(Moniteur belge n°72, du 13 mars 1838)
(Présidence de M. Raikem.)
M. de Renesse procède à l’appel nominal à une heure et quart.
M. Kervyn donne lecture du procès-verbal ; la rédaction en est adoptée.
M. de Renesse présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.
« La chambre de commerce et des fabriques de Venloo adresse de nouvelles observations sur le projet de loi relatif à une majoration de droits d’entrée sur le café. »
- Dépôt sur le bureau de la chambre pendant la discussion du projet de loi sur le café.
Le sénat informe qu’il a adopté le projet de loi relatif à la taxe des barrières.
- Pris pour notification.
M. Duvivier, qui doit s’absenter pour des affaires de famille, demande un congé de 12 à 15 jours.
- Accordé.
M. le ministre des finances (M. d’Huart) présente un projet de loi ayant pour but de réaliser un nouvel emprunt pour compléter l’achèvement des chemins de fer, et pour opérer la conversion de l’emprunt de 100 millions opéré en 1831 à 5 p. c.
L’article premier de ce projet autorise le gouvernement à contracter un emprunt qui ne pourra dépasser 180 millions, à l’intérêt de 4 1/2 p. c., applicables soit à l’achèvement des chemins de fer, soit au remboursement au pair des 10 millions de bons du trésor dont l’émission a été ordonnée en 1836. Les autres articles déterminent le mode à suivre dans ces diverses opérations. (Nous donnerons ce projet de loi dans notre numéro de demain).
M. le président. - Ce projet et les motifs qui l’accompagnent seront imprimés et distribués et renvoyés à l’examen des sections.
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Ce projet me paraît avoir, à raison de sa nature, une certaine urgence. Je demanderai donc que les sections veuillent bien s’en occuper dans une de leurs premières réunions.
- Cette proposition est adoptée.
M. Lebeau. - Je demande la parole pour présenter une nouvelle rédaction de mon amendement.
Dans la séance d’avant-hier, j’ai bien plutôt entendu soumettre à la chambre un principe qu’un amendement qui réunisse toutes les conditions désirables pour devenir un article de loi. Pour éviter les objections auxquelles pourrait donner lieu mon amendement, ainsi que je l’ai d’abord rédigé, j’ai cru nécessaire de mieux préciser ma pensée et de la consigner dans un nouvel amendement qui a le même but que le premier et dont la rédaction seule diffère.
Il serait ainsi conçu :
« A partir du 1er janvier 1839, il sera prélevé un droit d’enregistrement de 10 p. c. en principal sur le prix les ventes à l’encan des marchandises neuves ci-après désignées, quand les ventes auront lieu en quantités moindres que celles déterminées au présent article. »
Le reste comme au projet.
Voici un article 3 nouveau que je crois utile de présenter dès ce moment, afin que la chambre comprenne que mon système est un ensemble, et réalise l’engagement que j’avais pris dans la discussion générale
« Art. 3. Les conseils communaux sont autorisés à faire des règlements pour constater les qualités des marchandises ci-dessus désignées qui sont exposées en vente, et pour garantir les acheteurs contre toute tentative de vol et d’escroquerie.
« Ces règlements seront soumis à l’approbation du Roi. »
M. Desmaisières. - Messieurs, comme l’honorable M. Verhaegen, je suis d’opinion que le projet de loi que nous discutons sur les ventes à l’encan ne porte aucune atteinte à la liberté du commerce dans le sens qu’il faut attacher à cette expression. Pour le prouver, je n’ai besoin que de rappeler en peu de mots quels sont les principaux abus résultant de la liberté des ventes à l’encan, abus qui déjà vous ont été signalés. L’un de ces abus consiste en ce que l’on vient vendre dans notre pays des objets volés à l’étranger et même volés dans le pays ; on vient les vendre à l’encan et à tout prix, par une bonne raison, parce qu’ils ne coûtent rien à ceux qui les vendent. On a répondu à cela qu’il existait des lois contre les escrocs et les voleurs, qu’on n’avait qu’à appliquer ces lois.
L’honorable membre qui a fait cette objection, sait mieux que personne, à raison des fonctions judiciaires qu’il exerce, que le plus souvent les voleurs savent se soustraire à l’action des lois. Ensuite, comment appliquer les lois de notre pays aux vols commis à l’étranger ? Les voleurs ont bien soin de ne pas venir eux-mêmes tenir les ventes à l’encan des objets volés ; ils les cèdent à d’autres personnes qui en font la vente. Il y a d’autres abus très graves : ce sont les ventes à l’encan de marchandises provenant de banqueroutes frauduleuses qui ont lieu, soit à l’étranger, soit dans le pays même. Voici comment il est arrivé plusieurs fois et comme il est encore arrivé récemment que des négociants étrangers ont fait vendre à l’encan en Belgique leurs marchandises au détriment de leurs créanciers. Quand un négociant étranger veut s’enrichir aux dépens de ses créanciers, que fait-il ? Il envoie en Belgique, là où l’on permet librement les ventes à l’encan, il envoie toutes ses marchandises, ou presque toutes ses marchandises, pour être vendues à quelque prix que ce soit, et lorsqu’il sait qu’elles sont vendues, il dit adieu à ses créanciers et vient rejoindre en Belgique son agent. S’il craint la loi d’extradition, il va dans un autre pays. Dira-t-on que la législation sur les banqueroutes est là pour porter obstacle à ce que ces faits, que je viens de citer d’une manière générale, puissent se produire ? Mais tout le monde sait, tout le monde se plaint de l’insuffisance de la législation sur les banqueroutes, et encore une fois comment appliquer nos lois en supposant qu’elles fussent suffisamment répressives des banqueroutes frauduleuses, comment les appliquer aux banqueroutiers étrangers qui envoient chez nous leurs marchandises pour les vendre au préjudice de notre commerce et de notre industrie ?
Un autre abus très grave qui a été aussi signalé comme résultant des ventes à l’encan, c’est la concurrence qu’à l’aide de ces ventes l’industrie étrangère soutient contre l’industrie nationale. Un fabricant étranger qui jouit dans son pays d’un système douanier réellement protecteur, qui peut vendre sur son marché à l’abri de ces lois, commence par vendre sur ce marché, à bon prix, une bonne partie des marchandises qu’il a fabriquées ; et quand il ne reste plus que celles rebutées, qu’il s’est remboursé de tous ses frais quelconques, qu’il a fait déjà un certain bénéfice, alors il se garde bien de gâter le marché de son pays en y vendant à tout prix ce qui lui reste, parce que les consommateurs étant fournis, il devrait baisser le prix pour en trouver la vente. Que fait-il ? C’est encore sur la Belgique qu’il dirige ces objets, parce que là on a toute liberté pour vendre d’une manière quelconque. Les Français, les Anglais, les Allemands nous envoient tous leurs fonds de magasin pour être vendus à l’encan, au grand détriment de l’industrie nationale et du commerce.
Je ne pense pas cependant que nos honorables adversaires, quand ils s’établissent les défenseurs de la liberté du commerce, veuillent défendre la liberté de vendre les objets volés ou les objets soustraits à leurs créanciers par de vils banqueroutiers, la liberté pour les fabricants étrangers de vendre sur nos marchés leur trop plain à vil prix. Je ne crois pas que ce soit cette liberté de commerce que nos adversaires prétendent défendre ; je les crois trop portés pour les intérêts de leur pays, pour croire que ce soit cette liberté qu’ils entendent défendre.
Quant aux autres ventes à l’encan, les articles 2 et 4 du projet donnent toute espèce de satisfaction, puisque les autres ventes sont exceptées. En effet, les ventes par cessation de commerce, par décès, par préemption légale, les ventes de mont-de-piété, sont exceptées des dispositions du projet de loi.
Quelques-uns ont pensé qu’en apportant des restrictions aux ventes à l’encan on porte coup à la liberté du commerce ; c’est au contraire en laissant subsister la liberté des ventes à l’encan qu’on tue la liberté du commerce, et qu’on tue non seulement la liberté de commerce, mais encore la liberté d’industrie et de travail, liberté à laquelle un peuple aussi actif, aussi industriel, aussi probe et aussi moral que le peuple belge, attache du prix avant tout.
Quant à l’objection qui s’appuie sur les intérêts du consommateur, il en a été si souvent fait justice dans cette enceinte que je ne dois pas devoir insister pour la réfuter. Les agriculteurs, les industriels, les commerçants de toute espèce, tous sont consommateurs et. producteurs, les uns à l’égard des autres. Dès lors ils se doivent mutuellement aide et protection, et je ne vois pas comment on pourrait isoler une classe de consommateurs de manière à ne la mettre en rapport avec aucune espèce de commerce ou d’industrie. En ce qui touche les ventes à l’encan spécialement, on ne pourrait citer aucune pétition qui nous soit venue de la part des consommateurs contre le projet de loi en discussion. Je crois même avec l’honorable M. A. Rodenbach qu’il ne se présenterait pas 12 personnes en Belgique pour pétitionner contre le projet de loi. Je crois que si l’on pouvait aller aux voix, si l’on pouvait recueillir les voix de tous les habitants de la Belgique, il n’y en aurait peut-être pas cent qui s’opposeraient au projet de loi. Mais, dit-on, nous en convenons, il y a des abus ; il y a nécessité de prendre des mesures restrictives contre les ventes à l’encan ; toutefois nous ne voulons pas des mesures que vous proposez, parce qu’apparemment elles sont trop efficaces. Messieurs, lorsqu’on veut la fin on doit toujours vouloir les moyens et surtout les moyens les plus efficaces. Ces moyens efficaces sont toujours les meilleurs lorsqu’il s’agit de combattre un mal.
Un honorable membre a parlé de substituer au projet de loi un droit d’enregistrement de 10 p. c. Mais ce droit d’enregistrement serait d’abord une mesure tout à fait illusoire, à raison même de la difficulté qu’il y aurait à le percevoir. Je crois que 1’honorable ministre des finances, qui cependant est le défenseur-né des intérêts du fisc, ne se montrera pas très jaloux d’accepter cet amendement car il y a tant de moyens d’éluder l’application du droit qu’il serait impossible d’arriver à percevoir seulement une partie raisonnable du droit dont la loi aurait pour but d’assurer la perception, sans augmenter infiniment les mesures de surveillance de l’administration des finances, sans une augmentation de personnel, et sans ajouter à cela des mesures éminemment vexatoires contre les contribuables, contre les consommateurs, des intérêts desquels cependant on a voulu se montrer si soucieux ; ensuite ce droit de 10 p. c. frapperait directement les consommateurs, parce que, bien qu’il ne fût pas payé, on en profiterait pour faire payer plus cher aux consommateurs. Ainsi vous voyez que ce droit va contre les intérêts de ceux dont on s’établit le défenseur. Ce droit sera surtout illusoire, en ce qui concerne les ventes à l’encan, auxquelles on a pour but de l’appliquer. Ces ventes que je viens d’énoncer viennent d’objets volés, d’objets soustraits par des banqueroutiers frauduleux, et de trop plein de magasins. Eussiez-vous un droit de 50 p. c., et pût-on le percevoir, cela n’arrêterait pas ces ventes, parce, que dans les trois espèces de ventes dont je viens de parler, tout est bénéfice pour le vendeur.
Mais, a-t-on dit, nous craignons qu’une fois qu’un pas aura été fait on ne veuille aller plus loin ; nous craignons qu’une fois que les ventes à l’encan illicites auront été interdites, on ne vienne ensuite pétitionner pour obtenir l’interdiction du colportage, des bazars et des foires. En ce qui touche le colportage, mon honorable ami M. Desmet a déjà, selon moi du moins, parfaitement répondu ; et je ne crois pas que parmi tous ceux qui soutiennent le projet de loi, il y en ait qui soient dans l’intention de demander plus tard qu’on défende le colportage ; car, contrairement aux ventes à l’encan illicites, le colportage produit quelque bien, produit même souvent du bien.
Quant aux foires, l’honorable préopinant qui a exprimé la crainte de leur voir appliquer l’interdiction a mal compris l’observation de l’honorable M. Mast de Vries. Il a cru que M. Mast de Vries avait présenté les foires comme faisant une concurrence redoutable aux marchands détaillants ; mais, au contraire, M. Mast de Vries a présenté une observation sur les foires qui est en faveur du projet. Il a dit que dans certaines villes où les foires sont nécessaires, où l’on vend à ces foires des objets de consommation générale, tels que des draps, il se trouvait autrefois jusqu’à 100 marchands détaillants qui venaient s’établir à la foire, où ils avaient à payer un droit de place indépendamment du droit de patente, et il a dit qu’aujourd’hui, grâce à la liberté illimitée des ventes à l’encan, ces marchands ne sont plus aux foires, et qu’au lieu de cent, c’est tout au plus si l’on en trouverait dix ou douze ; et pourquoi ? Parce que à côté de la foire, et pendant la foire, on vient vendre à l’encan des objets ou volés, ou provenant de banqueroutes frauduleuses ou des fonds de magasin. Loin donc que les honorables membres puissent exprimer des craintes de l’application aux marchands forains de l’interdiction demandée des ventes à l’encan, au contraire c’est en faveur des foires qu’on demande cette interdiction.
Pour ce qui est des bazars, je ne crois pas que personne en demande l’interdiction. Dans tous les cas, on ne pourrait la demander, car ce sont des magasins comme d’autres où l’on vend en détail, sauf que le prix est fixé et marqué sur la marchandise ; et combien de magasins de détail n’y a-t-il pas où le prix est fixé et marqué sur la marchandise !
D’ailleurs, j’ai, moi, une meilleure opinion des législatures futures. J’ai toujours vu la chambre voter selon sa conscience, rechercher ce qui est utile au bien-être et à la prospérité du pays ; je crois que les législatures futures feront de même. Si plus tard il arrive que l’on vote des restrictions à la liberté des foires, des bazars et du colportage, je croirai que ces mesures ont été dictées uniquement par l’intérêt général du pays, et que sans ce motif on n’y songerait pas ; comme maintenant nous demandons des restrictions à la liberté des ventes à l’encan, parce que nous croyons ces restrictions nécessaires dans l’intérêt général du pays, dans l’intérêt du commerce comme de l’industrie.
M. Lebeau. - Messieurs je m’expliquerai dans cette occurrence, comme dans toutes les autres, avec une entière franchise, et je proteste d’avance que mon intention n’est de blesser aucune susceptibilité. Je dois cependant rendre compte à la chambre de quelques circonstances qui ont précédé la présentation de mon amendement.
Lorsque j’ai manifesté, en dehors de cette enceinte, l’intention de combattre le projet de loi actuellement en discussion, des personnes qui me portent quelque intérêt m’engagèrent à ne rien faire. C’est, me disaient-elles, une tentative qui sera tout à fait infructueuse ; il n’en résultera rien, sinon quelques désagréments pour son auteur. Il s’agit, ajoutaient-elles, d’une question électorale, d’une question dans laquelle l’intérêt de localité exerce une influence extrêmement vive. Je me récriai, comme vous l’entendez bien, contre une semblable supposition, et je rappelai l’honorable indépendance avec laquelle chaque membre de cette assemblée soutenait son opinion, et la soutenait non seulement contre l’intérêt de localité, mais même contre le pouvoir. A cela on me répondit : Prenez-y garde, l’opposition au pouvoir est exempte de grands périls, et chacun s’en passe volontiers la fantaisie : mais il n’en est pas de même de l’opposition aux opinions, aux intérêts des collèges électoraux ; tel qui se donne le plaisir facile et sût de braver le pouvoir, est fort humble et fort docile devant les électeurs.
Or, les détaillants sont en grande majorité dans les collèges électoraux ; ils y sont plus nombreux, plus actifs, moins reconnaissants ou moins oublieux que les consommateurs. Je me récriai de nouveau, et avec plus d’énergie ; je regardai cette supposition comme gratuitement injurieuse pour la chambre, et la preuve que j’en pense ainsi, c’est que j’ai déposé mon amendement. Après ces considérations, que je livre aux méditations de mes collègues, et qui ne sont pas aussi éloignées de mon objet qu’on pourrait le croire, j’entre en matière.
La chambre a sous les yeux mon amendement. Il tend à remplacer non seulement le projet de la section centrale qui est une extension monstrueuse de la proposition du gouvernement ; mais il tend encore à remplacer le projet du ministre de l’intérieur, qui, dans cette circonstance, comme en général dans toutes les autres, et une fois le principe admis, se tient dans les bornes d’une sage modération.
Je vais dans ma proposition plus loin peut-être que je ne devrais aller pour maintenir le principe des ventes à l’encan. J’aurais dû n’élever le droit qu’à 5 p. c. ; mais j’ai voulu par une concession un peu large préparer les voies à un système de conciliation.
La première objection que j’aie entendu faire contre mon amendement, c’est l’impossibilité de son exécution. J’avoue que j’ai peine à comprendre la force de cette objection : comment mon amendement serait-il inexécutable ? Est-ce qu’aujourd’hui les ventes à l’encan se font gratuitement ; est-ce qu’elles ne se font pas sous la condition de la perception d’un droit d’enregistrement ?
Pourquoi la surveillance fiscale ne s’exercerait-elle pas efficacement sur ces ventes, comme elle s’exerce en général sur les ventes plus nombreuses d’objets mobiliers, sur les ventes de meubles, sur les ventes de fruits pendants par racines, sur les ventes d’arbres, lesquelles ont lieu, en général, dans les localités où ne résident pas de préposés du fisc, et où ils doivent se transporter ? L’objection prouve beaucoup trop et ne prouve rien par conséquent ; car si aujourd’hui personne ne se plaint de l’inexécution de la loi, si le droit étant fixé à un demi p. c. il se perçoit, il me semble que la sollicitude du gouvernement sera bien autrement éveillée quand on aura donné au fisc l’appât d’un droit de dix p. c.
D’où vient donc qu’il n’y aurait pas possibilité de surveiller les ventes à l’encan et la perception d’un droit élevé ? Est-ce par la facilité de substituer de la marchandise neuve à une marchandise déjà entamée ? Mais si cela est vrai dans le système de mon amendement, cela est vrai dans le système de la loi ; et vous ne pouvez faire cette objection contre mon amendement sans qu’elle ne retombe de tout son poids sur le projet de loi.
Pour qu’il n’y ait pas fraude, pour qu’il n’y ait pas substitution à des marchandises neuves, de marchandises vieilles, il faut une surveillance ; s’il faut une surveillance, il faut des préposés.
Voilà comment je crois pouvoir faire justice de l’objection dirigée contre mon amendement.
Cette objection tombe encore devant l’article nouveau que je viens de déposer sur le bureau de la chambre. Dans cet article, je cherche à combiner le principe des ventes à l’encan avec une salutaire surveillance, et je la place dans le pouvoir dont seraient investis les conseils communaux pour constater la bonne qualité des marchandises mises en vente, pour faire des règlements concernant la matière, pour faire au besoin la désignation des préposés ou des officiers ministériels auxquels serait confiée l’exécution des ventes à l’encan.
Veut-on que ce soit les notaires seuls qui, dans quelques localités, soient chargés de la direction des ventes à l’encan ? Eh bien, les conseils communaux en délibéreront ; et s’ils jugent que cette garantie est efficace, ils la proposeront au gouvernement.
On pourrait créer des officiers priseurs si l’on veut : un règlement communal permettrait de créer, avec l’approbation du gouvernement, des commissaires priseurs ; et vous auriez ainsi la garantie que présentent des hommes probes et reconnus pour tels. Vous auriez encore par ce moyen prévu l’impossibilité qu’on a alléguée, de surveiller l’exécution du système que j’ai proposé.
Je ne reviendrai pas sur les considérations que j’ai développées dans la séance d’avant-hier en faveur de mon amendement ; je prie mes collègues de se les rappeler ; je leur recommande surtout le discours de l’honorable M. Corneli, qui a examiné tout le système de la loi, et les objections pleines de justesse présentées par l’honorable député de Bruxelles mon collègue.
Répondrai-je au reproche de contradiction qui m’a été adressé par un autre honorable député de Bruxelles ? J’aurais, dit-il, dans une circonstance récente, soumis à la chambre un projet de loi qui porterait une bien autre atteinte à la liberté de l’industrie que l’interdiction des ventes à l’encan ; il s’agit d’un projet de loi sur la police des cabarets que je prendrai en mûre considération, en attendant l’effet de la loi sur les débitants de boissons. Mais l’objection fût-elle vraie, je n’en repousserais pas moins la prohibition des ventes à l’encan, parce que je crois ce projet inique. Ce n’est pas comme inconstitutionnel que je combats ce projet ; et si par malheur il était adopté par vous, je ne pense pas que vous auriez rien fait contre la constitution ; seulement j’aurais peine à ne pas rester convaincu que vous auriez pris une mesure dépourvue d’équité.
Je crois que dans des intérêts d’ordre public et de morale on peut apporter des restrictions à l’industrie, et que ces restrictions peuvent se concilier avec le texte et l’esprit de la constitution ; la constitution n’a pas placé la liberté du commerce sur la même ligne que la liberté de la presse et la liberté de l’enseignement. Mais la restriction qui, par parenthèse, est ici l’interdiction, ne me paraît pas justifiable. On vous a cité l’exemple de la France ; mais en France il n’y a rien de semblable à ce que propose aujourd’hui la section centrale. Si mes renseignements sont exacts, toutes les fois qu’en France on a tenté d’obtenir une loi pour l’interdiction absolue des ventes à l’encan, la chambre des députés a passé à l’ordre du jour sur les pétitions faites dans ce but.
Je sais que depuis peu on est revenu à la charge ; je sais que le conseil général du commerce et des manufactures a annoncé le projet de s’adresser à la législature pour obtenir une loi contre les ventes à l’encan ; je sais de plus que la connaissance de ce projet vient d’inspirer à quarante négociants de Perpignan l’idée toute naturelle de demander la proscription du colportage. Voilà où une première démarche conduit. Ainsi, en invoquant l’intérêt général, avec l’intérêt général en aide, il y a un moyen d’arriver à tout, de tout faire ; aujourd’hui on prohibe les ventes à l’encan ; l’année suivante, à l’aide de l’intérêt général on détruira le colportage, plus tard on détruira les bazars : c’est ainsi que l’on progresse.
Un membre. Il y a un milieu !
M. Lebeau. - Je sais qu’il y a un milieu ; ce n’est pas à moi, qu’on a si souvent qualifié d’homme du juste milieu, à l’ignorer. Quoi qu’il en soit, je sais aussi que quand on s’engage dans une voie, quand on se lance sur une pente rapide, on n’est pas toujours maître d’enrayer, de s’arrêter.
Je dis, messieurs, que, dans le système des partisans de la loi, vous ne pourrez pas vous borner à proscrire les ventes à l’encan, parce que, quand vous les aurez proscrites, vous n’aurez rien fait.
Je vais me placer un instant dans la supposition la plus favorable aux défenseurs du projet de loi ; j’admets un instant (et je l’admets bien gratuitement) que les ventes à l’encan ne s’alimentent que de vols et d’escroqueries ; eh bien, prohibez tant que vous voudrez les ventes à l’encan, vous n’aurez rien fait, car celui qui est muni d’objets de banqueroutes frauduleuses, d’objets volés, s’établira dans l’une ou l’autre de nos villes ; il inscrira sur son enseigne : 50 p. c., 25 p. c. de rabais sur le prix de facture, et il exercera ainsi une concurrence tout aussi nuisible pour les détaillants que les ventes à l’encan. Il est notoire qu’à Bruxelles, par exemple, on vend aujourd’hui des gants, par dizaine ou par paire, à 25 p. c. de rabais ; à Dieu ne plaise que je regarde les marchandises auxquelles je fais allusion, comme débitant des marchandises qui n’auraient pas été acquises d’une manière parfaite, licite, une semblable supposition est loin de ma pensée ; mais ils pourront facilement se défaire des marchandises qu’ils auraient soustraites à leurs créanciers ; que c’est là un commerce qui fait autant de mal aux détaillants que les ventes à l’encan. Il faudra donc aussi proscrire ce commerce ? Car on ne veut pas sans doute que la loi se réduise à quelques lignes sur le papier ; ceux qui veulent la loi veulent quelque chose de positif. Dès lors, la loi il s’agit ne sera qu’un premier pas dans un système de prohibition de toute espèce.
Remarquez, messieurs, que s’il s’agit d’objets provenant de banqueroutes frauduleuses, de vols, ces objets sont ordinairement en assez grande quantité, et que par conséquent on pourra encore les vendre à l’encan, malgré la loi qui nous occupe ; seulement on les vendra pas quantités un peu plus fortes que la loi ne le dira ; si c’est du drap, par exemple, au lieu de le vendre à l’aune, on le vendra pas pièce, et ainsi de suite pour toutes les autres marchandises. Vous le voyez donc, messieurs, pour atteindre le but que se proposent les défenseurs du projet, il faut aller bien plus loin que n’est allé M. le ministre de l'intérieur, que n’est allée même la section centrale.
Je vous ai dit, messieurs, que vous n’en resteriez pas là, que le colportage aurait son tour, et je vois, en effet, que c’est là l’espoir dont se nourrissent ceux qui se sont adressées à nous pour provoquer la loi ; j’ai en main une pétition par laquelle on demande l’interdiction, non pas seulement des ventes à l’encan mais aussi de toutes les ventes à prix fixe, de celles-là même dont je viens d’entretenir la chambre ; c’est la pétition de Wavre, et voici ce que j’y lis : (L’orateur donne lecture d’un passage de cette pétition.)
Vous voyez, messieurs, où veulent en venir ceux qui demandent des restrictions ; donnez-leur gain de cause, en prenant une première mesure contre les ventes à l’encan, et bientôt le bureau de la chambre sera encombré de réclamations contre une foule d’autres modes d’exercer le commerce.
L’honorable M. Donny a dit, dans une séance précédente, qu’on lui avait écrit (je remarque que dans ces occasions on a toujours des correspondances particulières à invoquer) que si les ventes à l’encan ne sont pas immédiatement prohibées, avant six mois le quart des marchands d’une de nos villes auront fait faillite, et qu’un autre quart se seront retirés du commerce ; depuis que la cour de cassation a décidé que les règlements communaux concernant les ventes à l’encan ne peuvent avoir force de loi sous l’empire de la constitution, c’est-à-dire depuis quatre ans, l’état de choses actuel existe, et cependant nous n’avons pas vu se réaliser des catastrophes comme celles dont nous menace l’honorable membre ! Que voyons-nous si nous recourons à la statistique, qui fait souvent bonne justice des exagérations parlementaires ? La statistique nous apprend que le produit des patentes va croissant chaque année ; or ce ne sont pas certainement les ventes à l’encan qui donnent lieu à cette augmentation, puisqu’à entendre l’honorable M. Rodenbach, les directeurs de ventes publiques, ces espèces d’ogres, ces espèces de vampires du commerce régulier, se réduisent à une douzaine pour tout le royaume ; l’accroissement du produit des patentes prouve donc que le grand nombre des commerçants ne sont pas près de faire faillite, qu’il n’y a pas de désertion parmi ceux qui exercent les professions commerciales, que de nouveaux magasins s’ouvrent. Ce sont là, messieurs, des données beaucoup plus sûres que celles qu’on veut faire résulter des renseignements fournis à l’honorable M. Donny.
« Mais, dit le même orateur, ces ventes se composent en général de rebuts, d’objets avariés. » En vérité, les consommateurs sont bien aveugles, ce sont des gens bien simples, s’il leur est impossible de voir quelle peut être la qualité bonne ou mauvaise d’une marchandise ! Mais enfin, me plaçant dans cette supposition, faisant cette concession que la plupart des consommateurs sont tellement aveugles, tellement bornés, qu’ils se laissent tromper par le premier charlatan qui leur montre du papier pour du drap (comme l’a dit l’honorable membre), admettant, dis-je, cette supposition, je préviens la fraude par l’article 3 nouveau que j’ai déposé et qui permet aux administrations communales de faire des règlements à cet égard. Les conseils communaux pourront exiger, par exemple, que les marchandises destinées à être vendues soient exposées pendant plusieurs jours à l’examen des amateurs. Si de semblables mesures ne suffisent pas, si après cela il y a encore des gens qui achètent, comme l’a avancé l’honorable député d’Ostende, du papier pour de l’étoffe, alors je dis que ceux-là veulent être trompés et qu’il n’y a pas moyen de les empêcher de faire des sottises.
Si j’examine ensuite la moralité de la loi, considérée en principe, si je me demande ce qu’on dit pour la justifier, j’entends parler d’utilité, j’entends invoquer l’intérêt général : je dis d’abord que cette utilité est très contestable, et que si les consommateurs avaient voix ici, s’ils avait autant de voix pour les défendre qu’en trouvent les producteurs ou les vendeurs, nous pourrions bien entendre un langage tout différent de celui que nous entendons. Mais n’est-ce donc ici qu’une question de nombre ? N’est-ce pas aussi une question de justice ? Est-ce que parce que les citoyens qui exercent la profession de directeurs de ventes sont en petit nombre dans le royaume qu’il faut les compter pour rien ? Depuis quand faut-il être nombreux pour obtenir justice ? « Je conviens, dit l’honorable M. Rodenbach, qu’il y a quelques personnes dont la loi pourra froisser les intérêts privés ; mais la classe nombreuse des marchands en détail en profitera, mais l’intérêt général en profitera. » C’est-à-dire que l’intérêt du petit nombre sera sacrifié à l’intérêt du grand nombre ; je ne pense pas, messieurs, qu’on puisse justifier une loi par de semblables arguments ; je crois qu’une loi doit avant tout reposer sur la justice, sur l’équité ; que nous devons justice au petit nombre, tout comme à la majorité du pays.
On a dit, messieurs, qu’on ne voulait pas anéantir la faculté de faire des ventes à l’encan, qu’on voulait seulement en modérer l’exercice, en prévenir les abus ; qu’on voulait non détruire, mais restreindre. Toutes ces protestations sont vaines, messieurs ; ce qu’on veut réellement, c’est détruire, c’est anéantir complétement la faculté de vendre à l’encan, et alors il serait plus digne de la chambre de formuler la loi de cette manière : « A partir de telle époque, les ventes à l’encan seront interdites dans tout le royaume de Belgique. »
M. Bekaert. - Ce n’est pas possible.
M. Lebeau. - C’est tout aussi possible que ce qu’on nous propose, et ce serait exprimer d’une manière plus claire ce que veulent les partisans de la loi et entre autres l’honorable M. Bekaert qui m’interrompt, car voilà ce que disait cet honorable membre dans une séance précédente :
« Il ne suffit pas susciter des entraves au mal ; il faut le détruire et l’empêcher de renaître ; c’est un poison qui ronge, qui mine, qui détruit, etc., etc. » (Explosion d’hilarité.)
Voilà ce que veut l’honorable M. Bekaert ; eh bien ! que tous les membres qui soutiennent le projet s’associent à la franchise de cet honorable député ; qu’ils disent avec lui : « C’est un poisons qui ronge, qui mine, qui détruit ; il faut l’anéantir ! » (On rit.)
« Il n’y a pas eu, dit-on, de réclamations sous le régime des règlements antérieurs. » Mais, messieurs, il est facile de comprendre que le petit nombre de voix intéressées à réclamer contre ces règlements ont été étouffés par le grand nombre des intérêts contraires ; cependant les personnes qui se trouvaient lésées par les règlements dont il s’agit ne sont pas tout à fait résignées, et la preuve, c’est qu’aussitôt qu’elles ont pu espérer quelque succès de leurs démarches, elles se sont adressées au pouvoir judiciaire pour obtenir la liberté de leur industrie. « A Bruxelles, vous a dit un honorable préopinant, à Bruxelles, quelques individus dont l’intérêt particulier se trouvait lésés par les ordonnances, ayant été traduits devant les tribunaux, se sont avisés de vous dire (voyez l’audace !) (on rit) que ces règlements étaient contraires à la constitution. » Oui, messieurs, ils ont eu cette audace, et ils ont bien fait, car les tribunaux ont décidé qu’ils avaient raison ; les tribunaux n’ont pas trouvé qu’ils fussent si mal avisés, car ils leur ont donné gain de cause. Les intérêts qu’on veut frapper aujourd’hui ne se sont donc pas résignés, car ils ont saisi la première issue légale qui leur fût ouverte.
Me résumant, messieurs, je dis : Je reconnais, avec les partisans du projet de loi, que les détaillants, lesquels j’appellerai, si vous le voulez, le commerce régulier, ne sont pas sur la même ligne que les directeurs de ventes à l’encan, que j’appellerai, si vous le voulez, le commerce exceptionnel et non pas irrégulier, car il est tout aussi régulier, tout aussi légal que l’autre ; je crois qu’il faut une protection pour le commerce régulier, permanent, qu’il faut équilibrer les charges, et cette protection, je pense l’avoir peut-être exagérée ; car ceux qui se sont occupés de ces questions estiment que le maximum raisonnable était de 5 p. c. J’ai proposé 10 p. c. ; en proposant ce droit, j’ai voulu, je le répète, messieurs, faire une tentative de conciliation ; je ne me suis pas arrêté là : j’ai chargé, par la loi, les administrations toutes paternelles des villes et des communes de faire, sous le contrôle du gouvernement, en qui j’ai une pleine confiance sous ce rapport, des règlements qui préviennent la abus attachés aux ventes à l’encan, par des exhibitions par la vérification des objets exposés, par la désignation, si l’on veut, des officiers ministériels qui seront chargés de diriger ces ventes, Mais je ne crois pas qu’on puisse aller plus loin, sans commettre une injustice, sans s’exposer peut-être à donner quelque peu de crédit aux suppositions injurieuses dont j’ai entretenu tout à l’heure la chambre et contre lesquelles, pour mon compte, je me suis énergiquement élevé.
M. le ministre de l’intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - Messieurs, avant d’aborder les diverses objections qui ont été faites contre le projet de loi, je crois qu’il n’est pas inutile de répondre quelques mots aux observations qu’on a présentées, relativement à ce qui se passe en France sur la matière.
Je dirai d’abord que depuis les temps les plus reculés, une interdiction, semblable à celle qui a été adoptée par les régences de nos villes commerçantes, ensuite d’un arrêté royal de 1815, a existé en France, au sujet des ventes à l’encan.
M. Lebeau. - Mais on demande d’une interdiction totale.
M. le ministre de l’intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - Je répondrai à cela, il n’y a rien d’innové.
Je dis, messieurs, que des mesures semblables ont existé en France, et que dans l’opinion du gouvernement français, ces mesures existent encore ; j’en ai pour témoin une circulaire adressée par le garde des sceaux aux diverses autorités judiciaires sous la date du 8 mars 1829.
Dans cette circulaire, on signale l’abus qui a été fait relativement à l’usage qui commençait à s’introduire, des ventes à l’encan, contrairement aux dispositions existantes. Les abus qu’on fait connaître dans cette circulaire sont en général les mêmes que ceux qui ont été exposés à l’appui du projet de loi, ou qui ont été signalés dans le cours de la discussion.
La circulaire se termine par une interdiction formelle à tous les officiers publics de procéder à ces ventes, hors les cas prévus de cessation de commerce et de faillite.
Il est vrai que la jurisprudence est partagée en France sur la valeur des dispositions qui ont été invoquées dans cette circulaire, et nous avons lieu de croire que c’est dans l’attente que la jurisprudence soit complétement fixée sur ce point qu’on s’est abstenu de présenter une disposition nouvelle.
Je disais que le projet de loi n’est pas une nouveauté. En effet, le projet de loi ne renferme d’autres principes que ceux qui ont été adoptés par toutes les régences des villes, en suite de 1’arrêté du gouvernement précédent de 1815.
Ce n’est donc nullement un projet nouveau que nous cherchons à établir, nous avons été conduit à vous présenter le projet de loi, parce que récemment la cour de cassation, interprétant la loi de 1819 sur les patentes, a pensé que cette loi se trouvait en opposition avec les règlements existants ; depuis que ces arrêts ont été rendus, l’usage des ventes à l’encan a repris vigueur, et il s’étend journellement. Maintenant qu’on peut considérer cette jurisprudence comme fixée et qu’elle est généralement connue, les ventes à l’encan prennent de jour en jour plus d’extension ; cette extension deviendra plus grande encore à mesure que le commerce régulier des marchands détaillants se trouvera ruiné davantage ; et que les fabricants eux-mêmes ne trouvant plus parmi les marchands détaillants des placements aussi avantageux, seront obligés de recourir eux-mêmes aux ventes à l’encan, par l’intermédiaire d’officiers publics.
Il est à remarquer que cette mesure qu’on qualifie d’illibérale a été prise sous un gouvernement qui portait au suprême degré le principe de la liberté commerciale ; qu’elle a même reçu son application dans la ville d’Anvers qui a toujours été signalée par les principes pratiques de la liberté commerciale ; et que récemment encore la régence de cette même ville s’est associées aux réclamations des nombreux marchands détaillants qui se sont adressés à la chambre.
Au surplus, je vois que nous ne sommes guère en désaccord sur le principe, c’est plutôt sur les moyens à employer que nous différons. Car, qu’on veuille bien le remarquer, le droit de 10 p. c. qu’on propose est en quelque sorte un droit prohibitif, à l’exception de certaines circonstances, telle, par exemple, que celle d’un marchand décidé à faire faillite, qui recourrait à une vente à l’encan, pour débiter promptement ses marchandises, et pour réaliser des fonds. Mais il est certain qu’un droit de 10 p. c. peut être régulièrement considéré comme un droit prohibitif. Dès lors, puisqu’au fond l’on veut une prohibition déguisée, pourquoi ne pas adopter simplement la prohibition, dans les limites que nous avons nous-mêmes indiquées, soit quant au nombre, soit quant à la valeur des objets composant les lots ; car nous ne défendons d’une manière absolue et sans restriction les ventes à l’encan ; nous ne les défendons que dans certaines limites.
On nous a objecté que nous nous sommes constamment montrés opposés aux droits prohibitifs en matière de douanes, et qu’en cette circonstance nous paraissons être en contradiction avec nos précédents. Il y a ici erreur complète. D’abord, en ce qui concerne le système des douanes, nous pensons que l’intérêt même du pays exige que les étrangers puissent faire le commerce avec la Belgique ; qu’ils puissent y envoyer leurs marchandises, si nous voulons de notre part conserver des débouchés à l’étranger. Le commerce doit être réciproque : nous ne pouvons prétendre prohiber les marchandises étrangères, et livrer les nôtres à l’exportation.
En outre, nous avons toujours considéré que la prohibition, en matière de douanes, est une véritable illusion, parce que c’est une mesure sans sanction, à moins qu’on n’organise en même temps les recherches à l’intérieur et tous les moyens onéreux qu’exige la stricte observation de la prescription de la loi, lorsqu’elle est prohibitive.
Mais il n’en est pas le même des ventes à l’encan, rien n’est plus facile que de s’assurer de l’exécution des dispositions du projet qui vous est soumis.
Messieurs, en ce qui concerne le droit de 10 p. c. outre qu’au fond il reviendra aux mêmes résultats que notre projet, il se présente une objection très sérieuse, qui a été soulevée par plusieurs députés ; je veux parler des moyens d’exécution, pour assurer la perception des 10 p. c. Ainsi, messieurs, il faudrait en cette circonstance une surveillance extrêmement active, pour prévenir la fraude.
Mais, nous dit-on, il existe déjà aujourd’hui un droit d’enregistrement sur les ventes publiques d’objets mobiliers ; ce droit est perçu, et il ne donne pas lieu à la fraude que l’on craint relativement aux 10 p. c. Remarquez qu’il y a une différence énorme entre l’amendement de M. Lebeau et le droit d’enregistrement qui existe actuellement. Le droit actuel n’est que d’un demi p. c ; indépendamment de cela, il est stipulé que toutes les marchandises exposées en vente, et dont la vente n’est pas réalisée, n’en supportent pas moins la moitié du droit, c’est-à-dire 1/4 p. c.
Or établira-t-on le droit de 10 p. c. sur les lots non adjugés. Si c’est ainsi qu’on l’entend, c’est renforcer la prohibition indirecte et déguisée qu’on propose sous la forme d’un droit de 10 p. c. Si, au contraire, le droit le 10 p. c. n’est pas perçu sur les lots non adjugés, il est évident que vous ouvrez la porte la plus large et la plus facile à la fraude.
Pour nous, nous avons pensé qu’il valait mieux exprimer et formuler nettement notre opinion dans le projet de loi ; que puisque nous voulions apporter un remède aux abus qui se commettent au moyen des ventes à l’encan, il fallait nettement proposer ce remède, qui est celui qu’ont adopté les anciens règlements des régences.
L’on a manifesté les craintes qui ne nous ont paru nullement fondées en ce qui concerne la disposition qu’on pourrait réclamer ultérieurement pour prohiber le colportage, l’établissement de bazars, celui des foires et marchés.
Messieurs, nous avons été nous-mêmes au-devant de ces prévisions, car dans l’exposé des motifs nous avons indiqué le colportage, les foires et marchés comme des moyens d’une concurrence légitime avec les marchands domiciliés. Ainsi, il n’est nullement entré dans notre pensée de prêter jamais l’oreille aux plaintes qui pourraient s’élever contre le colportage, contre les foires et marchés.
Mais, messieurs, ces moyens de concurrence ne sont pas aussi dangereux pour le commerce régulier que les ventes à l’encan. En effet, le colportage n’est pas entouré de tous les prestiges, de tous les moyens frauduleux, par lesquels on cherche à faire valoir la marchandise exposée à l’encan. Au moyen du colportage, la marchandise est présentée à domicile, chacun a le moyen de la vérifier à l’aise ; le marchand colporteur a une réputation à conserver, s’il veut avoir des chalands.
Quant aux foires et marchés, ce sont les mêmes marchands qui se présentent périodiquement aux foires des mêmes villes ; ils ont également une réputation à conserver. L’acheteur a plus de facilité pour vérifier les marchandises offertes dans une foire que celles offertes dans une vente à l’encan. En outre, les foires et marchés ne se représentent qu’à des époques fixes, l’objet est connu à l’avance, les détaillants ne sont pas pris à l’improviste, ils ont pu prévoir qu’à telle époque ils rencontreraient une concurrence. Mais, pour les ventes à l’encan, il n’en est pas de même. Il arrive qu’à une époque de l’année où tous les marchands ont dû s’assortir pour fournir leurs pratiques, on annonce des ventes à l’encan ; les approvisionnements des marchands deviennent inutiles ; il devient impossible aux marchands de faire face à leurs affaires, et leur ruine est bientôt consommée. Par cette considération, on ne doit pas avoir égard aux avantages que le trésor pourrait retirer d’un droit de 10 p. c. dont on frapperait les ventes à l’encan. Cette recette ne s’opérerait que sur la ruine des marchands établis ; ce serait une recette fatale à l’intérêt du pays. Au surplus, il n’est pas douteux que le nombre des marchands domiciliés diminuerait, et le trésor éprouverait une réduction sur le produit des patentes.
Que la situation des marchands domiciliés soit fâcheuse en présence des ventes à l’encan, c’est ce qui ne peut être douteux pour personne. L’expérience des mesures prises à une autre époque par les régences démontre l’utilité de celles qu’on vous propose aujourd’hui. En France et dans d’autres pays, des mesures restrictives des ventes à l’encan ont aussi été prises.
L’on a dit que les marchands détaillants avaient quelquefois recours à des ventes à l’encan pour se procurer des ressources dans des moments de gêne. Mais ce n’est pas le seul moyen. Nous maintenons le colportage, l’établissement des bazars ; nous laissons également dans toute latitude les foires et marchés. Quant aux manufacturiers, nous pensons que leur intérêt est le même que celui des marchands détaillants, parce que le manufacturier a intérêt à avoir des marchands sur lesquels il puisse compter pour le placement de ses marchandises et dont la situation de fortune lui soit connue. Il ne lui importe nullement d’avoir pour principale ressource les ventes à l’encan où les marchandises seront souvent dépréciées, dont le succès sera toujours plus ou moins incertain.
En ce qui concerne l’intérêt du consommateur, il nous paraît clairement démontré qu’il consiste à ce qu’il y ait des marchands domiciliés nombreux, bien approvisionnés. C’est là qu’il trouvera une concurrence légale, des sûretés pour ses acquisitions.
Je le demande, y a-t-il un seul pays comparable à la Belgique, sous le rapport de la facilité des approvisionnements du consommateur ? Il y a un nombre infini de boutiques dans toutes les villes et dans les principales communes ; il y a des facilités extraordinaires pour se rendre à tel ou tel lieu de vente, si l’on ne trouve pas à s’approvisionner convenablement au lieu de son domicile. Il y a les colportages qui offrent d’amples ressources aux consommateurs qui ne veulent pas se déplacer.
Toutes les considérations se réunissent pour l’adoption d’un remède certain d’une application facile, de préférence à un remède incertain et d’une exécution difficile, qui, s’il est réel, si l’exécution s’en fait, équivaut aux dispositions que nous proposons sauf qu’il laisse une porte ouverte à ceux qui, pour faire faillite, voudraient se défaire de leurs marchandises instantanément et en emporter le prix.
M. Coghen. - Je regrette de ne pouvoir partager l’opinion de l’honorable M. Lebeau et appuyer les amendements qu’il a proposés et développés d’une manière si éloquente.
Messieurs, au début de cette discussion, il semblait que le projet du gouvernement, amendé par la section centrale, mettait en péril la liberté du commerce. Mais ces opinions se sont modifiées, et les honorables collègues qui les avaient émises, ont eux-mêmes demandé des dispositions restrictives des ventes à l’encan. Moi aussi, je veux la liberté du commerce, mais je veux cette liberté qui ne ruine pas, qui soit utile à tous et ne procure pas à l’intrigant, à l’homme de mauvaise foi, qui prémédite de mauvaises affaires, le moyen de faire de nombreuses victimes ; je veux une liberté de commerce qui protégé l’honnête bourgeois, l’honnête homme, le père de famille qui doit vivre du débit de son petit commerce et qui parfois se trouve ruiné par les ventes à l’encan qui se font dans la localité où il avait eu l’espoir de trouver des moyens d’existence, dans le commerce qu’il y avait établi.
Un honorable membre qui a cessé de faire partie de la chambre, à qui vous accordiez estime et confiance, m’a dit que dans deux localités du Hainaut, le commerce de détail était ruiné pour trois ans par suite des ventes à l’encan qu’on y a faites successivement. Ces ventes font la désolation du détaillant, causent beaucoup de craintes au commerce et au manufacturier, parce qu’elles donnent trop de facilités pour préparer des faillites.
Des dispositions existaient autrefois contre ces sortes de ventes, et je n’ai jamais vu qu’elles fissent l’objet d’aucune réclamation La cour de cassation a rendu un arrêt déclarant permises les ventes publiques à l’encan ; aussitôt des réclamations se sont élevées de la part des chambres de commerce, car j’ai vu une pétition signée par les commerçants les plus honorables de la ville de Bruxelles. Les régences qui, dans leur paternelle administration, sont à même d’apprécier les besoins de leurs administrés, ont aussi réclamé des dispositions contre les ventes à l’encan.
Abandonner à des règlements locaux le soin de régler les ventes à l’encan, s’il n’y a pas de dispositions générales, serait un moyen illusoire parce qu’à côté des grandes villes, dans de petites localités où on n’aurait pas pris de mesures, les ventes se feraient sans obstacles, et on éluderait ainsi les dispositions prises.
Quant au consommateur, il n’aura à craindre aucun monopole par suite de la suppression des ventes à l’encan, parce que le nombre de détaillants de tous les objets désignés dans le projet de loi est assez grand, indépendamment du colportage, des foires publiques, des bazars, des marchands ambulants, pour garantir que le consommateur ne sera pas victime de la trop grande exigence des détaillants.
Dans un pays voisin, en France, les dispositions sont absolues ; en Hollande, on ne permet pas la vente à l’encan de marchandises neuves ; quand on la permet, c’est dans des locaux désignés avec l’autorisation des autorités locales.
Un honorable membre m’a interpellé, m’étant déclaré partisan de la loi ; de dire mon opinion sur un grand établissement qui fait périodiquement des ventes publiques à l’encan. Je répondrai que je n’ai connaissance de ces ventes que par les avis que les journaux en ont donnés. Je ne suis ni directeur, ni administrateur, ni commissaire de cet établissement ; je n’ai aucune autorité, aucune influence sur sa manière de procéder. Je sais seulement que comme c’est le premier établissement qui a travaillé le sucre indigène en Belgique, il a été obligé de recourir aux ventes publiques pour dissiper les préventions que des intérêts opposés cherchaient à propager. Si cet établissement se permettait de vendre par quantités moindres de 500 kil., je serais le premier à réclamer, dans l’intérêt du commerce de détail, des dispositions dans la loi.
M. Maertens, rapporteur. - Comme rapporteur de la section centrale, je demanderai la permission de développer les motifs qui me déterminent à adopter le projet qui vous est soumis. Si je le fais, ce n’est pas pour me rendre populaire, comme un honorable membre a semblé l’insinuer ; c’est parce que la nature de mes fonctions m’a mis à même d’apprécier les justes plaintes que le commerce fait entendre depuis six ans, parce que j’ai suivi de près la matière, et que j’ai acquis la conviction que la loi qui nous est présentée est nécessaire pour prévenir les abus qui existent et les désordres qui se sont déjà manifestés. Car chez nous des désordres, des commencements de pillages ont eu lieu. Le public, indigné d’avoir été trompé, a commencé le pillage des marchandises du vendeur dont il avait reconnu la fraude ; l’autorité judiciaire a dû intervenir pour arrêter le pillage, et l’autorité locale a dû, pour mettre un terme à ces ventes scandaleuses, suspendre les ventes à l’encan, dans l’intérêt de la sûreté publique.
Tels sont les abus qui ont eu lieu. Ce sont ces abus qui me déterminent à appuyer les mesures que l’on nous propose pour en prévenir le retour.
Une chose qui m’étonne, c’est que des membres se soient levés dans cette enceinte pour combattre un projet de loi qui est généralement réclamé depuis quatre ans, et qui a été accueilli par tout le pays avec bienveillance.
Et, messieurs, ce ne sont pas seulement les détaillants qui se sont élevés contre l’abus des ventes à l’encan, c’est le commerce entier, ce sont les chambres de commerce en masse qui se sont adressées au gouvernement et au pouvoir législatif, et à ces autorités se sont jointes les régences de toutes les villes un peu populeuses du royaume. Ce ne sont pas là des intérêts privés qui parlent, ce sont des autorités irrécusables parfaitement à même d’apprécier les besoins du commerce et du consommateur. Je prie nos adversaires de vouloir bien y réfléchir plus mûrement qu’ils ne l’ont fait jusqu’ici.
Mais ce qui m’étonne bien davantage encore, c’est de voir critiquer un projet sanctionné par l’expérience, et qui pendant 20 ans a satisfait à tous les besoins sans donner lieu à aucune plainte ; car le projet de loi n’est que la reproduction des divers règlements pris par les villes populeuses sous le roi Guillaume. Sans doute un pareil système doit être préféré à son système d’essai que l’on met en avant et qui serait tout à fait illusoire, comme je le démontrerai tout à l’heure ; mais si quelque chose doit rassurer le commerce, et doit rassurer sur le sort de la loi, c’est que les arguments présentés contre le projet ne sont vraiment pas des arguments. Quelque chose a-t-il pu faire croire que cette loi serait un acheminement à l’interdiction du colportage dans les foires et dans les bazars ? Qu’y a-t-il de commun entre les ventes à l’encan et le colportage nécessaire aux habitants des campagnes pour un grand nombre de produits qu’ils ne trouvent pas chez eux ? Est-ce qu’on n’a pas le temps d’examiner les marchandises achetées soit à un colporteur soit dans les foires ? Y a-t-il quelque chose de semblable dans les ventes à l’encan ? Elles ont lieu dans les grandes villes à côté des marchands établis, par de nombreux appels au peuple elles cherchent à abuser de la crédulité du public ; on n’a pas le temps d’examiner les marchandises en vente, on achète sans avoir vu, et quand on voit on regrette d’avoir acheté.
Je ne m’étendrai pas sur la question de constitutionalité ou d’inconstitutionnalité du projet, les auteurs mêmes de cette observation en ont fait justice, je puis donc me dispenser d’en parler.
Si je m’attendais à voir combattre le projet, je dois m’étonner de ce que les arguments qu’on a opposés n’ont été tirés d’aucun intérêt réel, car je m’attendais à voir défendre un intérêt fondé. Je suppose que les honorables adversaires du projet ne défendront pas les banqueroutiers frauduleux qui viennent vendre les objets soustraits à leurs créanciers, ni les étrangers qui viennent vendre leur fonds de magasin après avoir couvert leurs frais et fait des bénéfices dans leur pays ; certes, ce ne sont pas là les personnes qu’on voudra défendre dans cette enceinte. Serait-ce le consommateur qu’on voudrait défendre ? On se tromperait encore à cet égard. Quel est l’intérêt bien senti du consommateur ? C’est d’avoir des boutiquiers établis bien assortis, à même de satisfaire à tous ses besoins ; d’avoir dans la localité plusieurs boutiques de même espèce, afin d’avoir, par sa concurrence et le choix, les objets de la meilleure qualité et au meilleur marché possible ; d’avoir des boutiquiers responsables qui lui donnent à crédit lorsqu’il n’est pas à même d’acheter au comptant et auprès desquels il puisse réclamer lorsqu’ils lui ont livré de mauvaises marchandises. Avec ces garanties le consommateur est toujours assuré d’avoir de bonnes marchandises et de ne rien payer au-delà de sa juste valeur. Mais, dira-t-on, le consommateur trouve toujours à meilleur marché dans les ventes à l’encan. Cela est vrai, lorsqu’un marchand dans la gêne soustrait à ses créanciers, avant de faire banqueroute, les marchandises qui sont leurs gages ; mais cela n’arrive pas très souvent. Dans tous les autres cas les marchandises ne peuvent être vendues à meilleur marché par les marchands à l’encan que par les marchands établis. L’un et l’autre, pour avoir les mêmes marchandises, doivent puiser à la même source. Ensuite pour soutenir la concurrence, les marchands sédentaires doivent se contenter de prix tellement modérés qu’ils gagnent peu de chose lorsqu’ils veulent maintenir leur débit. Il est vrai que les marchands sédentaires ont à payer un loyer, des contributions, une patente ; mais il y a lieu de supposer que les marchands à l’encan ne sont pas des vagabonds, qu’ils ont un gîte et des magasins, et que, par conséquent, ils ont aussi à payer un loyer, des contributions, une patente, de manière qu’on doit mettre sous ce rapport sur la même ligne les marchands sédentaires et les marchands ambulants. Maintenant qui ne sait les frais énormes qu’ont à supporter les marchands ambulants, frais que n’ont pas les marchands sédentaires ? Dans chaque ville il leur faut loger fort cher à l’hôtel, louer une salle pour leurs marchandises ; ils ont des frais de transport considérables, pour eux, leurs agents et leurs marchandises, des frais d’emballage, des frais de déballage ; ils ont en outre de 10 à 15 p. c. à payer sur le produit de la vente ; d’après cela vous devez être convaincus que, sauf le cas où l’on vend à l’encan des objets soustraits à des créanciers, il est impossible qu’on donne au même prix des objets de même qualité que chez les marchands sédentaires. Aussi ne vend-on guère dans ces ventes que des marchandises de rebut, des fonds de magasin, c’est le seul moyen que puissent employer les marchands ambulants pour l’emporter sur les marchands établis. C’est ainsi que le consommateur est constamment dupe ; il croit avoir de bonne marchandise, et il n’a que de la marchandise, sinon tout à fait mauvaise, au moins de qualité inférieure et qu’il aurait à bien meilleur marché chez les marchands sédentaires. Pourquoi n’achète-t-il pas ces objets chez ces marchands sédentaires ? Parce qu’il leur demande de la première qualité et que le marchand sédentaire responsable de la vente ne veut pas lui fournir, comme le marchand à l’encan, une qualité inférieure comme première qualité.
J’ai dit que les marchands à l’encan ont de 10 à 15 p. c. de frais de vente. Voici comment cela se pratique. Ce n’est pas le marchand qui fait la vente, c’est un directeur de vente qui donne trois mois de crédit, garantit le prix de la vente et est responsable des acheteurs. Il reçoit pour cela 10 p. c. sur le produit de la vente. Si vous ajoutez à cela le salaire de l’huissier, celui du crieur et de toutes les personnes nécessaires pour la vente, vous reconnaîtrez que les frais montent bien à 15 p. c. Certes les marchands à l’encan qui ne sont pas arrêtés par des frais aussi considérables ne le seront pas davantage par le droit d’enregistrement de 10 p. c. proposé. Que feront-ils ? Ils s’adjoindront un huissier connaissant la solvabilité des acheteurs, se passeront du directeur de vente, trouveront ainsi les 10 p. c. du droit d’enregistrement, et les choses seront dans le même état qu’aujourd’hui.
D’ailleurs ces 10 p. c., vous ne pourrez pas les percevoir, vous n’avez aucun moyen de perception. Combien croyez-vous que le fisc ait d’agents chargés de la surveillance des ventes dans tout le royaume ? Deux seulement ; un à Bruxelles et un à Anvers. Certainement on ne prétendra pas qu’ils peuvent assister à toutes les ventes ; d’ailleurs, je le sais ; jamais ils ne donnent signe de vie. Déjà le droit actuel, qui est d’un demi p. c. seulement, ne se paie pas. Le directeur des ventes annote sur son registre les objets vendus, le nom des acheteurs, et le prix de la vente, l’huissier qui est censé faire la vente n’y paraît pas, le directeur des ventes rédige le procès-verbal sur timbre après la vente ; si elle s’est élevée à 20,000 fr, il peut ne porter dans le procès-verbal que pour une valeur de 2,000 fr., et parvient ainsi à frauder les droits. L’huissier signe et paie les droits d’après le procès-verbal. Voilà comment les choses se passent, je défie qui que ce soit de porter remède à cela. Les droits seront constamment fraudés sans que les agents du fisc puissent constater ou empêcher cette fraude. Je suppose que le marchand à l’encan ait 50 châles à vendre. Il vendra le premier à l’encan pour 20 francs et paiera 2 francs pour le droit d’enregistrement de 10 pour cent ; mais pour les autres châles il dira : Vous pouvez éviter ce droit d’enregistrement, venez me trouver, et je vous passerai les châles à 20 fr., vous n’aurez pas de droit d’enregistrement à payer. Il y a mille moyens d’éluder ainsi la loi. Ces matières me sont trop familières pour que j’en puisse conserver le moindre doute. Mais j’admets et bien gratuitement que le droit d’enregistrement puisse être perçu, cela n’empêchera pas, comme l’a fait observer l’honorable M. Desmaisières, les ventes à l’encan d’objets provenant de banqueroutes frauduleuses, ou de fonds de magasin que l’étranger jette sur notre sol. A ceux-là la marchandise est un fardeau, et ce n’est que de l’argent et de l’argent à tout prix qu’ils demandent.
Je ne terminerai pas, messieurs, sans vous avoir fait connaître l’état de souffrance dans lequel se trouve le commerce aujourd’hui, par suite des ventes à l’encan. Je vous ai déjà dit que ce n’était pas le détaillant seul qui souffrait, et alors même que ce ne serait que lui, n’est-ce pas déjà une classe très intéressante de la société, qui est digne de toute la sollicitude du législateur, n’est-ce pas la classe la plus nombreuse, puisqu’en parcourant nos villes, l’on voit dans plusieurs rue sur 5 maisons 3 boutiques au moins ; n’est-ce pas elle qui paie une large part dans les contributions et une plus grande part encore dans les droits de patente ? Et c’est cette classe si nombreuse et si intéressante que l’on voudrait sacrifier, ce sont des revenus aussi sûrs, des ressources aussi certaines pour le trésor que l’on voudrait sacrifier à des droits éventuels, qu’il sera toujours impossible d’atteindre. Certes un pareil système ne prévaudra pas dans cette enceinte.
Mais ce n’est pas cette classe seule qui réclame protection, c’est le commerce en général qui s’élève contre l’intrigue et la mauvaise foi, c’est le marchand en gros, le fabriquant qui souffre. Car par le nombre toujours croissant des ventes à l’encan qui se sont succédé l’année dernière, le détaillant a à peine vendu assez pour suffire à ses besoins journaliers : aujourd’hui que le moment du paiement et la saison de l’approvisionnement est venu, il répond au fabricant qu’il ne peut point payer et qu’il n’a pas besoin de nouvelles marchandises, qu’il n’a rien vendu et que la marchandise qu’il a prise l’année dernière remplit encore sa boutique. Voilà donc aujourd’hui le marchand en gros, le fabricant, privé d’une part des recettes dont il a besoin pour continuer son négoce et d’autre part dans l’impossibilité de placer la marchandise dont ses magasins se trouvent aujourd’hui encombrés. Mas, messieurs, un tel état de choses ne peut subsister longtemps, il doit inévitablement amener une crise commerciale et par suite l’appauvrissement de la classe ouvrière et la ruine comptée du pays. Et c’est en présence d’un semblable avenir, à la veille de malheurs aussi imminents que l’on vous propose d’accorder pendant 9 mois encore, à ceux qui ont amené cet état de choses, un brevet d’achèvement, parce que l’on trouve qu’il y aurait de l’indélicatesse de les gêner dans l’exécution des projets malveillants qu’ils peuvent encore avoir tramés contre le commerce. Et ce serait seulement alors, quand tout remède serait devenu inutile, que l’on voudrait vous proposer un moyen d’essai, qui comme je vous l’ai démontré, serait tout à fait illusoire, tandis que de notre côté nous vous proposons un moyen immédiat, qui a pour lui l’expérience du passé et qui ne peut manquer d’atteindre son but. Entre ces deux systèmes, messieurs, le choix ne peut être douteux pour personne.
M. Milcamps. - Après les discours que nous avons entendus, ii serait difficile de dire du neuf sur l’objet en discussion. Je n’en ai pas la prétention, je tiens seulement à énoncer les motifs qui me font préférer la proposition de la section centrale à celle de percevoir un droit proportionnel d’enregistrement de 10 p. c. sur le prix de ces ventes.
On nous a prouvé dans la séance de samedi que les ventes publiques à l’encan de marchandises étaient soumises en Allemagne, en Hollande et naguères en Belgique, à une législation spéciale qui prohibait ces sortes de ventes ou les rendait moins habituelles.
Je trouve un argument bien puissant et bien péremptoire contre les ventes publiques à l’encan de marchandises neuves, dans les règlements de nos principales villes qui prohibaient ou rendaient moins fréquentes ces sortes de ventes, et qui ont été en vigueur pendant quinze ans sans que ces règlements aient rencontre des inconvénients ou soulevé des réclamations. En France, où la législation ne paraît pas être différente pour la vente de marchandises que pour celle d’effets mobiliers, les courtiers de commerce avaient demandé de pouvoir procéder aux ventes publiques à l’encan. A l’occasion de cette demande le conseil du commerce du département de la Seine fut consulté sur la question de savoir si les ventes publiques à l’encan de marchandises et matières premières sont utiles au commerce ailleurs que dans les ports de mer.
Après avoir rapporté toutes les raisons pour et contre, il a été d’avis, 1° que ces sortes de ventes sont nuisibles au commerce des villes qui ne sont pas ports de mer et, 2° qu’elles doivent être bornées à trois cas : la cessation de commerce, l’exécution judiciaire, le décès du négociant.
La lecture de ce document et des réclamations de toutes nos grandes et petites villes ne me laisse aucun doute que les ventes publiques à l’encan de marchandises neuves sont nuisibles au commerce régulier en général, et à mon avis les mesures qui rendront ces ventes moins fréquentes sont celles qu’il faut admettre.
Or, celles que nous présente la section centrale me paraissent susceptibles de produire ce résultat, tandis que je ne l’attends pas d’un droit proportionnel d’enregistrement de 10 p. c. sur le prix de ces ventes.
Ici, messieurs, l’intérêt du trésor doit être écarté, puisque le trésor n’y gagnerait qu’autant que le mal que produisent les ventes publiques à l’encan de marchandises se perpétuerait.
Or, c’est ce mal que nous avons l’intention et la volonté de faire disparaître.
Je dois même croire que l’honorable M. Lebeau partage notre opinion et qu’il n’y a division que sur le mode de rendre ces ventes moins fréquentes.
Pour moi, messieurs, en adoptant la proposition de la section centrale, en prohibant même les ventes à l’encan, ce qui serait plus franc, je ne croirai pas porter atteinte à la liberté du commerce.
Je ne connais pas de disposition fondamentale portant que chaque citoyen aura le droit de vendre des marchandises de la manière qu’il l’entendra.
Les lois de commerce sont des lois d’exception.
A mon avis, ce ne sont pas ceux qui vendent en plein air qui composent le corps du commerce, ce sont les magasiniers, les fabricants, les négociants en général qui soutiennent le crédit, qui en paient les charges et fournissent à l’approvisionnement de toutes les sortes de marchandises ; ce sont ceux-ci que les lois doivent favoriser.
Je tenais, messieurs, à énoncer cette opinion.
M. de Perceval. - Je n’ajouterai que quelques observations aux discours qui ont été prononcés en faveur du projet de loi par mes honorables collègues, pour motiver mon vote qui sera favorable au projet de loi. D’abord l’amendement de l’honorable M. Lebeau ne me semble pas de nature à faire cesser les inquiétudes des marchands permanents et à apporter une amélioration dans leur état : considéré comme mesure fiscale, je crois pouvoir assurer que la continuation de l’existence d’une partie très considérable de marchands, indemnisera largement le trésor de la ressource que ce surcroît d ‘impôt pourrait lui procurer.
Le moyen proposé par cet amendement n’atteint pas directement le but que la chambre se propose, car il ne fera pas cesser les ventes frauduleuses dont on a le plus à se plaindre, ni empêcher les ventes à l’encan à tout prix, qui sont si désastreuses pour le commerce.
A mon avis, l’adoption du projet de loi présenté par la section centrale est le seul et unique moyen de prévenir efficacement le découragement et la ruine dont sont menaces les marchands permanents. J’ajouterai, messieurs, que dans la ville que je représente, les ventes à l’encan deviennent de plus en plus fréquentes, au point qu’elles alarment tellement les commerçants et portent tant d’inquiétude dans les approvisionnements, que plusieurs m’ont déclaré que si la législature n’y apportait prompt remède, ils se verraient forcés de cesser leur commerce, ne pouvant se résoudre à supporter des pertes certaines pour soutenir la concurrence, ni à se faire eux-mêmes marchands ambulants.
Et veuillez remarquer, messieurs, que lorsque semblables ventes ont lieu, elles sont annoncées avec beaucoup d’emphase, non seulement dans la ville où elles se font, mais aussi dans toutes les communes environnantes ; qu’elles y continuent quelquefois de 5 en 5 jours consécutifs et enlèvent aux marchands établis toute possibilité de faire écouler leurs marchandises souvent sujettes à détérioration ou à dépréciation, par suite du caprice des modes.
Eh ! que l’on ne me dise pas que l’intérêt du consommateur ne doit pas être étranger à l’objet qui nous occupe : dans un pays comme la Belgique, où tout respire commerce et industrie, où pour ainsi dire les villes se touchent, une concurrence raisonnable ne manquera jamais par la protection que le projet de loi accordera aux détaillants.
Au contraire, l’on peut prévoir que dans toutes les localités le nombre des marchands permanents augmentera, et que même, là où il n’en trouve pas maintenant, il s’en fixera à l’avenir. Par ces motifs, je rejetterai l’amendement de l’honorable M. Lebeau, parce qu’il n’atteindrait pas le but qu’on se propose, et je voterai pour le projet de la section centrale parce que je le considère comme pouvant, seul, faire droit aux réclamations fondées des marchands établis, comme favorable même aux fabricants par un écoulement plus régulier et plus assuré de leurs marchandises, et comme indispensable pour conserver un grand nombre de marchands dont la fortune est en péril ; je le voterai aussi dans l’intérêt des ouvriers et des pères de famille, dont les moyens d’existence sont gravement compromis par ces ventes à l’encan, qui viennent enlever leur pain et les réduire à la misère. Je fais d’autant plus des vœux, messieurs, pour la prompte adoption du projet qui nous occupe, qu’au moment même où je vous parle, une vente à l’encan de draps et de toute espèce d’habillements neufs a lieu dans une commune populeuse de mes environs, et vient ravir à d’honnêtes artisans sans autre ressource, les moyens de procurer les premiers besoins à leurs familles, et les livrer au désespoir.
M. Liedts. - Je crois que la chambre commence à se fatiguer de la discussion ; aussi je serai court.
Il y a un point sur lequel on est d’accord, c’est la nécessité de changer la législation sur les ventes à l’encan : nous ne différons que sur le moyen. J’ai été peut-être le premier à indiquer le remède que propose M. Lebeau, c’est-à-dire de frapper les ventes à l’encan de marchandises neuves d’un droit de 10 p. c., mais après y avoir réfléchi et après avoir parlé à des personnes pratiques, je me suis convaincu de l’inutilité du remède.
Remarquez qu’il arrive toujours de deux choses l’une ; on bien les marchandises que l’on vend à l’encan ont une origine illicite, immorale, et dans ce cas le droit de 10 p. c. n’atteint pas le but qu’on se propose ; ou bien les marchandises ont une origine licite, et proviennent d’un commerce régulier, et alors le droit de 10 p. c. équivaut en réalité à une prohibition.
Pour ma part, j’aime mieux une prohibition claire et nette, qu’une prohibition indirecte.
Personne ne soutiendra ici qu’une vente à l’encan de marchandises licites puisse se faire avec profit en payant un droit de 10 p. c. ; il est donc impossible d’adopter ce droit ; et il faut avoir recours à un autre remède.
Ce remède, le seul du moins que j’ai trouvé, c’est la prohibition totale dans les cas désignés par le projet de loi.
La première question que je me suis adressée, c’est de savoir si la prohibition était contraire à notre constitution…
Plusieurs membres. - Tout le monde est d’accord sur ce point.
M. Liedts. - Si tout le monde est d’accord, je m’abstiendrai de parler de cette question.
Un honorable préopinant s’est attaché à faire voir que nous passions subitement d’une liberté sans limites à une prohibition absolue ; qu’il faudrait un terme moyen, qu’on établît un droit peu élevé ou une patente ; et il a ajouté qu’à aucune époque des prohibitions semblables n’avaient été prononcées ; à cet égard, c’est l’inverse qui est vrai. Depuis 70 ans, depuis 1767, par un décret de Marie-Thérèse, les ventes à l’encan ont été défendues, et ce décret a reçu son exécution jusqu’à ces derniers temps, ou jusqu’au moment où la cour de cassation a trouvé que la loi sur les patentes l’avait abrogé.
Je n’ai pas le décret de Marie-Thérèse à la main ; mais il est rapporté dans un acte des bourgmestre et échevins de la ville de Mons en ces termes :
« Vu le décret de l’impératrice Marie-Thérèse en date du 7 avril 1768, lequel, entre autres dispositions, défend tant aux étrangers qu’aux habitants de la province du Hainaut de faire dans ladite province aucune vente publique et en détail des marchandises neuves…, à peine de confiscation de ce qui aura été exposé en vente ou de la valeur, et d’une amende de dix écus (26 florins des Pays-Bas.) »
A la législation de Marie-Thérèse a succédé celle du souverain des Pays-Bas, en 1814. C’est donc la prohibition des ventes de marchandises neuves à l’encan qui fait la règle, et l’autorisation de ces ventes qui fait l’exception.
Messieurs, il semble que le seul intérêt que l’on invoque soit celui des consommateurs ; à cet égard, je me suis rappelé que dans un ouvrage de Say, on cite un passage qui n’est pas étranger à l’objet en discussion et que je m’en vais vous lire. Le voici :
« Franklin, dans sa Science du bonhomme Richard, suppose qu’un grand nombre de gens se rendent à une vente publique et se laissent tenter par des objets dont le besoin ne s’était jamais fait sentir à eux. Le bonhomme Richard leur dit : « Vous venez dans l’espoir d’avoir des marchandises à bon compte ; mais ce qui n’est pas nécessaire est toujours cher… J’ai vu quantité de personnes ruinées à force d’avoir fait des bons marchés… Il est plus facile de réprimer la première fantaisie que de réprimer toutes celles qui viennent ensuite… C’est qui achètent le superflu finissent par vendre le nécessaire. »
« Voilà d’excellents principes d’économie privée, dit Say. »
Eh bien, pour moi, je ne veux pas d’une législation qui tend à exciter les citoyens à pourvoir à des besoins factices, au détriment de la satisfaction de besoins réels. C’est en effet ce qui est arrivé dans une commune de notre pays, s’il faut s’en rapporter à une pétition. Beaucoup de paysans, y est-il dit, tentés par les marchandises qu’on leur établait, s’approvisionnèrent à l’entrée de l’hiver d’une foule d’objets qui n’étaient bons que pour l’été, et ils ont été obligés de les vendre pour se procurer les objets d’hiver dont ils avaient besoin.
Je voterai pour le projet de loi parce que je ne veux pas laisser subsister plus longtemps un état de choses si nuisible aux consommateurs.
- La clôture est demandée.
La chambre consultée ferme la discussion générale.
M. le président. - Nous allons passer à la discussion des articles. Voici comment est conçu l’article premier, présenté par la section centrale :
« Art. 1er. Les marchandises neuves ci-après désignées ne pourront être vendues publiquement à l’encan soit à l’enchère, soit au rabais, par quantités moindres que celles déterminées au présent article, savoir :
« 1° Les objets de quincaillerie et de mercerie, par loi de cent francs au moins, ou par grosses ;
« 2° Les étoffes et tissus de toute espèce, par deux pièces entières, ayant cap et tête, ou par une pièce entière si elle mesure au moins 30 mètres ;
« Les étoffes et tissus qui ne seraient pas par pièces entières, par lots de 40 mètres au moins ;
« Les étoffes qui ne se débitent point à l’aunage, telles que schalls, foulards, et autres semblables, et en général tous les objets de modes et d’habillement, par douze pièces du même genre ;
« Les mouchoirs et cravates, par six douzaines ;
« 3° La bonneterie et ganterie, par deux douzaines de pièces ;
« 4° La porcelaine, la faïence et la poterie, savoir :
« Les assiettes, par six douzaines ;
« Les plats, par douze pièces ;
« Les soupières, par six pièces ;
« Les tasses avec leurs soucoupes, par six douzaines ;
« Les jattes, par douze pièces,
« Et tous les autres objets de même nature, par six douzaines ;
« La verrerie et cristallerie, par lots de cent francs au moins ; « 5° La chapellerie, par douze pièces ;
« 6° La cordonnerie, par douze pièces ;
« 7° Les fils et rubans, par grosses et douzaines, suivant l’usage du commerce en gros ;
« 8° Les livres, par douze exemplaires du même ouvrage.
« Les marchandises manufacturées neuves, non comprises ci-dessus, ne pourront être vendues publiquement à l’encan, que par quantité de même espèce d’une valeur de cent francs au moins. »
M. le ministre de l’intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - Comme jusqu’ici la discussion a roulé sur la disposition du projet relatif aux marchandises neuves, et que, d’autre part, M. Lebeau a proposé un droit de 10 p. c. sur ces marchandises, je crois qu’il faut délibérer sur un principe.
M. Pollénus. - Je crois qu’avant d’aborder la discussion de l’article premier et de l’amendement qui s’y rapporte, il conviendrait que l’auteur de cet amendement donnât une explication sur un point qui me paraît important. M. le ministre de l'intérieur a demandé si les lots non adjugés devaient être soumis à un droit ; j’ai entendu d’un côté de l’assemblée répondre oui, de l’autre répondre non ; il faut savoir à quoi s’en tenir.
M. Lebeau. - Messieurs, évidemment on ne doit pas percevoir de droit sur les lots non adjugés ; ce serait une injustice que de faire cette perception, Quelle est la base du droit d’enregistrement ? C’est la transmission de la propriété ; lors donc que la propriété n’a pas changé de main, il n’y a pas lieu au droit. Et qu’on n’objecte pas qu’il sera facile d’éluder la loi : je répondrai à cet égard qu’il ne faut pas isoler ma proposition principale d’une autre qui en est la sanction ; c’est-à-dire de la faculté accordée aux conseils communaux, avec l’approbation du gouvernement, de faire des règlements concernant les ventes à l’encan, et de l’obligation, où sont les officiers ministériels, qui tiennent un répertoire, de déclarer préalablement que tel jour, à telle heure, il y aura vente publique, afin de provoquer formellement les employés du fic à s’y rendre. Je crois que cette disposition va au-devant de l’objection présentée.
Je ne rentrerai pas dans la discussion, car il serait impossible de parler de l’article premier sans reproduire les généralités qui ont été l’objet de nos précédents débats.
M. Pollénus. - Messieurs, le principal argument que j’ai entendu présenter contre la proposition de M. Lebeau, c’est qu’elle serait inefficace : « Comment, a-t-on dit, pourra s’opérer la perception du droit d’enregistrement proposé par l’honorable M. Lebeau, lorsque nous n’aurons que deux surveillants pour toute la Belgique ? » Mais, messieurs, s’il est reconnu qu’au moyen de deux surveillants, il est impossible de faire rentrer même le droit d’un demi pour cent qui existe aujourd’hui, quelle est la conclusion qu’il faut tirer de ce fait ? C’est, me semble-t-il, qu’il faut augmenter ce personnel. L’inefficacité qu’on reproche au système de M. Lebeau résulte donc d’un état de choses auquel il est possible de remédier.
Je ne puis m’empêcher de dire que je verrais quelques inconvénients à laisser aux administrations locales, comme le propose M. Lebeau, le soin d’organiser en quelque sorte un service public ; il me semble que quand on crée un système nouveau, il serait plus que logique d’organiser par la loi même le service qui doit en assurer l’exécution. Quant à moi, je pourrais difficilement me faire à l’idée de se borner à poser un principe et de laisser aux autorités locales le soin d’en régler l’application.
Je ne ferai qu’une simple réflexion pour appuyer, quant au fond, le système de l’honorable M. Lebeau ; M. le ministre de l’intérieur surtout fait valoir, pour combattre ce système, le prestige dont on entoure les ventes à l’encan ; je crois, messieurs, que quand on annonce 25 ou 50 p. c. de rabais, c’est aussi un prestige et un prestige tout aussi grand que celui des ventes à l’encan. Je n’en dirai pas davantage à l’égard de cette objection, car l’honorable M. Lebeau y a répondu suffisamment. Je crois que, quoique fasse le législateur, l’envie d’acheter à bas prix engagera toujours certaines personnes à s’adresser chez des marchands qui ne leur donnent pas de la bonne marchandise et qui peuvent par conséquent vendre à meilleur marché que les autres ; que ces personnes achètent dans les ventes à l’encan ou ailleurs, la chose reviendra toujours au même pour les détaillants ordinaires. Je dois dire du reste que les inconvénients qu’on signale, comme résultant des ventes à l’encan, sont tout à fait inconnus dans la province que j’habite.
Je suis donc très disposé à adopter le système de M. Lebeau, mais je désirerais qu’il cherchât à trouver un moyen d’en assurer l’exécution sans faire intervenir les autorités communales, parce qu’il me semble que l’exécution d’une loi ne doit pas dépendre du caprice d’une autorité locale.
M. Lebeau. - Je voudrais bien, messieurs, satisfaire aux scrupules de l’honorable préopinant, mais il y a dans ma proposition deux objets tout différents ; les attributions sont diversement déléguées selon la nature même des choses. Quant aux dispositions fiscales, je crois qu’elles ne péricliteront pas si l’exécution en est confiée à l’administration financière ; celle-ci prescrira, ici comme ailleurs, toutes les mesures convenables, et ces mesures me paraissent fort simples : d’une part augmentation de personnel pour la surveillance, car même pour la perception du droit actuel le personnel est insuffisant, on le reconnaît ; il y a ensuite un autre moyen d’activer la surveillance, c’est d’attribuer aux agents de l’administration une part dans le produit des amendes. Remarquez bien, messieurs, que si la perception d’un droit élevé augmente les revenus de l’Etat, elle augmente aussi le bien-être des préposés puisqu’elle augmente leurs remises.
Quant à ce qui concerne la répression des abus, comme les cas varient suivant les localités, je crois qu’il est impossible de la confier à une autre autorité centrale, et qu’il appartient spécialement aux autorités communales d’adopter les précautions qu’elles veulent prendre aux localités mêmes où les ventes ont lieu.
On a dit qu’il serait possible d’éluder la disposition que j’ai soumise à la chambre. J’ai déjà fait voir que tout ce qu’on a dit, à cet égard, contre mon amendement, s’applique également à la loi ; rien n’est plus facile que d’éluder la loi même telle qu’elle a été modifiée par la section centrale : il suffira, par exemple, d’avoir mis en vente plusieurs pièces en un seul lot pour vendre tout le reste en détail, sans que la loi y mette le moindre obstacle ; je suppose, par exemple, qu’on vende 24 exemplaires d’un ouvrage, d’un livre en un volume, qu’ils soient enchéris à 24 francs, n’est-il pas évident que le lendemain tout le monde saura qu’on peut acheter cet ouvrage à 1 franc l’exemplaire, et que si le public convient au public, on fera queue à la porte du marchand pour l’obtenir ? Il y aura encore bien d’autres moyens d’éluder la loi, et tout ce que vous dites contre mon amendement vous le dites contre la loi ; il n’y a que cette différence, que mon amendement ne posera pas un antécédent dangereux, qu’il n’engagera pas la chambre dans une voie où il lui sera impossible de s’arrêter. Aujourd’hui tout le monde veut en rester là ; c’est, j’en suis sûr, l’intention bien formelle de ceux qui appuient la loi ; mais dans un an, lorsque de nouvelles réclamations surgiront de toute part, soutenues par le principe que vous aurez posé, vous serez sans force pour repousser ces réclamations, auxquelles vous aurez donné une prime d’encouragement. C’est là, messieurs, ce que je veux éviter et c’est pour cela que je désire que la chambre ne s’engage pas dans une voie semblable ; c’est pour cela que je lui propose une mesure que je crois beaucoup plus efficace pour venir au secours des détaillants et beaucoup plus dans l’esprit de nos institutions que celle qui est proposée par la section centrale.
M. Verhaegen. - L’honorable M. Lebeau pense, messieurs, que la loi qui nous est soumise pourra être facilement éludée, que tous les reproches qu’on a adressés sous ce rapport à son amendement s’appliquent également à la proposition de la section centrale, j’ai l’honneur de lui répondre que c’est là une erreur ; nous avons pour nous l’expérience ; comme l’ont dit plusieurs honorables préopinants, les ventes à l’encan étaient totalement défendues par suite des règlements de diverses régences porté sous l’empire de l’arrêté du gouvernement précédent ; ce sont ces règlements contre lesquels (je me sers des mêmes expressions qui ont été répétées par l’honorable M. Lebeau), contre lesquels, dis-je, quelques individus en très petit nombre ont fait des tentatives et sont parvenus à obtenir un arrêt de la cour de cassation ; mais à l’exception de ces trois ou quatre individus, personne n’a jamais réclamé contre les règlements dont il s’agit, et il n’était pas aussi facile de les éluder qu’on le pense bien.
Si l’expérience prouve en faveur de la proposition de la section centrale, elle ne prouve pas moins contre l’amendement de M. Lebeau, car chacun sait combien il est aisé d’éluder la loi de l’enregistrement : aujourd’hui on ne perçoit qu’un demi pour cent sur les ventes d’objets mobiliers, et encore est-il certain que, quel que soit le fonctionnaire qui préside à ces ventes, la plupart des objets qui s’y vendent ne figurent pas au procès-verbal. Je voudrais bien que M. Lebeau nous expliquât comment il s’y prendrait pour que le droit qu’il propose ne fût pas fraudé : il faudrait non seulement qu’il y eût un surveillant dans chaque vente, mais encore que ce surveillant y restât depuis le commencement jusqu’à la fin.
On donnera aux régences la faculté de faire des règlements, il y aura quelques fonctionnaires privilégiés, ceux-là seuls pourront vendre. Voilà comment on arrive déjà à créer un monopole en faveur de quelques-uns, et vous voyez que nos honorables adversaires, partisans de la liberté illimitée, sont néanmoins en dernière analyse obligés d’arriver à des résultats bien plus pernicieux.
On vous propose même d’autres mesures que nous avons déjà eu à déplorer dans d’autres circonstances ; et pour donner de la force à l’argument, l’on va jusqu’à insinuer qu’il faudrait donner aux employés une part dans les amendes ; l’on ferait donc revivre ce système odieux dont nous avons ressenti tous les inconvénients.
M. le ministre de l’intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - Je ne veux pas rentrer dans le fond de la question. Je veux seulement faire observer à la chambre que je demande l’adoption du paragraphe premier du projet du gouvernement de préférence à celui de la section centrale. La raison en est que la section centrale a cru devoir ajouter ces mots : « soit à l’enchère, soit au rabais ; » or, je pense que la rédaction du gouvernement vaut mieux et qu’elle est plus large.
M. Pirmez. - Messieurs, le terme qui est indiqué dans l’amendement de M. Lebeau me paraît un peu éloigné ; je désirerais que ce terme fût un peu plus rapproché ; je proposerai la date du 1er juillet 1838.
M. Lebeau. - Je me rallie à ce sous-amendement.
M. le président. - Je vais mettre aux voix l’amendement de M. Lebeau, sous-amendé par M. Pirmez.
Plusieurs membres. - L’appel nominal !
- Il est procédé au vote par appel nominal. En voici le résultat :
62 membres y prennent part.
18 répondent oui.
44 répondent non.
En conséquence, l’amendement n’est pas adopté.
Ont répondu oui : MM. Berger, Corneli, de Brouckere, Dechamps, de Langhe, Dequesne, Devaux, d’Hoffschmidt, Dubus (aîné), B. Dubus, Eloy de Burdinne, Lebeau, Metz, Pirmez, Pollénus, Raymaeckers, Scheyven et Peeters.
Ont répondu non : MM. Andries, Angillis, Bekaert-Baeckelandt, Coghen, Coppieters, de Florisone, de Foere, F. de Mérode, W. de Mérode, Demonceau, de Nef, de Perceval, de Renesse, de Roo, de Sécus, Desmaisières, Desmanet de Biesme, Desmet, de Terbecq, de Theux, Doignon, Dolez, Donny, Dubois, Hye-Hoys, Lecreps, Liedts, Maertens, Mast de Vries, Mercier, Milcamps, Morel-Danheel, A. Rodenbach, Simons, Smits, Trentesaux, Troye, Ullens, Vandenhove, Vanderbelen, Verhaegen, Wallaert, Zoude et Raikem.
- La séance est levée à 4 heures 3/4.