(Moniteur belge n°353, du 19 décembre 1837)
(Présidence de M. Raikem.)
M. de Renesse procède à l’appel nominal à midi et demi.
M. Lejeune lit le procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est adoptée.
M. de Renesse fait connaître l’objet des pièces suivantes adressées à la chambre.
« Des habitants de la commune de Bastendorff, les conseils communaux de Gleize, de Francorchamps, de Wanne, de Fosse et Vielsalm, demandent la construction de la route de Stavelot à Ettelbruck et Diekirch. »
- Renvoi au ministre des travaux publics.
« Des habitants de Florennes signalent à la chambre les mariages simulés à Florennes et à Saint-Aubin, pour soustraire les miliciens de 1838 au service militaire, et demandent des mesures répressives. »
« Le sieur B. Valerius, répétiteur d’analyse algébrique à l’école militaire, demande à être nommé membre du jury d’examen pour la faculté des sciences. »
« Le sieur Houraut, cultivateur à Neuvllie (Liège), demande que son fils, milicien de 1835, soit visité par des hommes de l’art et renvoyé du service pour ses infirmités. »
« Des industriels et fabricants de Liége demandent le maintien de la législation actuelle sur les sucres. »
« Le sieur Jacques-Paulin Roger, docteur en médecine à Bruxelles, né en France et habitant la Belgique depuis 15 ans, demande la naturalisation. »
- Renvoi au ministre de la justice.
« Les compagnons bateliers et pilotes au passage de Gand réclament contre les pétitions tendant à obtenir la libre entrée des charbons étrangers. »
- Renvoi aux ministres des travaux publics et de l’intérieur, avec demande d’un prompt rapport.
M. Rogier. - Au nombre des pétitions dont l’analyse vient d’être faite, il s’en trouve une des industriels de Liège qui demandent le maintien de la législation actuelle sur les sucres. Cette pétition est très courte, et comme elle est d’un grand intérêt dans la question dont nous allons nous occuper, je demande qu’elle soit insérée au Moniteur.
- L’insertion demandée par M. Rogier est ordonnée.
Les autres pétitions sont renvoyées à la commission des pétitions.
M. le ministre de l’intérieur et des affaires étrangères adresse à la chambre une liste des membres et suppléants des jurys d’examen et des professeurs des diverses facultés dans les universités.
- La chambre en ordonne l’impression.
M. Verhaegen, retenu près de sa fille dangereusement malade, demande un congé de 4 à 5 jours.
- Accordé.
Une proposition déposée par M. Seron est renvoyée dans les sections pour savoir si la lecture en sera autorisée.
M. Zoude dépose le rapport sur la loi concernant le sel.
- La chambre en ordonne l’impression.
On passe à l’objet de l’ordre du jour.
M. le président. - La commission propose l’adoption du projet du gouvernement, qui n’a qu’un seul article ainsi conçu :
« La loi du 19 juillet 1832, sur les concessions de péages (n°133 et 134 du Bulletin des lois), est prorogée au 1er janvier 1839.
- Personne ne demandant la parole, on procède à l’appel nominal. Le projet de loi est adopté à l’unanimité des 59 membres présents.
Ce sont : MM. Andries, Beerenbroeck, Bekaert-Beckelandt, Berger, Brabant, Coppieters, Corneli, de Brouckere, de Florisone, de Foere, de Jaegher, de Langhe, de Longrée, F. de Mérode, W. de Mérode, Demonceau, de Nef, de Puydt, de Renesse, Desmaisières Desmet, de Terbecq, d’Huart, Donny, Dumortier, Duvivier, Eloy de Burdinne, Frison, Hye-Hoys, Keppenne, Kervyn, Lecreps, Lejeune, Maertens, Mercier, Metz, Milcamps, Morel-Danheel, Nothomb, Peeters, Pirmez, Pirson, Pollénus, Raikem, Raymaeckers, A. Rodenbach, C. Rodenbach, Rogier, Scheyven, Seron, Smits, Thienpont, Trentesaux, Ullens, Vandenhove, Verdussen, Vergauwen, H. Vilain XIIII, Zoude.
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Mon intention étant de présenter, au projet de loi qui vous est soumis par la commission des sucres, divers amendements, je les ai fait imprimer avec une explication en regard des articles nouveaux que je propose. Je vais en remettre des exemplaires à M. le greffier, pour les faire distribuer à l’instant à nos honorables collègues. De cette manière chacun pourra apprécier la portée des dispositions nouvelles que je présente.
Je prierai M. le président d’en faire donner lecture avant le commencement de la discussion.
M. le président donne lecture des propositions de la commission et de celles de M. le ministre des finances ; elles sont ainsi conçues :
(La lecture de ces deux projets n’est pas reprise dans la présente version numérisée.)
M. Dumortier a proposé l’amendement suivant :
« La prime de réexportation sur le sucre sera acquise sur le pied de l’accise de 100 kilog. de sucre brut introduit en Belgique lors de l’exportation de 75 kilog. de sucre raffiné en pains ou candi, et pour les sucres dits lumps qui n’ont recu qu’un raffinage, lors de l’exportation de 90 kilog.
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Je crois devoir donner une très courte explication pour indiquer la différence qui existe entre le projet de la commission et les amendements que j’ai eu l’honneur de déposer sur le bureau.
La commission propose de modifier le droit d’importation qui est de 37 fr. 02 c. avec les additionnels, et de l’élever à 40 fr. sans additionnels ; je demande, moi, de ne pas toucher à cette disposition, de la laisser telle qu’elle existe. Vous comprenez que dès lors, par une conséquence nécessaire, il n’est pas question dans mon projet d’articles supprimant les centimes additionnels et le timbre sur quittances, articles que la commission a dû admettre, puisqu’elle voudrait un nouveau droit sans additionnels. J’ai conservé du reste, par mes amendements, sauf de légères modifications de rédaction, tous les articles en quelque sorte réglementaires de la commission, si ce n’est l’article 2 qui est fondamental et que j’ai remplacé par la disposition de mon article premier, de laquelle résulterait la certitude pour le trésor de percevoir un quart du droit d’accises sur les quantités de sucres importés. Les raffineurs continueraient au surplus d’être sous la législation actuelle quant aux trois autres quarts.
Ainsi le trésor serait assuré de la perception d’un million environ, ce que je tâcherai de démontrer lorsque nous en serons arrivés à la discussion des articles, et d’un autre côté les raffineurs resteraient sous l’empire de la loi actuelle quant à la majeure partie des sucres pris en charge.
Rien ne serait donc changé, quant à présent, sur la question si controversée du rendement. La solution en serait ajournée à une autre session, dans laquelle le gouvernement présenterait un projet complet, qui comprendrait les sucreries de sucre de betterave.
D’après le budget des voies et moyens l’impôt du sucre doit nous procurer 800,000 fr. ; ce qui est bien modéré si on considère que ce produit devrait rapporter au trésor 4 millions ; or, mon projet pourvoirait largement à cette prévision.
On dira peut-être que l’article premier de mon projet entravera le commerce qui se fait exclusivement pour l’exportation ; mais je répondrai d’avance qu’il est avéré qu’une partie des sucres importés est nécessairement livrée actuellement à la consommation intérieure, puisque le trésor ne touche presque plus rien sur les sucres. Ainsi nous ne gênerons pas le commerce exclusif d’exportation, parce qu’il n’y en a pas d’exclusif, en réalité, pour les sucres pris en charge.
M. de Brouckere. - Je crois qu’il importe de décider sur quel projet sera établie la discussion et quel est le projet qui sera considéré comme projet primitif.
Je pense qu’on pourrait considérer comme projet primitif le projet de la commission et les amendements du ministre. Toutes les autres dispositions qui seraient adoptées seraient considérées comme des amendements au projet primitif.
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Je dois dire, messieurs, que je considère les dispositions que j’ai présentées comme des amendements au projet de la commission, qui me semble devoir être pris dès lors pour projet principal.
M. de Brouckere. - Pour ma part, je me rallie à cette proposition. Il suffit d’établir sur quel projet la discussion sera établie. Puisque M. le ministre des finances veut bien que ses propositions soient considérées comme des amendements, il n’y a aucune difficulté. Il est entendu que le projet principal sera le projet de la commission.
M. Desmaisières, rapporteur. - Après l’explication de M. le ministre des finances, je n’ai puis rien à dire ; car je me proposais de soutenir que la discussion doit être établie sur le projet de la commission, et que les dispositions proposées par M. le ministre des finances doivent être considérées comme des amendements.
Plusieurs membres. - On est d’accord.
M. Dumortier. - Il m’importe assez peu de savoir quel est le projet sur lequel s’établira la discussion. Mais il m’importe que l’attention de l’assemblée ne soit pas détournée de l’objet principal qui nous occupe. Ce sont les amendements de M. Lardinois et de moi, qui ont apporté une modification au système actuel de législation sur les sucres : je tiens à ce que l’assemblée ne perde pas de vue que c’est là l’origine de la discussion qui nous occupe.
M. le président. - J’ai donné lecture des amendements de M. Dumortier et de M. Lardinois. Mais la chambre ayant décidé que le projet de la commission serait considéré comme projet principal, les propositions de MM. Dumortier et Lardinois devront être considérées et mises aux voix comme amendements.
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Je prie l’honorable M. Dumortier de remarquer que son amendement et celui de M. Lardinois sont réunis et amendés dans l’article 2 du projet de la commission, c’est-à-dire de l’article qui détermine la quotité de la décharge pour l’exportation du sucre.
Peu importe que l’une ou l’autre disposition soit considérée comme projet principal ; car ce sera un chiffre à mettre aux voix si l’article premier du projet que je viens de remettre n’est pas admis. Cet article 2 est le seul du projet de la commission dont les amendements que j’ai présentés s’écartent essentiellement.
M. Dumortier. - Je suis d’accord avec l’honorable ministre des finances. Mais je dois faire remarquer que chacun pouvait comprendre la portée de mon amendement et de l’amendement de M. Lardinois. Ces amendements n’avaient pour but que de modifier le rendement fixé par la loi, de substituer un chiffre à un autre. Cela était parfaitement clair. Au lieu de cela la commission introduit un système complétement nouveau. Je prie la chambre de ne pas perdre de vue cette considération qui domine toute la discussion. Pour moi je prétends que la discussion devrait être établie sur ma proposition et sur celle de M. Lardinois, parce que la portée de ces dispositions peut être comprise par chacun, parce que chacun ne peut comprendre la portée de l’article qu’on a présenté.
M. Gendebien. - Cette discussion me paraît oiseuse. Nous allons établir une discussion générale qui portera et sur les propositions faites l’année dernière, et sur les propositions de la commission, et sur celles du ministre des finances. Lorsque la discussion générale sera terminée, on abordera les articles premier et deuxième. Je crois que toute discussion ultérieure est inutile. La discussion générale est une discussion de principe.
M. le président. - Il s’agit de savoir si l’on prendra pour projet primitif la proposition de la commission ou la proposition de MM. Lardinois et Dumortier.
M. Dumortier. - Je me rallie à la proposition de M. Gendebien, que l’on commence par la discussion générale.
M. le président. - Comme il faut que ce point soit décidé, je vais consulter la chambre.
- La chambre décide qu’on prendra pour base de la discussion le projet de loi présenté par la commission ; en conséquence, les propositions du ministre et de MM. Lardinois et Dumortier seront considérées comme amendements.
M. Smits. - Messieurs, pour le moment je me propose seulement de vous soumettre quelques considérations générales sur la manière dont il convient d’examiner l’objet qui est à l’ordre du jour ; mais il me sera impossible, vous le pensez bien, de m’occuper du projet tout à fait nouveau qui vient d’être lancé par M. le ministre des finances. Je le pourrais d’autant moins que, souffrant de la fièvre dans ce moment, il me sera peut-être difficile de traiter tous les points que je me proposais de faire entrer dans le cadre de mon discours.
Depuis l’époque où la législature du pays a été saisie du droit exorbitant d’initiative parlementaire dans les questions d’intérêt matériel, depuis que ce droit est devenu presque effrayant par la faculté que le règlement de cette assemblée a accordee à chacun de nous de lancer au milieu des discussions des amendements improvisés sans les astreindre à un examen préalable, depuis cette époque, dis-je, jamais une question plus digne d’intérêt n’a été soumise à vos délibérations : question devant laquelle les esprits les plus éclairés de pays voisins n’ont pas craint de reculer, et qu’ici néanmoins on a voulu trancher accidentellement avec une hardiesse, une témérité presque égale à la gravité et à l’importance de son objet.
En m’élevant le premier contre les propositions qui vous ont été soumises l’année dernière, et dont la chambre se trouve encore légalement investie, je prie mes honorables collègues de croire que je n’entends nullement me constituer l’organe d’une industrie particulière, d’un intérêt privé. Ce rôle m’irait mal ; autant que personne j’ai toujours défendu dans cette enceinte les intérêts généraux ; autant que personne encore, je tâcherai d’arriver au but que nous voulons tous atteindre, celui d’assurer au trésor une large part de revenus sur l’article qui nous occupe.
Mais, en dirigeant nos efforts vers ce but, vous me permettrez aussi, je l’espère, messieurs, de m’élever avec quelque force, avec quelqu’énergie contre toutes les propositions qui pourraient tendre à anéantir ou à paralyser une industrie antique qui, par l’heureuse influence qu’elle exerce sur toutes les autres branches de la prospérité nationale, est digne au plus haut degré de toute votre attention, de toute votre sollicitude.
Habitué à lutter avec les intérêts privés, habitué à scruter leurs allures et les attaques diverses, multipliées et incessantes, qu’ils dirigent quelquefois contre des intérêts rivaux, je n’ai nullement été étonné de rencontrer à la traverse de nos débats une industrie jeune, intéressante et vivace, qui a eu le tort grave, selon moi, de venir, au début de la carrière, réclamer la dictature du monopole ; mais ce qui, je dois le dire, m’a vivement affligé, découragé même, c’est d’avoir vu quelques députés appartenant à des districts industriels, se jeter dans une arène qu’ils n’avaient sans doute pas suffisamment mesurée, pour venir appuyer les réclamations irréfléchies de cette jeune industrie dont je viens de parler, et qui, pour vivre et prospérer, n’avait pas besoin de demander les dépouilles de sa rivale. J’espère néanmoins que ces honorables membres lorsqu’ils seront mieux éclairés, reviendront à d’autres sentiments, à d’autres opinions.
Car, qu’ils ne s’y méprennent point : de toutes les questions de finances qui ont été agitées dans cette enceinte, aucune peut-être ne présente autant de gravité que celle des sucres. Elle est du nombre de celles qui ne s’isolent point ; pour la traiter, il faut parcourir le cercle entier, immense, de notre économie générale ; vouloir la résoudre par une pensée purement financière, par un chiffre de revente, ce serait s’exposer au danger de briser cette longue chaîne d’intérêts divers qui attache l’agriculture à l’industrie, l’industrie au commerce, le commerce à la navigation, le tout ensemble à la politique et à la prospérité du pays.
Non, messieurs, l’impôt sur les sucres ne constitue pas purement une question de revenu ; car, outre qu’il est de principe d’exempter des impôts autant que faire se peut, les objets qui servent d’élément aux échanges internationaux, nous trouvons, dans la législation même qui nous régit, la preuve, sans réplique, que l’idée qui a présidé à la confection de la législation dont il s’agit, n’a pas été une idée fiscale, mais une idée de haute portée mercantile qui avait pour objet de contrebalancer la législation anglaise, de déplacer le marché des sucres, de l’attirer au pays et de favoriser par là l’écoulement de nos produits agricoles et industriels, ainsi que de faciliter l’importation des matières premières indispensables à nos nombreuses manufactures et à notre consommation.
On a dit que toute loi industrielle devait suivre le progrès ou le recul de l’industrie à laquelle elle s’applique, et que puisque le raffinage du sucre avait fait d’immenses progrès, il fallait modifier la législation dans le sens de ce progrès ; mais, messieurs, quel est l’homme un peu au courant de la situation industrielle du pays qui ignore que les raffineries des sucres exotiques sont très anciennes parmi nous, et qu’elles ont toujours marché au progrès ; que même bien souvent elles ont servi de modèle à celles des autres peuples, tellement que sous l’empire encore on exigeait quelquefois, des candidats pour le professorat en chimie, des preuves positives de leurs connaissances dans les procédés de notre fabrication.
Eh bien, malgré ces progrès, le législateur a-t-il diminué la ristourne, le drawback des droits, depuis que les sucres ont été assujettis à un impôt de consommation ; a-t-il modifié les lois en vue d’augmenter les recettes du trésor sur un article qu’on peut presque considérer comme un impôt de luxe ? Non, messieurs, il ne l’a point fait, parce qu’il savait comme nous que les progrès dont j’ai parlé, et qui étaient alors ce qu’ils sont encore aujourd’hui résidaient seulement dans l’amélioration des produits, dans l’activité et l’économie de notre travail, mais nullement dans le rendement de la matière brute, dans l’augmentation du produit fabriqué.
Aussi suivez avec attention la marche de la législation sur les sucres, et vous remarquerez que d’abord elle avait établi le rendement à 60 kilog. de sucre raffiné fin pour 100 kilog. de sucre brut ; que plus tard elle a fixé ce rendement à 55 p. c., et que finalement ce rendement aurait été établi à 53 p. c. si, en 1829, les chambres législatives eussent sanctionné les propositions du gouvernement, qui étaient le résultat d’une longue et minutieuse enquête.
Maintenant supposons que cette législation ait créé une prime en faveur des raffineries nationales, cette prime n’aurait-elle pas été établie comme je le disais tout à l’heure dans l’intérêt des échanges qui exigeait impérieusement et qui plus que jamais exige aujourd’hui que nous conservions nos moyens de concurrence au-dehors ? Evidemment ; et sans cet intérêt puissant, il n’aurait pu jamais entrer dans la pensée d’une législature quelconque de créer des primes dans un intérêt privatif que le seul bon sens réprouve et que les règles de l’économie politique repoussent également. Toutefois poussons la supposition jusque-là ; allons à l’extrême ; supposons que les lois de 1822 et de 1829 aient voulu créer ces primes dans un intérêt privatif, ce que trop fréquentes faillites parmi les raffineurs viennent par trop victorieusement contredire ; eh bien ! dans cette hypothèse même y aurait-il justice à en priver aujourd’hui une industrie mère dont les immenses capitaux se sont engagés sur la foi de la législation et qui vivifient tout ce qu’ils touchent ? Je ne le pense pas.
Mais le législateur n’a pas établi de prime ; il a calculé le rendement du sucre brut, qualités mélangées, etc. ; il a reconnu que le mélange ne pouvait offrir une moyenne plus forte que de 53 à 65 p. c. en sucre fin raffiné exportable.
Certes, messieurs, cette moyenne serait dépassée, si nos raffineries employaient exclusivement du sucre blanc ou blond de la Havane ; mais par contre le sucre de Manille, du Brésil, de Siam, de Porto-Rico, de l’île San-Jago, etc., qu’on emploie le plus généralement, restent plutôt en-dessous qu’au-dessus du rendement calculé.
Ces faits confirmés d’ailleurs par les tableaux que M. le ministre des finances a fait distribuer à votre commission spéciale, nous les établiront dans la discussion de détails, et si je les indique ici, c’est uniquement pour vous prémunir d’avance contre toute surprise dans une question pratique, et qui ne peut se résoudre que par l’expérience.
En Hollande aussi le produit de l’impôt sur les sucres a considérablement diminué et s’est presque réduit à rien ; mais la Hollande a-t-elle cherché pour cela à modifier sa législation qui est absolument la même que la nôtre ? Nullement. Dans ce pays, qui connaît ses intérêts commerciaux, le ministre des finances au contraire est venu hautement proclamer à la tribune des états-généraux que « bien que les revenus du trésor diminuaient en proportion de l’augmentation des exportations en sucres raffinés, le gouvernement ne jugeait pas devoir toucher à la législation existante, attendu que l’industrie des raffineries se rattachait trop directement à toutes les autres branches de la richesse publique. » D’ailleurs, ajoutait le ministre, « la position des raffineurs en général et surtout à Amsterdam est très pénible ; trois sont déjà en faillite, et l’on devra se féliciter si ce nombre ne devient pas plus grand. »
En Angleterre, la question s’est présentée sous une autre face : là il n’y a pas eu décroissement sensible dans les revenus, mais une industrie rivale, la fabrication du sucre de betteraves, est venue se placer comme concurrente de l’ancienne industrie, préludant probablement comme ici, par réclamer quelques avantages.
Eh bien, au lieu de faire droit à ces réclamation, M. Poulet-Thompson, président du bureau de commerce, a voulu, avant que les capitaux n’allassent se jeter dans cette industrie nouvelle, fixer son sort, et il a demandé en conséquence que le sucre indigène fût frappé d’un droit de 48 schellings (60 francs) par 100 kilog., droit égal à celui que paie le sucre des colonies.
Je n’ai pas besoin de dire que cette proposition a été adoptée par la grande majorité du parlement qui, dans cette circonstance, a prouvé qu’il savait envisager de pareilles questions avec cette hauteur de vues et d’ensemble qui doivent présider toujours aux questions d’intérêts matériels.
Si donc l’organe officiel et compétent du gouvernement hollandais d’une part a cru devoir tenir ce langage, lui, le mandataire d’un pays moins industriel que le nôtre, et possesseur d’immenses colonies qui suffisent aux besoins de ses produits manufacturés, et si d’autre part le ministre du commerce et de l’industrie de la Grande-Bretagne n’a pas craint d’arrêter l’essor de la fabrication du sucre de betterave, pour maintenir le travail du sucre exotique, quelle est, je vous le demande, la ligne de conduite que nous devons tenir en présence de deux nations qui ont une législation presque identique à la nôtre ; nous, messieurs, qui sommes dans un pays sans colonies et dont la production excède de bien loin les besoins de la consommation intérieure ; nous qui avons conséquemment le plus impérieux intérêt à déverser au-dehors et sur des marchés divers l’excédant de nos produits, au risque de périr de misère au sein même des richesses et de l’opulence ?
Je n’hésite pas à le dire : notre conduite doit être identique ; nous devons bien nous garder de porter une main téméraire sur une loi qui est la sauvegarde de nos relations transatlantiques, et que tous les esprits de quelque portée commerciale considèrent, avec raison, comme le palladium de notre existence industrielle et maritime.
J’arrive à la démonstration de ce fait incontestable.
Autrefois, je l’ai déjà dit, presque toutes nos relations industrielles, maritimes, se concentraient sur l’exploitation du marché hollandais dans les Indes orientales, et ce marché, par son immensité, suffisait presque seul à nos besoins ; mais, depuis notre séparation, force nous a été de suppléer à ce débouché, en nous dirigeant vers d’autres parages.
Ainsi, dans l’autre hémisphère, le Brésil, la Havane, la côte occidentale de l’Amérique du sud, l’Amérique du nord, quelques ports des Antilles, ont été explorés avec quelque activité, et d’un autre côté on a cherché à renouer des relations plus actives avec le nord, avec les échelles du Levant, avec Gènes, Constantinople, Trieste, Livourne, Odessa et autres ports méditerranéens. Mais comment ce commerce s’est-il établi ? Uniquement, messieurs ,par les sucres, et vous allez le comprendre.
La Havane, le Brésil, Santos, Portoricco, Manille et autres lieux n’offrent presque généralement que des sucres en retour des cargaisons que nous leur importons, et qui consistent spécialement en farines, genièvres, armes, tissus, clous, ouvrages en fer, verres, verreries et autres produits de notre industrie ; or, pour pouvoir vendue ces produits, il faut de toute nécessité pouvoir prendre les sucres en retour, car si nous ne le pouvions pas, si les sucres ne pouvaient pas se travailler dans notre pays, comme cela arriverait si les raffineries venaient à tomber, il nous serait matériellement impossible d’exporter dans ces parages la moindre parcelle de nos produits agricoles ou industriels puisque les navires, devraient, dans cette hypothèse, revenir à vide et seraient obligés conséquemment de faire supporter un double fret à leur cargaison de sortie, de sorte que celle-ci ne pourrait plus, pour la vente, soutenir la concurrence avec les produits des autres nations.
J’insiste sur cette observation ; elle est si capitale, elle intéresse si vivement notre agriculture et notre industrie, que je ne puis me résoudre à l’abandonner, dans la crainte qu’elle n’aurait pas été saisie par ceux de nos honorables collègues moins familiarisés avec nos relations internationales.
Le Brésil, la Havane et presque tous les pays transatlantiques avec lesquels nous entretenons un commerce actif produisent du sucre. Le sucre est le principal mobile de leurs échanges ; ils reçoivent des Européens les produits fabriqués nécessaires à leur consommation ; les produits les mieux fabriqués et les moins chers obtiennent la préférence ; pour pouvoir le donner à un prix raisonnable, il faut pouvoir prendre des sucres en retour. Sans cela les produits manufacturés auraient un double fret à supporter, et dès lors la concurrence avec les produits d’autres nations, opérant ces retours, serait impossible. Or, les retours ne peuvent pour la majeure partie consister qu’en sucres ; donc sans ce dernier article, tout commerce, tout échange, toute exportation en un mot devient impraticable.
Maintenant retournons le tableau, et il ne vous sera pas difficile de voir que son revers vient ajouter encore une vigueur et des teintes nouvelles à la force des arguments pratiques que je viens de faire valoir.
J’ai eu l’honneur de vous dire que des nouvelles relations ont été établies avec le nord et les ports méditerranéens de l’Europe, et que ces relations s’entretiennent et grandissent tous les jours par le commerce du sucre ; mais ici, ce n’est plus le sucre brut qui constitue le principal élément de nos échanges ; c’est le sucre raffiné qui, après avoir laissé dans le pays le bénéfice d’une main-d’œuvre de 2 millions et plus peut-être, va se déverser en Allemagne, dans la Baltique, à Gênes, à Livourne, à Trieste, à Constantinople, Smyrne, Odessa, etc.
Ce sucre forme à la sortie ce que le sucre brut forme à l’entrée, c’est-à-dire, ce qu’on appelle en commerce maritime la matière encombrante du navire, sans laquelle il n’y a point de navigation possible. Or, c’est parce que notre marine possède heureusement encore cette unique ressource, que les draps de Verviers, les verreries de Charleroy, les armes de Liége, la clouterie, les tissus de lin et de coton, trouvent toujours des occasions, et presque les seules occasions pour déboucher, par pacotilles diverses, les produits de leurs manufactures. Changez la loi, rendez la position du raffineur belge moins favorable que celle du raffineur anglais ou hollandais, majorez le tantième du rendement, et ces moyens d’échange et d’écoulement vous échappent aussitôt et peut-être pour toujours.
Je ne vous entretiendrai pas des nombreuses industries particulières qui dépendent directement, immédiatement du raffinage, telles que les papeteries pour une certaine qualité de leurs produits, le tonnelage, les fabriques de formes, les chaudronniers ; je ne mentionnerai pas les nombreux ouvriers qu’elles entretiennent quoique je pusse en faire quelque bruit, si à l’exemple de plusieurs de nos honorables collègues, je voulais me complaire à vous dérouler le tableau effrayant des misères dans lesquelles une modification au principe constitutif de la loi viendrait les plonger. Pour moi, j’aime mieux les défendre que de les émouvoir. L’appel aux réclamations populaires n’est pas de mon goût, et jamais cette arme ne trouvera un appui dans mes mains.
Mais, messieurs, vous me permettrez au moins de vous parler encore de l’état d’abandon, de délaissement auquel notre marine marchande serait réduite, si par une mesure imprudente, vous alliez compromettre le commerce des sucres. Que lui reste-t-il en effet, si ce n’est ce commerce et celui du sel ? Me répondra-t-on qu’elle pourra encore importer les cotons, les bois de teinture, les cuirs et autres articles de cette nature ? Oui, elle le pourra rigoureusement ; mais avec perte par la raison que je vous ai déjà indiquée : celle que les sucres seuls dans la plupart des parages, et les cafés, dans quelques autres, forment la cargaison encombrante des navires, et que les autres marchandises ne sont pour ainsi dire que des accessoires, qui, par cela même que le chargement est formé, peuvent se transporter et être livrés à meilleur compte à ceux de nos industriels qui les manipulent.
Et veuillez le remarquer, la contradiction choquante qu’il y aurait à paralyser la marine marchande dans ses mouvements, alors que récemment encore vous avez voulu l’agrandir par des primes de construction, primes qui ont déjà porté quelques fruits en ce que d’une part elles ont coopéré à augmenter notre marine, et que de l’autre elles ont donné la vie presque éteinte à nos chantiers de construction. Encore une fois modifiez la loi sur les sucres, seul élément de navigation, et les primes deviennent inutiles et les constructions s’arrêtent.
Me dira-t-on, nous apprécions comme vous toute l’importance du commerce des sucres, tout l’intérêt qu’inspirent les raffineries ; mais la législature doit protéger toutes les branches industrielles, et elle doit conséquemment couvrir de son égide tutélaire la fabrication des sucres de betteraves, industrie nouvelle et qui, par sa liaison intime avec l’agriculture, mérite une attention toute spéciale.
Je suis d’accord sur tous ces principes ; oui, il faut accorder une protection équitable à toutes les industries ; mais il ne faut jamais sacrifier une industrie ancienne et principale à une industrie nouvelle et relativement secondaire.
Je dis principale pour la première et secondaire pour la seconde parce que l’une est l’élément vivace de notre industrie, de notre commerce, de notre navigation, et que l’autre au contraire ne peut exercer aucune influence quelconque, ni sur l’importation avantageuse des matières premières nécessaires à notre consommation et à nos nombreuses manufactures, ni sur l’exportation facile et favorable de nos produits fabriqués.
Tout ce que cette seconde industrie pourra produite, ce sont les bienfaits ordinaires qui résultent de la création d’un nouvel élément de travail et de la circulation de nouveaux capitaux ; mais je le répète, son influence sera peu de chose sur l’industrie générale, le commerce et la navigation aussi longtemps du moins que les nations transatlantiques s’occuperont de la culture de la canne à sucre et que d’autres consommeront de préférence ce dernier produit.
On a cherché à la comparer sous le rapport agricole, à la production du lin et de la garance ; mais on n’a pas réfléchi que ces derniers articles constituent essentiellement un élément d’exportation et d’échange, tandis que le sucre indigène ne pourra s’exporter nulle part en concurrence avec le sucre exotique et qu’il ne pourra donner lieu à des importations.
Et d’ailleurs si la Belgique veut tout produire, à quoi se réduiront, comme le demandait l’autre jour l’honorable M. Gendebien à l’occasion de l’industrie sétifère, à quoi se réduiront nos moyens d’échanges avec d’autres nations ? Car il est très vrai, ainsi qu’il le disait, que pour pouvoir donner, il faut aussi pouvoir recevoir.
Maintenant quant à l’influence favorable que la culture et la fabrication de la betterave est appelée à exercer sur les intérêts agricoles en général, le temps seul peut nous l’apprendre. Toutefois, d’après ce qui se passe dans un pays étranger et voisin, le doute à cet égard est encore permis.
Je ne l’examinerai pas pour le moment pour ne pas allonger mon discours, me réservant de traiter cet objet dans une discussion subséquente ; il me suffit d’avoir établi et prouvé en quelques mots que le parallèle entre la fabrication du sucre exotique et la fabrication du sucre indigène était, commercialement, industriellement parlant, tout à fait à l’avantage du premier.
Mais, me dira-t-on, si le système actuel est vicieux, s’il compromet les intérêts du trésor, vous ne voulez donc pas qu’on l’améliore, vous voulez donc laisser subsister des abus. Ma réponse sera facile : non, je ne veux pas laisser subsister des abus ; je veux comme tous mes collègues que le sucre rapporte davantage au trésor ; mais je soutiens que quant aux dispositions principales, celles qui règlent le rendement et drawback, il faut les laisser subsister. C’est là la loi de notre existence industrielle et commerciale, et tant que cette loi sera conservée en Hollande et en Angleterre, pays avec lesquels nous sommes les plus en rivalité, il faut la maintenir en Belgique.
Ainsi le veut aussi notre intérêt politique, car du moment où vous aurez porté la main au système du drawback, vous aurez donné le monopole commercial du sucre à la Hollande ; vous aurez enrichi son marché de toutes les dépouilles qui restent au nôtre, vous aurez coupé l’artère qui donne la vie à votre industrie.
Et puis, puisqu’ici j’en suis sur la question politique, quel intérêt auront certaines puissances transatlantiques à faire des traités de commerce avec nous lorsqu’elles ne nous pourrons presque plus rien envoyer, lorsque nous ne pourrons plus rien leur expédier ? Quel puissant intérêt auront encore la Prusse et d’autres Etats d’Allemagne à se lier avec nous par des conventions et des chemins de fer ? Lorsque notre marché sera appauvri, notre marine affaiblie et que nous ne pourrons plus servir d’intermédiaire, ni pour l’importation des matières premières dont ces Etats ont besoin, ni à l’exportation de leurs produits fabriqués ? Aucun, messieurs.
Et qu’on ne me dise point que l’intérêt de ces puissances sera toujours le même, puisque dans toute hypothèse nous recevions le sucre destiné à la consommation de l’Allemagne. Messieurs, c’est là une erreur et une erreur grave : une fois que nos raffineries seraient anéanties ou paralysées (et elles le seraient en touchant au drawback) avant que l’Angleterre ou la Hollande y aient touché, les sucres cesseraient d’arriver ; car pour qu’une marchandise ait un accès toujours facile, il faut aussi qu’elle ait deux moyens d’écoulement à sa disposition, c’est-à-dire le marché intérieur ou le transit ; si le marché intérieur est encombré, on a la voie du transit ; si le marché de transit est encombré, on a le marché intérieur ; mais, je le répète, sans ces deux moyens, aucun commerce un peu étendu est impraticable.
Toutes les considérations industrielles, agricoles, commerciales, maritimes et politiques viennent donc former un faisceau imposant pour ne pas changer ce qui existe et pour maintenir au pays une branche qui procure d’aussi éminents avantages que le commerce et l’industrie des sucres exotiques.
Mais, messieurs, il est d’autres considérations encore qui militent en faveur de ce maintien, et ces considérations-là seront puissantes sur vos esprits, puisque je les tire de l’impérieuse nécessité de ne point diminuer les revenus généraux de l’Etat.
Or, messieurs, parmi ces revenus figurent en seconde ligne les droits de douane qui ont toujours été en augmentant, parce que la Belgique heureusement a conservé le commerce des sucres, ainsi que le prouve l’état de ses importations successives. Si donc vous détruisez ce commerce qui alimente tous les autres, vous diminuerez nécessairement non seulement les droits de douane, à l’entrée et la sortie, mais les droits de navigation et de tonnage, ainsi que la consommation importante produite par le mouvement commercial et les équipages des navires que ce commerce entretient.
Je n’exagère pas en calculant à plus d’un million la diminution des recettes qui résultera de cet affaiblissement de nos importations et de nos exportations, et je n’y ajoute pas la perte que la fraude hollandaise nous fera éprouver ; car veuillez ne pas perdre de vue que dès que vous aurez mis nos raffineurs dans une position moins favorable que ceux de la Hollande, il sera devenu matériellement impossible d’empêcher la fraude, qui est encore retenue aujourd’hui par la concurrence que peuvent faire nos industriels. Détruisez cette concurrence, les sucres hollandais déborderont par tous les points de nos frontières, en même temps que les recettes présumées de l’accise échapperont également au trésor.
On s’est plaint, et avec raison, de la diminution de nos revenus ; mais qu’on veuille faire attention que les raffineries de sucre de betteraves commencent déjà à jeter des quantités considérables dans la consommation sans être assujetties au paiement d’aucun droit, quantités qui, pour 1838, atteindront peut-être le chiffre de 6 à 7 millions, tandis que la fraude hollandaise approvisionnant déjà trois de nos provinces, vient également dans une très forte proportion alimenter la consommation.
Faites disparaître cette fraude, et peut l’atteindre en laissant la concurrence à nos raffineries nationales ; écoutez les réclamations de la députation des états du Limbourg contre ce trafic infâme qui démoralise nos populations frontières ; apportez à la loi les sages modifications proposées par votre commission spéciale, et vous atteindrez le but désiré en conservant au pays un commerce et une industrie antique qui fait peut-être l’objet de la jalousie de nos rivaux.
Me sentant un peu fatigué, je bornerai ici mes observations, me réservant toutefois de prendre une seconde fois la parole dans la discussion générale pour entrer dans des détails spéciaux et aussi pour répondre aux observations que mon discours aura pu faire naître ; en attendant, je m’estimerai heureux si j’ai pu vous faire envisager la question sous son véritable point de vue et si j’ai pu vous faire partager les convictions qui m’animent.
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Messieurs, mon intention n’est pas d’entrer maintenant dans la discussion générale ; j’attendrai que quelques orateurs aient encore pris la parole, mais il importe que je rectifie immédiatement deux erreurs qui ont été commises par la commission et que l’honorable préopinant vient de reproduire.
On voudrait prétendre que des tableaux que le gouvernement a fournis à la commission, il résulte la preuve évidente que le rendement sur les sucres est tel qu’il est établi par la loi, savoir de 55 kil. environ p. c.
Je vous prie, messieurs, de jeter les yeux sur les pages 54 et 55 du rapport de la commission, et vous y trouverez de la manière la plus convaincante et par les tableaux mêmes que l’on a cités, le contraire du cette assertion. En effet, d’après ces tableaux, le déchet véritable sur les sucres n’est que de 5 37/1000 p. c. . c’est-à-dire qu’on obtient 95 p. c. de produit sur une perte de 5 37/1000.
Des membres. - Nous n’avons pas contesté cela.
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Vous n’avez pas contesté cela ; mais alors que signifie l’objection que vous prétendez tirer de l’assertion que vous avez avancée.
Qu’on ne vienne donc pas soutenir que le rendement, d’après mes propres renseignements, n’est que de 55 p. c.
Jetez les yeux sur le tableau de la page 54, contenant les renseignements obtenus à Anvers, et vous y verrez à la première ligne que 100 kilogrammes de sucre brut donnent d’abord 50 kilogrammes de sucre en pain, 22 kilogramme et demi de sucre en lumps (produits qu’on exporte avec la haute décharge).
Ensuite, 14 kil. et demi de cassonade, 10 kil. de sirop, et 5 kil. de déchet.
Jetez maintenant les yeux sur le tableau de la page suivante et vous y verrez à peu près les mêmes résultats.
Enfin, messieurs, je viens d’établir la moyenne du déchet des deux tableaux, elle est comme je l’ai dit, cinq trente-sept millièmes sur le raffinage de 100 kil. de sucre brut.
Maintenant j’entends qu’on m’oppose qu’il n’y a que 55 kil. de sucre exportable ; cela n’est pas tout à fait exact, mais que fait-on des 40 kil. restants ? On les vend en Belgique à des prix très élevés, dans lesquels est compté le montant de l’impôt, bien que l’Etat n’en reçoive rien. Il n’est pas nécessaire de s’appuyer sur des tableaux pour prouver que le rendement est erronément établi dans la loi actuelle, le chiffre du faible produit de l’accise parle plus haut que tout le reste ; nous ne percevons presque rien d’un impôt qui devait produire au trésor 4 millions que paie cependant le consommateur ; 4 millions, messieurs, qui concourent à favoriser la navigation, j’en conviens volontiers, et en cela je ne suis pas entièrement opposé aux considérations générales que nous a présentées l’honorable M. Smits ; mais enfin ces 4 millions ont pour résultat principal de faciliter la concurrence de nos raffineurs sur les marchés étrangers et d’y faire manger le sucre à meilleur marché.
Il est, dis-je, évident, d’après le produits de l’accise, que le rendement supposé dans la loi est beaucoup trop bas ; toutefois, on a objecté, pour le contester, que la fraude considérable d’importation était plutôt la cause de la diminution des droits perçus, et on nous a cité un rapport de l’autorité provinciale du Limbourg, duquel il résulterait que la fraude d’importation du sucre est excessive par Maestricht, et je le dirai en passant, c’est aussi là exclusivement qu’il se fait réellement de la fraude de sucres.
Eh bien, je vais prouver d’une manière incontestable que cette contrebande est très peu de chose en comparaison de la consommation totale du sucre en Belgique.
Il ne peut évidemment se frauder dans le Limbourg que le sucre introduit à Maestricht par la libre navigation de la Meuse. Or, nous connaissons les quantités de sucre qui s’importent par cette voie.
En 1835 elles ont été de 173,716 kil., en 1836 de 511,699 kil. ; du 1er janvier au 1er novembre 1837, de 429,434 kil.
Il ne peut, je le répète, être fraudé que sur ces quantités. Et remarquez qu’il faut en défalquer d’abord la consommation de la ville de Maestricht, puis les saisies de la douane, et ces saisies ne sont pas peu importantes, puisqu’elles se sont élevées pour les six premiers mois de 1837 à une valeur de 28,700 francs. Vous voyez donc qu’en évaluant d’après les limites des chiffres que je viens d’indiquer, mais aussi haut que possible les quantités de sucre introduites en fraude par le Limbourg, ces quantités ne sont que fort peu de chose en comparaison du sucre qui se consomme en Belgique et que l’on peut évaluer sans exagération à 12 millions de kilogrammes de sucre brut.
J’attendrai la suite de la discussion pour aborder les considérations générales dans lesquelles est entré l’honorable M. Smits ; je me hâte de dire cependant que je suis loin de contester que la navigation doit trouver des avantages dans la législation actuelle des sucres ; mais faut-il que l’Etat sacrifie en entier 4 millions pour favoriser cette navigation, c’est là ce qu’on aura de la peine à nous démontrer.
M. Pirmez. - Depuis la révolution, plusieurs impôts de consommation très productifs sont en quelque sorte anéantis pour le trésor ; il faudra donc sans cesse recourir aux emprunts pour faire face aux dépenses qui croissent tous les jours. Que l’on ait sacrifié les impôts antipathiques à la nation, rien de mieux ; mais que, de gaîté de cœur, on renonce à ceux qu’elle paie sans répugnance, c’est à notre avis être peu sage. Dans les pays riches comme la Belgique, l’impôt de consommation est indispensable pour frapper les citoyens que l’impôt ne peut atteindre directement, et à notre sens, loin de laisser improductifs les impôts existants, le législateur devrait multiplier les impôts de consommation, en prenant toutefois la précaution de les établir légers en proportion qu’ils seront nombreux.
Et malgré les attaques dont ces impôts sont souvent l’objet, il est vrai que le fisc n’a pas d’autre moyen d’atteindre les richesses cachées. La règle générale est que celui qui possède beaucoup non seulement consomme beaucoup, mais diversifie surtout ses consommations dans la proportion de ses richesses, et si quelques citoyens font exception à cette règle, les richesses qu’ils accumulent trouvent infailliblement après eux d’autres citoyens qui rétablissent la règle et la confirment.
Entre toutes les consommations, celle du sucre paraît surtout réunir au plus haut degré les conditions qui la rendent imposable. En effet, le sucre n’est pas considéré comme une nourriture absolument nécessaire, et sa consommation est immense ; il est prodigué dans toutes ces recherches que le luxe rend indispensables. Aucune substance peut-être ne peut prendre plus de formes et mieux s’allier à d’autres substances pour satisfaire la sensualité de l’opulence ; et l’impôt sur le sucre est justifiable aussi, parce qu’il ne blesse pas les idées de la masse de la nation, idées que, dans cette matière, le législateur froisse rarement sans danger.
Messieurs, si les opinions diffèrent sur le mérite des impôts de consommation en général, nous n’avons entendu aucune objection à ce qui vient d’être dit dans l’intérêt du fisc en ce qui regarde l’impôt sur le sucre. Le consommateur ou contribuable le supporte sans répugnance. Aucune plainte de sa part ne s’est élevée jusqu’aujourd’hui ; il paie, sans mot dire, celui que la loi d’accise a établi. Elle frappe le sucre brut d’un droit de consommation de 37 fr. par 100 kilogr., et comme 14 millions de sucre brut exotique sont consommés annuellement en Belgique, il résulterait que le consommateur ou contribuable est chargé par cette loi d’accise d’un impôt de plus de 5 millions, qui doit entrer dans le trésor public, et cette somme sur un seul article de consommation est un fort beau produit.
Mais, malheureusement, tel n’est pas le résultat de la loi. Le trésor public n’a jamais reçu les millions que donne ce calcul, il s’est rencontré une année où il n’a reçu que 120,000 francs, c’est-à-dire presque rien.
Un pareil résultat connu devait causer une grande surprise. On s’enquit de ce que devenaient les millions payés par le consommateur, et on tâcha de s’expliquer par quelle étrange opération ils n’entraient pas dans le trésor.
Vous jugerez, messieurs, qu’il n’était pas facile de dire ce que ces millions deviennent, lorsque vous saurez que de prime abord les raffineurs de sucre exotique soutinrent que le consommateur ne les paie pas, ou au moins qu’il ne paie qu’une bien faible partie de cette somme. Quant à expliquer comment ce que le consommateur paie réellement n’entre pas dans le trésor, cela est fort facile. Le voici :
Tout le sucre brut importé en Belgique n’y est pas consommé ; la plus grande partie au contraire y est raffinée et réexportée sous la forme de candi, pains et lumps.
Or, à la sortie du sucre la restitution du droit de consommation a lieu. Pour le sucre raffiné en candi, pains et lamps, la restitution s’opère de manière que 55 kil. de ces espèces de sucre raffiné reçoivent une somme égale à celle qui est due pour le droit de consommation de 100 kil. de sucre brut.
Mais remarquez bien que 100 kilog. de sucre brut produisent plus de 55 kilog. de sucre candi, pains et lumps. Ainsi 100 kilog. de sucre brut transformés en candi, pains et lamps, reçoivent à la sortie plus qu’ils n’ont payé pour le droit de consommation. Il doit donc résulter que l’exportation de ces espèces de sucre raffiné, si elle est assez considérable, peut absorber les millions que le consommateur paie ou pense payer sur le sucre.
C’est ainsi qu’aujourd’hui une exportation énorme fait que le fisc ne reçoit qu’une somme minime sur la consommation de 14 millions de la Belgique, et si cette exportation était encore un peu plus forte, vous comprenez bien que le trésor ne recevrait plus rien.
Il est bien clair que, quelque faible que soit la quantité de sucre candi, pains et lumps qu’on obtienne au-dessus de 55 kil. avec 100 kil. de sucre brut, il est toujours possible, au moyen d’exportations, d’anéantir pour le trésor le droit de consommation. Il faut seulement pour cela que l’exportation soit forte dans la proportion que la différence entre 55 kil. et la quantité réelle qu’on obtient de candi, pains et lumps avec 100 kil, de sucre brut, est petite. Mais le fait que 100 kil. de sucre brut produisent plus de 55 kil. de candi, pains et lumps, n’est-il pas contesté ?
A cette occasion, les raffineurs de sucre exotique ont fait remarquer qu’on avait dit d’étranges choses sur le raffinage du sucre, et qu’il fallait beaucoup d’assurance pour poser le chiffre de la quantité de candi, pains et lumps, que donne le sucre brut ; car ceux qui ont quelque expérience de ces matières savent, disent-ils, qu’il y a une différence de près de moitié entre le produit d’un sucre d’une contrée et celui d’une autre contrée, entre le Manille brun et le Havane blond par exemple. Et malgré cette énorme différence et malgré la loi qui semble donner une si grande faveur au sucre brut qui produit le plus de candi, pains et lumps, il arrive parfois que le bas prix de celui qui produit moitié moins le fait préférer par le raffineur belge. Le simple exposé de ce fait suffit pour démontrer combien ce qui a été avancé sur le produit du sucre brut est hasardé.
Mais, messieurs, quoi qu’il en soit de la réalité de la différence qui existerait entre le produit des divers sucres bruts, toujours est-il que les fabricants de sucre exotique soutiennent que l’abolition totale du droit de consommation sur le sucre brut leur serait préjudiciable. Tous les documents qu’ils ont présentés, tendent à faire rejeter cette abolition, ainsi que tous les changements proposés à la loi.
Et combattre l’abolition du droit de consommation, n’est-ce pas admettre aussi complétement qu’on puisse le faire que la moyenne de tous les sucres bruts que les raffineurs introduisent en Belgique produit plus de 55 p. c. de candi, pains et lumps, et que par conséquent, comme il leur est à la sortie restitué plus qu’ils n’ont payé pour droit de consommation, ils perçoivent à leur profil, au moyen d’exportations assez fortes, la presque totalité des sommes que, d’après les intentions du législateur, la hausse du sucre produite par le droit devait faire entrer dans le trésor public, c’est-à-dire que le consommateur donne aux raffineurs près de quatre millions au lieu de les donner au fisc.
Ici, messieurs, on a dit, dans l’intérêt des raffineurs, qu’on était bien loin d’admettre toutes les conséquences que nous déduisons de leur opposition à l’abolition du droit de consommation. Nous en rejetons, disent-ils, la plus grande partie. Nous l’avouons, combattre l’abolition totale du droit, c’est convenir que la moyenne des sucres bruts donne plus de 55 p. c. de candi, pains et lumps, c’est convenir que cet excédant est profitable au raffineur ; mais remarquez-le bien, ce n’est pas convenir que le consommateur paie réellement la totalité du droit fixé par la loi, et conséquemment ce n’est pas convenir que la totalité du droit profite aux raffineurs. Et comment peut-on concevoir, poursuivent-ils, que le consommateur paierait la totalité du droit aux raffineurs de sucre exotique. Il existe cent raffineries en Belgique ; terme moyen, chacune d’elles recevrait quarante mille francs annuellement, et cependant plusieurs raffineries chôment, quelques raffineries même ont failli, et comment chômer et faillir avec de pareils avantages ! Les raffineurs de sucre font-ils exception à la règle commune, les lois de la concurrence sont-elles donc sans effet pour eux ? Peut-on imaginer que 100 industriels puissent se liguer pour maintenir l’élévation de prix d’une denrée, et ne faut-il pas gratuitement supposer cette ligue pour soutenir que le droit tout entier est profitable au raffineur ? Convenez que cette ligue n’est pas possible ; le projet en aurait été conçu que mille circonstances l’auraient fait avorter. Les raffineurs dont les établissements chôment, par exemple, et ceux qui ont failli, l’auraient déjà renversé.
Nous l’avouons cependant, la concurrence entre les raffineurs n’a pas encore été poussée jusqu’en ses dernières fins. Les grandes industries, celles où il faut beaucoup de capitaux, résistent aux lois de la concurrence bien puis longtemps que les petites ; aussi ne nions-nous pas que la hausse produite par le droit profite aux raffineurs qui exportent des sucres lumps en pains ou candi ; mais cette hausse n’atteint pas le chiffre du droit, elle est limitée par la concurrence des raffineurs à l’intérieur, et cette hausse dont la pétition des raffineurs de Gand donne le chiffre est très petite.
Messieurs, ces objections ne nous ont pas convaincus, et nous pensons qu’à part la consommation fournie par la fraude et par la betterave, consommation minime d’ailleurs, le consommateur paie au profit des raffineurs presque tout le chiffre du droit.
En effet, ce n’est pas l’intérieur du pays qui est le champ où se livre le combat de la concurrence ; c’est l’extérieur. Tant que par la grandeur de leurs exportations les raffineurs n’auront pas absorbé tout ce que paie le consommateur, ce champ sera toujours plus beau que l’autre, puisqu’ils reçoivent une prime pour s’y rendre. Or, le raffineur ne perçoit pas encore tout ce que paie le consommateur, puisque, dans sa plus mauvaise année, le fisc a encore reçu 120 mille francs.
D’ailleurs, il est un fait patent, c’est le prix du sucre en entrepôt et en consommation, c’est-à-dire le prix du sucre vendu à l’intérieur et à l’extérieur. Nous prenons ces prix dans les pétitions des raffineurs eux-mêmes. On voit dans la pétition de Gand que la moyenne des prix de candis, pains et lumps, vendus à l’extérieur, est de 20 fl. par 100 l. d’Anvers, et le prix de ces mêmes espèces de sucre vendus à l’intérieur est de 35 fl. Si l’on rapproche ces prix de la quantité de sucre consommée en Belgique, on verra que le raffineur doit absorber à peu près tout le droit.
Et quant aux raffineries qui chôment et quant aux faillites, ces faits particuliers ne peuvent rien prouver. Des faveurs dix fois plus fortes seraient données aux raffineurs qu’elles n’empêcheraient pas que, parmi les personnes qui se livrent à cette industrie beaucoup ne se ruinasse. La réussite des opérations particulières dépend trop de l’intelligence, de l’ordre, de l’économie, de toute la conduite enfin de ceux qui les entreprennent, pour que des faits isolés puissent être invoqués en pareille matière.
Et certes, on se méprendrait étrangement, si, lorsque nous disons que le droit de consommation presque entier est payé aux raffineurs qui travaillent pour l’exportation, on comprenait que nous disons que, dans cette opération, ces industries ont pour bénéfice tout le montant de ce qui leur est payé par le consommateur ; telle n’est pas notre pensée. Le bénéfice dépend du résultat général de l’opération d’importer, de raffiner, d’exporter et de vendre à l’extérieur, et quand bien même ce résultat serait une perte ruineuse non seulement pour quelques exportants, mais même pour tous les exportants, cette circonstance n’empêcherait pas que le droit payé par le consommateur n’eût été sacrifié dans cette opération par ceux qui l’entreprennent.
Messieurs, c’est ici la place de présenter une des principales objections des raffineurs de sucre exotique. Tout le monde est donc d’accord, disent-ils, que le sacrifice imposé au consommateur contourne bien plus à l’avantage de l’opération générale de raffinage et d’exportation qu’au bénéfice individuel de citoyens qui se livrent à cette opération, mais vous exagérez démesurément le sacrifice du consommateur.
En effet, poursuivent-ils, pour démontrer combien grand est ce sacrifice, vous citez la différence du prix de consommation et d’entrepôt des sucres candis, pains et lumps ; différence énorme en réalité ; mais le sucre raffiné consommé en Belgique ne consiste pas seulement en candis, en pains et en lumps ; il consiste aussi en vergeoises ou sucre en poudre, qualité qui ne reçoit qu’un drawback égal au droit d’accise sur le sucre brut ; il consiste encore en mélasse ou sirop qui ne reçoit aucun drawback.
N’est-il pas évident que la situation dans laquelle la loi place ces deux dernières espèces de sucres, les force en quelque sorte à être consommés en Belgique ? Or, comme il est impossible de produire des lumps, des pains et des candis, sans produire en même temps des vergeoises et de la mélasse, il résulte naturellement que plus considérable est la quantité produite de ces premières qualités, plus considérable aussi est la quantité produite des secondes. Et comme la quantité produite des candis, des pains et des lumps est immense relativement à la consommation de la Belgique, il résulte que la quantité produite de vergeoises et de mélasse est immense aussi ; et comme ces deux dernières qualités ne peuvent guère s’exporter, le prix n’en doit-il pas baisser à l’intérieur dans la proportion des quantités qui y sont offertes, et n’y sont-elles pas offertes dans la proportion que l’exportation des candis, des pains et des lumps est considérable ?
Et remarquez bien que ce sont les classes inférieures de la société qui consomment le sucre en poudre et la mélasse. Ces classes se trouvent donc très favorisées par la loi actuelle.
Elles profitent des sacrifices imposés aux classes supérieures qui consomment le sucre en pain et le sucre candi. Si d’un côté les consommateurs riches sont frappés, la consommation du pauvre en est d’autant allégée.
Et à ceux, disent-ils encore, qui prétendent que le vœu du législateur est trompé parce que la loi d’accise sur le sucre ne produit presque rien au trésor, n’est-ce pas l’occasion de demander s’ils prouveraient bien, eux, que ce vœu n’était pas le résultat obtenu aujourd’hui par la loi, celui de porter au haut degré qu’elle a atteint l’industrie des raffineries, de créer par là un immense commerce extérieur ; et ce résultat, de l’obtenir en chargeant la consommation des classes riches pour favoriser d’autant celle des classes pauvres, de manière qu’il y eût en quelque sorte compensation, et que la somme de privation imposée à la nation considérée en masse ne fût pas plus forte que si la loi n’existait pas ?
Messieurs, les observations des raffineurs que nous venons de présenter dans toute leur force n’ont de valeur que lorsqu’on les reçoit sans réfléchir. D’abord nous ne sommes pas bien d’accord que c’est favoriser les classes pauvres que de rendre rares les subsistances délicates, pour rendre communes les subsistances grossières ; que ce serait favoriser les classes pauvres, par exemple, que de doubler le prix de la viande pour baisser de moitié le prix de la pomme de terre. Quoi qu’il en soit de cette question qui ne peut être traitée ici, est-ce à nous qui connaissons la différence des prix en entrepôt et en consommation des sucres candis, pains et lumps, est-ce à nous qu’on persuadera que cette énorme différence n’impose à la nation aucune charge, et qu’elle gagne sur la consommation de la mélasse et du sucre en poudre ce qu’elle perd sur la consommation des lumps, des pains et des candis ? La mélasse et le sucre en poudre sont à meilleur marché que si la loi n’existait pas ; cela peut être, mais l’insistance même des raffineurs à soutenir le maintien de cette loi prouve évidemment qu’il n’y a pas de compensation approximative. Si, par la quantité de sucre en poudre et de mélasse que consomme la nation et qu’elle paie trop bon marché, il y avait rachat presque complet de ce qu’elle paie en trop sur sa consommation de candis, de pains et de lumps, évidemment les raffineurs n’auraient pas d’intérêt à l’existence de la loi, et tous les efforts qu’ils font pour la maintenir seraient inexplicables.
Ces efforts s’expliquent fort bien, répondent-ils, sans qu’il soit besoin de nous supposer un grand bénéfice sur le consommateur. Tout travail bien ordonné, toute entreprise conduite avec intelligence ne procurent-ils pas une rémunération, un salaire, et le raffinage du sucre comme toute autre industrie bien conduite jouit de ce salaire. N’est-il pas naturel que nous tâchions d’empêcher la destruction de l’industrie du raffinage, et d’autant plus que les instruments de travail, c’est-à-dire les capitaux que nous y avons engagés, sont immenses ? Ils sont proportionnés à la faculté d’exporter qui a été créée par la loi, et comme abolir la loi c’est détruire notre industrie et nos capitaux, il n’est pas nécessaire de nous supposer un grand bénéfice sur la masse de la consommation intérieure pour comprendre l’intérêt que nous avons à son maintien.
Et quant à ce bénéfice dont on a fait tant de bruit, les raffineurs de Gand, dans leur pétition du 5 janvier dernier, ont démontré par des calculs ce que la nation considérée en masse payait réellement en impôt sur le sucre. Voici l’analyse de ces calculs.
Ils admettent, pour faire une large part aux exigences, en protestant contre toutes les conséquences que l’on voudrait tirer de cet aveu, que le sucre brut donne 70 p. c. de candi, pains e lumps. Pour obtenir ce produit, il faut employer le sucre le plus riche ; c’est le Havane blond, et c’est celui qui est le plus généralement employé.
100 kil. de ce sucre soumis au raffinage donnent les produits suivants : 70 kil. candi, pains et lumps ; 10 kil. sucre en poudre ou vergeoises, 15 kil. sirop ou mélasse, 5 kil. de déchet ou freinte, c’est-à-dire sont anéantis.
Or, dit la pétition de Gand comme une exportation de 55 kil. de candis, pains et lumps, nous décharge du droit de consommation, il est naturel de supposer cette quantité exportée, et que tout le restant des produits du raffinage des 100 kil. de sucre brut est consommé dans le pays ; ainsi : 55 kil. de candi, pains et lumps, sont exportes ; 15 kil. de candi, pains et lumps sont consommés à l’intérieur ; 10 kil. de sucre en poudre sont consommés à l’intérieur ; 15 kil. de sirop ou mélasse sont consommés à l’intérieur ; 5 kil. de déchet.
Le prix d’achat du sucre brut et les prix de vente en entrepôt et en consommation, c’est-à-dire le prix de vente à l’étranger et à l’intérieur vous donneront la juste mesure des bénéfices des raffineurs et des sacrifices imposés à la nation par la loi d’accise.
L’achat de 100 kil. de sucre brut havane blond, droit de douane compris, est de 36 fl. 51.
(Remarquez que le prix de vente se compte en livres d’Anvers ; 100 kil. équivalent à 213 d’Anvers.)
Le prix moyen des candis, pains et lumps en entrepôt est de 20 fl. les 100 liv. d’Anvers.
Le prix moyen de ces qualités de sucre en consommation est de 21 fl.
Le prix du sucre en poudre en consommation est de 21 fl.
Et enfin le prix de la mélasse est de 7 fl.
Les 55 kil., ou 117 liv. d’Anvers, candi, pains et lumps exportés, produisent donc 23 fl. 40 ;
Les 15 kil. ou 32 liv. de candi, pains et lumps consommés à l’intérieur, 11 fl. 20 ;
Les 10 kil. ou 21 liv. de sucre en poudre consommés à l’intérieur ; 4 fl. 41 ;
Les 15 kil. ou 32 liv. de sirop ou mélasse consommés à l’intérieur ; 2 fl. 24 ;
Les 5 kil. ou 11 liv. déchet ou freinte, 0 fl.
Ensemble (consommés à l’intérieur) : 17 fl. 85
Total : 41 fl. P.-B. 25
Vous avez remarqué, continuent les raffineurs de Gand, que 100 kil. sucre brut Havane blond nous coûtent 36 fl. 51 c. et la vente des produits raffinés de ces 100 kil. ne sont payés que 41 fl. 25 c. Nous devons donc prendre dans une somme de 4 fl. 76 les frais de fabrication et tous nos bénéfices. Vous serez convaincus que ceux-ci ne peuvent être considérables.
De tous ces chiffres ne résulte-t-il pas, poursuivent-ils, que le consommateur belge, c’est-à-dire la nation considérée en masse, ne paie guère le sucre plus cher que si aucun droit n’existait sur cette denrée ? En effet :
Les 55 kil. vendus à l’étranger sont payés 23 fl. 48, ou 42 cts (54 c.) le kil.
Les 40 kil. consommés à l’intérieur sont payés 17 fl. 85 c. ou 44 cts (65 c.) le kil.
Les 95 kil. réunis ensemble sont payés 41 fl. 25 ou 43 cts (43 c.) le kil.
Ainsi, dit la pétition de Gand, la loi fait payer par kilogramme ce que la Belgique consomme de sucre : 44 cents 63 centièmes, ce ne serait pas possible de lui fournir si la loi n’existait pas, à moins de 43 cents 43 centièmes une différence de 1 cent. 22 c. par kil. Voilà l’impôt dont on fait tant de bruit, et valait-il seulement la peine qu’on en parlât ?
Messieurs, il est arrivé dans cette question ce qui arrive dans tant d’autres, c’est qu’en soutenant obstinément une thèse absurde on parvient d’ordinaire à en démontrer soi-même l’absurdité. C’est ce qui arrive encore ici aux raffineurs au moyen des calculs de la pétition de Gand. Et en effet, ces calculs et les conséquences qu’on en tire sont si étranges que nous nous sommes longtemps demandé s’ils n’étaient pas une dérision.
D’abord pour parvenir au résultat qu’ils imaginent obtenir de leurs chiffres, les raffineurs de Gand distribuent arbitrairement la consommation des différentes espèces de sucre et d’une telle manière que l’inexactitude de cette distribution frappe à l’instant l’œil le moins exercé.
A qui fera-t-on croire, par exemple, que la Belgique consomme autant de kilog. de mélasse (ce qu’on nomme vulgairement du sirop de boulanger) qu’elle consomme de kilog. de candi, de pains et de lumps réunis ensemble ? C’est pourtant ce qu’il faut pouvoir se figurer pour comprendre leurs calculs ; mais admettons toutes les données qui en forment la base, admettons que la Belgique consomme 24 kilog. de mélasse et de sucre en poudre réunis, pendant le temps qu’elle consomme 14 kilog. de candi ; pains et lumps réunis ; admettons que les frais de fabrication et les bénéfices légitimes doivent être portés à 4 fl. 76 par 100 kilog. ; admettons enfin sans restriction toutes les bases de calculs des raffineurs, considérons-les comme vraies, inattaquables, quelque fausses et étranges qu’elles nous paraissent.
Avec ces bases nous obtiendrons pour résultat, il est vrai, que 40 kilog. des trois espèces de sucre consommés à l’intérieur, considérés comme ne formant qu’un tout, qu’un seul sucre, sans distinction de la valeur des trois espèces qui concourent à former ces 40 kilog., ne coûteront au consommateur que 1 cent vingt-deux centièmes par kilog. de plus que si la loi n’existait pas ; comptant toutefois pour rien aussi, dans le cas où la loi n’existerait pas, la différence de valeur des espèces de sucre consommées.
Et parce qu’on obtient un pareil résultat, n’est-ce pas une déception, une moquerie que de conclure que la nation n’est imposée par la loi que d’un cent vingt-deux centième par kilog., c’est-à-dire que sur une consommation de dix millions de kilog, elle n’est réellement chargée que de la légère somme de 122,000 fl. ?
Etrange conséquence qu’on obtient en confondant toutes les espèces de sucre, en supposant qu’il est indifférent que la nation considérée en masse consomme pour le même prix une grande quantité de mélasse et une petite quantité de candi, pains et lumps, ou une grande quantité de candi, pains et lumps, et une petite quantité de mélasse. Et cependant, d’après les prix que les raffineurs donnent eux-mêmes, le consommateur, c’est-à-dire la nation considérée en masse, estime les candis, pains et lumps 35 fl., cinq fois plus que la mélasse qu’il n’estime que 7 fl. C’est-à-dire que le consommateur estime autant le kil. de candi, pains et lumps que le kil. de mélasse. Evidemment donc, en réunissant les prix de ces espèces de sucre pour n’en former qu’un seul prix de sucre, les raffineurs font le plus singulier calcul qu’on puisse imaginer.
Ils prouvent par ce calcul que le consommateur ne paie le sucre qu’un cent vingt-deux centième plus cher que si la loi n’existait pas, mais ils avaient eu plus de mélasse à leur disposition ; ils pouvaient prouver non seulement que la loi ne le frappe pas, mais au contraire qu’elle le favorise beaucoup ; tout le secret de cette preuve consiste à lui faire consommer beaucoup de mélasse qui selon les raffineurs eux-mêmes vaut 7 florins les 100 livres et très peu de candi, pains et lumps qui valent 35 fl. les 100 livres, et de supposer qu’on n’éprouve aucune perte en consommant pour le même prix ce qu’on estime 7 au lieu de consommer ce qu’on estime 35.
C’est avec un pareil raisonnement que l’on démontrerait que lorsqu’on paie le pain de son aussi cher qu’on paierait celui composé de la plus belle farine, le pain n’est pas augmenté, et cela par l’excellente raison que le pain de son se nomme pain aussi bien que celui de farine, comme la mélasse se nomme sucre aussi bien que le plus beau candi.
Les calculs des raffineurs de sucre qui tendaient à prouver que la nation n’est chargée par la loi d’accise que d’un cent vingt-deux centième par kilog. sont donc dénués de toute apparence de raison, mais du moins ils ont pour nous un avantage, c’est celui de nous présenter des chiffres ; nous les acceptons tous, quelque favorables que pour eux ils puissent être ; ils nous conduiront à connaître ce que d’après eux-mêmes la loi d’accises coûte au consommateur.
Nous admettons que tous leurs calculs qui tendent à prouver que si la loi n’existait pas, ils fourniraient l’ensemble de leurs produits à 43 florins 43 cents les 100 kil. ; mais en quoi consiste l’ensemble de leurs produits, quels sont les produits qu’ils fourniraient au consommateur pour 43 fl. 43c. si la loi n’existait pas ?
Cet ensemble ne se compose-t-il pas, selon les raffineurs, de 95 parties, dont 70 en candis, pains et lumps, 10 en sucre en poudre et 15 en mélasse
Eh bien, ce sont ces 95 parties distribuées proportionnellement pour faire un poids de 100 kil., que les raffineurs disent qu’ils fourniraient pour 43 fl. 43 c. si la loi n’existait pas.
Maintenant que la loi existe, combien coûtent au consommateur, d’après le prix que les raffineurs donnent eux-mêmes, 100 kil. de sucre composés de ces 95 parties ? Ils coûtent 61 fl. 9 c. En voici le détail :
70 kil. ou 149 liv. d’Anvers, candi, pains et lumps, à 35 fl., 52 fl. 15
10 kil. ou 21 liv., sucre en poudre, à 21 fl., 4 fl. 41.
15 kil. ou 32 liv., mélasse, à 7 fl., 2fl. 24.
En tout, 58 fl. 80 c., ce qui pour 100 kil. fait 61 fl. 09 c.
Et les raffineurs démontrent que si la loi n’existait pas, ils livreraient les 100 kil. de sucre composés de 95 parties ci-dessus détaillées, à 43 fl. 43 c.
Différence : 17 fl. 66 c.
Ce n’est donc pas d’un cent vingt-deux centième, mais le dix-sept cent soixante-six centièmes par kil. de sucre, dont est frappé le consommateur ; et si la consommation de la Belgique est de 10 millions de kil., ce n’est pas de 122.000 fl. dont elle et annuellement frappée par la loi, mais de 1,760,00 fl. Ce sont les chiffres des raffineurs de Gand qui le démontrent à l’évidence.
Est-il encore nécessaire, messieurs, d’insister davantage pour démontrer l’absurdité des raisonnements qui tendent à prouver que le kil. de sucre n’est imposé par la loi que d’un cent vingt-deux centième par kil. ? Comment s’imaginer que les raffineurs, après avoir établi eux-mêmes le prix des différentes espèces de sucre, dont les unes se paient cinq fois plus que les autres ; comment s’imaginer qu’ils aient tenté de persuader que la nation n’éprouve aucune perte en consommant pour le même prix :
35 25/40 kil. de sucre candi, pains et lumps, qui valait 35 f. les 100 liv. d’Anvers
23 30/40 kil de sucre en poudre qui valait 21 f. les 100 liv. d’Anvers
35 25/40 kil. de sucre en mélasse qui valait 7 f. les 100 liv. d’Anvers ;
Au lieu de consommer :
70 kil. de sucre candi, pains et lumps, qui valait 35 f. les 100 liv. d’Anvers
10 kil de sucre en poudre qui valait 21 f. les 100 liv. d’Anvers
15 kil. de sucre en mélasse qui valait 7 f. les 100 liv. d’Anvers.
Cette tentative est inexplicable.
Messieurs, les raffineurs ont fait de faux raisonnements, mais tous leurs aveux restent acquis à la discussion, et c’est pour les livrer aux débats que, le premier, nous avons pris la parole. Ces aveux sont d’autant plus importants à vous être déférés que le rapport de la commission n’en parle pas. Vous ne les perdrez pas de vue, messieurs, quelques efforts que l’on fasse pour donner le change sur ce point ; vous vous souviendrez que les raffineurs ont prouvé d’une manière irréfragable, au moyen de bases qu’eux-mêmes ont choisies, que si la loi n’existait pas, l’ensemble de leurs produits coûterait 43 fl. 43 cents les cent kilogrammes, et qu’ils ont prouvé qu’au moyen de la loi d’accise, le consommateur est chargé au profit des raffineries d’un impôt de 17 cents 66 centièmes par kilogramme.
En augmentant le chiffre de ce qu’on appelle le rendement, vous restituerez au trésor ce que les raffineurs reçoivent en sa place, et cette restitution aura naturellement lieu dans la proportion de l’élévation du chiffre. En le portant à 70 comme les raffineurs de Gand eux-mêmes l’ont porté, vous serez sans doute bien au-dessous du rendement réel. Car l’intérêt de ces industriels était de démontrer que la nation ne souffrait pas beaucoup de la loi d’accise, et moins le chiffre était élevé, plus la démonstration était donnée.
Quant au sucre indigène, on ne peut l’atteindre par le système de la loi qui nous régit. Une loi spéciale, dont nous a déjà entretenus M. le ministre des finances, est nécessaire pour l’imposer.
M. Verdussen. - Messieurs, comme il est naturel que tous les discours qu’on entend en dernier lieu font toujours le plus d’impression, je me permettrai, avant d’entrer dans la discussion générale, de répondre un seul mot à une assertion qui vient d’être émise par l’honorable M. Pirmez.
M. Pirmez a dit que c’est un aveu échappé aux raffineurs de Gand, qu’ils tirent 70 kilog. de sucres en pains, candis et lumps, 10 kil. de sucre en pondre, 15 kil. de sirop et 5 kil. de déchet.
Vous n’avez, messieurs, qu’à jeter les yeux sur la page 7 de la pétition des raffineurs de Gand, et vous serez convaincus que ces raffineurs n’ont pas fait un aveu, mais qu’ils se sont placés dans une hypothèse. Voici ce qu’ils ont dit :
« Pour faire une large part aux exigences des personnes qui attribuent à notre fabrication des rendements extraordinaires, nous prendrons ici celui de 70 p. c. de sucre en pains, candis et lumps, fixé en France par la loi du 20 avril 1835 ; mais nous protestons d’avance contre les conséquences que l’on pourrait tirer de ce chiffre, auquel les procédés même les plus nouveaux ne nous permettent pas d’atteindre. »
Vous voyez donc, messieurs, que M. Pirmez a jugé à propos de se créer un cheval de bataille, afin d’avoir un moyen de combattre.
Messieurs, le projet de réviser la législation sur les sucres amène devant la chambre une des questions commerciales les plus graves et les plus compliquées dont elle puisse s’occuper. Son importance est suffisamment prouvée par les nombreux écrits qui ont été récemment publiés sur cette matière, et par la diversité des intérêts qui s’y rattachent. La navigation marchande, et, par elle, toutes les industries du pays ; notre admission aux marchés étrangers pour les produits de nos raffineries ; une nouvelle source de prospérité ouverte à l’agriculture ; des milliers d’ouvriers et de cultivateurs ; les revenus publics et les égards dus aux consommateurs d’une denrée devenue indispensable : tels sont les intérêts liés à la question qui va nous occuper, et qui, par conséquent, embrasse dans ses ramifications le pays entier.
On ne me supposera pas la ridicule prétention de traiter à la fois tant de matières diverses : mon intention n’est même pas d’en approfondir une particulièrement dans cette discussion générale, comme l’a déjà fait avec quelqu’étendue le premier orateur qui a parlé aujourd’hui sur la question ; je ne saurais pas davantage aborder les amendements que vient de nous communiquer M. le ministre des finances ; mais je chercherai à jeter quelque lumière sur des points devenus plus ou moins familiers aux membres de cette assemblée, et que trop souvent on leur a présentés dans un faux jour. Je chercherai à détruire l’impression que peuvent avoir faite sur leur esprit des assertions inexactes, répétées à tout propos, et dont la réfutation immédiate n’était guère possible, sans s’écarter du règlement de la chambre et sans blesser les convenances parlementaires.
Parmi les erreurs que je crois devoir relever, il en est quelques-unes auxquelles les organes mêmes du gouvernement ne sont pas restés étrangers. C’est ainsi que je signalerai une contradiction frappante qu’on rencontre dans deux documents émanés du même ministère, et qui semble indiquer que jusque dans les bureaux du département des finances, on n’a pas des notions très précises ni des idées bien arrêtées sur la question des sucres exotiques. Pour justifier ce reproche, je n’ai qu’à comparer les tableaux C et D, annexés au rapport de l’honorable M. Desmaisières, avec un état des importations, transits et exportations des sucres, opérés en 1835 et une partie de 1836, pièce que M. le ministre des finances a présentée à la chambre dans sa séance du 19 décembre 1836 et qui porte le n°42 de ses imprimés. Ce dernier tableau tend à indiquer la quantité de sucre brut destinée à la consommation intérieure de la Belgique, et pour arriver à la connaître, on y déduit du chiffre de l’importation celui des sucres raffinés qui ont été exportés, avec une augmentation de vingt pour cent sur le poids exporté, ce qui est tout à fait contraire à la vérité et au système des tableaux Cet D susmentionnés. Sur quoi, en effet, repose cette augmentation de 20 p. c. ? Croit-on, par hasard, au ministère des finances, que le sucre brut soumis au raffinage perd, par cette opération, seize à dix-sept pour cent de son poids, ce qui justifierait la majoration des 20 p. c. sur le sucre non raffiné pour obtenir la quantité de la matière brute ? Une erreur de cette nature pourrait être commise par des personnes qui ne savent pas et qui ne doivent pas connaître en quoi consiste le raffinage du sucre, mais il est inconcevable que le gouvernement publie deux pièces contradictoires qui nous laissent dans le doute sur sa véritable opinion au sujet d’une question aussi grave, à laquelle les intérêts généraux du pays se trouvent intimement liés. En voyant une méprise aussi majeure, je ne m’étonne plus d’avoir entendu déraisonner sur le rendement du sucre brut et sur le déchet que donne le raffinage, et j’éprouve le besoin de préciser quelques faits qui, je l’espère, ôteront un peu de la confusion qui jusqu’ici a régné dans les idées de la plupart des membres de cette chambre qui ont parlé sur la matière.
La première opération que subit le sucre brut est d’être fondu afin de pouvoir être clarifié et débarrassé des matières hétérogènes qu’il renferme. Le montant du déchet qui est le résultat de la clarification varie selon la qualité de la marchandise : tel sucre très commun perd jusqu’à 8 p. c. de son poids, tandis que tel autre sucre but, blanc et sec, donne à peine 2 p. c. de déchet : terme moyen, on peut évaluer à 5 p. c. la perte que fait le raffineur par la clarification sur le poids de la matière première, et cette perte constitue le seul véritable déchet du sucre. Les tableaux C et D dont j’ai déjà parlé, confirment cette vérité. C’est donc sans aucune raison que nous avons entendu parler d’un déchet de 16, de 20, de 30, voire même de 45 p. c., et ceux qui ont tenu un pareil langage n’ont prouvé que leur parfaite ignorance, malgré le ton d’assurance avec lequel ils nous l’ont tenu. Mais ce serait une erreur non moins grande de croire que les 95 p. c. de sucre clarifié qui restent au raffineur, peuvent en totalité être transformés en pains, en candis ou en lumps ; non, messieurs, ces 95 p. c. renferment nécessairement une certaine quantité de sirop commun dit mélasse, une partie de sucre en poudre dit vergeons, et une quantité plus ou moins forte de sucre fin propre à l’exportation, avec la grande décharge des droits d’accise. Il n’est donné à qui que ce soit d’indiquer les proportions exactes de ces divers rendements qui varient à l’infini non seulement d’après la différence des sucres bruts qu’on a travaillés, mais encore selon le degré de talent du raffineur. Toujours est-il que le premier produit du sucre clarifié, soumis au raffinage par l’ébullition et d’autres opérations, consiste en sucre candi ou sucre en pains, et qu’ordinairement ce n’est qu’à la suite de la seconde ou de la troisième décoction qu’on obtient les gros pains dit lumps, qu’un de mes honorables collègues a néanmoins déclaré n’avoir reçu qu’un raffinage.
La chambre me pardonnera, je l’espère, d’entrer dans ces détails. J’ai pensé que la connaissance de quelques faits incontestables n’était pas tout à fait inutile pour imprimer à la discussion ce ton de vérité qui ne devrait jamais lui rester étranger et afin de la débarrasser de ces exagérations ridicules qui tendent à l’égarer. En effet, à quoi bon soutenir d’une part que le sucre brut soumis au raffinage éprouve une perte énorme, erreur démentie chaque jour par l’expérience ? Et que sert-il d’affirmer d’autre part que le sucre brut ne subit aucun déchet à la clarification, ou d’insinuer avec les auteurs de la pétition insérée au Moniteur du 18 décembre 1836, que le raffineur, après avoir obtenu la restitution de l’impôt par l’exportation de 22 1/2 kil. de sucre raffiné verse encore, sans droits, dans la consommation une pareille quantité de sucre, ce qui tend à établir que le raffinage donne un excédant de poids de 11 p. c. sur le sucre brut ? A quoi bon avancer qu’on peut raffiner du sucre sans produire en même temps une certaine quantité, même assez notable, de mélasse et de sucre en poudre, d’où la mélasse découle ?
Cette proposition, messieurs, n’est pas moins ridicule que celle de soutenir qu’on peut bluter de la farine sans produire de son. Et c’est pourtant là la conséquence de l’amendement proposé par M. Dumortier, puisqu’il a supposé qu’on peut tirer jusqu’à 90 kil. de lumps d’un quintal de sucre brut ! Les notions les plus simples et l’expérience journalière n’ont malheureusement pas réussi jusqu’ici à faire justice entière de ces exagérations démesurées ; c’est ce qui m’a engagé à élever aussi la voix pour les combattre, ainsi que d’autres erreurs, répandues par l’ignorance ou la mauvaise foi, et parmi lesquelles j’en distingue surtout une qui me paraît plus dangereuse que les autres, à cause de l’apparence de vérité dont elle est revêtue, ce qui peut avoir contribué à la faire accueillir trop légèrement par des hommes intègres et impartiaux.
Cette erreur consiste dans ce point-ci : on dit : « Le législateur de 1829 a frappé le sucre brut d’un droit d’accise de 37 centimes le kilogramme ; or le droit d’accise est un droit de consommation, donc chaque kilogramme de sucre raffiné, consommé en Belgique, doit produire au trésor 37 centimes. » Eh bien, messieurs, quelque simple, quelque naturel que paraisse ce raisonnement, il est faux en tout point, en fait comme en droit. D’abord il repose sur cette supposition toute gratuite, que cent kilog. de sucre donnent cent kilog. de produits raffinés, et nous avons déjà établi que la matière brute perd au raffinage, terme moyen, 5 pour cent de son poids ; sous ce rapport donc, et dans l’opinion même de nos contradicteurs, ils n’ont pas été assez loin, et dans leur propre système ils auraient dû dire que chaque kilogramme de sucre raffiné, mangé dans le pays, devait tout au moins produire au fisc 39 centimes, ou davantage encore, selon le plus ou moins de déchet qu’ils supposent devoir provenir du raffinage.
En droit, le raisonnement que nous combattons est plus sophistiqué encore, et loin de s’appuyer sur la législation existante, je m’attacherai à prouver qu’il n’est ni dans le texte, ni dans l’esprit, ni dans le résultat de la loi.
Pour rendre le système de nos adversaires plus ou moins soutenable, la loi de 1829 devrait se borner au seul article qui frappe le sucre brut d’un impôt de 37 francs par quintal ; mais comme on ne peut admettre de raisonner sur un article isolé de la loi sans prendre celle-ci dans son ensemble, on nous permettra de rappeler que la disposition législative qui établit le droit de 37 fr. à l’importation du sucre brut, établit aussi la décharge du sucre raffiné fin, en cas d’exportation, non pas au taux de la prise en charge, mais approximativement au taux de 67 fr. le quintal. Devant ce taux différentiel, devant le seul rapprochement de ces deux chiffres, tombe tout l’échafaudage du raisonnement de nos adversaires.
Si le législateur avait établi le drawback à la sortie sur le même pied que la prise en charge à l’importation, c’est-à-dire à 37 fr. les 100 kilog.. et si en même temps il avait décrété que cette décharge de droit serait accordée sur toute espèce de sucre raffiné sans distinction de qualité, c’est-à-dire aussi bien sur le sucre candi ou en pains que sur la mélasse, alors, mais seulement alors, on pourrait soutenir, avec plus ou moins de raison, que chaque kilogramme de sucre raffine, consommé dans le royaume, doit payer au trésor ses 37 centimes. Le raisonnement ne serait pas tout à fait exact, à cause du déchet que subit le sucre brut par le raffinage ; mais au moins il approcherait de la vérité.
Si d’un autre côté la loi avait assis l’impôt, non sur le sucre brut, mais sur le raffiné, et si par exemple elle avait suivi le débit de celui-ci chez le détaillant, en frappant indistinctement tous les produits du raffinage, l’opinion de nos adversaires pourrait encore, avec un pareil système, être admise ; mais rien de tout cela n’existe dans la loi, le contraire y est formellement tracé, et dès lors il est évident que de son texte il ne résulte aucunement que toutes les sortes de sucres raffinés sont frappées d’un droit uniforme de consommation.
Mais cela résulte-t-il de l’esprit de la loi ? Pas davantage.
Quiconque veut réfléchir sérieusement sur la différence établie dans la loi entre le chiffre du droit du sucre brut à l’importation, et celui de la restitution à l’exportation du sucre raffiné fin, y trouvera la preuve de la vérité de ce que j’avance. En effet, lorsqu’on considère que, sur cent kilogrammes de sucre introduit, il suffit d’exporter environ 55 kil. pour annuler la dette que l’introducteur a contractée envers l’Etat, et pour faire ainsi disparaître la totalité du droit d’accise, il est notoire que l’intention du législateur de 1829 a été que, l’exportation une fois opérée, le restant, soit 45 p. c. du quintal de sucre brut, fût affranchi de tout impôt et livré sans charge à la consommation de l’intérieur, car on ne peut supposer des absurdités dans les vues du législateur ; on ne peut croire qu’après avoir libéré son débiteur, il ait eu le projet de laisser agir celui-ci à l’égard du consommateur comme si la dette existait encore ; ce serait là le comble de l’inconséquence et si cela est incontestable dans l’hypothèse de l’exportation totale des 55 kilog. de sucre fin, cela reste encore relativement vrai avec un moindre chiffre d’exportation.
En effet, supposons que le raffineur, pris en charge pour 37 francs, n’exporte que 25 kilogrammes de sucre fin, sur lesquels le fisc lui accorde une décharge à raison de 67 fr. le quintal, il se verra crédité pour 16 fr. 75 c., et ne devra donc plus au trésor que la somme de 20 fr. 25 c. sur les 75 kilog. (déchet compris) qui lui resteront de son quintal de sucre brut, ce qui fait seulement 27 c. par kilog., et c’est à ce taux que, dans l’opinion que je combats, le consommateur devrait payer le droit dans l’exemple donné. Si maintenant je suppose que le raffineur exporte jusqu’à 40 kilog. de sucre fin, la proportion change tout à fait, et les 60 kilog. restants ne seraient plus imposés qu’à raison de 17 c. le kil. C’est ainsi que chaque fois que le nombre des kilog. exportés par le raffineur viendrait à changer, celui-ci pourrait varier aussi son prix de vente sur la partie de marchandise qui lui reste. Un pareil système mène à l’absurde, il blesse la saine raison, et tout homme sensé doit demeurer convaincu de cette vérité, très importante pour le point en discussion, que le but du législateur de 1829 a été de n’atteindre dans chaque quintal de sucre brut que les 55 1/2 kil. de sucre fin raffiné qu’il a supposé pouvoir en être tirés. S’est-il mépris dans ce calcul de rendement, c’est ce que nous n’examinerons pas dans ce moment, parce que cela est étranger au point spécial qui nous occupe. J’ai voulu simplement prouver ici que le but du législateur de 1829 n’a pas été d’imposer spécialement chaque kil. de sucre raffiné, mais seulement 55 kil. environ sur les 95 kil. de sucre clarifié que fournit, terme moyen, un quintal de matière brute et d’exempter de tout droit les 40 autres kilog. qui forment les produits communs du raffinage et servent plus particulièrement à la nourriture de la classe inférieure de la société. Le projet de faire ainsi peser sur la classe aisée tout le fardeau du droit d’accise, et d’en exempter le consommateur peu fortuné, a été couronné d’un plein succès, et l’événement a prouvé que le but qu’on s’est proposé a été atteint. C’est le point qu’il me reste à établir.
Pour prouver que l’effet de la loi de 1829 a été conforme à l’attente de la législature de l’époque ; en d’autres termes, que les produits communs du raffinage du sucre de cannes sont réellement livrés à la consommation libres de droits, je n’ai qu’à vous mettre sous les yeux les prix de consommation du sirop de mélasse en regard de ceux du sucre candi et en pains : les prix courants des marchandises sur la place d’Anvers, font foi que très souvent le sirop commun se traite sur ce marché au prix de 25 à 30 escalins les cent livres, ancien poids d’Anvers ce qui équivaut à 34 et 40 francs environ les cent kilog. ; ainsi, terme moyen, 37 fr., ou précisément le montant du droit d’accise sur cent kilog. de sucre brut. Ce seul fait, que tout le monde peut vérifier, suffit pour démontrer jusqu’à quel point il est inexact de dire que chaque kilog. de sucre raffiné consommé en Belgique doit payer au trésor public 37 centimes, puisque dans ce cas il ne resterait rien au raffineur de a vente du sirop.
Une autre preuve du fait que j’avance, je la puise dans les conditions de vente du sucre raffiné sur le marché d’Anvers ; là, les transactions pour les candis, les pains et les lumps se font toujours sur les prix en entrepôt, et, si l’acheteur déclare qu’il destine la marchandise à la consommation du pays, alors on augmente le prix de la vente, en entrepôt, du montant du droit d’accise, à raison de 67 fr. par 100 kilog., tandis que les produits communs du raffinage, qui comprennent les sucres en poudre, dit vergeoises, et le sirop de mélasse, se vendent toujours à un seul et même prix, celui de la consommation.
Après avoir démontré qu’il est contraire au texte de la loi de 1829 de prétendre que tous les produits du raffinage du sucre exotique doivent indistinctement fournir au trésor leur part des droits d’accises ; après avoir prouvé qu’il n’entrait nullement dans l’intention du législateur qu’il en fût ainsi ; enfin, après avoir justifié ces assertions par l’effet qu’a eu, et que devait naturellement avoir, la législation sur la matière, je me bornerai, pour le moment, à tirer de tous ces faits une seule conséquence, utile au point que je discute, que, pour évaluer le montant que le trésor est en droit d’attendre de la consommation du sucre exotique, il ne suffit pas de connaître la quantité globale qu’en réclame la Belgique, mais il faut rechercher pour quelle part entre dans cette quantité générale le sucre fin, qui, s’il avait été exporté, aurait joui de la haute décharge.
Je vais tâcher d’indiquer approximativement ce chiffre, en n’appuyant mes calculs que sur des documents fournis à la chambre ; et si je parviens à prouver que le sucre fin n’entre pas dans la consommation totale du pays dans la proportion de 55 p. c., j’aurais aussi prouvé qu’il est inexact de dire que la consommation du sucre exotique en Belgique a dû annuellement fournir au trésor près de quatre millions de francs.
C’est à la quantité de dix millions de kilogrammes qu’on évalue communément la consommation du sucre dans notre pays ; il y a des motifs de croire que cette estimation ne s’éloigne pas beaucoup de la vérité. En effet, nous trouvons au tableau littera I, page 65 du rapport de la commission, que la moyenne de l’importation de sucre exotique des années 1834, 1835 et 1836 s’élève à environ 21,757,000 kil.
Cette quantité soumise au raffinage perd environ 5 p. c. de son poids, soit 1,087,000 kil., comme l’indique la moyenne des tableaux C et D, pages 54 et 55 ; il reste donc en sucre raffiné de toutes les qualités 20,670,000 kil. ; et nous voyons pas le tableau H, page 91, que la moyenne de l’exportation pendant les exercices susmentionnés est de 10,750,000 kil. : donc la moyenne de la consommation monte à 9,920,000 kil.
Ceci suffit pour la justification du chiffre approximatif de dix millions.
Il nous importe maintenant de chercher quelle est dans les 9,920,000 kilogrammes susmentionnés la quantité de sucre en poudre et de mélasse sur lesquels le consommateur ne doit rien payer pour le trésor, et quelle est la quantité de sucre fin sur lequel l’Etat devrait recueillir régulièrement un droit de 67 fr. les cent kilogrammes.
Quoique personne n’ignore que la presque totalité de l’exportation du sucre porte sur les qualités supérieures, il est néanmoins certain que les qualités communes ainsi que le sucre brut y entrent aussi pour une part. Les renseignements ministériels nous manquent pour pouvoir apprécier ces proportions ; à défaut de documents officiels, j’aurai recours à un mémoire imprimé à Anvers en novembre 1837, qui, au commencement du mois courant, nous a été distribué. Là je trouve, quant à la mélasse au moins, que l’exportation de cette marchandise entre pour 4 p. c. environ dans le chiffre général de l’exportation du sucre ; d’après cette base, la mélasse devrait être comprise dans la moyenne de l’exportation en 1834, 1835 et 1836, pour 40,000 kilog., quantité qui, par conséquent, doit être défalquée de celle du total du sucre commun que le raffinage a produit en Belgique.
Pour connaître ce total, les tableaux fournis par le ministère nous viennent encore en aide, car nous voyons par la moyenne des deux tableaux C et D, déjà cités, que chaque quintal de sucre brut donne environ 39 pour cent de sucre en poudre et mélasse réunis. En appliquant cette proportion aux 21,757,000 kilog. de sucre brut importé par année commune, nous aurons 8,485,000 kilog. de sucre raffiné de qualité inférieure, et quand j’en déduis, pour la mélasse exportée, 430,000 kilog., il s’ensuit que la quantité du sucre commun resté dans le pays pour la consommation monte à 8,055,000 kil. Et par suite le sucre fin qui s’y consomme ne s’élève qu’à 1,865,000 kil., pour parfaire le chiffre général de la consommation, 9,920,000 kil.
Ces 1,865,000 kil. de sucre fin, qui à l’exportation aurait donné droit à la décharge de 67 fr. les 100 kilog., ne devraient par conséquent fournir au trésor que la somme de 1,250,000 fr. environ. Ce qui est loin de celle de quatre millions, dont on a tant parlé, et qui, au dire de quelques-uns de mes honorables collègues, constitue une preuve en faveur de nos raffineurs,
Ici se présente naturellement une objection qui ne manquera pas de m’être faite ; on me dira : « Vos calculs viennent d’établir que le trésor devrait recevoir annuellement 1,250,000 fr., et la recette de l’exercice de 1836 n’a pas atteint le sixième de cette somme ; donc il y a fraude au profit des raffineries de sucre exotique. » A cette observation je réponds sans hésiter : Oui, messieurs, il y a fraude, ou plutôt il y a abus de la loi, dont les dispositions vicieuses ont besoin d’être amendées ; mais ce ne sont pas les raffineurs qui en profilent ; cette fraude, qui se commet à l’aide des transcriptions ou transferts des crédits que les raffineurs n’ont pas été à même d’assurer par 1’exportation de leurs propres produits, tourne à l’avantage de ceux qui s’occupent de l’introduction clandestine du sucre raffiné fabriqué à l’étranger, ou elle tourne à l’avantage des fabricants de sucre de betteraves, qui se créent ainsi une prime des deniers dus à l’Etat, comme je le prouverai en traitant le dernier point de fait dont je m’occuperai dans cette discussion générale.
C’est donc pour terminer, messieurs, que je me permettrai quelques réflexions qui ont trait aux producteurs du sucre indigène.
Rien ne doit nous paraître plus étrange que d’entendre les fabricants du sucre de betteraves mêler leur voix à celle de quelques représentants, lorsque ceux-ci se plaignent de ce que le droit d’accise sur la consommation du sucre exotique ne produit que peu de chose au fisc. A en croire les producteurs de sucre indigène, ils sont vivement intéressés dans la question, leur avenir en dépend, et ils seraient sauvés si le trésor touchait le montant dû légalement par les consommateurs du sucre de cannes. Eh bien, messieurs, cette question des sucres, qu’on vous a présenté comme si facile à résoudre, n’est pas même comprise par ceux qui ont le plus grand intérêt à la connaître, qui déclarent l’avoir étudiée et qui pour vous éclairer, ont été jusqu’à résumer dans un mémoire, daté du 20 janvier 1837, et qui vous a été distribué dans le temps, leurs principaux moyens d’attaque et de défense.
De mon côté, je vais m’attacher à vous prouver que les fabricants de sucre de betteraves n’ont, dans l’état actuel des choses, et malgré le faible produit du droit d’accise sur le sucre exotique, pas à se plaindre de ce qui existe, et qu’au contraire la législation actuelle et la manière dont elle est appliquée leur est tout à fait favorable, et transforme pour eux en véritable prime le drawback qui n’est jamais pour le raffineur que la décharge d’une dette qu’il a contractée. Je ne puiserai les preuves de ce que j’avance que dans les aveux de ceux que je combats.
Pour soutenir la réforme de la loi sur les sucres, ou son exécution d’après l’esprit qu’ils lui supposent, les fabricants de sucre de betteraves s’appuient principalement sur deux grands intérêts : leur propre intérêt et l’intérêt du trésor public. Et comme, en fait d’industrie commerciale, l’égoïsme domine tout, c’est en faveur de leurs établissements naissants qu’ils élèvent d’abord la voix.
Notre industrie, disent-ils, est née sous l’empire d’une protection suffisante ; qu’on fasse rentrer le droit de 57 francs dont les sucres coloniaux sont frappés au quintal métrique, et nous sommes contents de ce droit protecteur (de 50 p. c. environ !). Ainsi, ils avouent que si le consommateur payait le montant de ce droit, pour se procurer le sucre de cannes, ils n’auraient pas à se plaindre. Mais, messieurs, c’est précisément ce qui a lieu, de l’aveu même des fabricants du sucre indigène, puisqu’ils assurent que les raffineurs du sucre étranger jouissent du produit de tout un impôt, que ce commerce est doté de quelques millions, comme M. Dumortier l’a répété aussi vingt fois. Or, la consommation du sucre raffiné en Belgique est évaluée à 10 millions de kilogrammes, ce qui dans l’opinion de nos adversaires doit conséquemment produire au trésor de 3 à 4 millions de francs, chiffre qui répond assez bien aux quelques millions dont on prétend que le raffineur du sucre des colonies est doté.
Cependant, de deux choses l’une : ou le consommateur belge paie cher le sucre de cannes raffiné, et dans ce cas la protection existe pour le sucre de betteraves ; ou au contraire le consommateur belge achète le sucre exotique comme s’il n’était pas grevé de droits, et alors les millions dont on a tant parlé disparaissent. Ces deux faits ne peuvent exister à la fois ; il s’entre-détruisent, et pourtant nos antagonistes soutiennent leur coexistence !
Cette contradiction inconcevable n’est pas la seule dans laquelle ils sont tombés. En suivant leurs arguments, nous trouvons qui l’intérêt du fisc est celui qui, après leur propre intérêt, les touche le plus vivement. Dans leur sollicitude pour le trésor public, ils s’écrient qu’il n’est personne qui ne soit convaincu que le sucre est l’une des matières les plus imposables qui se puissent rencontrer. En faisant une pareille déclaration, les fabricants de sucre indigène ne voient-ils pas que si la législature était aussi pénétrée de cette vérité qu’ils paraissent l’être eux-mêmes, cette conviction serait leur arrêt de mort ? Si le sucre, en thèse générale, est une matière essentiellement imposable, l’extrait de la betterave l’est aussi, et que deviendraient nos fabriques nouvelles si, à l’instar de ce qui se pratique en Angleterre, leurs produits étaient frappés d’un droit égal à celui qui pèse sur le sucre provenant des îles ? Enfin, c’est pour enrichir le trésor national, disent nos fabricants de sucre indigène, qu’ils réclament la rentrée de l’impôt existant, et en même temps tous les efforts tendent, ils ne le cachent pas, à remplacer par leurs produits le sucre de cannes qui seul est frappé de cet impôt. S’ils atteignaient le but auquel ils visent ; si l’usage du sucre exotique était banni de la Belgique, de quel revenu jouirait alors le trésor ? D’aucun. Et le consommateur ne profiterait pas non plus de la détresse du fisc, car tout le monde sait que les fabriques nouvelles ont besoin d’un droit de 50 p. c. pour soutenir la lutte avec le prix de consommation du sucre exotique.
Je ne vous fatiguerai pas, messieurs, de l’énumération de tous les contre-sens, de toutes les absurdités dont fourmille le mémoire que j’ai mentionné ; et je me hâte d’en venir à la démonstration de cet autre fait que j’ai avancé, que les fabricants de sucre indigène trouvent dans la législation actuelle le moyen de s’approprier une véritable prime, et que c’est au moyen du transfert de la prise en charge d’un raffineur de sucre exotique qu’ils peuvent s’appliquer la jouissance de cette faveur.
Permettez, messieurs, que je m’arrête ici un moment pour expliquer de nouveau en quoi consiste ce transfert ; car, à en juger d’après ce que j’ai entendu dire dans cette enceinte, peu de personnes savent comment cette opération a lieu.
Vous savez tous que le sucre de cannes, au moment qu’il est livré au raffinage, est frappé d’un droit d’accises s’élevant en principal et accessoire à 37 fr. par 100 kilog. Le raffineur n’est pourtant pas obligé de verser immédiatement le montant de ce droit ; son compte n’en est que débité, et il jouit d’un crédit de six mois pour se libérer.
Indépendamment du paiement en écus, à l’échéance des six mois, le raffineur a deux autres moyens légaux de s’acquitter, avant cette époque, envers le gouvernement ; l’un en exportant les sucres raffinés, et dans ce cas on lui bonifie en compte courant la restitution des droits au taux de 67 fr. par cent kilogrammes, si ce sont des candis, des sucres en pains ou des lumps qu’il fait passer à l’étranger. L’autre moyen consiste à transférer sur une autre personne la dette qu’il a contractée vis-à-vis de l’Etat, et le négociant qui prend sur lui une charge de cette nature, obtient de l’administration des finances un nouveau délai de trois mois pour payer, terme qui commence à courir du jour de la transcription de la dette, et, pendant cette époque de crédit, le nouveau débiteur jouit aussi de la faculté d’exporter des sucres à la décharge de son débet, de manière que très souvent il solde son compte avec le gouvernement sans bourse délier.
On conçoit aisément que lorsqu’un raffineur endosse ainsi à une autre personne la dette qu’il était à la veille de devoir acquitter lui-même, il ne peut le faire qu’en payant une juste indemnité ; l’avantage qu’il trouve dans ces transcriptions se borne à payer quelque chose de moins à son remplaçant qu’il n’aurait dû payer à l’Etat, et cet escompte s’élève parfois à 5 ou 6 p. c. et même au-delà.
Ce simple exposé suffit, messieurs, pour vous démontrer que le fabricant de sucre indigène peut, au moyen d’un de ces transferts, s’approprier une véritable prime en annulant la prise en charge d’un raffineur qui lui en aurait bonifié le montant, par l’exportation de son sucre de betteraves raffiné, et cette prime ne s’élèverait pas à moins de 64 fr. par cent kilogrammes, en supposant qu’il ait accordé au raffineur de sucre exotique un rabais de 5 p. c. sur la somme que celui-ci avait à payer.
La facilité de la fraude, dans un pays ouvert comme le nôtre, doit vous faire entrevoir, messieurs, que ce ne sont pas les seuls fabricants de sucre de betteraves qui tirent parti de ces transcriptions de crédits, mais qu’elles deviennent aussi une prime pour ceux qui se livrent à l’introduction illégale du sucre raffiné que fournissent les pays voisins. Et qu’on ne pense pas que les sommes qui, au moyen de ces transcriptions, sont détournées du trésor public, sont de peu d’importance ; le tableau litt. A, annexé au rapport de l’honorable M. Desmaisières, prouve que plus des deux cinquièmes des prises en charge des raffineurs sont apurés au moyen de ces transcriptions. Sans doute, en changeant la loi, tout l’impôt sur ces quantités transférées ne viendra pas grossir les revenus de l’Etat ; mais lorsque nous en viendrons à la discussion des articles du projet de loi qui vous est soumis, il ne sera pas difficile d’établir que la perception du droit sur la sixième partie des quantités de sucre transférées qui sont indiquées dans le tableau précité, suffirait pour dépasser le chiffre porté par prévision au budget des voies et moyens par M. le ministre des finances.
Par toutes les considérations qui précèdent, j’ai tâché de constater quelques faits qui se résument principalement dans les suivants :
1° Que cent kilogrammes de sucre brut ne donnent, terme moyen, que 95 kilog. de sucre raffiné de toutes qualités ;
2° Qu’il n’est pas dans l’esprit de la loi de faire peser le droit d’accise indistinctement sur tous les produits du raffinage, mais uniquement sur la quantité de sucre fin qui à l’exportation jouit de la haute décharge des droits ;
3° Que la modicité du produit de l’impôt sur le sucre est principalement due au parti que les fraudeurs et les producteurs du sucre de betteraves savent tirer des transcriptions des crédits ouverts aux raffineurs de sucre exotique.
Si j’ai réussi, messieurs, à vous éclairer sur quelques-uns de ces points et sur les conséquences qui en dérivent, j’ose croire que la discussion de la loi à formuler ne pourra qu’y gagner, et le but que je me suis proposé sera atteint.
M. Eloy de Burdinne. - Messieurs, la question qui vous est soumise est une question grave et d’une haute importance sur le rapport de notre commerce maritime, si nous en croyons la clameur des raffineurs, des armateurs et du haut commerce. De nombreux mémoires nous ont été adressés de la part des intéressés, tendant à ce que rien ne soit changé à la législation sur l’impôt établi sur les sucres. Par contre, les fabricants de sucre indigène ont réclamé de leur côté l’exécution de la loi, non d’après la lettre, mais bien d’après son esprit. Ces derniers demandent que l’impôt soit perçu non en faveur du commerce de sucre exotique, mais bien en faveur de l’Etat. Les premiers vous demandent de ne rien changer à la législation sur le sucre et disent : Vous nous ruinez si vous apportez le moindre changement à l’ordre de choses établi ; vous nuisez à l’industrie du pays, par le motif que les navires qui apportent le sucre brut, exportent vos fabricats, etc., etc.
Dans cet état de choses, nous avons à nous prononcer sur ces diverses réclamations. En nous prononçant d’après le vœu des raffineurs du sucre exotique, nous devons renoncer à un impôt de 3 à 4 millions établi sur une matière très imposable et qui frappe la classe aisée, et qui, selon moi, peut très bien continuer à être perçu. Dans mon opinion, le consommateur paie l’impôt au moins pour une forte portion (si pas intégralement), et la somme de 3 à 4 millions entre pour une forte quotité dans les caisses des raffineurs et négociants à l’étranger, ou bien procure le sucre à meilleur compte, et cela au détriment du trésor et à charge du consommateur belge.
Messieurs, j’entre en matière : la question qui nous occupe me paraît d’une haute importance, elle mérite toute notre attention ; d’un côté il s’agit d’un impôt de 3 à 4 millions au moins à maintenir en faveur de l’Etat, sur la consommation du sucre, et personne n’ignore que cet impôt est supporté par la classe aisée. Nous ne devons pas perdre de vue, messieurs, que si nous renonçons à percevoir cet impôt, nous devrons chercher à le remplacer, soit par des centimes additionnels, soit en frappant des contributions sur d’autres objets de consommation.
D’un autre côté, on nous dit que si nous touchons à la loi pour que l’impôt soit payé à l’Etat, nous anéantissons une branche d’industrie très intéressante (les raffineries de sucre) ; que nous allons porter de la perturbation dans la navigation, et paralyser l’exportation des produits des diverses industries belges ainsi que le produit de notre sol.
Tels sont les désastres dont nous sommes menacés et que nous prédisent les signataires de divers mémoires qui nous ont été distribués, mémoires où on réclame le maintien de l’ordre de choses actuel sur le rapport de l’impôt sur le sucre exotique ; et d’autres termes, que l’Etat renonce à cet impôt en maintenant la loi. Si nous nous exposions à voir réaliser les désastres dont on nous menace, la question deviendrait délicate
Avant de modifier la loi, nous devions y penser mûrement ; mais je crois que les auteurs de ces divers mémoires se sont trompés ; nous allons essayer de le démontrer.
Avant de faire cette démonstration, je crois qu’il est important de connaître le montant de l’impôt sur le sucre si la consommation intégrale était atteinte. Aux termes de la loi, 100 kilog. de sucre brut introduit en Belgique, pour la consommation de ses habitants, doivent un impôt de 37 fr. 2 c.
Je ne crois pas exagérer en fixant la consommation du sucre raffiné à 2 kilog. par tête d’habitant, taux moyen et année commune, ce qui porterait la consommation en sucre raffiné à 8,250,000 kilogrammes pour une population de 4,125,000 habitants. Aux termes de la loi, pour obtenir 8,250,000 kilo. de sucre raffiné, à raison d’un déchet de 45 p. c., on devrait employer 15,000,000 de kilogrammes de sucre brut qui, imposé à raison de 37 fr. 2 c. les 100 kilog., devrait produire un impôt de 5,552,200 francs ; mais comme il est reconnu que, par suite du perfectionnement de l’industrie de raffiner le sucre et par suite de l’amélioration apportée à la fabrication du sucre brut qui est moins chargé qu’autrefois, le déchet est infiniment moindre qu’à l’époque où la loi a été mise en vigueur, je porte ce déchet à 25 p. c. au lieu de 45, de manière que la quantité de sucre brut nécessaire à la consommation intérieure est réduite à 11,000,000, qui, à raison de 37 fr. 2 c. par 100 kilogrammes, devraient rapporter à l’Etat 4,072,200 fr. Je crois que l’on peut l’établir à ce taux si la loi n’est pas éludée par suite des dispositions qui établissent le drawback. Il résulte que le gouvernement a perçu en 1837 186,890 fr. au lieu de 4,072,200 fr. ; différence 3,885,310 fr.
Si nos contradicteurs persistent à soutenir que l’on ne peut obtenir que 55 kilog. de sucre raffiné, de 100 kilog. de sucre brut, ils doivent admettre que l’Etat fait un sacrifice de 5,432,200 fr. en faveur de cette industrie, et dans la supposition que cet impôt ne pèse pas en totalité sur le consommateur comme on le prétend, et en admettant qu’il ne soit payé par les consommateurs que pour la moitié, il en résulterait que l’industrie des sucres et le haut commerce percevraient sur le consommateur environ 2,700,000 fr., et l’Etat 180,000 fr. seulement.
Si, comme on nous le dit, cette industrie ne peut se soutenir qu’à l’aide de ce subside, nous devons en conclure qu’elle n’est que factice et qu’elle doit être abandonnée. Il en est de cette industrie comme de bien d’autres, on l’a portée sur une trop grande échelle.
Il y a quelques années, elle était dans un état de prospérité, par le motif qu’il n’existait pas un aussi grand nombre de raffineries. Aujourd’hui qu’on en a augmenté le nombre, les produits étant supérieurs à la consommation, on ne trouve plus à placer avantageusement les sucres raffinés ; on les exporte, et celui qui a besoin de réaliser sa marchandise doit la donner à très bas prix ; même à perte. Voilà la cause du malaise des propriétaires de raffineries. A l’appui de ce que je viens d’avancer, c’est que nombre de raffineurs sont dans une position très fâcheuse, et par le maintien de l’ordre de choses actuel, en d’autres termes, en continuant de renoncer à un impôt de 4 millions en faveur des raffineries, on ne parviendra pas à soutenir cette branche d’industrie. Les ports de l’Allemagne leur seront sous peu fermés. Déjà la Prusse a augmenté le droit d’entrée sur les sucres raffinés ; on cultive dans ce royaume la betterave, et pour favoriser cette culture, on imposera le sucre exotique à un taux plus élevé encore. A Hambourg, l’industrie de la raffinerie y prend un accroissement tel qu’elle sera à même d’alimenter l’Allemagne, et si les raffineurs de sucre ont pu se défaire de leurs produits à l’étranger, c’est par suite de l’impôt qu’ils perçoivent en Belgique sur le consommateur. Les raffineurs belges ne pourront continuer cette concurrence malgré les grands avantages qu’ils reçoivent, avantages que l’on peut porter à 4 millions. Le gouvernement peut-il et doit-il renoncer à un impôt de 4 millions environ, en faveur d’une industrie qui s’est trompée. S’il en était ainsi, vous devriez venir au secours de toute industrie qui ne prospère pas. Voyez, messieurs, où cela vous conduirait : tous les jours on viendrait réclamer des protections que vous ne pourriez pas accorder, et on aurait le droit de vous dire que si vous accordez des faveurs à certaines branches d’industrie, vous devez en accordez à toutes, et on serait fondé dans cette réclamation. Quand on a frappé d’un impôt les sucres, ce fut en vue de créer des ressources à l’Etat ; aujourd’hui que la loi ne remplit pas le but du législateur, il est de notre devoir de la modifier, de manière à frapper le consommateur d’un impôt en faveur de l’Etat et non en faveur de l’industrie. Un gouvernement ne peut marcher sans impôt ; et il doit préférer ceux qui sont supportés par la classe aisée à l’impôt qui pèse sur la classe pauvre. Je suis donc de l’opinion que nous ne devons pas renoncer à l’impôt sur le sucre, et que nous devons apporter à la loi les modifications nécessaires pour qu’il soit payé à l’Etat 4 à 5 millions de francs de ce chef.
Si le gouvernement peut marcher privé de 4 millions d’impôt, je demanderai que le sel en soit affranchi plutôt que le sucre ; le sel est indispensable aux malheureux.
Le haut commerce et les raffineurs de sucre demandent qu’on ne touche pas à la loi, cela se conçoit ; on renonce difficilement à une aussi belle prime.
Ces messieurs prétendent qu’en modifiant la loi on nuira à l’exportation des produits de notre industrie. Les navires belges, disent-ils, vont chercher directement la moitié des sucres bruts aux Indes, et y transportent le produit de votre industrie qu’ils échangent contre du sucre. Si vous paralyser en même temps l’exportation des produits de vos fabriques et de votre sol, vous manquerez des navires de retour qui, vous ayant amené des produits exotiques, auront une trop grande quantité de produits provenant de Belgique pour pouvoir suffire à les exporter. Curieux de connaître jusqu’à quel point ces craintes et ces prévisions étaient fondées, j’ai consulté le tableau général du commerce de la Belgique avec les pays étrangers, dressé et publié par le ministre de l’intérieur ; j’y ai remarqué qu’en 1834 il avait été introduit 19,115,496 kilog. de sucre brut dont 9,096,858 kil. par navire et sous pavillon belge ; mais loin de les avoir été chercher directement aux Indes, comme on le dit, j’ai reconnu que nos navires en avaient été chercher en Angleterre 6,398,448, aux Etats romains et toscans 80,340, en Hollande, 79,435, des villes anséatiques 790,454, et seulement 1,732,711 à Cuba et au Brésil, et non, comme on nous l’a dit, 9 millions en demi. J’ai donc été rassuré sur ce point, car quelle que soit la prospérité de notre industrie de sucres indigènes, nous devrons toujours en chercher aux Indes une quantité même plus forte qu’on en a été chercher en 1834 ; seulement on n’ira plus en charger en Angleterre, en Hollande, à Hambourg ou ailleurs, et pour ces pays nous ne manquons pas de navires pour exporter nos produits. Souvent ils retournent sur lest après nous avoir amené des produits soit de leur industrie, soit de leur sol.
Je ferai en outre remarquer que les navires qui vont chercher aux Indes le café, le tabac, les épiceries, les riz, les cuirs, etc., etc. pourront suffire à y transporter les produits de notre industrie dont ont besoin les Indiens ; on pourra les échanger contre du café au lieu de les échanger contre des sucres. J’ajouterai que l’on introduit en Belgique infiniment plus de produits étrangers qu’on en exporte, et j’ai remarqué dans le document précité que, sur 6,896 navires entrés en Belgique avec chargement pendant la période de 1831 inclus 1834, il en était sorti sur les 2,963, dont 568 belges, ce qui fait, taux moyen et année commune, 741 navires sortant sur lest, de manière qui si on n’introduisait pas même un kilo. De sucre des Indes, on aurait encore un grand nombre de navires qui partiraient de nos ports sans chargement.
De tous les arguments employés par les raffineurs et le haut commerce contre la modification à faire subir à la loi sur les sucres, celui que je viens de combattre m’avait paru le plus important ; je crois y avoir répondu de manière à tranquilliser nos producteurs manufacturiers qui, je le répète, ne manqueront pas de navires de retour pour transporter, soit aux Indes, soit ailleurs, le produit de leur industrie, quand même nous pourrions nous passer de sucre des Indes.
Je ne puis non plus partager l’opinion des raffineurs et du haut commerce qui prétendent que si on entrave le commerce de sucre exotique, on privera d’ouvrage un nombre considérable de malheureux ; je crois, au contraire, que si on favorise l’industrie naissante de la fabrication du sucre indigène brut, on emploiera infiniment plus de bras que l’on n’en emploie à raffiner seulement le sucre brut venant de l’étranger. En fait de la fabrication du sucre, l’opération qui demande le plus de main-d’œuvre, c’est la fabrication du sucre brut, opération qui jusqu’aujourd’hui s’est faite par les Indiens, à qui nous payons annuellement un tribut d’environ 11 millions de francs, tribut dont nous nous affranchirons en grande partie en favorisant la production du sucre de betteraves. En même temps nos populations fabriqueront le sucre brut aujourd’hui fabriqué par les Indiens.
Dans l’opinion de MM. les raffineurs de Gand les fabricants de sucre de betterave jouissent d’une protection plus que suffisante en Belgique sous l’empire de la législation actuelle. Je serais de leur avis si toutefois on percevait un impôt de 37 fr. 02 c. par 100 kil. de sucre exotique. Ces messieurs ajoutent qu’il faut maintenir les bases du système du drawback, et ne pas apporter de changement à notre législation sur la matière. Il résulte que sur 11 millions de sucre brut nécessaire à la consommation de la Belgique, elle paie actuellement un impôt de 120,000 fr., ce qui revient à environ un franc par 100 kil.
Telle est la protection accordée aux fabricants de sucre de betteraves sur les fabricants de sucre des Indes et qui est considérée par les raffineurs comme étant trop élevée.
Tandis que les fabricants raffineurs jouissent d’une faveur par 100 kil. de sucre brut, de 36 fr. 02 c., l’Etat en reçoit un franc ; mais comme ils disent dans leur mémoire que l’impôt ne pèse pas intégralement sur les consommateurs, et en admettant bien gratuitement que MM. les raffineurs renoncent à la moitié des 36 fr. 02 c., en faveur du consommateur, il leur reste 18 fr. de prime qui leur donnent le moyen de faire manger aux Allemands et à d’autres nations le sucre à bon marché.
MM. les raffineurs ne sont pas plus heureux lorsqu’ils prétendent que les fabricants de sucre de betteraves, ayant créé leurs établissements sous l’empire de la loi actuelle, doivent en subir les conséquences. Ces conséquences sont que les sucres exotiques devraient payer un impôt de 37 fr. 02 c. environ par 100 kil., vu qu’à l’époque où on a entrepris cette industrie, l’Etat devait recevoir 3 à 4 millions d’impôt sur les sucres et qu’on ne devait nullement prévoir qu’en 1837 cet impôt serait réduit à 120,000 fr., ou 1 fr. par 100 kil. Quoi qu’il en soit, il est du devoir de la législature de remédier au vice de la loi sur les sucres. L’Etat doit recevoir cet impôt, il en a besoin et ne peut y renoncer. On avisera plus tard à faire payer également un impôt de consommation sur les sucres indigènes lorsque cette industrie sera convenablement implantée en Belgique.
Qu’il me soit permis de dire aux raffineurs que, lors de l’établissement de leur industrie, la loi imposait le sucre brut à l’entrée à 37 fr. 02 c., et qu’ils doivent en subir les conséquences de cet impôt ; ils ne devaient pas croire qu’ils parviendraient à éluder la loi au point de réduire l’impôt de 37 fr. à 1 fr. En outre ils devaient bien s’attendre que le gouvernement ne consentirait pas à une réduction, et que des modifications seraient apportées à la loi pour rétablir l’impôt à 37 fr., même à un taux plus élevé si telle était l’opinion du gouvernement. Telles sont les conséquences qui doivent subir les raffineurs de sucre exotique.
Dans l’état de choses actuel il résulte de tout ce qui précède que les fabricants de sucre indigène jouissent d’une protection d’un fr. par 100 kilog., tandis que les raffineurs de sucre jouissent d’un impôt sur le consommateur de 18 fr. 51 centimes, dans la supposition (ce dont je doute) qu’ils fasse grâce au consommateur de la moitié du droit.
Dans un mémoire ils ont avancé que le consommateur ne payait qu’une partie de l’impôt ; j’aimerais à croire que les faits sont exacts, et pour ce motif je ne porte l’avantage en faveur des raffineurs que de la moitié du droit imposé sur les sucres exotiques pour mémoire. En résultat, en maintenant la loi telle qu’elle est, vous favorisez la fabrication du sucre brut à raison de 18 francs 56 centimes par 100 kilogr. en faveur des Indiens, et seulement à raison d’un franc en faveur des fabricants de sucre brut indigène. C’est le cas de dire que nous sommes plus Indiens que Belges, si nous maintenons l’ordre de chose actuel.
En résumé, pour soutenir une industrie qui est devenue vraiment factice, et qui doit être anéantie, quoi que vous fassiez, et cela à une époque très rapprochée, il s’agit de voir si vous consentirez à renoncer à un impôt de quatre à cinq millions qui, supprimé, devra être remplacé par des centimes additionnels ou par de nouveaux impôts. Consentirez-vous, toujours dans l’intérêt des raffineurs de sucre et du haut commerce, à sacrifier une industrie naissante (les fabriques de sucres indigènes), dont la matière première est le produit de votre sol, et dont la fabrication du sucre brut est l’œuvre de vos populations appartenant à la classe pauvre, et qui est occupée pendant l’hiver, époque où elle manque d’ouvrage ? Consentirez-vous à accorder aux Indiens la préférence sur les indigènes de fabriquer le sucre brut ? Renoncerez-vous aux avantages immenses que doivent procurer au pays les fabriques de sucre indigène, tels que l’amélioration du sol, suite de la culture de la betterave ? Préférerez-vous payer aux Indiens dix à douze millions annuellement que de les payer à vos concitoyens ?
Tels sont les sacrifices que réclament de vous les raffineurs de sucre exotique.
Pour mon compte, je ne puis y souscrire ; je voterai donc pour la révision de la loi, qui est devenue sans effet, et pour qu’elle soit modifiée de manière à ce qu’il soit payé sur le sucre brut exotique un impôt à l’Etat de 37 fr. par 100 kilog., et cela le plus tôt possible. Je ne puis consentir à voir continuer à prélever un impôt sur le consommateur en faveur d’une industrie, et comme je considère l’impôt sur le sucre perçu sur la classe aisée, lorsque les sucreries indigènes seront bien établies, je serai le premier à provoquer une loi qui impose le sucre indigène, mais de manière à ce que nos manufactures puissent soutenir la concurrence sur les sucreries indiennes.
J’ai suffisamment démontré que quand même on n’introduirait pas de navire exotique en Belgique, on ne manquerait pas de navires de retour pour exporter nos produits, et je crois pouvoir garantir qu’il en sortira encore un grand nombre sur lest. Si l’on n’introduisait plus en Belgique de sucres exotiques, les navigateurs qui vont échanger aux Indes les produits de notre industrie contre du sucre, si l’impôt ne leur permet plus de charger du sucre, ils chargeront du café, des épiceries, du tabac, du riz, des cuirs ou autres produits, mais ils ne manqueront pas de charge en retour. J’ai sur ce point mes apaisements. Au surplus, d’ici à nombre d’années, nos sucreries ne suffiront pas à la consommation du pays ; nous aurons besoin de certaine quantité de sucre exotique. Ils pourront en chercher à Cuba ou au Brésil au moins deux millions de kilogrammes annuellement, comme ils ont fait en 1834 : seulement, ils s’abstiendront d’en chercher en Angleterre, en Hollande, en Allemagne, ce qui ne nuira pas à l’exportation de nos produits, vu que pour l’Angleterre il ne nous manque pas de navires de retour. Grand nombre, après nous avoir apporté des marchandises de ce pays, retournent sur lest : nous n’avons donc pas besoin d’aller y chercher du sucre pour y transporter nos produits.
Je demande que la loi soit revue immédiatement, qu’on y apporte les modifications nécessaires pour que l’impôt, à raison de fr. 37 02 par 100 kil. de sucre brut importé en Belgique pour la consommation soit perçu en faveur de l’Etat ; par ce moyen, nous éviterons de devoir recourir à des centimes additionnels à payer par des malheureux. Les consommateurs de sucre doivent être plutôt imposés que le pauvre ; c’est le riche qui consomme le sucre, et dans le cas où l’on pourrait se passer d’un impôt de quatre millions environ, alors je demanderais que l’impôt sur le sel soit aboli, et non celui établi sur le sucre. Le consommateur de sucre a mieux le moyen de payer des impôts que le malheureux qui con somme le sel, dont il ne peut se passer, pas plus que de pain.
Je fais observer que la loi sur le sucre ayant eu pour but de frapper la consommation à raison de 70 cent. environ par kilog. de sucre raffiné de provenance exotique, quand les raffineurs ont établi leur industrie, ils ont dû en subir les conséquences et croire que si par la suite il était reconnu que, par l’effet d’une amélioration en raffinerie ou autrement, il résultait que l’impôt sur la consommation viendrait à être réduit, le gouvernement ne manquerait pas d’y apporter les modifications nécessaires pour obtenir le maintien du chiffre de 70 c. d’impôt par chaque kil. de sucre consommé en Belgique venant de l’étranger ; par contre, quand on a établi les fabriques de sucre indigène, les industriels qui les ont érigées ont dû croire que la loi était une vérité et non un mensonge ; s’ils avaient pu croire qu’ils n’obtiendraient pas un avantage suffisant sur les Indiens, ils se seraient abstenus de compromettre leur fortune en implantant une industrie nouvelle en Belgique ; et, en ne faisant pas exécuter la loi d’après son esprit, pas de doute l’Etat les frapperait indignement ; ils auraient droit de se plaindre d’avoir été trompés par lui.
Il me reste, messieurs, à dire quelques mots sur le projet de loi qui nous est soumis.
Si mes prévisions sont fondées je doute fort que nous atteignons le but voulu, qui est de faire payer l’impôt sur les sucres en faveur du trésor.
En apparence, la commission en proposant une majoration de droit de 3 francs par 100 kilog., on est tenté de croire qu’il doit y avoir une augmentation de revenu pour le trésor, ce qui serait exact si l’impôt était perçu par l’Etat ; comme il résulte qu’il ne perçoit presque plus rien sur le sucre (il n’a perçu, en 1836, que la somme de 186,890 fr. 10 c.), d’après ce que nous dit la commission, tandis que cet impôt devrait produire environ quatre millions ; de manière que l’augmentation tournera au profit de qui reçoit aujourd’hui les 3 à 4 millions que doit produire l’impôt sur la consommation du sucre.
Le rendement ayant été maintenu, ou à peu près, par la commission, je ne crois pas la loi nouvelle remédie au vice de l’ancienne.
L’impôt sur le sucre continuera être perçu par ceux qui le prélèvent, depuis deux ans, sur une grande échelle, et depuis dix ans, au moins, pour une moitié.
La fraude continuera à prendre une part dans l’impôt ; à mon avis, la commission ne propose pas les moyens suffisants pour la réprimer. Elle s’oppose à l’institution d’un jury d’expertise, sans lequel, je crois, on ne pourra juger si le sucre exporté est bien du sucre raffiné.
Il en résultera donc que l’exportation de sucre brut et tapé continuera à être considérée comme sucre raffiné à la sortie, pour rentrer après comme sucre brut, ce qui donnera le moyen de livrer à la consommation la même quantité de sucre affranchi du droit sur le report du trésor, mais perçu en faveur du fraudeur.
J’ai vu avec plaisir que la commission reconnaît, avec moi, que l’impôt sur le sucre est un des impôts les plus justes et les mieux établis, vu qu’il frappe la consommation du riche.
Je regrette que ce principe, adopté par la loi proposée par la commission, ne donne pas pour résultat la perception du droit en faveur du trésor, et que l’impôt sera, comme il l’est depuis plusieurs années, perçu encore au profit de l’industrie, etc., si la chambre l’adoptait tel qu’il lui est présenté.
J’ai l’espoir que la chambre, en apportant des modifications à la loi qui nous est soumise, en y introduisant des amendements, parviendra à tirer un parti satisfaisant du travail de la commission ; si, au contraire, il en était autrement, et que le projet de loi fût soumis à la chambre tel qu’il est, je le déclare, je voterais contre, vu que je le considère aussi mauvais, ou à peu près, que la législation actuelle ; et plutôt que de voir grever les contribuables de 4 millions environ d’impôt, dont moins de 200 mille francs rentrent dans les caisses de l’Etat, je proposerais de supprimer l’impôt sur le sucre, par le motif que je ne veux pas qu’il soit prélevé des contributions en faveur d’aucune industrie.
Je ne chercherai pas à combattre les nombreux motifs qui ont dirigé la majorité de la commission, et qui ont influencé les conclusions de son rapport.
Dans mon discours je crois en avoir déjà rencontré plusieurs, entre autres, sur l’influence du sucre exotique sur notre marine marchande.
D’autres que moi, plus versés dans l’économie politique, sauront réduire les exagérations de la commission.
Je termine en déclarant que la réduction sur le commerce du sucre exotique ne nuira pas à nos industries, sur le rapport de l’exportation de ses fabricats.
J’ai acquis la certitude que nos navires, qui introduisent les sucres bruts, ne vont pas les chercher aux Indes comme on nous l’a dit ; le tableau général du commerce nous donne le résultat suivant. (Voit le tableau B.)
En résumé, je prie la chambre d’aviser aux moyens de faire payer, aux consommateurs de sucre, à 4 millions au profit du trésor et non au profit du commerce, de l’industrie et des fraudeurs ; par ce moyen nous éviterons de voir ajouter des centimes additionnels aux contributions, centimes que je ne voterai jamais quand on aura les moyens de s’en passer, et le gouvernement ne serait pas venu nous demander des augmentations si l’impôt sur le sucre avait été perçu d’après l’esprit de la loi qui n’a jamais voulu l’établir en faveur de l’industrie. On peut porter à dix millions perçus par l’industrie depuis 10 ans sur les consommateurs de sucre au détriment du trésor.
M. Donny. - Messieurs, je ne suivrai pas pour le moment les honorables préopinants sur le terrain sur lequel ils se sont placés. Je vais, pour aujourd’hui du moins, me placer sur un terrain tout différent, et je le fais principalement pour provoquer de la part de M. le ministre des finances des explications sur un point très important.
Le principal reproche que les adversaires de la législation actuelle lui ont adressé, c’est celui d’être la cause du déficit considérable, que depuis quelques années, nous remarquons dans les produits de l’accise sur le sucre.
Eh bien, messieurs, quoique ce reproche soit articulé avec la plus grande assurance, si les chiffres donnés par le gouvernement sont exacts, rien n’est moins fondé que ce reproche, et je vais le prouver, en calculant ce que la loi a dû produire pendant 6 ans, de 1831 à 1836 inclusivement.
Au 1er janvier 1831, il y avait indubitablement une certaine quantité de sucre prise en charge par l’administration des accises ; je vais cependant négliger totalement cet avoir, quoiqu’il dût être bien réel, et qu’il soit favorable à mon système. Je vais commencer mes calculs comme si la législation actuelle datait du 1er janvier 1831.
En 1831, 1832 et 1833, il a été importé en sucre bruit 42,302,828 kil. Mais comme dans les mêmes années il en a été exporté 19,490 kil., il en est resté dans le pays 42,283,338 kil.
En 1834, on en a importé 19,115,100 kil., en 1835, 23,754,338 et en 1836, 22,396,690, soit 65,266,028 kil.
D’après cela, pendant les six années qui se sont écoulées, de 1831 à 1836 inclusivement, il est entré dans le pays, en sucre brut, 107,549,366 kil.
Pour arrondir, je vais faire une nouvelle concession, contraire aux intérêts du système que je défends, je me bornerai au chiffre total de 107,000,000 kil. Je négligerai 549,366 kil.
Ces 107,000,000 ont dû être pris en charge par l’administration des accises, si, comme je n’en doute pas, elle a fait son devoir. Ils doivent avoir été pris au taux de 37 fr. 02 c. par 100 kil.. Je néglige encore les 2 c., et multipliant les 107,000,000 par 37 c., j’arrive à la somme de 39,590,000 fr.
Il faut maintenant que l’administration des accises nous renseigne ces 39,590,000 fr.
Sur cette somme, l’administration défalquera les exportations.
De 1831 à 1833, elles ont été de 1,453,043 kil., en 1834 de 8,818,102 kil., en 1835 de 10,680,110 kil. et en 1836 de 12,751,499 kil. Le total des exportations pendant les 6 années a donc été de 33,702,754 kil.
Je ferai remarquer que parmi ces quantités de sucre exporté, il s’est assurément trouvé une certaine quantité de cassonade, enfin de sucre qui ne reçoit pas la haute décharge. Cependant, pour abréger, et quoique cela soit contre l’intérêt de mon système. j’admets que les 33,702,754 kil. ont tous reçu la haute décharge. Celle-ci ne s’élève pas tout à fait à 68 fr. les 100 kil. Je prends cependant ce chiffre, toujours contre mon intérêt, et j’arrive à la somme de 22,917,872 francs pour le montant des décharges amenées par l’exportation.
Maintenant je déduis le chiffre de ces exportations des 39,590,000 francs que l’administration des accises a dû prendre en charge, et il me reste 16,672,128 francs.
Maintenant l’administration ne peut plus renseigner cette somme de 16,000,000 que par des paiements.
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Vous oubliez les quantités en entrepôt.
M. Donny. - J’allais en parler. Je dis que la somme de 16,672,128 francs n’a pu être apurée que par des paiements ou par des restants en entrepôt. Or, l’administration ne nous renseigne des paiements que jusqu’à concurrence de 7,979,638 fr., Il lui reste donc à renseigner d’une autre manière, 8,892,470 fr. J’espère que M. le ministre des finances voudra bien nous donner des explications précises à cet égard.
S’il résulte de ces explications que les 8,692,470 fr. ont été apurés de manière à ne pas donner lieu à la perception d’aucune partie de l’impôt, les produits de l’accise pendant les six années de 1831 à 1836 resteront fixés à 7,979,658 ; mais la chose me semble peu possible, car pour arriver à ce résultat, il faudrait admettre l’existence en entrepôt, au 31 décembre 1830, d’environ 25,000,000 de kil. de sucre brut, et il faudrait admettre de plus l’exportation postérieure de cette quantité en nature ou d’une quantité proportionnelle de sucre raffiné, et cela indépendamment de l’exportation propre aux importations de 1837.
Si au contraire, il résulte des explications du ministre que les 8,692,470 fr. n’ont pas été apurés de cette manière ; mais qu’ils ont été encaissés depuis le 31 décembre 1836, ou qu’ils restent encore dû au trésor, il faudra ajouter cette somme aux 7,979,658 fr. reçus antérieurement, et alors le produit de la loi, pendant les six années dont il s’agit, se sera élevé à 16,672,128 fr., ce qui fait, terme moyen, 2,778,688 fr. par an. Certes, en ce cas, le produit aura été satisfaisant et ce déficit dont nous nous plaignons n’aura été que fictif, et l’on aura tort de ne pas nous éclairer à ce sujet.
Je ne me plains pas, au reste, de ce qu’on n’ait pas compris dans les recettes des 6 années ce qui n’a été reçu que postérieurement, mais seulement de qu’on ne nous ait pas prévenus que les recettes qu’on nous indiquait ne formaient pas à elles seules le produit de l’accise pendant ces 6 années. En nous indiquant ces recettes, l’on aurait dû nous dire en même temps quels éléments déterminés ou éventuels devaient y être ajoutés. Vous concevez, messieurs, que ces renseignements sont intéressants pour se fixer sur le produit de l’impôt et sur la convenance d’en changer la législation.
Quand M. le ministre aura donné les explications que je réclame, je prendrai peut-être de nouveau la parole, si mon rhume me le permet, pour argumenter sur des bases qui alors seront plus certaines.
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Il serait bien difficile de vérifier ainsi, à première vue, tous les calculs que vient de présenter l’honorable préopinant. Je dirai d’abord que j’ai regret de l’avoir interrompu tout à l’heure, car il allait en conclure d’une manière absolue sans tenu compte des restants de sucre en entrepôt, ce qui eût suffisamment démontré son erreur. Quoi qu’il en soit des chiffres présentés par M. Donny, il est clair que les conclusions qu’il a exposées tendent à laisser supposer que l’administration n’a pas renseigné les sommes perçues ou qu’elle n’a pas perçu ce qu’elle devait percevoir ; or c’est là une chose impossible, et il n’est pas permis de supposer que l’on n’aurait pas renseignés les perceptions opérées ou que les comptes n’auraient pas été tenus comme ils devaient l’être.
Nous nous expliquerons aussi demain par des chiffres, et il nous sera facile d’en opposer de concluants à ceux que vous venez d’entendre.
M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - Messieurs, je prierai la chambre de mettre à l’ordre du jour le budget de la guerre, après la discussion de la loi dont elle s’occupe actuellement ; c’est l’objet le plus urgent.
M. Coghen. - Messieurs, M. le ministre des finances vient de poser des amendements à la loi sur les sucres. Ces amendements établissent un système tout nouveau. C’est une question des plus importantes ; je crois qu’il serait dangereux de continuer la discussion. Il conviendrait mieux de prendre immédiatement la discussion du budget de la guerre, pour laisser le temps d’examiner la question posée par le ministre des finances, et de reprendre cette discussion après mûr examen.
M. Eloy de Burdinne. - Pour payer le budget de la guerre, il faut de l’argent. Terminons le plus tôt possible un projet de loi qui doit en faire entrer au trésor.
M. de Muelenaere. - M. le rapporteur est plus à même que tout autre membre de savoir si on peut sans inconvénient continuer la discussion de la loi sur les sucres. La question est grave et assez étrangère à nos méditations habituelles. Je le prierai de s’expliquer à cet égard. S’il y avait le moindre doute sur la possibilité de continuer avec fruit la discussion de cette loi après les amendements présentés par M. le ministre, je crois qu’il vaudrait mieux adopter la proposition de M. Coghen, commencer la discussion du budget de la guerre et se préparer à reprendre ensuite la discussion de la loi sur les sucres.
M. Desmaisières. - Pour répondre à l’interpellation qui m’est adressée, je dirai qu’ayant écouté avec attention les orateurs qui ont parlé, je n’ai pas eu le temps de jeter les yeux sur les amendements présentés par M. le ministre des finances, je ne puis dire dans ce moment si dans mon opinion, il est possible de continuer la discussion sans que ces amendements aient été préalablement examinés par la commission. Je ne puis même pas parler son nom, car nous ne nous sommes pas réunis. Mais je crois la chambre agitait sagement en renvoyant à la commission pour faire le plus promptement possible un rapport, car le système de la commission est tout à fait opposé à celui du ministre des finances.
M. Dumortier. - On veut nous laisser dans la position où nous sommes, et M. le ministre veut en sortir. Les propositions de M. le ministre sont assez claires pour qu’on puisse les discuter en regard de chacun des articles. Si des objections sont faites, le ministre et moi seront là pour y répondre. Il est nécessaire et urgent d’en finir. D’après M. le ministre, la loi doit recevoir son exécution au 1er janvier. Il importe qu’elle soit discutée non seulement dans la chambre des représentants, mais au sénat.
Or, une pareille loi, une loi de recette ne peut pas souffrir de retard ; ce n’est pas de ces lois pour lesquelles on peut faire une loi provisoire, tandis que pour le budget de la guerre on pourrait au besoin admettre une loi de crédit provisoire. Il est de toute nécessité de continuer la discussion commencée ; nous avons entendu plusieurs orateurs ; ce qu’ils ont dit serait perdu de vue si on ajournait maintenant la discussion.
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Il y a lieu de continuer la discussion qui, jusqu’à présent, a été générale, et dans laquelle on n’a pas encore examiné les articles des projets présentés. On a parlé pour et contre un changement quelconque à la législation existante. Les uns veulent le maintien de cette législation, les autres veulent qu’on y apporte des modifications. Eh bien, nous verrons quand nous serons arrivés aux articles quelles modifications il convient d’adopter, et si nous sommes assez éclairés nous déciderons.
Je ferai observer que c’est par excès de zèle que M. le ministre de la guerre vient de vous proposer de mettre son budget à l’ordre du jour aussitôt que possible, mais nous aurions tort de le prendre au mot, car il fait aujourd’hui sa première sortie après une indisposition grave, et il est encore trop souffrant pour entreprendre sans danger, dès demain, une discussion comme celle de son budget ; je pense qu’il vaut mieux qu’il prenne deux ou trois jours encore pour se remettre, et, par ce dernier motif surtout, je prie M. Coghen de retirer sa proposition.
M. Coghen. - Ma proposition était subordonnée à la possibilité par M. le ministre de la guerre de discuter son budget. Quant aux amendements, c’est un changement que le ministre introduit dans la loi. Si la discussion générale continue deux jours, on pourra bien apprécier la portée des nouvelles dispositions et passer à la discussion des articles. Je retire ma proposition. (A demain, à demain.)
- La discussion est continuée à demain.
Le budget de la guerre est mis à l’ordre après le vote de la loi sur les sucres.
La séance est levée à 4 heures et demie.