(Moniteur belge n°82, du 23 mars 1838 et Moniteur belge n°83, du 24 mars 1838)
(Présidence de M. Raikem.)
M. de Renesse procède à l’appel nominal à une heure et demie.
M. Kervyn lit le procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est adoptée.
M. B. Dubus fait connaître l’objet des pièces adressées à la chambre.
« La régence de Louvain adresse de nouvelles observations contre le projet de loi relatif à l’accise du sel. »
« La dame veuve Serneels, à Bruges, réclame l’exemption de la milice pour son fils majeur. »
« Des fabricants de fromage de la commune de Charneux demandent l’exemption de l’impôt sur le sel pour la salaison de leurs produits, ou une restitution à la sortie. »
- Les pétitions relatives au sel seront déposées sur le bureau pendant la discussion du projet de loi concernant l’impôt du sel ; l’autre pétition est renvoyée à la commission des pétitions.
M. Liedts dépose sur le bureau le rapport de la commission chargée de l’examen de la proposition faite par M. Seron sur les mariages des miliciens.
- L’impression de ce rapport est ordonnée.
M. Mercier, rapporteur de la section centrale chargée de l’examen sur le projet de loi relatif aux droits d’entrée sur les tabacs, monte à la tribune et dit. - Messieurs, parmi les réclamations parvenues à la chambre contre le projet de loi tendant à augmenter les droits d’importation sur les tabacs étrangers, et qui ont été renvoyés à la section centrale chargée de l’examen de ce projet, il en est qui concernent également l’exemption de l’accise sur le sel, dont les fabricants de tabacs sont menacés d’être privés par le projet de loi de l’impôt sur le sel, qui fait actuellement l’objet de nos délibérations.
Votre section centrale n’ayant mission de s’occuper que du projet de loi relatif aux droits d’importation sur les tabacs, a cru devoir se borner, en ce qui concerne l’exemption dont je viens de parler, à conclure au dépôt de ces pétitions sur le bureau, et je viens l’effectuer en son nom, afin que chaque membre de cette chambre puisse, dans le cours de la discussion actuelle, prendre connaissance des considérations qu’elles renferment à cet égard.
M. A. Rodenbach. - L’orateur qui s’est fait entendre le dernier dans la séance d’hier, regrette la loi qui est maintenant en vigueur : je conçois ce regret de la part de quelques localités ; mais il n’en est pas moins vrai que depuis sept années, plus de 300 pétitionnaires ont réclamé une nouvelle loi, et que la très grande majorité des raffineurs de sel de la Belgique l’ont demandée. Il y a eu, je crois, quatre ministères qui ont formulé des projets ; plusieurs sections centrales s’en sont occupées. Il n’y a pas encore un mois que les sauniers de Bruxelles ont fait entendre leurs plaintes contre la législation actuelle, surtout contre les passe-avant que l’on exige pour la vente du sel en détail ; ils ont dit que ces passe-avant constituaient un véritable grief, et en ont demandé le redressement. D’après tous ces faits, il semble donc que la loi nouvelle est indispensable.
Lorsque nous examinons la consommation qui se fait du sel en Belgique, d’après les revenus que donne la législation actuelle, avec la consommation qui se fait dans les pays voisins, il n’y a pas le moindre doute que le droit sur le sel devrait rapporter infiniment plus. En Angleterre on calcule que la consommation moyenne par individu est annuellement de 11 kilog. ; en France, elle est de 10 kilog. ; eh bien, les produits du sel n’étant que de trois millions sept cent mille francs, ne représentent qu’une consommation moyenne de 5 à 6 kil. ; le droit devrait donc être de sept millions ; ainsi le trésor est frustré de près de trois millions. Est-ce le consommateur qui en profite ? Je ne le pense pas. Quelles sont donc les personnes qui en profilent ? Les fraudeurs.
Depuis plusieurs années on a fraudé près de trois millions par an ; nous devons mettre ordre à un tel état de choses.
La section centrale a proposé douze francs, le ministre avait demandé seize francs ; si même on veut proposer un nouvel amendement pour porter le droit à dix francs, je serai prêt à le voter. A dix francs, l’impôt rapporterait encore quatre millions. Il me semble que nous ne devons pas craindre de baisser le droit.
Dans la séance d’hier, un orateur a dit que ce serait une injustice que d’imposer l’eau de mer. Je crois, au contraire, que ce serait une iniquité que de ne pas l’imposer. Le charbon, a dit cet orateur, est plus cher près des côtes que dans l’intérieur de la Belgique, et, par compensation, on doit laisser aux côtes l’emploi de l’eau de mer : l’assertion n’est pas exacte : dans l’intérieur de la Flandre occidentale, le charbon est à un plus haut prix qu’à Ostende. Je connais les prix courants. De l’exemption de droits sur l’eau de mer, il est résulté qu’à Thielt, à Dixmude, à Ypres, à Courtray..., les raffineries de sel ont diminué en nombre, et que cette industrie a été exploitée par les villes de Bruges et d’Ostende.
Lorsque j’étais dans ma province, j’ai eu l’occasion d’apprendre que c’était à l’usage de l’eau de mer que les sauniers de nos contrées devaient d’être obligés de fermer leurs usines.
La section centrale demande 35 centimes pour l’eau de mer à 3 degrés, afin de rétablir l’équilibre. Dans des mémoires on a dit : Si, par exemple dans le Hainaut, on imposait le charbon, ne serait-ce pas une injustice ? Mais la comparaison est en défaut. L’eau de mer produit du sel, et on doit l’imposer comme l’on impose le sel ; mais le charbon ne produit pas du charbon. Sous le gouvernement de Napoléon on a imposé l’eau de mer ; il faut prendre cette mesure, ou adopter le droit de 35 centimes, si l’on ne veut pas fermer les usines qui ne sont pas sur les côtes.
Je me bornerai pour le moment à ces considérations. Je sais qu’il y a dans la loi des dispositions vicieuses ; mais il en sera de cette loi comme d’une foule d’autres ; par des amendements on remédiera aux erreurs commises par le ministère et par la section centrale.
J’adopte le principe de la loi.
M. Mast de Vries. - Parmi les griefs dont la législation actuelle est l’objet, il en est qui me paraissent de telle nature que si, au moyen de la loi nouvelle, on pouvait les détruire, je m’empresserais de l’adopter, en supposant que ces griefs soient fondés. Le premier de ces griefs concerne la fraude. L’on prétend que le chiffre élevé de l’impôt prête à la fraude, et la section centrale, il est fâcheux de le dire, préoccupée de cette idée fixe, a vu de la fraude partout. Partant de cette idée, elle s’est trompée dans ses calculs.
On vous a déjà dit hier que les importations de sel qui se faisaient dans nos villes à l’intérieur avaient été déclarées dans les villes maritimes, et que de cette manière on arrivait à un total de l’importation hors de toute proportion avec notre consommation. La section centrale prétend que la consommation du sel, telle que la donne l’impôt, ne représente pas la consommation réelle. Elle croit que la consommation moyenne en Belgique doit être, comme elle le prétend en France, de 10 kilog. par individu ; que cela donne une consommation, pour la Belgique, de 45 millions de kilogrammes, tandis qu’il n’y a que 22 millions de kilogrammes de payés ou qui sont soumis au droit ; qu’ainsi il y a fraude de moitié, c’est-à-dire, que 150 navires de sel qui viennent de mer devaient être fraudés. Ces calculs n’ont pu être établis que sur des erreurs.
Comment voulez-vous que 22 millions de sel soient fraudés ? Ce ne sera pas par la frontière de terre, car la France ne peut nous envoyer du sel, puisqu’il y est plus imposé ; il en est de même en Prusse ; reste donc la Hollande.
L’importation en Hollande n’est que les deux tiers de ce qu’elle est en Belgique, et s’il fallait en diminuer ce qu’on prétend être introduit en fraude, il n’y resterait plus rien.
Je ne prétends pas qu’il n’y ait pas de fraude, mais je dis que la fraude n’est pas plus considérable pour le sel que pour une foule d’autres objets.
Quelques pétitions, messieurs, qui demandaient le maintien de la législation actuelle, demandaient cependant que l’eau salée ne fût plus admise ; dans ces pétitions on évaluait à 500,000 kilog. la quantité de sel fabriquée annuellement avec l’eau de mer. Pour que cette évaluation fût exacte, il faudrait qu’on importât par an 500,000 hectolitres d’eau de mer : car vous savez, messieurs, que l’eau de mer, pesant environ deux degrés, ne donne qu’un kilog. de sel par hectolitre ; or, de la manière dont se fait l’importation de l’eau par mer, il faudrait 2,000 à 2,500 cargaisons pour en importer 500,000 hectolitres. Vous voyez donc, messieurs, que l’évaluation dont je viens de parler est tout à fait absurde.
On est loin, messieurs, de faite un usage général de l’eau de mer : chez nous, il y a quatre salines considérables ; les unes s’en servent, les autres ne s’en servent pas, et celles qui s’en servent ne le font pas parce qu’elles y trouvent un bénéfice, mais parce que le sel qui provient de l’eau de mer est plus brillant, mieux cristallisé. A Anvers, où l’on est si bien situé, où toutes les salines devraient employer de l’eau de mer, à Anvers, dis-je, les salines qui n’ont pas de canaux, et qui devraient, par conséquent, la faire transporter par charrettes, n’en veulent pas, parce qu’elle leur revient trop cher. D’après mes indications, une seule en fait usage. Il est donc injuste d’imposer l’eau de mer d’un droit de 35 centimes ; il est impossible qu’elle paie ce droit, il est impossible qu’elle paie quelque chose, et mieux vaudrait en interdire ouvertement l’importation.
« Mais, dit-on, les navires qui importent l’eau de mer peuvent en même temps importer du sel brut ; c’est là un moyen facile de fraude. » S’il en est ainsi, messieurs, il faut avouer que la douane ne sert à rien ; car il est bien aisé, je pense, de reconnaître si l’eau de mer a été mélangée avec du sel brut ; on sait que l’eau de mer ne pèse que deux degrés ; à plus de trois degrés, il est évident qu’il y a fraude ; cette vérification se borne donc à une opération matérielle. D’ailleurs cette fraude n’a pas lieu, car on n’a jamais fait une saisie de ce genre.
Je reviens encore, messieurs, sur le chiffre de 40 kil. qui a servi de base aux calculs de la section centrale. Je pense que chacun de nous, dans une question de cette importance, a eu soin de prendre quelques renseignements ; je crois que ces renseignements doivent être assez d’accord entre eux, puisque la consommation du sel est à peu près uniforme dans toutes les localités ; j’ai consulté, moi, différentes administrations ; enfin ce que l’on consulte avec le plus de fruit c’est son propre ménage ; j’ai donc aussi consulté le mien, et j’ai vu qu’à l’exception du sel qu’on emploie pour saler les provisions, la consommation de cette denrée est d’environ 3 kil. par individu ; ajoutez-y 2 ou 3 kilog. pour le sel nécessaire pour les salaisons de toute espèce, vous aurez 5 ou 6 kilog. par individu. Je le demande maintenant, messieurs, quel soulagement résulte-t-il pour les classes pauvres d’un projet de loi qui réduit l’impôt sur le sel de 1 fr. 61 c. par cent kilogrammes ? Le pauvre qui achète le sel par un quart ou par un huitième de kilogramme, trouvera-t-il le moindre bénéfice sans une pareille déduction ? Je sais que la section centrale propose une réduction un peu plus forte, mais elle est encore trop faible pour que le pauvre, qui achète par petites quantités, puisse en profiter.
Il ne pourrait y gagner que si la réduction était de 8 fr., ce qui ferait un centime par 1/8 de kil. Si une réduction semblable était proposée et possible, je m’empresserais de l’appuyer.
J’aurais encore d’autres objections à faire contre différentes dispositions du projet, je me réserve, messieurs, d’en parler dans la discussion des articles.
M. Milcamps. - Messieurs, les industriels, dans mon district, n’ont pas la voie d’une chambre de commerce pour faire connaître leurs besoins et leurs vœux à la législature ; ils n’ont que la voie du pétitionnement ou l’organe des députés du district. Rarement ils usent du premier moyen, plus rarement encore du second ; et c’est presque la première fois, depuis que j’ai l’honneur de siéger dans cette chambre, que mon attention a été provoquée sur un projet de loi.
Messieurs, des sauniers sont venus me trouver, et, dans une longue conférence que j’ai eue avec eux, nous sommes demeurés d’accord que le système de la loi du 21 août 1822 était vicieux pour la Belgique, et qu’il devait subir d’importants changements ou améliorations.
Les plus notables qui m’ont été signalés sont :
L’importation du sel brut ou raffiné et de l’eau de mer, aux seuls ports d’Anvers et d’Ostende ;
L’imposition de l’eau de mer ;
La libre circulation du sel brut et raffiné ;
La diminution du droit d’accise ;
Le crédit à terme aux sauniers.
Mais ces améliorations, je les trouve dans le projet de loi présenté par le gouvernement ; et cette fois, comme presque toujours, le gouvernement a consulté franchement l’intérêt général en le conciliant avec celui du trésor, sans se laisser dominer par des intérêts de localité.
La chambre adopterait-elle les améliorations ?
Voici les raisons qui me le font espérer :
Quant à l’importation du sel brut ou raffiné et de l’eau-mer aux seuls ports d’Anvers et d’Ostende, cette disposition, nous apprend la section centrale, a en sa faveur l’opinion de tous les ministres qui, depuis 1831, ont occupé le département des finances. J’ignore si cette allégation est exacte, mais je dirai qu’il ne faut pas une grande perspicacité pour reconnaître que c’est le seul moyen de mettre un terme à la fraude, qu’on porte à plus de 15,000 kilog., et pour faire jouir le sel d’une libre circulation à l’intérieur. Car, messieurs, qu’on ne s’y trompe pas, c’est là le point culminant de la loi, c’est son but et son objet ; elle fait droit aux nombreuses pétitions qui ont été adressées à la chambre. Il ne faut pas s’étonner des réclamations des villes maritimes à cet égard. C’est dans l’intérêt de leur navigation qu’elles réclament ; mais, pour appuyer leurs réclamations, elles sont obligées de demander le maintien des entraves actuelles à la libre circulation du sel, elles sont dans l’impossibilité d’indiquer des mesures propres à arrêter la fraude ; mais qui ne voit qu’il existe un intérêt qui parle plus haut, celui des sauniers de l’intérieur, et qui a l’avantage de se concilier avec celui du trésor ?
Relativement à l’imposition de l’eau de mer, j’ai vu avec étonnement la ville d’Ostende, malgré les avantages que lui accorde le projet de loi, s’élever contre cette disposition. Elle veut l’importation de l’eau de mer libre de droits d’accise.
Mais l’eau de mer ne favorise-t-elle pas, au détriment des sauniers de l’intérieur, les sauniers rapprochés des eaux navigables, déjà favorisés par le transport facile de leur sel brut et du charbon, etc. ? Où serait la garantie des sauniers qui ne peuvent communiquer directement avec la mer (et ceux-là font bien le plus grand nombre), si on laissait exister le principal moyen de fraude et la seule entrave portée à la concurrence, qui doit être le domaine de tous ? Quoi qu’on en dise, et abstraction de l’avantage, l’eau de mer prête à la fraude ; le pied carré faisant 16 pots liquide, donne, en eau de mer, 72 livres poids courant, et en eau douce, 70 livres ; elle possède 4 à 5 degrés de salure, et voici comment cette fraude se fait, ou peut du moins se faire, d’après les renseignements qui m’ont été donnés, et dont cependant je n’ai pas vérifié l’exactitude.
Le départ des bateaux qui vont prendre l’eau de mer coïncide souvent, au-delà des côtes, avec l’arrivée des bateaux chargés de sel brut. On jette du bateau chargé de sel dans le fond de celui chargé d’eau de mer, des quantités plus ou moins fortes de sel, dont la fonte ne laisse aucune trace à la surface, parce que le sel pesant plus que l’eau, toutes les parties salines se fixent dans le fond, et c’est particulièrement par suite de cette fraude et au grand préjudice du fisc et des sauniers de campagne, que ces raffineurs font vendre le sel quasi pour le prix du droit.
Je dirai même que pour rendre le droit uniforme et pour maintenir la concurrence entre les sauniers rapprochés des eaux navigables et ceux de l’intérieur, il faudrait, ou que l’on défendît l’usage de l’eau de mer, ou que l’on accordât au dernier l’équivalent du bénéfice que donne l’eau de mer. Cependant, messieurs, le gouvernement se borne à établir, à l’importation de l’eau de mer, une accise de 50 cent. par hectolitre d’eau marquant 3 degrés, et la section centrale une accise de 35 c. Je pense, messieurs, que nous ne pouvons refuser notre assentiment à la proposition de la section centrale sans porter atteinte à la concurrence qui doit exister entre tous les sauniers en général.
Venant maintenant à la libre circulation du sel brut et du sel raffiné, on doit admettre que cette proposition n’est que la conséquence, et la conséquence nécessaire, de l’importation, bornée aux deux seuls ports d’Anvers et d’Ostende ; elle aura cet heureux résultat d’affranchir la circulation du sel à l’intérieur du royaume des entraves auxquelles elle est maintenant assujettie.
J’aime à croire que la chambre adoptera ces diverses dispositions ; ce sont de grandes améliorations, et il fallait être ce que nous sommes maintenant pour arriver à ce résultat.
Car remarquez-le bien, messieurs, la loi du 21 août 1822 était bonne pour la Hollande. Là, en effet, l’étendue des côtes et les facilités offertes à la contrebande rendaient difficile la répression de la fraude par le cabotage. Il y eût eu des inconvénients à proclamer la libre circulation du sel brut et du sel raffiné ; il devenait nécessaire, pour prévenir la fraude, d’assujettir les sauniers de l’intérieur à de minutieuses et gênantes formalités. C’était le contraire en Belgique, où l’on eût bien fait de n’établir que deux dépôts, Anvers et Ostende, et où les sauniers de l’intérieur se fussent approvisionnés. Il n’eût pas fallu, pour prévenir la fraude qui se montre si scandaleuse, assujettir les sauniers de l’intérieur aux formalités gênantes et onéreuses de la loi du 21 août 1822 ; mais nous devions subir la loi commune, et il faut être, je le répète, ce que nous sommes pour arriver à l’ordre naturel des choses.
Ce ne sont pas là les seules améliorations que l’intérêt général réclame ; nous devons y ajouter la diminution du droit d’accise. La loi actuelle établit les droits d’accises à 17 fr. 65 c. par 100 kil. de sel brut ; le gouvernement propose de le réduire à 16 fr., et la section centrale à 12.
Si je savais qu’en Belgique la consommation pût être évaluée à 10 kil. par tête, je ne verrais pas grand inconvénient à adoption la réduction proposée par la section centrale ; mais je n’ai pas des donnes certaines à cet égard. On peut craindre qu’une aussi forte réduction compromette les prévisions du trésor. J’attendrai des explications sur ce point.
Il y a lieu aussi d’accorder aux sauniers, comme le propose le gouvernement, le crédit à termes. Je ne suis nullement touché des arguments qu’on oppose à cette disposition.
En résumé, le projet de loi présenté par le gouvernement me paraît, dans le plus grand nombre de ses dispositions, concilier les intérêts généraux avec ceux du trésor ; j’en adopterai les bases.
(Moniteur belge n°83, du 24 mars 1838) M. Devaux. - Messieurs, à la vue d’un projet de loi en 41 articles, contenant 23 à 24 pages in-folio ; d’un projet de loi dont la discussion va absorber probablement une grande partie du restant de notre session ; à la vue des pétitions qui surgissent de presque tous les points de la Belgique contre le projet de loi, la première question que je me suis faite, c’est celle de savoir quelle était l’urgence de cette modification de la législation actuelle. Je me suis demande quel avait été le but d’un certain nombre (assez restreint, il est vrai) de membres de cette chambre, qui ont insisté à diverses reprises pour obtenir une loi nouvelle sur cette matière.
Ce but, messieurs, est celui-ci : on voulait trois choses : une diminution dans le droit d’accise ; une diminution de la fraude, pour augmenter le revenu du fisc ; ou voulait enfin délivrer les sauniers des gênes qui résultent pour eux de la nécessité actuelle de se munir d’un document, pour vendre le sel raffiné.
Quant au premier but qui est la diminution du droit d’accise et qu’on voudrait atteindre dans l’intérêt du pauvre, je ne veux pas nier que jusqu’à un certain point le pauvre ne soit pas intéressé à une diminution dans le droit d’accise. Mais pour que cette diminution se fasse sentir pour lui, ainsi qu’on vous l’a dit tout à l’heure, il faut une diminution considérable ; il faut une diminution qui se traduise non seulement en kilogrammes, mais encore en demi, en quart, en huitième, en seizième de kilog. ; et alors, messieurs, vous aurez une expérience à faire, pour savoir si cette diminution étant opérée, l’accise produira plus ou produira moins. Si nous sommes financièrement en position de faire de semblables expériences, si l’on croit le moment opportun de les tenter, pour mit, au fond, je n’y suis nullement opposé.
Mais, messieurs, ce n’est pas là ce que l’on vous propose ; le projet de loi du ministre réduit l’accise de 17 centimes par kilog. à 16 centimes, et la section centrale croit aller très loin en vous proposant de la réduire à 12.
Tout en ne perdant pas de vue l’intérêt du pauvre, ne l’exagérons pas. L’importance de l’impôt est aujourd’hui année moyenne d’après la section centrale de 2,800,000 fr. M. le ministre des finances me fait observer que ce n’est là que le principal et qu’il faut ajouter les additionnels, ensemble donc environ 4,000,000. Eh bien, pour avoir un terme de comparaison plus facile, je supposerai que la population du royaume n’est que de 4 millions ; nous avons donc annuellement 1 fr. par individu, et par conséquent moins d’un tiers de centime par jour et par individu.
Voilà, messieurs, l’importance du droit sur lequel M. le ministre des finances dans son projet vous propose une réduction d’un dix-septième. Aussi, vous aurez à réduire, pour le pauvre, d’un dix-septième le tiers de centime qu’il paie par jour. La section centrale vous propose de le réduire d’environ un quart, ce qui ferait un douzième de centimes à retrancher d’un tiers.
Messieurs, je dis que tout en ne niant pas l’intérêt qu’il peut y avoir à obtenir une diminution notable de l’accise, on ne peut s’empêcher de reconnaître que le projet consacre une diminution véritablement illusoire. Si vous considérez que le pauvre achète le sel par très petites quantités, il devient très problématique si de ce chef la moindre diminution de prix pourra se faire sentir pour lui.
Or, d’autre part, on vous propose une foule de difficultés nouvelles pour le commerce. On vous propose d’abolir les crédits permanents, de restreindre le grand commerce de sel à deux villes ; or, le monopole et tout ce qui s’en rapproche, n’a jamais passé pour favoriser le bas prix des marchandises. On vous propose ensuite la suppression des entrepôts à l’intérieur, la suppression du déchet ; on vous propose enfin d’imposer l’eau de mer. Je crois qu’en présence de toutes ces mesures, il ne faut pas être fort sceptique pour rester dans le doute sur la question de savoir si, par suite de l’adoption du projet de loi, le prix du sel augmentera ou baissera.
Le second but qu’on a en vue en réclamant une législation nouvelle, c’est de diminuer la fraude. Remarquez ici la contradiction dans laquelle on tombe. On veut diminuer le prix du sel ; on allègue qu’il y a grande fraude, et on veut la supprimer ; il me semble que diminuer la fraude, ce n’est pas agir dans le sens de la diminution du prix. De deux choses l’une ; ou bien la fraude est peu considérable, et alors il n’y a pas grand intérêt à la supprimer ; ou bien la fraude est considérable, et alors nécessairement elle doit faire baisser le taux naturel du prix de cette denrée.
On veut supprimer la fraude, et en même temps que fait-on ? On supprime la nécessité qui existe aujourd’hui d’avoir un document pour la circulation du sel raffiné. L’on évalue à des quantités monstrueuses, en quelque sorte, le sel fraudé, et en même temps l’on vous propose de supprimer ce qui paraît un des moyens les plus efficaces contre la fraude, le document qui doit accompagner aujourd’hui la circulation de toute quantité de 25 kil. de sel raffiné.
La suppression de cette mesure offre tellement de chances de fraude que les sauniers de Liége qui sont voisins d’une frontière par où l’on fraude le sel raffiné, vous demandent eux-mêmes en grâce de ne pas leur accorder la libre circulation du sel, parce qu’ils ne pourraient lutter contre la fraude. Or, si vous supprimer le document, vous n’avez pas seulement à craindre la fraude dans le rayon de Maestricht, vous avez encore à la craindre sur toute la limite des Flandres, car les mêmes motifs qui peuvent faire frauder dans le rayon de Maestricht peuvent faire frauder également le long de la Flandre zélandaise.
Voilà bien des contradictions ; mais dans tout cela, cependant, le but réel, le seul avantage, c’est la suppression du document qui doit accompagner aujourd’hui le sel raffiné, c’est la suppression des gênes que les marchands de sel raffiné éprouvent en le débitant. Reste à savoir maintenant si d’une part cet avantage est très grand, et, d’autre part, si on peut l’obtenir sans l’acheter trop cher.
Au prix que propose le projet de loi, c’est le payer trop cher ; si on peut l’obtenir à de bonnes conditions, je ne le repousserai pas : mais aux conditions du projet de loi, je n’en veux pas ; car, je vous le déclare, la loi proposée est, à mon avis, la plus inadmissible de toutes celles qui vous ont été présentées jusqu’ici. Et la chose est d’autant plus étonnante qu’aucun de ces principes contestés d’économie sociale qui nous divisent souvent n’est ici en cause. Le projet actuel est une loi fiscale et rien de plus.
Messieurs, je ne m’attacherai aujourd’hui, dans la discussion générale, qu’à ce qu’on a proclamé hier être le point culminant de la discussion.
La mesure la plus grave du projet est sans contredit la restriction de l’importation directe, sans rupture de charge, à deux ports, Ostende et Anvers, à l’exclusion de Louvain, Bruxelles et Bruges. Cette mesure, messieurs, est celle qui, à mes yeux, a le plus de gravité, et elle en a une très haute ; je ne désespère pas de vous en convaincre.
Il faut bien, messieurs, qu’il en soit ainsi, car si vous lisez et l’exposé des motifs du gouvernement et le rapport de la section centrale, vous serez frappés d’une chose : c’est qu’il semble que personne ne veuille avoir l’honneur d’être auteur du projet de loi. M. le ministre des finances, et avec assez de raison, je pense, vous déclare que ce n’est pas lui qui a pris l’initiative de ce projet, mais qu’il lui a été inspiré par la section centrale de la chambre.
De là, le projet a passé dans une commission de membres des chambres nommée par M. le ministre des finances, et dont les membres de cette même section centrale faisaient partie, et c’est sur les bases posées par cette même commission que le projet de loi a été rédigé. Ainsi M. le ministre des finances me paraît, jusqu’à un certain point, pouvoir décliner avec raison sa responsabilité. La section centrale à son tour prend soin de s’entourer de toutes les autorités pour motiver. Oh ! ce n’est pas elle seulement, elle la première, qui a pensé ainsi. Voyez plutôt.
Voici, messieurs, ce que je lis à la page 3 du rapport de la section centrale, relativement à la proposition de restreindre l’importation du sel aux deux seuls ports d’Anvers et d’Ostende :
« Le premier moyen qui vous a été signalé, et qui proviendrait du trop grand nombre de ports de déchargement avait été reconnu par tous les chefs qui se sont succédé dans l’administration des finances.
« M. de Brouckere, dans la note explicative du projet qu’il a présenté au congrès, dit que la latitude des arrivages vers des lieux de déchargement à l’intérieur, il est résulté de fréquents et graves abus.
« M. Coghen, dans son projet présenté à la législature en 1832, dit que le système le plus propre pour obvier à la fraude serait de ne permettre le premier déchargement à l’arrivée que dans les ports d’Ostende et d’Anvers.
« M. Duvivier était plus restrictif encore, car ne consultant que l’intérêt du trésor, il aurait voulu borner l’importation au seul port d’Ostende, parce que sa longue expérience en douane et accise lui avait appris qu’il y avait d’autant plus d’abus et de fraude que le point d’entrée était plus éloigné de celui du déchargement.
« Et enfin le projet présenté à la commission en 1834, celui de M. d’Huart à la chambre en 1836, la commission spéciale chargée de son examen, et la section centrale au nom de laquelle j’ai l’honneur de vous parler, tous se sont réunis pour restreindre les bureaux de déchargement aux seuls ports d’Ostende et d’Anvers.
« Quant au port de Bruges, déjà la section centrale, dans son rapport au congrès, disait, par l’organe de son rapporteur,t M. d'Elhoungne, qu’on ne pouvait placer un bureau d’entrée à Bruges, sans ouvrir une large voie à la contrebande. Comme se flatter, disait-il, d’empêcher le versement en fraude d’une denrée aussi fortement imposée, pendant un trajet de plusieurs lieues, par un canal abordable de tous les points ? »
Que croyez-vous, après cette lecture que je viens de vous faire ? Que les projets de loi présentés par MM. de Brouckere, Coghen, Duvivier et d’Elhoungne tendaient à supprimer la faculté d’importation par tout autre port que ceux d’Anvers et d’Ostende. Eh bien, veuillez m’écouter.
M. de Brouckere, dans le projet qu’il a présenté, reconnaît que ce moyen est un de ceux qui peuvent empêcher la fraude ; dans l’intérêt du commerce, il le rejette, et son projet de loi propose expressément de conserver à tous les ports la faculté dont ils jouissent.
M. Coghen dit la même chose, et rejette également la restriction. Son projet maintient tous les ports d’importation.
Quant à M. Duvivier, on ne cite pas la date à laquelle il a énoncé son opinion, je ne l’ai pas retrouvée.
Venons à l’opinion det M. d'Elhoungne, à laquelle on attache probablement quelque prix, car il était du district de Louvain, et ce serait, pense-t-on, sans doute un argument assez fort, si un député de Louvain convenait qu’il faut supprimer le port de Louvain. Eh bien, j’ai trouvé que le projet présenté part M. d'Elhoungne, loin de restreindre les ports de déchargement, tend à les étendre. Loin de restreindre l’importation à Ostende et à Anvers, il maintient tous les ports actuels et ajoute celui de Termonde.
Voici la phrase qu’on cite det M. d'Elhoungne : « On ne pourrait placer un bureau d’entre à Bruxelles sans ouvrir une large voie à la contrebande. Comment se flatter d’empêcher le versement en fraude d’une denrée aussi fortement imposée, pendant le trajet de plusieurs lieues, par un canal abordable de tous les points ? »
Savez-vous de quoi il s’agit là, de quoi parlet M. d'Elhoungne ? De quelque chose qui n’a rien de commun avec la question dont je vous entretiens. Bruges avait demandé à cette époque non pas de pouvoir importer directement le sel, car on le lui contestait pas cette faculté, non pas d’être mise sur le même pied qu’Anvers, car le projet de loi d’abord conservait cette égalité, mais d’être mise sur le même pied que Lillo, que le premier bureau d’entrée situé à l’extrémité du territoire. C’est-à-dire de n’être plus soumise au plombage et convoyage dans le trajet d’Ostende à Bruges.
La section centrale répond que cela offrirait des chances de fraude dans le trajet. Je demande ce que cela a de commun avec la mesure dont il s’agit ; quelqu’un demande-t-il ici d’ériger Bruges en bureau d’entrée et de supprimer les plombs et le convoiement ?
Je n’ajouterai ici aucun commentaire ; mais il doit être permis de dire qu’il est vraiment pénible d’avoir à relever de pareilles choses dans un rapport fait officiellement par une section centrale au nom de la chambre, je ne dirai pas, pour relever des citations fausses, car littéralement elles sont vraies, mais des citations qui, incomplètes et de la manière dont elles sont présentées, doivent, contre l’intention de l’auteur du rapport, induire en erreur tous ceux qui ne les rapprochent pas des documents dont elles sont extraites.
Le grand motif dont on s’est servi pour demander que l’on restreigne les bureaux de déchargement à deux ports et que l’on exclue les autres ports qui jouissent de la faculté d’importation, c’est la fraude.
Quand on allègue de pareils faits pour arriver à une conclusion si extraordinaire, il faudrait quelques preuves, ou au moins quelques présomptions un peu précises. J’avais pensé que la section centrale aurait commencé par mettre sous nos yeux des procès-verbaux, car si on fraude une quantité aussi considérable de sel, il doit y avoir des procès-verbaux. Je comprends que quelques fraudeurs échappent ; mais si la fraude est si considérable, quelques-uns doivent avoir été pris sur le fait. La section centrale n’indique ni le nombre, ni la nature des procès-verbaux ! Au lieu de constater les faits, elle se livre à des conjectures, elle calcule quelle doit être la consommation du sel en Belgique. Vous savez que dans de telles évaluations il y a une grande latitude ; la section centrale décide que l’on doit consommer en Belgique 10 kil. de sel par individu, ce qui fait pour toute la Belgique 40 millions de kil. par année ; or, comme il n’y a de déclaré que 25 millions de kilog., on trouve, en faisant une soustraction, qu’il doit y avoir une fraude de 15 millions de kil. Mais sur quoi se fonde-t-on lorsqu’on dit qu’en Belgique il se consomme par an 10 kil. de sel par individu ? On se fonde sur des données non-officielles de France, données contradictoires d’après lesquelles la consommation par individu varierait entre 5 1/2 et 11 kil.
Pourquoi choisit-on le chiffre de 10 kilog. ? Je n’en sais rien. Si on n’a pas trouvé de chiffres en France, on en a trouvé en Prusse ; mais on ne veut pas de ceux-là. Cependant en Prusse le calcul doit être assez bien fait, car le gouvernement a le monopole du sel, et chacun est tenu de prendre chez lui le sel qu’il doit consommer. En Prusse la quantité de sel consommé par chaque individu est de 3 à 6 kilog. Je crois que si on peut raisonner d’un pays à un autre dans cette matière, cette quantité doit être très approximativement juste. Ce qui le prouve, c’est que la confédération commerciale d’Allemagne a formé un contrat d’après lequel tous les gouvernements (comme ils ont tous ou presque tous le monopole du sel) ne peuvent débiter le sel que dans une proportion donnée. C’est à la suite d’une discussion entre les gouvernements que la consommation a été évaluée à un chiffre déterminé, ce qui est probablement celui de la Prusse que cite la section centrale.
Pour la France, je n’ai pas à ma disposition de renseignements officiels ; le seul ouvrage que j’ai eu entre les mains est celui de M. Chaptal sur l’industrie française, qui évalue aussi la consommation française entre 5 ou 6 kilog. Chacun de nous a pu s’informer dans son ménage, comme je l’ai fait dans le mien et dans quelques autres ; je suis arrivé ainsi à ce résultat que la consommation est de 5 à 6 kilog. par personne, en faisant une certaine distinction pour les enfants. Il est constaté, vient-on de dire, que cette quantité de sel est consommée dans les hospices par chaque individu. C’est aussi la ration du soldat ; je crois donc que l’évaluation de la consommation du sel en Belgique à 5 ou 6 kilog. par individu est très près de la réalité. Cela ferait par année, pour la Belgique, 25 millions de kilog., ce qui correspond exactement à l’importation déclarée. Si donc il y a fraude (comme je le crois vers les frontières de terre, et comme pour toute autre marchandise), le sel étant une matière dont le transport est très coûteux, puisqu’elle occupe un grand espace relativement à sa valeur, elle ne peut s’étendre loin.
La section centrale suppose que l’on fait la fraude du sel brut par les vaisseaux, et comme, suivant elle, il y a 15 millions de kilog. de sel fraudés par année, cela fait à 100 tonneaux par vaisseaux 150 cargaisons de sel qui entrent en fraude, et tout cela sans qu’il y ait un seul procès-verbal !
J’ai voulu rechercher un autre moyen de vérification de cette énorme fraude. Tout le monde sait que le sel est n’est importé que par vaisseau belge, les vaisseaux étrangers ne pouvant soutenir a concurrence à cause du droit différentiel établi en leur défaveur ; le sucre est dans le même cas que le sel ; ce sont à peu près nos seuls objets de navigation.
Il a été importé en 1834 (dernière année des documents officiels qui nous ont été présentés : en sucres, 26 millions de kilog ; en sel, 20 millions de kilog. ; total, 46 millions de kilog.
Eh bien ! Savez-vous quel est le tonnage constaté par le gouvernement des vaisseaux belges entré en 1834 dans nos ports ? 46 millions de kilogrammes, correspondant à 46 mille tonneaux. Le tonnage des vaisseaux belges entrés avec chargement dans les ports du royaume est de 43 mille tonneaux. Ainsi le chargement réel surpasse la totalité du jaugeage de nos vaisseaux entrés, car ils ne jaugent que 43 mille tonneaux. Cette différence vient de ce que beaucoup de vaisseaux chargent plus que leur tonnage. Supposons qu’ils chargent un huitième en sus, prenez que les 43 mille tonneaux officiellement déclarés en aient chargé 48 à 50 mille ; sur ces 48 à 50 mille tonneaux, le sucre et le sel déclarés en absorbent 46 mille, de sorte que pour les autres objets importés par les vaisseaux belges, il ne reste que 2 à 4 mille tonneaux. Est-ce trop ? N’est-il pas évident que si vous tenez compte des denrées et marchandises autres que du sel et du sucre, importés par vaisseaux belges, il reste extrêmement peu de marge pour une fraude quelconque par vaisseau, et que la prétendue consommation de 10 kilog. par individu est une exagération qui passe les bornes du possible.
Il peut y avoir eu de la fraude en 1830, quand les autorités avaient perdu beaucoup de leur force morale, quand tout ce qui avaient un caractère de sévérité était mal vu ; à cette époque les douaniers n’osaient pas se montrer sévères, parce que s’ils l’avaient été, ils auraient été menacés de violence. Mais depuis longtemps cet état de choses a cessé ; j’ajoute que si on fraudait alors, ce n’était pas dans le trajet d’une ville à l’autre, mais dans les ports mêmes les plus voisins de la mer.
Remarquez ce qu’il y a d’exorbitant dans ce qu’on vous propose. On dit : Nous avons quelques présomptions qu’on fraude, rien ne constate la fraude dont nous nous plaignons ; mais nous avons idée qu’elle se fait et que c’est dans le trajet vers les lieux de déchargement ; nous supprimons ce trajet, nous supprimons les lieux de déchargement intérieur. Ainsi, désormais, si on fraude dans un port, ou aux abord d’un port, supprimera-t-on le port ? Le remède peut être sûr, mais il me paraît singulièrement héroïque.
Lorsque des vaisseaux arrivent, on fait la déclaration de ce qu’ils contiennent au bureau d’entrée ; ils sont convoyés jusqu’au lieu de déchargement, c’est-à-dire entre Ostende, Anvers, Louvain, Bruxelles et Bruges, où on fait vérification du contenu. Si la vérification ne correspond pas à la déclaration, les peines sont très sévères, on peut aller jusqu’à la confiscation du navire. Avouer l’impuissance de pareils moyens pour réprimer la fraude, savez-vous où cela conduit ? A la suppression de tous les entrepôts. Ils ont été introduits en 1827, aux applaudissements du commerce. Si on dit qu’on ne peut plus importer en entrepôt de marchandises payant 12 fr. de droit par 100 kil., ce n’est pas au sel seul que la mesure doit s’appliquer, il y a 50 articles du tarif qui paient un droit de douane plus élevé que 12 fr. les 100 kil., et dont par conséquent vous ne pourrez pas empêcher la fraude, si vous n’en bornez pas le déchargement à Ostende et Anvers ; ce sont : le thé, les draps, les tabacs, les toiles, les cuirs tannés, la fonte, l’étain, les épingles, les bougies, les cordages, le savon, les livres, la soie, etc.
M. le ministre des finances me fait observer dans ce moment que ces articles ont une plus grande valeur. Soit, mais quel est le sens de cette objection ? C’est sans doute que les fraudeurs risquent moins à frauder, parce qu’en cas de saisie ils ne perdent qu’un objet de peu de valeur. Cette objection se réduit à rien pour la fraude qui se fait par vaisseau ; puisqu’on peut confisquer le navire, cette confiscation est assez importante pour que celui qui y introduit du sel de cette manière en tienne compte.
Messieurs, il y a plus : ce ne sont pas seulement les entrepôts intérieurs qui sont mis en question, mais même la liberté du port d’Anvers ; car enfin le port d’Anvers n’est pas contigu à la mer, et il n’est pas situé à l’extrême frontière. Il faut traverser plusieurs lieues de pays pour y arriver. Si les précautions actuelles ne suffisent pas pour empêcher la fraude dans le trajet d’Ostende à Bruges, par exemple, comment les marchandises arriveront-elles sans danger à Anvers ?
Anvers est dans une position pire que celle de Bruges. On donne dans le projet 48 heures pour faire le trajet du premier bureau d’entrée à Anvers. Il n’en faut pas à beaucoup près autant pour que les vaisseaux se rendent d’Ostende à Bruges : il n’y a que quatre lieues. Si on peut frauder le long du canal de Bruges, on le peut à plus forte raison le long de l’Escaut pour arriver à Anvers, car la surveillance est plus difficile dans ce cas que dans le premier. Vous reconnaissez la nécessité que les vaisseaux passent la nuit dans l’Escaut avant d’arriver à Anvers, tandis que cette nécessité n’existe pas pour Bruges.
Le commerce de 25 millions de kilogrammes de sel, qui aliment presque exclusivement avec le sucre notre navigation, est chose très importante, quand vous le mettez en présence du chiffre du tonnage des vaisseaux de nos ports, qui, d’après le dernier document publié, était de 44 mille tonneaux, 25 tonneaux de sel sur une navigation de 44 mille, c’est chose assurément qui mérite d’être prise en sérieuse considération. Ce commerce du sel se fait en change des écorces, du grain et du lin que nous fournissons à l’Angleterre. Il s’est partagé entre Ostende, Anvers, Bruges, Bruxelles, Louvain. Il a créé et lié une foule d’intérêts et de relations. Pouvez-vous les détruire tout d’un coup ?
Jamais on n’a présenté de loi de douane brisant ainsi brusquement de semblables intérêts. C’est cependant ce qu’on nous propose de faire d’un trait de plume. On supprime ce commerce dans les villes de Bruges, Bruxelles et Louvain pour le concentrer dans les ports d’Ostende et Anvers.
Je le répète, la législation qui a permis aux importations d’arriver directement, non seulement à Bruges où elles arrivent de tout temps, mais bien plus avant dans l’intérieur du pays ; cette législation a été reçue comme un bienfait, comme un grand progrès commercial ; il s’agit d’en détruire une des parties la plus réelle, car le commerce du sel est ce qu’il y a de plus réel et de plus considérable dans le commerce extérieur de plusieurs de ces localités.
Permettez-moi, messieurs, de vous entretenir quelques instants de la position particulière du port de Bruges, et de ses antécédents. Vous connaissez tous l’antique réputation de cette grande cité commerciale du moyen-âge. Au moyen-âge, Bruges dut sa haute fortune à ses communications directes avec la mer. A cette époque sa position géographique était autre qu’aujourd’hui. Elle communiquait avec la mer non par Ostende, mais par l’Ecluse, au moyen d’un canal qui allait déboucher dans le Zwyn. Cette communication directe avec la mer, on attacha le plus grand prix à la conserver malgré les obstacles qui survinrent déjà au moyen-âge. Des villes intermédiaires s’étaient agrandies entre la mer et Bruges et élevaient des difficultés. Un nouveau canal fut creusé dans la même direction, et les anciennes cartes indiquent jusqu’à trois canaux parallèles entre Bruges et le Zwyn pour arriver à la mer, trois canaux éloignés pour ainsi dire de quelques mètres l’un de l’autre ; tant on fit d’efforts pour conserver ce grand avantage d’être en rapport immédiat avec la mer. Malheureusement la nature et les événements politiques conspirèrent contre une si louable persévérance. Le port de Bruges, par suite de l’ensablement du Zwyn et des événements qui mirent l’embouchure du port entre les mains de nos ennemis, fut privé de cette communication. Il y avait de quoi se décourager sans doute, surtout lorsque d’autres causes avaient détruit en même temps une grande partie de l’ancienne et brillante industrie de la ville. Bruges, dans cette terrible lutte, ne se découragea pas ; privée de communication avec la mer du Nord, elle se retourna vers l’ouest. Alors fut créé ce véritable fleuve artificiel, cet admirable ouvrage, admirable encore aujourd’hui, mais admirable surtout pour le temps où il fut fait, le canal de Bruges à Ostende, qui permit aux vaisseaux de commerce d’arriver directement jusqu’au port de Bruges. Malheureusement de si nobles efforts ne furent pas couronnés de succès, dont ils étaient bien dignes : il était trop tard, les événements avaient marché, le temps avait dispersé les capitaux, le commerce avait changé de cours. Puis vinrent les guerres, les invasions, la mort du commerce belge ; non seulement l’Escaut fut fermé, mais le gouvernement étranger qui nous dominait alors eut la faiblesse de consentir à la suppression de toute grande navigation. Ce n’est que dans le dernier siècle, pendant la guerre de l’Amérique, alors que la Hollande était compromise, dans la lutte de l’Angleterre et de sa colonie, que les ports de Bruges, grâce à la neutralité du pays, parurent vouloir se ranimer ; mais ce ne fut qu’un éclair qui s’évanouit avec les circonstances passagères qui l’avaient produit. L’empire ne favorisait pas des dispositions d’esprit favorables à un grand élan commercial ; ce n’est pas pendant le blocus continental que nos ports pouvaient se relever de leur longue décadence. Cependant jamais l’espoir ne fut complétement perdu. Sous le gouvernement des Pays-Bas, Anvers eut besoin de beaucoup de temps pour se refaire quelque peu ; Bruges avait besoin de plus de temps encore, car la chute datait de plus loin.
Cependant le progrès commençait. Il y avait à Bruges, à la chute du gouvernement des Pays-Bas, outre le commerce du sel, quelques expéditions vers les Indes et quelques retours ; la révolution arrivant, elle arrêta les expéditions de long cours, et Bruges fut réduite au commerce du sel. Aussi puis-je dire avec vérité que tous les vaisseaux de mer du port de Bruges font aujourd’hui le commerce du sel sans exception. Ce commerce n’est peut-être pas le plus lucratif, mais il est sûr et se fait en toute saison ; il convient à des armateurs timides encore qui n’ont ni beaucoup d’expérience ni beaucoup de hardiesse. Nos relations commerciales ont été trop longtemps interrompues pour que nous puissions entreprendre de plus grandes expéditions, sans passer par un noviciat plus modeste.
Là comme ailleurs, cependant, la révolution a fait ce grand bien ; les esprits se sont retrempés ; le besoin du progrès s’est fait plus vivement sentir ; de jeunes armateurs sont entrés en lice ; de nouveaux projets surgissent : une espérance, un peu vague encore, de la résurrection d’une partie du commerce brugeois se répand ; et elle est nourrie par l’expectative du chemin de fer qui s’approche de la ville. Eh bien, que fait le projet de loi ? Il étouffe ces heureuses et nouvelles dispositions d’esprit dans leur germe ; cette nouvelle existence qu’on espère, il la coupe dans sa racine.
Je crois, messieurs, que les auteurs du projet, quels qu’ils soient, n’ont pas vu la gravité de la question ; ils n’ont pas vu qu’ils devaient à une ville une position dont elle était en possession depuis des siècles. Car elle, quelle différence y a-t-il entre une ville située à 4 lieues de la mer sur un large canal de 4 à 5 mètres de profondeur, et une ville située à l’embouchure d’une rivière ? Je ne vois d’autre différence si ce n’est que l’une a été servie par la nature et que l’autre s’est créé elle-même ses propres ressources, ressources qui en sont d’autant plus respectables.
Je m’oppose à la loi en ce qui concerne Bruxelles, Louvain et Gand, mais elle est bien plus inadmissible encore relativement à Bruges ; car si elle est rétrograde pour les autres ports, si pour eux elle nous reporte de dix siècles en arrière, je ne sais jusqu’où elle recule pour Bruges, car elle lui ôte un avantage dont elle a joui de tout temps. Je ne vous fatiguerai pas de la lecture de toutes les législations qui ont régi nos ports, mais je ne puis m’empêcher de vous en donner le résumé de la législation à partir du gouvernement français.
La loi de floréal an XI contient des dispositions sur les divers ports français. Elle déclare ports d’entrepôt réel 16 ports pour tout l’empire français ; ce sont ceux qui sont en contact immédiat avec la mer et les grands ports situés à l’embouchure des fleuves, comme Bordeaux, Nantes…, pour la Belgique, Ostende, Bruges et Anvers. Cette législation prescrit les précautions nécessaires qu’on doit prendre pour les ports dans l’intérieur ; tels que Bruges, Rouen… Ces précautions pour le convoyage, le plombage, à partir du bureau d’entrée, ce sont celles qu’on observe encore.
En 1816, une nouvelle législation douanière arrive, elle indique les bureaux vers lesquels l’importation directe était permise ; ce sont ceux de Nieuport, Ostende, Bruges et Anvers.
Ainsi, vous le voyez, Bruges est toujours sur la même ligne qu’Anvers et Ostende.
En 1819 on va un peu plus loin. La législation douanière établit comme lieux de déchargement, Nieuport, Ostende, Bruges, Gand, Bruxelles et Louvain. Toutefois, il fut dit qu’Ostende, Bruges, Anvers, étaient seuls ports d’allège.
En 1822, nouvelle législation. Sont indiqués comme ports de déchargement, Bruges, Nieuport, Ostende, Anvers, Bruxelles, Louvain et Gand. Cette fois, il est dit dans la loi : Sont exceptés pour le sel, Bruxelles, Louvain et Gand. Ainsi, Anvers, Bruges et Ostende sont encore et toujours sur le même pied ; l’exception ne concerne que Bruxelles, Louvain et Gand.
En 1827, il paraît que l’on ne s’était pas aperçu de grandes fraudes, puisque, par les mesures prises par le gouvernement à cette époque, on élargit le système.
L’arrêté du 17 février 1827 porte :
« Par extension de notre arrêté du 10 décembre 1822 et comme essai tendant à faire connaître si cette mesure donnerait naissance à quelque abus nuisible aux intérêts du trésor, les villes de Bruxelles, Louvain et Gand seront, provisoirement et jusqu’à révocation, considérées comme lieux de déchargement pour le sel entrant par mer… »
Ainsi les importations directes à Bruges offraient si peu d’inconvénients que l’on fait un essai pour les étendre à Bruxelles, Louvain et Gand, et il paraît qu’on se trouvait bien de l’essai ; car, en 1829, après la loi qui étendit le nombre des entrepôts, la loi du 23 décembre déclara que le sel pourrait être admis dans les entrepôts de Bruxelles, Louvain et Gand, afin, dit-elle, de faire un essai plus général des moyens propres à assurer une plus grande extension du commerce de sel brut, pour autant que ces moyens pourront se concilier avec la sûreté de la perception des droits et accises du royaume.
Ainsi, bien que la loi témoigne elle-même que le gouvernement n’agit pas à la légère et en perdant de vue les intérêts du fisc et les moyens de fraude, loin de supprimer les facilités dont jouit le port de Bruges et de se plaindre qu’elles entraînent des inconvénients de fraude, il les étend de plus en plus aux ports de l’intérieur.
Messieurs, je vous demande pardon d’être si long. Je terminerai ici ; mais je reprendrai probablement la parole sur d’autres questions, car il en est beaucoup d’importantes pour le commerce et pour l’industrie dans cette loi. Dès aujourd’hui je dois dire que je ne pense pas que la loi puisse être adoptée ; j’impose une grande modération à mes expressions, mais je puis dire que la mesure dont je vous ai entretenus a quelque chose de si extrême, de si violent en matière de commerce, qu’après que les gouvernements et les plus fiscaux ont reculé devant son adoption, il est impossible qu’elle soit mise à exécution par un gouvernement national qui aspire à conserver la sympathie du pays.
M. Angillis. - Messieurs, dans la séance d’hier, on a de nouveau parlé des droits différentiels ; à cette occasion, M. le ministre des finances a fait observer que cette question a été ajournée par une majorité de quarante et quelques voix. Comme j’appartiens à cette majorité, et que je n’ai pas pu motiver mon opinion alors, je saisis l’occasion que me fournit la discussion pour déclarer qu’en votant l’ajournement je n’ai pas entendu repousser le principe ; au contraire, j’ai l’intime conviction que l’établissement des droits différentiels sera très utile et en même temps très avantageux à notre commerce et surtout à notre navigation. Si j’ai voté l’ajournement, c’est que le moment me paraissait inopportun, et les observations faites par M. le ministre de l’intérieur dans la section centrale m’ont confirmé dans cette opinion. Je fais donc cette déclaration pour que le commerce sache qu’au lieu de trouver en moi un adversaire de ce système, il doit me considérer comme un partisan dévoué et prêt à le soutenir de tous mes moyens lorsque l’époque me paraîtra opportune pour adopter le système, qui, selon moi, n’est qu’ajourné en Belgique. Maintenant, messieurs, j’arrive à la question du sel.
Notre état financier actuel nous oblige de maintenir l’impôt sur le sel, qui d’ailleurs est une matière que la nature prodigue en abondance et presque sans frais à tous ceux qui se livrent à sa facile exploitation. L’usage de cette denrée étant général, la charge qu’elle fait supporter à la nation tout entière se répartit d’une manière très peu sensible sur chacun des nombreux tributaires de l’impôt.
J’ai entendu demander la suppression de cet impôt qui pèse trop, dit-on, sur les pauvres ; à cela je dois faire observer que le prix du sel ne dépasse pas les facultés des ouvriers, et cette source du trésor n’enlève nullement un aliment indispensable au prolétaire.
On ne doit pas, par des abolitions des taxes, s’exposer à déranger l’équilibre de notre système financier, et forcer ensuite le gouvernement à demander de plus onéreux sacrifices à ceux-là mêmes qui auraient obtenu, par cette suppression, un léger dégrèvement. Je le répète, on doit encore maintenir l’impôt sur le sel.
Comme mon intention n’est pas de prendre souvent la parole dans cette discussion, aussi longue qu’elle puisse être, je demanderai la permission d’anticiper un moment sur la discussion d’un article qui, à mes yeux, consacre une grande iniquité. Cet article, messieurs, est le troisième, qui jette un interdit, une espèce d’anathème sur le port de la ville de Bruges. Mais qu’a donc fait cette ville pour mériter cette réprobation, cette excommunication fiscale ? Ce qu’elle a fait ? On fraude, dit-on, beaucoup sur le canal de Bruges à Ostende ; et remarquez-le bien, cette accusation n’est appuyée par aucune preuve ni même par aucune raison quelconque. Voici, du reste, une réponse péremptoire à cette allégation et à d’autres de cette nature. Cette réponse est consignée dans une pétition que je tiens à la main ; nous laisserons parler les pétitionnaires.
« Les registres de la douane attestent que depuis 1830 aucune contravention ni fraude n’a été constatée sur le canal de Bruges à Ostende, et qu’un seul procès-verbal a été fait depuis cette époque, à Bruges même, lequel a été trouvé non fondé. »
Cette réponse, messieurs, fondée sur des pièces que le gouvernement peut vérifier, fait écrouler tout l’échafaudage sur lequel on a bâti tout ce fœtus d’arguments pour soutenir le nouveau système.
Ce n’est pas sur des suppositions plus ou moins inexactes, plus ou moins injurieuses pour le commerce, que l’on fait des lois ; ce sont des faits exacts, des vérités mathématiques que l’on doit présenter pour obtenir une disposition législative ; comme dans le cas présent, qu’il s’agit pour le port de ville de Bruges d’une question de vie ou de mort, il faut qu’on établisse, les preuves à la main, des faits tellement graves, que toute négation devienne impossible. Mais loin de là, on ne prouve rien, absolument rien ; car la base de toutes les allégations manque complétement.
Voici maintenant les faits graves qu’on avance, et vous savez, messieurs, si j’ai eu tort de les réfuter comme non valables. Un fonctionnaire, dit-on, chef de la province, a fait un rapport en 1832, duquel il résulte que les importations du sel par les canaux de l’intérieur donnent lieu à des fraudes considérables ; et pour rendre cette grande preuve plus complète encore, on ajoute que M. le ministre a été obligé de déclarer positivement que c’est principalement dans le trajet d’Ostende à Bruges que se commettent les fraudes et soustractions dont fait mention l’exposé des motifs.
M. le ministre a dit cela, c’est possible ; c’est là son opinion peut-être, et cette opinion est aussi respectable que toute autre ; mais cette déclaration ne prouve encore rien du tout, tandis que les registres de la douane prouvent précisément tout le contraire ; et chose étrange, ce fonctionnaire, ce prétendu chef de province, auteur du rapport dont on a parlé, lui qui savait si bien où la grande fraude se commettait, n’a dressé ni fait dresser aucun procès-verbal pour la constater et pour la punir ! et chose plus étrange encore, c’est sur des motifs dénuées de preuves, sur des présomptions sans vraisemblance, que l’on veut enlever à la ville de Bruges, qui a le marché du sel brut le plus imposant de la Belgique, avec son port de déchargement, sa meilleure ressource financière ! S’il s’agissait de faire une loi, on pourrait dire : Telle ou telle localité par sa situation, par sa position peut donner lieu à la fraude, cela se conçoit ; mais fermer un port au débarquement du sel, qui fait la branche principale de la navigation de la ville, sur l’opinion d’un fonctionnaire qui pense qu’on fraude, alors même que ses agents ne sont jamais parvenus à la constater, malgré tous les moyens qu’ils possèdent pour la découvrir et la réprimer, c’est ce qui ne se conçoit pas.
De deux choses l’une, ou toutes vos allégations sont inexactes, ou vos employés ne font pas bien leur devoir, ce qui n’est pas probable. Mais voici une autre preuve ; et vous allez juger, messieurs, si elle prouve quelque chose. Il est constant, dit-on, et les chiffres le prouvent, que les importations du sel sont beaucoup plus considérables que le montant qu’on déclare à la douane, et de là on conclut, à tort ou à raison, je n’en sais rien, que l’on fraude. Mais on va plus loin, on dit : Puisqu’on fraude, cette fraude se commet nécessairement sur le canal de Bruges à Ostende. Avec une pareille logique on irait loin ; le fameux cardinal Richelieu n’aurait pas mieux raisonné. Mais encore une fois, prouvez vos allégations ; vous avez tous les moyens nécessaires pour constater la fraude, si elle se faisait réellement là où vous le dites ; mais comme vous ne prouvez rien, toutes vos conclusions sont fausses.
Quant aux chiffres de la prétendue importation, les pétitionnaires en contestent l’exactitude, et ils soutiennent avec beaucoup d’apparence de raison qu’il y a double emploi, et je partage assez leur opinion.
Messieurs, avec quelques-uns des tableaux qu’on présente on peut soutenir des opinions divergentes ; il n’y a que deux jours qu’un honorable député vous a prouvé, c’est-à-dire comme on prouve que deux et deux font quatre en finances, que les fileuses des Flandres qui ne gagnent que dix-huit centimes par jour en travaillant du matin au soir, ne sont pas malheureuses !
Quant aux craintes que le trajet d’Ostende à Bruges puisse fournir l’occasion de frauder, voici les observations pleines de justesse et de raison du conseil municipal de Bruges : « Si ces craintes étaient fondées pour Bruges, ne le seraient-elles pas infiniment plus pour Anvers, où le trajet depuis la mer est beaucoup plus long et où d’ailleurs les magasins sont accessibles à chacun et à toute heure, puisqu’ils sont sur la voie publique » ? Si, pour de pareilles craintes, le port de Bruges devait être fermé au commerce du sel, celui d’Anvers ne devrait-il pas l’être à plus forte raison ?
Voilà, messieurs, des observations auxquelles on ne répondra pas facilement. J’y ajouterai seulement qu’au moyen des précautions qu’on prend, la fraude devient sinon impossible, du moins extrêmement difficile, et vous le jugerez.
Tout navire chargé de sel venant de la mer, en destination pour Bruges, doit, avant d’entrer dans le canal, faire la déclaration en détail de toute sa cargaison, d’après son manifeste et ses connaissements ; un acquit à caution lui est alors délivré en conséquence ; ses écoutilles et toutes les issues de la cale sont fermées ; trois douaniers le convoient jusque dans le bassin de Bruges, et le navire est en outre surveillé pendant le trajet par deux autres employés, qui marchent à côté sur l’une et l’autre rive du canal, etc., etc. Si, malgré toutes ces précautions, malgré toutes ces formalités, vous dites qu’on fraude encore, j’en tirerai une conclusion plus logique que la vôtre, je dirai que votre armée de douaniers est devenue inutile.
Hier, messieurs, on a parlé de positions particulières ou plutôt de positions personnelles, je sens aussi le besoin de faire connaître ma position. Je n’appartiens ni à la ville de Bruges, ni à son district administratif, ni à son arrondissement judiciaire. Je n’appartiens ni au commerce ni à l’industrie, ni à aucune association quelconque ; je ne suis à la chambre sous aucune influence, je ne demande rien à personne, mais je veux, pour les autres comme pour moi-même, justice et liberté, et quand j’ai remarqué que l’on veut enlever à la ville de de Bruges un droit que l’on pourrait qualifier de droit acquis, puisqu’elle en a joui sous le gouvernement autrichien, sous le gouvernement du grand empire et sous le gouvernement des Pays-Bas, alors je me suis dit ce que je répète ici, je ne donnerai jamais mon adhésion à une mesure qui consacre une injustice.
(Moniteur belge n°82, du 23 mars 1838) M. de Foere. - Messieurs, je ne partage pas l’opinion de l’avant-dernier préopinant. Il a cherché à décharger le ministère actuel de la responsabilité du projet de loi sur le sel. Ce projet est le fait du ministère. C’est lui qui l’a présenté. Il ne l’a pas fait sans l’examiner, sans en connaître toutes les dispositions : quelque odieuses que soient les conséquences qui résultent du projet, conséquences que l’orateur vient de déduire des principes mêmes du projet, elles retombent tout entières sur le ministère actuel. Il doit en porter toute la responsabilité. (M. le ministre des finances dit que c’est vrai que cette responsabilité tombe sur lui). Les commentaires que l’honorable M. Devaux a voulu tirer contre la section centrale retombent sur le ministère. Cette section a été induite en erreur par le projet de loi du ministère et par les documents qu’il lui a fournis. Les sections sont dirigées par la présomption légitime que les projets de loi, présentés par un ministère quelconque, ont été bien élaborés, et qu’ils sont fondés sur les vrais intérêts du pays.
J’ai dit que l’administration actuelle ne savait pas combiner les besoins du trésor avec les besoins impérieux du commerce et de l’industrie, que son action était purement fiscale, et qu’il ne savait pas même respecter le droit de possession pour lequel d’immenses sacrifices avaient été faits. Cet odieux caractère de fiscalité exclusive va résulter d’autres dispositions du projet sur le sel, à tel point que ces vexations sont complétement gratuites pour les intérêts du trésor.
L’article 2 du projet ministériel établit une accise de 50 cent. par hectolitre d’eau de mer marquant moins de 3 degrés de densité au pèse-poids de Cartier. L’article 3 prohibe l’usage de l’eau de mer de 3 degrés et au-dessus.
L’article 2 équivaut à une prohibition au moyen du droit ; l’article 3 porte prohibition dans les termes.
Tous les sauniers qui emploient l’eau de mer conviennent que cette disposition de l’article 2 équivaut à une prohibition. Ils conviennent aussi que cette eau ne leur est utile que parce qu’elle leur procure une plus qualité de sel.
Les chimistes dit la chambre de commerce de Bruxelles, sont du même avis, et elle ajoute que tout le monde sait que l’eau de mer est mêlée de sel marin et de sel neutre ; que le premier ne s’y trouve qu’en petite quantité, et que le second n’est d’aucune valeur. La pétition de Gand et celle de Bruges expriment la même opinion.
Sur quoi cette prohibition frappe-t-elle ? Sur une matière première recueillie dans les eaux du pays. Sur quoi cette singulière conception est-elle basée ? L’exposé ministériel des motifs du projet de loi sur le sel reste complétement muet ; il n’en dit mot. Existe-t-il peut-être dans la législation de la Belgique une disposition qui, sous quelque gouvernement que ce fût, même sous la fiscalité odieuse de l’empire et de la Hollande, ait, je ne dirais pas prohibé, mais même imposé l’usage de l’eau de mer ? Pas une seule.
J’ai dit que le ministère n’a justifié par aucun motif cette extravagante conception ; mais la solution de l’énigme se trouve dans les réclamations de quelques sauniers auxquels, à cause de leur éloignement de la mer, l’emploi d’eau de mer est impraticable. Ils ont trouvé que l’usage de l’eau de mer était une fraude, et jusqu’à présent jamais aucune loi ne l’a imposée, bien loin d’en avoir prohibé l’emploi ; et ce serait une fraude !
Mais en quoi enfin cette fraude consisterait-elle ? Ils partent d’un fait déjà contesté par les ministres, que l’eau de mer contient une valeur d’un kilogramme et six dixièmes de kilogramme de sel par kilogramme, pesant moins de trois degrés. Voici maintenant textuellement leurs calculs et leurs raisonnements : « Les provinces d’Anvers, de Brabant, de la Flandre orientale et de la Flandre occidentale, les seules qui se servent d’eau de mer, ont une population d’environ 2,200,000 habitants, ce qui donne, à raison de 5 kil. par tête, une consommation annuelle de onze millions de kilogrammes représentant un hectolitre de saumure saturée ; par conséquent, les onze millions de kilogrammes supposent l’emploi de 333,334 hectolitres d’eau de mer, qui sur le pied de 1 et 6/10 de kil. de sel par hectolitre donnent un résultat de 533,335 kil ; soit une somme ronde, 500,000 kil. affranchis de tout droit. » Ils concluent de ces calculs, basés sur ces faits, que le droit sur l’eau de mer fournirait au trésor une recette annuelle d’environ 80,000 fr.
80,000 fr. ! Quelle belle pâture pour le fisc ! Cependant ce chiffre se réduit presque à rien. Les chiffres ne sont jamais autre chose représentation des faits, et ces faits sur lesquels les chiffres sont basés, doivent être bien constatés, avant que les chiffres puissent être un élément de conviction. Ces pétitionnaires portent en fait que tous les sauniers de quatre provinces font usage de l’eau de mer. Voilà leur erreur. Le fait est qu’il n’y en a pas un sur 20 qui fasse emploi d’eau de mer. Voilà donc le chiffre de 80,000 fr. réduit à 19/20. La raison en est palpable. Les frais de transport absorbent les minimes avantages au point que les sauniers à peu de distance de la mer n’emploient pas l’eau de mer. L’honorable M. Mast de Vries vient de nous assurer qu’à Anvers même, un seul saunier fait usage d’eau de mer.
Si ce sont là aussi les calculs du ministère, voilà à quoi ils se réduisent, et pour obtenir 4,000 fr., il vient proposer une disposition qui sacrifie tous les droits de possession acquis depuis un temps immémorial, qui efface, d’un seul trait, les établissements coûteux qu’il a fallu construire, tels que bateaux, futailles, citernes, bâtiments expressément élevés sur les canaux ; une disposition enfin qui enlève à quelques bateliers et à leurs familles leurs moyens d’existence.
Voilà donc, messieurs, à quel haut degré le ministère actuel pousse son caractère d’odieuse et de pure fiscalité. Tout est sacrifié à ce génie de fiscalité, jusqu’au perfectionnement des produits de cette industrie ; car il est bien prouvé que les sauneries qui emploient l’eau de mer n’en obtiennent d’autre résultat qu’une cristallisation plus facile et une qualité de sel plus belle.
Messieurs, quelques pétitionnaires qui réclament cette disposition reculent ou hésitent eux-mêmes devant les odieuses conséquences que sa sanction entraînerait.
Voici textuellement les paroles d’une de ces pétitions :
« La loi du 21 août, en permettant l’emploi de l’eau de mer, sans en grever le compte du saunier, a voulu protéger par là d’autres industries et notamment la navigation, élément essentiel de tout Etat commercial.
« Quoique ce ne soient que de petits bâtiments qui vont charger l’eau à une certaine distance en mer, ils ne forment pas moins des marins hardis et s’offrent, comme moyen d’apprentissage, à la marine. »
Après avoir calculé que l’impôt sur l’eau de mer donnerait annuellement 80,000 fr. au trésor, ils ajoutent : « Mais l’intérêt pécuniaire ne doit-il pas s’effacer devant la considération qu’il est un grand nombre de famille dont le transport de l’eau de mer est le seul moyen d’existence ! … C’est, messieurs, ce que vous aurez à peser dans votre sagesse et votre humanité, avant d’aller aux voix sur ce point. »
Malgré ces hésitations devant cette grande injustice, exprimées par les sauniers qui n’emploient pas l’eau de mer, le ministère n’a pas reculé devant la proposition de l’article 2 du projet !
Messieurs, j’avais une autre tâche à remplir, j’avais à vous prouver que, par son projet de loi, le ministère propose de consacrer une grande injustice en voulant priver les villes du pays de leurs ports d’importation, et surtout ces villes qui, en raison de leur proximité de la mer, ont joui de ce droit pendant un temps immémorial, et pour lequel elles ont fait des sacrifices énormes. Il me restait aussi à démontrer que cette disposition du projet porte gratuitement la perturbation dans le commerce, sans qu’il puisse en résulter aucun bénéfice pour le trésor, et qu’elle tend aussi à détruire entièrement le commerce dans les mêmes ports. Cette tâche a été remplie par M. Devaux
Je terminerai par une réponse à l’honorable ministre de l’intérieur et des affaires étrangères. Dans l’intention de proposer un amendement tendant à soumettre le sel venant de la Méditerranée à un droit inférieur à celui sur le sel importé d’Angleterre, j’avais tâché de faire comprendre à la chambre que cette proposition avait pour but d’établir un commerce régulier avec le Levant, que sans une disposition semblable, un commerce régulier avec l’Orient était impossible, et qu’il était aussi le seul moyen d’atteindre le but commercial que la mission de Constantinople devait remplir. Le ministre de l’intérieur, comme celui des finances, confond ce droit avec un droit différentiel imposé sur les navires étrangers, tandis que ce n’est qu’un simple droit d’accise qui n’a rien de commun avec les droits différentiels. C’est une nouvelle preuve qu’ils comprennent bien cette grave question.
Le ministre de l’intérieur, en terminant son discours, a dit que je ne serai pas le dissolvant du ministère. Il a dit une vérité. Ce dissolvant, ce seront ses propres actes.
M. de Jaegher. - Messieurs, j’ai demandé la parole lorsque j’ai entendu l’honorable Milcamps venir, sur la foi d’une députation de sauniers de Nivelles, nous donner des détails qui sont complétement entachés d’erreur. Je voulais rétablir les faits dans leur exactitude, et faire voir surtout jusqu’à quel point ces sauniers, partie intéressée dans la question, avaient (si je puis me servir de cette expression) abusé de la bonne foi et des intentions bienveillantes de M. Milcamps à leur égard. Toutefois, comme ma réfutation ne pourrait que rétablir des faits qui ont été développés d’une manière si éloquente par l’honorable M. Devaux, j’attendrai qu’on ait réfuté le discours de cet honorable membre ; jusqu’ici on n’y a rien répondu, et, dans mon opinion, M. le ministre des finances, pas plus que le rapporteur de la section centrale, ne pourront détruire les faits que M. Devaux a posés.
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - C’est ce que nous verrons !
M. Desmet. - Je ne pense pas qu’on puisse dire que l’impôt sur le sel n’est pas odieux. A cet égard, je partage l’avis de M. Seron que c’est l’impôt le plus odieux qu’il puisse y avoir. La constituante l’avait apprécié ainsi et elle l’avait supprimé ; les guerres de Napoléon nous l’avaient rendu, mais les alliés l’avaient supprimé en 1814, pour nous les rendre deux années après ; il est mal assis parce qu’il ne frappe que sur les pauvres, les 3/4 sont payés par la classe inférieure, et il est encore mal assis, parce qu’il est tellement fort qu’il prend quelquefois la valeur de la denrée, et je ne puis que contredire ce que vient d’avancer notre honorable collègue M. Angillis, qu’il faut conserver l’impôt sur le sel, parce qu’il se paie facilement : il ne se paie pas si facilement comme on le pense ; j’ai vu plus d’une fois à la campagne que des petits fermiers devaient vendre les jambons du porc qu’ils tuaient pour pouvoir acheter le sel nécessaire pour saler le porc qu’ils avaient tué.
Il n’y a pas moyen cependant de supprimer l’impôt sur le sel, puisque malheureusement nous avons besoin d’argent. Je crois cependant qu’il y a moyen de le diminuer, et de le diminuer de façon à favoriser aussi bien le consommateur que le commerce et même les revenus du trésor, car plus un impôt est modéré, plus il produit, et surtout celui sur le sel qui se fraude beaucoup à cause de sa hauteur, et il est indubitable que si le taux en était moindre, le commerce du sel raffiné et l’exportation à l’extérieur y gagneraient beaucoup.
C’est en 1806 que le premier impôt a été établi en France sur le sel ; il était de dix centimes le kilog., et alors, il a produit 40 millions pour la France entière. On l’a doublé quelque temps après, et il n’a plus dès lors produit autant.
Je crois donc que si l’on réduisait notre droit à 8 ou 10 centimes le kil., on aurait le même produit qu’aujourd’hui ; qu’on aurait près de 4 millions.
Il existe un autre motif, et c’est un motif commercial. Quand il s’est agi du sucre, on a fait valoir si haut l’entrée du sucre brut pour le commerce d’échange, et cependant il n’y a pas de comparaison avec le sel ; il est certain qu’il y aurait de grands avantages à diminuer le taux de l’impôt et de le réduire à 8 ou 10 francs les 100 kilogrammes.
Je proposerai à cet égard un amendement, tendant à réduire l’impôt à 8 ou 10 francs les 100 kil.
Mais je vous demanderai si à présent l’on peut changer le système actuel de la perception de l’impôt dont il s’agit. Pourquoi ce système ? C’est pour éviter la fraude ; comme c’est un impôt qui est établi uniquement pour produire un grand revenu, et qui est d’une telle hauteur qu’il force à la fraude, il faut prendre des moyens efficaces pour l’empêcher.
Quand je veux un impôt tel, je dois, pour le percevoir, en vouloir les conséquences. Cependant je n’oserais pas même déclarer qu’il faut conserver le système actuel. Il est certain que ce système prête à beaucoup d’inconvénients, à beaucoup de fiscalité.
Je parle surtout du recensement : le recensement est certainement accompagné de fiscalités, et à cet égard il n’y a qu’un cri général dans le pays. Si l’on veut changer le système actuel, qu’on le fasse surtout en vue de ce recensement. Quand on trouve des déficits ou des excédants, on met à l’amende les sauniers, alors même qu’ils ont agi avec la meilleure foi du monde.
C’est cette considération qui me met en doute si je dois adopter ou non la continuation du système actuel. Je pense au moins que c’est là mon motif pour tâcher de rendre l’exécution de la loi moins fiscale, et si le fisc le voulait, je pense que le recensement pourrait se faire sans fiscalité.
Etes-vous bien sûr qu’avec la circulation uniquement documentée du sel brut vous pourrez avoir une surveillance assez forte pour prévenir la fraude ?
C’est pour moi une question très douteuse, et je désire qu’on l’examine très scrupuleusement avant d’adopter le nouveau système.
C’est pourquoi, je pense, qu’il peut rester des doutes sur l’opportunité de la suppression du système actuel de la perception.
La circulation libre du sel raffiné a un autre danger. Nous sommes entourés de pays qui raffinent le sel à meilleur marché que nous, et si vous renoncez à avoir la circulation du sel raffiné documentée, il est probable que ce sel va entrer en abondance en fraude de Hollande et même de France.
Le principal défaut que je trouve dans le système actuel est celui des exemptions ; ceux-là peuvent facilement la supprimer sans toucher au principe de perception.
Je ne vois aucun motif pour exempter qui que ce soit, excepté la grande pêche de mer. Faites-y attention, messieurs, si vous supprimez les exemptions, vous allez procurer au fisc un bénéfice résultant de 3 millions de kilog. Car, en 1834, les exemptions sont montées à près de 3 millions de kil. ; il est vrai qu’en 1836 elles étaient moindres, mais cela prouve que ces exemptions servent à la fraude !
Messieurs, un autre objet fort important du projet, c’est l’imposition de l’eau de mer ; je crois bien qu’on l’a employée pour frauder, qu’au lieu de faire entrer de l’eau pure de mer, on a fait entrer de la saumure, et ainsi on extrait beaucoup de sel de la soi-disant eau de mer ; mais quand vous employez consciencieusement de l’eau pure de mer, elle ne contient pas une grande quantité de sel, et comme l’a très bien dit l’honorable M. Mast de Vries, il est rare que l’eau de mer dépasse trois degrés ; ordinairement elle ne dépasse pas deux degrés, et encore pour les obtenir, il faut aller très avant dans la mer et puiser profondément.
Et veuillez d’ailleurs considérer que cette eau de mer que vous avez chez vous, vous ne devez pas aller chercher à l’étranger ; c’est une considération qui mérite qu’on y ait égard ; en outre, le transport de l’eau fait gagner la vie à une quantité de petits bateliers ; je pense donc que pour favoriser la fabrication de cette matière première que vous avez chez vous, il faut la ménager en l’imposant.
Messieurs, encore un objet fort important pour le commerce : c’est un vice que je trouve dans le projet de loi, en ce qui concerne le déchet. Dans ce pays, on n’introduit que deux sels bruts, du sel de roche et du sel de marais. Pour le déchet du sel de marais, vous donnez 6 p. c., et vous n’accordez rien pour le sel de roche. D’après les calculs que j’ai faits, sur 100 kil., il y a un déchet de 60 c. en défaveur du sel de roche. Messieurs, je ne vous ferai pas le détail de ce calcul, mais je le ferai insérer dans le Moniteur, afin que vous puissiez l’apprécier et juger de l’exactitude de ce que je vous avance.
(Le détail de ce calcul est ensuite repris dans le Moniteur. Ces détails ne sont pas reproduits dans la présente version numérisée.)
Je n’entrerai pas dans la discussion de cette question, car je ne désire point de voir renouveler ces scènes d’incriminations dont nous avons été témoins hier, et qui ont donné lieu à des phrases qui heureusement ne sont pas sorties de la chambre, mais qui étaient déshonorantes pour la nation, et en même temps politiques, et que je repousse.
Je crois pouvoir appuyer le système qui a été défendu avec tant de talent par l’honorable M. Devaux. La ville de Bruges a certainement droit d’être un lieu d’allégement. Pourquoi craint-on d’établir un entrepôt libre à Louvain, à Termonde ? A cause de la fraude qu’on peut faire par le littoral. Si la fraude peut se faire par le littoral, c’est de Flessingue à Anvers ; là vous ne pourrez jamais l’empêcher. Je voudrais qu’on me dît si avec un droit quadruple, on pourra empêcher que les Hollandais ne viennent frauder sur un littoral qui est en leur possession, sur une si grande étendue comme celui qui côtoie les deux Flandres.
La fraude est beaucoup moins facile d’Ostende à Bruges, car on peut convoyer les vaisseaux, et je défie qu’on décharge pendant le trajet sans qu’on s’en aperçoive. Entre Flessingue et Anvers au contraire, la fraude est tellement facile que c’est un véritable port hollandais. Il y a au Doel des bâtiments hollandais en très grand nombre occupés à transborder. Et, messieurs, quand vous n’avez pas de grands motifs pour ne pas donner des établissements d’entrepôts libres à Bruges, à Louvain et Termonde, vous mettez dans la gêne une grande partie des populations du pays ; tout le pays de Liége ne peut aller prendre son sel brut qu’à Louvain ; tout le pays d’Alost et une grande partie du pays de Waes doivent aller à Anvers ou à Ostende pour se procurer le sel brut dont ils ont besoin ; c’est impossible ! Il faut donc nécessairement que vous ayez intermédiairement établis des entrepôts libres, car gêner tant de populations et tant causer de frais inutiles, ce serait de plus ridicule. Je pourrais le concevoir, si, pour prévenir la fraude, vous n’aviez qu’un seul port d’allégement, qui serait celui d’Ostende, que vous excepteriez Bruges, Louvain et Termonde ; mais quand vous comprenez Anvers, où pour y arriver de la mer la fraude est des plus faciles, je ne vois aucune raison plausible.
Il me semble donc qu’on peut très bien laisser à Bruges son entrepôt de sel brut ; je pense de même pour Louvain et Bruxelles, et je crois même qu’on doit en accorder un à la ville de Termonde, car une population de plus d’un demi-million d’habitants serait obligée d’aller aux entrepôts d’Anvers ou d’Ostende, pour chercher le sel brut et faire beaucoup de dépenses, tandis qu’ils pourraient s’en procurer à Termonde et ainsi diminuer de beaucoup les dépenses.
Une autre observation, c’est qu’aujourd’hui on donne 10 p. c. de déchet sur la déclaration faite dans le port d’arrivage, qu’on peut défalquer au moment où on décharge ; cela fait un moyen de diminuer le produit de l’impôt ; ce serait assez de défalquer 5 p. c.
Je dis donc qu’avant d’adopter un changement de système, il faut bien peser la chose, voir si on ne va pas ouvrir une plus large voie à la fraude. Je dois cependant ajouter qu’on se plaint beaucoup dans le pays des fiscalités qui s’exercent dans les opérations des recensements, et que c’est là le plus grand motif pour lequel on demande dans plusieurs endroits un changement de système de perception.
M. de Brouckere. - Je ne viens pas me mêler à la discussion générale. Je ne prends la parole que pour faire une simple observation qui m’a été suggérée par les discours prononcés par plusieurs honorables orateurs, et particulièrement par ceux de MM. Devaux et Angillis. Vous avez entendu que ces honorables membres ont pris avec chaleur les intérêts de la ville et du port de Bruges ; j’abonde dans leur sens. S’ils présentent un amendement, je l’appuierai. Mais je ferai observer que jusqu’ici on n’a rien dit de la ville et du port de Bruxelles. Je prétends que la plupart des raisons et des arguments présentés par ces honorables membres s’appliquent aussi bien à Bruxelles qu’à Bruges.
J’ai voulu seulement déclarer dès à présent, et afin que le ministre le sache, parce que tout à l’heure il prendra probablement la parole pour défendre son projet, j’ai voulu déclarer, dis-je, que je ne voterais pour aucun amendement ayant pour but d’étendre la disposition du projet à un port autre qu’Ostende et Anvers, pour autant que Bruxelles serait mis sur la même ligne.
Puisqu’on a parlé d’affection, je vous prie de remarquer que ce n’est pas seulement par affection pour Bruxelles que j’agis ainsi, car si je prends les intérêts de la ville de Bruxelles, je prends aussi ceux de la ville de Bruges qui est ma ville natale. C’est par un esprit de justice que je défendrai les intérêts du port de Bruxelles. Je m’expliquerai quand nous en serons venus à cet article.
M. de Nef (pour une motion d’ordre). - Je demande que le second vote sur la loi concernant les fils de lin soit ajourné à samedi, afin que la commission d’industrie puisse combiner une disposition dans le sens de l’amendement que j’avais présenté.
M. Zoude. - La commission ne peut plus s’occuper de l’amendement de M. de Nef, la chambre en ayant prononcé le rejet.
M. Mercier. - La commission pourrait examiner s’il n’y a pas lieu d’adopter un droit moins élevé pour la catégorie de fil que l’amendement de M. de Nef avait en vue. Je demande dans tous les cas le renvoi du second vote à samedi, afin qu’un membre puisse préparer une proposition, si la commission ne juge pas à propos de le faire.
M. Desmet. - Nous avons modifié nos propositions sur les instances de M. le ministre des finances, nous avons établi le droit assez bas. La commission a examiné l’amendement de M. de Nef et l’a repoussé. Si M. de Nef veut faire une autre proposition, cela le regarde.
M. Mercier. - Nous nous bornons à demander la remise du second vote à samedi. Il n’y a pas péril en la demeure.
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Je crois aussi qu’il y a lieu de remettre à samedi le second vote de la loi relative au fil de lin, afin de pouvoir prendre des renseignements sur la proposition de M. de Nef. Cette proposition a bien été rejetée dans sa forme, mais le fond peut être reproduit. Si M. de Nef trouve le droit de 15 fr. par 100 kilog. sur les numéros 1 à 30 trop élevé, il peut présenter un amendement qui introduirait une catégorie de 1 à 20 par exemple, sur laquelle le droit serait de 5 ou 10 fr. Mais il ne pourrait plus demander que le fil mesurant 1,462 mètres par hectogramme fût exempt de tout droit quand on l’introduirait par un bureau déterminé.
Je tenais à faire cette observation parce que M. Rogier, qui n’est pas présent, avait fait des réserves à cet égard, lors du premier vote, et il avait été convenu que des amendements nouveaux pourraient être présentés au vote définitf. Ceci est d’ailleurs conforme à notre règlement.
- L’ajournement à samedi est adopté.
(Moniteur belge n°83, du 24 mars 1838) M. Zoude, rapporteur. - Plusieurs orateurs ont attaqué le rapport de la section centrale, et l’un d’eux s’est attaché particulièrement à la personne de son rapporteur.
Je commencerai par réfuter les faits graves qui me sont imputés, comme ayant prétendument fait des citations fausses. D’abord qu’ai-je voulu comme rapporteur ? J’ai voulu prouver que l’opinion de tous les ministres des finances était que, pour obvier à la fraude, il ne faudrait que deux ports d’entrée et de déchargement.
Si des considérations de commerce n’ont pas permis à ces ministres de proposer l’exclusion des ports intérieurs, il n’est pas moins vrai qu’ils ont exprimé leur opinion sur l’abus de ces ports.
Voici leurs expressions :
M. de Brouckere : « Pour satisfaire au désir exprimé d’obtenir l’affranchissement du transport et de la circulation à l’intérieur, non seulement pour le sel raffiné, mais même son extension au sel brut, etc. ; mais avec des conditions pour ne point porter atteinte à la sûreté de l’impôt, et surtout celle indispensable de n’admettre l’imputation que par les seuls bureaux d’Anvers et d’Ostende. »
Et plus bas :
« L’autre a restreint les formalités de surveillance, etc., avec précautions que la latitude des arrivages vers des lieux de déchargement à l’intérieur réclame, latitude d’où sont résultés fréquemment de graves et funestes abus. »
Voici maintenant comment s’exprimait M. Coghen :
« La nature de la matière imposable, etc., son mode d’importation, etc., nécessitent des précautions pour obvier à la fraude ; le système le plus propre à cet effet eût été de ne permettre l’importation du sel et le premier déchargement à l’arrivage que dans les ports d’Ostende et d’Anvers ; mais les convenances du commerce s’opposent jusqu’à un certain point à une restriction aussi absolue et fait reconnaître la nécessité d’accorder quelques lieux de déchargement à l’intérieur ; si cette concession de facilités ne peut, malgré tous les inconvénients qu’elle présente, être refusée, elle doit au moins être consentie avec les plus grandes réserves, car elle a toujours servi de véhicule à la fraude la plus active. »
Je vous le demande, messieurs, quelles expressions pouvaient employer les ministres pour vous dire plus clairement que le foyer de fraude était dans les ports de déchargement à l’intérieur, que c’était là qu’elle se développait dans toute son activité ; et lorsqu’invoquant leur opinion, je vous ai retracé textuellement les expressions dans lesquelles elle est consignée, vous jugerez, messieurs, s’il y a fausse citation, auquel de moi ou de mon contradicteur elle devra être attribuée. Qu’ai-je fait maintenant en invoquant le témoignage det M. d'Elhoungne ? Il s’agissait, messieurs, de ne plus admettre que deux ports de déchargement.
Il fallait donc indiquer la position de Bruges pour que cette ville fût soumise à la loi commune, et cette position, elle se trouve dans le rapport d’un ancien collègue dont l’opinion pour moi est souvent une autorité.
Si la section centrale a ajouté une considération résultant de la fraude, c’est qu’elle a dû croire à un rapport officiel qui se trouvait entre les mains d’un de ses membres, ce qui, du reste, a été confirmé par la réponse que lui a faite M. le ministre des finances, dans les termes consignés au rapport même.
Je répondrai maintenant aux autres orateurs qui nous ont reproché d’avoir puisés un grand argument de fraude dans les importations annoncées par les divers mémoires et pétitions des régences, chambres de commerce, armateurs, etc., etc., et nous être ainsi exagéré les arrivages, pour pouvoir en tirer la conclusion qu’il existait une grande fraude.
Je prie les honorables contradicteurs de la section centrale de vouloir se reporter aux expressions du rapport : ils y verront combien peu d’importance nous attachons à ces divers renseignements. En effet, que dit le rapport ? « Si nous devions croire aux réclamations de deux villes contre la réduction du nombre des ports de déchargement, la fraude serait bien autrement manifeste. »
Nos arguments, messieurs, pour démontrer la fraude, nous les avons pulsés dans le produit de l’impôt qui représente une consommation inférieure de beaucoup à celle qui se fait réellement, et cette consommation réelle nous l’avons établie par comparaison avec celle qui se fait en France, en Prusse, en Angleterre et même en Espagne.
Je l’établis, moi, par des renseignements qui me sont particuliers, je l’établis encore sur beaucoup de pétitions avec lesquelles mes renseignements particuliers sont d’accord.
Nous l’établissons sur la conviction des ministres qui se sont succédé dans l’administration des finances, et qui tous, comme je l’ai déjà dit, ont reconnu que le seul moyen d’obvier à la fraude était de réduire le nombre des ports de déchargement ; et l’un d’eux, le seul qui par sa position toute particulière ait pu suivre la fraude dans ses replis les plus tortueux, ce ministre, instruit par une longue expérience, n’aurait pas hésité à ne permettre l’entrée du sel que dans le seul port d’Ostende.
Nos convictions d’une nombreuse fraude ont été encore bien plus fortes depuis que le gouvernement est venu vous proposer une réduction de près de 1/9 ou 400,000 francs sur cet impôt ; il devait être à coup sûr bien certain d’en être dédommagé amplement par suite d’une répression considérable de fraude.
En effet, messieurs, le ministre des finances sait très bien que ce n’est pas par une faible modération du droit qu’il obtiendra une plus grande consommation de sel.
Il sait que les consommations des denrées, même d’un usage général, n’éprouvent d’augmentation que lorsqu’il survient une grande diminution dans leur valeur ou dans l’impôt dont elles sont frappées.
L’expérience est d’ailleurs là pour nous instruire.
En Angleterre, lorsque l’impôt sur le café fut réduit de moitié, le produit, qui était de 10 millions, s’est élevé à 15.
Le droit sur le sucre a été diminué de 1. p. c., et le trésor qui percevait 112 millions, n’en a plus reçu que 110.
Il en a été de même chaque fois que l’abaissement d’un impôt n’a été que modéré, le trésor en a toujours souffert.
Nous croyons donc qu’en réduisant le droit de 1 fr. 61 c. seulement, le ministre commettrait une faute, s’il n’était certain par son projet d’atteindre la fraude, de manière à indemniser largement le trésor du sacrifice qu’il propose.
Voilà, messieurs, où nous avons puisé nos éléments de conviction qu’une grande partie du sel est soustraite à l’impôt.
La fraude d’ailleurs ne vous a-t-elle pas été signalée dans cette masse de pétitions et de rapports, qui vous ont été présentés de tous côtés ?
Les armateurs et les négociants de la ville de Bruges, dans un mémoire distribué depuis deux jours et qui mérite de fixer l’attention de la chambre, vous disent qu’il est loin de leur pensée de contester l’existence de la fraude, qu’ils sont d’accord avec le gouvernement et la section centrale relativement à l’existence de la fraude.
Ailleurs on rappelle les fraudes importantes et nombreuses qui ont forcé l’administration à changer une grande partie du personnel dans les villes d’Anvers et d’Ostende.
On cite enfin quelque part ce qui a dû se passer à Ostende en 1832 et 33.
Enfin, messieurs, les dénonciations de fraude transpirent par tous les pores d’une masse de pétitionnaires.
Il n’a donc pas fallu que la section centrale s’ingéniât beaucoup pour vous faire une courte analyse de ce qui lui était signalé de toute part ; elle y a ajouté le témoignage des autorités les plus compétentes sur la matière, et elle pense vous l’avoir prouvé, malgré les dénégations qui viennent de lui être faites.
M. Coghen. - J’ai demandé la parole pour m’expliquer à l’égard des citations de l’honorable rapporteur. Quand j’eus l’honneur d’occuper le ministère des finances, j’ai dit dans un rapport, en présentant un projet de loi, que le moyen de prévenir la fraude sur le sel serait de limiter l’importation aux ports d’Anvers et d’Ostende ; mais au même instant, j’ai dit aussi que les égards qu’on devait au commerce intérieur ne permettaient pas de recourir à une semblable mesure.
Sans doute on diminuerait la fraude si on pouvait borner l’introduction de certaines marchandises par un ou deux bureaux, si on pouvait sacrifier les autres localités aux convenances de l’administration. Mais cela n’est pas possible. Etablissons de fortes pénalités, ne transigez pas avec les fraudeurs, et la fraude diminuera ; et n’allez pas détruire ce qui fait la fortune de nos principales cités, Bruges a dépensé des millions pour créer et entretenir son port ; Bruxelles a également fait des sacrifices considérables pour former le sien ; Louvain vient de dépenser un million ; et on veut frapper, proscrire le commerce direct de ces villes pour la plus grande facilité de l’administration !
Oui certainement la fraude se fait, mais c’est dans les grands foyers d’importation. Je défie qu’on cite un seul procès-verbal de fraude sur l’introduction directe du sel à Bruxelles.
Membre de la commission, j’ai protesté dans son sein contre la mesure de proscription dont il s’agit ; depuis qu’elle l’a adoptée, je ne me suis plus occupé du projet de loi qui nous occupe, parce qu’il consacre une injustice : lorsque nous en serons aux articles, messieurs, j’aurai des observations à vous soumettre. (A demain ! à demain !)
- La séance est levée à 4 heures et demie.