(Moniteur belge n°354, du 20 décembre 1837)
(Présidence de M. Raikem.)
M. de Renesse procède à l’appel nominal à midi et demi.
M. Lejeune lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. de Renesse fait connaître l’objet des pièces adressées à la chambre.
« Des distillateurs de Gand et Merelbeke proposent des modifications à la loi sur les distilleries. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des ouvriers haleurs du canal de Mons réclament contre les pétitions, tendant à favoriser l’entrée des houilles étrangères. »
- Renvoi aux ministres de l’intérieur et des travaux publics.
« La veuve de Jean-Baptiste Brunin, en son vivant concierge de la maison de sûreté de Mons, demande la moitié de la pension dont jouissait son mari. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des gardes civiques d’Arlon demandent que la garde civique de cette ville soit immédiatement mobilisée. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur A. Gobert, à Gand, né Français et habitant la Belgique depuis 1825, demande la naturalisation. »
- Renvoi à M. le ministre de la justice.
« Le sieur Reytter, sous-intendant militaire de première classe, fait hommage à la chambre de la carte spéciale de la gendarmerie nationale. »
- Dépôt à la bibliothèque.
M. Smits informe la chambre qu’une grave indisposition l’empêche de se rendre à la séance de ce jour.
M. Seron monte à la tribune, et donne lecture d’une proposition relative aux mariages des miliciens.
(Moniteur belge n°356, du 22 décembre 1837) Messieurs, l’ancienne loi fondamentale est abrogée depuis plus de 6 ans, et cependant l’article 207 de cette loi est passé dans le code de la milice et n’a pas cessé d’avoir force d’exécution. Ainsi les hommes mariés avant le 1er janvier de l’année où doit se faire la levée de leur classe, continuent d’obtenir une exemption provisoire ; et, s’ils ne deviennent veufs, cette exemption se renouvelle d’année en année et se prolonge pendant 5 ans, c’est-à-dire jusqu’au moment où ils cessent d’appartenir à l’armée de ligne pour entrer dans les rangs de la garde civique.
Une pareille disposition peut sembler inutile dans ce pays où le mariage n’a pas besoin d’être encouragé, où d’ailleurs il est très rare qu’on se marie avant l’âge de vingt ans. Quoi qu’il en soit elle a donné lieu à d’étranges abus depuis la révolution de 1830. Les jeunes gens étrangers à tout sentiment généreux n’ont pas eu honte, afin d’éluder une obligation sacrée commune à tous les citoyens, de simuler des mariages avec des femmes de 75 à 80 ans. Moins âgées, elles ne pourraient leur convenir. Il leur importe qu’elles ne vivent pas au-delà du terme où ils seront libérés du service militaire. Alors ils contracteront avec d’autres des unions sérieuses. En attendant, ils se moquent des miliciens qui ont la simplicité de ne pas faire comme eux ; ils continuent de demeurer et de vivre chez leurs père et mère, séparés de leurs prétendues épouses, se félicitant de ce qu’elles leur coûtent infiniment moins cher qu’un remplaçant ; car le consentement de ces malheureuses ne s’achète d’ordinaire que 10 francs, eussent-elles l’avantage d’être borgnes et d’avoir une jambe de bois, comme celle dont parlait M. le bourgmestre de Doische dans sa lettre que j’ai eu l’honneur de communiquer à la chambre il y a un an. Lorsqu’on a dit ici : « Les jeunes gens qui simulent de pareils mariages, en sont bien punis ; des femmes de 80 ans dans l’état de mendicité sont pour eux une terrible charge, » on s’est grandement trompé. Ces jeunes gens, pauvres eux-mêmes, pour la plupart, ne nourrissent pas leur soi-disant épouse ; ils ne sauraient la nourrir ; elle emploierait inutilement les voies légales pour les y contraindre ; elle ne leur est donc nullement à charge.
Ce moyen de se soustraire au service militaire avait été imaginé à Senseilles en 1831, par des hommes de la garde civique mobilisée qui craignaient d’aller au feu. Les miliciens des villages voisins, et notamment ceux de Cerfontaine, Perche, Soumois, Gourieux (province de Namur), Erpion (province du Hainaut), en firent usage en 1832, et on l’employa dans un beaucoup plus grand nombre de communes en 1833 et 1834. Quand M. Evain, alors ministre de la guerre, prétendit que les cas d’exemption de la milice, pour cause de mariage, étaient rares, et qu’il ne s’en était trouvé que 59 dans les trois classes de 1832, 1833 et 1834, il ne vous donnait pas le nombre exact des mariages simulés : il comptait seulement les mariages des miliciens appelés par le sort à faire partie du contingent, il omettait les mariages des miliciens non appelés.
Le 18 mars 1835, je proposai à la chambre de refuser la faveur de l’exemption à ceux dont le mariage aurait eu lieu avec une femme âgée de plus de 50 ans. Cette mesure me paraissait suffisante pour arrêter le mal que je venais de signaler. Mais mon honorable ami, M. Gendebien, ayant à son tour demandé que le mariage ne dispensât plus personne, dans aucun cas, du service de la milice, je crus devoir me rallier à sa proposition, la trouvant préférable à la mienne et plus conforme aux principes d’égalité consacrés par la constitution. La section centrale, dans son rapport du 15 décembre 1836, adopta le projet de M. Gendebien, et plus tard vous crûtes devoir vous-mêmes, messieurs, le convertir en une résolution.
Le sénat, tout le monde le sait, a rejeté cette résolution comme trop large. Ainsi l’article 207 de la constitution néerlandaise n’a subi aucune modification, et l’on en abuse plus que jamais. Les actes frauduleux se multiplient ; les habitants de Florennes, par une pétition du 14 décembre présent mois, vous en dénoncent six nouveaux, dont quatre appartiennent à leur commune, chef-lieu de canton, et deux à la commune de Saint-Aubin, qui les avoisine. Mais le mal n’est pas concentré dans cette petite localité, comme des membres de cette assemblée ont paru le croire ; il s’est répandu au-dehors de l’arrondissement de Philippeville ; il a gagné l’arrondissement de Dinant et l’arrondissement de Namur. Il a même, d’après ce que vous a dit l’honorable M. Eloy de Burdinne, dépassé Namur, et envahi la province de Liége. Enfin il s’est manifesté, quoi qu’on dise, dans d’autres provinces, et si l’on n’y porte remède, il n’y a pas de raison pour qu’il ne s’étende pas tout à l’heure sur toutes les parties du royaume.
Messieurs, ces unions simulées, dérisoires, stériles, dégoûtantes, dont ceux qui profitent se jouent insolemment des lois, ne peuvent que scandaliser et affliger profondément les bons citoyens ; elles sont contraires à l’ordre, à la morale publique et à l’intérêt de la société, parce qu’elles font naître le libertinage et multiplient les bâtards ; elles blessent la justice, en procurant à des hommes sans cœur et sans pudeur le moyen de faire retomber sur d’autres leur propre dette. On ne peut douter, par exemple, que les mariages de Florennes vont forcer l’administration d’appeler les miliciens de la classe de 1835, pour compléter le contingent de 1838, car les classes des années intermédiaires se trouvent épuisées. Il est temps de mettre fin à des turpitudes infâmes que nous semblerions approuver en les souffrant.
Ces réflexions m’ont déterminé à reproduire ma proposition du 18 mars 1835. Beaucoup plus restreinte que celle de mon honorable ami, MM. du sénat l’adopteront, je crois, sans scrupule ; et toutefois elle produira les effets que j’en attends, elle empêchera les mariages simulés. En effet, les jeunes gens, même ceux qui ont le plus de répugnance pour le métier des armes, n’iront pas, afin de se soustraire au service, épouser des femmes trop âgées pour leur plaire, mais assez robustes encore pour les enterrer. Elle ne saurait d’ailleurs blesser aucune opinion raisonnable, et chacun des membres de cette assemblée peut l’adopter en conscience ; car tous sont persuadés que, parmi les nombreux mariages de miliciens âgés de 18 ou de 19 ans, avec de vieilles femmes, il n’en est pas un seul qu’on ne doive regarder comme simulé. Que si, à l’avenir, il pouvait y en avoir de réels, ce serait parce que le milicien y trouverait l’occasion de faire fortune. Mais, dans ce cas, il lui serait facile de payer un remplaçant, et il ne devrait pas jouir de l’exemption : ainsi, nulle nécessité de la laisser subsister.
Voici donc ma proposition :
« A l’avenir, les hommes mariés avant le 1er janvier de l’année à laquelle leur classe appartient, n’obtiendront plus l’exemption du service, si le mariage est contracté avec une femme âgée de plus de 50 ans. »
Si, comme je me le persuade, vous prenez ce projet de loi en considération, je vous prie, messieurs, de le renvoyer, vu l’urgence, à une commission spéciale, pour en faire incessamment le rapport et vous le soumettre. Celui de la section centrale, en date du 5 décembre 1836, s’était fait attendre pendant près de 21 mois.
(Moniteur belge n°354, du 20 décembre 1837) - La proposition est prise en considération.
La chambre décide ensuite que la proposition sera renvoyée à l’examen d’une commission spéciale, qui sera nommée par le bureau.
M. Desmaisières dépose le rapport sur le projet de loi relatif au contingent de l’armée.
- Ce projet sera imprimé et distribué. La discussion en sera ultérieurement fixée.
M. de Muelenaere. - Messieurs, le rapport que M. le ministre des travaux publics nous avait promis sur le canal de Zelzaete vient d’être distribué aux membres de la chambre. J’ai parcouru ce rapport, et je dois exprimer le regret que M. le ministre n’ait pas abordé franchement la proposition de notre honorable collègue M. Lejeune, et surtout qu’il n’ait pris aucune conclusion. J’aurais d’autres observations à faire sur ce rapport, mais évidemment ce n’est pas le moment d’aborder le fond de cette question.
Je me bornerai donc à prier M. le président de vouloir bien inviter les sections qui jusqu’à présent n’ont pas examiné la proposition de l’honorable M. Lejeune, à s’occuper de cet objet le plus tôt possible. Quelle que puisse être l’opinion des membres de cette assemblée sur le fond de la question en elle-même, je crois que nous sommes tous d’accord qu’il est temps enfin d’aborder un objet qui intéresse à un si haut point les deux Flandres, d’autant plus que si nous ne pouvons pas espérer l’appui de la législature et du gouvernement dans cette affaire, les Flandres devraient évidemment aviser à d’autres moyens.
M. le président. - Voici à quoi en est l’affaire que vient de rappeler M. de Muelenaere : La proposition de M. Lejeune, concernant le canal de Zelzaete, a été examinée par trois sections du mois d’avril 1837. Maintenant désire-t-on que les trois autres sections du même mois d’avril 1837 continuent à examiner la proposition ?
M. Gendebien. - Messieurs, il me semble qu’en agissant ainsi, nous irions entièrement contre l’esprit de notre règlement. Les sections du mois d’avril 1837 sont dissoutes ; la moitié de la chambre a été renouvelée depuis ; quelle serait dès lors la composition des sections du mois d’avril dernier ?
Il me semble beaucoup plus convenable de renvoyer la proposition de l’honorable M. Lejeune aux sections du présent mois. Quant au moment de s’en occuper, je crois qu’on fera bien d’attendre que tous les budgets soient discutés et votés, ou qu’au moins tous les objets dont les sections sont actuellement surchargées soient épuisés. Je demande en conséquence que l’examen de la proposition n’ait lieu qu’après les vacances que la chambre se propose de prendre.
M. de Muelenaere. -Je ne m’oppose nullement à ce que la proposition soit renvoyée à toutes les sections. Je prierai seulement M. le président de vouloir bien veiller à ce que les sections soient invitées à s’occuper le plus tôt possible du projet dont il s’agit.
M. le président. - S’il n’y a pas d’opposition, la proposition de M. Lejeune sera renvoyée aux sections du mois de décembre. M. Gendebien a demandé que les sections ne s’occupassent de cet objet qu’après le prochain ajournement de la chambre.
M. Gendebien. - Je retire cette proposition. Je demande seulement qu’on fasse les choses en temps opportun. Je m’en rapporte du reste au bureau.
M. de Muelenaere. - L’assemblée paraît être d’accord que l’on s’occupera de la proposition de M. Lejeune dans un bref délai. Si cependant l’on n’abordait pas cet objet prochainement, je me réserve de faire alors à cet égard une proposition formelle.
M. Demonceau dépose le rapport sur le projet de loi concernant les abonnements des débitants de boisson.
Ce rapport sera imprimé et distribué.
La chambre passe à l’objet de l’ordre du jour.
M. Hye-Hoys. - Messieurs, il n’est personne de vous qui ne sache combien est importante la question des sucres qui nous occupe maintenant ; depuis longtemps la chambre en est saisie, et à voir le rapport long et bien détaillé de votre commission, on conçoit combien ses auteurs ont étudié pour répondre à ce que vous attendiez d’eux, et pour répondre aussi à l’industrie qui attend de vous un arrêt de vie ou de mort.
Ici, comme dans toute affaire d’industrie, nous touchons immédiatement à une foule d’intérêts divers ; car aucune branche d’industrie ne se développe isolément, car elles sont toutes solidaires.
Vous avez entendu, messieurs, parmi vous, plusieurs fois, des paroles intempestives et menaçantes pour les raffineries ; et qu’en est-il résulté ? Mille voix ont répondu à cette provocation et vous ont instruits de la vérité, et vous ont fait connaître le véritable état des raffineries. Changer la législation actuelle des sucres, augmenter les droits, diminuer le drawback, augmenter le rendement du raffinage, voilà peut-être la pensée de quelques-uns ; et après avoir ainsi mutilé la législation du sucre, vous livreriez les raffineries à leurs propres forces et à leurs rivales qui les écraseraient sur les marchés étrangers, et vous ne manqueriez pas de dire sans doute avec l’honorable M. Eloy de Burdinne que cette industrie n’avait qu’une existence factice puisqu’elle ne vivait qu’aux dépens du trésor de l’Etat.
Détrompez-vous, messieurs, l’industrie des raffineurs n’est pas tellement à charge au trésor que vous le croyez ; l’Etat n’aurait rien gagné à ces imprudentes mesures que je viens de signaler, et vous auriez fait infiniment de mal au pays.
Si les raffineries ne rattachaient aucun producteur à leur prospérité, le mal que vous feriez en changeant la loi serait à la vérité moins grand ; mais, en frappant les raffineries, vous frappez mille industries, vous tarissez mille sources de revenus.
Beaucoup d’entre vous, messieurs, sont tombés dans une grave erreur pour n’avoir considéré la question du jour que sous un seul point de vue, celui de la prétendue perte que l’Etat aurait soufferte par la diminution de l’accise sur les sucres.
Et ils auraient raison de vouloir des changements, s’ils n’étaient malheureusement exclusifs dans leurs vues. Car si d’un côté il y a diminution de recette pour le trésor, remarquez combien le développement de nos raffineries amène indirectement d’argent dans les caisses de l’Etat ; et à combien d’industries ne donnent-elles pas le mouvement et la vie ?
En portant à 22 millions 500 mille kilogrammes la quantité de sucre brut importée annuellement en Belgique, on peut affirmer que cette manipulation entraîne la consommation de 20 millions de kilogrammes de houille, d’une immense quantité de produits nécessaires à la fabrication et à l’expédition des sucres raffinés, produits qui tous sont fournis par les fabriques du pays ; eh bien, toutes ces matières paient des droits plus ou moins élevés dans leur fabrication, leur consommation et leur circulation ; et n’omettons pas non plus de dire que le gouvernement perçoit sur les sucres employés, et dont une partie est importée par navires étrangers, un droit d’un franc 60 c. par 100 kilogrammes.
A ces considérations dont vous ne contesterez pas la justesse, j’en ajouterai d’autres encore dont vous apprécierez le mérite.
La fabrication du sucre donne un grand mouvement à notre marine marchande ; combien ne devrions-nous pas nous réjouir de cet avantage ; combien ne devrions-nous pas en être jaloux, lorsque nos voisins cherchent à nous enlever cette ressource et à tuer cette importante industrie ! Et cependant changez la loi, vous tuez les raffineries, vous privez la Belgique d’une immense source de richesses ! Combien ne devrions-nous pas encourager au contraire la fabrication du sucre, lorsque de tous côtés nous voyons nos armateurs et nos capitalistes lancer à l’envi leurs navires sur toutes les mers pour y chercher des débouchés ! Or, les raffineurs secondent habilement ces exploitations lointaines, et je sais que dans la Méditerranée et le Levant les efforts de plusieurs ont été couronnés de succès.
Mais, si des considérations tirées de notre industrie nationale nous font une loi de ne pas modifier la législation sur le sucre, d’autres encore militent pour la maintenir dans l’état actuel.
Si nos raffineurs rivalisent aujourd’hui sur les marchés étrangers avec les Anglais et les Hollandais, ce n’est qu’à force de zèle, de patience et d’économie qu’ils y parviennent ; car si vous m’objectez qu’en Hollande les droits à la sortie sont un peu moins élevés que chez nous, je répondrai, que les fabricants de ces pays compensent amplement cette légère différence par la grande quantité de moyens de transports que leur offre leur marine marchande, moins chère que les nôtres, et par d’excellents procédés de fabrication ; d’ailleurs la Hollande n’est-elle pas aussi plus rapprochée de l’Allemagne que nous, et ne peut-elle pas écouter ses produits par des voies moins coûteuses et plus sûres, tout à fait fermées peut-être aux Belges ?
Vous connaissez tous l’habileté des industriels anglais ; dans la raffinerie aussi, ils ont porté l’esprit d’ordre et d’économie à ce point, qu’ils effacent tous les désavantages de leur législation et que c’est pour nous un grand mérite de rivaliser avec ces producteurs, qui ont aussi comme la Hollande une marine marchande nombreuse et d’un prix peu élevé à leur disposition.
Où est donc maintenant cette haute faveur accordée en Belgique à l’industrie des raffineurs ? Où voyons-nous réaliser ces énormes profits qu’on veut faire rentrer dans les caisses de l’Etat ? Au lieu de cette opulence de quelques monopoleurs, je ne vois partout qu’une activité sans égale ; et ce n’est que par la plus grande habileté, avec infiniment d’économie et d’ordre, que nos raffineurs parviennent à lutter en Allemagne avec leurs redoutables rivaux.
Au lieu de changer notre législation, soutenons donc notre fabrique de sucre contre nos adversaires ; imitons cette sollicitude et cette sage politique des gouvernements voisins, qui mettent leur triomphe à implanter chez eux des industries et à s’affranchir de leurs rivaux.
Toute la sollicitude de la législature belge doit, à mon avis, s’attacher aux raffineries pour leur donner cette force que tant de causes peuvent attaquer chaque jour.
On ne peut donc songer à modifier la législation sur le sucre, pour peu qu’on s’intéresse vraiment à l’industrie nationale ; mais entrons dans l’examen des modifications qu’on a réclamées, et tâchons de faire voir qu’elles sont nuisibles au pays.
On a proposé d’augmenter les droits à l’entrée, sur les sucres bruts ; l’effet nuisible de cette mesure se ferait immédiatement sentir ; car elle paralyserait l’importation des matières premières pour les raffineries, et anéantirait inévitablement l’exportation qui fait toutes leurs ressources.
On a parlé aussi de diminuer le drawback, mais il est dangereux de modifier cette disposition de la loi ; je dis même qu’on ne le peut sans détruire toute son économie. Examinons en effet ce qui existe aujourd’hui. Les droits à l’entrée sont de 37 fr. 2 c. par 100 kil. de sucre brut ; mais, dans les vues de l’ancien gouvernement pour favoriser la production indigène, et la marine marchande par l’exportation, les droits d’entrée étaient remboursés sur les sucres raffinés, dans la proportion de 66 fr. 64 c. pour 100 kil. de sucres raffinés ; le raffinement sur lequel était basée la loi était une moyenne habilement calculée pour que le trésor ne subît pas des pertes, ce qui serait infailliblement arrivé si le rendement eût été fixé à un taux plus bas et assez restreint pour que le fabricant trouvât de l’avantage à travailler sur une plus grande échelle. Cette moyenne est de 55 p. c. ; elle était calculée sur le rendement des différentes qualités de sucres employées chez nous.
Toute l’économie de la fabrication actuelle des sucres repose donc sur la loi que vous voulez modifier ; c’est-à-dire, qu’en la modifiant, vous apportez le trouble et la mort dans les raffineries. Et l’on a dit cependant que le drawback devait être abaissé. Prenons-y garde, nous ferons beaucoup de mal en adoptant cette mesure, et, en tout cas, nous ne ferons rien pour le trésor.
En effet, si nous abaissons le drawback d’une manière sensible, nous livrons tous les marchés, où nous exportons aujourd’hui, aux Hollandais et aux Anglais, parce que nous mettons nos producteurs dans une position trop désavantageuse pour pouvoir concourir avec leurs rivaux ; nous aurons ruiné nos raffineries, qui, montées pour l’exportation en général, sur la foi du législateur, se trouveront réduites alors à travailler pour la Belgique seule ; mais si nous n’abaissons le drawback que faiblement, nous n’aurons rien fait non plus pour le trésor. La Hollande a aussi, dans des vues financières, apporté un jour des modifications au drawback des sucres ; mais l’activité des producteurs a bientôt augmenté à un point tel, qu’ils ont infailliblement absorbé toute la somme que le gouvernement croyait voir entrer dans ses caisses ; et voilà ce qui arriverait chez nous aussi si le gouvernement belge tombait dans la même erreur ; la consommation augmenterait infiniment aussi, le trésor n’aurait pas atteint son but, et nous aurions donné aussi l’exemple, toujours mauvais, d’un remaniement inutile de nos lois sur le sucre.
Quant au degré de raffinage sur lequel on a prétendu que les fabricants étaient en hostilité avec la loi, et dans lequel d’autres ont voulu voir la cause de l’énorme somme enlevée au trésor, on peut dire que là n’est pas non plus la source du mal que certaines personnes signalent ; les raffineurs raffinent en Belgique, d’un côté autant que leur intérêt l’exige, et cet intérêt c’est celui des consommateurs ; et de l’autre, autant que la loi le commande.
Vous savez tous, messieurs, qu’il est un point de raffinement auquel le sucre ne serait pas admis à l’exportation par la douane, et où il serait d’abord refusé par les acheteurs étrangers ; la production indigène est donc retenue réellement entre deux limites infranchissables, son intérêt propre et la mise à exécution de la loi ; renonçons à cette chimère de l’augmentation du rendement : la question est tout élémentaire, et vous pouvez par des calculs bien simples vous convaincre que les raffineurs exporteront tous leurs produits, tandis que la loi ne les en empêchera pas et qu’elle ne peut les en empêcher qu’en paralysant complétement leur industrie.
Cependant il est une question que je ne puis m’empêcher d’aborder aussi, parce que la commission s’en est occupée.
Je vois que dans le projet de loi on songe à prohiber le transfert. La commission a pensé prévenir par là la fraude et assurer des rentrées au gouvernement ; mais cette défense est illusoire parce qu’elle ne peut être mise à exécution qu’avec un luxe d’entraves et de tracasseries qui ne sont plus de nos jours.
Oublierait-on, par hasard, nos habitudes de liberté qu’a sanctionnées la constitution ? Eh bien, sans mille entraves, je dis que la défense du transfert ne produira rien ; elle est de plus parfaitement inutile. Pourquoi, en effet, la défense du transfert ? Est-ce pour conserver dans le trésor les droits acquittés sur le sucre brut, à l’entrée ? Admettez cette défense, vous verrez les fabricants qui travaillent pour l’importation ne plus faire venir les sucres en leur nom, mais s’adresser à des fabricants qui ne travaillent que pour l’exportation et qui pourront ainsi toujours exporter jusqu’à concurrence de leur crédit, ce qu’ils ne manqueront pas non plus de faire. Mais quel mal font donc les transferts ? Favorisent-ils la fraude ? Mais que la douane fasse son devoir, et quand ce serait vrai qu’ils favorisent la fraude, ce que je nie, font-ils payer des drawbacks plusieurs fois, ainsi que le rapporteur de la commission des sucres l’a dit ? Aident-ils à l’exportation du sucre de betteraves, qui n’a rien payé à l’entrée ? Et qui ne voit que si le sucre de betteraves s’exporte, des quantités correspondantes de sucres exotiques doivent rester dans le pays, et acquitter des droits, et qu’il en est de même des sucres qui seraient importés ou exportés plusieurs fois de suite, car la quantité importée étant officiellement connue, on sait quelles quantités peuvent être exportées ; et qu’importe alors au trésor l’origine des sucres et le mode d’exportation !
Ainsi, la défense du transfert entraînerait des vexations et des mesures attentatoires à la liberté, pour ne rien produire.
Renonçons donc à un système de bouleversement mortel à nos raffineries ; laissons la législation sur le sucre telle qu’elle est aujourd’hui, et craignons que pour avoir voulu trop avoir dans le trésor, nous ne perdions de vue des intérêts plus grands, et que nous ne fassions éprouver au trésor de l’Etat des pertes vraiment sensibles, que la ruine de nos fabriques lui apporterait inévitablement.
En conséquence, je voterai contre tout amendement qui aurait pour objet d’apporter des modifications importantes à la législation actuelle.
M. Rogier. - Messieurs, dans la séance d’hier, d’honorables membres ont signalé les réductions successives que le budget des voies et moyens avaient subies depuis quelques années. Je ne me suis pas montré en général partisan de ces réductions. J’ai toujours pensé qu’à la suite de la révolution, les nouveaux besoins qui surgissaient dans le pays exigeaient bien plutôt de nouveaux moyens fiscaux que l’abaissement des anciennes contributions.
Mais, malheureusement, le nombre de ceux qui ont toujours défendu dans cette enceinte les intérêts du fisc, les augmentations au budget des voies et moyens, s’est trouvé en minorité, et le budget a en effet subi successivement des réductions notables. Si l’on avait été plus sobre de ces réductions, peut-être ne verrions nous pas aujourd’hui, dans la question intéressante qui nous occupe, cette sorte d’animosité contre une branche d’industrie qui, si nous la jugeons d’après son degré d’importance, a droit au moins aux mêmes égards que beaucoup d’autres industries pour lesquelles on se montre très accommodant, d’ordinaire, en ce qui concerne les intérêts du trésor.
Mais enfin il se trouve qu’à la fin de 1837, des déficits se sont fait remarquer dans le trésor. Les circonstances sont plus ou moins graves ; il faut de l’argent, et on a, à ce qu’il paraît, découvert une sorte de mine d’or : ce sont les sucres ; ces sucres qui, à aucune époque, n’ont rapporté deux millions, doivent absolument en rapporter quatre ou cinq et même six. L’honorable M. Eloy de Burdinne a prétendu vous démontrer hier que le sucre que ces vilains Indiens vous envoient (on rit), devait, de toute rigueur, rapporter au pays quatre ou cinq et même six millions.
Il y a un peu à rabattre sur ce brillant produit.
Je répète d’abord qu’à aucune époque, depuis que la loi est exécutée, le sucre n’a rapporté que 2 millions. Et à ces époques où les sucres ne nous produisaient pas 2 millions, le sucre de betterave, dont nous nous occuperons ultérieurement, n’existait pas. Aujourd’hui il existe, et concourant aux besoins de la consommation, sans payer des droits, avec le sucre exotique qui paie des droits, il nuit au fisc dans toute l’étendue de la consommation qui s’en fait ; de telle manière que si la consommation du sucre est de 12 millions de kilog., dans laquelle consommation le sucre de betterave entrerait pour 4 ou 5 millions de kilog., le fisc se trouve frustré des droits qui seraient payés sur ces 4 ou 5 millions, alors que l’on ne consommerait que du sucre exotique.
A différentes reprises il a été affirmé par d’honorables préopinants que le sucre devait rapporter de 4 à 5 millions ; je répète que le fisc n’a jamais perçu jusqu’à 2 millions. Que conclure de là ? Que la loi n’a pas été faite pour que le sucre produisît davantage. La loi a eu un double but ; elle a, je veux bien le reconnaître, un but fiscal ; mais elle a surtout un but industriel, un but commercial. Veut-on dénaturer ce caractère ? Veut-on donner à cette loi un but purement fiscal ? Je demande qu’on s’explique. A la manière dont les amendements ont été présentés, je serais tenté de croire qu’on veut faire d’une loi commerciale une loi purement fiscale. En effet, les amendements ont été présentés par M. le ministre des finances seul, sans le concours de M. le ministre de l’intérieur, qui a dans ses attributions l’industrie et le commerce. On ne peut blâmer M. le ministre des finances de ce qu’il veuille donner à la loi un but fiscal ; augmenter les ressources du trésor, c’est là son devoir, sa mission ; mais je ne saurais comprendre que, dans une loi de commerce et d’industrie, ce soit le représentant du fisc seul qui présente des modifications.
Messieurs, on a jugé la loi des sucres comme frappée de stérilité en ce qui concerne le fisc ; mais ne s’est-on pas un peu hâté de la juger stérile ? Jusqu’en 1836 on ne s’est pas plaint de la loi ; on trouvait qu’elle rapportait convenablement, que le fisc retirait des sucres une somme suffisante. Mais voilà qu’en 1836 une baisse subite et considérable, je le reconnais, se fait remarquer ; vite il faut apporter un remède immédiat à cet état de choses. Mais l’impôt sur les sucres, qui avait produit, en 1830, 1,790,000 fr., est descendu, en 1831, à 988,000 fr. Je ne sache pas qu’on se soit alors empressé de porter remède à cette baisse. On a attendu, et je crois qu’on a bien fait d’attendre ; car, dans les années suivantes, le produit de cet impôt a remonté de telle manière, que le trésor a perçu autant qu’il avait perçu en 1831.
Qui nous dit que, par la seule force des choses, le produit des droits sur les sucres ne doive pas remonter ? Déjà même, d’après les états qui nous ont été produits, il paraît qu’en 1837 cet impôt produira plus qu’en 1836, année qui, je le reconnais, n’a pas été bonne pour le fisc : mais enfin, rien ne prouve que cet impôt, dans les années qui suivront 1836, ne nous indemnisera pas de la baisse qu’on a remarquée cette année. Je dis donc qu’il ne faut pas se hâter de regarder la loi actuelle comme frappée de nullité. Elle a rapporté des sommes assez considérables pendant les 8 années antérieures à 1836 ; une seule année a fait défaut ; ce n’est pas à dire pour cela que les années suivantes fassent également défaut.
Nous expliquerons par quelles circonstances (suivant nous) a eu lieu ce déficit auquel on veut se hâter de porter remède ; mais voilà, ce me semble, ce qui aurait dû être examiné, approfondi, et par la chambre et par l’administration, avant d’insister sur un changement radical à la loi. Mais on vous l’a dit hier ; nous n’avons plus le loisir de nous refuser à ce changement ; nous sommes à la veille de discuter le budget de la guerre, il faut de l’argent ; et bon gré mal gré, c’est le sucre exotique qui doit nous en fournir.
Je ne puis m’empêcher de faire remarquer le peu de conséquence que montrent dans leurs principes les partisans de la protection à accorder à l’industrie. La moindre industrie qui fait entendre sa voix pour réclamer protection est toujours certaine de trouver en eux un appui ; peu importe que la protection réclamée consiste en droits élevés ; peu importe que la protection accordée à cette industrie en blesse vingt autres, qu’elle irrite les puissances voisines, qu’elle offre un appât à la fraude, qu’elle nuise au fisc qui percevrait une somme plus considérable si les droits étaient plus modérés, il faut une protection ; il la faut à tout prix quand il s’agit de la bonneterie, de la poterie, etc. Mais s’agit-il de l’industrie des raffineurs de sucres qui n’a pour but que de favoriser le commerce (but extrêmement mesquin, ainsi que l’a fait sentir un honorable préopinant), oh, alors c’est tout autre chose ; alors, adieu les principes protecteurs ; alors toutes les sympathies sont pour le fisc ; et l’on prend parti pour lui contre cette industrie, qui a le malheur de favoriser le commerce du pays. Cependant cette industrie laisse vivre en paix toutes les autres ; que dis-je ? elle en favorise beaucoup d’autres, car elle tend à faciliter, à multiplier nos échanges, à resserrer nos relations avec les peuples qui nous entourent ; mais, je le répète, les sucres ont été condamnés ; c’est une matière, dit-on, essentiellement imposable, elle doit être imposée ; les intérêts du fisc avant tout.
Je me renferme un moment dans cette hypothèse. Le sucre est une matière éminemment imposable ; ce n’est pas une matière de commerce. Mais si c’est le seul intérêt du fisc qui vous touche, si le sucre est essentiellement imposable, n’épargnez aucune espèce de sucre ; car le sucre de betterave est une matière aussi essentiellement imposable que le sucre colonial. Je ne pense pas que, fiscalement parlant, la betterave doive avoir un privilège sur la canne à sucre.
Je vous l’ai déjà dit, si la consommation, dans le pays, de sucre exotique, qui pourrait être de 12 millions de kilog., se trouve réduite à 8 millions par la consommation du sucre de betterave, ce sucre, dans la même proportion, a donc porté préjudice au fisc pour lequel vous vous montrez si soigneux. Frappez donc également le sucre de betterave ; alors toute la matière imposable sera dans la même position. Mais je doute que s’il s’agissait du sucre de betterave, on montrât pour le fisc autant de sollicitude qu’on en montre quand il s’agit de sucre exotique.
Je suis donc en droit de penser que cette sollicitude pour le fisc n’est qu’accidentelle et factice. Vouloir combiner les intérêts du fisc avec l’affranchissement de droits en faveur du sucre de betterave, me paraît deux choses inconciliables. Je ne me charge pas de les concilier. Je compte à cet égard sur l’intelligence de mes honorables adversaires.
En attendant, je défendrai le système actuel, à part quelques modifications que nous ne serons jamais assez opiniâtres pour rejeter, alors qu’elles ne renversent pas tout le système de la loi. Je défendrai le système actuel pour ne pas priver le pays d’avantages certains, en compensation desquels on ne nous présenterait que des avantages très incertains.
La loi de 1822 a cherché à combiner les intérêts du fisc avec ceux de l’industrie et du commerce. C’est pour cela que l’on frappa de droits le sucre consommé à l’intérieur, et qu’on a exempté de droits le sucre exporté, le sucre consommé à l’extérieur.
On s’est beaucoup récrié sur ce que les Suédois avaient l’avantage de manger le sucre à meilleur marché que les Belges. La faute n’en est pas aux raffineurs, mais à la loi qui a frappé de droits les sucres consommés à l’intérieur, et qu’on a exempté de droits les sucres consommés à l’extérieur.
En effet, les peuples voisins peuvent payer le sucre moins cher que nous, si chez eux il n’y a pas de droit, attendu que la loi a exempté de tout droit le sucre consommé à l’extérieur. Mais ce système de la loi se rencontre également dans d’autres matières. Les distilleries sont dans le même cas que les raffineries ; les produits des distilleries consommés à l’intérieur sont frappés d’un droit, tandis que, consommés à l’extérieur, ils en sont exemptés. Se plaint-on que d’autres peuples boivent les produits de nos distilleries à meilleur compte que les Belges ? C’est ainsi que les villes qui restituent à la sortie les droits dont est frappée la bière consommée à l’intérieur, la font payer plus cher à leurs habitants qu’aux habitants des faubourgs. Je le reconnais, cela est parfaitement exact ; mais ce n’est pas la faute des raffineurs, non plus que des distillateurs ; c’est la volonté de la loi qui a voulu favoriser la main-d’œuvre dans le pays, et en même temps les exportations et les échanges commerciaux.
Dans quelle proportion a-t-on voulu imposer le sucre consommé à l’intérieur ? Dans la proportion de 55 1/2 kil. par 100 kil. de sucre brut. La loi a dit : 55 1/2 kil. de sucre raffiné paieront tant ; quand on exportera cette quantité, on ne paiera rien. Peu importe donc que le sucre brut rende 60, 70, 80 ou 90 ; il faut voir ce qu’a voulu la loi. Elle n’a voulu frapper dans ce sucre qu’une certaine quantité, une certaine qualité ; 55 1/2 kil. par 100 kil. La preuve, c est qu’elle ne restitue le droit que sur cette quantité, et qu’elle a voulu restituer la totalité du droit à la sortie. Quelle a été la conséquence naturelle ? C’est que plus on a exporté de ce sucre déchargé, moins le fisc a reçu. La grande exportation du sucre décharge a pour résultat une diminution sur le revenu du fisc. Cela paraît un mal sous le rapport fiscal, mais nous rencontrons dans cette exportation d’autres avantages indirects qui tournent au profit de la généralité et même du fisc lui-même.
Ainsi voilà donc véritablement, avec l’extension du sucre de betterave, une des causes de la diminution dans les produits du fisc ; c’est la grande extension donnée à l’exportation du sucre. Plus on exportera de ce sucre déchargé, moins le fisc recevra.
Faut-il changer cet état de choses, faut-il restreindre l’exportation, afin que le fisc profite davantage, afin que tout le sucre raffiné étant versé dans la consommation, aucune partie du droit n’échappe au fisc ; voilà une très grave question ?
Je crois que beaucoup de motifs plaident pour qu’on laisse à la loi de 1822 toutes ses conséquences. Quand peu d’exportations ont lieu, le fisc profite davantage, et quand on exporte beaucoup, le fisc profite moins directement ; mais je ne suis pas éloigné de croire qu’il profite indirectement dans une proportion égale, de telle manière qu’on peut dire qu’il y a presque compensation pour lui et avantage immense pour beaucoup de branches de la fortune publique.
On me fait observer que la législation de 1822 a été modifiée par la loi de 1829. Mais le principe est resté le même. A l’occasion de la suppression de l’impôt mouture, on a ajouté 40 centimes additionnels sur le sucre et d’autres bases d’impôt. Mais le principe et le but sont restés les mêmes.
A l’abri de la loi de 1822 et en vue des conséquences qu’elle promit, un grand nombre de raffineries se sont établies, un grand développement a été donné à leurs travaux. Nous pourrions invoquer l’intérêt du grand nombre de travailleurs qu’elle occupe, la masse de capitaux engagés, et finalement les droits acquis qu’on fait sonner si haut quand il s’agit de toucher à la moindre industrie.
L’industrie des sucres a-t-elle eu tort ou raison de prendre un aussi grand développement ? C’est ce que je ne déciderai pas.
Quant à moi, je crois qu’elle a pris dans un certain moment trop d’essor ; mais elle n’a fait qu’user des avantages que lui fait la loi. Ce n’est pas une raison pour prendre immédiatement contre elle des mesures qui tendraient à la paralyser.
On a aussi invoqué dans cette circonstance l’intérêt des consommateurs. J’ai été également surpris et charmé qu’on voulût bien reconnaître que les consommateurs étaient quelque chose dans le monde.
Dans les autres questions industrielles, lorsque nous, qui sommes partisans des grandes facilités données à l’industrie et au commerce, nous invoquons l’intérêt des consommateurs, on se rit de notre sollicitude pour eux. Peu importe, dit-on, tout consommateur est producteur, et alors on charge sans pitié le consommateur. Mais, par un privilège spécial, l’industrie des sucres a excité la sympathie pour les consommateurs. On charge le pauvre consommateur belge de droits énormes, pour que le consommateur étranger mange le sucre à meilleur compte. Si le consommateur paie aujourd’hui les droits non pas au fisc, mais au raffineur, les paiera-t-il moins quand le raffineur lui-même sera obligé de verser les droits au fisc ?
Lorsque le raffineur sera obligé de payer le droit, le prix du sucre va hausser, et votre sucre indigène profitera de la hausse en se mettant au niveau. Que devient alors le consommateur ? En définitive, que le raffineur paie le droit au fisc ou qu’il le garde pour lui, le moins qu’on puisse admettre, c’est que la position du consommateur restera la même. Mais, je le répète, il y a chance presque certaine que si vous placez le raffineur dans des conditions de production plus onéreuses, le prix de l’objet produit s’en ressentira au préjudice du consommateur.
L’état actuel des choses est donc plus favorable au consommateur. Tout n’est pas sucre blanc dans le raffinage de sucre, pas plus qu’avec le grain on ne fait pas tout pain blanc. Plus le raffineur fait d’opérations commerciales d’exportation, plus il doit raffiner de sucre ; plus il raffine, plus il obtient de sucre commun, moins le prix de ce sucre est élevé. Il en résulte, et nous en avons la preuve, que la grande exportation des sucres fins tend à maintenir à des prix peu élevés le sucre commun. C’est ce qui est arrivé. Nous avons vu, à mesure que le sucre raffiné s’exportait, le sucre non exporté baisser de prix. Telle est la cause de la grande différence qu’on remarque entre les prix des sucres communs dans ces dernières années comparées aux années antérieures.
Nous savons par qui est consommé le sucre commun ; nous savons dans quel intérêt on veut qu’il soit maintenu à un prix peu élevé. Eh bien ! si nous restreignons l’exportation des raffinages il en résultera que ce sucre commun sera produit en moindre quantité et haussera de prix ; et le consommateur pauvre dont on invoque l’intérêt se ressentira défavorablement du changement que vous voulez introduire.
Messieurs, d’autres intérêts encore que l’intérêt de cette industrie considérable du raffinage, que l’intérêt du consommateur que nous n’avons pas été d’ailleurs les premiers à invoquer ici, d’autres intérêts très graves se trouvent engagés dans cette question : je veux parler de l’intérêt du commerce et de beaucoup d’autres industries qui s’y rattachent.
Je sais bien que le commerce est un mot qui, auprès de certains membres de cette chambre, ne rencontre pas beaucoup de sympathie ; je sais que l’on se plaît parfois à ravaler son importance, que quelques-uns même verraient dans le commerce un instrument plutôt fatal qu’utile à la Belgique. Je dis qu’il se trouve des représentants du pays, et par conséquent de ses intérêts généraux, qui font tous leurs efforts pour rabaisser l’importance du commerce ; et je n’aurais peut-être pas relevé les erreurs commises à cet égard, si elles n’étaient parties d’un membre qui est censé représenter plus particulièrement les intérêts du commerce et de l’industrie ; je veux parler du président de la commission du commerce et de l’industrie.
M. Zoude. - Alors je demande la parole.
M. Rogier. - C’est ainsi, messieurs, que nous avons vu l’honorable président de la commission d’industrie et du commerce nous dire, dans une des dernières séances : « Qu’est-ce que le commerce ? L’on a singulièrement exagéré son importance à l’égard de notre industrie ; il occasionne l’exportation de nos produits ; mais en quoi consiste cette exportation ? En quelques brouettes de houille, en quelques hectolitres de genièvre… » Je dis qu’une pareille assertion partie d’une telle bouche a besoin d’être réfutée dans cette enceinte ; et pour cela, je n’aurai pas besoin de recourir à de longs développements. J’invoquerai seulement les états statistiques qui ont été publiés par le gouvernement et qui, pour quatre années seulement, nous fournissent, en produits de l’industrie belge exportés, une somme qui s’élève au-delà de 100 millions, ou plus de 20 millions par année, et notamment dans les deux dernières. Je dis qu’un agent de cette importance, qu’un exportateur de cette puissance ne mérite pas d’être traité avec dédain.
A la vérité ce commerce a l’avantage à mes yeux, et le malheur à d’autres yeux, d’inonder le pays de produits exotiques. Ce commerce nous apporte le sucre brut, le coton en laine, les cuirs, et mille autres objets, trop longs à détailler, et que jusqu’à présent nous ne produisons pas du tout, ou pas en quantité suffisante.
Jusqu’à ce que nous les produisions nous-mêmes, je ne pourrai voir comme un malheur pour le pays que le commerce nous apporte des objets dont nous avons besoin. A plus forte raison je ne considérerai pas comme un malheur les exportations d’objets belges à l’aide du commerce.
Cette digression à proprement parler n’en est pas une ; car l’objet qui nous occupe, le sucre, étant un des principaux aliments du commerce, est aussi un des principaux agents de l’exportation de nos produits.
Et c’est ce que l’on ne cherchera pas à nier. Il a été établi par des chiffres qu’à l’aide du sucre raffiné qui compose le chargement de beaucoup de navires, une masse de produits belges ont été exportés dans des pays où jusqu’ici ils n’avaient pas d’accès. Et voilà comment j’ai été fondé à soutenir que le système actuel, favorable à l’exportation du sucre, était en même temps favorable à beaucoup d’autres industries. En effet, voyez les détails de nos chargements, consultez le tableau qui a été joint à un mémoire publié récemment à Anvers, et vous comprendrez à combien d’industries du pays les sucres raffinés ont été utiles.
Comme preuve évidente de la liaison qui existe entre le commerce et l’industrie, je citerai la pétition qui vous a été adressée hier par des industriels de Liége. Ils réclament le maintien de la loi sur les sucres, parce qu’à l’aide de cette loi ils trouvent le moyen d’exporter leurs produits, leurs armes, leur clouterie, etc.
J’ai trouvé dans un mémoire publié par les sauniers de Louvain des observations que je vais lire ; elles sont courtes, et montrent encore la liaison des intérêts commerciaux et industriels. Il paraît que les sauniers de Louvain se croient menacés par la nouvelle loi, parce qu’elle restreindrait le commerce des sels. Voici ce que dit l’administration communale de Louvain dans un mémoire qui me paraît rédigé d’une manière remarquable :
« Nos négociants tirent le sel principalement de l’Angleterre ; par contre ils expédient vers ce dernier pays de l’écorce, du bois de construction, des grains, du lin, etc. Le commerce de ces divers articles est tellement lié, que les principaux négociants qui traitent les sels font aussi le commerce des écorces, des grains, du lin. Les exportations des écorces seule s’élèvent à plus de 5 millions de kil. par an. »
Ce qui se dit du sel, peut se dire à plus forte raison du sucre, attendu que ce commerce, surtout en ce qui concerne les exportations, est beaucoup plus considérable que celui du sel.
J’ai dit qu’un grand nombre d’industries sont intéressées au maintien du système actuel, favorable aux exportations ; mais j’aurais pu citer l’industrie de la fabrication du sucre indigène lui-même que l’on semble avoir en vue de protéger en rendant plus onéreux le raffinage du sucre exotique.
Je crois, en effet, que l’état de choses actuel est favorable aux sucres indigènes ; et je pense qu’un changement pourrait attirer, pour ces sucres, des conséquences fâcheuses que n’ont pas prévues les adversaires du système que nous défendons. Aujourd’hui, on ne peut se le dissimuler, l’exportation du sucre raffiné étant considérable, une place plus large est laissée, dans le pays, au sucre indigène.
Il peut profiter de deux manières de l’exportation du sucre exotique soit parce qu’il trouve, comme nous venons de le dire, une place plus large dans la consommation intérieure, soit parce que lui-même est exporté. Et c’est ce qui arrive. Si donc vous restreignez les exportations, vous forcez le sucre exotique à être déversé en plus grande quantité dans la consommation ; vous créez pour le sucre indigène une concurrence plus forte, et vous lui fermez ses débouchés à l’extérieur.
Enfin, messieurs, je ne veux pas trop prouver ; je ne dis pas que la cause que nous défendons, toute bonne qu’elle est, soit sans côté faible, et je ne suis pas de ceux qui veulent défendre une cause de tous les côtés ; toutefois, je dirai que le système actuel n’est pas si défavorable au fisc qu’on veut le persuader.
Une plus grande exportation de sucres raffinés, appelle une plus grande consommation de sucres bruts ; plus vous consommez de sucres bruts, et plus le fisc perçoit de droits de douanes qui ne sont pas restitués.
Le sucre est passible de deux droits : un droit de douane et un droit d’accise, et c’est celui-ci qui se restitue. Ce droit de douane n’est pas peu de chose ; il a fourni au fisc, en une année, une somme d’environ 250,000 fr., non restitués. Si vous restreignez de moitié les importations, ces droits de douane diminueront d’autant ; ajoutez à cette recette les droits perçus sur toutes les marchandises dont le mouvement est occasionné par le mouvement du sucre brut et du sucre raffiné : droits de patente, de tonnage, d’entrée, de sortie, etc., et nous ne serons pas loin d’atteindre le chiffre de 800,000 fr. porté dans les prévisions du budget de 1838. A tous ces revenus, il faudra ajouter les droits encore payés pour la consommation. Ces droits n’ont été que de 156,000 en 1836 ; mais, en 1837, le mouvement est ascendant ; et il est possible qu’en 1838, sans modification aucune à la loi actuelle, le chiffre atteigne la somme de 800,000 fr., espéré par M. le ministre des finances.
Ainsi, avec le maintien du système actuel, vous maintenez un état de choses utile à une industrie des plus importantes, utile au commerce, favorable à beaucoup d’industries. En outre, messieurs, vous favorisez le consommateur ; vous favorisez même le producteur de sucre indigène, et vous ne portez pas une atteinte aussi grave qu’on vous l’a dit au fisc qui reçoit indirectement, par suite du mouvement plus grand imprimé aux affaires, la plus forte partie, si pas la totalité, de ce qu’il a cessé de recevoir directement.
Je répète, messieurs, que je ne m’opposerai pas à toute espèce de changement qui peut être introduit dans la loi. Je crois qu’il existe un abus (je n’en suis pas certain, mais on l’a renseigné) ; je crois, dis-je, qu’il existe un abus dans le mode de transfert des crédits, et qu’en exigeant le transfert réel des marchandises en même temps que le transfert du crédit, on parviendrait à faire percevoir au fisc des sommes qui lui échappent aujourd’hui. Voilà donc, messieurs, une amélioration qu’on pourrait essayer. S’il en est d’autres encore qui, sans modifier essentiellement le système actuel, pourraient procurer quelques ressources nouvelles au fisc, je les admettrai avec plaisir, car je reconnais tout le premier qu’il est indispensable d’augmenter les ressources du pays, et ce serait bien à contrecœur que je contribuerais à les affaiblir. Mais ce serait un grand mécompte de croire que le sucre puisse à lui seul procurer au trésor les ressources dont il a besoin.
Non, messieurs, il faut chercher le remède ailleurs ; il faut créer de nouvelles sources d’impôt ; il faut rendre les sources actuelles, en général, plus productives, mais ne pas s’attacher exclusivement à une seule branche ; il ne faut pas que le sucre seul pâtisse. Je pourrais accepter ce sacrifice, si en effet le trésor devait en retirer les immenses avantages qu’on s’en promet. Mais je suis convaincu qu’il n’en sera pas ainsi, et c’est pour ce motif que je m’oppose aux changements qu’on veut introduire dans la législation sur les sucres.
M. Eloy de Burdinne (pour un fait personnel). - Messieurs, l’honorable M. Rogier m’a prêté, à l’égard des Indiens, une épithète dont je ne me suis pas servi.
Lorsque je parlais hier de la protection qu’il convient de donner à la fabrication du sucre indigène, je disais : « En même temps nos populations fabriqueront le sucre brut qui est aujourd’hui fabriqué par les Indiens »
Dans un autre passage, après avoir parlé des avantages immenses que la loi actuelle accorde aux raffineurs de sucre venant des Indes, tandis qu’elle n’accorde aucune protection aux producteurs de sucre indigène, j’ajoutais : « C’est le cas de dire que nous sommes plus Indiens que Belges, si nous maintenons l’ordre de choses actuel. »
Je suis très étonné que M. Rogier vienne me prêter des épithètes dont je ne me suis pas servi ; je ne puis l’attribuer qu’à ce que la cause qu’il défend est tellement mauvaise qu’il d’indigne de voir qu’on soutient une opinion contraire à la sienne.
M. Rogier. - Messieurs, lorsque je me suis servi des mots « vilains Indiens, » je n’ai pas pu présumer que M. Eloy de Burdinne verrait là-dedans une question personnelle ; puisqu’il a trouvé cette épithète, en ce qui concerne les Indiens, peu parlementaire, je la retire.
M. Zoude. - Messieurs, les paroles que m’a prêtées l’honorable préopinant sont de pure invention ; ce que j’ai dit, c’est que des navires étrangers, qu’on vantait comme exportant une grande quantité de nos produits, sont sortis de nos ports, quelques-uns avec un hectolitre de genièvre, quelques autres avec 40 kilog. d’étoupes ou 6 à 7 cents kilog. de houille. Voilà, messieurs, ce que j’ai dit, après l’avoir puisé au bureau de statistique du ministère des finances.
M. David. - Après avoir entendu les divers orateurs, défenseurs du système de la loi de 1822 sur les sucres, il ne me sera sans doute pas facile d’éviter des répétitions. Je m’enhardirai pourtant à vous communiquer mes réflexions, persuadé que quelques-unes d’elles jetteront du jour sur l’importante question qui nous occupe.
Je vous avouerai, messieurs, que de prime-abord j’aurais cru les modifications proposées sur les sucres très opportunes ; mais, depuis peu, ma conviction à cet égard a été fortement ébranlée par les réflexions que j’ai faites sur les conséquences qu’auront les changements que l’on vous propose, car il ne faut pas perdre de vue que tous ces changements portent sur le sucre exotique, et qu’en même temps surgit au milieu de nous une industrie rivale, totalement exempte de l’impôt.
Je vais tâcher, messieurs, de mettre le plus de clarté et de simplicité possible dans le classement de mes idées, et je vous prie de me donner un instant d’attention.
Nous connaissons tous la position des raffineurs de sucre exotique vis-à-vis de la législation actuelle ; examinons celle que cette législation donne aux fabricants de sucre indigène.
Le droit d’accise est de 37 fr. 02 c.
Celui de douane est en terme moyen de 1 fr. 07 c. par 100 kilos de sucre brut.
Ensemble, 38 fr. 09 c.
Ce qui fait sur les prix actuels environ 50 à 60 p. c. de la valeur de la matière première.
Les fabricants de sucre de betterave vous ont adressé plusieurs mémoires, par lesquels ils ont tous demandé des majorations d’impôt plus ou moins grandes.
Je crois pouvoir dire, sans crainte d’être victorieusement combattu, que ces demandes sont bien fondées, car il suffit de se reporter seulement à la dernière discussion des chambres françaises sur la question, et à sa décision, pour rester convaincu que les avantages que notre législation donne à la production du sucre de betterave, sont réellement suffisants.
D’après la loi du 18 juillet 1837, le gouvernement français a établi qu’il serait perçu :
1° Un droit de licence de 50 fr., par chaque établissement de sucre de betterave.
2° Un droit de 15 fr. par 100 kilog. de sucre brut indigène, savoir 10 fr. à partir du 1er juillet 1838, et 15 à partir du 1er juillet 1839. De sorte que la protection ou l’immunité actuelle, qui est de 39 fr. 50 c., décime compris, sera réduite de ce chef à 39 fr. 50 c. en 1837 et à 34 fr. 50 c. en 1839.
A ces conditions, la chambre des députés a jugé possible, non seulement le maintien des sucreries en France, mais même leur développement ultérieur. Si vous faites, outre cela, entrer en ligne de compte la supériorité de la culture en Belgique, la moindre valeur des frais d’installation, de bâtisse, de main-d’œuvre et de combustible, il vous restera démontré qu’il serait de la dernière imprudence de prêter trop l’oreille aux doléances de nos fabricants de sucre indigène.
D’ailleurs, quand même nous n’aurions pas pour point de comparaison la législation française, n’avons-nous pas devant les yeux les preuves matérielles de la condition prospère dans laquelle se trouve cette industrie chez nous ?
Consultez le rapport au ministre de France, fait en novembre 1837, par M. E. Vandal, et imprimé à la suite du rapport de M. Desmaisières ; vous y verrez, page 2, qu’à l’époque précitée il y avait 15 fabriques de sucre de betterave en activité et 30 en construction ; dans notre, pays et page 3, que les productions de ces 15 fabriques, d’après des évaluations très modérées, étaient évaluées pour 1836 à 2,025,000 kilog. M. Vandal ajoute que ces proportions devront naturellement augmenter cette année-ci.
En rapprochant ces chiffres de ceux que nous a fournis M. le ministre des finances, je suis étonné de n’y trouver renseignées que 36 fabriques, dont 10 sans produit pour 1837, tandis que M. Vandal en a compté 45. Je remarque une seconde différence importante dans la production de ces 26 fabriques, que le tableau de M. le ministre ne porte que pour 2,655,710 kilog., ce qui ne dépasse que de 630,700 kil. le chiffre de M. Vandal pour 15 fabriques !
Cela porte naturellement à faire supposer que les fabricants se seront expliqués avec plus de franchise envers ce dernier qu’envers M. le ministre, auprès de qui ils avaient intérêt à dissimuler l’importance de leurs produits réels. Je suis convaincu qu’il existe plusieurs sucreries qui fourniront cette année des quantités presque doubles de celles renseignées par l’administration.
En admettant par conséquent le chiffre de M. Vandal, les 26 fabriques en activité rapporteront cette année 3,510,000 kilog, ce qui constitue une augmentation de près de 1,500,000 kilog. en une seule année. De façon que je suis fondé dans ce que je viens d’avoir l’honneur de vous dire, et je pense que tous, messieurs, vous serez convaincus comme moi que la protection de 38 fr. 9 c., dont jouit en Belgique la fabrication du sucre indigène, serait plutôt sujette à une réduction qu’à une augmentation.
Une fois ce principe établi, il ne faut pas douter un seul instant, dans un pays aussi éminemment industriel que le nôtre, de l’empressement que l’on mettra à ériger de nouvelles fabriques ou tout au moins de l’accroissement progressif de celles en activité et en construction. M. Vandal porte leur nombre total à 45 et à 135,005 kil. ; si donc les 45 seulement persistent et réussissent comme personne ne peut en douter, et si elles portent leur production moyenne à 200,000 kil. au lieu de 135,000, on trouvera1 le chiffre de 9,000,000 kil. Cette masse énorme est indemne. Vous pouvez juger par là, messieurs, de la possibilité et même de la probabilité qu’en 1838 cette énorme production sera obtenue.
Voilà, messieurs, le fait qui a porté une si vive atteinte à ma conviction antérieure, et je vois aujourd’hui que le point important, celui qui exige de nous la plus scrupuleuse attention, c’est l’appréciation exacte des conséquences qui vont résulter de cette production de sucre indigène.
Vous savez tous qu’il y a immunité complète en faveur de ce produit, et prévenus comme sont les esprits, je n’oserais vraiment pas aborder’ la question d’un impôt à prélever ultérieurement à sa charge ; je dois donc me borner à examiner ce que nous aurons gagné et ce que nous aurons perdu en 1839.
Comme de raison, je prends pour base le chiffre de la production présumée pour cette époque, en sucre métropolitain. Ce chiffre est, comme vous venez de le voir, de 9 millions de kil. Maintenant si vous évaluez la consommation totale de la Belgique à 10 millions de kil., il ne vous reste plus qu’un seul million de sucre exotique imposable, et il suffira de la perception rendue indispensable de seulement 370,200 fr, pour rendre cette quantité prisonnière dans le pays.
Si vous évaluez la consommation à 12 millions, l’emploi du sucre exotique devra également se borner à 3 millions, car la somme demandée par M. le ministre des finances étant de 800,000 fr., et la totalité des droits à percevoir sur 3 millions ne s’élevant qu’à 1,110,600 fr., il est incontestable que toute exportation de sucre raffiné sera devenue nulle de fait ; car on ne peut pas baser un commerce de cette nature sur des quantités aussi réduites. Mais, dans cette dernière évaluation de la consommation, qui vous dira que la betterave ne tendra pas encore à l’envahir ? On doit nécessairement s’y attendre, puisqu’en naissant cette industrie s’est de prime abord trouvée établie sur des bases assez larges pour alimenter, sans accroissements nouveaux, toute la consommation.
Quoi qu’il en soit, messieurs, chacun peut déjà, conjointement avec moi, se fixer sur les conséquences qui résulteront de mes prévisions.
1° Le trésor ne recevra rien ou recevra très peu de chose des sucres ;
2° Le commerce aura perdu l’immense ressource que lui présentait le mouvement d’entrée et de sortie des sucres exotiques ;
3° Le nombre des raffineries actuellement activées par une fabrication de 25 millions de kil. devra se réduire aux deux cinquièmes lorsqu’elles n’auront plus à fabriquer que 10 millions ;
4° Le consommateur, le peuple belge tout entier, se trouvera annuellement imposé à une somme égale à la protection accordée au sucre indigène.
Permettez-moi, messieurs, d’ajouter sur ces différents points quelques considérations qui m’ont paru d’une grande portée.
Vous voyez, dans le rapport que la commission vous a présenté, que le trésor a reçu du chef des droits sur les sucres, de 1828 à 1835, une somme de 12,886,685 fr. ce qui est une moyenne par année de 1,610,855 fr.
En 1834, la recette a été de 1,517,936 fr. et en 1836 de 1,558,748 fr.
On était donc arrivé à cette époque à une situation satisfaisante pour le trésor, l’industrie et le commerce, et il était à présumer qu’elle se serait maintenue ainsi, puisqu’en 1835 elle était augmentée de 40,811 fr.
En 1836 cette recette est tout à coup tombée à 186,890 fr. Et en 1837, le premier semestre a rapporté 119,682 fr.
Là-dessus, tout le monde s’est mis à jeter la pierre aux raffineurs de sucre exotique. Les uns ont prétendu que cette diminution était l’effet d’une fraude scandaleuse de leur part, et ceux-là n’ont fait que déraisonner ; les autres, plus clairvoyants et surtout plus consciencieux, l’ont attribuée à une grande extension de fabrication, au moyen de laquelle tous les droits étaient apurés. Les raffineurs eux-mêmes ont en quelque sorte admis cette hypothèse, et ils y ont mis trop de bonne foi, car il est aisé de se rendre un compte plus naturel des véritables motifs qui ont occasionné cette diminution en 1837, et qui se maintiendra, selon toute apparence, en 1838. Nous voyons, en effet, à l’annexe litt. J du rapport de M. Desmaisières, qu’en 1834 il a été importé 19,115,496 kil. de sucre brut ; en 1835, 23,747,838 kil. ; en 1836, 22,396,866 kil.
Et à l’annexe litt. A qu’en 1834 il a été consommé ou plutôt fabriqué 22,569,721 kil. et en 1835 20,270,758 kil.
De sorte qu’il y a eu diminution de fabrication en présence d’une augmentation d’importation. Ce ne peut donc pas être par suite d’un trop grand développement de fabrication que les 1,500,000 fr. de recette probable ont été absorbés, puisqu’il y a eu tout au contraire diminution en 1835. Les conséquences de cette diminution sont retombées sur 1836, et c’est précisément à cette époque que la betterave a fourni déjà 2,025,000 kil. de sucre « indemne » et que l’infiltration frauduleuse du sucre raffiné étranger a été fortement activée par la hausse considérable survenue pendant la susdite année sur les sucres exotiques en Belgique, sans que cette hausse ait eu lieu dans les mêmes proportions en Hollande et surtout en France. Si en 1837 la recette est de nouveau très réduite, cette fois on doit s’en prendre encore plus à la betterave, qui a augmenté sa production de près du double ; et ici, messieurs, il est bon de vous faire remarquer que le sucre de betterave s’exporte avec décharge des droits au détriment des sucres exotiques, qui seuls sont imposés ; que par conséquent l’exportation, loin d’être nuisible, en ce sens, aux fabricants de sucre indigène, leur est favorable, en ce qu’elle étend les limites de leur consommation. Ainsi le mot de prime qui a si souvent été employé à tort à propos de la loi sur les sucres, subsiste réellement en faveur du sucre de betterave, et ce qui est plus curieux, c’est que cette prime lui est forcément octroyée par le sucre exotique.
C’est à cause de cela aussi que plusieurs fabricants, qu’il est inutile de nommer, ont hautement désapprouvé les réclamations de leurs confrères, comme étant fort intempestives.
Je crois donc, messieurs, aujourd’hui que j’ai plus approfondi la question, qu’il est nécessaire de maintenir la loi actuelle dans toute son intégrité. Comme je vous l’ai dit, je considère les esprits comme trop prévenus pour oser vous parler d’imposer le sucre de betterave ; mais le maintien de la loi actuelle, sans aucune modification autre que celle des transcriptions, me paraît indispensable, non plus dans le but de favoriser aujourd’hui les raffineurs de sucre exotique, mais dans celui de prêter main forte au commerce et à la navigation.
Savez-vous bien messieurs, que depuis 1830 les importations du café nous ont été totalement enlevées, et que si vous y joignez la perte de celles du sucre exotique, il ne restera plus à notre marine marchande et au commerce d’Anvers que les importations du coton ? Encore le coton nous vient-il en grande partie des marchés de l’Angleterre et du Havre. De façon que la perte du mouvement des sucres pourrait entraîner (et je parle sans exagération, je parle avec une conviction intime), pourrait entraîner, dis-je, la perte de tout notre commerce au long cours ?
Ne vous le dissimulez pas, messieurs, la Hollande voit avec plaisir se développer chez nous une industrie qui menace de porter de si rudes atteintes à nos plus grands éléments de prospérité. Elle ne manquera pas d’en faire son profit. Si vous n’agissez pas avec la plus grande circonspection, les calamités que j’entrevois se réaliseront bien vite, et vous verrez les derniers débris de notre marine marchande passer à la Hollande.
Je le répète encore une fois ici, le maintien de la législation actuelle est d’une impérieuse nécessité en faveur de notre navigation. Les draps, les fers, les cuirs, les verreries, une foule d’industries enfin ont leur prospérité étroitement liée au maintien de cette navigation. Beaucoup de personnes tombent dans une grossière erreur, quand elles ne voient dans cette législation qu’une mesure fiscale. Le législateur de 1822 a eu incontestablement des vues d’avenir bien autrement importantes, et en instituant dès le principe sa loi sur des proportions tant soit peu plus favorables que celles qui constituaient la loi anglaise sur la matière, il a eu évidemment pour but de protéger autant que possible le commerce de la Belgique et celui de la Hollande alors réunis, afin d’établir sur les bases les plus étendues et les plus favorables la rivalité de notre commerce naissant avec celui de nos seigneurs et maîtres les Anglais.
Le développement qu’avait pris la navigation vers l’Escaut, toujours croissant jusqu’en 1829, a prouvé que cette rivalité était soutenable et même pleine d’avenir.
Après vous avoir mis sous les yeux, messieurs, tout ce que la question renferme d’importance à l’égard de notre marine, je ne dois plus vous parler des raffineries de sucre. Il est clair qu’elles n’ont été que les instruments de la pensée du législateur de 1822. Nous pouvons encore les utiliser, mais nous ne le pourrions pas qu’elles méritent toute notre sollicitude.
Il me reste maintenant à envisager la question sous le point de vue de l’économie domestique.
Il vient de vous être prouvé que la fabrication, alors qu’elle ne portait que sur du sucre colonial, a rapporté, année commune, 15 à 16 cent mille fr., et que c’est depuis que la consommation a été alimentée, partie par une extension de fraude, partie par le sucre métropolitain, que ce rapport a cessé d’être aussi productif. Dans ce premier état de choses, si le consommateur payait son sucre majoré de tout ou d’une partie de l’impôt perçu, personne ne contestera que c’était de toute justice, puisque le trésor en percevait près de la moitié. Mais n’est-il pas certain qu’alors que le sucre de betterave aura envahi la consommation, le consommateur paiera son sucre encore plus cher et qu’il n’en reviendra rien à l’Etat ?
Dès lors le sacrifice annuel, qui sera sur une part de consommation de 9 millions, s’élèvera annuellement à la somme de 3,331,800 fr., et quelque bonne volonté que j’y mette, je vous avoue, messieurs, que je ne vois dans la fabrication du sucre indigène aucune compensation pour un sacrifice semblable.
Je ne vois vraiment, messieurs, qu’un seul argument à opposer à cet argument si clair et si concluant, c’est de me dire : Nous imposerons le sucre de betterave. Eh bien, messieurs, c’était là où je vous attendais, et je vais vous prouver qu’alors encore cette industrie ne peut pas indemniser le pays.
Quel sera en effet le taux de votre impôt ? L’immunité actuelle de 38,09 qui dépasse de 3,59 fr. celle de la loi nouvelle en France, qui la réduit à 34,50, permettrait nécessairement de le porter à 5 fr. Mais si vous avez égard aux considérations que j’ai fait valoir sur les conditions plus favorables d’exploitation en Belgique qu‘en France, l’on pourra aisément porter cet impôt à 10 fr. Eh bien, messieurs, de quel rapport sera alors pour l’Etat cet impôt, si vous avez égard aux frais et aux difficultés de la perception ? L’impôt sera en réalité de 900.000 fr., dont 200,000 au moins seront absorbés par des non-valeurs ; restera 700,000 fr.
Et remarquez bien, je vous prie, que je ne vous parle pas des infiltrations frauduleuses des sucres français et hollandais. Si par suppression de la fabrication du sucre exotique et du système d’exportations, si par suite même du droit dont incontestablement bientôt vous devrez frapper le sucre indigène, vous faites hausser le prix des sucres en Belgique, n’est-il pas certain que cette fraude deviendra plus intense ? Notre pays n’ayant en certaines localités que quelques lieues d’étendue, cette fraude peut venir alimenter la consommation jusque dans la capitale. Alors viendra la nécessité de dépenser encore une forte partie de la recette encore hypothétique, ci-dessus établie, pour redoubler la surveillance à la douane.
En vérité, messieurs, les personnes les plus prévenues doivent en convenir, la fabrication du sucre exotique, même en 1836, a apporté une somme au moins équivalente au trésor, en y comprenant, comme de raison, les droits de douanes.
A cette appréciation si simple, si mathématique, de la question qui nous occupe, on ne peut opposer que des suppositions, des exagérations basées sur le rendement en raffinage. Et de quelle importance est-il de savoir aujourd’hui si ce rendement est de 55 ou bien de 80, de 90, voire même de 100 p. c. ? Je vais vous le prouver.
D’après les termes de la loi le raffineur s’est libéré envers le trésor, en exportant 55 1/2 kilog. de sucre en pain ou candi, des droits dus sur 100 kilog. de sucre brut. Le reste de ses produits est libéré, et il peut les vendre à la consommation. Eh bien, messieurs, qu’importe que ce reste soit une plus ou moins grande partie de sucre en poudre et de sirop, ou totalement du sucre en pain et du candi ; tout ce qui pourrait en résulter, c’est que le consommateur aurait à sa disposition des qualités de sucre meilleures du même prix, car dans cette hypothèse la concurrence ferait immédiatement justice de cette immense et fabuleuse amélioration, en réduisant le prix moyen du sucre en pain au prix moyen auquel on vend aujourd’hui le sucre en poudre et le sirop. Et que fait, je vous le demande, le rendement aux conséquences que j’ai eu l’honneur de vous exposer ? Encore une fois en le portant à 100 p. c., le sucre de betterave n’envahit-il pas notre consommation et ne menace-t-il pas d’absorber les recettes du trésor, les ressources du commerce et les intérêts du consommateur ?
Je vous le dis, messieurs, avec toute la persuasion que peut donner une conviction intime, le maintien intégral de la loi actuelle est le moindre des remèdes aux mécomptes dans lesquels j’entrevois que sans cela on va se trouver entraîné.
M. A. Rodenbach. - Messieurs, depuis deux jours on prononce des discours très intéressants ; il serait très difficile d’être neuf ; je ne rendrai donc pas une part à la discussion générale ; d’ailleurs on nous a recommandé d’être sobres de paroles ; au reste, les honorables membres qui ont encore à présenter des observations, pourront les soumettre dans la discussion des articles ; mais je crois qu’il est temps de finir la discussion générale qui se prolonge depuis deux jours.
Je me bornerai à faire une demande à M. le ministre des finances. Dans son discours, M. le ministre des finances a dit que par un amendement il ne demandait qu’un impôt d’un million sur le sucre. Je ne suis pas d’accord avec le ministre à cet égard, car je trouve que son amendement rapportera au moins 2 millions.
M. Seron. - Tant mieux !
M. A. Rodenbach. - Je ne dis pas que la somme soit trop forte ; mais je dis que puisque le ministre a annoncé qu’il ne voulait imposer que d’un million les sucres exotiques, à l’effet de ne pas trop froisser les intérêts des raffineries qui existent aujourd’hui, il me semble qu’on ne devrait pas aller au-delà de cette prévision.
Au reste, voici l’interpellation que j’ai à adresser à M. le ministre des finances.
Pendant les trois dernières années, terme moyen, il est entré en Belgique 22 millions de kilog. de sucre brut. Ces 22 millions ont été payé, d’après le droit, 8 millions ; or, dans son amendement, M. le ministre des finances dit que les raffineurs devront payer le quart ; eh bien, le quart de 8 millions est de 2 millions.
Je prie donc le ministre des finances de nous dire si son intention est de faire payer deux millions ou seulement un million ; car cette explication nous sera indispensable lorsque nous nous occuperons de la partie du budget des voies et moyens concernant l’impôt des sucres.
M. Mercier. - Messieurs, il est entré annuellement en Belgique, en 1834, 1835 et 1836, 21 à 22 millions de kilogrammes de sucre brut ; mais il ne faut pas se le dissimuler, les sucreries de betteraves pourvoiront pendant l’année 1838 à une moitié de la consommation du pays. Je réduis donc à environ quatorze millions de kilogrammes les prises en charge probables en 1838 ; or, comme il ne s’agit de compter que sur le quart de la quotité de sucre qui sera prise en charge, supposant que celle-ci est de 12 à 14 millions, et admettant même une importation de 14 millions (chiffre très élevé à mon avis), le droit rapporterait, selon mon projet, 1,295,000 fr.
Le premier orateur que nous avons entendu hier dans la discussion qui nous occupe, a envisagé la question sous un point de vue élevé, qui mérite toute notre attention.
Il s’est particulièrement attaché à considérer la législation actuelle dans ses rapports avec notre navigation et notre commerce maritime en général.
S’il était vrai, messieurs, qu’en modifiant le système actuel, nous anéantissions et notre navigation et notre commerce maritime, nous devrions bien nous garder de détourner une telle source de richesses.
C’est en examinant les faits avec le seul désir de rencontrer la vérité, la seule préoccupation des intérêts généraux du pays, que je me suis attaché à rechercher si nous devions réellement au commerce des sucres les immenses résultats qui nous ont été signalés ; et si quelque altération éventuelle dans ce commerce serait vraiment de nature à nuire à l’exportation de nos produits indigènes.
Je reconnais avec l’honorable orateur que les navires belges qui se rendent dans les différents lieux de production de sucre exotique offrent les moyens et l’occasion d’exporter nos productions dans ces parages lointains ; mais j’espère que l’on voudra bien convenir avec moi que cette observation n’est pas également juste à l’égard des navires qui sortent de nos ports avec du sucre raffiné et des marchandises indigènes pour des destinations plus rapprochées ; il est de toute évidence que cette espèce d’exportation s’effectuerait lors même que le commerce de sucre n’existerait pas, puisque dans ce cas l’achat des objets formant la cargaison de retour serait d’autant plus avantageux pour les navires qui exporteraient nos produits que par la diminution de leur nombre la concurrence serait moins forte dans les ports étrangers.
Il s’agit donc uniquement des navires qui font des voyages de long cours. Pour parvenir à connaître quelle est l’influence du commerce de sucre sur cette espèce de navigation, la principale sans doute, j’ai recherché quels sont les navires qui sont entrés dans le port le plus important de notre pays, pendant les dix premiers mois de cette année, avec des cargaisons de sucre de 50,000 kilog. de sucre et plus. Je n’ai pas étendu ma recherche à d’autres dont le chargement principal ne consistait pas en sucres.
Voici, messieurs, les résultats que j’ai trouvés.
84 navires sont entrés dans le port d’Anvers avec des cargaisons de 50,000 kil. de sucre et plus, depuis le 1er janvier jusqu’au commencement de novembre de cette année. Combien de navires belges ayant fait le voyage de long cours croyez-vous qu’il y ait dans ce nombre ?
Vous serez sans doute étonnés d’apprendre qu’il n’y en a eu que 10 ; c’est là ce qui résulte d’un relevé dont je puis garantir l’exactitude. Vous voyez donc, messieurs, que si même les importations de sucre dans notre pays venaient à diminuer, il n’en résulterait aucun préjudice pour les exportations de nos produits ni même pour la navigation nationale.
Mais, dira-t-on, ces 84 navires ont exporté nos produits : c’est encore là une erreur.
40 sont partis sur lest.
14 avec des cargaisons insignifiantes.
8 se trouvaient encore dans le pays ou moment où j’ai recueilli ces renseignements.
Ainsi il ne reste que 22 de ces navires ayant véritablement pris cargaison en Belgique.
Il y a donc grande surabondance de navires, entrant dans nos ports, pour l’exportation de nos marchandises.
Un mémoire remarquable sur la question des sucres, imprimé à Anvers, nous a été distribué : il est terminé par des tableaux présentant le nombre de navires sortis de nos ports, ayant le sucre pour base de leur chargement. Si quelque orateur présente les chiffres de ces tableaux comme étant exacts, je me propose de les contester et de suppléer aux lacunes qu’ils présentent.
Pour le moment, je me bornerai à chercher à vous exposer une appréciation véritable et rapide des avantages directs et indirects qu’on a prétendu que le trésor et le pays retirent du commerce du sucre.
Voyons, en premier lieu, les avantages directs.
C’est à l’importation des sucres qu’on doit attribuer l’augmentation successive de nos recettes en douane.
En effet les droits de douane sur cet objet se sont élevés, terme moyen, pendant les quatre dernières années, à 198,000 fr., en principal, d’après les relevés de la douane que j’ai compulsés ; mais une modification dans le système actuel n’entraînera la perte que d’une partie de ce produit ; la consommation indigène nous en conservera seule la moitié environ et quand même notre commerce à l’étranger perdrait de son importance, nous obtiendrons encore de ce chef une certaine quotité des droits de douane. La perte qu’on essuiera, le trésor sera donc sans importance.
On a dit que le trésor perçoit à différents titres des droits sur les navires qui servent au transport des sucres.
Quels sont ces droits si ce n’est le droit de tonnage ?
Or, il s’est élevé, terme moyen, sur tous les bâtiments qui sont entrés dans nos ports, à 225,000 francs. On fait une large part au sucre en accordant que son transport y a concouru dans la proportion de 50,000 fr. ; par les mêmes raisons que j’ai développées à l’égard des droits de douane, le trésor ne perdrait encore qu’une très faible partie de ces 50,000 fr., en admettant même que notre commerce de sucre reçût une forte atteinte.
On a ajouté que le trésor perçoit à différents titres des contributions sur les importants et nombreux établissements de raffinerie.
Le nombre de raffineries est de 74 dans notre pays ; la patente est le seul droit un peu considérable qui frappe ces établissements soumis du reste à la contribution foncière comme toutes les autres propriétés immobilières.
Le droit de patente peut s’élever approximativement à une somme annuelle 6,000 fr., dont la majeure partie serait conservée au trésor par les mêmes motifs qu’à l’égard des droits de douane et de tonnage.
Voilà donc réduits à leur juste valeur l’avantage que cette industrie produit au trésor, et le détriment qui pourrait résulter pour lui d’un changement de législation. Quant aux résultats indirects, qu’on attribue à cette industrie, chacun conviendra sans doute que le commerce d’échange, par ses ramifications, concourt puissamment au revenu du trésor ; mais je crois avoir établi que ce commerce d’échange ne souffrirait pas beaucoup lors même que l’introduction du sucre exotique serait un peu moins considérable. Si les seuls navires qui importent le sucre exotique nécessaire à notre consommation, et ceux qui nous apportent d’autres denrées, ne sortent de nos ports qu’avec des cargaisons complètes d’importation, notre commerce, soyez-en bien certains, acquerra un degré de prospérité inouïe. Cela est assez démontré par le nombre de navires qui ont quitté nos ports sur lest.
Je me bornerai à ces observations en ce qui concerne la question commerciale, et je vais passer à celle du rendement.
Toute discussion sur la quotité rigoureuse du rendement de sucre brut en sucre raffiné serait oiseuse, puisqu’elle dépend et de la qualité du sucre brut qui est employé et du degré de raffinage qu’on veut obtenir.
Il existe dans le commerce une grande variété de sucres raffinés qui renferment plus ou moins de substances qui par une plus grande épuration se seraient dégagées en mélasse ou en sirop.
Il est incontestable aussi que le sucre de havane blanc, par exemple, produit en sucre raffiné fin bien plus que les sucres bruts appelés moscovades.
Avec des données exactes, quant au rendement des différentes qualités de sucre brut, il faudrait encore, pour établir une moyenne avec quelque précision, connaître rigoureusement les quantités de chaque espèce de sucre employée dans le raffinage.
Quant aux données qui sont consignées dans le rapport de la section centrale et qui ont été communiquées à son honorable rapporteur par le département des finances, on voit, par l’intitulé même des relevés qui les renferment, qu’elles sont le résultat de renseignements obtenus a Gand et à Anvers, et nullement d’expériences qui auraient été faites sous les yeux ou la surveillance d’agents du gouvernement, ainsi qu’a paru le supposer un honorable préopinant.
Des hommes compétents affirment que les sucres bruts de qualité ordinaire rapportent au moins 70 p. c. de sucre raffiné, également de qualité moyenne.
Je me borne à faire remarquer quant à présent que ce chiffre a été adopté dans la législation française, sans prétendre qu’il soit le véritable terme moyen de rendement.
Mais je n’admets pas non plus les chiffres qui nous sont venus de Gand et d’Anvers, parce que leur adoption nous conduirait à des conséquences impossibles, et c’est ce que je vais chercher à vous démontrer.
Je poserai d’abord cette question.
D’où provient le sucre raffiné qui est consommé en Belgique ? Les partisans du maintien de la législation actuelle nous disent qu’il y en a de trois espèces
D’abord le sucre pour lequel les droits ont été acquittés ; Ensuite les sucres fraudés
Et en troisième lieu le sucre de betteraves.
La moyenne du droit acquitté en principal pendant les années 1834, 1835 et 1836, est de 867,000 fr. Je fais remarquer en passant qu’en 1837 nous n’atteindrons pas la moitié de cette moyenne, le produit des 11 premiers mois n’étant que de 327,000 fr. à peu près, et que si j’établissais mes calculs sur les deux dernières années, la moyenne du droit ne serait que de 270,000 fr.
Je reprends cependant celle de 867,000 fr. qui représente en sucre brut une quantité de 3,620,000, produisant, d’après le rendement supposé de 55 1/2 kil. en sucre raffiné, 2,000,000 kil.
Quant aux sucres fraudés, il ne s’agit sans doute que des sucres importés à la faveur de la libre navigation de la Meuse et répandus de Maestricht dans notre pays : bien loin de pouvoir alimenter deux ou trois provinces comme on l’a prétendu, le produit de cette fraude ne suffisait pas à la consommation d’un seul district tous les sucres dirigés sur Maestricht sont déclarés à Mook, et il est à remarquer qu’il n’existe pas le moindre intérêt à en dissimuler une partie quelconque. Or, après déduction de la consommation de la ville de Maestricht et des sucres saisis par la douane, il ne reste qu’environ 320,000 kil., terme moyen pendant les années 1835, 1836 et 1837, qui soient livrés frauduleusement à la consommation.
Du reste, ce n’est qu’à la faveur de la décharge du droit d’accise à la sortie de Maestricht que cette fraude peut ainsi se pratiquer, et la Hollande se gardera bien d’établir des bureaux sur sa frontière où pareille décharge serait accordée : car il lui arriverait ce qui arrive toujours en pareille circonstance, c’est que la majeure partie de ces sucres serait réimportée en Hollande ; cette mesure a pu être prise dans une ville formée au milieu d’un territoire étranger, mais partout ailleurs elle tournait à son détriment.
Sur nos frontières la fraude de sucres est nulle ou insignifiante : elle se fait plutôt de Belgique en Prusse que de ce pays chez nous. Celle qu’on a tenté de pratiquer à Anvers par des réimportations de sucres raffinés ayant joui de la décharge du droit, a été déjouée.
Ainsi, la seule fraude qui doive ici être prise en considération se réduit à environ 320,000 kil, de sucre raffiné.
Quant au sucre de betteraves, il n’est entré que dans une très faible proportion dans la consommation du pays en 1834, 1835 et 1836 : c’est seulement dans le cours de ces deux dernières années que nos fabriques se sont élevées, et je ne pense pas qu’il ait été consommé en Belgique avant le 1er janvier 1837 plus de 1,500,000 kil. de sucre de betteraves raffiné. La moyenne des trois années est donc de 500,000 kil.
En réunissant les trois quantités que je viens d’énumérer, la consommation de sucre raffiné en Belgique sera d’environ 2,829,000 kil. de sucre raffiné, c’est-à-dire un peu plus de 1/2 kil. par individu.
Voilà quelle est la conséquence du système soutenu par ceux qui ne veulent pas de changement à la législation actuelle. Or, un tel résultat est démenti par les faits. Nous savons que la consommation du sucre dans plusieurs pays est de 4 et 5 kil. par individu, et qu’en France elle est de 5 1/2 kil. ; or, il est probable qu’en Belgique où il y a généralement plus d’aisance qu’en France, la consommation moyenne n’est guère moindre que dans ce dernier pays, et c’est en effet ce qui résulte de la comparaison de la quantité des sucres déclarés en consommation ou en fabrication pendant les trois mêmes années, avec le chiffre des exportations augmenté de 5 1/2 de véritable déchet.
Je prends, messieurs, pour termes de comparaison les sucres pris en charge au compte de crédits à termes des négociants et raffineurs, et non les sucres indistinctement qui entrent dans le pays, parce que ceux qui se trouvent dans les entrepôts, doivent encore être considérés comme étant sur un territoire étranger, et ne peuvent être mis en fabrication en Belgique, sans déclaration sur crédits à termes. Tous les calculs qu’on établira sur les chiffres de sucres importés sans égard à cette distinction seront radicalement faux.
Les sucres déclarés au compte des crédits à termes, pendant 1834, 1835 et 1836, forment une quantité de 65,071,500 kil., dont la moyenne pour une année est de 21,690,500 kil.
Il a été exporté en sucres raffinés, pendant le même espace de temps, 31,463,500 kil., dont la moyenne est de 10,487,800 kil.
En ajoutant à cette quantité le déchet de 5 1/2 p. c. sur le sucre brut qu’elle représente, je trouve un résultat de 11,526,000 kil., à déduire du chiffre total des prises en charge, dont il reste alors pour la consommation de la Belgique une quantité de 10,163,500 fr.
J’y ajoute d’abord la quantité de sucre brut représentée par les 500,000 kil. de sucre raffiné de betterave, en suivant la proportion de 55 1/2 de rendement, et j’obtiens 900,000 kil.
Ensuite 320,000 kil. de sucre raffiné introduits frauduleusement, en y ajoutant seulement 5 1/2 p. c. sur la quantité de sucre brut supposée qu’il a fallu pour obtenir ces 320,000 kil. de sucre raffiné. Ce chiffre est ainsi porté à 351,600 kil.
La consommation de la Belgique serait donc de 11,415,100 kil.
Mais j’ai en outre la conviction qu’il a été accordé, en vertu de la loi, au moins 4 p. c. de tare et déchet qui n’existent pas, sur toutes les quantités prises en charge, et par conséquent sur la moyenne de 21,690,500 kil.
Il y a encore de ce chef 867,000 kil, à ajouter au chiffre de 11,415,100 kil.
De sorte que la véritable consommation du pays est de 12,282,700 kil. de sucre brut, c’est-à-dire un peu moins de 3 kil. par individu, en supposant que notre population soit d’environ 4,200,000 habitants.
Peut-on croire que sur cette quantité nous ne consommions que 2,829,000 kil. en sucre raffiné, et que nous employions au contraire 9,453,700 kil. en sucre brut et en sirop, quand nous savons que le pauvre même fait usage de sucre candi de qualité commune ?
Il suffit de signaler ce résultat du système soutenu par quelques honorables préopinants, pour que chacun soit frappé de son extrême inexactitude.
Je me garderai bien de préciser le véritable rendement, puisqu’il dépend et des qualités de sucre brut employées au raffinage et du degré d’épuration des sucres raffinés ; mais pour établir des proportions quelque peu rationnelles, il faut admettre ou le terme moyen à 70, base de la législation française, ou un chiffre qui s’en éloigne peu en plus ou en moins. Telle est la seule explication possible de l’immense quantité de sucre raffine qui entre dans notre consommation sans paiement de droits.
Avant de terminer, il me reste à vous entretenir d’une observation qui vous a été présentée par un honorable préopinant. On a dit que la Hollande et d’autres pays s’empareraient de ce commerce que nous perdrons.
La France et l’Angleterre n’accordent pas à l’industrie du raffineur les mêmes avantages que nous ; cependant l’intérêt de leurs colonies doit déterminer leurs gouvernements à faire de plus grands sacrifices pour l’exportation des sucres.
Quant à la Hollande, sa législation est à peu près la même que la nôtre ; elle a aussi pour la maintenir, outre l’intérêt général du commerce maritime, l’intérêt de ses colonies, intérêt qui n’existe pas chez nous. Quoi qu’il en soit, le commerce de sucre raffiné de la Hollande ne peut plus s’étendre non plus que le nôtre qui a aussi atteint son apogée de prospérité.
Le commerce de sucre de la Hollande ne peut s’augmenter sans qu’elle change également sa législation, s’il est vrai qu’elle sacrifie aussi la plus grande partie de l’impôt sur les sucres ; car ce commerce est limité par la consommation du pays, qui limite la quantité de sucre que les négociants peuvent prendre en charge à leur compte.
La consommation du pays restant la même, les raffineurs ne peuvent augmener leurs exportations, car ils ne pourraient placer tous leurs excédants de produit dans l’intérieur du pays.
Lorsque le compte du négociant ou raffineur est entièrement apuré, il ne peut plus exporter de sucres puisqu’il n’obtiendrait plus le drawback dont il jouit : pour qu’il pût faire le commerce d’exportation aux mêmes conditions, il faudrait remplacer par une véritable prime sortant du trésor public, la décharge du droit qui ne pourrait plus être accordée. C’est là un système qu’on n’adoptera pas plus en Hollande qu’en Belgique. La Hollande ne viendra donc pas nous enlever le marché dont nous sommes en possession à l’étranger.
M. Desmet. - L’honorable M. Rogier a fait remarquer tout à l’heure que le ministre des finances n’était pas d’accord avec le ministre du commerce et de l’industrie. Jusqu’à présent nous ne connaissons pas l’opinion de. M. le ministre de l’intérieur et des affaires étrangères ; tout ce que nous savons, c’est que notre honorable collègue, le directeur du commerce et de l’industrie, ne partage pas l’opinion de M. le ministre des finances, comme il l’a déclaré dans la séance d’hier.
Mais à cet égard ce qui m’a étonné un peu, c’est que dans cette occasion-ci notre bureau de commerce était en faveur d’une branche d’industrie. J’ai voulu, en chercher les motifs, je crois les avoir trouvés en ce que le raffinage du sucre dont on fait une importance extrême servait de prétexte pour faire transiter le sucre des colonies en Allemagne et faire ainsi profiter principalement le commerce de courtage sans avantager considérablement l’industrie du pays et le commerce d’échanges. Je tâcherai de le démontrer plus amplement tout à l’heure.
L’honorable M. Rogier vous a encore dit qu’il était fort étonné que les partisans de l’industrie en général fussent aujourd’hui opposés à la branche d’industrie qui nous occupe. Je crois pour ma part qu’ils n’y sont pas réellement contraires ; ils font seulement remarquer qu’il existe un privilège en faveur des raffineurs de sucre, privilège dont ne jouit aucune autre branche d’industrie.
Messieurs, ceux qui ont parlé en faveur de la bonneterie du pays ont demandé uniquement la liberté de travail pour cette industrie ; mais ils n’ont pas réclamé de privilège ; je ne connais pas non plus une autre branche d’industrie à qui un privilège, et surtout une prime fut accordée. On a donc eu tort de faire un parallèle entre les industries en général et l’industrie particulière qui nous occupe.
Ce que je dis de la bonneterie, je le dis de même de la distillerie des grains, de la draperie, de l’industrie cotonnière ; toujours nous avons demandé une protection contre nos rivaux de l’étranger, mais jamais nous n’avons demandé des primes, qui sont le fléau du trésor, au profit de quelque fraudeur, et qui ne procurent aucun bien à quelque branche que ce soit !
Je ne mettrai pas d’animosité dans la discussion actuelle ; je traiterai, au contraire, la question avec beaucoup de calme ; la question est grave, épineuse, fort embarrassante, je l’avoue, surtout lorsqu’on vient prétendre que le projet de loi qu’on présente tend à détruire les raffineries de sucre, à détruire par suite le commerce.
A cet égard, messieurs, je ne suis pas tout à fait de l’avis de ceux qui attachent la plus haute importance au raffinage du sucre ce qui concerne le commerce. Certainement, l’importation du sucre brut et l’exportation du sucre raffiné doivent nécessairement amener des échanges, mais il ne faut pourtant pas y attacher une importance telle que plusieurs orateurs ont prétendu y découvrir. M. Mercier vous l’a fait comprendre tout à l’heure en partie, et je pense qu’on pourrait encore le démontrer plus amplement.
Messieurs, pour ce qui concerne l’importation, êtes-vous bien certains que tout vienne des colonies ? Ne croyez-vous pas que nous tirions de l’Angleterre et de la Hollande une grande partie de notre sucre bi-ut ?
En ce qui concerne l’exportation du sucre raffiné, croyez-vous qu’elle n’a lieu que dans les contrées qui longent la Méditerranée ? Il s’en faut de beaucoup ; car il est démontré qu’on a exporté en Allemagne, en 1834, près de 6 millions de sucre raffiné ; en 1835, au-delà de 8 millions, et en 1836 près de 18 millions. Et cependant, en 1834, on n’a exporté en tout que pour une valeur de 8 millions ; donc, pendant la même année, les pays du littoral de la Méditerranée n’ont reçu de nous que pour 2 millions de sucre raffiné, les 6 autres millions sont allés en Allemagne. De même, pour 1838, l’exportation générale du pays n’a été que de 10 millions et demi, ainsi seulement 2 millions dans d’autres pays qu’en Allemagne. En 1836, elle a été de 12,700,000 kilogrammes pour l’exportation générale, et l’Allemagne, comme je viens de vous le dire, à elle seule, en a enlevé 10 millions.
D’ailleurs, messieurs, cette exportation peut-elle être si considérable, quand vous voyez qu’en 6 ans, depuis 1831 jusqu’à 1836, il n’est entré que 107 millions de sucre brut en Belgique, et que la consommation de l’intérieur a enlevé au moins 80 millions de sucre raffiné. Non, cette exportation n’est pas de telle importance comme on le désire faire accroire, mais ce qui me paraît plus important pour le trésor, c’est, je crois, que la réintroduction en fraude du sucre raffiné joue un grand rôle dans cette prime d’exportation.
Eh bien, je vous ai dit tout à l’heure que notre bureau de commerce était favorable à cette branche d’industrie ; et pourquoi ? Parce qu’elle se borne à un simple transit. En effet, les sucres importés par la Belgique en Allemagne ont presque tous été des sucres lumps aussi bien que moi ; savez-vous que ces lumps ne subissent qu’un très petit raffinage ; de sorte que toute l’importance attachée à ce raffinage consiste à transiter vers l’Allemagne le sucre brut un peu épuré ! Et quand je dis lumps, je veux parler de ce sucre qui a été si légèrement raffiné dans ce pays qu’il est presque dans le même état qu’à son débarquement à Anvers, qui n’a reçu aucun terrage, qui, en un mot, n’a subi qu’une seule et petite opération.
Messieurs, on a beaucoup parlé des sucreries de betteraves ; je vous avoue franchement que pour moi les sucreries de betteraves ne sont pas ici en question et que, d’après mon opinion, le raffinage de sucre de betteraves ne peut avoir aucun avantage par l’abaissement du haut drawback, qu’au contraire c’est en faveur de nos betteraveries que la prime reste élevée, et, à une industrie nationale, cela ne peut que lui faire beaucoup de bien. L’honorable M. Rogier a glissé très légèrement sur le point du rendement, il n’a seulement que fait observer que le législateur de la loi existante n’a voulu frapper que 55 p. c., qu’il a voulu affranchir de tout droit le restant du produit du sucre brut.
Je ne discute point les intentions ni la volonté de ceux qui ont fait cette loi ; mais ce que je vois, c’est qu’il y a une grande partie de sucre raffiné qui a le privilège de ne payer aucun impôt d’accise, c’est ce que l’honorable M. Rogier ne paraît pas contester,
Etant sur le point du rendement, je crois utile de dire deux mots, car il me semble que toute la question est dans le montant du rendement ; car nous sommes tous d’accord qu’il faut accorder à l’industrie du raffinage un drawback, le retour des droits d’entrée du sucre brut, mais nous nous opposons à la conservation de la forte prime, et c’est dans l’erreur du rendement légal qu’on trouve cette prime.
En parlant ici du rendement, je n’ai pas consulté mes propres lumières ; je me suis enquis de ce qui s’est passé en France. Des autorités respectables ont reconnu, en France, que le sucre rendait au-delà de 7 p. c. ; c’est ce qu’a déclaré, à la chambre française, le savant Gay-Lussac.
Qu’a-t-il cité ? que « le rendement a été évalué à 75 p. c. ; » mais en Angleterre il s’élève à 80, même 85 ou 86. Le Dr. Yonny l’a prouvé. J’admets le rendement de 75 pour cent comme exact, quoique dans mon opinion le taux soit plutôt au-dessus qu’au-dessous ! Un autre savant anglais, le Dr. Vri, a fait une espèce d’enquête, a fait des opérations pour savoir au juste la quantité moyenne que rend le sucre. Il a trouvé aussi de 80 à 86 p. c.
J’ai encore vu, messieurs, sur cette question un rapport d’une maison d’Anvers qui a fait des calculs pour trouver un terme moyen. Voici, messieurs, ce qu’elle a trouvé :
En lumps, sucres en pain et candis, 55 p. c., mais remarquez bien qu’elle a ajouté 20 p. c. pour le sucre en poudre, et que dès lors, quoique le sucre en poudre ne soit pas tout à fait exporté, on peut très bien dire qu’elle a tiré jusqu’à 75 p. c.
Messieurs, si nous ne devions pas craindre un voisinage que je crois dangereux pour notre industrie des sucres, je n’aurais aucune inquiétude à donner mon vote en faveur du rendement de 75 p. c., mais je crains fortement que, si la Hollande ne modifie pas son drawback, nous ne pourrons empêcher l’infiltration des sucres hollandais, et peut-être cette dangereuse rivale nous ferait beaucoup de mal.
Je ferai cependant remarquer que dans les derniers débats qui ont eu lieu à la chambre hollandaise, beaucoup de députés ont demandé aussi que la prime fût diminuée.
En France et en Angleterre on est d’accord que la prime est trop forte, et il est certain qu’elle y sera diminuée, de sorte que de ce côte nous n’avons rien à craindre ; mais, je le répète, je crains beaucoup la Hollande.
Dans cet état de choses, je n’ose pas me prononcer sur les différentes propositions, ou plutôt sur le nouveau projet de loi qui nous a été présenté par M. le ministre des finances, j’aurais bien voulu que ce projet eût été renvoyé à la commission, afin qu’elle nous fît un rapport, car il me semble que les dispositions que vous propose M. le ministre, tendent à tout bouleverser, non seulement le rendement mais encore le mode en entier de la législation actuelle ; j’ai cru aussi voir que le nouveau projet du ministre agissait pour ainsi dire rétroactivement, mais je n’ose pas encore m’ouvrir à son égard très ouvertement, je ne l’ai pas encore bien lu, et il n’est pas très facile à être compris.
Voilà, messieurs, les observations que je voulais faire sur ce projet de loi à l’égard duquel je m’abstiendrai d’émettre un vote.
M. de Jaegher. - Un des principes généraux constitutifs de toute association est celui que chacune des parties contractantes, appelées à jouir des bénéfices, supporte, par contre, sa part dans les charges.
Appliqué aux gouvernements, qui ne sont que des sociétés dans leur acception la plus étendue, ce principe explique l’origine comme la nécessite des impôts.
Usufruitier des bienfaits de la protection que le gouvernement assume aux personnes et aux biens, chaque citoyen devrait, à ce titre, une part proportionnelle à ses ressources dans les frais qui, de ce chef, incombent au gouvernement.
Si cette part proportionnelle n’est pas aussi justement établie qu’il serait à désirer, la cause gît le plus généralement dans la difficulté d’atteindre indistinctement les fortunes sous leurs différentes formes, et de ce fait incontestable résulte que, évitée en grande partie par ceux qui possèdent beaucoup, la charge retombe d’autant plus lourdement sur ceux qui possèdent peu.
Pour faire disparaître cette disproportion, l’un des moyens les plus efficaces est celui d’imposer les objets de luxe, pour pouvoir dégrever, de toute la somme du produit à en réaliser, les objets de nécessité absolue.
Au nombre des premiers, le sucre raffiné peut figurer en première ligne.
Le but du législateur, en le soumettant à un droit d’accise assez élevé, a donc été, à mes yeux, aussi sage qu’équitable.
Ce droit prêtait à une double application : celle qui devait assujettir au paiement la matière consommée à l’intérieur ; celle qui pouvait s’étendre à la matière destinée à l’exportation.
Autant l’une était juste, autant l’autre eût été déraisonnable ; la distinction que le législateur a établie pour cette dernière était donc, dans son esprit, aussi rationnelle que favorable aux intérêts généraux. Puisqu’elle tendait, d’une part, à assurer la perception au profit de l’Etat, d’un impôt sagement établi sur un article de consommation intérieure, de sa nature convenablement imposable ; et, de l’autre, à favoriser, au profit du commerce, une exportation, favorable aux intérêts de la généralité. Ce n’est donc ni le principe de l’accise, ni de celui de la distinction admise en faveur de l’exportation, qui peut, selon moi, prêter à divergence d’opinion dans la question qui nous occupe, mais uniquement l’application de ces principes.
Personnellement étranger aux intérêts industriels, je n’apporte dans cette discussion ni prévention ni arrière-pensée ; je dirai même que peu convaincu des avantages réels que peut procurer à l’agriculture l’extension de la culture de la betterave, je ne me laisse en rien éblouir par ces grands mots d’encouragement de produits nationaux et de produits exotiques, entre lesquels on semble vouloir placer l’alternative de notre choix.
Les objets de consommation réservés au luxe me semblent les plus rationnellement imposables ; au nombre de ces objets figure en première ligne le sucre raffiné ; assurer la perception de l’impôt, voilà pour moi toute la question ; qu’après cela, ce sucre soit exotique ou national en présence de mes doutes à l’égard des résultats de la culture de la betterave, je n’en fais jusqu’ici qu’une question indifférente.
Dans l’état actuel de nos dispositions légales sur la matière, quel est l’effet de l’accise sur le sucre ? Le consommateur paie l’impôt et l’Etat ne le reçoit pas ; la taxe qui devait entrer en déduction de la charge du pauvre passe des mains d’une classe aisée dans celles d’une autre, et l’équilibre qu’elle tendait à mieux établir entre les charges reste défectueux ; cet effet, je ne puis contribuer à le maintenir.
Voir le mal, en apprécier les conséquences, est à la portée de tous les yeux ; y remédier est, j’en conviens, plus difficile.
Depuis que la question a été soulevée, les intéressés de part et d’autre ne se sont pas épargné de peine pour nous faire participer à leurs lumières ; comme dans toutes les circonstances analogues, les exagérations respectives, prises isolément, obscurciraient notre véritable point de vue ; mais, opposées l’une à l’autre, elles se neutralisent.
Au point où en est venue la discussion, je ne m’arrêterai pas à démontrer que le consommateur belge paie réellement l’impôt ; des calculs établis à cet égard par l’honorable M. Pirmez, calculs dont je ne m’attends pas à voir contester l’exactitude, démontrent ce fait à l’évidence.
Je n’entrerai pas non plus dans l’examen, auquel s’est attaché le plus spécialement M. Smits, des avantages généraux qui peuvent dériver des encouragements actuellement exploités par le commerce d’exportation ; cet état de choses, quels que soient ses avantages, implique en effet, à mes yeux un vice et une injustice, et en se saisissant comme elle l’a fait de la question, la chambre, tout comme le ministère en s’associant à sa pensée, ne peut avoir eu pour mobile que le désir d’y remédier.
L’honorable M. Mercier s’est, du reste, chargé du soin de faire ressortir les considérations à opposer aux exagérations dans lesquelles on est tombé ; je bornerai donc mes observations au point principal sur lequel nous puissions avoir à nous fixer, celui de constater quel est le rendement, terme moyen, de l’opération du raffineur sur le sucre brut, afin de nous mettre à même d’apprécier quelles sont les modifications à adopter pour maintenir l’encouragement dû à l’exportation, sans nuire à la perception de l’impôt sur la consommation à l’intérieur.
Au nombre des causes de la forte diminution qui se fait sentir dans les recettes du trésor sur l’accise des sucres, la principale est, certes, l’inexactitude des calculs du rendement réel en sucre fin, de l’opération du raffineur ; les autres ne sont que tout à fait accessoires, si pas insignifiantes. Que cette opinion sur le degré d’importance de ces dernières n’ait pas été admise par la commission, la seule conséquence à en tirer, c’est celle qu’elle a établi ses calculs de manière à ne pas pouvoir l’admettre.
Sans s’exagérer cette importance, il lui est, en effet, impossible d’expliquer un fait incontestable, celui que les 39/40 de la consommation intérieure échappent à l’impôt. Que la commission ne voie dans ce résultat qu’un impôt qui reste improductif, qu’elle repousse la qualification de prime, sous prétexte que la décharge ne pouvant aller au-delà de la prise en charge, le trésor ne peut jamais rien avoir à débourser, libre à elle ; mais j’y vois un moyen équitable de faire plus uniformément peser les charges générales, détourné de son but ; j’y vois 4 millions levés sur le luxe pour servir au dégrèvement des articles de consommation d’une nécessité rigoureuse, soustraits à leur destination.
On paraît se faire généralement illusion, dit la commission, sur les perfectionnements apportés dans le mode de raffinage, et à la supposition plus ou moins justifiée que le rendement du sucre brut, au lieu d’être de 55 et 11/20, serait de 75 à 80 et même 90 p. c., elle semble satisfaite d’avoir opposé l’objection que certaines raffineries qui ne restent pas en arrière des autres pour le succès, persistent néanmoins dans leurs anciens procédés.
Devant la réalité du fait, réalité établie par les résultats, la seule chose que cette objection, en tant qu’elle soit exacte, pourrait prouver, serait que ces anciens procédés ne se sont pas trouvés inconciliables avec ces perfectionnements.
Le rendement de telle ou telle qualité de sucre, celui que tel ou tel raffineur parvient à en obtenir, ne peut pas vous servir de base, dit la commission ; vous devez prendre un terme moyen, et, pour établir cette moyenne, elle vous renseigne deux tableaux sous litt. C et D, dont la combinaison amène au chiffre de 55 41/100.
Messieurs, j’admets comme principe qu’il faut établir une moyenne ; mais je ne puis, comme la commission, prendre ces tableaux pour base.
En France, la loi sur les sucres a fait l’objet des méditations pendant plusieurs années ; on n’accusera donc pas les chambres françaises d’avoir agi à la légère.
Les sucres bruts que le raffineur y emploie proviennent en général des colonies françaises ; cette matière première est moins riche que celle qu’emploient nos raffineurs, les appareils usités y sont les mêmes qu’en Belgique ; néanmoins, quel est le rendement moyen qui a servi de base à la loi ? Celui de 75 p. c., et il est bien peu probable qu’elle ait été fausse, puisque des récriminations ne s’y font pas entendre.
Les tableaux prémentionnés peuvent donc en toute sécurité être envisages comme inexacts, et lorsque l’on considère qu’ils ont été établis sur les données de ceux-là même qui ont intérêt au maintien des avantages actuels, on ne trouve guère à s’en étonner.
Des renseignements que j’ai puisés à des sources non suspectes, désintéressées dans la question, et néanmoins compétentes pour en juger, me persuadent que le raffineur tire au moins 15 kilos de sucre raffiné de plus qu’il n’en accuse dans le tableau litt. C, et proportionnellement dans le tableau moins inexact litt. D.
D’après ces renseignements, le Havane blond serait le sucre brut le plus généralement employé par le raffineur en Belgique. Ce sucre donnerait sur 100 kilos 79 de produit jouissant de la haute décharge, 10 de cassonade, 8 de sirop et 3 de déchet. Les autres rendraient respectivement un produit supérieur dans la même proportion à celui renseigné au tableau litt. D.
Ces renseignements, messieurs, coïncident avec ceux qui ont motivé en France l’adoption de la base à 75 ; ces renseignements expliquent ce fait que les 39/40 de la consommation intérieure échappent à l’impôt ; ces renseignements doivent donc servir à constater quelle est réellement la moyenne, sauf à ne pas admettre rigoureusement cette moyenne, et à la mitiger si des considérations spéciales le rendent désirable.
Pour mieux encore atteindre ce but, il est bon de tenir compte des avantages que retire le raffineur en dehors de son opération même.
A la page 26 du rapport de la commission, figure une série de questions et de réponses.
La première de ces questions tend à connaître le bénéfice de la taxe pour le raffineur à la réexportation des sucres raffinés, et la réponse est ainsi conçue :
« Le raffineur n’a pas de bénéfice sur la taxe qui lui est accordée à l’exportation du sucre, parce que, par la manière dont on opère la vérification avant le départ de la marchandise, l’on n’accorde jamais que la taxe résultant du poids réel des colis vides. »
Cette réponse est exacte, mais la question n’avait pas été complète ; car il est de fait que le raffineur a un bénéfice qui va souvent jusqu’à 4 p. c. sur la taxe des colis dans lesquels les sucres lui arrivent.
La deuxième question est relative aux quittances de prises en charge et à la possibilité qu’elles soient transférées à d’autres personnes.
Les réponses ne sont également pas complètes, car il est de fait encore que les prises en charge dont il s’agit se vendent quelquefois 2, 3 et quelquefois 4 p. c. de bénéfice.
Les raffineurs qui n’exportent pas ont donc plus d’avantage à vendre leurs prises en charge qu’à acquitter les droits ; ainsi, il existe des raffineurs qui exportent toute leur fabrication, et d’autres qui vendent tout à la consommation ; mais ces catégories se confondent pour les prises en charge.
Cette particularité j’ai encore cru utile de la consigner, parce qu’elle aide à l’appréciation des bénéfices réels du raffineur.
Je reconnais, messieurs, toute la difficulté de formuler un remède réel au mal, sans entraîner l’industrie et la raffinerie dans des pertes qui seraient peut-être ruineuses pour elle ; je reconnais que si par ses conséquences la disposition à intervenir devait rendre impossible l’exportation du sucre exotique, la culture de la betterave se trouverait en possession de moins d’avantages que ceux à l’aide desquels elle soutient aujourd’hui la concurrence intérieure. J’aimerais même à emprunter à l’honorable M. Rogier les raisonnements sur lesquels il établit son opinion à cet égard, parce qu’ils rendent assez curieux les calculs de ceux qui, pour défendre la même opinion que lui, ont cherché à établir que le consommateur belge ne paie qu’un p. c. et une fraction par kil. de plus que le consommateur étranger.
Mais, messieurs, comme je l’ai dit en débutant, je n’ai pris pour principal point de vue que la nécessité de rendre réellement productif l’impôt sur le sucre raffiné qui, comme objet de luxe, est de sa nature le plus équitablement imposable. Qu’il provienne de sucre exotique ou de sucre de betterave, je n’entendrais pas plus l’en affranchir dans l’une hypothèse que dans l’autre.
L’augmentation proposée par la commission sur le rendement est complétement insuffisante.
L’augmentation du droit de 37 02 à 40, est tout aussi illusoire.
Cette augmentation ne rapporterait effectivement pas un centime de plus au trésor, puisque ce droit restitué à la sortie ne restera qu’un chiffre de convention tant que le calcul du rendement sera inférieur à la réalité et que les transferts des prises en charge seront praticables.
La proposition de la commission pour empêcher l’abus des transferts, en exigeant la livraison du sucre lors de chaque transfert de termes de crédit, serait une entrave, mais non un obstacle ; sous ces différents rapports, je ne pourrai donc admettre son travail.
Dans cette disposition, j’attendrai la discussion des articles pour me rallier à celle des propositions, soit du ministre, soit de quelque autre membre, qui me paraîtra le plus efficacement tendre vers mon but.
Plusieurs membres. - La clôture !
D’autres membres. - Sauf à entendre le rapporteur.
M. Mast de Vries. - Il est impossible de clore la discussion aujourd’hui, après avoir entendu des discours hérissés de chiffres ; il faut au moins qu’on ait le temps d’examiner les calculs qui ont été mis en avant, afin de pouvoir y répondre s’il y a lieu.
M. Desmaisières. - Messieurs, la chambre a toujours entendu les rapporteurs dans les discussions générales. Je me trouve inscrit après l’honorable M. de Foere ; et si je n’ai pas parlé plus tôt, c’est que je devais attendre mon tour, le règlement ne donnant pas aux rapporteurs le droit d’être entendus quand ils le demandent, comme les ministres. J’espère que la chambre ne clora la discussion qu’après m’avoir entendu.
M. le président. - Je vais mettre la clôture aux voix, mais sous la réserve que M. le rapporteur sera entendu.
M. de Foere. - Mon intention n’est pas de prolonger la discussion. Je n’ai que quelques mots à dire ; et je ne répéterai rien de ce que vous avez entendu.
M. Verdussen. - Je crois qu’on est d’accord d’entendre M. le rapporteur ; mais je crois qu’il est dans les convenances de ne pas donner de privilège sur les autres orateurs inscrits, et, d’après ce qu’on vient de me dire, M. de Foere est le seul qui soit inscrit avant M. le rapporteur. Il nous déclare qu’il ne sera pas long ; je désire qu’il soit entendu à son tour de parole ; après nous entendrons M. le rapporteur et alors, si la chambre veut clore la discussion, elle pourra le faire.
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Messieurs, j’ai une explication à donner sur les chiffres présentés par M. Donny à la fin de la séance d’hier ; mais il m’est indifférent de la donner dans la discussion générale, je pourrai la reproduire à l’article premier.
- La clôture est mise aux voix et n’est pas adoptée.
M. le président. - La parole est à M. de Foere.
M. de Foere. - Afin de ne pas prolonger inutilement la discussion générale, je ne répéterai pas les opinions qui ont été émises par MM. Smits, Verdussen et Rogier et, en dernier lieu, par M. David. Je déclare que, quant au fond, je partage entièrement les raisons très puissantes qu’ils ont fait valoir pour démontrer qu’aussi longtemps que l’Angleterre et la Hollande ne modifient pas leurs lois sur le rendement du sucre et le drawback, vous porteriez un coup fatal aux intérêts généraux du pays, sans en excepter un seul qui soit de quelque importance, si la majorité de cette chambre avait la malheureuse intention de changer, sous les mêmes rapports, la législation qui nous régit.
Je me permettrai d’ajouter une seule preuve pour rendre plus évidentes encore les conclusions auxquelles ces honorables membres sont arrivés. Cette preuve, négligée jusqu’à présent, résulte d’un document officiel qui nous a été remis et qui nous présente le tableau comparatif de nos échanges commerciaux pendant plusieurs années.
Nos importations de marchandises mises en consommation, s’élevaient en 1832 à 200,042,286 fr. Nos exportations, pendant la même année, n’ont été que de 111,189, 382 fr. Différence contre nous en échanges commerciaux, 88,852,904 fr.
En 1833, ces importations ont été portées à la somme de 192,706,296 fr. Nos exportations, pendant la même année, à 108,813,117 fr. Différence contre nous dans la balance des échanges : 83,893,179 fr.
En 1834, nos importations représentent un chiffre de 174,855,797 fr. Pendant la même année, nos exportations se sont élevées à 118,540,917 fr. La différence des avantages en échanges commerciaux n’était plus que de 56,314,880 fr.
En 1835, nos importations montaient à 163,890,346 fr. Pendant la même année, nos exportations se sont élevées à 138,037,695. La balance commerciale ne présentait plus qu’une différence de 25,852,651 fr.
Il résulte, messieurs, de ce tableau comparatif entre nos échanges commerciaux que, depuis 1833, nos exportations ont éprouvé une augmentation progressive considérable. Je n’hésite pas de déclarer que, dans mon opinion, ce progrès si avantageux au pays est, en grande partie, dû à notre commerce de sucre, en ce sens que l’importation des sucres bruts et l’exportation des sucres raffinés ont donné lieu à l’exportation de beaucoup d’autres produits du pays qui, sans le commerce des sucres et sans la navigation que ce commerce a mis en mouvement, n’auraient pu être exportés. Ce résultat prouve que ce n’est pas seulement l’industrie et le commerce de sucres qui sont mis ici en jeu, mais encore les industries les plus importantes dii pays.
Il résulte en outre de ce tableau que les différences qui se sont établies chaque année contre nous dans les échanges commerciaux, ont dû être exportées en numéraire. Il est évident qu’au lieu de chercher à rétrécir le cercle de nos exportations, nous devons, dans l’intérêt du pays, saisir tous les moyens de l’étendre, afin d’arriver au moins à une juste balance dans nos échanges commerciaux. Si vous prenez des mesures contraires, vous exposez, à la longue, le pays à une crise épouvantable.
Remarquez, messieurs, que cette crise ne peut manquer d’arriver plus tôt, lorsque nous serons parvenus à nous entendre avec la Hollande. Le pays payera, chaque année, 17 millions. La majeure partie de cette somme sera aussi exportée en numéraire. Ajoutez à ces 17 millions la différence désavantageuse qui s’établira contre nous dans la balance commerciale, si vous ne cherchez pas à augmenter, tous les ans, la somme de nos exportations.
J’ai pris la parole, messieurs, pour vous présenter cette considération, extrêmement importante pour l’avenir du pays, si, en rétrécissant le cercle de nos relations extérieures, vous le prépariez à une crise financière qui sera aussi désastreuse qu’elle est infaillible.
M. le président. - La parole est à M. le rapporteur. (A demain ! à demain !)
M. Desmaisières. - Je ferai observer que je serai très long et ensuite qu’on a présenté des chiffres que je serais bien aise de voir dans le Moniteur pour y répondre. Je demande le renvoi à demain.
- La chambre ferme la discussion en réservant la parole à M. le rapporteur.
La séance est levée à 4 heures 1/4.