis 1835 ; je ne sais pas pourquoi le projet donnerait lieu cette année à une plus grave discussion que les années précédentes.

Je pense donc, messieurs, qu’il n’y a aucun inconvénient à accorder encore, pour un an, au gouvernement l’autorisation qu’on lui a accordée jusqu’ici ; et il est d’autant plus important de le faire que la loi cesse ses effets au 1er juillet prochain.

M. de Brouckere – Je crois bien, messieurs, que le temps nous manquera pour nous livrer à l’examen de toutes les questions qui ont été soulevées par l’honorable M. Dumortier, mais ce n’est pas là un motif pour voter le projet sans aucun examen, comme le demande M. le rapporteur. Je demande qu’on mette le projet à l’ordre du jour à la suite de ceux qui y ont déjà été mis, et qui doivent tous être discutés avant la fin de la session.

M. Van Hoobrouck de Fiennes, rapporteur – Lorsque j’ai demandé que le projet fût voté immédiatement, je craignais qu’après la grave discussion dont nous nous occupons, la chambre ne se trouvât plus en nombre, et comme il faut absolument que le péage puisse être perçu, et que la loi actuelle cesse sont effet au 1er juillet prochain, j’ai pensé qu’il serait prudent de la proroger de suite.

M. de Brouckere – Messieurs, le projet est évidemment très urgent, mais il en est d’autres encore qui ne le sont pas moins ; par exemple, ceux qui concernent les circonscriptions judiciaires et administratives du Limbourg et du Luxembourg ; si la disposition relative au péage sur l’Escaut se prolonge, je me propose, d’ici à deux jours, de demander que la chambre fixe une séance du soir pour s’occuper de tous les projets urgents, parmi lesquels se trouve nécessairement celui sur lequel l’honorable M. Van Hoobrouck vient de faire rapport.

M. Dumortier – J’appuie, messieurs, la proposition de l’honorable M. de Brouckere, mais je ferai remarquer en même temps qu’il est vraiment fâcheux de voir le gouvernement attendre toujours la fin de la session pour nous présenter des lois annuelles ; de cette manière il devient presque impossible d’examiner ces lois, et c’est précisément pour cela que la loi dont il s’agit en ce moment, a été votée pendant cinq années sans avoir pu être discutée.

Je rappellerai en même temps à la chambre un devoir qu’elle a à remplir, et auquel elle pourrait également consacrer une séance du soir ; c’est la nomination des membres du jury d’examen qui ne peut pas être remise ; en adoptant la proposition de M. de Brouckere, nous trouverons le loisir de nous occuper de cet objet.

- Le projet de loi relatif au péage sur le chemin de fer est mis à l’ordre du jour, à la suite des projets qui s’y trouvent déjà.

Projet de loi relatif au remboursement du péage sur l'Escaut

Discussion générale

M. Dolez (pour une motion d'ordre). - Messieurs, dans la séance d’hier, à laquelle il m’a été impossible d’assister, l’honorable M. Pollénus a attribué aux paroles que j’ai prononcées dans la séance de lundi une importance et une portée contre lesquelles je dois protester. Je dois protester contre l’importance que l’honorable membre a attribuée à mes paroles, parce que j’ai eu soin de déclarer que je parlais bien plus à l’occasion de la loi que sur la loi elle-même ; je dois protester contre la portée que M. Pollénus a donnée à mes expressions, parce qu’il a été loin de ma pensée de ne voir dans le grave débat qui nous occupe qu’une simple question d’intérêt local. Puisque l’honorable membre a fait un appel à ce que j’ai dit comme rapporteur de la section centrale sur l’acte du 23 janvier, il me sera permis de faire remarquer que le langage que j’ai tenu dans cette grave circonstance témoigne assez que je savais comprendre toute l’importance de la question de l‘Escaut pour nos intérêts nationaux. Ce langage, l’ai-je oublié, l’ai-je démenti par les quelques mots que j’ai prononcés dans votre séance de lundi ? Certainement non. Sans méconnaître l’intérêt général qui s’attache à la question de l’Escaut, ce qui, à mes yeux même, eût été une véritable absurdité, j’ai prétendu que ce débat présentait en outre un intérêt tout spécial pour la ville d’Anvers et pour son puissant commerce. Voilà, messieurs, la pensée que j’émettais, et rappelez-vous que je faisais appel au discours de l’honorable M. Donny, qui s’était chargé de démontrer à la chambre la vérité de cette assertion, en vous faisant l’énumération des héritiers collatéraux, entre lesquels pourrait se partager la succession d’Anvers, c’est-à-dire Ostende, Bruges, Nieuport.

J’ai dit encore, messieurs, que la question, même réduite à la ville d’Anvers, était trop majeure pour qu’il fût permis de s’abandonner à des considérations d’intérêt de nos localités respectives ; j’ai dit que je ne voulais pas me livrer à des calculs égoïstes, que la province du Hainaut pourrait peut-être gagner quelque chose à voir le charbon anglais frappé sur l’Escaut d’un droit de navigation, mais que l’intérêt qu’a la ville d’Anvers à la libre navigation du fleuve, était trop important et trop lié aux intérêts généraux du pays pour qu’une pareille considération pût un seul instant m’arrêter. J’ai ajouté que si je professais un semblable respect pour un grave intérêt de localité, j’avais la conviction que si les intérêts si puissants de la province que j’ai l’honneur de représenter se trouvaient un jour menacés, ils trouveraient une pareille sympathie dans cette enceinte. J’espère, disais-je, que non seulement les députés d’Anvers, mais tous les membres de la chambre comprendront à l’occasion, comme je le comprends aujourd’hui, qu’il est des intérêts locaux qu’on ne sacrifie jamais impunément.

Certainement, messieurs, il n’y a rien dans ce langage qui puisse justifier l’étonnement manifesté par l’honorable M. Pollénus. Pour moi, messieurs, si quelque chose pouvait m’étonner, ce serait de voir ceux de nos honorable collègues, qui, lors de la discussion de l’acte du 23 janvier, comprenaient à merveille et portaient peut-être même jusqu’à l’exagération toute l’importance de la liberté de l’Escaut, ne pas croire aujourd’hui que cette liberté soit digne de l’intervention bienveillante de la législature et de l’appui du pays entier.

M. Liedts – Messieurs, lorsque naguère tous les députés qui s’élevèrent contre l’acceptation du traité des 24 articles, firent un tableau si sombre de l’avenir commercial de la Belgique, lorsqu’ils firent tant et de si nobles efforts pour convaincre le pays de l’impossibilité de recouvrer dans le monde le rang qu’il y avait tenu, si les entraves de la navigation, stipulées au traité, étaient sanctionnées par la législature ; lorsqu’on alla jusqu’à dire qu’il serait peut-être préférable de payer 8,400,000 florins, avec la liberté de l’Escaut, que de payer 5,000,000 florins avec l’Escaut asservi à la Hollande, j’étais loin de m’attendre qu’un mois plus tard, on pût soutenir tout le contraire et réduire l’immense question qui nous occupe à une misérable question de localités, où l’intérêt général n’est pour rien et où il s’agit tout simplement de savoir si le centre de notre commerce maritime sera à Anvers ou à Ostende ; comme si la Belgique, aussi riche par les trésors que recèle le sein de la terre, que par ceux qui couvrent sa surface ; la Belgique, dont la production industrielle, toujours croissante, réclame de toutes parts des débouchés, avait trop de deux ports de mer, et que la vie de l’un dût être nécessairement la mort de l’autre. Et, quand il serait vrai, pour un instant, qu’il ne s’agit que de l’intérêt, je ne dirais pas d’Anvers, mais de Gand et d’Anvers, car on ne peut ici sacrifier l’un sans l’autre ; - et si Liverpool doit en partie l’activité de son port à l’industrie de Manchester, Manchester à son tour doit en partie sa prospérité à l’activité du port de Liverpool ; - quand il serait vrai que le sort du commerce de ces deux villes fût seul en jeu, ne serait-ce pas assez, nous ne disons pas pour améliorer leur position, car ce n’est pas ce qu’on demande, mais pour leur garantir l’état de choses qui existe depuis plus d’un quart de siècle, il y a des intérêts de localité, comme le disait très bien mon honorable ami, M. Dolez, qui méritent notre sympathie au même degré que les intérêts généraux ; et si cela est incontestable en principe, quelle ville est plus digne de votre sollicitude que la métropole du commerce ?

Témoin des vicissitudes qu’elle a éprouvées depuis neuf ans, je puis certainement élever la voix pour elle sans être soupçonné d’être inspiré par l’esprit de localité.

La Belgique s’est constituée en état indépendant par une révolution que la victoire a couronnée. Anvers a partagé tous les malheurs dont il a fallu payer ce succès ; seule elle n’en a pas jusqu’ici partagé les fruits. D’autres provinces ont vu leur industrie s’accroître, leurs manufactures se multiplier, leurs richesses s’augmenter ; Anvers seul est déchu du rang qu’il occupait en 1830. Aux angoisses d’un bombardement qui a ruiné tant de familles, a succédé pendant deux ans une occupation ennemie qui a tenu toutes les affaires en suspens, éloigné de ses bassins les navires qui les encombraient avant la révolution et amené l’émigration en Hollande de plusieurs maisons opulentes ; le siège de la citadelle lui-même, quelque bien conduit qu’il fût, n’a-t-il pas traîné à sa suite la dévastation des environs de la place, l’incendie de plusieurs maisons ; et tous ces désastres ne sont-ils pas restés jusqu’ici sans indemnité ? Enfin, comme si tous les fléaux devaient fondre sur cette province, les inondations provoquées par l’ennemi ne sont-elles pas venues aux pertes précédentes s’ajouter des pertes nouvelles, engloutir des communes entières et réduire presqu’à la mendicité des familles respectables ?

Et maintenant, messieurs, que peu à peu son port reprenait de la ville, maintenant que la valeur de ses propriétés foncières, qui est encore de 15 p.c. au-dessous de celle qu’elles avaient en 1830, commençait à se relever, maintenant que l’avenir commençait à lui apparaître moins sombre que dans les premières années de la révolution, vous voudriez lui enlever un état de choses dont elle est en possession depuis tant d’années ! Non, messieurs, vous ne voudrez pas qu’on puisse penser un jour de vous ce que l’historien Dewit disait du gouvernement espagnol : « Le roi d’Espagne négligea imprudemment d’ouvrir l’Escaut, voulant réduire cette ville trop opulente pour lui, et c’est ce qui obligea, ajoute-t-il la plupart de marchands d’Anvers de se retirer à Amsterdam. »

Messieurs, l’ère de la réconciliation générale commence ; il n’y aura plus dorénavant ni orangistes, ni patriotes, il n’y aura plus que des Belges dévoués à leur pays et à ses institutions. Dans cette position, serait-il prudent de forcer les populations des deux plus grandes villes du royaume, après la capitale, à tourner constamment la vue vers la Hollande, à gémir sur leur prospérité passée, et à regretter peut-être de ne pas subir le sort que d’autres parties du royaume subissent aujourd’hui comme la plus cruelle des destinées ? Gand et Anvers comptent parmi les vingt plus grandes villes des deux mondes ; une population semblable, mécontente, désaffectionnée, peut devenir inquiétante même pour un grand empire, témoin la ville de Bordeaux, si cruellement sacrifiée sous l’empire par le traité d’Amiens.

Mais vous réclamez une chose injuste, nous dit le député d’Ostende, vous demandez aux consommateurs de la Flandre occidentale un sacrifice pour faire prospérer le port d’Anvers au détriment du port d’Ostende ; vous voulez que la législature fasse protéger la navigation de l’Escaut, pour tuer le commerce maritime sur nos côtes occidentales ! J’en demande pardon à mon honorable collègue d’Ostende, mas il ne manque qu’une seule chose à ce tableau pour être vrai, c’est d’intervertir les positions.

En effet, messieurs, il faudrait s’aveugler cruellement pour ne pas s’apercevoir que c’est Ostende qui vient ici vous réclamer une exception en sa faveur. Le port de l’Escaut vous demande-t-il à jouir d’un privilège sur le port d’Ostende ? non, messieurs, mais il croit avoir le droit d’être traité sur le même pied que le port d’Ostende. Il ne demande pas que les navires entrant par l’Escaut soient soumis à un moindre droit que ceux qui abordent à Ostende, mais qu’ils ne soient pas frappés d’un droit plus fort ; en un mot, que votre loi soit la même pour tous les ports, qu’aucun ne soit mis hors du droit commun et que vous ne décrétiez pas d’anéantissement de l’un pour élever l’autre sur ses ruines. Cessez donc cette pénible récrimination de ville à ville, si vous voulez vous constituer le véritable défenseur des intérêts d’Ostende, ne faites pas croire, par vos discours, que ce port a besoin de l’asservissement de la navigation de l’Escaut, pour prospérer, et que la lutte avec des conditions égales est impossible.

Lorsque des sommes considérables ont été dépensées à Ostende pour désensabler le port et continuer le musoir dans la mer, avons-nous accusé le gouvernement d’être partial ? Avons-nous prétendu que chaque habitant d’Anvers contribuait par ses impôts à améliorer un port rival d’Anvers ? Avons-nous dit qu’il était inique de prendre dans la poche du contribuable d’Anvers de quoi approfondit le port d’Ostende ? Non, messieurs : plus justes et meilleurs appréciateurs des besoins du commerce, les habitants de cette province ne viennent jamais critiquer l’emploi des fonds publics pour rendre les ports du royaume abordable aux navires d’un plus grand tonnage ; et des millions dussent-ils y être engloutis, ils croiront encore, bien qu’une localité en profite spécialement, que l’intérêt général le commande parce que l’intérêt général lui-même n’est que la réunion de tous les intérêts locaux.

N’est-ce pas d’ailleurs un principe admis chez nous comme chez toutes les nations civilisées, que les dépenses qui ont pour but de favoriser le commerce et la navigation du pays, ont toutes un caractère éminemment national et doivent être supportées par l’état, et non par les localités où ces dépenses sont faites ?

Lorsque, par exemple, on rachète au prix de plusieurs millions de simples canaux, tels que celui de Charleroy, est-il venu à l’idée de personne de prétendre que le prix de ce rachat devait être payé par les localités que le canal traverse, et les provinces de Namur, des Flandres, de Liége et du Limbourg, seraient-elles écoutées à vous tenir ce langage égoïste : Que m’importent ces canaux ? Le chemin de fer lui-même, cette continuation de l’Escaut, jusqu’en Allemagne, devait-il être construit aux dépens des localités qu’il parcourt ?

Que répondre à cette autre objection qui a été faite avant-hier pour prouver que le péage sur l’Escaut ne doit pas être supporté par l’état ? Le traité des 24 articles, dit-on, forme un tout indivisible ; vous l’avez considéré comme une nécessité, comme un cas de force majeure. Eh bien, que chacun subisse le sort que la nécessité lui a départi, et de même que le Luxembourg et le Limbourg doivent garder le lot que le traité leur a fait, de même Gand et Anvers doivent supporter la part de la force majeure qui pèse sur eux.

Singulier raisonnement, amère dérision ! Quoi, parce que le même coup de foudre tue l’un des membres de ma famille et en blesse mortellement un autre, je ne devrais pas soulager le malheur de ce dernier parce que je ne puis porter aucun secours à celui qui m’est enlevé ? parce que certaines clauses du traité sont sans remède, faut-il laisser subsister les malheurs attachés à une autre stipulation, lorsque nous pouvons les faire disparaître ?

Oui, messieurs, le traité forme un tout indivisible ; mais c’est précisément pour ce motif que le bien et le mal qui en découlent doivent être communs, et qu’un membre de la grande famille ne peut pas dire : Je prendrai ma part dans les bienfaits de la paix, mais les charges au prix desquelles nous avons obtenu la paix, je les rejette sur mes concitoyens.

Et si ce traité nous avait permis de racheter nos frères du Luxembourg pour 60 millions, comme on en a nourri un moment l’espoir, l’honorable député auquel je réponds, eût-il également soutenu que ce sacrifice devait être supporté par cette malheureuse province ? Voilà pourtant à quelle conséquence inhumaine conduit la doctrine qu’on a développée à cette tribune !

Messieurs, c’est trop longtemps envisager la question du point de vue de nos adversaires ; je proteste de toutes les forces que donne une profonde conviction contre le langage de ceux qui voudraient faire perdre à cette question sa haute gravité, et qui vous la présenté comme d’un intérêt purement local. Comment ! la navigation de ce beau fleuve qui porte la richesse partout où il coule, qui a tenu si souvent l’Europe en armes, ce fleuve pour la possession duquel tant d’hommes et tant de millions ont été sacrifiés, ne seraient plus aujourd’hui que d’un intérêt secondaire, et sa navigation pourrait indifféremment croître ou décroître sans que la prospérité du commerce de tout le pays s’en ressentît ? Allez dire aux Anglais que la navigation de la Tamise n’intéresse que la ville de Londres, allez dire aux Hollandais que la navigation du Zuiderzee n’intéresse que la ville d’Amsterdam, ils vous demanderont si vous venez de quelque contrée inculte où la civilisation n’a pu jusqu’ici pénétrer, et où la société, dans son enfance, ne peut encore apprécier les bienfaits du commerce maritime.

Ayons de l’amour propre, même quelquefois un peu de présomption, on le pardonne facilement à une jeune nation ; mais ne poussons pas la fatuité jusqu’à penser que nous connaissons mieux les intérêts du commerce que les Hollandais, nous serions la risée de l’univers entier ! Nous valons nos voisins, nous valons mieux qu’eux sous d’autres rapports, mais ayons la bonne foi de les reconnaître pour nos maîtres, lorsqu’il s’agit d’apprécier l’importance de l’Escaut. Eh bien, quelle est leur opinion au sujet de la navigation de ce fleuve ? De tout temps la Hollande a senti qu’il n’y a qu’un seul port en Belgique qui puisse rivaliser avec Amsterdam et Rotterdam, et si le commerce tout entier de la Hollande a si fort applaudi à la séparation de la Belgique, c’est parce qu’ils espéraient que ces événements devaient porter un coup funeste à la navigation de l’Escaut. Voyez le langage des états généraux dans leur adresse du 9 octobre 1784, lorsque l’Autriche voulait que l’Escaut fût libre de toute entrave : « L’ouverture de l’Escaut, dit cette adresse, est de la dernière conséquence pour l’état et étroitement liée avec le maintien et la sûreté du pays. » Ainsi, de l’aveu de la Hollande, le salut de ce pays dépend de l’ouverture de l’Escaut. Que lui importent les autres ports de la Belgique, ils savent bien qu’ils ne peuvent leur porter aucun ombrage ! C’est la navigation de l’Escaut qu’il faut frapper de léthargie pour élever le commerce maritime de la Hollande sur les ruines du commerce belge !

L’Escaut libre attire à lui le commerce des ports de la Hollande, l’Escaut entravé refoule les trésors vers Amsterdam et Rotterdam. Est-ce là le langage qu’aurait tenu la Hollande, si, en entravant la navigation dans l’Escaut, on ne faisait que déplacer le centre du commerce belge sur un autre point de la Belgique ? Non, vous ne pouvez croire nos voisins si dépourvus de bon sens, et si de tout temps, ils n’ont eu des inquiétudes que pour un seul port de notre pays, c’est qu’ils savent mieux que nous que ce seul port peut devenir un rival dangereux. Combien nous devons regretter, messieurs, que notre vue rétrécie ne nous permette pas d’embrasser d’un seul coup d’œil tous les résultats du commerce maritime, et le bien-être général qui en dérive ! Si la question était à décider en Hollande, qui n’est plus notre ennemie, mais qui sera toujours notre rivale ; s’il s’agissait de savoir si, moyennant 6 ou 700 mille francs par an, on rendra le port d’Amsterdam ou de Rotterdam à son ancienne splendeur, ou si l’on anéantira la prospérité d’un de ces deux ports sous prétexte que l’autre lui restera toujours, croyez-vous que la Hollande hésitât un seul instant ? Son histoire répond pour elle, son histoire nous prouve qu’il n’y a pas de sacrifice pécuniaire qu’elle ne fasse pour favoriser ses ports, et son énorme dette publique est en grande partie le résultat des guerres entreprises ou soutenues dans ce but ; et cependant la Hollande est plus petite que la Belgique ; elle est moins productive, mieux industrielle, et a besoin pour ses propres productions, de moins de débouchés que nous ; mais, en revanche, chacun y a présents à l’esprit les phénomènes que le commerce maritime a produits ; chacun y sait que c’est le commerce qui a déversé sur le pays les trésors dont il abonde ; tous les Hollandais savent que s’ils sont parvenus à disputer à l’océan le sol qu’ils habitent, à forcer la mer de respecter leurs digues, à changer en riches cités de pauvres hameaux, à se créer une influence dans toutes les cours de l’Europe, à faire rechercher leur alliance par tous les souverains, ces bienfaits, ces trésors, cette influence, c’est au commerce maritime qu’ils le doivent.

Je sais que quelques-uns de nos honorables collègues s’imaginent que nos craintes sont exagérées, et que le péage n’est pas de nature à nuire notablement à nos relations commerciales ; mais j’adjure ceux qui nous tiennent ce langage à se rendre sur les lieux et à juger de leurs propres yeux de l’influence désastreuse du péage. Là ils verront qu’à l’heure qu’il est la seule crainte de l’exécution littérale du traité a rendu presque désert ce port naguère encore couvert de voiles ; que serait-ce si à la criante d’un péage succédait la triste réalité !

La somme qu’exige le rachat, est-elle après tout si exorbitante. ? Excède-t-elle les ressources du pays 6 ou 700 mille francs par an ? C’est 16 à 18 c. par tête pour toute la population ; et quel est l’individu, quelle que soit sa position, qui, par la prospérité du commerce, ne soit en état de récupérer au centuple ce sacrifice insignifiant ? Quel est l’homme qui ne fût heureux de payer annuellement un impôt de 18 c. pour assurer à l’industrie et au commerce le principal de ses débouchés ? Le pays a fait un sacrifice de 12 millions pour racheter un canal ; l’intérêt annuel de cette somme suffit largement pour racheter le péage sur l’Escaut. Aurions-nous, par hasard, assez peu de lumières pour faire plus de cas d’un canal que d’un des plus beaux fleuves de l’Europe ? serions-nous pleins de sollicitude pour la navigation intérieure, et sans entrailles pour les doléances du commerce maritime ? en un mot, ne serions-nous pas accusés de folie si nous étions moins soigneux de conserver intacte la veine artère qui porte la vie dans toutes les parties du corps, que d’entretenir la santé dans une de ses mille ramifications ?

Nous sommes autant que personne amis de l’économie ; mais qu’on se rappelle bien qu’il y a de fausses économies qui ruinent un état. Si vous voulez des économies maintenant que nous allons jouir des bienfaits de la paix , réduisez l’armée au strict nécessaire ; un demi-régiment coûte plus au trésor que ce qu’exige le rachat du péage.

Après tout, peut-on appeler un sacrifice le paiement d’une somme, laquelle, sans parler pour le moment de son influence sur le commerce en général, fait rentrer le décuple au trésor ? N’est-ce pas au contraire placer un capital à gros intérêts ? Et en effet, ouvrez vos budgets ; voyez la somme que la province d’Anvers fait verser dans les coffres du trésor public ; pour le droit de douane seulement, à peu près 4 millions de francs, c’est-à-dire autant que tout le reste du pays ensemble. Je ne parle pas des droits de transit, de sortie, de tonnage, de timbre collectif, etc., etc. Ainsi en supposant que le péage sur l’Escaut, s’il n’était racheté, ne fît décroître l’activité du commerce que d’un dixième, le trésor seul y perdrait plus que la somme qu’on nous demande. Et de l’aveu de tous les hommes entendus dans cette matière, le commerce dépérirait de plus des 2/3 , et par conséquent votre prétendue économie serait préjudiciable au trésor, en même temps qu’elle serait ruineuse pour l’industrie et le commerce de tout le pays.

Je dis que l’existence du péage porterait un coup funeste à l’industrie et au commerce de tout le pays ; et en effet peut-on nier que toute entrave à la libre navigation d’un fleuve fait ressentir ses effets dans tous ses affluents ? Or, l’Escaut se lie au Rupel, aux Néthes, à la Lys, à la Dyle, au Demer ; l’Escaut communique avec trois grands canaux, ceux de Terneuse, Bruxelles et Louvain. Tous ces affluents, toutes ces ramifications sont surtout destinées au cabotage, et certes, si le commerce et le cabotage est anéanti sur le fluence, il ne peut conserver son activité sur ses embranchements.

Nos exportations par mer prenaient chaque jour plus d’importance et de développement ; de 17 millions de francs, montant de 1832, ces exportations sont montées successivement au triple, c’est-à-dire, jusqu’à 52 millions ; et l’agriculture, qu’on se plaît si mal à propos à représenter comme sacrifiée par le commerce maritime, entre dans ces exportations pour plusieurs millions.

Voilà un résultat positif. Voilà une échelle de prospérité toujours ascendante. Tous les ans 8 millions d’exportations en plus : 17 millions seulement en 1832, 28 millions en 1833, 39 millions en 1834, 44 millions en 1835, 52 millions en 1836 et ainsi successivement.

Ne serions-nous pas coupables, messieurs, si nous allions substituer à un régime sous lequel, vous devez en convenir, les exportations de vos produits augmentent d’une manière si évidente, une théorie illibérale, dont vous n’avez jamais jusqu’ici discuté les bases et les principes ? Lorsqu’un marchand voit son débit doubler, tripler en cinq années de temps, ira-t-il bouleverser de fond en comble sa manière de traiter les affaires, et fonder son avenir sur les illusions d’une théorie ? Ce qui est vrai d’un individu est vrai de toute une nation.

Ce qui doit paraître étonnant à tout observateur impartial, c’est de voir que ceux qui semblent vouloir arrêter dans sa marche ascendante la prospérité du commerce maritime, ne se donnent pas même la peine de comparer nos exportations par mer avec nos exportations par terre ; là ils verraient que tandis que par mer nos produits indigènes s’écoulent chaque année en plus grande abondance, nos exportations sont stationnaires par les voies de terre. Et cependant que diriez-vous de celui qui, sous prétexte de favoriser la construction des voitures et des chariots dans le pays, ferait payer un droit de barrière de 50 francs à chaque voiture ou chariot de roulage qui dépasserait la frontière pour venir en Belgique ? Evidemment cette mesure aurait pour effet d’écarter, pour le transport de nos marchandises, la concurrence du roulage français ; nos constructeurs de voitures et de chariots y gagneraient, mais croyez-vous que cette mesure aurait également pour effet d’augmenter l’exportation de produits en France. Le commerce et l’industrie du pays ne diraient-ils pas avec fondement, à ce malheureux novateur : Notre intérêt est de vendre nos produits sur les marchés étrangers au plus bas prix possible, notre intérêt est d’y faire voiturer nos marchandises aux moindres frais possibles ; que nous importe après cela que la voiture qui transporte nos denrées, nos toiles, nos grains, nos cotons, soit une voiture indigène ou étrangère ! Votre loi nous est donc désastreuse, puisqu’en écartant la concurrence pour le transport vous augmentez le prix du transport, l’abaissement du prix était le résultat de la concurrence.

Messieurs, l’analogie est parfaite. La mer, c’est la grande route qui nous met en communication avec tous les peuples, les navires sont les voitures qui nous y conduisent ; si vous voulez, sous prétexte de favoriser les constructions de ces navires, chasser de nos ports les navires étrangers, rien de plus facile ; il suffit pour cela de leur faire payer 500 ou 600 francs chaque fois qu’il entreront dans notre port ; mais que le commerce ou l’industrie général y trouve son bénéfice, que les exportations de nos produits trouvent par là un écoulement plus facile, c’est ce que vous ne ferez croire à aucun homme de bon sens. Pour me convaincre, il faudrait prouver deux choses : la première que le fret subira une diminution, la seconde que les nations étrangères nous ouvriront plus facilement leurs ports.

Or, l’une et l’autre de ces propositions est une absurdité.

S’il y a dans le bassin de l’Escaut dix navires, étrangers et belges, prêts à mettre à la voile pour la Havane ou les Etats-Unis, par exemple, et que vous ayez des denrées ou des marchandises belges à y envoyer, la concurrence fera que vous aurez le transport à un très bas prix. Si au contraire la concurrence des navires étranger étant écartée, il ne vous reste qu’un ou deux navires allant dans ces parages, ils vous forceront à payer le fret qu’ils exigeront, et le prix de vos marchandises étant ainsi augmenté du prix du fret en arrivant sur les marchés étrangers, ne pourra plus lutter avec les produits similaires d’autres pays. Première conséquence.

Il ne serait pas moins absurde de prétendre que si vous faites payer aux navires étrangers abordant dans vos ports un droit de navigation de 500 ou 600 francs, les autres nations ne frapperont d’un droit plus fort encore vos propres navires. Car elles peuvent se passer de vous, plus facilement que vous ne pouvez vous passer d’elles.

Je ne m’étendrai pas davantage sur cette question d’économie politique que je n’ai fait qu’effleurer ; cette question est immense, elle a besoin d’une discussion spéciale, approfondie, où elle puisse être envisagée sous toutes ses faces, et je suis persuadé que la chambre ne voudra pas la préjuger dans une loi d’urgence.

Messieurs, le vote que vous allez émettre décidera de la prospérité ou de l’anéantissement du commerce maritime sur l’Escaut, car personne ne peut espérer qu’avec le péage imposé par ce traité, le commerce peut lutter sur les marchés étrangers avec le commerce hollandais ; de votre décision dépend la libre navigation ou la quasi-fermeture du seul port que la Hollande redoute ; l’acceptation de la loi peut fixer à jamais dans le pays une foule de maisons puissantes, que le rejet de la loi forcerait à émigrer avec la faible flotte marchande que la révolution de 1830 nous a laissée. Aucun autre port du pays ne peut remplacer celui que vous auriez perdu, le bon sens et l’expérience du passé le prouvent. Le mal une fois fait serait irréparable. On ne change pas aisément le siège du commerce lorsqu’une fois il est fixé à l’étranger. Réfléchissez-y donc mûrement et n’oubliez pas les terribles reproches que l’histoire adresse au gouvernement espagnol pour avoir aidé à la conclusion du traité de Munster ; en 1648, la fermeture de l’Escaut fut un cadeau que la tyrannie fit à la liberté ; craignons, messieurs, qu’à côté de ce sarcasme, l’histoire n’inscrive dans ses annales qu’en 1830 la quasi-fermeture du fleuve fut un cadeau que l’ignorance des Belges fit à l’intelligence des Hollandais.

M. le président – La parole est à M. Lebeau, inscrit pour le projet.

M. Lebeau – N’y a-t-il plus d’orateurs inscrits contre ?

M. le président – La liste des orateurs contre est épuisée.

Des membres – En ce cas fermons la discussion générale.

M. Lebeau – Je veux bien.

M. le président – Si les orateurs pour renoncent à la parole, je mettrai aux voix la clôture de la discussion générale. (Adhésion.)

M. Hye-Hoys – Avant de clore la discussion générale, je prie M. le ministre des travaux publics de vouloir bien répondre à l’interpellation que je lui ai faite dans la séance d’hier, relativement à la situation du canal de Terneuzen.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Messieurs, l’honorable M. Hye-Hoys et avant lui un autre député des Flandres vous ont entretenus du canal de Terneuzen, en exprimant le désir d’obtenir quelques explications à cet égard.

Dans votre séance d’avant-hier, l’honorable M. Desmet s’exprimait de la manière suivante :

« Le canal de Terneuzen a aussi été l’objet d’une note ; on a douté si la Hollande ne percevrait pas un droit de tonnage autre sur ce canal, que celui dont est imposée l’entrée dans l’Escaut.

« Il a été répondu que le droit ne serait perçu que sur la partie de l’Escaut qu’il faut passer pour entrer dans le canal, mais que la navigation du canal lui-même serait entièrement libre, que les navires belges comme les hollandais ne paieraient aucun droit pour le parcours du canal, soit sur la partie hollandais, soit sur la partie belge.

« Je ne sais pas comment la chose a été entendue ; est-ce le droit de tonnage ou bien sont-ce les droits locaux ? Cependant il est impossible qu’on n’ait entendu autre chose que les droits de tonnage, car si on y avait compris les droits locaux, ceux de passe aux écluses et encore d’autres pour l’entretien du canal, alors ce serait le cas de dire que la pauvre Belgique a encore une fois été dupée.

Messieurs, tout cet exposé, tel qu’il est rapporté dans le Moniteur, est complètement inexact.

Le doute qui s’est présenté, est celui-ci :

Le droit qu’on paie sur l’Escaut, est un droit indivisible, c’est-à-dire, on le paie en entier, soit qu’on se rende de la pleine mer jusqu’à Anvers, soit qu’on ne dépasse pas un point intermédiaire, par exemple, Terneuzen.

Dès lors l’on s’est demandé si le navire qui se rend à Gand et qui a déjà payé le droit entier de l’Escaut, lequel est indivisible, pour faire le trajet de 4 lieues de Flessingue à Terneuzen paierait en outre les droits du canal de Terneuzen. Il a semblé juste de répondre que non, attendu que ce navire ayant payé en entier le droit de l’Escaut, comme s’il avait fait tout le parcours de Flessingue à Anvers, il fallait lui tenir compte de cette circonstance, et le décharger des droits particuliers du canal de Terneuzen.

Il ne s’agit pas de l’exemption d’un droit particulier de tonnage sur le canal de Terneuzen, distinct du droit d’écluse et de pont ; à cet égard les renseignements qu’avait le gouvernement résultaient de pièces officielles. Le tarif du canal de Terneuzen est du 9 avril 1830. Il comprend deux droits, le droit d’écluse et le droit de pont ; il n’en comprend pas d’autres. Le droit d’écluse se paie à raison du tonnage, c’est-à-dire de la capacité du navire ; le droit de pont par bateau, c’est-à-dire à raison du nombre de navires.

Je passe à la dernière observation qui a été faite par l’honorable M. Desmet.

Il y a donc exemption sur le canal de Terneuzen des droits établis par le tarif du 9 avril 1830. Cette exemption est-elle préjudiciable à la Belgique ?

Il y a 3 écluses sur le canal de Terneuzen : une écluse à Gand, une autre au Sas de Gand, et une troisième, une double écluse à Terneuzen ; c’est-à-dire qu’il y a deux écluses sur la partie hollandaise et une écluse sur la partie belge. Ainsi, si l’on payait des droits sur le canal de Terneuzen, le gouvernement hollandais en aurait perçu pour deux écluses, et le gouvernement belge pour une écluse, c’est-à-dire que la faveur est du côté de la Belgique, puisque la Belgique a obtenu l’exemption du paiement de deux écluses.

On aurait payé sur les bâtiments de mer en remonte pour les deux écluses hollandaises, en remonte 50 cents, en descente 24 cents. On aurait payé sur l’écluse unique de la Belgique 18 cents en remonte et 14 cents en descente ; c’est-à-dire que la différence est de 12 cents en remonte et de 10 cents en descente. De sorte qu’il est vrai de dire que l’exemption est plus forte du côté de la Hollande. Il en résulte que la Belgique n’a été nullement dupée en cette circonstance.

Il y a encore des droits différents, des droits du canal proprement dits : ce sont les droits de bassin. Il y a à Gand un bassin que la ville a construit ; elle y perçoit des droits de bassin, mais ces droits ne doivent pas être confondus avec les droits du canal. De même il y a à Anvers des droits de bassin, de port, qui se perçoivent par la ville d’Anvers. Ces droits sont entièrement distincts des droits de l’Escaut même.

Voilà les explications que j’avais à donner en réponse à l’interpellation de l’honorable député d’Alost.

L’honorable M. Hye-Hoys vous a signalé hier l’état où se trouve le canal de Terneuzen. Il vous a dit qu’il serait nécessaire d’y faire des travaux. Ce qu’il vous a dit à cet égard est exact. Il y a eu envasement dans une grande partie du canal de Terneuzen. Il faudra dévaser le canal. J’ai demandé, il y a plusieurs jours, un rapport particulier sur la situation du canal ; les travaux extraordinaires qui seront à faire pour le rendre à la navigation, devront naturellement être faits par l’état.

M. le ministre des finances (M. Desmaisières) – Messieurs, dès que la nécessité d’une dépense vient à être reconnue, il est du devoir du ministre des finances d’aviser aux ressources nécessaires pour couvrir cette dépense. Il est de son devoir aussi, je le reconnais, de le faire de manière à prendre l’argent là où il se trouve, et à gêner le moins possible les contribuables.

Au cas présent, la liberté de l’Escaut a été proclamée, dans la discussion du traité de paix, comme une nécessité pour les intérêts généraux du pays, et par les adversaires du traité, et par ceux auxquels une autre nécessité a imposé le devoir d’accepter ce traité.

Dès lors la question du remboursement du péage par la nation ne doit, selon moi, souffrir la moindre difficulté. Dès lors, il m’a incombé aussi de chercher les ressources nécessaires pour faire face à ce remboursement.

J’avais aussi l’obligation de créer ces ressources, de manière à ne pas les faire tomber entièrement sur le commerce et la navigation, au profit direct desquels cette charge du remboursement du péage devait être décrétée ; je devais le faire en outre, de manière à ne pas trop surcharger les autres contribuables au profit indirect desquels cette charge devait également tourner. Je ne pouvais donc faire autrement que de m’adresser partiellement et aux uns et aux autres.

Pour m’adresser au commerce, je n’avais pas d’autre parti à prendre que de recourir aux centimes additionnel sur les droits de douane, de transit et de tonnage. Et ici j’avais deux motifs pour prendre ce parti. C’est que d’abord, par ce moyen, l’industrie et l’agriculture venait à recevoir un surcroît de protection, et que, d’un autre côté, le profit de l’impôt créé pour faire face, partiellement au remboursement du péage, devait nécessairement augmenter en raison même de la cause qui y a donné lieu, car, messieurs, plus il y aura de navigation, plus il y aura certainement de péage à rembourser, mais aussi plus il y aura de trois centimes additionnels à percevoir.

Nous ne pouvons d’ailleurs songer à augmenter les autres impôts indirects, ceux d’accises, d’enregistrement, lesquels se trouvant déjà frappés de 26 centimes additionnels ordinaires, ont été frappés extraordinairement cette année de 4 centimes, tandis que les droits de douane, de transit et de tonnage n’ont été frappés que de 2 centimes, et qu’ainsi, comme les centimes nouveaux ne seront perçus que pendant les 6 derniers mois de cette année, il en résultera que les droits de transit, de tonnage et de douane ne supporteront qu’une augmentation de 3 centimes et demi cette année.

Un honorable orateur a dit hier (je cite le texte du Moniteur afin de mieux rendre ses paroles) :

« La navigation de long cours n’a pour ainsi dire aucun intérêt dans ce débat ; car le fret qu’on stipule pour transporter un mètre cube ou stère de marchandises de l’Amérique ou des Indes orientales jusqu’au port d’Anvers est tellement élevé qu’un florin de plus ou de moins par stère n’est pas un objet sensible pour cette navigation. Aussi doit-il être certain, aux yeux de toute personne qui connaît cette branche de navigation, que les bâtiments de long cours continueront à fréquenter l’Escaut absolument de la même manière, soit qu’on rembourse le péage et qu’on ne le rembourse pas. L’intérêt général du pays n’est donc pas engagé dans la question du remboursement du péage pour la navigation de long cours. »

Messieurs, je vous l’avoue, quoique j’aie l’honneur d’être ministre des finances, je ne comprends pas du tout le calcul qui a été fait là ; si le résultat auquel l’on est parvenu était vrai, il s’ensuivrait que parce que la navigation de long cours a beaucoup à payer, elle doit payer encore plus, et qu’elle peut facilement payer plus. Je crois que c’est là la traduction exacte de l’assertion de l’honorable membre, et certainement cela n’a pas besoin d’être réfuté.

Quant au cabotage il a dit : On doit avouer que si le péage n’est pas remboursé, ce sera une charge sensible pour lui ; mais a-t-il affirmé ensuite, l’effet de cette charge ne sera qu’un déplacement apparemment en faveur d’Ostende, Bruges et Nieuport, et défavorable aux villes d’Anvers, Gand, Bruxelles et Louvain.

Je crois tout le contraire ; je crois que si la liberté n’existe pas, il n’y aura plus ou presque plus de navigation de long cours, et par conséquent perte presque entière du cabotage, car une navigation est liée nécessairement à l’autre. Pour vous prouver par des chiffres qu’Ostende gagnera par la liberté de l’Escaut proportionnellement à ce qu’Anvers gagnera, je vais présenter quels ont été les tonnages à Anvers et à Ostende dans les dernières années :

A Anvers, en 1836, il y a eu 175,964 tonneaux ; en 1837, 221,311 tonneaux ; en 1838, 255,916 tonneaux.

A Ostende, en 1836, il y a eu 57,727 tonneaux ; en 1837, 65,776 tonneaux ; en 1838, 73,943 tonneaux.

Ainsi, vous le voyez, messieurs, à fur et à mesure que la prospérité d’Anvers augmente, celle d’Ostende augmente également ; Ostende a donc autant d’intérêt à la liberté de l’Escaut que les autres parties du pays.

Un autre honorable membre de la Flandre occidentale a évalué le péage de 1 florin 50 cent comme équivalent à un demi p.c. sur les marchandises transportées, et il en a conclu qu’il ne fallait pas s’arrêter à une charge aussi insignifiante, selon lui, pour le commerce. Mais n’est-ce dont rien qu’un demi p.c. pour les navigateurs ? L’honorable membre ne sait-il pas que pour tout marchand, tout industriel, un demi p.c. est quelque chose, et que même un demi pour mille est souvent un obstacle invincible à la pratique de son commerce et de son industrie ?

L’honorable membre auquel j’ai d’abord fait allusion tout à l’heure a renouvelé les plaintes qu’il a faites dans le temps et qui concernent la pêche nationale, ou plutôt l’absence réelle de pêche qui aurait lieu à Anvers. Certainement, messieurs, ces plaintes ne s’adressent pas directement à moi, car j’occupe depuis trop peu de temps le ministère des finances pour qu’on m’impute rien à cet égard ; mais je crois de mon devoir de justifier mes prédécesseurs, alors que je le puis d’une manière tout à fait éclatante, du reproche qu’on leur adresse.

Je tiens en main un arrêté qui a été pris par l’honorable M. Duvivier, le 25 avril 1834, et qui fait, à l’égard des abus qui se pratiquent à Anvers, tout ce qu’on peut faire légalement pour les empêcher, en l’absence d’une loi sur la matière. L’honorable M. Duvivier ne pouvait pas aller au-delà. M. d’Huart, qui m’a précédé immédiatement a envoyé des instructions dans le même sens et tenu la main à ce qu’elles fussent ponctuellement exécutées. Il y a plus : l’honorable M. d’Huart a présenté à la chambre, en 1837, un projet de loi destiné à régler tout ce qui concerne la pêche nationale, et ce n’est certainement pas sa faute si le rapport sur cette loi n’est pas encore fait.

Messieurs, certainement qu’à l’occasion du péage sur l’Escaut, on peut prétendre entrer dans la discussion d’une foule de questions de la plus haute importance, d’une foule de questions d’économie politique. Mais avons-nous bien le temps, actuellement, de nous occuper de pareilles questions. Possédons-nous bien les éléments propres à nous éclairer dans un pareil débat ? Tous les faits qui en sont les préliminaires obligés se sont-ils produits ? Voilà ce que je me demande ; et je n’hésite pas à répondre, non. Pour se livrer à l’examen des questions de droits différentiels, il faut avoir passé par l’épreuve des négociations nécessaires afin d’arriver à la conclusion de traités de commerce et de navigation avec les autres nations. Et, en vérité, je n’ai pas compris et je cherche encore à comprendre comment il se fait que les honorables partisans, que les plus chaleureux défenseurs des droits différentiels ne soient pas satisfaits du projet de loi.

Il faut pourtant le reconnaître, le projet renferme à l’égard de la Hollande le droit différentiel mis en quelque sorte en action ; il renferme en outre une invitation expresse, de la part du gouvernement à la législature, de s’occuper de la question des droits différentiels ; car bien certainement on ne pourra pas examiner avant le 1er janvier 1843 si le régime de la disposition relative au remboursement doit être maintenu avec les pays où il ne sera pas intervenu d’arrangements, et on ne pourra pas se livrer à cet examen sans toucher à la question des droits différentiels ; par conséquent le projet de loi met à l’ordre du jour cette grande question. Ainsi il me paraît que les partisans des droits différentiels obtiennent tout ce qu’ils peuvent obtenir pour le moment, puisqu’il serait impossible, je le répète, de discuter cette matière sans les documents nécessaires pour l’approfondit.

Quant au système commercial entre la Belgique et les autres nations, il est certain que le projet de loi fournit encore l’occasion de le discuter ; mais cette haute question d’économie politique a été tant de fois discutée dans cette enceinte, qu’à raison du peu de temps que doit durer la session, et des nombreux projets de loi sur lesquels vous avez à délibérer, tout le monde sentira le besoin de ne pas s’entendre sur ce point.

D’ailleurs, messieurs, cette question, avouons-le franchement, se trouve déjà décidée. Les diverses adresses de la chambre, dont plusieurs ont été rédigées par l’honorable membre qui m’a interpellé hier à cet égard, les diverses lois de douane qui ont été votées sont là pour attester qu’unanimement, ou du moins presqu’unanimement, la chambre ne veut point de système exclusif, qu’elle ne veut que le système adopté partout, celui d’une juste réciprocité, d’une réciprocité raisonnée, et en rapport avec les intérêts généraux du pays.

Et où nous mènerait d’ailleurs cette question ? Elle ne nous mènerait à rien moins qu’à la révision général du tarif. Or, pour procéder à cette révision, il faudrait préalablement avoir fait une enquête, et cette enquête elle-même devrait être précédée d’une autre enquête qu’il est de mon devoir de faire et dont j’ai l’intention de m’occuper incessamment ; je veux parler d’une enquête sur les moyens de prévenir et de réprimer la fraude.

Avant peu de temps, messieurs, j’aurai institué une commission composée d’hommes spéciaux, et pour la composition de laquelle mon honorable collègue du département de la guerre a bien voulu m’assurer du concours d’officiers du génie et de l’état-major général. Avant peu j’aurai institué une commission chargée de présenter un système de cartes stratégiques de douanes ; avant peu j’aurai organisé une enquête pour rechercher les meilleurs moyens d’assurer l’action administrative pour la répression de la fraude.

Permettez-moi, messieurs, d’ajouter à cette espèce de programme de mes vues, quant à la question commerciale, quelque chose qui y sera jugé peut-être étranger, mais que je désire cependant faire connaître à la chambre afin qu’elle sache bien comment j’entends la ligne de conduite que j’ai à tenir : Il est de mon devoir de faire sortir la législature des embarras où elle s’est trouvée jusqu’ici pour arrêter les comptes de l’état, il est de mon devoir de préparer le plus tôt possible un projet de loi de principe en ce qui concerne la comptabilité générale.

Tels sont, messieurs, les premiers pas que je compte faire dans la carrière pénible et toute de dévouement que ma qualité de représentant de la nation m’a forcé d’accepter ; je m’estimerai heureux s’ils ont votre approbation.

Il me reste, messieurs, à vous présenter un amendement au projet de loi qui nous occupe. Trois systèmes se trouvent en présence : les uns veulent que les navires hollandais seulement soient exceptés du remboursement du péage ; les autres veulent étendre l’exception aux navires de toutes les nations étrangères, d’autres encore ne veulent d’exception aucune ; la chambre nous paraissant, à cet égard, très divisée, nous avons cru devoir présenter une modification qui nous paraît de nature à concilier les diverses opinions ; il s’agirait d’ajouter après les mots : « les navires néerlandais exceptés », ceux-ci :

« Toutefois, si les circonstances paraissent l’exiger, le gouvernement est autorisé à suspendre l’application de cette exception. »

Le dernier paragraphe de l’article 1er se trouvant alors trop éloigné de la disposition à laquelle il s’applique, on en ferait un article séparé qui deviendrait le deuxième de la loi, et l’article 2 actuel deviendrait le troisième.

M. de Foere – Messieurs, dans la discussion du traité du 23 janvier, mes honorables amis et moi, nous avons reconnu la grande importance que la libre navigation de l’Escaut offre au pays tout entier. Aussi nous avons considéré le péage imposé sur l’Escaut comme une quasi-fermeture ; nous avons encore soutenu que, le péage n’étant pas réclamé par la Hollande dans un but purement fiscal, mais dans celui d’entraver et de réduire le commerce et la navigation maritime de la Belgique, il n’existait qu’un seul moyen d’en atténuer les conséquences désastreuses. Ce moyen, dans mon opinion, était celui du remboursement qui est proposé. La prudence m’imposait alors, dans l’intérêt du pays, le silence sur ce moyen. Mes honorables amis et moi, nous persistons encore dans les opinions que nous avons émises ; cependant, dans cette discussion, nos intentions ont été méconnues. Selon nos adversaires, nous serions en contradiction avec nous-mêmes ; nous ne reconnaîtrions plus l’importance pour le pays de la libre navigation de l’Escaut ; on est même allé jusqu’à inculper notre bonne foi.

D’où vient, messieurs, cette étrange manière d’interpréter nos opinions, alors que nos adversaires et nous, nous attachons le même intérêt à la libre navigation de l’Escaut ? En voici la cause : Nous partageons la même opinion sur la liberté de ce fleuve ; mais nous différons avec nos adversaires sur l’application ou sur l’usage de cette liberté. Nous voulons, nous, un Escaut national. A nos yeux, ce fleuve n’a pour la Belgique d’autre importance que celle qui résulte du propre commerce, de la propre navigation du pays et de l’exportation de ses produits. Quand, négligeant les intérêts du pays, vous appelez, comme M. Rogier et M. Liedts, les navires, le commerce et les produits de toutes les nations étrangères à jouir avec nous, sur un pied égal, de la navigation et du commerce de l’Escaut, vous écrasez, au profit de la localité d’Anvers, les intérêts généraux du pays, et vous réduisez l’importance nationale de ce fleuve à la mesquine dimension d’un intérêt purement local. Ce n’est plus alors une question nationale ; c’est une question anversoise.

Vous voulez qu’il y ait à Anvers affluence d’arrivages étrangers. Cette prétention est contraire aux intérêts du pays. A cause de la proximité des ports de France, d’Angleterre et de Hollande, les navires de ces nations importent dans nos ports les articles coloniaux ; ils s’en retournent sur lest dans leur pays pour faire de nouvelles exportations de leurs produits nationaux similaires des nôtres ; ils reviennent des pays lointains et déchargent de nouveau leurs cargaisons dans nos ports. Nous devons chercher à importer nos besoins de consommation intérieure au moyen de notre propre commerce et de notre propre navigation. A cette condition vous pourrez exporter vos produits industriels, vous aurez des cargaisons d’aller et de retour. A cet avantage, si immense pour le pays, vous ajouterez les bénéfices de votre propre commerce et de votre propre navigation. Nous ne pouvons atteindre ce but sans accorder à la navigation du pays une protection spéciale, conformément à l’exemple de toutes les autres nations maritimes et commerciales. Refusez à votre navigation une protection suffisante, et jamais vous n’aurez de marine marchande, et sans marine marchande, jamais vous n’aurez de commerce extérieur ni d’exportation régulière et suivie de vos produits.

Demandez, dit M. Liedts, aux Anglais et aux Hollandais si les ports de Londres et d’Amsterdam sont pour les deux pays d’un intérêt général ? Je suis charmé que l’honorable membre ait fait cette demande. Certes, la réponse des Anglais et des Hollandais sera affirmative ; mais pourquoi le sera-t-elle ? parce que les ports de Londres et d’Amsterdam, comme tous les autres ports de ces pays, sont des ports nationaux. L’Angleterre et la Hollande accordent à leur propre commerce et à leur propre navigation une puissante protection qui leur permet d’exporter, d’une manière régulière et suivie, les produits de l’industrie nationale, d’exercer le commerce direct, d’échanger et de se livrer à des industries si avantageuses aux pays, comme la construction des navires et la navigation.

Vous voulez tout sacrifier au commerce de transit étranger ; vous y voyez une grande ressource de commissions locales ; vous érigez ce commerce en première ligne ; vous en faites, comme M. le ministre de l'ntérieur, la base du système commercial du pays. En Angleterre, en Hollande, en France et chez les autres nations maritimes et industrielles, le transit n’est et ne peut être considéré que comme commerce accessoire. Comparé au commerce direct et à la facilité qu’il donne d’exporter vos propres produits, le transit n’a chez ces nations qu’une importance minime. Le commerce direct et la navigation nationale y est tout. Ce sont les seuls véhicules qui transportent, d’une manière suivie, les produits nationaux en pays étrangers.

Il est impossible, au moyen du commerce de transit étranger, de compter sur des exportations régulières. Il faut, pour y réussir et ne pas vous exposer à une ruine certaine, établir, à l’exemple des Anglais, des Français, des Hollandais, des comptoirs nationaux ou des commandites en pays étrangers pour y gérer vos affaires. Sans cette condition, vos affaires ne sont pas soignées, vos marchandises sont gaspillées.

J’engage M. Liedts à demander aux négociants d’Anvers si cette condition de commerce extérieur n’est pas indispensablement requise. Or, ce n’est pas au moyen du transit que jamais vous pourrez parvenir à établir à l’étranger des comptoirs. Ce commerce est loin d’offrir dans ce but assez d’éléments. Sans commerce propre, sans navigation nationale, sans opérations d’échanges continuelles, jamais vous ne pourrez soutenir l’existence de vos factoreries.

Selon l’honorable M. Liedts, ses adversaires ne comprennent pas tous les résultats du commerce maritime. Il regrette qu’ils aient des vues si rétrécies Or, c’est tout en dirigeant contre nous une semblable accusation, qu’il s’oppose lui-même, de la manière la plus ouverte, au commerce maritime du pays. Il veut le livrer presque tout entier à l’étranger. C’est l’analyse du discours qu’il vient de prononcer. Nous, au contraire, nous voulons, au moyen du système protecteur adopté en Angleterre, en France, en Hollande et chez toutes les nations maritimes, nous voulons, dis-je, un commerce maritime directement exercé par le pays ; nous provoquons les moyens d’exporter nos produits industriels d’une manière sûre et régulière. Nous ne voulons pas livrer cet immense intérêt aux caprices, ni aux opérations plus que chanceuses de l’étranger.

Nous suivons la politique commerciale que l’Angleterre et la Hollande, vieillies dans l’expérience du commerce maritime, ont adoptée depuis deux cents ans et qu’elles n’ont pas abandonnée. Comme ces nations, nous n’érigerons pas le transit en système principal de commerce, et nous avons la simplicité de croire qu’en imitant l’Angleterre, la France et la Hollande, nous comprenons les résultats du commerce maritime et que nous ne voyons pas, d’une manière trop étroite, les intérêts maritimes du pays. Ce que M. Liedts et ses amis politiques veulent, c’est de faire d’Anvers une ville libre comme Hambourg, de l’Escaut un fleuve anversois. Nous voulons un fleuve national qui vivifie tout le pays et qui se lie à tous ses intérêts. Hambourg n’a pas, comme Anvers, derrière lui, un pays industriel.

Les destinées des deux villes ne peuvent donc pas être les mêmes. La question de la protection maritime est, selon nous, une question immense. Je l’appelle immense non pas dans le sens que M. Lebeau a attribué hier à cette expression et comme si j’avais voulu dire, dans la séance d’hier, que cette question était hérissée de difficultés ; je la considère, au contraire, comme très simple. Ce n’est pas une théorie nouvelle ; depuis deux siècles, elle est réduite en pratique dans tous les pays maritimes ; j’ai appelé cette question « immense » dans ses résultats favorables aux intérêts du pays. Telle était ma pensée, que j’ai même exprimée en termes propres.

L’importance de cette question se manifeste tous les jours. Nos produits ne trouvent pas de débouchés. Ceux-là même qui autrefois s’écoulaient sont supplantés, sur les marchés étrangers, par des produits des nations maritimes. Nos draps ne trouvaient plus de placement en Italie. Les draps anglais et français les y remplacent. Dernièrement M. le ministre de l'ntérieur a conseillé à notre fabrication de confectionner, comme les Anglais et les Français des draps de fantaisie. Je ne doute pas que nos fabricants de draps n’aient assez le génie de leurs propres affaires, l’instinct de leur propre intérêt. Ce qui leur manque, c’est une navigation marchande, un commerce extérieur régulier et suivi. La fabrication de draps marcherait sans les avis de M. le ministre, si lui-même il suivait les conseils qui lui ont été si souvent donnés à l’égard de l’urgent besoin de protéger efficacement notre commerce maritime.

L’honorable préopinant a trouvé dans le système de transit étranger un moyen d’écouler nos produits. Ce commerce nous amène, dit-on, dans le port d’Anvers, beaucoup de navires étrangers. De là il arrive à la supposition que dix navires à la fois sont mis en charge à la destination de la Havane, la concurrence réduit les frets, et cette réduction des prix de transports maritimes est avantageuse à nos exportations. Quant on établit des hypothèses, la saine raison exige qu’on les cherche dans un ordre de choses régulier, dans le cercle ordinaire des affaires.

Est-il bien probable que régulièrement dix navires se mettent à la fois à Anvers en charge pour la même destination. Vous supposez donc aussi que les dix armateurs veuillent se ruiner de gaieté de cœur ! qu’ils n’aient pas non plus l’instinct de leurs affaires ! Et quand même cette supposition serait praticable, auriez-vous alors servi les vrais intérêts du pays ? Les transports maritimes opérés par votre propre industrie navale seraient-ils sans importance ? L’Angleterre et la France sont en possession de moyens d’attirer, dans leurs ports, un plus grand nombre de navires étrangers ; leur consommation intérieure et leurs exportations surpassent de beaucoup les nôtres. Pourquoi ces nations ne préfèrent-elles pas les navires étrangers aux leurs ?

Je le répète, messieurs, je n’attache d’importance à l’Escaut que dans l’intérêt général du pays. Je désire que ce beau fleuve soit une voie de navigation nationale, servant à l’exportation des produits du pays au moyen de l’importation des besoins de notre consommation intérieure. Je désire qu’Anvers soit dans ce sens un port d’échanges. Ce serait une erreur de repousser le transit étranger ; mais ce serait plus qu’une erreur d’ériger le transi en commerce principal. En protégeant notre propre marine marchande et notre propre commerce maritime, la libre navigation de l’Escaut sera d’un grand intérêt pour le pays, et le remboursement du paysage une question nationale.

M. Lebeau (Moniteur belge du 17 mai 1839) – Messieurs, plusieurs membres de la chambre ont qualifié les défenseurs du projet de loi de novateurs, de promoteurs d’un régime nouveau. Je prie la chambre de remarquer que ce reproche doit être renvoyé directement à ceux qui nous l’adressent ; car les défenseurs du projet de loi, que demandent-ils ? Purement et simplement le statu quo ? Entendent-ils par là proscrire à tout jamais le système des droits différentiels ? Entendent-ils frapper à l’avance d’interdit, de fin de non recevoir, toute proposition de soumettre à la chambre une question si grave ? Certainement non. Libre au gouvernement, s’il est partisan des droits différentiels, libre à chaque membre de la chambre, dès le début de la session prochaine, d’appeler l’attention de la législature sur cette importante question.

A entendre l’honorable M. de Foere, la question des droits différentiels est tellement simple, qu’on peut la trancher pour ainsi dire à l’instant et en un quart d’heure. J’en demande pardon à M. de Foere mais rien n’est plus inexact. Comment se fait-il, si la question est si simple, qu’au moment même où on commence à la soulever, elle donne matière à quatre ou cinq propositions différentes ? Ainsi M. Dechamps a un système, et ce système n’est pas celui de M. Van Cutsem. Dans les sections, des systèmes ont été présentés qui ne sont ni celui de M. Dechamps, ni celui de M. Van Cutsem.

Exemptera-t-on seulement les navires arrivant des pays de provenance ? Exemptera-t-on les navires étrangers qui ne partiront pas sur lest et qui exporteront des produits indigènes ? Ne fera-t-on aucune distinction entre les produits bruts et les produits manufacturés ? Enfin, si vous entrez dans le système des droits différentiels, j’en appelle à ce qui s’est déjà passé depuis deux jours, vous allez voir surgir une douzaine de systèmes opposés les uns aux autres. C’est à la fin d’une session, lorsque la chambre est fatiguée par des discussions encore récentes , longues, pénibles, pleines d’émotions, lorsque la chambre a encore à voter neuf ou dix projets de loi qui ne peuvent être différés, c’est alors qu’on veut vous faire examiner tous les systèmes, enfants nés du système si simple de M. de Foere. Je dis que cela est impossible, que de bonne foi on doit y renoncer, et que si on insiste pour qu’à propos de la loi en discussion on traite la question des droits différentiels, on propose virtuellement l’ajournement du projet présenté par le gouvernement.

Voyez ensuite comme cette grave question est introduite.

L’honorable M. Dechamps s’est montré grand partisan des droits différentiels ; il en a exposé le système ave talent et lucidité. Eh bien, moi, je l’accuse d’une excessive timidité, d’une timidité telle que je suis tenté de ne pas lui croire une conviction bien robuste sur le mérite des droits différentiels. A quelle occasion propose-t-il d’essayer de ce système ? à l’occasion d’un simple droit de tonnage. Mais vous savez que la vraie base des droits différentiels n’est pas la cargaison du navire. Jetez les yeux sur la législation commerciale des autres peuples, et vous verrez que la base du système des droits différentiels, c’est la valeur des marchandises qui constituent la cargaison dans leur rapport avec le droit de douane. Et vous allez comprendre facilement combien il est vrai que restreindre aux seuls droits de tonnage le système des droits différentiels serait inefficace au moins pour le but que se propose M. Dechamps. Que peut signifier un droit de tonnage sur une cargaison venant de l’Amérique ou des Indes orientales ? fort peu de chose : assez pour déterminer, par l’appât d’un bénéfice si minime qu’il soit, à donner la préférence à un port voisin de celui d’Anvers ; mais pas assez pour produire le développement de notre marine marchande. Evidemment d’après cela le but serait manqué.

D’après vos principes vous devriez étendre le système des droits différentiels et le porter, de 10 pour cent qu’il est aujourd’hui, à 25 ou 50 p.c. additionnel au droit de douane. Ce serait là quelque chose de logique et de réel ; vous arriveriez à un résultat mauvais dans certaines opinions, mais efficace dans la vôtre.

Vous devriez aussi étendre votre système à tous les ports du royaume, et non à celui d’Anvers seulement. Cela ne peut faire question.

Cela étant, il y a quelque chose de fort extraordinaire dans le système partiel qu’on veut improviser, c’est que si nous établissions un droit différentiel sur le tonnage, nous ferions chose inutile, ou bien nous mettrions en pièces des conventions faites avec une vingtaine d’états. Telle est, du moins, mon opinion.

Voici ce que porte la loi du 26 août 1822 qui établit le droit de tonnage. Cette loi a divisé les navires, sous le rapport du tonnage, en trois catégories.

La première classe se compose des navires nationaux. Le droit est de 45 cents par tonneau payable à l’entrée et à la sortie, une seule fois pour l’année. C’est une espèce de droit de patente.

La seconde classe se compose des bâtiments qui naviguent sous pavillon étranger et qui appartiennent à des habitants d’un état où les navires des Pays-Bas sont assujettis aux mêmes droits seulement que les navires de ces états. Ce sont ces bâtiments qui forment la catégorie de ceux qu’on appelle assimilés.

La troisième classe comprend les navires non assimilés. Ce sont les navires des états où les nôtres supportent des droits de tonnage plus élevés que ceux de ces états mêmes. Le droit alors est de 11 florin 5 cents par tonneau, et pour chaque entrée, avec faculté pour le gouvernement de l’élever jusqu’au taux du droit dont nos navires sont frappés par ces états.

Eh bien, si cette loi a reçu son exécution, si, en vertu de cette loi, des traités sont intervenus entre le gouvernement des Pays-Bas et d’autres états européens ou transatlantiques, si ces traités ont conservé leur vigueur pour nous après la révolution de 1830, si vous-mêmes les avez invoqués, je dis qu’il vous est interdit de laisser peser sur les bâtiments de ces états un droit de tonnage dont vous affranchiriez, au moyen d’un remboursement, vos propres navires. C’est cependant ce qu’on vous propose de faire.

Plusieurs traités ont été faits à la suite de la loi de 1822 ; il suffit, pour s’en convaincre, d’ouvrir le Bulletin officiel. Pour n’en citer qu’un, voici ce que je lis dans le traité conclu avec le Mexique, le 15 juin 1827 :

« Art. 4. Les navires de chacune des parties contractantes ne pourront être assujettis, sur le territoire de l’autre, du chef des droits de lest ou de tonnage, de fanal, de port, de pilotage, etc., ou d’autres charges semblables, soit générales, soit locales, à aucun droit autre ou plus élevé que les navires nationaux y paient actuellement, ou y paieront par la suite. »

Je sais bien (car je veux mettre une entière franchise dans cette discussion comme dans toutes celles auxquelles je prends part), je sais qu’on peut incidenter sur ces expressions : « sur le territoire de l’autre » ; mais les traités de navigation et de commerce ne s’interprètent pas devant les tribunaux et avec la rigueur qu’on met dans l’interprétation d’un article du code de procédure. On envisage surtout leur esprit ; or il est évident que l’esprit de ces traités a été d’assimiler pour le présent et l’avenir, sous le rapport des droits de tonnage, les pavillons étrangers au pavillon national.

Je maintiens dès lors que vous violeriez les engagements internationaux, si vous ne faisiez pas jouir de la même faveur que vos propres navires, les navires des états avec lesquels des traités sont intervenus, ou des états dont il est émané ce qu’on appelle des « déclarations de chancellerie », portant que les bâtiments néerlandais étaient assimilés, quant aux droits de tonnage, aux bâtiments nationaux. Or, il y a vingt états dans ce cas. Vous ne pouvez donc laisser peser le nouveau droit de tonnage sur leurs bâtiments, alors que vous en dégrever les vôtres ; vous ne pouvez le faire sans violer ces traités, dont il faut envisager l’esprit plutôt que la lette. Vous ne pouvez pas plus indirectement que directement manquer à vos conventions.

J’ai déjà fait ressortir cette bizarrerie d’un système de droits différentiels établis pour un seul port, d’un législation commerciale qui diffère dans l’application entre les ports d’Anvers et d’Ostende. Si vous croyez ces droits utiles, vous devez les établir à Ostende comme à Anvers, car vous devez vouloir une marine marchande dans le port d’Ostende comme dans le port d’Anvers. Vous ne pouvez, en outre, sans injustice, placer Anvers hors du droit commun. Lorsque les droits différentiels n’existent nulle part, vous ne pouvez , sans injustice, les établir à Anvers. Vous ne pouvez non plus les établir à Ostende sans violer les traités dont j’ai parlé. Il y a donc nécessité d’ajourner la question des droits différentiels à un moment plus opportun. Quand on l’abordera, ce ne sera pas d’une manière incidente, et on donnera au système différentiel, s’il triomphe, sa principale, sa véritable base, qui est le droit de douane imposé sur la marchandise.

En ce moment de quoi s’agit-il ? Selon moi il ne peut s’agit que d’une chose : de maintenir au moins provisoirement le statu quo du port d’Anvers. Il faut que le port d’Anvers, quand cela vous est si facile, ne soit pas dans une plus mauvaise position après le traité qu’avant le traité. Or, cela est tout à fait dans vos mains.

La navigation de l’Escaut avait été compromise, il faut le reconnaître, par le traité du 15 novembre. Aux termes du traité du 15 novembre 1831 (telle était au moins l’opinion unanime de la conférence), l’Escaut se trouvait placé sous le régime du tarif de Mayence. L’Escaut y eût été, il est vrai, provisoirement placé ; mais vous savez ce que peut être un régime provisoire, en fait de péage fluvial, quand vous vous rappelez ce qui s’est passé relativement à la navigation du Rhin.

Eh bien, messieurs, le gouvernement, par ses efforts, par la sympathie intéressée si vous voulez, qu’il a rencontré dans quelques-uns des cabinets représentés à la conférence de Londres, le gouvernement, dis-je, est parvenu à redresser ce tort immense ; il est parvenu à nous dégager des liens du tarif de Mayence. La conférence, en stipulant un régime spécial, un régime plus favorable peut-être que celui de tous les fleuves soumis à un péage, a procuré à la Belgique la faculté de détruire la dernière entrave qu’il ne lui a pas été possible de faire disparaître, et la Belgique hésiterait !

Si la conférence n’avait pas eu aussi d’autre intérêts, d’autres convenances à ménager, je ne mets pas en doute qu’intéressée comme nous à la libre navigation de l’Escaut, elle n’eût fait disparaître jusqu’aux derniers obstacles. Mais nous n’étions pas seuls en cause ; cependant la conférence a obtenu au moins ce résultat que secondant les efforts du gouvernement belge, elle a rendu la Belgique maîtresse de lever, au prix de minimes sacrifices, la dernière entrave qui peut peser sur la navigation de l’Escaut.

La question renfermée dans ces termes ne peut pas souffrir la moindre difficulté. Car, assurément lorsque les chambres belges approuvaient le gouvernement qui avait accepté le thème de lord Palmerston, lorsqu’elles votaient le traité, sous la déclaration formelle de M. le ministre des affaires étrangères qu’il chercherait à faire insérer, dans les clauses du traité, le rachat de l’Escaut, personne n’a attaché de conditions à l’approbation qu’i donnait à cette déclaration du ministre ; personne n’avait non plus attaché de conditions à son adhésion au thème de lord Palmerston, qui consacrait ce rachat. On se gardait bien alors de parler de droits différentiels.

Si les droits différentiels sont une chose si excellente, si c’est le péage sur l’Escaut qui dit fournir l’occasion de les établir, vous auriez dû gémir sur une clause du traité qui eût rendu l’Escaut libre !

Il me semble, par exemple, que l’honorable M. Donny, qui veut qu’il y ait entre Anvers et Ostende une répartition plus équitable d’avantages, doit rendre des actions de grâce à la conférence, de ce qu’elle n’a pas rendu l’Escaut entièrement libre. Je suis étonné que l’honorable M. Donny n’ait pas, lors de la discussion du traité de paix, célébré comme un triomphe pour Ostende la rédaction de l’article 9 ; il eût dû déplorer une résolution de la conférence qui eût rendu l’Escaut tout à fait libre ; car l’équitable répartition qu’il veut, n’aurait dès lors pas été possible.

Vous parlez de répartition équitable, et ce n’est point à conditions égales que vous voulez lutter ! Vous ne vous contentez pas de vos avantages naturels, vous voulez qu’on vous en crée de factices ! A ce compte, un banc de sable qui surgirait devant le port d’Anvers, devrait vous paraître un heureux événement. Vous parlez de conditions équitables ! les conditions équitables sont les conditions naturelles. Qu’Ostende présente aux navires les mêmes garanties de facilité et de sûreté qu’Anvers, et Ostende prospérera comme Anvers. Mais ne demandez pas qu’on enchaîne Anvers pour faire prospérer Ostende, car voilà le but, la portée du moins de votre amendement.

Un de mes honorables collègues qui siège derrière moi (M. de Foere), me dit que ce n’est pas la question. Comme, pour lui, la question gît toujours dans les droits différentiels, qu’il a le privilège de les apercevoir sans presque toutes nos discussions et que je n’en parle pas pour le moment, je conviens que pour lui, mais pour lui seulement, je suis hors de la question. (On rit.)

Comme je pense que la question des droits différentiels n’est pas à l’ordre du jour, la chambre me saura gré sans doute de m’abstenir autant que possible d’y toucher. Je ne reculerai pas devant son examen quand le moment en sera venu.

J’arrive maintenant à l’exception qui a été formulée dans la loi contre les bâtiments néerlandais.

Dussé-je dans cette circonstance être accusé de faire encore un peu ma cour au roi Guillaume, être accusé d’être mauvais Belge (on rit), je me permettrai de dire que cette exception qu’on aurait comprise à la rigueur en 1830, me paraît passablement surannée en 1839.

Cette exception, je la trouve impolitique, je la trouve inopportune ; et j’ai lieu de regretter que messieurs les ministres, qui en section centrale, paraissaient l’avoir reconnu comme nous, aient pu conserver quelques doutes sur ce point.

L’honorable M. Donny l’a reconnu lui-même. L’exception en faveur du pavillon néerlandais est impolitique et peu rationnelle ; il la condamne ; il ajoute, il est vrai, que si on ne la raie de la loi, on donne à la Hollande le monopole de la navigation de l’Escaut ; il représente la Hollande comme très portée à encourager sa propre navigation vers le port d’Anvers, et à l’affranchir du tonnage créé par le traité de paix, c’est-à-dire que la Hollande paiera des primes pour détourner les navires du port de Rotterdam, et pour les diriger bénévolement vers le port d’Anvers ! Voilà, en vérité, un singulier démenti donné à l’histoire du commerce hollandais.

Et d’abord, il y aurait une certaine difficulté à opérer cette fraude (car ce serait là une fraude) ; le trésor belge ne remboursera le droit que sur la production de quittances. Si le roi de Hollande exempte du droit les navires qui voudront se rendre à Anvers, ils n’auront probablement pas de quittances à présenter au trésor belge. S’ils ont des quittances frauduleuses ou simulées il faut alors supposer (ce qui n’est pas très naturel) que le gouvernement néerlandais soit le complice des fraudeurs. Ce qui arriverait dans ce cas arriverait également pour la pêche : il faut absolument la complicité du gouvernement hollandais. Eh bien, je ne crois pas à une pareille complicité ; je crois bien qu’un gouvernement peut, dans un intérêt commercial, fermer les yeux sur telle ou telle partie du commerce irrégulièrement faite, sur ce commerce qu’on appelle interlope ; mais je ne pense pas qu’un gouvernement (je n’en excepte pas le gouvernement hollandais) descende jamais à devenir ostensiblement le complice des fraudeurs.

Et si de telles choses devaient arriver, n’avons-nous pas la ressource de la présentation d’un projet de loi pour le cas où l’on abuserait de la confiance du gouvernement ? Si vous ne voulez pas attendre jusque là, eh bien introduisez dans le projet que nous discutons un amendement qui autorise le gouvernement à suspendre provisoirement les effets de la loi, non seulement à l’égard de la Hollande, mais à l’égard de tous les pavillons. Avec cela, vous parez à tous les inconvénients qu’a signalés l’honorable M. Donny.

Une autre raison qui s’oppose à ce que le gouvernement néerlandais exempte ses navires du droit de tonnage, ou les en dégrève, c’est qu’ainsi il s’obligerait à en exempter aussi les navires étrangers que les traités ont assimilé en tout point aux navires hollandais.

J’ai maintenant, comme membre de la section centrale, à expliquer pourquoi cette section a admis les centimes additionnels. Certainement, mon honorable ami M. Rogier et moi, nous ne sommes pas grands partisans du mode de compensation financier qui est inscrit dans le projet de loi. Mais nous avons l’habitude, quand nous le pouvons, d’apporter dans les questions controversées des dispositions conciliatrices. Nous avons fait ainsi le sacrifice de notre opinion, pour chercher à rallier à la grande cause que nous défendons le plus de suffrages possible. Ce que nous avions surtout en vue, c’était le but : l’affranchissement de l’Escaut, le maintien de la position acquise à ce fleuve depuis un quart de siècle. Sue les conditions de détail, nous avons eu lieu de nous montrer faciles. Il y a d’ailleurs dans les centimes additionnels un avantage à nos yeux : c’est qu’ils ne frappent pas directement le commerce comme un droit de péage. Si on a l’air de reprendre d’une main ce qu’on donne de l’autre, il est vrai cependant que les centimes additionnels ne frappent pas le transit, tandis que le droit de tonnage le frapperait directement.

Au reste, si une opinion contraire au système de compensation qui a été proposé par le ministère, avait des chances de prévaloir dans la chambre, nous serions les premiers à voter pour qu’on mît le remboursement du péage à charge du trésor public, purement et simplement, sans recours à des centimes spéciaux.

Messieurs, je n’abuserai pas plus longtemps de vos moments. Je dirai avec un de mes honorables amis que si le traité de paix a exigé des sacrifices douloureux, l’intérêt seul de la nationalité belge a pu y faire souscrire la majorité de cette chambre ; mais je dirai avec lui que ces sacrifices consommés, le premier soin de cette chambre, sa première préoccupation a été de s’associer au gouvernement pour des mesures réparatrices. On en a proposé de plusieurs sortes. La chambre s’est montrée disposée à les accueillir toutes. C’est dans le même esprit qu’aujourd’hui on parle de droits acquis, qu’on vient invoquer pour telle ville du Luxembourg ou du Limbourg un état de possession qui ne date que de 8 ou de 9 ans.

Et Anvers, qui, sous l’empire français, puis sous le régime des Pays-Bas, a vu, grâce à la liberté de l’Escaut, sa prospérité se développer de jour en jour, et atteindre au plus haut degré à l’époque de la révolution de 1830, Anvers serait seul excepté, Anvers aurait seul, dans la Belgique nouvelle, à regretter la révolution de 1830 ! Vous ne ferez pas, messieurs, une pareille injustice, vous ne commettrez pas une pareille faute politique.

M. Donny (Moniteur belge du 16 mai 1839) – Messieurs, j’ai été attaqué avec beaucoup de modération par M. le ministre des finances, et avec un peu plus d’acrimonie par M. Lebeau. Je vais répondre à l’un et à l’autre.

M. le ministre des finances a pensé que je m’étais plaint des fraudes que commettent les soi-disant pêcheurs de l’Escaut. M. le ministre a pris de là occasion de justifier ses honorable prédécesseurs, messieurs Duvivier et d’Huart.

Je rends pleine justice à messieurs Duvivier et d’Huart ; je déclare publiquement qu’ils ont constamment témoigné la plus vive sollicitude pour la pêche nationale, et que si la fraude scandaleuse que j’ai signalée, n’a pas encore cessé, la faute n’en est pas à ces honorables administrateurs.

Je dirai ensuite à M. le ministre des finances que je ne me suis pas plaint précisément de cette fraude ; cela est inutile dans les circonstances actuelles ; mais j’ai signalé le fait, et je l’ai signalé pour vous faire voir les abus qui en résulteraient dans l’application de la loi, et ces abus se présenteront inévitablement, si l’on ne prend pas des mesures quelconques pour y porter remède.

M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Il y a une loi présentée.

M. Donny – Oui, et ce projet de loi fera peut-être qu’on ne fraudera plus comme on fraude aujourd’hui ; mais ce n’est pas là ce que j’ai signalé. J’ai dit que ceux qui fraudent à présent sans sortir de l’Escaut, et qui n’auront par conséquent aucun droit de péage à payer s’ils ne changent de conduite, feront en sorte de supporter le péage, afin d’en recevoir, outre le remboursement de la part de la Belgique, un autre remboursement de la part du roi Guillaume, remboursement que le roi Guillaume leur accordera, parce qu’on le lui demandera comme une prime d’exportation du poisson hollandais pour la Belgique.

M. le ministre des finances vous a rappelé que j’avais soutenu dans cette enceinte qu’un péage d’un florin par stère n’était pas un objet bien considérable pour la navigation de long cours ; il a ajouté qu’il ne pouvait concevoir cette manière de raisonner. Je vais développer cette idée, et je pense que M. le ministre des finances me comprendra.

Pour transporter les marchandises des Indes orientales au port d’Anvers, on exige un fret de 110 à 150 florins par last (deux stères en capacité, ou 2,000 kilogrammes en pesanteur). Ainsi le fret varie de 10 à 15 à 20 florins au-delà par last, selon le port d’expédition, selon les saisons, et surtout selon la proportion qui existe au moment du chargement entre la quantité des marchandises à charger et le nombre des navires disposés à leur prendre. Il en résulte que deux navires venant des Indes orientales chargés des mêmes marchandises, et arrivant dans le même port, recevront des frets qui diffèrent entre eux de plusieurs florins par last. Malgré cette différence, le négociant qui aura payé le fret le plus élevé soutiendra fort bien la concurrence avec le négociant qui aura supporté le fret le plus bas. Il n’y aura entre eux que cette seule différence que l’un gagnera quelques florins de plus par last que l’autre.

Remarquez maintenant, messieurs, que le péage est une charge de navigation, une espèce d’augmentation du fret, mais une augmentation légère puisqu’elle ne s’élève qu’à deux florins par last, d’après la manière de calculer du gouvernement. Si une augmentation de 10 florins et plus, par last, n’empêche pas de soutenir la concurrence, une simple augmentation de 2 florins l’empêchera bien moins encore.

Vous voyez qu’un florin par stère pour la navigation au long cours est un objet insignifiant.

J’avais accusé le projet qui vous est soumis d’injustice. D’honorables collègues et notamment l’honorable M. Lebeau ont usé envers moi de représailles ; ils ont trouvé que c’était dans mon amendement que se trouve l’injustice. Je ne vous répèterai pas les arguments dont je me suis servi pour établir la justice de ma thèse. Je ne m’attacherai pas aux arguments qu’a employés M. Lebeau pour démontrer au contraire l’injustice de mon amendement. Je ferai mieux : pour vous mettre à même de juger entre nous, je vous dirai quels seront les résultats du traité si vous admettez le système proposé par le gouvernement, et quels seront ces résultats si vous adoptez mon amendement ; et vous verrez alors de quel côté se trouve la justice.

Si vous adoptez mon amendement, voici quelles en seront les conséquences.

Les ports de l’Escaut perdront une partie de la petite navigation : c’est là une perte réelle, et j’ai été le premier à vous l’indiquer. Mais, en compensation de cette perte le traité donne aux ports de l’Escaut des avantages plus considérables que cette perte. D’abord la navigation de l’Escaut jouira d’une diminution sur les droits de pilotage, par suite de l’application à l’Escaut du tarif de Rotterdam. C’est là un avantage notable, mais encore insignifiant en comparaison d’un autre avantage que je vais vous indiquer. Vous savez que le commerce entre la Belgique et la Hollande est maintenant peu de chose ; mais sitôt que le traité sera ratifié, ce commerce va renaître, et il deviendra considérable. Qui doit recueillir les bénéfices de ce commerce ? Sera-ce les ports de la Flandre occidentale ? Non, ils n’en profiteront aucunement. Ce commerce se fera exclusivement par les ports de l’Escaut.

Maintenant tous les ports de la Flandre occidentale (si mon amendement est maintenu) profiteront de cet amendement et du traité, en ce que cette partie de la petite navigation qui abandonnera l’Escaut se rendra dans les bassins de ces ports. Mais ce ne sera pour ces petits ports qu’une compensation de la perte qui résultera pour eux du traité. En effet, ils perdront le commerce de Gand. Aujourd’hui, le canal de Terneuzen étant fermé, tout le commerce de Gand se fait par Ostende ; mais sitôt que le traité sera ratifié, la navigation de ce commerce va se porter immédiatement dans le canal de Terneuzen, d’autant plus sûrement que le péage existant aujourd’hui sur ce canal, paraît devoir être supprimé…

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Est supprimé.

M. Donny – Est supprimé ; soit. Si donc mon amendement est adopté, le traité infligera des pertes à tous les ports de la Belgique, mais par contre il leur procurera à tous des avantages plus considérables que ces pertes.

Examinons maintenant, l’autre système, celui que l’honorable M. Lebeau trouve si juste.

Si le projet est adopté, les ports de l’Escaut conservent tous leurs avantages ; ils jouissent de plus de la diminution du pilotage et de l’immense commerce qui va s’établir entre a Belgique et la Hollande. Tous les avantages sont pour eux. Aucune charge ne vient les accabler.

Quant aux ports de la Flandre occidentale, il faut tourner la médaille, toutes les pertes seront pour eux. Ils perdront le commerce de Gand ; ils verront anéantir la pêche nationale par suite des abus que des soi-disant pêcheurs feront des dispositions de votre loi. Ils verront aussi majorer les droits de douane, de tonnage et de transit qu’ils paient aujourd’hui, et cela pour que le commerce ne vienne pas chez eux. En un mot, toutes les pertes seront pour eux sans aucune compensation, et les avantages pour les ports de l’Escaut.

Voilà les résultats des deux systèmes.

Maintenir un traité qui donne à chaque port des avantages en compensation de ceux qu’il perd, tel est notre système.

Rompre l’équilibre d’un traité, afin de donner aux ports de l’Escaut tous les avantages et de laisser aux ports de la Flandre occidentale toutes les pertes sans aucun compensation, voilà la justice du projet de l’honorable M. Lebeau.

Maintenant choisissez entre l’un et l’autre.

M. Pirmez – Messieurs, voici le système des partisans des droits différentiels. Si la conférence avait dit : L’Escaut est fermé, les navires belges seuls auront la liberté de naviguer sur ce fleuve, la Belgique se trouverait par cette disposition dans une situation industrielle et commerciale la plus prospère qu’elle puisse désirer. (Rires d’approbation.) C’est la conséquence de ce qui a été dit. Je ne sais si on doit combattre de pareilles idées.

Il est à regretter que le gouvernement ne se prononce pas décidément sur une question aussi importante que la question de la levée de l’exception, portée d’abord contre les navires hollandais. On dirait que le gouvernement n’a aucune conviction. De la déclaration de M. le ministre des finances il résulte que le gouvernement regardera pour bon, pour vrai ce que la majorité de la chambre trouvera bon et vrai ; c’est une pratique que je ne saurais approuver.

On a déjà combattu cette exclusion des navires hollandais dans les séances précédentes, mais je ne pense pas qu’on ait fait remarquer que ce sont précisément les vaisseaux hollandais que nous avons le plus d’intérêt à admettre dans nos ports.

En effet, la Hollande n’est pas un pays de fabrique, de manufacture ; et la Belgique est éminemment industrielle.

La Hollande est sans doute le pays le moins minéral du monde ; et la Belgique renferme des mines de toutes espèces, qui sont exploitées sur la plus grande échelle.

La Hollande possède de fort belles colonies ; la Belgique n’en possède pas et ne sera probablement jamais tentée d’en avoir.

Ainsi, entre la Hollande et la Belgique, point de rivalités, de concurrence industrielle légitime ; de là des échanges faciles, naturels.

La Hollande est un pays riche et par conséquent de grande consommation ; elle consomme une multitude de nos produits. Nous chercherions vainement un pareil débouché dans les pays lointains, et la Hollande est à nos portes.

Ainsi tout concourt pour nous engager à ne rien faire qui éloigne de nos ports les vaisseaux hollandais.

Mais tous ces motifs n’existeraient pas, que je n’admettrais pas encore l’exception proposée par le gouvernement. Ce serait entrer dans un système que nous avons toujours combattu que nous ne pouvons adopter sans grand péril, et don la discussion aurait dû être écartée de celle des péages, et aurait dû venir séparément ; mais comme dans la séance d’hier on a décidé que les amendement seraient discutés, il faut bien que je les combatte.

Si les droits différentiels existaient sur le tonnage, je ne voudrais pas les combattre ; je respecterais les droits acquis des armateurs ; je dois repousser encore aujourd’hui, comme je l’ai repoussé dans chaque discussion économique, l’idée de vouloir les détruire mais, heureusement pour la Belgique, ces droits n’existent pas, et vous pouvez les rejeter sans porter atteinte à aucun droit personnel.

Je ne répondrai qu’à ce qu’on a dit dans cette discussion, et non aux brochures qui nous ont été distribuées.

Les partisans des droits différentiels nous comparent toujours aux autres peuples, comme si tous les peuples devaient agir de la même manière, comme si leurs intérêts, leurs travaux, leurs ressources, n’étaient pas diversifiées à l’infini.

Les peuples d’Europe, que l’on nous donne pour exemple ont tous des colonies. Nous n’en avons pas.

Ces colonies nécessitent naturellement une marine guerrière, et pour avoir une marine guerrière, il faut une marine marchande pour produire des matelots.

Cette marine marchande doit être entretenue si l’on ne veut pas voir périr la marine guerrière.

Ainsi, les nations qui ont des colonies et une marine guerrière, établissent des privilèges en faveur des navires pour en avoir en grand nombre.

Mais ces privilèges sont un impôt sur le pays qui les donne. Le calcul de ce que ce privilège coûte à la France, par exemple , serait effrayant.

Un argument, tiré de ce que font les autres peuples qui ont des colonies, pour en faire l’application à nous qui n’avons pas de colonies, sera toujours un très mauvais argument, parce qu’il n’y a pas de similitude dans notre position.

Il ne peut donc être vrai, pour la Belgique, qu’il soit toujours plus profitable de tirer directement du pays de provenance que des ports intermédiaires de l’Europe. Parce que la législation des nations qui ont des marines guerrières, les force à des sacrifices qu’elles ne peuvent abandonner sans perdre leur force et leur prépondérance maritime, il ne doit pas résulter que la Belgique, qui n’a pas de marine guerrière, doive faire ces sacrifices.

La Hollande, par exemple, que le projet ministériel exclut du remboursement, ne laissera jamais aller à Java les navires étrangers aux mêmes conditions que ses nationaux.

Ainsi, il est de l’intérêt de la Belgique de recevoir les produits de Java par navires hollandais, parce qu’aucun autre navire ne peut donner les produits de Java à aussi bon compte que les Hollandais.

Et nos produits ne seront fournis à Java d’une manière plus facile que par les navires hollandais. Et si vous repoussez les navires hollandais, les autres peuples fourniront à Java, et vous n’y fournirez pas.

J’ai cité la Hollande, parce que cet exemple est le plus saillant. Il est applicable à toutes les autres nations, mais du plus au moins.

Mais ne dirait-on pas que le système que je défends est contraire aux provenances directes ? ceux qui le prétendent s’appuient sur une supposition entièrement fausse.

Ils supposent qu’un vaisseau doit toucher, chaque voyage, au pays auquel il appartient, qu’un vaisseau anglais, par exemple, qui vient du brésil à Anvers, doit nécessairement toucher en Angleterre.

Mais rien n’est plus faux qu’une pareille supposition. Ce vaisseau peut transporter vingt fois du café du Brésil à Anvers et des produits manufacturés belges au brésil sans toucher en Angleterre.

Voilà donc des relations bien directes établies avec le Brésil ; et en admettant tous les navires, vous aurez par provenances directes ou indirectes le transport de ce que vous voulez recevoir et de ce que vous pouvez expédier au meilleur marché possible.

Ainsi, il est impossible de comprendre comment l’assimilation de tous les navires du monde ferait renchérir pour nous les denrées étrangères, et nous empêcheraient de vendre nos produits à l’étranger, aussi bon marché que si l’entrée de ces navires était interdite.

C’est pourtant la cause que certaines denrées sont à plus bas prix en Angleterre qu’en Belgique, dit un honorable député, et c’est ce qui domine toute la question

Une pareille cause qui donne un tel effet passe les borne de ce que je peux comprendre ; et comme cette cause et cet effet dominent toute la question, je ne la comprendrai jamais.

Nous donnons dans un piège bien perfide, dit-on. Le roi Guillaume a tellement fasciné nos yeux, que nous-mêmes nous rétablissons l’odieux traité de Munster. Nous fermons l’Escaut de notre propre mouvement, et le moyen que ce prince et son journal le Handelsblad emploient pour nous exciter à nous détruire ainsi de nos propres mains, c'est de nous susciter l’idée de rembourser le droit de péage aux navires de toutes les nations pour que l’Escaut soit fréquenté sans entraves par tous les peuples du monde. Voilà le moyen qu’emploient le roi de Hollande et le Handelsblad pour fermer l’Escaut. Il faut convenir que ce n’est pas à tort que notre ancien souverain jouit de la réputation d’un profond politique.

Messieurs, une erreur que j’aperçois toujours dans cette discussion, c’est de confondre le commerce avec la navigation. La navigation n’est qu’un moyen ; le commerce, c’est le but.

Ce que vous devez chercher et ce que vous cherchez réellement, ce n’est pas de naviguer, mais d’échanger vos produits avec ceux des autres nations.

La navigation nationale peut augmenter en même temps que le commerce diminuerait, et le commerce être beaucoup plus prospère, c’est-à-dire les échanges être plus nombreux et plus profitables avec un plus petit nombre de vaisseaux.

Certes, vous pouvez, par des privilèges, augmenter le nombre des navires belges ; mais en prouvant que vous augmentez le nombre des navires belges, vous êtes bien loin de prouver que vous augmentez le commerce.

Anvers, qui ne vit que de commerce, a bien compris que le commerce ne consistait pas dans le nombre des navires nationaux, et les partisans des droits différentiels, en présence de l’unanimité de ceux qui ont le droit de parler au nom de cette ville, n’ont pu nier que notre système amènerait un grand commerce dans Anvers ; mais ils ont dit que ce commerce serait un échange de produits étrangers au pays.

D’abord remarquez la contradiction. Admettre qu’il y aura un grand commerce dans Anvers de produits quelconques étrangers ou non au pays, ne s’arrange guère avec l’idée du traité de Munster et de la fermeture de l’Escaut. Si notre système conduit à la fermeture de l’Escaut, il n’y aura pas de commerce à Anvers, et s’il y a un grand commerce dans Anvers, notre système ne conduit pas à la fermeture de l’Escaut.

Mais le commerce qui se fera dans Anvers sera de nos produits comme des produits étrangers. Plus le mouvement du commerce étranger sera considérable, plus le commerce nationale grandira. Le commerce, c’est un rapport facile entre les hommes, et plus grand sera le nombre des navires dans Anvers, plus seront faciles les relations de la Belgique avec tous les peuples de la terre.

Pour soutenir leur système, les partisans des droits différentiels s’appuient sur des faits inexacts. Ils ont imaginé que notre commerce d’exportation par mer périssait, et, chose étrange, périssait à cause de la liberté de navigation. Mais depuis quelques années nos exportations par mer sont doublées, tandis que nos exportations par terre sont stationnaires.

Et remarquez-le bien, ce sont des produits belges que vous avez exportés ainsi par mer. Vous vous apitoyez sur le sort de notre commerce d’exportation ; mais à quelle époque avez-vous exporté plus de produits de notre pays ? Est-ce avant, est-ce après le traité de Munster ? Est-ce avant ou pendant le régime hollandais ? ne vous apitoyez donc pas sur notre commerce d’exportation, car nous n’avons jamais tant exporté par l’Escaut.

A moins que vous ne niez les renseignements qui nous sont fournis, les lamentations sur les navires partant sur lest doivent peu nous toucher ; car s’il est vrai que les exportations par terre sont stationnaires et que les exportations par mer sont doublées, il résulte naturellement que ce spectacle doit être pour vous la moitié moins douloureuse que dans les années antérieures.

Si je suis bien informé, les navires nationaux jouissent déjà sur la provenance directe d’un bénéfice de 10 p.c. S’ils ne peuvent, avec cet avantage, concourir avec les étrangers, il doit résulter ou qu’ils sont moins habiles que les étrangers, ou bien que les étrangers jouissent de certain privilège dans leur pays, dans leurs colonies qui compense cette différence de 10 p.c.

Quoi qu’il en soit, comme notre commerce se fait en grande partie par vaisseaux étrangers, il résulte que tout privilège pour les nationaux sera payé par le trésor public ou par l’industrie, c’est-à-dire appauvrira le pays.

Messieurs, notre commerce maritime d’exportation est prospère, il s’étendra encore lorsque des relations de bon voisinage existeront avec la Hollande. N’allons pas nous jeter dans des essais hasardeux dans l’espoir de faire changer la législation maritime des autres nations. Ces essais ruineraient notre commerce d’exportation et notre industrie, qui ne demande pas qu’on fasse sur elle de pareilles expériences.

M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – La proposition du gouvernement de faire une exception en ce qui concerne les navires hollandais n’émane nullement d’une pensée hostile ; elle est uniquement basée sur l’équité ; en effet, nous avons pensé que le gouvernement néerlandais, percevant le péage sur l’Escaut, il dépend de ce gouvernement d’en exempter les navires de sa nation. Mais, a-t-on objecté, le gouvernement néerlandais ne demande pas mieux que de voir ses navires, au lieu de fréquenter l’Escaut, se rendre dans les ports de la Hollande. Cette objection n’est pas solide, parce qu’il est évident que d’autres nations pourraient approvisionner nos ports, et que la Hollande a intérêt à ce que ses navires puissent y concourir avec les mêmes avantages. Toutefois, nous croyons devoir proposer d’accorder au gouvernement la faculté de restituer les droits de tonnage aux navires hollandais, en vue de faciliter immédiatement des arrangements commerciaux.

- La clôture de la discussion générale est mise aux voix et prononcée.

La séance est levée à 5 heures.