(Moniteur belge du 29 janvier 1839, n°29)
(Présidence de M. Raikem)
M. Scheyven procède à l’appel nominal à 1 heure.
M. B. Dubus donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est adoptée.
M. Scheyven présente l’analyse des pièces adressées à la chambre :
« Le sieur A. Ceulers, particulier, à Hasselt, se plaint d’une prétendue violation de ses propriétés, et demande de ce chef une indemnité. »
« Des étudiants de l’université de Louvain demandent que la chambre s’occupe au plus tôt de la loi sur l’enseignement supérieur. »
« La dame veuve Scheys, Ootigen (Brabant), se plaint de ce que son fils, milicien de 1835, qui a été exempté du service pendant 3 ans, comme soutien de veuves et d’orphelins, soit appelé sous les drapeaux. »
« Les bourgmestre et échevins de la commune de Beloeil adressent des observations contre la pétition de quelques administrations communales du canton de Quiévauchamps, tendant à ce que cette dernière commune continue à être chef-lieu de canton. »
« L’administration communale de Soignies demande que la chambre prenne une mesure en vue de retirer aux administrations communales le droit de délivrer des certifications d’indigence aux individus condamnés à des amendes. »
Sur la proposition de M. B. Dubus, la pétition du conseil communal de Soignies est renvoyée à la commission des pétitions, avec demande d’un prompt rapport.
Les autres pétitions sont également renvoyées à la commission des pétitions.
Première section
Président : Fallon
Vice-président : Wallaert
Secrétaire : Andries
Rapporteur : de Longrée
Deuxième section
Président : Demonceau
Vice-président : Simons
Secrétaire : de Renesse
Rapporteur : Zoude
Troisième section
Président : Milcamps
Vice-président : de Nef
Secrétaire : Vanhoobrouck
Rapporteur : Berger
Quatrième section
Président : Liedts
Vice-président : Desmanet de Biesme
Secrétaire : Heptia
Rapporteur : Vandenbossche
Cinquième section
Président : de Langhe
Vice-président : C. Rodenbach
Secrétaire : Desmet
Rapporteur : Beerenbroeck
Sixième section
Président : Pirson
Vice-président : Verdussen
Secrétaire : B. Dubus
Rapporteur : d’Hoffschmidt
M. le président – La discussion continue sur l’article 12.
Voici un amendement de M. le ministre de l'ntérieur, qui remplacerait cet article.
« Les chemins vicinaux, y compris les servitudes de passage légalement établis au profit des communs, sont imprescriptibles soit en tout soit en partie, tels qu’ils sont reconnus et maintenus sur les plans généraux, en conformité de la présente loi.
M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Messieurs, dans la dernière séance, l’on a fait diverses observations sur la rédaction du projet. L’on s’est demandé en premier lieu de quelle manière l’on pourrait reconnaître la vicinalité d’un chemin. L’amendement y répond, en disant que la vicinalité d’un chemin qui le rend imprescriptible, résultera du plan général dont la confection est ordonnée par le projet de loi. Ainsi, tout chemin porté sur les plans généraux, en suivant les formalités prescrites par le projet de loi, sera imprescriptible.
J’ai ajouté les mots : « portés et maintenus », parce qu’il y avait quelque changement fait de gré à gré entre la commune et les propriétaires, il en serait fait mention sur le plan, et dès lors le droit propriétaire serait suffisamment établi.
D’autre part, on a objecté que tous les chemins vicinaux ne constituaient pas une propriété de la commune, et que, par exemple, les sentiers ne constituaient ordinairement que de simples droits de passage, des servitudes actives au profit des communes ; et l’on s’est demandé si ces servitudes seraient légalement imprescriptibles.
Je pense qu’il y a une grande utilité à ce que les servitudes de passage, légalement établies au profit de la commune, et constituées régulièrement par les plans généraux, soient imprescriptibles, parce que ce sont surtout ces passages que le propriétaire supprime le plus communément. De là résultent de très grands inconvénients pour les habitants.
M. Desmet – Messieurs, comme cet objet est d’une haute importance, je demande qu’on imprime l’amendement de M. le ministre et que l’on en remette la discussion à demain.
M. Dubus (aîné) – Messieurs j’appuie la motion d’ajournement. Je pense que cet article soulève des questions de droit qui méritent véritablement un examen. Je crois que l’on traite cette matière trop légèrement et qu’on ne prend pas garde aux conséquences qui seront le résultat d’une disposition en quelque sorte improvisée.
Dans la proposition du gouvernement comme dans le rapport de la section centrale, il semble qu’on ne change rien à la législation existante. Eh bien, si l’on n’y change rien, ce sera la preuve, comme je l’ai dit dans une séance précédente, que la disposition est inutile. Je ne sais pas pourquoi vous substitueriez d’autres termes au texte actuel de la législation, alors que vous ne voulez rien changer à cette législation. Mais si vous voulez présenter un nouveau texte, c’est que votre intention est de changer quelque chose (erratum, Moniteur belge du 30 janvier 1839 :) à la législature existante.
Vous voulez faire l’application de l’article 2226 du code civil, mais cette application doit être faite en connaissance de cause, en prenant en considération les circonstances de chaque fait particulier. Or, au lieu de cela, vous voulez une application générale et en quelque sorte aveugle, et qui, dans mon opinion, donnera lieu à beaucoup d’injustices ; il y a (erratum, Moniteur belge du 30 janvier 1839 :) des auteurs qui appliquent l’article 2226 aux chemins publics. Cet article porte :
« On ne peut pas prescrire le domaine des choses qui ne sont pas dans le commerce. »
Eh bien, l’on se demande quelles sont les choses qui ne sont pas dans le commerce. D’abord, d’une manière absolue, ce sont les choses qui, par leur nature même, ne sont pas susceptibles d’une propriété privée ; en second lieu, les choses qui, quoique susceptibles par leur nature d’une propriété privée, ne sont pas dans le commerce à cause de certains usages publics auxquelles elles sont destinées. Les auteurs dont je parle appliquent cette disposition aux chemins vicinaux, mais ils l’appliquent avec une modification qui résulte du motif même pour lequel ils l’appliquent. C’est que, si cette affectation vient à cesser, soit par une loi, soit par un long usage, alors on rentre dans le principe général de la prescriptibilité. Ainsi, tant qu’un chemin resterait à l’état de chemin, il n’y aurait pas de prescription sur les anticipations que l’on fait sur la largeur du chemin, parce que son usage continue. Mais si le chemin vient à être supprimé, ou que son affectation vienne à cesser pendant toute l’époque à l’expiration de laquelle la prescription est acquise, pendant 30, 40 ou 50 ans, dans ce cas les auteurs admettent la prescription ; or, dans ce cas, M. le ministre le rejette ; et il vous dit qu’il ne veut rien changer à la législation existante. Ainsi, si au bout d’un demi-siècle, par exemple, il vient à surgir la preuve qu’un chemin public a existé dans telle province, on le rétablira d’emblée. C’est là un système que je ne puis pas admettre.
Il est encore un autre rapport sous lequel l’article paraît modifier la législation existante ou les doctrines reçues maintenant : c’est que, s’il est vrai que certaines choses sont considérées comme étant hors du commerce, à cause des usages publics auxquels elles sont destinées, on peut acquérir cependant sur elles toutes espèces de droit qui ne sont pas incompatibles avec les usages publics auxquels elles sont destinées. On peut donc acquérir un droit réel sur les chemins publics, dès que ce droit est compatible avec le service public auquel ces choses seront destinées.
Il me semble que l’article proposé par M. le ministre vient encore porter préjudice à cet état de la législation actuelle et cela sans qu’il ait justifié la nécessité d’une semblable modification.
Il est donc à désirer que ce sujet soit examiné de plus près. Je vote pour l’ajournement.
M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Si l’on se décide à adopter l’ajournement, je ne parlerai pas. Toutefois je désire répondre deux mots à l’honorable M. Dubus. La question n’est pas seulement de savoir si le projet apporte quelques modifications à la législation existante, mais encore de savoir si les modifications sont utiles. Or, sous ce dernier rapport, je dirai que cette utilité ou plutôt cette nécessité a été également reconnue en France où d’ailleurs le code civil est en vigueur comme ici. A la suite d’une longue discussion l’on y a adopté une disposition à peu près semblable à celle que je viens de déposer.
- L’ajournement de l’article 12 à demain est mis aux voix et adopté.
« Art. 13. Les dépenses relatives aux chemins vicinaux sont à la charge des communes.
« Néanmoins les conseils provinciaux pourront statuer que ces dépenses demeureront en tout ou en partie à la charge des propriétaires riverains, là où l’usage en est établi.
« Il n’est rien innové par le présent article aux règlements des wateringues, ni obligations particulièrement légalement contractées. »
La section centrale propose la suppression du deuxième paragraphe de cet article.
M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Messieurs, la suppression que vous propose la section centrale a rencontré une opposition très vive de la part des conseils provinciaux des deux Flandres où des usages de temps immémoriaux mettent l’entretien des chemins vicinaux à la charge des propriétaires riverains. Ces provinces, et l’une d’elles, la Flandre occidentale, à l’unanimité des voix, ont demandé que le mode actuel d’entretien fût maintenu dans la loi, comme le propose le gouvernement. Les provinces d’Anvers et du Brabant ont exprimé la même opinion. Dans le Brabant, à la vérité, l’usage de faire entretenir les chemins vicinaux par les propriétaires riverains est moins général. Cet usage ne s’applique qu’aux chemins vicinaux qui ne sont pas de première classe. On trouve dans ce système des avantages notables.
Je pense qu’il y a lieu de conserver la disposition du projet, en ce qu’il laisse aux conseils provinciaux la faculté de statuer sur ce point suivant les convenances des localités. Je conviens qu’il a des chemins vicinaux de grande importance qu’il convient de faire entretenir par les communes. Mais il en est une foule de moindre importance que les propriétaires riveraines peuvent entretenir avec facilité. Il est à remarquer qu’in ne fait en cela aucun tort aux propriétaires riverains en maintenant l’usage dont il s’agit, parce qu’en acquérant leurs propriétés, ils savaient qu’elles étaient grevées de cette servitude. Au contraire, en supprimant cet usage, on leur procurerait un avantage, on les affranchirait d’une charge pour la rejeter sur la généralité des habitants sur la caisse communale.
M. de Langhe – Nulle part la maxime « qui use paie » ne peut être invoquée plus à propos que quand il s’agit de communications, de chemins, de routes et de canaux. Et c’est pour cela que j’approuve les lois qui établissent des péages sur les routes et les canaux. Mais il est impossible d’en établir sur les chemins vicinaux, parce que les frais absorberaient plus que la dépense nécessaire pour l’entretien du chambre. Mais par qui doivent être faites les réparations des chemins vicinaux ? Par ceux qui s’en servent. Or ce sont les habitants de la commune qui se servent des chemins vicinaux. En principe, ce sont eux qui doivent supporter la dépense entière. Je sais que dans quelques provinces, un usage contraire existe, mais cet usage a été illégalement établi. Cet usage ne suffit pas pour imposer à tout jamais l’entretien des chemins vicinaux aux propriétaires riverains.
Il est de fait que dans les cas ordinaires, cet entretien consiste à bêcher la terre et remplir les trous, mais dans beaucoup de cas on oblige les propriétaires à mettre du bois, quand il y a des propriétés boisées dans le voisinage. Et c’est quelque chose.
Je crois que la question de savoir si cet usage est légalement établi est de la compétence des tribunaux. Voilà pourquoi j’approuve la suppression du paragraphe qui semble mettre à la disposition des conseils provinciaux de décider que la charge de l’entretien des chemins vicinaux continuera à incomber aux propriétaires riverains. C’est aux tribunaux seuls qu’il appartient de prononcer. Les conseils provinciaux quand ils trouveront les usages légalement établis, ordonneront les travaux ; les propriétaires s’opposeront, s’ils le jugent à propos. Les tribunaux devront alors intervenir.
Qu’on ne dise pas que les propriétaires riverains ont des avantages qui compensent les dépenses qu’ils sont obligés de faire. Ces avantages consistent dans le droit de faire des plantations. Mais ce droit n’existe pas partout. Dans la province que j’habite, il y a une grande partie des chemins vicinaux qui ne sont pas plantés et ne peuvent pas l’être. Le terrain et tellement fort qu’il a besoin d’être aussi sec que possible. Les arbres empêcheraient le chemin de sécher. D’un autre côté, on objecte que les propriétés riveraines ont été acquises avec cette charge d’entretien. D’après cela la contribution foncière ne pourrait pas être modifiée. Ce principe poussé à la dernière conséquence s’opposerait à toute amélioration.
Je pense qu’il faut laisser aux tribunaux le soin de prononcer et au moyen du dernier paragraphe, les usages légalement établis pourront être maintenus par eux. C’est pour cela que j’appuie la proposition de la section centrale.
M. Desmet – Il me semble que l’objet qui nous occupe est fort important. La proposition du gouvernement laisse aux conseils provinciaux à décider à qui incombe l’entretien des chemins vicinaux. C’est là leur abandonner l’établissement d’un impôt très fort, car c’est une charge très lourde que l’entretien d’un chemin vicinal.
Je ne puis concevoir qu’on abandonne l’établissement d’un impôt à l’autorité provinciale. Pourquoi, dans certaines localités de la province du Brabant, a-t-on changé cet ancien usage ? parce qu’il était injuste, parce que le propriétaire qui ne faisait pas usage du chemin devait dépenser de fortes sommes pour ceux qui en faisaient usage sans lui. Dans la province de Brabant on a renoncé en grande partie à ce système.
Lorsqu’on a discuté, en France, la loi sur les chemins vicinaux ; on a fait une distinction entre les chemins vicinaux et les chemins communaux, et l’entretien des chemins vicinaux a été mis à la charge de l’arrondissement. On devrait, comme dans le Brabant, faire une distinction entre les chemins ; vous ne l’avez pas fait dans votre projet, vous conservez les anciens chemins, vous ne dites pas quelle largueur ils doivent avoir. Il y a, à cet égard, une lacune qui entraînera beaucoup de difficultés dans l’entretien des chemins.
On a établir des commissaires voyers et cependant les chemins n’en sont pas mieux entretenus ; depuis trois ans, on n’a rien fait, parce que l’administration municipale ne fait rien. Aussi longtemps que nous laisserons cette charge d’entretien aux riverains, vous n’aurez pas de chemin bien entretenu. Il faut mettre l’entretien partie à la charge des communes et partie à la charge des riverains, si vous voulez avoir des chemins vicinaux en bon état.
Je demanderai à qui appartient l’entretien des ruisseaux d’écoulement qui ont toujours été considérés comme des chemins vicinaux. Il est de la plus haute importance d’avoir un bon écoulement des eaux Je demanderai pourquoi on n’a pas intercalé quelque disposition à cet égard dans la loi.
M. Heptia, rapporteur – Je crois devoir vous donner les motifs qui ont déterminé la section centrale à vous proposer la suppression du paragraphe 2 de l’article 13. En s’en tenant aux termes de ce paragraphe, il en serait résulté que les états provinciaux auraient eu l’obligation de mettre l’entretien des chemins vicinaux à la charge des riverains dès que cela existerait d'après un usage quelconque.
La section centrale a cru qu’une pareille disposition aurait exposé à une quantité d’injustices. En effet, si on veut reconnaître quelque force à un usage quelconque, il faut que cet usage contienne une obligation valide par prescription ou autrement. Sous ce rapport il n’y a pas eu dissidence complète entre le projet du gouvernement et celui de la section centrale, mais seulement en ce que le projet du gouvernement sanctionne tous les usages dès qu’ils sont établis, tandis que le projet de la section centrale n’a voulu que les usages ne fussent respectés et ne fissent la base de la décision des conseils provinciaux que quand on leur aurait reconnu une validité telle qu’ils continssent une obligation.
M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Vous remarquez que le projet n’impose pas aux conseils provinciaux l’obligation de confirmer les anciens usages ; mais leur en laisse simplement la faculté ; cette faculté peut même être exercée d’une manière partielle ; Si les conseils provinciaux jugent à propos de confirmer ces usages seulement pour les chemins vicinaux de moindre importance, cela dépendra d’eux.
Il ne s’agit pas non plus ici de laisser aux conseils provinciaux le soin de décider une question du ressort des tribunaux ; car il ne s’agit ici que d’une mesure administrative rentrant dans les attributions des conseils provinciaux, c’est-à-dire l’établissement d’un impôt local ou provincial ; car évidemment il ne s’agit pas d’un impôt général au profit de l’état. Il est donc dans les attributions des conseils provinciaux de statuer sur ces matières.
Il est vrai que la loi établit certains principes pour l’entretien des chemins vicinaux, mais rien n’empêche qu’à côté de ces principes on ne laisse certaines exceptions à maintenir par les conseils provinciaux fondées sur des usages anciens.
Un honorable membre a demandé pourquoi il n’y avait pas dans le projet de disposition relative aux courants d’eau. Cette matière est réglée par des règlements spéciaux. Il aurait été dangereux de confondre ces dispositions avec celles sur l’entretien des chemins vicinaux..
M. Peeters – Messieurs, je pense avec l’honorable M. de Langhe que l’entretien des chemins vicinaux doit être à charge de ceux qui dégradent les chemins, mais je ne suis pas d’accord avec lui lorsqu’il veut mettre à charge des habitants seuls l’entretien de ces chemins.
Je suppose une commune où il y a beaucoup de propriétés boisées dont les propriétaires n’habitent pas la commune ; je demande s’il serait juste d’y faire entretenir les chemins par les habitants exclusivement ?
Quant à moi, je pense que dans plusieurs communes ayant une grande étendue et peu d’habitants, l’exécution d’un pareil système serait impossible.
Je pense donc, avec l’honorable M. Desmet, que les chemins doivent être entretenus par les habitants et par les propriétés situées sous la commune. C’est dans ce sens que j’aurai l’honneur de vous présenter un amendement.
Nous voulons tous que les chemins soient bien entretenus, nous devons vouloir les moyens pour y parvenir.
M. Verhaegen – J’ai demandé la parole pour appuyer le retranchement proposé par la section centrale ; ce sont les raisons données par M. le ministre de l'ntérieur qui me déterminent à appuyer cette proposition. M. le ministre de l'ntérieur dit que le paragraphe proposé n’impose pas une obligation au conseil provincial, mais leur donne une simple faculté dont ils peuvent faire usage en tout ou en partie. Il dit qu’il ne s’agit pas de l’établissement d’un impôt général, mais d’un impôt communal. C’est justement par cette raison que cette disposition ne peut être sanctionnée par nous. Un pareille disposition est exorbitante du droit commun ; j’ose dire qu’elle est monstrueuse. Il s’agit, on vous l’a déjà dit, de laisser juger par les conseils provinciaux une véritable question de propriété. Il s’agit, en effet, de mettre à la charge des propriétaires un véritable impôt ; et on prétend dire que ce serait en raison d’usages qui peuvent exister, et qui seraient confirmés par les conseils provinciaux que ces charges pourraient exister.
Je n’ai pas bien compris M. le ministre de l'ntérieur, lorsqu’il a parlé de charges imposées aux propriétaires par les titres d’acquisition ; car ce serait autant de questions de propriété que le conseil aurait à juger. S’agit-il d’usages locaux ? Alors les conseils provinciaux jugeraient par mesure réglementaire. Leur décision serait applicable à tous les propriétaires riverains. Il aurait fallu faire une distinction ; et encore la disposition n’aurait pu recevoir notre sanction ; car s’il s’agit de titres de propriété, l’examen de ces titres ne rentre pas dans les attributions du conseil provincial. S’agit-il de procéder par voie réglementaire ? mais cela n’est pas plus possible dans l’ordre administratif que dans l’ordre judiciaire ; il faut apprécier les contestations d’après les espèces qui se présentent.
Quoi qu’il en soit, lorsqu’on s’occupe d’une servitude qu’on impose à une propriété, on modifie la propriété ; toutes les questions sur ces matières sont donc des questions de propriété. Or, d’après l’article 92 de la constitution, « les contestations qui ont pour objet des droits civils sont exclusivement du ressort des tribunaux. » La disposition proposée est donc inconstitutionnelle, puisqu’elle tend à attribuer aux conseils provinciaux la solution d’une question qui touche essentiellement à la propriété.
D’un autre côté, on dit qu’il ne s’agit pas d’un impôt général, mais d’un impôt communal. On donne aux conseils provinciaux la faculté d’établir cet impôt sur les propriétaires riverains. La disposition proposée revient à dire : « les conseils provinciaux peuvent imposer une certaine classe d’individus, suivant l’usage qui sera établi. » Mais une pareille disposition serait monstrueuse. Eh bien, la disposition proposée n’est autre que celle-ci. Cette disposition est évidemment contraire à l’article 112 de la constitution qui porte (paragraphe premier) : « Il ne peut être établi de privilège en matière d’impôts. » Il faut que tout le monde soit sans la même catégorie. Tous les habitants, tous les propriétaires ont les mêmes droits. La disposition est donc inconstitutionnelle sous les deux points de vue.
J’appuie par ces motifs la suppression proposée par la section centrale.
L’honorable M. Peeters pense qu’il ne faut pas mettre à la charge de la commune seulement l’entretien des chemins vicinaux, mais qu’il faut y faire contribuer les propriétaires forains. En effet, ces propriétaires profitent de ces chemins ; ils doivent donc contribuer à leur réparation. Il en est ainsi dans la province du Brabant.
Mais je pense qu’il convient de prendre à cet égard une mesure générale. Sous ce point de vue j’appuie l’amendement de l’honorable M. Peeters.
M. le président – M. Peeters vient de déposer l’amendement suivant :
« Les dépenses relatives aux chemins vicinaux sont à la charge des habitants et des propriétés situées sur le territoire de la commune. »
La parole est à M. Peeters.
M. Peeters – je n’ai que peu de chose à ajouter à ce que j’ai dit en faveur de mon amendement. J’observerai seulement à l’honorable M. Verhaegen que ce qu’il a dit du Brabant n’a pas lieu dans d’autres provinces, et que dans toutes les autres provinces l’entretien des chemins vicinaux est à la charge des habitants, ce qui, dans un grand nombre de communes, a rendu cet entretien impossible. Je pourrais citer dans ma province des communes qui ont une étendue de 4 à 5 mille hectares, mais dont la population est restreinte et qui n’ont rien fait pour l’entretien de leurs chemins, surtout depuis la révolution ; depuis que nous avons des bourgmestres qui ne sont plus les maires de l’empire ni les bourgmestres du roi Guillaume, mais des bourgmestres électifs, qui n’ont pas voulu imposer les habitants dans la crainte de leur déplaire ; de leur côté, les propriétaires n’ont pas voulu contribuer, et il en est résulté que les chemins vicinaux sont dans un état déplorable.
Comme je désire que les chemins soient entretenus convenablement, j’ai proposé d’en faire supporter l’entretien par ceux qui les emploient ; cependant les habitants contribueront toujours à cet entretien par les centimes additionnels, mais les propriétaires forains, les propriétaires de prairies, c’est-à-dire tous ceux qui dégradent les chemins supporteront au moins une partie de leur entretien.
- L’amendement de M. Peeters est appuyé.
M. Vandenbossche – Messieurs, l’article qui nous occupe pose en principe général que l’entretien des chemins vicinaux est à la charge des communes, mais le paragraphe qu’on y ajoute permet aux conseils provinciaux de déclarer que la dépense devra être supportée, en tout ou en partie par les propriétaires riverains, là où l’usage aura consacré une semblable état de choses. Je crois qu’il conviendrait de limiter ce pouvoir aux conseils provinciaux, aux seuls cas où la demande d’une pareille résolution leur aurait été faite par une commune.
D’après le paragraphe qui nous occupe, les conseils provinciaux pourraient prendre à cet égard une mesure générale pour toute la province, ce qui, je pense, n’est pas dans l’intention de M. le ministre. Il me semble qu’il faudrait établir des catégories de chemins, car les chemins vicinaux ou de grande communication doivent de toute nécessité être entretenus par la généralité des habitants ; mais il est une infinité de petits chemins plus ou moins pour lesquels il serait peut-être utile de laisser aux états provinciaux le droit de prononcer sur la question de savoir par qui l’entretien doit en être fait, mais toujours sur la proposition de la commune et jamais par mesure générale.
M. Gendebien – Messieurs, je n’ai rien à ajouter à la démonstration lumineuse que vient de présenter l’honorable M. Verhaegen, de la nécessité de retrancher le paragraphe qui nous occupe ; il est évident que ce paragraphe soumettrait aux états provinciaux des questions qui touchent à la propriété… (M. le ministre de l'ntérieur fait un signe négatif). Puisque M. le ministre fait un signe négatif, je vais encore prouver la chose.
Il est certain, messieurs, que si une propriété touchant à un chemin est soumise à l’obligation résultant, soit de convention, soit par l’usage local, d’entretenir ce chemin, c’est là une charge pour la propriété ; or, le droit de propriété ne consiste pas seulement de posséder la propriété, mais à la posséder avec tous ses accessoires actifs et passifs, avec toutes ses conséquences, et vous ne pouvez pas plus imposer à un champ la servitude d’entretenir un chemin que vous ne pouvez lui imposer toute autre servitude quelconque ; c’est aux tribunaux seuls à prononcer sur de semblables questions.
Je suppose, messieurs, que le conseil provincial, en vertu du paragraphe que l’on veut insérer dans la loi, déclare que telle propriété est chargée de l’entretien du chemin vicinal ; eh bien, la constitution à la main, le propriétaire récusera le conseil provincial et en appellera aux tribunaux, qui seuls ont le droit de décider des questions de propriété. Il suffira d’ailleurs qu’un propriétaire nie l’usage pour se mettre au-dessus de votre loi. Il me semble, messieurs, que ces raisons, qui ont été très bien développées par M. Verhaegen sont péremptoires, et je ne conçois pas comment la réponse que M. le ministre y a faite a pu même voir le jour.
Si, comme je n’en doute pas, vous admettez la suppression du second paragraphe, je crois, messieurs, qu’il est nécessaire d’ajouter quelque chose au dernier paragraphe de l’article 13. Voilà d’abord comment ce paragraphe est conçu :
« Il n’est rien innové par le présent article aux règlements des wateringues, ni aux obligations particulièrement légalement contractées. »
Je crois qu’il faudrait ajouter : « ou résultant d’usages locaux », car sans cela on pourrait douter si nous avons entendu maintenir les usages locaux ou les abroger, puisqu’ils ont été en discussion et qu’en réalité les mots : « obligations particulières légalement contractées » ne comprennent pas les usages locaux, qui, au contraire, supposent l’absence d’obligations légalement contractées et en tiennent lieu.
Quant à l’amendement de l’honorable M. Peeters, il est incontestablement juste, mais je ne pense pas qu’il trouve sa place à l’article 13 : il faudrait l’insérer dans l’article suivant, où il est question des voies et moyens pour l’entretien des chemins. L’article 13, en disant que les dépenses relatives aux chemins vicinaux sont à la charge des communes, n’exclut pas les propriétés que veut atteindre M. Peeters ; en effet de quoi se composent les communes ? Elle se composent du territoire et des habitants, et lorsque vous dites qu’une dépense est à la charge des communes vous n’excluez par là ni les habitants ni les propriétaires. Il n’est donc pas besoin de rien ajouter à l’article 13 pour faire droit à la demande de M. Peeters, puisque cet article laisse ouverte la question de savoir si, et jusqu’à quel point, les propriétaires forains de forêts ou de prairies contribueront à l’entretien des chemins. Je crois donc que l’amendement de M. Peeters, que j’appuie du reste, trouvera sa place à l’article suivant, qui établit déjà une répartition sur les propriétés ; on pourra faire des catégories plus nombreuses s’il est jugé nécessaire.
M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Il est évident que Messieurs Gendebien et Verhaegen ne m’ont pas compris ; je n’ai nullement proposé de laisser aux conseils provinciaux le soin de décider des questions judiciaires ; tout ce que je demande c’est de leur laisser la faculté de maintenir les anciens règlements qui existent depuis des siècles dans certaines provinces, et qui ont été confirmés sous le gouvernement des Pays-Bas. Pourquoi, messieurs, ces règlements ont-ils conservé leur force jusqu’à ce jour ? C’est parce qu’ils ont pour objet des mesures administratives dans l’intérêt des provinces ; aussi l’on n’a jamais porté devant les tribunaux la question de savoir si les propriétaires riverains pouvaient être exemptés d’entretenir les chemins lorsqu’un règlement provincial les y obligeait. Une semblable question ne pouvait pas être soumise aux tribunaux, parce que, évidemment, il est de la compétence des administrations provinciales de prendre les mesures qu’elles ont prises. Qu’il me suffise, messieurs, de vous citer un article du règlement de la Flandre occidentale, qu’elle a elle-même invoqué dans la réclamation qu’elle a dressée au gouvernement par l’organe du conseil provincial et qui a été adoptée par l’unanimité des membres de ce conseil. Voici, messieurs, ce que porte l’article premier du règlement du 14 juin 1820 :
« Les réparations et l’entretien de tous ces chemins sont à la charge des propriétaires ou des occupeurs riverains. »
Eh bien, messieurs, la seule question dont il s’agisse en ce moment, c’est celle de savoir si l’on veut donner aux assemblées provinciales le droit que leur donnent ces règlements ou si on veut leur retirer ce droit ; mais il ne s’agit nullement de soumettre des questions judiciaires aux conseils provinciaux.
M. Heptia, rapporteur – L’honorable M. Peeters ne s’est probablement pas aperçu, messieurs, de la portée qu’aurait son amendement ; car il aurait pour résultat immédiat de décharger pour toujours les caisses communales de l’entretien des chemins vicinaux ; en effet, si ce n’est plus la commune qui est chargée de cet entretien, la caisse communale n’y contribuera plus pour rien ; mais comme l’a fait observer l’honorable M. Gendebien, la commune ne se compose pas seulement du territoire, mais encore des habitants ; ce sont donc véritablement les individus qui composent la commune, qui sont chargés de l’entretien des chemins vicinaux. Sous ce point de vue, l’article 13 est non seulement utile, mais même nécessaire.
Je dirai plus : c’est que l’article suivant donne à l’honorable M. Peeters tous ses apaisements. En effet, parmi les moyens à donner à la caisse communale, à l’effet de pourvoir à l’entretien des chemins vicinaux, se trouvent, au numéro 3, des centimes spéciaux additionnels aux contributions directes payées dans la commune, patentes comprises.
Ainsi donc, l’amendement est inutile, parce que la propriété foncière des bois et des prairies, de même que toutes les autres propriétés foncières, doit être frappée de centimes additionnels, quand on le jugera nécessaire.
Quant aux dangers de l’amendement, je crois qu’ils auront été suffisamment aperçus. L’amendement aurait pour résultat nécessaire de décharger les communes, celles même qui en auraient les moyens dans leur revenus ordinaires ; de les décharger dis-je, des frais d’entretien des chemins vicinaux.
M. Peeters – J’ai une observation à faire. Je suppose un propriétaire de bois dans une commune riche ; il n’aura à contribuer en rien à l’entretien des chemins vicinaux ; je suppose un autre propriétaire de bois dans une commune pauvre, il aura, lui, à contribuer pour une forte part dans l’entretien de ces mêmes chemins.
Messieurs, c’est celui qui, d’après l’expression de l’honorable M. de Langhe, dégrade les chemins vicinaux qui devrait les entretenir. Par ce motif, j’insiste pour l’adoption de mon amendement.
M. Hye-Hoys – Messieurs, le paragraphe en discussion établit une exception qui tend à perpétuer une législation non uniforme pour toutes les provinces, et consacre une injustice qui est la principale cause du mauvais état des chemins vicinaux dans beaucoup de localités.
La charge imposée aux riverais d’entretenir les chemins vicinaux est injuste, en ce qu’elle n’est compensée par aucune avantage ; d’un autre côté, dans les endroits tels que les bas-fonds, où les chemins sont les plus mauvais, on retrouve d’ordinaire pour riverains des pauvres journaliers, cultivant à côté de leur habitation, un coin de terre jadis délaissé à cause de sa mauvaise situation, ou que le propriétaire leur a laissé dans la vue de s’affranchir de la charge onéreuse de l’entretien du chemin dans un endroit où il nécessite annuellement de grandes réparations.
Les riverains se contentent la plupart du temps de rejeter sur le chemin, chacun de son côté, une partie de la terre du fossé, de manière que le chemin n’est jamais rigolé en dos d’âne, comme il conviendrait qu’il le fût pour se maintenir en bon état ; et comme ils ne travaillent presque jamais simultanément, il en résulte que le chemin n’est jamais mis au parfait état d’entretien.
Les administrations locales ont toujours rencontré beaucoup de difficultés à faire exécuter les règlements sur la matière, et ce qu’on n’a pu obtenir qu’avec peine lorsque le fonctionnaire chargé de faire exécuter les dispositions existantes sur la matière était dans une position entièrement indépendante du public, on l’obtiendra encore plus difficilement sous nos institutions actuelles.
On opposerait vainement au reproche d’injustice de la mesure qui met l’entretien des chemins vicinaux à charge des riverains que ces riverains ont le droit de planter sur ces chemins ; car ce droit leur a été accordé sans aucune charge par l’article 14 de la loi du 28 août 1792 ; il n’est d’ailleurs exercé que dans certaines localités, et il ne l’est pas dans les pays de plaines où les chemins vicinaux sont encaissés entre les propriétaires riverains ; et là où il est exercé, il n’est qu’une faible compensation du désavantage de la position des propriétaires riverains, dont les récoltes sont les premières exposées à être détériorées par la proximité d’un passage public.
Je pense donc qu’il y a lieu de supprimer le deuxième paragraphe.
M. Gendebien – Messieurs, pour échapper à la démonstration qui vous a été faite, de retrancher le premier paragraphe de l’article 13, M. le ministre a dit qu’il ne s’agissait pas de soumettre des questions de propriété aux états provinciaux, et de les soustraire aux tribunaux. Il n’est pas question d’usages, vous a dit le ministre. Mais de règlements établis par l’ancien gouvernement et encore subsistant dans la plupart des provinces ; mais je prierai le ministre de vouloir bien relire le paragraphe ; il verra qu’il ne s’y agit pas de règlement mais d’usage, et qu’il y a une différence du tout au tout entre des usages et des règlements.
M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – J’ai parlé d’usages résultant de règlements.
M. Gendebien – Ce sont des usages résultant de règlements, dites-vous, soit ; mais cela ne détruit pas mon objection. En effet, vous voulez faire une loi générale, une loi uniforme, et vous allez précisément maintenir dans votre loi la bigarrure dont on se plaint. Il vaut autant ne pas faire de loi. Vous faites une loi, parce qu’il est nécessaire de pourvoir par des mesures générales, à des règlements différents, de remédier à tels abus dans telle localité et à tels autres abus dans telle autre localité.
Vous voulez, dites-vous, maintenir les règlements. Mais si vous voulez maintenir les règlements, déclarez-le dans la loi, et ne vous servez pas du mot « usages », car de toutes les personnes qui comprennent le langage législatif, aucune ne verra dans la loi que vous ayez eu l’intention de maintenir les règlements. Ce serait d’ailleurs une absurdité que de vouloir maintenir les règlements, puisque la loi est précisément faite pour établir des mesures uniformes.
Je pense donc qu’il est indispensable de retrancher le paragraphe parce qu’il est absurde, quelque sens qu’on lui donne ; absurde parce qu’en maintenant les règlements existants, il va directement contre le but que vous vous proposez en faisant une loi générale ; absurde, s’il porte sur des usages, parce qu’il est inconstitutionnel. Ainsi, il convient de supprimer le premier paragraphe de l’article 13.
Il est certain que par votre loi vous ne pouvez déroger en rien aux obligations précédemment contractées. Il n’est pas en votre pouvoir d’y toucher, et vous chercheriez vainement à y déroger, parce que les tribunaux qui doivent respecter la constitution avant votre loi, n’appliqueraient pas celle-ci. (C’est juste !)
Ainsi donc, vous devez maintenir les obligations légalement contractées. Quant aux usages locaux, ils ont la même force que les obligations légalement contractées. Seulement ce sont des obligations d’une autre espèce ; mais les conséquences doivent en être respectées tout autant que celles d’une convention particulière. Dans ce cas, comme dans l’autre, les tribunaux seuls sont compétents.
Ainsi, retranchez ou ne retranchez pas le paragraphe, faites tout ce que vous voulez, les obligations légalement contractées, ou résultant d’usages locaux, seront toujours respectées par les tribunaux.
Mais il y a nécessité d’adopter mon amendement. Et pourquoi ? Parce qu’on fait une exception à l’égard des wateringues et des obligations particulières, et que, du moment que vous établissez une exception à l’égard d’une espèce d’obligation, il est convenable d’établir la même exception pour les autres espèces, sans cela on pourrait croire qu’e adoptant l’une vous avez repoussée l’autre.
M. Verhaegen – Messieurs, je me permets de prendre une seconde fois la parole, parce que les questions qui s’agitent sont de la plus haute importance. Il semblerait qu’il ne s’agit ici que d’une petite loi de chemins vicinaux ; mais dès le début de la séance, nous avons vu que le projet renfermait une disposition très importante, tellement importante que la discussion en a été renvoyée à demain.
La disposition dont il s’agit dans ce moment-ci est également de la plus haute importance. Elle touche à des questions vitales. Il ne s’agit ni plus ni moins que d’une disposition qui est réprouvée par le texte formel de la constitution. Je le dis, sans crainte d’être démenti par qui que ce soit, la disposition qu’on propose est inconstitutionnelle sous deux rapports différents. Je l’ai établi. Elle est inconstitutionnelle, parce qu’on attribue au pouvoir administratif la faculté de décider des questions de propriété. M. le ministre de l'ntérieur nous dit constamment que cela n’est pas, mais il n’a pas répondu à l’objection. Je l’engage à combattre directement les arguments que j’ai fait valoir.
De quoi s’agit-il ? Il s’agit de frapper une propriété particulière d’un impôt spécial ; il s’agit de grever une propriété d’une charge, il s’agit de modifier la propriété. Or, la question de modifier la propriété et toutes les questions qui se rattachent à celle-ci sont des questions de propriété. Les tribunaux seuls sont appelés a en connaître, aux termes de l’article 92 de la constitution.
Il s’agit, a-t-on dit, d’un impôt communal. Eh bien, cet impôt doit frapper tout le monde. Il ne peut pas y avoir d’exemption en matière d’impôts, pas plus pour les impôts communaux que pour les impôts provinciaux et généraux. La disposition est donc inconstitutionnelle sous ce second point de vue.
Il n’est pas question, dit-on, de donner une faculté aux provinces dans le sens que vous l’entendez, il ne s’agit que de continuer aux provinces le droit de renouveler les anciens règlements. L’on suppose donc qu’il existe des anciens règlements qui permettent de prendre des mesures de cette espèce. Eh bien, si les conseils provinciaux ont fait jusqu’à présent des règlements dans le but de frapper les uns et d’exempter les autres, ces règlements sont illégaux et inconstitutionnels. Il ne faut pas, parce qu’une chose a été mauvaise jusqu’ici, continuer cette chose mauvaise. Si des conseils provinciaux dans certaines circonstances se sont arrogé des droits qu’ils n’avaient pas, il ne faut pas que ces conseils provinciaux persévèrent dans une voie qui est essentiellement mauvaise et qui est réprouvée par la constitution. Autant vaudrait dire que l’on peut aujourd’hui renouveler les conflits ; et dans le système que je combats, on arriverait bientôt à cela.
On en viendrait donc à faire ce que nous n’avons pas voulu, lors du vote de la constitution. Certainement, si l’on permet aux conseils provinciaux de faire des règlements qui portent sur des droits de propriété, on permettra dans ce cas à ces conseils de se mettre en opposition avec le texte formel de la constitution, et la constitution sera violée ; si de pareils règlements ont pu être faits avant la révolution, ils ne peuvent plus exister sous le régie actuel belge.
Je le répète, M. le ministre de l'ntérieur n’a pas répondu à mes objections. Pour me combattre victorieusement, il doit prouver d’abord qu’il ne s’agit pas d’une question de propriété, et ensuite que lorsqu’il s’agit d’un impôt communal, il peut y avoir exemption ou modération de cet impôt ; qu’on peut frapper l’un, en exempter l’autre.
La disposition doit donc être retranchée comme inconstitutionnelle.
Quant à l’amendement de M. Gendebien, il est la conséquence du dernier paragraphe ; il est la conséquence de tout ce que nous venons de dire pour démontrer la nécessité de retrancher le deuxième paragraphe.
Si nous ne voulons pas abandonner aux conseils provinciaux le droit de décider un question de propriété, nous ne voulons pas non plus enlever aux tribunaux le droit de juger la question quand elle se présentera.
Il peut exister des usages locaux établis par la loi ; c’est aux tribunaux qu’il faut laisser le droit de reconnaître ceux qui ont ce caractère. Comme il est dit à l’article 13, il n’est pas innové par le présent article aux règlements des wateringues, ni aux obligations particulièrement légalement contractées, il faut nécessairement ajouter qu’il n’est pas dérogé à ce qui est établi légalement par des usages locaux, c’est dire que les tribunaux apprécieront les droits résultant de ces usages. C’est un corollaire à ce que nous avons demandé. Nous n’y trouvons aucun inconvénient, au contraire, nous reconnaissons qu’il y a utilité à adopter cet amendement.
Quant à l’amendement de M. Peeters, nous pensons aussi qu’il doit être adopté. M. le rapporteur prétend qu’il est inutile, que cela est bien compris dans l’article, que quand on dit dans le commencement que les dépenses d’entretien sont à la charge des communes, sous cette désignation des communes sont compris les propriétaires riverains. Je ne sais si en prenant à la lettre le texte de cet article, il ne donnerait pas lieu à de graves contestations, mais il vaut mieux lever la difficulté. Comme tout le monde est d’accord que les propriétaires riverains doivent contribuer pour une partie, sauf à établir le quantum à l’article, ce qui abonde ne vicie pas surtout que les termes ne sont pas assez clairs pour lever tous les doutes qui pourraient naître, il est bon d’ajouter ce que propose M. Peeters.
Lorsque nous serons arrivés à l’article 15, il faudra y apporter un changement. Mais on pourra dire que les fermiers paient et que par cela seul les propriétés sont frappées de la contribution. Les fermiers alors paieraient pour leurs propriétaires, cela n’est pas juste. Il sera peut-être nécessaire de frapper la propriété pour une quotité qui serait peut-être d’un tiers ou d’un quart, le reste serait payé par les habitants fermiers et autres. A cet égard, jusqu’ici il n’y a pas d’inconvénient à établir en principe que la dépense sera non seulement à la charge de la commune, mais aussi des propriétaires forains. L’objection que la caisse communale ne coopérerait jamais n’est pas juste ; elle contribuera ainsi que les propriétaires dans la proportion que nous établirons à l’article 15. L’objection existerait si nous n’établissions pas cette proportion, mais dès que nous l’établissons, l’objection cesse. Il s’agit d’un sacrifice à imposer aux propriétaires et d’un soulagement à apporter aux cultivateurs, aux fermiers ; il ne faut pas toujours frapper ceux qui ont le moins de ressources, il faut que les charges atteignent aussi ceux qui ont le moyen de les payer. Comme tout le monde en reconnaît la justice, établissez en principe que les propriétaires contribueront à l’entretien des chemins, et quant à la fixation de la part pour laquelle ils devront contribuer, ce sera l’objet de l’article 15.
M. Desmet – Quand M. le ministre de l'ntérieur a dit qu’il fallait laisser aux autorités provinciales de décider à qui appartiendrait l’entretien des routes, il a commis une grave erreur, car cela était réglé par une loi et non par les autorités provinciales. C’était par un décret de Charles V et puis par un décret de Marie-Thérèse, rendu en 64 ou 65. Et chaque interprétation donnée à ces décrets a été donnée par le souverain. Jamais la province n’a eu à prendre aucune mesure à cet égard.
M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – J’ai cité le règlement du 14 juin 1820.
M. Desmet – J’y viendrai. Cela a été reconnu par les préfets français, ils ont renouvelé les anciennes lois. Il est vrai qu’en 1820 les états provinciaux ont fait quelques changements à la loi, mais personne n’a voulu les exécuter. Quand j’étais commissaire de district, je n’ai pas voulu exécuter ces règlements de Guillaume. D’après ces règlements, il n’y avait qu’une espèce de chemins de 20 pieds de largeur. Ils ont donné lieu à une grande quantité de procès. Toujours nous avions été régis par des lois. Mais le régime qui mettait l’entretien des chemins à la charge des riverains, a fait qu’ils n’ont pas été réparés. Quand on a voulu les faire réparer, on a envoyé des commissaires spéciaux, et cependant toujours on a résisté. La raison pour laquelle on ne réparait pas, est qu’on trouvait injuste de mettre cette dépense à la charge des riverains.
Il en est de même des ponts, leur entretien incombe aux quatre propriétaires contigus.
Quand il s’agit d’un chemin de 20 pieds, la charge devient communale. Je fais cette observation parce qu’il n’est pas question des ponts dans le projet, non plus que des cours d’eau, des ruisseaux et des aqueducs, dont l’entretien est une charge mixte supportée partie par les propriétaires forains, partie par la commune.
En ce qui concerne l’amendement de M. Gendebien, il est sans objet, car c’est une loi, toujours une loi, et non un usage qui a régi la matière.
Je crois que la loi que nous faisons doit abolir la loi existante ; on fera bien de l’abolir, parce que c’est à cette loi qu’il faut attribuer la non-réparation des chemins.
M. de Langhe – Je commencerai par rectifier l’interprétation donnée à mes paroles. Je n’ai pas entendu mettre les réparations des chemins vicinaux à la charge des communes, à l’exclusion des propriétaires. Je pense au contraire qu’ils doivent y contribuer, mais cependant dans une proportion moindre que la commune. Le paragraphe 3 de l’article suivant satisfait complètement à cet égard ; les communes établiront des centimes sur les propriétaires forains qui contribueront ainsi à l’entretien des chemins.
Quant à l’amendement de M. Gendebien, les motifs et usages locaux qu’il propose d’ajouter trancheraient une question qui est de nature à être décidée par les tribunaux ; c’est à eux qu’il appartient de décider jusqu’à quel point les usages locaux doivent être maintenus. Je ne veux pas laisser décider cette question directement ni indirectement par les conseils provinciaux, c’est pourquoi j’appuie la suppression proposée par la section centrale.
M. Vandenbossche – Il ne s’agit pas seulement de réparations et de l’entretien des chemins vicinaux, mais enfin de l’amélioration et du pavement de ces chemins là où on le jugera nécessaire.
Le paragraphe du gouvernement autoriserait les conseils provinciaux à mettre à la charge des riverains même le pavement, le redressement et toutes les améliorations des chemins.
J’appuie la suppression de ce paragraphe.
M. Lebeau – Je demande seulement à dire quelques mots sur l’amendement de M. Peeters dont il me paraît qu’on n’a pas complètement saisi la potée. Il ne faut pas s’y tromper. Cet amendement est une innovation et une innovation très grave ; c’est l’abolition complète du système en vigueur, depuis la réunion de la Belgique à la France, depuis que la législation de ces deux pays a été commune. Je ne sais pas si M. Verhaegen a bien saisi la portée de cette proposition. Il semblerait que, hors de l’amendement de M. Peeters, la propriété foncière, quand elle n’est pas possédée par la commune, est dispensée de concourir aux frais de réparation des chemins vicinaux. Il n’en est pas ainsi.
La propriété n’est exemptée de concourir directement (je démontrerai tout-à-l’heure qu’elle y concourt indirectement), que lorsque la commune est assez riche pour faire supporter par la caisse communale l’entretien des chemins vicinaux de la même manière qu’elle pourvoit à l’entretien de l’école, du presbytère et de tous les édifices communaux en général.
Voilà ce qui arrive aujourd’hui :
Lorsqu’une commune est assez riche pour pourvoir à l’entretien de ses chemins sans prestations en nature, la dépense d’entretien et des réparations des chemins vicinaux est supportée entièrement par la caisse communale. Mais les communes qui peuvent pourvoir par leurs propres ressources à ces dépenses sont des exceptions fort peu nombreuses. La plupart des communes ont recours à la répartition ; dans ce cas, qui est la règle générale, les forains concourent à la dépense puisque la réparation a pour base les contributions directes.. Ainsi pour la grande généralité dans l’état de la législation existante, les forains concourent aux dépenses d’entretien et de réparation des chemins vicinaux, puisqu’ils supportent en raison de leurs contributions une prestation en nature qui peut être convertie en prestation en numéraire par la médiation de l’administration locale. Mais les forains contribuent déjà à la caisse communale non seulement pour les chemins vicinaux, mais pour toutes les dépenses communales, car les cinq centimes additionnels à la contribution foncières sont payés par les forains aussi bien que par les habitants de la commune ; or, s’il est juste que les forains qui possèdent des propriétaires à la commune concourent à la réparation des chemins vicinaux, il ne l’est pas autant qu’ils concourent aux autres dépenses communales, telles que celles relatives au presbytère, au temple, à l’école ; et cependant ils concourent à ces dépenses, puisqu’ils paient les cinq centimes additionnels à la contribution foncière.
J’ai exposé à la chambre quel est l’état des choses ; maintenant faut-il le changer ? je n’en sais rien ; mais il fallait que la chambre sût que c’est une innovation qu’on lui propose.
M. Gendebien – J’ai proposé de retrancher le deuxième paragraphe et d’ajouter à la fin du troisième paragraphe les mots « ou résultant d’usages locaux », de manière que ce paragraphe serait ainsi conçu :
« Il n’est rien innové par le présent article aux règlement des wateringues, ni aux obligations particulières légalement contractées, ou résultant d’usages locaux. »
Un honorable membre vous a dit que mon amendement est inutile, parce que dans sa province il n’y avait pas d’usages locaux, et que cette matière était réglée par des décrets dont les derniers datent du temps de Marie-Thérèse. D’autres pourraient dire que dans leur province il n’y a pas d’obligations résultant de stipulations directes. L’un et l’autre auraient tort ; car on ne fait pas les lois pour une province, pour une localité particulière, mais pour la généralité du royaume. A moins qu’on ne prétende qu’il n’y a d’usage local nulle part, je pense qu’on doit s’occuper dans la loi des usages locaux, comme on s’occupe des obligations contractuelles.
Je crois avoir démontré que si vous reconnaissez la nécessité de déclarer dans la loi que vous ne dérogez pas aux obligations particulières légalement contractées, vous ne pouvez pas vous dispenser de statuer en même temps que vous n’entendez pas déroger aux obligations résultant des usages locaux. Il est donc nécessaire d’adopter mon amendement dès que vous adoptez le paragraphe.
Un honorable membre a dit qu’il vaut mieux de substituer à la fin du paragraphe ces mots : « obligations légales des particuliers. » Mais par là on ne changerait rien ; on maintiendrait, sauf l’expression, moins correcte et moins complète, la disposition que je crois nécessaire de compléter.
Quant à ce qu’a dit l’honorable M. Lebeau, je suis parfaitement d’accord avec lui. En demandant que l’amendement de l’honorable M. Peeters fût discuté lorsque l’on abordera l’article suivante, j’ai eu soin de dire qu’on pourrait alors décider dans quelle proportion les propriétaires forains pourraient être taxés indépendamment des contributions qu’ils paient déjà en raison de leurs propriétés foncières.
Je serai, je crois, d’accord avec M. Lebeau sur la nécessité de renvoyer la discussion de l’amendement de M. Peeters à l’article suivant, si l’on juge à propos de le maintenir.
M. Peeters – Je pense avec l’honorable M. de Langhe que les chemins vicinaux doivent être entretenus par ceux qui les possèdent. Les cinq centimes dont a parlé M. Lebeau sont très minimes ; il y a bien d’autres dépenses que celles dont a parlé cet honorable membre qui doivent être payées au moyen de ces cinq centimes additionnels. Je persiste donc, dans mon amendement ; je désire que la chambre décrète le principe.
M. Dubus (aîné) – La proposition de la section centrale qui repousse le paragraphe 2 de l’article 13 du gouvernement a été soumise, ainsi que tout le rapport, aux conseils provinciaux des diverses provinces. Cela ne pouvait faire question dans la plupart des provinces où la législation française sur les chemins vicinaux s’exécute sans difficulté. Mais il n’en est pas ainsi dans les Flandres. Je remarque que le conseil provincial (erratum, Moniteur belge du 30 janvier 1839 :) de la Flandre orientale s’est prononcé, dans sa session dernière, pour le maintien du paragraphe qu’on veut retrancher. Le conseil (erratum, Moniteur belge du 30 janvier 1839 :) provincial de la Flandre occidentale, à l’unanimité des voix, a adopté et développé la même opinion, et a insisté avec force pour le maintien de ce paragraphe. D’après cela et d’après le rapport même de la section centrale, il paraît qu’il n’est peut-être pas possible de mettre à exécution dans les Flandres la loi de 1791, et que cette exécution rencontre des difficultés telles que les arrêtés des préfets, au lieu de faire exécuter la loi française, ont fait exécuter les autres lois d’après lesquelles les chemins vicinaux sont à la charge des riverains. Un honorable membre a cité un arrêté en ce sens pris par le préfet de la Flandre orientale, et qui remonte à 1804 ou 1805.
Sous l’empire de la loi fondamentale de 1815 des règlements ont été faits. Ces règlements des conseils provinciaux ont toujours pris pour base l’ancienne législation des Flandres, d’après laquelle les réparations étaient à la charge des (erratum, Moniteur belge du 30 janvier 1839 :) propriétaires riverains. Ainsi cette loi de 1791 qu’on invoque est demeurée une lettre morte. Constamment on a fait précisément le contraire de ce que prescrit cette loi. Voilà ce qui résulte de documents que j’ai sous les yeux.
Si les faits sont comme on le dit, il me paraît important de rechercher les raisons pour lesquelles on n’a pas pu exécuter la loi française dans les Flandres. Si, comme il est permis de le supposer, il y a pour cela des motifs sérieux, il ne peut y avoir de difficulté à ce qu’une loi y pourvoie ; car ce qu’une loi a fait, une loi peut le défaire. On ne peut pas pour un vain principe d’uniformité repousser sans examen une demande faite pour ainsi dire unanimement par les conseils provinciaux de deux provinces.
On dit dans l’un des mémoires que je viens de citer que c’est un usage qui remonte à plusieurs siècles. On dit encore que dans tous les actes de mutation de propriété, il est tenu compte de ce que l’entretien des chemins vicinaux est à la charge des propriétaires riverains, puisque, malgré la loi de 91, cette charge n’a pas cessé de subsister.
Dans la discussion on a mis en doute ce qu’on doit entendre par usages locaux. Un honorable membre qui propose, en supprimant le paragraphe 2, d’ajouter au dernier paragraphe les mots : « ou résultant des usages locaux », a dit que ces usages ne peuvent résulter des règlements.
M. Gendebien – J’ai dit que les usages locaux et les règlements dont le ministre a parlé ne sont pas la même chose.
M. Dubus (aîné) – Alors, je demanderai si, lorsque dans une province les propriétaires ont continué depuis la loi de 1791 à supporter exclusivement les charges de la réparation des chemins vicinaux, (erratum, Moniteur belge du 30 janvier 1839 :) cela ne constituerait pas un usage dans le sens de la proposition de l’honorable membre ? Car il me semble que l’on doit donner le nom d’usage à ce qui s’est pratiqué d’une manière constante, soit à défaut d’usage, soit même en opposition avec la loi.
J’attendrai les observations qui pourraient être faites sur les véritables causes de l’opposition que rencontre l’exécution de la loi française dans les Flandres.
M. Desmet – Il ne m’appartient pas de critiquer l’avis que le conseil provincial de la Flandre orientale a donné sur la question de savoir si les propriétaires riverains seraient chargés de faire les frais de l’entretien des chemins ; mais si les fermiers et les gens de la campagne avaient été représentés au conseil provincial, l’avis aurait certainement rencontré beaucoup d’opposition ; je dis ceci pour répondre à l’étonnement de l’honorable préopinant de ce que le conseil provincial de la Flandre orientale a émis une telle opinion.
L’honorable M. Dubus demande encore comment il se fait que la loi de 1791 n’a pas été exécuté dans la Flandre orientale ; je puis lui expliquer cela par une espèce de question personnelle ; les préfets n’ont jamais voulu faire exécuter cette loi, parce qu’ils ne l’ont jamais essayé ; ils ont cru bien faire en ne changeant pas les anciennes lois de la province ; souvent il leur a été fait des observations à cet égard ; moi-même je leur ai fait voir que la principale cause du mauvais état des chemins était cette charge injuste qui pesait sur les propriétaires.
Remarquez d’ailleurs, messieurs, que les charges des riverains ont été beaucoup modifiées. Un décret dit, par exemple, que lorsqu’il y a de grandes restaurations à faire, la charge devient communale ; c’est ainsi qu’un pont dans un chemin de 20 pieds est en partie à la charge de la commune. On a donc senti la nécessité de modifier les charges des riverains ; ce qui prouve que cette charge n’était pas générale et que dans plusieurs circonstances et on a cherché à la modifier, et à la vérité, messieurs, c’est une charge inouïe et qui est de la plus grande injustice. En voici un exemple :
Je connais des parties de terre qui n’ont qu’une profondeur de 2, 3 ou 4 verges et qui forment une langue sur le bord du chemin de 200 à 300 verges de longueur ; eh bien ! ceux qui occupent ces terrains sont obligés d’entretenir le chemin sur toute leur longueur, ce qui leur est d’autant plus pénible que ce sont souvent des gens qui n’ont pas de chevaux, et qui, ordinairement, ne font aucun dommage aux chemins, et cependant de telles charges sont ruineuses pour de petits propriétaires.
Je le dis encore, messieurs, si le conseil provincial de ma province avait mieux pesé les choses, il n’aurait pas émis l’avis qu’il nous a fait parvenir.
M. Gendebien – Messieurs, lorsqu’une loi est restée pendant 40 ans sans être exécutée, il y a lieu, j’en conviens avec M. Dubus, de rechercher les causes de cette non-exécution. Je ne prétends pas approfondir la question de fait. Je ne pourrais la traiter d’une manière complète ne connaissant pas assez les Flandres ni les raisons particulières qu’elles ont pu avoir de ne pas exécuter la loi, mais je dirai, encore avec M. Dubus, qu’il y a lieu d’avoir égard à ce fait de la non-exécution d’une loi pendant 40 ans et de ménager l’usage qui a remplacé cette loi ; mais c’est précisément pour cela que je propose de statuer qu’il n’est rien innové aux obligations particulières légalement contractées, « ou résultant d’usages locaux » et que dans tous les cas, les tribunaux auront à décider si l’usage existe réellement et dans quelle étendue.
Je crois, messieurs, que c’est là le meilleur moyen de faire respecter un usage qui, aux yeux de l’honorable M. Dubus, paraît si respectable.
Maintenant il peut résulter des répartitions injustes de l’obligation de réparer les chemins, imposée aux riverains ; et l’honorable M. Dubus a cité à cet égard l’exemple d’une bande de terre longeant le chemin et n’ayant qu’une très faible profondeur, mais d’un autre côté le mémoire des conseils provinciaux des Flandres fait remarquer que les propriétés qui se trouvent dans un cas semblable ont été acquises de temps immémorial à des prix moindres en considération de la charge dont elles sont grevées, de manière que les propriétaires actuels resteront dans la condition où ils se sont placés en achetant ces terres. Si ce sont des anciens propriétaires, ils n’auraient pas d’avantage à se plaindre, puisque la loi ne ferait que maintenir ce qu’un long usage à consacrer. Du reste, si la charge devient extraordinaire comme on le suppose, il y aurait des moyens de transaction devant les tribunaux, peut-être plus équitables que devant les conseils provinciaux, ma proposition laissant les choses dans le droit commun ; dans tous les cas, ce ne serait pas porter remède au mal que d’attribuer la décision de questions de cette nature aux états provinciaux, alors surtout que la constitution les réserve formellement aux tribunaux ordinaires.
Je crois donc, messieurs, qu’il y a lieu d’admettre mon amendement ; et tout ce qu’a dit l’honorable M. Dubus, loin d’affaiblir les raisons que j’ai fait valoir, ne fait que les renforcer.
M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Veuillez, messieurs, remarquer en quoi consiste la différence qu’il y a entre l’amendement de M. Gendebien et le paragraphe 2 de l’article 13 : d’après ce paragraphe on laisserait aux provinces la faculté d’apprécier les plus anciens usages et de transporter la dépense de certains chemins vicinaux ou certains genres de dépenses, à la charge des communes tandis que si l’amendement de M. Gendebien est adopté, l’usage demeurera impératif et les provinces n’auront pas même la faculté de dégrever les propriétés riveraines de la moindre des obligations que les usages leur imposent.
Quatre membres de cette assemblée qui appartiennent aux Flandres attribuent le mauvais état des chemins vicinaux précisément à cet usage ; il est difficile de se prononcer entre l’opinion émise par ces honorables députés et celle que soutiennent les conseils provinciaux des Flandres qui considèrent, au contraire, le maintien des anciens usages comme un bon moyen de conserver les chemins. Je dirai toutefois que cette dernière option est d’autant plus respectable qu’elle a été émise par l’unanimité des représentants de la province.
On a dit, messieurs, que la charge est injuste en ce qu’elle pèse ordinairement sur les locataires ; mais remarquez que si un locataire prend un bail, il aura soin de ne payer qu’un prix moindre en proportion des frais qu’il devra faire pour l’entretien du chemin et que par conséquent la charge sera en définitive toujours supportée par le propriétaire.
Au surplus, messieurs, des raisons ont été alléguées de part et d’autre ; vous aurez à vous prononcer. Quant à moi, je n’ai pas cru devoir vous proposer de consacrer définitivement et d’une manière générale l’usage qui s’est établi dans certaines provinces. Mais j’ai cru du moins qu’il y avait lieu d’appuyer la demande des autorités provinciales qui réclament la faculté de le maintenir.
M. Gendebien – Je dois vous faire remarquer, messieurs, que M. le ministre de l'ntérieur se trompe totalement sur la portée de mon amendement : « Il faut », dit M. le ministre, « voter le paragraphe 2 de l’article, parce qu’il laisse aux conseils provinciaux la faculté de maintenir ou d’abolir l’usage qui impose aux propriétaires riverains l’obligation d’entretenir les chemins. D’un autre côté, ajoute-t-il, l’amendement de M. Gendebien est impératif, et si vous l’adoptez, il ne pourra jamais rien être changé à cet usage. » Mais, messieurs, c’est précisément mon amendement qui n’est pas impératif, puisqu’il ne préjuge rien ; tandis que la proposition de M. le ministre préjuge et ôte les droits acquis à l’un pour les donner à l’autre et cela par l’intervention d’une juridiction exceptionnelle, réprouvée par la constitution. Mon amendement respecte tous les droits acquis et l’ordre des juridictions. La proposition ministérielle fait tout le contraire. Je le demande, messieurs, les choses ne sont-elles par tout à fait en sens contraire de ce que vient de dire M. le ministre ?
A ces mots de l’article : »Il n’est rien innové par le présent article aux règlements des wateringues ni aux obligations particulières légalement contractées, » mon amendement ajoute simplement : « ou résultant d’usages locaux. » Pourquoi les conseils provinciaux auraient-ils le droit de déroger plutôt aux usages locaux qu’aux obligations légalement contractées ? les droits résultant des unes et des autres ne sont-ils pas le mêmes ? pourquoi chargez-vous une autorité incompétente de prononcer sur des questions dont les tribunaux seuls peuvent connaître ? Mon amendement, loin d’être impératif, laisse, il faut bien en convenir, toutes choses entières, ne préjuge rien ; seulement les particuliers qui se croiront lésés, au lieu de s’adresser aux états provinciaux, s’adresseront aux tribunaux et y feront valoir leurs droits ; voilà, en définitive, la différence qu’il y a entre mon amendement et la proposition de M. le ministre.
M. de Langhe – Il me paraît, messieurs, que l’amendement de M. Gendebien préjuge aussi bien que l’article primitif la question de savoir si les usages locaux seront considérés comme suffisants pour établir l’obligation de la part des riverains de réparer les chemins vicinaux, c’est ce que je voudrais éviter de déclarer dans la loi, et je crois que pour cela, il faudrait adopter la rédaction suivante :
« Rien n’est innové par le présent article aux obligations légales des particuliers ni aux règlements des wateringues. »
Vous comprenez, messieurs, quelle différence il y a entre « obligations légales » et « obligations légalement contractées ».
Je voudrais que les obligations légales des particuliers fussent conservées, soit qu’elles résultent de contrats ou même d’usages ; mais ce serait aux tribunaux à juger si ces usages seraient suffisants ; ma rédaction ne préjuge rien.
M. le président – Voici l’amendement de M. de Langhe :
« Il n’est rien innové aux obligations légales des particuliers, ni aux règlement des wateringues. »
- L’amendement est appuyé.
M. Peeters – Messieurs, je n’ai qu’un mot à dire. M. le ministre vient de déclarer que la plus grande partie des états provinciaux ont conclu à ce que l’on maintînt les anciens usages. Je trouve que tout le monde est d’accord que les anciens usages ne valent rien. Le ministre lui-même a pensé que ces usages n’étaient pas suffisants, puisqu’il nous a présenté un projet de loi.
J’ajouterai encore un mot. Avant la domination française, les riverains devaient entretenir les chemins vicinaux. Lorsque les Français sont venus dans le pays, on a fait de cet entretien une charge communale. Si dans quelques localités on ne s’est pas conformé à la loi française, ce n’est pas un motif pour que nous devions maintenir cette illégalité. Je l’ai déjà dit, et je le répète, l’entretien des chemins vicinaux doit être, selon moi, à la charge de ceux qui les dégradent.
M. Pirmez – Messieurs, comment faut-il comprendre l’amendement de l’honorable M. de Langhe ? Il dit qu’il ne sera rien innové aux obligations légales des particuliers. Cela veut-il dire que ceux qui ont été chargés d’entretenir les chemins vicinaux d’une manière, ne pourront pas être chargés, en vertu d’une autre loi, de les entretenir d’une autre manière ? Si telle est la signification de l’amendement, il est inutile de faire une loi. Car, si en Flandre, par exemple, il a toujours été admis que les riverains doivent entretenir les chemins vicinaux, ces riverains devront encore les entretenir, en vertu de l’amendement de M. de Langhe. Vous aurez beau commencer par dire : ce sont les tenant chevaux ou les forains, ou telle ou telle catégorie de propriétaires dans la commune qui pourvoiront aux frais d’entretien des chemins vicinaux, cette disposition sera annulée par l’amendement de M. de Langhe, qui viendra ensuite, et qui dit que rien n’est innové aux obligations légales des particuliers. Je ne pense pas, messieurs, que l’on puise admettre un pareil système.
M. le président – Si personne ne demande plus la parole, nous passer au vote de l’article 13 et des amendements.
Nous avons un amendement de M. Peeters. M. Peeters demande qu’on mette d’abord aux voix sa proposition comme question de principe. La chambre veut-elle se prononcer en premier lieu sur cette question ? (Oui ! oui !). La proposition est ainsi conçue :
« Les dépenses relatives aux chemins vicinaux sont à la charge des habitants et des propriétés situées sur le territoire de la commune. »
- Cet amendement est mis aux voix et rejeté.
M. le président – Je mets maintenant aux voix le premier paragraphe de l’article 13, ainsi conçu :
« § 1. Les dépenses relatives aux chemins vicinaux sont à la charge des communes. »
- Ce paragraphe est adopté.
« § 2. Néanmoins, les conseils provinciaux pourront statuer que ces dépenses demeureront en tout ou en partie à la charge des propriétaires riverains là où l’usage en est établi. »
- Ce paragraphe est mis aux voix et n’est pas adopté.
« § 3. Il n’est rien innové par le présent article aux règlements des wateringues, ni aux obligations particulières légalement contractées. »
Voici l’amendement de M. de Langhe à ce paragraphe :
« Il n’est rien innové par le présent article aux obligations légales des particuliers, ni aux règlements des wateringues. »
- Cet amendement est mis aux voix et rejeté.
Le § 3 est mis aux voix et adopté.
M. le président – Vient à présent l’amendement de M. ; Gendebien, consistant en ces mots : « résultant d’usages locaux », qui termineraient le § 3.
- Cet amendement est mis aux voix et adopté.
L’ensemble de l’article 13 amendé est ensuite mis aux voix et adopté.
- La séance est levée à 4 heures et demie.