(Moniteur belge n°339, du 5 décembre 1837)
(Présidence de M. Raikem.)
M. B. Dubus fait l’appel nominal à une heure. L’assemblée est très nombreuse.
M. Kervyn lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. B. Dubus présente l’analyse des pièces adressées la chambre.
« La régence de Gand demande que la chambre adopte une mesure qui fasse cesser les ventes à l’encan de marchandises neuves. »
« Le conseil communal de la ville de Thielt demande la suppression d’un droit de patente exigé des boutiquiers, pour vendre leurs marchandises dans des échoppes sur la place publique. »
« Un grand nombre de négociants de Bruxelles et de ses faubourgs demandent que la chambre prenne des mesures, afin de faire cesser la plus promptement possible la cherté de la houille. »
« Le sieur Raikem, à Jupille (lez-Liége), indique comme moyen d’amener une réduction sur le prix de la houille, d’obliger les exploitants à ouvrir de nouvelles bures. »
« Le sieur Gaspart Bergamis, né en Suisse, ayant servi en Belgique depuis 1816, demande la naturalisation. »
- Renvoi au ministre de la justice.
« La régence de St-Ghislain adresse des observations sur les pétitions tendant à obtenir l’entrée des charbons étrangers. »
M. de Roo demande que la pétition de la ville de Thielt soit renvoyée à MM. les ministres de l’intérieur et des finances, avec invitation de faire un rapport avant la discussion du budget des moyens.
- La proposition de M. de Roo est adoptée.
Les autres pétitions sont renvoyées à la commission des pétitions.
M. Van Hoobrouck de Fiennes dépose sur le bureau le rapport sur le budget du ministère des travaux publics.
- L’impression en est ordonnée.
M. Desmanet de Biesme (pour une motion d’ordre). - Je demande la parole pour une motion d’ordre. On nous a distribué le projet de loi relatif à l’école militaire tel qu’il résulte de notre première délibération ; on a voulu y distinguer par un caractère différent les amendements adoptés, mais je crois qu’on a pu commettre des erreurs à cet égard. Dans l’article premier, par exemple, il n’est pas sûr que ce soit un amendement que ce paragraphe : « Il est établi une école militaire dans une des places fortes du royaume, » car ces mots se trouvent dans le projet primitif du gouvernement.
M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - Ce projet primitif doit être considéré comme n’existant plus ; je me suis rallié au projet de la section centrale sauf les modifications dont j’ai présenté la série dans un imprimé particulier.
M. le président. - C’est à la chambre à décider.
M. Brabant. - Je demande la parole sur la motion d’ordre.
M. le président. - C’est-à-dire sur la question de savoir si l’on peut considérer comme amendement le paragraphe cité par M. Desmanet de Biesme.
M. Brabant. - Messieurs, aux termes de la constitution l’initiative des lois appartient au Roi et à chacune des chambres. Le gouvernement a exercé son droit en présentant, en 1834, un projet de loi sur l’école utilitaire. Une disposition que vous avez votée dans une séance de la semaine dernière est prise dans le projet du gouvernement ; cette disposition fixe le siège de l’école militaire dans une place de guerre ; par conséquent voilà la chambre d’accord avec le projet du gouvernement ; il n’y a donc pas là amendement ; et aux termes du règlement il est impossible de soumettre cette disposition à un second vote. Le ministre de la guerre dit que le projet du gouvernement est abandonné ; mais l’abandon d’un projet du gouvernement ne se fait pas par un amendement que ferait le ministre dans le département duquel se trouve l’objet en délibération.
Un arrêté royal a saisi la chambre d’un projet de loi sur l’école militaire ; et jusqu’à ce qu’un arrêté royal soit venu retirer ce projet, ou en présenter un autre, le ministre de la guerre aura beau présenter des propositions contraires, le projet primitif subsistera. Ces propositions contraires sont l’œuvre d’un député et non d’un ministre, tant que le nom du Roi n’est pas au bas.
D’après ces considérations, je soutiens que le premier paragraphe de l’article premier n’est pas un amendement, puisque ce paragraphe est pris dans le projet primitif.
M. de Puydt, rapporteur. - Lorsqu’on a ouvert la discussion sur le projet de loi concernant l’école militaire, M. le président a demandé à M. le ministre de la guerre s’il adhérait au projet présentée par la section centrale ; c’est-à-dire que M. le président soumettait à la chambre la question de savoir si la discussion aurait lieu sur le projet de la section centrale, et si le ministre adhérait aux amendements qu’elle présentait.
Toutes les fois que les ministres présentent un projet, ce projet est renvoyé aux sections, puis une section centrale termine l’examen préparatoire et propose les changements qu’elle juge nécessaires ; et c’est sur le projet ainsi amendé que s’établissent les débats. C’est donc le projet de la section centrale qui était le projet concernant l’école militaire sur lequel devait s’ouvrir la discussion, sauf l’adhésion du ministre de la guerre aux diverses dispositions du projet modifié.
M. Desmanet de Biesme. - Je ferai remarquer que le ministre ne s’est pas rallié au projet de la section centrale, et qu’il a présenté lui-même des articles nouveaux dont l’ensemble est intitulé : « Amendements au projet relatif à l’école militaire. » Dans cette série d’articles, le ministre renonçait à l’école des mines et au génie civil, dispositions présentées par la section centrale. On ne peut donc pas dire que le ministre se soit rallié au projet de la section centrale.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Je regarde comme un fait certain, que M. le ministre de la guerre s’est rallié au projet de la section centrale ; et j’en appelle sur ce point aux souvenirs des honorables membres de cette assemblée. A la première question qui fut adressée par le président au ministre de la guerre, celui-ci a répondu que son intention était de présenter des amendements au projet de la section centrale ; qu’il ne pouvait, par exemple, se rallier à la disposition qui, par des adjonctions, faisait une espèce d’école polytechnique de l’école militaire ; mais que du reste il consentait que la discussion s’établît sur le projet de la section centrale. Alors un honorable membre engagea le ministre de la guerre à déposer sur le bureau tous ses amendements, afin qu’on les fît imprimer.
Le ministre a consenti à faire ce dépôt. Ainsi, il se ralliait au projet de la section centrale, sauf les amendements qu’il présentait et qu’il se proposait de soutenir. Les amendements qu’il a déposés ont été réunis et imprimés, de manière à faire un ensemble. Voilà les faits comme ils se sont passés. (Adhésion.)
M. de Puydt, rapporteur. - Pour confirmer ce que dit M. le ministre de la justice, je vais donner lecture, dans le Moniteur, du passage qui est relatif à cette partie de notre débat :
« Quant à la forme que la section centrale a donné à son projet, je crois pouvoir m’y rallier ; cette forme est d’accord avec la loi du 27 septembre 1835, relative à l’enseignement supérieur. Il me semble que cette loi peut être considérée comme renfermant les principes d’après lesquels le gouvernement et les chambres entendent que l’enseignement soit organisé. Mon intention est d’admettre la forme du projet de la section, et la plupart de ses dispositions ; cependant ce projet renferme quelques dispositions que je crois susceptibles d’être amendées ; mon intention est de proposer dans la suite de la discussion de plusieurs amendements.
« Je pense donc que la discussion peut être établie sur le projet de la section centrale, me réservant, comme je viens de le dire, de proposer dans la discussion des amendements à ce projet. »
C’est alors que l’on a demandé au ministre qu’il fît imprimer ses amendements avant la discussion. L’impression a eu lieu, et on voit dans l’imprimé, en tête de chaque article du ministre de la guerre, l’article correspondant du projet de la section centrale. C’est donc le projet de la section centrale qui est la base de la discussion.
M. Dumortier. - Je ne pense pas qu’on puisse opposer la moindre objection à la proposition faite par M. Brabant. D’où vient que certaines propositions sont soumises à un seul vote et les autres à deux ? Cela dérive de la constitution, dont l’article 27 dit que l’initiative des lois appartient à chacune des branches du pouvoir législatif.
Maintenant, comment les choses se passent-elles lorsqu’un député ou une commission de la chambre présente une proposition quelconque ? Alors ce n’est point un acte d’initiative d’une des trois branches du pouvoir législatif ; le député ou la commission qui agit de la sorte ne fait que provoquer un acte d’initiative de la part de l’assemblée : c’est ce qui est cause qu’en pareille matière lorsqu’il s’agit d’une proposition nouvelle, il y a lieu à la renvoyer aux sections pour savoir si la lecture en sera permise ; c’est ce qui est cause qu’il y a lieu à la prise en considération pour savoir si l’assemblée admet qu’on provoque ainsi un acte d’initiative de sa part.
Maintenant, est-il possible, messieurs, qu’un membre du cabinet soit subrogé au pouvoir royal et puisse user du droit d’initiative qui n’appartient qu’au roi et à chacune des deux chambres ? Manifestement non ! cela serait absolument contraire au texte même de la constitution. Ainsi, messieurs, lorsqu’un ministre dépose une proposition quelconque, qui n’est pas signée par le roi, il agit comme simple député.
Un membre. - Cela est contraire aux antécédents de la chambre.
M. Dumortier. - Cela n’est point du tout contraire aux antécédents de la chambre. Il ne faut pas qu’un ministre ait plus de prérogatives qu’un député ; les ministres ne sont ici que de simples députés, et ce n’est qu’à ce titre qu’ils ont le droit de présenter des amendements, car s’ils n’étaient pas députés ils n’auraient pas même ce droit ; je défie aux ministres de prouver soit par la constitution, soit par le règlement, que s’ils n’étaient pas députés, ils auraient le droit de présenter des amendements.
Une voix. - Alors il fallait empêcher le général Evain de le faire.
M. Dumortier. - Si on l’a permis au général Evain, c’est par simple tolérance, et rien autre chose.
Je dis donc que sous le rapport constitutionnel, la question soulevée par l’honorable M. Brabant, ne saurait être un instant douteuse. Elle ne saurait être douteuse non plus sous le rapport des antécédents de la chambre.
En effet, messieurs, l’article premier du projet de la section centrale et ainsi conçu :
« Il sera établi dans le royaume une école militaire destinée à former des officiers pour l’infanterie, la cavalerie, le génie et le corps de l’état-major ; elle aura en outre une division pour le génie civil et les mines. »
Voici maintenant la nouvelle disposition présentée par M. le ministre de la guerre :
« Il est établi dans le royaume une école militaire. L’école militaire de la Belgique a pour objet de former des officiers pour les armes de l’infanterie, de la cavalerie et de l’artillerie et du génie, pour le corps d’état-major et pour la marine. »
Vous voyez, messieurs, que ces deux articles sont absolument différents ; dans l’article premier du projet de la section centrale ou faisant de l’école militaire une école polytechnique ; l’article premier du projet de M. le ministre de la guerre n’en fait plus une école polytechnique, il en fait une école exclusivement militaire. Il y a encore une autre différence entre les deux articles, c’est que celui de M. le ministre établit des cours pour la marine, ce dont il n’était nullement question dans l’article de la section centrale. Ainsi de toutes manières les deux articles sont absolument différents et il est par conséquent complétement inexact de dire que M. le ministre s’est rallié au projet de la section centrale.
Oserait-on dire, messieurs, que le ministre s’est rallié au premier paragraphe de l’article de la section centrale, et qu’il a repoussé le second ? Dans ce cas je demanderais jusqu’où ira le pouvoir du ministère sur l’assemblée, s’il a le droit d’admettre dans un projet de loi une phrase et une partie de phrase, et de repousser l’autre partie ; de soumettre ou de soustraire ainsi à un second vote telle disposition de la loi qu’il jugerait convenable ? Ce serait là, messieurs, un pouvoir vraiment dictatorial, et il est du devoir de tout bon député de s’y opposer de toutes ses forces. Si la chambre, par une molle condescendance, a pu quelquefois…
M. le président. - Vous ne pouvez pas accuser la chambre de molle condescendance.
M. Dumortier. - Quand la chambre fait ce qui est contraire à son règlement…
M. le président. - C’est précisément là qu’est la question et il n’y a que la chambre qui pusse la décider.
M. Dumortier. - Je maintiens ce que j’ai dit, et les ministres ne peuvent nullement venir arguer ici des antécédents de la chambre pour s’arroger un droit inconstitutionnel.
Mais voyons, messieurs, comment les choses se sont passées, voyons comment nous en sommes arrivés au système des antécédents qu’on invoque aujourd’hui : il faut se rappeler ce qui s’est passé lors de la première session législative ; à cette époque, pour éviter les trop longues discussions, pour éviter le second vote dont le gouvernement veut aujourd’hui se faire une arme si puissante, la chambre a admis que lorsque, non pas un ministre, mais le ministère tout entier, se serait rallié à l’ensemble du projet de la section centrale, on regarderait ce projet comme du gouvernement. Le ministre ne peut donc pas conclure de là qu’il ait le droit de scinder un projet de loi, de faire sien tel article ou telle partie d’article et de rejeter le reste.
Quand est-ce que ce système a pris naissance ? C’est lors de la fameuse discussion des projets de lois sur l’organisation provinciale et communale. C’était là un code tout entier, et il n’y avait pas possibilité que le ministère se ralliât à l’ensemble du projet ; il en est résulté une convention spéciale de laisser au gouvernement le droit de se rallier ou de ne pas se rallier au projet, article par article, mais il a été stipulé formellement que c’était pour cette fois seulement. Voilà comment les choses se sont passées ; j’en appelle à tous ceux qui étaient présents à cette mémorable discussion. Eh bien, messieurs, de ce qu’on a ainsi accordé au gouvernement, pour une seule fois, le droit de se rallier à tel ou tel article de la loi, faut-il conclure que cette disposition soit devenue permanente ? Peut-on en conclure que le gouvernement ait acquis à jamais le droit d’adopter dans un projet de loi tel ou tel article qui lui plaît et de rejeter les autres, le droit de faire soumettre à un second vote tel article et de faire considérer tel autre article comme définitivement adopté par un premier vote ? Ce serait là un véritable contre-sens.
Je maintiens donc avec l’honorable M. Brabant que l’article premier est définitivement voté, parce qu’il a été présenté par le gouvernement, usant de l’initiative que la constitution accorde au Roi et aux chambres, et que si l’on soumettait cet article à un second vote, on violerait ouvertement le règlement.
M. de Brouckere. - Il est vraiment fâcheux, messieurs, qu’on ait jugé à propos de soulever cette motion d’ordre, qui ne peut avoir d’autre résultat que de nous faire perdre du temps, tant elle est dénuée de toute espèce de fondement.
Pour prouver qu’elle est dénuée de toute espèce de fondement, il me suffira, messieurs, de vous rappeler les faits, tels qu’ils se sont passés : le prédécesseur de M. le ministre de la guerre nous présente un projet de loi sur l’organisation de l’école militaire, ce projet est examiné par les sections, il passe à la section centrale ; la section centrale fait un rapport et à la suite de ce rapport, elle présente à la chambre un nouveau projet sur l’organisation de l’école militaire ; M. le ministre de la guerre est interpellé, non pas le jour où commence la discussion, mais dans une séance précédente, on lui demande s’il est dans l’intention de soutenir le projet de son prédécesseur ou celui de la section centrale ; M. le ministre s’explique de la manière la plus catégorique, déclare qu’il renonce au projet de son prédécesseur et qu’il adopte le projet de la section centrale, sauf, ajoute-t-il, à présenter quelques amendements.
Un membre demande que ces amendements soient imprimés à la suite l’un de l’autre avant que la discussion ne commence, précisément pour que chacun puisse bien les étudier avant d’émettre son vote ; cette impression se fait, et voyez, messieurs, comment M. le ministre est conséquent dans la déclaration qu’il renonce au premier projet ; voici comment il intitule ses amendements : Amendements de M. le ministre de la guerre au projet de loi relatif à l’école militaire. « Ah ! dira l’honorable M. Desmanet de Biesme, nous avons gain de cause, car quand M. le ministre dit : le projet de loi relatif à l’école militaire, c’est évidemment le projet du gouvernement. » Eh bien non, ce n’est pas le projet du gouvernement, c’est le projet de la section centrale.
Eh, messieurs, le ministre l’explique de la manière la plus catégorique. Il dit :
« Art. 1er (art. 1er du projet de la section centrale).
« Art. 2 nouveau… »
« Art. 3 (art. 2 du projet de la section centrale). »
« Art. 4 (art. 3 du projet de la section centrale), » et ainsi de suite. L’on voit donc qu’il n’est pas question le moins du monde du projet primitif du gouvernement, le gouvernement a renoncé à son projet, ce projet même n’existe plus.
Voilà donc des faits positifs ; antérieurement même à la séance où nous avons commencé la discussion, le gouvernement avait renoncé à son premier projet ; il n’en a plus été question et la chambre en a été dûment avertie.
Maintenant l’honorable M. Dumortier soutient que le ministre n’avait pas le droit de renoncer à son premier projet. Et pourquoi ? Parce c’était le projet du Roi, et qu’il fallait que la royauté elle-même vînt y renoncer ; car, selon l’honorable M. Dumortier, un ministre dans la chambre n’est rien du tout ; s’il est député, il vote comme député, il fait des motions comme député ; mais comme ministre, il n’est absolument rien.
Il est au moins assez singulier que nous ayons attendu pendant tant d’années, avant de nous en apercevoir ; il est assez singulier que M. le général Evain qui n’a jamais été député, soit venu dans cette enceinte faire des motions, présenter des amendements, faire en un mot ce que fait un député.
C’est là de la tolérance, dit M. Dumortier. Je me croirais bien coupable, si pendant 4 ans, je m’étais montré tolérant au point de laisser violer la constitution et les prérogatives de la chambre. Non, ce n’était pas de la tolérance que nous montrions ; nous ne faisions que ce que nous étions obligés de faire, car un ministre a le droit de présenter ici des amendements, de faire des motions, tout comme un député.
Et remarquez, messieurs, que cela est même vrai, dans l’opinion de l’honorable M. Dumortier. Plus d’une fois nous avons entendu cet honorable membre demander à un ministre qui annonçait une motion, si c’était comme député ou comme ministre qu’il voulait présenter la motion, et il lui a été répondu la plupart du temps, que c’était en qualité de ministre du roi.
Messieurs, l’honorable préopinant est allé à cet égard jusqu’à dire que c’était donner aux ministres un pouvoir dictatorial. Car, dit-il, par là, on élude les deux votes et un double vote est la conséquence d’un des articles de la constitution. Et de quel article ? De l’article 27 qui porte :
« L’initiative appartient à chacune des trois branches du pouvoir législatif. »
C’est de cet article que découle, selon M. Dumortier, la conséquence d’un double vote, j’avoue que quant à moi, je ne comprends pas cette logique, et je défie M. Dumortier de citer un autre article de la constitution qui consacre la nécessité du double vote.
Mais pourquoi doit-il y avoir deux votes ? Parce que l’article 45 de notre règlement porte :
« Lorsque des amendements auront été adoptés, ou des articles d’une proposition rejetés, le vote sur l’ensemble aura lieu dans une autre séance que celle où les derniers articles de la proposition auront été votés.
« Dans la seconde, seront soumis à une discussion et à un vote définitif, les amendements adoptés et les articles rejetés, etc. »
Et pourquoi cet article a-t-il inséré dans le règlement ? Parce qu’on a voulu éviter les inconvénients qui pouvaient être le résultat du vote d’un amendement qu’on n’aurait pas eu le temps d’examiner à tête reposée. Or, nous avons eu le temps d’examiner les amendements de M. le ministre de la guerre ; car ils ont été distribués avant l’ouverture de la discussion. Du reste, j’en appelle à vos souvenirs ; depuis que la chambre existe, chaque fois que le projet d’une section centrale différait du projet du gouvernement, on a demandé au ministre : vous ralliez-vous ou non au projet de la section centrale ? et que le ministre déclarait qu’il s’y ralliait, sauf à introduire dans le projet telles modifications qu’il jugerait convenables ; dès lors, le projet de la section centrale devenait la base de la discussion, et tous les changements apportés dans le projet de la section centrale étaient regardés comme des amendements.
Or, messieurs, c’est un amendement que vous avez voté, relativement à la localité où l’école militaire sera placée, et c’est l’honorable M. Dumortier qui a demandé par une proposition qu’il a qualifiée d’amendement que l’école militaire fût établie dans une place de guerre.
Je crois, messieurs, après avoir ainsi rectifié les faits et rappelé sommairement ce qui s’est passé dans la chambre, depuis qu’elle existe ; je crois, dis-je, qu’il ne peut plus rester le moindre doute dans l’esprit de personne. Le projet primitif, c’est le projet de la section centrale, et toutes les modifications qui ont été introduites dans ce dernier projet sont des amendements.
M. Verhaegen. - Je n’ai que quelques mots à dire, parce que j’ai à exposer à peu près les mêmes raisons que l’honorable M. de Brouckere. La question me paraît tellement claire que je ne conçois pas comment elle peut faire l’objet d’une discussion. Tout ce que M. Dumortier a dit, aurait pu venir à propos, lors de la première discussion, mais cela ne vient plus à propos aujourd’hui parce que M. Dumortier vient contredire son propre fait. Dans la première discussion, M. Dumortier a présenté un amendement à la proposition du gouvernement, et aux termes du règlement, il fallait voter d’abord sur l’amendement. Je tiens en mains le registre des procès-verbaux dans lequel je lis que M. Dumortier présente un amendement, ainsi conçu :
« Il sera établi une école militaire dans une des places du royaume. »
Et que cet amendement est adopté.
M. Dumortier ne peut plus soutenir aujourd’hui que sa proposition n’était pas un amendement ; lui-même l’a qualifiée d’amendement ; le procès-verbal le qualifie de même, le procès-verbal a été approuvé : c’est donc là un objet qui a été irrévocablement arrêté.
Si, messieurs, l’autre proposition avait constitué un amendement, ce serait sur cette proposition qu’on aurait dû voter en premier lieu, car on vote d’abord sur les amendements ; or, ce que M. Dumortier considère comme amendement a été considéré comme la proposition principale, puisque par suite de l’amendement que lui avait proposé, il n’en a plus été question. Il aurait donc fallu faire l’inverse, il aurait fallu s’occuper d’abord de la question de savoir si une école militaire sera établie dans le royaume. Mais aujourd’hui, M. Dumortier n’est plus recevable dans sa demande ; lui-même s’est posé une barrière infranchissable ; il ne peut plus venir dire que la chambre ne peut pas considérer sa proposition comme amendement ; lui-même l’a présenté comme tel et la chambre l’a sanctionné comme tel ; M. Dumortier a accepté la discussion sur ce terrain, et elle doit y rester.
M. Dumortier. - Ce que viennent de dire les honorables préopinants repose sur une supposition tout à fait gratuite, à savoir que la proposition que j’ai eu l’honneur de faire aurait été présentée par moi comme amendement. Or, je le répète, c’est une supposition tout à fait gratuite, et il est très facile de créer alors des fantômes pour venir me combattre.
Comment les choses se sont-elles passées ? J’ai déposé une proposition qui était une partie du projet du gouvernement et dans laquelle je me bornais à dire : « Qu’il serait établi une école militaire dans une des places fortes du royaume. » En développant cette proposition, j’ai eu l’honneur de vous faire remarquer qu’elle était empruntée à l’article premier du projet du gouvernement ; c’était donc une simple division et non pas un amendement, et c’est en quoi consiste l’erreur des préopinants qui veulent me mettre en contradiction avec moi-même.
Maintenant, messieurs, quand la proposition que j’ai eu l’honneur de déposer a été votée, qu’a fait le ministre ? Le ministre est venu lui-même demander qu’on votât le reste de l’article, tel qu’il avait été présenté par le gouvernement ; de cette manière, a ajouté le ministre, tout le premier article du projet du gouvernement sera voté. C’est alors que nous avons voté cette disposition, et que l’article premier a été mis aux voix dans son ensemble, et adopté par l’assemblée.
En présence de pareils faits, est-il possible de venir dire que j’ai moi-même qualifié ma proposition d’amendement ? On dit que ma proposition est qualifiée d’amendement dans le procès-verbal : qu’est-ce que cela prouve ? Un amendement consiste dans la chose et non pas dans le nom qu’on lui donne. Or, il est tellement vrai que ma proposition n’est pas un amendement, qu’elle se trouve textuellement dans le projet du gouvernement.
Comment qualifier d’amendement une proposition signée par le Roi ? Ce n’est que par un abus de mots qu’on peut lui donner cette qualification. D’après cette considération, il est manifeste que l’article a été définitivement voté. On excepte ce qui est relatif à la marine ; si la chambre croit que l’adjonction de la marine soit un amendement qui doit faire remettre l’article en entier aux voix, je ne m’y oppose pas. Mais quant au principe que j’ai posé relativement à l’action du gouvernement dans cette chambre, il n’en existe pas moins. Si on devait interpréter la constitution de cette manière qu’un ministre pourrait faire soumettre à un second vote des dispositions selon son gré, un pareil état de choses constituerait dans cette chambre un pouvoir dictatorial.
Que nous dit l’article 88 de la constitution ? « Les ministres n’ont voix délibérative dans l’une ou l’autre chambre que quand ils en sont membres… »
Ils viennent présenter les projets de loi au nom du Roi, ils ne peuvent pas siéger, faire acte du pouvoir délibératif qu’autant qu’ils soient membres d’une des deux chambres, ils n’ont qu’un caractère consultatif, et proposer des amendements n’est pas un acte consultatif, c’est prendre part à la confection des lois.
« Ils ont leur entrée dans chacune des chambre et doivent être entendus quand ils le demandent. »
Etre entendu quand on le demande, c’est avoir la parole, mais non proposer des amendements, ce qui serait coopérer à la confection des lois. Sans cela, à quoi servirait l’article qui porte que l’initiative appartient à chacune des trois branches du pouvoir législatif ? Cette disposition serait une nullité dans la constitution. Une pareille faculté serait une calamité ; le congrès qui a voulu placer la chambre ait sommet du pouvoir, n’aurait jamais consenti à donner aux ministres une faculté semblable.
M. de Brouckere. - Je suis fâché de devoir prendre de nouveau la parole. Mais M. Dumortier vient de donner à la constitution une interprétation qui exige une réponse. Nous ne pouvons pas permettre que la constitution soit faussée.
Mais d’abord la proposition faite par l’honorable M. Dumortier, dans une des séances précédentes, est-elle un amendement oui ou non ? C’est la première question à examiner. Eh bien puisque les arguments ne suffisent pas, je vais condamner M. Dumortier par ses propres paroles, j’ai le Moniteur à la main.
L’honorable M. Dumortier, au milieu d’une discussion régulière, demande à parler, en intervertissant l’ordre des orateurs inscrits ; il obtient la parole ; pourquoi ? Pour présenter un amendement, c’est lui-même qui le dit.
M. Verhaegen fait observer que ce n’est pas le tour de parole de M. Dumortier, qu’il est inscrit avant lui. M. Dumortier persiste, s’anime, prétend qu’on intervertit toutes les règles reçues dans l’assemblée, et que puisqu’il a présenté un amendement, il a le droit de le développer.
Je lis ensuite : « M. le président : Voici l’amendement de M. Dumortier. » Il en donne lecture ; « désire-t-il développer son amendement ? »
« M. Dumortier : Sans doute. »
Et M. Dumortier développe et développe fort longuement son amendement.
Venons à la fin de la discussion sur cette proposition, qui n’est pas un amendement, selon M. Dumortier.
« M. Pirson : Je demande la division.
« M. le président : La division de l’amendement de M. Dumortier ayant été demandée, je mettrai d’abord aux voix la première partie de l’amendement. » Cette première partie est mise aux voix et adoptée.
« M. le président : Je mets la seconde partie de l’amendement aux voix. »
« Cette seconde partie est également adoptée. »
Il ne peut plus y avoir de doute, la proposition de M. Dumortier est un amendement de l’aveu de M. Dumortier lui-même, et par conséquent elle doit être soumise à un second vote.
Maintenant on prétend encore une fois que les ministres n’ont aucun pouvoir dans cette assemblée quand ils ne sont pas députés, qu’ils ne peuvent que venir présenter des projets de loi de la part du Roi, mais non des amendements. Pourquoi ? Parce que, dit-on, l’initiative appartient à chacune des trois branches du pouvoir législatif, et le ministère n’est pas une branche du pouvoir législatif.
Si on avait mis l’article 26 de la constitution en rapport avec l’article 27, on aurait vu que le pouvoir législatif s’exerce collectivement par le Roi, la chambre des représentants et le sénat, et que l’initiative appartient à chacune des trois branches du pouvoir législatif. Maintenant, le ministre a-t-il le droit de présenter un amendement au nom du Roi, ou bien faut-il que le Roi vienne le proposer lui-même. Si un ministre n’a pas le droit, il est indispensable ou que le Roi siège parmi nous, ou que chaque fois on aille prendre ses ordres.
On conçoit la conséquence d’une semblable opinion. Les ministres dans la chambre sont les commissaires du Roi. Quand ils viennent comme ministres faire des propositions, ils les font au nom du Roi, mais ce sont eux qui les font sous leur responsabilité. Voyez les arrêtés qui précèdent les projets de loi ; ils portent que le roi donne ordre à son ministre de tel département de présenter tel projet. C’est donc comme commissaires du roi qu’ils les proposent. Ils ont le même droit pour des amendements ou des propositions incidentes.
M. de Puydt. - Je demanderai si M. Dumortier doit avoir le monopole de la parole, et s’il a le droit de nous imposer l’insupportable supplice de l’entendre constamment répéter les mêmes choses. (Mouvement.)
M. Dumortier. - Mais, messieurs ! mais, messieurs !
M. le président. - Cette expression n’est pas parlementaire.
M. de Puydt., continuant. - Dans la première discussion de la loi, M. Dumortier a parlé trente-cinq fois ; il a parlé jusqu’à sept fois sur la même question, sans tenir compte des réponses qu’on lui faisait, ni des arguments sans nombre que lui opposait M. le ministre de la guerre. Si ce n’est pas un insupportable supplice d’entendre de pareilles choses, je ne connais plus rien à la langue. (Nouveau mouvement.)
Je demande que....
M. le président. - Il n’est pas convenable de dire que c’est un insupportable supplice que d’entendre un de ses collègues. On ne doit pas s’adresser de pareilles choses.
M. de Puydt. - Soit, je retire l’expression ; mais je demande que la parole ne soit accordée une troisième fois à M. Dumortier qu’en vertu d’une décision de la chambre.
M. Trentesaux. - Ne serait-il pas possible d’éviter toute cette ergoterie en arrivant tout de suite à l’article second qui dit que l’école militaire sera établie à Gand. Vous n’avez rien fait quand vous avez dit que l’école sera établie dans une des places de guerre du royaume, si après vous désignez la place où vous l’établissez. Passons de suite à l’article 2.
M. Desmet. - Je prends la parole pour demander si un ministre peut faire une proposition en son propre nom ou s’il doit la faire au nom du cabinet. Je crois que le ministre des finances a compris que quand on retirait un projet, on devait le faire au nom du gouvernement. C’est ce qu’il a fait lors de la discussion de la loi sur les distilleries. Vous savez qu’on a fait remarquer que l’article 3 que M. le ministre proposait d’ajouter au budget des voies et moyens, ne pouvait pas être mis à exécution, il l’a modifié, mais au nom du Roi ; il a lu une ordonnance portant « que notre ministre des finances est chargé de retirer tel projet et de présenter tel autre. Signé, Léopold. »
Il me semble que le ministre a reconnu que pour retirer un projet primitif, il fallait une ordonnance du Roi.
M. le ministre de l’intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - Il est arrivé fréquemment qu’avant de commencer une discussion, on a consulté le ministère sur la question de savoir s’il consentait à ce que la discussion s’établît sur le projet de la section centrale ; alors on mettait au voix le projet de la section centrale et les amendements que le ministre jugeait à propos de présenter. Voilà les antécédents de la chambre.
- La chambre décide que la disposition sera soumise à un second vote.
M. le président. - La discussion est ouverte sur le fond. Voici la disposition :
« Il est établi une école militaire dans une des places fortes du royaume. »
M. de Behr. - Messieurs, lorsque l’honorable M. Devaux a proposé de placer l’école militaire à Gand, il avait en vue la création d’un grand établissement scientifique, et l’économie dans la dépense en réunissant le génie militaire au génie civil. M. le ministre de la guerre a démontré les inconvénients de cette réunion et l’auteur de la proposition les a lui-même reconnus, puisqu’il a modifié son amendement qui rendait obligatoire la communauté des cours généraux. Ce n’est plus maintenant qu’une simple faculté laissée au gouvernement, faculté purement illusoire en présence du personnel enseignant de l’école, et du régime disciplinaire auquel les élèves sont soumis. Quelle raison dès lors peut-il y avoir encore de préférer la ville de Gand aux autres villes ou places fortes du royaume ?
On a dit que la faculté des sciences pourrait fournir des professeurs pour les cours théoriques de l’école militaire ; mais si cette école était établie à Liége ; certes, la faculté de sciences de cette ville compte des professeurs distingués qui pourraient rendre les mêmes services. On a prétendu qu’il fallait fortifier l’université de Gand, parce que certaines branches de son enseignement étaient en souffrance. Mais l’expédient proposé agira en sens inverse sur l’université de Liége ; il diminuera les chances d’avenir de cet établissement ; et toutefois, il n’est aucunement certain qu’il sauvera l’autre établissement du péril dont il serait, dit-on, menacé. Dans cette incertitude, irez-vous exposer l’université de Liége à partager le même sort que l’autre et à succomber ensemble dans la lutte qu’elles ont à soutenir contre les institutions privées. Si le mal signalé existe en effet, le seul remède à appliquer serait de faire cesser au plus tôt une concurrence aussi impolitique qu’inutile que se font mutuellement les deux grands corps d’enseignement et de supprimer les facultés qui n’ont aucun germe d’avenir en faveur de celles qui peuvent prospérer. Ce serait là une mesure salutaire qui satisferait à toutes les exigences ; elle obtiendrait l’assentiment de ceux qui veulent que l’instruction publique soit fortement organisée, et qui désirent concilier les besoins de l’Etat avec le poids des charges publiques ; tout serait alors facile à arranger : Gand aurait l’enseignement polytechnique et Liége conserverait l’enseignement universitaire proprement dit.
Puisqu’on a parlé des avantages qu’offrirait la ville de Gand pour l’emplacement de l’école projetée, permettez-moi, messieurs, de dire à mon tour quelques mots en faveur de la ville que je représente. Liége est dominé par une citadelle très forte, un fort considérable, et des montagnes propres aux exercices de l’artillerie et du génie. Elle possède des locaux magnifiques ; elle est le centre de la fabrication des armes de guerre dont le maniement continuel inspirerait aux élèves le goût et l’esprit de la profession qu’ils doivent embrasser. Il y a dans la ville dont je parle une fonderie de canons qui est admirée de tous les étrangers et dirigée exclusivement par des officiers d’artillerie ; un champ d’épreuve très vaste et parfaitement organisé ; enfin, un établissement gigantesque dont les nombreux ateliers renferment les machines les plus ingénieuses pour traiter le fer et le mettre en œuvre.
J’ai souvent entendu dire que l’artillerie hollandaise était l’une des premières de l’Europe pour l’habileté de la manœuvre ; le roi Guillaume la regardait comme un moyen puissant de domination en Belgique ; il en réservait avec soin toutes les places d’officier aux indigènes hollandais. Eh bien, c’est à Liége qu’il envoyait les jeunes gens faire leurs études d’application pour entrer dans ce corps ; il y en avait 70 à 80 lorsque la révolution a éclaté. N’est-il pas, en effet, de la dernière évidence que les élèves doivent apprendre à se servir de l’arme à laquelle ils se destinent dans l’endroit même où elle se fabrique, où elle se perfectionne, où l’on en mesure la force et calcule les effets. Or, ne perdez pas de vue, messieurs, que l’artillerie a fourni à l’armée française le plus grand nombre de ses bons généraux, y compris le vainqueur de Constantine.
M. le ministre de la guerre s’est récrié contre l’assertion de l’honorable M. Pollénus, lorsqu’il vous a dit que l’intention de M. le général Evain avait été de placer l’école militaire à Liége. Rien n’est pourtant plus vrai : le projet était tellement arrêté que cet honorable général m’avait demandé des renseignements sur les locaux, et qu’il a été les visiter lui-même. S’il n’a pas donné suite à ce projet, c’est à cause des dissentiments déplorables qui avaient surgi dans le sein du conseil de régence ; c’est du moins ce qu’il m’a dit, lorsque je l’ai revu à Bruxelles quelques jours après. Quoi qu’il en soit, je ne parle pas sous l’influence de ces circonstances ; la meilleure preuve que je puisse en donner, c’est que je voterai pour la proposition qui laissera toute latitude à M. le ministre pour l’emplacement de l’école. Quand l’intérêt général se trouve en contact avec des intérêts secondaires, le parti le plus sage à prendre est, à mon avis, de s’en rapporter au gouvernement, parce qu’étant désintéressé dans la question, il est le meilleur juge pour la décider. Ce n’est donc que subsidiairement que je présenterai avec l’honorable M. Pollénus un amendement dans ces termes : « L’école militaire sera établie dans une ville où siège une université de l’Etat. » Cet amendement est certainement plus impartial que celui de M. Devaux ; il n’exclut aucune des deux villes universitaires ; il laisse au gouvernement le choix de celle qui offrira toutes les conditions désirables pour le bien-être et la prospérité de l’école militaire.
M. Devaux. - Je demande la parole pour une motion d’ordre, pour savoir sur quoi on discute. Mon amendement aurait été renvoyé à l’article 2. C’est par une erreur qu’on le comprend dans la discussion de l’article premier, il vaudrait mieux discuter séparément l’article premier, conformément à la décision de la chambre et discuter mon amendement quand nous en serons à l’article 2.
Si nous discutons à la fois les 4 paragraphes de l’article premier et mon amendement et l’amendement de MM de Behr et Pollénus, il est facile de voir qu’il y aura confusion dans la discussion.
M. Dubus (aîné), vice-président., remplace M. Raikem au fauteuil.
M. Pollénus. - Je pense qu’il est impossible d’admettre la proposition de l’honorable M. Devaux ; en effet, il suffit de lire l’article premier et l’amendement de M. Devaux admis au premier vote, pour prouver que ces deux dispositions doivent être discutées en même temps. Je vois au paragraphe premier de l’article premier :
« Il est établi une école militaire dans une des places fortes du royaume. »
Je lis ensuite dans la proposition de M. Devaux qu’il veut reporter à l’article 2 : « L’école militaire sera établie à Gand. »
Ainsi l’une et l’autre disposition statuent sur l’emplacement de l’école militaire. Il faut donc de toute nécessité les discuter ensemble.
M. de Brouckere. - Je voulais dire aussi qu’il est impossible de discuter le paragraphe premier de l’article premier sans s’occuper de l’amendement de M. Devaux. Ces deux dispositions sont contradictoires.
Je suppose que c’est sauf rédaction que l’on a adopté deux dispositions portant, l’une :
« Il est établi une école militaire dans une des places fortes du royaume. »
L’autre :
« L’école militaire sera établie à Gand. »
Car Gand n’est pas une place forte. (Réclamations.)
Non, messieurs, Gand n’est pas une place forte ; il y a une forteresse à Gand ; mais cette ville n’est pas une place forte.
D’ailleurs Gand fut-il une place forte, il serait absurde de dire d’abord :
« Il est établi une école militaire dans une des places fortes du royaume. »
Et ensuite :
« L’école militaire sera établie à Gand. »
Il faudrait dire de suite :
« L’école militaire sera établie à Gand. »
Ainsi quand nous discutons le paragraphe premier de l’article premier, nous discutons en même temps l’amendement de M. Devaux.
M. Devaux. - L’observation que j’ai faite avait pour but que la chambre fût conséquente.
La chambre a décidé que mon amendement faisait partie de l’article 2. Dans l’article premier, elle a posé le principe. L’article 2 est la conséquence de ce principe.
Après que l’article 2 aura été adopté, j’avoue que je ne verrai pas d’inconvénient (non pas qu’il y ait contradiction, mais parce qu’il y aurait pléonasme) à ce qu’on retranche le principe posé par l’article premier.
Je crois donc qu’il convient de suivre le même ordre que dans la première discussion.
Quant à ce qu’a dit l’honorable M. de Brouckere que Gand n’était pas considérée comme une place forte, il est dans l’erreur. Avant que l’on allât aux voix, l’honorable M. Pirmez a demandé si Gand était compris dans la désignation de places fortes. Et l’on a répondu oui, sans qu’il y ait eu réclamation.
M. de Brouckere. - Nous avons réclamé ; mais plusieurs personnes donnent au mot « places fortes » un sens tel qu’il peut s’appliquer à toutes les villes de la Belgique, excepté Bruxelles.
M. Raikem. - Je ferai une observation sur ce que vient de dire l’honorable préopinant.
Lors de la première discussion l’amendement de l’honorable M. Devaux était rédigé d’une manière différente qu’il n’a été présenté quand on est venu à la discussion de l’article 2. Vous avez d’abord admis en principe que « il est établi une école militaire dans une des places fortes du royaume. » Mais M. Devaux (je parle d’après mes souvenirs ; si je me trompe on pourra rectifier mon erreur) avait proposé un amendement qui portait que les cours généraux de l’école militaire seraient placés près de l’université de Gand. Il ne voulait pas décider par là (si mes souvenirs sont fidèles) en quel lieu serait placée l’école militaire. Vous voyez que l’amendement, tel qu’il a été présenté alors, se rapportait plutôt à l’article 2. Mais quand on est venu à la discussion de l’amendement il a été présenté une nouvelle rédaction, dans les termes suivants :
« L’école militaire sera établie à Gand, » aussi bien l’école d’application que la partie de l’école militaire ayant pour objet les cours généraux. Cette disposition est absolue ; par conséquent elle se rapporte à l’article premier qui fixe l’emplacement de l’école militaire ; car on comprendra qu’il est impossible de dire dans une loi :
« Il est établie une école militaire une des places fortes du royaume. »
Et ensuite :
« L’école militaire sera établie à Gand. »
La locution la plus naturelle serait assurément de dire d’abord :
« L’école militaire sera établie à Gand. »
Donc la disposition, non telle qu’elle a été présentée primitivement, mais telle qu’elle a été présentée eu dernier lieu, et telle qu’elle a été adoptée par la chambre, se rapporte à l’article premier ; et en même temps que nous discutons si l’école militaire sera établie dans une des places fortes du royaume, nous devons discuter si elle sera établie à Gand.
Cela me paraît très rationnel.
M. Verhaegen. - Il me semble, messieurs, que la première question sur laquelle la chambre doit se prononcer est celle-ci :
« L’école militaire sera-t-elle établie dans une ville du royaume au choix du gouvernement ? »
Si cette question est résolue négativement, on viendra à celle-ci :
« L’école sera-t-elle établie dans une des places fortes du royaume ? »
Si cette question est aussi résolue négativement vient la question :
« L’école sera-t-elle établie dans une des villes qui sont le siège des universités de l’Etat ? »
Enfin, en cas de solution négative de cette question, vient la dernière question :
« L’école militaire sera-t-elle établie à Gand ? »
Il me semble que c’est ainsi qu’il faut procéder. Si tout le monde est d’accord avec les honorables députés de Liége sur ce point, qu’il ne faut exclure personne, car MM. de Behr et Pollénus demandent qu’on laisse toute latitude au gouvernement ; ce n’est que subsidiairement qu’ils présentent un amendement.
Je pense donc qu’il y a d’abord lieu à mettre aux voix cette question, qui déciderait tout, si elle était résolue affirmativement :
« Y aura-t-il une école militaire dans une ville du royaume, au choix du gouvernement ? »
M. Raikem. - Je crois qu’il faut commencer par mettre aux voix si l’école militaire sera établie à Gand ; en second lieu si elle sera établie dans une des deux villes du royaume où il y a une université ; en troisième lieu, si elle sera dans une des places de guerre du royaume.
Voici le motif sur lequel je me fonde : c’est sur le vote que vous venez d’émettre.
Vous avez décidé que la disposition concernant l’emplacement de l’école militaire dans une place de guerre était un amendement. Dès que c’est un amendement, ce n’est pas certes la proposition principale ; car autrement il n’y aurait pas lieu à un second vote.
La disposition présentée par M. Devaux est également un amendement.
Quelle est la disposition qui doit être regardée comme le projet primitif ? C’est évidemment la proposition du ministre, conforme, en ce point, au projet de la section centrale qui laissait au gouvernement le choix libre et absolu de placer l’école militaire dans la ville où il le jugerait à propos.
Mais quelle est la disposition qui s’écarte le plus de cette disposition qu’on regarde comme primitive ? C’est évidemment celle qui fixe à Gand l’emplacement de l’école militaire. C’est ensuite celle qui place l’école dans une des deux villes universitaires, sans désigner laquelle. C’est en troisième lieu celle qui établit l’école dans une place de guerre.
D’ailleurs, il me semble qu’en cela nous suivons l’article 45 du règlement qui soumet à un deuxième vote les amendements et les nouveaux amendements qui seraient motivés sur l’adoption ou le rejet d’amendements adoptés ou rejetés au premier vote.
Il y a donc pour suivre le règlement obligation de soumettre d’abord au vote les amendements.
M. Dumortier renonce à la parole.
M. Gendebien. - Il me semble que pour procéder avec suite et pour épargner du temps, il faut d’abord résoudre la question de savoir si on laissera au gouvernement la faculté absolue du choix de l’emplacement de l’école. Sans cela, qu’arrivera-t-il ? Qu’après avoir voté sur les 3 ou 4 questions qui viennent d’être énoncées, vous soyez obligés de revenir à la proposition primitive.
Il vaut donc mieux s’exprimer franchement tout d’abord sur le premier point.
Si la chambre résout affirmativement la question posée par l’honorable M. Verhaegen, il est évident qu’il n’y a pas lieu à statuer sur les autres questions. Si au contraire elle est résolue affirmativement, alors nous discuterons. Mais au moins ainsi, nous aurons tenté un moyen de gagner du temps.
Je crois donc qu’il faut d’abord résoudre la question de savoir si on laissera au gouvernement la liberté absolue du choix.
M. Devaux déclare se rallier à la proposition de M. Verhaegen tendant à ce que la chambre résolve en premier lieu la question suivante :
« Sera-t-il établi une école militaire dans une ville du royaume au choix du gouvernement ? »
M. le président. - On fait plusieurs propositions ; sur laquelle délibérera-t-on d’abord ?
M. Dumortier. - Je ne puis comprendre comment l’honorable préopinant qui soutenait que la proposition que je fais était un amendement, vienne soutenir que l’on vote d’abord sur la proposition principale. Vos arguments en main, je dis que puisque vous avez déclaré que l’article premier était un amendement, il faut que vous le mettiez d’abord aux voix ; cela résulte formellement du texte de l’article 45 du règlement. Si le règlement ne vous lie plus, je ne sais comment nous nous conduirons.
M. Verhaegen. - Les amendements se résument ainsi : « L’école militaire sera établie partout ailleurs qu’à Bruxelles. » Nous retournons cette proposition et nous demandons qu’on vote sur ce principe : « L’école militaire sera établie dans une place au choix du gouvernement. »
C’est une inconséquence de dire que l’école militaire sera établie dans une place forte, puis de dire qu’elle sera à Gand ; c’est pour éviter cette inconséquence que j’ai posé une question de principes.
M. Dumortier. Bruxelles n’est pas la seule ville qui ne soit pas fortifiée. On a voulu que l’école militaire soit dans une place forte comme en France.
Des voix. - Vous entrez dans la discussion du fond.
M. Dumortier. - Mais vous y êtes entrés vous-mêmes ; il faut bien que je vous suive. Comme M. de Brouckere a prétendu qu’il pouvait y avoir du doute sur le mot « place forte, » je demanderai qu’on mette place de guerre.
M. Gendebien. - Il s’agit ici d’une question de temps, d’une question d’économie de temps ; par conséquent, je crois que je suis dans le règlement, parce que le règlement a été établi pour mettre de l’ordre dans la discussion, et pour économiser le temps. Eh bien, si la majorité de la chambre est disposée à laisser le choix au gouvernement, elle adoptera la proposition faite par M. Verhaegen, qui décide tout, en une seule vote ; tandis que si vous voulez que l’on vote sur toutes les questions proposées, il y aura de longues discussions sur chacune, et nous arriverons péniblement à résoudre la question dans le sens de la majorité, qui sera obligée de se prononcer sur chaque proposition. Faisons donc l’essai de la majorité pour ne pas perdre de temps. (Aux voix ! aux voix !)
M. Raikem. - Je crois que le meilleur mode de délibérer est celui que j’ai proposé. On voterait d’abord sur la question de savoir si l’école militaire sera établie à Gand, puis sur les autres questions. Ce n’est pas la décision d’une question de principe qui nous fera gagner du temps, mais bien celle d’une question positive ; or, c’est une question positive que je propose. (Aux voix ! aux voix !)
- La chambre consultée ferme la discussion sur la motion qui a pour objet de fixer l’ordre de la délibération.
La chambre consultée décide que la proposition de M. Verhaegen a la priorité.
On procède par appel nominal sur la proposition de cet honorable membre, laquelle est ainsi conçue :
« L’école militaire sera établie dans une place au choix du gouvernement. »
90 membres sont présents.
37 votent l’adoption.
51 votent le rejet.
2 s’abstiennent de prendre part à la délibération.
Ont voté l’adoption : MM. Angillis. Berger. Coghen, Corneli, de Behr, de Brouckere, de Longrée, F. de Mérode, W. de Mérode, de Muelenaere, de Puydt, de Renesse, de Theux, d’Huart, Dolez, Duvivier, Ernst, Gendebien, Jadot, Keppenne, Lardinois, Lecreps, Meeus, Mercier, Metz, Milcamps, Nothomb, Pirmez, Raymaeckers, Troye, Vandenhove, van Volxem, Verhaegen, Vilain XIIII, Willmar, Zoude.
Ont voté le rejet : MM. Andries, Beerenbroeck, Bekaert, Brabant, Coppieters, Dechamps, de Florisone, de Langhe, de Man d’Attenrode, de Meer de Moorsel, Demonceau, de Nef, de Perceval, Dequesne, de Roo, de Sécus, Desmaisières, Desmanet de Biesme, Desmet, de Terbecq, Devaux, Doignon, Dubus, Dubus aîné, Dubus Bernard, Dumortier, Eloy de Burdinne, Heptia, Hye-Hoys, Kervyn, Lebeau, Lejeune, Maertens, Mast de Vries, Morel-Danheel, Polfvliet, Pollénus, A. Rodenbach, C. Rodenbach, Rogier, Scheyven, Simons, Stas de Volder, Thienpont, Trentesaux, Ullens, Vandenbossche, Van Hoobrouck, Vergauwen, Wallaert, Peeters.
M. de Jaegher. - Messieurs, mon abstention est la conséquence de la manière dont la question a été posée : si l’on avait d’abord voté sur la question de savoir si la ville de Gand resterait en possession des avantages que devait lui assurer l’article adopté au premier vote, j’aurais infailliblement contribué à les lui maintenir ; mais dans tous les autres cas j’aurais voulu laisser au gouvernement la plus grande latitude possible.
M. Raikem. - Je me suis abstenu, messieurs, parce que la question que j’avais soulevée était préalable à celle qui a été mise aux voix ; que c’était de la décision de cette première question que devait dépendre mon vote sur celle qui vient d’être résolue, et que dès lors il m’a été impossible de voter.
M. le président. - Je vais maintenant mettre aux voix la question de savoir si l’école militaire sera établie dans une place forte.
M. Raikem. - Il me semble, messieurs, que le mode que vous venez d’adopter renverse en quelque sorte celui que j’avais proposé, et qu’il s’agit maintenant de voter sur la question de savoir si le gouvernement aura la faculté de placer l’école militaire dans une place forte à son choix. Je propose donc de poser la question en ces termes : « L’école militaire sera-t-elle placée dans une place forte, au choix du gouvernement. » (Appuyé, appuyé.)
M. Devaux. - Ce serait changer la proposition de l’honorable M. Verhaegen que de poser la question en ces termes. Si j’ai bien compris M. Verhaegen, il voulait d’abord faire décider en principe si l’école militaire serait établie dans une place forte ; et ensuite, si la chambre déterminerait cette place forte ou si on laisserait au gouvernement la faculté de la choisir ; je crois qu’il faut procéder de cette manière et voter en premier lieu sur la question de savoir si l’école militaire sera établie dans une place forte, en second lieu, sur la proposition de MM. Pollénus et de Behr, qui tend à placer l’école dans une ville d’université, et enfin sur la proposition que j’ai faite de placer l’école militaire à Gand ; sans cela comment voteraient ceux qui veulent adopter cette dernière proposition ?
M. Raikem. - L’honorable préopinant dit que ce serait changer la proposition de M. Verhaegen que de poser la question comme je le propose ; mais lorsque l’honorable M. Verhaegen a fait sa proposition, c’était pour faire trancher la question de savoir si l’emplacement de l’école militaire serait au choix du gouvernement ; maintenant que la chambre a décidé que l’école militaire devra être établie dans une place forte, je propose également de trancher la question de savoir si le gouvernement aura le choix de cette place forte ; je crois donc qu’il y a lieu d’adopter ma proposition aussi bien que celle de M. Verhaegen. Je ne fais d’ailleurs que suivre l’ordre qu’il a proposé lui-même : il a commencé par demander si le gouvernement aurait un choix absolu ; je demande maintenant si le gouvernement aura le choix entre les diverses places de guerre ; il me semble que cette question vient tout naturellement après celle de M. Verhaegen.
M. Devaux. - La chambre a adopté la proposition de M. Verhaegen, et par conséquent rejeté celle de M. Raikem. Quoiqu’il en soit, si M. Raikem persiste dans la proposition, je demande qu’on vote par division, d’abord sur la question de savoir si l’école militaire sera établie dans une place de guerre, et ensuite sur celle de savoir si le choix de cette place de guerre sera laissé au gouvernement.
M. Raikem. - Je crois, messieurs, que l’honorable préopinant se trompe en disant que la chambre a rejeté la proposition que je viens de faire en n’accordant pas la priorité à celle que j’avais faite en premier lieu ; je ne fais que suivre le sens de la proposition de M. Verhaegen en posant la question, relativement aux places de guerre, comme il l’avait posée relativement à toutes les villes du royaume. Je ne suis donc nullement en contradiction avec le vote de la chambre.
- La première partie de la proposition de M. Raikem, portant que l’école militaire sera établie dans une place de guerre, est mise aux voix et adoptée.
M. le président. - Il reste à voter sur les mots : au choix du gouvernement.
M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - Je viens appuyer, messieurs, cette seconde partie de la proposition ; je prierai la chambre de bien remarquer qu’il s’agit d’un établissement militaire, purement militaire ; non seulement je l’avais toujours entendu ainsi, mais sur la proposition de MM. Brabant et Mast de Vries la chambre a encore établi la chose législativement. L’école militaire sera donc exclusivement militaire. Je demanderai maintenant à la chambre si elle peut fixer le siège d’un établissement exclusivement militaire ; je pense que tout ce qui touche à l’armée est entièrement dans les attributions du Roi et qu’il appartient au Roi de fixer l’emplacement de tous les établissements militaires, en sa qualité de commandant en chef de l’armée. On pourrait même dire que la loi toute entière concernant l’école militaire n’aurait pas dû être votée et qu’il eût suffi d’établir tout simplement qu’il y aurait une école militaire. Il est vrai que cette école devant exiger un subside de l’Etat, et la constitution stipulant que toute instruction donnée aux frais de l’Etat doit être réglée par la loi, la loi devait déterminer les objets à enseigner et régler le mode d’enseignement ; mats c’est là tout. Quant à l’emplacement de l’école, c’est une chose toute matérielle qui, je le répète, est entièrement dans les attributions du Roi, qui est le commandant en chef de l’armée.
M. de Brouckere. - Je suis assez disposé à adopter l’opinion que vient d’émettre M. le ministre de la guerre, mais je regrette qu’il ne l’ait pas émise un peu plus tôt, car s’il est vrai que le Roi doit avoir la faculté de placer l’école milliaire là où bon lui semble, cela est vrai pour Bruxelles comme pour toutes les autres villes du royaume. Or, on vient d’émettre un vote d’où résulte que l’école militaire peut être placée presque partout, excepté à Bruxelles ; il faudrait donc que nous revinssions sur notre premier vote et que nous laissassions au gouvernement le droit de placer l’école militaire là où bon lui semblerait.
M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - Messieurs, je n’ai pas voulu prolonger tout à l’heure la discussion ; j’ai pensé que la majorité des membres de cette assemblée sentirait la nécessité de laisser au gouvernement le choix du siège de l’école militaire, et voterait dans ce sens ; mais puisqu’il me paraît qu’un grand nombre de membres pensent différemment, il est nécessaire que je m’oppose à ce que cette usurpation d’attributions soit poussée plus loin.
M. Devaux. - Messieurs, s’il y avait eu ici usurpation de pouvoir, je crois que les ministres s’en seraient aperçus, bien plus tôt qu’aujourd’hui ; je pense, moi, qu’il n’y a pas usurpation de pouvoir et, au reste, si nous usurpions, ce serait sur l’invitation même du gouvernement.
En effet, que lisez-vous dans le projet du gouvernement ? Que le gouvernement vous demande de le lier, puisqu’il vous a proposé d’établir une école militaire dans une de nos places fortes ; ainsi, messieurs, votre premier vote n’a eu lieu que sur la demande du gouvernement.
Messieurs, il ne s’agit pas ici de l’armée, il ne s’agit que d’une école ; il ne s’agit pas plus de l’armée qu’il ne s’agissait de la magistrature, lorsque vous avez constitué l’école de droit.
Messieurs, ne nous trompons sur le sens des choses. Si vous accordez maintenant toute liberté au gouvernement, croyez-vous que le gouvernement ait le choix entre les villes ? Non, messieurs, le sens de la disposition qui vous est présentées est bien précis ; si vous n’établissez pas l’école militaire à Gand, le gouvernement l’établira à Liége ; il n’y a lutte qu’entre ces deux villes. En effet, messieurs, la discussion a démontré d’une manière évidente la liaison étroite qu’il y a entre l’université et l’école militaire, qu’il n’est pas possible de croire que ce dernier établissement sera placé dans une localité autre que Gand ou Liége…
Un grand nombre des membres. - Vous discutez le fond. La clôture ! la clôture !
M. Devaux. - Je discute le fond, parce que M. le ministre est rentré dans le fond. (La clôture ! la clôture !)
- La clôture est mise aux voix et prononcée.
M. le président. - Messieurs, je vais mettre aux voix la seconde partie de la proposition, consistant dans ces mots : « au choix du gouvernement. »
M. de Jaegher. - Messieurs, je demande la parole sur la position de la question.
D’après la réponse qui sera donnée à cette question, l’amendement de M. Devaux sera rejeté ou adopté (mais certainement), de sorte que ceux qui voudraient conserver l’amendement de M. Devaux et maintenir l’établissement de l’école militaire à Gand, seront forcés de répondre non (Eh bien, oui !)...
Un grand nombre des membres. - L’orateur rentre dans le fond de la discussion. (Aux voix ! aux voix !)
M. de Jaegher. - Je le répète, messieurs, si la question est mise aux voix, comme elle est actuellement posée, le vote d’un grand nombre de députés sera forcé. (Aux voix ! aux voix !)
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Messieurs, je n’entrerai pas dans le fonds de la discussion ; l’honorable préopinant ayant interprété le vote que la chambre va émettre, il doit nous être libre de lui répondre : je dirai donc qu’en laissant le choix au gouvernement, vous ne décidez ni contre Gand, ni contre Liége, ni pour Liége, ni pour Gand.
Messieurs, vous avez déjà une fois limité le choix du gouvernement ; il est maintenant question de savoir s’il faut le limiter davantage. Vous avez décidé que l’école militaire serait placée dans une place de guerre ; convient-il de déterminer cette place ? Voilà sur quoi la chambre va voter.
M. de Jaegher. - Messieurs, le règlement dit que tous les articles nouveaux seront soumis à un second vote. Je me pemettrai de faire observer que si vous procédez ainsi qu’on le demande, le second vote sur l’amendement de M. Devaux est impossible.
M. Raikem. - Messieurs, je ferai observer que ce que désire l’honorable préopinant a été réclamé par moi au commencement de la discussion. Or, l’assemblée a pris une décision en sens contraire ; l’on doit donc subir maintenant les conséquences de cette première décision. (Aux voix !)
Un grand nombre des membres. - L’appel nominal ! L’appel nominal !
- Il est procédé au vote par appel nominal sur la seconde partie de la proposition, consistant dans ces mots : « au choix du gouvernement. »
Voici le résultat du vote :
90 membres sont présents.
3 s’abstiennent. (MM. de Jaegher, de Muelenaere et Lardinois.)
51 répondent oui.
36 répondent non.
La chambre adopte.
Ont répondu oui : MM. Beerenbroeck, Berger, Brabant, Coghen, Corneli, de Behr, de Brouckere, de Longrée, F. de Mérode, W. de Mérode, Demonceau, de Nef, de Perceval, de Puydt, de Renesse, de Sécus, Desmanet de Biesme. De Theux, d Huart, Dolez, Dubus aîné, B. Dubus, Dumortier, Duvivier, Eloy de Burdinne, Ernst, Gendebien, Heptia, Jadot, Keppenne, Lecreps, Mast de Vries, Meeus, Mercier, Metz, Milcamps, Nothomb, Pirson, Polfvliet, Pollénus, Raikem, Raymaeckers, Scheyven, Simons, Troye, Vandenhove, van Volxem, Verhaegen, Willmar, Zoude et Peeters.
Ont répondu non : MM. Andries, Angillis, Bekaert, Coppieters, Dechamps, de Florisone, de Langhe, de Man d’Attenrode, de Meer de Moorsel, Dequesne, de Roo, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, Devaux, Doignon, Dubois, Hye-Hoys, Kervyn. Lebeau, Lejeune, Liedts, Maertens, Morel-Danheel, Pirmez, A. Rodenbach, C. Rodenbach, Rogier, Stas de Volder, Thienpont, Trentesaux, Vandenbossche, Van Hoobrouck, Vergauwen, Vilain XIIII et Wallaert.
M. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont MM. de Jaegher, de Muelenaere et Lardinois. Ces messieurs sont invités à énoncer les motifs de cette abstention.
M. de Jaegher. - J’ai expliqué les motifs de mon abstention immédiatement avant le vote.
M. de Muelenaere. - Je voulais laisser au gouvernement la faculté d’établir l’école militaire dans une ville quelconque du royaume, je ne voulais l’exclusion d’aucune ville ; maintenant ce choix n’existe plus qu’entre deux villes, je ne veux pas voter dans un sens opposé à mon premier vote, je ne veux pas voter non plus pour la proposition contraire.
M. Lardinois. - Je me suis abstenu par les motifs énoncés par M. de Jaegher.
M. le président. - La chambre vient d’adopter cette partie de l’article : « Il sera établi une école militaire dans une des places de guerre du royaume, au choix du gouvernement.
« L’école militaire a pour objet de former des officiers pour les armes de l’infanterie, de la cavalerie, de l’artillerie et du génie, pour le corps d’état-major et pour la marine. »
- Adopté.
« En entrant dans la seconde année d’étude, les élèves contractent l’engagement de servir pendant six ans.
« S’ils appartiennent à la milice, ils entrent en déduction du contingent de leur commune pour la classe à laquelle ils appartiennent. »
M. Pollénus. - Il me semble que les deux propositions finales qui composent l’amendement de M. Brabant et qui sont relatifs aux conditions d’admission, n’ont aucune liaison avec la proposition qui précède. Je proposerai de faire un article séparé qui formerait l’article 2, et au lieu des mots « à la classe à laquelle ils appartiennent, » je proposerai de dire « à la classe dont ils font partie. »
- La double proposition de M. Pollénus est adoptée, ainsi que l’article amendé.
M. Devaux. - Je prie M. le ministre de répondre à cette question. A l’article 6 il a introduit un amendement par lequel les professeurs de l’université pourront être employés à l’école militaire moyennant un traitement du tiers, ce qui fait une économie de trois à quatre mille francs sur chaque professeur. Dans l’incertitude sur le lieu où le gouvernement placera l’école militaire, je demande si l’intention du gouvernement est de maintenir ce paragraphe de l’article 6. Pour savoir si je dois maintenir mon amendement, je demande s’il maintient la possibilité d’employer les professeurs de l’école militaire.
M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - J’ai déjà déclaré que je regardais cette disposition comme inutile si l’école militaire est établie près d’une université ; le droit existe d’employer les professeurs de cette université. La réponse à l’interpellation de M. Devaux est celle-ci : que si le choix du gouvernement se porte sur une ville de guerre où il y ait une université, je pense que l’on pourra user de la faculté d’employer les professeurs, et que pour ce cas éventuel l’article peut être maintenu avec un changement de rédaction.
M. Devaux. - D’après ce que vient de dire le ministre de la guerre, il demandera le maintien de la faculté d’employer des professeurs de l’université, moyennant un changement de rédaction. C’est en me fondant sur les mêmes motifs que je maintiens la deuxième partie de mon amendement avec un changement de rédaction pour le cas éventuel où l’école serait placée près d’une université. M. le ministre dit que c’est une faculté qu’il a toujours. Vous savez qu’il s’agit dans cet article de donner au pouvoir la possibilité de rendre communs certains cours sur certaines matières ; c’est dans l’intérêt des deux établissements que je fais cette proposition, afin que les élèves soient plus nombreux, afin que le même professeur donne des leçons à un nombre d’élèves double. J’ai énuméré les avantages de cet amendement.
Puisque le ministre maintient la disposition de l’article 6, pour le cas prévu, j’admets l’hypothèse et je demande le maintien de la seconde partie de l’article 2.
Je le répète, c’est dans l’intérêt des deux établissements, pour qu’ils ne se fassent pas concurrence, mais s’enrichissent réciproquement.
M. le ministre dit que la disposition est inutile, il ne se rend pas compte de la loi sur l’instruction publique. Cette loi établit les droits, les devoirs et les obligations des professeurs et des élèves. Si vous ne donnez pas au ministre la faculté de rendre communs les cours aux deux établissements, il ne pourra pas le faire.
La loi, pour suivre les cours de l’université, la loi impose certains devoirs, elle fait payer à raison de tant par élève ; par conséquent, vous ne pouvez exempter les élèves de l’école militaire de payer que par une disposition législative. D’autres dispositions de la loi sur l’instruction publique font obstacle à cette faculté, je demande qu’elle soit inscrite dans la loi. Ce sera une économie de professeurs, de cabinet d’histoire naturelle, de chimie et peut-être même de bibliothèque, économies qui seront considérables.
Voici comment je propose de rédiger l’amendement :
« Dans le cas où l’école militaire sera établie dans une ville où est le siège d’une université de l’Etat, les cours communs à cette école et à l’université pourront être donnés simultanément, par les mêmes professeurs, aux élèves des deux institutions, conformément à des dispositions réglementaires arrêtées par le commun accord des départements ministériels dont elles dépendent. »
M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - Je n’ai pas besoin de dire que je ne m’oppose pas à cet amendement, mais je crois devoir quelque réponse aux observations dont il l’a fait précéder. J’accepte la faculté de pouvoir faire servir les cours d’une université à l’école militaire, lorsque je regarderai la chose comme possible et utile ; mais je ne l’accepte que comme faculté, et en aucune façon comme invitation.
Quant à ce qu’a prétendu l’honorable M. Devaux que j’aurais méconnu le système législatif de l’enseignement public, je crois qu’il est complétement dans l’erreur. Il a dit que les élèves des universités devaient une rétribution et qu’il faut une exemption pour qu’ils ne la paient point. Je pense que ce n’est pas exact. Ils paient pour suivre les cours et non pour suivre les leçons d’un professeur investi d’une commission spéciale.
Quant aux professeurs, aux termes de l’article 12 de la loi sur l’enseignement supérieur, ils peuvent donner des leçons avec l’autorisation de M. le ministre de l’intérieur. Ainsi quant aux élèves et quant aux professeurs il y a toute latitude et il n’y a à craindre aucune violation de la loi sur les universités.
M. Devaux. - Je persiste à croire que le gouvernement ne peut user de cette faculté qu’en vertu de la loi, non seulement à cause de la loi sur les universités, mais à cause d’autres dispositions ; du reste, M. le ministre ne s’y oppose pas.
Quant à la manière dont il accepte cette faculté, il doit, je crois, la considérer comme une invitation. Au reste, on ne demande pas au ministre comment il l’accepte. La chambre l’a adoptée comme invitation. M. le ministre a une opinion, ses successeurs peuvent en avoir une autre, lui-même peut en changer ; moi je regarde la disposition comme une invitation d’appuyer les deux établissements l’un sur l’autre, comme une invitation à l’économie.
M. Dolez. - Il me paraît que cette invitation que l’honorable M. Devaux voit dans la disposition est quelque peu contraire au vote que nous venons d’émettre. On a décidé d’une manière absolue que le choix de la ville de guerre dans laquelle serait placée l’école militaire appartiendrait au gouvernement. Nous ne voulons pas sans doute qu’une invitation influence la faculté accordée au gouvernement. Il faut donc que le gouvernement reste libre dans la faculté que la chambre lui a donnée par son dernier vote.
M. Pollénus. - Je ne suis pas d’accord avec l’honorable préopinant. La disposition dans le sens d’une invitation ne me paraît pas contraire au dernier vote ; car la proposition de l’honorable M. Devaux est faite pour le cas où l’école militaire serait établie dans une ville d’université. Il me reste à faire une observation sur la finale de la proposition ainsi conçue : « Conformément à des dispositions réglementaires arrêtées par le commun accord des départements ministériels dont elles dépendent. » Il me semble que ces expressions ne doivent pas se trouver dans la loi. Il ne convient pas que la loi prévoie le cas où les ministres ne sont pas d’accord. Je propose la suppression des mots que j’ai cités comme n’étant pas en harmonie avec le style législatif.
M. Devaux adhère à la suppression proposée par M. Pollénus.
M. de Behr. - Il y a déjà plusieurs facultés laissées au gouvernement ; il y a celle de placer l’école militaire dans une des deux villes qui sont le siège des universités ; il y a ensuite celle d’employer les professeurs ; ce sont deux facultés dont le gouvernement usera ou n’usera pas.
Je ne vois aucun inconvénient à adopter l’amendement parce qu’il n’oblige aucunement le gouvernement à placer l’école militaire dans une des villes qui sont le siège des universités.
- L’amendement de M. Devaux est mis aux voix et adopté dans les termes suivants : « Dans le cas où l’école militaire serait établie dans une des deux villes qui sont le siège des universités de l’Etat, les cours communs à cette école et à l’université pourront être donnés simultanément par les mêmes professeurs aux élèves des deux institutions.
M. Raikem remonte au fauteuil.
La chambre passe à la discussion de l’amendement de M. de Langhe introduit dans l’article 2, consistant à rendre obligatoire l’enseignement des éléments de la langue flamande au lieu de facultatif qu’il était d’après le projet.
M. de Langhe. - En présentant mon amendement, je ne croyais pas qu’il éprouvât de l’opposition, je ne croyais pas même qu’il donnât lieu à discussion tant il me paraissait fondé en raison.
Je ne pensais pas surtout qu’il éprouvât d’opposition de la part du ministre.
Notre ministère est uniquement composé de personnes ne connaissant pas la langue flamande. Ni moi non plus. Je ne lui en fais pas de reproches parce que je crois que cette connaissance n’est pas nécessaire à un ministre, puisque toute l’administration se fait en français et doit selon moi, se faire en français pour qu’il y ait plus d’unité. Mais, messieurs les ministres auraient dû se mettre pour un instant à la place de ceux qui ne parlent que le flamand.
Plus un ministère est composé de Wallons, plus il doit mettre de soin à être juste envers les Flamands, surtout en matière de langage.
Mais mon attente a été trompée. Le ministère s’est opposé à l’adoption de mon amendement ; je le déplore encore plus pour lui que pour ceux dont je défends les intérêts.
Puisque mon amendement a été combattu, je dois ajouter quelques développements à ceux que j’ai donnés et résoudre quelques objections.
On a parlé du peu d’importance de la langue flamande, du peu d’intérêt qu’elle doit inspirer ; je le sais, les quolibets ne nous manquent pas ; mais les quolibets n’ont jamais prouvé qu’une chose à mes yeux, c’est l’absence de bonnes raisons. Sans doute cette langue est peu importante relativement au monde, à l’Europe. Mais peut-on nier son importance relativement à notre pays lorsque deux ou trois millions d’habitants la parlent et ne parlent qu’elle. N’est-elle pas aussi précieuse pour chacun d’eux que s’il s’agissait de la langue la plus répandue ?
On a dit que dans les provinces flamandes toutes les personnes qui avaient reçu quelque instruction parlaient la langue française. Le fait et vrai ; mais doit-on compter pour rien la grande masse de ceux qui n’ont reçu aucune instruction en français ? Faut-il porter des gants jaunes pour éveiller notre sollicitude ? Je ne le pense pas, et ne pourrai jamais le penser. Tous les Belges sont égaux devant nous. Nous le prouverons dans cette circonstance comme en toute autre !
On a prétendu hors de cette enceinte, car ici je ne l’ai pas entendu dire, mais on pourrait le dire, on pourrait le penser, je vais au-devant de l’objection ; on a prétendu que mon amendement portait atteinte à la liberté de langage ; mais c’est justement le contraire qu’il fallait dire : ce sont selon moi, ceux qui s’y opposent qui portent réellement atteinte à cette liberté. Pour moi, voici comment je considère le point actuellement en discussion. Je vois d’un côté une cinquantaine de jeunes gens qui reçoivent leur éducation dans un établissement public où le gouvernement donne l’enseignement qu’il juge utile, ce qui, certes, ne peut blesser la liberté de personne ; on n’impose pas à ces jeunes gens l’emploi d’un langage, on leur en fait apprendre un qui doit les mettre en communication directe avec la plus grande partie de leurs subordonnés. Et veuillez bien le remarquer, s’il s’était agi de l’anglais ou de l’allemand, et qu’on eût voulu rendre l’enseignement obligatoire, pas une voix ne se serait élevée contre cette disposition ; de l’autre côté, je vois plusieurs milliers d’hommes (les deux tiers de notre armée) qui vont se ranger sous nos drapeaux, non pour leur plaisir, ni pour leur intérêts, mais pour remplir le devoir imposé à tout citoyen de concourir à la défense de la patrie, et qui par contre ont, selon moi, le droit d’être compris de ceux qui sont appelés à les commander, et c’est à cette masse d’homme et par suite à la population flamande que l’on voudrait imposer la langue française ; ce serait là une véritable atteinte, et une violente atteinte portée à la liberté de langage. Cette liberté est après la liberté de religion, celle à laquelle les peuples tiennent le plus. Qu’on ouvre les pages de l’histoire, et l’on verra que tous les conquérants qui ont tenté de changer la langue d’un peuple y ont échoué ; nous en avons un exemple près de nous. Nous sommes voisins d’une partie de la Flandre française où la langue du peuple est le flamand. Cette partie de notre ancien territoire a été cédée à la France sous Louis XIV, par le traité de Nimègue, en 1676 ou 1678, je ne sais laquelle des deux années, mais toujours est-il qu’il y a environ 160 ans. On a fait tout ce qui était possible pour y encourager la langue française, je crois même qu’à diverses reprises on y a enrayé l’enseignement du flamand. Eh bien, on parle flamand dans ce pays actuellement comme en 1676, comme on le parlera dans plusieurs siècles, comme probablement on le parlera toujours, et si le langage doit y changer un jour, je ne pense pas que ce soit par suite des efforts du gouvernement français.
J’insiste donc sur l’adoption de mon amendement ; je la demande non comme faveur, mais comme justice. Nous serons justes envers les Flamands comme envers les Wallons.
M. le ministre de l’intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - L’honorable préopinant s’est entièrement mépris sur le vote du ministère.
D’abord je dirai que la disposition qui rend obligatoire l’enseignement des éléments de la langue flamande, n’est nullement dans l’intérêt des provinces flamandes, mais exclusivement dans l’intérêt des provinces wallonnes ; car elle met les Wallons à même de comprendre la langue flamande et de remplir plus parfaitement leur service dans les diverses provinces.
Quant aux Flamands, il est bien évident qu’ils connaissent les éléments de leur langue.
Pourquoi donc s’est-on opposé à ce que cet enseignement fût déclaré obligatoire ? Pour ne pas multiplier les matières dont l’étude est obligatoire ; c’est par le même motif qu’on s’est opposé à ce que l’enseignement des langues étrangères fût obligatoire.
- L’amendement de M. de Langhe est mis aux voix et adopté.
L’article 2 est définitivement adopté avec cet amendement.
Les articles 3 et 4 n’ayant pas été amendés, ne sont pas soumis à un second vote.
M. le président. - Le ministre avait demandé un bibliothécaire, la chambre l’a supprimé.
M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - La chambre a adopté l’article 5 avec les amendements, en en votant séparément les différentes dispositions ; si elle veut suivre le même mode, je reviendrai sur le vote qui a exclu le bibliothécaire. (Parlez ! parlez !)
Je pense, messieurs, que la manière dont est rédigé le paragraphe relatif à ce fonctionnaire est peut-être la cause de ce qu’il a été supprimé au premier vote. Si l’on eût dit : « Un conservateur des instruments, » je crois que la chambre l’aurait maintenu. Le vote a été motivé sur le peu d’importance des fonctions de bibliothécaire ; on a prétendu qu’il n’existait pas de bibliothèque dans l’école ; qu’il valait mieux mettre l’école près d’une université, parce que là elle aurait tous les livres nécessaires ; que l’école militaire possède à peine 600 volumes. ... Si elle ne possède encore que ce nombre de volumes, ce sont des ouvrages tout spéciaux, et qui sont toujours entre les mains des élèves et des professeurs ; ainsi il y a des mesures d’ordre à prendre, relativement à leur distribution et à leur rentrée. Mais, avant tout, le bibliothécaire ou le fonctionnaire qui en remplirait les fonctions, est chargé de la conservation des instruments ; et ces instruments sont en assez grand nombre. Les plus forts sont d’un prix élevé et ont besoin d’être entretenus avec beaucoup de soin pour n’être pas détériorés. Ils sont aussi distribués aux élèves, et ils rentrent dans les magasins quand leurs travaux sont terminés.
En troisième lieu, la personne qui porte le titre de bibliothécaire est chargée de la distribution de toutes les fournitures. Les élèves, en entrant à l’école, déposent une certaine somme pour laquelle on leur fournit les choses dont ils ont besoin pour leur travail ; toutes ces fournitures sont aussi à la garde de la même personne, qui est chargée de les délivrer aux élèves, enfin tous les cours sont lithographiés, et ces lithographies sont destinées aux élèves, le soin de leur distribution est encore dévolu à la personne chargée de remplir les fonctions de bibliothécaire.
Le bibliothécaire est encore le conservateur des modèles pour la coupe des pierres, des modèles pour la charpente, pour les machines ; tous objets dont la conservation demande beaucoup de précautions, parce qu’ils vont et viennent, et exigent sans cesse l’intervention de celui à la garde duquel ils sont confiés.
Je pourrais donner de grands détails à ce sujet. J’ai un tableau qui présente les heures pendant lesquelles chaque fonctionnaire est employé dans une année ; eh bien, le bibliothécaire, ou conservateur est employé le plus grand nombre d’heures ; on a trouvé qu’il était occupé 1,680 heures par an. Vous voyez qu’il est extrêmement occupé.
J’ai parlé des lithographies qui sont distribuées ; il y a là un détail dont on pourra comprendre l’importance par quelques chiffres, En 1837, durant 11 mois on a tiré 3,082 épreuves et fait 69,586 tirages ; et pour les cours il y a eu 17,396 feuilles lithographiées. Ces épreuves et ces feuilles ont été distribuées aux élèves par le bibliothécaire. Vous comprenez combien cela entraîne de travail de détail.
Ce fonctionnaire est toujours présent à l’école ; il y est depuis 8 heures du matin jusqu’à 4 heures du soir. Quelque titre qu’on veuille lui donner, la chambre ne peut méconnaître la nécessité de l’accorder à l’école. Ses fonctions sont fort importantes.
M. Dumortier. - Je viens de nouveau m’opposer à ce que l’on introduise le bibliothécaire au nombre des fonctionnaires. La chambre a rejeté cette dépense, et je crois que les mêmes motifs existent pour la supprimer.
Le ministre vous dit lui-même que la bibliothèque se compose de 600 volumes ; cela prouve donc que toute cette bibliothèque peut entrer dans une armoire, et cela est en réalité. Mais voyez combien il serait absurde de donner un bibliothécaire à 4.000 fr. d’appointement pour 600 volumes ; car cela ferait 7 fr. 30 par volume, justement le prix d’un volume. (On rit.)
J’ajouterai que des militaires à qui j’ai parlé de cette demande en rient, et ne comprennent pas comment on peut insister pour avoir un bibliothécaire, dont il n’est pas fait mention d’ailleurs au budget.
A l’école militaire il y a un conservateur des instruments qui a 350 fr., somme que l’on veut porter à 4,000 fr.
On parle aussi de la conservation des modèles… Il y a des modèles pour la coupe des pierres : eh bien, toutes les personnes qui ont des connaissances dans la matière savent que ces modèles sont des morceaux de bois, et c’est une véritable absurdité que de préposer exprès un agent pour les garder.
Il y a des lithographies à distribuer… On nous demande de fortes sommes pour deux dessinateurs, et je dirai que c’est à ces dessinateurs qui font les lithographies, à les distribuer. C’est leur devoir.
Le bibliothécaire doit encore distribuer les fournitures.... Mais cette distribution des fournitures est un objet qui rapporte, et de telles fonctions ne peuvent donner lieu à des appointements de 4,000 fr.
Ce serait enfin une chose absurde de créer un bibliothécaire sans bibliothèque, et de lui donner un traitement double de celui qu’on donne aux bibliothécaires des universités.
M. F. de Mérode. - S’il y a quelque chose qui doive étonner, c’est la manière dont M. Dumortier travestit tous les arguments qu’on lui oppose. Selon lui, le bibliothécaire de l’école militaire recevrait 7 fr. 30 par volume ; mais il oublie que ce fonctionnaire a une foule d’objets à garder. Ce sont de petits morceaux de bois, s’écrie M. Dumortier, et il lui semble qu’on n’a rien autre chose à faire, avec ces petits morceaux de bois, qu’à les regarder à la loupe ; ces pièces se distribuent aux élèves, et doivent être remises à leurs places.
Les lithographies donnent aussi de l’occupation à celui qui est chargé de leur distribution. On a lithographié 17,396 feuilles en une année ; et par là, vous comprendrez combien de détails a exigés leur distribution.
Personne à l’école militaire n’a pu dire que le bibliothécaire y fût inutile ; il n’y a aucun fonctionnaire, ni aucun employé de cet établissement qui puisse avancer une telle absurdité.
M. de Puydt. - Je ferai remarquer à l’assemblée ce que j’ai déjà eu l’honneur de dire il y a deux heures, que M. Dumortier ne tient aucun compte des observations qu’on lui fait, des arguments qu’on lui oppose. Il vient vous dire qu’il a consulté des gens qui les fréquentent l’établissement : qu’est-ce que des gens qui fréquentent l’établissement ? Quand on veut savoir ce qui se passe dans un établissement qui est ouvert à tous les membres de la chambre, l’on y va, on s’adresse au directeur, on regarde ce qui s’y fait, on prend des renseignements certains et l’on n’écoute pas aux portes.
Je n’ai rien à ajouter à ce que vient de dire l’honorable M. F. de Mérode ; cependant il est échappé à M. Dumortier une parole que je ne puis m’empêcher de relever ; il a dit que les fonctions de distributeur du matériel des bureaux à l’école militaire donnent lieu ordinairement à des bénéfices sur les fournitures que la personne qui exerce ces fonctions fait aux élèves. Le bibliothécaire, qui remet aux élèves les objets dont ils ont besoin, est chargé de ce soin, non pas comme fournisseur, mais comme fonctionnaire, et cela ne lui procure aucun bénéfice. Les fournitures sont faites par l’établissement même ; il n’en a que la comptabilité, qui est très détaillée.
- La disposition relative au bibliothécaire est mise aux voix ; elle n’est pas adoptée.
La séance est levée à quatre heures et demie.