(Moniteur belge n°338, du 4 décembre 1837)
(Présidence de M. Raikem.)
M. de Renesse fait l’appel nominal à une heure.
M. Kervyn lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. de Renesse présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.
« Les peigneurs, filateurs et fabricants en laine de la commune de Montignies-sur-Roe demandent que les fils de laine écrus venant de l’étranger soient imposés au droit de 60 fr. par 100 kilog. et ceux qui sont teints à 80 fr., avec augmentation des primes pour les pays de provenance. »
« Des maîtres d’usines et fabricants de la ville de Namur adressent des plaintes contre l’élévation du prix du charbon de terre. »
- Ces requêtes sont renvoyées à la commission des pétitions.
M. Lecreps. - Je demande que la commission des pétitions soit invitée à faire un prompt rapport sur la requête des habitans de Montignies-sur-Roe, afin que la chambre puisse discuter l’objet de cette requête avec l’article de la loi sur le tarif des douanes, concernant les draps.
- Cette proposition est adoptée.
« Le sieur J.-W. Schmitz fait hommage à la chambre d’un exemplaire de son opuscule, intitulé : De l’état stationnaire de la philosophie naturelle, ou indication des recherches à faire dans l’astronomie et la physique. »
- Dépôt à la bibliothèque.
L’article unique du projet est ainsi conçu :
« Le hameau d’Artey-Falize, arrondissement et province de Namur, est détaché de la commune de Suarlée dont il dépend actuellement, et réuni à celle de Rhisne.
« Les limites séparatives de ces deux communes sont fixées telles qu’elles se trouvent indiquées dans le plan figuratif des lieux, annexé à la présente loi. »
La commission en propose l’adoption.
Il est mis aux voix et adopté.
La loi est ensuite adoptée, par appel nominal, par l’unanimité de 56 membres présents.
Ce sont : MM. Andries, Bekaert-Baeckelandt, Coppieters, Corneli, de Behr, de Brouckere, de Langhe, de Meer de Moorsel, F. de Mérode, W. de Mérode, de Muelenaere, de Nef, de Perceval, Dequesne, de Renesse, de Roo, Desmanet de Biesme, Desmet, de Terbecq, d’Huart, Doignon, Dolez, Dubois, Dubus aîné, Duvivier, Eloy de Burdinne, Ernst, Gendebien, Heptia, Jadot, Keppenne, Kervyn, Lardinois, Lecreps, Maertens, Mercier, Metz, Milcamps, Morel-Danheel, Pirmez, Pirson, Polfvliet, Pollénus, Raymaeckers, A. Rodenbach, C. Rodenbach, Scheyven, Simons, Thienpont, Trentesaux, Troye, Vandenbossche, Vandenhove, Vergauwen, Verhaegen, Wallaert, Zoude, Raikem.
La discussion continue sur l’article 3 du chapitre V, relatif à la construction d’un palais de justice à Bruxelles.
M. de Behr. - Messieurs, il faut un local pour la cour de cassation, et un logement digne du rang qu’elle occupe dans la hiérarchie judiciaire ; tout le monde paraît d’accord sur ce point. Convient-il de réunir dans une même enceinte tous les corps de judicature ? Je pense qu’il ne peut exister le moindre doute à cet égard. Les avocats ont des causes à traiter devant plusieurs juridictions ; ils plaident à la cour de cassation, à la cour d’appel, à la cour d’assises et aux tribunaux de première instance et de commerce. Si toutes ces autorités ne siègent pas dans un édifice commun, les avocats perdent beaucoup de temps en allées et venues, la marche des affaires en souffre, les audiences ne sont pas remplies, et l’arriéré, si funeste pour les justiciables, va croissant d’année en année. Quant au palais de justice qui existe maintenant, il a été réparé comme on a construit certains forts sous le gouvernement précédent ; les murailles y sont si mauvaises qu’on peut les démolir à la main, et les combles, qui déjà menacent ruine, tomberont inévitablement dans quelques années. Pour ma part, je ne doute pas que bientôt il ne soit nécessaire de construire un autre local pour la cour d’appel ; on pourra sans doute différer cette dépense quelque temps encore, mais on ne l’évitera pas, et l’on aura manqué l’occasion d’avoir un palais pour tous les corps judiciaires. En effet le terrain occupé par le palais actuel est le seul emplacement qui puisse convenir aux constructions projetées ; on a cherché partout sans pouvoir en découvrir aucun. Liége possède un palais pour tous ses tribunaux ; Gand va avoir le sien ; pourquoi donc la capitale ne jouirait-elle pas du même avantage ?
Deux honorables membres ont pensé que la première magistrature du pays serait plus convenablement placée à Malines. Je ne saurais partager leur sentiment. La cour de cassation ne fournit pas assez d’affaires pour la clientèle même de quelques avocats qui y sont attachés. On conçoit donc que les meilleurs jurisconsultes se rendront à Bruxelles, où ils auront plus d’affaires, et que la cour régulatrice n’aura qu’un barreau composé de médiocrités qui ne trouveront point à vivre dans la capitale. L’inconvénient serait moindre, sans doute, si les procès s’instruisaient par écrit ; car, messieurs, une longue expérience m’a convaincu de l’abus de la plaidoirie orale ; elle dégénère presque toujours en discussions oiseuses, en répétitions superflues, qui font perdre beaucoup de temps, comme cela arrive souvent dans cette enceinte. Les affaires traitées par écrit laissent rarement à désirer ; et l’on peut être sûr que les affaires bien instruites sont en général bien jugées. Trois magistrats au plus suffiraient alors pour prononcer en instance d’appel ; ils expédieraient quatre fois plus d’affaires que sous le mode actuel. Au reste, tant que ce mode subsistera, il est indispensable que les avocats résident au lieu même où siègent les corps auprès desquels ils exercent habituellement leurs professions. J’ajouterai que les voyages d’avocats sont très coûteux pour les plaideurs, et que la justice est déjà assez chère pour éviter cette nouvelle cause de dépense.
On a dit qu’il fallait se défier des devis d’architecte, et que la chambre avait à craindre d’engager l’Etat dans des dépenses beaucoup plus considérables. Il serait facile de faire cesser cette appréhension en insérant au budget, comme les années précédentes, que les frais de construction ne pourraient, dans aucun cas, excéder le crédit alloué. Je terminerai par convenir avec d’honorables membres de l’assemblée que la dépense dont il s’agit est très onéreuse, alors que les charges publiques sont déjà très lourdes, et que le gouvernement demande une augmentation des centimes additionnels ; mais je regarde cette dépense comme une nécessité qu’il faut subir pour la bonne administration de la justice.
M. Desmanet de Biesme. - Messieurs, j’entends appuyer la proposition d’ajournement qui a été faite par l’honorable M. Dumortier jusqu’après la discussion du budget des voies et moyens ; je crois devoir faire connaître à l’assemblée les motifs qui ont déterminé mon opinion en cette circonstance.
Je commence par protester contre l’idée qu’on pourrait me prêter de vouloir établir la cour de cassation à Malines. Le siège de cette cour a été fixé à Bruxelles par la loi, et d’ailleurs dans tous les cas, il me paraît tellement indispensable de conserver la cour de cassation dans la capitale que je crois inutile de m’occuper d’avantage de cet objet.
Maintenant je dois repousser une attaque d’un honorable député de Bruxelles : depuis que par un vote précédent, qui n’est pas encore définitivement sanctionné, des membres de cette assemblée ont cru que l’école militaire serait mieux placée dans une de nos forteresses que dans la capitale, l’honorable membre auquel je fais allusion, a paru croire que nous sommes en hostilité permanente contre la ville de Bruxelles. Cette insinuation me paraît tout à fait erronée ; quant à moi, je tiens à la détruire : loin d’avoir la moindre antipathie pour la capitale, j’éprouve beaucoup de sympathie pour cette ville ; je l’habite pendant une partie de l’année, et ce n’est pas de moi que pourrait partir une attaque qui fût hostile à Bruxelles.
Mais, messieurs, de quoi s’agit-il en ce moment ? D’examiner s’il est nécessaire de voter une très grande dépense qu’on nous demande pour le département de la justice.
Il faut bien le dire, messieurs, le vote des dépenses est quelquefois bien pénible, il se divise réellement en deux phases. Quand nous sommes réunis ici, et qu’il nous arrive de proposer des réductions, nous sommes souvent l’objet d’attaques ; nous avons l’air de ne vouloir rien constituer en Belgique ; nous avons l’air de vouloir empêcher que l’administration marche convenablement. Quand nous sommes de retour dans nos foyers, les reproches que nous essuyons sont d’une autre nature. En convenant que le gouvernement marche bien en général et que la Belgique est assez prospère, on nous dit que nous eussions dû éviter les dépenses extraordinaires au budget.
Messieurs, nous sommes tous d’accord qu’il faut une cour de cassation à Bruxelles. Aussi, l’année dernière, le ministre, que je regarde comme un très bon juge des besoins de son département, nous avait-il simplement proposé l’érection d’un local pour cette cour. Dans la discussion, des membres ont émis l’opinion qu’il serait plus utile de construire un seul palais pour tous les tribunaux qui siègent à Bruxelles, et si mes souvenirs sont fidèles, la chose a été ajournée sans que rien ait été décidé à cet égard.
Depuis lors, on a fait un devis, et nous voyons, par le refus de la province de contribuer pour la part que le gouvernement avait cru juste de lui assigner, que nous avons à voter pendant 5 ans une dépense de 400,000 fr.
J’ai fait observer hier, et l’on ne m’a pas répondu à cet égard, que nous ne savions pas, en votant cette somme, à quoi nous nous engagions. L’honorable M. de Behr vient de vous dire que quoiqu’on doive être sûr des devis de l’architecte, on pourrait insérer dans le contrat, que si la dépense excède les évaluations du devis, l’Etat ne sera lié que pour ces évaluations. Je vous le demande, messieurs, à quoi cela nous avancerait-il ? Quand le bâtiment sera commencé, il faudra bien l’achever. Sera-ce la province qui se chargera du restant de la dépense ? Mais non, la province dira avec raison qu’elle a voté pour cet objet une somme de 500,000 fr. et qu’elle ne veut pas s’imposer de nouveaux sacrifices. Sera-ce Bruxelles ? Mais la ville de Bruxelles, par des circonstances très indépendantes de sa volonté, il est vrai, se trouve, je crois, hors d’état de faire plus qu’elle ne fait. Il est juste de dire que sa quote-part dans la dépense est déjà raisonnablement élevée.
Mais que va-t-il résulter de là ? C’est que si les frais d’exécution dépassaient les évaluations des devis, nous serions obligés d’allouer la somme manquante.
Messieurs, je vous avoue que si on l’avait voulu, on aurait pu construire près du palais de justice actuel un local pour la cour de cassation, et un autre pour la cour d’appel ; mais réellement je suis effrayé de la demande qu’on nous fait en ce moment, et il me semble que l’on désire construire un bâtiment gigantesque qui, selon moi, est parfaitement inutile. Il me paraît que M. le ministre en présence du désir qu’on exprime de voir l’économie présider à de pareilles constructions, aurait pu, pour le cas présent et pour tous les autres cas semblables, prendre une marche autre que celle qu’il a suivie. Je dirais aux architectes : « J’ai besoin, non pas d’un palais, mais d’un hôtel où puisse siéger la cour de cassation ; j’ai besoin également d’un autre local pour la cour d’appel, il me faut autant de salles, tout cela doit être bâti très simplement, combien cela me coûtera-t-il ? Si alors la province ou la ville voulait quelque chose de plus monumental, ce serait alors à elles à pourvoir au surplus de la dépense.
Je vous avoue, messieurs, que, dans la discussion de tous les budgets de cette année, une idée me préoccupe. Jusqu’à présent nous avons voté le budget des voies et moyens avant le budget des dépenses. L’on a cru devoir dévier de cette marche cette année. Mais de cette résolution, qui peut être bonne en elle-même, résulte pour nous l’obligation d’être réservés dans les dépenses et d’ajourner toutes les allocations extraordinaires jusqu’à la discussion du budget des voies et moyens ; car, si nous votons ces dépenses extraordinaires, nous serons obligés d’augmenter le chiffre du budget des voies et moyens jusqu’à concurrence de ces dépenses extraordinaires, de sorte que les contributions subiront une augmentation très notable.
Le budget de cette année est plus élevé que celui des années dernières. Comme j’ai eu l’honneur de vous le faire observer hier, on demande des sommes considérables pour pourvoir aux besoins du département de la guerre, et nous savons tous que nous opérerons difficilement des réductions sur le budget de la guerre. Si la chambre en opérait quelques-unes, l’on ne manquerait pas de venir nous faire encore l’injuste reproche d’être hostiles à l’armée, de vouloir la désorganisation de l’armée. Nous avons été trop sujets à de pareilles attaques, pour ne pas craindre qu’elles ne se répètent.
Nous avons ajourné hier une dépense du budget de la marine ; cette dépense ne semblait pas être considérable de prime abord ; mais si nous l’avions votée actuellement, je ne sais où cela aurait pu nous conduire.
Les départements de l’intérieur et des finances n’ont pas demandé d’augmentation ; le département des travaux publics en a proposé, et cela est très naturel, puisqu’elles sont le résultat des votes que nous avons émis précédemment. Mais toujours est-il que le budget des dépenses de cette année sera considérablement augmenté ; aussi est-il très rationnel que toutes les dépenses qui ne sont pas indispensables soient remises jusqu’après le budget des voies et moyens.
Messieurs, je ne viendrai pas vous dire que la Belgique n’est pas dans une situation florissante. Sans doute la Belgique est dans un état satisfaisant ; toutefois cette situation n’est pas aussi prospère qu’on le croit bien. Il y a beaucoup d’industries qui souffrent en ce moment en Belgique, et je crois qu’il n’est pas un seul représentant des diverses provinces qui ne pût vous citer une industrie capitale qui ne soit actuellement en souffrance. Selon moi, l’on argumente déjà un peu trop de ce qui se passe en ce moment ; car, messieurs, la situation de plusieurs de nos grandes industries est moins favorable qu’elle ne l’était l’année dernière ; il y a une stagnation prononcée dans plusieurs branches industrielles. Nous n’avons pas la certitude que cet état ne durera pas, et l’économie est dès lors un devoir impérieux pour nous.
D’après ces considérations, je suis prêt à voter tout ce qui est nécessaire pour l’établissement d’une cour de cassation. Quant à un local pour la cour d’appel, je ne suis pas convaincu de la nécessité de cette dépense ; on pourra peut-être me le prouver dans la discussion, mais je pense au moins que si vous votez des fonds pour un local à l’usage de la cour d’appel, le bâtiment actuel de la justice suffira pour les autres corps judiciaires. On vous a dit que la pluie pénétrait dans la salle actuelle du tribunal de première instance. Certainement, messieurs, je ne suis pas curieux de voir la magistrature, siéger avec des parapluies (on rit) ; mais je ferai remarquer que cette considération est assez peu concluante : car enfin, avec l’aide d’un charpentier, d’un maçon et d’un plombier, on pourrait empêcher qu’il ne plût dans les salles de justice.
Je demande donc, sans me prononcer dès à présent sur le fond de la question, à laquelle peut-être je me montrerai favorable plus tard, je demande, dis-je, que l’ajournement soit prononcé jusqu’après la discussion du budget des voies et moyens.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Messieurs, il est difficile de combattre la proposition d’ajournement qui vous est faite, sans entrer dans le fond même des débats. S’il s’agit, comme un honorable préopinant nous l’a dit, d’une folle dépense, d’une dépense suggérée par une manie ridicule de détruire et de rebâtir, il ne faut pas ajourner la demande de crédit, il faut la rejeter ; si au contraire, la dépense est nécessaire, si elle est urgente, il ne faut ni l’ajourner ni la rejeter, il faut l’adopter. Telle est la question qui se présente.
J’ai peine à croire que sérieusement on ait pu songer au transfert de la cour de cassation à Malines....
M. de Brouckere et un grand nombre d’autres membres. - Ne répondez pas à cela !
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Je ne veux pas y répondre ; je veux seulement faire remarquer à l’honorable député de Bruxelles qui a cru devoir combattre la proposition de l’honorable M. C. Rodenbach, qu’il a attaché trop d’importance à cette proposition. Ce n’est pas ici une question entre Malines et Bruxelles, ce n’est pas non plus une question de parti ; la question est simplement celle-ci : La construction qui vous est demandée est-elle nécessaire ? La dépense qu’on vous propose est-elle, oui ou non, exagérée ? Voilà la double question que je veux examiner, et je ne désespère pas, vu les bonnes intentions de l’honorable préopinant, de le convaincre qu’il y a lieu d’adopter la proposition du gouvernement.
Pour savoir, messieurs, si la dépense est nécessaire, il faut se demander à quels besoins la construction qu’on vous propose est destinée à satisfaire. D’abord il s’agit de construire un local pour le tribunal de première instance, pour le tribunal de commerce et pour la cour d’assises. Je n’ai pas besoin, messieurs, de démontrer que le local actuel à l’usage du tribunal de première instance est insuffisant et ne convient pas pour la magistrature ; car la seule autorité qui aurait pu nous opposer une fin de non-recevoir, l’administration provinciale, qui était intéressée à nous l’opposer, puisqu’une partie de la dépense projetée devait lui incomber ; l’administration provinciale, dis-je, n’a pas même songé à nous opposer cette fin de non-recevoir. Cependant la province n’avait pas eu l’idée de faire une construction, et l’on ne pouvait lui imposer l’obligation de la faire. Toutefois, comme j’ai déjà eu l’honneur de le dire, la province a reconnu cette obligation. La question a été seulement de savoir quelle devait être la quote-part de la province dans la dépense totale.
Quant à ce qui regarde la cour d’assises, il existe un local pour cette cour. Cependant, le montant de la dépense à faire pour la cour d’assises est compris dans l’évaluation ; mais, messieurs, cette dépense ne sera pas perdue : le local qui est actuellement occupé par la cour d’assises sera rendu libre, et produira plus que le montant de la dépense qui aura été faite pour la construction du nouveau local. Ainsi, je mets hors de cause tout ce qui regarde la cour d’assises et le tribunal de première instance. Je mets également hors de cause le tribunal de commerce. Un honorable membre de la chambre, qui a longtemps présidé ce tribunal, a fait des démarches auprès de moi pour obtenir un local pour le tribunal de commerce ; j’ai toujours dit que c’était à la province de fournir ce local. Eh bien, messieurs, la province a dû louer un local. Du reste, elle ne demande rien à la chambre, elle consent à contribuer dans la dépense. La seule autorité qui ait intérêt dans la question et qui y a un très grand intérêt, puisqu’elle doit louer un local, cette autorité s’est imposé volontairement l’obligation de contribuer à la construction du monument.
Maintenant, messieurs, dans ce monument se trouveront aussi les justices de paix, le tribunal de police, le conseil de guerre. Actuellement ces divers tribunaux siègent dans des locaux séparés, et il n’y a personne qui ne voie le grand avantage qu’il y aurait à tout réunir dans le même édifice. Du reste, la ville, qui est déjà chargée de tant de dettes, la ville s’est-elle mise en avant pour obtenir la construction ? Non, messieurs, c’est nous qui nous sommes adressés à la ville, et le conseil communal, à l’unanimité, a reconnu la nécessité et l’opportunité de la dépense. Le conseil communal, en contribuant pour 500,000 fr., fait-il une folle dépense ? Je ne le crois pas, puisque le conseil communal fait cette dépense pour construire des locaux que la ville est obligée de louer. Voilà cependant, messieurs, les deux autorités capables d’apprécier si les locaux actuels conviennent, dont les membres habitent en grande partie Bruxelles, qui ont pu s’assurer de l’Etat actuel des bâtiments ; eh bien, messieurs, personne n’a fait d’objection ; la section centrale, dont les honorables membres ont probablement visité le palais actuel, la section centrale n’élève aucune difficulté, tout le monde reconnaît l’opportunité de la dépense ; c’est ici la première fois qu’on la conteste, lorsqu’on vient demander à la législature que l’Etat supporte aussi sa part de la dépense.
Cependant on ne peut pas, quant à l’Etat, mettre en doute la nécessité de la construction ; comment, messieurs, vous avez institué une cour de cassation et vous n’avez pas encore pensé à donner un logement au premier corps judiciaire ! Eh bien, messieurs, ce n’est pas à la ville de le loger ; elle le logerait, elle l’a prouvé ; ce n’est pas à la province, elle ne s’y refuserait pas.
« Mais, dit-on, c’est vous-même qui avez reconnu, il y a deux ans, qu’il n’était besoin que d’un local pour la cour de cassation, car alors vous n’en demandiez pas pour la cour d’appel. » J’ai déjà eu l’honneur d’aller au-devant de cette objection ; mais il faudra bien que je répète ce que j’ai dit à cet égard ; quand je n’ai demandé qu’un local pour la cour de cassation, c’est qu’alors on ne pouvait pas songer à tous les corps judiciaires, puisque la province et la commune n’étaient pas organisées, et que, quoiqu’on sût bien que les bâtiments étaient en mauvais état, on ne s’attendait pas à tant de bonne volonté de la part de la province et de la commune. Mais lorsque la chambre avait déjà voté un premier subside pour la construction d’un local pour la cour de cassation seule, des honorables membres de l’assemblée ont dit que si l’on se décidait à construire un monument pour tous les corps judiciaires, on trouverait la province et la commune très disposées à contribuer dans la dépense que nécessiterait une semblable construction. Alors, messieurs, j’ai proposé l’ajournement, et je m’en félicite encore, dussé-je échouer aujourd’hui ; j’ai fait toutes les démarches, et j’ai trouvé tout le monde bien disposé ; ce n’est plus qu’ici, où se trouvent en première ligne des devoirs à remplir envers la magistrature, que je rencontre des obstacles.
« Mais, dit-on, la nécessité de construire un nouveau local pour la cour d’appel n’est point démontrée ; si cette nécessité était prouvée, ajoute un honorable préopinant, j’accueillerais la proposition du gouvernement. » Eh bien, messieurs, je chercherai à prouver la nécessité de la dépense que je propose de faire ; je ne parlerai plus de la cour de cassation, puisque nous sommes tous d’accord à cet égard, mais je donnerai quelques renseignements bien précis sur ce qui concerne la cour d’appel.
Dans l’état actuel des choses, chaque salle d’audience et toutes ses dépendances sont affectées à deux chambres de la cour qui siègent chacune trois jours par semaine. Il en résulte que, quelle que soit l’urgence de la cause, il ne peut être donné d’audiences extraordinaires, ni même être prononcé d’arrêts hors des trois jours affectés à chaque chambre. Il en résulte encore que les chambres qui ne siègent pas, ne trouvent aucun local où elles puissent se réunir pour délibérer ou pour y faire procéder à tous autres actes tels qu’enquêtes, accordandums, interrogatoires sur faits et articles, comparutions de créanciers, etc., etc.
L’urgence de mettre à la disposition de la cour un local plus vaste et plus convenable se fait surtout sentir depuis l’établissement d’une troisième chambre civile et l’affectation du local de l’ancienne cour d’assises à l’une des chambres civiles du tribunal de première instance.
D’un autre côté, les bâtiments menacent ruine sur plusieurs points où les murs sont tout à fait hors d’aplomb et les poutres consommées dans toute l’épaisseur des murs, de manière qu’elles portent à faux.
La toiture est dans l’état le plus pitoyable et nécessite à tous moments des réparations qui ne peuvent jamais empêcher complétement l’eau de pénétrer à l’intérieur.
Finalement les salles qui toutes sont fort basses et mal aérées sont tout à fait malsaines et altèrent la santé des magistrats qui sont obligés d’y siéger quatre ou cinq heures de suite. Le placement de la cour d’assises dans un bâtiment séparé peu propre à sa destination et assez éloigné du palais de justice présente également des inconvénients graves et faciles à sentir.
Il est donc prouvé, messieurs, que la cour d’appel se trouve dans un local trop petit, insalubre, non susceptible de réparation, dans un local où l’intérêt de la justice et de la magistrature nous fait un devoir de ne pas la laisser plus longtemps.
A ceux qui contestent ces faits, qui nient l’évidence, il n’y a qu’une chose à répondre : « Allez voir. »
Il est un autre corps judiciaire auquel l’Etat doit un local convenable, c’est la haute cour militaire. Cette cour siège provisoirement dans un hôtel situé dans un quartier de la ville où les loyers sont très chers. Il y a non seulement convenance, mais encore utilité véritable à placer la cour militaire dans un bâtiment destinés à toutes les autorités judiciaires.
Les obligations de l’Etat envers les grands corps judiciaires qui siègent dans la capitale sont clairement démontrées, bien plus clairement que les obligations de la ville et de la province ; cependant la province et la ville consentent à payer leur dette : nous refuserons-nous à acquitter la nôtre ?
Eh quoi ! Nous avons fait des dépenses considérables, pour des centaines de mille francs, afin de loger convenablement les divers corps de justice du pays... à Gand, à Liége,... dans toutes les localités ! Et quand il s’agit de doter la capitale d’un monument indispensable, nous reculerions devant l’accomplissement de nos devoirs ! Et qu’il me soit permis de le dire en passant, le projet d’élever un palais de justice à Gand n’a rencontré aucune opposition.
Les objections qui ont été faites, contre le projet n’ont rien de solide.
Il n’est pas possible a-t-on dit, que le palais de justice actuel soit si mauvais, il n’y a que vingt ans qu’il est bâti.
On pourrait se borner à répondre que cela est très possible, puisqu’il est de fait que la chose est ainsi ; il suffit d’aller sur les lieux pour s’en convaincre. A cette époque, l’intégrité n’a pu toujours présidé à l’exécution des travaux publics. Mais il importe de faire remarquer qu’on n’avait pas construit à neuf ; d’un ancien couvent on avait d’abord fait un hôpital, cet hôpital a ensuite été transformé en un palais de justice, et il est facile de comprendre que tous ces bouleversements faits sur les anciennes fondations n’ont pas contribué à la solidité de l’édifice.
L’honorable préopinant prétend qu’on aurait pu se borner à faire un palais pour la cour de cassation sur les terrains qui dépendent du palais actuel. Mais cette idée a été rejetée depuis longtemps par deux raisons péremptoires, d’un côté ce serait construire à neuf au milieu de ruines, et de l’autre on ne satisferait pas aux besoins reconnus des autres corps judiciaires.
La nécessité des constructions projetées étant démontrée, il me reste à prouver que la dépense demandée n’est pas exagérée. Cette tâche n’est pas difficile ; le monument ne contiendra que les locaux absolument nécessaires aux divers corps judiciaires auxquels il est destiné. Voilà un fait qu’on n’a pas contesté et qu’il est impossible de contester.
En effet, la commission réunie sous ma présidence, qui a fait une instruction préparatoire avant la confection des plans, a pris toutes informations sur le nombre et la grandeur des salles requises pour chaque cour, pour chaque tribunal. L’architecte Suys a travaillé d’après les données qu’il a reçues, son plan renferme ce qui lui a été indiqué comme essentiel, et rien de plus.
Voilà ce qui a été fait, c’est précisément ce que l’honorable député de Namur disait qu’il aurait fallu faire.
D’un autre côté, tout le monde reconnaît qu’on n’a point fait de dépense de luxe ; bien loin de là, les façades ne sont que très simples, trop modestes ; il n’y a donc rien de fondé à opposer au crédit demandé.
On craint de s’engager dans de dépenses illimitées ; au lieu de deux millions, dit-on, l’Etat devra peut-être contribuer pour trois, quatre millions... Une fois la construction commencée, il faudra bien l’achever… les architectes feront bon marché des deniers publics…
Je répondrai que la dépense ne sera pas livrée à la discrétion des architectes : toutes les précautions seront prises pour que l’on bâtisse avec économie ; une commission sera chargée de l’achat des matériaux, de diriger et de surveiller les constructions.
Mon intention bien formelle est de ne pas engager le trésor public dans une dépense de plus de deux millions ; si la chambre veut ajourner une stipulation dans ce sens, comme on l’a fait pour le palais de Gand, je ne m’y oppose pas.
Du reste, messieurs, je puis vous donner ma conduite passée pour garantie de ma conduite future : la première évaluation de la dépense à faire pour un palais destiné à la cour de cassation en avait porté le montant à 240,000 fr. Vous aviez voté une partie de ce subside : avant de mettre la main à l’œuvre, j’eus la conviction que la dépense s’élèverait à 400,000 fr. ; eh bien, messieurs, je n’eus garde de toucher au crédit que vous m’aviez alloué, je voulus vous faire connaître d’abord le véritable état des choses et provoquer un nouvel assentiment de votre confiance. C’est ainsi que je comprends mes devoirs envers la législature, c’est ainsi que je les remplirai toujours.
Des architectes seront consultés, non pour augmenter les dépenses, mais afin de profiter de leurs lumières et de leur expérience pour la beauté, la solidité de l’édifice.
L’honorable préopinant a fait observer que les députés ne doivent pas facilement voter des dépenses nouvelles, que c’est là une plaie du pays ; qu’à leur retour dans leurs foyers on demande compte aux représentants de la manière dont ils ont disposé des deniers publics.
Mais, messieurs, si nous ne vous demandons que des dépenses dont nous avons justifié la nécessité, si nous ne vous demandons qu’un vote consciencieux, vous avez toute satisfaction envers vos commettants. L’honorable préopinant ne doit pas s’attendre à ce qu’on lui reproche dans son pays d’avoir contribué, par son suffrage, à l’érection dans la capitale d’un monument réclamé par les besoins de la justice pour la dignité de la magistrature, lorsqu’on a fait à Namur un beau palais pour le tribunal qui siège dans cette ville.
Les augmentations de dépenses sont la plaie du pays ! Comment ! L’abondance est la prospérité règnent partout dans notre heureuse patrie ! Nos concitoyens paient moins de contributions qu’o n’en paie dans aucune autre contrée du monde et on parle de plaie du pays !
Où sont-elles donc les augmentations de dépenses dont on parle si haut ? Messieurs, soyez-en bien persuadés, la demande d’un nouveau crédit arrive bien difficilement jusqu’à vous, elle subit une première épreuve consciencieuse et sévère dans le département qu’elle concerne et une deuxième épreuve non moins rigoureuse dans les conseils du gouvernement. Nous sommes avares des deniers publics, la nécessité, une utilité évidente peuvent seuls nous porter à demander de nouveaux crédits.
Je m’arrête ici, messieurs ; la conviction d’un devoir important à remplir envers la magistrature m’a déterminé à vous proposer la construction d’un monument qui fera honneur à la capitale et au pays, je m’estimerai heureux si je suis parvenu à vous faire partager ma conviction.
M. Pollénus. - Dans une discussion où il y a contestation sur des faits qui me sont particulièrement connus, je crois de mon devoir de m’en expliquer, puisque le témoignage donné par un honorable membre dans la séance d’hier, n’a pas, à cause de sa qualité de député de la localité, paru inspirer une confiance entière. Je n’appartiens pas à la localité. A ces titres, je crois devoir donner quelques explications pour corroborer le témoignage dont je viens de parler.
Lorsque l’an dernier j’ai eu l’honneur d’être rapporteur de la section centrale du budget de la justice, je me suis rendu au palais de justice de Bruxelles, et j’ai trouvé, ainsi qu’on vous l’a dit, que les locaux de la cour de cassation, de la cour d’appel, et du tribunal de première instance se trouvent réellement dans un tel état de dégradation et d’indécence que je ne conçois vraiment pas comment, jusqu’à présent, on a différé la dépense de la construction d’un local convenable et décent destiné aux corps judiciaires.
Je crois me rappeler que j’ai vu quelques salles tellement infectes et dont les murs sont tellement humides que les papiers ne peuvent s’y trouver très peu de jours sans être moisis. L’une de ces salles qui est, je crois, le cabinet de M. le juge d’instruction, est dans un tel état d’infection que ce magistrat ne mériterait aucun reproche, si par motifs de salubrité, il se refusait à l’occuper.
Ce que l’honorable M. Verhaegen a dit hier sur le local du tribunal de première est absolument vrai. Ceci s’explique assez facilement. Si je l’ai bien remarqué, ce local est situé sur la rue de la Paille ; cette rue est plus élevée de plusieurs pieds que le sol du tribunal de première instance. De là résulte une humidité qui a amené un tel état de décomposition et de dégradation qu’il est impossible d’élever le moindre doute sur la nécessité de donner à ce corps judiciaire un local nouveau.
Lorsque, l’an dernier, cette question a été soulevée à l’occasion de l’allocation demandée pour le local de la cour de cassation, on semblait unanime pour reconnaître la convenance d’avoir dans la capitale un bâtiment où fussent réunis les divers corps judiciaires ; on semblait unanime, le gouvernement comme la chambre, sur l’utilité et la nécessité de cette dépense. Aujourd’hui l’utilité de cette construction soulève des doutes que l’on cherche à répandre dans l’assemblée, doutes qui ne sont fondés sur rien, tandis que l’urgence et la nécessité de la construction étaient fondées sur différents votes de la chambre, sur des documents qui vous ont été communiqués par le gouvernement et que vous pouvez encore trouver au greffe, où sont déposés les divers documents concernant la construction dont il s’agit.
Il me semble qu’il se passe quelque chose de vraiment extraordinaire dans cette discussion. Lorsqu’il s’est agi dans les sessions précédentes d’accorder des allocations pour diverses constructions, telles que de magnifiques hôtels pour les ministères, des locaux pour le conseil des mines et pour l’académie, le palais de justice de Gand et les immenses réparations du palais de justice de Liége, on n’entendait faire aucune objection ; aujourd’hui qu’il s’agit de faire une construction pour le premier corps judiciaire du pays, pour la cour de cassation et pour la cour d’appel de Bruxelles, on trouve des objections en foule. Sur quoi sont fondées ces objections ? Sur des doutes. Mais ces doutes ont été dissipés par vos votes, je le répète, par des faits patents, par les témoignages non suspects de la province et de la commune, par l’opinion de tous ceux qui ont pris la peine de faire la plus légère inspection de ce malencontreux local, où siègent les corps judiciaires de Bruxelles.
Lorsqu’il s’agit de prisons, tout le monde applaudit aux allocations qu’on vient vous demander pour en améliorer le système. J’applaudis à ces dépenses, lorsqu’elles sont faites pour améliorer notre système pénitentiaire. Mais, en voyant les bâtiments où se rend la justice et les magnifiques prisons qui s’élèvent chaque jour dans le pays, on croirait qu’on veut loger les prisonniers dans des palais et mettre les juges en prison. (Rires d’approbation.)
Messieurs, il n’est pas possible d’élever le moindre doute sur la nécessité et sur l’urgence des constructions demandées. Mais, a-t-on dit, n’est-il pas nécessaire de limiter la somme à laquelle nous devons nous engager ? Pour moi, je crois qu’il est convenable de limiter cette somme, parce que cette manière de faire est conforme aux antécédents de la chambre, et si j’ai bien compris M. le ministre de la justice, il vous a dit qu’il mettrait volontiers dans les développements du budget que la somme dont il s’agit aujourd’hui serait à valoir sur une somme de … applicable aux constructions dont nous nous occupons.
Mais, dit l’honorable M. Desmanet de Biesme, à quoi sert de limiter la somme ? Le ministre ne peut-il pas toujours la dépasser ? Mais avec cet argument le budget même ne servirait à rien ; car s’il était fondé, à quoi servirait-il de limiter les sommes dans les divers articles du budget. Dès qu’une somme est limitée, la responsabilité ministérielle est engagée ; si le gouvernement dépasse cette somme, les personnes qui contractent avec le gouvernement n’ont pas de droits envers l’Etat parce que le budget étant présumé connu de tout le monde, il a force de loi à l’égard de ceux qui contractent avec lui. Les chambres, au reste, sauraient rappeler le ministre aux prescriptions du budget.
Indépendamment de l’état de dégradation des bâtiments dont il s’agit maintenant, on vous a dit (c’est un fait avéré que personne n’a contesté) que le nombre de locaux est insuffisant pour les diverses chambres et sections de la cour de cassation, de la cour d’appel et du tribunal de première instance ; donc, sous ce rapport, vous ne pouvez vous empêcher d’augmenter les constructions.
J’ajouterai une observation pour justifier l’opinion que je viens d’énoncer sur la nécessité de limiter la somme au-delà de laquelle nous ne voulons pas nous engager. M. le ministre la justice a dit à la séance d’hier que le plan communiqué à la section centrale n’est pas définitif. Si le plan n’est pas définitif, il importe de savoir à quoi l’on s’engage en votant un à compte sur une somme qui n’est pas limitée.
Je crois donc qu’il est nécessaire qu’on limite la somme sur laquelle on vote un à-compte comme on l’a fait pour le palais de justice de Gand. A défaut de cette stipulation, on pourrait adopter l’ajournement au moins jusqu’à la communication des plans annoncés par M. le ministre de la justice.
Un membre. - Ainsi vous êtes partisan de l’ajournement.
M. Pollénus. - Oui ; si la somme n’est pas limitée.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Mais la somme est limitée dans le budget, puisqu’il y est dit qu’on ne demande que le cinquième.
M. Pollénus. - J’entends dire que la limite que je demande à voir insérée au budget, s’y trouve déjà ; c’est là une erreur ; il se trouve, en effet, une explication dans ce sens dans les développements du budget ; mais ces développements ne font pas partie de la loi : c’est pourquoi je désire que la mention en soit consignée dans le libellé même de la loi ; sans cela, la garantie que je réclame manquerait totalement. Je crois entendre que M. le ministre est d’accord avec moi sur ce point. Je n’ai dès lors plus rien à ajouter.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - La proposition pour le palais de justice de Bruxelles a été faite dans les mêmes termes que celle pour le palais de justice de Gand ; mais la chambre, pour éviter d’être entraînée dans des dépenses extraordinaires contre l’intention formelle du ministre, a stipulé que la dépense ne pourrait excéder une somme déterminée. Je suis tellement déterminé à ne pas dépasser la somme que j’ai indiquée que je ne m’oppose pas à ce que la chambre insère à cet égard une mention expresse dans le budget.
M. Desmanet de Biesme. - Je demande la parole pour un fait personnel.
Je dois rectifier une assertion que l’honorable M. Pollénus m’a prêtée très gratuitement. J’ai bien dit que si on dépassait le devis, la garantie n’engagerait le ministre à rien. M. Pollénus dit que le ministre a sa responsabilité engagée ; pas du tout, selon moi ; quand le bâtiment sera à peu près construit, si la dépense surpasse les prévisions, qui paiera ? A Gand je savais qui paierait, c’était la province, c’était la ville ; dans le cas actuel, je ne le sais pas. S’il manque deux ou trois cent mille francs quand l’édifice sera à peu près construit, on nous les demandera, et nous les accorderons.
M. Dolez. - Après le discours du ministre de la justice et celui de M. Pollénus, il est peut-être superflu de venir vous parler de l’objet en discussion. L’un et l’autre vous ont démontré, d’une manière si péremptoire, la nécessité de l’allocation demandée, que je ne puis croire que le doute soit encore possible. Cependant la chambre me permettra de développer rapidement quelques observations fout simples concernant le même objet.
Il est quelque chose de saillant dans la discussion, c’est que la proposition qui vous est soumise n’est que la réalisation d’un vœu qui a été émis par la chambre elle-même.
C’est en effet d’après la manifestation de notre vœu que le ministre de la justice a été chargé de rechercher s’il ne serait pas possible de construire un palais pour tous les corps judiciaires, au lieu d’en faire un uniquement pour la cour de cassation. Je crois que nul motif ne peut vous porter à changer la manière de voir que vous aviez l’an passé.
Il est une autre considération qui me semble devoir peser d’une manière toute particulière sur vos consciences, c’est que nous sommes tous d’accord sur la nécessité d’ériger un palais à la cour de cassation. Cette nécessité étant admise, nous devons donc la prendre pour point de départ de notre examen.
Eh bien, je n’hésite pas à dire qu’en partant de ce point il est d’une saine administration, d’une saine économie, de construire un palais général au lieu de se borner à construire un palais spécial à la cour de cassation.
Quand il est question d’économie dans une administration publique, il ne faut pas voir seulement la somme à dépenser ; il faut voir le but que l’on doit atteindre. N’est-il pas évident que pour la bonne administration de la justice, il importe que tous les corps judiciaires soient agglomérés dans le même local ; cela importe pour les archives ; cela importe sous le rapport des relations qui ont lieu d’un corps judiciaire à l’autre ; cela importe encore sous le rapport du barreau.
Messieurs, on me permettra de parler du barreau ; car lui aussi concourt d’une manière active à l’administration de la justice ; il doit donc être pris en considération pour tout ce qui concerne cette administration. Eh bien, que l’on sépare les différents corps judiciaires et qu’ils soient établis dans différents quartiers de la ville, qu’arrivera-t-il ? C’est qu’à chaque instant la marche des affaires sera entravée, parce que, tandis qu’un avocat sera occupé à la cour d’appel, dans un quartier de la ville, il ne pourra pas être immédiatement après, dans un autre quartier à la cour de cassation, ce qui est cependant indispensable pour une bonne marche de la justice.
On me dira qu’il serait possible de parquer les avocats, de placer les uns spécialement près de la cour d’appel, les autres spécialement près du tribunal de première instance : mais vous savez que la confiance des plaideurs ne se commande pas : celui qui a confiance dans tel avocat ne verra pas avec plaisir d’être forcé de donner sa confiance à un avocat en première instance, à un autre en appel, à un autre encore en cassation. L’administration de la justice est éminemment intéressée à ce que tous les tribunaux soient dans un même local.
C’est sans doute l’exercice de l’administration confiée aux corps judiciaires qui doit dominer votre délibération ; et si vous reconnaissez qu’il est de l’intérêt d’une bonne administration de la justice, dans Bruxelles, que les divers tribunaux soient réunis, vous n’hésiterez pas à faire un seul bâtiment pour tous.
Y a-t-il économie matérielle dans ce système ? Je passe de l’économie morale à l’économie matérielle, et je crois pouvoir démontrer qu’il y a économie matérielle.
Dans l’état actuel des choses la cour d’appel est logée ; le tribunal de première instance est logé ; il en est de même du tribunal du commerce ; mais comment le sont-ils ?
Je ne reviendrai pas sur ce qui a été si bien exposé par le ministre de la justice et par M. Pollénus sur l’état de dégradation des locaux ; c’est, suivant leur rapport, des constructions qui tiennent encore par quelques lambeaux et qui n’ont plus que quelques années d’existence. Et pour preuve je prends un fait qui répondra au désir manifesté par l’honorable M. Desmanet de Biesme, lequel voudrait qu’on réparât encore le vieil édifice consacré aux cours judiciaires.
L’année passée on a eu le tort de réparer ce bâtiment, et on espérait qu’au moyen des dépenses que l’on faisait, les cours judiciaires seraient à l’abri pendant la mauvaise saison : nous sommes maintenant dans la mauvaise saison, et l’on peut voir si le local de la cour de cassation, si celui de la cour d’appel et du tribunal de première instance sont convenables : les plâtrages y tombent de toutes parts. Maintenez cet état de choses, vous aurez d’année en année des réparations considérables à faire, et quel en sera le résultat ? Dans quatre ou cinq ans, il faudra tout d’un coup refaire ce qu’on vous propose d’exécuter successivement.
Il y a donc économie matérielle dans le projet du gouvernement.
L’honorable M. Desmanet de Biesme disait qu’il pouvait suffire d’un hôtel pour la cour de cassation ; qu’il ne voyait pas la nécessité d’ériger des palais. La première réponse à lui faire, c’est que les plans soumis n’érigent pas un palais : il y a simplicité, il y a modestie dans le style du bâtiment qui vous est proposé ; et si, à cet égard, quelque reproche pouvait être adressé à l’auteur du projet, ce serait d’avoir procédé avec trop de parcimonie. Quoiqu’on ait dit que le temps des grands monuments était passé, doctrine qui ne peut être vraie qu’en ce sens qu’on n’érigera pas des pyramides semblables à celles de l’Égypte, on sera toujours fier d’exécuter des constructions dignes du pays, dignes de sa haute civilisation ; aussi je regrette que l’on ne fasse pas véritablement un monument pour y établir les corps judiciaires.
Dernièrement, quand il s’agissait de la dignité de la chambre, des honneurs à rendre à la législature, M. Dumortier a très bien démontré, selon moi, combien il était important d’entourer les premiers corps de l’Etat de cette considération matérielle qui produit tant d’effet sur le vulgaire.
Ce que disait alors M. Dumortier s’applique exactement aux cours et aux tribunaux. Je sais bien que la justice peut se rendre d’une manière aussi éclairée, aussi intègre, aussi indépendante dans une grange que dans un palais. Cependant le vulgaire n’accorde de considération aux magistrats qu’à proportion de la grandeur des choses qui les environnent ; sous ce rapport il est important d’ériger un monument puisqu’il faut parler aux sens de ceux qui ne reçoivent habituellement d’impressions que par là.
Messieurs, combattrai-je une proposition faite par un honorable député de Malines ?... (Bruit.)
Je m’aperçois que la chambre désire qu’on ne traite pas ce sujet ; alors je m’arrêterai ici.
M. Dubus (aîné). - D’après ce que j’ai entendu dans la discussion il me semble qu’on trouve étrange que la proposition du gouvernement rencontre de l’opposition dans cette enceinte ; qu’on trouve étrange qu’il s’élève même une seule voix pour mettre en doute la nécessité d’une dépense qui ne serait faite que pour répondre au vœu de la chambre : si quelque chose devait étonner, ce serait qu’une proposition pareille ne donnât pas lieu à discussion. Quant à moi, je crois qu’il faut discuter, qu’il faut examiner, et examiner de très près. Et je déclare que je ne suis pas disposé à voter cette dépense ; que, s’il fallait délibérer aujourd’hui, je répondrais non ; car je ne suis pas persuadé qu’on ne peut ni éviter la dépense ni en faire une beaucoup moindre.
J’appuierai la proposition d’ajournement, afin d’avoir le temps d’examiner la proposition comme elle doit l’être.
Messieurs, on vous a déjà fait remarquer le progrès qu’a fait la question. Il y a deux ans, au budget de 1836, il vous a été demandé une somme de 100 mille fr. pour commencer la construction d’un local, d’un palais, si vous voulez, pour la cour de cassation ; on vous disait que la dépense totale ne s’élèverait qu’à 240,000 fr.
Il s’agissait d’élever ces constructions sur le terrain de l’ancien ministère de la justice, au Petit-Sablon. On a craint alors, messieurs, que la dépense ne fût trop élevée ; on a mis en doute (et je suis du nombre de ceux qui ont mis cela en doute) si l’on ne pourrait pas trouver le moyen de loger convenablement tous les corps judiciaires, dans le local actuel, avec une dépense moindre que 240,000 fr. ; et l’on faisait même remarquer que cette diminution de dépense serait un des avantages qui résulteraient de la réunion de tous les corps judiciaires dans un même local. Aujourd’hui l’on paraît se rendre à cette raison, que le plus grand avantage qui résulterait de cette réunion, serait la facilité du service ; mais il faudrait payer bien cher cet avantage : ce ne sont plus 240,000 fr. qu’on nous demande, ce sont 3,000,000 ! S’il avait fallu choisir il y a deux ans, entre une dépense de 240,000 fr. et une dépense de 3,000,000, certes je n’aurais pas hésité, et ceux qui parlaient et pensaient comme moi, n’auraient pas hésité non plus. Je ne pense pas que ce soit sérieusement qu’on nous présente comme un motif déterminant, l’avantage de réunir tous les corps judiciaires dans un même local ; la question des chiffres doit influer beaucoup sur la résolution que nous prendrons. Je conviens que la réunion de tous les corps judiciaires dans un même local serait avantageuse, mais il faut voir à quel prix on peut acheter cet avantage. Je conviens qu’il serait plus commode pour les avocat de n’avoir plus qu’à passer d’une salle d’audience à l’autre, de ne plus devoir traverser deux ou trois rues pour aller d’un tribunal à l’autre, mais nous ne pouvons certes pas dépenser 3,000,000 pour leur procurer cette commodité. Il faut donc ici faire abstraction de ces motifs qui ne sont rien en présence de la dépense énorme qu’on nous demande.
« Mais, dit-on, la dépense est nécessaire et elle n’est pas exagérée. J’ai écouté avec beaucoup d’attention ce qu’on a dit de la nécessité de la dépense et de l’état des locaux. J’ai comparé ces renseignements que la discussion m’a procurés avec ceux que je me suis procurés particulièrement auprès de personnes très à même de connaître les locaux, puisqu’elles font partie des corps judiciaires pour lesquels il s’agit de construire un nouveau local, et si je suis amené à une conviction, c’est plutôt à celle qu’il n’y a aucune nécessité de reconstruire et qu’il a possibilité de restaurer avec une dépense fort peu considérable.
« Il y a, dit-on, des salles d’audience où il pleut, » et, si j’ai bon souvenir, on a signalé une salle qui est occupée par le tribunal de première instance et qu’on appelle, je crois, la Rotonde ; elle se trouve, dit-on, dans une partie du bâtiment où la toiture est en très mauvais état ; mais si la toiture est en mauvais état, qu’on la restaure, et si l’on ne peut pas la restaurer, qu’on en fasse une neuve ; cela ne coûtera pas des millions ; à coup sûr, il faut mettre le tribunal de première instance à sec, mais il ne faut pas pour cela reconstruire l’édifice tout entier.
Une voix. - Les combles ne peuvent plus supporter une nouvelle toiture.
M. Dubus (aîné). - Les combles, dit-on, ne peuvent plus supporter une nouvelle toiture ; mais qu’on les renouvelle !
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Les murailles ne valent plus rien.
M. Dubus (aîné). - Remarquez, messieurs, que cette partie du bâtiment qu’on signale comme étant dans le plus mauvais état, est précisément celle dont l’entretien n’est pas à la charge de l’Etat ; car c’est la province qui doit loger le tribunal de première instance. Le mauvais état de cette partie du bâtiment ne provient vraisemblablement que de ce que la province aura négligé d’y faire faire les réparations nécessaires. Et pour ce motif nous voterions 3 millions ? Assurément non ! S’il faut un nouveau local pour le tribunal de première instance, le tribunal de commerce et la cour d’assises, c’est à la province à le construire, et je ne concourrai pas, moi, à mettre à la charge de l’Etat une dépense de 3 millions, parce que la province se trouverait dans la nécessité de reconstruire un local. Mais, d’après ce qui m’a été dit, il n’est pas nécessaire de reconstruire, il suffit de restaurer. Eh bien qu’on restaure.
Je viens d’entendre un honorable préopinant dire qu’il pleut même dans la salle d’audience de la cour de cassation ; eh bien, je tiens de très bonne part qu’au-dessus des locaux de la cour de cassation se trouvent ceux de la cour d’appel dans lesquels il ne tombe pas une goutte de pluie et dont la toiture est en très bon état.
J’ajouterai, messieurs, que des membres des corps judiciaires trouvent que la magistrature serait très convenablement logée si l’on restaurait les locaux actuels, et que la dignité matérielle, comme on l’a dit, n’est point du tout compromise dans l’état actuel des choses.
Je vous prie de remarquer, messieurs, comment on reporte ici toutes les dépenses sur l’Etat : on a fait, dans le courant de l’été, je pense, une espèce de transaction entre les délégués de la province, les délégués de la ville et M. le ministre ; d’après cette transaction le gouvernement aurait fait la moitié de la dépense, la province et la ville aurait fait l’autre moitié, les conseils provinciaux s’assemblent, le conseil provincial de Brabant juge à propos de repousser une partie de la dépense que cet arrangement mettait à sa charge ; il s’agissait pour la province, de supporter une dépense d’un million ; la province dit qu’elle ne veut contribuer que pour 500,000 fr., d’où le ministre conclut que l’Etat doit payer deux millions, au lieu de 1,500,000 fr. comme c’était d’abord convenu ; si donc la province n’avait rien payé, nous paierions 2,500,000 fr., et cela dans la circonstance où les bâtiments que la province doit fournir sont seuls en mauvais état. Vous voyez bien, messieurs, que ce serait réellement sacrifier les intérêts de l’Etat que d’entrer dans un semblable système. Faut-il que nous fassions un pas en arrière chaque fois que la province fait un pas en avant ; faut-il que nous mettions à la charge de l’Etat toutes les parties de la dépense que la province refuse de supporter ? Cependant M. le ministre s’appuie particulièrement de la circonstance que la province ne refuse pas de concourir dans la dépense ; or, vous voyez, messieurs, de quelle manière elle y concourt ; sa part avait été fixée à un million et elle ne veut payer que 500,000 fr.
Quant à la ville, on dit d’une part qu’elle contribue pour 500,000 fr., et d’autre part on dit qu’elle n’a plus d’argent, qu’elle ne pourra pas payer si nous ne lui payons les millions qu’elle nous demande ; c’est-à-dire, en d’autres termes, que si nous voulons qu’elle paie, il faut que nous lui donnions de l’argent. De là je conclus qu’au lieu de 2 millions, nous devons compter sur 2,500,000 francs.
On a dit que le bâtiment était un ancien couvent qui a été transformé en hôpital, puis en palais de justice. Cet ancien convent était, si je ne me trompe, l’église des Jésuites ; on sait que ces églises-là ne sont pas celles dont la construction est la plus ancienne ; on sait d’un autre côté qu’elles étaient construites avec une très grande solidité.
Une voix. - Elle a été démolie.
M. Dubus (aîné). - J’entends dire qu’elle a été démolie, mais alors les constructions qui l’ont remplacée sont donc neuves.
Un membre. - C’est le couvent !
M. Dubus (aîné). - Si l’on a conservé une partie de l’édifice, je regarde comme fort probable que c’est la partie la plus solide.
On a dit qu’il y a des murs hors d’aplomb ; a-t-on examiné s’il n’y a pas de remède à apporter à ce défaut, s’il faut renverser de fond en comble l’édifice, le remplacer par un tout nouveau fait sur un nouveau plan, avec des fondements nouveaux, avec quatre façades différentes ; faut-il faire tout cela parce qu’il y a un mur ou deux hors d’aplomb ? Mais il est arrivé maintes fois qu’un mur d’un bâtiment quelconque, qui était hors d’aplomb, a été remplacé par un autre mur sans qu’on ait pour cela reconstruit tout l’édifice.
Quant à la toiture qui est en mauvais état, je connais un remède à cela, c’est de la refaire. Ce remède a déjà été employé pour une partie du local ; d’après une note qui se trouve à la suite du rapport sur le budget de la justice de 1836, nous voyons qu’en 1835 on a fait de grosses réparations à la toiture, aux murs, aux plafonds d’une partie du palais de justice ; eh bien, messieurs, le travail a été fait de manière que depuis lors la pluie ne pénètre plus aucunement dans cette partie du bâtiment. S’il est vrai que la pluie pénètre dans les locaux qui sont affectés au tribunal de première instance, il faut employer le même moyen, faire de grosses réparations à la toiture on même refaire une toiture neuve.
Indépendamment de cette dépense on en a fait encore une autre d’environ 14,000 fr. à une époque toute récente ; or, si l’on a fait cette dépense, c’est bien qu’on a jugé qu’elle pouvait utilement être faite ; si l’on avait regardé l’édifice, comme étant dans un tel état qu’il n’y eût autre chose à faire que de le reconstruire, aurait-on encore dépensé 14,000 fr. pour le restaurer ? Evidemment non.
On a insisté beaucoup sur la nécessité de donner un palais à la cour de cassation. Il y a pour cela deux moyens, messieurs, et ces deux moyens, la chambre s’en est déjà occupée antérieurement : l’un c’était le projet de construire un palais spécial pour la cour de cassation sur le terrain de l’ancien ministère de la justice ; cela devait coûter, suivant un premier plan 240,000 francs ; ce projet n’a pas été mis à exécution parce qu’en définitive il devait coûter 340,000 francs ; certes, messieurs, j’aurais encore préféré beaucoup de dépenser 340,000 fr. pour l’exécution de ce plan que de dépenser 3,000,000 pour reconstruire tout l’édifice où se trouvent maintenant les divers corps judiciaires, même entre cette dépense augmentée encore de 100,000 fr. et celle qu’on nous propose aujourd’hui, je n’hésiterais pas. Ainsi, messieurs, si l’on ne peut faire autrement, il reste toujours ce moyen de faire un palais spécial pour la cour de cassation. En présence de la dépense énorme qu’on nous propose aujourd’hui, je ne considérerais pas comme un grand inconvénient que les avocats dussent traverser quelques rues pour aller d’un tribunal à un autre.
Ce n’est rien que cela en comparaison d’une dépense de 3 millions. Mais il y a un autre moyen, c’est d’approprier le local actuel, de manière à donner à la cour de cassation tout ce qui lui manque. Il y a déjà là des locaux qui suffisent dans les temps ordinaires à la cour de cassation, et cette cour se trouve établie d’une manière convenable, au dire de personnes compétentes pour en juger. Mais dans quelles circonstances le local est-il insuffisant ? Quand il doit y avoir audience, sections réunies ; c’est qu’alors on trouve que la chambre du conseil n’est pas assez grande pour y réunir toutes les sections ; c’est ce qui arrive lorsque les causes se plaident sections réunies. Or, ce cas est le plus rare, parce que cela n’a lieu qu’après un deuxième pourvoi en cassation de l’affaire. Ces causes sont toujours assez difficiles pour que la cour de cassation ne les juge qu’après en avoir délibéré ; mais, je le répète, ces cas sont très rares, et par conséquent l’inconvénient signalé, qui consiste à obliger le public de quitter la salle ne doit se présenter presque jamais.
Je suppose que cet inconvénient soit plus grand qu’il ne me le paraît ; eh bien, il sera facile d’y obvier. S’il manque une salle à la cour de cassation, qu’on ordonne les travaux nécessaires pour en construire une nouvelle ; le terrain ne manque pas ; il y en a même trop ; s’il y en a trop, je ne vois pas ce qui empêcherait de fournir à la cour de cassation ce qui lui manque.
Il en est de même quant aux archives de cette cour. S’il est besoin d’un local, eh bien le terrain est là, qu’on prenne les dispositions nécessaires. J’ai entendu assurer qu’avec moins de 100,000 francs on ferait toutes les dépenses, de manière à ce que tous les corps de justice fussent convenablement établis. Et certes, alors que cela m’a été dit, je n’irai pas voter trois millions, et l’on ne trouvera pas étrange que je demande un examen approfondi de la question.
Je comprends très bien que M. le ministre insiste, parce que le ministre est convaincu (il nous l’a dit) ; mais il doit comprendre très bien aussi comment des députés qui, comme moi, ne partagent pas cette conviction ; qui, au contraire, ont plus de motifs de croire qu’il y a lieu d’éviter ta dépense qu’on propose ; il doit comprendre, dis-je, comment ces députés insistent pour l’ajournement et pour un examen plus approfondi de la question.
Un honorable préopinant vous a parlé des locaux qui sont situés vers la rue de la Paille et qui sont toujours humides, parce que cette rue est plus élevée que le sol de ces locaux. Eh bien, encore une fois, ce sont précisément les locaux qui sont occupés par te tribunal de première instance, et aussi, je pense, par le tribunal de commerce, locaux à la dépense desquels la province doit fournir. Ainsi, s’il y a une dépense à faire, c’est à la province à y pourvoir.
La dépense, nous dit-on, n’est pas exagérée : c’est ce que je ne pourrais pas dire, en présupposant comme définitivement arrêté le plan qui est proposé. Certes, on a pris le véritable moyen d’arriver à la plus grosse dépense possible : c’est de faire table rase, de travailler sur un nouveau plan, et de reconstruire l’édifice, comme sur un terrain neuf, sans même profiter des fondements de l’ancien bâtiment. En travaillant ainsi sur un nouveau plan, on est entraîné dans la dépense la plus forte possible, surtout quand on imagine d’isoler l’édifice des quatre côtés et de créer ainsi quatre façades sur un développement très étendu.
Certes, c’était là le plan le plus propre à occasionner les frais les plus considérables. Est-il possible dès lors que la dépense ne soit pas exagérée ? Cependant, on vous fait remarquer une chose : c’est que ce sont des façades de la plus grande simplicité ; on vous dit même que cela est trop modeste pour une capitale.
Eh bien, ce que l’on dit maintenant, on le dira encore plus tard, et l’on vous fera remarquer que, puisque vous avez arrêté cette dépense, vous devez vouloir un monument qui fasse honneur à la nation, et vouloir en conséquence qu’on y ajoute les ornements d’architecture qui manquent, et l’on vous demandera un vote additionnel de quelques centaines de mille francs que vous ne refuserez pas alors, entraînés que vous aurez été dans la dépense principale. Et cela indépendamment du défaut habituel des devis, qui est de ne jamais tout prévoir ; de sorte que quand la construction est faite aux trois quarts ou à moitié, l’on s’aperçoit qu’il y aura un déficit ; et une fois que l’on s’est aperçu qu’il y aura un déficit, on a beau dire que le crédit a été limité, on vient demander un nouveau crédit, et le crédit n’est jamais refusé.
On ne vous dit pas à cet égard, messieurs, qu’il est demandé à l’Etat deux millions, et que la province et la ville feront le reste. Non, messieurs, le crédit est tout aussi limité de la part de la province et de la ville que de la part de l’Etat. De sorte que s’il se trouvait plus tard qu’il y eût des omissions dans le devis, ce serait aussi bien à l’Etat qu’à la province et à la ville que l’on s’adresserait. Nous n’avons donc absolument aucune garantie que la dépense se bornera aux deux millions que l’on demande.
Rappellerai-je ici le vœu qui a été émis par la chambre elle-même ? Au budget de 1836, la chambre avait voté un crédit pour la construction d’un palais spécial à l’usage de la cour de cassation. Ainsi, quant à ce point-là, je pense que le vœu de la chambre n’était pas pour la construction qu’on propose actuellement. L’an dernier, dit-on, il y a eu ajournement sur la proposition du ministre ; mais je suis convaincu que si, à l’époque où le ministre a proposé cet ajournement, la chambre avait su que la construction d’un édifice pour tous les corps judiciaires, pouvait entraîner une dépense de 3 millions ; je suis convaincu, dis-je, que la chambre n’aurait pas ajourné la question, et qu’elle aurait dit sur-le-champ : je préfère voter 230,000 fr. pour la construction d’un local à l’usage de la seule cour de cassation, à entrer dans une dépense qui s’élèvera à 3 millions.
Messieurs, me référant, au surplus, aux observations qui ont été présentées par plusieurs honorables préopinants, j’appuie la motion d’ajournement.
M. de Brouckere.- Messieurs, l’honorable orateur auquel je succède a commencé par déclarer qu’il ne prenait pas la parole, pour s’opposer à ce qu’on bâtît un palais de justice, destiné à recevoir tous les corps judiciaires qui siègent à Bruxelles ; il a ajouté que son seul but était de demander l’ajournement.
Je laisserai juger la chambre si tout ce qu’a dit l’honorable M. Dubus a eu réellement pour objet d’obtenir un ajournement, et si tous les arguments qu’il a fait valoir n’ont pas été produits en vue d’établir qu’un palais tel que nous le demandons est inutile.
Du reste, je ne vois pas là d’inconséquence, parce qu’ajourner la question, c’est réellement rejeter la demande. (Adhésion.) Et en effet, pourquoi M. Dubus veut-il un ajournement ? Afin dit-il, qu’on ait le temps d’examiner la question et de livrer l’affaire une nouvelle instruction.
Eh bien, je crois ne pas m’avancer par trop, en posant en fait qu’il est impossible que l’instruction de cette affaire se présente à la chambre plus complète qu’elle ne l’est en ce moment ; qu’il est impossible que l’on s’entoure de plus de renseignements, et que l’on prenne plus de mesures de précaution que l’on n’en a pris aujourd’hui.
Et, en effet, il y a un an que le gouvernement s’occupe de la question de savoir s’il est indispensable, oui ou non, de bâtir un palais de justice à Bruxelles ; il ne s’en est pas tenu à ses propres lumières ; il a créé une commission composée du procureur-général près de la cour d’appel, représentant l’ordre judiciaire, de deux membres de la députation permanente du conseil provincial, représentant les intérêts provinciaux, et de deux membres de la régence de Bruxelles, représentant les intérêts de la ville.
Dans cette commission, l’on a débattu tout ce qui pouvait être de quelque intérêt, et l’on est arrivé à la conclusion prise à l’unanimité, si je ne me trompe, qu’il était indispensable de bâtir un palais pour loger les corps judiciaires.
Mais ce n’est pas tout encore. La même question, messieurs, a été portée devant les états provinciaux qui avaient à la discuter le même intérêt que nous. Les états provinciaux ont encore répondu affirmativement, et ils étaient tellement convaincus de la nécessité de la construction d’un palais de justice, qu’ils ont voté une somme de 500,000 fr. Deuxième épreuve.
En voici maintenant une troisième. La question est portée devant le conseil communal de Bruxelles, et le conseil à son tour la résout à l’unanimité, comme l’avaient résolue et la commission dont j’ai parlé, et les états provinciaux du Brabant. Par suite de cette résolution, la régence de Bruxelles vote également une somme de 500,000 fr.
Pouvez-vous penser maintenant que la commission nommée par le gouvernement, que le conseil provincial et la régence de Bruxelles aient tous résolu la question dans un même sens, sans avoir recueilli tous les renseignements désirables ? Pouvez-vous croire après cela qu’une instruction nouvelle puisse amener de nouvelles lumières ? Quant à moi, je vous avoue qu’il m’est impossible de le croire ; émettre une semblable opinion, c’est en quelque sorte décider que la commission, les états provinciaux et la régence de Bruxelles ont agi à la légère ; je pourrais y ajouter la section centrale, dont l’honorable M. Dubus faisait partie, et qui, elle aussi, s’est occupée de cette même question.
Après cela, vous manque-t-il des renseignements ? Demandez-les ; le ministre est nanti de tous les plans, il les a mis à la disposition de la chambre ; il vous a fait tous les calculs ; quels que soient les renseignements que l’on désire obtenir, on les fournira à l’instant ; dès lors un ajournement est absolument inutile.
Un honorable préopinant a reproduit l’argument que l’on a déjà présenté hier. Il a dit que le gouvernement avait demandé une première somme de 100,000 fr. faisant partie de 240,000 fr., à voter en deux ans pour la construction d’un palais destiné à la cour de cassation. Si, dit-on, il suffisait alors de construire un palais pour la cour de cassation coûtant 240,000 fr., bornez-vous encore aujourd’hui à demander 240,000 fr. M. le ministre de la justice a déjà répondu à cet argument. Il n’a pas pu demander des fonds pour construire un palais de justice, puisqu’alors les conseils provinciaux n’étaient pas organisés et que par conséquent il ne pouvait réclamer à la province la somme pour laquelle elle devait coopérer. Voilà la réponse.
Maintenant je dirai à l’honorable M. Dubus que 240,000 fr. n’étaient pas suffisants (on l’a reconnu plus tard) ; ensuite que si alors on s’était borné à la construction d’un palais pour la cour de cassation, nous ne serions moins obligés de nous occuper, soit cette année, soit l’année prochaine, des constructions à faire pour les autres corps judiciaires ; car, on l’a assez prouvé, les autres corps judiciaires sont logés d’une manière tellement inconvenante, tellement indécente qu’il est impossible que cet état se prolonge longtemps.
On a fait valoir cet argument à l’appui de la proposition du gouvernement, qu’il convenait, lorsque la chose était possible, que tous les corps judiciaires fussent réunis. Que répond à cela l’honorable préopinant ? Je sais, dit-il, que cela est plus commode pour les avocats, mais la législature ne doit pas, pour la plus grande commodité de ces messieurs, voter légèrement une dépense de 2 millions. Mais, messieurs, ce ne sont pas les avocats qui sont ici en cause ; ce sont les personnes qui ont des procès, c’est-à-dire l’universalité de la nation, car tout le monde est dans le cas d’avoir des procès, et il a été prouvé à l’évidence qu’il est dans l’intérêt de toutes les personnes qui ont des procès à soutenir que les corps judiciaires soient réunis. Cela a été prouvé l’an dernier. L’honorable M. Dolez l’a prouvé de nouveau à cette séance par des arguments pleins de vérité et que certainement on ne réfutera pas.
Quant à ce qui concerne le mauvais état des bâtiments, car il faut que j’y revienne, que répond-on ? S’il est vrai que la pluie tombe dans les salles, que la toiture soit dans le plus mauvais état, que l’on fasse, dit-on, une nouvelle toiture. Les combles répliquons-nous, ne la supporteront peut-être pas ; on nous répond que l’on fasse de nouveaux combles. Si nous disons : mais les murailles tombent. On nous dira tout à l’heure, j’en suis persuadé que l’on fasse de nouvelles murailles. L’honorable préopinant consent à ce que l’on construise de nouvelles murailles, de nouveaux combles, de nouvelles toitures ; en définitive, je suis donc d’accord avec lui ; d’autant plus qu’il ajoute que le local actuel est trop petit et qu’il faudrait l’augmenter de quelques salles.
M. Dubus (aîné). - Je n’ai émis aucune des assertions que me prête l’orateur.
M. de Brouckere. - Je pense que pour peu que la discussion continue, nos honorables adversaires seront d’accord avec nous et reconnaîtront qu’il vaut mieux construire un bâtiment neuf qu’en réparer un mauvais qui sera encore mauvais après, et qui, chaque année, exigera de grandes dépenses.
On déjà beaucoup parlé du mauvais état des bâtiments ; mais une observation que l’on n’a pas faite, c’est que toutes les salles ont besoin d’étais pour soutenir les plafonds. Qu’on aille au palais de justice, et l’on verra dans chaque salle de petites colonnettes fort disgracieuses, placées dans la crainte que le plafond ne tombe sur la tête des juges, des avocats et du public. (On rit.)
Quant à ce qui regarde le chiffre auquel la dépense a été évaluée, la première objection que l’on fait, c’est que dans les 3 millions l’Etat ne devait entrer que pour 1,500,000 fr. Pourquoi ? Parce que le gouvernement a demandé au conseil provincial 1 million et que le conseil provincial n’a arbitrairement accordé que 500,000 fr. Si le gouvernement avait été convaincu que la part pour laquelle le conseil provincial devait contribuer devait être d’un million, je suis persuadé qu’il n’aurait pas fléchi si facilement ; mais s’il n’a pas insisté, c’est qu’il est convaincu que l’Etat, en contribuant pour les deux tiers à l’érection d’un palais de justice, ne fait que payer la part qui lui incombe. Ce n’est donc pas d’après la première demande au conseil provincial qu’il faut juger quelle part de la dépense doit supporter la province ; il faut examiner quelle doit être cette part en bonne justice. Je crois qu’il est facile de prouver que quand la ville de Bruxelles et la province paient chacune 500,000 fr., l’une et l’autre paient la part de la dépense qu’elles doivent supporter et que les deux tiers qui restent doivent réellement être supportés par l’Etat.
Mais, dit-on, vous annoncez que la ville de Bruxelles paiera 500,000 fr., et d’un autre côté vous ne cessez de répéter que ses finances sont en mauvais état, et que, si on ne vient pas à son secours, elle sera obligée de prendre une mesure désastreuse. Les 500,000 fr., pour lesquels la ville contribue dans la dépense ne sont pas une charge nouvelle ; la ville est obligée aujourd’hui de payer les loyers de certains corps judiciaires, et c’est pour se débarrasser de cette charge, qui est trop considérable, qu’elle veut contribuer dans la dépense de 500,000 fr., convaincue que par là elle n’augmentera pas ses charges.
On comprend bien qu’en dernier résultat il faudra finir par voter la somme nécessaire pour l’érection d’un palais de justice ; cependant on cherche par un dernier moyen à empêcher ce vote. On veut vous effrayer ; on dit : le gouvernement ne demande que deux millions pour la construction d’un bâtiment fort simple ; mais quand vous vous serez engagés par un premier vote, au lieu d’un bâtiment fort simple, il voudra un bâtiment grandiose et élégant ; ne vous engagez donc pas dans cette voie. Je crois que quand le gouvernement affirme qu’un bâtiment ne coûtera que deux millions (je parle de la part afférente à l’Etat), quand il s’engage à faire construire un palais de justice pour cette somme, cette assurance doit donner à la chambre tous ses apaisements.
Si plus tard il prenait au gouvernement la fantaisie de demander à la chambre de nouveaux fonds pour des ornements d’architecture, il nous prendrait à nous, chambre, la fantaisie de refuser. Je ne vois donc pas que ce premier vote constitue l’obligation de voter tous les fonds que le gouvernement pourrait demander.
J’ai omis de répondre à un argument présenté par l’honorable M. Dubus pour prouver qu’il est impossible que les bâtiments soient en aussi mauvais état qu’on le dit. En effet, dit M. Dubus, c’est là qu’était autrefois l’église des Jésuites, et tout le monde sait que les églises des Jésuites sont très bien bâties. Je le nie pas ; mais je dirai à l’honorable M. Dubus qu’il est tout à fait dans l’erreur, que le bâtiment où siègent les corps judiciaires n’est pas l’église des Jésuites. L’église des Jésuites, qui était sur l’emplacement où se trouve le palais de justice, a été complétement démolie, et le local où sont les cours et tribunaux, c’est l’ancien collège des Jésuites et non leur église.
En résumé donc, tout le monde est d’accord qu’il faut bâtir un palais pour la cour de cassation ; tout le monde est d’accord qu’il y a de grands frais de réparations à faire pour laisser la cour d’appel et le tribunal de première instance où ils se trouvent. D’après cela tout le monde doit être d’accord pour reconnaître qu’il est plus convenable (je dirai même volontiers plus économique) que pour ceux qui ne se bornent pas à voir le présent, mais qui portent leur vue plus loin, de construire dès à présent un bâtiment où soient logés tous les corps judiciaires.
Mais, dit-on (et ceci répond à l’honorable M. Desmanet de Biesme), si un bâtiment est nécessaire, alors faites venir un architecte, et dites-lui : il nous faut tant de salles de délibéré, dites-lui toutes les salles dont vous avez besoin et demandez-lui en le devis. Mais c’est précisément ce qu’on a fait, et puisqu’on a voulu jouer sur les mots, puisque l’honorable M. Desmanet de Biesme a dit qu’il ne voulait pas voter un palais, mais un hôtel ; moi je dis qu’il s’agit de moins encore, il s’agit tout simplement d’une maison ; et pour l’étranger qui verrait ce bâtiment, sans qu’on lui en dît l’usage, il serait impossible de deviner si c’est une caserne ou un palais de justice, tant il est simple. Qu’on examine le plan, il est entre les mains d’un honorable membre qui peut le faire circuler dans l’assemblée, et l’on verra que ce bâtiment est plus simple que beaucoup de maisons particulières.
Dira-t-on dire que si la manière dont les magistrats sont logés n’a aucun rapport avec leur considération, et que leur dignité ne dépend pas de ce qu’ils rendent leurs arrêts dans une bonne ville ou dans une halle ? Je ne suis pas de cet avis qui ne peut être celui d’aucun membre de cette assemblée ; car sans cela on ne ferait pas au palais de la chambre les dépenses de réparations qu’on y fait chaque année. Si l’on croit que la cour de cassation peut rendre ses arrêts dans une salle, je ne vois pourquoi le sénat et la chambre des représentants sont logés d’une manière aussi brillante. Cela est parce que c’est dans les convenances, parce qu’il serait indécent que les premiers corps de l’Etat fussent mal logés ; ce qui est vrai pour le sénat et la chambre des représentants est vrai, à un moindre degré pour les corps judiciaires. Que les magistrats siègent sur des bancs dans des halles, je sais que leurs arrêts seront aussi bons. On est venu dire que saint Louis rendait la justice sous un chêne ; je suppose qu’il choisissait les jours où il faisait beau. Nos magistrats rendent la justice en tout temps ; il leur faut donc un autre abri que le chêne de saint Louis.
Je voterai pour la proposition du gouvernement.
M. Gendebien. - Après ce que viennent de dire plusieurs honorables préopinants, je me bornerai à une seule observation, pour ne pas abuser de la patience de la chambre.
S’il s’agissait de délibérer sur le choix d’une dépense de … ou de 2,000,000, comme on le prétend, la solution ne devrait pas douteuse. Mais il s’agit de savoir si après avoir fait une dépense isolée de 340,000 fr. pour la cour de cassation, il ne faudra pas faire successivement une dépense bien plus considérable que celle qu’on veut ajourner sans recueillir les avantages du projet actuel.
Toutes les fois qu’un orateur a parlé du mauvais état du local occupé par les corps judiciaires, il a dit que c’était la faute de la province et de la ville, à la charge desquelles sont les réparations de ce local. Cette observation est inexacte en tous points, puisqu’une grande partie de ces dépenses incombent au gouvernement, et que pour le surplus la ville et la province ne devraient pas en être chargées. Il est bon que vous sachiez les faits. Le palais dans lequel vous siégez appartient à la ville de Bruxelles ; il en est de même de l’édifice où est maintenant le ministère des travaux publics. L’hôtel où est le ministère des finances n’appartient pas à la ville : c’était autrefois le local consacré aux finances. Tous ces locaux ont été consacrés aux cours et tribunaux jusqu’en 1820. Par suite de plusieurs mutations, ces édifices ont été échangés contre ceux occupés maintenant par les tribunaux et cours ; et notez-le bien, le palais où vous siégez et tous ces palais qui appartenaient à la ville étaient très solidement bâtis, s’ils appartenaient encore à la ville de Bruxelles, on ne la provoquerait pas aujourd’hui à concourir à de nouvelles constructions. Mais le roi Guillaume a trouvé à propos de disposer du bâtiment de l’ancien conseil de Brabant, très solidement bâti. (Il a été construit il y a 60 ou 65 ans), et, comme le disait hier l’honorable M. Verhaegen, il a transféré toute notre magistrature à l’hôpital, dans un bâtiment que je prie chacun de vous d’aller voir, dans un bâtiment aussi mauvais que ceux qu’il prenait à la ville de Bruxelles étaient bons. Si la ville de Bruxelles n’avait pas été dépouillée, sans son consentement, j’aime le croire, de ses propriétés, elle n’aurait pas besoin aujourd’hui, je le répète, de concourir à des dépenses de constructions nouvelles ; car les bâtiments qu’on lui a pris sont solides et dureront plusieurs siècles sans exiger de grandes réparations.
Dans cet état de choses que font la ville de Bruxelles et la province ? Se refusent-elles, comme elles le pourraient, à concourir à la dépense, en disant qu’il ne serait question de leur imposer aucuns frais, soit de réparation, soit de reconstruction, si on ne les avait pas dépouillées des édifices neufs et solides qui étaient leur propriété ? Non. La province et la ville sont tellement convaincues de la nécessité d’un local nouveau et de la convenance de saisir cette occasion pour réunir dans un même édifice tous les corps judiciaires, depuis le tribunal de simple police jusqu’à la cour de cassation avec tous les degrés de juridiction intermédiaires, qu’elles sont décidées à faire le sacrifice d’un million, alors qu’elles pourraient légalement s’y refuser. Et ce serait la nation, qui s’est enrichie des dépouilles de la ville, qui se refuserait à faire une dépense de 2 millions dont la nécessité est évidente !
La ville pouvait vous dire : « Il ne nous convient pas d’entrer dans toutes ces dépenses. Sans l’échange inique qui nous a été imposé par le roi Guillaume, nous n’aurions que des bâtiments neufs et solides à entretenir pour notre quote-part ; nous ne voulons pas réparer les vieux bâtiments qui nous ont été imposés en échange, ni concourir bien moins encore aux frais de construction de ceux nécessaires pour remplacer ces bicoques ; replacez-nous dans la position où nous étions avant la spoliation, et nous consentons à payer notre quote-part dans l’entretien, qui serait insignifiant. » Qu’auriez-vous à répondre à cela ? Rien, assurément rien.
Maintenant, si vous considérez que le gouvernement sera, en tout état de cause, obligé de faire immédiatement un édifice non seulement pour la cour de cassation, la haute cour militaire et le conseil de guerre, mais aussi et très incessamment une reconstruction pour la cour d’appel, je vous demande de quel côté est le sacrifice ? C’est du côté de la ville et de la province, et non à charge de la nation.
J’ajouterai une dernière considération, c’est qu’à l’heure qu’il est, la ville paie encore les rentes constituées et hypothéquées sur le palais que vous habitez. Ainsi, d’un côté, on contraint la ville à payer les rentes créées autrefois pour la construction d’un bâtiment solide qui ne lui appartient plus, parce qu’on l’en a spoliée ; et de l’autre on veut la forcer à construire un nouvel édifice pour remplacer les vieux bâtiments tombant en ruine qui lui ont été donnés, c’est-à-dire, qui lui ont été imposés en échange.
Vous voyez ici encore un acte d’iniquité du roi Guillaume. Est-ce donc à la ville de Bruxelles à en subir les conséquences ? Non ! Vous ne pouvez l’exiger sans vous rendre complices de cette iniquité,
Si vous voulez faire un acte de loyauté et de magnanimité envers elle, vous devriez la replacer tout au moins dans la position où elle était avant l’acte d’iniquité dont vous allez vous rendre complices ; vous devriez, selon toute justice et en bonne conscience, ne lui rien imposer pour une construction qui devrait lui être désormais étrangère ! Mais la ville de Bruxelles ne demande pas cela. Elle consent à contribuer pour une quote-part à une dépense utile et indispensable ; hésiterez-vous de votre côté ?
Voilà les seules réflexions que j’ai cru nécessaire d’ajouter à celles des honorables préopinants.
- La proposition d’ajournement est mise aux ; elle n’est pas adoptée.
M. Dumortier. - Avant de voter un chiffre aussi énorme que celui dont il s’agit, il faudrait avoir des éclaircissements.
Plusieurs membres. - Il y a clôture.
M. Dumortier. - Je pensais qu’il n’y avait clôture que sur la question d’ajournement.
M. Verdussen. - Je pense aussi que c’est dans ce sens que la clôture a été prononcée. Un honorable membre demande un éclaircissement ; il me semble que la chambre ne peut pas se refuser à l’entendre.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Il est évident pour quiconque a assisté à la discussion que l’on a discuté en même temps l’ajournement et le fond. On a voté sur l’ajournement, il fallait bien commencer par là ; mais après le vote sur l’ajournement vient le vote sur le crédit.
Cependant je puis répondre en deux mots au préopinant.
Tout ce qui concerne les réparations…
M. Dumortier. - Je ferai observer à M. le ministre de la justice que s’il n’y a pas clôture, j’ai la parole avant lui.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Je renonce à donner l’explication.
- La chambre consultée déclare qu’il y a clôture sur le fond.
M. Pirson. - Je demande la parole sur la position de la question. M. le ministre était prêt tout à l’heure à donner une explication dont j’ai besoin. Je demande que la restriction qu’il a annoncée soit comprise dans la position de la question ; car je voterai pour l’article s’il contient cette restriction ; je voterai contre sans la restriction.
M. de Brouckere. - La proposition de M. Pirson est un amendement ; or, quand il y a clôture, on ne peut proposer d’amendement. L’amendement est d’ailleurs inutile, puisque le libellé de l’article porte : « pour un cinquième, 400,000 fr. »
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - La condition que l’on voudrait insérer résulte du texte de la loi : « Construction d’un palais de justice à Bruxelles, pour premier cinquième, 400,000. » J’ajouterai que je me regarde comme formellement engagé à ne pas dépenser au-delà du crédit de 2 millions.
On vote par appel nominal sur cet article 3 :
« Construction d’un palais de justice à Bruxelles, y compris la majoration de 100,000 fr. demandée à la section centrale, pour le premier cinquième : fr. 400,000. »
70 membres sont présents.
40 votent 1’adoption.
30 votent le rejet.
En conséquence, la somme de 400,000 est accordée comme premier cinquième.
Ont voté l’adoption : MM. Bekaert, Coghen, Coppieters, Corneli, de Behr, de Brouckere, Dechamps, de Jaegher, F. de Mérode, W. de Mérode, de Muelenaere, Dequesne, de Terbecq, de Theux, d’Huart, Dolez, Dubois, Duvivier, Ernst, Gendebien, Keppenne, Lecreps, Maertens, Meeus, Mercier, Metz, Nothomb, Pirmez, Pirson, Pollénus, Raikem, Raymaeckers, Troye, Vandenbossche, Vandenhove, Van Volxem, Verhaegen, Willmar, Zoude.
Ont voté le rejet : MM. Andries, Beerenbroeck, Berger, de Langhe, de Longrée, de Meer de Moorsel, de Nef, de Roo, de Renesse, Desmanet de Biesme, Desmet, Doignon, Dubus aîné, Dumortier, Eloy de Burdinne, Heptia, Kervyn, Mast de Vries, Morel-Danheel, Polfvliet, A. Rodenbach, C. Rodenbach, Scheyven, Simons, Thienpont, Trentesaux, Verdussen, Vergauwen, Wallaert, Peeters.
« Art. 1er. Impression du Bulletin officiel, y compris la majoration de 100 fr. demandée à la section centrale : fr. 21,500. »
- Adopté.
« Art. 2. Impression du il : fr. 64,000. »
- Adopté.
« Art. 3. Abonnement au Bulletin des arrêts de la cour de cassation y compris la majoration de 700 fr. demandée à la section centrale : fr. 2,800. »
- Adopté.
« Art. 1er. Pensions : fr. 10,000. »
- Adopté.
« Art. 2. Secours à des magistrats, etc. : fr. 8,000. »
- Adopté.
« Art. 3. Secours à des employés, etc. : fr. 2,000 fr. »
- Adopté.
M. Andries. - Dans un ouvrage remarquable (des Progrès et de l’état actuel de la réforme pénitentiaire, etc., par M. E. Ducpétiaux, 3 volume, 1837), dont il a été fait hommage à la chambre tout récemment, je trouve l’opinion très importante de l’auteur sur le système d’emprisonnement tel qu’il existe aujourd’hui. « Le système actuel d’emprisonnement (emprisonnement en commun) n’est-il pas vicieux à beaucoup d’égards et ne tend-il pas directement à faciliter et à propager les corruption mutuelles des détenus ? Si, comme nous le pensons, la réponse à cette question est affirmative, le système est jugé désormais, il doit être mis hors de cause. »
Messieurs, la société a le droit de punir ; mais à côté de ce droit se trouve un devoir, c’est de punir dans le but de rendre meilleur ; son devoir est donc de faire en sorte que dans les prisons il y ait impossibilité de corruption mutuelle entre les détenus.
Or, il me semble que le meilleur moyen d’atteindre ce but, c’est l’emprisonnement solitaire de jour et de nuit. C’est vers ce système que convergent aujourd’hui les idées des hommes les plus compétents dans la matière, en France, en Allemagne et en Belgique.
Je désire, pour mon compte, que le gouvernement entre franchement dans ce système, dégagé toutefois de toute exagération, de toute idée trop absolue. Si le système actuel se trouve jugé et condamné, comme nous avons vu plus haut, je suis étonné que M. le ministre de la justice n’ait pas demandé un crédit plus fort pour constructions et améliorations matérielles, afin que la société puisse s’acquitter de ses obligations envers ceux qu’elle a retranchés de son sein, et que le plus tôt qu’il est raisonnablement possible ces malheureux soient soustraits à un système qui, d’après l’aveu de l’inspecteur-général de nos prisons, tend directement à les corrompre.
Plutôt donc de voter des millions pour bâtir un palais, où l’on rend la justice, je les emploierais à bâtir de bonnes prisons à ceux que la justice a déjà frappés, et qui, à défaut d’argent de la part du gouvernement pour améliorer les prisons, en sortent plus mauvais qu’ils n’y étaient entrés.
Pour mettre donc le gouvernement à même de donner plus de développement au système nouveau dont je viens de parler et qu’il paraît déjà avoir adopté, je prie la chambre de majorer le crédit demandé à l’article 5 de ce chapitre « des prisons » de la somme de 200,000 fr. et de le porter par conséquent à 400,000 fr.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Il n’y a pas longtemps, messieurs, que je disais dans une autre enceinte que personne n’est plus convaincu que moi de la nécessité qu’il y aurait de faire de plus grandes constructions dans les prisons, dans l’intérêt de la moralité des détenus, et que je ne pouvais m’excuser de ne pas avoir demandé de plus forts subsides pour cet objet que par la nécessité de mettre nos dépenses en harmonie avec nos voies et moyens : c’est assez dire, messieurs, que je ne puis qu’accueillir la proposition de l’honorable préopinant. Cependant je ne dirai pas comme lui que le système de l’administration des prisons est mauvais ; non, messieurs, ce système n’est pas mauvais, il est bon, mais l’administration des prisons n’a pas des moyens suffisants pour réaliser tout d’un coup les améliorations qu’elle a en vue ; jusqu’à présent elle a travaillé à atteindre le but qu’elle se propose par des améliorations successives. C’est ainsi qu’elle a proposé l’établissement d’une prison pour les femmes, à Namur ; lorsque toutes les femmes seront réunies dans ce pénitencier, il en résultera une amélioration immense dans les prisons de Gand et de Vilvorde.
Comme le dit l’honorable préopinant, tout ce système pénitentiaire consiste à séparer les bons prisonniers des mauvais, à leur donner du travail, à les entourer de surveillants pleins de moralité ; c’est là, messieurs, tout le secret du système pénitentiaire ; ce secret nous le connaissons, mais nous manquons d’argent pour l’exécuter immédiatement.
Je dirai avec l’honorable préopinant qu’une des grandes plaies de notre système de prisons, c’est la prison de St-Bernard, où se trouvent les jeunes délinquants ; je cherche en ce moment dans toutes les localités de la Belgique un emplacement où je pourrais former un pénitencier pour les jeunes délinquants ; j’ai fait demander à toutes les administrations un local qui pût être destiné à cet usage, et qui ne coûtât rien à l’Etat, si ce n’est les frais d’appropriation ; j’espère que dans le courant de l’année nous pourrons obtenir un semblable local, et alors je viendrai vous demander un subside pour l’appropriation. Je vous dirai toutefois dès aujourd’hui que si vous accordez maintenant les 400,000 fr. que l’honorable préopinant propose d’allouer, vous n’accorderez pas encore ce qui est nécessaire, pas même ce qui est urgent. Je m’en rapporte, messieurs, à votre sagesse.
M. Desmet. - Messieurs, si je devais répondre à l’honorable ministre de la justice sur ce qu’il vient de nous communiquer concernant les réformes ou améliorations qu’il désire porter à notre système pénitentiaire, je n’aurais rien à répliquer, car je suis absolument d’accord avec lui ; il veut donner plus d’étendue au système des catégories, il veut séparer les bons des méchants, et sans entrer dans le mode d’isolement qui est mis en usage en Amérique, il veut que nos prisons aient des quartiers isolés, à l’aide desquels on puisse opérer avec succès le triage du bon d’avec le mauvais grain. Mais ce n’est pas ce que veut l’honorable M. Andries, car, si j’ai bien compris cet honorable membre, il fait des vœux pour que le système américain soit introduit en Belgique, et veut voir dans nos prisons l’emprisonnement solitaire de jour comme de nuit, il veut enfin le système cellulaire des Américains dans toute son étendue.
C’est ce que je désire combattre et principalement encore parce qu’il m’a semblé que depuis quelque temps il y avait une certaine tendance dans l’administration des prisons de vouloir adopter l’innovation américaine, que je combats surtout, parce que de toutes celles dont la philanthropie sentimentale de cabinet berce ses nombreux admirateurs, elle est, à notre avis, la plus funeste et le plus opposé à la régénération morale des détenus.
Oui, messieurs, je regarde comme une erreur funeste à l’amendement des condamnés, l’introduction du système cellulaire, et surtout dans toute son étendue américaine, comme vous le propose l’honorable M. Andries.
L’établissement de ces cellules isolées donne à vos pénitenciers le repoussant aspect de vastes catacombes où vous jetez vos condamnés, par ordre de numéros, dans des cercueils anticipés.
Ce système est tout à la fois onéreux et dangereux.
Qu’il entraîne à de grandes dépenses, il n’est pas besoin qu’on le démontre, c’est incontestable ; chaque individu a sa chambre particulière ; quand je tiendrai dans une seule pièce 200 à 300 détenus, j’aurai besoin, dans le système américain d’autant de chambres. Je vous laisse à juger de quels bâtiments vos prisons auront besoin !
Qu’en général il est dangereux, se prouve aussi facilement.
Et pour cela je me fonde sur cette incontestable vérité, que l’homme étant essentiellement un être social, l’isolement le place en dehors de sa condition naturelle, et que l’impossibilité dans laquelle on le met de faillir par l’isolement, ne prouve aucunement qu’il ne faillira plus quand il sera rendu au monde et rejeté dans son tourbillon avec ses passions longtemps comprimées par la force, et nullement par la conviction.
Mais vous dites : il faut isoler les condamnés, afin que constamment placés vis-à-vis d’eux-mêmes dans un silence absolu, l’inévitable souvenir de leur vie passée les conduise à des réflexions sérieuses, les réflexions au remords, et le remords au repentir.
Tel est le thème sur lequel repose l’innovation américaine, et par lequel ses partisans soutiennent que toutes les prisons doivent être construites suivant le système cellulaire des Etats-Unis, sans cela point de réforme possible.
J’admets, toutefois, comme un fait indubitable, l’empire de la réflexion sur l’âme des condamnés ; mais avec cette conviction que pour des êtres généralement abrutis par l’ignorance et l’impiété, ces réflexions ne peuvent jamais être que la conséquence de la puissance d’instinct qui leur impose, et les asservit à sa despotique domination.
Je soutiens que dans cet état d’abjection normale, ils n’ont d’intelligence que pour se ressouvenir, et nullement pour comparer et juger ; que s’ils éprouvent des regrets ou des remords, ils émanent de la souffrance ou de la gêne qu’ils endurent, et non pas du besoin de surmonter par un effort philosophique, religieux ou moral, l’entraînement perpétuel de leurs mauvais désirs ; car ils sont évidemment incapables par l’abrutissement dans lequel ils sont nés, et qu’aucune circonstance postérieure n’a pu coopérer à combattre ni à changer.
Le système d’isolement a trois objets en vue :
L’emprisonnement solitaire sans travail ;
L’emprisonnement solitaire avec travail ;
Et l’emprisonnement solitaire la nuit, avec classification et travail en commun pendant le jour.
Le premier est barbare, j’ose le soutenir ; il émane d’un faux raisonnement sur la nature du cœur humain, et concède, à l’égard des condamnés, des droits que la loi ne peut déférer. Il consacre un arbitraire le plus affreux.
On ne voudra me contester, je pense, qu’en fait de législation pénale, toute espèce de châtiment doit être nettement déterminée par la loi ; qu’aucune circonstance n’en doit aggraver la rigueur, et que faire mourir un coupable dans les angoisses d’une lente agonie quand la loi ne l’a pas jugé digne de mort !
Du reste, il semble aujourd’hui démontré, presque partout, hormis, peut-être, chez l’Américain qui ne voit de réforme possible que dans le solitary confinement, que le mode d’emprisonnement solitaire sans travail doit être à tout jamais repoussé ; car, suivant la noble expression de deux célèbres écrivains sur la réforme des prisons, MM. de Beaumont et de Tocqueville : « Cette solitude est au-dessus des forces de l’homme ; elle consume le criminel sans relâche et sans pitié ; elle ne réforme pas, elle tue. »
Donc j’ai eu raison de dire qu’elle est barbare ! qu’elle émanait d’un faux raisonnement sur la nature du cœur humain, et qu’elle concédait, à l’égard des condamnés, des droits que la loi ne saurait déférer.
Le second, celui de l’emprisonnement solitaire avec travail, est infructueux, et son exécution totale emporte forcément avec lui des conséquences directement opposées à l’amendement des coupables.
Ce second système se rapproche et même se confond avec le premier, mais il a cela de plus en sa défaveur qu’il détruit totalement l’effet moral de celui-ci, sans que pour cela le détenu puisse contracter des habitudes laborieuses.
En ce qui concerne l’amendement du détenu, principal résultat qu’on cherche de l’innovation américaine ; de deux choses l’une, ou la solitude absolue produit nécessairement ces réflexions salutaires qui lui font haïr son crime, et, dans ce cas, il faut l’adopter ; ou cet isolement produit un effet contraire ou tout au moins douteux, et, dans ce cas, il faut le repousser. Mais ne dites point que dans cette nouvelle hypothèse le travail fait cesser tous les inconvénients qui se rattachent à la première ; c’est renverser son propre système, puisqu’un individu ne peut être à la fois isolé et ne pas l’être, et qu’avec la condition du travail l’isolement est impossible.
Ce qui, dès lors, conduit à ce résultat forcé que l’emprisonnement solitaire avec travail n’est rien moins qu’un non-sens, et ne peut conséquemment être présenté comme un moyen efficace de réforme pénitentiaire.
Les écrivains que j’ai cités tout à l’heure se sont également occupés de l’examen du travail en commun ou isolément ; voici ce qu’ils en ont écrit, d’où vous pourrez vous apercevoir qu’ils penchent pour celui du travail en commun.
« Malgré le poids que la Pennsylvanie venait de mettre dans la balance en faveur de l’isolement absolu avec le travail, le système d’Auburn, c’est-à-dire le travail en commun, continua à obtenir la préférence ; le Massachussetts, le Maryland, le Tennessee, le Kentucky, le Maine et le Vermont, ont tour à tour adopté le plan d’Auburn, et l’ont pris pour modèle des nouvelles prisons qu’ils ont fait construire. Le travail en réunion et en silence, est donc le caractère qui distingue le système d’Auburn de celui de Philadelphie. En raison du silence auquel les détenus sont condamnés, cette réunion n’offre aucun inconvénient et présente beaucoup d’avantages. »
Les partisans de l’isolement absolu verront par ceci que leur système n’est pas aussi généralement approuvé, comme ils le croyaient bien, et que les Etats-Unis de l’Amérique mêmes ne sont pas unanimes pour suivre l’exemple de Philadelphie. Il serait donc très dangereux de mettre en œuvre un système qui entraînerait tant de dépenses et dont on n’est pas certain de l’excellence.
Reste le troisième système, l’emprisonnement solitaire, la nuit, avec classification et travail en commun pendant le jour. Que cherche-t-on par ce moyen ? D’éviter, par l’isolement nocturne des condamnés, les dangers des entretiens secrets et des débauches monstrueuses auxquelles ils donnent le plus souvent lieu.
Quand on sait combien les dortoirs sont bien éclairés et surveillés pendant la nuit, on doit certainement reconnaître que les dangers ne sont pas tels comme on veut les dépeindre ; à ce sujet j’ai pris beaucoup d’informations dans les prisons, et les commandants et autres employés m’ont presque tous dit, que les exemples étaient rares, et que la surveillance continuelle y mettait un obstacle qu’on pouvait envisager comme certain ; mais ils m’ont aussi affirmé que ces obscènes débauches, qu’on croit être si fréquentes dans nos prisons et qu’on se flatte d’empêcher par l’isolement de nuit, n’amèneront, à l’égard des libertins, qu’à les plonger dans les fureurs de l’onanisme ; et pour les autres détenus, qu’à les habituer à se laisser aller de mœurs qui finit toujours par s’emparer de l’homme dont aucun regard sévère, dont aucun blâme possible, ne lui viennent imposer la décence et le saint respect de soi-même, sans lequel la vertu n’est rien de moins qu’un mensonge hypocrite.
Je suis tellement pénétré de l’idée que l’emprisonnement solitaire, même uniquement pendant la nuit, est un tel stimulant pour l’impudicité, que je vois pour certain, si on devait le mettre en exécution, qu’en peu de temps toutes nos prisons ne contiendraient que des êtres tellement abrutis, qu’à peine on pourrait y retrouver un cœur humain et quelques traces de bonnes qualités, de décence et de pudeur ; et je ne crains point d’affirmer que vouloir corriger les criminels en les isolant, n’est très positivement qu’une aberration complète de jugement, et que les dépenses énormes qu’on voudrait faire faire à l’Etat pour singer la soi-disante réforme américaine, et introduire chez nous le solitary confinement de Philadelphie, ne pourrait servir qu’à gâter nos prisons, et y faire faire un effroyable pas rétrograde dans l’amendement des détenus.
J’ai oublié de toucher les points de salubrité et de propreté, cependant deux objets de la plus haute importance dans les prisons ! Comment pouvez-vous les avoir quand vous tenez jour et nuit vos détenus encoffrés dans un cube maçonné de huit pieds, où ils respirent toujours le même air ?
Donnez-vous une cour à chaque détenu ? Vous aurez autant de cours que de cellules ; vous devez donc sentir que l’isolement absolu de Philadelphie est impossible, véritable utopie, dont l’essai ferait dépenser beaucoup d’argent et se montre très dangereux sous tous les rapports, et moins impossible. Je dois donc le dire, et je ne crains de le soutenir, que nous devons nous défier de l’influence américaine et nous tenir en garde contre ces chimères utopiques des théories d’outre-mer ; je dois surtout le dire ici, parce qu’il me semble que déjà elles ont captivé l’esprit de quelques-uns de ceux qui se trouvent à la tête de notre administration supérieure des prisons !
Non, messieurs, nous ne devons pas aller aux Etats-Unis et particulièrement à Philadelphie pour nous instruire dans la réforme pénitentiaire, nous avons sur le continent d’assez bons écrivains qui ont traité cette importante matière et qui, d’après moi, ont mieux saisi, que les nouveaux codes (cahiers américains), les vrais moyens pour améliorer le système des prisons et amender les mœurs des détenus. Le moyen principal, me paraît-il manqué même en Amérique, c’est l’instruction morale et religieuse, qui est absolument négligée dans les prisons de ce pays.
Ici je suis appuyé par plusieurs bons écrivains qui ont traité la matière du système pénitencier. Je vous citerai entre autres Charles Lucas, qui dit positivement qu’il met au nombre des causes qui ont vicié le système pénitentiaire aux Etats-Unis, la négligence de l’instruction morale et religieuse ; il se demande si, « en supposant que beaucoup d’entre les détenus soient en état de lire la bible avec fruit, il ne serait pas à craindre que, sans aide et sans explications suffisantes, les terribles avertissements qu’elle renferme, lus dans l’ombre, et le silence d’une solitude perpétuelle, ne produisent sur leur esprit un effet que l’on voudrait éviter. »
D’ailleurs, presque tous les écrivains critiquent l’absence de l’instruction morale et religieuse chez les réformateurs américains, et s’accordent à dire, qu’il n’y a point d’amélioration possible dans le système pénitentiaire si on n’emploie pas le levier immanquable de l’éducation religieuse et de sa salutaire pratique.
Lisez à ce sujet la cinquième leçon de M. Julius, dans laquelle il établit la condition d’une bonne prison.
« L’instruction des détenus, y dit-il, se partage naturellement en deux parties, qui correspondent au principe spirituel et plus élevé qui domine dans le cœur de l’homme et aux besoins que lui impose sa nature corporelle.
« 1° L’instruction morale et religieuse, sur laquelle doit se fonder la mission de régénération morale exercée par la société sur l’individu qui a été frappé par la justice ; sans elle, on ne saurait attendre de lui, pas plus que de l’homme jouissant de sa liberté, l’accomplissement durable et consciencieux des devoirs que lui impose sa qualité de citoyen.
« 2° L’instruction industrielle, qui donne au détenu la possibilité de payer à l’Etat les sommes qu’il a dépensées pour son entretien dans la prison, et de se procurer lors de son élargissement les moyens nécessaires d’existence, sans l’engager de nouveau dans les voies illégitimes de la carrière qu’il a quittée. »
Et pour confirmer ce qu’enseigne M. Lucas, voici ce que M. Lagarmitte raconte ce qui se passe dans la prison de Naugard, celle de toute l’Allemagne dans laquelle le principe de l’amélioration morale a le plus d’influence. L’ordonnance qui la dirige veut que l’on considère comme signes d’amélioration :
« 1° Une grande activité ; 2° une grande propreté, observée volontairement et sans attendre d’ordre ; 3° la diminution successive des inclinations impudiques ; 4° un repentir tranquille sans affectation et enfin 5° une inclination prononcée vers les moyens que la religion fournit pour rendre le caractère de l’homme meilleur plus noble. »
Et le même auteur ajoute que pour arriver à ces fins, à Naugard, les précautions les plus scrupuleuses sont prises pour que l’aumônier et le directeur connaissent à fond la position individuelle de chaque détenu, les circonstances de son crime, les détails de sa vie antérieure, ses relations et l’état de son cœur ; il dit aussi que l’ordonnance porte qu’aucun livre ne peut être offert à la lecture des prisonniers, sans qu’il ait été vu par l’aumônier, qui est principalement chargé de soigner la lecture de la prison.
Je pense donc que nous ferions beaucoup mieux de copier l’ordonnance de Naugard, que de nous jeter dans les utopies dispendieuses de Philadelphie.
Je ne passerai pas en revue nos établissements de pénitenceries ; déjà il y a beaucoup de bon, mais cependant il y a encore beaucoup à faire et beaucoup à corriger ; la tâche est encore immense pour l’administration, mais si elle a le malheur de ne pas s’arrêter dans le système américain, je lui prédis qu’elle détruira le bien qu’elle y a fait.
Qu’elle pense plutôt au bon système de classification et songe à pouvoir assez agrandir ses prisons pour y établir toutes les catégories nécessaires. Qu’elle ne tarde pas non plus à avoir un local pour pouvoir pratiquer l’isolement entre des enfants. Ici je m’appuie encore sur l’autorité de M. Lucas, qui dit : la régénération des jeunes malfaiteurs est un point distinct dans le grand œuvre de la réforme des prisons, elle doit aussi se concevoir et le produire distinctement dans tous les pays que cette réforme préoccupe, parce que ici les moyens d’application et d’efficacité ne sont plus essentiellement les mêmes que ceux qui appartiennent à l’action du système pénitentiaire en général.
Je ne dois rien ajouter à ces paroles. Elles expriment assez toute la nécessité, toute l’urgence d’isoler les jeunes prisonniers des autres condamnés, et de faire de cet isolement une des bases de notre édifice pénitentiaire, qui peut devenir un des premiers de l’Europe.
Avant de terminer, je dois cependant dire un mot sur le système abusif des cantines dans les prisons, que je critique fortement.
Vous le conservez comme une ressource pécuniaire. Vous y trouvez les primes d’encouragement qui sont accordées aux détenus qui se distinguent par leur zèle et leur aptitude au travail. Mais vous ne songez pas que pour trouver ces bénéfices vous fournissez aux prisonniers toutes les occasions possibles de se perpétuer dans leurs vieilles habitudes de cabaret et d’immoralité.
Avec l’abondante et bonne nourriture qu’on procure aux détenus dans nos prisons, certainement ils n’ont plus besoin des mets et des boissons de la cantine, ils y dépensent très souvent tout le gain de leurs travaux, qui leur serait d’une grande ressource quand ils sortent de la prison. D’ailleurs, les cantines ont même été cause d’abus des employés. Je fais donc le vœu pour qu’on supprime les cantines dans nos prisons.
Et j’ose me flatter que l’honorable ministre de la justice sera très prudent pour ce qui concerne l’introduction dans nos prisons du vicieux système des Américains.
La séance est levée à 4 heures 1/2.