(Moniteur belge n°45, du 14 février 1838)
(Présidence de M. Raikem.)
M. de Renesse fait l’appel nominal à une heure.
M. Lejeune lit le procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est adoptée.
M. de Renesse présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.
« Plusieurs fabricants d’indiennes, de Bruxelles et de ses faubourgs, demandent que la chambre n’augmente pas les droits d’entrée sur la garance. »
« Le sieur E. Maelfait demande la discussion du projet de loi sur le sel et présente des observations sur ce sujet. »
« Des fabricants d’indiennes et des teinturiers, de Gand, adressent des observations sur la pétition du sieur Vanderstraeten qui a demandé une augmentation de droits à l’entrée des garances. »
« La chambre de commerce d’Ostende adresse des observations sur le projet de loi relatif au sel. »
« L’administration communale de Cruyshautem demande que la somme de 5,541 francs, à laquelle cette commune a été condamnée pour pillages commis en 1830, soit mise à la charge de l’Etat. »
« Le collège des bourgmestre et échevins de la ville de Tournay demande l’abrogation de l’article 3 du 27 mai 1837 sur les distilleries. »
« Plusieurs habitants de la commune de Hoboken (province d’Anvers) demandent le paiement de créances arriérées pour prestations militaires. »
- Un congé est accordé à M. Mast de Vries, qu’une indisposition empêche momentanément de prendre part aux travaux de ses collègues.
M. de Brouckere. - Dans une des séances précédentes, la chambre a renvoyé la pétition du sieur Vanderstraeten à la commission d’industrie avec demande d’un prompt rapport. Voici une contre-pétition qui vient de la part de fabricants d’indiennes et de teinturiers de Bruxelles, et par laquelle ils s’opposent à l’augmentation des droits d’entrée sur la garance. Je demande que cette pétition soit renvoyée à la commission d’industrie, afin qu’elle fasse un seul et même rapport sur ce mémoire et sur celui du sieur Vanderstraeten.
M. Hye-Hoys. - Il y a aussi une pétition de Gand sur le même objet.
M. le président. - Elle sera réunie à la pétition des industriels de Bruxelles.
- La proposition de M. de Brouckere est adoptée. .
Les autres pétitions sont renvoyées à la commission des pétitions.
M. David (pour une motion d’ordre.) - Messieurs, nous avons depuis la session dernière un grand nombre de naturalisations prises en considération par la chambre et par le sénat.
Plusieurs personnes comprises dons ces naturalisations m’ont exposé qu’il était vraiment pénible de languir aussi longtemps après la faveur qui déjà leur a été faite, tandis qu’il ne manque plus qu’une dernière formalité à remplir. J’inviterai donc la chambre à bien vouloir décider que la commission nommée pour la rédaction du projet de loi s’assemble, et qu’il soit définitivement statué sur le sort des personnes qui ont demandé la naturalisation. Il en est qui l’attendent pour entrer dans des fonctions publiques. C’est un vrai préjudice qu’on leur fait de les enrayer aussi longtemps.
M. de Brouckere. - J’appuie la demande faite par M. David. Il est temps que nous prenions des décisions définitives sur les pétitions qui ont déjà subi une première épreuve. Mais je pense que la chambre ne s’arrêtera pas là et qu’elle ne tardera pas à fixer une séance pour s’occuper des demandes en naturalisation sur lesquelles aucune décision n’a été prise. Il existe des pétitionnaires pour lesquels il importe d’avoir une prompte solution ; il en est qui sollicitent des fonctions auxquelles ils ont droit par leurs services antérieurs ; il en est, par exemple, qui ont rendu des services dans ces derniers temps et qui ne peuvent obtenir justice. Je citerai des officiers de l’armée qui ont fait partie de l’expédition dans le Luxembourg, qui ont montré au moins de la bonne volonté et de l’attachement au pays, et qui ont besoin qu’on statue sur leurs requêtes.
Je demande que lorsque l’objet à l’ordre du jour sera évacué, on consacre une séance, ou une partie de séance, pour s’occuper des naturalisations. J’engage la commission des naturalisations à préparer son travail pour une séance prochaine.
- La proposition de M. David, et celle de M. de Brouckere, sont adoptées.
M. Demonceau, rapporteur, est appelé à la tribune. - Messieurs, dit-il, vous avez reçu ce matin le travail que la section centrale m’avait chargé de faire sur la loi concernant les boissons distillées ; vous avez dû remarquer que la section centrale ne s’y prononce pas sur l’amendement présenté par M. Lebeau.
Je viens maintenant faire connaître l’opinion de la section centrale sur cet amendement.
Messieurs, vous avez reçu ce matin le rapport que la section centrale m’a chargé de vous présenter sur le projet de loi en discussion ; vous n’y aurez rien trouvé de ce qui concerne l’amendement proposé par l’honorable M. Lebeau, parce que c’est aujourd’hui seulement que la section centrale a pu s’occuper de l’examen de cet amendement ; je viens donc, messieurs, vous présenter sur ce point les observations et conclusions de la section centrale, et comme mon rapport n’est pas long, je vous demanderai la permission de vous en donner lecture. Le voici :
Vous avez renvoyé à l’examen de la section centrale l’amendement proposé par l’honorable M. Lebeau, tendant à soumettre à une autorisation préalable le débit des boissons distillées au-dessous d’une quantité déterminée.
La section centrale a pensé que cette proposition devait être l’objet d’un examen approfondi, mais le temps qu’elle a dû employer au rapport supplémentaire qu’il lui a été demandé, ne lui a pas permis de s’y livrer avec toute l’étendue que la nature de la proposition exige. Elle a remarqué que cette proposition se rapportait plutôt à des dispositions de police qu’à l’objet du projet maintenant en discussion, tendant à frapper d’un impôt le débit des boissons distillées.
En conséquence, et pour ne pas apporter de retard à la discussion du projet de loi dont vous allez vous occuper, elle a été d’avis qu’il y avait lieu de faire de la proposition de M. Lebeau un projet de loi séparé. Nous avons consulté l’honorable auteur de l’amendement, et cet honorable collègue s’est rallié à l’avis de votre section centrale.
M. Pollénus. - Si j’ai bien entendu, la section centrale trouve à l’amendement de M. Lebeau un autre but qu’au projet du gouvernement. L’amendement a un but exclusivement moral ; la loi, quoique fiscale, a également un but moral ; si nous reconnaissions que la proposition de M. Lebeau peut atteindre mieux le but que nous nous proposons que celle du gouvernement, il me semble que nous devrions discuter d’abord le projet de loi, et dans le cas où il serait écarté, de discuter ensuite l’amendement.
M. le président. - La section centrale a proposé l’ajournement de l’amendement afin qu’il soit l’objet d’un projet de loi séparé, s’il y a lieu.
M. Lebeau. - J’ai retiré ma proposition d’abord par les considérations exprimées dans le rapport, parce que l’amalgame des mesures de police avec des mesures fiscales ne paraît pas convenable ; ensuite, parce que je ne veux pas atteindre tous les détaillants, par exemple ceux qui débitent les boissons alcooliques accessoirement ; je ne veux atteindre que les cabarets. Je présenterai une proposition formulée dans cette intention, afin qu’elle suive la filière ordinaire des projets de loi.
- Les conclusions de la section centrale sont adoptées.
Ce projet, adopté dans la dernière séance, est encore adopté dans celle-ci sans opposition. On procède à l’appel nominal.
La loi est ensuite mise aux voix par appel nominal et adoptée l’unanimité par les 65 membres présents.
M. le président. - Le rapport supplémentaire de la section centrale propose différents amendements à plusieurs articles du projet ; M. le ministre se rallie-t-il à ces amendements ?
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Messieurs, je me rallierai à peu près à tous les amendements proposés par la section centrale, et qui ne sont en général que des changements de rédaction ; il y a cependant une proposition que je crois devoir combattre ; et lorsque nous en viendrons à l’article auquel elle se rapporte, je présenterai les observations que je crois devoir faire contre l’innovation dont il s’agit. En ce qui concerne l’article premier, je me rallie à la rédaction proposée par la section centrale ; seulement je remarque qu’on a omis d’y ajouter la disposition qui a été adoptée par la chambre dans une précédente séance ; il faudra nécessairement ajouter cette disposition à la rédaction de la section centrale avant de voter sur l’ensemble de l’article.
M. le président. - L’article premier est ainsi conçu : « Indépendamment des impôts existants actuellement, il sera perçu, à partir du 1er janvier 1838, un droit de consommation sur les boissons distillées à l’intérieur ou à l’étranger, et autres boissons alcooliques qui seront vendues en détail ; ce droit sera acquitté par voie d’abonnement et d’avance, sur leur déclaration, par les débitants en détail desdites boissons, aux bureaux qui seront indiqués à cette fin par le gouvernement. »
La section centrale propose la rédaction suivante : « Indépendamment des impôts existants actuellement, il sera perçu, à partir du 1er avril 1838, un droit de consommation sur les boissons distillées à l’intérieur ou à l’étranger, et autres boissons alcooliques qui seront vendues en détail ; le droit sera acquitté par voie d’abonnement et d’avance, sur la déclaration que devront en faire les débitants en détail desdites boissons, aux bureaux qui seront indiqués à cette fin par le gouvernement. »
M. le ministre des finances se rallie à cette rédaction ; seulement, il fait remarquer qu’il faudra y ajouter la disposition qui a été adoptée par la chambre.
M. Angillis. - Messieurs, je commence par faire observer que l’existence de ce grand nombre de cabarets, surtout à l’extérieur des villes et dans les campagnes, n’est pas sans inconvénient pour les mœurs, pour l’ordre public et pour le bien-être du peuple ; car ces cabarets, dont l’influence appelle l’intempérance et la débauche, ne sont pas moins funestes pour la classe ouvrière, par la perte de temps qu’elles lui font éprouver, que par des dépenses trop souvent contraires à l’intérêt de la famille. Voilà, messieurs, le mal, et je le reconnais avec vous, voilà l’inconvénient ; mais où est le remède ? Je le cherche dans le projet qui est soumis en ce moment à la discussion, mais je ne le trouve pas.
J’ai souvent entendu accuser le genièvre de tous les crimes et délits commis depuis la diminution de l’impôt. J’habite un pays où on en boit beaucoup, et le nombre des crimes et délits n’a pas augmenté. On buvait la goutte chérie avant la diminution de l’impôt, seulement alors la fraude était plus active ; on la boit à présent comme auparavant, avec cette différence qu’il y a moins de perte pour la famille, vu la diminution du prix ; et, quoi qu’on fasse, on la boira toujours. Et quant à l’intempérance, ce ne sera jamais la loi qui y apportera remède : c’est l’instruction primaire qui opérera ce changement. L’alphabet du maître d’école est plus puissant pour corriger les vices du peuple que les commandements de la loi et les peines qu’elle prononce.
D’ailleurs le genièvre est le luxe du peuple, c’est le champagne glacé du riche, c’est la jouissance de celui qui mange souvent son pain sec et ses pommes de terre sans autre assaisonnement qu’un peu de sel.
Comme loi morale, elle sera inefficace ; elle diminuera peut-être le nombre des cabarets, mais le nombre des buveurs restera le même. On ira un peu plus loin pour arriver au cabaret, on paiera quelques centimes de plus pour obtenir la même quantité de boisson ; il résultera pour l’ouvrier une plus grande perte de temps et pour la famille une plus grande perte d’argent.
Comme loi fiscale, elle est impolitique, injuste et vexatoire : elle est impolitique, parce que cette classe de citoyens comprendra difficilement, ou plutôt ne comprendra pas du tout, qu’il s’agit de son bien-être ; au contraire, elle ne verra dans la loi qu’un acte hostile, elle criera à l’injustice, et, dans son ignorance des motifs que peut avoir la législature d’agir ainsi, elle accusera le gouvernement et les chambres d’avoir une balance inégale ; elle dira : On diminue les droits sur le vin qui est la boisson du riche, et on augmente les droits sur le genièvre qui est la boisson de l’ouvrier. Rien de plus dangereux que de provoquer les murmures du peuple, et surtout lorsqu’on lui donne des moyens de raisonner par analogie. On me dira que les plaintes ne seront pas fondées ; je veux bien le croire, mais je dois faire observer que c’est une maxime sage de gouverner les hommes tels qu’ils sont, au lieu de vouloir les gouverner tels qu’ils devraient être.
La loi sera nécessairement vexatoire, il y aura des visites domiciliaires fiscales. Il faut cependant éviter autant que possible ces formalités aussi odieuses que gênantes, parce que, pour qu’elles remplissent leur objet, il faut qu’elles puissent se faire en tout temps, à toute heure, sans autre motif que la défiance, sans autre autorisation que la volonté des préposés du fisc. La liberté de chaque individu a pour limite ce qui nuit à autrui ; ce qui nuit à tout le monde n’est donc compatible avec la liberté de personne.
Le recouvrement d’une grande partie de cette nouvelle branche de revenu sera soumis aux chances des poursuites contre des insolvables, et frappé de l’odieux que de telles mesures entraînent toujours avec elles ; et puis les formalités, les frais sont aussi des charges publiques. Le dernier échelon du gouvernement financier sera chargé de constater des contraventions prétendues ou réelles ; dans sa sphère un peu rétrécie, peu d’occasions se présentent à lui pour montrer son savoir-faire ; il croira peut-être faire preuve de zèle en cherchant les occasions pour multiplier les procès-verbaux et augmenter les frais. De là encore des plaintes et murmures. Et puis point d’égalité proportionnelle dans la répartition de l’impôt.
On appropriera la même mesure à des localités bien différentes ; on fera payer le même impôt à tous ceux qu’on aura arbitrairement placés dans la même catégorie, sans avoir égard ni à la différence du lieu ni à la différence du débit ; et cependant cette différence est quelquefois comme un est à cent ! Y a-t-il rien de plus arbitraire au monde qu’une pareille répartition ? Et nonobstant ce, j’entends dire dans tous les endroits de la chambre que la mesure est bonne ! Elle est utile, dit-on, cette loi ; et moi je dis qu’il n’y a d’utile que ce qui est juste. C’est une odieuse maxime que celle qui établit que ce qui est utile n’est jamais injuste. Je vous le demande, messieurs, une loi sans égalité proportionnelle peut-elle être juste ? Une loi qui rappellera an souvenir du peuple les anciens droits réunis, peut-elle être utile ? Quant à moi, je ne la crois ni juste ni utile.
Le fisc, dit-on, a besoin de la somme que la mesure proposée produira. Je dirai d’abord au fisc que je ne désire pas voir augmenter les impôts existants ; je dirai aux représentants de la nation qu’après avoir épuisé toutes les ressources de l’esprit et tous les artifices financiers pour soutenir l’édifice de notre crédit, il nous faut de toute nécessité revenir à cet axiome du bon sens, qui veut que l’on fasse descendre ses dépenses au niveau de ses recettes lorsqu’il n’est pas possible d’élever ces dernières au niveau de ses dépenses.
J’ignore, messieurs, si vous jugerez cette dernière remarque digne de votre attention, mais j’ai pensé que je devais la faire dans l’intérêt de nos commettants.
Quant au but moral qu’on suppose à la loi, je le répète, ce but ne sera pas rempli. Cette idée est noble, elle est généreuse, mais l’expérience m’apprend qu’une mission aussi élevée n’appartient pas à une loi fiscale ; la civilisation seule peut faire atteindre ce but ; cette civilisation ne peut venir que lentement ; elle ne consiste point dans un ensemble d’idées, mais dans des habitudes ; on ne l’apprend point comme une science, elle doit pénétrer intimement et modifier l’homme dans tout son être ; c’est en quelque sorte une nature acquise par l’éducation, fortifiée par l’influence de la société, les leçons de l’expérience et l’habitude de la réflexion. A mesure qu’on fait plus de progrès dans l’éducation, le tact devient plus délicat et saisit mieux les convenances, surtout lorsque la religion vient perfectionner toutes les notions morales, et leur imprimer son auguste caractère ; c’est ainsi que se forme l’homme civilisé, et c’est alors, et alors seulement, que l’homme du peuple deviendra moral et tempérant à la fois.
M. A. Rodenbach. - Messieurs, je pense comme l’honorable préopinant que l’instruction et la civilisation diminueront considérablement l’ivrognerie ; mais, tout en faisant des vœux pour que le peuple soit éclairé, tout en étant grand partisan de toutes les mesures qui peuvent répandre l’instruction, je pense qu’il faut en même temps des mesures préventives pour diminuer autant que possible les excès de boisson ; je crois bien que la loi n’aura pas, sous ce rapport, tous les effets désirables, mais on ne peut disconvenir qu’il en résultera toujours quelque bien ; la loi fera augmenter le prix des boissons spiritueuses au détail, et elle diminuera le nombre des maisons où se fait ce détail ; ce sera déjà là une amélioration notable ; ce sera déjà un grand bien que de ne pas rencontrer à chaque pas des maisons où l’on vend une espèce de poison moral. Je pense donc que le projet opérera quelque bien.
Il est des personnes qui dans un état normal sont très pacifiques, mais lorsqu’elles font des excès dans les spiritueux, elles s’irritent pour un rien ; on voit souvent des militaires, pris de boisson, se courroucer pour un geste, pour une parole. Il y a beaucoup de rixes dans les cabarets ; ces personnes ne se livreraient sans doute pas à de tels excès s’ils ne rencontraient pas des cabarets à chaque pas.
Si je ne me trompe, le ministre des finances a déclaré qu’il y avait un déficit de 400,000 fr. ; nous devons donc trouver une recette de 400,000 francs, nous avons encore besoin d’autres fonds pour des travaux publics ; dans cette circonstance, les spiritueux peuvent bien payer un million, car c’est là ce que la loi, je pense, est destinée à rapporter.
Il y a quelques articles de loi qui seront peut-être arbitraires ; je suis persuadé que cela fera un peu crier, qu’il y aura des procès-verbaux, et que la loi ne sera pas populaire ; mais nous devons avoir le courage de voter même des lois qui ne sont pas populaires, lorsqu’elles sont faites dans l’intérêt réel du peuple. Je le répète, nous avons besoin de 400,000 fr., et je pense que le genièvre est la matière imposable la plus susceptible d’augmentation. Je voterai donc le principe de la loi ; il est possible que les débats changent mon opinion sur plusieurs articles, mais j’adopte le principe.
M. de Florisone. - Messieurs, au moment où la discussion générale est ouverte sur le projet de loi sur les boissons distillées, je demande à la chambre de lui soumettre deux observations relatives à ce projet.
La loi que nous discutons me paraît un premier essai pour diminuer, autant que possible, l’abus immodéré des boissons spiritueuses ; c’est pourquoi j’envisage cette loi plutôt comme une loi préventive ou répressive, si je puis me servir de ces mots, que comme loi fiscale ; car il est bien réel qu’un usage excessif de boissons fortes compromet l’hygiène publique, et tout ce qui intéresse la santé du peuple doit être pris en sérieuse considération.
Mais la loi qui vous est présentée parviendra-t-elle au but qu’on se propose ?... J’en doute fortement, et pense même qu’elle ne diminuera en rien la consommation du genièvre. Il y aura, en effet, quelques petits détaillants qui devront cesser leur commerce ; mais soyez bien persuadés qu’il se créera d’autres établissements plus en grand dans le but d’attirer chez eux l’homme du peuple et même le simple indigent.
A l’occasion de cette loi, il me paraît qu’il y a une observation à faire sur un abus très grave du débit des liqueurs fortes à bon marché, je veux dire leur qualité malfaisante ; car s’il est vrai, comme quelques personnes le pensent, qu’on mêle quelquefois dans le genièvre une certaine quantité d’acide sulfurique ou huile de vitriol, c’est sur ce fait que je voudrais appeler l’attention et la surveillance du gouvernement ; et puisqu’on examine bien si les boulangers ne se servent pas de sulfate de cuivre pour faire leur pain, de même je désire que la police surveille plus souvent la qualité du genièvre qu’on vend au peuple, et que cet examen soit fait d’une manière sévère. Je ne pense pas que cette mesure puisse blesser le moins du monde tout débitant loyal et consciencieux.
J’ai dit.
M. de Jaegher. - Messieurs, je suis au nombre de ceux qui ont applaudi au but de la loi, mais je pense que les moyens qu’on propose pour atteindre ce but sont inefficaces.
L’inconvénient auquel on tend à parer se fait le plus généralement sentir dans les communes rurales. Effectivement dans les villes les excès de boisson présentent moins de dangers, et c’est surtout dans les communes, où la police se fait moins régulièrement, qu’ils sont le plus à craindre. Quelle est la classe des débitants de boissons alcooliques dans les communes ? C’est une classe qui se compose généralement de personnes qui n’ont pas une conduite très régulière ; c’est une classe qui exige déjà par elle-même une espèce de surveillance et qui est par conséquent d’autant plus indulgente à admettre chez elle des personnes également suspectes.
D’après les chiffres que nous a donnés M. le ministre des finances, il paraît que le nombre des débitants de boissons alcooliques s’élève en Belgique à 60,000 : ce qui fait à peu près 1,500 sur une population de 100,000 âmes. Je prends ce nombre de 100,000 parce qu’il est à peu près celui de la population du district d’Audenarde que je prendrai ici pour exemple. Il y a dans le district d’Audenarde un nombre extrêmement restreint de commises des accises ; les employés qui seront chargés de constater le débit des boissons sont les employés des accises et les administrations communales. Mais je pense que les commis des accises sont en trop petit nombre, et les administrations communales ne se trouveront pas en position de pouvoir constater le débit frauduleux des boissons distillées.
Le premier effet de la loi sera, je pense, de faire diminuer le nombre des déclarations de patente de débit de boissons. Les petits marchands, effrayés de l’extrême élévation du droit qui va peser sur eux, renonceront à leur patente, mais je crois que malgré cela, le débit ne sera pas diminué ; ces marchands continueront à débiter, et ce sera tout bonnement une loi contre les enseignes que nous aurons faite.
L’Etat y perdra d’abord le droit imposé par la loi actuelle ; il perdra en second lieu le droit de patente ; en troisième lieu (ce qui est encore plus dangereux), la police locale y perdra le droit de surveillance sur ces établissements.
J’ai, en débutant, appelé l’attention sur le caractère des personnes qui, dans les campagnes surtout, se livrent à cette espèce d’industrie ; je crois devoir aussi rappeler à M. le ministre des finances quelles difficultés on éprouve à la campagne à amener les administrations communales à faire usage des moyens de constater les cas de fraude à l’égard de pareilles personnes ; il est très dangereux à la campagne de se mettre en état d’hostilité contre les gens cette catégorie.
Je crois en résumé que la loi actuelle aura pour effet de faire diminuer le nombre des cabarets déclarés, des localités où se débiteront les boissons alcooliques ; mais par le fait ce nombre ne diminuera pas : il y aura un plus grand nombre de maisons clandestines, qui seront d’autant plus dangereuses que la police n’aura plus d’action sur elles.
C’est par ces diverses considérations, messieurs, que je crois ne pas pouvoir donner mon assentiment à la loi.
M. Verhaegen. - Messieurs, je prends la parole motiver mon vote qui sera négatif. Comme on vous l’a dit, s’il y a un moyen d’atteindre le but qu’on se propose, nous pourrions donner notre assentiment à la loi ; mais ce but ne nous paraît pas pouvoir être atteint, et la forme qu’on donne à la chose est insolite. Comme mesure fiscale, l’impôt que le projet a en vue est un impôt injuste en ce qu’il frappe certaines catégories d’individus et exempte certaines autres ; il s’agit dans l’occurrence, non pas de frapper le détail en général, mais une partie du détail, et c’est là le motif principal pour lequel je considère comme injuste l’impôt qu’on nous propose. Il est injuste, d’ailleurs, ainsi que vous l’a dit mon honorable ami, M. Angillis, parce qu’il frappe le pauvre et n’atteint pas le riche. Quelle que soit la position dans laquelle on se place, il faut cependant convenir que, dans certaines circonstances, l’homme, surtout à la campagne, après avoir beaucoup travaillé, ne peut faire un usage modéré de boissons spiritueuses.
Si l’on pouvait empêcher les excès, ce serait peut-être un bonheur, mais le but qu’on veut atteindre me paraît impossible. Car, comment atteindre ce but ? Qu’arrivera-t-il, indépendamment des réunions particulières dont nous a parlé plus haut un honorable préopinant ? C’est qu’un débitant de boissons aura la clientèle de tout un village, et que les autres n’auront plus rien à faire. Si tous ceux qui veulent consommer du genièvre en détail se transportent dans un seul et même cabaret, le cabaretier pourra livrer ses liqueurs à peu près aux mêmes prix auxquels ils les livraient auparavant, Ainsi, sera manqué le but que l’on veut atteindre par la loi.
D’un autre côté, l’on a en vue la tempérance ; c’est, comme on vous l’a dit, le but moral du projet de loi. Ce n’est pas au moyen d’une loi qu’on arrivera à un pareil résultat ; l’honorable M. Angillis a énoncé cette opinion, et je la partage. Il est des circonstances où il faut insensiblement amener les améliorations, conduire le peuple où on désire le conduire au moyen de l’instruction. Messieurs, on ne commande jamais à des passions par des lois, et la législature ne fait que perdre son temps en cette circonstance.
La loi qu’on nous propose ne devant donc atteindre ni son but fiscal, ni sou but moral, je voterai contre, me référant au surplus aux raisons qui ont été données par d’honorables préopinants.
M. Gendebien. - Je répéterai ce que j’ai eu l’honneur de dire dans une séance précédente sur les patentes. Je me suis élevé contre un régime qui me paraît contraire à une bonne économie en matière d’impôt et à une bonne justice distributive envers et entre les citoyens. J’ai dit que je concevais la patente sur les matières dont le débit peut être nuisible, et j’ai cité le genièvre comme susceptible d’être frappé du droit de patente ; mais j’ai ajouté que j’entendais que cet impôt fût établi à la décharge des autres patentables et notamment à la décharge de l’impôt sur le sel. Je vous disais : Augmenter, dans l’intérêt de la morale, l’impôt sur les boissons dont le peuple fait usage beaucoup plus qu’aucune autre catégorie de citoyens, c’est accroître l’impôt qui pèse sur le peuple ; il faut par compensation diminuer l’impôt sur le sel qui pèse aussi plus particulièrement sur lui.
Il ne faut pas, quand le mari ira dépenser plus d’argent pour satisfaire ses goûts pour le genièvre, que la femme de ménage ne puisse pas se procurer le sel suffisant pour assaisonner les pommes de terre qu’elle donne à ses enfants. Diminuez donc dans la même proportion l’impôt sur le sel. Voilà dans quel sens j’ai indiqué la patente sur les boissons spiritueuses comme utile au trésor, à la morale et à la société. J’ai dit que la patente devait être payée principalement par les distillateurs. La loi n’en fait pas mention. Ce motif suffirait à lui seul pour me la faire répudier, mais j’ai encore d’autre raisons pour voter contre.
Je n’entrerai pas dans les détails de la loi ; mais il en est un que je dois rencontrer. C’est l’article 3 qui établit trois catégories de contribuables. Cet article dénature le système tel que je l’avais proposé et qu’il avait été compris par la chambre. Il établit un impôt injuste, arbitraire ; tandis que par un accroissement de patente, comme je l’avais proposé, vous imposeriez les débitants d’après les règles qui servent de base à toutes les patentes. Votre impôt serait tolérable, serait juste, autant que peut l’être le système des patentes en général. Mais vous déviez de ce système, dès que vous établissez trois catégories arbitraires et que vous faites payer à tous les débitants des grandes villes la même somme. La disproportion entre eux peut cependant être comme un est à cent.
Il suffit de parcourir les rues de Bruxelles pour se convaincre de la réalité de cette observation. La même inégalité existe entre les grandes villes et les petites communes. Les débitants des petites communes n’ont aucun rapport avec ceux des grandes villes, et cependant on propose de fixer à 15 fr. l’abonnement pour les débitants des grandes villes et à 10 fr. pour ceux des plus petites communes. Vous le voyez, il y a là une disproportion choquante. Il y a injustice et arbitraire dans la mauvaise répartition individuelle, injustice et arbitraire dans la mauvaise répartition par catégorie de communes. Je voterai donc contre le projet de loi.
Comme je ne lui vois aucune chance de succès dans la forme où il est présenté, je me bornerai à cette simple expression de mon opinion. Je laisserai rouler la discussion, et je me bornerai à voter contre la loi.
M Pirson. - Je pense aussi, comme l’honorable M. Gendebien, qu’en fait de morale, quand on a recours à des moyens législatifs pour parer à des inconvénients comme ceux de l’ivresse, il faut donner aux réunions d’habitants la possibilité de passer leur temps plus honorablement qu’à boire de l’eau-de-vie. Si je voyais diminuer les droits sur la bière afin qu’elle pût remplacer le genièvre dans les campagnes où l’on ne brasse pas du tout, je crois qu’on atteindrait le but qu’on se propose. Je ne parle pas des grandes villes, car là on boit plus de bière que de genièvre ; je parle des campagnes où le riche particulier seul peut avoir de la bière, et où le peuple n’en a pas du tout et ne boit que du genièvre.
Je pense, comme l’honorable M. Gendebien, qu’il faudra donner aux habitants des campagnes un moyen quelconque de se réunir en famille ou entre amis, afin qu’ils puissent entretenir ces associations, qui sont un droit et un besoin pour les citoyens ; car elles sont pour eux un moyen d’entrer de plus en plus dans la civilisation générale.
Je considère la loi présentée comme une loi d’essai, mais je voterai pour son adoption, quoiqu’elle ne propose aucune diminution sur la bière. Je crois que quand on aura éprouvé les effets de la loi que nous faisons, nous arriverons à de bons résultats ; nous ne pouvons pas tout faire d’emblée ; il faut essayer différents moyens. Je voterai donc pour cette loi, en attendant que M. le ministre puisse rechercher les moyens de pourvoir aux nécessités que M. Gendebien et moi avons indiquées.
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Messieurs, dans presque toutes les circonstances où il a été possible de parler des excès résultant de l’usage des boissons alcooliques, et des délits commis à la suite, tous les membres de cette assemblée ont été d’accord pour réclamer des mesures contre la consommation immodérée de ces boissons ; de toutes parts on voulait frapper le débit des boissons spiritueuses.
Cinquante fois M. Gendebien est revenu sur la nécessité, la convenance d’entraver la consommation de ce funeste liquide. Aujourd’hui que la chambre est saisie d’un projet qui tend à mener à ce but, on ne veut plus de ce projet si vivement réclamé : frapper de la sorte la consommation, c’est, dit-on gêner par trop les pauvres débitants ; il vaut mieux enfin ne rien faire et vivre avec notre mauvaise législation sur les genièvres, qui amène de malheureux soldats dans les prisons par suite d’insubordinations qui sont le résultat de l’ivresse ; et ces soldats cependant se trouvent dans les prisons en société de malheureux citoyens qui, eux aussi, jusqu’au moment où ils ont, par la grande facilité qui les a entraînés, bu trop de cette fatale boisson, s’étaient conduits honorablement, n’avaient jamais rien eu à démêler avec la justice, et qui, pour une faute en quelque sorte indépendante d’eux- mêmes, se trouvent incarcérés et flétris. Mais il faut repousser la loi proposée parce qu’elle gênerait les débitants !
Veut-on sincèrement restreindre le débit des boissons distillées, il faut bien alors prendre une mesure comme celle qui vous est présentée car, qui veut la fin, doit vouloir les moyens.
Mais, dit-on, l’impôt est injuste : vous frappez d’un droit de vingt francs uniformément toutes les communes rurales, vous ne basez pas l’impôt d’après le débit réel de la marchandise. Eh bien, messieurs, si nous vous avions demandé les moyens de constater les quantités vendues pour en faire la base de l’impôt, vous les auriez repoussés avec indignation, et vous auriez eu raison, parce que nous n’aurions pu les admettre sans placer dans les mains du gouvernement des armes d’inquisition ; sans l’obliger à lancer ses agents nuit et jour dans le domicile des habitants qui vendent les liqueurs alcooliques ; en un mot, sans rétablir les droits réunis avec tout leur cortège. Il serait d’ailleurs résulté de là un autre inconvénient. Le nombre des employés nouveaux dont aurait eu besoin l’administration, eût entraîné une dépense telle que l’exécution de la loi en eût absorbé les produits ; or, voilà ce qui inévitablement arriverait, si, comme on semble nous le conseiller, l’impôt était organisé à raison du nombre de litres de genièvre qui seraient débités. Il est évident qu’un tel système n’a rien de pratique, rien de possible.
On nous oppose que le résultat du projet sera de réduire le nombre des débitants à tel point qu’il arrivera que par chaque village un seul grand cabaretier finira par s’attirer la clientèle de tous les buveurs, et qu’alors l’augmentation du prix du genièvre, attendue de l’impôt d’abonnement, étant répartie sur une consommation très forte, sera insensible. Eh bien, si le débit se restreint ainsi à un petit nombre d’individus, il sera facile plus tard d’introduire quelques changements dans la loi que nous proposons pour l’approprier à ce nouvel état de choses ; mais ce résultat heureux, selon moi, ne sera pas, je le crois bien, aussi certain ni aussi prochain qu’on le suppose.
Le premier orateur que vous avez entendu aujourd’hui, en motivant son opposition au projet, a parlé de visites domiciliaires, de frais d’exécution excessifs et accablants pour les assujettis ; or, quand j’examine attentivement les dispositions de la loi, je ne vois pas qu’il y soit question de visites domiciliaires, non plus que de dépenses excessives. Je conviens toutefois très volontiers que, selon toute probabilité, les débitants trouveront la loi très mauvaise, et qu’ils vous adresseront peut-être même des pétitions pour le retrait de la mesure ; mais c’est là le résultat de toute loi fiscale ; chaque fois qu’on veut imposer un commerce ou une industrie, tous les intéressés immédiats jettent les hauts cris.
Un honorable député d’Audenarde vous a exprimé ses craintes sur les difficultés de l’exécution complète de la loi. Les employés des accises, vous a-t-il dit, ne sont pas en nombre suffisant, et les autorités locales ne seront pas disposées à les suppléer pour assurer l’application de l’impôt ; cet honorable membre a ajouté que probablement le nombre des patentes de débitants de genièvre serait réduit à cause du droit d’abonnement plus élevé qui va être ajouté à ces patentes. Je ne crois pas, messieurs, que ces craintes soient fondées. Il faut bien admettre que la majeure partie des débitants de boissons actuels se soumettront à la nouvelle loi et feront leur déclaration ; or, ceux-là auront intérêt à faire connaître aux agents de l’administration que tel individu de la commune élude l’impôt : les employés seront mis aussi sur la voie des contraventions et ne manqueront pas de les constater, En outre, il est permis de compter que la charge que nous allons imposer aux débitants sera bien vue par l’immense majorité des habitants, et que dans la plupart des communes il y aura une espèce de concours de la part des honnêtes gens, pour réprimer ce qu’il déplorent aujourd’hui, c’est-à-dire la facilité offerte à ceux qui sont disposés à se livrer aux boissons spiritueuses.
M. Gendebien vous a dit qu’un des motifs principaux qui le détermineraient à voter contre la loi, dont il a cependant lui-même suggéré l’idée, c’est qu’en compensation du produit qu’elle allait assurer au trésor, il ne voyait pas la certitude d’une diminution équivalente de l’impôt sur le sel.
Mais, raisonnablement, comment parler de réduire l’impôt sur le sel, réduire aussi l’accise sur la bière, comme le voudrait un autre orateur, lorsque tout le monde sait que le produit de la loi actuelle amènera à peine nos ressources au niveau de nos dépenses ordinaires. Ne vaudrait-il pas mieux reconnaître que, dans une semblable position, il est financièrement impossible de songer à diminuer aucun impôt, et que la prudence commande même d’aviser à créer des ressources nouvelles.
Il est vraiment étonnant que de ce même côté où on réclame à chaque occasion des diminutions d’impôt, partent sans cesse les demandes d’augmentation de dépenses extraordinaires ; ce sont les mêmes membres qui veulent payer des indemnités, qui sollicitent le plus vivement l’augmentation des traitements de certains fonctionnaires qui, sans doute devront être augmentés un jour, nous l’avons reconnu ; ce sont les mêmes membres, dis-je, qui insistent toujours pour la réduction des recettes.
Je ne conçois pas qu’on puisse se montrer ainsi à la fois partisan de dépenses et contraire à l’élévation des recettes. Je tiens, messieurs, à m’exprimer à ce sujet d’une manière claire et précise, sans aucune espèce de réticence. Que ceux qui veulent imposer des obligations à l’Etat soient conséquents avec eux-mêmes, qu’ils lui donnent aussi les ressources nécessaires pour y faire face.
Sans nous arrêter d’ailleurs à la question de ces dépenses sur lesquelles je n’ai pas à m’expliquer ici incidemment, je répéterai que nous avons besoin de maintenir le droit sur le sel et sur la bière et de plus d’obtenir l’impôt que nous demandons en ce moment.
M. Gendebien a reproché à la loi d’avoir une lacune, celle que les distillateurs ne se trouveraient pas atteints par les dispositions proposées. Je vous prie à ce sujet de vous rappeler, messieurs, qu’il n’y a pas huit mois que vous avez voté une augmentation de droits sur la fabrication du genièvre, et que l’impôt sur cette fabrication doit rapporter un million de plus en 1838 qu’en 1836, et 1837 trois millions au lieu de deux.
Je ne dis pas qu’il faudra s’arrêter là, que le droit de fabrication ne devra plus être augmenté ; mais ce n’est pas le moment de le faire, il y a trop peu de temps qu’il a été modifié, et il importe avant tout d’avoir quelque expérience de l’effet du dernier changement pour en ajouter de nouveau.
L’honorable M. Angillis envisageant le côté moral de la loi, nous a dit que ce n’était pas d’une loi fiscale telle que celle-là qu’il fallait attendre la cessation ou la diminution des abus résultant de l’usage des boissons spiritueuses, que le progrès de la civilisation et le temps pouvaient seuls amener ces résultats.
J’avoue que dans l’occurrence je n’ai pas du tout confiance dans le temps ; c’est depuis trois ou quatre ans, c’est-à-dire depuis la diminution du droit de fabrication du genièvre que les abus ont sensiblement augmenté ; or, on ne prétendra pas que depuis trois ou quatre ans la civilisation ait été chez nous en rétrogradant ; on ne serait pas admis à soutenir une semblable allégation, car certainement depuis trois ans la civilisation s’est développée en Belgique ; cela tient donc à une autre cause, et il faut bien reconnaître que cette cause réside dans la facilité qu’ont les habitants de faire usage des boissons spiritueuses, facilité que le projet que nous discutons a en vue de restreindre.
(Moniteur belge n°46, du 15 février 1838) M. Gendebien. - Messieurs, on accuse la chambre d’inconséquence.
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Ce n’est pas la chambre.
M. Gendebien. - Soit, des membres de la chambre ; quoique le reproche ait été fait d’une manière assez générale, j’en prends ma part.
On a dit que des réclamations s’étaient élevées nombreuses, quelquefois acerbes, pour demander qu’on imposât davantage la consommation du genièvre, et maintenant qu’on le propose, on n’en veut plus. Il a ajouté que rejeter le projet présenté, c’était rejeter tout impôt sur la consommation du genièvre.
Il me semble que je me suis assez expliqué pour démontrer que c’était le mode de perception que je repoussais. Je demandais qu’on augmentât le droit en augmentant la patente, en conservant la base et la règle sur lesquelles on a établi les patentes ; j’ai ajouté que cette loi est exécutée depuis longtemps, et qu’il serait plus facile de l’étendre pour les genièvres qu’un système nouveau qui est injuste dans la répartition en trois classes et dans la répartition individuelle, pour chacune de ces classes.
En augmentant successivement les patentes sur les genièvres, les contribuables s’habitueraient petit à petit à l’augmentation, tandis qu’un accroissement subit, extraordinaire, tel qu’on le propose, soulèvera des plaintes qui seront d’autant plus vives que la répartition est inégale et arbitraire.
Pour mon compte, je désire ardemment qu’on augmente le prix du genièvre. J’ai proposé d’établir ou plutôt d’augmenter le droit de patente sur les distillateurs et sur les débitants. Quant aux premiers, on a dit que c’était impossible, parce que déjà on venait d’augmenter le droit sur la fabrication du genièvre, ce serait provoquer à la fraude. Si l’augmentation du droit de patente devait augmenter les droits de fabrication et par conséquent les chances de la fraude, je concevrais qu’on s’y opposât. Mais qu’on perçoive ou non un droit de patente élevé, cela ne changera rien à la fraude, la hauteur du droit qu’on perçoit sur les opérations de la distillation restant la même.
Sans doute le droit perçu à la fabrication est plus juste qu’aucun autre, je désire le voir augmenter le plus possible ; mais je crains qu’en augmentant outre mesure le droit à la fabrication, on n’invite à la fraude. En conservant les droits de fabrication à un taux modéré et en élevant le taux de la patente des distillateurs nous élèverons ainsi le prix du genièvre sans ouvrir la porte à la fraude. Je crois qu’il n’y a là rien d’irrationnel. S’il y a quelque chose d’irrationnel, c’est dans l’objection faite par M. le ministre des finances, dans la prétendue impossibilité d’augmenter la patente des distillateurs, parce qu’on vient d’augmenter les droits à la fabrication.
J’ai demandé précédemment que l’impôt qu’on percevrait sur la consommation du genièvre ne fût pas une augmentation d’impôt. J’ai demandé qu’en augmentant l’impôt sur la consommation d’objets pernicieux, on le diminuât sur d’autres objets, sur le sel par exemple. Le ministre des finances dit qu’il est impossible de diminuer l’impôt sur le sel. Comment cela est-il impossible ? Parce qu’il a eu la condescendance d’abandonner un impôt comme celui du sucre. Je conçois alors la nécessité de maintenir l’impôt sur le sel. Mais est-ce notre faute si on s’est laissé aller à des cajoleries, à de clameurs, à des menaces, quand il s’agissait d’exécuter une loi juste et de facile exécution, quand il ne s’agissait que de couper court à une fraude reconnue et scandaleuse ? Ainsi, parce qu’on permet aux raffineurs de sucre exotique de spolier le trésor, il faudra que le peuple paie des droits sur ce qu’il y a de plus essentiel dans sa nourriture, pour subvenir au déficit qui est la conséquence de cette condescendance.
Quand on veut faire accepter et tolérer un impôt qu’on sait devoir être mal accueilli, il faut présenter une fiche de consolation.
Il faut que vous puissiez dire à la femme de ménage : Si votre mari continue à aller boire du genièvre à l’excès, vous serez dédommagée par la diminution sur le prix du sel. De cette manière, vous aurez une immense majorité du peuple favorable à la loi. Mais vous augmentez le prix du genièvre, et vous n’offrez rien en compensation. Le peuple dira avec raison, ainsi qu’on l’a déjà fait observer qu’on choisit de préférence les objets qu’il consomme pour augmenter les impôts ; il se plaindra, et il aura raison de se plaindre.
Je le répète encore, et je le répéterai toujours jusqu’à ce que je parvienne à faire discuter ma proposition, il faut prendre l’argent où il est, il faut lever l’impôt sur le superflu et non sur le nécessaire. Eh bien, vous vous obstinez à percevoir l’impôt sur le sel qui est une chose nécessaire, indispensable au peuple, et vous ne voulez pas imposer le sucre, le luxe, la richesse, le célibat.
Ainsi que j’ai déjà eu l’honneur de le dire, et je le répéterai pendant 50 ans encore s’il le faut, le célibataire qui a 10,000 fr. de rente ne paie pas, ou très peu, de contributions, tandis que le père de famille qui a également 10 mille fr. de rente qui doit subvenir à l’existence de 4, 5, 6, 7 et 8 personnes, paie des impôts précisément parce qu’il a une plus grande famille et moins de moyens. Ainsi, où il paie l’impôt de consommation pour lui et sa famille à raison de 4 à 8 personnes, le célibataire ne paie que pour une seule personne. Le père de famille est obligé d’avoir une maison pour loger sa famille et un ameublement proportionné. Il paie des contributions foncières, de portes et fenêtres, et mobilière ; il lui faut des domestiques, il paie encore un impôt pour ces domestiques.
Le célibataire est au contraire dans son appartement bien tranquille ; quoique ayant dix mille francs de rente et point de charges, bien qu’il n’ait à pourvoir qu’à sa personne, il ne paie rien ; et malgré cette injustice flagrante on ne veut pas chercher le moyen d’imposer le célibataire : on préfère imposer la boisson du peuple, sans dédommagement pour ce peuple. Puisque vous cherchez des ressources, en voilà de toutes trouvées : en frappant le célibat, vous atteignez le luxe, la richesse et presque toujours l’oisiveté.
On nous a adressé le reproche de nous opposer toujours aux augmentations d’impôts, et de demander sans cesse des augmentations de dépenses : oui, nous demandons des augmentations de dépenses pour certaines catégories. Par exemple, j’insisterai toujours pour qu’on indemnise ceux qui ont souffert pour la révolution. Je dirai en 1838 comme en 1830 : si la moitié de la nation avait été ruinée par la révolution, il faudrait que l’autre moitié partageât avec elle pour égaliser les bénéfices et pertes résultant d’un grand acte national. Mais, messieurs, est-ce que l’on entend indemniser toutes les pertes au moyen des impôts ? Ce serait là une injustice, car la révolution n’a pas été faite uniquement pour la génération actuelle, qui a acquitté déjà son contingent par les sacrifices des plus nobles citoyens, Il faut donc faire aussi supporter quelques charges aux générations à venir, qui ne peuvent être appelées à jouir des bénéfices sans charges. C’est par un emprunt qu’on doit indemniser. Qu’on ne nous reproche donc plus d’augmenter les dépenses...
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Et les intérêts de l’emprunt !
M. Gendebien. - Vous paierez les intérêts avec les contributions ; mais cette charge ne montera pas bien haut ; elle sera peu pesante, si elle est bien répartie. Quant aux impôts, nous nous plaignons bien moins de leur hauteur que du mauvais système adopté pour leur perception. Je répéterai sans cesse que vous ne suivez pas les premiers principes en cette matière, que vous ne cherchez pas l’argent où il se trouve, et qu’au lieu de prendre sur le superflu, vous prenez sur le nécessaire.
Je crois en avoir dit assez pour justifier mon opinion et repousser les accusations du ministre. Je voterai contre l’impôt, parce qu’il est contraire au système que j’avais compris. Il frappe encore un objet de première nécessité, jusqu’à un certain point, sans donner aucune indemnité, aucune compensation à une classe déjà surchargée d’un impôt indirect. Je voterai contre l’impôt, parce qu’il n’atteint pas les distillateurs, parce qu’il est injuste sous tous les rapports et arbitraire dans sa répartition.
(Moniteur belge n°45, du 14 février 1838) M Pirson (pour un fait personnel). - Il est de fait que j’ai parlé de la diminution de la bière ; il faut des ressources aux habitants des campagnes pour leurs réunions. Mais je n’ai pas fait de ma demande une condition sine qua non, j’ai dit que je voterais pour la loi parce que tôt ou tard on en viendra à diminuer l’impôt sur la bière.
M. Devaux. Je suis du nombre de ceux qui ont témoigné, dans d’autres circonstances, le désir de voir imposer les débits de boissons spiritueuses. La première raison qui me portera à voter pour la loi, en général, c’est d’abord qu’on a besoin d’impôts ; et qu’en supposant que cette loi entraîne des inconvénients, c’est une objection qui ne lui est pas particulière et dont tout autre loi serait probablement l’objet au moins autant que celle-ci. Quand le gouvernement a un moyen de trouver les ressources nécessaires au service public, en atteignant en même temps un but louable, on peut, je crois, se montrer disposé à l’adopter ; si la loi a des défauts, modifions la loi, mais ne la rejetons pas. Elle ne produira pas, j’en conviens, un bien moral immense ; l’impôt est très peu élevé ; mais c’est un essai ; et il pourra faire quelque bien.
Je pense que dans les villes, par exemple, elle aura un certain effet pour empêcher, non pas les ivrognes de continuer de se livrer à des habitudes invétérées, mais pour détourner de ce vice des personnes qui n’ont pas encore pris le goût de la boisson. Un certain nombre de petits débits de boissons tomberont, et cela est un bon résultat. On ne m’a pas convaincu en disant que la consommation sera toujours la même et le nombre des cabarets seul diminué. En diminuant les cabarets, on restreint nécessairement le nombre des buveurs.
Les ouvriers se livrent plus facilement à la boisson quand le cabaret est près de leur ouvrage, que quand il en est éloigné. Ainsi un seul grand cabaret est moins dangereux que plusieurs petits.
On dit qu’il s’établira des débits clandestins ; eh bien, par cela même qu’ils seront clandestins, ils débiteront moins ; s’ils sont inconnus du public, ils auront moins de buveurs ; s’ils sont connus du public, ils le seront du gouvernement. Il est possible qu’il existe en Belgique en ce moment des maisons de jeu et des loteries clandestines ; mais par cela même que ces établissements sont clandestins, ils sont moins dangereux.
On a trouvé l’impôt injuste, parce qu’il n’est pas assez proportionnel. Je ne crois pas que nous devions avoir pour but d’établir une proportion exacte entre les bénéfices que produisent ces divers établissements et l’impôt dont on peut les frapper. Je crois qu’il faut frapper proportionnellement plus fort sur les petits cabarets que sur les grands.
Quand vous établissez une loi spécialement fiscale, vous avez raison de partager l’impôt dans la proportion de la fortune ; mais le but de votre loi est autre, et le même principe n’est plus applicable ; ce n’est pas la fortune présumée des débitants que vous voulez atteindre, vous voulez les frapper dans la proportion du mal qu’ils font ; or, les petits cabarets faisant plus de mal que les grands, parce qu’ils sont plus nombreux, ils doivent être atteints par la loi dans une proportion plus forte.
Ces considérations que je ne veux pas étendre davantage me porteront à voter pour le projet. Cependant il me semble que dans la classification de l’article 3 il y a quelques changements à faire ; il aurait fallu porter au premier rang toutes les villes industrielles, ainsi la ville de Verviers devrait figurer dans la première classe. S’il est une localité où il faut restreindre la consommation des boissons spiritueuses, c’est dans une ville d’ouvriers. Charleroy pourrait aussi être mise dans la première classe.
M. Brabant. - Messieurs, c’est par condescendance à des réclamations qui pouvaient être fondées avant la révolution, et qui ne l’étaient plus depuis, que nous avons modifié la législation sur les distilleries. Aussi voici la seconde fois que nous sommes obligés de revenir sur nos pas et d’apporter des palliatifs au mal que nous avons fait à la morale publique et au fisc. Le moyen que l’on propose aujourd’hui remédiera-t-il mal ; est-il applicable à ceux qui ont aidé à la propagation du mal, dont la source est dans notre législation ? Je dis que non.
On propose de compenser une partie de la perte que le trésor a éprouvée par suite de la réduction énorme qu’a subie l’accise sur les boissons distillées, par une espèce de patente sur les cabarets ; mais les cabaretiers ne sont pas la cause de l’augmentation considérable qui a lieu dans la consommation. Le nombre des cabarets est à peu près stationnaire depuis dix ans ; cependant, c’est depuis 1833 que l’on se plaint de la grande augmentation dans la consommation du genièvre. Messieurs, j’attache de l’importance à cette observation ; elle est essentielle. L’augmentation des cabarets n’est pas d’un dixième ; là où il y avait 100 cabarets, il n’y eu a pas 110 actuellement. Ce n’est donc pas le nombre des cabarets, je le répète, qui est la cause de l’augmentation de la consommation du genièvre ; je crois, au contraire, messieurs, que l’augmentation du nombre des cabarets a été le correctif du vice de la législation sur les distilleries, et voici comment : plus il y a de cabarets, plus le débit de chacun d’eux doit diminuer ; or, il est certain que celui qui a un débit considérable peut se contenter d’un bénéfice beaucoup moindre que celui dont le débit est plus limité. Outre cette considération, messieurs, j’insisterai particulièrement sur un point qui a déjà été présenté par tous les orateurs qui ont parlé contre le projet de loi avant moi ; c’est qu’on frappe également tous les débitants d’une même commune, tandis qu’il y a une énorme différence entre le débit de chacun d’eux. Mon commerce me met en relation avec une foule de débitants de boissons distillées ; eh bien, messieurs, j’en connais qui débitent plus de 50 hectolitres par an, tandis qu’il en est d’autres dans la même commune qui en vendent à peine un ; cependant d’après le projet les uns et les autres paieraient la même somme.
L’honorable M. Pirson a demandé que pour restreindre la consommation du genièvre, on diminuât l’impôt sur la bière ; eh bien, messieurs, au lieu de diminuer cet impôt, le projet de loi aura pour effet de l’augmenter, car un grand nombre de cabaretiers ne vendent du genièvre que parce qu’il est indispensable d’en vendre lorsqu’on vend de la bière. Chacun sait ce que c’est qu’un cabaret ; un grand nombre de personnes sont dans l’habitude de boire le soir une petite goutte, et ces personnes abandonneraient bien certainement l’estaminet où l’on n’en débiterait plus.
Messieurs, il n’y a qu’un moyen de remédier au mal dont on se plaint ; ce moyen je le proposerai sans cesse jusqu’à ce qu’il ait été adopté ; c’est de rétablir la législation sur les distilleries qui existait au 1er janvier 1833. A cette époque, il avait été fait droit à toutes les réclamations fondées des distillateurs, et ce qui le prouve, c’est l’accroissement considérable du nombre des distilleries depuis 1830 à 1833. Sur quoi, messieurs, se fondait-on pour réclamer l’abolition de la loi ? C’était sur les vexations éprouvées par les distillateurs. Eh bien, messieurs, au lieu d’un millier de distillateurs qui pouvaient être vexés par suite de la loi dont il s’agit, vous aurez maintenant 55,000 contribuables qui seront vexés par suite de la loi proposée, et ce ne sont pas ceux qu’il est le moins dangereux de vexer, car ce sont ceux qui sont le plus remuants.
M. Desmet. - Messieurs, si nous n’avions pas en Belgique une agriculture qui a un besoin nécessaire des distilleries, certainement, après tout ce que vient de dire l’honorable M. Brabant, je commencerais aussi à vouloir mettre le feu aux distilleries ; mais tout le monde sait combien l’agriculture a besoin des distilleries, non seulement pour l’amélioration des terres, mais encore pour l’éducation du bétail. Comment, messieurs, voulez-vous remplir vos boucheries sans l’existence des distilleries ? Avec quoi engraisserez-vous le bétail dont vous avez besoin pour la consommation ? Nous ne pouvons donc pas en revenir à la législation de 1822 qui a été la mort de presque toutes nos distilleries.
Vous savez, messieurs, combien de réclamations se sont élevées contre cette législation avant la révolution et jusqu’en 1833. Il suffit de lire à cet égard les rapports successifs des gouverneurs de la province de Luxembourg ; il en résulte que le régime de 1822 avait tout à fait anéanti les plantations d’arbres fruitiers dans la province de Luxembourg ; chez nous, c’était la même chose : toutes les distilleries étaient tombées, et par suite, toutes les landes et mauvaises terres restaient sans fumier et sans culture. Il faut connaître bien peu l’état de l’agriculture du pays pour prêcher sans cesse l’anéantissement des distilleries de grain, et il faut aussi avoir oublié tous les effets du régime hollandais de 1822, pour désirer avec tant d’empressement son retour.
Je partage entièrement l’opinion de M. Devaux, que, si l’on veut augmenter la recette, le meilleur moyen c’est de frapper la consommation ; de cette manière, vous atteignez aussi bien les produits exotiques que les produits indigènes, et c’est là le but qu’il faut atteindre, car sans cela les boissons distillées à l’intérieur seraient remplacées par les spiritueux étrangers, et la consommation resterait la même ; au lieu de boire des liqueurs du pays, vous boiriez du Schiedam et du Montpellier plus ou moins coupé, en quoi je ne vois aucun intérêt pour le pays ; je me trompe, les marchands des eaux-de-vie de France y trouveront leur profit, ils savent combien ils ont gagné avec la loi de 1822. Où se commettent les abus des liqueurs fortes ? C’est surtout, messieurs, dans le plat pays ; c’est dans les petits cabarets qui se trouvent à une certaine distance des villages, hors de la surveillance de la police, où l’on ne débite que du genièvre et où l’on reste à des heures indues : vous le savez, messieurs, c’est toujours la nuit qu’il se commet le plus d’excès, et dans les gargotes.
On a sans doute oublié, messieurs, ce qui se passait avant le régime français ; alors aussi il fallait une autorisation pour vendre des boissons distillées, et cette autorisation il fallait la payer. Eh bien, messieurs, quand on veut apprécier l’augmentation du nombre des cabarets, il faut partir de 1795 ; depuis lors ce nombre a toujours été croissant.
Voulez-vous donc arrêter l’abus de la boisson et faire diminuer l’ivrognerie, remettez en vigueur les anciens règlements, qui ont une excellente police sur les cabarets et le commerce qui s’y fait ; tâchez qu’on les fasse exécuter, et vous trouverez le remède aux excès sans devoir détruire nos distilleries et avec elles les fabriques des esprits, dont le nombre est tellement augmenté depuis la loi de 1833, que nous pouvons presque dire que nos alcools ont presque entièrement remplacé les esprits de France.
Cependant, vous savez tous qu’avant cette époque nous étions tributaires de la France, elle nous fournissait tous nos besoins en esprits. C’est à cette loi, que quelques membres attaquent avec tant de virulence, que nous devons de ne plus être dépendants de la France, et que nous pouvons rectifier assez des esprits que les besoins de la consommation et des fabriques exigent.
Messieurs, s’il y a quelque chose à reprocher au projet qui nous occupe, c’est que le taux de l’impôt est trop bas ; je crois qu’il aurait fallu tripler ce taux et ne faire qu’une seule catégorie ; de cette manière on aurait atteint les petits cabaretiers, et ce sont surtout ceux-là qu’il faut atteindre. Quoi qu’il en soit, je crois que la loi aura toujours des résultats très utiles, et par conséquent j’y donnerai mon assentiment. Elle sera surtout très populaire, car partout on la désire, on connaît trop que les petits cabarets sont les principaux endroits où les abus se commettent, et on ne doute pas qu’elle en fera diminuer le nombre ; on sait aussi que les distilleries de grain sont de première nécessité pour notre agriculture, et que quand on peut imposer la consommation sans devoir toucher la production indigène, c’est là tout ce qu’on doit désirer.
M. Dumortier. - Je ne puis point, messieurs, donner mon assentiment à la loi qui est maintenant en discussion et qui, à mon avis, n’aura d’autre résultat que de dépopulariser le gouvernement de la révolution. Dans mon opinion la loi qui nous occupe soulèvera, chez une classe nombreuse de citoyens, un mécontentement aussi prononcé que celui que l’impôt mouture a excité contre le roi Guillaume ; il est des personnes qui ne veulent pas prévoir l’avenir, l’expérience démontrera qui de nous a eu raison. La loi qui nous est soumise va frapper l’existence d’une foule de citoyens ; comment voulez-vous, messieurs, que les personnes dont le commerce sera détruit par suite de cette loi, aillent chérir le gouvernement qui leur enlève les moyens de vivre et d’élever leur famille ?
Il n’y a, messieurs, qu’un seul remède aux maux qui ont été signalés : on l’a déjà dit avant moi, la loi actuelle n’aura aucun effet utile ; elle n’atteindra pas le genièvre, puisqu’elle frappe en même temps la bière, et dès lors elle ne remplira pas le but que vous vous proposez. Le seul et unique moyen d’atteindre ce but, c’est d’en revenir à la législature qui existait en 1833 ; à cette époque les plaintes que la législation hollandaise avait soulevées avaient cessé ; les dispositions arbitraires qui existaient sous le roi Guillaume avaient été abrogées, soit par le gouvernement provisoire, soit par le congrès, soit par la chambre ; l’état d’alors était très tolérable j’en ai la preuve dans le nombre croissant et toujours croissant des distilleries à cette époque. En effet, messieurs, voici ce qui résulte d’un document officiel que je tiens en main :
En 1831, le nombre des distilleries n’était en Belgique que de 599.
En 1832, ce nombre était de 760.
Ainsi, messieurs, dans le cours de l’année qui a suivi l’abolition des mesures arbitraires du roi Guillaume, le nombre des distilleries a augmenté de 161, c’est-à-dire du quart du chiffre total des distilleries qui existaient alors, et cela dans le cours d’une seule année ; dans le premier trimestre de 1833 le nombre des distilleries était tombé à 602. Le motif de cette diminution est facile à comprendre, c’est qu’on attendait l’exécution de la loi nouvelle ; aussi en novembre, le nombre des distilleries était de 853.
En 1835, il était de 1,092.
En 1836, il avait légèrement diminué, il n’était plus que de 1,065.
Il résulte, messieurs, de ces chiffres qui, je le répète, sont officiels, que, sous la législation de 1832, le nombre des distilleries avait considérablement augmenté, et que par conséquent on a eu grand tort de prétendre que cette législation fût nuisible à l’industrie dont il s’agit.
On me dira que depuis la nouvelle législation le nombre des distilleries a continué à augmenter considérablement ; cela est vrai, messieurs, mais d’où vient cette augmentation ? C’est précisément de la consommation immodérée des spiritueux dont la loi nouvelle a diminué le prix. C’est donc cette loi nouvelle qui a donné lieu à l’abus dont on se plaint ; c’est cette loi qu’il faut réformer, si vous voulez détruire le mal qu’elle a fait.
Sous le rapport du droit à payer au trésor, cette considération est encore plus importante. Quel est le motif premier pour lequel le gouvernement est venu vous proposer la loi actuelle ? C’est de mettre le budget des recettes en balance avec le budget des dépenses. Tous les autres motifs qui ont été allégués ne sont pas l’origine de la loi actuelle, et la preuve en est qu’au moment même où l’on propose une loi qui établit un impôt sur les cabaretiers, afin de faire cesser les abus qui naissent de l’ivrognerie par le genièvre, on frappe également la consommation de la bière. Ainsi l’augmentation sur laquelle on s’appuie n’est que le prétexte ; la cause, c’est l’argent qu’on voulait avoir. Eh bien, voulez-vous amener de l’argent dans les caisses du trésor, revenez-en à la législation de 1833.
Les chiffres que je vais avoir l’honneur de mettre sous vos yeux prouvent à la dernière évidence quel préjudice le trésor a éprouvé par le rappel de cette loi. En 1828, le droit qui a été perçu dans les provinces de la Belgique actuelle s’élevait à 5,205,000 fr. On me dira peut-être que c’était avant l’époque de la révolution, alors que les mesures odieuses du roi Guillaume étaient en pleine vigueur, et l’on me demandera peut-être si je veux le rappel de ces mesures. Messieurs, je me suis déjà exprimé sur ce point ; je ne veux pas plus de mesures odieuses contre les distillateurs que contre les cabaretiers ; je repousse les mesures du roi Guillaume ; je demande qu’on revienne à la loi, telle qu’elle existait au 1er janvier 1833 ; à cette époque, les mesures odieuses dont je parle avaient cessé. Reste à savoir si ces mesures étaient oui ou non la cause du produit ; or, il me sera facile de prouver, par des chiffres, que le produit était dans le système de la loi de cette époque.
En 1831 la loi n’a rapporté que 2,095,000 fr., et chacun peut facilement comprendre le motif de cette énorme réduction du droit, lorsqu’on se souviendra qu’en 1831 une grande partie des employés du ministère des finances avaient été dirigés sur la frontière, pour venger l’honneur national, et que dans ces circonstances on n’avait pu organiser une surveillance aussi active que dans les temps ordinaires. En 1832, le droit a rapporté 4,570,000 fr. Vous voyez qu’on se rapproche déjà beaucoup des 5 millions obtenus en 1828. En 1833, le droit a rapporté 4,107,000 fr., et remarquez que quatre mois de cette année ont été consacrés à la législation nouvelle, pendant lesquels on a peu ou point perçu ; de manière qu’il est certain que si vous calculez le chiffre des 7 mois durant lesquels l’impôt a été perçu suivant l’ancienne législation, et si vous en faites l’application à l’année entière, l’impôt des distilleries, dans l’hypothèse qu’une nouvelle loi ne fût pas intervenue, aurait rapporté au-delà de 5 millions de francs en 1833. Mais alors est venue la loi dont je parle et qu’on voulait avoir à tout prix. Il fallait absolument, disait-on, favoriser l’exportation de nos genièvres, favoriser l’agriculture, et l’on a seulement engendré l’immoralité que l’on veut atteindre aujourd’hui ; et pour atteindre ce but, l’on ne propose qu’un palliatif. Car, je le répète la loi qu’on nous a soumise ne remédiera nullement au mal. Si vous voulez prendre des mesures favorables, soit pour le trésor, soit pour la morale publique, vous n’avez qu’un seul moyen, c’est celui de revenir à l’ancienne législation qui n’entravait personne, il faut le dire, et qui rapportait 5 millions. L’impôt est tombé subitement au point de ne rapporter annuellement que 2 millions.
En 1834, l’impôt sur les distilleries n’a rapporté que 2,192,000 fr. ; en 1835, il a rapporté 2,096,060 fr., et en 1836, deux millions précisément. Ainsi, voyez la chute énorme : l’impôt est tombé de 5 millions à 2 millions ; et la progression de l’ivrognerie et de la débauche s’est faite précisément en raison inverse des recettes du trésor. Voilà les résultats véritables de la loi votée en 1833. L’impôt est donc énormément réduit par le fait de la loi actuelle. Voulez-vous que la loi soit productive pour le trésor, revenez à la législation précédente. Il y aura, je le sais, des mesures à prendre relativement aux distilleries de fruits à noyau de l’Ardenne : c’est là une chose fort peu importante dans la masse générale des faits.
Tout le monde est convaincu de la nécessité de prendre des mesures efficaces pour arrêter les effets de l’immoralité toujours croissante. L’honorable M. Lebeau, invoquant la législation de l’Angleterre et des Etats-Unis, est venu vous présenter une disposition qui a un côté très louable, et qui me fait voir que l’honorable membre sent profondément le mal qui pèse sur le pays et qu’il veut y porter remède, Eh bien, moi, je dis que vous n’avez qu’un seul moyen pour cela ; faites cesser les dispositions qui ont provoqué le mal, faites cesser le mal, et les effets cesseront.
M. le ministre de l’intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - Messieurs, il me semble que l’honorable préopinant a parfaitement justifié l’utilité du projet de loi actuel ; il vous a dit, en effet, que l’impôt du genièvre rapportait, il y a quelques années, trois à quatre millions et même au-delà, et il se plaint qu’aujourd’hui l’impôt ne rapporte plus que deux millions.
Eh bien, messieurs, vous avez voté dans le courant de la dernière session une loi destinée à produire davantage ; on suppose que le produit de l’impôt sur les distilleries sera de trois millions pour l’année 1838 ; en admettant que l’impôt actuel soit encore d’un million, vous aurez atteint à peu près le chiffre qui a été indiqué par l’honorable membre, à savoir le chiffre de quatre millions.
Messieurs, s’il fallait nécessairement opter entre un changement à loi sur les distilleries et le projet de loi actuel, je n’hésiterais pas, pour mon compte, à adopter de préférence la loi actuelle. En effet, si vous augmentiez trop le droit direct sur les distilleries, vous donneriez encore lieu à la fraude venant des pays voisins ; la loi actuelle, au contraire, n’ouvrira aucune porte à l’importation frauduleuse du genièvre distillé à l’étranger.
En conséquence, la loi actuelle amènera l’augmentation du prix de la boisson d’une manière plus certaine que ne pourrait l’amener l’augmentation des droits sur la distillation du genièvre. Cette raison me paraît péremptoire ; en effet, le cabaretier sera nécessairement obligé de récupérer sur le consommateur la taxe qu’il paiera ; c’est là une vérité qui me paraît incontestable. Ainsi, le projet de loi actuel aura nécessairement pour résultat une hausse dans le prix des boissons distillées.
Je pense que ces motifs justifient suffisamment l’impôt qui vous est demandé. Sans doute, si nous n’avions pas besoin de nouvelles ressources, je serais de l’avis de l’honorable M. Dumortier, qu’il ne faut pas légèrement mécontenter une classe d’habitants. Mais quel que soit l’impôt que l’on propose, vous arriverez toujours à ce résultat. C’est ainsi que lorsqu’on a proposé une augmentation de 2 cent. sur les contributions directes, une majorité considérable s’est prononcée dans la chambre contre cette proposition ; cependant il faut bien, puisque vous avez voté les dépenses, voter les moyens d’y faire face ; or, au nombre des moyens qui se présentent, celui dont il s’agit en ce moment en est un des plus rationnels.
M. Metz. - Messieurs, d’après ce que disent certains orateurs, il semble qu’il ne faudrait que rappeler les dispositions sévères de la loi des distilleries que vous avez changées pour parer à tout le mal dont on se plaint aujourd’hui. N’oublie-t-on donc pas, comme M. le ministre de l’intérieur vient de le dire, que si vous augmentez de beaucoup le droit à la fabrication des eaux-de-vie, vous qui voulez faire une loi morale, vous engendrez une cause nouvelle et profonde d’immoralité : c’est la fraude à laquelle je fais allusion. Croyez-vous que quand vous aurez rendu plus difficile chez nous la fabrication des eaux-de-vie, croyez-vous que vous aurez entravé la consommation ? On vous l’a dit, la fraude se chargera alors de nous fournir les eaux-de-vie que nous fabriquons nous-mêmes aujourd’hui.
La loi qu’on propose, si elle avait pour but d’arrêter la consommation des eaux-de-vie, ne recevrait certes pas mon assentiment. Les hommes de toutes les classes ont besoin de jouissances. Il faut laisser au pauvre celle qu’il peut se procurer facilement ; il ne faut pas, en la lui créant plus difficile, le forcer peut-être à commettre un crime pour se la procurer.
Ce n’est donc pas la consommation des eaux-de-vie que je voudrais limiter ; c’est l’abus que je voudrais empêcher. Nous sommes tous d’accord sur ce point ; mais la loi qu’on propose produira-t-elle le résultat qu’on espère ? Je ne le crois pas. On nous a dit avec beaucoup de raison que la consommation ne serait pas arrêtée, en enlevant à la consommation l’un ou l’autre cabaret pour la reporter sur un seul cabaret.
Croyez-vous que l’ouvrier qui ne verra plus flotter à dix pas de chez lui le séduisant bouchon ne fera pas, s’il le faut, trente pas pour l’aller chercher ailleurs ? Disons-le franchement, car ici nous sommes en famille, serait-ce trente pas de plus qui nous empêcheraient d’aller au café des Mille-Colonnes ou à la salle de spectacle ? Non sans doute. Eh bien, dans les villages il en sera de même. Il y a plus, c’est que les ouvriers se trouveront attirés davantage vers les cabarets plus populeux où la société deviendra plus nombreuse.
Dans les petits cabarets l’ouvrier tranquille et solitaire délecte son petit verre. Quel délit peut-il commettre ? Aucun. Quelle pensée mauvaise peut lui venir ? Aucune. Il est presque toujours seul. Ce n’est donc pas en détruisant de petits cabarets que vous empêcherez l’abus des liqueurs spiritueuses.
Il y a deux moyens qui ont déjà été indiqués de donner à l’homme le sentiment de sa dignité ; c’est l’aisance et l’éducation. L’aisance, la prospérité commerciale, c’est là ce qu’il faut soutenir. Les hommes qui ont de l’aisance veulent de l’éducation. D’un autre côté, il faut chercher à donner de l’éducation au peuple. Il faut l’organiser par la loi. Il faut changer l’état actuel de l’éducation qui est vraiment déplorable. Je n’en citerai qu’un exemple. Dans ma province deux vachers ont été élevés au poste de maître d’école. Je vous demande quelle instruction ils peuvent donner à leurs semblables.
Je vous dirai franchement que je parle sous la préoccupation de l’effet que la loi doit produire sous mes yeux, dans ma province. C’est au reste ce que nous devons faire tous, ce me semble ; car, en général, nous ne pouvons connaître parfaitement ce qui se passe dans les autres provinces. Dans ma province, l’effet de la loi sera de tuer de tout petits cabarets qui ne vendent pas 50 litres d’eau-de-vie par année, des cabarets que vous trouverez à une barrière sur une route, on sous une toile dans une foire. Voilà les seuls cabarets que la loi puisse atteindre. Je ne pense pas que ce soit dans ces cabarets qu’on fasse abus d’eau-de-vie. Que sur une route un voiturier, un voyageur trouve un cabaret ambulant d’une côte qu’il vient de gravir, qu’il y prenne un petit verre pour se remettre de la fatigue, rien de mieux ; ce n’est pas là ce que nous devons chercher à supprimer. S’il y a un mal grave, auquel il faille chercher un remède, ce n’est pas là le remède qu’il faudrait y apporter.
Je me bornerai à ces observations. J’ai assez indiqué que je voterai contre la loi.
M. le président. - M. Dumortier vient de déposer un amendement par lequel il demande la remise en vigueur de la législation sur les distilleries, existant au 1er janvier 1833.
M. Pollénus. - Je ne sais si c’est bien sérieusement que l’honorable M. Dumortier propose cet amendement. Il aurait pour effet de remettre en vigueur la législation hollandaise sur les distilleries, qui a donné occasion à de si vives et de si justes plaintes, et par conséquent de rapporter toutes les lois sur les distilleries faites successivement. Ainsi considéré, l’amendement de M. Dumortier ne modifie en rien la proposition que renferme l’article premier du projet en discussion. Je crois donc pouvoir proposer la question préalable contre cet amendement comme renfermant une proposition toute nouvelle, sans rapport aucun avec le projet. Si l’honorable M. Dumortier juge utile ou convenable de soumettre sa proposition à la chambre, cette proposition doit alors suivre la filière ordinaire, c’est-à-dire le renvoi en sections pour la lecture en être autorisée, ensuite la prise en considération et l’examen par les sections ou par une commission, etc. Je ne pense pas au reste que la chambre soit disposée à entreprendre la discussion, encore moins de sanctionner un système tel que le présente l’honorable député de Tournay.
Quant à moi, je pourrais m’en référer aux discours de plusieurs honorables préopinants, et notamment à ceux de M. Desmet et de M. Metz. Il me serait facile de démontrer à l’honorable M. Dumortier que l’effet qu’il veut obtenir avec le système hollandais serait difficilement obtenu aujourd’hui que la situation du pays est modifiée. Notre frontière ouverte du côté de la Hollande nous mettrait dans l’impossibilité de parer à la fraude, et cette fraude, vous le savez, messieurs, est organisée au cœur du pays, dans la ville de Maestricht et dans son rayon !
Admettre le système de M. Dumortier, c’est frapper à mort nos distilleries, industrie qui se lie si étroitement aux intérêts agricoles. Non, vous n’adopterez pas le malencontreux système que vous propose M. Dumortier.
Je crois au reste qu’il est inutile d’aborder le fonds de la proposition. Ce serait d’ailleurs violer le règlement, et c’est pour que le règlement ne soit pas violé que je demande la question préalable.
- La chambre consultée adopte, sur l’amendement de M. Dumortier, la question préalable proposée par M. Pollénus.
La chambre procède au vote par appel nominal sur l’article proposé par la section centrale, auquel le gouvernement se rallie, et qui est ainsi conçu :
« Indépendamment des impôts existant actuellement, il sera perçu, à partir du 1er avril 1838, un droit de consommation sur les boissons distillées à l’intérieur ou à l’étranger, et autres boissons alcooliques qui seront vendues en détail ; le droit sera acquitté par voie d’abonnement et d’avance, sur la déclaration que devront faire les débitants en détail desdites boissons, aux bureaux qui seront indiqués à cette fin par le gouvernement. »
Voici le résultat du vote ;
Nombre des votants, 70.
Votent pour l’adoption, 46.
Votent contre, 24.
La chambre adopte.
La chambre adopte par assis et levé l’article premier dans son ensemble composé du paragraphe ci-dessus et du paragraphe suivant précédemment adopté :
« Ce droit ne sera pas compris dans le cens électoral. »
Ont voté pour l’adoption : MM. Andries, Beerenbroeck, Bekaert, Coppieters, de Florisone, de Langhe, de Longrée, de Meer de Moorsel, de Nef. Dequesne, de Renesse, de Roo, de Sécus, Desmaisières, Desmanet de Biesme, Desmet, de Theux, Devaux, d’Huart, Dolez, Donny, Dubois, B. Dubus, Duvivier, Eloy de Burdinne, Ernst, Heptia, Jadot, Keppenne, Lebeau, Lejeune, Meeus, Mercier, Morel-Danheel, Pirson, Pollénus, Raymaeckers, A. Rodenbach, C. Rodenbach, Scheyven, Simons, Ullens, Vandenbossche, Vandenhove, Wallaert, Zoude.
Ont voté contre : MM. Angillis, Brabant, David, Dechamps, de Foere, de Jaegher, Demonceau, de Perceval, d’Hoffschmidt, Doignon, Dubus (aîné), Dumortier, Gendebien, Hye-Hoys, Lecreps, Liedts, Maertens, Manilius, Metz, Milcamps, Raikem, Van Volxem, Verhaegen, Troye.
« Art. 2. Est réputé débitant en détail de boissons distillées, et, comme tel, tenu à l’abonnement mentionné à l’article précédent, celui qui vend, livre ou distribue par quantité inférieure à 5 litres à la fois, ou en donne publiquement à boire chez lui, à l’exception toutefois des aubergistes qui se bornent à vendre cet boissons aux personnes logées dans leur établissement.
« L’exercice de la profession de débitant en détail sera constaté par le fait, la patente ou la notoriété publique. »
La section centrale propose à cet article les modifications suivantes : 1°de dire au lieu de : « par quantités inférieures à 5 litres, » « par quantités inférieures à un litre. » 2° De supprimer les mots : « à l’exception toutefois des aubergistes qui se bornent tendre ces boissons aux personnes logées dans leur établissement. » 3° De supprimer les mots « la notoriété publique. »
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - La section centrale propose cet article plusieurs modifications. Elle demande d’abord la suppression, à la fin du troisième paragraphe, des mots : « notoriété publique. »
La notoriété publique était un des moyens proposés par le gouvernement pour constater l’exercice de la profession de cabaretier ; pour suppléer à la suppression de ces mots, la section centrale a adopté à l’article 7 un paragraphe auquel je me rallie. En conséquent, je n’insiste pas sur ce point.
Et je ne me trouve plus ainsi en désaccord avec la section centrale, pour le reste de l’article, que sur la quantité de liquides portée à 5 litres dans le projet du gouvernement et réduite à un litre par cette section. Je crains que la disposition du projet de la section centrale n’ait pour résultat de faciliter un des abus que le projet du gouvernement a eu en vue de prévenir. En effet, si la quantité est fixée à 1 litre seulement, des militaires ou des ouvriers pourront se réunir quelques-uns, et faire chercher un litre et demi d’eau-de-vie chez un marchand qui pourra être réputé, d’après le projet de la section centrale, marchand en gros, et où ils l’obtiendront à meilleur marché qu’ailleurs.
Nous voulons restreindre autant que possible l’usage des boissons distillées, il ne faut donc pas adopter facilement une disposition qui paraît contraire à ce but. Toutefois la quantité de 5 litres est trop forte, je dois en convenir, et pour se rapprocher autant que possible de la rédaction de la section centrale, je ne m’opposerai pas à admettre la quantité de deux litres.
Voici le motif qui milite pour réduire la quantité de genièvre primitivement proposée. On sait qu’à la campagne il est d’usage, lors de certains travaux agricoles, de donner de l’eau-de-vie aux ouvriers, qu’on envoie prendre par litre chez le marchand. Si la loi oblige en quelque sorte d’acheter 5 litres à la fois ce sera souvent gênant pour bien des particuliers.
Il serait également gênant pour les personnes qui, en ville, envoient quelquefois chercher un litre d’eau-de-vie chez un épicier, s’ils devaient absolument s’approvisionner par cinq litres. Mais cet inconvénient sera certes insignifiant si la quantité est réduite à deux litres, puisque les deux litres de genièvre ne valent guère qu’un franc. Par suite, je pense que le minimum peut être convenablement fixé à deux litres pour la quantité considérée comme vente en détail.
La section centrale propose de dire à la fin de son article 2 :
« L’exercice de la profession de débitant sera constatée par le fait et par la patente. »
Il me semble que ce paragraphe est inutile maintenant qu’on précise à l’article 7 de quelle manière les contraventions seront constatées, le fait de l’exercice de la profession devant d’ailleurs être toujours prouvé ; d’un autre côté la patente ne serait pas une preuve du débit comme l’entend la loi en discussion, parce qu’elle se délivre par vente par quantité de 11 litres et au-dessous ; ainsi elle ne prouverait pas la vente de 2 litres et au-dessous, elle ne serait qu’un indice. Le paragraphe me paraît donc inutile, et je demanderai à l’honorable rapporteur de la section centrale s’il voit quelque inconvénient à sa suppression.
M. Demonceau, rapporteur. - Je ne vois aucun inconvénient à la suppression proposée par M. le ministre des finances. Je la considère comme une conséquence du nouveau paragraphe à l’article 7.
M. Dubus (aîné). - Cet article définit ce qu’on doit entendre par débitant de boissons distillées ; il doit donc fixer l’attention de ceux qui auront à appliquer la loi. Tout le monde comprend au premier abord qu’un débitant de boissons distillées est celui qui vend cette espèce de boissons. Il suffirait donc de dire qu’un débitant de boissons distillées est celui qui en vend par quantité inférieure à 5 litres ou à 2 litres. Mais je ne sais pas pourquoi l’on dit : « vend, livre ou distribue. » Ces derniers mots me paraissent superflus. Je ne puis comprendre pourquoi on les a ajoutés. Doit-on entendre par là qu’un chef d’atelier devrait être considéré comme un débitant de boissons distillées, parce qu’à l’occasion d’une fête, il jugerait à propos de distribuer du genièvre à ses ouvriers ? Pour moi, je ne saurais admettre qu’il en fût ainsi. Cependant, si vous laissez dans l’article les expressions que j’ai indiquées, il ne sera pas nécessaire qu’on vende des boissons distillées pour être considéré comme débitant ; il suffira qu’on en distribue. On cherchera le motif pour lequel vous avez ajouté après le mot « vend » celui « distribue, » et l’on dira : C’est que celui qui ne vend pas, mais qui distribue, est un débitant.
Remarquez que ce sera un seul acte de distribution qui impliquera l’exercice de la profession de débitant, comme un seul acte de vente implique l’exercice de cette profession. Par conséquent, un chef d’atelier sera, comme je le disais tout à l’heure, considéré comme débitant de boissons distillées pour avoir, à l’occasion d’une fête, distribué du genièvre à ses ouvriers.
Je pense donc qu’il convient de supprimer dans cet article les mots : « livré ou distribué. »
M. Demonceau, rapporteur. - Il me serait difficile de soutenir l’opinion de la majorité de la section centrale, puisque j’ai défendu dans le sein de la section centrale l’opinion que vient d’exprimer l’honorable préopinant.
Dans le premier rapport j’ai dit que celui qui distribue gratuitement ne pourra être considéré comme débitant.
Je pense néanmoins que, pour éviter toute difficulté, il faudrait supprimer les mots « livre ou distribue ; » ce n’est au reste que mon opinion personnelle. Je ne puis proposer cette suppression au nom de la section centrale.
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Je ferai une question aux deux honorables membres qui, pour appuyer leurs observations, supposent que l’administration exécutera la loi sans intelligence et avec mauvaise foi, au point de prétendre que celui qui distribue de l’eau-de-vie à ses ouvriers est un débitant de boissons distillées ; que cette administration sera tellement absurde, qu’elle oserait soutenir de telles prétentions devant les tribunaux ; je demanderai, dis-je, à ces deux honorables membres comment on pourra prouver à un débitant de boissons distillées qu’il ne distribue pas gratuitement le liquide aux chalands lorsqu’il trouvera bon de le prétendre. Lorsque l’administration fera faire un procès-verbal, elle ne pourra pas dire au contrevenant : Prouvez que vous n’êtes pas en contravention, que vous ne vendez pas des boissons distillées. Il faudra au contraire que l’administration fournisse la preuve qu’il y a eu réellement vente.
Cette simple question doit suffire pour vous convaincre, messieurs, qu’il y a plus d’inconvénient à supprimer les mots dont il s’agit, qu’à les maintenir. Car en les maintenant, on doit reconnaître qu’il est impossible d’en faire un mauvais et que l’administration ne pourra pas faire des procès-verbaux de la nature de ceux qu’on prévoit. Taudis qu’en les supprimant, il y aura souvent des difficultés sérieuses pour prouver qu’il y a eu vente.
M. Pollénus. - Dans l’article premier, que la chambre vient d’adopter, je lis que l’impôt s’applique aux boissons spiritueuses « qui seront vendues en détail ; » c’est donc à la vente ou débit de ces boissons que s’applique l’impôt ; de là il me semble que la définition qui se trouve dans l’article 2 doit se renfermer dans les termes de l’article premier et s’appliquer uniquement à la vente de ces liquides. Mais, dit le ministre des finances, il faut supposer que l’application de la loi se fera avec intelligence ; mais cela ne nous dispense pas de l’obligation d’exprimer avec précision le principe que nous voulons établir pour le contribuable et la règle dont l’application est dévolue au juge. Je ferai remarquer de plus au ministre que l’exécution de la loi est recommandée à quelques fonctionnaires assez subalternes ; que leurs procès-verbaux, d’après l’article 7, font foi, et qu’il importe, par ce motif, de ne pas laisser l’ombre d’un doute dans la rédaction de la loi, afin de ne pas égarer l’intelligence ordinairement assez bornée d’agents subalternes. Je pense donc qu’il est démontré que les mots, dont le retranchement est demandé, sont inutiles ; qu’ils pourraient prêter à des interprétations fâcheuses : je crois qu’il faut les retrancher.
Je profiterai de l’occasion pour soumettre une réflexion au ministre des finances. Quelque complète que puisse être la loi, elle n’atteindra jamais le but désiré à l’égard des militaires, dont M. le ministre a si souvent parlé dans le cours de la discussion, à moins que la police militaire ne surveille elle-même le débit des boissons aux soldats, surtout dans les camps et dans les casernes où les agents ordinaires n’ont guère accès. Tout ce que l’on a dit sur l’abus des boissons spiritueuses s’applique même particulièrement aux soldats ; les soins de l’autorité militaire peuvent seuls arrêter à l’égard du soldat l’abus dont nous nous occupons ; c’est au gouvernement à prendre les mesures les plus convenables.
Comme il y a toujours danger à admettre dans une loi des expressions inutiles, j’en voterai la suppression ainsi que nous le propose l’honorable M. Dubus.
M. Dubus (aîné). - Je pense que le ministre des finances, en voulant répondre à mes argumentations, les a fortifiées. Pour diminuer la fraude, il faut pouvoir dire à quelqu’un : Vous êtes dans le cas de la loi, puisque vous avez distribué du genièvre ; or, un chef d’atelier qui aurait distribué des boissons à ses ouvriers tomberait sous le coup de la loi,
Le ministre suppose que le débitant dirait à la justice : Je ne vends pas des boissons, je les donne ; mais il serait difficile de présenter aux tribunaux un tel moyen de défense. Les tribunaux apprécieront les circonstances, et l’amendement ne peut présenter d’inconvénients.
M. Pirson. - Je crois qu’il faut laisser dans l’article le mot « distribuer. » Cependant l’observation de M. Dubus m’a frappé. Un chef d’atelier qui distribue gratuitement le genièvre ou toute autre liqueur spiritueuse à ses ouvriers, peut-il être passible de l’amende ? Je crois qu’il faudrait dire : « distribue à prix d’argent. »
Pour éluder la loi, on peut aussi se réunir dans une maison particulière, et y boire un ou deux litres que les individus iraient chercher dans un cabaret voisin, et qu’ils distribueraient chez eux. Toutefois, si chacun paie son écot, c’est une vente. Il pourrait arriver que devant les tribunaux on dise que la loi n’est pas applicable dans un tel cas. Je conçois que si cela ne se fait qu’une fois, on n’est pas passible de l’amende ; mais si cela se fait habituellement, il y a lieu à l’amende.
- Les amendements sont mis aux voix.
Celui de M. le ministre des finances, qui consiste à mettre : « deux litres » au lieu de « un litre,» est adopté.
Ainsi la rédaction sera celle-ci : « Celui qui vend par quantités de deux litres et au-dessous... »
Le mot « livre » est ensuite adopté.
Le mot « distribue » subit d’abord deux épreuves douteuses par assis et levé.
On procède à l’appel nominal ; en voici le résultat :
56 membres prennent part au vote.
27 adoptent
29 rejettent.
En conséquence le mot « distribue » n’est pas adopté.
Ont voté l’adoption : MM Andries, Beerenbroeck, Bekaert-Baeckelandt, de Florisone, de Langhe, de Meer de Moorsel, F. de Mérode, de Nef, de Renesse, de Theux, Devaux, d’Huart, Ernst, Lebeau, Lejeune, Liedts, Maertens, Mercier, Morel-Danheel, Pirson, Raymaeckers, C. Rodenbach, Simons, Troye, Vandenhove, Wallaert et Raikem.
Ont voté le rejet : MM. Brabant, Coppieters, de Foere, de Longrée, Demonceau, de Perceval, de Roo, Desmaisières, Desmanet de Biesme, Doignon, Donny, Dubus (aîné), B. Dubus, Eloy de Burdinne, Gendebien, Heptia, Hye-Hoys, Jadot, Keppenne, Kervyn, Lecreps, Manilius, Metz, Milcamps, Pollénus, A. Rodenbach, Scheyven, Vandenbossche, Van Volxem et Zoude.
L’ensemble de l’article premier, avec le retranchement du mot « distribue » est ensuite mis aux voix et adopté.
La séance est levée à 4 heures et demie.