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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 19 mars 1838

(Moniteur belge n°79, du 20 mars 1838)

(Présidence de M. Dubus (aîné))

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. B. Dubus fait l’appel nominal à une heure.

M. de Renesse lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. B. Dubus présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.

« Le conseil communal et un grand nombre d’habitants de la commune de Burdinne adresse des observations sur la réforme électorale. »


« Des habitants de la commune d’Oordegem (Flandre orientale) demandent qu’il soit établi un tribunal de première instance à Alost. »

« Même pétition du conseil communal d’Erembodegem. »


« Des propriétaires, fermiers et marchands de lin de treize communes du Hainaut adhèrent aux propositions de la commission d’industrie sur l’exportation des lins et la fabrication des toiles. »

« Le sieur Charles De Poorter (aîné), manufacturier en rubans à Bruxelles, adresse des observations contre le projet de loi relatif aux droits d’entrée sur les fils étrangers. »

« Le sieur Feyrickx adresse des observations sur le projet de loi relatif aux droits d’entrée sur les fils étrangers. »


« Le sieur P. Smolders, à Louvain, réclame l’intervention de la chambre pour obtenir la médaille décernée aux personnes qui ont fait preuve de dévouement et d’humanité à l’occasion du choléra. »


« Les armateurs, négociants et sauniers de la ville de Bruges adressent à la chambre un mémoire sur le projet de loi relatif au sel. »


- Les pétitions relatives aux fils de lin et au sel resteront déposées sur le bureau pendant la discussion des projets de loi sur la matière ; les autres pétitions seront renvoyées à la commission des pétitions.


Par divers messages, le sénat informe la chambre qu’il a adopté :

1° Le projet de loi allouant un crédit supplémentaire de 70,000 fr. au budget du département de la justice de 1837 ;

2° Le projet de loi allouant un complément de crédit pour les frais de l’école militaire pendant l’exercice de 1838 ;

3° Le projet de loi portant des modifications au tarif des douanes ;

4° le projet de loi relatif aux frais d’une mission extraordinaire à Constantinople ;

5° Le projet de loi relatif au café ;

6° Le projet de loi relatif aux ventes par adjudications de marchandises neuves.

- Pris pour notification.


Par un autre message, le sénat informe qu’il a pris en considération 25 demandes en naturalisation ordinaire.

- Pris pour notification.


MM. Dechamps et Ullens demandent un congé de quelques jours.

- Adopté.


M. Ducpétiaux fait hommage à la chambre de son ouvrage : « De l’état de l’instruction primaire et populaire en Belgique. »

- Dépôt à la bibliothèque.

Rapports sur des demandes en naturalisation

M. Desmet, au nom de la commission des naturalisations, dépose des rapports sur neuf demandes de naturalisation ordinaire.

- La chambre ordonne l’impression et la distribution de ces neuf rapports.

Projet de loi modifiant les droits sur les fils de lin

Discussion générale

M. le président. - La discussion est ouverte sur l’ensemble du projet de loi qui est ainsi conçu :

« Article unique. Par modification au tarif des douanes, les droits d’importation sur les fils étrangers et d’exportation sur les étoupes sont fixés comme suit :

« Fils écrus, par 100 kil. : droit d’entrée : 25 fr.

« Tous autres fils, blancs, peints ou tors, de mulquinerie excepté, par 100 kil. : droit d’entrée : 30 fr.

« Etoupes, par 100kil. : droit de sortie : 20 fr.’

M. de Nef. - La proposition d’imposer généralement les fils étrangers me paraît devoir entraîner des conséquences désastreuse ; si elle était accueillie, elle anéantirait inévitablement une quantité de fabriques, qui, ne pouvant employer le fil indigène et étant alors obligées de payer des droits d’entrée pour le fil étranger, ne pourraient plus dès lors soutenir la concurrence avec les fabriques du même genre établies en pays étranger, et cette considération me paraît plus que suffisante pour repousser toute imposition que l’on voudrait créer sur l’introduction des fils en général.

Toutefois si, contre mon attente, la chambre pensait qu’il est ce nonobstant nécessaire d’imposer les fils venant de l’extérieur, il est parmi ces fils une espèce dont certaines fabriques ne peuvent absolument se passer ; cette espèce, pour laquelle je proposerai alors on amendement, est le fil de Westphalie, dit fil de Mold.

Je n’entreprendrai pas de prouver ici que ce fil est indispensable pour certaines fabriques établies en Flandre ; mais je puis affirmer en parfaite connaissance de cause, et sans crainte d’être contredit, qu’en ce qui concerne la fabrication des coutils on ne peut aucunement se passer du fil de Mold pour la trame, attendu que le fil indigène, lorsqu’il est fin et d’une qualité pareille à celle exigée pour cette partie de la fabrication, n’est pas doué d’une force suffisance pour résister à la pression, que le battement du métier lui fait éprouver ; et, quant au fil dont les tisserands se servent pour la chaîne blanche, il est prouvé par l’expérience qu’il faut au moins une moitié en fil de Brunswick pour obtenir des coutils d’une qualité supérieure.

L’imposition proposée serait donc un coup de mort pour ces fabricants qui se sont traînés misérablement depuis 1814, et au prix des plus grands sacrifices ; en adoptant les droits nouveaux que l’on propose, ce serait frapper ce genre d’industrie d’un nouveau malheur, puisqu’à la perte presque totale du débouché que fournissait la France, viendrait alors se joindre l’impossibilité de soutenir en Hollande la concurrence avec le coutil de l’Allemagne.

Si l’on persiste donc à imposer le fil étranger, il faut absolument faire une exception, sinon pour le fil de Brunswick, au moins pour le fil de Mold, d’autant plus que j’ai fait voir précédemment, à l’occasion de l’impôt sur les toiles, que l’établissement d’un impôt sur l’introduction des coutils étrangers ne serait réellement qu’une amère dérision et sans aucun résultat.

En établissant cette exception pour le fil de Mold, vous imposerez encore aux fabricants de coutils un sacrifice déjà assez grand pour ce qui concerne le fil de Brunswick et d’Angleterre qu’ils emploient actuellement pour la chaîne blanche et qu’ils ne pourront remplacer que désavantageusement par le fil indigène ; l’exception telle que je la demande est donc limitée au seul genre de fil qui est absolument indispensable pour la trame.

Mais, dira-t-on, comment reconnaître le fil fin devant servir pour la trame ? Il me semble qu’il existe un moyen aussi simple que sûr ; il est reconnu qu’un hectogramme de ce fil, qui est extrêmement fin, fournit pour le moins une longueur de 1,462 mètres ; il suffirait donc de combiner le poids et la mesure pour constater l’identité. Enfin, pour plus de facilité encore et pour empêcher en même temps autant que possible tout abus qu’on pourrait tenter de faire de cette exception, je proposerai en outre de la limiter exclusivement au fil de cette espèce, qui sera déclaré au bureau d’Henri-Chapelle. S’il existe en Belgique une espèce de fabrique méritant d’être protégée par des primes d’exportation ou de toute autre manière, il n’en est bien certainement aucune qui le mérite plus que la fabrique de coutils de Turnhout ; chacun sait qu’à l’intérieur le débit de cette marchandise est presque nul, et que la France, qui était son principal débouché, a établi sur elle des droits tellement élevés qu’ils peuvent être regardés comme prohibitifs ; ce n’est donc plus qu’en Hollande que le placement des coutils se traîne misérablement, obligé qu’il est d’y lutter contre une pénible concurrence.

Dans cet état de choses, aller établir un nouveau droit d’entrée sur le fil de Mold, qui est principalement celui dont ce genre de fabrication a un indispensable besoin, c’est réellement porter le dernier coup à l’industrie dont je vous parle.

Si dans un délai qui, d’après les progrès rapide de l’industrie nationale, peut être très rapproché, on parvenait à produire des semblables dans l’intérieur du pays, il sera facile alors de retirer l’exception que je réclame aujourd’hui ; mais jusque-là je ne doute pas que vous ne vous empressiez d’adopter la mesure exceptionnelle que je vous soumettrai, de même que vous vous êtes constamment montrés disposés à venir en aide à d’autres industries en souffrance.

En conséquence, pour le cas où le principe d’un impôt sur le fil étranger ne serait pas généralement rejeté, j’ai l’honneur de vous proposer, messieurs, l’amendement suivant :

« Le fil écru et blanc, qui sera déclaré au bureau d’Henri-Chapelle et dont la mesure sera de 1,462 mètres et au-dessus par hectogramme, est exempt de droit à l’entrée. »

M. Rogier. - Messieurs, depuis qu’on a écarté du projet de loi en discussion la partie qui concerne la sortie des étoupes, ce projet est devenu plus simple à discuter, tellement simple que quelques-uns de mes collègues ont pensé qu’il ne donnerait pas lieu à de trop longs débats. Je crois cependant que la question que soulève le projet de loi tel qu’il a été réduit dans une de nos dernières séances, présente encore beaucoup d’importance, et assez d’importance pour mériter de votre part un sérieux examen.

Nous avons, dans cette circonstance, un nouvel exemple des exigences constamment progressives de toute industrie qui reçoit une protection exagérée. L’industrie des toiles, il y a quelques années, ne se contenta pas des droits sous l’empire desquels elle avait continué à fleurir ; elle demanda une protection modérée de 7 p. c. La chambre, croyant accorder cette protection de 7 p. c., donna beaucoup plus, et porta même la hauteur de certains droits jusqu’à la prohibition, ce qui a été reconnu depuis, tellement qu’on ne réclame plus rien de ce chef, n’ayant plus rien à réclamer. Mais ces droits prohibitifs n’ont pas suffi.

Vous avez vu récemment demander des primes à la sortie des toiles. Passe sur tout cela. Ce sont des mesures contre l’étranger, pour se mettre en garde contre les produits exotiques, pour assurer le marché national aux produits nationaux.

Avec ces arguments puisés dans la nationalité, avec cet égoïsme fardé de patriotisme, on est sûr de faire impression sur cette chambre. Mais on ne s’est pas arrêté là ; après avoir fait la guerre à l’étranger, on est venu la déclarer aux nationaux. La guerre étrangère s’est transformée en guerre civile. Après avoir repoussé les produits de l’étranger, voici qu’on est venu déclarer la guerre aux produits nationaux. Les fabricants de toiles, pour qui le lin et les étoupes sont la matière première, pour s’en assurer le monopole, sont venus demander qu’on empêchât la sortie de cette matière première à leur usage personnel. Vainement les producteurs de lin et d’étoupes diront : Nous n’empêchons pas vos toiles de sortie, nous vous laissons toute liberté d’exporter vos produits ; accordez-nous la même faveur, la même liberté pour les nôtres. Si la liberté signifie quelque chose en matière commerciale, c’est quand une industrie peut disposer comme elle l’entend de ses produits ; ce n’est pas quand une industrie veut en exploiter une autre à son profit qu’on pourrait dire qu’il y a liberté de commerce à l’intérieur.

Cette déclaration de guerre intérieure a trouvé un assez grand nombre de partisans, mais pas assez grand cependant pour obtenir la haute sanction du pouvoir législatif. On a donc mis la question du lin et des étoupes hors de cause. Mais on a laissé subsister une partie de la question, la question des fis de lin. En frappant de droits plus élevés l’entrée des fils étrangers en Belgique, les fileurs déclarent indirectement la guerre à tous ceux des industriels qui font usage de fil étranger. Dans quel but ? Dans le but de se réserver l’industrie du filage. Tous ceux qui font usage du fil, leur pétition en fait foi, devront être en partie sacrifiés dans l’intérêt des fileurs.

Dans l’origine, pourquoi les fils ont-ils été frappés d’un droit à la sortie ? Sans doute pour protéger ceux des fabricants qui faisaient usage de fils, pour assurer un plus bas prix aux fils sur nos marchés. On a reconnu l’injustice de cette mesure. La chambre de commerce de Courtray l’a qualifiée d’anti-nationale. La chambre des représentants l’a appréciée de la même manière ; car on a été unanime pour supprimer les droits qui frappaient les fils à la sortie. Ceux qui font usage du fil ne sont pas venu réclamer contre cette décision ; c’est sans doute parce qu’ils l’ont trouvée de toute justice ; cependant, ils ont intérêt à retenir le lin et les étoupes. Mais si les fabricants en grand nombre et variés qui font usage du fil n’ont pas réclamé contre la levée des droits dont le fil était frappé à la sortie, au moins sont-ils dans leur droit quand ils s’opposent aux restrictions à l’entrée des fils dont ils ont un besoin indispensable.

C’est ainsi que vous avez vu les tisserands, les fabricants de coutils, de Turnhout, les fabricants de toiles à carreaux de Bruges, les fabricants de fil à coudre d’Alost, de Ninove, etc., vous avez vu tous ces fabricants réclamer contre la proposition de frapper d’un droit à l’entrée plus élevé la matière première dont ils font usage.

Si vous frappez leur matière première d’une augmentation de droit, ainsi que l’a dit la députation du Hainaut, vous placez les industriels indigènes qui se servent de fil dans l’impossibilité de soutenir la concurrence avec la production étrangère.

Pour vous fournir un exemple plus à ma portée, je vous dirai qu’en ce qui concerne les coutils de Turnhout qui se vendent concurremment avec ceux de la Hollande, si on augmente les droits sur les fils qui servent à les fabriquer, alors qu’en Hollande ces droits resteraient les mêmes, les coutils de Turnhout y rencontreront une concurrence fatale : ce que je dis pour Turnhout s’applique sans doute à d’autres localités voisines des frontières du pays où les droits sur les fils étrangers resteraient les mêmes.

Tout cela n’a pas pour objet de protéger l’industrie nationale, mais seulement une partie spéciale de cette industrie très étendue que nous avons qualifiée d’industrie linière. En définitive, de quoi se plaignent les fabricants de fils ? De la concurrence des fils anglais et allemands ? Mais les importations ont-elles dont été si considérables, surtout en comparaison des exportations de nos fils ? Non ; dans les années qui ont précédé 1837, les importations de fils étrangers ont été peu considérables.

En 1837, elles ont été un peu plus élevées, mais le chiffre des exportations a toujours été supérieur aux importations.

C’est ainsi qu’en 1837, en fils écrus, à tisser, et à coudre, on a importé pour 1,108,000 fr. et exporté pour 1,138,000 fr. Les exportations ont donc dépassé les importations de 30,000 fr. En 1836, on n’a importé que pour 719,000 fr., et on a exporté pour 1,222,000 fr. Différence en faveur des exportations, 500,000 fr.

Ainsi, l’on ne peut pas dire que nous sommes inondés de fils étrangers qui font une concurrence redoutable à notre industrie, puisque les exportations dépassent de beaucoup les importations.

Si vous décomposez les importations, vous y trouverez des fils, matières premières nécessaires, indispensables à une grande variété de nos industries. Au fond, ce qu’il y a à craindre pour le fil indigène, ce n’est pas le fil anglais et allemand tel qu’il vous arrive aujourd’hui, mais c’est l’envahissement probable, prochain, des métiers à filer en Belgique. Or, contre cet envahissement, votre droit protecteur ne sera d’aucune efficacité. Au contraire, vous allez rendre plus facile l’établissement à l’intérieur du pays de ces redoutables machines qui seront la mort du filage à la main.

Je demanderai si, dans l’intérêt des fileurs à la main, l’état actuel des choses n’est pas préférable, s’il est de leur intérêt d’amener des droits tels que l’établissement du fil à la mécanique à l’intérieur soit rendu plus facile, s’il est de leur intérêt de protéger l’industrie qui doit devenir leur plus mortelle ennemie. Je ne juge pas entre les deux systèmes. L’un et l’autre ont leurs avantages. Mais chacun reconnaîtra que le grand danger pour le fil de lin comme il se fabrique encore chez nous, réside dans l’établissement des filatures à la mécanique.

Aujourd’hui, notre fabrication du fil à la main peut encore soutenir la concurrence ; si on protège le travail des mécaniques, elle ne pourra plus la soutenir.

Ce qu’il y a de remarquable, c’est que ce ne sont que les fileurs à la mécanique qui ont réclamé des protections. Beaucoup de capitaux s’engagent, des établissements s’élèvent sous l’empire du tarif actuel, sans que des protections soient demandées. J’espère que jamais on ne les demandera ; mais si à l’avenir on le faisait, ce serait alors le cas de les examiner.

Après ces observations générales, si nous descendons dans les détails de la loi, nous trouvons qu’on propose de frapper d’un droit de 25 à 30 fr. les 100 kil. ; par là, dit-on, on frappe les fils étrangers d’un droit de 10 p. c. à la valeur. Je dirai qu’un droit de 10 p. c. à la valeur sur un objet qui est la matière première de beaucoup de nos industries, est très considérable, ressemble beaucoup à une prohibition.

Voici encore une des conséquences du système de la tarification au poids : il impose les objets non suivant leur valeur, mais en raison inverse de leur valeur. En établissant un droit de 25 fr. par 100 kil., sans distinction de catégorie, il arrive que certaine espèce est frappée d’un très faible droit, tandis que d’autres sont frappées d’un droit très élevé. Vous trouvez sans doute entre ces deux droits une moyenne, vous trouvez une catégorie ou deux qui sont frappées d’un droit de 2 p. c., tandis que d’autres ne paieront 30. Il est inévitable qu’un droit uniforme sur des objets dont la valeur varie à l’infini, n’amène de semblables résultats.

Les choses les plus étonnantes sur la base qu’on propose se rencontrent dans les nouveaux rapports de quelques chambres de commerce comparés aux premiers.

Relativement à l’entrée des fils de lin, une chambre de commerce qui, pour le dire en passant, s’est montrée passablement fougueuse dans cette discussion, avait réclamé d’abord un simple droit de 5 p. c. Cette opinion alors était partagée par plusieurs autres chambres de commerce. Consultée de nouveau, elle s’est ravisée ; les 5 p. c. n’ont plus suffi, il en a fallu 8.

Et pour arriver à cette moyenne, elle a proposé 50 à 75 fr. par 100 kil. Une autre chambre de commerce, plus près de la vérité, propose 10 p. c. Vous allez croire qu’elle conclut à un droit d’au moins 80 fr. par 100 kil. Non, elle propose 15 fr. par 100 kil. en disant que cela donne une moyenne de 10 p. c. à la valeur. Et ces contradictions énormes ont lieu entre chambres de commerce appartenant à la même province. Je voudrais qu’on fît en sorte de les mettre d’accord. La chambre de commerce de Bruges propose un droit de 15 p. c. par 100 kil., comme équivalant à 10 p. c. La commission propose 25 fr. par 100 kil., comme équivalant aussi à 10 p. c. Une autre chambre de commerce propose 50 à 75 fr. comme équivalant à 8 p. c. Je demande quelle incertitude ne doit pas résulter pour nous de toutes ces évaluations diverses.

Je demande comment on pourrait établir une base certaine quelconque pour droits nouveaux qu’il s’agit d’imposer, si toutefois vous ne rejetez pas cette aggravation en principe.

J’ajoute que si je joins mes calculs à ceux que je viens le citer, je trouve que le droit uniforme de 25 fr. par 100 kil. frappe certaines catégories de fil d’un droit de 2 fr., quelques-unes de 10 fr. et d’autres de 30 fr. p. c.

Je ne suis pas ami des ajournements, j’aime que les questions se décident nettement et promptement ; mais, en conscience, il me serait impossible, dans l’état actuel de la question, de ne pas combattre toute résolution qui aurait pour but un vote immédiat approbatif sur ce projet de loi.

Presque partout le fil est considéré comme matière première. En Allemagne, il est assujetti à un droit de balance. En Hollande, en Belgique et en Angleterre, il en est de même. En Angleterre, chose remarquable, l’industrie du fil a prospéré sans protection. Depuis 50 ans le fil étranger n’a été frappé que d’un droit de balance en Angleterre. Cette industrie s’est développée, a prospéré et répandu ses produits sur tous les marchés, au grand mécontentement de certaine industrie, mais à la satisfaction d’un plus grand nombre d’autres.

Je dois encore répéter que, partisan de droits modérés, je leur donnerai toujours mon adhésion dans cette chambre, mais à deux conditions, c’est que ces droits seront justes, efficaces, et établis avec discernement, c’est-à-dire que dans la vue de protéger une seule industrie, ils ne porteront pas préjudice à un grand nombre d’autres qui ne méritent pas moins la sollicitude de la chambre.

M. A. Rodenbach. - La question d’économie politique qui nous occupe est très ardue, très difficile : car, d’un côté, nous tâchons d’encourager les industries naissantes, et vous savez qu’on a établi des filatures de fil en Belgique, que dans plusieurs villes on a déjà commencé à travailler, et que dans d’autres on se prépare à le faire. D’un autre côté, nous avons trois à quatre cent mille personnes qui trouvent leur existence à filer à la main. Je conviens avec l’honorable préopinant qu’il sera très difficile de protéger cette classe qui dans ce moment souffre beaucoup. On a parlé d’autres industries qui souffrent également. Celle qui souffre le plus c’est l’industrie des tisserands de toiles dont le nombre est immense ; dans les deux Flandres ils ne gagnent pas de quoi subvenir à leur existence. Cette crise est réelle.

Mais, messieurs, quelle est la cause de cette crise ? Il faut envisager ici notre position géographique : nous sommes environnés de puissances colossales en matière de commerce ; nous avons notamment l’Angleterre près de nous ; ce pays a déjà deux cent mille machines d’une force de quatre millions de chevaux ; cette industrie est effrayante, surtout quand on pense qu’elle doit s’étendre encore. En 1836, l’Angleterre a pu exporter en toiles et en fils de lin pour une valeur supérieure à 90 millions de francs.

Vous savez que pendant plusieurs siècles c’était la Belgique qui était, en quelque sorte, exclusivement en possession du commerce des toiles ; si nous ne voulons pas que cette industrie nous échappe en partie, outre notre bonne méthode, nous ne devons pas perdre de vue les progrès des Anglais dans le confectionnement des toiles, probablement moins solides, mais plus apparentes et moins chères que les nôtres.

Croyez-vous, messieurs, que la Belgique puisse se passer de machines à filer et à tisser ? La question est épineuse ; s’il faut que nous protégions une industrie naissante, il faut aussi que nous protégions l’existence du plus de quatre cent mille paysans qui s’occupent de filature à la main. Le gouvernement sera lui-même embarrassé pour poser le chiffre capable de protéger suffisamment une industrie qui existe depuis des siècles chez nous.

La commission d’industrie propose un droit de 25 fr. par 100 kil. sur l’entrée des fils étrangers ; ce droit est-il convenable et satisfait-il à toutes les exigences ?

Si on examine les avis des chambres de commerce, des commissions d’agriculture, des conseils provinciaux, on est dans la plus grande perplexité ; car selon les uns le droit de 25 fr. se réduira à 17 p. c., selon d’autres il se réduira à 8 p. c. et même à 4 p. c. Je ne donne pas grande attention à ces avis dictés par l’intérêt de localité ; ils ne présentent qu’un labyrinthe dont on ne saurait sortir ; bien souvent ce ne sont que des paperasses qui montrent le plus grand désaccord entre des intérêts locaux. Les documents reçus sur cette question importante en sont une preuve irréfutable.

J’étais absent lorsque la commission a proposé de frapper d’un droit de 25 fr. à l’entrée des fils étrangers ; mais je ne saurais admettre ce droit au poids. On vous l’a dit, les fils de l’Allemagne pèsent à peu près le double de ceux d’Angleterre, fabriqués à la mécanique, et par conséquent paieraient le double des fils anglais ; cela est injuste. Pour établir une certaine équité, c’est-à-dire une certaine uniformité de droit sur tous les fils étrangers, il faut que le droit soit déterminé à la valeur.

Il est des localités qui repoussent tout droit à l’entrée sur les fils étrangers ; ce sont celles qui fabriquent des coutils et d’autres articles ; mais jadis on tissait toutes ces marchandises en Belgique avec du fil provenant presque exclusivement du pays ; est-ce que nos fabriques modernes ne pourraient pas faire comme les anciennes et soutenir la concurrence ? C’est ce que l’on se demande.

En Angleterre on fabrique d’assez beaux fils avec les étoupes, et on y fabrique du fil à dentelle avec le lin de première qualité ; il s’en suit que les fils de la plus grande valeur paieraient moins. Ce dernier renseignement se trouve dans une pétition de M. Bauwens, l’aîné, frère et associé de feu Lievin Bauwens de Gand.

Je prierai le gouvernement de nous faire franchement une proposition, de nous faire connaître ses intentions, Il s’agit de protéger les filatures à la mécanique naissantes chez nous, et surtout de ne pas réduire à la misère plus de quatre cent mille fileuses à la main des Flandres. La solution de cette question est importante et difficile. Je ne me prononcerai pas pour le moment sur le taux qu’il convient de fixer, j’attendrai les lumières qui jailliront de la discussion. Mais je demande avant tout que le gouvernement s’explique. Il est en position de nous éclairer sur la matière. Que le gouvernement se persuade que l’industrie la plus vitale du royaume, c’est l’industrie linière, qui comportait il y a peu d’années encore près de cent millions par an. J’ai dit.

M. Mercier. - Ce n’est qu’à partir de 1837 que l’importation des fils de lin en Belgique a pris une grande extension. Elle ne s’est élevée en fils écrus et à tisser, pendant les années 1834, 1835 et 1836, qu’à une valeur moyenne de fr. 502,420 ; en 1837, elle a atteint le chiffre de fr. 1,045,316.

On ne peut se dissimuler que les perfectionnements apportés dans l’industrie du filage chez d’autres nations qui nous ont devancé doivent faire craindre de plus fortes importations encore à l’avenir ; il pourrait en résulter une perturbation trop subite dans l’existence d’un nombre immense d’ouvriers qui s’occupent du filage, si nous n’adoptons quelques mesures de protection pour leur assurer du travail ; mais comme elles doivent nécessairement réagir sur le prix des toiles, et que l’industrie de la tisseranderie exige surtout des ménagements, il importe que les fils de lin ne soient frappés que de droits modérés à l’entrée, afin de parvenir à concilier les divers intérêts.

La commission propose d’imposer les fils au poids. Je serai partisan du droit au poids chaque fois qu’il pourra faire atteindre le but qu’on doit se proposer, parce qu’il est généralement plus simple et d’une application plus sûre que le droit à la valeur ; mais il est trop vrai que souvent le mode de tarification au poids ne fait que substituer l’erreur certaine et permanente de la loi à l’erreur possible et accidentelle des agents de la douane, dans la perception des droits à la valeur. J’ai déclaré, dans une discussion antérieure, que tel devait être son effet à l’égard de la bonneterie ; je suis du même avis en ce qui concerne les fils : si vous les imposez au poids, le droit sera réduit à presque rien sur les fils de qualité supérieure. Cette observation est frappante, quand on se rappelle qu’on peut, en Angleterre, former huit mille aunes de fil avec une once de lin. C’est un fait signalé dans le mémoire de la chambre de commerce de Mons. D’ailleurs, le prix des fils pouvant assez facilement être connu par leur numéro, il y a moins d’inconvénients que pour beaucoup d’autres marchandises, à laisser le droit fixé à la valeur comme il l’est actuellement.

Notre commission n’est pas d’accord avec plusieurs chambres de commerce sur la moyenne du droit à la valeur qui frapperait les fils à raison de 25 et 30 p. c. au poids. Elle l’évalue à 10 p. c., tandis que la chambre de commerce de Bruges, par exemple, estime que 15fr. pour 100 kil. de fil écru équivalent à un droit de 10 p. c. La chambre de commerce de Courtray pense, au contraire que des droits de 50 et 75 fr. par 100 kil. ne formeraient que 8 p. c. à la valeur.

La cause de ces appréciations si contraires, c’est que les fils diffèrent extrêmement de valeur entre eux ; il est certain qu’avec un droit quelconque au poids, les lins seront imposés dans des proportions qui varieront de 1 1/2 à 20 ; il en résulterait que nos fabriques de coutils de Turnhout, confectionnés en partie avec du fil étranger de qualité commune, ainsi que les fabriques de toiles à carreaux de Zele et de Lokeren, seront fortement frappées par un droit démesurément élevé sur la matière première qu’elles emploient, et que, d’un autre côté, la fabrication des fils de qualité supérieure ne sera pas encouragée dans le pays. Il me paraît d’autant plus nécessaire d’imposer le droit à la valeur, que sur celle de 1,045,316 fr. de fils étrangers employés dans le pays en 1837, il n’y en a que pour une valeur de 332,248 fr., entrés par la frontière de Prusse, tandis que le restant, c’est-à-dire pour une valeur de 715,068 fr., est venu d’Angleterre et consiste en fils qui ne servent pas aux fabriques dont je viens de parler.

Je conclus donc pour un droit à la valeur à un taux inférieur à celui proposé par la commission. J’attendrai la suite de la discussion pour me fixer sur sa quotité.

M. Verdussen. - Dans cette circonstance, je croirais manquer à mon devoir si je ne renouvelais les observations que j’ai déjà présentées sur les vices de la tarification au poids, tarification qui occasionne les anomalies les plus choquantes. J’ai entendu avec plaisir plusieurs orateurs se prononcer en faveur des droits à la valeur. Si les renseignements qui m’ont été fournis sont exacts, la valeur des fils de lin ordinaires blanchis, varie beaucoup par quintal métrique ; un droit uniforme au poids les frappe donc inégalement et dans un sens inverse à celui qui devrait être établi. Cette inégalité devient extrême quand ce sont des fils valant 800 fr. le quintal ; et le droit de 30 fr. pour 100 kil. peut se réduite à trois quarts pour cent de la valeur. Ce sont des exceptions, il est vrai. Toujours est-il que les fils ordinaires blanchis, variant de 2 fr. à 8 fr. le quintal, il en résulte qu’un droit uniforme au poids frappe à peine les fils fins.

Je pense que nous devrions commencer par discuter ce point : La tarification sera-t-elle à la valeur ou au poids ? Autour de moi, on doute de l’utilité qu’il peut y avoir à changer le tarif ; quant à moi, je pense qu’un changement est nécessaire, car je vous avoue qu’en jetant un regard sur la tarification actuelle du fil, j’ai peine à me rendre compte des différences de quotité qui y sont établies.

Je crois que la fixation de ces qualités a été faite dans un esprit hollandais, et que la tarification telle qu’elle existe aujourd’hui est beaucoup moins applicable à la Belgique qu’à la Hollande.

Je crois aussi, messieurs, que la nouvelle industrie dont on vient de vous entretenir, celle du filage à la mécanique, mérite notre protection, mais notre protection modérée ; car je suis toujours ennemi des droits exagérés, persuadé que je suis, que lorsque nous établissons des droits élevés, c’est uniquement dans l’intérêt des fraudeurs que nous travaillons, et nullement dans l’intérêt du fisc ni dans celui de l’industrie.

L’honorable M. Rodenbach s’est beaucoup apitoyé sur le sort des fileurs, de ces 4 à 500 mille personnes qui vivent aujourd’hui du filage à la main ; je pense, messieurs, que le tort que pourrait leur faire une tarification, quelle qu’elle fût, n’est rien en comparaison du tort que leur fera le filage à la mécanique ; ce sera là véritablement leur coup de mort ; cependant il est impossible de les protéger contre cette concurrence, et quand on le pourrait, je ne crois pas qu’il puisse entrer dans l’esprit d’un législateur sage d’enchaîner pour ainsi dire notre pays dans l’inaction, d’empêcher les progrès qu’il devrait faire pour se tenir au niveau des autres nations.

Je ne proposerai pas, pour le moment, un chiffre pour le droit à établir sur les fils, je préfère m’éclairer encore à cet égard par la discussion ; mais je pense que ce droit pourrait être d’environ 6 p. c. à la valeur. On nous a fait remarquer que les droits établis à la valeur ne se perçoivent jamais exactement ; que par suite de la manière dont se font les déclarations, ces droits sont toujours réduis d’à peu près un tiers ; eh bien, messieurs, dans cas le droit de 6 p. c. équivaudrait à 4 p. c., et je crois que ce serait là une très bonne tarification ; cependant, je ferai remarquer que les fausses déclarations sont beaucoup moins à craindre pour les fils que pour la plupart des autres marchandises, car notre pays étant principalement le pays de la production du fil, on y est beaucoup plus à même que partout ailleurs d’en connaître la véritable valeur ; ce n’est pas là une de ces marchandises pour ainsi dire étrangères à la Belgique, dont il faut faire faire une étude particulière aux douaniers ; c’en est une au contraire qui est presque généralement connue dans le pays.

J’attendrai la suite de la discussion pour me prononcer d’une manière positive sur le taux du droit ; je me borne pour le moment à proposer à la chambre d’établir la discussion uniquement sur la question de savoir si, dans le cas où la tarification doive être changée, le droit sera établi au poids ou à la valeur, et de se prononcer d’abord formellement sur cette question.

M. Angillis. - Messieurs, comme j’habite un pays où la plus grande partie de la population vit presque exclusivement du filage du lin, on me permettra sans doute de présenter quelques considérations générales pour démontrer la nécessité de venir au secours de cette industrie ;

Je partage assez l’opinion de la commission d’agriculture de Bruges, qui pense que le droit proposé sur les fils étrangers ne pourra pas empêcher l’anéantissement du filage à la main ; mais toujours faut-il tâcher de donner à cette industrie, qui se meurt, les moyens de se soutenir le plus longtemps possible, d’autant plus qu’elle ne demande pas privilège, qu’elle ne demande que justice.

Je pense comme l’honorable M. Rogier que la question est maintenant extrêmement simple et qu’elle n’est pas susceptible de recevoir de longs développements, car tous les principes qui concernent le tarif de douanes ont été traités avec toute l’étendue désirable dans la longue discussion qui a eu lieu dans cette enceinte il n’y a pas encore bien longtemps.

Pour prouver la nécessité d’établir un droit d’entrée sur les fils étrangers, je citerai seulement l’exemple de l’Angleterre, de cette nation qui marche à la tête de toutes les autres, dans la voie des progrès industriels ; eh bien, messieurs, l’Angleterre, dans la vue de maintenir chez elle les machines à filer, a d’abord établi un droit d’entrée de 40 p. c. sur tous les tissus de lin étrangers ; elle avait fait plus, elle avait accordé une prime d’exportation de 10 à 15 p. c. ; maintenant qu’elle a atteint un degré de perfection tel qu’elle n’a plus rien à craindre de la concurrence étrangère, elle a, il est vrai, aboli la prime de sortie, mais elle a maintenu le droit d’entrée dans toute son intégralité.

En France le droit n’est actuellement que de 4 à 10 p. c., mais la commission de commerce et des manufactures, d’accord avec l’administration, propose de doubler cette taxe.

En présence de ces faits, en présence de ces dispositions de nos puissants voisins, pouvons-nous, messieurs, abandonner une de nos plus anciennes industries, si pas la plus ancienne de toutes, et dont la ruine complète est inévitable si nous ne venons à son secours ? Pour ma part, de même que j’ai voté pour les encouragements qui nous ont été proposés en faveur d’autres industries, je voterai également pour la protection qui est demandée en faveur de l’industrie linière et dont elle a si grand besoin.

Je vous ferai remarquer, messieurs, que la question des droits d’entrée sur les fils étrangers est tout à fait en rapport avec celle de la libre sortie du lin, et que ceux qui, comme moi, désirent la libre sortie du lin, doivent aussi, par des mesures quelconques, favoriser les fileurs belges ; en effet, pourquoi demande-t-on la libre sortie du lin ? C’est parce qu’il y en a beaucoup trop chez nous, parce que la fabrication de nos toiles n’enlève pas le tiers de ce produit de notre agriculture ; pourquoi demandons-nous des droits protecteurs à l’entrée des fils étrangers ? C’est également parce qu’il y en a beaucoup trop dans le pays, parce que le fil étranger tue celui des Flandres, parce qu’avec la main-d’œuvre il enlève le pain de nos fileurs. Les motifs sont donc identiques, et les motifs étant identiques, je ne conçois pas qu’on puisse voter e deux manières différentes.

Aucune bonne raison, aucun intérêt réel ne s’oppose à ce qu’on accorde à l’industrie linière la protection qu’elle demande ; au contraire, tout nous fait une loi de venir au secours des populations nombreuses qui vivent de cette industrie. Il faut donc que le législateur lui vienne en aide ; il n’est pas possible que les représentants du peuple permettent aux étrangers de venir dire à nos fileurs affamés : « Je viens vous enlever la matière première, qui est le produit de votre sol ; avec des machines que vous ne possédez pas et que vous ne posséderez pas enore dans plusieurs années, je filerai votre lin et je viendrai ensuite vous le vendre : à moi le profit, à vous la misère. » C’est cependant là, messieurs, que conduirait le rejet pur et simple de la proposition qui nous a été soumise.

En résumé, messieurs, je pense que l’opposition qu’on fait à la proposition, n’est ni juste ni rationnelle ; je viens de démontrer qu’elle n’est pas logique : je bornerai là mes observations pour le moment, n’ayant pas mes idées bien arrêtées quant à l’élévation du droit à établir. A cet égard, j’adopterai volontiers tous les amendements qui me paraîtront raisonnables.

M. Bekaert-Baeckelandt. - J’appuie la proposition de la commission d’industrie tendant à établir à la sortie des fils de lin, un droit qui s’élèverait de 8 à 10 p. c., et je n’hésite point à le dire, ce droit, dans l’occurrence, est une nécessité. La filature est une des plus antiques existences nationales, et sous le rapport de l’importance, il est peu d’industries qui méritent de fixer au même degré la sollicitude des représentants de la nation. La filature est une des principales bases de la fortune publique. Elle est la mère nourricière d’une population immense de tout âge et de tout sexe ; et lorsque pendant les rigueurs de l’hiver, cette immensité de bras dévoués à l’agriculture sont devenus sans emploi pour elle, c’est encore la filature qui pourvoir momentanément à leurs besoins. Vous concevez, messieurs, quelle serait la désolation, le désespoir de ces milliers de familles, si leurs moyens de subsistance et de bien être devaient leur être enlevés ; mais leur confiance dans le gouvernement ne sera point trompée, votre appui ne leur fera point défaut dans un moment si critique, dans le moment que son existence est si vivement menacée, dans le moment que nos rivaux font tous leurs efforts pour s’emparer des marchés du pays. La filature, cette industrie toute populaire, toute nationale, qui s’est identifiée avec la culture du lin, qui s’est développée simultanément avec elle, et dont la prospérité est si intimement liée à celle de l’agriculture, cette industrie, messieurs, vous la placerez sous l’égide protectrice de la loi, vous l’entourerez de garanties qui puissent la mettre à l’abri de l’atteinte étrangère. La Belgique n’aura point la douleur de voir ses portes s’ouvrir toute entières à l’invasion des fils étrangers.

Il ne sera pas donné à l’industrie concurrence de droit de venir librement refouler l’industrie nationale, et certes, nous ne saurions consentir à nous constituer, de plein gré, les tributaires de nos rivaux pour des produits faits avec nos propres matières, pour des produits dont nous avons surabondance nous-mêmes. Jamais nous ne méconnaîtrons jusqu’à ce point, ni l’intérêt matériel du pays, ni les premières notions de l’économie sociale. Dans sa sollicitude pour la classe laborieuse, la Providence a créé sur tous les points du pays des ressources consacrée à son existence. Ici, ce sont les usines et les carrières, là les manufactures et les fabriques. La Flandre a reçu pour son lot la production du lin, qui est le principe de la filature ; eh bien ! nous devons profiter de ces bienfaits ; nous devons les faire valoir dans l’intérêt de la population ouvrière. En agit autrement ce serait nous dessaisir d’une précieuse manipulation, ce serait déshériter nos prolétaires, ce serait résilier, en faveur de l’étranger, les avantages dont nous sommes en possession. Mais, a-t-on dit, il faut recevoir du dehors ce qu’il produit à meilleur compte que nous. Ce sont là des principes erronés, des principes subversifs de tout ordre social.

Il n’y aurait plus rien de stable. Les perturbations surgiraient de toutes parts. Nos établissements industriels n’auraient plus qu’une existence éphémère. Leur sort dépendrait du bon plaisir d’avides rivaux. Mais dans l’intérêt de qui tient-on un semblable langage ? Dans celui des consommateurs ? Eh bien, ceux-ci ne sont-ils point aussi, soit directement, soit indirectement, producteurs ? Leur industrie n’a-t-elle pas éprouvé le besoin d’être protégée ? Dans ce cas, serait-il raisonnable de refuser aux autres l’appui dont eux-mêmes ne sauraient se passer ? Tout doit être réciproque entre les industries nationales, et l’injustice serait là où il y aurait exception. Vous vous rappelez, messieurs, que naguère encore il a été accordé une protection satisfaisante aux raffineries de sucre, aux fabricants de draps, aux manufactures des cotons, à celle des verreries, et à plusieurs autres industries ; la filature des fils de lin serait-elle seule délaissée ? Serait-elle destinée à être offerte en holocauste à la capacité étrangère ? Non, messieurs, le premier devoir que notre mission nous impose, c’est de concourir de tous nos moyens à augmenter la somme d’aisance et de bonheur dont jouit la patrie ; et ce but nous ne saurions l’atteindre sans vouer toute notre bienveillance, toute notre protection au commerce et à l’industrie dont les destinées influent si puissamment sur la prospérité nationale. Voilà, messieurs, notre doctrine, c’est celle de la raison ; c’est celle qui convient à notre position et à nos intérêts matériels. Nos voisins ne sont arrivés à ce haut degré de perfection et de bien-être industriel que sous l’empire de leur législation restrictive ; nous devons les imiter, nous devons employer les mêmes moyens pour obtenir les mêmes résultats. Les grands mots de liberté commerciale n’auront un sens que lorsque toutes les nations les comprendront de la même manière ; c’est-à-dire, lorsqu’il y aura réciprocité parfaite entre les différentes pays ; lorsque les barrières élevées contre l’industrie seront abaissées de toutes parts, et ce moment, je l’appelle de tous mes vœux. Jusque-là, il y aurait duperie pour la Belgique si elle était assez imprudence pour essayer, elle seule, de mettre en pratique cette chimérique théorie.

Je voterai pour le projet de la commission d’industrie.

(Moniteur belge n°80, du 21 mars 1838) M. Desmaisières. - Messieurs, je m’estime heureux de pouvoir le dire, je ne suis pas aussi effrayé que deux honorables députés d’Anvers, qui ont parlé tout à l’heure des effets que doit avoir, pour nos industriels-agriculteurs, l’espèce de révolution produite dans l’industrie linière, par le filage à la mécanique.

D’abord, le filage à la mécanique n’est pas encore arrivé au point de détruire entièrement le filage à la main ; mais y fût-il arrivé, je ne serais pas encore aussi effrayé que les deux honorables membres auxquels je viens de faire allusion. Et pourquoi n’en serais-je pas encore aussi effrayé ? C’est parce que je suis convaincu que l’appui de la législature ne manquera jamais à cette industrie en Belgique, et que, par une législation sagement combinée, vraiment protectrice, nous saurons faire tourner, au profit de la Belgique, cette invention d’outre-mer,

Ainsi, messieurs, quand bien même le filage à la main devrait être entièrement remplacé par le filage à la mécanique, si nous avons le bon esprit de porter en temps utile des lois protectrices de la main-d’œuvre nationale, ni nos fileurs ni nos tisserands ne manqueront d’ouvrage ; nos fileurs pourront trouver de la besogne dans nos filatures, et nos tisserands en auront d’autant plus de toiles à tisser.

Un des ces deux honorables membres a cité plusieurs chiffres qu’il a puisés dans un tableau qui nous a été distribué aujourd’hui. Je crois, messieurs, pouvoir tirer de ces mêmes chiffres des conséquences entièrement opposées à celles qu’il en a tirées. Cet honorable collègue vous a fait remarquer que nous n’avons reçu de l’étranger, en 1837, du fil à tisser que pour une valeur de 271,079 fr. Mais, messieurs, cela va directement contre le but qu’il s’est proposé, en vous citant ce chiffre ; car, cela prouve que nous n’avons pas un aussi grand besoin de fil à tisser étranger qu’on veut le dire. Cela prouve encore que le filage à la main, pour ainsi dire le seul qui existe actuellement dans notre pays, n’en est pas encore arrive à ce point de dépérissement qu’on semble le croire.

Indépendamment de cela, je dois faire remarque qu’en 1837 nous avons exporté pour 12 millions de lin, et que par le filage on calcule communément que la valeur du lin est triplée et même quadruplée (terme moyen). Or, si par suite de lois protectrices, sagement combinées, nous nous mettons à même de filer nous-mêmes ces 12 millions de lin, je demande quels bénéfices il n’en résulterait pas pour le pays. Car, en prenant seulement que le filage triple la valeur de la matière première, cela ferait 24 millions de main-d’œuvre que la Belgique gagnerait.

Je crois donc que ce chiffre prouve qu’il faut, par tous les moyens en notre pouvoir, porter nos industriels à filer eux-mêmes le lin, soit à la main, soit à la mécanique. Quand je dis par tous les moyens en notre pouvoir, je ne veux point parler du droit à la sortie des lins ; pour le moment même je m’y opposerais s’ils étaient proposés. Mais il faut qu’on en convienne, le moyen qui nous est proposé en ce moment tend à atteindre ce but, parce que, sachant que les fils étrangers ne peuvent entrer que moyennant le paiement d’un certain droit, nos industriels seront d’autant plus portés à filer le lin soit à la main, soit à la mécanique, sûrs qu’ils seront d’y trouver des bénéfices.

Vous voyez donc bien, messieurs, que le chiffre qui a été cité par l’honorable membre auquel je réponds prouve, au contraire de ce qu’il a soutenu, le fondement de l’opinion qui a été émise par la commission d’industrie à cet égard.

Messieurs, je crois que peut-être il existe une lacune dans la proposition de la commission d’industrie, ou plutôt que son système est incomplet.

On renouvelle ici les objections qui déjà tant de fois on a présentées sur les inconvénients du système de la perception au poids. Je ne crois pas devoir m’étendre sur ce point : vous avez déjà si souvent fait justice du système à la valeur qu’il serait vraiment fastidieux de revenir sur ce chapitre. Et nous ne sommes pas les seuls qui avons fait justice de ce système : chez tous les peuples, à l’égard de tous les articles de leurs tarifs, où le système de la perception au poids a pu être mis en usage, on l’y a mis en usage.

On est venu à cette occasion citer de nouveau les toiles que la législature, a-t-on dit, a voulu imposer d’un droit de 7 p. c. ; et il s’est trouvé, a-t-on ajouté, qu’il y a des toiles imposées à 25, même à 30 p. c. Mais, messieurs, tous les membres de cette assemblée qui faisaient partie de la chambre, lorsque la loi des toiles a été discutée, savent que la section centrale a toujours présenté les droits qu’elle proposait comme établissant une moyenne de 7 pour cent, non pas sur les toiles en général, mais sur les toiles qui faisaient concurrence avec les toiles belges. Il y a plus, messieurs, c’est que le tableau qui nous a été distribué dans le temps, des expériences faites par M. le ministre des finances d’alors, faisaient mention d’une espèce de toile (les blondines de Gand), sur laquelle le droit revient à 16 p. c. Depuis lors j’ai eu occasion de vérifier plusieurs fois les droits sur les toiles d’Allemagne, et j’ai toujours rencontré le chiffre moyen de 7 p. c., sans que le taux maximum s’élevât démesurément au-delà.

Je crois, messieurs, que la véritable objection que peut-être on pourrait faire contre le système présenté par la commission d’industrie est celle du petit nombre de catégories. La commission ne propose que deux catégories : celle des fils écrus étrangers et celle de tous les autres fils, celui de mulquinerie excepté. De là est venue cette différence qu’on remarque dans les avis de plusieurs chambres de commerce.

Mais la commission d’industrie a aussi, comme la section centrale, à l’occasion des toiles, eu en vue de frapper les fils qui, réellement, font concurrence aux fils belges, non seulement sur le marché de la Belgique, mais encore sur le grand marché de la France.

Voilà ce que la commission d’industrie a eu en vue, et c’est pourquoi elle a pris des informations sur le prix des fils anglais, et elle a proposé un droit de 25 fr. les 100 kil., parce qu’il est résulté des renseignements qu’elle a recueillis, que ce droit reviendrait, terme moyen, à 10 p. c., sans que le maximum dépassât de beaucoup ce chiffre de 10 p. c.

Je crois, messieurs, qu’il y aurait lieu d’établir plusieurs catégories et de les ranger par numéros d’après la longueur de fil tirée d’un certain poids de lin ; alors il n’y aurait pas une aussi forte disproportion entre les droits sur les différentes qualités. Je pense qu’un honorable membre doit présenter à cet égard un amendement que j’appuierai.

(Moniteur belge n°79, du 20 mars 1838) M. de Foere. - Messieurs, je ne pense pas que l’objet qui est actuellement en discussion rencontre beaucoup d’opposition. Je n’entrerai donc pas dans le fond de cette question. J’ai seulement demandé la parole pour répondre à une assertion avancée par l’honorable M. Verdussen, répétée par l’honorable M. Angillis. Tout en abondant dans le sens de ce dernier orateur sous tous les autres rapports, je prouverai que leur opinion à l’égard du danger auquel notre filature à la main et notre fabrication de toiles sont exposées, est trop générale. Je n’adopte pas dans toute son extension cette assertion que cette assertion que la filature à la mécanique, comme M. Verdussen l’a avancé, fera plus de tort aux fileuses du pays que le tarif actuel. M. Angillis, de son côté, partageant au fond la même opinion, a dit que la filature à la main et la fabrication de toiles étaient à l’agonie.

Il faut admettre une distinction entre les fils gros et les fils fins, comme entre les toiles grosses et les toiles fines. Cette distinction est établie par le fait et par l’aveu de nos rivaux qui produisent les fils et les toiles à la mécanique. Je dis d’abord par le fait ; car nos marchés n’ont pas cessé d’être fournis de fils gros et de toiles grosses. La consommation intérieure et l’exportation les a fait écouler, comme auparavant, quoiqu’à des prix inférieurs. A raison de leur grande supériorité en solidité sur les fils et toiles fabriquées à la mécanique, ils sont généralement préférés par le consommateur indigène ou étranger, toutes les fois qu’il lui fait des fils ou des toiles qui offrent de la résistance. Mais il n’en a pas été de même à l’égard des fils fins et des toiles fines.

J’ai dit aussi que cette distinction est admise par nos rivaux, les Anglais. Ils reconnaissent, en effet, que nous maintenons, à l’égard des fils gros et des toiles grosses, la supériorité sur la fabrication à la mécanique. Seulement ils prétendent nous livrer les fils fins et les toiles fines, et nous supplanter, sous ce rapport, sur les marchés étrangers. Jusqu’à présent, nous n’avons donc pas tant à craindre leur concurrence à l’égard des premiers articles. Mais si nous n’avons pas tant à redouter cette fabrication à la mécanique, nous avons à craindre la fabrication à la main de ces mêmes articles qui nous viennent d’autres étrangers et surtout de l’Allemagne. Par cette raison, nous devons protéger efficacement cette ancienne et utile industrie, et j’abonde à cet égard tout à fait dans le sens de l’honorable M. Angillis.

Cet honorable député de Courtray a aussi énoncé son opinion sur la libre sortie des lins. Il pense qu’il faut permettre cette sortie dans toute son extension. Je ne partage pas en ce sens son opinion. Il y a, dit-il, dans cette question deux intérêts en opposition. Ce sont l’agriculture et la fabrication de toiles. Selon lui, la dernière devrait être tout à fait sacrifiée à la première. Je dirai qu’il y a même trois intérêts en concurrence : l’agriculture, les fabriques de toile et le commerce ; mais il y a, selon moi, moyen de concilier tous les intérêts ; j’appelle sur ma proposition l’attention particulière de la commission d’industrie, chargée de nous proposer à cet égard un nouveau projet. Je crois que si nous établissons une échelle telle que nous en avons établi une pour les céréales, nous pourrons satisfaire les intérêts de l’agriculture, de la fabrication et du commerce. Il faudrait, à cet effet, fixer un prix moyen de li, et établir des droits ascensionnels et vice-versa, selon la rareté ou l’abondance, ou, en d’autres termes, selon le haut ou le bas ou le bon prix de ce produit agricole.

Il arrive, par plusieurs causes, que nos fabriques manquent de cette matière première. Vous savez, messieurs, que le lin est d’une culture très difficile et qu’il manque une fois tous les 7, 8 ou 9 ans. La rareté et la cherté du lin sont aussi quelquefois produites par une exportation excessive. La filature et la tissanderie à la mécanique que l’on se propose d’établir dans le pays pourraient avoir aussi le même résultat.

Il serait donc dans l’intérêt de nos fileuses, des tisserands, dans celui du commerce de fils gros et de toiles grosses, et même dans celui des filatures à la mécanique du pays de fixer un prix moyen du lin qui concilierait en même temps les intérêts de la propriété territoriale et de l’agriculture.

J’appelle, dis-je, sur cette proposition l’attention sérieuse des membres de la commission chargée de nous présenter sr la sortie des lins un projet de loi.

M. de Jaegher. - Je ne comptais pas prendre la parole dans cette discussion, surtout après tout ce qu’on a dit sur la question : mais on a cherché à représenter l’intérêt de l’agriculture et celui de la filature de lin comme opposés dans la question actuelle ; cette opinion n’a pas été combattue ; je crois au contraire que ces deux intérêts sont d’accord ; cette idée n’ayant pas été présentée, je crois pouvoir la soumettre en peu de mots.

On admettra d’abord, je l’espère, que la fabrication des toiles et de fil de lin en Angleterre a subi, depuis 1830, une marche progressive ; on admettra aussi que l’exportation du fil à la mécanique y a suivi la même progression, puisque nos marchés comme ceux de la France en sont inondés ; ces deux faits incontestables nécessitent une consommation proportionnelle de lin. Or, d’après le tableau général du commerce publié par les soins de M. le ministre de l'intérieur, les exportations de lin brut et peigné vers l’Angleterre s’élevaient en 1831 à 3,773,804 kilogrammes, valeur 6,228,000 fr., et en 1834 elles n’étaient déjà plus que de 1,688,695 kilogrammes, valeur 2,787,000 fr.

D’un autre côté, il résulte des écritures tenues au bureau du receveur des douanes à Ostende, qu’il est sorti de ce port, en 1836. l,186,700 kilogrammes et en 1837, seulement 350,273 kil. de lin. Il paraît, d’après des renseignements assez sûrs, que les exportations par le port d’Anvers n’ont pas subi de modifications qui compensent ces effrayantes différences. Néanmoins nos greniers de lin sont combles, et les prix, depuis 1831, n’ont guère été plus qu’aujourd’hui. Ou ces chiffres sont faux, et alors les tableaux statistiques du commerce sont irrévocablement juges ; ou ils sont vrais, et alors l’Angleterre doit avoir trouvé d’autres sources que la Belgique où elle prenne ses lins.

La conclusion à tirer de ces rapprochements est trop frappante pour que j’aie besoin de l’indiquer ; elle condamne le raisonnement de ceux qui présentent que l’intérêt agricole et l’intérêt manufacturier ne sont pas étroitement liés dans la question des lins, et que sacrifier l’un n’est pas simultanément sacrifier l’autre ; elle prouve, au contraire, que l’exportation des lins marchant en sens inverse de la progression manufacturière de l’étranger, plus vous faciliterez l’introduction de ces derniers produits, plus vous diminuerez la part que conservent encore les nôtres dans la consommation intérieure, plus enfin vous anéantirez l’industrie du fileur, et comme dernière conséquence, votre propre marché des lins.

Pour pouvoir vendre vos toiles à l’étranger, il faut qu’elles soient à bon marché, et en augmentant la valeur de votre fil, vous les vendrez cher.

Il y a trois intérêts en concurrence.

En vous demandant des droits à l’entrée du fil étranger, j’entends des droits modérés, parce que je ne les crois pas, sans cette condition, conciliables avec les intérêts du commerce des toiles.

Pourquoi demande-t-on des droits à l’entrée sur le fil étranger ? C’est parce que le prix de revient du nôtre ne permet pas au fileur de soutenir la concurrence. Le premier effet sera donc de faire gausser le prix du fil indigène, et par conséquent le prix de revient des toiles.

Cette conséquence nous commande une extrême réserve si nous voulons éviter de nuire à notre commerce de toiles sur les marchés, où il lutte déjà difficilement contre la concurrence étrangère.

M. de Langhe. - D’honorables préopinants et particulièrement M. de Foere ont traité la question des lins ; il y aurait beaucoup à leur répondre, mais cette question n’est pas à l’ordre du jour ; par respect pour la décision de la chambre, je ne m’en occuperai donc pas, je traiterai uniquement la question des droits sur les fils de lin.

Lorsqu’il s’agit de protéger une industrie, nous avons le tort de perdre de vue toutes les autres ; nous cherchons à faire cesser les plaintes de l’industrie dont nous nous occupons, sans nous inquiéter de savoir si nous ne provoquerons pas ainsi les plaintes d’autres industries que nous froissons. Je crois que nous sommes ici dans ce cas.

Pour moi j’estime beaucoup la classe industrielle des fileuses, je crois que c’est une classe essentiellement morale, et plus morale que celle des individus réunis en grand nombre pour travailler ; ainsi je vois avec le plus grand profond regret cette industrie, sinon anéantie, au moins considérablement réduite ; car ces ouvrières fileront encore pour la consommation de leur famille sans s’inquiéter du prix mais elles ne fileront plus pour l’exportation et pour une grande partie de la consommation ; c’est là l’effet inévitable de la manière malheureuse de tisser à la mécanique. Cette manière de tisser doit s’établir dans le pays ; nous ne pouvons pas l’empêcher, notre constitution et nos principes de liberté s’y opposent.

Je ne répéterai toutes les raisons qui ont été données pour modérer les droits sur les fils de lin, je crois que ce droit doit être établi à la valeur. La divergence existant entre les avis des diverses chambres de commerce me prouve la difficulté de la matière. La chambre de commerce de Courtray et celle de Bruges m’inspirent une égale confiance, cependant il faut que l’une ou l’autre se soit trompée.

Je dois répondre à l’honorable M. Desmaisières. Il a dit que des droits sur les toiles, censés établis à 7 p. c. s’étant élevés à 30 p. c. on ne sait pas où l’on s’arrêtera. Comme je suis un de ceux qui ont cité des faits, je lui dirai que les droits se sont élevés non seulement à 30, mais à 37 1/2 p. c. J’ai les calculs chez moi, je les communiquerai à M. Desmaisières s’il le désire. Si des droits qu’on voulait être de 7 p. c. se sont élevés à 37 1/2 p. c., cela ne prouve-t-il pas qu’on opérait d’une manière très peu sûre en établissant des droits au poids ?

M. de Jaegher. - Lorsque j’ai communiqué à la chambre les chiffres que j’ai puisés dans l’avis de la chambre de commerce d’Ostende, je n’avais pas sous les yeux le tableau présenté à la chambre par M. le ministre de l'intérieur. Les chiffres de ces deux documents n’étant pas les mêmes, je demanderai à M. le ministre de l'intérieur sur quoi est basé le tableau qu’il a présenté.

M. le ministre de l’intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - Je répondrai d’abord à la demande de M. de Jaegher que le tableau qui a été distribué a été établi sur les états des douanes, comprenant l’importation et l’exportation en général, abstraction faite de tel ou tel bureau. Je crois donc que la chambre doit tenir pour exacts les renseignements que je lui ai communiqués.

La protection qui est réclamée par la filature indigène doit être envisagée sous deux rapports, sous le rapport de la filature à la mécanique et sous le rapport de la filature à la main. S’il ne s’agissait que de filature à la mécanique, je n’hésiterais pas à m’opposer à toute espèce de majoration, car les personnes qui s’occupent de cette industrie m’ont assuré qu’aucune protection ne lui serait nécessaires ; et cela se conçoit, puisque nous avons en notre possession les mêmes machines perfectionnées qu’en Angleterre, puisque nous avons la matière première qui est le lin, et puisque la main-d’œuvre est généralement en Belgique à plus bas prix qu’en Angleterre. Sous ce rapport donc aucune protection n’est nécessaire. Mais il se passera deux années avant que les filatures soient en activité. Entre-temps les filatures à la main conserveront beaucoup d’importance dans ce pays ; sous ce rapport on peut concevoir qu’une protection modérée soit utile ; je dis modérée car il faut prendre garde de nuire aux industries qui emploient le fil étranger et qui souffriront considérablement de la loi si elle établit une protection trop forte.

On a signalé de grandes divergences d’opinion entre les différentes chambres de commerce, notamment en ce qui concerne le montant du droit proposé qui a été évalué, d’une part, à 6 p. c. de la valeur, et d’autre part à 30 p. c. de la valeur et au-delà. Je ferai remarquer à cette occasion que les chambres de commerce qui ont donné leur avis en décembre dernier ont varié de calcul dans l’avis qu’elles viennent d’émettre, et même ont varié leurs propositions, quant au droit et quant au mode de perception ; ainsi la chambre de commerce de Courtray ne proposait en décembre dernier qu’un droit de 5 p. c. de la valeur, aujourd’hui elle propose 50 fr. par 100 kilog. de fil écru (ce qui ferait, pour certaines qualités, de 40 à 50 p. c. de la valeur), et pour les autres espèces de fil blanc oui tors, à l’exception du fil de mulquinerie, 75 fr. par 100 kilog. Il est vrai que la chambre de commerce de Courtray évalue ces droits à 8 p. c. de la valeur, mais c’est là une erreur manifeste.

La chambre de commerce de Bruges proposait en décembre dernier la tarification suivante :

Fil de lin ou de chanvre, 3 p. c.

Fil écru, simple ou à lisser, 3 p. c.

Fil blanchi, simple ou à tisser, 5 p. c.

Fil à dentelle, 5 p. c.

Fil à coudre de toute espèce, 6 p. c.

En 1834, une section centrale de la chambre a fait un rapport étendu sur le même objet et a proposé un projet de loi ; dans ce projet de loi dont l’honorable M. Desmaisières était rapporteur, on proposait aussi des droits à la valeur. Je viens de faire connaître l’avis de la chambre de commerce de Bruges du mois de décembre dernier, et vous avez sous les yeux l’avis récent de cette même chambre de commerce où elle propose d’imposer le fil écru à 15 fr. par 100 kil., soit 10 p. c. de la valeur (ainsi la chambre de commerce évalue un droit de 15 fr. par 100 kil, à 10 p. c. de la valeur, tandis que la chambre de commerce de Courtray évalue un droit de 50 fr. par 100 kil, à 8 p. c. de la valeur), au lieu du droit de 25 proposé par la commission de la chambre des représentants. Ainsi cette chambre de commerce qui proposait en décembre dernier un droit de 3 p. c. de la valeur, propose aujourd’hui 15 p. c. par 100 kil., comme équivalent à 10 p. c. de la valeur.

La chambre de commerce de Mons en décembre dernier a donné un avis rentrant dans le sens de la proposition qu’a indiquée M. Desmaisières lorsqu’il a voulu combiner le poids avec le nombre de fils. Cette chambre de commerce proposait d’établir des droits ainsi qu’il suit :

Fil simple n° de 1 à 30 (je crois que le numéro 30 anglais correspond au n° 50 de Belgique), 50 fr. par 100 kil. 10ème en sus

N°, 20 fr.

N°, 24 fr.

Au-dessus, 30 fr.

Vous voyez qu’en décembre dernier cette chambre de commerce était d’avis de tarifer à la valeur, car sa proposition tendant à avoir égard au nombre des fils n’avait d’autre but que d’atteindre davantage la valeur. Si le mode à la valeur est réellement praticable, certes c’est celui qui est le plus équitable et celui qui doit porter le moins atteinte aux industries qui emploient le fil.

Je ne me prononce pas définitivement sur le mode de perception à la valeur ; mais il me semble que la discussion pourrait d’établir sur le droit à la valeur ou sur le poids combiné avec le numéro ; c’est à un de ces deux termes que je donnerai la préférence. Une considération générale que nous ne devons pas perdre de vue, c’est que ce n’est pas à la Belgique à donner l’exemple de l’établissement de droits trop élevés à l’entrée du fil. La raison en est simple : d’ici à deux ans la Belgique aura des filatures qui produiront infiniment au-delà de ce qu’elle peut consommer ; alors elle aura une exportation considérable à faire ; elle pourra la faire avec avantage, puisqu’elle aura produit à un moindre prix que dans d’autres Etats, en raison de ce que la matière première et la main-d’œuvre ne sont pas ici à des prix élevés

Je bornerai ici mes observations : j’attendrai la suite de la discussion pour faire une proposition définitive quant aux droits et quant au mode de perception.

M. Lardinois. - Messieurs, mon intention est d’accorder un droit modéré sur l’entrée des fils de lin. Je demande donc la parole pour exposer les motifs de mon vote.

L’industrie linière est sans contredit la plus considérable et une des plus intéressantes du pays. Sa production annuelle est évaluée à 65 millions de francs, et elle se rattache essentiellement à l’agriculture. Ces seules considérations sont assez puissantes pour nous engager à faire nos efforts pour conserver cette branche de la fortune publique.

Vous savez tous, messieurs, que cette industrie existe chez nous depuis des siècles ; sa réputation a été universelle, et la supériorité de ses produits est reconnue sur tous les marchés du monde.

Mais il faut bien l’avouer, nous sommes déchus de la prépondérance dont jouissaient nos toiles ; les beaux jours de cette fabrication sont passés ; nos exportations sont réduites considérablement, et c’est la France, la seule France, qui achète encore pour quelques millions de francs. Si nous n’y prenons pas garde, messieurs, l’Angleterre finira par enlever aux Flamands la fabrication des toiles, comme elle a enlevé aux Indiens la fabrication des cotons.

L’on se demande à quoi il faut attribuer cette décadence ? Sans doute il y a maintes causes qui contribuent à rendre cette industrie stationnaire, mais je pense qu’une des principales est le système que j’appellerai patriarcat, suivi jusqu’à ce jour pour la fabrication des toiles. Je dirai que l’on fait beaucoup de toiles en Flandre, mais qu’il ne s’en fabrique pas. Je m’explique.

Depuis un demi-siècle les sciences ont fait des progrès étonnants, et leur application aux arts industriels a porté un coup fatal au travail qui ne reposait que sur la routine ; dès lors il a été reconnu, en industrie, que celui qui ne marchait pas avec le progrès des connaissances humaines devait nécessairement reculer ou tomber. Cette vérité vient aussi d’être proclamée par l’honorable M. A. Rodenbach.

L’emploi des machines, qui est venu remplacer le travail à la main, a occasionné une immense et heureuse révolution industrielle ; car elles permettent de multiplier la force, d’économiser le temps et de produire mieux et à meilleur marché que par la main de l’homme. Ce sont de grands avantages que personne n’est plus tenté de contester aujourd’hui.

Avec l’introduction des machines, il est devenu impossible de travailler avantageusement sur une petite échelle ; il a donc fallu abandonner la fabrication en famille et élever de grands établissements manufacturiers, où toutes les opérations de la fabrique pussent être à la fois concentrées, surveillées et exécutées avec plus de perfection et d’économie.

L’industrie linière se trouve-t-elle dans ces conditions de perfectionnements et d’amélioration ? Non, messieurs, puisque l’on file et que l’on tisse encore à la main comme au XVème siècle. Ainsi, comparativement à l’Angleterre et à l’Allemagne, cette industrie est dans un état rétrograde. Aussi, malgré tous les avantages de notre position et de la richesse de notre sol qui produit le plus beau lin du monde ; malgré le bas prix de la main-d’œuvre et le bénéfice exigu dont se contente le producteur de la toile, nous ne pouvons pas soutenir avec succès la concurrence contre les produits étrangers. Il est de fait que cette industrie souffre, périclite, et si lon n’y porte promptement remède, elle périra.

Selon moi, le remède le plus efficace est l’introduction des machines dans la fabrication des toiles, parce qu’alors on pourra produire avec plus de perfection et surtout avec plus d’économie. C’est à tort que l’on s’effraie de l’emploi des machines, car elles n’ont pas pour effet de diminuer la quantité de main-d’œuvre ; mais il arrive souvent, au contraire, que la production augmentant par suite du bon marché, l’industrie réclame plus de bras qu’auparavant. J’engage beaucoup le gouvernement à protéger les établissements qui se créent pour la filature et le tissage du lin. Je ne suis pas en général grand partisan des sociétés qui pullulent autour de nous, parce qu’il y en a beaucoup qui n’ont en vue que de réaliser des bénéfices faciles en tendant des pièges aux dupes ; mais lorsqu’il s’agit d’une association d’une utilité générale, comme celles qui ont pour but l’amélioration de l’industrie, ce serait une grande erreur du gouvernement de ne pas seconder ces entreprises.

Dans une circonstance récente j’ai demandé un droit protecteur de 5 p. c. en faveur des filatures de laine peignée. J’appuierai toute proposition qui sera faite dans le même sens ; mais si je vote pour un droit modéré, j’entends qu’il soit réel et qu’on ne puisse l’éluder. Nous savons tous que la perception à la valeur facilite la fraude, et que les déclarations en douane sont toujours de 25 p. c. au moins au-dessous de la valeur réelle.

Ce droit de 5 à 6 p. c. protégera les filatures de lin à la mécanique qui sont naissantes. Je pense néanmoins que ce droit sera suffisant, car si nous jetons les yeux sur le tableau statistique qui nous a été distribué ce matin, nous ne devons pas tant craindre les importations de fils de lin puisque nous exportons le double de ce que nous recevons. Au reste, il est à remarquer que jusqu’à 1835 nous avons reçu peu de fils de l’Angleterre, tandis qu’en 1837 elle nous en a fourni tout à coup pour 770,000 francs.

De cette circonstance je conclus qu’elle produit maintenant plus de fils de lin qu’elle n’en a besoin pour sa propre consommation, et il est à craindre que si nous ne changeons pas de système, nous ne soyons à l’avenir inondés de ses produits en lin.

Un honorable député d’Anvers qui repousse toute augmentation de droit à l’entrée a dit que c’était le moyen de faire une concurrence mortelle aux filatures à la main, puisque cette élévation de droit à l’entrée favoriserait les filatures de lin à la mécanique. Ce raisonnement est parfaitement juste, mais voudrait-il par hasard maintenir stationnaire l’industrie linière ? Je ne pense pas que ce soit là son intention, et quant à moi je désire vivement, par l’intérêt que je porte à cette industrie, qu’on fasse usage des machines dans la fabrication des toiles, car il est certain que le filage et le tissage à la main est un système rouillé, coûteux, qui, s’il était continué, finirait malheureusement par anéantir cette fabrication dans notre pays.

M. Zoude. - En jetant un regard sur les nombreux avis des chambres de commerce, d’agriculture et des conseils provinciaux, que M. le ministre de l’intérieur nous a transmis, on voit que l’immense majorité se réunit pour regarder un droit protecteur comme indispensable. M. le ministre de l’intérieur vient de vous faire entendre que ce droit était utile encore pour deux ou trois ans. La commission d’industrie persiste donc dans les conclusions qu’elle a présentées. Mais attendu que le chiffre qu’elle a proposé conduit à de grandes diversités, un de ses membres soumettra une classification des fils propre à éviter les anomalies que l’on redoute.

M. Desmet. - La chambre et le ministère sont d’accord pour accorder un droit protecteur à l’industrie des fils ; je n’ai donc pas besoin d’insister sur ce point ; aussi je n’ai demandé la parole que pour répondre surtout à ce que vient de dire M. Lardinois. Cet honorable membre voudrait que le gouvernement accordât des primes pour l’importation des machines à filer et à tisser. Je ne partage pas cette opinion, et je ne crois pas que la filature à la main ait une si grande lutte à soutenir contre la filature à la mécanique ; je pense, avec la chambre de commerce de Courtray, que nous n’avons pas à craindre la concurrence, et que nous pouvons continuer avec avantage la fabrication et le commerce de nos toiles. Maintenant, nous avons la suprématie pour les toiles non seulement sur le continent, mais encore au-delà des mers : il n’en serait plus de même si nous voulions admettre la filature et la fabrication à la mécanique ; nous ne serions pas les premiers en ce genre, et nous perdrions un commerce qui va au-delà de cent millions dans l’état où il est actuellement ; c’est de pouvoir concourir avec nous que nos rivaux cherchent, et pourquoi ils font tant d’efforts, car ils savent bien qu’aussi longtemps que nous conservons le filage à la main, ils ne pourront lutter contre nous.

D’après l’honorable M. Lardinois, nos tisserands de toiles ne sont que des routiniers, des stationnaires, des rétrogrades, des hommes du 15ème siècle, etc. Ce jugement est sévère et il m’a surpris, surtout qu’il a été donné par un industriel éclairé qui doit cependant savoir qu’il n’est pas exact, et qui ne peut ignorer que nulle part une fabrication n’est mieux soignée que chez nous ; et quand il vous a dit que nous ne fabriquions plus, que nous ne faisions que des toiles, cette assertion m’a de plus en plus donné la conviction que l’honorable député de Verviers n’avaient pas de notions précises sur la qualité de nos toiles.

Pour appuyer ses diverses assertions, pour déprécier notre fabrication de toiles, il nous a dit que nous ne fabriquions pas aussi bien que les Anglais, et que leurs toiles étaient beaucoup meilleures. Il doit paraître surprenant et pénible qu’il faille entendre dire ceci par un Belge même, et qu’il faille prouver à des Belges que nulle part encore la supériorité de nos toiles, en beauté et en solidité, n’a été atteinte, et surtout que les Anglais sont bien loin de nous atteindre en aucune manière.

Je suis charmé d’avoir près de moi un ouvrage où se trouve un extrait d’un rapport qui a été fait, il y a quelques années, au gouvernement anglais, par des commissaires que ce gouvernement avait envoyés dans la république de Guatimala, pour explorer les produits et les besoins de cette ancienne colonie espagnole. « Nous sommes surpris et très chagrinés, disaient ces commissaires dans leur rapport, de voir que les toiles de Flandre, avec leur surface grossière et inégale, sont préférées par les habitants de cette contrée, aussi bien que par les Mexicains (et j’ai lieu de croire que toute l’Amérique méridionale), aux productions unies et lisses de la Grande Bretagne, et qu’elles possèdent l’avantage d’absorber mieux la transpiration, de se salir moins vite et d’être plus solides. »

Quand mes rivaux les plus dangereux donnent un témoignage aussi éclatant de la supériorité de nos toiles, pouvons-nous douter qu’il faille faire tout ce qui est en nous pour conserver une telle industrie, et n’épargner aucun effort, soit de la part de la législature, soit de la part du gouvernement, pour ne pas la perdre et la voir supplantée par des nations qui nous l’envient.

Il est indubitable que si nous ne négligeons pas cette intéressante industrie, elle pourra récupérer toute son ancienne splendeur, surtout que tous les jours les consommateurs de tous les pays, de l’Europe comme des autres parties du monde, font l’expérience et jugent que les toiles faites à la mécanique ne peuvent aucunement remplacer celles faites à la main.

Et quoique nos importations dans l’Amérique méridionale aient beaucoup souffert par les longues interruptions que les révolutions et les guerres civiles continentales ont causées, et par les efforts que les Anglais ont constamment faits pour introduire sous toutes les formes et de toutes les manières leurs marchandises ; il est aisé de voir, par l’aveu des commissaires anglais que je viens de citer, que ces immenses contrées sont encore disposées à consommer nos toiles qu’elles reconnaissent comme beaucoup meilleures, sous le rapport de la solidité et de la salubrité, que celles de nouvelles espèces, fabriquées par les Anglais, qui n’ont que l’apparence pour elles et dont l’étoffe est tellement mauvaise, qu’après quelques années d’expérience, on a déjà jugé qu’il fallait les répudier et donner la préférence aux toiles de Flandre. Si donc, comme je viens de le dire, nous faisons quelques efforts pour lutter contre nos rivaux, et que le gouvernement nous aide, nons devons voir pour certain que l’industrie linière sera conservée à la Belgique dans son antique splendeur, et que ses produits serviront de moyens très utiles pour effectuer des échanges dans cette partie de l’Amérique avec laquelle nous avons tant d’intérêts à commercer et dont il y a quantité de productions dont nous avons un besoin incontestable.

Il est prouvé qu’avec la filature à la mécanique on ne fera jamais d’aussi bonnes toiles que chez nous avec la filature à la main ; or on préférera toujours les toiles les plus belles et les meilleures.

Le fil à la mécanique contient toujours des étoupes ; et une toile faite avec ce fil ne blanchit ni ne se teint jamais parfaitement, et ne prend pas de luisant. A la mécanique on ne peut pas ôter les particules d’étoupes qui sont mêlées au lin, comme les femmes les ôtent en filant à la main. Il faut de plus, pour obtenir les meilleurs tissus, que le fil soit rond, qualité qu’il ne prend pas à la mécanique. Il n y a guère longtemps qu’on a fait à Alost l’essai de faire tisser de la toile avec du meilleur fil anglais ; on a trouvé que cette toile était entièrement tachée de protubérances d’étoupes qui se montraient comme dans l’étoffe de molleton, et aussi, qu’elle n’avait à beaucoup près la solidité de nos toiles, quoiqu’elle était beaucoup plus raide ; et vous savez, messieurs, qu’une des principales qualités de nos toiles, c’est la mollesse du tissu ; nos tisserands obtiennent ces qualités par les soins qu’ils donnent au filage et dans les apprêts du fil par le tissage et le bon choix des espèces de fil qui doit servir pour la trame ou pour la chaîne. Les Anglais savent tout cela ; aussi, pour dissimuler une partie des défauts de leurs toiles, ils achètent des trames filées à la main ; mais ils ont beau faire, on voit toujours la différence entre une toile tissée avec du fil rond et une toile tissée avec du fil plat ou du fil à la mécanique. Si le députe de Verviers connaissait la manière soignée avec laquelle nous fabriquons nos toiles, il ne crierait pas à la routine, mais il dirait avec nous que nous devons tâcher de conserver notre ancienne méthode et surtout le filage à la main.

Il y a trois ans, quand on a proposé un droit sur le lin, il y avait dans notre pays divers grands économistes de l’Angleterre et quelques membres du parlement, entre autres, l’honorable M. Hume, membre de la chambre des communes. Il me demanda les développements de la proposition que j’avais faite.

Il me dit qu’il était fort surpris de me voir contraire à l’introduction de la filature à la mécanique : je lui fis comprendre quel avantage pour notre pays résidait dans la fabrication des meilleures toiles du monde, et que nous ne devrions pas abandonner notre système de fabrication où nous étions sans rivaux, pour adopter un système de fabrication suivi par d’autres, et où nous rencontrerions une concurrence formidable. Il me répondit : Comme membre du parlement anglais, je suis partisan des toiles faites à la mécanique ; mais dans mon ménage, je préfère les toiles de Flandre ou les toiles tissées des fils faits à la main, et je crois que l’on raisonnera encore longtemps de cette manière, car pour qu’on varie sur cet important objet, il faut nécessairement que le filage à la mécanique soit un véritable progrès, que les produits en soient plus beaux, plus solides et à plus bas prix ; ce qui n’est pas et ce que probablement on n’atteindra jamais. On peut dire qu’il y a impossibilité physique pour la filasse de lin à l’atteindre ; et quand je parle du plus bas prix, proportionné à la solidité du tissu, comme dit l’économiste Say, les bas prix sont relatifs ; qu’il n’y a de prix égal qu’en qualités égales ; il n’y a nulle comparaison à faire sans cela. Et comme deux draps de qualités différentes ne sont pas deux produits pareils, de même deux toiles de différentes qualités ne sont pas de produits égaux ; l’une peut être à bon marché à 3 francs l’aune, et l’autre chère à 2 fr.

Messieurs, il faut donc faire tout ce qui sera possible pour conserver la filature à la main, parce que là est notre suprématie ; jamais personne ne pourra nous surpasser en cela.

Et quand le ministre de l’intérieur prononça tout à l’heure cette terrible sentence, qu’il ne donnait plus que deux ans d’existence à notre filage à la main, j’espère bien que sa prophétie ne se réalisera pas ; mais aussi j’espère bien que dans son département on n’emploiera plus les fonds de l’industrie pour faire la guerre à ce filage et protéger inconsidérément le filage à la mécanique, surtout dans un moment qu’une énorme quantité de sociétés se présentent pour ériger de telles filatures. Que le ministre veuille s’entourer de lumières et apprécier toute l’importance de notre toilerie, telle qu’elle existe aujourd’hui ; je ne doute où il n’aurait bientôt d’autres sentiments sur le nouveau mode de filer, et déploierait tous ses efforts pour conserver ce que nous avons, ce qui nous a rendus si grands près des autres nations, qui toutes nous portent envie pour cette industrie, ce qui a toujours fait la prospérité d’une grande partie du pays et le bonheur d’une immense population. Et qu’il veuille bien se pénétrer qu’il est impossible de remplacer l’intéressante industrie linière telle que nous l’avons encore et que, j’espère, on ne nous enlèvera pas, quoique nous ayons tant d’ennemis dedans et dehors le pays.

Revenant à l’objet qui est à l’ordre du jour, je dirai qu’il n’est pas nécessaire que je m’appesantisse sur la nécessité de majorer les fils étrangers, car nous sommes, on peut le dire, unanimes sur ce point ; il n’existe qu’une question, c’est celle : le droit sera-t-il à la valeur ou au poids ? Cette même question a déjà en diverses occasions été discutée en cette chambre et toujours résolue dans le sens du mode au poids ; il est assez étrange qu’on y revienne toujours, surtout que dans d’autres pays cela ne fait plus question. Partout le mode ad valorem est repoussé.

Il est clair comme le jour que quand le droit est assis sur la valeur, on n’obtient jamais la protection désirée, parce que les déclarations sont toujours en dessous de la réalité. Et qu’on ne vienne pas nous dire que les préemptions sont un remède contre les fausses déclarations, on sait bien que non. Les préemptions ont même quelque chose de dangereux pour l’employé qui en fait un mauvais usage contre les négociants de bonne foi et qu’on gênerait par les menaces de préemption. La perception à la valeur n’est jamais assujettie au contrôle des employés supérieurs ; on ne peut pas surprendre un employé d’avoir laissé entrer des marchandises déclarées sous la valeur réelle, tandis que quand on perçoit au poids, il est très facile de contrôler la gestion de l’employé. Toutes les chambres de commerce, excepté celle d’Anvers, sont unanimes à repousser la perception à la valeur. Nous devons donc préférer le mode au poids ; alors nous pouvons être certains que le droit sera réellement perçu, et vous ne serez pas exposés que le fil de lin entre comme fil d’étoupes, surtout qu’à présent on file les étoupes aussi finement que le lin.

On objecte contre le mode au poids et un droit unique que la différence de la basse qualité à la bonne est tellement grande que les fils fins ne paieront rien et les communs hors de la proportion de leur valeur. Cette différence n’est pas si grande, comme on le présume, et surtout que le fil de mulquinerie est hors de la tarification. Je pense, au contraire, qu’on pourrait prendre un prix moyen pour établir le droit, et qu’en prenant ce prix on n’aurait pas cette énorme différence dont a parlé l’honorable M. Verdussen ; la commission, quand elle a posé son prix, a pris pour prix moyen un franc 25 centimes à un franc trente la livre, ou deux francs 60 centimes le kilogramme.

Certainement que le taux moyen n’est pas, comme le dit la chambre de commerce de Bruges, de 75 centimes la livre du pays ; je sais bien que le fil d’étoupes se vend de 7 à 8 sous ; celui d’Angleterre se vend plus d’un franc, même au n°10, qui certainement est un numéro bas, car leurs numéros passent les 200 ; mais le fil de lin servant à faire de la toile ordinaire vaut de 12 à 14 sous, c’est-à-dire 1 fr. 25 c. ou 1 fr. 30 c. ; la moyenne fixée par la chambre de commerce de Bruges est donc inexacte, et pour avoir le droit de 10 p. c. qu’elle demande, il faut qu’il soit bien plus haut que 15 fr. les 100 kil.

Remarquez, messieurs, que les fabricants de Bruges ont besoin de fils étrangers pour leurs toiles à carreaux, et que c’est cependant Bruges qui demande des droits de 10 p. c. Il me semble que cette observation mérite d’être pesée.

J’ai sous les yeux une note des prix des fils anglais ; j’y vois que le n°10 se vend à 1 fr. 30 c. la livre anglaise, qui équivaut au demi- kilogramme. Ce prix n’est pas ancien, je le tiens d’une maison de cette ville à qui une fabrique anglaise avait envoyé, il y a 15 jours, ses prix courants ; j’ai près de moi la lettre de la maison anglaise, je peux la communiquer, et comme le n°10 est un numéro bien bas, on peut certainement dire que le prix moyen n’est pas au-dessus de 1 fr. 30 c., et la chambre de commerce de Bruges l’avait établi à 75 centimes la livre. Il me paraît donc que nous pouvons très bien maintenir un droit uniforme et an poids pour tous les fils ; il n’y aurait jamais que les fils de très mauvaise qualité qui seraient disproportionnés et trop élevés pour la valeur, mais je crois que nous serons tous d’accord que ce ne sera pas un grand mal que ces mauvais fils d’étoupes n’entrent si facilement ; ni les industriels, ni les consommateurs ne peuvent le désirer ; et quoique les Anglais le filent très fin, même assez fin pour en faire des dentelles, on vient de le dire, il ne sera pas moins très mauvais ; et quand nos fileuses apprendront que les Anglais font du fil à dentelles avec des étoupes, leurs craintes de concurrence diminueront beaucoup, car le premier savoir de l’industrie linière, c’est de faire un choix convenable de la qualité du lin, pour l’espèce de fil que je désire en filer, et quand le fileur à la mécanique force la qualité à un tel point, on doit pressentir sa chute et la conservation de celui à la main.

Cependant, messieurs, si vous voulez dévier de l’uniformité du droit, alors vous feriez bien de prendre une tarification au numérotage, comme on a fait pour les fils de coton ; on objecte à ce mode que ce numérotage n’est pas de même pour tous les pays de provenance, que l’Allemagne n’a pas celui de l’Angleterre ; mais vous avez la même chose pour le coton, et cependant on perçoit très facilement les droits sur les fils de coton par un tarif de catégories et souvent un seul numérotage. D’ailleurs, comme bien de le dire tout à l’heure l’honorable M. de Nef, il n’y a rien de plus facile que de percevoir au numérotage, et dans son amendement il a présenté le même mode ; il n’est pas nécessaire qu’on fasse à chaque fois l’opération de peser et de mesurer ; quand aux bureaux de douanes on se munira d’échantillons de chaque numéro, par la confrontation il est très facile de voir à quelle catégorie le fil qu’on a déclaré appartiendra.

La chambre de commerce de Mons a présenté un mode de perception au numérotage ; je crois que nous pouvons suivre celui que cette chambre propose, car on peut être assuré que trois catégories sont plus que suffisamment, et surtout que nous l’avons déjà fait remarquer, que le fil de mulquinerie est excepté ; car ce n’est seulement que quand vous entrez dans les fils fins de mulquinerie, que les grandes différences de prix se présentent.

Je ne présente cet amendement que subsidiairement, pour le cas que le droit uniforme ne passerait pas, afin de ne pas avoir le droit à la valeur, qui éluderait tout à fait la protection que tout le pays demande, car je pense que nous ne risquons rien de nous attacher à l’uniformité du droit qui, par l’article des fils, ne présente pas les anomalies et les grands inconvénients dont on a parlé, puisque dans les qualités où nous restons depuis l’exception des fils fins, la différence du prix n’est pas tellement grande, qu’on pourrait en craindre des inconvénients ; et remarquez que la France a le même mode d’uniformité ; elle n’a non plus trouvé besoin d’adopter le numérotage, elle cependant qui fait une guerre si active contre l’entrée des fils étrangers ; mais c’est parce qu’elle sait qu’on atteint précisément, en s’attachant au prix moyen, les fils qui lui font le plus de tort.

M. Mercier. - L’honorable président de notre commission d’industrie, reconnaissant la justesse des observations qui ont été présentées dans le cours de cette séance contre un droit d’entrée uniforme, établi au poids sur les fils de lin, nous a prévenus de la proposition qui vient d’être faite par l’honorable M. Desmet .

M. le président. - M. Desmet n’a pas déposé de proposition jusqu’à présent.

M. Mercier. - En ce cas, je me bornerai à présenter des objections au système qu’a développé cet honorable membre, qui désire établir le droit d’entrée sur les fils au poids, mais en le graduant d’après leurs numéros : ainsi qu’il en a fait lui-même l’observation, la première difficulté qui se présente, consiste en ce que chaque nation n’a pas adopté la même base pour la division de ses fils en numéros, et que par conséquent il n’y aura pas uniformité de droit à l’égard des fils des différentes provenances : le remède indiqué pour parer à ce grave inconvénient n’est pas légalement admissible. Jusqu’ici nous n’avons reçu des fils en quantité considérable que de l’Angleterre, et par la frontière de Prusse, mais l’industrie du filage fait depuis peu de temps de grands progrès dans d’autres pays, et j’ai remarqué que la France qui, précédemment ne nous importait que pour environ cinq mille francs de fils de lin, nous en a fourni pour 69,000 francs en 1837 : ainsi la complication des numéros des fils tend à s’accroître de plus en plus, à mesure que l’importation de cette marchandise en Belgique sera plus partagée entre différentes provenances.

D’un autre côte n’est-il pas probable qu’on cherchera à éluder le droit en échangeant les numéros des fils, et en les distinguant au moyen d’un signe de convention ? Je ne connais aucun moyen de prévenir un tel abus ; imposer les fils d’après leurs numéros serait donc une mesure inefficace à laquelle je ne puis donner mon assentiment.

M. le président donne lecture de l’amendement suivant proposé par M. Desmet :

« Fil simple écru, n°1 à 30 (anglais), à 20 fr. les 100 kil.

« Fil simple écru, n°31 à 60 (anglais), à 25 fr. les 100 kil.

« Fil simple écru, n°61 et au-dessus, à 30 fr. les 100 kil.

« (Celui de mulquinerie excepté.) »

- Cet amendement est appuyé.

La séance est levée à 4 heures 1/2.