(Moniteur belge du 6 décembre 1838, n°341)
(Président de M. Raikem)
M. de Renesse fait l’appel nominal à 2 heures.
M B. Dubus donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est adoptée.
M. de Renesse présente l’analyse des pièces adressées à la chambre :
« La douairière Dermarmol, de St-Marc, demande que la chambre prenne une disposition qui assure aux propriétaires de mines de fer le droit de pouvoir légitimer leurs exploitations par les moyens légaux. »
« Le sieur Gérard Dôme, à Liége, ex-garde civique mobilisé, demande un secours et une pension pour infirmités, suites de blessures reçues aux services en 1832. »
- Ces pétitions sont renvoyées à la commission spéciale.
M. le colonel de Puydt étant obligé de s’absenter pour affaires de service, écrit pour demander un congé de quelques jours.
- Le congé est accordé.
M. Zoude, rapporteur de la commission des pétitions, monte à la tribune et entretient la chambre des mémoires que lui ont adressés les élèves de diverses universités relativement aux connaissances exigées pour le doctoral en droit. La commission croit devoir appuyer la demande de prorogation de l’ancienne législation, concernant ce point, faite par les élèves, et conclut au renvoi des mémoires au ministre de l’intérieur et des affaires étrangères.
M. de Brouckere – Je demanderai si Monsieur le ministre de l'intérieur ne pourrait pas nous dire à quelle époque il nous présentera un projet de loi sur l’organisation du jury ; la loi existante expire au premier janvier. Il faudrait être certain que le projet sera discuté à bref délai : les élèves des universités ne savent pas sur quelles matières ils seront examinés, et sont dans un grand embarras pour diriger leurs études.
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Je ne puis donner l’assurance que le projet sera présenté sous peu de jours.
M. Devaux – La matière étant grave, je demande l’impression du rapport et des pétitions. Je demande en outre que Monsieur le ministre de l'intérieur veuille bien nous communiquer le rapport annuel sur l’état des universités. Il serait à désirer que le rapport fût distribué avant la discussion du budget du département de l’intérieur, qui comprend l’instruction publique. Je pense que cela ne présentera pas de difficulté.
M. Gendebien – Messieurs, le projet de loi dont le ministre nous a promis incessamment la présentation est très important, comme l’a dit le préopinant ; mais il pourrait entraîner une longue discussion ou au moins un long examen. La demande des élèves des universités a un objet spécial, le règlement des matières sur lesquelles ils doivent subir les examens ; ils demande que la loi ancienne concernant cet objet soit prorogée pendant un an ou deux ; il me semble que le ministre pourrait présenter un projet en deux lignes qui serait l’objet d’une délibération de quelques minutes, pour répondre à leur demande. Si le ministre veut prendre l’initiative pour présenter un tel projet, qu’il veuille bien s’en expliquer ; s’il ne le veut pas, je ferai cette présentation. Il s’agit d’une loi transitoire en deux lignes.
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – J’examinerai s’il y a lieu à présenter un projet de loi spécial.
- Les conclusions de la commission des pétitions sont adoptées.
L’impression séparée du rapport fait par M. Zoude et des pétitions des élèves des universités, demandée par M. Devaux, est ordonnée.
M. le ministre des finances (M. d’Huart) monte à la tribune et présente à la chambre cinq projets de loi.
Le premier, relatif à l’entrée de la bonneterie et des tissus où la laine domine, est renvoyé à une commission que le bureau est chargée de nommer.
Le second est relatif à l’ouverture d’un crédit supplémentaire de 4,300 francs pour payer la transformation des cents en centimes, qui a été exécutée dans les années précédentes.
- Ce projet est renvoyé à la section centrale du budget des finances.
Le troisième, relatif à l’ouverture d’un crédit de 9,871 francs pour le paiement d’une pension, est renvoyée à la section centrale chargée de la dette publique.
Le quatrième, relatif à une formalité que les receveurs des contributions seront tenus de remplir sur la demande des propriétaires, pour constater les paiements faits par les fermiers et locataires, est renvoyé à la commission des finances.
Le cinquième est relatif à l’ouverture d’un crédit de 24,470 francs pour paiement de condamnations prononcées contre l’administration.
M. le ministre demande que ce denier projet soit aussi renvoyé à la commission des finances.
M. Lebeau – J’appuie le renvoi à la commission des finances, demandé par M. le ministre ; mais je prendrai la liberté, pour le cas où ce renvoi serait adopté, d’appeler l’attention spéciale de la commission sur le projet dont il s’agit.
Ce projet est de la plus grand urgence, et, si je ne me trompe, il nous aurait déjà été soumis depuis la dernière session, si la chambre ne s’était pas séparée, un peu brusquement et contre les prévisions de M. le ministre ; il s’agit de liquider une somme dont le paiement a été ordonné par les tribunaux, et vous comprendre, messieurs, qu’il convient d’opérer cette liquidation sans retard.
J’appelle donc toute l’attention de la chambre sur ce projet.
- Le renvoi à la commission des finances est mis aux voix et adopté.
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) monte à la tribune et dépose les projets suivants :
1° Un projet de loi relatif aux céréales ;
2° Un projet de loi tendant à modifier le droit de sortie sur les peaux de lapin :
3° Un projet de loi concernant une séparation de communes.
- La chambre ordonne l’impression et la distribution de ces divers projets, et les envoie, le premier aux sections, le deuxième à la commission d’industrie, et le troisième à une commission qui sera nommé par le bureau.
M. le président – Nous avons maintenant à l’ordre du jour le projet tendant à autoriser un transfert au budget des affaires étrangères. Voici la rédaction proposée par la commission :
« Art. unique. Une somme de 77,680 fr. sera prélevée sur les crédits restant disponibles des budgets de 1836 et 1837, savoir :
« Exercices de 1836, 11,815 fr. 74 sur l’article unique, chapitre IV (frais de voyage des agents du service extérieur) ;
« 38,000 fr. sur l’article unique, chapitre V (frais à rembourser aux agents du service extérieur)
« Exercice de 1837, 8,333 fr. 26 sur l’article unique, chapitre III (traitements des agents politiques en inactivité) ;
« 17,000 fr. sur l’article unique, chapitre IV (traitements de quelques agents commerciaux) ;
« 2,533, fr. sur l’article unique, chapitre VII (missions extraordinaires et dépenses imprévues).
« Cette somme sera répartie sur les chapitres suivants du budget de 1838, savoir :
« 12 680 fr. à l’article 2 du chapitre I – Matériel
« 65,000 fr. à l’article unique du chapitre VII – Missions extraordinaires et dépenses imprévues. »
M. le ministre des finances (M. d’Huart) – Je pense, messieurs, qu’il serait beaucoup plus méthodique pour la comptabilité générale de l’état d’ouvrir tout simplement un crédit de 77,680 francs sur l’exercice 1838, et de l’affecter aux dépenses qui, selon le projet, devraient être couvertes au moyen des transferts indiqués dans le rapport de la commission. En ce moment, messieurs, l’exercice 1836 est sur le point d’être clôturé, et ce serait amené la perturbation dans les écritures de la cour des comptes et de la trésorerie, que de les obliger à tenir note des mutations qu’on veut faire entre cet exercice et celui de 1838.
La chambre a plus d’une fois manifesté l’intention de ne plus voter de transferts qu’entre les crédits d’un même exercice et non pas d’un exercice à l’autre ; je crois aussi que cette manière de procéder est la plus régulière, et je proposerai en conséquence de substituer la rédaction suivante à celle qui vous est soumise par la commission :
« Art. unique. Il est ouvert au ministère des affaires étrangères, un crédit supplémentaire de 77,680 fr. à répartir sur les chapitres suivants du budget de ce département pour l’exercice 1838, savoir :
« 12 680 fr. à l’article 2 du chapitre I – Matériel
65,000 fr. à l’article unique du chapitre VII – Missions extraordinaires et dépenses imprévues. »
Le mérite principal du mode de transferts, c’est qu’on obtient par là la certitude que la somme transportée ne sera pas employée à une autre dépense qu’à celle à laquelle elle a été destinée par le transfert ; mais dans le cas présent vous avez par le fait cette certitude, puisqu’il n’y a plus de dépenses à faire pour l’exercice de 1836 ni pour celui de 1837, sur les articles qu’il s’agissait de réduire ; et, en outre, le gouvernement a pris implicitement l’engagement de ne pas dépenser les sommes en question, par cela même qu’il a proposé lui-même à la législature de leur donner une autre destination.
M. Mast de Vries, rapporteur – Je dois déclarer, messieurs, que la commission elle-même a exprimé l’opinion qu’il serait plus convenable que les choses se passassent de la manière que vient d’indiquer M. le ministre des finances.
- La modification proposée par M. le ministre des finances est mise aux voix et adoptée.
Le projet de loi est ensuite adopté par appel nominal à l’unanimité des 78 membres qui prennent part au vote ce sont :
MM. Angillis, Beerenbroeck, Bekaert-Baeckelandt, Berger, Brabant, Coppieters, Corneli, David, de Brouckere, Dechamps, de Florisone, de Foere, de Jaegher, de Langhe, de Longrée, de Man d’Attenrode, de Meer de Moorsel, F. de Mérode, Demonceau, de Muelenaere, de Nef, Dequesne, de Renesse, Desmaisières, Desmanet de Biesme, Desmet, de Terbecq, de Theux, Devaux, d’Hoffschmidt, d’Huart, Donny, Dubois, Dubus (aîné), B. Dubus, Dumortier, Eloy de Burdinne, Ernst, Fallon, Frison, Gendebien, Heptia, Hye-Hoys, Keppenne, Kervyn, Lebeau, Lecreps, Liedts, Maertens, Manilius, Mast de Vries, Mercier, Metz, Milcamps, Morel-Danheel, Nothomb, Peeters, Pirmez, Pirson, Pollénus, Raymaeckers, A Rodenbach, Scheyven, Seron, Simons, Smits, Stas de Volder, Troye, Ullens, Vandenbossche, Vandenhove, Vanderbelen, Verdussen, Vergauwen, Verhaegen, H. Vilain XIIII, Wallaert, Zoude et Raikem.
M. de Nef – Messieurs, si je me suis précédemment opposé à de nouveaux centimes additionnels, je ne puis plus le faire aujourd’hui qu’il s’agit de mettre par ce moyen le gouvernement à même de pourvoir à ce qu’exige la défense du pays et de ses plus chers intérêts.
Toutefois, je sens encore plus vivement, à cette occasion, le besoin de répéter combien j’aurais désiré un changement dans le système de la contribution personnelle ; n’est-il pas souverainement injuste, en effet, de voir soumis à une contribution personnelle plus forte un particulier chargé d’une nombreuse famille, qui, par suite, se trouve forcé d’occuper une habitation plus spacieuse et d’avoir un état domestique plus considérable, tandis que celui qui sera chargé d’une famille peu nombreuse ou le célibataire qui n’aura à pourvoir qu’à ses seuls besoins personnels, paiera une contribution infiniment moins élevée, parce qu’il aura naturellement pu se contenter d’une maison plus rétrécie ?
Jusque-là, l’hypothèse n’offre que de l’injustice, mais elle devient odieuse lorsqu’on suppose un homme riche ou ayant de forts appointements et qui, n’étant point chargé de famille, peut se contenter d’un quartier : un homme dans une telle position pourrait payer beaucoup sans se gêner, et c’est précisément celui-là qui ne paie rien ou du moins presque rien.
Le droit sur les foyers n’est pas moins injuste et donne lieu à un arbitraire réellement intolérable ; il en résulte souvent que, d’après le système actuel celui qui paie le plus est encore une fois celui que la loi aurait au contraire dû ménager davantage.
Ces inégalités m’ont toujours choqué ; mais je crois aujourd’hui devoir les signaler, d’autant plus qu’elles vont devenir encore plus aggravantes par les nouveaux centimes additionnels.
M. Mast de Vries – Messieurs, lors de la présentation du budget de 1839, par M. le ministre des finances, nos besoins s’élevaient à 99 millions 500 mille francs (somme ronde) ; le budget des voies et moyens s’élevait environ à cette somme ; de manière que nos ressources et nos dépenses étaient à peu près d’accord, depuis lors, un budget supplémentaire de recettes a été présenté, et ce budget supplémentaire est la conséquence d’un projet qui a été soumis à la chambre par M. le ministre de la guerre, et qui tend à obtenir un crédit supplémentaire de 3,540,000 francs. Pour subvenir à cette dépense, M. le ministre des finances nous a proposé 15 centimes additionnels sur les contributions directes. Je pense, messieurs, qu’il y a ici une réduction à faire, non pas sur le chiffre pétitionné par le département de a guerre, mais sur le chiffre qui est demandé par M. le ministre des finances.
Lors de la réunion de la commission qui a été chargée d’examiner le projet de loi relatif au crédit extraordinaire pour la guerre, M. le ministre des finances a déclaré à la commission qu’une partie de ce crédit pouvait être imputée sur les restants disponibles du budget de 1838, à concurrence d’une somme de 1,000,000 francs. De manière que la partie du crédit extraordinaire, prélever sur le budget de 1839, se réduit à 2,500,000 francs ; et par suite nous devons faire face à un budget de recettes de 102,000,000 francs.
Or, la section centrale, dans un accès de générosité sans doute, nous propose d’accorder 104,000,000 de francs, et pour réaliser ces 104 millions elle grève toutes les branches d’impôt ; si d’une part elle réduit quelques-unes des propositions de M. le ministre des finances, d’un autre côté, elle impose extraordinairement tous les articles du budget. Mais pourquoi, messieurs, dans un moment où les charges sont déjà assez pesantes, allouer 2 millions de plus que ne demande le gouvernement ? Si l’on a à nous proposer plus tard de nouvelles demandes d’argent, justes et raisonnables, ne sommes-nous pas toujours là pour les accorder ? Pourquoi charger de 15 centimes la contribution personnelle, par exemple, qui est déjà un impôt vraiment accablant ? Pourquoi charger la patente sur laquelle sans l’état de quasi-guerre dans lequel nous nous trouvons doit exercer une influence fâcheuse ? Et pourquoi, je le répète, la section centrale propose-t-elle au gouvernement une somme plus forte que celle qu’il demande ?
C’est une proposition, messieurs que je ne puis réellement pas m’expliquer ; c’est une proposition que nos finances ne nous permettent pas d’accueillir. Accordons au gouvernement ce qu’il demande, mais n’allons pas au-delà de ses demandes ; ne lui accordons pas deux millions en sus ; gardons cet argent, nous en aurons vraiment grand besoin plus tard.
Par ces motifs, je pense, messieurs, qu’il est nécessaire de modifier la proposition de la section centrale, et de s’en tenir à l’allocation de 2,500,000 fr dont a besoin le département de la guerre. Si plus tard de nouveaux crédits étaient indispensables, je le répète, nous serions toujours là pour les accorder.
Je demanderai donc que les centimes additionnels soient appliqués à l’impôt foncier, à l’impôt personnel, et à l’accise sur les eaux-de-vie indigènes, savoir 10 centimes sur le premier impôt, 5 sur le second et 10 sur le dernier ; la somme qui en résultera est de 2,540,000 fr. et par conséquent, j’accorde encore au département de la guerre 40,000 francs de plus qu’il ne demande.
Je déposerai un amendement dans ce sens.
M. Eloy de Burdinne – Messieurs, si nous voulons éviter la guerre et pour mon compte, c’est mon plus grand désir, jamais je ne jetterai le gant ; mais aussi je ne serai jamais le dernier à le ramasser, et toujours je serai prêt à repousser une agression étrangère quand je croirai être dans mon droit et que la partie sera à peu près égale ; partisan de la paix, et la voulant, je crois que nous n’avons pas de meilleur moyen pour l’obtenir, que de nous mettre en mesure de faire la guerre. Nous serions blâmables si nous restions dans l’indolence, après avoir répondu au discours du trône comme nous l’avons fait ; nous serions inconséquents avec nous-mêmes si nous refusions au gouvernement les moyens d’assurer l’exécution de ce que nous désirons, de ce que nous voulons et de ce que veut avec nous le gouvernement : cette volonté est l’intégrité du territoire c’est une juste répartition de la dette que nous devons avec la Hollande ; droit que nous défendrons avec le gouvernement par tous les moyens qui sont en notre pouvoir.
Nous saurons résister à toute agression de quelque part qu’elle vienne, et nous triompherons si nous sommes unis et nous le serons ; nous en avons la garantie dans le patriotisme de la nation, dans le bon esprit qui anime, je ne dirai pas seulement l’armée, mais chaque soldat qui la compose, et qui brûle du désir d’effacer le souvenir des revers que notre armée a éprouvés en 1831, qui, surpris à l’improviste, n’était pas organisée, et qui, ayant à résister à une force quadruple à la sienne, a dû succomber. Profitons donc de cette triste expérience, portons notre armée sur un pied respectable, soyons, en un mot, prêts à ramasser le gant si on nous le jette ; pour cela, il est indispensable que notre cavalerie soit bien montée, que notre artillerie soit bien attelée, que nos ambulances soient bien organisées, que nos munitions de guerre soient prêtes à être transportées où le besoin l’exigera ; en un mot, que rien ne manque à l’armée dans le cas d’une attaque improvisée, comme cela est arrivé en 1831.
Il est donc incontestable que pour réaliser les moyens de défense, nos ressources sont insuffisantes, et c’est pour ce motif que le gouvernement nous demande une augmentation d’impôt ; tous, j’en suis persuadé, nous sommes prêts à l’accorder, pour mon compte, j’y souscrirai. Je suis bien d’accord sur le fond avec M. le ministre des finances, qu’il faut augmenter le chiffre du budget des voies et moyens ; mais c’est à regret que je lui déclare que si je suis d’accord avec lui sur le fond, je ne puis l’être sur la forme de percevoir l’impôt.
M. le ministre demande une augmentation de 15 centimes additionnels sur les impôts directs, et il exempte de cette augmentation les impôts indirects. C’est un privilège ; et je les repousse ; je regrette donc de ne pouvoir donner mon approbation à un acte que je considère comme peu juste ; tous nous sommes intéressés à la défense du pays, tous nous devons contribuer à la dépense qu’elle nécessite. Frappons donc de centimes additionnels tous les impôts à l’exemple de ce que nous avons fait il y a quelques années, lorsque nous étions menacés d’une agression ; n’en arrêtons pas la perception au bout de 9 mois comme nous l’avons fait alors. Les impôts indirects comme les impôts directs donneront des produits, et tous seront traités également, ménagés même s’il est possible.
La contribution foncière qui, en temps de guerre, est d’une immense ressource, cette matière imposable (les terres) ne fait jamais défaut, et si les circonstances venaient à exiger promptement une recette de dix à douze millions de plus, vous avez le moyen de mettre cette somme à la disposition du gouvernement. Dans le délai de moins d’un mois, nul propriétaire, locataire ou usufruitier, ne se refuserait à faire l’avance des contributions de l’année. L’état, dans un pressant besoin, n’aurait qu’à faire un appel à leur patriotisme, qui n’a jamais fait défaut, et plus des trois quarts de l’impôt foncier seraient versés en avance dans un délai de huit jours. Pour conserver ce patriotisme belge, soyons prudents ; ne mécontentons pas les propriétaires en exigeant de leur part des impôts, quand nous en exemptons les autres clases de la société, aussi à même et plus de les payer.
Ne mécontentons pas surtout cette masse de petits et moyens propriétaires campagnards dont les enfants sous les drapeaux font la principale force de l’armée ; soyons juste envers eux, alors il seront les premiers à inspirer de l’énergie à leurs jeunes enfants de la dernière levée, dont l’esprit militaire n’est pas encore formé.
Si vous êtes injustes envers eux, craignez de refroidir cet élan de patriotisme dont ils sont animés ; vous pourriez les rendre passifs dans la cause de la patrie en les traitant plus mal que les autres appartenant à la classe industrielle, commerciale ou autre ; rien ne mécontente autant l’homme moral que l’injustice ou la quasi-injustice. Je crois que la prudence le commande.
Je demande donc que l’on frappe tous les impôts tant directs qu’indirects de la même quotité de centimes additionnels, et d’en porter le chiffre à cinq ou six. Alors le gouvernement pourra compter sur une augmentation de revenus de quatre à cinq millions. Je ne précise pas le chiffre pour le motif qu’il est incertain que les accises, les douanes et l’enregistrement produisent la somme qui figure au budget des voies et moyens. Si nous sommes appelés à avoir à nous défendre, et si nous avons à repousser une agression, la somme demandée serait insuffisante pour faire face à la défense de notre territoire. (M. le ministre de la guerre vous l’a déjà fait pressentir dans une séance précédente). Alors vous aurez un moyen infaillible de vous procurer le nerf de la guerre (de l’argent) en vous adressant à la propriété qui s’empressera à vous en fournir, soit comme avance sur les impôts, soit comme emprunt.
Son patriotisme est un sûr garant ; jamais les propriétaires n’ont fait défaut quand il s’est agi d’un élan de zèle pour le pays, nous en avons la preuve trop récente pour en douter. Les emprunts de 10 et 12 millions sont là pour appuyer ce que j’avance. On pourra peut-être me dire, et c’est ce qui m’a déjà été dit à la deuxième section, que la positon de l’agriculture était dans un état prospère, par suite du renchérissement de ses produits ; il est vrai que le prix des céréales est aujourd’hui à un taux plus élevé que le taux moyen qui est fixé par le cadastre, et qu’il y a faveur pour les cultivateurs.
Mais, messieurs, je vous ferai remarquer que cette faveur probable n’a rapport qu’à la dernière récolte, et que s’il y a faveur sur le prix des produits de la récolte de 1838, il y a défaveur sous le rapport de la quantité récoltée ; en général la récolte dernière est d’un tiers environ plus faible que les récolte des années ordinaires, à l’exception de quelques localités telles que les Ardennes et la partie qui l’avoisine nommée Condroz, où les récoltes ont été plus que complètes, ce que j’ai jugé par moi-même, et c’est ce que la notoriété publique atteste.
Je ferai remarquer que plus haut j’ai dit que la faveur que doit éprouver le propriétaire, sous le rapport du renchérissement des grains, est probable, vu qu’il est possible qu’il ne vendra qu’une partie de ses produits aux prix cotés actuellement.
La battage des grains a lieu pendant tout l’hiver, et on ne vend et on ne peut vendre qu’au fut et à mesure qu’on peut livrer. Comme les blés sont en baisse presque partout, mais particulièrement en France, il est probable que, sous peu, le prix des grains sera réduit.
Quant au prix élevé de la récolte de 1837, le cultivateur n’en a pas profité, il avait vendu avant le renchérissement. Le commerçant, le spéculateur, l’industriel ont seuls joui de l’augmentation, en 1828, jusqu’au 15 novembre, même année
Quant au renchérissement des blés, une chose est assez frappante, c’est la différence de prix d’une localité à l’autre. En Belgique, par exemple dans le Hainaut, le prix de l’hectolitre de froment est coté à fr. 28 37 tandis qu’à Liége il est à 22 19 prix courant pendant le mois d’octobre dernier. Différence en plus, fr. 6 18. Le motif en est connu, nous examinerons cette question en temps opportun. La pétition, peu patriotique (pour ne rien dire de plus) de la région de Verviers, nous en fournira l’occasion lorsqu’on en fera le rapport. Je reviens à mon sujet.
N’est-ce pas une chose bien étrange, messieurs, que de voir que l’agriculture, source de toute prospérité en Belgique, est continuellement un sujet d’envie ; à peine éprouve-t-elle une amélioration dans sa position, que de suite on la frappe d’une augmentation de contribution, presque exclusivement. Se trouve-t-elle dans un état de gêne, on ne s’en occupe pas ; en un mot on ne pense à cette branche d’industrie que pour la frapper d’impôt ; c’est là un privilège sur les autres industries ; comme je n’en veux aucune espèce (de privilège), je les repousse tous et particulièrement celui qui accable l’industrie mère, celle en un mot qui alimente toutes les autres, qui ne peuvent subsister en Belgique, sans agriculture.
Avant de la frapper presque exclusivement d’une augmentation, nous avons un compte à régler l’impôt foncier étant établi sur le revenu net ; voyons ce que fut ce revenu depuis la révolution. On sait que le prix de revient de l’hectolitre de froment est de 12 francs, taux moyen, en Belgique, prix fixé par les économistes, et à 9 fr. en Pologne.
Il faut faire remarquer que quand les calculs ont été faits, les frais de culture étaient infiniment plus bas qu’à l’époque actuelle ; le prix du gage des domestiques de labour et filles de base cour est doublé, le salaire des ouvriers de récolte dans les localités industrielles est également du double.
Les dépenses pour instruments aratoires, les colliers pour chevaux d’agriculture et autres matières indispensables à un cultivateur, sont considérablement augmentés, etc., etc., et, par conséquent, le prix du revient d’un hectolitre de froment peut être porté, sans exagération, au moment actuel, à 14 francs. La comparaison que je vais avoir l’honneur de vous soumettre est le fait des localités que je connais particulièrement : pour établir cette comparaison, je vais donner le prix de l’hectolitre de froment sur les marchés de la province de Liége pendant les années 1821 et suivantes :
En 1831, l’hectolitre de froment a été vendu, taux moyen, par les cultivateurs, 21 fr. ; en 1832, 19 fr. ; en 1833, 12 fr. ; en 1834, 14 fr. ; en 1835, 14 fr. ; en 1836, 15 fr. ; en 1837, 16 fr. ; en 1838, 17 fr.
L’hectolitre de froment, d’après l’opinion des économistes, et que je reconnais assez exacte, doit revenir, au producteur, à 14 fr. à partir de l’an 1830.
Ayant vendu, en 1831, l’hectolitre de froment 21 fr., le producteur a obtenu 7 fr. par hectolitre, qui représentent le revenu de la terre cultivée.
Le cadastre ayant porté à 18 francs le taux moyen du prix du froment, il résulte qu’il y a excédant de 3 fr. en faveur du cultivateur comparativement au taux fixé pour établir l’impôt foncier.
En 1832, le prix de l’hectolitre de froment vendu à 19 fr., il y a avantage pour le producteur de 1 fr. par hectolitre sur le taux du cadastre.
En 1833, le producteur a vendu l’hectolitre de froment 12 fr. ; il a éprouvé une perte sur le taux fixé par le cadastre, de 6 fr. et de 2 fr. sur le prix de revient : en d’autres termes, il a vendu 12 fr. et il a payé l’impôt comme s’il avait obtenu 18 fr., ayant obtenu moins que rien.
En 1834, il a vendu à 14 fr., prix de revient, donc déficit sur le taux du cadastre de 4 fr. : il a payé l’impôt sur un revenu qu’il n’a pas eu.
En 1835, prix de l’hectolitre 14 fr. et même observation.
En 1836, prix 15 fr. ; déficit sur le taux du cadastre, 3 fr.
En 1837, prix 16 fr. ; déficit sur le taux du cadastre, 2 fr.
En 1838, récolte de 1837, prix 17 fr. ; déficit sur le taux du cadastre, 1 fr. par hectolitre.
Il résulte donc des calculs qui précèdent, que le cultivateur dans la province de Liége, dans la meilleure partie, là où le froment est cultivé et considéré comme le principal produit, a eu en 1831 un avantage de 3 fr. sur le prix commun d’un hectolitre de froment établi à 18 fr.
En 1832, il a eu un avantage de 1 fr. sur le prix commun d’un hectolitre de froment établi à 18 fr.
Le total de l’excédant sur le prix fixé par le cadastre dans la période 1831 à 1838 est donc de 4 fr.
Suit le résultat en déficit sur le prix établi par le cadastre dans la même période : En 1833, le prix obtenu est de 12 francs ; déficit sur le prix du cadastre, 6 fr. ; en 1834, on a vendu 14 fr., déficit, 4 fr. ; en 1835, même prix et même résultat, soit 4fr. ; en 1836, prix vendu 15 francs, déficit, 3 fr. ; en 1837, prix vendu 16 fr., déficit, 2 fr. ; en 1938, récolte de 1837, prix vendu 17 francs, déficit 1 fr.
Total des déficits : 20 francs.
Le total des déficits sur le prix fixé par le cadastre, dans la période de 1831 à 1838, est donc de 20 francs.
L’excédant de la même période était de 4 francs, il existe un déficit de 16 francs sur l’estimation cadastrale.
Il résulte des calculs qui précèdent, que la position des agriculteurs est loin d’être bien satisfaisante, et qu’il y aurait injustice à les surcharger d’impôt pour le motif que le prix des grains est assez élevé, je dirai même trop élevé pour la classe pauvre, mais qui est loin de rétablir la balance entre le prix cadastral qui est le régulateur de l’impôt, et le produit réellement obtenu.
Il résulte donc que chaque hectolitre de froment de produit devant, au taux fixé actuellement, un impôt de 9 à 10 p.c. doit 38 centimes d’impôt foncier et qu’il en a payé 78, taux moyen en principal sans compter les centimes additionnels extraordinaires, de manière que dans la période de 1831 à 1838 on peut fixer à 30 p.c. la quotité de la contribution foncière sur le revenu net et réalisable, taux moyen et année commune, dans la province de Liége. A l’époque de la révolution, le commerce était dans une position fâcheuse, et la législature est venue à son secours en réduisant le taux des patentes. Les cultivateurs ont applaudi à cette mesure, personne n’a réclamé contre cette mesure.
En 1833 , le cultivateur a vendu son froment à 12 fr. dans la province de Liége ; il lui revenait à 14 fr., il a donc vendu à 2 francs en dessous du revient, et il a payé l’impôt comme s’il l’avait vendu 18 fr. taux qui lui donnait 4 fr. de revenu de la terre qui avait produit cet hectolitre de froment, de manière qu’il a payé l’impôt en 1833 sur un revenu qu’il n’a pas obtenu ; mais en outre, quand il perdait 8 p.c. sur les produits de son industrie et que le sol n’a produit aucun revenu en 1834 et 1835, le cultivateur a payé un impôt sur le produit de son froment comme s’il avait obtenu un impôt de la terre, tandis qu’il a vendu à 14 fr. ce qui lui coûtait le même prix 14 fr., il a donc payé un impôt sans produit net.
En 1835 la position de l’agriculture était bien plus déplorable que n’était le commerce en 1831 ; qu’a-t-on fait pour l’agriculture : rien, rien ; on ne la plaignait même pas ; au contraire, on la gratifia (si gratification il y a) de 40 p.c. d’additionnels.
Soyons donc plus équitables que nous ne l’avons été, traitons l’agriculture comme les autres industries, qu’elle paie les additionnels au même taux que les autres, nous ferons justice, nous ne mécontenterons personne, ce qui, à la vérité, est fort difficile dans le moment actuel ; au moins nous ne donnerons sujet à aucun d’émettre des plaintes fondées.
Je terminerai par vous dire que quel que soit l’impôt dont vous frapperez la propriété, elle le paiera et sans la moindre objection. Dans le moment actuel, le propriétaire, à quelque classe qu’il appartienne, n’est dirigé ni pas l’égoïsme, ni par l’avidité, comme a dit certaine régence dans sa pétition du 21 novembre dernier adressée à la chambre, à propos de la loi sur l’entrée des céréales.
Les propriétaires sont trop éminemment patriotes, ils feront tous les sacrifices pour seconder le gouvernement de leur choix et pour le maintien du territoire. Ils sont attachés à leur sol et nullement cosmopolites, ils veulent l’union entre tous les Belges, ils ferons tous les sacrifices pour la maintenir et pour la défense de la patrie.
Quant à nous, qui sommes animés du même esprit, nous ferons notre devoir et nous seront justes envers tous. J’ajouterai que dans le cas où le gouvernement viendrait à avoir besoin d’une somme plus forte, ce qui aurait lieu si on nous déclarait la guerre, alors le gouvernement pourrait être autorisé à employer les vingt millions environ qui redoit la société générale ; il pourrait obtenir d’autres ressources que je viens de signaler, et, somme ronde, dans un délai très court, il pourrait avoir à sa disposition 40 à 50 millions pour la défense du pays.
M. le ministre des finances (M. d’Huart) – Je remarque que les orateurs que vous venez d’entendre se croient en présence de la demande de 15 centimes additionnels sur les impôts fonciers, personnel et des patentes. Cependant il résulte du rapport qui vient de vous être distribué que, satisfaisant à l’opinion exprimée dans les sections, le gouvernement s’est mis d’accord avec la section centrale pour réduire les centimes additionnels de 15 à 10 c. sur les bases que je viens d’indiquer et pour porter ces centimes additionnels sur les droits de douane de 13 à 15 c., ceux sur les accises et tout ce qui concerne l’enregistrement de 26 à 30 c., et frapper de 10 c. additionnels les eaux-de-vie indigènes.
M. Seron – Messieurs, j’ai demandé la parole uniquement pour motiver mon opinion.
Dans le budget des voies et moyens de 1839, première édition, les recettes sont élevées à près de 100 millions de francs. Mais, depuis, le ministère, les jugeant insuffisantes, a demandé une augmentation de plus de 4 millions, et proposé, pour y subvenir, un prélèvement de 15 centimes supplémentaires sur le principal et les additionnels ordinaires et extraordinaires de la contribution foncière, de la contribution personnelle et du droit de patente. La section centrale à qui cette demande a été renvoyée, propose de couvrir une partie du déficit par des centimes additionnels aux droits de douanes, d’accises, de timbre, d’enregistrement, de greffe, d’hypothèque et de succession. Au moyen de quoi elle réduit la subvention à ajouter aux contributions directes (la redevance des mines comprise) à 10 p.c. du principal et des accessoires de ces contributions.
Pour moi, messieurs, je ne puis consentir à l’augmentation de la contribution personnelle, parce que cet impôt à bases multipliées, vicieuses, et j’ose dire absurdes, est déjà trop élevé pour les populations des villes petites et grandes qu’il écrase. Il n’est pas rare, par exemple, de voir ici, à Bruxelles, des locataires vivant d’un petit commerce et n’ayant pas un sou de bien au soleil, frappés d’une taxe annuelle de 200 à 300 francs ; tandis que ce même impôt ne produit presque rien dans les villages où il y a beaucoup de maisons d’une valeur locative au-dessus de 20 florins dont, par cette raison, ceux qui les habitent sont privilégiés et affranchis de toute cote personnelle, mobilière ou des portes et fenêtres. Je ne veux pas rendre l’abus plus grand.
Je regrette également toute addition au droit de patente, parce que cette augmentation retomberait encore sur une classe de contribuables déjà surchargés et ne prendrait pas l’argent où il est.
Au lieu de rendre plus lourd l’impôt sur le sel, il faudrait l’anéantir entièrement ; car le sel est, comme le pain, un objet de première nécessité. « La gabelle du sel, dit Buffon, fait plus de mal à l’agriculture que la grêle et la gelée. Les bœufs, les chevaux, les moutons, toutes nos premières aides dans cet art de première nécessité et de réelle utilité ont encore plus besoin que nous de cette denrée, qui leur était offerte comme l’assaisonnement de leur insipide herbage et comme un préservatif contre l’humidité putride dont nous les voyons périr. » Dans l’intérêt social, la consommation du seul devrait donc être encouragée, et le projet de la section centrale y met au contraire un nouvel obstacle.
Il faut de l’argent ; oui, sans doute, et plus tard il en faudra encore plus. Mais il est d’autres moyens d’en faire arriver au trésor sans écorcher personne et sans donner lieu à aucune réclamation fondée.
1° Les ventes de marchandises, de récoltes sur pied, de coupes de bois taillis et de futaie, ne sont assujettis qu’à un droit d’un demi pour cent, tandis que les autres ventes mobilières sont toujours frappés du droit de 2 p.c. Ainsi, la loi favorise les riches, puisqu’eux seuls possèdent les forêts. Voilà comment l’égalité, en matière d’impôt, est entendue ici. Faites cessez cette scandaleuse injustice ; abolissez le privilège établi en faveur de Guillaume lui-même par la loi du 31 mai 1824. Si un article de recette est libellé à cet effet dans le budget de 1839, le sénat sera bien forcé de l’accepter, car il ne rejette pas le budget. Par là vous procurerez à l’état une nouvelle branche de revenu.
2° En voici une autre : vous pouvez établir un droit sur le café ; il atteindra l’aisance et non la misère, car le pauvre consomme beaucoup de chicorée, mais fort peu de café. Le café n’est donc pas, comme on l’a dit, la boisson du pauvre. Mais quand cela serait, ne faudrait-il pas favoriser parmi les masses l’usage d’une boisson qui ne contient absolument rien de nutritif. Lorsque nous dépendions de la Hollande, tous les députés des provinces belges demandaient un impôt sur le café qu’ils trouvaient raisonnable et juste. Pourquoi ne le serait-il pas aujourd’hui ?
3° N’est-ce pas un scandale que, pendant plusieurs années, la loi sur l’impôt du sucre n’ait servir qu’à enrichir les raffineurs ? Mais n’est-ce pas un autre qu’aujourd’hui, cette accise ne vous rapporte qu’un million comme l’annonce le budget de 1839 ? Elle devrait s’élever à plus de 4 millions, chiffre auquel on porte la gabelle du sel. Ne craignez donc pas de l’augmenter, car le sucre est une matière éminemment imposable ; ceux qui le consomment vivent en général dans l’aisance.
4° Enfin, messieurs, c’est une véritable calamité d’avoir substitué au système néerlandais sur les distilleries un système au moyen duquel les produits de l’accise sur le genièvre ont été, dans l’origine, réduits presque à zéro, et cela sous le prétexte de favoriser l’agriculture. Ah, messieurs, croyez moi, avec la loi ancienne, l’agriculture n’eût pas cessé de prospérer. Vous avez, dans l’intérêt de la morale publique et du trésor, augmenté le droit, et l’accise sur les eaux-de-vie indigènes doit rapporter 3 millions, indépendamment d’un million que l’on compte recevoir des débitants au moyen d’une licence établie l’an dernier. Mais ce n’est pas assez, et vous pouvez doubler sans scrupule le droit de fabrication.
Avec ces diverses ressources on subviendrait aux nouvelles dépenses qui vont tomber sur la nation, sans augmenter la contribution personnelle et la cotisation des patentes, déjà beaucoup trop élevées, même sans rien ajouter à la contribution foncière. Les contribuables ne se plaindraient pas, et au lieu de vous maudire, ils vous béniraient.
Si vous aviez pris ce parti plus tôt, vous auriez aujourd’hui des fonds en réserve. Calculez ce qu’auraient produit depuis 6 ans l’accise sur l’eau-de-vie indigène, l’accise sur le sucre, le droit sur le café et le droit d’enregistrement à raison de 2 p.c. sur toutes les ventes mobilières indistinctement.
Je me résume en deux mots. Je donnerai mon adhésion à toutes les mesures qui auront pour objet d’augmenter les recettes sans atteindre la misère.
M. Verdussen – C’est après le discours de l’honorable M. Mast de Vries que j’ai demandé la parole, parce que j’ai pensé que les chiffres qu’il a présentés avaient pu faire quelque impression sur l’assemblée ; en effet il n’y aurait guère à répondre aux observations de cet honorable membre si ces bases étaient exactes. Mais je crois qu’il s’est trompé en supposant que le crédit demandé par M. le ministre de la guerre était le chiffre de l’augmentation demandée pour l’exercice de 1839.
L’exposé des motifs de ce projet de loi de crédit porte qu’il avait exclusivement pour objet de subvenir à des dépenses faites sur l’exercice 1838, et même pour couvrir en partie des dépenses que l’on n’avait pas pu prévoir pour l’exercice courant, mais qui seront prévues au budget de l’exercice suivant. Il en est ainsi, par exemple, pour la ration de pain. Sur la somme de trois millions et demi, somme ronde, une partie devra être affectée à couvrir la dépense résultant de l’augmentation du prix du pain, la ration coûtant aujourd’hui jusqu’à 18 c., tandis qu’au budget de 1838 elle n’avait été que de 12 ½ c. Ceci vous prouve que d’une part nous n’avions dans l’augmentation qu’une partie de l’augmentation de trois millions et demi, puisque déjà une partie des prévisions est portée dans le budget futur, et que, d’autre part, il y a des dépenses qui n’ont pu être portées au budget de 1838, et qui se produiront nécessairement au budget de l’exercice de 1839.
En résumé et au fond, je dis qu’il est impossible de savoir si la somme qu’on demande et qui s’élèverait jusqu’à 5 millions et demi sera nécessaire. En effet, quand connaîtrons-nous les besoins de l’état ? quand les budgets des dépenses auront été votés. Autrement dit, nous n’avons pas de base pour déterminer le chiffre du budget des recettes.
A la vérité, M. le ministre de la guerre a dit qu’indépendamment d’un million alloué dans la séance d’hier, il aurait encore à faire une demande de nouveaux fonds.
D’un autre côté l’honorable M. Desmaisières a fait un premier rapport sur la demande de 3 millions et demi, et il a fait pressentir que dans le budget de la guerre soumis à la section centrale on a compris des sommes plus fortes que celles primitivement demandées, sommes au moyen desquelles M. le ministre de la guerre se fait fort de faire face à tous les besoins de l’exercice de 1839.
Ceci me ramène aux observations que j’ai eu l’honneur de faire à plusieurs reprises les années précédentes, et où j’ai fait voir que le système dans lequel le gouvernement et les chambres se maintiennent si malheureusement, de s’occuper du budget des voies et moyens avant de s’occuper du budget des dépenses, est mauvais, et conduit à l’erreur. Savons-nous si des augmentations ou des réductions ne seront pas adoptées ? Savons-nous d’une manière certaine si la somme de 5 millions et demi de francs sera nécessaire ou s’il ne faudra pas davantage ?
Quoi qu’il en soit, me basant sur ces inconvénients et sur l’espoir que les budgets des dépenses seront réduits par la chambre et subiront quelque modification favorable au pays, je me prononce pour la suppression des centimes additionnels, non-seulement parce que je partage l’opinion des honorables préopinants qu’il ne faut frapper l’impôt foncier qu’à la dernière extrémité, mais encore parce que je pense que les besoins auxquels ces centimes additionnels sont affectés ne seront pas effectifs dans le courant de 1839.
Il n’est pas sûr, dit-on, que les dépenses nécessaires ne s’élèveront qu’à 5 millions et demi. Mais n’avons-nous pas l’espoir que dans l’exercice futur, une partie de l’encaisse dû par la société générale rentrera dans le trésor ? Ne rentrât-il que ce qui repose dans les caisses de la banque en obligations de l’emprunt 5 p.c., qu’il y aurait déjà une somme triple de celle des besoins.
Si des dépenses devenaient tout d’un coup nécessaires, ne pourrait-on pas, comme je l’ai dit hier, autoriser le gouvernement à faire une nouvelle émission de bons du trésor ?
On pourrait peut-être m’objecter ici que je me trouve en contradiction avec l’opinion que j’ai émise précédemment, lorsque je me suis élevé contre le chiffre trop fort des bons du trésor en circulation ; mais il n’y a pas réellement contradiction. Nous avons vu par le rapport dont M. le ministre des finances a fait précéder la présentation du budget général que déjà il était possible de réduire de 15 à 12 millions la faculté d’émission des bons du trésor pour l’exercice futur.
Dans le même exposé, nous avons vu encore que l’on sera bien loin d’avoir besoin d’une si forte somme de ces valeurs. En effet, lorsque l’emprunt de 3 p.c. a été contracté, les choses ont été arrangées de façon que les versements seront rentrés avant leur emploi. La preuve qu’on n’aura pas besoin de tant de bons du trésor, je la trouve encore dans le budget de la dette publique, où, au lieu de porter la somme nécessaire pour couvrir l’emprunt de 12 millions de bons du trésor je ne trouve que la somme de 150,000 francs qui correspond à un capital de 3 millions, en supposant que l’intérêt et les frais s’élèvent à 5 p.c.
Vous voyez que si nous avons besoin, pour faire face à plusieurs services extraordinaires, de certaines sommes, nous avons en même temps la certitude que dans le courant de l’exercice nous ne devrons émettre que 3 millions de bons du trésor ; il n’y a donc rien d’excessif à proposer à la chambre d’accorder au ministre des finances la faculté de pouvoir émettre 4 ou 5 millions de bons du trésor de plus qu’il n’a l’intention d’en émettre, plutôt que de lui accorder des augmentations d’impôts.
Je demanderai, en terminant, que la chambre veuille bien d’abord décider en principe si l’on adoptera le système des additionnels applicables aux impôts désignés par la section centrale, ou le système des bons du trésor.
Pour le moment, je bornerai là mes observations.
M. Mast de Vries – Dans une réponse que vient de faire le ministre des finances, il a dit que des orateurs erraient, parce qu’ils portaient, dans leurs calculs, 15 centimes additionnels au lieu de 10 et de 4 proposés par la section centrale, et auxquels il adhère. Je ne sais si nous avons beaucoup gagné à cette modification de la section centrale et à cette complaisance du ministre, je vois au contraire qu’il en résulte que le budget total des recettes est augmenté de 200 à 300 mille fr. En adoptant, en effet, la proposition du ministre des finances,, vous aurez eu une recette de 103 millions environ, et par la proposition de la section centrale la recette pourra aller à 104 millions.
On dit : Il faut accorder les dépenses nécessaires : nous ne disons pas le contraire, mais nous voudrions connaître ces dépenses. Il est très possible que sur les budgets des dépenses qui nous seront présentés nous ayons beaucoup de réductions à faire, et que nous arrivions, en supprimant tout luxe, à une dépense totale de cent millions. Rien de ce que l’on n’a répondu n’ayant détruit mon opinion, j’y persiste, ainsi que dans l’amendement que j’ai proposé.
M. A. Rodenbach – Toutes les fois que l’on est venu demander, dans cette enceinte, des augmentations de traitements ou d’autres sacrifices inutiles au bien du pays, je m’y suis fortement opposé ; mais aujourd’hui on vient demander des fonds pour la guerre, et je les voterai. Il s’agit ici, en effet, de dépenses pour cas de guerre, et nous devons avoir des fonds disponibles dans une telle occurrence ; nous devrions même avoir une réserve.
L’honorable député d’Anvers nous dit : L’augmentation de recette que l’on demande, si elle ne s’élève qu’à 3 millions 500 mille francs, peut être convertie en bons du trésor ; mais cet honorable membre ne fait pas attention que s’il y avait une crise, les bons du trésor, au lieu de payer 5 p.c., perdraient peut-être 25 p.c.
Quand il s’agit du maintien de notre indépendance et de notre nationalité, je voterai les fonds que le ministre des finances demandera. Et si, par suite de la proposition de ce ministre, la somme provenant des recettes est plus forte que celle que l’on croit nécessaire pour le département de la guerre, je voterai encore ce chiffre. La situation actuelle commande impérieusement d’avoir des ressources pour les autres ministères. D’ailleurs nous serons encore ici dans cinq à six mois, et nous verrons si les ministres feront ce que nous avons demandé dans l’adresse, ou s’ils feront mauvais usage des fonds que nous leur allouerons.
Un honorable député a dit que, depuis 1831 à 1838, les fermiers de la province de Liége ont perdu sur leurs grains, et qu’ils avaient payé 30 p.c. d’impôt ; si cela était, tous les fermiers de cette province seraient ruinés ; et toutes les fermes y seraient à louer.. les assertions de cet honorable membre ne prouvent rien.
Je voterai les centimes additionnels au taux proposé par la section centrale et répartis comme elle l’indique.
M. Demonceau – S’il avait été donné aux membres de la section centrale de prévoir l’avenir, il est certain qu’ils ne nous auraient pas fait la proposition qui vous est soumise ; mais dans les circonstances où nous nous trouvons, quel est celui de nos collègues qui pourrait assurer qu’il suffira de 5 millions pour défendre l’honneur national, et que quand l’état aura besoin d’argent, toutes les caisses lui seront ouvertes ?
Vous avez dit au gouvernement : Nous voulons tout faire pour maintenir notre indépendance ; le gouvernement vous a répondu : 4 ou 5 millions sont nécessaires pour satisfaire aux vues de la législature ; (Erratum, Moniteur belge du 7 décembre 1838 :) et la section centrale ne supputant que des prévisions de dépenses, ne s’est pas occupée des recettes. Elle devait avant tout satisfaire au vœu de la chambre.
On pourrait nous reprocher de voter les recettes avant les dépenses ; mais nous sommes dans une position différente de celle des années précédentes. Je l’ai dit dans mon rapport, il faut que le gouvernement ait toutes les ressources possibles avant le premier janvier ; or, je ne pense pas que la chambre puisse voter tous les budgets des dépenses avant cette époque ; cependant le budget des recettes doit être mis en recouvrement au premier janvier.
On a trouvé que la section centrale avait été extrêmement généreuse en donnant au ministre plus qu’il ne demandait ; mais quand le ministre a fait sa demande, il établissait ses calculs sur une base certaine, et il pouvait déterminer un chiffre ; tandis qu’avec la proposition de la section centrale il n’y a réellement pas possibilité de déterminer un chiffre de recette. La moindre crainte que l’on aura d’une guerre fera diminuer non seulement le produit des additionnels sur les impôts indirects, mais le principal même de ces impôts.
Le produit des impôts indirects a été calculé d’après les bases les plus élevées, car c’est l’année dernière que ces impôts ont été le plus productifs ; si donc vous retranchez du chiffre proposé, la moindre diminution dans les recettes peut occasionner un déficit ; et si vous ne donnez pas au gouvernement les ressources qu’il croit nécessaires, comment voulez-vous qu’il suive la marche que vous lui avez en quelque sorte tracée ?
Je repousse donc le reproche adressé à la section centrale, car l’œuvre du gouvernement est l’œuvre de la chambre, et la section centrale a cru se conformer aux intentions de la chambre en proposant l’adoption des propositions du gouvernement.
M. Eloy de Burdinne – Messieurs, un honorable préopinant a contesté les chiffres que j’ai eu l’honneur de soumettre à la chambre ; j’aurai désiré qu’il m’eût répondu par des chiffres, mais je crois que c’eût été bien difficile, car il est bien certain que celui qui donner pour 12 ce qui lui coûte 14, se trouve en perte de 2 ; contesterait-on maintenant le prix de revient ? Eh bien, messieurs, les économistes ont été d’accord pour le fixer à 12 fr. par hectolitre anciennement ; or, comme les frais de culture ont considérablement augmenté, il est évident que je n’exagère pas en le portant à 14 fr. Je crois donc qu’il n’y a rien à alléguer contre les calculs que j’ai établis. Du reste, ces calculs se trouveront demain dans le Moniteur ; on pourra les vérifier à loisir, et je suis certain qu’on les trouvera exacts.
M. Angillis – (Moniteur n°342 du 7 décembre 1838) Messieurs, une société bien organisée, doit pouvoir en temps de paix, payer toutes ses dépenses avec son revenu ordinaire. Quand on voit arriver le contraire, quand les dépenses excédent les revenus, on peut conclure avec raison qu’il y a un vice dans l’administration.
En Belgique, bien que nous jouissions depuis 1831 de tous les bienfaits de la paix, les dépenses ont été augmentées d’année en année, et la balance entre les revenus ordinaires et les dépenses est constamment rompue. Il est vrai que l’armée y est pour beaucoup dans ces dépenses, mais c’est là une raison de plus pour mettre de l’économie dans les autres et de ne demander à la nation que les fonds strictement nécessaires pour le besoin du service.
La plus importante maxime de l’administration des finances doit être de travailler avec beaucoup plus de soin à prévenir les besoins qu’à augmenter les revenus, et on parvient à ce résultat heureux, en recherchant la cause éloignée de nouveaux besoins. Quand on voit sans cesse augmenter les revenus de l’état, le premier sentiment de cette augmentation, est aussi le premier signe du désordre intérieur de l’état.
Nous examinerons dans un autre moment, dans un moment plus opportun, si toutes les dépenses portées annuellement au budget sont strictement nécessaires au service, si l’on ne peut pas simplifier l’administration, si l’on ne peut pas la faire aller à meilleur marché, si plusieurs parties de celle qui existe ne sont pas entièrement inutiles, peut-être même nuisibles à la régularité et à la célérité du service, si enfin de grandes réformes ne pourraient être faites dans l’administration publique sans que cette administration en souffrît.
Toutes ces questions seront reproduites, discutées et examinées une à une ; mais maintenant il s’agit de mettre notre armée sur un pied respectable afin de pouvoir repousser, en cas de besoin, les agressions hostiles, je les ajournerai.
Il s’agit, messieurs, de notre indépendance, qui est notre premier besoin. L’indépendance nationale est le salut public, devant cette suprême loi, qui attire tous les hommages de la société, toutes les autres considérations doivent être ajournées ; sans indépendance la Belgique ne pourrait compter sur l’avenir, ni jouir du présent ; autant vaudrait qu’elle n’eût pas même existé. Point de sacrifices qu’elle ne doive être disposée à faire, point de précautions qui soient inutiles pour la conservation d’un bien aussi précieux. C’est pour cette fin que l’on nous demande des fonds extraordinaires, et ce serait assurément une recherche de la plus haute importance que celle du meilleur moyen de se les procurer.
Pour ma part je suis bien aise que l’on n’ait pas eu de recours à la voie désastreuse des emprunts ; on a choisi le meilleur moyen, le seul que la prudence commande.
L’expérience nous démontre qu’il n’est pas impossible de pourvoir à une dépense extraordinaire au moyen des taxes additionnelles ; cela vaut beaucoup mieux que de recourir au dangereux expédient des emprunts. En adoptant ce système, chaque contribuable sait pour quelle part il y contribue ; et si, pour acquitter cette part, il est obligé de contracter une dette, il peut, par un redoublement d’activité et d’économie, parvenir à la rembourser sans entamer son capital. Il a un intérêt évident à faire tout ce qui est en son pouvoir pour s’affranchir de cette dette, tandis que quand on a recours aux emprunts publics, le contribuable ne s’occupe que des intérêts, il croit avoir fait tout ce qu’il doit faire lorsqu’il a économisé la somme nécessaire pour payer annuellement sa part dans la légère augmentation des impôts qu’exige le paiement de sa rente, augmentation qui s’accroît d’année en année et qui ne finit jamais.
Je m’aperçois, messieurs, que j’entre dans une haute question financière, qui malheureusement n’a jamais été traitée à fond, ni en France ni en Belgique, pas même en Hollande ; les opinions les plus étranges ont été avancées par les économistes sur les emprunts des gouvernements. Je n’irai pas plus loin, quant à présent, mais j’espère qu’il ne me sera pas impossible de faire adopter sur cette importante question, une autre opinion que celle qui domine en ce moment.
Je pense qu’on a bien fait de frapper de la taxe additionnelle presque tous les impôts publics. Il est indubitable que, lorsque la société fait des dépenses extraordinaires pour acquérir ou pour maintenir l’indépendance nationale, elle a droit d’exiger de tous les citoyens des contributions proportionnées aux besoins. On a parlé de la fortune territoriale ; oui cette fortune supporte une taxe énorme qui, dans d’autres circonstances, ne pourrait plus être dépasse, mais je prie de remarquer que ce n’est pas ici l’objet d’un choix spéculatif et libre en tout point ; c’est, messieurs, une mesure indiquée par la nécessité, car nous devons nous élever au-dessus des circonstances actuelles qui pourraient exercer une si grande influence sur nos destinées. Nous sommes tous animés d’un même esprit ; les mêmes intérêts nous commandent les mêmes vœux, le salut de la patrie. Pour ces motifs, et vu les circonstances qui nous dominent, je voterai pour le budget des voies et moyens tel qu’il a été réglé par la section centrale.
- La séance est levée à 5 heures moins ¼.