(Moniteur belge n°71, du 12 mars 1838)
(Présidence de M. Raikem.)
M. de Renesse procède à l’appel nominal à une heure.
M. Kervyn donne lecture du procès-verbal ; la rédaction en est adoptée.
M. de Renesse présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.
« Les greffiers des justices de paix de l’arrondissement de Ruremonde demandent qu’il soit apporté des améliorations à leur sort. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
M. le ministre de la guerre (M. Willmar) transmet des explications sur la pétition de M. Page, ex-major de la garde civique. »
- Pris pour notification.
« Le sieur Vreucop, à Bastogne, adresse un mémoire où il fait ressortir les avantages qui résulteraient de la canalisation de l’Ourthe depuis Liége jusqu’à Stenay (France). »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des négociants en toile de la ville d’Ath demandent qu’il soit établi des droits sur le lin et les étoupes à la sortie du royaume. »
- Renvoi à la commission d’industrie.
« La dame Angélique Pollart d’Hérimez, douairière de M. Louis François de Rouillé, à Ath, demande le remboursement d’une somme de 8,400 fr. versée par son père du chef de sa nomination à la châtellenie d’Ath, et qui devait lui être restituée, lorsqu’il cesserait de remplir cette place. »
M. de Brouckere. - Je demande le renvoi de cette pétition à la commission chargée d’examiner les questions relatives aux engagères, et j’engage les membres de cette commission à se réunir. M. Andries et moi sommes les seuls qui nous soyons rendus aux précédentes convocations. Je demande donc qu’une nouvelle convocation ait lieu, et qu’on veuille bien s’y rendre.
- La chambre ordonne le renvoi de la pétition à la commission chargée d’examiner les questions relatives aux engagères.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb). - Les pièces relatives au projet de canalisation de l’Escaut et de la Lys sont distribuées aux membres de la chambre. Je demanderai que la chambre statue sur le renvoi de ce projet aux sections ou à une commission.
- La chambre consultée renvoie à l’examen des sections le projet de loi relatif à la canalisation de l’Escaut et de la Lys.
M. le ministre de l’intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) présente un projet de loi de crédit supplémentaire (fonds de secours) s’appliquant à l’exercice 1836.
- La chambre ordonne l’impression et la distribution de ce projet de loi et le renvoie à l’examen d’une commission à nommer par le bureau.
M. le président. - La discussion est ouverte sur l’ensemble du projet présenté par la commission, auquel le gouvernement se rallie.
M. Donny. - J’ai eu, je l’avoue, quelque peine à me former une opinion sur l’objet qui nous occupe. D’une part l’avis unanime d’une commission composée de membres au mérite desquels je rends un juste hommage, me disposait en faveur du projet ; d’un autre côté les motifs allégués par la commission m’ont paru si peu concluants qu’ils n’ont pu, en définitif, entraîner ma conviction.
On veut, dit-on, obtenir, au moyen d’une mission à Constantinople, une protection assurée pour les personnes et les biens à l’intermédiaire d’une puissance amie. Mais il me semble qu’on perd entièrement de vue que la mesure ne doit être que temporaire. L’envoyé belge ne doit rester que quelques mois à Constantinople : ceux-là passés, les choses reprendront leur cours ordinaire, et il faudra bien à l’avenir recourir à l’intermédiaire d’une puissance amie. D’ailleurs, y a-t-il en ce moment à Constantinople un nombre de Belges assez grand pour mériter une attention aussi spéciale de la législature ? Je ne le pense pas, je crois même que M. le ministre de l’intérieur et des affaires étrangères serait fort embarrassé s’il devait en mettre une liste nominative sous les yeux de la chambre.
Si on veut protéger les citoyens belges à Constantinople et le commerce belge dans ces parages, qu’on le fasse d’une manière constante. J’aimerais mieux voir envoyer à Constantinople un consul qu’un ambassadeur qui ne doit séjourner que quelques mois.
Un autre résultat que la commission croit obtenir par la mission à Constantinople, c’est la conclusion d’un traité de commerce et de navigation qui nous assure le traitement de la nation la plus favorisée. Certes de pareils traités sont choses fort désirables ; mais par cela seul qu’il y a dans les relations commerciales avec la Turquie des nations favorisées et d’autres qui ne le sont pas, on doit comprendre qu’il y aura difficulté à obtenir un traité qui nous placerait dans la position des nations les plus favorisées.
S’il en est ainsi, notre envoyé en mission momentanée à Constantinople n’obtiendra rien d’un gouvernement qui négocie d’une manière excessivement lente, qui compte d’ailleurs parmi ses plus anciens alliés, notre ennemi déclaré, le roi Guillaume, et, parmi ses alliés les plus prépondérants, une puissance qui jusqu’ici ne nous a pas donné beaucoup de marques de bienveillance. Veuillez remarquer que l’influence à laquelle je fais allusion pourra se faire sentir, dans cette occasion avec beaucoup de force, parce que la Porte pourra motiver son refus sur une base en apparence très raisonnable.
On demandera au diplomate belge quels avantages la Belgique peut offrir à l’empire ottoman, en compensation des concessions demandées. Sans être le moins du monde initié dans les mystères de la diplomatie, je crois que l’envoyé belge aurait beaucoup de peine à répondre d’une manière satisfaisante à cette question. On recevra fort honorablement notre envoyé, je n’en fais aucun doute ; on acceptera très gracieusement les présents, j’en suis aussi persuadé. Après cela et après avoir admiré pendant quelques mois tout à son aise les rives du Bosphore, notre envoyé quittera Constantinople, avec aussi peu de fruit pour la Belgique que s’il n’y avait jamais été.
Il y a enfin un troisième résultat qu’on attend de la mission, c’est l’obtention pour nos navires de passeports turcs ; mais je ne croirai jamais (à moins que M. le ministre de l’intérieur et des affaires étrangères nous l’affirme d’une manière positive et formelle), que, pour obtenir des passeports turcs pour nos navires, il y ait nécessité absolue d’envoyer un ambassadeur à Constantinople.
Vous voyez, messieurs, que d’après ma manière d’envisager la chose, les arguments de la commission n’ont pas pu exercer une grande influence sur mon esprit.
Je ne suis pas du tout hostile à la diplomatie ; j’ai même défendu dans cette enceinte les intérêts des légations de Londres et de Paris ; et je le déclare, si l’occasion s’en présentait, je soutiendrais de nouveau ces deux légations et quelques autres encore. Mais, depuis quelque temps, je commence à croire que la bonne moitié de la diplomatie belge n’a d’autre résultat que de procurer à quelques personnes privilégiées les douceurs d’une sinécure diplomatique. Sept ans d’expérience sont là pour donner quelque poids à mon opinion et à mes paroles.
Comme je ne crois pas, en conscience, pouvoir donner mon vote à une nouvelle extension de ce que je considère comme un gaspillage des deniers publics, je voterai contre le projet de loi.
M. A. Rodenbach. - Je pense, comme la section centrale et le ministère, que dans un pays aussi industriel et aussi manufacturier que la Belgique, nous devons envoyer une mission à Constantinople. Je crois que c’est d’autant plus nécessaire que l’empire ottoman a reconnu la Belgique. Les convenances diplomatiques exigent donc que nous envoyions quelqu’un à Constantinople.
Mais l’honorable préopinant croit qu’il ne résultera de cette mission aucun avantage pour la Belgique. Si cependant, comme cela paraît constaté, l’Angleterre exporte dans ce pays annuellement pour 25 millions de francs, si la Bohème y envoie des verreries, la Saxe des toiles, je ne vois pas pourquoi nous, qui avons de l’activité, de l’économie, de l’industrie, n’y enverrions pas des toiles, des draps, de la poterie, des sucres ; car l’honorable préopinant doit savoir qu’on fait dans ce pays des exportations de sucre et même de draps et de verreries. Si les autres puissances de l’Europe font des affaires avec la Turquie, je ne dis pas pour cela que nous ferons des affaires immenses au premier abord, mais je ne vois pas pourquoi nous ne pourrions pas arriver à faire aussi quelques affaires avec ce pays.
L’honorable préopinant a dit que la Hollande avait des relations intimes avec la Porte ; c’est une raison de plus pour y envoyer une légation. Je sais que l’on est dans l’usage de ne se présenter dans ces contrées qu’avec des présents ; toutefois deux cent mille francs me paraît une somme considérable. Comme l’a dit encore le préopinant, c’est un agent commercial qu’il nous faudrait en Turquie et non un agent diplomatique.
Nous avons, pour les affaires étrangères, un budget de 730.000 fr. ; nous payons chèrement des agents en Amérique, en Autriche, en Italie ; qu’ont produit toutes ces dépenses ? Qu’ont fait nos agents ? A l’intérieur du pays, je conviens que nos ministres ont fait beaucoup d’efforts dans l’intérêt de notre industrie et de notre prospérité ; mais nos agents à l’extérieur n’ont rien fait, ils n’ont conclu aucun traité de commerce. Je crois que l’on s’est trompé dans le choix du personnel de nos agents ; que l’on a eu plus d’égards à la faveur, à certaines positions sociales, qu’aux talents. Pour nos opérations commerciales, beaucoup de nos agents n’ont pas assez de connaissances spéciales pour rendre de véritables services à la Belgique.
J’attendrai les lumières qui jailliront des débats pour fixer le chiffre que je voterai.
M. de Langhe. - Messieurs, on demande deux cent mille francs pour envoyer une légation à Constantinople. La commission chargée de l’examen du projet de loi a eu beaucoup d’éclaircissements de la part du ministre des affaires étrangères ; mais ces éclaircissements, la commission ne nous les a pas fait connaître, de sorte que pour ma part, je suis fort peu instruit sur cet objet.
Je voudrais savoir quel traitement on veut donner à l’agent, le temps que durera sa mission, combien coûtera le petit corps militaire qu’on lui donnera pour garde, combien coûteront les présents sans lesquels on ne peut aborder les Musulmans.
Selon moi, nous voulons être trop grandement représentés. En général, eu égard à notre petit pays, nous avons beaucoup enflé nos dépenses. Notre pays n’en augmentera pas en prospérité, et les autres nations ne s’y méprendront pas. L’axiome qu’il faut baser ses dépenses sur ses moyens s’applique aux Etats comme aux particuliers. Nous aurons beau faire, le bon sens des Turcs ne s’y trompera pas.
J’aurais préféré un agent commercial à un agent temporaire ; il nous serait plus utile que ce dernier.
Je le répète, nous faisons trop de dépenses pour nos agents diplomatiques. Lors de la discussion du budget des affaires étrangères, le ministre nous a dit que les consuls que l’on se proposait d’accréditer dans l’Amérique méridionale n’y seraient envisagés qu’autant que l’on ne trouverait pas de personnes établies dans le pays capables d’en être chargés ; cependant je citerai un fait récent qui n’est pas conforme à ce dire du ministre. On a nommé un consul dans une ville de l’Amérique méridionale, au traitement de 25,000 fr., quoiqu’un commerçant belge établi depuis longtemps dans cette ville eût pu être notre agent. Il nous aurait été plus utile que l’agent que l’on envoie, lequel ne connaît pas le pavs et perdra beaucoup de temps pour se mettre au courant des affaires.
Je voterai contre la loi si l’on ne démontre pas la nécessité de l’allocation demandée.
M. le ministre de l’intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - J’avoue que je ne m’attendais pas à rencontrer de 1’opposition à semblable demande. L’utilité de la mission est reconnue, non seulement dans le pays, mais encore à l’étranger, et par des personnes capables d’apprécier l’importance des relations politiques et commerciales avec la Turquie.
Plusieurs erreurs ayant été avancées dans ce débat, j’espère les rectifier en peu de mots.
D’abord, on a dit que la mission à Constantinople ne devait être que temporaire, et que cette mission terminée, la Belgique se trouverait dans le cas de n’avoir à réclamer que les bons offices d’une puissance amie.
Il y a ici une distinction à faire. La mission de l’envoyé extraordinaire ne sera que temporaire, mais quand elle sera terminée, nous aurons à vous demander un crédit pour y établir un chargé d’affaires, à résidence permanente. Nous pensons que cette mesure sera indispensable.
Mais pourquoi ne pas se borner à établir un consul, qui coûterait beaucoup moins qu’un ministre plénipotentiaire ? C’est qu’il est impossible de se reposer du soin de nos intérêts, dans un poste aussi important que Constantinople, sur un simple consul ; que la Belgique doit, à cet égard, déférer aux usages adoptés par toutes les puissances. Toutes ont attaché le plus grand intérêt à avoir des relations diplomatiques avec la Turquie, car les relations diplomatiques sont toujours la base des relations commerciales. Et ceci répond au reproche d’inutilité qu’on adresse en général aux missions diplomatiques.
Si tous les agents diplomatiques ne sont dans le cas de rendre des services également importants, il n’en est pas moins vrai que la diplomatie forme un ensemble dont il ne faut pas rompre la chaîne. C’est au moyen de cet ensemble que le gouvernement peut juger de ce qu’il convient de faire dans telle ou telle circonstance pour le plus grand intérêt du pays.
On a dit que nous rencontrerions à Constantinople une influence hostile : cette crainte me paraît dénuée de fondement en présence de faits accomplis. Nous avons obtenu la reconnaissance de la Porte. Il s’agit de se conformer aux usages de toutes les nations, de consolider cette reconnaissance par l’envoi de lettres royales dont le ministre plénipotentiaire doit être porteur ; il s’agit de cimenter ces relations d’une manière durable par un traité de commerce et de navigation. Il faut encore que par le moyen de notre ministre nous obtenions l’établissement de consuls dans les différentes dépendances de l’empire ottoman.
La somme de 200 mille francs est, dit-on, excessive ; je puis dire qu’elle est le strict minimum que j’ai cru pouvoir proposer ; car j’avoue que, n’était les habitudes de la chambre en matière de diplomatie, j’aurais pensé utile à la chose publique de proposer une somme plus considérable. C’est pour ne pas rencontrer d’opposition, et pour ne pas éprouver de diminution que j’ai limité la somme à deux cent mille francs.
On aurait voulu établir une distinction entre les frais personnels et ceux accessoires de la mission : cette distinction me paraît impolitique. Il vaut mieux laisser le chiffre global et accorder au gouvernement toute latitude. Conformons-nous ici à ce qui se fait dans tous les pays.
Lorsque l’Amérique a fait un traité avec la Porte ottomane, les frais n’en ont pas été imputés sur un service spécial ; car aux Etats-Unis, le président peut disposer de sommes considérables pour les agents envoyés dans les pays avec lesquels l’Amérique est en relation. En France, il y a un crédit extraordinaire et considérable ouvert au ministère des affaires étrangères, et dont le ministre peut disposer sans être obligé d’en rendre compte.
Je pense que ces explications doivent satisfaire les honorables membres qui ont cru devoir faire des objections contre le projet.
Le dernier orateur a parlé d’un consul en Amérique au traitement de 25,000 fr. ; c’est une erreur. Jusqu’ici il n’y a pas eu de consul rétribué en Amérique ; mais il y a, il est vrai, une mission consulaire à établir dans ces contrées, laquelle pourra être grandement utile à nos rapports commerciaux ; aussi je crois qu’elle sera prochainement établie.
M. Desmet. - Je crois aussi que nous devons envoyer une mission à Constantinople. Je conçois les inquiétudes de M. Donny ; je crains avec lui qu’on n’y envoie une personne n’ayant aucune connaissance de nos intérêts commerciaux ; quoique j’appuie la mission, j’insiste pour qu’on fasse un bon choix. Vous saurez combien peu on doit se fier aux interprètes, aux drogmans ; il nous faudra une personne habile. De plus nos ennemis sont à Constantinople. La Turquie est un bon pays de débouchés ; aussi y existe-t-il beaucoup de concurrence entre les industries de l’Europe.
Je dis donc que j’attache beaucoup de prix à ce qu’on fasse de bons choix. Il n’y a pas longtemps que j’ai critiqué les choix qui ont été faits pour Smyrne et Alexandrie, et ce n’a pas été à tort puisque, si je suis bien informé, la personne qui avait été désignée pour Smyrne n’y a pas été envoyée.
A cette occasion et pour appuyer ce que vient de dire l’honorable Rodenbach, je demanderai pourquoi l’envoyé aux Etats-Unis n’est pas allé à son poste ? Je ne sais pas M. le ministre jugera à propos de répondre à cette question, mais je crois que s’il n’y a pas d’inconvénient, il serait bon d’instruire la chambre à cet égard.
On a dit, messieurs, que nous pourrions tirer parti des consuls étrangers, c’est là une grave erreur ; il faut que nous tâchions de faire nos affaires nous-mêmes, sans dépendre des légations des puissances étrangères, qui feront toujours leurs propres affaires au lieu des nôtres. On a trouvé que la somme de 200,000 fr. est trop élevée ; je ne suis pas de cet avis, messieurs, il faut suivre les usages, et vous savez qu’à Constantinople il faut faire des cadeaux, qu’on n’y est pas très bien reçu quand on ne se montre pas riche ; il faut prendre les peuples comme ils sont, et agir à leur égard suivant les dispositions qu’on leur connaît, c’est le seul moyen d’entrer en relation avec eux.
J’insiste encore, messieurs, sur la nécessité de faire de bons choix, car la mission dont il s’agit a surtout pour objet la négociation d’un traité de commerce et de navigation ; je désirerais beaucoup qu’on envoyât à Constantinople une personne qui eût des connaissances étendues sur tous les intérêts du pays et qu’on ne fît pas comme on a fait, il y a quelques années, lorsqu’on a envoyé dans un pays voisin une commission qui n’a eu en vue qu’une partie du commerce et de l’industrie du pays. Je voudrais donc qu’on choisît cette fois une personne dont les connaissances embrassent toutes les branches de notre commerce et de notre industrie.
M. Kervyn, rapporteur. - Messieurs, les deux honorables préopinants, MM. Donny et de Langhe, ont critiqué l’espèce de prodigalité que, selon eux, le projet consacrerait ; quoique ce reproche s’adresse au gouvernement, je crois cependant devoir justifier la dépense, puisque la commission l’a approuvée à l’unanimité. Comme on peut le voir dans le rapport, ce n’est pas sans hésitation que la commission a proposé l’adoption du crédit demandé ; de bonnes raisons ayant été données pour justifier le principe de la demande, et d’autres raisons ayant été également données pour justifier l’élévation du chiffre, la commission a mis en balance d’un côté les avantages probables qu’on attend de la mission et d’un autre côté la dépense qu’elle nécessitera ; ce n’est qu’après de mûres réflexions qu’elle a été unanime pour reconnaître que le crédit demandé n’est nullement exagéré.
On a demandé, messieurs, à combien s’élèvera le traitement de l’envoyé, combien coûtera l’emploi du drogman, combien coûteront les soldats qu’on attache ordinairement aux ambassades ; je dois à la vérité de dire que la commission n’a pas fait le calcul de ces dépenses, et il est impossible de les évaluer sans s’exposer à de graves mécomptes. C’est du reste à M. le ministre qu’il appartient de donner des explications à cet égard, s’il croit qu’il soit possible de le faire.
M. le ministre de l’intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - On vient de parler, messieurs, du retour de notre envoyé en Amérique ; je dois dire qu’il n’est revenu que sur sa propre demande ; il a exprimé le désir de ne plus continuer ses fonctions dans ce pays.
En ce qui concerne le consulat de Smyrne, la personne qui y a été nommée, ne l’a été qu’à sa demande ; elle a ensuite désiré de renoncer à cet emploi ; je pense qu’il n’y a pas lieu d’entrer ici dans des explications personnelles à cet égard, tout ce que je puis dire, c’est que le gouvernement dans cette nomination, n’a fait qu’un choix qu’il considérait comme utile et que la personne qui a été nommée était réellement capable de remplir ses fonctions.
- L’article premier est mis aux voix et adopté ; il est ainsi conçu :
« Art. 1er. Un crédit de deux cent mille francs est ouvert au département des affaires étrangères, pour les frais d’une mission extraordinaire à Constantinople. »
« Art. 2. Cette allocation formera l’article 15 du chapitre Il du budget des affaires étrangères pour l’exercice de 1838.
« Elle sera prélevée :
« 1° Sur les crédits restés disponibles au chapitre I, article 2 ; au chapitre II, art. 3, 4, 5, 10, 11, et aux articles uniques des chapitres III, IV et VI du budget des affaires étrangères pour l’exercice de 1836.
« 2° Sur ceux restés disponibles aux articles 3, 4, 8, 10 et 11 du chapitre II du même budget pour 1837. »
M. Verdussen. - Messieurs, après y avoir mûrement réfléchi, je crois qu’il conviendrait mieux de placer cette allocation comme faisant une augmentation de crédit de l’article unique du chapitre VII du budget des affaires étrangères ; car il ne s’agit pas ici d’une mission permanente, mais d’une mission extraordinaire de la nature de celles dont il s’agit dans l’article que je viens d’indiquer. Le chapitre II du budget des affaires étrangères ne concerne que les traitements des agents politiques permanents, comme ceux que nous avons en France, en Angleterre, en Prusse, etc., tandis que le chapitre VII concerne les missions extraordinaires ; or la mission de Constantinople dont il s’agit est réellement une mission extraordinaire, et le crédit demandé pour cette mission doit par conséquent figurer au chapitre VII.
J’ai une autre observation à faire sur l’article dont il s’agit ; elle concerne la comptabilité : la régularité de la comptabilité exige que la cour des comptes puisse connaître le montant de chaque transfert opéré. Il ne suffit donc pas de dire d’une manière générale que telle somme sera prélevée sur les crédits restés disponibles sur tels et tels articles de tels ou tels chapitres des budgets antérieurs ; il faut détailler les sommes qui seront prélevées sur chacun des crédits antérieurs et qui formeront le total de la nouvelle allocation. Comme M. le ministre a fourni à la commission spéciale les chiffres nécessaires pour apprécier la proposition qu’il nous a faite, j’ai profité de ses renseignements pour formuler la dernière partie de l’amendement suivant, qui remplira le double but que je viens d’indiquer.
J’ai l’honneur de proposer à la chambre de rédiger l’article 2 de la manière suivante :
« Art. 2. Au moyen de cette allocation l’article unique du chapitre VII du budget des affaires étrangères de l’exercice 1838 sera porté à la somme de 240,000 fr.
« Elle sera prélevée sur les crédits restés disponibles sur les articles suivants des budgets des affaires étrangères des exercices 1836 et 1837.
« Sur l’exercice de 1836
« Chapitre premier
« Art. 2. Traitement des fonctionnaires et employés : fr. 12 54
« Chapitre II
« Art. 3. Traitement de la légation de Prusse : fr. 22,361 18
« Art. 4. Traitement de la légation d’Italie : fr. 28,311 22
« Art. 5. Traitement de la légation d’Autriche : fr. 2,416 75
« Art. 10. Traitement de la légation de Suède : fr. 15,000
« Art. 11. Traitement de la légation de Grèce : fr. 15,000
« Chapitre III.
« Article unique. Traitement des agents diplomatiques en non activité : fr. 10,000
« Chapitre IV.
« Article unique. Frais de voyages des agents du service extérieur, etc. : fr. 21,510 98
« Chapitre VI.
« Article unique. Missions extraordinaires et dépenses imprévues : fr. 19,287 33.
« Sur l’exercice de 1837
« Chapitre II
« Art. 3. Traitement de la légation de Prusse : fr. 39,000
« Art. 4. Traitement de la légation d’Italie : fr. 2,100
« Art. 8. Traitement de la légation de Portugal : fr. 6,250
« Art. 10. Traitement de la légation de Suède ou Danemarck : fr. 3,750
« Art. 11. Traitement de la légation de Grèce : fr. 15,000
« Total : fr. 200,000. »
- L’amendement de M. Verdussen est appuyé.
M. Dubus (aîné). - J’ai appuyé l’amendement de M. Verdussen ; cependant, messieurs, il est un point sur lequel je ne suis pas d’accord avec lui : l’honorable membre demande que le crédit dont il s’agit soit considéré comme une augmentation de l’article unique du chapitre VII du budget des affaires étrangères ; je ne vois à cela aucun avantage, puisque c’est un crédit spécial que le gouvernement demande pour un objet spécial, nous devons lui laisser son caractère de spécialité ; lorsque le gouvernement préparera le budget de l’année prochaine, il examinera s’il croit convenable de confondre ce crédit avec d’autres, mais pour le moment je ne vois pas le moindre inconvénient à le laisser séparé ; d’ailleurs, le chapitre où l’honorable préopinant voudrait porter le crédit qui nous occupe concerne les frais de missions extraordinaires et dépenses imprévues ; or, la dépense sur laquelle nous délibérons n’est pas une dépense imprévue ; elle est tellement prévue qu’on nous demande une allocation spéciale pour y faire face. Je crois donc que la première partie de l’amendement ne doit pas être admise.
Quant à l’autre partie de l’amendement, elle me paraît tout à fait justifiée ; l’article proposé par la commission présente un inconvénient qui a déjà été reconnu antérieurement par la chambre, c’est d’opérer des transferts sans indiquer le chiffre des sommes qu’on prend sur différents articles du budget pour en faire un crédit nouveau ; il résulterait de la proposition de la commission que le chiffre de tous les articles dont il s’agit deviendrait incertain ; tous ces chiffres ont été fixés au budget, et il serait impossible, avant que toutes les dépenses eussent été faites, de pouvoir établir le budget ; on ne pourrait établir le budget dans ce système-là qu’en établissant le compte, et c’est en quelque sorte le compte qui fera le budget ; ce qui réellement amène des inconvénients et dérange tout notre système de comptabilité ; je crois qu’il est indispensable de fixer le chiffre, de faire la loi de manière à ce que chacun des articles dont on veut appliquer les excédants soit réduit par la loi même que nous aurons faite. C’est dans ce sens que j’appuie l’amendement.
M. Verdussen. - Messieurs, il me semble que, quant au fond, l’honorable préopinant est d’accord avec moi ; la différence entre nous est qu’il voudrait que la somme qui a été portée au budget des affaires étrangères pour l’exercice courant, fût seulement augmentée. Je conviens qu’il est possible que la somme étant généralisée pourrait être excédée de quelque chose en faveur de la mission de Constantinople, ou que s’il n’y a pas de mission à Constantinople, cet excédant pourrait venir renforcer le chiffre des dépenses imprévues et des missions extraordinaires ; je conviens de cela, mais je ne vois pas grand mal à ce que j’ai proposé. D’ailleurs, l’honorable préopinant a commis une légère erreur, en disant que le chapitre du budget des affaires étrangères pour 1838 était ainsi libellé ; « Missions extraordinaires et imprévues. » Je lui ferai remarquer que ce chapitre est intitulé «Missions extraordinaires et dépenses imprévues, » de manière que les missions extraordinaires étant confondues avec les dépenses imprévues, la mission de Constantinople sera présentée comme une dépense imprévue ; elle doit nécessairement être assimilée aux missions extraordinaires dont il est question dans ce chapitre. Si cependant les scrupules de l’honorable M. Dubus étaient partagés par la chambre, je ne vois pas de mal à ce que l’on fasse du crédit demandé un article 2 du chapitre 7, ou un chapitre additionnel qui ferait le huitième du budget des étrangères. (Aux voix !)
M. le président. - Je vais mettre aux voix la proposition de M. Verdussen, par division, ainsi que l’a demandé le ministre.
Voici comment est conçu le paragraphe premier de l’article 2 du projet de la commission :
« Cette allocation formera l’article 13 du chapitre II du budget des affaires étrangères pour l’exercice de 1838.
Amendement de M. Verdussen : « Au moyen de cette allocation, l’article unique du chapitre 7 du budget du département des affaires est porté à 240,000 fr. »
- Cette partie de l’amendement est mise aux voix et n’est pas adoptée.
Le premier paragraphe du projet de la commission est ensuite mis aux voix et adopté.
La chambre adopte ensuite la seconde partie de l’amendement de M. Verdussen, qui remplace les deux derniers paragraphes de l’article 2 du projet de la commission.
- L’ensemble de l’article ainsi amendé, est ensuite mis aux voix et adopté.
M. le ministre de l’intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - Messieurs, comme la modification qu’on vient d’introduire dans le projet de la loi, est absolument la même chose que la disposition primitive, elle ne peut être considérée comme un amendement. Il me semble donc qu’on pourrait procéder immédiatement au vote de la loi. (Oui ! oui !)
- Il est procédé au vote par appel nominal sur l’ensemble du projet de loi.
En voici le résultat :
65 membres y prennent part.
58 répondent oui.
7 répondent non.
En conséquence, le projet de loi est adopté, et il sera transmis au sénat.
M. le président. - Je demanderai d’abord à M. le ministre de l’intérieur s’il se rallie au projet de la section centrale.
M. le ministre de l’intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - Oui, M. le président. La section centrale a complété le projet de loi par quelques dispositions qui, en général, me paraissent utiles.
M. le président. - La discussion générale est ouverte ; la parole est à M. Corneli.
M. Corneli. - Messieurs, dans la séance du 20 novembre dernier, j’ai eu l’honneur de faire un rapport sur les pétitions qui ont donné lieu au projet de loi en discussion. J’étais loin de partager l’opinion de la majorité de la commission qui m’a chargé de présenter un rapport favorable. Je tiens à justifier mon opinion.
Je me suis prononcé contre l’accueil favorable des pétitions et je voterai contre le projet de loi, parce que, selon moi, ce projet tend à détruire un principe d’émancipation qui a restitué à l’intelligence et à la propriété l’un de leurs droits les plus précieux, celui de rechercher et d’exercer le genre de commerce et d’industrie qui convient le plus, et de changer ou de modifier à volonté le système ou le mode de transmission de ce qui nous appartient. Une pareille servitude ne peut être justifiée que par l’intérêt public bien constaté ; c’est sur cet intérêt public que naissent des doutes qu’il paraît nécessaire d’exposer.
Je ne pense point que l’intérêt public exige qu’on proscrive la liberté commerciale à l’égard des marchands ambulants qui vendent leurs marchandises neuves à l’encan, qu’on rende impossible un mode de concurrence, et que l’on concède en quelque sorte aux marchands établis le privilège de vendre seuls et partant au plus haut prix possible. Si vous adoptez le projet, messieurs, vous créer une disposition légale qui éloigne la concurrence et permet aux marchands boutiquiers de faire leur commerce de la manière qu’ils l’ont toujours vu faire, sans sortir de leurs habitudes, souvent de paresse et d’ignorance et surtout sans avoir rien à redouter de la part de ceux qui, mieux instruits, plus habiles et surtout plus actifs, savent faire le commerce avec plus d’avantages, et amener sur le marché des marchandises de meilleure qualité, plus appropriés à l’usage et aux exigences des consommateurs, et avant tout acheter là où la marchandise est au plus bas prix et la vendre là où elle est au plus le plus élevé.
Une libre concurrence paraît nécessaire pour stimuler l’émulation des marchands boutiquiers et pour leur faire comprendre qu’il faut pour lutter avec avantage, se mettre à la hauteur, même surpasser les concurrents en activité, en esprit et connaissances commerciales. Que les marchands établis apprennent à connaître le goût des acheteurs, qu’ils recherchent les marchandises que les consommateurs veulent, et surtout qu’ils se donnent les peines de les prendre sur les marchés où on les offre au plus bas prix, et ils écarteront facilement la concurrence des marchands ambulants, d’autant plus facilement que les marchands ambulants ont plus de frais à supporter, ainsi que les pétitionnaires l’ont dit eux-mêmes.
On ne dira point que ce n’est pas dans le plus de connaissances commerciales que les avantages des marchands ambulants sont placés, mais bien dans le mode de vente qui a plus d’attrait pour les acheteurs, dans le terme de crédit plus ou moins long qu’on accorde dans les ventes de cette espèce ; car rien n’empêche, messieurs, les marchands boutiquiers d’offrir également leurs marchandises en vente publique, d’accorder également un terme de crédit et de choisir, pour faire ces ventes, les époques les plus favorables. Il est vrai, les pétitionnaires ont dit qu’il répugnait aux marchands honnêtes de se servir d’un pareil mode de vente, parce qu’il faut pour y réussir employer toutes sortes de manœuvres, et que ceux qui vendent de cette manière n’exposent que des marchandises gâtées ou provenant de banqueroutes frauduleuses. Mais, messieurs, de pareilles assertions toutes gratuites, inventées exprès, semble-t-il, pour effrayer l’imagination, sont loin de reposer sur les faits ; au contraire, des faits sont là pour les démentir : ces ventes, dit-on, se multiplient d’une manière extraordinaire, les pétitionnaires l’ont affirmé et l’honorable rapporteur de la section centrale est loin de le nier. Or, pour se multiplier d’une manière effrayante, il faut que le public y trouve de grands avantages, que les marchandises lui conviennent et que la loyauté des vendeurs ne lui fasse point défaut.
Quant à ce que l’on affirme être des marchandises provenant de banqueroutes frauduleuses, cela paraît peu probable, les banqueroutes frauduleuses ne se multiplient point, c’est-à-dire en Belgique, au point de pouvoir inonder de leurs produits plusieurs villes et communes ; d’ailleurs c’est à la police à prévenir de tels abus. Je suis beaucoup porté à croire que les marchandises que l’on vend dans les ventes dont on se plaint tant, sont ce qu’on nomme des fonds de magasins de grandes villes, que ce sont des marchandises qu’on ne peut plus débiter dans ces villes, parce que la mode les repousse, et que les détaillants vendent en masse ou par grandes parties à meilleur marché pour ne pas encombrer leurs magasins, chose qui arrivera par suite du projet de loi.
Les marchands ambulants transportent ces marchandises dans les villes où les modes sont plus arriérées, et où les marchands établis n’ont point su faire choix de marchandises qui puissent soutenir la concurrence ; ils font des ventes publiques de ces articles qui passent comme nouveauté de première mise, tandis que les marchandises surannées des boutiques de la ville gardent le comptoir ; et comme on ne veut pas se donner la peine de rechercher également des marchandises d’une si facile défaite, on vous demande une loi pour mettre les consommateurs dans la nécessité de se pourvoir dans les boutiques de la ville, et de consommer les marchandises que leur goût repousse, ou qu’on leur vend à des prix plus élevés.
Mais, messieurs, si vous pensez qu’il faille mettre le commerce que vous appelez régulier sous la protection d’une loi, à l’abri d’une concurrence gênante, il semble qu’il faudrait pousser la mesure plus loin et empêcher toute introduction de marchandises neuves que pour compte de marchands établis ; car, soyez-en sûr, messieurs, la loi telle qu’elle est proposée ne satisfera point encore le commerce régulier ; quand il aura obtenu satisfaction sur ce point, il vous demandera aussi une loi contre le colportage, et l’on ne manquera pas de raisons pour appuyer de telles demandes, on ne manquera pas non plus de vous exposer le tort immense que les marchands ambulants qui vendent en magasin ou par concours, font au commerce régulier ; car, soyez-en persuadés, messieurs, tant que les marchands établis ne sauront pas servir les pratiques aussi bien que les marchands étrangers, on introduira des marchandises neuves en concurrence, on choisira des temps favorables, les époques de l’année où les consommateurs ont l’habitude de faire leurs achats, et pour peu que les marchands établis ne travaillent point à faire comme les étrangers, ceux-ci s’établiront à poste fixe dans leurs villes ; ferez-vous alors aussi une loi pour protéger le commerce régulier ? J’espère bien que non.
Je suis loin de partager les craintes manifestées dans le préambule du projet ministériel, de voir les boutiquiers se dégoûter de leur état et fermer les boutiques ; si ce cas arrivait, les marchands ambulants seraient là pour occuper leurs places.
Je pense donc, messieurs, que les ventes à l’encan ne se multiplient que parce que ceux qui les font y trouvent un bénéfice en concurrence avec des marchands établis, qui ne sont point, en connaissances commerciales, à la hauteur de l’époque, et à cette occasion je pourrais citer une ville que les marchands ambulants exploitaient aussi, mais où ils ne font plus rien aujourd’hui, où même ils ne se montrent plus depuis que des marchands habiles et actifs se sont établis. Je pense que les ventes à l’encan ne se multiplient que parce que les consommateurs y trouvent de grands avantages, soit parce qu’on offre les marchandises à meilleur marché, soit qu’on présente des marchandises plus avantageuses au public.
Que le public n’est pas à même de vérifier les qualités ou les défauts des marchandises comme M. le ministre le fait remarquer peut être vrai, mais ne paraît nullement produire l’effet qu’on redoute, celui de rendre le public victime de sa confiance, car l’acheteur trompé ne retournerait point vers celui qui l’aurait trompé ; je ne sache point que jusqu’à présent il se soit élevé des plaintes contre le mode de vente que vous voulez proscrire, de la part du public, celles de concurrents jaloux me touchent fort peu, quand on ne peut point démontrer leur légitimité. J’ai lu attentivement toutes les pétitions ainsi que l’exposé des motifs du projet de M. le ministre, et je dois dire que je n’ai nulle part trouvé des motifs suffisants pour adhérer au projet présenté, et pour mon compte, je ne partage point la conviction de l’honorable rapporteur de la section centrale quand il dit que les abus qui naissent de ces sortes de ventes sont trop connus, pour qu’il soit utile d’entrer dans des développements pour les démontrer. M. le ministre dit que les plaintes multipliées des marchands et appuyés sur l’expérience ne laissent point de doute sur les pertes fréquentes et considérables que fait le commerce régulier, et je pense, personne ne contestera le fait.
Il peut résulter de la concurrence un préjudice pour le commerce régulier tel qu’il est exercé aujourd’hui, mais je voudrais voir démontrer la nécessité de porter remède, même au préjudice des consommateurs, et uniquement pour faire vendre cher des marchandises de mauvais choix.
Je crois en avoir dit assez, messieurs, pour motiver mon vote contraire au projet de loi tel qu’il est présenté. J’y aurais donné mon approbation si l’on s’était borné à prendre une mesure temporaire pour faciliter la transition à un nouvel ordre de choses, pour donner aux marchands établis le temps de renouveler leurs magasins et de se mettre au niveau des concurrents. On ne devait accorder que des avantages de position aux détaillants établis.
On pouvait, me semble-t-il, imposer des conditions plus dures aux marchands ambulants qui vendent leurs marchandises à l’encan, et non point complétement proscrire ces sortes de ventes et priver le commerce de leurs avantages, surtout les petits commerçants qui dans des moments de gêne trouvent dans ce mode de ventes une ressource prompte, un moyen facile de convertir une partie de leur magasin en numéraire, avantage dont vous voulez les priver.
Rendez, s’il est nécessaire, un abus, si abus il y a, difficile, mais du moins ne proscrivez point l’usage ; imposez une patente plus forte si vous voulez, imposez même une spéciale pour chaque ville que les marchands ambulants exploitent ; faites-leur payer un droit d’enregistrement plus fort, un timbre plus cher, je le veux bien, et s’il vous faut un moyen plus efficace, modifiez les lois sur les patentes, et donnez pendant un temps plus ou moins long, aux conseils communaux le pouvoir de faire sous l’approbation des gouverneurs et du roi, des règlements locaux, déterminant d’après ce que les conseils jugeront nécessaire, le mode de ventes publiques de marchandises neuves, ainsi que l’ancien gouvernement le leur avait concédé. Vous rendrez les ventes publiques dont il s’agit plus difficiles, peut-être même impossibles dans les villes ou communes où elles seraient contraires à l’intérêt général, sans priver les localités qui ne redoutent point cette concurrence, qui trouveraient même avantageux de l’encourager, de ce qu’elles regardent comme favorable à leurs intérêts.
M. Donny. - Messieurs, je suis bien loin de partager la manière de voir de l’honorable préopinant ; car, à l’exception d’une disposition de détail que je ne suis pas très disposé à voter, j’appuierai de mon vote les autres propositions de la section centrale, Je le ferai dans l’intérêt aussi bien du consommateur que du commerce régulier.
Quoi qu’en ait dit l’honorable préopinant, je ne pense pas qu’on puisse contester avec succès le préjudice immense et inévitable que causent au commerce régulier les ventes à l’encan, telles qu’elles se font aujourd’hui.
Déjà, messieurs, dans d’autres circonstances, d’honorables membres de cette assemblée vous ont cité des faits qui me paraissent ne pouvoir laisser aucun doute à cet égard, et j’aurais aujourd’hui, gardé le silence sur ce point, si l’honorable préopinant ne venait de vous dire que si les marchands établis se donnaient un peu plus de peine, s’ils étaient plus actifs, plus habiles, ils pourraient soutenir la concurrence contre ceux qui vendent à l’encan,
Je vais citer un fait qu’on m’a signalé, il n’y a que quelques jours : il prouvera que l’honorable préopinant est, à cet égard, dans une erreur complète.
Des filous, m’écrit-on (et l’on va jusqu’à citer des noms propres qui, pour moi, rendent la chose extrêmement probable), les filous, m’apprend-on, escroquent à l’étranger des marchandises qu’ils dirigent ensuite sur la Belgique, où ils les réalisent immédiatement, en les faisant vendre à l’encan et en détail.
Comme ces gens-là n’ont payé pour ces marchandises autre chose que les frais de transport et les droits d’entrée, ils vendent à tout prix et bien évidemment le commerce régulier ne peut lutter contre une concurrence aussi écrasante.
L’honorable préopinant soutient que le nombre des ventes à l’encan ne s’accroît pas. Cependant, il suffit de faire attention aux effets nécessaires que doivent avoir ces ventes, pour être persuadé du contraire. Lorsque, par suite d’une vente à l’encan, le débit des magasins d’une localité se trouve suspendu pendant une saison et même pendant une année, il est certain que ceux de ces magasins qui ne sont pas dans une situation prospère, sont obligés de recourir au même expédient, pour se procurer les débouchés et les fonds dont ils ont besoin. Ainsi chaque vente à l’encan devient la cause d’autres ventes de même espèce ; aussi voit-on des magasins d’une ville faire tenir des ventes à l’encan dans les villes voisines et celles-ci en agir de même à l’égard de la première.
Les choses en sont venues au point, qu’un négociant en qui je puis avoir toute confiance, m’écrit que, si on n’apporte pas un prompt remède à cet état de choses, avant six mois d’ici, un quart des marchands fera faillite et un autre quart se retirera du commerce, fatigué de faire des efforts aussi constants et aussi infructueux pour soutenir une concurrence tout à fait impossible.
Quant aux consommateurs, j’ai dit qu’en soutenant le projet j’agissais dans leur intérêt. A première vue, on pourrait croire le contraire, on pourrait croire que le consommateur doit trouver toujours un avantage dans les ventes à l’encan. Mais quand on examine la chose de près, quand on consulte l’expérience, on voit qu’il est loin d’en être constamment ainsi. Dans une vente à l’encan, on achète souvent au-delà de ses besoins et même en l’absence de tout besoin ; ou se laisse séduire par l’idée qu’on fait un excellent marché, et le plus souvent cette idée n’est rien qu’une chimère, car dans ces ventes, se trouvent en grande quantité des rebuts, des fonds de magasin, des marchandises détériorées ou avariées, enfin des objets dont l’acheteur se repent bien vite d’avoir fait l’acquisition, d’autant plus que cette acquisition n’était pas commandée par le besoin et n’est pas justifiée par le bas prix.
Ce n’est pas tout, il est certains industriels qui parcourent le pays, exposent tantôt dans une localité, tantôt dans une autre, des marchandises qui n’ont aucune valeur et se vendent très couramment.
On a vu exposer et vendre des cotons imprimés dont le tissu était tellement mauvais que l’étoffe ne pouvait pas supporter la couture. Et ces marchandises étaient enlevées rapidement par les gens de la campagne et par la classe ouvrière qui croyait trouver là une occasion de s’habiller à neuf, à peu de frais. C’est encore ainsi qu’on vu vendre à l’aune, sous le titre de draps anglais, une étoffe d’apparence assez belle dont le prix était si bas qu’on se la disputait, mais qui, en définitive, n’était qu’une espèce de papier recouvert d’un certain duvet.
Vous voyez que si, par la loi présentée, on peut parvenir à arrêter des abus semblables, ne fût-ce qu’à l’entraver d’une manière un peu efficace, on aura rendu service non seulement au commerce régulier, mais encore aux consommateurs.
Mais, dit l’honorable préopinant, si la loi est votée, on ne se bornera pas là ; on voudra plus, on voudra proscrire le colportage sous toutes ses formes. Il suffit, pour répondre au préopinant, d’en appeler à l’expérience du passé. Sous le roi Guillaume, les mêmes dispositions existaient, non pas en vertu d’une loi, mais d’un arrêté qui permettait aux régences de prendre des dispositions qu’elles prenaient et exécutaient.
Eh bien, a-t-on jamais vu dans ces temps-là que les boutiquiers se soient plaints du colportage ou en aient demandé la prohibition ? Non. Le commerce régulier était satisfait ainsi que les consommateurs, les abus signalés n’étaient pas possibles, ou s’ils se présentaient c’était très rarement. Je crois que les craintes du préopinant sont entièrement chimériques.
Je pense en avoir dit assez pour justifier le vote que j’émettrai dans cette occurrence.
M. Bekaert-Baeckelandt. - J’appuie le projet de la section centrale, parce qu’en combinant sagement les exigences des différents intérêts, il concilie le principe de la liberté commerciale avec la protection que réclame cette intéressante classe industrielle qui, sans aucune ressource que le commerce régulier de détail, doit y puiser ses moyens de subsistance et ceux de sa famille.
La législation qui régit les ventes à l’encan est reconnue vicieuse. Les abus graves et multipliés dont nous avons été les témoins ont démontré l’urgente nécessité de la modifier ; mais cette modification, pour répondre à l’attente et aux besoins du commerce, doit être prompte et efficace. Il ne suffirait pas de susciter des entraves au mal, il faut le détruire, il faut l’empêcher de renaître. Les ventes à l’encan telles que je les ai vues dans la ville que j’habite, sont, pour le détail, laborieux et probe, un poison qui le ronge, qui le mine, et qui le détruirait en peu de temps si l’on ne s’empressait d’y porter remède : cette nouvelle industrie qui a pris une si effrayante extension en Belgique, ce sont, pour la plupart, des étrangers qui viennent l’exploiter parmi nous ; et vous le savez, messieurs, les antécédents de ces industriels, aussi bien que l’origine de leurs marchandises, sont souvent de nature à produire de pénibles impressions. Réaliser, c’est tout ce qu’ils ont en vue. Il n’est donc pas étonnant de les voir vendre à un cours auquel la concurrence nationale ne saurait descendre sans compromettre ses intérêts et son avenir. C’est ici une question de vie ou de mort pour le petit commerce, et la morale autant que l’intérêt public nous impose le devoir de le protéger. Or la combinaison que l’on vous propose n’est point nouvelle. Elle n’est que la reproduction des mesures prises par les autorités locales en vertu de l’arrêté du 19 octobre 1817, et cette disposition, qui a reçu la sanction de l’expérience, est celle que nous devons adopter aujourd’hui. C’est la seule qui puisse convenablement parer au mal existant. Mû par les mêmes considérations, le conseil-général du commerce en France ne s’est point arrêté aux mêmes moyens. Il a cru nécessaire d’entourer les détaillants de garanties plus certaines, plus puissantes encore. Il s’est décidé à demander à la législation l’interdiction pleine et entière des ventes à l’encan de marchandises neuves, sauf les cas exceptionnels de décès et de faillite ; il ne veut, sous aucune condition, abandonner à la merci de quelques spéculateurs de l’espèce dont il s’agit le sort d’une nombreuse et intéressante partie de la population. Pour moi, messieurs, dans la conviction où je suis, qu’au moyen des restrictions proposées par la section centrale on atteindra le but que l’on a en vue, je voterai pour l’adoption.
M. de Brouckere. - Je ne me dissimule pas que les ventes à l’encan sont contraires aux intérêts de certaines personnes, qu’elles ont été l’objet de réclamations de la part d’une grande partie de la population qui a intérêt à ce que ces ventes soient prohibées. Mais il me semble que la législature ne doit pas facilement se laisser entraîner dans une voie qui pourrait la mener plus loin qu’elle ne pense, qu’elle ne doit pas consacrer une injustice parce que cela convient à une partie de la population.
On veut arrêter, entraver au moins les ventes à l’encan. Et quels motifs donne-t-on pour engager la chambre à arrêter ou entraver ces ventes, que l’on nous a présentées comme un poison qui ronge et mine le commerce légitime et porte atteinte même à la morale. (On ne s’attendait guère à voit figurer la morale en cette affaire.)
On dit qu’on commet des escroqueries ? Mais il y a des lois contre l’escroquerie, qu’on les applique.
Quels sont les motifs pour lesquels on demande la prohibition de ces ventes ? Le premier, c’est qu’elles portent préjudice au commerce qu’on appelle commerce régulier. Je vous demanderai d’abord si ce préjudice n’est pas un préjudice légitime.
Est-ce que les ventes à l’encan sont une chose contraire aux lois, et à quelles lois ? Est-ce que les ventes à l’encan ont amené des désordres, des perturbations ? Aucune, aucune. Elles ont fait tort à certains marchands, oui ; mais chaque fois qu’un marchand nouveau s’établit à côté d’un marchand ancien, enfin qu’une nouvelle concurrence se crée, elle porte préjudice à certaines personnes. Il en est ainsi de toutes les nouvelles industries, des nouveaux commerces.
Mais, a-t-on dit, ne savez-vous pas que ce sont des filous qui apportent chez nous le produit des vols qu’ils ont faits à l’étranger, qui ne leur coûtent que les frais de transport et les droits d’entrée. Je voudrais que cet honorable membre nous expliquât dans quels pays on filoute à tel point qu’on puisse inonder la Belgique des marchandises qu’on y a filoutées. Car c’est là le raisonnement de l’honorable M. Donny ; il prétend que la Belgique est inondée de marchandises qu’on vend à l’encan, et il dit que les marchandises qu’on vend à l’encan sont le produit de filouteries.
Qu’il nous explique donc dans quel pays du monde on peut commettre un si grand nombre de filouteries qu’on puisse inonder notre pays des marchandises ainsi volées.
Dans une vente à l’encan, dit encore le préopinant, les particuliers achètent au-delà de leurs besoins et même ce dont ils n’ont pas besoin. Quelle singulière anxiété pour les particuliers qui ont envie d’acheter au-delà de leurs besoins ! La chambre ne doit pas s’immiscer dans ce qu’achètent ou veulent acheter des particuliers. Je pense qu’on peut acheter au-delà de ses besoins et même en l’absence de tout besoin pourvu qu’on paie.
Je ne crois pas qu’on veuille prendre fait et cause contre ceux qui n’auraient pas payé aux vendeurs à l’encan.
On vend, dit-on, de mauvaises marchandises, des marchandises qui n’ont aucune espèce de valeur. Si cela est, abstenez-vous de prendre des mesures contre les ventes à l’encan, car, si dans les ventes à l’encan on vend de si mauvaises marchandises, on cessera d’avoir confiance dans de semblables marchands, et plus personne ne s’adressera à eux.
En résultat, que ferait la loi ? Elle proscrirait un genre de commerce qui est légitime. Pourquoi ferait-on cette loi ? Pour donner une prime à d’autres marchands qui font un commerce également légitime. Voilà ce à quoi vous aboutiriez, à prohiber un commerce pour en favoriser un autre. Il me semble que nous ne pouvons pas, au moins sans un examen approfondi, porter ainsi une loi qui défend à jamais un commerce qui n’a rien d’illégitime en Belgique.
Je sais très bien qu’avant la révolution, les régences et les conseils communaux avaient le droit de prendre des mesures de police relativement aux ventes à l’encan. Je concevrais qu’un semblable ordre de choses fût maintenu, qu’on autorisât les régences, l’autorité administrative, à prendre certaines mesures de police pour empêcher les filouteries et les prétendues atteintes à la morale, et les tromperies de toutes espèces.
J’applaudirais de tout mon cœur à de semblables mesures ; mais agir de la sorte, et défendre d’une manière générale toute espèce de vente à l’encan, il y a une différence immense. Il est une autre mesure qu’on pourrait prendre si l’on croit ces ventes si avantageuses : qu’on augmente le droit de patente, je ne m’y opposerai pas. En un mot, j’adopterai toutes les mesures que je croirai pouvoir voter sans porter atteinte à la liberté du commerce ; car ce sera une atteinte portée à la liberté du commerce, si vous prohibez une sorte de vente quelle qu’elle soit.
M. A. Rodenbach. - Je conviendrai avec l’honorable préopinant que par suite de la loi quelques personnes qui font métier de faire vendre à l’encan des marchandises neuves seront froissées dans leur intérêt privé ; mais l’intérêt général, l’intérêt de la classe nombreuse des marchands en détail en profiteront. Ceux qui sont en contact avec le commerce en sont convaincus. Je suis persuadé que les 3/4 des membres de la chambre en ont la conviction intime. Ces ventes nuisent à l’intérêt général. Les marchands établis ont des baux très chers, des patentes énormes, enfin sont soumis, parce qu’ils sont permanents, à une foule de droits que n’ont pas à payer ceux qui font faire des ventes à l’encan. On craint de léser les intérêts de ces individus ; mais leur nombre n’est pas si considérable ; ce sont quelques monopoleurs ; ils ne sont peut-être qu’une douzaine. On a parlé de marchandises provenant de faillites faites en France et en Allemagne et que l’on introduit dans ce pays pour duper les créanciers ; il y a de cela quelques exemples, mais ils ne sont pas très nombreux. La presque totalité des ventes à l’encan est le fait des 10 ou 12 monopoleurs dont je viens de parler.
Le premier orateur a dit qu’on diminuerait la concurrence, que le consommateur serait froissé ; mais dans un pays où les communications sont si faciles, où, par les chemins pavés et les chemins de fer, il y a une espèce de contact entre toutes les villes, il est impossible d’empêcher la concurrence.
Les marchands en détail, lorsqu’ils ont acheté des marchandises doivent signer des acceptations à 3 ou 6 mois. Si ensuite on vient faire à leur porte une vente à l’encan de marchandises neuves, les populations des villages circonvoisins viennent acheter à cette vente, ils achètent, comme on l’a dit, au-delà de leurs besoins parce qu’ils croient acheter à bon compte, et le marchand en détail qui n’a pu prévoir cela ne peut, quelles que soient sa probité et son activité, payer à l’échéance son acceptation. De tels faits sont fréquents et sont de nature à anéantir le commerce de détail, c’est ce que vous voudrez empêcher.
Pour vouloir être trop juste on est injuste, il y a excès en tout, c’est ce que je répondrai à l’honorable préopinant. Je voterai en faveur du projet pour entraver la vente à l’encan des marchandises neuves.
M. le ministre de l’intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - Il est certain que les ventes à l’encan portent un préjudice considérable au commerce régulier des marchands domiciliés. De tout temps, on a considéré ces ventes à l’encan, en concurrence avec les commerçants en détail et domiciliés, comme un véritable abus. Sous le gouvernement autrichien et sous celui des Pays-Bas, on a partagé cette opinion. Cette opinion a été adoptée spécialement par les régences de toutes les villes importantes du pays. Plusieurs chambres de commerce ont réclamé des mesures restrictives des ventes à l’encan ; dès lors il est incontestable que c’est un objet qui mérite votre plus sérieuse attention.
On a eu grand tort de dire que le commerce pourrait réclamer contre l’établissement de nouvelles boutiques à côté de celles existantes. Il est impossible de déterminer le nombre des boutiques dans une commune. Il doit y avoir à cet égard la plus grande latitude, parce que tous les boutiquiers exercent un commerce régulier ; mais il est impossible que le marchand en détail puisse faire avec sécurité ses approvisionnements, si la liberté illimitée des ventes à l’encan peut lui ôter toute chance de vente. A quoi doit-on donner la préférence, ou aux marchands domiciliés ou aux marchands ambulants qui font faire des ventes à l’encan ? La préférence me semble ne pouvoir être douteuse. Dans l’intérêt du consommateur il vaut mieux qu’un grand nombre de boutiquiers aient de bons approvisionnements, où il peut puiser avec liberté et avec choix, que de voir supprimer ces établissements pour attendre des ventes éventuelles à l’encan, où il peut être surpris et n’avoir que des marchandises de mauvaise qualité, parce que dans ces ventes on n’a pas le temps de les vérifier, et parce que ceux qui vendent à l’encan encourent moins de responsabilité et ne risquent pas de perdre leurs chalands, ces ventes n’étant pas toujours faites sous le nom des mêmes individus.
Si la chambre le désire, je pourrai lui donner connaissance des motifs qui ont engagé les régences à prendre des mesures restrictives des ventes à l’encan ; j’ai réuni dix règlements locaux. Je crois que les considérations qui précèdent les ordonnances sont assez intéressantes pour mériter l’attention de la chambre. Ces règlements des régences contiennent les mesures indiquées dans le projet du gouvernement et de la section centrale. La seule différence qu’il y ait entre ces anciens règlements et le projet de loi, c’est que les règlements peuvent varier dans chaque localité et que la loi sera générale, ce qui est bien préférable.
(M. le ministre fait connaître les préambules des règlements restrictifs des ventes à l’encan adoptés par les villes de Gand, Mons, Bruges, Louvain, Courtray, Liége, Bruxelles, Huy, Tournay et Anvers ; plusieurs ont été portés, sur les avis conformes des chambres de commerce de Mons, Bruxelles, Tournay, et il continue ainsi :)
Les régences des grandes villes et les chambres de commerce ont voulu faire droit aux réclamations des marchands en détail, c’est ce qu’ont voulu également les gouvernements qui ont précédé le gouvernement actuel. Nous avons cru également devoir faire droit à ces réclamations par les motifs donnés dans l’exposé des motifs et principalement par cette considération : qu’en ruinant un grand nombre de boutiquiers on porterait un préjudice réel au consommateur au profit duquel on voudrait maintenir la concurrence des ventes à l’encan.
Il est d’ailleurs à remarquer qu’indépendamment du grand nombre de boutiques qui existent naturellement dans les villes, elles s’y sont multipliées depuis plusieurs années. D’autre part les communications entre les communes se sont accrues, et l’on peut s’approvisionner facilement d’une commune à une autre. Nous avons d’ailleurs maintenu le commerce de colportage, qui est une concurrence pour les détaillants.
Les foires et marchés sont encore une concurrence périodique pour les marchands en boutique.
M. Donny. - J’ai demandé la parole pour répondre à une interpellation que M. de Brouckere m’a adressée. Il désire savoir de moi quel est le pays où les filous peuvent se procurer assez de marchandises pour inonder la Belgique. Je n’ai nullement dit que dans toutes les ventes à l’encan on exposait des marchandises provenant de filouteries faites à l’étranger. J’ai cité un fait, et je me suis borné là. Les renseignements d’après lesquels j’ai parlé me viennent d’Ostende. Les marchandises auxquelles j’ai fait allusion arrivent de l’Angleterre, où l’on est excessivement facile à accorder des marchandises à crédit ; il en vient également de France ; enfin on en fait arriver encore d’Allemagne. Je crois par ces détails avoir répondu catégoriquement à l’honorable membre.
M. Verhaegen. - Quand tout le pays réclame des mesures contre les ventes à l’encan, je crois que vous ne pouvez refuser votre assentiment à une loi qui, certes, ne porte pas atteinte à la liberté du commerce, puisqu’elle est demandée par les négociants, les manufacturiers, les marchands en détail.
Il est bien vrai que quelques particuliers, et le nombre en est petit, demandent de pouvoir continuer ce qu’ils ont fait au détriment de la généralité, de continuer les ventes publiques ; mais peut-on écouter ces demandes en présence de l’intérêt général qui les repousse ?
M. de Brouckere parle de la liberté de commerce ; loin de moi l’idée de porter atteinte à cette liberté ; mais la mesure porte-t-elle atteinte à la liberté du commerce ? Non, messieurs ; et je soutiens, moi, que les ventes à l’encan détruisent le commerce, et que ceux qui invoquent la liberté du commerce, arriveraient à un but contraire à celui qu’ils se proposent d’atteindre si les ventes à l’encan étaient tolérées.
En quoi consiste le commerce, le grand comme le petit, car il y a aussi hiérarchie dans le commerce ? Il consiste dans les relations qui ont pour résultat, de la part des uns, de procurer certaines marchandises, de la part des autres, de les produire ; et les spéculations qui en sont la conséquence constituent véritablement le commerce. Dans l’origine, le commerce consistait simplement dans l’échange même des objets dont on avait besoin ; ces relations ont pris de l’extension ; et en dernier lieu nous avons vu naître les fabricants, les négociants et les détaillants. Faut-il, en permettant les ventes à l’encan, anéantir le détail, branche essentielle du système actuel du commerce ? Si l’opinion de nos adversaires triomphe, le commerce en détail est ruiné.
Que signifient les ventes à l’encan ? Elles signifient ou dénotent une cessation de commerce. Un individu a des marchandises ; il les vend publiquement ; là s’arrêtent ses opérations. Mais, dira-t-on, il achètera de nouvelles marchandises et les vendra publiquement encore : je répondrai que ce n’est pas là une continuité d’opérations constituant le commerce.
Les fabricants comme les détaillants réclament la mesure. Il est de l’intérêt des fabricats et des négociants, que les détaillants fassent leurs affaires, et les fassent bien ; parce qu’il est de leur intérêt d’éviter les faillites.
La mesure que le commerce véritable demande a existé ; quels inconvénients a-t-elle entraînés ? Un règlement pris par la régence de Bruxelles (en février 1818) défendait absolument les ventes à l’encan dans cette cité. Y a-t-il eu des objections de la part des habitants contre ce règlement ? Non ; quelques individus, ayant un intérêt particulier, et ayant été traduits devant les tribunaux, se sont avisés de dire que le règlement n’avait pas de force, et ils ont obtenu de faire déclarer par la magistrature que le règlement, en effet, était sans force.
Je voudrais que l’on pût dire ce que deviendrait le commerce de détail par suite des ventes à l’encan ? Il faut que chacun, dans la sphère où il se trouve, jouisse de la somme de liberté qu’il peut avoir, puisque vous admettez le commerce de détail, que vous le patentez, donnez-lui tous les moyens de se soutenir, et écartez tout ce qui peut l’anéantir.
Indépendamment de tous les inconvénients qui vous ont été signalés, il en est encore un autre. Quand il s’est agi de la loi de douane, déjà nous avons manifesté des craintes pour nos commerçants. Lorsqu’il a été question de lever des prohibitions, nous avons dit que s’il était permis aux étrangers de venir jeter sur le sol de la Belgique des marchandises qu’ils pourraient donner à des prix inférieurs, il en résulterait de grands dommages pour nos fabricants et nos détaillants. Par exemple, la prohibition est levée pour l’article drap ; les maisons qui, en France, feront de mauvaises affaires, arriveront en Belgique ; on fera des ventes publiques de ces draps ; dans quelle position se trouveront alors nos détaillants et nos fabricants ? Voilà ce qui peut résulter de la loi de douane ; si, en outre, vous permettez les ventes à l’encan, que deviendra le commerce ?
Il faut que l’on accorde à chacun ce qu’il a droit d’exiger, en conséquence de sa position ; il faut que l’on permette au détaillant de continuer son détail. Nous ne détruisons pas la liberté du commerce, mais nous voulons empêcher que l’on n’enlève à qui que ce soit les droits que sont une suite de sa position.
Que l’on ne dise pas qu’il se fait à Bruxelles des ventes publiques, et qu’elles ont leurs avantages, je ne suis pas de cette opinion. Je donnerai mon assentiment au projet.
M. de Brouckere. - Messieurs, ceux qui font ici de grands efforts pour prouver la convenance qu’il y a de voter une loi concernant les ventes à l’encan se donnent, il faut en convenir, des peines bien inutiles, puisque tout le monde est d’accord qu’on fera bien de prendre quelques mesures relativement à ces ventes. Je ne pense pas que quelqu’un ait nié la nécessité de semblables mesures, et je suis si loin de contester cette nécessité, que j’ai été un des premiers à rappeler la pétition de la chambre de commerce de Bruxelles, concernant les ventes à l’encan, pour engager la chambre à s’occuper de cet objet. Mais entreprendre quelques mesures relativement aux ventes à l’encan, et prohiber tout à coup ces ventes, je le répète, grande est la différence. Or, la loi que nous discutons ne tend à rien moins qu’à empêcher dorénavant et pour toujours, dans toutes les localités de la Belgique, toute espèce de ventes à l’encan ; eh bien, messieurs, quand tous les négociants et tous les détaillants de la Belgique s’accorderaient pour réclamer une semblable mesure, je croirais contraire à ma conscience de concourir par mon vote à porter cette atteinte à la liberté du commerce sous l’empire de la constitution qui nous régit.
J’ai écouté attentivement le discours de l’honorable préopinant parce que je croyais qu’il allait nous présenter un argument, mais je n’ai pas entendu qu’il en ait fait valoir aucun ; il a défini le commerce ; il a dit que les ventes à l’encan ne sont pas le commerce mais qu’elles tuent le commerce ; tout cela ce sont des mots, mais des arguments, je n’en ai pas entendu un seul.
Je le répète, messieurs, il faut faire quelque chose à l’égard des ventes à l’encan, et pourquoi ? Parce que depuis quelques mois il s’en est fait un véritable abus, parce que, comme l’ont dit les plus zélés partisans de la loi, depuis quelques mois ces ventes sont devenues extrêmement nombreuses. Quand je dis extrêmement nombreuses, je vais peut-être un peu loin, car l’honorable M. Rodenbach, qui a le plus vivement provoqué la présentation du projet qui nous occupe, a dit qu’il n’y a peut-être qu’une douzaine d’individus qui vendent à l’encan de mauvaises marchandises. Quoi qu’il en soit, il y a quelques mesures à prendre ; mais je le demande, messieurs, est-ce parce que depuis quelques mois ces ventes à l’encan se sont plus ou moins multipliées dans quelques localités qu’il faut les interdire totalement et pour toujours dans toute la Belgique ? Si vous agissiez de cette manière, messieurs, vous recevriez peut-être d’ici à quelque temps des pétitions dans un autre sens, dix fois plus nombreuses que celles qui vous ont été adressées, pour provoquer la loi qui nous occupe.
Remarquez, messieurs, qu’il n’a jamais existé de loi générale sur cette matière ; il n’y a jamais eu que des mesures locales ; mais n’importe, prenez une mesure, même générale, seulement n’allez pas établir une prohibition absolue. Augmentez, par exemple, le droit de patente, et, si cela ne suffit pas, élevez le droit d’enregistrement qu’on prélève sur les ventes d’objets mobiliers qui se font en public ; ce sont là de nouvelles charges qui pèseront uniquement sur les ventes à l’encan ; ajoutez à cela, si vous le voulez, des mesures de police, des mesures d’ordre, des mesures qui empêchent autant que possible qu’on ne trompe les acheteurs, je donnerai volontiers mon assentiment à toutes ces dispositions ; mais j’en reviens toujours à dire que ce n’est pas parce qu’une chose a donné lieu à des abus qu’il faut détruire, et détruire pour toujours une branche de commerce ; c’est là ce à quoi je ne puis pas m’associer, c’est là la seule chose que je ne puis pas faire.
L’honorable M. Verhaegen a parlé d’un règlement qui a été porté par la régence de Bruxelles en 1818 ; il a dit que ce règlement était aussi sévère que le projet qui nous est soumis et que cependant il n’a jamais donné lieu à des réclamations ; il y a eu un règlement en 1818, mais ce n’était pas, à coup sûr, sous l’empire de la constitution de 1830 ; du reste, ce règlement ne prouve rien : si l’on a pris en 1818 une mesure spéciale pour Bruxelles, ce n’est pas une raison pour en prendre aujourd’hui une semblable pour toute la Belgique. L’honorable préopinant dit qu’aucune réclamation ne s’est élevée contre ce règlement ; je n’en sais rien, et l’honorable membre n’en sait probablement pas davantage, car depuis 1818 il s’est écoulé 20 ans, et il serait difficile de savoir ce qui s’est fait durant tout ce temps.
On dit que les ventes à l’encan ne se font jamais que par des gens qui sont près de faire faillite ou qui sont obligés de cesser leur commerce. Eh bien, je citerai ce qui se passe tous les jours dans les murs de Bruxelles : il existe ici une grande raffinerie de sucre, elle fait des affaires considérables ; eh bien, cette raffinerie fait périodiquement des ventes à l’encan de très fortes quantités de sucre ; je ne pense pas cependant qu’elle soit près de faire faillite ou de cesser son commerce.
Je me résume, messieurs, et j’espère ne plus être obligé de reprendre la parole, car je crois m’être exprimé de manière à me faire comprendre ; il y a quelques abus dans les ventes à l’encan, je veux bien qu’on prenne des mesures pour faire cesser ces abus : je consens à augmenter le droit de patente et le droit d’enregistrement ; je consens à ce qu’on prenne ou à ce qu’on permette aux autorités communales de prendre quelques mesures d’ordre, mais je ne puis pas m’associer au vote d’une loi qui prohibe et qui prohibe partout et pour toujours les ventes à l’encan.
M. Mast de Vries. - Comme on vient de le dire, messieurs, les ventes à l’encan détruisent tout à fait le commerce, c’est un fait incontestable, et je vais signaler quelques abus qui le prouveront. Vous savez, messieurs, que dans certaines localités et surtout dans celles qui sont éloignées des grandes villes, il y a des foires où l’on vend des objets d’une consommation générale, par exemple du drap ; dans la Campine surtout il y a beaucoup de ces foires où l’on vend exclusivement du drap ; il y a là 40 ou 50 boutiquiers qui paient une patente très forte et en outre un droit de place qui est encore très élevé ; eh bien, le jour même de la foire, il arrive un marchand qui vend du drap à l’encan et qui empêche ainsi ces boutiquiers de faire la moindre affaire ; les choses en sont venues à tel point qu’il est des endroits où il venait ordinairement jusqu’à 100 boutiquiers et où il en vient maintenant à peine une douzaine.
Maintenant, messieurs, celui qui vend à l’encan n’est pas comme un boutiquer obligé de laisser examiner attentivement la marchandise ; il vend d’abord une ou deux pièces qui sont de bonne qualité ; ensuite, quand sa réputation est établie, il en vend 10 ou 12 qui ne valent rien ; chacun croit avoir fait une bonne affaire et le lendemain la plus grande partie des acheteurs s’aperçoivent qu’ils ont été dupés.
L’année dernière il y a eu en Amérique une crise commerciale dont les effets se sont fait sentir en Angleterre ; il s’est trouvé dans ce pays des quantités immenses de coton dont on devait se défaire ; une partie de ces cotons sont venus en Belgique, le marché d’Anvers en a été inondé, et on les y vend à l’encan ; il y a en ce moment dans cette ville une de ces ventes qui dure depuis 3 ou 4 semaines, tout le monde va s’y approvisionner, et dans les environs d’Anvers les boutiquiers sont absolument sans rien faire. Vous voyez bien, messieurs, que les ventes à l’encan sont la ruine du commerce.
L’honorable M. de Brouckere dit qu’il ne s’oppose pas à ce qu’on élève le droit d’enregistrement sur les objets vendus à l’encan ; cette mesure serait complétement illusoire ; comment voulez-vous percevoir un droit d’enregistrement sur des ventes qui se font pour la plus grande partie au comptant, où on livre la marchandise d’une main tandis qu’on reçoit l’argent de l’autre ? Aujourd’hui que le droit d’enregistrement n’est que d’un demi pour cent on en fraude déjà une grande partie. Ce serait bien autre chose si on l’élevait. Il n’y a qu’un moyen, messieurs, de mettre fin au mal dont on se plaint si généralement, c’est d’aborder le projet de la section centrale, et je l’appuie de toutes mes forces.
M. Lebeau. - Messieurs, tout le monde paraît d’accord qu’il faut apporter quelques restrictions aux ventes à l’encan et rendre la concurrence moins défavorable au commerce régulier ; mais je crois qu’il est bon de procéder ici avec beaucoup de prudence et de ne prendre que des mesures d’essai. On pourra les modifier, les révoquer, les étendre lorsque l’expérience en autre montré la véritable portée. Voilà, messieurs, à quoi sont assez généralement disposés ceux même qui combattent la loi, et surtout le projet tel qu’il a été amendé par la section centrale. Prenons-y garde, messieurs, si nous allons commencer par une première mesure, à réglementer l’industrie et le commerce, à intervenir dans leur mode d’exercice, dans ce qu’on a appelé leur hiérarchie, la force des choses pourrait bien nous obliger à ne pas en rester là. Evidemment, lorsque vous aurez interdit les ventes à l’encan (et telle est la portée du projet de loi de la section centrale), lorsque vous aurez interdit ce mode de commerce, toutes les réclamations du commerce qu’on appelle régulier ne seront pas apaisées ; vous n’abolissez pas, par le projet de loi de la section centrale, le colportage qui constitue aussi une concurrence fort incommode pour les détaillants, et contre le colportage il s’élève, si je ne me trompe, des plaintes tout aussi vives que contre les ventes à l’encan. N’en doutez pas, messieurs, quand vous aurez prohibé les ventes à l’encan, le commerce, encouragé par ce premier succès, ne manquera pas de vous adresser des pétitions nombreuses pour vous engager à proscrire également le colportage.
Car tout ce qu’on dit contre les ventes à l’encan, on peut jusqu’à un certain point le dire contre le colportage. On ne s’en tiendra pas là ; et déjà, vous avez entendu, par les réflexions que vient d’émettre un honorable préopinant, que les foires mêmes, les marchés, portent un préjudice assez notable au commerce de détail ; il faudra donc aussi empêcher les foires, il faudra que le gouvernement tout au moins n’accorde plus à telle ou telle ville ou commune populeuse qui en ferait la demande, l’autorisation d’ouvrir une foire ou un marché.
Je ne vois pas pourquoi, en suivant toujours le système dans lequel on veut pousser la chambre et dans lequel j’espère que la chambre ne s’engagera pas, je ne vois pas, dis-je, pourquoi l’on ne viendra pas un jour ou l’autre vous demander la suppression des bazars ; car il n’y a pas un détaillant qui ne voie avec déplaisir l’établissement d’un bazar à côté de son magasin.
Cependant si tout cela incommode un peu le détaillant, cela fait un peu les affaires du consommateur. Mais, dit-on, personne n’a réclamé dans le temps, contre la suppression des ventes à l’encan. Il est vrai qu’en général, le consommateur ne réclame pas, mais pourquoi ? Parce qu’il n’est pas aussi immédiatement lésé que le détaillant, que l’industriel. Les chambres de commerce sont, par leur position, par leurs rapports constants avec le commerce et l’industrie, bien plus l’organe de l’industrie et du commerce que celui des consommateurs. Les directeurs de ventes sont par leur petit nombre tellement en disproportion avec la masse des détaillants, qu’il n’est pas étonnant que leurs intérêts parlent moins haut que ceux des tenant-boutique.
Il serait donc très sage de se borner à un essai, à une première mesure qui témoignerait de la sollicitude qu’éprouve la chambre pour les réclamations des détaillants.
Cette pensée s’est même présentée à l’esprit de quelques sections. Il y a des sections qui ont émis l’idée d’une majoration du droit d’enregistrement. Il me semble qu’un droit qu’on pourrait décuplé et porter même à 10 p. c., constituerait déjà un assez beau privilège en faveur du commerce de détail.
Ainsi, les directeurs de ventes paient une patente assez considérable (et, pour le dire en passant, je connais des directeurs de ventes qui font leur commerce, d’une manière très légale, très régulière, et contre la probité desquels on ne pourrait rien articuler ;) ces personnes, dis-je, paient une patente assez considérable. Eh bien, frappez, en outre, si vous voulez, les ventes à l’encan qui ne sont passibles aujourd’hui que d’un droit de 50 centimes par 100 fr. ; frappez-les d’un droit de 10 p. c. J’aurai l’honneur de proposer tout à l’heure ce chiffre à la chambre.
Messieurs, j’ai pris quelques renseignements sur les relations qui existent entre les directeurs des ventes à l’encan et certaines détaillants mêmes. Il y a des détaillants qui seraient fort désappointés si les ventes à l’encan venaient à cesser complétement.
La chose est très facile à concevoir. Tel détaillant aura fait avec peu de prévoyance des commandes d’objets qui étaient purement de mode ; la mode vient à cesser, et le magasin du détaillant se trouve encombré de ces objets surannés. Il a cependant un besoin immédiat de réaliser des fonds. Quelle ressource lui laissez-vous ? Par le projet de loi, vous lui laissez le mont-de-piété, vous le convier à aller au mont-de-piété. On a parlé tantôt de morale ; mais, messieurs, voilà une disposition que j’ai peine, je l’avoue, à concilier avec la morale. Indépendamment de ce que le détaillant a quelque peine, quelque répugnance à se faire connaître ainsi à une administration publique, il faut remarquer que l’intérêt que l’on prélève dans les monts-de-piété est exorbitant et constitue par privilège une véritable usure ; tandis que si le détaillant est en relation avec un directeur de ventes, honnête homme, qui a quelque solvabilité et qui est dans le cas de faire quelques avances, ce détaillant peut se tirer à l’instant d’un état de gêne, pour lequel vous ne lui montrez d’issue que le mont-de-piété, ou tel usurier qui travaille en concurrence avec le mont-de-piété.
Vous avez encore un cas dans lequel les relations de certains fabricants avec les directeurs de ventes sont assez utiles ; je veux parler des petits fabricants ou ouvriers qui travaillent en général pour compte d’un fabricant plus considérable.
Eh bien, s’ils se trouvent momentanément surchargés de quelques objets manufacturés dont le placement ne peut être opéré immédiatement, ou bien s’ils ne veulent pas subir les conditions de ceux qui leur donnent ordinairement du travail ils ont, dans ce cas, la ressource de s’adresser à un directeur de ventes, et peuvent ainsi réaliser immédiatement le fruit d’un travail qu’ils n’auraient pas trouvé à réaliser auprès des gros fabricants.
On vous a parlé, messieurs, des réclamations des chambres de commerce ; mais M. le ministre de l’intérieur, qui a invoqué les réclamations des chambres de commerce, devrait se rappeler que les chambres de commerce ont une tendance assez marquée vers les prohibitions en général. M. le ministre a été obligé lui-même, dans une circonstance récente, de connaître les avis des chambres de commerce, lorsqu’il s’est agi des modifications qui ont été introduites dans le tarif des douanes.
Eh bien, je crois qu’on part du même principe, je crois qu’au lieu de vouloir restreindre la concurrence, on veut encore ici la tuer. Je pense, moi, qu’il serait bien plus sage d’appliquer dans l’espèce les principes qu’on a fait prévaloir dans la loi douanière ; et, au lieu de proscrire, comme on vous y convie, d’établir un droit protecteur qui ferait pencher la balance du côté du commerce régulier. Vous établissez en faveur de l’industrie indigène contre l’industrie étrangère, un droit modéré et protecteur ; eh bien, établissez aussi en faveur du commerce régulier contre le commerce exceptionnel un droit modéré, protecteur ; mais ne commencez pas par poser la prohibition, par interdire formellement l’exercice d’une profession qui n’a rien d’immoral en soi.
Si après cela il existe encore quelques abus, eh bien, d’honorables préopinants vous ont indiqué des moyens d’y porter remède : l’on pourrait par des règlements de police que l’administration locale serait autorisée à faire prescrire, par exemple, l’exhibition préalable, pendant plusieurs jours, des objets qui doivent être soumis à l’encan ; l’on pourrait les faire examiner ; l’on pourrait même accorder la faculté de refuser dans certains cas, mais cette mesure extrême devrait être environnée de grandes précautions.
Me résumant donc, et ne pouvant donner mon approbation à un projet de loi qui frappe de mort une industrie qui, je le répète, n’a rien d’immoral, j’ai l’honneur de proposer à la chambre l’amendement suivant :
« A partir du 1er janvier 1839, le droit d’enregistrement sur les ventes à l’encan de marchandises neuves est porté à 10 p. c. en principal.
Je n’entends parler ici que des ventes repoussées par le projet, les autres restant soumises au régime actuel.
L’on comprend de suite que c’est par un motif d’équité que j’ai proposé la date du 1er janvier 1839. Les directeurs de ventes, lorsqu’ils ont pris leur patente au 1er janvier 1838, ont dû espérer que sous la foi de la législation actuelle, leur profession serait libre pendant l’année entière, leur patente a donc été basée sur cette éventualité. Mais indépendamment de cela, il existe une autre considération plus grave, c’est que toujours sous la foi de la législation actuelle, ils ont fait des achats, des approvisionnements ; il faut donc leur laisser un temps moral pour faire écouler ces approvisionnements ; il ne faut pas les laisser frappés de stérilité entre leurs mains. Je crois donc qu’il est indispensablement nécessaire qu’un délai soit consacré dans la loi.
J’oubliais de faire valoir une autre considération qui est du reste tellement naturelle qu’elle se sera présentée à l’esprit de tous : c’est que mon amendement créerait pour le trésor public une ressource qui n’est pas à dédaigner ; car si mes renseignements sont exacts, les ventes à l’encan peuvent aller annuellement de 4 à 5 millions. On me dit qu’elles seront moindres, soit ; supposons-les réduites à moitié, vous aurez encore 250,000 francs pour le trésor.
M. Verhaegen. - Messieurs, tout à l’heure, il y avait quelques membres qui défendaient les ventes à l’encan ; depuis, nous avons fait un pas ; voilà maintenant tout le monde d’accord qu’il faut les entraver ; ceux qui combattent le projet de la section centrale seront d’accord maintenant qu’il faut opposer des entraves aux ventes à l’encan, car frapper ces ventes d’un droit de 10 p. c., (en supposant que cette mesure soit possible, car c’est là la grande difficulté), c’est à coup sûr les entraver.
Mais il faut bien que mes contradicteurs, qui prennent pour base de leur système la liberté du commerce, se mettent une fois d’accord avec eux-mêmes. Si ceux qui vendent à l’encan sont des commerçants qui méritent votre protection, il ne vous est pas plus permis de déroger à votre principe en les frappant d’un droit exorbitant qu’il n’est permis aux autres de prendre des mesures pour prévenir des abus.
Je pense qu’à cet argument il n’y a pas de réponse.
L’honorable M. de Brouckere a dit qu’il avait pensé que j’aurais présenté quelques arguments, mais qu’il n’avait trouvé que des mots dans que j’ai dit, et que par conséquent il lui était impossible de me répondre. Je dirai à cet honorable membre que mes arguments sont posés dans la nature des choses. Ce serait à lui de me dire ce qu’il entend par commerce et de m’en donner la définition. Je ne puis considérer comme faisant le commerce l’individu qui achète une masse de marchandises et les revend immédiatement à l’encan publiquement et à tout prix. Il n’y a là rien qui constitue la base d’un commerce, En effet, y a-t-il là de ces relations entre individus dont le but doit être de faire fructifier une industrie en en plaçant avantageusement les produits par l’emploi de tel moyen ou de tel autre ? Non. Est-ce là une spéculation ? Est-ce un individu qui, en raison de ses relations, va opérer un de ces résultats que le commerce se propose ? Non, car il vend à tout prix, au-dessous du prix auquel il a acheté. Il faut chercher dans la définition des choses, la solution de la difficulté.
Le commerce de détail est apprécié par nous tous. Les opérations du fabricant, du manufacturier, qui se lient aux opérations du détaillant, sont connues de vous tous ; mais je ne puis concevoir que celui qui achète une masse de marchandises pour les revendre immédiatement à tout prix, soit commerçant, fasse une opération commerciale.
On veut un essai d’une autre manière. M. Lebeau a dit, en proposant son amendement, que c’est une mesure d’essai. Mais le règlement dont je vous parlais tantôt, qui a été en vigueur à Bruxelles, qui a été exécuté, n’est-ce pas un essai suffisant ? Nous avons une expérience de 18 à 19 ans, qui n’a provoqué aucune réclamation, quoiqu’on en dise. Quelques individus intéressés se sont avisés de réclamer et de faire juger que ces règlements étaient illégaux, qu’il fallait une loi pour les établir. Mais la grande masse des citoyens a approuvé la mesure de prohibition complète des ventes à l’encan. On a donc essayé, et les mesures qu’on a prises ont produit le résultat qu’on en attendait Mais voyez ce qu’on veut faire maintenant. On veut mettre ces mesures-là de côté, et en prendre d’autres qui n’atteindront pas le but. On propose de porter à 10 p. c. le droit sur les ventes à l’encan, droit auquel il y a mille moyens d’échapper. Ceux qui proposent cette mesure sont convaincus qu’elle n’atteindra pas le but.
M. Lebeau. - Il n’est pas permis d’attaquer les intentions.
M. Verhaegen. - Je ne vous attribue pas cette intention ; mais d’après ce qui est connu, notre honorable collègue doit douter de l’efficacité de son amendement.
M. Lebeau. - Rien de plus facile que de constater une vente publique.
M. Verhaegen. - Je répondrai à l’honorable préopinant par les arguments, que dans une autre circonstance il a fait valoir. Ils serviront de réponse à ce qu’a dit l’honorable M. de Brouckere sur la liberté du commerce. Il vous a dit : mais c’était avant la constitution qu’existait cet arrêté, en vertu duquel on prohibait les ventes à l’encan ; mais depuis la constitution, il n’en a plus été ainsi. Il n’y a plus rien à dire, si vous entendez la chose de cette manière, mais que deviendraient alors les lois relatives à l’établissement de certaines fabriques, lois qu’invoquait M. Lebeau dans une circonstance récente ? Elles seraient inconstitutionnelles.
Mais la constitution n’est pas allée jusque-là ; toute liberté en tout et pour tous, ce qui est une très belle chose, n’est pas portée au point où on voudrait la porter aujourd’hui . Qu’on me cite une seule disposition qui étaye le système qu’on met en avant ! Il n’y en a pas une.
Mais l’honorable M. Lebeau ne proposait-il pas de ne permettre à des individus de débiter des boissons distillées qu’avec l’autorisation de l’autorité communale ? Si vous faisiez cette proposition, vous qui êtes comme nous imbu de la constitution, c’est que vous étiez convaincu que la constitution n’y portait pas obstacle. Vous devez donc admettre que ce qu’on prétend exister dans la constitution n’y existe pas.
M. Lebeau avait donc aussi rencontré l’argument, il avait rencontré les lois de 1818 relatives aux fabriques, il avait compris qu’on ne pouvait pas admettre la liberté du commerce jusqu’où veut l’étendre M. de Brouckere, qu’il fallait l’entendre sainement, c’est ce qui l’a porté à proposer un amendement qui deviendra l’objet d’un projet de loi spécial.
Je pense que dans les circonstances où nous nous trouvons, d’après l’approbation donnée par nos concitoyens aux mesures que je viens de rappeler, car il n’y a qu’une voix sur ce point, fabricants, manufacturiers, marchands détaillants, tout le monde est du même avis ; je pense, dis-je, qu’il n’y a pas d’inconvénients à faire ce qu’on a fait dans une autre circonstance.
Dans la ville de Bruxelles, vous avez des ventes qui produisent des résultats superbes, a dit M. de Brouckere. Voyez la société nationale, elle fait des ventes de sucre considérables, à l’encan, ne pourrait-il pas en résulter des inconvénients pour les raffineurs et les détaillants ? Quant à moi, je n’ai pas à répondre à cette question. Quand je pose un principe, j’en subis toutes les conséquences. Si M. de Brouckere m’interrogeait personnellement, je lui répondrai que, pour ce cas, comme pour l’espèce, je ne reculerais pas devant l’application du principe que je défends. Je laisse à l’honorable M. Coghen le soin de répondre plus particulièrement à l’honorable M. de Brouckere .
M. Desmet. - Si je croyais que l’amendement de l’honorable M. Lebeau pût avoir un résultat satisfaisant, je l’adopterais avec plus de plaisir ; mais je crains que ce ne soit pas un remède efficace. Pourquoi ? Parce que dans les ventes à l’encan, on ne vend que des rebuts, les fonds de magasin, et qu’on consentira à payer un droit plus élevé pour pouvoir les débiter. Vous n’arrêterez donc pas ces ventes par ce moyen.
Quand un honorable préopinant a parlé de colportage et d’étalage, il n’a pas voulu sans doute les mettre sur le même rang que les ventes à l’encan. Ces étalages se font dans des endroits où ou ne peut pas avoir de boutique, et le colportage est une chose nécessaire pour le plat pays. Le colportage non plus que l’étalage n’a pas l’inconvénient des ventes à l’encan. Au reste la prohibition de ces ventes n’est pas absolue dans la loi. On ne les défend pas, on ne fait que les limiter.
A cet égard, messieurs, je dois répondre un mot à ce qu’a dit l’honorable M. de Brouckere, en ce qui concerne les ventes de sucre de la société nationale. On ne vend que par gros lots, par lots de mille kilog à la fois, on reste donc dans les limites de la loi, on ne vend qu’aux magasins, on ne vend pas en détail. Je voterai le projet de loi, parce que les ventes à l’encan sont un moyen de vous inonder des produits étrangers. Depuis que vous avez levé la prohibition sur les cristaux et les draps, cette loi est devenue plus que jamais nécessaire, car les Français viendront vendre chez nous à l’encan leurs draps et leurs cristaux. C’est pour cela que j’adopterai la loi.
M. Desmaisières. - Je demande la parole.
Plusieurs voix. - A lundi ! A lundi !
- La discussion est renvoyée à lundi.
La séance est levée à 4 heures et demie.