(Moniteur belge n°81, du 22 mars 1838)
(Présidence de M. Raikem.)
M. B. Dubus procède à l’appel nominal à une heure.
M. Kervyn lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. B. Dubus fait connaître l’objet des pièces adressées à la chambre.
« Des habitants de la commune de Lamoutzée (Liége) adressent des observations sur la question de réforme électorale. »
« Même pétition des habitants de Toumaide. »
« Le sieur Larton, expert du cadastre, adresse des observations sur le projet de loi relatif aux chemins vicinaux. »
« Des fabricants de toiles à carreaux de Bruges adressent des observations contre le projet de loi relatif aux droits à l’entrée des fils de lin. »
« Des propriétaires, fermiers et marchands de lin des communes de Frasnes, Villers et Liberchies (Hainaut), demandent que la chambre adopte les conclusions de la commission d’industrie relativement aux lins. »
« Des négociants, cultivateurs et marchands en lin, fil et toile d’Ypres, demandent que ces objets soient imposés du même droit à l’entrée en Belgique que celui qui les frappe dans les autres pays. »
« Des sauniers de Nieuport adressent des observations sur le projet de loi concernant le sel. »
- Les pétitions relatives aux droits sur le fil et au projet de loi sur le sel seront déposées sur le bureau pendant la discussion concernant ces objets.
Les autres pétitions sont renvoyées à la commission.
M. le ministre des finances adresse à la chambre le compte spécial de toutes les opérations relatives la négociation des bons du trésor pendant l’année 1837.
- Pris pour notification.
(Erratum inséré au Moniteur belge n°83, du 24 mars 1838 :) M. Dubus (aîné) demande un congé de quelques jours.
- Accordé.
M. Zoude monte à la tribune et propose, au nom de la commission d’industrie, de fixer le droit sur le fil de la manière suivante :
« N°1 à 30 simple et écru, 15 fr.
« N°1 à 30 blanc, teint ou tors, 18 fr.
« N°31 jusqu’au fil de mulquinerie, simple et écru, 30 fr.
« N°31 jusqu’au fil de mulquinerie, blanc, teint ou tors, 35 fr.
« Le fil de mulquinerie commencera au n°85. »
M. de Nef. - Avant que l’amendement, que j’ai eu l’honneur de proposer, soit mis aux voix, je crois encore devoir ajouter quelques explications ultérieures, étant persuadé que la chambre s’empresserait de l’adopter, si elle connaissait la véritable situation des fabricants de coutils ; cette situation est telle, que les fabricants les plus aisés ne gardent plus leurs tisserands que par pure commisération, et que d’autres, dont les sacrifices étaient épuisés, n’ont pu continuer qu’en obligeant leurs tisserands à recevoir la majeure partie de leur salaire en denrées, étoffes et autres objets indispensables à la vie. Si maintenant vous allez encore augmenter la somme des sacrifices, vous allez faire renvoyer une quantité d’ouvriers qui tomberont dans la misère, tandis que d’autres fabricants, se trouvant eux-mêmes dans la détresse, disputeront à leurs ouvriers un morceau de pain, ou leur livreront des denrées de mauvaise qualité.
Vainement dira-t-on que l’impôt est léger ; il n’y a pas d’impôt léger lorsque le fabricant est déjà antérieurement réduit à se contenter d’un bénéfice à peine égal à cet impôt.
Enfin, quant aux prétendus inconvénients de l’exception que je réclame, ils n’existent réellement pas, puisque, d’une part, l’exception est limitée à une espèce de fil très fin, et il ne s’en fabrique presque pas dans l’intérieur du pays, et que d’autre part, pour prévenir davantage l’abus qu’on en voudrait faire, j’ai limité l’exception au seul bureau d’Henri-Chapelle.
M. A. Rodenbach. - Messieurs, je suis très porté à croire ce que nous dit l’honorable député de Turnhout, que l’industrie des coutils est dans la souffrance ; mais avec la meilleur volonté du monde il me semble qu’il est impossible d’admettre l’amendement de l’honorable membre, tel qu’il est rédigé ; pour être conséquent avec le système qui a été adopté d’établir la tarification par numéros, il faudrait que l’amendement indiquât aussi les numéros auxquels il s’appliquerait.
D’ailleurs, je désirerais savoir si M. le ministre des finances peut consentir à l’exception que l’honorable M. de Nef veut établir en faveur du bureau d’Henri-Chapelle ; il me semble que ce serait là un appât immense pour la fraude : on ferait alors entrer une masse de fils par le bureau privilégié, et la loi que nous aurions faite ne servirait à rien.
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Il nous est impossible, messieurs, de nous rallier à l’amendement de l’honorable M. de Nef. qui établirait, en faveur d’une frontière déterminée, une exception dangereuse ; nous devons repousser cet amendement, non seulement par les motifs commerciaux qu’a indiqués l’honorable M. Rodenbach, mais aussi par des motifs politiques. Toutefois, il y aurait peut-être moyen de satisfaire à la demande de l’honorable député de Turnhout ; ce serait d’établir une catégorie particulière pour les fils du numéro 1 à 24 (car je crois que ce sont là les qualités dont se sert l’industrie dont M. de Nef défend les intérêts), ce serait, dis-je, d’établir une catégorie particulière pour ces espèces de fils et de les laisser entrer moyennant un droit modéré. Du moment où l’honorable membre atteindrait le but qu’il se propose, il lui serait, je pense, fort indifférent que ce fût par l’amendement qu’il a présenté ou par tout autre moyen.
M. Verdussen. - Hier, messieurs, vous avez décidé deux choses : d’abord qu’on n’établirait que deux catégories, ensuite qu’on prononcerait ultérieurement sur l’amendement de M. de Nef. Vous avez décidé en outre que tout en établissant le droit au poids, vous vouliez atteindre le droit moyen de 5 p. c. de la valeur pour les fils écrus, et de 6 p. c. pour les fils blancs, teints ou tors ; il est important que nous ayons quelques explications sur la valeur des fils que la commission d’industrie range dans l’une et dans l’autre des deux catégories qu’elle nous propose d’établir ; sans cela nous ne pourrions pas juger en connaissance de cause si le droit proposé équivaut bien réellement à la moyenne fixée par la chambre. Si j’ai bien compris M. le ministre des finances, il nous a dit que les fils que l’amendement de l’honorable M. de Nef a pour objet sont en général du numéro 24, et que pour satisfaire à la demande de l’honorable député de Turnhout, on pourrait faite une catégorie particulière pour ces fils jusqu’au numéro 25 ; je me permettrai de faire remarquer à M. le ministre des finances que le but qu’il atteindrait par une semblable disposition serait précisément l’inverse de celui que veut atteindre l’honorable M. de Nef : il est certain que si l’on établit un droit au poids uniforme, équivalent à 5 p. c. de la valeur, sur les fils du numéro 1 à 30, le n° 15 environ paiera ces 5 p. c., mais le n°1 paiera jusqu’à 10 p. c., tandis que le n°30 ne paiera peut-être que 3 ; si maintenant les fils dont parle l’honorable M. de Nef, se trouvent dans les n°20 à 30, le droit dont ils seront frappés sera bien faible, et je crois par conséquent qu’il n’y a plus lieu aujourd’hui à prendre en considération l’amendement de l’honorable député de Turnhout. Nous voulons tous favoriser la fabrication des coutils ; mais je ne pense pas qu’il entre dans les vues de la chambre d’exempter entièrement du droit les fils dont elle fait usage, en établissant un tarif exceptionnel à l’égard d’une nation voisine.
D’un autre côté, si nous voulons favoriser la fabrication des coutils, je crois qu’il faudrait plutôt étendre les numéros de la première catégorie au-delà de 30 ; alors nous y comprendrions nécessairement les fils qui servent à la fabrication des coutils ; nous pourrions par exempte former la première catégorie des n°1 à 35 ou 36 ; alors les fils dont il s’agit y seraient certainement compris, et ne paieraient qu’un droit de 3 à 4 p. c., puisque, comme je l’ai fait remarquer en commençant, les numéros les plus élevés de chaque catégorie ne paient, eu égard à leur valeur, que le tiers à peu près de ce que paient les numéros inférieurs.
D’après ces considérations je pense, messieurs, que dans l’intérêt de la fabrication des coutils de Turnhout il ne faut point faire de catégorie spéciale pour les fils qui viennent d’Allemagne, mais plutôt étendre la première catégorie au-delà du n°30, st tant est, comme je le crois, que les fabricants de coutils fassent usage de numéros plus élevés.
M. de Nef. - Je demande la parole pour déclarer que je ne tiens pas au bureau d’Henri-Chapelle. Si M. le ministre peut fixer d’autres bureaux, cela m’est tout à fait indifférent.
Maintenant je dirai que descendre jusqu’au n°24, ce n’est pas assez ; il faut descendre davantage.
M. le ministre de l’intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - On est allé jusqu’au n°30.
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Messieurs, d’après les premières explications de l’honorable M. de Nef, il est clair que c’est le gros fil qui est nécessaire pour la fabrication du coutil de Turnhout ; or, s’il en est réellement ainsi, je dis qu’en faisant une nouvelle catégorie et en y affectant un droit modéré, on atteindrait le but que se propose l’honorable M. de Nef, sans accorder un privilège à tel ou tel bureau. Si l’on établissait, par exemple, une catégorie n°1 à 20, et si le fil dont parle M. de Nef se trouve dans cette catégorie, en imposant ce fil d’un droit de 6 fr., par exemple, les 100 kil., le but que se propose l’honorable M. de Nef serait atteint.
Il faudrait donc s’entendre préalablement sur ce qui constitue le fil nécessaire à la fabrication du coutil.
M. de Nef. - J’ai l’honneur de faire observer à M. le ministre que le fil qui mesure 1,462 mètres par hectogramme, est celui qui est employé pour la qualité la pins inférieure. Pour le reste, je me rallie tout à fait aux observations de M. le ministre.
M. Verdussen. - M. le ministre aurait parfaitement raison, si les qualités qui ont été désignées par l’honorable M. de Nef, étaient véritablement les qualités communes du n°1 au n°12. Mais, messieurs, il n’en est rien, du moins si je dois en croire ce qui a été dit hier, ce qui a été dit aujourd’hui et ce qui a été dit dans l’amendement de M. de Nef.
L’honorable membre a proposé cette disposition-ci :
« Le fil écru et blanc, qui sera déclaré au bureau d’Henri-Chapelle et dont la mesure sera de 1,462 mètres et au-dessus, par hectogramme, est exempt de droit à l’entrée. »
Donc le fil de 1,462 mètres par hectogramme est la qualité la plus commune employée pour la fabrication des coutils dont a parlé M. de Nef, puisque, plus il y a de longueur de fil dans un certain poids donné, plus aussi le fil est fin ; et M. de Nef demande pour minimum 1,462 mètres à l’hectogramme. Quel est donc le numéro qui représente 1,462 mètres-à l’hectogramme ? M. de Nef nous a dit que c’est le numéro 24.
Or, si c’est le n°24, ce numéro et donc le fil le plus commun qui serve à la fabrication du coutil. Il faut donc, puisque M. de Nef demande 1,432 mètres et au-dessus ; il faut donc, dis-je, partir du n°24, pour aller jusqu’au n°32, 34, 36, enfin, jusqu’au numéro qu’il est possible d’employer dans la fabrication des coutils de Turnhout.
Ainsi, ou bien l’explication de M. de Nef est erronée, ou bien M. le ministre des finances a versé dans une erreur, en croyant que ce sont les fils du n°1 au n°12 qui servent à la fabrication des coutils, tandis que l’honorable M. de Nef qui est l’auteur de l’amendement nous assure que le n°24 est le fil le plus gros qui puisse servir à cette fabrication.
J’ai donc eu raison de dire que lorsque le fil qui est l’objet de l’exception que propose l’honorable M. de Nef, se trouvera au haut de l’échelle d’une certaine catégorie, il ne supportera qu’un droit assez faible, qui ne sera peut-être que de 3 à 4 p. c. à la valeur, tandis que s’il était placé dans une catégorie spéciale et au bas de l’échelle, il se trouverait alors frappé d’un droit très fort qui pourrait aller jusqu’à 10 p. c.
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Sauf erreur de calcul, le fil mesurant 1,462 mètres à l’hectogramme se trouverait très rapproché du n°15, parce que le n°30 a, je crois, environ 3,000 mètres par hectogramme ; donc le n°15 serait très rapproché du fil dont vient de parler l’honorable M. de Nef ; mais M. Verdussen vient de faire remarquer que ce fil pourrait se trouver entre les n°15 et 30. J’avais compris, d’après les explications qui avaient été d’abord données, que c’était le fil grossier qu’on emploie dans la fabrication du coutil, et qu’il n’allait jamais au-delà du n°20 que j’ai cité tout à l’heure. Mais si réellement le fil qui sert à cette fabrication va du n°15 au n°30, le droit ne sera guère que de 4 p. c. à peu près sur le fil employé à la fabrication du coutil.
Dans cet état d’incertitude, je pense qu’il y a lieu de faire de la disposition de M. de Nef l’objet d’un examen spécial ; que l’on passe maintenant au vote des autres dispositions, sauf à revenir postérieurement à cet amendement lorsque nous serons plus éclairés.
M. A. Rodenbach. - Messieurs, je pense aussi qu’il y a lieu d’ajourner l’amendement ; il est impossible de voter ; nous n’avons aucuns renseignements.
M. Rogier. - Messieurs, si la chambre est disposée à aller aux voix, je demanderai sur quoi on veut voter.
Des membres. - Sur le chiffre de 15 francs.
M. Rogier. - Cette partie de la disposition est claire ; mais il règne beaucoup d’obscurité pour le n°1 à 30. Qu’est-ce que le n°1 à 30 ? Est-ce le numéro anglais ? (Oui !) Alors le numéro s’appliquera-t-il aux fils allemands ? Par quels procédés appliquera-t-on les numéros anglais aux numéros allemands ?
En second lieu, la chambre est également dans une grande incertitude sur la valeur des fils attribués à chaque numéro ; il n’a été fourni aucune espèce de document à cet égard. L’on varie sur les qualités à protéger par un tarif modéré, ou à protéger par une élévation de droit ; l’on varie encore sur les prix.
Je dis donc que la discussion est sans base certaine. Je ne pense pas qu’on puisse aller aux voix, si l’on veut savoir sur quoi l’on veut voter.
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Messieurs, vous remarquerez que l’embarras qui se manifeste dans la discussion provient de ce que l’on a admis le système au poids au lieu de celui à la valeur. Nous avions prévu cet embarras ; mais maintenant que le système au poids est adopté, il faut tâcher de le mettre en application.
L’honorable M. Rogier demande quel est le numéro qui est indiqué dans les deux catégories ; c’est le numéro anglais, comme l’a dit M. le rapporteur de la commission. L’honorable M. Rogier demande encore comment on assimilera les fils allemands aux fils anglais. A cet égard, je présenterai un amendement d’où résultera que tout fil mesurant tant... sur un poids de… sera assimilé au n°30 anglais. Mais ceci ne change pas du tout la base du calcul. Il s’agit de savoir si, par le droit de 15 fr. pour le n°1 à 30 anglais, nous admettrons aussi approximativement que possible la moyenne de 5 p. c. admise hier.
Or, je crois qu’il sera assez facile de le prouver en indiquant les bases sur lesquelles a opéré la commission, et on verra ainsi qu’elle ne propose pas un droit moyen supérieur à 5 p. c.
Les chiffres sur lesquels on a opéré sont les suivants :
Le n°12 anglais vaut 203 fr. 15 c. les 100 kil. Au taux de 12 fr. par 100 kil., le droit serait de 6 p. c., et au taux de 15 fr., il équivaut à 7 1/2 p. c.
Le n°18 vaut 269 fr. 4 c. les 100 kil. Au taux de 15 fr., le droit sera de 5 9/16 p. c.
Pour le n°25 qui vaut 344 fr. 33 c. les 100 kil., ce droit sera de 5 1/16 p. c.
Et pour le n°30 qui vaut 400 fr., le droit sera de 4 1/16 p. c.
Si vous prenez la moyenne des droits sur ces 4 numéros réunis, vous trouvez le taux moyen de 5 p. c. adopté par la chambre.
Quant aux fils blanchis, teints ou tors, on suppose qu’ils ont un sixième de valeur de plus, et on vous propose le droit en conséquence.
M. le président. - Je vais mettre aux voix les propositions de la commission.
M. Rogier. - Je demande s’il sera fait une réserve pour le fil servant à la fabrication du coutil. Il avait été entendu qu’on ferait une exception pour ce fil. D’après les informations que j’ai reçues des fabricants de coutil, le droit proposé les frapperait de 8 à 9 p. c. M. le ministre des finances dit 7 1/2. En admettant ce chiffre, c’est, ce me semble, une aggravation énorme dans les conditions de leur fabrication. Il en est de même pour plusieurs autres industries qui méritent les mêmes égards que l’industrie des coutils.
Hier il avait été convenu que le droit serait très modéré ; on avait parlé du droit de 5 p. c., non comme minimum, mais comme moyenne, et voilà qu’on frappe d’un droit de 7 1/2 p. c. les fils étrangers qui s’emploient avec les fils belges. Je le répète, d’après mes renseignements, il résultera des propositions qui vous sont faites une aggravation de 7 à 8 p. c. pour ces industries.
Ce ne peut être l’intention du gouvernement et de la chambre car la chambre a entendu établir un droit très faible.
M. Verdussen. - M. le ministre des finances a donné 4 chiffres. Si je ne me suis pas trompé en les recueillant, on a forcé beaucoup les 5 p. c. ; car, sur les quatre n°12, 18, 25 et 30, la moyenné des droits est de 5 5/8 p. c., au lieu de 5 p. c.
En effet, sur le n°12, vous a dit M. le ministre, le droit est de 7 1/2, soit 7 8/16 p. c. ; sur le n°18, il est de 5 9/16 p. c. ; sur le n°25, de 5 1/16 p. c. ; et enfin, sur le n°30, de 4 7/16 p. c.
Si vous faites l’addition de ces quatre chiffres et que vous divisiez la somme par 4, vous trouvez pour moyenne les 5 10/16 p. c. que j’ai annoncés il y a un moment.
La résolution de la chambre a été d’établir un droit moyen de 5 p. c. et non de 5 1/2 à 5 3/4 p. c. Il faudrait donc réduire le chiffre de 2 fr. et établir le droit de 13 et 16 fr. par 100 kil. au lieu de 15 et 18.
Dans ces considérations, je ne me suis appuyé que sur les renseignements qui nous sont donnés par les auteurs de la proposition, et je n’ai pas eu le loisir de vérifier tous les calculs qui ont été présentés.
M. Desmet. - Ce sont les chiffres proposés par M. le ministre des finances et M. Smits. Ceux de la commission étaient plus élevés. Elle s’est ralliée aux propositions du gouvernement.
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - On ne peut pas arriver, à un centime près, au chiffre adopté par la chambre comme moyenne du droit. On a préféré le système au poids à celui à la valeur : il faut en admettre les conséquences assez incertaines.
Je crois toutefois avec la commission que le droit moyen de 15 fr. par 100 kil. se rapproche le plus du chiffre de 5 p. c. adopté par la chambre.
M. Zoude. - J’ai avec moi un échantillon de fils que le droit que nous proposons ne frapperait que de 2 1/4 p. c. de la valeur. (Aux voix ! aux voix !)
- Les propositions de la commission sont mises aux voix et adoptées.
M. le président. - Si M. de Nef persiste dans son amendement, je vais le mettre aux voix.
M. de Nef. - Je persiste dans mon amendement. On désignera un autre bureau si l’on veut, mais il est indispensable d’admettre une exception pour les fils qu’emploient des fabriques qui travaillent depuis longtemps sans bénéfice aucun, et qui seraient tuées par le droit qu’on vient d’adopter.
M. le président. - Cet amendement est ainsi conçu :
« Le fil écru et blanc, qui sera déclaré au bureau d’Henri-Chapelle et dont la mesure sera de 1,462 mètres et au-dessus, par hectogramme, est exempt de droit à l’entrée.
- Cet amendement n’est pas adopté.
M. le président. - Ce qui concerne les étoupes a été ajourné.
Des amendements ayant été adoptés, le second vote sera remis à vendredi.
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Dans le cours de la discussion relative à l’importation des fils, il a été dit que la mesure proposée ne serait pas très efficace pour les fileurs, attendu qu’il allait s’établir en Belgique des filature à la mécanique, et que le résultat de la loi pourrait n’être en réalité que de faire payer aux tisserands, inutilement et même contrairement aux intérêts du pays, le droit que nous allons établir actuellement. Cela est tellement vrai que si ces établissements avaient pu produire maintenant le fil nécessaire à nos tisserands, on n’aurait pas voulu augmenter les droits existants, attendu que c’eût été donner à ces nouveaux établissements une prime à payer par les tisserands.
Dans une semblable position ne serait-il pas prudent de rendre la loi temporaire et d’en limiter la durée à 3 années ? Il est certain que d’ici là il sera établi des filatures à la mécanique, puisque des sociétés sont constituées et qu’on construit déjà les bâtiments. Du reste, si, après cet espace de temps, il n’existait pas suffisamment de ces établissements, ou si on reconnaissait qu’ils ont besoin de protection, on pourrait proroger la loi ; tandis que si on la rendait permanente, nous serions peut-être trop engagés et nos tisserands pourraient subir longtemps le droit que nous établirions actuellement. Je vais donc présenter un amendement pour donner à la loi une durée de trois ans.
M. Zoude. - La commission d’industrie qui a été consultée se rallie à la proposition de M. le ministre des finances.
- La disposition additionnelle proposée par M. le ministre des finances et ainsi conçue : « La présente loi n’aura de force obligatoire que pendant 3 ans, » est mise aux voix et adoptée.
M. le président. - La discussion est ouverte sur l’ensemble du projet présenté par le gouvernement.
M. Hye-Hoys. - Messieurs, soigner les intérêts du trésor et réprimer une fraude nuisible à l’industrie, tels sont les motifs qui ont inspiré le rapport du projet de loi sur le sel qui nous est soumis aujourd’hui ; mais nous voyons ici se reproduire ce que nous avons vu à différentes reprises dans les lois d’industrie, une marche timide dans certaines parties, et un excès d’embarras dans d’autres parties de la loi ; ce qui prouve que, dans les matières de commerce, le gouvernement n’est jamais suffisamment instruit ni fourni de renseignements suffisants. La production et le commerce de quelque produit que ce soit est une chose à laquelle cependant on ne peut toucher sans les plus grands ménagements, sans soulever une foule de questions ou blesser une multitude d’intérêts divers.
Depuis sept ans, tous les ministres des finances se sont successivement occupés de la question du sel ; il est temps enfin, messieurs, que l’on aborde sérieusement la question pour sortir de ce provisoire, qui est on ne peut plus nuisible pour l’industrie, et qui semble aussi accuser l’incurie de la chambre.
Vous savez, messieurs, qu’en modifiant les lois qui établissent tel ou tel impôt, les réclamations qui nous sont adressées de toutes parts sont tellement nombreuses et contradictoires qu’il faut beaucoup d’habileté pour découvrir la vérité dans des observations dictées pour la plupart par un esprit étroit de localité ; nous sommes heureusement mieux placés aujourd’hui pour bien apprécier la question du sel ; ce n’est pas que nous n’ayons aussi entendu des prétentions exagérées se faire jour jusque dans cette enceinte, et que ces prétentions n’aient employé tout l’artifice imaginable, pour faire impression sur nous. Nous voyons en effet dans le rapport de l’honorable M. Zoude que deux villes, Bruges et Louvain, pour exagérer leur importance comme ville d’importation de sel, accusent de 20 à 22 millions de kilogrammes de sel brut importés directement, c’est-à-dire une quantité équivalente à l’importation totale du pays ; je suis loin d’attaquer notre honorable collègue M. Zoude et de prétendre qu’il se fait le défenseur de prétentions exagérées et ridicules ; je suis des premiers à rendre hommage à son zèle et à ses connaissances ; mais il m’est permis d’attaquer des chiffres de l’exactitude desquels il ne peut pas répondre, qu’il ne peut nous donner que parce qu’on les lui a transmis comme tels, mais dont pour certaines localités, j’ai été à même de faire le contrôle. Il aura d’ailleurs déjà été remarqué par vous, messieurs, que cette importation de certaines villes est un double emploi, qu’elle est accusée aussi par les villes d’Anvers et d’Ostende, et qu’elle appartient en réalité à ces deux villes, qui seules reçoivent des importations directes de sel brut. Cette observation pourra, d’ailleurs, être confirmée par les renseignements de l’administration, et, pour ma part, je puis affirmer, d’après les renseignements que j’ai pris chez des personnes dignes de foi, que depuis la fermeture du canal de Terneuze, il ne s’est fait à Gand aucune importation directe, bien que l’honorable M. Zoude dise dans son rapport qu’il s’y importe 5 millions de sel directement. A cet exemple j’aurai pu en ajouter d’autres ; mais celui-ci suffit pour vous prouver que les renseignements qu’a obtenus notre honorable rapporteur ne sont pas tous d’une grand exactitude, et qu’ils exagèrent le mal que nous connaissons et que nous sommes appelés à faire disparaître.
Notre discussion de la loi sur le sel pourra, ce me semble, ne prendre que peu de temps, car les amendements à apporter à la loi existante ne sont pas très nombreux, et l’utilité en est généralement reconnue.
La question du sel, après les travaux faits par les commissions et les ministres depuis notre révolution, est, pour ceux qui se sont occupés de cette matière, dégagée de toutes ces entraves et de ces embarras qui dans d’autres circonstances nous ont si souvent divisés en nous faisant adopter des systèmes contradictoires.
La libre circulation du sel raffiné et le maintien du crédit permanent que le projet fait disparaître, voilà deux points capitaux à introduire dans la loi et sur lesquels je crois que nous nous réunirons tous. D’abord, qui ne croit que les entraves apportées aujourd’hui à la libre circulation du sel raffiné soit extrêmement onéreuses et sans avantage pour le gouvernement ? Voyez en effet le laissez-passer que doivent se procurer ceux qui transportent le sel ; lisez ces indications de jour, d’heure de départ, des lieux de passage et d’arrivée ; voyez comme tout est contre le commerce, comme tout est prévu sauf ce qui peut lui être avantageux, pas même la force majeure ; et dites-moi à qui cela profite ?
Le crédit permanent n’est pas un privilège, il permet seulement des approvisionnements dont la consommation profitera, et l’absence de ce crédit peut entraîner dans certaines circonstances une disette, et procurer en 2 ou 3 jours un renchérissement considérable, très préjudiciable à tout le monde comme, cela s’est vu en 1814 à l’entrée des alliés, sous l’empire d’une loi qui n’accordait pas le crédit permanent aux négociants en gros ; mais accorder le crédit à terme au petit fabricant, c’est admettre une mesure souvent défavorable au trésor et au débitant lui-même : nous savons en effet que les impôts payés par petites quantités se paient plus facilement et plus régulièrement, et que si nous imposons le crédit à terme au débitant de sel, on éprouvera souvent beaucoup de peine, souvent même il faudra recourir à des mesures extrêmes pour obtenir ce qu’ils doivent légalement au trésor. On doit donc, dans l’intérêt de tous, accorder ainsi le crédit permanent au petit fabricant, le gouvernement n’y perdra jamais rien, puisqu’il sera toujours à couvert par une caution pour sa créance.
D’après les données officielles, nous voyons que la consommation moyenne du sel en Belgique s’élève à 10 kil. au moins par tête ; cette quantité, d’après ce que j’ai pu apprendre, et d’après ce qui se passe en Prusse, en France et en Angleterre, est d’une acquisition assez facile.
Cependant depuis longtemps j’ai entendu dire que les habitants des provinces wallonnes se récriaient contre le haut prix du sel ; il me semble donc qu’en portant le droit à 12 fr. net par 100 kil., nous concilierons et les besoins des consommateurs et les intérêts généraux du trésor ; car cette réduction de 5 fr. 71 c. pourra éminemment favoriser notre exportation vers la Prusse et la France.
Les droits du trésor ne sont bien défendus et garantis, le producteur honnête n’est encouragé et protégé par la loi, que lorsque celle-ci prévient ces abus et ces gains illicites qui découragent la probité ; il vous a été dénoncé par le gouvernement une fraude qu’il est de notre devoir de prévenir, et qui, malgré les réclamations de plusieurs villes de l’intérieur, se pratiquera toujours sur la même échelle, tant que les lieux d’introduction pour le sel brut seront aussi nombreux qu’ils le sont aujourd’hui ; peut-être certaines villes de l’intérieur seront-elles momentanément un peu froissées par la réduction des lieux de déchargement que nous devons consacrer dans la nouvelle loi ; mais quelle est la loi, quelque vicieuse qu’elle soit par elle-même, qui ne rattache des intérêts à son existence, et doit-on, par un respect outré pour ces intérêts, continuer à en blesser tous les jours de plus grands ? C’est cette considération qui doit aujourd’hui nous guider. Avec les nombreux ports de déchargement pour le sel, nous voyons une fraude scandaleuse ; et qu’on n’en accuse pas l’administration des accises et la connivence ou la corruption de ses agents ; il faut connaître nos provinces coupés d’une infinité de canaux abordables de tous côtés, pour savoir qu’il est impossible de prévenir le déchargement frauduleux du sel dans l’espace qui sépare un port d’un autre, à moins d’échelonner une armée de douaniers sur toutes les rives, ce qui équivaudrait à faire absorber l’impôt du sel par ceux qui seraient chargés d’en assurer la rentrée ; il est donc urgent que nous restreignions l’introduction directe du sel brut aux deux ports d’Ostende et d’Anvers. Il sera plus facile au gouvernement d’avoir dans ces deux localités un petit nombre d’agents fidèles, et de prévenir toute fraude, et le commerce s’en applaudira lui-même. Que perdront à cette mesure les villes de Gand, de Bruxelles, de Louvain et de Bruges ? Les bénéfices résultant d’un emmagasinage ? Mais si, comme je crois pouvoir le prédire, la réduction de l’impôt sur le sel brut en augmente l’importation, la fabrication et l’exportation du sel raffiné, les villes qui se plaignent aujourd’hui de devoir perdre le droit d’importation directe, auront reçu un ample dédommagement, et le commerce en général y aura gagné partout.
Messieurs, je crois que les améliorations que je viens d’indiquer sommairement devront être apportées à notre législation actuelle sur le sel, et je pense que nous aurons ainsi, sur cette matière, une loi qui répondra aux besoins du trésor et du commerce ; je me propose de démontrer ultérieurement la nécessité de ces mesures quand nous en seront arrivés aux articles.
M. Donny. - Je voterai le principe fondamental de la loi, c’est-à-dire la disposition qui prescrit de constater la quantité du sel brut importé en Belgique, dans un des deux premiers ports belges où doivent arriver les navires qui en sont chargés. Toutefois comme cette disposition semble avantager plus ou moins la ville qui m’a fait l’honneur de m’envoyer à la chambre, je laisserai à M. le ministre des finances et à l’honorable rapporteur de la section centrale le soin de de défendre le principe, s’il est attaqué ; et je suis persuadé que dans cette tâche les arguments ne leur manqueront pas. Je craindrais, si j’agissais différemment, que les arguments favorables au projet ne perdissent leur importance en passant par ma bouche, en raison du désir que vous me prêteriez d’augmenter le bien-être de la ville d’Ostende.
Je me bornerai donc à énoncer simplement que l’adoption du principe fondamental de la loi est peut-être le seul moyen efficace d’arrêter cette fraude énorme, sur l’existence de laquelle tout le monde semble aujourd’hui d’accord.
Si j’admets le principe fondamental de la loi, je n’admettrai pas avec autant de facilité quelques-unes des autres dispositions que le projet renferme ; et, par exemple, je repousserai bien certainement la proposition de mettre un impôt sur l’eau de mer ; cette proposition est injuste, et d’ailleurs elle n’est fondée sur aucun motif que puisse accueillir un homme raisonnable ; cela est injuste, parce qu’elle tend à priver les sauniers des provinces maritimes d’un avantage qu’ils tiennent de leur position naturelle, la facilité d’employer de l’eau de mer ; tandis que les sauniers de l’intérieur du royaume restent en pleine possession d’un autre avantage local, celui de payer le combustible à un prix bien moins élevé que les sauniers des provinces maritimes. Il y a aujourd’hui compensation entre ces avantages de position ; rompre cet équilibre serait une véritable injustice.
Je dis que cette proposition n’est d’ailleurs fondée sur aucun motif raisonnable ; car je ne puis accepter comme tel le prétexte d’empêcher la fraude qui se commet au moyeu du transport de l’eau de mer. Des bâtiments chargés d’eau de mer s’approcheraient, dit-on, des bâtiments chargés de sel ; ceux-ci déverseraient une partie de leur cargaison dans l’eau de mer dont les autres sont chargés, et ces derniers importeraient, en franchise des droits, le sel dissous dans leur cargaison d’eau. Si le but qu’on veut atteindre est l’empêchement d’une fraude de ce genre, il est certain qu’on ne l’atteindra pas en établissant un impôt sur l’eau de mer ; en imposant l’eau de mer, vous ne la rendrez pas impropre à dissoudre le sel, à servir de véhicule et de masque à la fraude. Tout ce que vous ferez, ce sera de diminuer, et de bien peu de chose encore, le bénéfice du fraudeur ; quant à la fraude, vous ne l’empêcherez pas. Il n’y a qu’un seul moyen de l’arrêter, si elle se commet, et ce moyen vous est proposé par le projet, c’est de prohiber à l’entrée tout eau saumâtre lorsqu’elle dépasserait en densité une certaine limite fixée par la loi.
Il y a dans le projet quelques dispositions réglementaires sur lesquelles la chambre de commerce d’Ostende a cru devoir appeler votre attention. Ces dispositions déterminent d’une manière extrêmement détaillée les conditions et formalités qu’il faudra remplir pour jouir de l’exemption accordée à la pêche nationale. La chambre de commerce d’Ostende pense que ces détails doivent disparaître du projet, et qu’il convient de les remplacer par une disposition unique, qui accorderait au gouvernement l’autorisation de réglementer cette matière de la manière qu’il jugerait convenable ; je pense que sur ce point la chambre de commerce d’Ostende a parfaitement raison.
En thèse générale, l’industrie est progressive de sa nature ; elle change ses procédés assez souvent d’une manière très lente, mais parfois aussi d’une manière extrêmement rapide, tandis que la loi est essentiellement stable et stationnaire. Quand on veut faire marcher de front la loi et l’industrie, au bout d’un temps plus ou moins long il arrive de deux choses l’une : ou la loi devient une barrière qui arrête les progrès de l’industrie, où l’industrie trouve le moyen de tourner la loi, qui, dès lors, manque son but et permet à l’industrie de se livrer à tous les écarts que l’intérêt lui commande. Il est beaucoup plus convenable de laisser au gouvernement le soin de suivre l’industrie dans sa marche. Il peut, d’un côté, lui tendre une main protectrice pour encourager ses développements, et, d’un autre côté, prendre les mesures nécessaires pour empêcher que les progrès ne deviennent eux-mêmes une nouvelle source d’abus.
Si ces réflexions sont justes en thèse générale, elles le sont à plus fortes raison quand on les applique à la pêche.
Il est un second motif pour lequel j’appuie les observations de la chambre de commerce d’Ostende : c’est que le gouvernement est bien plus à même que la législature de s’éclairer sur les mesures qu’il conviendrait de prendre pour assurer les droits du trésor sans nuire à la pêche nationale. Par exemple, le gouvernement pourrait (c’est ce que demande la chambre de commerce d’Ostende) nommer une commission mixte composée de quelques chefs d’administration et de quelques armateurs, et la charger d’examiner quelles seraient les dispositions réglementaires à établir, dans l’intérêt commun du trésor et de la pêche nationale. Certes, le moindre bien qui pourrait résulter des conférences d’une semblable commission serait d’empêcher qu’à l’avenir on insérât dans les lois sur la matière des dispositions dont le ridicule saute à tous les yeux.
Un troisième motif, et c’est le dernier, me porte à appuyer les observations de cette chambre de commerce ; c’est que les dispositions réglementaires qui se trouvent dans le projet font absolument double emploi avec d’autres dispositions plus générales qui s’y trouvent déjà.
D’après le projet l’on ne pourra jouir de l’exemption accordée à la pêche qu’après avoir obtenu préalablement une autorisation du gouvernement ; et le gouvernement aura le pouvoir de révoquer cette autorisation ; mais si le gouvernement est libre d’accorder ou de refuser l’autorisation nécessaire ; si, après l’avoir accordée, il peut encore la révoquer, quel besoin a-t-il, je vous le demande, de faire insérer dans la loi des conditions et des formalités qu’il peut prescrire par un arrêté ?
Messieurs, je vois encore dans le projet quelques autres dispositions que je ne suis pas disposé à voter ; je n’en entretiendrai pas la chambre en ce moment ; je me réserve d’y revenir lorsqu’on en sera arrivé à la discussion des articles.
M. de Foere. - Les principes d’administration générale sur lesquels le projet, actuellement devant nos yeux, est basé, fournissent une nouvelle preuve éclatante que les hommes qui sont au pouvoir ne savent ni tirer de leurs propres actes les immenses avantages qui pourraient en résulter pour le commerce et pour l’industrie, ni combiner les besoins du trésor avec les exigences impérieuses du commerce et de l’industrie, ni reconnaître le droit sacré de la possession immémoriale pour laquelle, d’après les avis puissants des gouvernements antérieurs et éclairés du pays, la Belgique a fait des sacrifices énormes.
Sans sortir du projet de loi en discussion, je tâcherai de prouver que le ministère actuel est purement fiscal, et que, presque par chaque projet de loi tant soi peu important qu’il nous présente, tantôt il entrave, tantôt il détruit le commerce, et, par une conséquence inévitable, l’industrie du pays. Je n’ai pas besoin de vous dire qu’un ministère de pure fiscalité est un des plus pernicieux de tous les ministères, surtout pour un pays comme le nôtre, qui, en raison de l’exubérance de son industrie et de sa population, a besoin de commerce extérieur. Cette vérité ne sera contestée par aucun membre de la chambre.
Pour arriver au but que je me suis proposé, je commencerai par établir, à l’égard d’une première question ressortissant du projet de loi, trois faits qui ont été posés par le ministère même et qu’il ne pourra pas nier.
Le projet de loi sur le sel, présenté par l’administration actuelle, ne contient aucune disposition tendante à assujettir le sel, importé du Levant par navires nationaux, à des droits inférieurs à ceux proposés sur le sel importés de l’Angleterre et aussi par navires nationaux. Premier fait.
Cette même administration a demandé, depuis, 200,000 fr. pour établir une mission à Constantinople. La majorité de la chambre les lui a accordés. Deuxième fait.
Le ministère a spécialement motivé la demande de ce crédit de 200,000 fr. par le besoin de donner, dans le Levant, un appui et une plus grande extension à notre commerce. Troisième fait.
Avant de tirer des conséquences claires et positives de ces faits, j’ai besoin d’établir à leur côté quelques propositions dont l’évidence est comprise par chaque membre de la chambre pour peu qu’il connaisse la conduite des affaires commerciales.
Notre commerce régulier avec Constantinople et avec les échelles du Levant et, par suite, l’exportation suivie des produits de notre industrie, ne sont possibles qu’au moyen de la navigation. Ce n’est pas par terre qu’on arrive dans ces contrées avec des produits industriels.
La navigation du pays ne peut, sous peine de se dévouer à une ruine certaine, s’établir régulièrement avec le Levant ni exporter nos produits dans ces parages, sans pouvoir s’assurer d’avance des cargaisons de retour.
L’importation du sel venant de la Méditerranée ne peut, à cause de la longueur du voyage, et par conséquent, à cause du fret plus élevé, se soutenir contre l’importation de ce minéral venant de l’Angleterre.
Cette importation pourrait se soutenir ; le chargement de retour serait assuré à nos navires ; notre commerce et notre navigation pourraient ouvrir, dans le Levant, des débouchés réguliers et suivis à plusieurs produits de notre industrie, si une réduction de droits sur le sel, importé de la Méditerranée, était proposée et admise, réduction suffisante pour compenser le fret plus élevé des navires venant de ces parages.
A cette condition, notre commerce et l’importation de nos produits industriels pourraient se soutenir dans les échelles du Levant une mission diplomatique. Sans cette condition, tous les ambassadeurs du monde ne pourraient faire faire un seul pas à notre commerce dans le Levant. On ne fait pas le commerce avec de la diplomatie ; il faut des éléments de commerce ; il faut des échanges, et par conséquent des affaires ; hors de là, il y a impossibilité absolue.
Pour ne pas faire perdre inutilement à la chambre un temps précieux, je n’ai pas cherché à prouver ces faits et ces assertions. Leur évidence est palpable pour les esprits même les plus romantiques en affaires commerciales. Je me bornerai donc à proposer à la chambre quelques questions comme conséquences directes qui résultent de ces faits et de ces assertions.
Si l’administration actuelle avait la moindre intelligence des affaires commerciales, ne se serait-elle pas empressée de présenter dans son projet de loi un droit sur le sel venant de la Méditerranée inférieur à celui demandé sur le sel importé de l’Angleterre ?
Si cette administration était capable de combiner, dans l’intérêt du pays, ses propres actes, sa mission dans le Levant avec son projet sur le sel, n’aurait-elle pas proposé elle-même une réduction de droits sur le sel importé de ces parages ?
Si elle avait été capable de comprendre l’impossibilité absolue du commerce régulier avec le Levant, sans changer son système de navigation, aurait-elle osé venir appuyer dans la chambre sa mission à Constantinople et dans les contrées environnantes sur le besoin de développer notre commerce dans ces parages ?
Attendu que sans navigation régulière le commerce est impossible et, par suite, l’exportation des produits de notre industrie dans toute l’étendue qu’elle comporte, les 200,000 fr. demandés pour la mission dans le Levant ne sont-ils pas jetés comme pâture à un luxe effréné de diplomatie, sans qu’il puisse en résulter aucun avantage commercial et réel pour le pays ?
Si les hommes qui sont actuellement au pouvoir comprenaient toute la puissance qu’exerce la navigation sur le développement du commerce, et, par une conséquence naturelle, sur l’exportation des produits de notre industrie ; s’ils savaient seulement que la navigation est la condition impérieuse de tout commerce régulier et de toute exportation suivie, n’auraient-ils pas proposé, depuis longtemps, eux-mêmes un système protecteur de navigation nouvelle, ou du moins, eu égard à l’insuffisance de notre navigation et aux intérêts de la consommation, un changement partiel sur quelques articles d’importation ?
Non, messieurs, vous le savez. Cette modification sur un seul article a été repoussée par le ministère, au point de n’en pas même permettre la discussion.
Messieurs, pour vous faire bien comprendre que le ministère est fiscal, et uniquement fiscal dans ses lois, je vous citerai quelques-unes de celles qu’il nous a présentées. Vous verrez, en effet, en toutes en me bornant à celles qui ont quelque importance, que toutes sont empreintes du même caractère de fiscalité exclusif, et que dans aucune les dispositions fiscales n’y sont combinées avec les besoins impérieux du commerce et de l’industrie.
Vous vous rappelez que le projet de loi sur les sucres, proposé par le gouvernement, était entièrement fiscal, et que sans la chambre de commerce d’Anvers, qui seule près des ministres a le privilège d’être entendue, ce projet serait resté exclusivement fiscal. Un autre projet entièrement fiscal, dernièrement proposé par les ministres, est celui concernant le café ; cependant cette loi offrait au pays une occasion extrêmement favorable pour avantager notre navigation, l’agent moteur, l’âme du commerce et de l’exportation des produits du commerce du pays.
La loi sur les céréales n’est pas le fait du ministère actuel. Elle avait pour but de concilier les intérêts des fermiers et des propriétaires avec ceux des consommateurs. Depuis qu’elle a été adoptée, nous avons exporté urne quantité considérable de farines : je crois qu’on peut porter cette quantité, pour l’année 1837 seule, au-delà de vingt mille barils.
On a fait aussi depuis des efforts immenses pour importer de la France et des Etats-Unis une industrie que nous n’avons pas, j’entends les établissements mécaniques pour réduire les grains en farine. Cet article est, à côté de quelques autres, un des éléments d’exportation les plus propres à la navigation lointaine. Eh bien, cette nouvelle industrie et notre navigation de long cours exigent impérieusement qu’il soit porté une modification à cette loi. Afin de pouvoir soutenir avantageusement la lutte avec les exportations étrangères de farines, afin de pouvoir les fournir dans les colonies à des prix au moins égaux, il faudrait qu’il fût permis que les grains étrangers pussent entrer sans droits, non pour la consommation intérieure, mais pour leur réexportation après avoir été convertis en farine. Le ministère abandonne ces efforts commerciaux et industriels à eux-mêmes, et il reste muet devant la loi.
Il est encore d’autres projets par lesquels le ministère a prouvé que son seul génie d’administration était exclusivement fiscal ; mais je pense qu’il est inutile que je multiplie davantage les exemples ; ceux que j’ai allégués suffisent pour démontrer que les projets de loi les plus importants qu’il ait proposés dans l’intérêt du trésor, sont empreints d’un caractère exclusif de fiscalité sans qu’il ait pu les combiner avec les intérêts du commerce et de l’industrie.
(M. de Foere se dit fatigué. Il prendra une deuxième fois la parole dans la discussion générale pour développer la proposition qu’il a annoncée au commencement de son discours.)
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Messieurs, dès l’entrée de M. l’abbé de Foere au sein de la législature belge, il vous a donné la preuve incontestable de sa haute capacité ; vous vous rappellerez qu’en effet, lorsqu’il s’est agi de formuler la constitution, ce fut à M. l’abbé de Foere que nous avons dû la brillante conception d’une cour d’équité qui devait se charger de juger le chef de l’Etat. Dans cette circonstance, il est vrai, les idées de M. de Force ne prévalurent point ; mais sans doute il est resté convaincu que le congrès était ignorant, puisqu’il a rejeté cette proposition si réfléchie.
Depuis l’époque que je viens de rappeler, M. l’abbé de Foere vous avait plus toutefois présenté de motion transcendante, ne vous avait plus rien suggéré de si bon, de si extraordinaire ; mais depuis quelque temps, à raison de la position nouvelle et toute particulière de l’orateur, à raison des connaissances pratiques qu’il a nécessairement acquises dans cette position, il a découvert la nécessité de droits différentiels de navigation. Comprenant, toujours à raison de cette même position particulière, toute la portée de ces droits différentiels, il a décidé dans sa sagesse que ceux qui ne s’empressaient pas d’adopter cette nouvelle idée étaient des ignorants, des ineptes ; mais comme il y a eu 48 membres de la chambre qui ont partagé l’opinion des ministres, favorable à l’ajournement de la discussion des droits différentiels, nous savons qu’il se trouve 48 ineptes dans cette assemblée, et nous nous résignons à subir avec eux la terrible réprobation de M. de Foere.
Il y a eu à la vérité 25 membres qui ont voté dans cette occasion avec l’orateur ; mais qu’il ne s’y trompe pas, plusieurs d’entre eux n’ont voulu par là se prononcer sur les droits différentiels, et n’avaient d’autre but que d’entendre encore quelques discours ; il faut donc réduire d’une manière assez notable ce chiffre de 25 qui, selon l’orateur, représente sans doute exclusivement le nombre des hommes non ineptes qui siègent ici. Quoi qu’il en soit, nous avons subi le jugement du préopinant, et nous l’acceptons, car à quoi tend-il ? A nous retirer la confiance de M. de Foere dont nous nous passerons aisément.
Mais que vient d’ajouter aujourd’hui M.de Foere à ses premières accusations ? Que le ministère, à propos d’une loi sur le sel, était fiscal ! Je voudrais bien connaître l’impôt quelconque qui ne fût pas fiscal. Est-ce que le préopinant ne veut plus de droit sur le sel ? Aussi longtemps qu’il faudra un droit sur le sel, il y aura de la fiscalité dans la loi. Voudrait-il que l’on réduisît les droits ? Serait-ce là ce qu’il n’appellerait plus de la fiscalité ? Mais la diminution des impôts doit être accompagnée d’une condition essentielle, c’est d’avoir d’autres moyens de couvrir les dépenses. Or, si nous ne maintenions à présent les impôts à leur hauteur, nous ne parviendrions pas à mettre nos recettes au niveau de nos dépenses indispensables.
Les accusations de fiscalité sont donc vides de sens.
Dans la séance où le préopinant a commencé ses attaques contre le ministère, et à laquelle n’assistait pour le gouvernement que le ministre de la guerre, il est venu représenter la Belgique comme étant réduite à la misère, comme n’ayant en perspective que le sort de la nation la plus malheureuse du monde, et il a attribué cette situation aux ministres ; mais les faits témoignent trop haut pour qu’il soit besoin de répondre à de semblables allégations.
L’orateur a parlé aussi des revenus de l’Etat, qui selon lui tombent à rien, et à l’entendre il semblerait que les rentrées effectives de 1837 auraient été de beaucoup inférieures aux ressources prévues du trésor, et cependant tout le monde sait que l’exercice 1837 a procuré, selon les mêmes bases d’impôt, des revenus énormes, dépassant les prévisions.
Et pourtant, depuis 1830, les revenus avaient été en s’augmentant d’année en année ; progression qui démontre à la fois la prospérité et suffisamment la bonne administration du pays. Toutes les déclamations de M. l’abbé de Foere ne reposent donc sur rien. Et je m’étonne vraiment qu’il ose revenir encore aujourd’hui sur ses accusations touchant les droits différentiels, qu’il ose en parler après les nouvelles politiques rendues publiques depuis sa dernière sortie ! Comment n’a-t-il pas réfléchi sur la position où la Belgique se trouve maintenant ! Mais il faudrait mettre en accusation les ministres s’ils avaient, eux, sans réflexion et sans ménagement, adopté les droits différentiels, s’ils n’avaient, comme leur antagoniste, tenu aucun compte des considérations de bienveillance internationale à l’égard de ceux qui peuvent étayer les droits de la Belgique de leur puissante influence.
En vérité, messieurs, je crois qu’il eût été inutile de répondre à des accusations grossières d’ineptie et d’incapacité, quand l’orateur qui les a lancées n’a pu s’appuyer d’aucune espèce de faits pour les alléguer. J’eusse peut-être dû, messieurs, opposer le silence le plus absolu à des attaques semblables, et, dans tous les cas, ce qui s’est déjà manifesté dans cette enceinte lorsque M. l’abbé de Foere a fait sa première sortie, dédommage au centuple le ministère des injures qui lui ont été adressées si singulièrement.
Je n’aborderai pas en ce moment les différents points qui ont été touchés par deux honorables orateurs, en ce qui concerne la loi sur le sel. J’attendrai que la discussion générale ait continué encore quelque temps.
M. Seron. - Messieurs, si je me sentais quelque disposition à admettre, quant au fond, le projet soumis à votre examen, j’opinerais avec le ministère pour la libre circulation du sel brut et du sel raffiné ; j’opinerais avec la section centrale pour la diminution du droit d’accise sur le sel, et je demanderais que l’eau de mer en fût entièrement affranchie, malgré les propositions contraires de cette section et du gouvernement. Dans la même hypothèse, je voudrais qu’un article exprès de la loi contraignît les marchands de sel à le livrer au poids, car l’art des raffineurs est parvenu à le rendre si léger qu’aujourd’hui le pauvre peuple, qui l’achète à la mesure, n’a rien pour son argent. Je tâcherais aussi de supprimer comme trop dure la peine de la prison établie contre les fraudeurs, et comme peu équitable l’exclusion donnée notamment au port de Bruxelles. Enfin, je ferai mes efforts pour obtenir, s’il était possible, une loi moins compliquée, plus concise, plus claire et plus méthodique.
Mais je ne veux pas de l’impôt, et, dès lors, je n’ai pas à m’occuper des moyens de le rendre plus supportable ; j’ai seulement à déduire les motifs qui me portent à le rejeter ; je le ferai en peu de mots.
Quand en France le tiers-état, esclave des prêtres et des nobles, allait en sabots toute l’année, réduit, comme il le disait lui-même, à travailler six jours de la semaine pour le roi, alors il était tout simple qu’aux droits féodaux et aux corvées de toute espèce dont l’accablait le régime des privilèges et des abus, se joignît l’impôt créé par Philippe de Valois et dont lui vint le nom de roi de la loi salique. Mais cette odieuse gabelle est intolérable dans un Etat libre et bien ordonné ; elle cessa d’être perçue dès les premiers jours de la révolution de 1789. Il fallut que la réaction de l’an II, les nombreuses violations des lois constitutionnelles et le machiavélisme de Bonaparte eussent tué l’esprit public pour que, dix-sept ans plus tard, ce grand partisan des vieilles institutions osât la rétablir et la substituer aux droits de barrières. Les hautes puissances alliées la supprimèrent ici en 1814, aux applaudissements des grands et des petits, des riches et des pauvres ; et lorsque le gouvernement hollandais la fit revivre, ce fut avec la promesse formelle de ne pas en prolonger l’existence au-delà de l’époque où la taxe des routes serait remise en vigueur.
Qu’à cet égard l’auteur de la loi-mouture ait manqué à sa parole, nous ne devons pas nous en étonner ; c’était une conséquence de ses principes fiscaux. Mais que la gabelle du sel ait pu survivre à la révolution de 1830, que le congrès ne l’ait pas supprimée à toujours, et qu’aujourd’hui il soit sérieusement question de la perpétuer par une nouvelle loi, c’est assurément ce que personne n’aurait prévu, quand vous chassiez d’ici le roi Guillaume et ses faiseurs, en promettant au peuple la réforme de tous les abus. En effet, messieurs, le sel n’est pas plus imposable que le pain ; c’est une denrée de première nécessité consommée en immense quantité par les classes indigentes, que c’est l’unique assaisonnement de leur nourriture. Les impôts dont on le grève, plus impopulaires que l’abattage, au lieu de prendre l’argent où il est, pèsent principalement sur la misère. Plus la famille du pauvre est nombreuse, plus il consomme de sel. Ainsi, sa part contributive augmente avec son dénuement ; et cette part contributive est pour lui exorbitante, puisque, de l’aveu des sauniers de la Flandre et du Brabant, elle fait le quadruple de la valeur de la matière imposée. C’est pourtant une maxime fondamentale en fait de charges publiques que chacun doit les supporter proportionnellement à ses facultés, ses forces. La taxe du sel choque donc le bon sens et la justice.
Vainement on viendra me dire qu’elle s’acquitte sans que le consommateur s’en aperçoive ; car, soit que durant un exercice on lui enlève 20 fr. au moyen d’une contribution directe versée par douzième ou par mois, soit que dans le même laps de temps on prélève sur sa consommation une somme égale divisée en un beaucoup plus grand nombre de paiements, le résultat pour lui sera toujours le même à la fin de l’année ; l’argent sorti de sa poche, il ne l’aura plus.
Je dois l’avouer ici, messieurs, mes assertions sont peu d’accord avec les principes et les idées d’un saunier dont la pétition a cela de remarquable, qu’on y trouve l’éloge de l’accise contre laquelle je m’élève. Les gouvernants ont pu la regarder comme un mal nécessaire ; mais, suivant lui, « le sel vaut mieux comme matière imposable que des articles de luxe qui donnent seulement des recettes fortuites et subordonnées à la volonté du consommateur. » M. Appelius n’aurait pas mieux parlé. Il ajoute : « On ne doit pas craindre que le droit de 16 fr. par 100 kilog. soit trop onéreux pour la masse ; car, en admettant la consommation annuelle à 6 kilog. et demi par habitant, chaque consommateur paie à l’Etat 2 centimes 21 centièmes de centime seulement par semaine. Mais ses calculs pour établir la consommation sont loin d’être clairs. Pour trouver la vérité, il ne faudrait pas les fondre comme il fait, sur les produits de l’impôt, il faudrait leur donner pour base la consommation effective ; autrement il est impossible d’apprécier ce que paie le contribuable, car les droits fraudés ne lui profitent pas à lui s’ils profitent au saunier. Enfin notre économiste nous dit : « Le pauvre supporte la moindre part de cet impôt ; le riche n’employant pas seulement le sel par nécessité, mais encore comme un objet de luxe, et ce qui le prouve c’est la consommation plus forte, proportion gardée dans les villes que dans les campagnes. » Mais il perd de vue que, proportion gardée, les villes renferment bien plus de pauvres que les communes rurales ; il perd de vue aussi que les communes rurales ont l’habitude de s’approvisionner dans les villes ; en sorte qu’on pourrait expliquer par ces deux circonstances cette différence dans la consommation, par lui supposée, en admettant qu’elle existe.
Je sais, au reste, messieurs, que malgré notre grande économie, nous avons besoin de beaucoup d’argent ; je sais aussi que l’accise du sel figure pour la somme de 3 millions 700 mille francs, non compris le timbre des expéditions, au budget des voies et moyens de 1838, et je ne prétends pas l’en retrancher dès à présent. Mais il dépend de vous de ne pas la faire reparaître au budget de 1839 et d’y substituer des droits plus raisonnables, plus humains et plus justes. Pour moi, je crois toujours que vous devriez remettre en vigueur le droit de 2 fr. établi par la loi du 22 frimaire an VII, sur toutes les ventes mobilières indistinctement, et que, pour quelques-unes, la loi du 31 mai 18324 a mal à propos réduit à 50 centimes p. c. Je l’ai déjà dit : qu’après le décès d’un pauvre diable, il faille vendre ses haillons pour acquitter les dettes qu’il a léguées à ses pauvres enfants mineurs ; qu’un autre pauvre diable soit exécuté dans ses meubles, dans ces deux cas, le droit de 2 p. c. est perçu ; pourquoi faut-il qu’en même temps, et par l’effet d’une législation bizarre et partiale, les marchandises neuves vendues à l’encan, les récoltes sur pied, les taillis des communes, la futaie du riche s’il vend ses taillis à main ferme, ne supportent qu’un droit de 50 c. par 100 fr. ? N’est-ce pas là une inégalité choquante, un privilège en matière d’imposition contraire au vœu formel de l’article 112 de votre charte ? D’un autre côté, quel inconvénient y aurait-il à imposer le thé, à augmenter le droit sur le genièvre à la fabrication, à doubler le droit sur le sucre, à tripler le droit sur le café récemment voté par la chambre ? On a dit : « Le café est la boisson du peuple. » Quelle boisson ! Quand on réunira tous les chimistes de l’Europe pour analyser mille balles de moka, leur science ne parviendrait jamais à en extraire une once de substance nutritive. Mais d’ailleurs la boisson des masses, ce n’est pas le café, c’est la chicorée de Bruges conjointement avec l’eau-de-vie indigène. Les véritables consommateurs de café appartiennent à la classe des gens aisés ; ils peuvent sans difficulté payer l’impôt. Enfin, messieurs, si avec les ressources que j’indique l’argent manquait encore, je m’adresserais aux terriens plutôt qu’aux malheureux prolétaires.
Quand le peuple en 1830 combattait et répandait son sang dans le parc, c’était pour améliorer sa condition, ce n’était pas pour maintenir dans toutes ses parties un système d’impôts absurde et que désapprouvait la nation entière. Voilà, messieurs, les réflexions que je voulais soumettre à votre philanthropie et qui me feront voter dans le sens que j’ai dit.
M. de Foere. - Je m’étais attendu, messieurs, à voir le ministère entrer dans le fond de la question comme il convient à la dignité de tout ministre. Il a préféré me répondre par de misérables récriminations, par des personnalités auxquelles je dédaigne de répondre. Il en est une cependant que je relèverai. Le ministre des finances a répété plusieurs fois que le discours que j’ai prononcé tenait à ma position particulière. Messieurs, je repousse une accusation semblable ; je n’ai d’autre position que celle d’un membre de la chambre parfaitement indépendant.
Je n’ai en vue dans toute ma conduite parlementaire que le seul intérêt de mon pays ; si je me suis enfin déterminé à attaquer ouvertement le système commercial que suit le ministère, et que je crois contraire aux intérêts du pays, c’est qu’il n’a pas voulu qu’on lui administre les preuves de son pernicieux système. Il est venu étouffer la discussion.
J’aurais dit que son projet est fiscal, et il demande si un projet de loi concernant un impôt sur le sel ne devait pas l’être nécessairement. Je n’ai pas accusé le projet d’être fiscal ; j’ai dit qu’il était exclusivement fiscal ; que, sans nuire aux intérêts du trésor, il n’est pas combiné de manière à favoriser la navigation, le commerce et l’exportation des produits de note industrie ; j’ai dit qu’il fallait frapper plus faiblement le sel venant de la Méditerranée que celui qui vient de l’Angleterre ; que cette disposition aurait eu pour effet la possibilité d’établir un commerce régulier avec l’Orient et de ne pas rendre notre mission à Constantinople, pour laquelle on est venu nous demander des fonds considérables il y a quelques jours, complétement inutile sous le rapport commercial.
Vous êtes dédommagés, dit-on, par la confiance de la chambre, par l’effet que mon discours aurait, selon vous, produit dans cette enceinte. Prenez-y garde ; vous abusez de la confiance de la chambre. Vous savez mieux que moi comment les majorités parlementaires se composent ; mais vous ne savez peut-être pas assez comment elles se décomposent ; c’est à amener cette dissolution que je consacrerai désormais tous mes efforts, si vous ne changez pas votre ligne de conduite en ce qui concerne les affaires commerciales.
J’aurais dit que la Belgique est réduite à la misère ; que nous sommes la nation la plus misérable de l’Europe ; je vous le demande, messieurs, y a-t-il une seule partie de mon discours qui soit le synonyme de cette assertion, ou même dont on puisse tirer une semblable conséquence ? La seule partie qui puisse avoir donné lieu à la fausse accusation du ministre est celle où j’ai dit qu’avant peu d’années, si le système commercial du ministère n’est pas modifié, nos industries, qui ont pris depuis quelques années un si bel élan, se verront refoulées au-delà de leur point de départ. Est-ce là, je le demande, dire que la Belgique est actuellement réduite à la misère, que nous sommes la nation la plus misérable de l’Europe ?
Le ministre des finances me reproche d’avoir demandé les droits différentiels dans un moment où la Belgique peut avoir besoin de l’appui de ses alliés ; je lui ferai remarquer que c’est jeudi dernier que j’ai prononcé mon discours, et que les nouvelles auxquelles il fait allusion n’étaient alors pas encore connues. C’est évidemment un anachronisme. Quoi qu’il en soit de cette nouvelle position, je ne recule pas devant la demande que j’ai faite de l’établissement de droits différentiels, car j’ai la conviction intime qu’une semblable mesure, appliquée au seul article café, ne pourrait en aucune manière mécontenter les puissances, puisque, comme je l’ai déjà dit, cet article est en dehors des traités de réciprocité de la France et de l’Angleterre. Nos navires ni aucun autre navire étranger ne peuvent importer une seule livre de café, soit en Angleterre, soit en France, malgré leurs traités de réciprocité navale.
Les produits de l’Afrique, de l’Asie et de l’Amérique ne peuvent être importés en Angleterre que par navires anglais. Il y a prohibition dans les termes de la loi anglaise. En France, l’article café est prohibé à l’importation, non par les termes de la loi, mais par des droits différentiels qui équivalent à la prohibition.
Serait-ce la Hollande, par hasard, que le ministère craindrait de mécontenter ? Il est, en effet, connu par tous les négociants du pays que la Hollande importe chez nous plus que la moitié des besoins de notre consommation en café.
Quand on ne sait pas discuter le fond des questions, quand on ne répond à ses adversaires que par de misérables récriminations, je le demande, messieurs, est-on bien en droit d’en appeler à la confiance de la chambre ? N’est-ce pas évidemment abuser de cette confiance ? Vous évitez continuellement de vous placer sur le terrain d’une question qui intéresse au plus haut degré la prospérité du pays. Vous refusez d’accepter la lutte quand elle vous est offerte. Mais vous avez par devers vous, dites-vous, des motifs secrets ; n’est-ce pas encore abuser de la confiance de la chambre, alors qu’il s’agissait seulement de la discussion de cette question et non de son application comme conséquence inévitable ?
Vous repoussiez dans la séance de jeudi dernier le droit différentiel sur le seul article café, parce que c’était, selon vous, un « système nouveau. » En admettant une semblable assertion, vous justifiez vous-même le reproche que vous ne connaissez pas, non seulement les législations étrangères sur l’espèce mais même notre propre législation.
Il existe en Belgique un système général d’après lequel les navires étrangers paient pour les marchandises qu’ils importent 10 p. c. de plus sur les droits de douane. A côté de ce système général, il existe trois articles spéciaux pour lesquels le droit différentiel est majoré en faveur de la navigation nationale : ce sont les articles sel, sucre et foulards. Je le demande, messieurs, est-ce introduire un système nouveau que d’ajouter un seul article, l’article café, à trois autres déjà existant dans notre législation ? Je désire, messieurs, dans l’intérêt du pays (et non pas à cause de ma position particulière, car je n’ai, je le répète, d’autre position que d’être complétement indépendant de toute espèce d’intérêt autre que celui de mon pays), je désirerais, dis-je, que le ministère acceptât la discussion sur les droits différentiels et qu’il ne la repoussât pas continuellement par des fins de non-recevoir, d’une futilité évidente. Tout le commerce, toutes les industries du pays demandent que la question soit au moins examinée. Il est d’autant plus urgent qu’elle soit éclaircie par la chambre que les droits différentiels sont le moteur de notre navigation, de notre commerce et de l’exportation de notre industrie. Le pays doit savoir à quoi s’en tenir à l’égard de cette immense question. Nous produisons plus que nous ne consommons ; il nous faut des exportations à tout prix. Il nous faut en conséquence des moyens qui ne sont que dans notre navigation et dans les mesures protectrices à prendre pour étendre cette navigation. J’ai dit.
M. le ministre de l’intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - Messieurs, des modifications à la loi actuelle sur le sel ont été réclamées depuis un grand nombre d’années, du temps même du congrès national.
Ces modifications étaient demandées dans un double intérêt : l’intérêt financier d’abord, pour réprimer la fraude, et en second lieu, l’intérêt de l’industrie indigène, en facilitant la libre circulation.
M. le ministre des finances vous a proposé un projet de loi, par lequel il espère atteindre le double but désiré.
A cette occasion, l’on ressuscite la question des droits différentiels. Vous savez, messieurs, qu’il existe déjà un droit différentiel considérable sur l’importation du sel ; mais l’on vient vous proposer maintenant des droits différentiels, à raison du pays de provenance, ou au moins, si l’on n’en a pas fait la proposition formelle, l’on a établi la discussion sur ce point.
Pour nous, nous croyons que les mêmes motifs qui ont déterminé la chambre à ne pas discuter actuellement la question des nouveaux droits différentiels proposés sur le café, à raison des pays de provenance ; nous croyons, dis-je, que ces motifs doivent engager l’assemblée à ne pas discuter en ce moment les droits différentiels, à raison des pays de provenance, en ce qui concerne le sel.
L’on est cependant encore revenu à ce qui s’est passé à l’occasion du projet de loi sur le café ! Mais qu’on ne s’y trompe pas : si alors nous avons demandé l’ajournement de la discussion, ce n’est pas que nous n’eussions pas étudié à fond la question ; ce n’est pas que nous n’eussions une connaissance complète de notre législation et de la législation étrangère, ainsi que des traités qui règlent cette matière entre les différents pays ; mais nous avons cru qu’il était intempestif, qu’il était contraire aux intérêts des négociations ouvertes, de rien changer à notre législation, de discuter même la question avant que nous sussions à quoi nous en tenir sur les résultats de ces négociations.
Nous ne chercherons pas à justifier le gouvernement ni la chambre, quant à la décision qui a été prise. Nous ferons seulement remarquer que les inculpations du préopinant s’adressent à tous les hommes politiques qui ont occupé le ministère depuis que la Belgique s’est constituée en nation indépendante.
Pour nous, messieurs, nous avons cependant fait un pas vers la solution de cette grave question, et nous n’avons pas reculé devant les difficultés qu’elle pouvait présenter dans l’avenir. Nous n’avons pas hésité à ouvrir des négociations avec différents pays ; et je le répète encore, nous avons la persuasion que ces négociations amèneront des résultats satisfaisants. S’il en est ainsi, nous aurons obtenir la justification la plus éclatante que nous puissions espérer.
Quoi qu’il en soit, messieurs, il n’y a pas de péril en la demeure ; ce que n’aurait pas été discuté dans le cours de cette session, pourrait, au besoin, se représenter dans une autre session, et alors nous ne craindrions nullement d’aborder la question à fond et dans tous ses détails.
La force et l’indépendance d’un pays ne consistent pas seulement à faire tout ce qui lui plaît, mais consistent encore et surtout à faire ce qui est véritablement utile au pays. Or, messieurs, il est certain que ce n’est pas en cherchant à établir une législation prohibitive, exceptionnelle, en écartant des négociations amicales avec les pays voisins, que l’on consolide la nationalité. Il faut sans doute garantir les intérêts du pays, et sur ce point j’espère que nous ne serons jamais en défaut ; mais il faut encore mettre ces intérêts en rapport avec ceux d’autres pays ; il faut pour la prospérité de la Belgique que les autres nations aient un intérêt commun à la conservation de la libre navigation de l’Escaut ; il faut créer des relations d’amitié fondées non seulement sur l’intérêt politique, mais encore sur l’intérêt commercial.
Le préopinant s’est plaint de ce qu’on n’ait pas encore modifié la législation sur l’importation des grains étrangers, à l’effet de faciliter le commerce de farine. Le gouvernement, messieurs, n’a pas tardé jusqu’ici de s’occuper de cette question. Un projet de loi est soumis à l’avis des chambres de commerce et des commissions d’agriculture. Lorsque les avis seront rentrés, nous espérons pouvoir vous saisir d’une proposition satisfaisante sur cet objet.
Le même orateur a de nouveau critiqué la mission d’Orient ; la reconnaissance de la Belgique par la Porte est un fait dont nous pouvons nous prévaloir ; nous ne sachons pas qu’il fût dans l’intérêt de notre commerce de ne pas chercher à étendre nos relations politiques avec d’autres pays. Nous avons toujours cru, et en cela nous avons imité l’exemple des nations les plus florissantes ; nous avons cru, dis-je, qu’il fallait, par tous les moyens possibles, nouer des relations politiques et commerciales. Tel est le but de la mission de Constantinople.
Le préopinant a cru que nous pouvions savoir de quelle manière se formaient les majorités dans les chambres, mais que nous ignorions peut-être de quelle manière elles se dissolvaient. Je terminerai par cette seule réflexion : M. de Foere ne sera pas le dissolvant de la majorité actuelle.
M. de Man d’Attenrode. - Messieurs, depuis quelques années nous avons entendu répéter souvent : Il faut une nouvelle loi sur le sel ; quand discutera-t-on sur le sel ? Mais à peine cette loi tant désirée eut-elle vu le jour, mais à peine la section centrale y eut-elle donné son avis favorable, que des requêtes nombreuses, ayant pour organes les conseils municipaux de nos villes importantes, des chambres de commerce, sont venus nous représenter la loi nouvelle comme nuisible au commerce, insignifiante sous le rapport du prix de revient au consommateur, ne remplissant nullement le but qu’on se propose.
J’ai cherché à me rendre compte des motifs sérieux qui ont amené le nouveau projet de loi, je les ai cherchés d’abord dans l’exposé des motifs du gouvernement, et je n’en ai trouvé aucun : il semble n’avoir formulé et présenté son nouveau projet que pour céder aux instances de quelques honorables collègues. Mais voici, si je ne me trompe, L’origine de la loi nouvelle qu’on nous propose. Il y eut à l’époque de 1830 réaction contre le système spoliateur du fisc hollandais ; ces motifs sont assez connus ; après l’expulsion de l’étranger, on voulut remédier aux abus en chargeant une commission de la révision du système d’impôt, et elle fut installée en 1831.
L’impôt sur le sel fit l’objet de ses investigations ; elle formula un système nouveau, et le gouvernement présenta une nouvelle loi en 1832 : la dissolution des chambres en 1833 ajourna l’examen de ce travail. C’est donc la juste réaction de 1830 qui est l’origine de la nouvelle loi sur le sel ; mais notre gouvernement national ayant mis dans l’exécution des lois d’impôts, que nous ont léguées les Hollandais, des formes moins fiscales et plus paternelles, les plaintes ont cessé, et la patrie en a profité pour faire face aux grandes dépenses que nous avons eu à faire pour soutenir notre indépendance. Je pense donc que les motifs qui sont à l’origine de la loi qui nous occupe, ont cessé d’exister.
Le gouvernement ne m’ayant pas donné des raisons sérieuses pour modifier la loi en vigueur, je les ai cherchées dans l’exposé de la section centrale ; d’après elle ce serait en premier lieu le vœu du pays, exprimé par des membres de la législature ; ce seraient les plaintes des sauniers contre les entraves à la libre circulation, ce serait la fraude qui se commet aux dépens du trésor et du commerce.
Quant au vœu du pays, je puis vous assurer que ma position, qui me met en contact avec toutes les classes de la société, m’a mis à même de savoir que mes commettants n’expriment pas de vœu semblable. Il est vrai que les sauniers, dans des localités qui me sont étrangères, sollicitent des modifications à la loi, et réclament contre les formalités auxquelles leur débit est astreint. Mais la question est de savoir si ces formalités ne sont pas indispensables pour traiter d’un objet imposé à quatre fois sa valeur, afin de préserver le trésor et les sauniers eux-mêmes d’une fraude ruineuse.
Le motif fondé sur la fraude, qui s’exercerait sous le régime actuel, me semble tout aussi hasardé.
D’après l’exposé de la section centrale, il est présumé que la fraude est considérable parce qu’après avoir établi assez légèrement en Belgique la moyenne de la consommation du sel, à 10 kilog. par tête, l’impôt ne représentait qu’une consommation de 5 kilog. par tête, ou de 2 millions pour le royaume, tandis que les seules villes de Louvain et de Bruges auraient établi dans leurs mémoires que les seules importations sont en quelque sorte élevées à ce chiffre. Mais cet argument, qui semble prouver une fraude effrayante, perdra en gramde partie sa valeur, si l’on réfléchit que le sel pris en charge à Louvain ou à Bruges l’a déjà été deux ou trois fois dans d’autres localités par suite de combinaisons commerciales, ce qui en apparence double et triple les quantités de sel importées. Il est d’ailleurs impossible de fixer la consommation annuelle d’après l’importation pour un article sur lequel l’excellente disposition de la loi en vigueur des crédits permanents permet d’en faire des spéculations commerciales, qui assurent quelquefois au pays, en fort peu de temps, les approvisionnements pour plusieurs années.
Mais admettons que la fraude soit considérable, ce n’est pas en établissant la libre circulation, en la restreignant même au sel raffiné, que vous la réprimerez ; ce n’est pas en abrogeant une loi de consommation, qui rend le sel poursuivable partout, pour la remplacer par une espèce de loi de douane, que vous la réprimerez ; loin de la faire disparaître, vous la déplacerez en la transportant aux frontières, et l’étranger en fera son profit aux dépens du trésor et du commerce national.
La loi en vigueur rend au contraire la fraude étrangère impossible, et elle donne aux agents de l’administration financière tous les moyens de la faire disparaître à l’intérieur. Les seules mesures qu’il resterait peut-être à prendre, seraient de mieux payer les agents inférieurs, que leur modique traitement de 5 ou 600 fr. rend plus abordables à la corruption ; de renvoyer au lieu de déplacer ceux qui se rendent coupables ; d’ajouter aux formalités de la fermeture des écoutilles et autres celle de constater le tirant d’eau du navire au premier bureau à l’entrée, comme un des meilleurs moyens de vérifier, lors du déchargement, si le bâtiment s’est débarrassé frauduleusement de certaines quantités pendant le trajet depuis la frontière jusqu’au lieu de la prise en charge.
Il me semble donc établi que l’on n’a pas allégué de motifs suffisants pour chaque système d’impôt sur le sel ; il en est au contraire d’importants pour maintenir ce qui existe. Le pays a besoin de toutes ses ressources dans les circonstances présentes ; l’impôt sur le sel lui en assure de positives. Qui peut prévoir si l’adoption de la nouvelle loi n’occasionnera pas un déficit sur cet article important des voies et moyens ? J’ai même tout lieu de le craindre, car la loi proposée n’est que le replâtrage des lois de 1816 et 1819, que le gouvernement hollandais fut obligé d’abandonner à cause des abus qu’elles occasionnaient.
Le pays est habitué à la loi actuelle, et j’ai ouï dire souvent que des lois d’impôts les meilleures étaient celles qui sont entrées dans les habitudes. Personne ne se plaint, sauf quelques sauniers qui réclament la suppression des documents à la circulation, sans réfléchir que ces documents sont leur propre sauvegarde contre la fraude. Je suis même convaincu que la suppression d’un impôt élevé dont on a contracté l’habitude, cause moins de reconnaissance et de plaisir que l’établissement d’un nouvel impôt moins élevé n’occasionne de plaintes. Je viens d’en acquérir encore la preuve.
Le gouvernement et la section centrale ont proposé la réduction de l’’impôt sur le sel, et un petit droit sur l’eau de mer ; eh bien, les personnes peu instruites s’imaginent et se plaignent que le gouvernement a l’intention d’élever le droit sur le sel. Pour satisfaire quelques sauniers, l’on mécontentera plusieurs villes importantes, qui perdront diverses sources de prospérité, que lui procurait le négoce du sel. Je ne parviens donc à découvrir de bénéfices réels pour personne dans la suppression de la loi en vigueur, et l’adoption de la nouvelle loi ne me semble fondée sur aucun motif plausible.
- MM. les représentants quittent leurs bancs.
La séance est levée à 4 heures et demie.