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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 20 décembre 1838

(Moniteur belge du 21 décembre 1838, n°356)

(Présidence de M. Raikem)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Scheyven fait l’appel nominal à 2 heures.

M. Lejeune lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Scheyven présente l’analyse des pièces adressées à la chambre :

« Les éditeurs de 3 journaux paraissant à Bruxelles adressent des observations sur le projet de loi relatif au port des journaux. »


« Les étudiants des universités de Bruxelles, Gand et Louvain adressent des observations sur le projet de loi relatif à l’enseignement supérieur. »


« Des armateurs, négociants et capitaines de navires, demeurant à Ostende, adressent des observations sur le projet de loi relatif au traité de navigation avec la France. »


« Des ouvriers de Malines adressent des observations sur la loi des céréales. »


M. A. Rodenbach – Je demande que la pétition relative aux céréales soit déposée sur le bureau quand on discutera le projet de loi sur les céréales.

- La proposition est acceptée.


M. Donny – Je demanderai que la pétition des armateurs d’Ostende, sur le traité de navigation fait avec la France, soit renvoyée à la commission chargée de l’examen des traités diplomatiques.

- Cette proposition est également adoptée.


M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères adresse à la chambre les renseignements des professeurs des universités de Gand et de Liége sur les examens des élèves.

- Ces documents seront imprimés.


L’académie royale de Bruxelles fait hommage à la chambre des tomes 13 et 14 de ses Mémoires couronnées.


Le sénat informe la chambre qu’il a adopté, dans sa séance du 19 décembre, le projet de loi relatif au timbre.

Projet de loi portant le budget du département de l'intérieur de l'exercice 1839

Discussion du tableau des crédits

Chapitre V. Cultes

Article premier

M. le président – Nous en sommes au chapitre V, article premier, Culte catholique, 4,016,000 fr. M. Verhaegen demande une réduction de 9,000 francs sur ce chapitre.

M. Gendebien – Messieurs, ce n’est pas pour disputer au ministre de l’intérieur une allocation plus ou moins forte que j’ai demandé la parole ; c’est pour rectifier des erreurs de doctrine qui, si elles s’implantaient dans notre pays, pourraient avoir des conséquences dangereuses.

Le ministre de l’intérieur se croit autorisé à régler arbitrairement les traitements des ministres du culte et particulièrement celui de l’archevêque de Malines, devenu cardinal. C’est là une erreur qu’il m’importe de relever, et c’est la seule chose qu’il m’importe de traiter.

Le ministre de l’intérieur vous a dit, et l’arrêté royal en fait foi : que l’allocation de 45,000 francs à l’archevêque de Malines pour aller chercher à Rome son chapeau de cardinal, et que les 9,000 francs de supplément de traitement, il avait le droit de les allouer, en vertu d’un arrêté du premier consul de l’an XI, qu’il considère comme ayant force de loi.

Messieurs, c’est là précisément ce que je crois devoir combattre. L’arrêté des consuls, ou plutôt du premier consul, car c’est le premier consul qui l’a pris seul, a-t-il force de loi en Belgique ? Voilà la question. Je dis, non ; et par une raison toute simple, c’est qu’il n’a jamais eu force de loi même en France ; je ne comprendrais pas dès lors, par quelle magie il aurait force de loi chez nous.

Comment faisait-on les lois en France ? Il y avait des lois du pouvoir législatif dans lequel il faut comprendre le pouvoir exécutif ; puis les décrets impériaux approuvés en conseil d’état, quand ils portaient sur des objets d’administration générale, et qu’ils étaient insérés au Bulletin des lois.

L’arrêté de l’an XI est-il de cette catégorie ?

Evidemment, non ; il est, ainsi que le ministre de l’intérieur l’a dit lui-même, un acte purement administratif, un rapport du chef de l’état avec le chef de l’administration des finances ; et voilà tout. C’est aussi pour cela qu’il était inutile de le publier, ainsi que l’a dit M. le ministre de l'intérieur, parce qu’on ne publiait que les actes d’administration générale qui pouvaient obliger des tiers ; or, ici il n’y avait qu’un seul obligé, le ministre des finances. Dès lors, considérez l’arrêté de l’an XI comme vous voudrez. S’il n’avait force de loi que de la part du premier consul, à l’égard du ministre des finances, je demande comment il se pourrait faire que cet arrêté aurait pu survivre au chef de l’état qui l’a rendu à l’administration à laquelle il devait uniquement servir de règle.

Messieurs, il est inexact de dire, d’un autre côté, que les traitements ecclésiastiques ne sont réglés par aucune loi ; c’est une erreur dans laquelle est tombé hier M. Dubus aîné. Cet honorable membre vous a dit : Si une loi avait établi les traitements ecclésiastiques, nous ne pourrions pas les changer par la loi du budget ; dès lors, à plus forte raison, le ministre de l’intérieur ne pourrait les changer à lui tout seul. Il n’y a de loi, ajoutait M. Dubus, sur le traitement des ecclésiastiques, si ce n’est celle des vicaires que nous avons portée. Eh bien, il se trompe : il y a une loi. Cette loi est la loi du 18 germinal de l’an X ; c’est la loi organique du concordat qui est bien une loi, puisqu’elle a été élaborée par les trois branches du pouvoir législatif. Vous y trouvez, aux articles 64,65 et 66, les traitements des ecclésiastiques réglés.

Il y est dit que le traitement des archevêques sera de 15,000 francs, que celui des évêques sera de 10,000 francs ; que les curés seront distribués en deux classes, que ceux de la première classe auront 1,500 francs et ceux de la seconde 1,000 francs. Voilà bien les traitements ecclésiastiques réglés par une loi. Dès lors, d’après la doctrine émise par M. Dubus hier, et hier comme toujours, le ministre ne pouvait pas changer le traitement, et la chambre ne pouvait pas le faire non plus par le budget ; il fallait une loi pour changer légalement ces traitements, ou pour en créer de nouveaux non compris dans cette loi ; c’est que nous avons fait pour les vicaires, et je ne vois pourquoi il n’y aurai pas même nécessité de faire une loi pour les cardinaux.

Je ne discuterai pas de la hauteur de la somme, je l’ai dit en commençant. Je ne fais pas une question de chiffre de l’objet de la discussion. Je ne puis cependant me dispenser de vous faire remarquer que, sous le grand empire, les traitements des archevêques étaient de 15,000 francs, qu’il est actuellement de 21,000 francs chez nous ; et je croyais que c’était bien comme cela, et qu’il était inutile de le doubler en le portant à 30,000 francs. Toutefois, je le déclare, je ne veux pas discuter le chiffre.

M. le ministre de l'intérieur vous a dit qu’en France on n’avait proposé un projet de loi pour doter M. de Cheverus, nommé cardinal, que parce qu’une disposition de 1830 avait aboli l’arrêté de l’an XI ; c’est encore là, messieurs, une erreur grave. C’est n’est pas parce que l’arrêté avait été effectivement abrogé en 1830, et je m’en vais vous le prouver par les motifs que le ministre a donnés quand il a présenté la loi, et par ceux exposés par la rapporteur.

« Messieurs, nous vous apportons un projet de loi qui ouvre au budget des cultes un crédit extraordinaire de 55,000 francs pour 1836. La loi de finances que vous avez votée l’année dernière a fait un fonds de 20,000 francs pour le traitement de deux cardinaux. Ce vote a été déterminé par la nécessité d’assurer la situation des cardinaux de la couronne, dont il importe à l’état et à l’église de France de maintenir le nombre et les prérogatives vis-à-vis de la Cour de Rome. – depuis la clôture de la session, M. de Cheverus a été promu au cardinalat.

« Cet honneur n’était inattendu que pour lui ; déjà les vœux de l’opinion avaient devancé le choix de la couronne ; la France a salué avec joie l’élévation d’un prélat aussi recommandable par ses lumières que par ses vertus ; elle rend hommage à cette piété modeste et tolérante qui lui a concilié dès longtemps une vénération unanime, même au milieu de croyances diverses En consacrant la promotion de M. de Cheverus, le gouvernement est appelé à pourvoir aux frais qu’elle doit nécessairement entraîner. Il faut d’abord assurer au nouveau cardinal le traitement de 10,000 francs que la dernière loi de finances a attribués au cardinalat. Il n’est pas moins nécessaire de faire face aux frais d’installation. Ces frais sont fixés par d’anciens usages à 45,000 francs. Cette somme ne profite pas réellement au cardinal promu ; elle lui sert seulement à acquitter les diverses dépenses qu’il est obligé de faire pour les missions et autres avances déterminées par les précédents. L’arrêté des consuls du 7 ventôse an XI, avait affecté cette somme de 45,000 francs à la promotion de chacun des cardinaux français qui furent nommés à l’époque du rétablissement du culte. »

Voici maintenant ce que disait M. Jay, rapporteur de cette loi, dans la séance du 29 mars 1836 :

« L’arrêté des consuls a été exécuté, quant à ce qui concerne les frais d’installation des cardinaux depuis le concordat de 1801 jusqu’à ce jour. Les cardinaux nommés par la restauration ont reçu les sommes nécessaires pour subvenir aux dépenses de leur promotion. Il faut cependant remarquer que cette allocation n’a jamais été portée à la connaissance des chambres : on présume qu’elle la prélevait sur les fonds secrets attribués au ministère des affaires étrangères. Cette conjecture, vraie ou supposée, est aujourd’hui sans importance. »

Qu’on dise après cela que l’arrêté de l’an XI était une loi, ou avait force de loi. On voit cependant que cette allocation n’a jamais été portée à la connaissance des chambres ; on présume qu’elle se prélevait sur les fonds secrets attribués au ministère des affaires étrangères. Dès lors comment supposer que les gouvernements du consulat, de l’empire et de la restauration aient été assez timides pour n’oser proposer aux chambres ces allocations en exécution d’un arrêté légalement pris, d’un arrêté ayant force de loi ? Il faut en convenir, cet arrêté était illégal, cet arrêté était sans force obligatoire sous le consulat, sous l’empire et sous le régime de la restauration ; dès-lors, comment voulez-vous qu’il ait force obligatoire aujourd’hui sous le régime de notre constitution ? Des deux citations que j’ai faites, il résulte deux choses : la première, c’est que le chef de l’état avait jugé à propos, dans sa toute-puissance, d’allouer, mais cependant in petto, une indemnité pour les frais d’installation des cardinaux ; la deuxième, c’est qu’il y avait lieu à faire un traitement à ces cardinaux.

Et pourquoi le consul a-t-il jugé convenable d’allouer ces indemnités et traitement ?

Le ministre le dit, c’est parce que le cardinal étant nommé par le roi, faisant partie en quelque façon de la magistrature française, il était convenable de lui donner un traitement puisqu’il était l’homme du pouvoir, le représentant du gouvernement au sacré collège à Rome. Il était le cardinal de la couronne, il était le cardinal, le représentant du choix du gouvernement, dit le ministre.

Pourquoi maintenant a-t-il fallu une loi ? mais le rapporteur le dit : c’est parce que jusque-là il n’avait jamais été présenté d’allocation aux chambres, en exécution de l’arrêté soi-disant loi ; c’est parce que, bien que, sous le gouvernement de la branche cadette des Bourbons, la chambre ne fût pas un vérité, il aurait cependant été difficile de cacher toujours aux chambres l’emploi de l’allocation demandée pour la partie secrète des affaires étrangères ; on n’osait donc plus faire ce qu’avait fait l’empereur, ce qu’avait continué de faire la restauration, c’est-à-dire payer sur les fonds secrets.

Voilà pourquoi on a proposé une loi et non pas parce que l’arrêté de l’an XI fut abrogé en 1830 ; car on aurait pu prendre le même arrêté dans la même forme et agir de même qu’autrefois, si l’arrêté de l’an XI était réellement pris légalement.

Maintenant, messieurs, une loi était-elle nécessaire en Belgique ? sans doute, et doublement nécessaire : d’abord la constitution en fait un devoir ; ensuite une loi est d’autant plus nécessaire ici qu’il s’agit de salarier un magistrat pour ainsi dire étranger à la Belgique, quant à la magistrature ; car, veuillez bien le remarquer, il n’est pas pour la Belgique, comme le ministre français le dit pour la France, un cardinal de la couronne, un cardinal au choix du roi ; ce n’est pas l’homme du roi des Belges, ce n’est pas l’homme du gouvernement, ce n’est pas l’homme de la nation ; c’est un cardinal, c’est un fonctionnaire nommé par un souverain étranger, faisant partie du conclave de Rome, et voilà tout ; il y avait donc encore, sous ce rapport, nécessité de présenter une loi pour demander l’allocation, que la chambre aurait probablement accordée, mais enfin dont le ministère ne pouvait disposer sans une loi ; ceux qui soutenaient hier qu’il fallait une loi avaient donc complètement raison.

Si vous voulez, messieurs, prendre de l’empire ce qui convient au clergé catholique, d’autres pourraient bien aussi prendre parmi les lois impériales celles qui restreignent les libertés que la constitution a données à ce clergé. Vous puisez dans la constitution des libertés que nous sommes loin de vous contester ; mais permettez aussi que lorsqu’il s’agit de régler les traitements du clergé, nous ayons, à notre tour, recours à notre constitution ; n’invoquez pas la constitution en faveur de vous libertés, ou ne la repoussez pas lorsqu’il s’agit de régler les charges inhérentes au culte et réglées par cette même constitution, qui est votre loi comme la nôtre.

L’empereur qui, par des décrets impériaux qui sont toujours resté secrets, qui n’ont jamais reçu d’exécution patente, dotait richement le haut clergé, faisait-il cela dans l’intérêt de la religion ? Evidemment non ; c’était dans l’intérêt de son pouvoir envahisseur ; c’est pour s’assurer la dépendance du clergé ; il l’enchaînait, mais il dorait les chaines des chefs. Qu’on me dise quels avantages la religion a en retirés ; je dirai tout à l’heure quel détriment il en est résulté pour elle.

Le grand empire avait besoin d’être représenté à Rome ; il voulait dominer ; il nommait ses cardinaux comme la restauration nommait les siens, il les payait, cela était tout naturel. Quand on veut un représentant, qu’on le nomme à son choix, on le paie ; mais nous, nous ne nommons pas des cardinaux et nous n’avons nullement l’intention d’en nommer ; nous ne regrettons même nullement de ne plus avoir le droit d’en nommer ; mais ce n’est pas nous qui avons nommé le cardinal, ce n’est pas nous qu’il représente : il remplira son saint ministère au conclave de Rome, comme bon il l’entendra, sans que nous ayons à nous en mêler ; dès lors il n’y a plus les mêmes raisons que sous l’empire pour lui donner 45,000 francs pour se faire recevoir à Rome ; d’ailleurs, cette réception solennelle à Rome n’était nullement nécessaire, car on sait très bien que plusieurs cardinaux n’ont pas ambitionné des cérémonies ruineuses pour leur réception. On pourrait citer plus d’un exemple de cette noble et louable modestie.

Messieurs, si l’empereur Napoléon a richement doté le haut clergé, s’il a, comme je le disais tout à l’heure, doré ses chaînes, c’est afin d’avoir sous la main le clergé tout entier ; en effet, le concordat donnait à l’empereur le droit d’organiser le clergé comme il l’entendait, et il l’organisait de telle manière que, tout en lui donnant d’une main quelques poignées d’or, il a d’un autre côté restreint ses libertés et diminué considérablement le nombre des paroisses : c’est ainsi que le nombre des paroisse, qui était en 1797 de 32,214 a été réduit, en vertu du concordat, à 25,776. Vous le voyez donc, messieurs, si l’état-major a reçu une aussi ample dotation, le bas clergé, le seul utile au peuple, a été décimé ; et si vous voulez juger des traitements de ce clergé, vous n’avez qu’à consulter les articles 65 et 66 de la même loi organique du concordat que j’ai citée tout à l’heure.

Je le répète donc, messieurs, si ‘l’empereur Napoléon a richement doté le haut clergé, c’est-à-dire les cardinaux, c’était dans le seul but de s’assurer de l’obéissance passive du clergé tout entier. N’imitez pas, messieurs, la conduite de l’empereur dans la dotation de l’état-major du clergé, ne l’imitez pas non plus dans l’oppression qu’il savait faire peser sur le clergé. N’oubliez pas, messieurs, qu’il a fait venir en France, comme prisonnier, le pape lui-même. Cessez, si vous ne voulez blasphémer, d’invoquer les lois de l’empire.

Eh bien, messieurs, sans même contester le chiffre quasi impérial si chèrement acheté autrefois, je me borne à contester le principe de ce chiffre parce qu’il peut grossir ; car, puisque ce n’est pas nous qui nommons les cardinaux, puisque le pape les nomme à volonté et sans nous consulter, il pourrait en résulter que par un simple arrêté, arrête contre-signé par un ministre quelconque, plusieurs cardinaux fussent dotés chacun de 45,000 francs de frais d’installation et en outre de 30,000 francs de traitement.

Lorsqu’il a été question des vicaires, ai-je hésité, messieurs, à augmenter leur traitement ? Non, bien au contraire ; j’ai été plus loin que les propositions qui nous étaient faites, j’ai dit que si 500 francs ne suffisaient pas, il fallait en donner 6, 7 ou 800 ; j’ai même déclaré que j’étais prêt à en donner 1,000 ; mais je voulais aussi que la constitution fût exécutée tout entière, c’est-à-dire que le clergé, comme le veut la constitution, fût salarié par l’état, et par l’état seul, sans que les communes eussent à y contribuer. Ce n’est donc pas une poignée d’argent que je dispute ici au clergé ; je le répète, je n’ai demandé la parole que pour protester contre les doctrines qui ont été émises, relativement à l’arbitraire qu’on prétend s’arroger pour régler les traitements du clergé.

Je n’en dirai pas d’avantage dans la crainte d’abuser des moments de la chambre ; nous aurons d’ailleurs d’autres questions bien plus importantes à traiter très incessamment. Le moment n’est pas opportun pour traiter à fond la malencontreuse controverse qui s’agite.

M. Dubus (aîné) – Messieurs, je viens défendre le projet de la section centrale, dont j’ai eu l’honneur de faire partie. Je vous ferai d’abord remarquer, messieurs, que l’honorable orateur que vous venez d’entendre et celui que vous avez entendu dans la séance d’hier sont partis d’une fausse supposition pour combattre le rapport de la section centrale, et j’ajouterai (puisque ‘j’ai entendu les explications du ministre dans la séance d’hier), pour combattre le ministre ; ces honorables membres ont supposé, messieurs, qu’il s’agissait, dans le débat actuel, de considérer l’arrêté du 7 ventôse an XI, comme ayant force de loi en Belgique ; eh bien, messieurs, nous n’avons jamais prétendu que cet arrêté eût force de loi en Belgique ni en France ; nous nous sommes bornés à soutenir qu’il avait force d’arrêté, que cet arrêté était un arrêté. Le premier orateur, celui que vous avez entendu hier, en a parlé comme d’un arrêté-loi ; ce n’est pas un arrêté-loi, c’est une mesure administrative, qui fixe une indemnité, et nous ne l’avons jamais invoqué qu’à ce titre. Nous avons si peu prétendu que cet arrêté eût force de loi, que nous avons reconnu au gouvernement le pouvoir de le modifier, comme il l’a fait ; car s’il avait eu force de loi, le gouvernement n’aurait pu le modifier.

« Mais, dit-on, il y a une loi, et cette loi, la loi organique du concordat, qui fixe les traitements ecclésiastiques, celui d’un archevêque à 15,000 francs, celui d’un évêque à 10,000 francs, ; et il faudrait une loi postérieure pour modifier cet état de choses. »

Nous ne sommes plus, messieurs, en ce qui touche les traitements des archevêques et des évêques, sous l’empire de la loi organique du concordat ; il est intervenu depuis un grand nombre de dispositions qui ont réglé ces traitements, et celles-là n’ont pas cessé d’être exécutées ; la première de toutes avait même sa source dans la loi organique elle-même, car, tout en établissant les traitements qu’on présente ici comme excessifs, puisqu’on va jusqu’à dire que l’empereur avait « doré les chaînes du clergé », tout en établissant ces traitements, le gouvernement français reconnaissait, comme tout le monde, qu’ils étaient insuffisants, et il conviait et autorisait expressément les conseils généraux des départements à voter des suppléments ; ces conseils généraux, on le sait, dans nos provinces au moins, se sont empressés de voter ces suppléments ; et ainsi les traitements du clergé étaient d’une double nature ; ils avaient une partie fixe, qui résultait de la loi organique du concordat, et une partie votée par les conseils généraux des départements ; il est ensuite arrivé qu’on a supprimé l’allocation départementale, qu’on l’a ajoutée au traitement à charge de l’état et rendu ce traitement fixe dans sa totalité.

J’ai dit, à la séance d’hier, que dans l’état actuel de la législation, les traitements ecclésiastiques sont, à une exception près, fixés par des arrêtés. Et, en effet, il existe un grand nombre d’arrêtés sur cette matière.

Nous avons d’abord des dispositions du gouvernement français qui ont approuvé les votes des conseils généraux des départements. Il y a aussi une disposition du gouvernement français du 14 ventôse an XI, qui n’a pas non plus été insérée au Bulletin des lois, mais qui a toujours été exécutée. Cette disposition a réglé les traitements des vicaires-généraux et des chanoines auxquels il n’aurait été alloué aucun traitement par les conseils généraux de département. Car remarquez, messieurs, que la loi organique du concordat ne fixait pas de traitement pour les vicaires-généraux et les chanoines, mais qu’elle invitait en même temps les conseils généraux à y pourvoir, et un arrêté a prévu le cas où l’on n’aurait rien fait, et a fixé le minimum de ces traitements. Cet arrêté qui n’a pas cessé d’être en vigueur depuis lors, n’a, comme je viens de le dire, pas été inséré au Bulletin des lois.

Après la séparation de notre pays d’avec la France, une première disposition du nouveau gouvernement (je crois que c’est celle du 5 ou 6 mars 1815, qui n’a été ni insérée au Bulletin officiel ni publiée) a accordé à tous les membres du clergé remplissant des fonctions actives, une augmentation de 30 p.c. du traitement dont ils jouissaient alors.

Une autre disposition du même gouvernement, du 2 juin 1815, qui n’a pas été publiée non plus a, en outre, attribué un supplément de traitement de 100 fr ; aux desservants des succursales, et un traitement annuel de 200 fr. aux chapelains et aux vicaires non salarié.

Une autre disposition encore du même gouvernement, du 13 février 1817, qui est également demeurée inédite, a réduit les florins pour les traitements du clergé des provinces méridionales, tels qu’ils existaient alors pour les divers membres du clergé, à raison de 2 francs pour un florin ; c’était là encore une augmentation de 4 1/3 p.c.

Il y a nombre d’autres dispositions relatives aux traitements du clergé qui ont été prises et par le gouvernement français et par le gouvernement des Pays-Bas, et qui n’ont pas été publiées ; mais enfin elles forment l’ensemble des règles sur cette matière, règles qu’on n’a pas cessé de suivre jusqu’aujourd’hui.

Après notre révolution est intervenu un arrêté du régent, du 30 avril 1831, que personne n’a critique non plus, et qui a réduit le traitement de l’archevêque à 10,000 florins et celui des évêques à 7,000 florins. Pourquoi l’a-t-il réduit ? parce qu’il était supérieur et il était supérieur en vertu des arrêtés mêmes qui avaient été portées par le gouvernement précédent ; de sorte que cet arrêté même rend hommage à cette vérité : que ces traitements étaient fixés par des arrêtés, et qu’il était au pouvoir du gouvernement de modifier ces arrêtés et de régler ultérieurement par d’autres arrêtés ces mêmes traitements.

Ai-je besoin de vous citer un arrêté beaucoup plus récent ? c’est celui qui a été porté le 29 mars 1834, et qui règle les traitements et les indemnités pour frais de route des vicaires généraux, des chanoines, et des professeurs des séminaires épiscopaux. Cet arrêté, vous l’exécutez depuis 4 ans dans vos budgets, et personne n’en a contesté la légalité.

Les traitements des vicaires-généraux et des chanoines, précisément à cause de leur double origine, étaient inégaux ; dans tel département, on avait accordé un supplément plus fort, dans d’autres un supplément moindre. Il en résultait que ces traitements variaient selon les provinces. Toute cette matière a été alors organisée et l’on a établi des traitements uniformes.

Il n’y a, comme je le disais dans la séance d’hier, que les traitements des vicaires qui soient établis par une loi ; tous les autres sont établis par des arrêtés. C’est sur le pied de ces arrêtes que les demandes de paiement sont faites pendant toute l’année, et qu’elles sont liquidées par la cour des comptes.

L’archevêque de Malines est nommé cardinal. S‘il avait fallu lui appliquer l’arrêté du 7 ventôse an XI, son traitement devait être de 30,000 francs, en sus de son traitement d’archevêque ; car remarquez que telle est la disposition de l’arrêté du 7 ventôse an XI : le traitement fixe de l’archevêque était de 15,000 francs en France ; il avait, en outre, un supplément sur les revenus départementaux ; s’il était cardinal, il avait en sus 30,000 francs ; car ce dernier traitement se cumule avec celui d’archevêque. Ainsi, au cas actuel, cela aurait fait 51,000 fr. de traitement. Le gouvernement a usé de son droit, en prenant un arrêté par lequel il réduisait ce traitement à 30,000 francs (21,000 francs pour le traitement d’archevêque, et 9,000 francs, en sus, à raison de la nouvelle dignité de cardinal.)

C’est donc mal à propos, selon moi, que l’on fait un reproche au gouvernement d’imiter en cela ce que l’on a appelé les « énormes traitements de l’empire », puisque vous voyez que c’est une réduction, et une réduction notable , sur ces traitements de l’empire, qui a été opérée par l’arrêté royal du 20 août dernier.

Ici messieurs, je suis amené à considérer la question du chiffre, quoique l’honorable préopinant n’ait pas voulu entrer dans cette question.

Messieurs, convient-il d’établir un traitement plus élevé pour un cardinal-archevêque ?

S’il fallait de décider d’après les exemples, la solution de cette question ne serait pas douteuse. Nous voyons que sous l’empire la différence était de 30,000 fr. ; celle qu’on propose ici n’est que de 9,000 fr. Nous voyons qu’en France encore à présent la différence est de 10,000 fr. : on y accorde un supplément de 10,000 fr. à un cardinal-archevêque, et je ne sache pas que personne prétende que le haut clergé soit trop favorablement traité en France.

Mais, dit-on, en France l’on s’est adressé à la législature, et il n’est pas exact de dire que ce recours à eu lieu, parce que le décret de l’an XI est abrogé, puisque le rapporteur a allégué une autre raison. Je ne sache pas, messieurs, que le rapporteur dont on parle ait allégué une autre raison pour laquelle on se serait adressé à la législature ; mais ce qui est constant, c’est qu’en effet l’arrêté de l’an XI avait été abrogé en France par une ordonnance du 21 octobre 1830. Voici le dispositif de cette ordonnance :

« Art. 1er. Les dispositions de l’arrêté du 7 ventôse an XI concernant le traitement et les frais d’installation des cardinaux sont rapportés.

« Le traitement dont jouissent actuellement les cardinaux en France cessera de leur être acquitté à compter du 1er janvier 1831. »

Il résulte de cette ordonnance que l’arrêté du ventôse an XI était en pleine vigueur en France, puisqu’il a fallu rapporter les dispositions, et qu’on devait continuer de les exécuter jusqu’au 1er janvier 1831. Mais enfin on en avait abrogé les dispositions, et l’on en a tiré la conséquence qu’il convenait de consulter la législature avant de rétablir même en partie les allocations auxquelles cet arrêté avait rapport. On avait d’ailleurs toute facilité pour le faire, puisqu’au moment de la nomination de M. de Cheverus au cardinalat, les chambres françaises étaient assemblées. Le crédit voté pour 1836 pouvait d’ailleurs être insuffisant, et les chambres se trouvant là, ce qu’il y avait de plus naturel à faire c’était de leur demander un supplément de crédit, et c’est ce qu’on a fait. Mais si l’on avait été à la fin de l’année, que les chambres n’eussent pas été réunies et que le crédit du culte catholique eût présenté un excédant disponible, qui vous dit que le ministre des cultes n’en aurait pas disposé sous sa responsabilité ? certainement il aurait été dans son droit, et apparemment il aurait agi ainsi si les circonstances avaient été telles que je viens de le supposer.

Déjà, pour le budget de 1836, et au commencement de l’année 1835, le gouvernement français avait demandé une augmentation de 10,000 francs, pour les deux cardinaux alors existant en France, qui se trouvaient en même temps être archevêques.

Cette augmentation de traitement de 10 mille francs à raison de la dignité de cardinal, la commission qui a été chargée de l’examen du budget l’a unanimement admise. Elle a été contestée devant la chambre française ; mais elle a été contestée non pas relativement au chiffre, mais par des motifs qui nous sont à nous complètement étrangers. Celui qui élevait cette contestation débutait par dire qu’il ne refusait pas l’augmentation de traitement aux deux archevêques, mais il ne voulait pas que ce fût à raison de la dignité de cardinal qu’on l’accordât. Pourquoi cela ? parce qu’il ne voulait pas qu’il y eût de cardinal. C’était là une attaque contre la liberté des cultes.

L’orateur remontait à la constitution civile du clergé, qui reconnaissait des évêques et pas de cardinaux. Il remontait à cette loi funeste qui a créé un schisme ; c’était là son catéchisme pour refuser un supplément de traitement à raison de la dignité de cardinal. Il faisait remarquer, en outre, que le code pénal défendait aux ecclésiastiques français de correspondre avec Rome autrement que par l’intermédiaire du ministre des cultes, et qu’il paraissait absurde d’appliquer cette disposition à un cardinal, d’où il concluait que le cardinalat était incompatible avec la loi française. Tous ces motifs sont manifestement étrangers à notre état politique, tel qu’il résulte de notre constitution.

Il est évident pour moi, messieurs, que l’église belgique, que les catholiques de la Belgique, ont autant d’intérêt que les catholiques des autres pays de la chrétienté à être représentés dans le sacré collège. Car c’est ici une question de culte. C’est d’un intérêt des catholiques de la Belgique qu’il s’agit, non d’un intérêt politique, mais d’un intérêt religieux. Cet intérêt, on n’a pas le droit de nous le contester. Je le répète, il s’agit d’un intérêt religieux et nullement d’un intérêt politique. Une fois cet intérêt reconnu, convient-il d’accorder le traitement demandé, y a –t-il justice à le refuser ? Voilà toute la question.

Quant au droit, sans doute la législature a droit de refuser ; le gouvernement était dans son droit en portant l’arrêté qu’il a pris ; cet arrêté était dans les limites du budget de 1838, il doit recevoir son exécution pendant cet exercice ; mais si vous refusiez le crédit pour 1839, cet arrêté ne recevrait plus son exécution ; la chambre serait dans son droit en refusant le crédit, mais elle ferait selon moi une chose manifestement injuste, outre qu’elle ne serait pas du tout convenable.

Quant à l’autre disposition, celle relative aux frais d’installation, je m’étonne qu’un orateur dans la séance d’hier ait allégué, à propos de l’arrêté du gouvernement qui a accordé les 45,000 francs de frais d’installation, l’article de la constitution qui dit qu’on ne peut accorder de gratification qu’en vertu d’une loi. C’est donc à dire qu’un arrêté qui règle une indemnité serait un arrêté qui accorde une gratification ? Il existe une foule de dispositions qui règlent des indemnités, et jamais on n’a prétendu que ces dispositions fussent contraires à la constitution. Et pour le rappeler ici, l’arrêté dont j’ai parlé, celui du 29 mars 1834, ne fixe pas seulement des traitements, mas aussi des indemnités. Il n’est venu à l’idée de personne de prétendre que ces indemnités fussent des gratifications et que les arrêtés qui les accorderaient fussent inconstitutionnels.

Par là aurait-on voulu insinuer que les 45,000 francs dont il s’agit sont un profit pour celui qui les reçoit, que la somme n’est pas dépensée ? Si c’est cela, on aurait dû le dire, car sur ce point il suffit de se reporter aux rapports faits à la tribune française. Là, la commission a eu à s’enquérir de la hauteur de ces frais, ce que n’a pas eu à faire votre section centrale, parce qu’à vrai dire, il ne s’en agissait pas pour le budget de 1839, la dépense s’appliquant à l’exercice 1838.

Voilà, comme s’en est exprimé M. Jay dont on a parlé tout à l’heure dans un rapport fait le 23 mars 1836 :

« Ce qui n’a pas semblé indifférent à votre commission, c’était de connaître la destination spéciale des fonds alloués. Ici les informations sont précises : c’est le cardinal nouvellement élu qui dispose de ces fonds pour solder certaines dépenses, toutes relatives à son installation : frais de chancellerie, frais de missions diplomatiques, de voyage, de séjour, de présents et d’aumônes. Nous nous sommes assurés que l’allocation suffisait à peine pour couvrir ces dépenses ; elles sont communes aux cardinaux de toutes les nations. »

Voici maintenant ce que disait le comte Tascher, le 21 avril suivant, à la chambre des pairs :

« En ce qui touche l’emploi de ces 45,000 francs, la commission en épargnera les détails à la chambre, en se bornant à lui dire que cette somme suffit à peine pour couvrir les dépenses d’autant plus indispensables, qu’elles sont fixées par des usages sur lesquels aucun contrôle ne saurait être exercé, et qu’elles sont d’ailleurs les mêmes pour toutes les nations qui, comme la France, comprennent l’intérêt d’être représentées au conclave. »

Ainsi, vous le voyez, messieurs, ce n’est pas là une gratification, c’est la restitution d’une dépense réelle, une indemnité, et l’on a véritablement abusé des termes lorsqu’on a invoqué dans l’espèce l’article de la constitution relatif aux gratifications. D’ailleurs l’arrêté du gouvernement est là ; il n’accorde pas de « gratification », mais des frais d’installation, des « frais ».

Mais le même orateur a prétendu que cette somme ne pouvait pas être prélevée sur le budget de 1838, non plus que l’augmentation de traitement pendant le reste de l’année, parce que ces dépenses n’ont pas été prévues dans les développements du budget. Messieurs, il me semble qu’on soulève là une question tout à fait nouvelle ; car, sur une question relative à l’exécution et à l’application d’une loi, il s’agit de voir avant tout la loi. Si la loi présentait du doute, je conviens qu’on pourrait chercher la solution de ce doute dans les motifs, dans les développements du budget. Mais si l’application de la loi ne présente pas de doute, si le sens est clair, il est inutile de recourir aux motifs ; mais on doit se déterminer d’après les termes de la loi.

Or la loi porte : « Culte catholique, tant ». Il s’agissait donc uniquement de savoir si la dépense imputée sur cet article concernait le culte catholique. Du moins c’est toujours ainsi que je l’ai entendu prétendre jusqu’à présent. Si on veut établir une autre théorie, c’est un projet de loi qu’il faut présenter pour la faire appliquer. L’honorable membre auquel je répond, a invoqué la nécessité des lois pour éviter l’arbitraire, je lui dirai : Si vous voulez substituer votre théorie aux règles actuellement suivies, présentez un projet de loi ; s’il est admis, vous changerez, pour l’avenir, ce qui se pratique maintenant, mais tant que cette loi ne sera pas passée, nous devons suivre les dispositions en vigueur. Or, la chambre a voté un crédit global pour le culte catholique, et la dépense à imputer concernait ce culte ; dès lors, l’imputation est régulière. Voici ce qui n’avait pas présenté de doute jusqu’à présent.

Je pourrais citer un grand nombre d’exemples. Je rappellerai celui dont la chambre a conservé le meilleur souvenir, dont il a été question dans une séance précédente. Vous votez un crédit global pour les universités, on vous donne des détails à l’appui du crédit demandé ; ces détails sont-ils considérés comme ayant force de loi ? En aucune manière.

Je vous ai fait remarquer dans une séance précédente que, dans les développements du budget de 1836, on avait calculé à 90,000 francs les dépenses du matériel des universités pour l’exercice 1836, et que dans ces mêmes développements on avait établi ainsi le chiffres des dépenses du personnel. Il y eut un excédant sur les dépenses du personnel. Cet excédant fut appliqué aux dépenses du matériel, et il fut dépensé à ce dernier titre plus de 100,000 francs au lieu de 90,000 francs.

Pour l’exercice de 1837, on a indiqué également dans les développements du budget : « Matériel, 90,000 francs ; personnel, 409 mille francs. » Cette dernière somme a encore excédé les besoins, on a encore disposé de l’excédant pour les dépenses du matériel ; au lieu de dépenser à ce dernier titre 90,000 francs, on a dépensé environ 129,000 francs.

La cour des comptes n’a pas trouvé là de difficulté, parce qu’il n’y avait pas dans la loi de distinction entre le personnel et le matériel, parce que cette distinction ne se trouvait que dans les détails fournis pour justifier la loi. Dans la loi vous avez alloué cinq cent et des mille francs pour les universités. Dès que la dépense concerne les universités, il est dans les limites du chiffre, il faut bien que l’imputation soit admise. Seulement, si le ministre dépensait d’une manière qui contrariât la volonté de la chambre, il engagerait sa responsabilité morale. Mais la dépense ne serait pas moins nécessaire et régulière.

Voilà du moins comment je comprends les dispositions en vigueur ; le sens peut en être plus facilement saisi lorsqu’on les compare à elle qui existaient précédemment. Cette spécialité, qui résulte des différents crédits fixés dans la loi même, et l’obligation de se renfermer dans la limite de chacun des chiffres de ces articles, est encore une conquête de la révolution ; car l’ancienne loi fondamentale contenait une disposition bien plus large. Elle portait :

« Art. 127. Les dépenses de chaque département d’administration générale sont l’objet d’un chapitre séparé du budget.

« Les fonds alloués pour un département doivent être exclusivement employés pour des dépenses qui lui appartiennent, de sorte qu’aucune somme ne peut être transférée d’un chapitre d’administration générale à un autre sans le concours des états généraux. »

De cette disposition il résultait que quelque distinction, quelque détail qu’on fît insérer dans la loi même du budget, toute dépense quelconque, pourvu qu’elle se rattachât à un département d’administration générale, devait être imputée sur le budget de ce département qui était considéré comme ne formant qu’un seul article ; et ainsi le gouvernement à qui il était alloué par exemple 8 millions pour le budget de l’intérieur, dépensait cette somme comme il le voulait, pourvu que la dépense eût trait à l’intérieur. Si on indiquait dans la loi un article de 20,000 francs et un autre de 10,000 francs, le gouvernement pouvait dépenser 2,000 francs seulement sur le premier et 20 ou 30 mille francs sur le second, et ainsi de suite.

Voilà les abus auxquels on a voulu mettre un terme par la disposition insérée dans la constitution, et avant cela dans la loi organique de la cour des comptes. On a établi une « spécialité par article. » Il a été interdit de dépasser aucun article de dépense, on a défendu le transfert d’un article à un autre (mais toujours « article de la loi » ; il ne s’agit pas des développements. ). Or, la dépense des universités forme un seul article de la loi du budget. Sous ce rapport (je ne parle pas, je le répète, de la responsabilité morale), la régularité de la dépense et l’imputation ne peuvent être contestées. Il importe peu que le ministre se soit écarté des développements du budget dès qu’il est resté dans les limites du budget lui-même et que les dépenses sont conformes à l’énoncé de l’article de la loi.

J’ai déjà dit que c’est ainsi que cela s’est passé jusqu’à présent. Je puis ajouter que même, quelquefois on a été beaucoup plus loin, plus loin surtout que je n’aurais voulu. S’il y a quelque chose à dire, ce n’est pas que la cour des comptes se serait montrée trop difficile. Ainsi vous votez tous les ans un crédit pour la dépense des employés de l’administration centrale de chaque département. Si j’en dois croire les explications données à l’appui du budget des finances, jusqu’ici, jusqu’à l’année 1838, au moins exclusivement, lorsque le crédit pour la dépense des employés s’est trouvé insuffisant, on a imputé l’excédant sur les dépenses imprévues à titre de « frais d’employés extraordinaires » ; de manière que la dépense des employés qui était une dépense prévue au budget était imputée sur les « dépenses imprévues ». A cela la cour des comptes n’a pas vu de difficultés ; moi, je le déclare, j’y vois beaucoup de difficulté.

C’est ainsi encore qu’il y a trois ou quatre ans, lorsque, dans la discussion du budget de la guerre, une certaine dépense proposée par le ministre pour les officiers supérieurs a été combattue et formellement rejetée par la chambre, le ministre de la guerre a fait une partie de la dépense, et il l’a imputée sur le chapitre des dépenses imprévues. A cela encore la cour des comptes n’a pas trouvé de difficultés, cependant, c’était là un crédit rejeté, ce n’était pas une dépense imprévue puisqu’elle avait été prévue et portée au projet de budget ; cette dépense était contraire à la décision de la chambre qui l’avait rejetée. Et dès lors il paraît bien difficile d’en justifier l’imputation.

Si donc ce qu’a dit hier un orateur était exact, j’aurais lieu de m’étonner du puritanisme actuel de la cour des comptes par suite duquel elle irait aujourd’hui plus loin que la disposition de la loi, alors que pour d’autres articles dont il a déjà été question dans cette enceinte, et du moment qu’il s’agit d’autres parties du budget, elle est, comme je l’ai démontré, beaucoup trop facile.

Je bornerai là mes observations.

Je voterai contre l’un et l’autre amendement.

Plusieurs membres – La clôture !

M. Verhaegen – Je demande la parole contre la clôture.

Dans la séance d’hier j’ai eu l’honneur de déposer deux amendements. J’ai appuyé ces amendements sur des considérations nombreuses aujourd’hui renfermées dans le Moniteur. Ceux qui ne partagent pas mon opinion ont eu tout le temps d’examiner les arguments sur lesquels j’ai basé ma thèse et de préparer une réponse. Cette réponse vous venez de l’entendre avec tous ses développements. Eh bien, je trouve dans la réponse de ceux qui ne partagent pas mon avis des arguments pour les combattre. Il serait assez commode, lorsqu’on sait qu’aux arguments qu’on a présentés il y a une réponse péremptoire de faire refuser la parole à celui qui vient la demander. Il n’y a pas de meilleure manière d’avoir raison que de condamner ses adversaires au mutisme. Mais je me demande s’il est de la dignité de la chambre (j’en appelle sur ce point au pays tout entier) de refuser au membre qui a formulé des amendements la faculté de répondre aux discours qu’on a eu tout le temps de préparer.

Quoi qu’il en soit, si on veut me refuser la parole, je demanderai néanmoins à m’expliquer sur un fait personnel. Je ne puis croire que dans une question aussi grave et dans une circonstance qui mérité toute votre attention, la chambre veuille étouffer la discussion. Les majorités peuvent se faire et se défaire, mais la vérité reste. C’est la vérité que j’invoque : lorsque je demande la parole pour répondre à un discours qu’on a eu le temps de préparer, il y aurait déni de justice à me la refuser. (Applaudissements dans les tribunes).

M. F. de Mérode – Je demande la parole.

M. le président – Si les moindres manifestations de ce genre se renouvellent, je déclarerai la séance suspendue.

La parole est à M. Félix de Mérode.

M. F. de Mérode – Rien que ces manifestations prouveraient que la cause que l’on défend est contraire à l’intérêt du pays et qu’elle ne repose sur aucune base raisonnable. Jamais une cause raisonnable n’a été défendue par des applaudissements. Jamais je n’ai été applaudi dans cette enceinte, et je me crois cependant aussi bon citoyen que qui que ce soit.

M. Verhaegen – Je demande la parole pour un fait personnel.

M. le président – M. Verhaegen a la parole pour un fait personnel, je l’engage à se renfermer dans le fait personnel.

M. Verhaegen – Je resterai dans le fait personnel ; mais si la chambre le permet, je répondrai à deux faits personnels.

Le premier fait personnel résulte des paroles de M. Dubus aîné. M. Dubus aîné m’a reproche d’avoir travesti sa pensée, d’avoir changé son discours.

M. Dubus (aîné) – C’est hier.

M. Verhaegen – Oui, monsieur.

J’ai dit que ceux qui ne partagent pas mon opinion avaient énoncé des principes contraires à ceux qu’on veut faire prévaloir aujourd’hui. J’ai dit que M. Dubus aîné avait soutenu, quant à l’allocation pour la cour des comptes, que les traitements devaient résulter de la loi, qu’il soutenait qu’il n’y avait pas d’exception à ce principe. Comme M. Dubus aîné a eu l’air de me donné un démenti sur ce point, je citerai ses paroles d’après le Moniteur :

« M. Dubus (aîné) – Je viens appuyer les observations de l’honorable préopinant. La chambre se montrera conséquente en écartant la proposition de M. le ministre des finances. Par le budget nous devons assurer les services établis, payer les traitements fixés par loi. Il a toujours été admis qu’on se bornait, dans le budget, à appliquer les lois existantes et qu’on ne les révisait pas. »

Si on me permet de répondre sur ce point, je démontrerai ultérieurement que l’opinion de M. Dubus, d’avant-hier, a été la nôtre aujourd’hui. Voilà pour le premier fait personnel.

Le second fait personnel résulte du discours de M. le comte de Mérode. Je ne sais ce qui a pu le déterminer à m’imputer de défendre une cause contraire aux intérêts du pays. Il est vrai que je ne prends pas mes inspirations près de l’honorable membre ; je les prends dans ma conscience. Je tiens mon mandat de la nation ; c’est à elle que j’en appelle, et c’est elle seule que je prends pour juge de mes opinions.

Il ne peut y avoir de privilège ici. Je demande à parler ; et si on m’accorde la parole, je démontrerai l’illégalité du chiffre et son inconvenance en rapport avec d’autres chiffres.

Hier, en remplissant le devoir que ma conscience m’imposait, j’ai écrit mon discours parce qu’il arrive, dans les improvisations, qu’on va quelquefois plus loin qu’on ne voudrait. Je vous le demande, ai-je dépassé les bornes parlementaires ?

M. Dechamps – Je demande la parole pour prendre part à la discussion ; et vous conviendrez que, comme rapporteur de la section centrale, j’avais un intérêt spécial qui devait m’y déterminer. Quand j’ai demandé la parole sur la clôture, mon intention était de réclamer la continuation de la discussion ; si quelque chose pouvait changer mon opinion, ce seraient les applaudissements déplacés que vous venez d’étendre. Nous autres aussi nous ne demandons qu’une chose, c’et que la vérité se fasse jour, car je crois que nous sommes dans la vérité ; et je serais curieux de voir comment on répondra aux arguments qu’a fait valoir M. Dubus aîné. Je ne m’oppose pas à la continuation de la discussion. Il est souvent facile de soulever des applaudissements ; d’ordinaire quelques éclats de voix, quelques efforts de poumons suffisent pour les obtenir.

M. Verhaegen – Je demande encore la parole pour un fait personnel. Je n’ai jamais attaqué personne dans cette enceinte ; il me semble que le préopinant aurait pu m’attaquer autrement, si tant est qu’il veuille m’attaquer. En toute circonstance je pourrai répondre à des attaques personnelles.

M. Devaux – Quand toutes les opinions se sont fait entendre de toutes parts, je conçois alors que l’on demande la clôture, mais dans cette circonstance il est plus d’une opinion qui ne s’est pas fait connaître. La mienne est dans ce cas. Je ne puis admettre nui l’une ni l’autre des opinions qui se sont manifestées. Si vous ne permettez pas à plusieurs d’entre nous de motiver leurs opinions, vous nous contraindrez à nous abstenir de voter.

M. A. Rodenbach – Messieurs, si vous fermez la discussion, on croira que l’on n’a que de faibles arguments à opposer à M. Verhaegen ; je désirerais voir cependant comment cet honorable membre répondra au député de Tournay.

- La clôture est mise aux voix ; personne ne se lève pour son adoption. La discussion continue.

(M. Heptia dépose en ce moment sur le bureau de la chambre le rapport sur le projet de loi concernant les céréales. L’impression en est ordonnée.)

M. Vandenbossche – Il me semble que la discussion dénature entièrement la question qui nous occupe. Nous avons entendu un orateur prétendre que tous les traitements compris dans le budget devaient être préalablement déterminés par une loi spéciale ; je ne suis nullement de cet avis. L’article 102 de la constitution dit : « Les traitements des membres de l’ordre judiciaires sont fixés par la loi. » Ce sont donc là les seuls traitements dont la constitution exige la fixation par une loi ; aussi tous les autres sont à mes yeux de simples articles du budget.

M. le ministre de l'intérieur prétend, par un arrêté, pouvoir fixer le traitement des ministres du culte ; je ne partage pas son opinion ; j’approuve l’arrêté qui a pris, tout en lui refusant des effets au-delà de 1838. Pour fixer un traitement et lier la législature, il faut une loi ; jusque-là les traitements ne sont qu’annuels. Je désirerais beaucoup que le ministre voulût nous présenter une loi sur les traitements des membres du clergé ; car s’il se croit maintenant autorisé à augmenter ces traitements, il pourrait, dans la suite, se croire autorisé à les diminuer.

Je ne suis pas du nombre de ceux qui croient que le clergé catholique est trop payé ; je pense au contraire que la généralité de ce clergé ne l’est pas assez, surtout les curés et les vicaires.

Quant à la somme de 30,000 francs, je ne la trouve pas trop élevée. Dans l’état ecclésiastique, comme dans tous les états, les places doivent être rétribuées d’après leur importance ; et puisqu’un archevêque jouit d’un traitement de 21,000 francs, un cardinal, dont la dignité est plus élevé, doit voir aussi un traitement plus élevé.

Ceux qui pensent que le clergé est trop payé, voudraient-ils le réduire à la situation où se trouvaient les premiers apôtres ? voudraient-ils le réduire à la considération dont ils jouissaient près de leurs ennemis, c’est-à-dire les exposer aux outrages ?

Que le ministre nous demande la ratification de son arrêté du 30 août, nous ne la refuserons pas ; mais jusque-là je pense que la cour des comptes fera ben de lui refuser l’homologation de paiement pour 1838.

Je vote l’allocation demandée pour 1839.

M. Devaux – Dans les très courtes observations que je présenterai, je tâcherai d’être digne et calme, car ces deux points me semblent indispensables dans les débats parlementaires. La question du traitement est ce qui me touche faiblement. Je ne trouve pas que le clergé soit suffisamment rétribué en Belgique ; et je ne trouve pas que le chiffre indiqué pour le cardinal porte le cachet de l’exagération. Trois ou quatre mille francs de plus ou de moins sont d’un mince intérêt ; je ne sas pas s’il aurait fallu deux ou trois mille francs de plus ou de moins ; cette question me paraît très peu importante.

Sous le rapport de la régularité, je considère l’arrêté du gouvernement comme n’ayant qu’un effet provisoire ; il aura un effet définitif si la chambre adopte le chambre, ce sera le contraire si la chambre adopte les amendements de M. Verhaegen.

La seule question qui me touche, c’est celle qui a été soulevée par quelques sections, c’est le rapprochement entre le traitement du cardinal et celui des premiers fonctionnaires de l’autorité temporelle, celui des ministres ; un fonctionnaire ecclésiastique aura un traitement de 30,000 francs, tandis que les premiers fonctionnaires responsables, de l’ordre civil, n’auront qu’un traitement des deux tiers de cette somme : ce serait là consacrer en quelque sorte une certaine suprématie du pouvoir ecclésiastique sur le pouvoir civil. Je désire maintenir au clergé toute sa liberté, je désire maintenir complètement la séparation que nous avons, au congrès, si soigneusement établie entre ces deux pouvoirs ; mais enfin le principe de la suprématie du pouvoir spirituel sur le pouvoir temporel n’est pas le mien. Je sais bien qu’on me répondra qu’en vertu d’un décret impérial, l’arrêté de messidor an XII, les cardinaux avaient la préséance sur les ministres, mais, messieurs, sous l’empire, les ministres n’étaient pas les premiers fonctionnaires du pouvoir civil ; les premiers fonctionnaires du pouvoir civil étaient le cinq grands dignitaires de l’empire, et ceux-là avaient la préséance sur les cardinaux ; vous savez, du reste, que sous l’empire comme encore aujourd’hui, en France, le traitement des cardinaux était inférieur à celui des ministres.

Ces considérations me font regretter, messieurs, que l’opinion dont je parle n’ait pas pu être formulée ; j’aurais volontiers proposé à la chambre de porter le traitement des ministres au même taux que celui du cardinal, d’autant plus que celui-ci habite une petite ville et qu’il est voué au célibat, tandis que les ministres sont obligés d’habiter, avec leur famille, dans la capitale, au milieu des plus grandes fortunes du pays ; mais la situation où se trouve momentanément la Belgique, les considérations d’économie qui dominent naturellement la chambre, me mettent dans l’impossibilité de faire une semblable proposition.

D’un autre côté, je dois dire qu’il y aurait peu de dignité à n’allouer qu’un traitement provisoire en attendant que celui des ministres puisse être élevé. Je désire que la législature, dans ses rapports avec le clergé, observe toutes les convenances : que jamais il ne se passe rien dans cette enceinte qui puisse, même de loin, ressembler à un scandale, quand ce ne serait qu’aux yeux d’une partie de la nation.

Si donc, messieurs, dans cette double difficulté, je vote pour le chiffre ministériel, ce ne sera pas sans réserves pour l’avenir ; en vertu des principes de modération, de tolérance, de liberté, sanctionnés par la constitution, et que je tiens à l’honneur d’avoir professé depuis 15 ans dans ma carrière d’écrivain politique comme dans celle de député, je me croirai obligé, aussitôt que notre situation le permettra, de contribuer de tous mes moyens à relever les ministres du Roi dans de cette position subalterne que je ne puis consacrer par mon vote que temporairement, et en présence de la force majeure des événements qui dominent notre situation financière.

(Lettre insérée au Moniteur belge du 22 décembre 1838 :

« Au directeur du Moniteur belge,

« Bruxelles, le 21 décembre 1838.

« Monsieur,

« Dans le compte-rendu de la séance d’hier, le Moniteur m’a prêté des paroles que je n’ai pas prononcées ; quelques-unes même ressemblent à une parodie. Je n’ai pas dit, par exemple, que « je tâcherais d’être digne » ; je n’ai pas avancé non plus que le clergé n’est pas suffisamment rétribué, mais que le chiffre des traitements actuels du clergé ne me paraît pas excessif.

« Je vous prie de donner place à ma réclamation dans votre prochain numéro et de recevoir l’assurance de ma parfaite considération.

« Paul Devaux. »)

M. Dechamps, rapporteur – Je regrette sincèrement, messieurs, que dans un moment où nous avons tant besoin d‘union, où tous nos efforts réunis ne sont pas de trop pour faire face aux dangers de plus d’une espèce qui nous menacent, dans un moment où toutes ces misérables querelles de parti devraient au moins consentir à une trêve, je regrette sincèrement qu’une telle question ait dû être soulevée ; mais il n’a dépendu de personne qu’elle le fût. Un archevêque belge est élevé aux fonctions du cardinalat, à la satisfaction unanime de tous les catholiques qui, vous le savez, messieurs, forment les cinq sixièmes de la nation ; cette nomination est un fait accompli ; veut-on que l’association catholique belge aille demander à la cour de Rome de révoquer cette nomination ? veut-on, par des moyens détournés, en refusant les moyens nécessaires pour que le cardinal puisse accepter ses fonctions, rendre sa promotion sans effet ? Je le répète, messieurs, la nomination du cardinal est un fait accompli, il faut l’accepter comme point de départ, et je ne conçois pas le sens des paroles prononcées hier par l’auteur des amendements lorsqu’il dit que dans cette discussion il se tenait sur le terrain de la défensive, qu’il n’avait pas voulu soulever le premier une question irritante. Il me paraît, messieurs, que ce sont bien ceux qui défendent le chiffre alloué aux budgets précédents pour le culte catholique, qui ne demandent pas autre chose que cela ; il me paraît, dis-je, que ce sont bien ceux-là qui se trouvent sur le terrain de la défensive, et non pas ceux qui proposent de réduire un chiffre qui a été voté tous les ans.

Comme l’a rappelé l’honorable M. Dubus, une pareille disposition a eu lieu déjà deux fois depuis quelques années dans les chambres françaises ; et il faut bien le dire, messieurs, malgré la défiance que le clergé français entretient encore, parce qu’il ne s’est pas, jusqu’ici rallié assez franchement à l’ordre de choses existant, malgré cette circonstance, qui bien certainement ne se présente pas dans notre pays, les propositions faites par le gouvernement français ont rencontré une opposition bien plus faible que celle que rencontre dans cette assemblée la proposition qui nous occupe.

Lors de la présentation du budget de 1835, le gouvernement français proposa, et la commission adopta à l’unanimité, une augmentation de 20,000 francs pour supplément de traitement à deux cardinaux. La deuxième fois que la question se présenta, ce fut en 1836, lors de la nomination de M. de Cheverus au cardinalat ; eh bien, messieurs, si je ne me trompe, un seul opposant prit part à la discussion, et la plupart des arguments qu’avança M. Isambert, furent accueillis par la chambre avec des sentiment presqu’unanimes de désapprobation, tandis que les honorables messieurs Chambre. Dupin et Jay, rapporteur, qui défendaient le projet, furent accueillis par des marques non équivoques d’assentiment. Aussi, messieurs, la question qui nous occupe en ce moment a été décidée en France, à la majorité de 218 voix contre 30, par la chambre des députés, et à l’unanimité, je crois, par la chambre des pairs. Cependant, veuillez bien le remarquez, messieurs, il s’agissait là d’une majoration assez considérable à apporter au budget, tandis qu’ici on ne demande que le chambre qui a été alloué les années précédentes.

Messieurs, deux questions sont soulevées : d’abord celle qui est relative à la somme de 45,000 francs pour frais d’installation, que l’on compte prélever sur les fonds disponibles du budget de 1838. La section centrale n’a pas été appelée à se prononcer sur cette question qui concerne l’exercice passé ; mais dans mon opinion personnelle, je ne comprends pas que cela puisse faire le moindre doute : un chiffre global pour le culte catholique a été admis par les chambres ; les développements du budget, les économies de détail, ne se trouvent ajoutés au budget que pour éclairer la chambre sur l’emploi présumé et approximatif de ce chiffre global, qui seul lie le gouvernement, comme l’a très bien démontré l’honorable M. Dubus, et comme le démontrent d’ailleurs tous les antécédents de la chambre. En effet, messieurs, on n’a jamais admis dans la pratique que l’on pût considérer comme des transferts les changements introduits dans les détails d’une allocation portée en un seul article au budget ; ce système a été appliqué, par exemple, à l’égard des universités. Je vous ai fait remarquer, comme rapporteur de la section centrale, que le gouvernement avait prélevé au budget de 1837 une somme de 28,000 francs sur le personnel des universités, et l’avait appliquée au matériel. C’est là un usage reçu, on ne s’y est jamais opposé, et je ne vois pas pourquoi l’on s’y opposerait, à propos de la discussion qui nous occupe.

Messieurs, dans la répartition de la somme allouée à un article du budget, il me paraît que la gouvernement doit avoir pour règle le plus grand intérêt de ceux que la chose concerne. Or, je vous le demande, messieurs, est-il dans l’intérêt du culte catholique que la nomination d’un cardinal ait lieu ? L’honorable M. Verhaegen, dans la séance précédente, a voulu « prendre en main » (c’est ainsi qu’il s’est exprimé) la défense des faibles contre les forts ; et par les faibles, il a, je pense, entendu le clergé paroissial. Eh bien, demandez au clergé paroissial s’il est satisfait des amendements que l’honorable M. Verhaegen a proposés. Je pense que la réponse n’est pas douteuse ; je pense que le clergé paroissial considère, comme étant fait dans son intérêt, la répartition de la somme telle que le ministre l’a réalisée.

Je vous le demande, messieurs, le ministre, en allouant 45,000 francs pour frais d’installation, qu’entraînait la promotion de l’archevêque au cardinalat, M. le ministre a-t-il favorisé les intérêts catholiques ? car la question est là toute entière ; le chiffre porté au budget a été alloué en faveur du culte catholique. Or, le chiffre a-t-il été dépassé d’abord, et puis a-t-il été réparti d’une manière convenable et dans les intérêts du culte catholique ? Voilà toute la question.

Eh bien messieurs, il n’y a pas l’ombre d’un doute à cet égard, et je pense que si l’on pouvait faire un appel à tous ceux que la chose concerne, leur réponse ne se ferait pas attendre.

Messieurs, je viens maintenant à la seconde question, à celle qui est particulièrement soumise à notre délibération, je veux parler du supplément de 9,000 francs, que le gouvernement a accordé au cardinal-archevêque.

Je le répète, et veuillez le remarquer, messieurs, l’on ne vous propose de voter un chiffre égal à celui qui a été admis pour le culte catholique les années précédentes. Mais admirez la logique dont on fait usage dans cette discussion. Les années précédentes aucune réclamation ne s’est élevée contre le chiffre qu’on n’a pas trouvé exagéré. Cette année, un cardinal est nommé parmi les membres de l’épiscopat belge ; de nouvelles dépenses sont donc rendues nécessaires. Eh bien, messieurs, pour faire face à ces nouvelles dépenses, que fait-on on vous propose une réduction de 54,000 francs.

Je vous le demande, est-ce là raisonner logiquement ? Si le chiffre alloué l’année dernière ‘na pas été exagéré, à plus forte raison ne doit-il pas être considéré comme étant exagéré cette année-ci.

Ce n’est pas, et veuillez le remarquer, messieurs, ce n’est pas précisément au même poids que la majorité de l’assemblée a pesé les besoins des autres cultes. Vous le savez, messieurs, nous avons admis depuis plusieurs années des majorations successives pour le culte réformé. Nous avons fait plus : nous avons admis au partage du budget deux cultes qui jusqu’alors n’y étaient pas entrés ; il y a deux ou trois ans nous avons alloué des crédits nouveaux pour le culte anglican et le culte israélite. Vous vous rappelez, messieurs, que cette allocation a été accueillie avec faveur par les journaux anglais et les journaux allemands. On ne s’est pas fait faute alors de louer la tolérance de la majorité des chambres belges ; je ne sais, messieurs, si l’on pourra appliquer la même qualification à ceux qui maintenant, bien loin d’augmenter le chiffre du budget pour les besoins du culte catholique, tendant au contraire à le réduire.

Le principal argument avec lequel on a combattu le supplément de traitement consiste à regarder l’arrêté royal qui a fixé ce traitement comme illégal. Pour attaquer la légalité de l’arrêté, il aurait fallu prouver que tous les traitements doivent être fixés par la loi, et ne peuvent jamais l’être par des arrêtés. L’honorable M. Verhaegen l’a vainement essayé, selon moi, et tous ses raisonnements sont venus se briser contre ce fait :qu’il existe une foule de traitements qui sont fixés par des arrêtes.

L’honorable préopinant ne sortira jamais de ce cercle : si l’arrêté royal du 20 août dernier est illégal, parce que les traitements ne peuvent être fixés que par une loi, tous les arrêtés qui fixent les traitements des militaires, les traitements d’une foule de fonctionnaires, les traitements des ecclésiastiques (arrêtés parmi lesquels il en est plusieurs qui n’ont pas été insérés au Bulletin des lois), tous ces arrêtés, dis-je, sont illégaux au même titre. Et je vous rappellerai spécialement, messieurs, l’arrêté dont il est fait mention dans le rapport de la section centrale, et sur lequel je vous prie de fixer toute votre attention.

L’arrêté qui a déterminé la réduction à opérer sur les traitements de l’archevêque et des évêques de la Belgique est un arrêté du régent. Or, si l’arrêté royal du 20 août est illégal, celui du régent l’est aussi au même titre, au même degré.

Messieurs, il a été pris des arrêtés qui ont augmenté les traitements de plusieurs pasteurs protestants ; or, personne ne s’est élevé contre ces arrêtés.

Je ne conçois donc pas comment l’honorable préopinant, d’après les principes qu’il a émis hier, n’a pas depuis longtemps, demandé l’augmentation des traitements de l’archevêque et des évêques, puisque la diminution de leurs traitements a été illégalement opérée par un arrêté du régent. Je ne conçois pas, d’autre part, que le même honorable membre n’a pas demandé qu’on rapportât les arrêtés qui aurait illégalement aussi accordé une augmentation aux pasteurs protestants. Cela confirme-t-il bien, je le demande franchement, ce que l’honorable préopinant, auteur des amendements, a dit dans la séance d’hier : à savoir que dans cette question il faisait abstraction des personnes, et qu’il ne proposait ses amendements que pour remplir un devoir sacré ?

Messieurs, je vais tâcher de résumer cette question, et de la réduire à ses termes les plus simples.

La constitution alloue des traitements aux ministres des cultes. Tous les peuples de la chrétienté reconnaissent les fonctions du cardinalat comme un anneau de la hiérarchie ecclésiastique, telle qu’elle a été établie partout. Nous devons accepter comme ministres du culte ceux qu’il est d’usage dans les pays catholiques de comprendre sous cette dénomination. Or, un cardinal n’est-il pas considéré, en France, et partout ailleurs, comme faisant partie de la hiérarchie ecclésiastique ?

D’après la constitution, il me paraît donc qu’en principe un traitement est attaché aux fonctions de cardinal ; et ce traitement doit, selon l’usage et la justice, être proportionné au rang occupé par le titulaire.

On vous a objecté que le cardinalat constituait une fonction étrangère à la Belgique. C’est là une complète erreur. Pour preuve, je ne demande qu’une chose : c’est d’interroger les catholiques pour savoir s’ils regardent les fonctions d’un cardinal belge comme étrangères à leur intérêt belge. Or, comme il s’agit d’une dépense du culte catholique, c’est l’intérêt des catholiques qu’il faut consulter, et non pas des opinions individuelles.

Messieurs, le député français, M. Isambert, a posé la question avec netteté et franchise : il est convenu que les fonctions du cardinalat étaient très importantes, même pour la France, au point de vue de l’intérêt religieux ; il a parfaitement expliqué cette pensée, en déclarant que, selon lui, le danger existait dans les relations qui s’établiraient, par l’intermédiaire du cardinalat, entre le clergé français et la cour de Rome. M. Isambert a donc combattu la proposition du gouvernement français, parce qu’il regardait les fonctions du cardinalat comme trop importantes : « C’est le cardinalat que j’attaque, a-t-il dit, ce n’est pas le chiffre. » Il a même qualifié le supplément de 10,000 francs de chiffre « modeste (c’est son expression). Mais se faisant, comme l’a dit M. Dubus, l’écho des doctrines qui ont présidé à la constitution civile du clergé, il ne voulait pas de cardinal, parce qu’il voyait que la loi de 1790 ne permettait pas qu’il y en eût en France.

Eh bien, je crois que la question qui nous occupe est la même que celle qui a été posée à la chambre française par M. Isambert. Une loi de 1790 avait proscrit les fonctions du cardinalat en France ; M. Isambert n’en voulait pas non plus.

Eh bien, messieurs, en ne votant pas les sommes nécessaires pour que cette promotion puisse avoir lieu, c’est, par un moyen détourné, vouloir rendre impossible en Belgique les fonctions de cardinal. Je ne sais si l’honorable préopinant, auteur des amendements, a bien compris toutes la portée des propositions qu’il a faites. Aussi je le prie d’y réfléchir. En fait, il arriverait à la même conclusion que M. Isambert voulait faire adopter par la chambre française. Il serait impossible qu’il y eût un cardinal à la tête de la hiérarchie ecclésiastique. Et certainement ce serait là violer la liberté des cultes, ce serait rappeler l’époque de la constituante, époque de réaction antireligieuse.

Je bornerai là mes observations.

M. le président – La parole est à M. Verhaegen

Plusieurs voix – A demain ! à demain !

D’autres voix – Parlez ! parlez !

M. Verhaegen – J’ai à répondre à six orateurs ; si la chambre daigne m’écouter, je prendrai la parole…

Plusieurs voix – Oui ! oui ! parlez !

M. Verhaegen – Mais je ne garantis pas de finir avant une heure.

Un grand nombre de membres – A demain ! à demain !

M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Je proposerai alors de fixer la séance un peu plus tôt, car je serai obligé de me rendre au sénat pour la discussion du budget des affaires étrangères, et je serais forcé de faire défaut d’un côté ou de l’autre si la chambre fixait sa séance à deux heures. Je demande qu’on veuille bien en avancer l’ouverture.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar) – Je désire que le budget de la guerre soit mis à l’ordre du jour après le budget de l’intérieur.

- Cette proposition est adoptée.

La séance est levée à 4 heures ¾.