(Moniteur belge du 1er mars 1839, n°60)
(Présidence de M. Raikem)
M. Scheyven procède à l’appel nominal à 2 heures.
M. B. Dubus donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est adoptée.
M. Scheyven lit le sommaire des pièces adressées à la chambre :
« Des habitants de Francorchamps et de Stavelot réclament des modifications à la loi du 26 août 1822, concernant le transport des marchandises dans le territoire réservé. »
« Les maîtres et directeurs d’établissements de verrerie dans l’arrondissement de Charleroy adressent des observations sur le projet de loi portant des modifications au tarif des douanes, en ce qui concerne les verreries. »
« Le tribunal de commerce de l’arrondissement de Mons demande que la chambre adopte le traité de paix. »
« Des fabricants et négociants de Tournay demandent que la chambre adopte le traité de paix. »
« Des habitants de Mons, Blargnies, Boussu, Hainin St-Symphorien, Merbes-le-Château, Quaregnon, Villers, St-Ghislain, Noirchin, Cuesmes et Frameries demandent que la chambre adopte le traité de paix. »
« Les chambres de commerce de Tournay, Mons, Ostende, Bruges et Verviers demandent que la chambre adopte le traité de paix. »
« Le conseil communal, des habitants notables et la chambre de commerce et des fabriques de Liége demandent que la chambre adopte le traité de paix. »
« Des habitants d’Arlon demandent que la chambre repousse le projet de traité de paix qui lui est proposé. »
« La chambre de commerce de Charleroy, les industriels, exploitants, propriétaires et habitants de Gilly et du bassin de la Sambre, demandent que la chambre adopte le traité de paix. »
« L’administration communale de Spa demande que la chambre adopte le traité de paix. »
M. de Brouckere informe la chambre qu’une indisposition l’empêche d’assister à la séance de ce jour.
- Pris pour notification.
Par deux messages en date du 20 février 1839, le sénat informe la chambre qu’il a adopté, dans sa séance du même jour :
1° Le projet de loi portant un crédit au département des finances pour satisfaire aux jugements rendus contre l’administration du domaine en faveur du sieur Collignon, domicilié à Bas-Oha, province de Liége.
2° Le projet de loi ouvrant un crédit au même département pour solder l’arriéré des dépenses résultant de la confection de pièces de cinq centimes.
- Pris pour notification.
M. Quetelet, directeur de l’observatoire de Bruxelles, fait hommage à la chambre, de la part du ministère de l’intérieur, des trois dernières livraisons, de la « correspondance mathématique. »
- Dépôt à la bibliothèque.
M. Desmet – Je demande la parole, pour faire une observation relativement aux pétitions en faveur du traité de paix. Je ne prétends pas qu’il soit nécessaire d’insérer toutes ces pétitions au Moniteur ; cependant comme l’insertion d’un grand nombre d’entre elles a eu lieu sans l’autorisation de la chambre, j’aurais désiré qu’on eût mis dans ces insertions moins de partialité ; on n’a commencé à insérer des pétitions que lorsqu’on a pétitionné pour le morcellement, et l’on n’en a inséré aucune lorsqu’on a pétitionné pour le morcellement. Par ce motif, je proposerai que la chambre ordonne que toutes ces pétitions contre le morcellement, adressées tant à la chambre qu’au gouvernement, soient imprimées au Moniteur ; je demande de plus, qu’on y ajoute les signataires, car j’ai remarqué que les thèmes de toutes les pétitions pour le morcellement sont tous les mêmes, et qu’il y en a, comme celle de Charleroy, qui n’ont pas d’en-tête.
M. Pirmez – Je viens d’entendre dire qu’on ne savait pas d’où est venue une pétition de l’arrondissement de Charleroy. Moi, je déclare qu’elle vient de Charleroy et que j’en connais bien les signataires. Je crois que dans une circonstance aussi grave, on doit insérer au Moniteur toutes les pétitions, celles pour la paix et celles pour la résistance. Et je ferai remarquer, quant à la pétition de Charleroy dont vient de parler (car l’analyse qu’on en a fait ne fait pas mention de cette circonstance) qu’elle réclame contre une autre pétition de Charleroy qui a été adressée en sens contraire et dans laquelle les pétitionnaires se posaient comme les défenseurs de l’industrie ; et c’est contre cette assertion erronée que la chambre de commerce de Charleroy et les pétitionnaires du bassin de la Sambre réclament : c’est ce que l’analyse de la pétition aurait dû mentionner. La pétition ne regarde pas seulement le traité de paix, mais, je le répète, elle réclame encore contre une pétition dans laquelle elle prétend qu’on se posait à tort comme les défenseurs de l’industrie.
M. Desmet – Je demande qu’on me dise qui a autorisé l’insertion des pétitions dans le Moniteur.
M. le président – Voici comment les choses se sont passées. Lorsque nous avons été réunis à la section centrale, cette section a témoigné le désir que les pétitions fussent insérées au Moniteur, et l’on est convenu que l’on insérerait les pétitions pour et contre ; c’est ce qui a eu lieu.
M. Desmet – Je dois faire observer à M. le président qu’on a eu tort de faire insérer les pétitions à présent, tandis qu’on n’en avait inséré aucune alors qu’il n’y avait que des pétions contre le morcellement. Voilà en quoi consiste la partialité dont je me plains.
M. le président – Il n’y a pas eu la moindre partialité et je suis intimement convaincu que la chambre en est persuadée. La section centrale ne pouvait pas faire insérer les pétitions avant qu’elle fût réunie, et elle ne pouvait délibérer avant sa réunion. C’est par suite de sa délibération que l’impression des pétition a eu lieu.
- La proposition de M. Desmet est mise aux voix et adoptée. En conséquence, les signatures seront insérées au Moniteur avec les signatures.
M. Dolez, rapporteur– Messieurs, la section centrale chargée de l’examen du projet de loi autorisant la conclusion des traités destinés à régler la séparation entre la Belgique et la Hollande m’a fait l’honneur de me confier le soin de vous présenter son rapport. En acceptant cette mission, je ne me suis point dissimulé tout ce qu’elle avait de grave, et ce n’a point été sans éprouver plus d’un sentiment pénible que je m’y suis livré.
Vous le concevez, messieurs, vous tous qui, appelés par votre mandat à défendre les intérêts de la patrie, avez pu vous convaincre, en interrogeant vos consciences qu’elle se trouvait dans une de ces circonstances suprêmes, qui décident de l’existent d’une nation.
En vous soumettant mon travail, je n’espère pour lui qu’une approbation ; mais celle-là, j’ose la réclamer de votre justice, c’est que vous reconnaîtrez tous qu’il est l’œuvre d’un citoyen ami de son pays.
Les procès-verbaux des séances de vos sections ont attesté à la section centrale tout le soin qu’elles ont apporté à l’examen du projet, et la participation de la presque totalité des membres de la chambre à cet examen démontre combien l’importance en avait été sentie.
Je crois devoir d’abord mettre sous vos yeux une rapide analyse des délibérations des sections.
La question préalable d’inconstitutionnalité, annoncée par l’honorable M. Pollénus, dans la séance du 19 de ce mois, a été reproduite dans les six sections sous des formes diverses.
La première section s’est demandée d’abord « si le morcellement du Limbourg et du Luxembourg était contraire à la constitution. »
La question ayant été mise aux voix, 1 membre a répondu oui, 9 membres ont répondu non, 6 se sont abstenus.
Après ce vote un membre de la section lui posa la question suivante :
« Le traité proposé supprime-t-il la dernière phrase du premier paragraphe de l’article 1er de la constitution ? »
4 membres ont répondu oui.
12 n’ont point voulu voter sur cette question, qu’ils ont considérée comme oiseuse.
Un membre ayant demandé si cette suppression entraînait une inconstitutionnalité, 2 membres ont répondu oui, 6 ont répondu non et 8 n’ont point voulu prendre part au vote.
La deuxième section s’est demandé « s’il n’était pas nécessaire de déclarer, préalablement à l’examen du traité, qu’il y a lieu à réviser l’art. 1er de la constitution, en se conformant aux dispositions de son article 131. »
A cette question 5 membres ont répondu oui.
4 ont répondu non ;
7 se sont abstenus.
La troisième section s’est posé la question suivante : « A l’égard du changement territorial proposé par l’article 1er du traité, y a-t-il lieu de procéder conformément à l’article 131 de la constitution ? »
8 membres ont répondu oui ;
6 ont répondu non.
A la quatrième section a aussi agité la question constitutionnelle, mais a décidé par 11 voix contre 6 qu’il n’y avait point lieu de la séparer de la question principale et de la soumettre à un vote à un vote particulier.
On avait invoqué à l’appui de cette doctrine les usages et les antécédents de la chambre, qui toujours, disait-on, avait reconnu que la question de constitutionnalité devait être jointe au fond, puisque la chambre se prononçant sur un projet sans donner les motifs de son vote, l’inconstitutionnalité était une cause de rejet comme une autre, et, par suite, ne devait pas être expressément énoncée.
La cinquième section s’est posé la question suivante : « Y aurait-il lieu la révision d’un article de la constitution de la manière voulue par son article 131, pour statuer sur le projet de loi portant acceptation du traité ? »
8 membres ont répondu oui ;
7 ont répondu non ;
1 s’est abstenu.
La sixième section, appelée par l’un de ses membres à décider si le projet de loi n’apporte pas à l’article 1er de la constitution une modification qui rende nécessaire l’application de l’article 131, s’est posé la question suivante :
« Y a-t-il lieu à l’application de l’article 131 de la constitution ? »
3 membres ont répondu oui, 11 ont répondu non, 2 se sont abstenus.
En résumant ces différents vote, on voit :
1° Que l’objection d’inconstitutionnalité a été admise par 25 voix et repoussée par 37 ;
2° Que 16 membres se sont abstenus ;
3° Qu’une section a déclaré joindre cette question au fond, adoptant le projet comme nous le dirons bientôt, par 9 voix contre 5.
Je passe maintenant à l’exposé du travail des sections sur le projet de loi lui-même.
La première section s’est posé la question suivante : « Y a-t-il lieu d’adhérer au projet de traité du 23 janvier dernier ? »
8 membres ont répondu oui ;
6 ont répondu non ;
2 se sont abstenus.
Deux changements au projet ont été adoptés par elle.
Le premier consiste à ajouter après les mots : « entre la Belgique et la Hollande », ceux-ci : « en conformité desdits actes du 23 janviers 1839. »
La section a demandé cette modification parce qu’elle croit nécessaire d’insérer la date des actes dans le corps même de la loi, tandis que le projet ne la rappelle que dans son préambule.
Le second a ajouté au projet, soit par forme d’article 2, soit par celle de paragraphe, la disposition suivante :
« Néanmoins, ces clauses, conditions et réserves, feront l’objet d’un traité spécial qui sera soumis à l’assentiment des chambres. »
La section a nommé pour rapporteur M. de Behr.
Dans la deuxième section, 9 membres ont rejeté le projet, 5 l’ont adopté.
3 se sont abstenus.
M. Lebeau a été nommé rapporteur.
La troisième section a d’abord, par 11 voix contre 6, émis le vœu de voir examiner par la section centrale s’il ne conviendrait pas qu’elle ajournât son rapport jusqu’à ce qu’elle eût connaissance du résultat des élections en France.
Le projet de loi ayant été mis aux voix,
7 membres ont répondu non ;
5 membres ont répondu ou ;
5 se sont abstenus.
M. le comte Félix de Mérode a été nommé rapporteur.
La quatrième section, après avoir repoussé une proposition d’ajournement par onze voix contre cinq, a mis aux voix l’acceptation du projet.
9 membres ont répondu oui ;
5 ont répondu non ;
3 se sont abstenus.
M. Liedts a été nommé rapporteur.
La cinquième section, après avoir chargé son rapporteur d’appeler l’attention de la section centrale sur la dernière partie de l’article unique du projet de loi, a procédé au vote sur ce projet.
6 membres ont voté pour ;
7 ont voté contre ;
3 se sont abstenus.
M. Van Volxem a été nommé rapporteur.
Dans la sixième section un membre a proposé la suppression de la dernière partie du projet, c’est-à-dire à partir des mots : « sous telles clauses, etc. », jusqu’à la fin de l’article. Un autre, en maintenant le projet intact, y proposait l’adjonction suivante :
« Toutefois, sans préjudice aux droits du pouvoir législatif, conformément au paragraphe 2 de l’article 68 de la constitution, dans le cas de nouvelles modifications financières ou commerciales. »
Sans se prononcer sur ces propositions, la section chargea son rapporteur de les soumettre à l’attention de la section centrale, et de l’inviter en outre à demander que toutes les pièces relatives aux négociations soient déposées sur le bureau de la chambre.
Le projet de loi ayant été mis aux voix :
9 ont voté pour ;
5 ont voté contre ;
1 s’est abstenu.
C’est à moi, messieurs, que la sixième section a confié les fonctions de rapporteur.
En résumant ces différents votes, on voit que 98 membres ont pris part au travail des sections.
42 ont adopté le projet ;
39 l’ont repoussé ;
17 se sont abstenus.
La présence de la quasi-totalité des membres de la chambre atteste que les nombreuses abstentions signalées dans ce rapport ont été uniquement dictées par le désir de ne prononcer sur un débat d’un si puissant intérêt, que quand la discussion générale aura apporté à chacun le puissant tribut de ses lumières.
Nous avons pensé, messieurs, que cette observation nous était permise, pour répondre aux critiques dont nous savons que ces abstentions avaient été l’objet.
Au sein de la section centrale toutes les observations qui avaient été présentées dans les sections particulières, ont été soigneusement exposées et ont fait la matière d’un long et consciencieux examen.
MM. les ministres, appelés parmi nous ont été rendus attentifs à toutes ces observations et ont fourni à la section centrale les explications dont elle a cru utile d’entourer sa délibération.
Nous ne croyons point devoir consigner ces explications dans un document destiné à la publicité. Les décisions de la chambre étant encore incertaines, la section centrale a pensé qu’elle devait à cette égard imprimer à son rapport un caractère de réserve que vous saurez apprécié.
La première question qui se présentait à notre examen était celle de l’inconstitutionnalité reprochée au projet de loi.
Tous les arguments proposés dans les sections ont été scrupuleusement rappelés.
En présence des différentes formules sous lesquelles ce reproche avait été produit, nous avons pensé que la question suivante était par sa généralité de nature à les résumer toutes :
« L’exception d’inconstitutionnalité opposée au projet de loi est-elle fondée ? »
La section centrale à l’unanimité a pensé qu’elle ne l’était pas.
Je vais vous exposer, messieurs, les motifs qui ont formé sa conviction en vous rappelant préalablement le siège de l’objection.
« La constitution en son article 1er a déterminé les parties de territoire constitutives de la Belgique.
« Cette déclaration faite par la constitution ne peut être changée que par une modification au pacte fondamental ; le traité ravit à la Belgique une partie de son territoire ; il ne peut donc être accepté sans une modification de la constitution dans les formes tracées à son article 131. »
Voilà bien, pensons-nous, l’objection primitive à laquelle nous ajouterons bientôt celles qu’on y a successivement rattachées.
L’objet principal d’une constitution est l’établissement des pouvoirs qui doivent régir un état. Faisant à chacun sa part, elle en détermine l’étendue, elle en trace les limites.
Les pouvoirs organisés par l’autorité constituante exercent, par délégation de cette dernière, toutes les attributions qu’elle leur a départies.
Toute la question est donc de savoir si la constitution belge a délégué à l’autorité législative le pouvoir de céder une partie des territoires qui, au moment de la confection de l’article 1er, semblaient devoir fixer l’étendue de la Belgique.
Or, messieurs, les articles 3 et 68 de la constitution nous ont paru formels à cet égard.
« Art. 3. Les limites de l’état, des provinces et des communes ne pourront être changées ou rectifiées qu’en vertu d’une loi. »
« Art. 68. Le Roi commande les forces de terre et de mer, déclare la guerre, fait les traités de paix, d’alliance et de commerce. Il en donne connaissance aux chambres aussitôt que l’intérêt et la sûreté de l’état le permettront, en y joignant les communications convenables. Les traités de commerce et ceux qui pourraient grever l’état ou lier individuellement des Belges, n’ont d’effet qu’après avoir reçu l’assentiment des chambres.
« Nulle cession, nul échange, nulle adjonction de territoires ne peut avoir lieu qu’en vertu d’une loi.
« Dans aucun cas, les articles secrets d’un traité ne peut être destructifs des articles patents. »
Si un changement dans les limites du royaume, si une cession ou une adjonction de territoire ne peut avoir lieu qu’en vertu d’une loi, c’est sans doute par une loi que doit être autorisée la conclusion d’un traité, qui change les limites du royaume, qui cède une partie de ce territoire, qui semblait devoir nous appartenir dans la pensée des auteurs de l’article premier de la constitution.
En vain, objecte-on que ces expressions des articles 3 et 68 ne doivent s’entendre que de parcelles peu importantes, et ne peuvent s’appliquer à la renonciation à une partie notable du territoire ; les dispositions générales de ces articles résistent à cette distinction.
Mais il y a plus, leur combinaison même la repousse.
A ne voir que l’article 3, on eût pu dire peut-être que la rectification ou le changement des limites du royaume ne pouvait comporter l’abandon de fractions importantes de deux provinces, mais bien seulement de quelques parcelles insignifiantes, n’altérant en rien les parties constitutives du territoire.
Pour éviter cette incertitude, il fallait une disposition plus large, plus formelle, qui parlât, non plus d’un simple changement dans les limites de l’état, mais de la cession, de l’échange ou de l’acquisition d’un territoire. Eh bien, cette disposition est justement celle de l’article 68.
Qu’on la restreigne, comme on prétend le faire, contrairement à toute la force de son texte, à des traités sur des parcelles insignifiantes, et nous demanderons quelle est son utilité.
Un traité de cette nature ne comporterait plus qu’un changement dans les limites de l’état, et déjà l’article 3 y avait pourvu.
Disons-le donc, entendue dans ce sens, la disposition de l’article 68 serait non seulement méconnue dans son texte, mais encore rendue inutile et vaine par l’existence de l’article 3. Or, s’il est admis en principe que la disposition d’une loi ne doit pas être interprétée en un sens qui la rende inutile, il doit à plus forte raison en être sûrement ainsi, quand il s’agit d’une disposition du pacte fondamental.
Si l’article 68 ne devait point dire ce que pourtant sa lettre exprime, s’il ne devait point être général comme elle, s’il ne devait s’appliquer qu’à des parcelles peu importantes du territoire, qui donc fixerait la limite de son étendue ?
Une disposition du pacte fondamental, une disposition attributive de pouvoirs se trouverait livrée au champ si vaste et toujours si mouvant des appréciations de circonstances particulières !
Votre section centrale n’a point pensé qu’il pût en être ainsi.
L’exception d’inconstitutionnalité avait encore été produite sous un autre aspect.
L’article 1er de la constitution, a-t-on dit, après avoir énuméré les provinces qui constituent le royaume de Belgique, ajoute : « sauf les relations du Luxembourg avec la confédération germanique ; » le nouveau traité vous rend étrangers à la confédération ; il change donc la constitution.
Vous section centrale n’a pu voir, dans ces expressions de l’article 1er, une disposition constitutionnelle garantissant un droit à la Belgique ; elle n’y a vu qu’une réserve toute de prudence vis-à-vis d’un corps politique étranger, que l’annonce de l’intention de respecter, vis-à-vis de ce corps, une charge, des liens qui affectaient une partie du territoire que la révolution de 1830 avait séparé des états du roi Guillaume.
A cette considération, nous pourrions ajouter encore qu’il est contre la nature des choses, de vouloir trouver une disposition constitutionnelle dans la réserve de relations avec d’autres gouvernements, avec une association politique quelconque. De telles relations ne peuvent dériver que des traités ; elles ne peuvent être l’œuvre de la volonté d’un seul peuple.
Une circonstance toute péremptoire justifie d’ailleurs la portée que nous donnons aux dernières expressions de l’article 1er ; c’est qu’en fait les relations du Luxembourg avec la confédération germanique n’ont jamais existé pour notre royaume.
Un traité qu eût consacré ces relations pouvait seul donner la vie à cette réserve. Pour la Belgique, elle n’avait aucun but, c’était de déclarer que l’établissement de ces relations n’aurait rien de contraire à son organisation politique.
D’autres s’attachent à l’article 80 de la constitution et au décret du 4 juin 1831, en vertu desquels le Roi a juré de maintenir l’indépendance nationale et l’intégrité du territoire.
Suivant eux, autoriser le Roi à accepter le traité ce serait le délier de ses serments, ce qui n’appartient qu’au pouvoir constituant.
Votre section centrale a pensé que ce serment prêté par le Roi, comme chef du pouvoir exécutif, chargé en cette qualité d’assurer et de maintenir l’exécution des lois, ne pouvait s’entendre que du territoire tel qu’il était ou tel qu’il deviendrait, par suite de modification accomplies suivant le vœu de la constitution, c’est-à-dire par l’autorité législative.
Nous ne terminerons point à cet égard sans appeler l’attention de la chambre sur les dangers graves qu’il y aurait à accepter avec trop de facilité l’objection d’inconstitutionnalité, en cédant, peut-être à notre insu, au désir d’échapper à tout ce qu’a de pénible en ce moment l’accomplissement du mandat de député.
Dans un gouvernement représentatif, où tous les pouvoirs se coordonnent et se balancent, l’usurpation d’un pouvoir sur l’autre est un inconvénient grave sans doute, mais le refus par l’un des pouvoirs d’exercer la mission que la loi constitutionnelle lui a départie, le serait bien plus encore, car il constituerait l’anarchie.
Vous pèserez donc, messieurs, cette objection préjudicielle que la section centrale a unanimement repoussée ; vous vous rappellerez que ce que vous êtes appelés à faire aujourd’hui déjà la chambre l’a fait en 1831, lors de l’adoption du traité des 24 articles, et vous ne serez point trop faciles à penser que la législature d’alors, devant laquelle cette même exception avait été produite, ait foulé aux pieds cette constitution qu’elle avait, comme nous, juré de respecter.
Après s’être occupé du débat sur la constitutionnalité, la section centrale s’est livrée à l’examen du projet de loi qui vous est soumis.
Pénétrés des pensées qui préoccupent la nation tout entière, nous n’avons point cherché dans le traité que présente la conférence de Londres une de ces dispositions qui, à la suite d’une guerre longue et pénible, vient rendre à un peuple et le calme et la paix.
Présenté à la Belgique par les cinq puissances comme une œuvre fatale, irrévocable, son acceptation ou son rejet nous ont paru devoir se réduire à une question de nécessité. Guidés par cette pensée, nous nous sommes demandés par quels moyens nous pourrions nous refuser d’accéder au traité et quelles seraient les conséquences d’un tel refus.
Vous vous rappellerez, messieurs, que la conférence, en adressant le 23 janvier dernier à notre plénipotentiaire à Londres le nouveau projet de traité, terminait en ces termes la note qui l’accompagnait :
1° Si au contraire le cabinet de Bruxelles venait à se refuser auxdites propositions tandis que la Hollande les aurait acceptées, il ne resterait aux cinq puissances représentées à la conférence, qu’à aviser aux moyens de donner suite aux titres que la Hollande aurait ainsi acquis à leur appui. »
Si, joignant l’effet à la mesure, ; les cinq puissances procédaient par l’une d’elles ou par la confédération germanique, à l’occupation des territoires contestés, la Belgique, abandonnée à elle-même, pourrait-elle songer à une résistance sérieuse et de nature à améliorer le sort que le traité lui prépare ?
Nous ne le pensons pas. Sans doute nous savons ce que le pays pourrait attendre au besoin de la bravoure et de la discipline de notre armée ; mais ces premières vertus du soldat ne pourraient amener que d’inutiles dévouements dans une lutte trop inégale.
Aussi, messieurs, cette résistance du désespoir, qui approcherait du suicide, personne de vous ne l’a préconisée.
Mais plusieurs ont pensé et soutiendront sans doute que notre refus n’entraînerait aucune exécution militaire.
Ces prévisions nous ne les avons point partagées, et tout semble indiquer que les événements se chargeraient bien trop de les démentir.
L’entrée des armées françaises en Belgique, la prise par elles de la citadelle d’Anvers ne sont-elles point là pour attester qu’une expédition analogue par une autre puissance dans les territoires contestés ne serait point de nature à troubler la paix de l’Europe ?
Le juste et puissant intérêt, que nous portons aux fractions du territoire que le traité nous ravit, ne doit point nous faire perdre de vue les autres parties du pays et compter pour rien les dangers qui les menacent ; ces dangers sont pressants, ils appellent toute notre sollicitude.
Vous connaissez la position de notre industrie, vous connaissez les embarras qui l’oppressent et les désastres dont elle est encore menacée.
Plus d’une ruine est déjà accomplie ; pourtant on ne peut encore les compter aujourd’hui, mais bientôt elles pourraient devenir innombrables.
Accéléré par un grand événement financier, la crise qui tourmente notre industrie naguère si florissante, s’alimente chaque jour des incertitudes, des dangers de notre situation politique, elle ne peut finir qu’avec elle.
Eh, messieurs, quand je vous parle de l’industrie, pourtant si intéressante en elle-même, je ne le fais point sous le rapport mercantile, je me place au point de vue de l’intérêt social.
Or, sous ce rapport, la ruine de l’industrie, c’est la perte de notre crédit public, c’est l’anéantissement de toutes nos ressources, c’est la misère dans les nombreuses populations industrielles de nos villes et de nos campagnes.
Et à la suite de tous ces maux, dont s’emparent toujours les passions politiques, pouvons-nous nous empêcher d’entrevoir le plus grand des malheurs qui puisse dévorer un pays, l’anarchie.
Pourtant, nous le pensons du moins, notre refus d’accéder au traité et l’absence d’exécution immédiate et forcée de la part des puissances nous mettraient dans l’obligation de maintenir nos armements déjà si considérables et de les augmenter peut-être encore, pour parer aux éventualités toujours imminentes des agressions étrangères.
Pénétrés de cette pensée, nous avons dû demander à M. le ministre de la guerre ce que nous coûte chaque mois notre armée et à l’administration des finances la situation du trésor public.
Ces renseignements nous ont donné la conviction que des mesures financières d’une nature extraordinaire seraient le résultat nécessaire et prochain de la prolongation de la situation actuelle.
Vous vous rappellerez d’ailleurs que l’honorable compte de Mérode vous a lui-même attesté cette nécessité, au moment où il venait de déposer le portefeuille des finances, qui lui avait été provisoirement confié.
Il voulait demander vingt millions, et cela avec un désarmement partiel dont la voix de la prudence semblerait pourtant nous démontrer l’impossibilité.
Si du moins tant de sacrifices pouvaient nous promettre quelque résultat heureux ! mais, nous en avons la conviction, ils ne feraient que hâter la consomption qui nous mine et rendraient non moins pénible, mais bien plus désastreuse, l’acceptation du traité à laquelle la force des choses nous ferait aboutir.
N’aurions-nous pas à craindre d’ailleurs de voir accélérer ce résultat par la fermeture de l’Escaut, et la conférence nous imposer de nouvelles charges, en raison même des obstacles que nous aurions apportés à l’exécution du traité.
Ne serions-nous point d’accord avec la conviction de l’immense majorité d’entre vous, messieurs, si nous vous disions qu’il n’est point permis de garder l’espoir d’échapper en définitif à la nécessité du traité, et que beaucoup n’hésitent ou ne refusent que parce qu’ils regardent son acceptation comme un tache pour notre dignité, pour l’honneur national ?
Ah sans doute, si la conséquence de notre refus se bornait à une lutte avec la Hollande, il n’est point un seul Belge qui ne se décidât à l’accepter. Ces sentiments, ce regret de ne pouvoir vider notre différend avec notre seul ennemi ont été unanimes au sein de la section centrale.
Mais, quelque jaloux que nous soyons tous de l’honneur national, nous n’avons point pensé que ce serait y forfaire que de ne point commettre la Belgique aux résultats inévitables d’une lutte inégale.
L’homme ne se déshonore point quand il cède à la force ; l’honneur d’un peuple aurait-il d’autres règles… ?
Oh non, messieurs, nous ne pouvons le croire, ni nos contemporains, ni l’histoire ne seront assez injustes pour dire que la Belgique abandonnée de tous ses alliés, en butte à des menaces auxquelles ont participé ceux sur la sympathie desquels elle croyait pouvoir compter, se soit déshonorée en se résignant à subir un traité qu’une force irrésistible lui imposait.
Nous nous trompons peut-être, mais nous n’hésitons point à croire que si l’histoire consacre un jour des paroles sévères à cette triste page de notre jeune nationalité, ses stigmates ne seront point pour nous !
Nous n’ignorons point, messieurs, que plusieurs d’entre vous croient voir une humiliation pour le pays dans l’abandon du langage que la chambre a tenu lors de sa dernière adresse.
Quant à nous, nous n’avons pu voir dans cet acte d’entraînement dicté par les sentiments les plus généreux, l’engagement de précipiter notre pays dans les éventualités désastreuses d’une guerre à tout prix. Un tel engagement eût été contraire à nos devoirs envers la patrie, il eût été indigne de la confiance qu’elle place dans ceux qui reçoivent la haute mission de la représenter.
Expression véridique d’un vœu, d’un espoir qui étaient ceux du pays tout entier, votre adresse faisait appel aux sentiments, aux intérêts moraux des gouvernements sur la sympathie desquels nous pensions qu’il était permis de compter !!!! « Que la France, que l’Angleterre usent de la haute influence qui leur appartient pour écarter du débat l’intervention des puissances du Nord, et la Belgique serrée autour de son Roi n’abandonnera jamais des populations que la Hollande tenterait de lui ravir. »
Voilà, messieurs, quelle était votre pensée, au moment où vous votiez votre adresse et cette pensée notre conduite ne l’aurait point démentie ; mais cette force irrésistible à laquelle la Belgique ne peut se soustraire, ne faut-il pas du moins l’attendre ; la dignité et l’honneur du pays ne permettent-ils de céder qu’en présence d’une force majeure est pour ainsi dire au moment de subir la contrainte ?
Tel est, messieurs, le système qui a été produit par un ancien membre du cabinet, comme celui que son collègue et lui voulaient voir suivre par le gouvernement.
Votre section centrale n’a point pensé qu’il fût ni de l’honneur, ni de la dignité du pays d’y avoir recours ; elle n’y a rencontré pour l’un et pour l’autre que les plus graves dangers.
Vous ne perdrez pas de vue que ce système, d’accord en cela avec les considérations que nous venons de vous exposer, admet qu’il n’y a point de déshonneur pour la Belgique, si elle cède en présence d’une force majeure. Eh bien, cette force majeure n’est-elle pas la même, soit que notre raison la fasse sentir à notre intelligence comme imminente, inévitable, soit qu’un fait matériel vienne la révéler à nos sens ?
Nous ne pouvons penser d’ailleurs que ce dernier système soit compatible avec les sentiments d’honneur dont notre armée est animée.
Si la législature accepte le traité, si par la conclusion de la paix nos soldats sont rappelés de la frontière où ils sont aujourd’hui, s’ils n’ont point à s’opposer à l’occupation d’une fraction du Limbourg ou du Luxembourg, ces territoires auront cessé d’appartenir à la Belgique, avant qu’un autre drapeau s’y déploie.
Mais attendre pour en retirer nos soldats que la force étrangère occupe ce territoire, qui n’aurait point cessé d’être belge, là serait le déshonneur.
De telles mesures, dictées par les sentiments d’un faux point d’honneur, ne seraient point de nature à donner une dernière marque de sympathie aux habitants des parties cédées, que nous abandonnerions sans même leur assurer les garanties stipulées par les traités.
Tout ce que la Belgique a fait pour éviter une pareille séparation atteste le prix qu’elle attachait à les conserver ; mais nous avons peine à penser que ces habitants puissent jamais nous savoir gré de les avoir exposés pour garder, à ce qu’on pense, notre honneur intact aux malheurs d’une occupation militaire.
Toutes les observations qui précèdent s’appliquent au système qu’un honorable membre vous a exposé dans votre séance du 19 de ce mois. Dans celui-là comme dans l’autre, la différence avec l’acceptation immédiate ne consiste que dans une question de date.
Sans doute, messieurs, la conservation du statu quo dont la Belgique jouissait depuis plusieurs années, à l’abri de la convention du 21 mai, devrait sourire à tous les esprits, mais nous n’avons pu nous dissimuler que le rejet du traité, au lieu de nous laisser dans cette position, nous replacerait dans une situation dépourvue de toute sécurité au-dedans comme au-dehors.
Chacun de vous appréciera d’ailleurs combien l’occupation forcée du territoire empirerait la position de la Belgique, lors des mesures d’exécution qui devront suivre la signature du traité.
Votre section centrale n’a point pensé non plus qu’il nous fût permis de nourrir l’espoir de voir modifier le traité par l’événement possible d’un changement de ministère en France.
Dans les discussions parlementaires qui ont amené la dissolution de la chambre française, la question belge a pu être pour quelques hommes politiques un moyen d’attaquer le ministère ; mais notre émancipation des stipulations du traité du 15 novembre n’a fait partie du programme d’aucun d’eux. Que serait-ce donc, aujourd’hui que la France a signé le nouveau traité et que les rigueurs qu’il consacre pourraient être rangés par la diplomatie dans la classe des faits accomplis ?
Craignons donc, messieurs, de trop tourner nos espérances vers certaines sympathies françaises. Sans doute, il en est qui paraissent bien vives chez toute une classe d’hommes politiques, mais pour eux la Belgique doit redevenir les départements réunis, pour eux la Belgique n’est que le chemin qui doit ramener la France à la limite du Rhin !
Gardez-vous donc, vous tous qui aimez notre nationalité, qui tenez aux libertés civiles et religieuses que notre constitution consacre ; gardez-vous de vœux inconsidérés ; gardez-vous surtout de désirer les hasards d’une guerre générale qui porterait peut-être dans son principe même l’anéantissement de notre indépendance ; dans ses éventualités, la restauration ou notre transformation en département français.
Les considérations que nous venons d’avoir l’honneur de vous soumettre et que nous avons senti le besoin de ne point développer davantage pour respecter les bornes que la nature de ce document nous assignait ont dicté la conviction de votre section centrale, au moment où elle a formulé les conclusions que nous aurons l’honneur de vous proposer.
La section a pensé que dans cette occasion le principe seul de la loi devait faire l’objet de son rapport, puisque à l’avance les puissances qui nous imposent le traité en ont décrété l’irrévocabilité, qui a d’ailleurs acquis une nouvelle force par l’adhésion du roi Guillaume. Sans cette considération la rédaction du traité aurait appelé d’assez nombreuses modifications.
Toutefois nous avons pensé que dans la plupart de ses dispositions et spécialement en ce qui concerne les stipulations financières, la Belgique n’avait rien à redouter dans l’exécution.
La modification la plus importante que le projet de traité apporte à celui du 15 novembre dans ses stipulations financières consiste dans la réduction de la rente annuelle à la somme de cinq millions de florins, au lieu de celle de huit millions quatre cent mille, et à la libération de tous les arrérages jusqu’au 1er janvier de cette année.
Le principe d’une liquidation à intervenir entre la Belgique et la Hollande a, il est vrai, disparu du traité ; et sans doute ce dernier pays, qui avait entre ses mains ou sur un territoire un actif de l’ancienne communauté du royaume des Pays-Bas infiniment supérieur à celui qui existe en Belgique, trouve, dans l’abandon du principe de liquidation, certaines compensations à la réduction opérée sur la rente.
Toutefois, cette réduction fixe et certaine nous a paru favorable aux chances d’une liquidation que le cabinet de La Haye n’eût point manqué d’entourer d’inextricables difficultés et d’interminables délais.
Il est en outre à remarquer que la charge nouvelle que fera porter à notre budget la nécessité de faire face à la rente annuelle imposée par le traité pour notre quotité dans le partage des dettes publiques du royaume des Pays-Bas, ne sera réellement que de quatre millions sept cent mille florins.
Vous savez, en effet, messieurs, comme l’ont attesté les observations faites dans plusieurs de vos sections, que la loi du 27 décembre 1822, avait établi un livre auxiliaire de la dette publique, lequel n’était en réalité qu’une succursale du grand livre destiné à faciliter le recouvrement des rentes aux habitants des provinces méridionales.
Ces rentes inscrites à ce livre auxiliaire ont été jusqu’ici payées par notre gouvernement, et nous nous sommes assurés que la somme portée de ce chef à nos budgets annuels s’élevait à 611,849 francs 17 centimes.
Si la part que la conférence nous a arbitrairement imposée dans la division de la dette est restée supérieure à ce qu’elle devait être, le pays n’en doit pas moins reconnaître que les efforts du gouvernement ne sont point demeurés sans résultats avantageux sur ce point.
La question de l’Escaut est sans doute une des plus graves de celles que décide le traité.
M. le ministre des affaires étrangères et de l'ntérieur vous a appris, à la page 23 de son rapport du 19 de ce mois que, dans la négociation de 1833, nos plénipotentiaires avaient fait connaître confidentiellement à lord Palmerston, que le gouvernement était disposé à consentir au droit d’un florin cinquante centimes.
Vous savez, messieurs, que c’est ce même droit que le traité impose.
Ce même rapport porte à croire que le gouvernement aurait été amené à cette offre par la considération que l’article 9 du traité du 15 novembre rendait provisoirement et jusqu’à fixation ultérieure, applicable à l’Escaut le tarif de Mayence, en vertu duquel le fleuve eût été frappé d’un droit excédant 4 florins.
Ce rapport vous apprend que telle était la portée que la conférence n’a jamais hésité à attribuer à cet article 9.
De son côté, votre section centrale ne peut s’empêcher de reconnaître qu’il serait difficile d’interpréter autrement le dernier paragraphe de cet article, et dès lors le péage tel qu’il est fixé par le traité peut être considéré comme ayant prévenu l’application provisoire d’un droit plus onéreux.
Le gouvernement vous a annoncé l’expérience d’en venir, sur ce point, à des arrangement de nature à sublever notre commerce des entraves et des charges trop lourdes que le traité pourrait lui imposer.
La chambre, nous en avons la conviction, sera toujours disposée à consacrer un sérieux et bienveillant examen à toute proposition qu’elle croira de nature à protéger le commerce, source vivifiante de notre prospérité.
Il me reste maintenant, messieurs, à vous faire connaître l’opinion de la section centrale sur le projet de loi.
La proposition du gouvernement a été adoptée par six voix ; une seule s’est prononcée contre, quant à présent.
Toutefois, conformément aux observations émises dans plusieurs de vos sections, nous avons pensé que la rédaction du projet devait subir une faible modification.
En conséquence, et tout en déclarant qu’elle ne fait que céder à l’empire de la nécessité, la section centrale a l’honneur de vous proposer l’adoption du projet de loi avec les modifications que vous trouverez indiquées dans la rédaction qu’elle vous soumet :
« Projet de loi.
« Léopold, Roi des Belges ;
« A tous présents et à venir, salut.
« Considérant que, par leurs actes en date du 23 janvier 1839, les plénipotentiaires des cinq puissances réunies en conférence à Londres, ont soumis à l’acceptation de la Belgique et de la Hollande les bases de séparation entre les deux pays ;
« Vu l’article 68 de la constitution ;
« Revu la loi du 7 septembre 1831 ;
« Nous avons, de commun accord avec les chambres, décrété et nous ordonnons ce qui suit :
« Article unique. Le Roi est autorisé à conclure et à signer les traités qui règlent la séparation entre la Belgique et la Hollande, en conformité desdits articles en date du 23 janvier 1839, sous telles clauses, conditions et réserves que Sa Majesté pourra juger nécessaires ou utiles dans l’intérêt du pays.
« Bruxelles, le… »
M. le président – Le rapport sera imprimé et distribué. A quand la chambre veut-elle en fixer la discussion ?
Des membres – A lundi !
D’autres membres – A mardi !
La chambre décide qu’elle se réunira en séance publique lundi.
M. Vandenbossche – Je demande la parole pour une motion d’ordre.
Pour bien apprécier l’irrévocabilité du traité, je pense qu’il serait nécessaire de nous communiquer les notes qui ont été échangées au sujet des relations que l’article 1er de la constitution supposait que nous serions dans la nécessité de contracter avec la confédération germanique.
M. Gendebien – Messieurs, nous voici arrivés au moment d’examiner le traité final irrévocable (bien qu’il ne soit peut-être pas le dernier qu’on qualifiera ainsi, et à coup sûr ce n’est pas le premier) ; nous devons cependant le considérer comme sérieux, et dès lors nous devons nous environner de toutes les lumières et les chercher partout où nous pouvons les trouver. Aux termes de la constitution, le gouvernement a le droit de négocier et de faire des traités sous sa responsabilité ; il doit les soumettre aux chambres dans certaines circonstances ; c’est ce qu’il a fait ; mais la constitution ajoute que le gouvernement remettra à la chambre, avec le traité, toutes les pièces diplomatiques qui ont amené ce traité.
Je demande, en conséquence, si M. le ministre des affaires étrangères est disposé à remettre sur le bureau toutes les pièces diplomatiques, depuis l’origine de la négociation jusqu’à l’époque actuelle, en acceptant toutefois celles qui ont déjà été imprimées et qui se trouvent dans des recueils authentiques.
M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Messieurs, je pense avoir été très large dans les communications que j’ai faites à la chambre par mes rapports des 1er et 19 février ; je crois avoir communiqué toutes les pièces qui peuvent être de quelque utilité dans la discussion actuelle ; communique l’ensemble de la correspondance auquel fait allusion l’honorable M. Gendebien ne me paraît pas seulement inutile ; mais cette communication pourrait même présenter des inconvénients.
Je crois donc qu’il n’y a pas lieu de donner suite à la proposition de M. Gendebien.
M. Dumortier – Il est vraiment étranger que dans une question aussi grave que celle qui nous occupe, dans une question qui, à elle seule, résume tout l’avenir de la patrie, le ministre des affaires étrangères fasse des difficultés pour répondre comme il devrait le faire à la motion de l’honorable M. Gendebien.
Le ministre dit qu’il vous a soumis tout ce qui était nécessaire pour former votre conviction. Mais quelles sont donc les pièces qui ont été communiquées ? Vous l’avez vu comme moi, on nous a communiqué les projets de traité proposés par la conférence et les procès-verbaux des négociations de 1833. Mais, quant aux pièces relatives aux négociations entamées depuis le mois de mars, on ne vous a rien ou presque rien communiqué. Je dis presque rien, parce qu’on nous a communiqué en tout une ou deux notes. Et cela n’est pas suffisant pour former notre conviction. C’est de l’examen de notes particulières du ministre, c’est de sa correspondance avec ses agents que doit résulter un grand enseignement sur la question de savoir si le gouvernement a fait son devoir, s’il a défendu nos droits comme ils devraient l’être, et s’il nous reste encore le moyen de rejeter le traité qu’on vous propose.
Mais la chambre devrait voter en aveugle parce qu’il plaît au gouvernement de présenter un projet de loi. Une pareille prétention n’est pas admissible. Cependant refuser la communication demandée, c’est vous mettre dans l’impossibilité de porter un jugement en connaissance de cause sur la conduite du ministère et l’opportunité du projet présenté.
Je ne puis assez blâmer la conduite du ministre des affaires étrangères. J’insiste pour que toutes le pièces relatives aux négociations entamées depuis le mois de mars soient déposées sur le bureau. C’est ce qui s’est fait dans toutes les circonstances analogues. Jamais les ministres précédents ne se sont refusées à des demandes de cette nature. Si le ministre actuel persistait dans son refus, nous aurions lieu de penser que les pièces demandées contiennent des choses qui doivent le compromettre. C’est un devoir pour nous d’en exiger la communication.
Au parlement anglais, toutes les pièces relatives à la question belge ont été déposées, et nous sommes les plus intéressés, nous qui sommes frappés par le traité, on nous refuse cette communication. Une pareille conduite serait injustifiable. J’insiste donc de nouveau pour que la chambre ordonne le dépôt de toutes les pièces demandées.
M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Messieurs, s’il ne s’agissait que de l’intérêt du ministère, je m’empresserais de déférer à la demande de M. Gendebien et de déposer les pièces les plus secrètes de la négociation, car cette communication ne pourrait tourner qu’à l’avantage, à la justification complète du ministère. Mais il s’agit ici d’autre chose que de l’intérêt du ministère, il s’agit de l’intérêt du pays. Vous vous rappellerez que la négociation a été officieuse et confidentielle pendant presque tout son cours ; et je crois avoir communiqué largement tout ce qui était susceptible d’être communiqué. Je ne pense pas pouvoir aller au-delà.
Maintenant on vient de dire que mes prédécesseurs étaient beaucoup plus faciles dans les communications demandées par les chambres. C’est une erreur. Je crois au contraire avoir été plus loin qu’aucun de mes prédécesseurs dans mes communications. Si dans le cours de la discussion quelques questions me sont adressées, j’y répondrai ; mais quant à communiquer l’ensemble des pièces, il m’est impossible d’y consentir.
M. Desmet – Je prends la parole pour appuyer la motion de Messieurs Gendebien et Dumortier.
M. le ministre nous a dit qu’il avait donné communication des pièces qu’il considérait comme utiles. Je lui demanderai alors si la lettre perfide, insultante, humiliante de lord Palmerston était utile à communiquer ; et je ferai remarquer qu’elle contient des absurdités et des choses contraires à ce qu’a avancé M. de Theux dans d’autres occasions. Il y a d’autres pièces plus utiles à connaître, car il m’est démontré que la négociation a été aussi mal conduite que la question a été mal comprise par la conférence.
Quand nous aurons pris connaissance de toutes les pièces, nous trouverons, j’espère, qu’il y a encore moyen, en repoussant le traité, de faire revenir les puissances.
J’ai cette conviction. Lisez le rapport, vous verrez qu’il y a d’autres communications à faire que celles que vous avez reçues, relativement au péage sur l’Escaut ; par exemple, on vous a dit qu’il y avait des négociations à faire ; je crains qu’on ne continue les négociations ultérieures avec la même incurie.
Dans le rapport que je viens d’entendre on a fait preuve qu’on avait mal compris la question de l’Escaut ; car l’Escaut est fermé par le traité ; la souveraineté du roi Guillaume sur l’Escaut est reconnue.
Il y a utilité pour le pays et devoir pour les représentants d’exiger que toutes les pièces soient déposées.
M. Pollénus – Je pense, messieurs, qu’il n’est pas sans utilité pour la chambre de recevoir communication textuelle de quelques pièces. Mais, d’abord, avant de dire un mot sur cette motion, j’ai à répondre à une objection qu’a paru faire le ministre des affaires étrangères, qu’il ne serait pas convenable, qu’il ne serait pas parlementaire de faire la communication demandée. Je pense qu’en fait de convenances parlementaires, on peut s’en rapporter à ce qui se passe dans le parlement anglais ; je lis dans l’analyse de ce qui s’y est passé à la séance du 6 février dernier, un ministre de la couronne s’opposait aussi à une communication de pièces réclamées par deux membres du précédent cabinet (lord Wellington et Aberdeen). C’était le duc de Wellington qui en faisait la proposition. On ne soutiendra pas, je pense, que le duc de Wellington n’est pas un homme parlementaire en état d’apprécier les convenances parlementaires.
Veuillez remarquez que dans les pièces dont on demandait la communication, il s’agissait de questions en quelque sorte personnelles, relatives au Canada. Lord Melbourne fit quelques difficultés auxquelles répondit lord Wellington appuyé par lord Aberdeen ; la discussion n’alla pas plus loin, et la communication textuelle de la correspondance fut continuée.
En partant de ces antécédents qui datent du 6 de ce mois, je crois que nous devons être entièrement rassurés sur la question de convenance.
Quant à l’utilité des communications demandées, je crois qu’elle est incontestable, à moins que je ne me trompe, à l’égard de ce qui s’est passé en 1833 relativement à l’apposition du paraphe au bas de quelques articles du traité du 15 novembre. Pour apprécier la portée des engagements du gouvernement et les inductions à tirer des articles paraphés, il faut connaître les instructions données et qui autorisaient les agents du gouvernement à apposer ces paraphes.
Ils ont été apposés à quelques articles qui sont relatifs à la question du territoire. Mais vous remarquerez qu’il a été convenu qu’un de ces articles resterait en suspens. Je conçois difficilement dès lors, qu’on aurait considéré comme définitivement décidée la question de territoire alors qu’on en réservait une partie. La question de territoire est une ; on ne pouvait pas admettre sur un point un système qui n’affectât pas l’autre. Je crois donc qu’il est utile de connaître les instructions données, afin de savoir l’effet qu’on doit attribuer à cette circonstance qu’on invoque pour soutenir que le traité du 21 mai 1833 et les événements qui ont suivi n’ont pas changé la position de la Belgique vis-à-vis de la Hollande et des autres puissances, en ce qui touche le traité du 15 novembre.
Il est un autre point auquel peut-être tout le monde n’attachera pas la même importance que moi. Dans une discussion récente du parlement anglais, j’ai cru comprendre par les paroles prononcées par lord Palmerston que les modifications aux 18 articles introduites dans le traité du 15 novembre ont été sollicitées par la Belgique ; c’est-à-dire que l’échange de territoire, d’une partie du Limbourg contre une partie du Luxembourg a été opérée d’après les désirs exprimés par le gouvernement belge.
En parlant de cet échange, je vois dans le compte-rendu du Moniteur que la diète donne la permission de faire l’échange désiré. Cependant, sur ce point, rien ne nous est connu si ce n’est par un discours de lord Palmerston. Je me trompe, une note du roi Guillaume nous a appris que ces désirs avaient été exprimés par le gouvernement belge. La note à laquelle je viens de faire allusion, j’y trouve sous le titre : Note du roi Guillaume au protocole n°63 :
« L’échange total ou partiel du grand-duché de Luxembourg, si l’on continue à le désirer, sera réservé pour une négociation spéciale et prochaine. »
« Si l’on continue à le désirer » ! Rapprochez ces termes, ce désir dont parle la note hollandaise, du discours de lord Palmerston à la séance du 6 février, et vous aurez la conviction que ce désir n’a pu être exprimé que par les agents du gouvernement belge. Voilà donc d’où serait partie la première idée de ce trafic d’hommes et l’atteinte portée à l’indépendance de la Belgique, à laquelle les ministres viennent nous proposer de nous associer aujourd’hui.
Pour ma part, il me paraît désirable, utile peut-être de savoir si la pensée du morcellement du territoire a été puisée dans le désir exprimé par le gouvernement belge d’opérer l’échange partiel du Luxembourg avec le Limbourg, échange dont parle lord Palmerston à la chambre des communes, à la séance du 6 de ce mois. M. le ministre des affaires étrangères nous dit que le gouvernement est assuré, que de la communication demandée, si elle pouvait se faire convenablement, il résulterait la preuve la plus complète de la justification du gouvernement ; j’avoue que ce serait pour moi un sujet de douleur de moins, si je pouvais me convaincre que l’idée du morcellement du territoire belge ne provenait pas du gouvernement de mon pays !! Produisez donc cette preuve, je vous en conjure ; en le faisant vous ne ferez que vous défendre d’un soupçon que la note hollandaise et le discours de Palmerston font planer sur le gouvernement belge.
Il m’importe de savoir, il importe au pays de connaître d’où est partie l’idée de substituer une partie du Limbourg au Luxembourg allemand, idée qui a amené l’anéantissement du traité des 18 articles, et le morcellement du territoire, morcellement dont jusque là il n’avait point été question dans les actes patents de la conférence de Londres.
J’appuie donc la demande de communication.
M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Messieurs, le dernier orateur a porté ses investigations jusque sur les négociations qui ont eu lieu relativement aux 24 articles en 1831. il nous a demandé si c’était par suite des instances du gouvernement belge qu’une partie du Limbourg a été subrogé à une partie du Luxembourg. Je puis déclarer que non, et que les instances faites à Francfort ont été faites par la conférence et non par le gouvernement belge, qui n’avait en aucune manière exprimé ce désir.
Le même orateur aurait désiré connaître les instructions données en 1833, antérieurement au paraphe donné par notre plénipotentiaire de certains articles, principalement en ce qui concerne la question territoriale. La production de ces instructions serait inutile, puisque les ministres d’alors ont toujours annoncé à la chambre l’intention d’accéder aux clauses territoriales des 24 articles, et que le rapport fait à la chambre à la suite des négociations de 1833 lui a donné sur ce point toutes les explications, tous les éclaircissements désirables.
On a demandé quelle était la valeur de la suspension du paraphe d’une partie de l’article 5 relatif au territoire, et concernant l’incorporation du Limbourg au territoire fédéral, tandis que le gouvernement néerlandais désirait voir ce territoire incorporé à la Hollande. La suspension de ce paraphe n’était pas de nature à exercer la moindre influence pour la Belgique. C’était une chose tierce pour la Belgique de savoir si la partie du Limbourg serait réunie à la Hollande ou à la confédération. Cela concernait la diète, la Hollande et les grandes puissances relativement à l’équilibre européen. D’ailleurs j’ai annexé à mon rapport du 1er février le procès-verbal tenu par la conférence de la négociation de 1833.
J’ai ajouté quelques explications dans mon rapport du 19 février. Je crois qu’il contient tout ce qu’on peut désirer sur cette partie des négociations. Pour obtenir la communication complète de la négociation de 1838, on s’était prévalu d’un exemple récent en Angleterre de l’affaire du Canada.
Je ferai remarquer qu’il s’agissait des communications du gouvernement anglais avec ses agents du Canada. C’est une affaire d’intérieur et qui ne touche en rien aux relations extérieures.
Puisqu’on a parlé de l’Angleterre, je rappellerai que dans ce pays lorsque le gouvernement déclare qu’il croit ne pouvoir communiquer tout ou parie des négociations, le parlement n’insiste mais pour avoir cette communication.
Je rappellerai ce qui est arrivé récemment en France, pour l’affaire d’Ancône, où il s’agissait d’une négociation, non seulement terminée, mais encore suivie d’exécution. La chambre, malgré une puissante opposition du gouvernement, n’a pas insisté pour la communication, le ministre des affaires étrangères ayant dit que cette communication présentait des inconvénients.
On a articulé un grief au sujet de la communication d’une lettre émanée du cabinet de Londres. Je ne puis en aucune manière m’associer aux qualifications données à cette communication. J’ai cru de mon devoir de communiquer cette pièce à la chambre, parce qu’elle renferme des indications qu’il est utile au pays de connaître.
M. Gendebien – Il est vraiment déplorable qu’au moment d’abandonner 400,000 Belges on ne veuille pas nous donner le moyen de justifier cet abandon qu’on a appelé, à juste titre, un fratricide et qui maintenant encore n’est autre qu’un lâche fratricide. Si l’on veut abandonner 400,000 Belges, ne devrait-on pas au moins leur donner la consolation de les convaincre de la nécessité de cet abandon ?
Il nous faut donc accepter d’emblée et de pleine confiance le rapport d’un ministre qui a changé d’opinion ou au moins de système en six semaines, et qui a pris à la fin des négociations le contre-pied de l’intention, de la volonté qu’il avait manifestée au commencement des négociations.
Comment ! on nous refuse une communication de pièces ! Comment ! on refusera même de nous dire quels sont les actes de la diplomatie qui ont déterminé le ministre des affaires étrangères à changer si complètement d’opinion ou au moins de langage du 13 novembre (jour de l’ouverture des chambres) à jusqu’au 19 février où il a eu le courage selon lui (d’autres qualifieront autrement cette conduite) de proposer l’acceptation d’un traité infâme. Vous vous rappelez tous que, le 13 novembre, on a fait prononcer au chef de l’état des paroles qu’il ne devrait prononcer jamais qu’au moment de tirer le glaive des combats ; on lui a fait prononcer les mots magiques de « persévérance et courage ». Si le mot « courage » signifie quelque chose de noble et d’énergique, c’est sans doute dans la bouche du Roi, dans la bouche du chef de l’armée. Eh bien, jugez, par « notre attitude de deuil »,, du pas immense que le génie diplomatique de nos hommes d’état a fait faire aux négociations du 13 novembre au 19 février. Qu’on veuille donc dire quels actes ont été posés dans l’intervalle de ces deux époques. Il me semble que le volume ne doit pas être bien grand ! Il me semble que la communication en est facile !
On se croit dispensé de nous fournir le moindre éclaircissement ; quels droits avez-vous à notre confiance ? qu’avez-vous fait pour la mériter ?
Mais si de la question la plus irritante dont je viens de parler, je passe à une question non moins importante, puisqu’elle doit grever le pays d’une dette énorme, je demande que le ministère communique les documents d’après lesquels il a été procédé à la liquidation avec la Hollande. Qu’il ait une conviction, cela peut être ; mais je ne le crois pas ; mais il ne peut nous contester le droit d’acquérir la même conviction par les mêmes éléments. Nous allons payer 5 millions de florins à la Hollande ; où est la preuve que nous les devons ?
Vous vous rappelez, messieurs, que lorsqu’il fut question, à huis clos, d’accepter le traité du 15 novembre, lorsqu’en 1831 on parvint à arracher un vote honteux à la chambre, comme on espère en arracher un aujourd’hui, alors plusieurs membres demandèrent communication des documents qui avaient servi à établir la légitimité de la dette accablante qu la conférence nous imposait au profit de la Hollande. On nous répondit qu’on avait en portefeuille les documents les plus précis, d’où résultait la démonstration que nous devions tout, exactement tout, sans pouvoir en retrancher un centime ; pour mieux conquérir votre confiance, on a proposé alors de cacheter les pièces dans un paquet et de le déposer au greffe pour qu’il fût ouvert après la signature du traité.
Plusieurs membres – Cela est vrai, cela est vrai.
M. Coghen – Je demande la parole.
M. Gendebien – C’est un fait dont se souviendront tous ceux de mes collègues qui ont assisté à cette séance déplorable et à jamais néfaste pour la Belgique.
Plusieurs membres – Oui ! oui !
M. Gendebien – Eh bien, messieurs, ces documents si certains, ces calculs si positifs, cette dette réglée si équitablement, cette dette sur laquelle il n’y avait pas la moindre modification à obtenir, nos plus grands ennemi, les hommes de la conférence eux-mêmes ont si bien reconnu l’iniquité du chiffre de la dette, qu’ils se sont condamnés eux-mêmes, ils ont réformé leur jugement inique, ils ont été forcés de le réduire eux-mêmes de 3,400,000 florins. La chambre a alors voté de confiance. Vous aller jouer aujourd’hui le même rôle, si vous n’avez pas de communication de pièces ; après l’expérience acquise, rien ne pourrait vous faire pardonner une pareille faute.
Qu’en affaires particulières, traitant avec M. de Theux, je l’en croie sur parole, si je veux bien l’en croire digne, soit : je n’ai de compte à rendre à personne du degré de confiance qu’il me conviendrait d’avoir en lui. Mais si je traitais des affaires d’un tiers, et comme mandataire, M. de Theux n’aurait pas le droit de s’imposer à ma confiance ; je pourrais et je devrais, sans qu’il ait le droit de se plaindre, exiger des preuve de ses allégations ; et on voudrait que comme représentant d’une nation prête à succomber sous le poids de l’iniquité, nous accordions pleine confiance à ce qu’un ministre vient nous dire, alors que l’expérience de huit années de mensonges et de turpitudes non démontre que tout a été déception et mystification dans nos relations extérieures ! Je le dis hautement sans craindre de démonstration contraire, si l’équité avait présidé à la liquidation de notre ancienne communauté, si nos intérêts avaient été défendus avec la fermeté que toute représentation nationale a le droit d’exiger du gouvernement, je suis convaincu que nous ne devrions pas un sol à la Hollande.
Je demanderai d’abord si l’on a fait entrer en ligne de compte notre part dans la marine française partagée en 1814, notre part dans l’arsenal d’Anvers, notre part dans la marine hollandaise et dans nos colonies ; si l’on a tenu compte au moins des dépenses faites par le trésor commun pour les colonies, pour l’amortissement de la dette hollandaise, que nous avons payée pendant 15 ans ; je demanderai si l’on a tenu compte de nos beaux domaines, si l’on a tenu compte, en un mot, de toutes nos impenses. Eh bien, messieurs, on n’a tenu compte de rien ; on nous a imposé arbitrairement 5 millions de florins, et, de plus, un droit qui n’est pas seulement onéreux pour la navigation de l’Escaut, mais qui est déshonorant pour la Belgique. Et, à ce sujet, permettez-moi messieurs, de vous rappelez ce qui s’est passé en 1833. Alors j’interpellai le ministre des affaires étrangères sur la question de savoir s’il était vrai que lord Palmerston, dans son thème, proposait un droit de 1 florin 50 cents par tonneau, et si c’était de l’aveu du ministère belge ; si celui-ci entendant renoncer à notre co-souveraineté sur l’Escaut. Le ministre nia positivement le fait, et, dans le rapport qu’il nous a fait récemment, il prend pour point de départ le thème de lord Palmerston et le consentement donné en 1835 par le gouvernement au droit de 1 fr. 50 cents. Vous voyez donc, messieurs, qu’il est indispensable d’examiner toutes les pièces du procès sur lequel vous allez prononcer. Lorsqu’un avocat consciencieux est appelé à plaider, lorsqu’un juge est appelé à prononcer sur une question de mur mitoyen, sur une créance de 50 francs, il entend les parties, il exige la remise des pièces, et vous, représentants de la nation, au moment où vous avez à prononcer sur la vie ou la mort de 400,000 citoyens, au moment où vous avez à prononcer sur une question d’honneur, la seule que la Belgique aura à résoudre encore (car lorsqu’elles ont renoncé à leur dignité, lorsqu’elles se sont laissé fouler aux pieds, les nations n’ont plus de pareilles questions à résoudre, et lorsque la Belgique aura accepté le traité, elle ne tardera pas à être rayée de la liste des nations), dans ce moment où il s’agit d’une question d’honneur, d’une question de vie ou de mort, on veut que vous votiez sans examiner, que vous ayez confiance pleine et entière dans un ministre qui n’a su faire ni la paix ni la guerre, dans un ministre qui, pendant 5 mois, a poussé toute la nation à l’énergie, à l’action et qui, depuis 15 jours, pousse toute la nation au déshonneur.
Ce n’est pas assez pour ce ministre d’avoir compromis le nom royal dans cette enceinte ; ce n’est pas assez pour lui d’avoir compromis le ministère, d’avoir trompé tout le monde, à tel point qu’il est aller jusqu’à tromper deux de ses collègues ; ce n’est pas assez pour lui d’avoir provoqué les chambres à faire des adresses, auxquelles il a lui-même concouru, ce n’est pas assez pour lui d’avoir provoqué les adresses des conseils provinciaux, des conseils communaux, des bourses de commerce, des chambres de commerce, en un mot toutes les corporations constituées ; il a voulu aller plus loin ; après avoir compromis le nom royal, après avoir déshonoré la nation en masse en la mettant dans la nécessité d’accepter le traité le plus honteux, il veut maintenant que la nation soit son complice dans la plus ignoble des comédies diplomatiques. Oui, messieurs, aujourd’hui est arrivé le grand jour des plus déplorables contradictions, le jour des palinodies (s’il faut que je me serve du mot propre) ; la nation toute entière, tous les corps constitués vont se trouver compromis, vont se trouver déshonorés par la plus inconcevable politique ; de tous les fonctionnaires publics de la Belgique, il n’y aura peut-être que les seuls gardes-champêtres qui auront été assez sages pour ne pas se trouver compromis ; mais tout le reste, depuis l’administration communale la plus insignifiante jusqu’au chef de l’état lui-même, tout le monde aura été compromis. Permettez-moi de vous le dire, messieurs, sous ce rapport la question est peut-être plus grave que le traité lui-même ; le traité n’est presque plus qu’une question secondaire, quand on songe aux funestes conséquences de la conduite du ministère. Quand on songe à l’anarchie qui pourra naître un jour de la conduite du ministère qui n’a pas hésité à compromettre toutes les dignités, toutes les administrations. Vous ne vous apercevez pas maintenant de ces conséquences funestes ; non, vous avez la vue trop courte ; mais, à la moindre perturbation, vous verrez combien surgiront actifs les reproches, combien ils seront vifs, combien ils seront funestes, peut-être, dans leurs conséquences, dans leurs débordements, alors que toutes les administrations déconsidérées seront sans force.
Et l’on voudrait lorsqu’un homme nous a mis volontairement dans cette positon, tous tant que nous sommes, on voudrait que nous ayons confiance en cet homme ; on veut que nous acceptions sur parole ce long et fastidieux rapport, qui n’est en définitive que la répétition de tous les rapports passés, c’est-à-dire de toutes les mystifications sur les affaires diplomatiques ; cela est impossible.
Je me suis acquitté, messieurs, de mon devoir en exigeant la production de toutes les pièces avant de nous occuper de la grave question qui nous est soumise ; je laisse aux ministres la responsabilité de leur refus.
M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Je n’anticiperai pas sur la discussion générale pour suivre l’orateur dans la sortie qu’il vient de faire ; je me borne à dire que si les paroles sont fortes, acerbes, amères, jamais les raisons n’ont été plus faibles. C’est à moi que l’honorable membre reproche d’avoir poussé le pays dans la voie de la résistance ; je décline, messieurs, ce reproche : je n’ai jamais provoqué aucune démonstration de la part du pays dans le sens de la résistance ; si le gouvernement a essayé la résistance assez longtemps qu’elle a été raisonnable, aussi longtemps qu’elle a été possible, et s’il a trouvé de l’appui dans les sentiments du pays, je ne pense pas qu’il ait à cet égard aucun reproche à nous faire.
Mais, messieurs, on nous demande quels sont les faits nouveaux qui ont déterminé le changement de conduite du gouvernement ; ces faits, messieurs, je vous les ai fait connaître dans les rapports que j’ai eu l’honneur de vous présenter le 1er et le 19 février, ces faits sont réels, ils sont connus de tout le monde et je ne pense pas qu’on puisse en atténuer la gravité, quelque violence que l’on apporte dans les attaques dirigées contre la conduite courageuse du gouvernement qui a fait connaître au pays sa vraie situation. Oui, messieurs, le ministère a accepté une tâche, difficile, pénible. Il a fallu du courage civique pour accepter cette tâche et nous la rempliront jusqu’au bout, heureux de trouver de l’appui dans les corps constitués, dans les corporations distinguées par leurs lumières. Oui, messieurs, je le dis hautement, la presque totalité du pays, approuve la conduite du gouvernement dans ces circonstances.
Quant à la demande du dépôt de toutes les pièces sur le bureau, je dois de nouveau la repousser ; je ne m’arrêterai point aux faits qui ont été articulés contre mes prédécesseurs, les membres des ministères de 1831 et 1833, sont présents, au moins en partie, à l’assemblée, ils pourront dans la discussion générale, s’ils le jugent à propos, donner des explications sur ce qui les concerne ; je rappellerai seulement un fait, c’est que la discussion des 18 articles a été désastreuse pour le pays par les indiscrétions dont elle a été accompagnée.
M. Coghen – J’ai demandé la parole, Messieurs, pour répondre à l’honorable M. Gendebien. C’est après les désastres de 1831, lorsque j’étais à peine entré au ministère, que la conférence de Londres exigeait de la Belgique de formuler le chiffre de la dette qui devait lui être imputée ; nous étions alors dépourvus de tout document, de tout renseignement, toutes les pièces se trouvant en Hollande ; il eût été d’ailleurs dangereux d’entrer dans une position de chiffres ; on s’est donc borné, comme le prouvent les pièces qui ont été publiées en 1832, à piser des bases, des principes de liquidation tellement larges que s’ils avaient été admis seulement en partie, la Belgique n’eût certes pas été traitée aussi injustement quelle l’a été.
Lorsque le chiffre de la dette fut connu, une protestation énergique fut faite et eut pour résultat le protocole n°48, qui déclarait que si réellement il y avait erreur, on reviendrait sur le chiffre attribué à la Belgique. Des réclamations furent faites alors non-seulement sur les domaines, sur la marine, sur l’amortissement, mais sur tous les points où nous avions des droits ; les pièces publiées en 1832 en portent la preuve.
Quant au rapport que j’ai fait à la chambre, c’est un document qui doit exister au ministère des finances, et si le gouvernement le juge utile, je désire qu’il soit publié ; on y verra qu’il n’y a aucune reproche à faire au ministère d’alors, puisqu’il a expliqué l’état réel des dettes qui pouvaient être imputées à la Belgique.
M. Dumortier – Ce que vient de dire l’honorable préopinant prouve la nécessité de donner suite à la motion de l’honorable M. Gendebien, d’exiger communication de toutes les pièces relatives à la négociation. En 1831, nous n’avions pas, dit l’honorable préopinant, de documents concernant la dette, et nous étions sommés par la conférence de poser le chiffre de la dette qui devait nous être attribuée. La conférence, ajoute l’honorable membre, posa elle-même ce chiffre, et alors une protestation intervenant eût pour résultat le protocole n°48. Eh bien, messieurs, les faits se sont entièrement effacés de la mémoire de l’honorable préopinant : il est d’abord inexact que nous n’avions pas entre les mains, en 1831, les documents nécessaires pour opérer la liquidation de la dette ; ces documents, messieurs, sont entre les mains de tout le monde, ils m’ont servi faire mon travail sur la question, ils sont entre les mains de nous tous puisqu’ils se trouvent dans le Bulletin des lois ; vous les aviez donc entre vos mains, et il est inexact de dire que la Belgique ne possédât pas à cette époque les documents relatifs à la dette. Ce qui résulte de tout cela, c’est que la Belgique était présentée alors de la manière la plus pitoyable, que nos droits n’ont été nullement défendus.
Mais, dit l’honorable préopinant, une protestation est intervenue de la part du gouvernement belge, et elle a eu pour résultat le protocole numéro 48, qui stipule des garanties pour la Belgique.
Ici la mémoire de l’honorable préopinant lui fait encore défaut ; le protocole n°48 est précisément celui qui règle la quote-part de la dette, qui stipule à la charge de la Belgique une somme de 8,400,000 florins. Depuis lors aucune transaction favorable à la Belgique n’est intervenue.
Mais savez-vous, messieurs, ce qu’on déclare dans le protocole n°48 ? On y dit que la conférence a dû baser ses évaluations sur les calculs présentés par les plénipotentiaires hollandais, à cause que depuis huit mois elle réclamait vainement du plénipotentiaire belge des documents relatifs à la dette, ou qu’elle n’avait pu obtenir de lui que des données vagues et incertaines. Voilà, messieurs, comment nos intérêts ont été défendus en 1831, comment nous avons été représentés. Et ce qu’il y avait de plus fort, c’est qu’on avait déclaré qu’on était dans l’impossibilité de fournir d’autres documents. Voilà ce qui s’est passé en 1831 ; maintenant nous connaissons les faits ; nous savons aujourd’hui que c’est grâce à l’incapacité notoire de nos agents que nous avons été sacrifiés à cette époque. Le fait seul qu’on ne nous a pas fourni des documents en 1831, a été en grande partie la cause de l’acceptation du traité calamiteux du 15 novembre ; il en résulte pour nous cet enseignement : c’est qu’il ne faut pas aujourd’hui tomber dans le même piège, c’est qu’il faut exiger du gouvernement la communication des pièces relatives aux négociations.
Je lis dans le rapport de M. le ministre des affaires étrangères qu’à diverses reprises il avait donné des instructions sur la question du territoire ; et d’un autre côté, le chef du cabinet français a déclaré expressément que la question territoriale n’avait été introduite par la Belgique qu’après que la négociation avait été terminée. Aujourd’hui que nous connaissons la pièce qui a été remise à Londres dans le cours du moins de janvier dernier, nous sommes portés à croire, malgré le démenti de notre ministre des affaires étrangères, que ce qu’avait dit M. le ministre des affaires étrangères de France était conforme à la vérité, et que notre ministre avait forfait à son devoir.
M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Je donnerai des explications sur ce point.
M. Dumortier – Je ne demande pas d’explications ; ce n’est pas sur vos dires, mais sur des pièces probantes que je veux établir mon jugement, vous pouvez donner des démentis, nous savons ce que valent des démentis dans certaines bouches.
M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Je ne souffrirai pas qu’un membre de cette chambre se permette contre moi un pareil langage.
M. le président – Je blâme fortement les expressions qui sont échappées au dernier orateur ; je l’invite, aux termes du règlement, à s’abstenir de toute personnalité.
M. Dumortier – J’ai le droit de dire ce que j’ai dit ; je ne rétracte aucune de mes paroles.
Je le répète, je n’ai pas confiance dans les explications qu’on veut donner : c’est seulement d’après des actes et non pas d’après de vaines déclarations que je formerai mon opinion. Si vous êtes aussi blanc que vous le prétendez, il est de votre intérêt de déposer sur le bureau les pièces de la négociation. Si, au contraire, comme j’en suis convaincu, vous avez trahi les intérêts de la patrie, le pays doit savoir que c’est vous qui avez causé son malheur.
M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Messieurs, je n’ai jamais consulté mon intérêt dans les affaires publiques ; je repousse conséquemment le motif allégué par M. Dumortier à l’appui du dépôt des pièces. Je tiens uniquement compte dans ma conduite de l’intérêt du pays, et j’ai dit que c’est dans l’intérêt du pays que je ne pouvais consentir au dépôt.
Je n’ai qu’un mot à répondre quant à la prétendue contradiction entre les paroles que j’ai prononcées au sénat, et la déclaration de M. le comte Molé à la chambre des députés de France. Des explications ont été demandées à M. le comte Molé par notre ministre à Paris, et il est résulté de ces explications que M. le comte Molé n’a entendu faire allusion qu’à des notes qui auraient été déposées à la conférence. Voilà le sens des paroles de M. le ministre des affaires étrangères de France, et sous ce rapport il n’y a aucune contradiction entre les assertions de mon rapport et la déclaration de M. le comte Molé.
M. Coghen – Messieurs, l’honorable M. Dumortier a dit que tous les documents relatifs à la fixation de la dette sont dans les mains de tout le monde ; cela est vrai pour les documents concernant la dette inscrites au grand-livre ; mais les pièces touchant le syndicat ne sont dans les mains de personne. L’honorable M. Dumortier savait bien que je faisais allusion aux documents du syndicat d’amortissement, puisque le rapport fait en 1831 à la chambre contient l’indication de toutes les dettes, avec la date des lois.
M. de Foere – Messieurs, si j’ai bien compris les motifs pour lesquels M. le ministre des affaires étrangères refuse la communication des pièces relatives au traité, ils se réduisent à ceux-ci : Cette communication est inutile ; elle est contraire aux intérêts du pays, elle est en opposition avec les usages du parlement anglais.
Ces raisons ne me paraissent pas recevables. M. le ministre des affaires étrangères et de l'ntérieur resterait seul appréciateur de cette inutilité et seul juge et partie dans sa propre cause. C’est à nous à juger si les négociations ont été conduites dans l’intérêt du pays, et par des ministres capables, par des ministres fidèles. Ce sont les mêmes motifs pour lesquels nous avons, dans l’intérêt du pays, le devoir et le droit d’exiger que les pièces soient déposées sur le bureau. Conformément aux usages de tous les parlements, ce dépôt a lieu, toutes les fois que les négociations sont arrivées à leur terme. Je défie qui que ce soit de citer un seul fait du parlement anglais qui prouve que toutes les pièces relatives à un traité n’ont pas été déposées sur le bureau à la demande d’un membre du parlement.
Certes, dans les états constitutionnels, un ministre a le droit de refuser des communications, lorsque les négociations sont encore pendantes ; mais dans aucun cas, un ministère anglais ne refuse cette communication alors que la négociation est arrivée à son terme.
Ensuite, comme voulez-vous que, sans communication de ces documents, nous examinions et discutions le traité ? Le sens de ce texte, comme celui d’une loi, dépend des considérants et de motifs qui ont amené les stipulations du traité, ou les dispositions d’une loi.
Messieurs, si vous ne persistiez pas à demander la communication de toutes les pièces, vous poseriez un antécédent extrêmement dangereux pour les intérêts du pays. Tout ministère pourrait, dans les négociations éventuelles dans lesquelles le pays serait entraîné, cacher son incapacité, son infidélité, même sa trahison derrière son silence et son refus de produire les documents. Cet usage est la seule garantie que possède le pays pour s’assurer de la fidélité des ministres, et le seul moyen de stimuler leur sollicitude et leurs talents dans la conduite des affaires extérieures. Les négociations seraient trop commodes, pour le pouvoir exécutif, et trop dangereuses pour le pays, s’il n’avait pas le droit de demander la communication des pièces qui ont servi à amener un traité à son dernier terme. J’ai dit.
M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Messieurs, je n’ai pas dit que je refusais la communication uniquement parce que je la considérais comme inutile, en me fondant sur les usages du parlement d’Angleterre. J’ai dit que les usages du parlement d’Angleterre avaient été invoqués mal à propos ; que d’après ces usages, l’on ne forçait pas le gouvernement à faire des communications, lorsque le gouvernement déclarait qu’il y voit des inconvénients. J’ai ajouté que les communications qu’on demande seraient contraires aux intérêts du pays. J’ai dit encore que cette négociation avait été en grande partie confidentielle et officieuse et que les documents de cette nature ne se communiquent pas, parce qu’alors il ne s’agit pas seulement du gouvernement qui communiquerait les pièces, mais encore de ses relations avec d’autres gouvernements. Ce seul motif devrait suffire pour me déterminer à refuser la communication.
L’on dit que l’affaire est arrivée à sa conclusion. Je suis étonné d’entendre cette assertion de la part des orateurs de l’opposition qui, en voulant encore négocier, ne veulent pas accepter le traité, et qui par conséquent ne considèrent pas l’affaire comme arrivée à son terme. Mais je dis que, même dans notre opinion favorable à l’acceptation du traité, il y a pour nous des motifs particuliers pour ne pas consentir au dépôt qu’on demande ; c’est qu’il y a encore l’exécution à donner au traité.
M. Pirson – Messieurs, je ne ferai qu’une simple question à M. le ministre des affaires étrangères. Il paraît que nous aurons grande difficulté à obtenir les pièces, mais je crois que le ministre ne peut se dispenser de répondre par oui ou par non à la question que je vais faire.
J’ai lu et relu les rapports du ministre. Dans ces rapports, je vois bien que le ministre des affaires étrangères nous dit que la négociation depuis le mois de mars a été à peu près toute confidentielle.
Je ne vois nulle part dans ces rapports qu’il ait été présenté des notes ou que l’on ait présenté des projets de modifications relativement au territoire ; cependant sur cette question de territoire, il n’y avait pas seulement à dire oui ou non, d’après la décision première de la conférence ; nous voulons tout ou rien. Il y aurait peut-être des modifications à demander. Je ne vois pas qu’il en ait été proposé. Je vois dans le rapport que M. de Gerlache a été envoyé à Londres et que sa mission se réduisait à offrir de l’argent ; mais, quand a-t-on fait cette proposition ? Le 15 janvier, au moment où déjà la conférence avait décidé. Si la signature de l’ambassadeur de France a été ajournée sur la demande du gouvernement français, le projet était signé par les quatre puissances.
Il n’y manquait que la signature de M. Sébastiani. Je vois donc que, quand déjà la question était résolue, on a fait une proposition relativement au territoire ; on a offert 50 millions pour le conserver.
Je vois ensuite qu’après avoir reçu le traité, le même jour, le jour même où l’on nous faisait la communication, on envoyait à Londres pour avoir un prétexte pour retarder les discussions, car le projet qu’on envoyait n’avait pas le sens commun.
On offrait à la conférence de nous laisser l’administration des populations du territoire contesté et même, je crois, des villes de Maestricht et de Luxembourg, en donnant le gouvernement militaire à la confédération germanique. On offrait d’abandonner à la confédération germanique le droit de lever une petite armée de deux ou trois mille hommes dans le Luxembourg, et ces hommes auraient pu être dans le cas de se battre contre nous. Au lieu de frères c’était des ennemis qu’on nous créait. C’est pour cela que je vous disais que cette combinaison n’avait pas le sens commun. Cette armée aurait bien remplacé l’armée de 30 cents hommes du prince de Liége.
Je demande si on a proposé d’autres combinaisons que celle-là.
M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – J’ai déjà fait connaître à la chambre qu’avant le commencement de janvier notre plénipotentiaire ne s’était pas occupé en conférence de la question du territoire. J’en ai dit aussi la raison ; c’est qu’aussitôt que cette question eut été soulevée officiellement à la conférence, la conférence eût exigé notre adhésion immédiate aux stipulations du traité du 15 novembre, et fermé les négociations. Dès lors nous n’aurions plus pu débattre les questions financières.
L’honorable préopinant a demandé si on avait fait, quant au territoire, des tentatives autres que celles dont il a parlé. Je lui répondrai : oui ; on en a fait de nombreuses, mais isolément, auprès des cours, indépendamment de celles dont j’ai rendu compte. Plusieurs sont d’une nature confidentielle. Je pense que toutes ces tentatives ont été épuisées, et qu’on ne pourrait nous en suggérer aucune ayant une chance de succès qui n’ait pas été faite.
Je ferai observer que ce n’est pas le 14 janvier, comme on l’a dit, que la tentative dont M. de Gerlache fut chargé a été ouverte. C’est le 5 janvier qu’il est parti de Bruxelles avec la note qui devait être remise à la conférence. Messieurs de Gerlache et Van de Weyer ont été chargés de seconder les dispositions des cours de la Grande-Bretagne et de la France qui soutenaient plus spécialement nos intérêts à la conférence. Si la conférence avait voulu consentir à une modification, il en était encore temps. Nous étions arrivés au moment de pouvoir offrir une somme considérable. A cette époque le grand débat parlementaire de France qui attirait toute l’attention de la Belgique, je dirai même sa confiance, n’était pas terminé.
Quant à la dernière note présentée à la conférence, j’ai moi-même déclaré que j’avais peu de confiance dans son succès. S’il avait été accueilli, ce projet n’était pas plus difficile dans son exécution que l’admission de la Belgique dans la diète germanique. C’était un moyen terme entre l’abandon du territoire et l’admission de la Belgique dans la diète qui rencontrait l’opposition de la part d’une puissance qui prenait un grand intérêt à la Belgique.
Quant aux troupes qui auraient été levées par la confédération, elles n’auraient pas eu d’autre mission que celle qu’elles auraient eue dans le cas de l’admission de la Belgique dans la confédération germanique. Il n’y avait rien d’absurde là-dedans. Dans les états allemands, il y a des choses qui semblent présenter des anomalies en présence de l’unité à laquelle nous sommes habitués.
M. Gendebien – On perd de vue l’objet principal de ma motion. Je demande qu’on y revienne. Je n’ajouterai rien à ce que j’ai dit pour vous démontrer la nécessité de l’adopter. Je ferai simplement remarquer que, quand vous vous occupez d’une question minime d’intérêt matériel, du moindre changement au tarif des douanes, il n’y a qu’une voix pour demander des documents, force documents ; on n’en a jamais assez. Nous en avons déjà d’énormes volumes. Je ne sais si la chambre voudra faire moins pour 400 mille Belges que pour le moindre de ses intérêts commerciaux.
J’ai fait ma motion, j’ai rempli mon devoir ; à la chambre à voir comme elle veut remplir le sien.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Messieurs, le 1er et le 19 de ce mois, il nous a été présenté deux rapports très détaillés avec un grand nombre de pièces. Ce qu’on nous demande, c’est un supplément de communication. Le ministre des affaires étrangères nous déclare qu’il est impossible de nous donner ce supplément que d’ailleurs il regarde comme inutile. Il regarde ce supplément comme inutile parce que si des explications ultérieures sont demandées, on les fournira dans le cours de la discussion, et si on ne vous fournit pas les pièces mêmes on vous en donnera la substance. Si vous nous demandez telle tentative a-t-elle été faite ? si elle a été faite, pourquoi n’a-t-elle pas réussi ? Le ministre n’aura pas besoin de produire ses lettres, il vous fera le récit de ce qui s’est passé. Ne perdez pas de vue que les deux rapports qui vous ont été faits renferment l’analyse d’une immense correspondance. Au fond, ce qu’on demande, c’est la communication des lettres que le gouvernement a reçues de ses agents et des agents des gouvernements avec lesquels il est en rapport. C’est une demande inusitée ; il est impossible que le gouvernement fasse cette communication. Il n’en a pas d’autre que celle-là à vous faire.
Ainsi, c’est un supplément qu’on vous demande, qui consisterait dans le dépôt sur le bureau de la correspondance du gouvernement. Ce dépôt ne peut pas s’effectuer. Il deviendrait désormais impossible au gouvernement d’avoir la moindre relation avec les gouvernements étrangers. Ce serait là un précédent des plus dangereux, qui rendrait impossible toute négociation avec l’étranger, toute conversation entre nos agents et les ministres des gouvernements auprès desquels ils sont accrédités ; entre les ministres à Bruxelles et les membres des légations. C’est là que nous conduirait la proposition qui vous est faite.
Nous voulons, dites-vous, juger de la capacité et l’incapacité de ceux qui ont dirigé les affaires du pays, et leur fidélité, dit M. Piron. Eh bien, cette capacité ou cette incapacité, cette fidélité ou cette infidélité, vous en jugerez d’après les résultats obtenus et les explications données et à donner par le gouvernement.
On nous cite ce qui se passe pour les affaires intérieures. Faut-il encore répéter qu’il y a une grande différence entre les affaires intérieures ; et les affaires extérieures. A l’intérieur, il n’y a nul inconvénient à communiquer toutes les pièces. Avec l’étranger, vous avez des relations à entretenir dans l’avenir, vous devez en ménager les moyens, conserver ces garanties de discrétion sans lesquelles il n’y a plus de diplomatie possible.
La position du ministère est très simple. Il a trouvé un traité conclu, le traité du 15 novembre ; il en a entrepris la révision ; la révision complète il ne l’a pas obtenue, vous savez pourquoi ; la révision partielle, il l’a obtenue ; le traité a été modifié au profit de la Belgique dans les stipulations européennes, si je puis m’exprimer ainsi. C’est là le grand résultat des négociations entreprises depuis un an.
Du reste, par ces dernières paroles, j’anticipe sur la discussion générale.
Je me borne à dire que le supplément de communications demandé est impossible à fournir ; il serait d’ailleurs inutile, parce que s’il y a des explications ultérieures à donner, on les donnera dans le courant de la discussion ; c’est même pour cela qu’il doit y avoir une discussion.
M. Gendebien – On vous répète sans cesse que les communications sont inutiles, parce que, dans le cours de la discussion on pourra adresser des questions. Mais, je vous demander comment nous pourrons adresser au ministère des questions pertinentes, quand nous ne connaissons pas les pièces ? C’est précisément parce que nous voulons vous adresser des questions, mais des questions qui ne soient pas oiseuses, que nous voulons avoir les pièces sous les yeux. Mais, dit-on, les communications sont inutiles, sont dangereuses, les documents qu’a le ministère ne sont pas des actes diplomatiques proprement dits, qu’on puisse communiquer.
Eh bien, qu’on communique au moins tout ce qui peut être communiqué, et qu’on déclare formellement qu’on n’a pas autre chose à communiquer. Nous aurons ensuite à vérifier la véracité de cette assertion, et nous aurons du moins exigé tout ce que nous avons le droit d’exiger ; en un mot, nous aurons accompli notre devoir.
On vous parle de correspondance confidentielle avec les agents de nos alliés individuellement. Certes je n’ai pas entendu demandé la communication d’une correspondance de cette nature. Nous savons qu’un grand nombre de courriers porteurs de correspondance de famille sont allés à Londres et à Paris ; il serait contraire à toutes les convenances parlementaires et même à toutes les convenances sociales, de demander communication de cette correspondance.
Le ministre a dit que sa position est simple. Eh bien, ma proposition ne l’est pas moins. Je demande que le gouvernement nous communique toutes les instructions données à ses agents à Londres et à Paris, et les documents qu’il en a reçus pendant toutes les négociations qui ont amené le déplorable traité qu’il s’agit aujourd’hui d’accepter ou de refuser. Je demande communication de tous les documents officiels ou officieux présentés à la conférence ou reçus d’elle ; là je n’admets pas des documents confidentiels, officieux après le traité signé.
Si on demande à ne pas communiquer la correspondance confidentielle avec les représentants de telle ou telle puissance, je conçois qu’il y ait à cela des motifs de convenance et même d’intérêt. Je ne m’y oppose donc pas. Mais quant à la conférence c’est autre chose ; il n’y a aucune raison, aucun motif convenable qui puisse dispenser de communiquer toutes les pièces présentées à la conférence.
La chambre voit quelle est ma proposition. J’abandonne à la responsabilité ministérielle le soin d’y répondre.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Je crois en effet que le préopinant a simplifié la question, je lui en rends grâce. Il ne demande plus communication des instructions ; ces instructions sont exactement fidèlement analysées dans deux rapports. Ces analyses doivent suffire. Si ces analyses ne suffisent pas, le préopinant pourra demander des éclaircissements en signalant les lacunes.
On demande la communication des notes officielles adressées à la conférence ; ces notes se trouvent dans les deux rapports.
M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – J’ai une observation à faire relativement aux instructions. Dans plusieurs instructions, il y a une partie confidentielle. Je ne puis donc admettre la proposition de M. Gendebien. (Réclamations.) Du tout, messieurs, dans les instructions confidentielles, il n’y a pas un iota qui puisse compromettre le ministère. Mais je dis qu’il est contraire aux intérêts du pays de communiquer toutes les instructions.
M. de Foere – L’honorable ministre des travaux publics vous a fait observer que, si le dépôt était effectué, ce serait là le véritable précédent dangereux. Il a ajouté que toute négociation à l’étranger deviendrait impossible.
Le ministère anglais ne dépose pas sur le bureau des rapports arbitraires, des analyses ; il dépose les pièces officielles et jusqu’aux correspondances. Dernièrement encore, afin de s’assurer si les agents au dehors, dans les affaires du Canada, avaient répondu aux intentions du gouvernement, et si le gouvernement avait donné des instructions dans l’intérêt de l’Angleterre, toutes les pièces et les correspondances officielles ont été demandées, et elles ont été déposées. Ce n’étaient pas des analyses arbitrairement faites ; c’étaient les pièces officielles d’agent à agent elles-mêmes. Si ce dépôt a lieu en Angleterre et que les négociations sont néanmoins possibles dans ce pays, pourquoi les négociations et les relations extérieures ne le seraient-elles pas en Belgique, alors que les mêmes documents seraient également déposés sur le bureau de la chambre ? Je ne vois pas cette impossibilité dans un pays plus que dans un autre. Lorsque les mêmes voies sont suivies dans un même but, la position doit être la même.
Ensuite l’honorable ministre des travaux publics vous a dit que des explications ultérieures, si elles étaient provoquées, vous seraient données par le ministère. Ces explications reposeraient toujours sur la seule autorité du ministère et non sur les pièces officielles. Il existe d’ailleurs dans le rapport des lacunes importantes et des contradictions des points de départ ou des prémisses qui mènent, je ne sais comment ni pourquoi, à des conclusions inverses. Si nous avions les documents officiels, nous pourrions nous en rendre compte. Jamais nous le pourrons si nous n’avons que les explications des ministres, que toujours nous devons, dans l’intérêt du pays, considérer comme insuffisantes et comme arbitraires.
M. Dumortier – La politique du ministère dans cette circonstance peut se résumer en ce peu de mots : « Nous avons perdu notre cause ; nous ne voulons pas vous dire comme nous l’avons défendue. » Voilà en résumé tout ce que vient de dire le ministère.
On vous dit : « Vous nous jugerez par le résultat. » Si c’est par le résultat que nous devons vous juger, rien n’est plus simple. Le résultat est mauvais. Ainsi nous devons dire, et vous devez dire vous-mêmes que vous avez mal géré nos affaires.
Vous voulez qu’on vous juge d'après vos explications ; mais nous ne pouvons vous croire sur votre parole d’honneur, sur votre simple déclaration. Nous avons l’expérience du passé qui doit nous éclairer sur l’avenir.
Rappelez-vous ce qui s’est passé en 1831 et 1832 ; alors on a caché à la chambre des pièces d’une haute importance et qui étaient de nature à servir à la conviction d’un grand nombre de membres. Alors on a caché des pièces ; aujourd’hui on veut refuser toute communication.
Je vais prouver combien il est nécessaire que la chambre ait connaissance des instructions données par le gouvernement. Ici, je dois le dire encore, il ne s’agit pas d’explications. Dites ce que vous voudrez : je n’ajouterai aucune espèce de créance à vos paroles. Quelles que soient les explications, je penserai que le pays a été mal défendu, jusqu’à ce que j’aie la preuve du contraire.
Dans la question de la dette il existe un lacune immense : c’est relativement au syndicat. Certes, nous devrions avoir toutes les pièces sur cette question. Je me réserve de parler de cela dans la discussion générale. Mais la chambre comprendra par ce peu de mots qu’il est du plus haut intérêt pour le pays que les pièces relatives à la négociation soient communiquées à la chambre.
Il est impossible que nous nous formions une opinion sur le traité si les documents qui y sont relatifs ne nous sont pas communiqués.
Le gouvernement ne peut d’ailleurs refuser communication de ses actes. Je ne pose pas de question au gouvernement. Que nous importent les paroles d’hommes qui ont négligé nos intérêts. Ce sont des faits, des actes qu’il faut pour établir notre jugement. J’ai besoin de ces actes pour savoir si le traité n’est pas plus onéreux, quant à la dette, que celui du 15 novembre.
Vous savez déjà, messieurs, qu’il est infiniment plus onéreux quant à l’Escaut, et s’il est vrai, comme je le suppose, qu’il est aussi plus onéreux quant à la dette, il vaudrait mieux se rattacher au premier traité et repousser le second. Ce sont là des choses que nous devons examiner avec soin, et, pour le faire, il faut que nous ayons sous les yeux les pièces relatives à la négociation.
Ce qu’il y a de plus curieux, messieurs (et jugez ici de la conduite du ministère), c’est qu’il refuse les documents relatifs à la négociation et qu’il vient nous dire en même temps qu’il peut les communiquer à la section centrale. Comment ! vous voulez communiquer à une partie de la chambre des documents que vous refusez à la représentation nationale toute entière ! En vérité je ne comprends rien à un pareil système. Vous nous demandez un vote et vous voulez que nous vous le donnions sans examen. Quant à moi, je déclare qu’il est indispensable que les représentants du pays aient les pièces sous les yeux pour pouvoir prononcer en connaissance de cause.
En Angleterre, messieurs, jamais on ne refuse communication des pièces ; allez à la bibliothèque, et prenez les volumes des pièces déposées par le ministère anglais sur le bureau du parlement, vous y verrez non-seulement les protocoles, non seulement toutes les correspondances du gouvernement anglais avec les agents des puissances étrangères, vous y verrez encore la correspondance du gouvernement anglais avec ses propres agents, et vous verrez que tout cela n’est pas seulement déposé sur le bureau, mais encore imprimé par ordre du gouvernement. Eh bien, nous ne demandons pas l’impression des pièces dont il s’agit, nous demandons seulement qu’elles nous soient communiquées.
Et qu’on ne vienne pas nous dire que les négociations ne sont pas parfaites, car le jour où l’on vient présenter un traité à l’approbation des chambres, les négociations sont bien évidemment terminées. Certes, si les négociations étaient encore pendantes, je ne viendrai pas demander communication des pièces ; mais il n’en est pas ainsi puisqu’un traité est intervenu. J’insiste donc de toutes mes forces pour l’adoption de la motion de M. Gendebien.
M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – On invoque toujours l’Angleterre, messieurs, dans cette discussion ; or, il est notoire qu’en Angleterre on distingue toujours dans les documents diplomatiques, une partie communicable et une partie non communicable ; si l’on donne de la publicité à une négociation, c’est toujours lorsque cette publicité ne peut plus présenter le moindre inconvénient. M. Dumortier, tout en demandant les pièces, impose cependant à ses discours une certaine réserve ; eh bien, messieurs, je crois que cette réserve justifie à plus forte raison celle que le gouvernement s’est imposée.
On nous a dit : Si vous ne communiquez pas les pièces, c’est parce que les affaires ont été mal conduites, et ce qui le prouve, c’est que vous n’avez pas obtenu de résultat. Mais depuis quand, messieurs, a-t-il été donné au ministère belge de détruire tous les actes que l’Europe entière entend vouloir maintenant ? Nous sommes parvenus à détruire en grande partie dans ces actes ce qui n’est pas d’intérêt européen ; nous avons obtenu le redressement de plusieurs griefs que nous reprochions au traité du 15 novembre, ces modifications, je crois les avoir suffisamment indiquées dans la communication que j’ai eu l’honneur de vous faire le 19 de ce mois ; mais nous prouverons d’une manière plus étendue dans la discussion générale les avantages que le pays doit en tirer. Toutefois je n’espère pas convaincre ceux qui sont déterminés à rejeter le traité quand même, car il est tout naturel qu’ils le trouvent mauvais dans toutes ses parties.
- La clôture étant demandée par plus de dix membres, elle est mise aux voix et adoptée.
M. le président donne lecture de la proposition de M. Gendebien. Elle est ainsi conçue :
« je demande communication de tous les documents qui ont servi à la négociation qui a amené le traité soumis à nos délibérations. J’en excepte la correspondance confidentielle entre le gouvernement et ses agents, et ceux des puissances individuellement.
« Je demande communication de toutes les notes fournies à la conférence, quelque nom qu’on leur donne ; je demande communication de tous les documents quelconques émanés de la conférence. »
M. Pirson (sur la position de la question) – Vous venez, messieurs, d’entendre la proposition de M. Gendebien, vous avez entendu aussi les explications données par le ministère sur les pièces qui ne seraient pas communicables ; eh bien, si le ministère répond toujours qu’il ne peut pas communiquer telle ou telle des pièces qui se trouvent comprises dans la proposition de M. Gendebien, je demande quelle sera la sanction de votre résolution…
Des membres – Ce n’est pas la position de la question. (Aux voix ! aux voix !)
- La proposition de M. Gendebien est mise aux voix ; elle n’est pas adoptée.
La séance est levée à cinq heures et demie.