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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 1 décembre 1837

(Moniteur belge n°336, du 2 décembre 1837)

(Présidence de M. Raikem.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. B. Dubus fait l’appel nominal à une heure.

M. Kervyn lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. B. Dubus présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.

« Le sieur F. Willems, milicien appartenant à la classe de 1826, demande l’intervention de la chambre pour faire révoquer un ordre ministériel qui appelle sous les armes un grand nombre de miliciens de sa classe, sous prétexte qu’ils n’ont pas payé leur masse d’habillement. »


« Le sieur Franck, éditeur du Nouvelliste de Verviers, se jouit à ses confrères pour réclamer un droit proportionnel du timbre des journaux. »


« Des voituriers, aubergistes, etc., de Waterloo, demandent que le poids de chargement d’hiver soit augmenté. »


- Ces pétitions sont renvoyées à la commission des pétitions chargée d’en faire le rapport.


M. Manilius informe l’assemblée qu’il ne pourra assister aux séances de la chambre pendant une quinzaine de jours.

- Pris pour notification.

Proposition de loi relative à un canal d'écoulement des eaux des Flandres, de Zelzaete à la mer du Nord

Motion d'ordre

M. de Muelenaere. - Messieurs, dans votre dernière session, l’honorable député d’Eecloo vous a soumis un projet relatif au canal de Zelzaete. Quelques sections se sont déjà occupées de ce projet ; d’autres ne se sont pas encore livrées à cet examen, parce que le gouvernement avait promis de donner des éclaircissements sur l’objet en question. Je sais, messieurs, que le gouvernement a fait procéder à une instruction préparatoire. Je désirerais savoir de M. le ministre des travaux publics si le résultat de cette instruction pourra bientôt être communiqué à la chambre, parce que je me propose, messieurs, d’après les explications qui seront données par M. le ministre des travaux publics, de faire une motion d’ordre à cet égard, l’affaire étant d’une extrême urgence, surtout depuis quelque temps.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb). - Messieurs, le gouvernement remplit l’engagement qu’il avait pris envers la chambre, c’est-à-dire qu’il a fait une instruction nouvelle ; le travail est achevé, je dois en faire la révision, et je compte en déposer le résultat sur le bureau, dans le cours de la semaine prochaine.

M. de Muelenaere. - Messieurs, d’après cette explication, j’attendrai pour faire ma motion, que le travail commencé par M. le ministre des travaux publics ait été déposé.

Projet de loi portant le budget du ministère de la marine de l'exercice 1838

Discussion générale

M. le président. - La section centrale a adopté toutes les propositions du gouvernement ; seulement, elle a demandé l’ajournement du crédit de 350,000 fr. que le gouvernement a pétitionné pour constructions navales, et elle propose le renvoi de cette question à l’examen d’une commission spéciale. M. le ministre des travaux publics se rallie-t-il à cette proposition de la section centrale ?

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb). - Messieurs, je me rallie à la proposition de la section centrale, en me réservant de donner quelques explications, quand on arrivera au chapitre V.

- Personne ne demandant plus la parole, la discussion générale est close. Il est passé à la discussion des articles.

Discussion du tableau des crédits

Chapitre I. Administration générale

Articles 1 et 2

« Art. 1er. Personnel : fr. 6,050. »

- Adopté.


« Art. 2. Matériel : fr. 3,500. »

- Adopté.

Chapitre II. Bâtiments de guerre

Articles 1 et 2

« Article 1er. Personnel : fr. 330,524. »

- Adopté.


« Art. 2. Matériel : fr. 293,877. »

- Adopté.

Chapitre III. Magasins de la marine

Article unique

« Art. unique. Magasin de la marine : fr. 11,200. »

Adopté.

Chapitre IV. Secours

Article unique

« Art. unique. Secours aux marins blessés et aux veuves d’officiers de marine qui, sans avoir droit à une pension, se trouvent dans une position malheureuse : fr. 4,200. »

- Adopté.

Chapitre V. Constructions navales

Article unique

« Art. unique. Constructions navales : fr. 350,000. »

La section centrale propose de détacher ce crédit du budget de la marine, et de renvoyer la question à l’examen d’une commission spéciale.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb). - Messieurs, j’ai dit que le gouvernement se rallie à la proposition faite par la section centrale, d’instituer une commission spéciale, et de renvoyer à cette commission l’instruction intérieure de toutes les questions qui se rattachent aux constructions navales ; je désire que cette commission, soit nommée successivement, et que cette instruction puisse encore se faire dans le cours de cette session.

Le gouvernement n’a jamais eu, personnellement je n’ai jamais eu la prétention de décider de prime-abord une question de cette importance. Le rapport qui vous a été communiqué dans la séance du 20 octobre dernier, n’a été considéré par moi que comme le premier acte d’une instruction commencée. Chaque année, à l’occasion du budget de la marine, on avait incidemment soulevé la question de l’établissement d’une marine militaire. Le gouvernement avait pris l’engagement de saisir d’une manière positive la chambre de la question ; cet engagement j’ai voulu le remplir.

Comme il est dans les habitudes de la chambre, habitudes de prudence que tout le monde doit approuver, de ne créer des institutions nouvelles que par des lois spéciales, le gouvernement ne voit aucun inconvénient à se rallier à la proposition de la section centrale, tendant à renvoyer à une commission particulière l’instruction de tout ce qui concerne le chapitre V ; ce chapitre fera alors l’objet d’une loi spéciale ; mais il ne faut pas que ce renvoi dégénère en ajournement indéfini.

M. Donny. - Messieurs, d’après la déclaration que vient de faire M. le ministre des travaux publics, qu’il se ralliait à la proposition de la section centrale, il devient superflu, je pense, que j’occupe les instants de la chambre pour lui démontrer la nécessité du renvoi de la question à l’examen d’une commission spéciale.

Je me borne donc à dire, à moins que des membres ne soient opposés à ce renvoi, et ne me forcent à reprendre la parole, que j’appuierai de mon vote la proposition de la section centrale.

M. A. Rodenbach. - Je ne viens pas m’opposer à ce qu’une commission spéciale soit nommée, pour examiner la question de l’établissement d’une marine militaire. Le ministre des travaux publics a exprimé le vœu que le rapport pût encore être présenté dans le courant de cette session. Pour moi, messieurs, je pense qu’il est un autre objet qui réclame avant tout la sollicitude du gouvernement et des chambres, parce qu’il doit protéger efficacement notre commerce, je veux parler de la question des droits différentiels, et je prierai le ministère de vouloir bien s’occuper sérieusement de cet objet.

Le droit différentiel n’est ici que de 10 p. c., tandis qu’ailleurs il va jusqu’à 100 et même 200 p. c.

- La chambre décide que le crédit de 350,000 fr. sera détaché du budget de la marine, et que la question de l’établissement d’une marine militaire sera renvoyée à l’examen d’une commission spéciale.

Vote des articles et vote sur l’ensemble du projet

M. le président. - Je vais mettre aux voix les deux articles de la loi :

« Art. 1er. Le budget de la marine pour l’exercice de 1837 est fixé à la somme de 649,351 fr., conformément au tableau ci-annexé. »

- Adopté.


« Art. 2. La présente loi sera obligatoire le 1er janvier 1837. »

- Adopté.


On procède à l’appel nominal.

Le budget de la marine est adopté à l’unanimité des 65 membres qui ont répondu à l’appel nominal.

En conséquence il sera transmis au sénat.

Ont répondu à l’appel nominal : MM. Bekaert-Baeckelandt, Berger, Coppieters, Corneli, de Behr, de Brouckere, Dechamps, de Langhe, de Longrée, de Meer de Moorsel, W. de Mérode, de Muelenaere, de Nef, de Perceval, de Puydt, Dequesne, de Renesse, de Roo, Desmaisières, Desmanet de Biesme. Desmet, de Terbecq, Devaux, d’Huart, Donny, Dubois, Dubus (aîné), B. Dubus, Duvivier, Eloy de Burdinne, Ernst, Heptia, Jadot, Keppenne, Lardinois, Lecreps, Lejeune, Maertens, Mercier, Metz, Morel-Danheel, Nothomb, Pirmez, Pirson, Polfvliet, Pollénus, Raikem, Raymaeckers, A. Rodenbach, C. Rodenbach, Rogier, Scheyven, Simons, Thienpont, Trentesaux, Troye, Ullens, Vandenbossche, Vandenhove, van Hoobrouck, Verdussen, H. Vilain XIIII, Wallaert, Zoude, Peeters.

Révision de la législation sur les sucres

Rapport de la commission

M. Desmaisières dépose le rapport de la commission chargée d’examiner la question des sucres.

- Ce rapport sera imprimé et distribué.


M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb). - Nous avons décidé que la question des constructions navales serait renvoyée à une commission. Par qui cette commission sera-t-elle nommée ?

- La chambre décide que cette commission sera nommée par le bureau.

Projet de loi portant le budget du ministère de la justice de l'exercice 1838

Personne ne demandant la parole dans la discussion générale, on passe à la discussion des articles.

Discussion des articles

Chapitre premier. Administration centrale

Article premier

« Art. 1er. Traitement du ministre : fr. 21,000. »

- Adopté.

Article 2

« Art. 2. Traitements des fonctionnaires, employés et gens de service : fr. 100.000 . »

M. Lejeune. - Messieurs, lorsque la chambre s’est occupée du budget du ministère de la justice pour l’exercice 1837, elle a voté une légère augmentation de crédit au chapitre premier, article 2, à l’effet de mettre M. le ministre de la justice à même de faire faire une bonne traduction du Bulletin officiel, traduction ordonnée par une loi. Le but proposé n’a pas été entièrement atteint.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Si l’honorable membre me le permettait, je pourrais prévenir une discussion qui présentera peu d’intérêt. Il vient de dire que si j’avais besoin de supplément de subsides, je ferais bien de le demander, pour améliorer la traduction flamande du Bulletin des lois. Je n’ai pas besoin de supplément de subsides ; depuis quelque temps, j’ai chargé de ce travail un traducteur flamand, jurisconsulte très instruit, né Flamand.

L’honorable préopinant m’a fait connaître quelques erreurs dans lesquelles on est tombé ; j’ai pris des mesures pour que ces erreurs ne se reproduisent pas.

L’honorable membre m’a communiqué les observations qu’il veut présenter à la chambre, et je puis l’assurer que le but qu’il se propose sera rempli.

M. Lejeune. - Je ne crois pas devoir m’abstenir de présenter mes observations à la chambre, par suite de la communication faite par M. le ministre. Je sais qu’il a déjà pris des mesures, mais je crois que les changements qu’il a introduits et ceux qu’il se propose ne seront pas ce qu’ils devraient être. Il vient de vous dire qu’il a maintenant un traducteur qui connaît très bien les deux langues. Je ferai observer que c’est dans les numéros assez récents que sont puisées mes observations ; ce ne sont pas seulement de petites erreurs qu’on rencontre ; à chaque page, on trouve la preuve que le traducteur flamand n’est pas assez au courant de la littérature flamande pour traduite un Bulletin des lois qui comprend toute espèce de matières.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Je me suis adressé à l’honorable préopinant pour lui demander si maintenant la traduction du Bulletin des lois était meilleure. Il m’a dit qu’il y avait quelques erreurs encore ; je l’ai prié de me les indiquer, il l’a fait ; j’ai appelé le traducteur, je lui ai communiqué les observations qu’on m’avait faites, et je lui ai dit qu’il devrait employer un style usuel plutôt qu’un style relevé.

Je puis assurer la chambre et l’honorable préopinant que je prendrai des mesures pour que les améliorations réclamées aient lieu.

J’ai fait cette observation pour faire voir que si la traduction flamande du Bulletin des lois n’a pas été améliorée autant qu’on peut le désirer, cela n’a pas dépendu de moi ; que j’ai fait tout ce que je pouvais, car c’est moi qui ai provoqué les observations de l’honorable préopinant.

M. Lejeune. - Je me suis empressé et je m’empresserai toujours de fournir les notes que le ministre vient de me demander, mais je ne crois pas que ce soit un motif pour ne pas en dire un mot à la chambre. Je crois d’autant plus devoir le faire que d’après les explications du ministre, il n’est pas aussi convaincu que moi de la défectuosité de la traduction du Bulletin des lois.

Je vais présenter quelques nouvelles observations, pour démontrer à la chambre que de grandes améliorations sont encore nécessaires, qu’une traduction passable se fait encore désirer, et pour engager M. le ministre à demander encore un léger supplément de crédit, si, comme j’ai quelque raison de le croire, celui dont il peut disposer n’est pas tout à fait suffisant.

Ma tâche sera facile. Plusieurs personnes qui se sont fait remarquer par leurs productions en littérature flamande, m’ont adressé, sur la traduction du Bulletin officiel, une foule d’observations et de notes, dont je citerai quelques extraits.

« Extraits de quelques lettres de littérateurs flamands, sur le texte flamand du Bulletin des lois.

« On ne s’aperçoit pas de l’amélioration de la traduction, à la lecture du Bulletin, dont le flamand est toujours détestable, c’est bien le mot.

« Le traducteur fait sa besogne comme un écolier en sixième, c’est-à-dire en cherchant mot à mot dans le dictionnaire d’après le texte français et en copiant ce qu’il y trouve sans réfléchir au génie particulier de la langue dans laquelle il fait sa traduction et sans examiner si c’est bien le terme propre ou l’équivalent de ce qu’on lit dans le texte français.

« Au lieu de nommer « une presse typographique, » « een drukpers, » il en fait une « presse possédant la science d’imprimer : » « … een drukkundige pers. » … « werktuygkundige pers, » pour « presse mécanique » (5 août 1837).

« Vu le règlement organique du corps des ingénieurs, etc., » est rendu « gezien de willekeur van samenstelling van het genootschap der ingénieurs, etc., etc. » (24 juillet 1837).

« Il est impossible de montrer plus d’aversion pour notre langue, qu’en continuant à promulguer un galimatias de pareille espèce. C’est se moquer du flamand et des Flamands. »

« ... La traduction flamande des lois et arrêtés royaux se fait toujours avec aussi peu de soins que jamais. L’occasion se présentera de nouveau de faire voir l’inexactitude de cette traduction, dont bien des phrases sont tellement embrouillées que tout Flamand qui veut les connaître se trouve dans la dure nécessité de se faire expliquer le texte français. »

En général, la phrase n’est pas flamande ; partout perce la construction et la forme étrangères... ; bien souvent ce sont des phrases qui se croisent, sans qu’il soit possible d’en saisir le sens. »

« Dans l’arrêté du 19 juin 1837, qui établit une bibliothèque royale, à Bruxelles, nous remarquons :

« Art. 1. Er word te Brussel... eene algemeene en openbare bewaring van gedrukte boeken... INGESTELD. »

« Art. 22. .... Legt hy den raed in de eerste zitting.... waer hy bywoont … eene lyst van belangryke werken.... voor. »

« Une autre cause qui rend cette traduction vicieuse, c’est la traduction de termes qu’on devrait conserver et dont on ne peut pas toujours rendre la véritable acception. »

On a traduit, par exemple, par :

« Vaste bezending, » députation permanente.

« Het blykschrift, » le procès-verbal.

« Ontwerp van willekeur, » projet de règlement.

« Lichaam van artillerie, » corps d’artillerie. » (31 juillet 1837.)

On remarque quelque changement dans le style (si l’on peut appeler de ce nom un assemblage incohérent de mots et de phrases), mais ce changement n’est pas un progrès.

« … La traduction continue de fourmiller des fautes les plus grossières.

« Exemples

« Vu le procès-verbal d’adjudication, etc... qui établira une communication avec la route de première classe, etc., et celle de deuxième classe, etc. « Gezien het blykschrift der aenbesteding, enz., waerby don weg der eerste classe, enz., met dien der tweede classe, enz., zou aen een gebonden worden. (4 juillet 1837.) »

« Commissaire de l’arrondissement de Termonde. « Commisaris van het gebied van Dendermonde (2 août 1837). »

« Vu le tableau n° 16, annexé à la loi du 6 avril 1823, en ce qui concerne le droit de patente sur les bateaux étrangers. (16 août 1837.) « Gezien het tafereel n° 16 by de wet van den 6 april 1823 gevoegd, voor wat het patent-regt op de vreemde schuyten aengaet. » « Tafereel, peinture, au lieu de tabel, qui est le mot consacré par la loi du 6 avril 1823. »

« La recette des contributions… est supprimée et réunie à celle d’Amay. « Het ontfangst kantoor.. .wordt ingetrokken en by dat van Amay vereenigd. (7 août 1837.)

« Considérant que le choléra s’est déclaré dans plusieurs ports... « Overwegende dat den cholera in verscheydene havens opgeslaen is (14 septembre 1837.) Le ministère de la justice, bewind van justitie. (21 août 1837.)

« Ce mot bewind se reproduit à chaque page où il est question d’un ministère : le ministre des travaux publics, « het bewind van openbare werken. » Pourquoi ne pas traduire alors le mot ministre par bewindman, bewindhebber ? C’est probablement crainte de ne pas être compris. Ce mot bewind est un mot de prédilection, il n’est pas toujours employé pour désigner un département ministériel ; en voici un autre exemple :

« ... Qui autorise l’administration à prendre intérêt… « welke het bewind bekrachtigen om deel te nemen … Ajoutez à ce mot celui de genootschap, appliqué à un corps administratif : corps des ingénieurs, genootschap der ingénieurs, et tant d’autres dont la nomenclature serait par trop fastidieuse.

« Quand il s’agit de convoquer la chambre, on dit : de kamer beroepen, c’est-à-dire, provoquer la chambre.

« En résumé, la traduction flamande du Bulletin officiel des lois et arrêtés royaux de la Belgique n’est qu’un tissu de mots incohérents, auxquels il est impossible d’attacher un sens raisonnable et qu’on ne parvient à comprendre qu’à l’aide du texte officiel français.

« Si des personnes instruites sont obligées d’avoir recours à ce moyen, ce dont je suis persuadé, que feront celles qui n’ont pas le bonheur de posséder les deux langues et pour lesquelles la traduction s’effectue ? Elles seront réduites à ne jamais pouvoir se former une idée lucide des lois de leur patrie. »

Ces notes, messieurs, m’ont été fournies, entre autres, par M. Willems, M. Ledeganck, M. Blommaert, M. Rens. Ces citations vous auront convaincus que la traduction des lois n’est pas ce qu’elle doit être. J’ai peu de choses à y ajouter.

D’abord, une observation qui concerne plus spécialement M. le ministre des travaux publics, me semble pouvoir être faite à cette occasion ; le chemin de fer ne traverse jusqu’ici que des localités flamandes, et tous les écriteaux placés sur cette route sont exclusivement en français. Je souhaite, messieurs, que, par analogie, on ne place pas des écriteaux flamands dans le Hainaut et à Liége, ce qui ne serait pas cependant plus absurde que les écriteaux français à l’usage de nos bons campagnards des Flandres et d’Anvers.

Il serait facile de redresser cette erreur : si l’on ne veut pas du flamand exclusif, ce que nous ne demandons pas, on pourrait rédiger les avertissements dans les deux langues, comme le fait la régence de Bruxelles.

Du reste, cette réclamation, toute juste qu’elle est, ne repose que sur des motifs de convenance. Il n’en est pas de même pour le texte flamand du Bulletin officiel ; ici nous réclamons l’exécution convenable d’une loi de l’Etat, sur la nécessité de laquelle les suffrages ont été unanimes.

Messieurs, faire une bonne traduction flamande du Bulletin officiel, qui comprend toute espèce de matières, n’est pas sans difficulté. Il ne suffit pas d’être Flamand et de comprendre le flamand pour bien remplir cette tâche. Pour que la traduction soit simple et claire, il faut que le traducteur soit un homme de talent, entièrement maître de la langue, bien pénétré du style législatif propre à la langue ; il doit avoir puisé assidûment dans nos archives la connaissance des termes techniques, et être au courant des progrès de la littérature.

Je voudrais qu’un homme pareil fût attaché au ministère de la justice, et qu’il y trouvât, sous le rapport du titre et du traitement, une position assez convenable, pour qu’il pût s’y maintenir honorablement et ne fût pas dans la nécessité de songer à un meilleur avenir.

Un homme qui réunirait toutes ces qualités, pourrait rendre les plus grands services au gouvernement et au pays ; mais je doute que les moyens dont M. le ministre dispose soient suffisants pour le trouver.

Quoi qu’il en soit, messieurs, nous réclamons à bon droit, la loi à la main, une traduction flamande que les Flamands puissent comprendre. C’est au gouvernement à nous la donner, en exécution de la loi, et à demander tous les moyens dont il croit avoir besoin à cet effet.

Le texte flamand des lois est sans importance officielle, et fort heureusement, messieurs ; car je ne sais pas ce que feraient les tribunaux dans bien des circonstances. Mais la langue flamande n’est pas sans importance politique, morale et nationale. Si nous tenons à rester nous-mêmes, si nous aimons notre nationalité, nous ne pouvons pas couper les racines qui y attachent une grande partie de la population.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Nous comprenons tous combien il est important que la traduction des lois soit, non seulement intelligible, mais exacte. Pour pouvoir faire une bonne traduction, vous a dit l’honorable préopinant, il faut réunir beaucoup de qualités. Sans doute ; mais, indépendamment de cela, l’expérience est nécessaire. Ce n’est pas du premier coup qu’on arrive à la perfection. Tout ce que je pouvais faire, c’était de chercher un homme qui réunît la science des lois à la connaissance de la langue flamande. Ces deux qualités il les possède, mais il n’a pas l’habitude de la traduction.

De mon côté j’ai fait ce qui dépendait de moi pour m’assurer s’il répondait au but que je me proposais, et je me suis adressé pour cela à l’honorable préopinant. Je prendrais ses observations en considération quand même il ne lirait pas son discours. J’ai déjà pris des mesures et je continuerai à faire tout ce qui dépendra de moi pour que cette traduction ne donne plus lieu à des réclamations.

L’honorable préopinant pourra s’assurer que le traducteur que j’ai choisi possède les connaissances nécessaires pour bien faire le travail dont je l’ai chargé, et il profitera d’ailleurs du discours et des conseils de l’honorable membre.

M. Lejeune. - Je dois déclarer que je n’ai pas voulu faire un reproche à M. le ministre à l’occasion des mesures qu’il a prises. Je voudrais aussi que la personne du traducteur soit mise hors de cause ; je ne le connais pas, je ne l’ai jamais vu ; mais je juge ses œuvres. J’ai remis au ministre beaucoup plus de notes que je n’en ai communiqué à la chambre ; je l’ai fait dans l’intention de l’éclairer. Je n’aurais probablement pas renouvelé les observations que j’ai cru devoir faire ici, si, par suite de ces communications officieuses, il m’avait été démontré que le ministre partage mon avis sur les améliorations qui sont encore nécessaires. Mais les explications qui viennent de nous être données me confirment dans l’opinion qu’il n’était pas inutile de faire connaître les réclamations dont la traduction du Bulletin officiel est l’objet, afin d’appeler sur cet objet l’attention de mes honorables collègues, qui s’intéressent autant que moi à une bonne traduction flamande des lois, mais qui ne savent pas jusqu’à quel point cette traduction est vicieuse, parce qu’ils ne doivent jamais s’en servir. Moi aussi, je me sers toujours du texte français, et je n’aurais peut-être pas connu jusqu’à ce jour les défectuosités du texte flamand, si je n’avais été mis depuis longtemps sur la voie par les administrations qui sont dans la nécessité d’y recourir.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Si l’honorable préopinant avait pris l’initiative, il aurait pu croire que les mesures que je me propose de prendre ne seraient pas efficaces ; mais, quand c’est moi-même qui ai demandé s’il ne se trouvait pas de vices dans la traduction flamande du Bulletin des lois ; quand je l’ai prié de me remettre des notes, et qu’il n’y a pas huit jours, je me suis fait remettre un rapport, d’après lequel j’ai pris de nouvelles mesures, l’honorable membre ne devait pas douter de mes bonnes intentions et de ma résolution de prendre tous les moyens pour satisfaire au but qu’il se propose.

M. Desmet. - (Nous donnerons son discours) (Note du webmaster. Ce discours n’a pas été retrouvé).

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Je ne puis m’empêcher de dire que ce traducteur n’apprend pas le flamand. Il est né Flamand ; il a fait toutes ses études en langue flamande. Si la traduction n’est pas satisfaisante, j’ai lieu de croire que le traducteur va donner une autre direction à son travail et employer un style vulgaire au lieu d’un style trop relevé.

Les articles suivants sont successivement mis aux voix et adoptés.

« Art. 2. Traitements des fonctionnaires, employés et gens de service : fr. 100,000. »

Articles 3 à 5

« Art. 3. Matériel : fr. 15,000. »

« Art. 4. Frais d’impression des recueils statistiques : fr. 6,000. »

« Art. 5. Frais de route et de séjour : fr. 2,000. »

Chapitre II. Ordre judiciaire

Articles 1 à 4

« Art. 1er. Cour de cassation, personnel : fr. 233,800. »

« Art. 2. Cour de cassation, matériel : fr. 3,000. »

« Art. 3. Cours d’appel, personnel : fr. 540,220. »

« Art. 4. Cours d’appel, matériel : fr. 18,000. »

Article 5

La chambre passe à la discussion de l’article 5.

« Tribunaux de première instance et de commerce : fr. 859,930. »

M. de Muelenaere. - M. le ministre de la justice nous a présenté un rapport sur des propositions relatives à l’organisation des tribunaux de Charleroy, Tournay, Mons et Dinant, et à l’établissement d’un tribunal à Philippeville. Je désirerais savoir pourquoi il n’a pas compris dans ce rapport les tribunaux de Bruges et de Courtray. Une pétition nous a été adressée dans la session de 1835, et je vois dans le Moniteur que sur la demande de l’honorable M. Jullien, cette pétition a été renvoyée directement à M. le ministre de la justice pour être comprise dans le rapport qu’il avait à présenter à la chambre sur des propositions de même nature. Je crois qu’il n’a pas été fait de proposition spéciale pour le tribunal de Bruges, puisque M. Jullien a demandé qu’une pétition relative à ce tribunal fût renvoyée à M. le ministre de la justice et comprise dans le rapport qu’il devait faire sur les propositions dont il était déjà saisi.

Mais pour le tribunal de Courtray, si je me le rappelle bien, il a été fait une proposition spéciale par l’honorable M. Bekaert. Cette proposition a été développée, prise en considération et renvoyée probablement à M. le ministre de la justice ou à une commission.

Je désire savoir si cette pièce n’est pas entre les mains de M. le ministre de la justice et quelles sont les raisons pour lesquelles elle n’est pas comprise dans le rapport.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - J’aurai l’honneur de donner à la chambre les explications que demande l’honorable préopinant.

Le rapport que j’ai présenté ne concerne que les projets de loi que la chambre a renvoyés à mon département, avec demande de renseignements nécessaires, sur la proposition de la section centrale chargée de l’examen de ces projets. Ces renseignements, je n’ai pu les donner que lorsque la statistique civile était achevée.

Il a été adressé à la chambre des pétitions tendant à obtenir pour les tribunaux de Bruges, Courtray, Huy et autres villes, soit des augmentations de personnel, soit des changements de classification. Ces pétitions très nombreuses ont également été envoyées à mon département. Je les comprendrai dans un autre rapport.

J’ai cru qu’il était de mon devoir (et la chambre sans doute sera de mon avis) de faire d’abord un rapport spécial sur les projets de loi dont la section centrale était saisie. Mais un rapport général, qui demande beaucoup de travail et beaucoup de temps, sera présenté sur toutes les pétitions renvoyées à mon département.

L’honorable préopinant vient de vous dire que, sur la demande de M. Jullien, la proposition concernant le tribunal de Bruges avait été renvoyée au ministère de la justice pour qu’elle fût comprise dans le travail qu’il était chargé de faire sur les propositions de même nature. Mais ces propositions de même nature, ce sont les pétitions sur lesquelles j’ai annoncé un rapport, et non les projets de loi qui m’ont été adressés à la demande de la section centrale.

Quant au tribunal de Courtray, je ne sais pas où en est l’instruction du projet de loi qui le concerne.

M. de Muelenaere. - D’après ce que vient de dire M. le ministre de la justice, je crois que son silence, relativement aux tribunaux de Bruges et de Courtray, ne préjuge rien.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Non certainement.

M. de Muelenaere. - Dès lors ce sera à l’honorable M. Bekaert, qui a fait une proposition, à s’informer de ce qu’elle devenue.

On vient de me remettre un relevé des projets de loi soumis à la chambre. Il en résulte que la proposition de M. Bekaert, après avoir été prise en considération, a été renvoyée à une commission. J’ignore si elle a fait son rapport. Il est probable que non. Dans tous les cas, il me semble résulter de là que le travail de M. le ministre de la justice ne concerne pas tous les tribunaux pour lesquels il est demandé des augmentations de personnel ou des changements de classification.

Je bornerai là mes observations. Mais si une proposition est faite en faveur de l’un ou l’autre tribunal, je crois qu’il y aura lieu de statuer en même temps sur ce qui concerne les tribunaux de Bruges et de Gand, afin qu’il y ait justice distributive pour tous les tribunaux du royaume.

M. Desmanet de Biesme. - La chambre est saisie depuis longtemps de projets de loi relatifs à une augmentation de personnel dans les tribunaux de Charleroy et autres villes, sur lesquels M. le ministre de la justice vient de faire un rapport. Mais si ces projets de loi sont votés dans la présente session, je demanderai où on trouvera des fonds pour faire face à la dépense qui en résultera ; il faudra donc présenter un projet de loi de crédit supplémentaire. Je demanderai à cet égard une explication.

Puisque nous sommes à l’article premier « tribunaux de première instance, » je ferai une autre observation. Quand il y a une vacature dans les tribunaux de première instance, on est souvent longtemps sans la remplir. Le tribunal de première instance de Namur est privé de deux ou trois juges par suite d’avancements ou de décès. Il y a de ces places qui sont vacantes depuis un an et plus. Il faudrait cependant songer à ce remplir ces vides. Je sais qu’il faut prendre des renseignements, mais il me semble que 2 ou 3 mois doivent suffire pour cela.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - L’honorable préopinant fait deux observations : l’une concerne le crédit qui sera nécessaire si la chambre adopte la proposition d’augmenter le personnel des tribunaux qui font l’objet du rapport. Mais le projet de loi, s’il y a lieu, comprendra l’allocation des sommes nécessaires. C’est ce qui a eu lieu dans des cas pareils. La somme a été votée par la loi qui établissait la dépense.

L’autre observation du préopinant concerne le retard que l’on mettrait dans la nomination aux places vacantes dans l’ordre judiciaire.

L’honorable préopinant ne suppose pas que le gouvernement ait aucun intérêt à laisser ces places vacantes, alors qu’elles sont demandées par un si grand nombre de personnes ; car si le gouvernement a quelque chose à regretter, c’est de ne pas avoir plus de places à donner.

Je dirai à l’honorable préopinant que jamais on n’emploie plus que le temps nécessaire pour compléter une instruction. Dès qu’une instruction est complète, j’ai l’honneur de soumettre une proposition au Roi.

Il a cité le cas particulier du tribunal de Namur. Mais l’honorable préopinant sait aussi bien que moi qu’aucun tribunal n’est moins chargé d’affaires que celui de Namur. Il y avait d’ailleurs une première question à décider, celle de savoir si on remplirait toutes les places vacantes au tribunal de Namur.

Quoi qu’il en soit, cette instruction est complète, et la nomination sera faite bientôt.

La question importante, c’est de savoir si le tribunal a souffert de ce retard ; évidemment non ; car son personnel est suffisant pour satisfaire aux besoins.

Au reste, le préopinant a trop généralisé son observation ; il est rare, en effet, qu’il s’écoule plus de trois mois pour qu’on nomme à une place dans l’ordre judiciaire ; et si cela arrive, c’est dans l’intérêt public que le retard a lieu. C’est, par exemple, quand on présente beaucoup de requêtes pendant l’instruction : ces requêtes sont renvoyées aux magistrats qui font un supplément d’instruction. Il serait plus facile au ministre de soumettre une proposition au Roi que de prendre de nouvelles informations ; mais il vaut beaucoup mieux attendre quelque temps, afin de n’admettre dans la magistrature que des hommes recommandables par leur savoir et leur probité. Et, sous ce double rapport, je ne crois pas que l’on ait à se plaindre des nominations qui ont déjà été faites.

M. Pirmez. - Depuis plusieurs années nous sommes en instance relativement au tribunal de Charleroy ; on dit que nos réclamations sont fondées, et cependant nous n’arrivons à rien. Le ministre de la justice a même dit que si la commission chargée de présenter des conclusions tardait à soumettre son travail, il ferait une proposition dans l’intérêt général. J’invite donc la commission à faire promptement son rapport.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - L’honorable préopinant vient de tomber dans l’erreur. Dans le rapport que j’ai présenté à la chambre, j’ai dit qu’il était certain qu’une mesure était urgente pour le tribunal de Charleroy. J’ai engagé la commission à examiner la question de savoir s’il n’y aurait pas lieu d’adjoindre une chambre temporaire à ce tribunal de Charleroy, ou s’il vaudrait mieux adopter la proposition de M. Frison, en déterminant le temps après lequel les places ne seraient plus remplies.

Je n’ai pas dit, dans mon rapport, que si la commission tardait, je présenterais moi-même une proposition à la chambre ; car cette marche ne serait pas convenable : je trouverais singulier qu’un ministre fît une proposition quand la chambre est saisie par suite d’une proposition faite par un de ses membres.

M. Pirmez. - Que l’on adopte la proposition de M. Frison, on que l’on adopte une proposition qui serait faite par le ministre, peu m’importe, pourvu que le but soit atteint. Je supplierai donc maintenant la commission de vouloir bien faire son rapport le plus tôt possible, pour que nous sortions enfin de la position fâcheuse où nous nous trouvons.

M. Verhaegen. - Je viens d’entendre parler de plusieurs propositions qui concernent des localités. Pour certains tribunaux, on demande une augmentation du personnel ; pour d’autres, on demande une augmentation de traitement ; ainsi, encore une fois, divers intérêts locaux sont en présence ; et l’un des préopinants l’a si bien senti qu’il a fini par dire que la justice distributive voulait que l’on s’occupât de ces intérêts pour donner à chacun ce qui lui revenait.

Au commencement de la session, j’ai déposé sur le bureau une proposition d’un intérêt général ; il s’agissait d’une augmentation de traitement pour tous les membres de l’ordre judiciaire ; aujourd’hui que l’on invoque la justice distributive, je viens l’invoquer à mon tour, non pour une localité, mais pour la généralité du pays ; et je viens l’invoquer avec d’autant plus de raison que quand il ne s’agit que d’intérêts locaux, on parvient facilement au but. Que, par exemple, il ne s’agisse que du tribunal de Courtray ou de Bruges, la chambre sera assez disposée à accorder l’augmentation ; tandis qu’il n’en est pas de même quand il s’agit de faire une augmentation générale. Cependant toutes les considérations devraient fléchir devant l’intérêt général.

On s’est effrayé du résultat de ma proposition. En en expliquant les motifs, j’ai cependant indiqué le moyen de pourvoir aux dépenses qu’elle entraînerait. Depuis, des observations m’ont été faites, et elles ont pour résultat la diminution du chiffre de ces dépenses. Je le dirai franchement, je transigerai toujours quand les circonstances me le permettront ; aussi, me rendant aux observations faites par mes collègues, je crois qu’il y aura lieu de diminuer le chiffre des augmentations de traitement de tout l’ordre judiciaire.

Il faut mettre la magistrature dans l’état où elle était avant la révolution. Dans ces circonstances, et pour qu’une loi prise dans un intérêt local ne tourne pas au préjudice d’un autre intérêt local, il me semble qu’au lieu de demander au ministre de la justice le rapport sur quelques tribunaux, il faudrait lui demander un rapport sur ma proposition. Si on fait justice à quelques-uns, on ne fera pas justice aux autres. Il est plus facile, je le comprends, de contenter quelques localités que les intérêts généraux ; cependant la justice distributive doit marcher avant tout.

Chacun parle ici pour les intérêts qui lui sont chers ; je le conçois ; mais, avant tout, je le répète, les intérêts généraux du pays.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Dans les observations faites par l’honorable préopinant, il faut distinguer ce qui concerne l’augmentation du personnel, de ce qui concerne le changement de classification des tribunaux ou l’augmentation des traitements. Les questions d’augmentation du personnel peuvent être de leur nature très urgentes ; car il n’est pas indifférent aux justiciables, ni aux intérêts du pays, que la justice soit en quelque sorte suspendue dans telle ou telle localité. Il y a donc urgence de statuer sur la question de savoir s’il faut augmenter le personnel du tribunal de Charleroy, par exemple.

Quant aux questions de classification qui se rapportent aux traitements, elles sont importantes sans doute ; mais on voit sur-le-champ la différence entre ces questions et celle que je viens de signaler.

La commission qui est chargée d’examiner les questions de classification aura à voir s’il y a lieu de s’occuper des questions de classification pour telle ou telle localité, ou à voir s’il n’y aurait pas lieu à les renvoyer au moment où l’on s’occupera de l’augmentation des traitements de tous les membres de l’ordre judiciaire.

Le ministre n’a plus rien à dire sur cette dernière question, relative à l’augmentation de tous les traitements des magistrats, parce que la proposition de l’honorable M. Verhaegen a été prise en considération à l’unanimité, et a été renvoyée devant les sections. C’est à elles à émettre une opinion ; et ce sera à la section centrale à faire son rapport sur cet objet. Alors le gouvernement s’expliquera de nouveau quand la chambre sera saisie.

Le gouvernement s’est déjà occupé de cette question. J’ai eu l’honneur de soumettre au conseil des ministres la question de savoir s’il ne serait pas convenable d’augmenter les traitements de l’ordre judiciaire. Tout le monde a reconnu la justice de cette demande ; mais elle s’est transformée en une question de voies et moyens.

On s’est demandé au conseil si, quand pour les dépenses ordinaires il faut recourir à des centimes additionnels, on devait augmenter les traitements de la magistrature ? Il était facile de répondre à cette question ; aussi je n’ai pas pris l’initiative de la proposition qui vous a été faite par M. Verhaegen, et c’est avec regret. C’est avec d’autant plus de regret que je savais que cet honorable membre devait faire sa proposition. La question présente deux faces, et un membre de cette assemblée pouvait ne pas s’occuper de la face que présentent les voies et moyens. Lorsque nous croirons que la dépense sera possible, ce ne sera pas nous qui serons les derniers à demander cet acte de justice distributive.

M. Desmet. - Messieurs, si j’ai bien compris l’honorable ministre de la justice, quand il a répondu à l’honorable M. de Muelenaere, il va présenter à la chambre un rapport général sur l’augmentation du personnel dans les tribunaux de première instance, sur l’augmentation du nombre des chambres dans les mêmes tribunaux, et aussi sur la multiplication des arrondissements judiciaires dans les différentes provinces qui l’ont demandé.

Je demanderai par conséquent à M. le ministre si dans son rapport sera comprise la demande qui a été faite pour obtenir dans la province de Flandre orientale un quatrième arrondissement.

Quoiqu’une commission soit nommée par la chambre pour faire un rapport sur les propositions de deux membres de cette chambre, qui tendaient à avoir ce quatrième arrondissement dans la Flandre orientale, et que cette commission soit saisie des nombreuses pétitions qui ont été adressées à la chambre pour obtenir ce quatrième arrondissement, encore je me contenterais pour le moment du rapport que M. le ministre nous ferait à ce sujet, certain que je suis qu’il trouvera la demande fondée et qu’il sentira toute la nécessité de donner un avis favorable, et surtout que les mêmes pétitions ont été adressées au gouvernement.

J’attendrai la réponse de M. le ministre.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - J’ai déjà eu l’honneur de dire à la chambre que je comprendrai, dans un rapport général, toutes les pétitions qui ont été adressées à mon département. Si la proposition dont parle l’honorable membre, a été envoyée à mon ministère, elle sera comprise dans le rapport ; dans le cas contraire, je ne pourrais pas convenablement prendre l’initiative à cet égard.

M. Dumortier. - Messieurs, puisque chacun, dans la circonstance actuelle, fait valoir les droits de son tribunal à une augmentation de personnel ou de traitement, je crois devoir aussi rappeler à la chambre la proposition qu’avec deux de mes honorables amis, j’ai eu l’honneur de déposer sur le bureau, proposition qui a pour objet l’augmentation indispensable du personnel du tribunal de Tournay. J’entends, messieurs, les députés de diverses localités parler, comme d’une chose évidente, du besoin d’augmenter le personnel de tel ou tel tribunal, ou le traitement de ses membres ; on parle, par exemple, de Charleroy : sans prétendre contester la nécessité d’augmenter le personnel du tribunal de Charleroy, je dirai simplement que si la vérité est démontrée pour Charleroy, elle l’est à plus forte raison pour Tournay, puisqu’il est constant que le nombre des causes qui se présentent au tribunal de Tournay est double du nombre des causes qui se présentent au tribunal de Charleroy. Remarquez, en outre, messieurs, qu’il existe à Tournay un tribunal de commerce, comme on pourrait très facilement en établir dans d’autres localités. Je demanderai donc aussi que la commission soit invitée à faire un rapport, mais un rapport sur toutes les demandes qui ont été faites, sur tous les projets de lois qui ont été déposés ; il ne faut point que la commission scinde son travail ; il faut qu’elle nous le présente complet, qu’elle nous fasse connaître la situation de tous les tribunaux en faveur desquels il a été réclamé.

Certes, messieurs, s’il est un tribunal en Belgique qui ait droit à une augmentation de juges, c’est bien Tournay ; car depuis un grand nombre d’années il y existe plusieurs centaines d’affaires en retard, et il sera impossible de jamais sortir de cet arriéré si l’on n’augmente pas le personnel de ce tribunal.

Quant à la proposition de l’honorable M. Verhaegen, je crois qu’elle eût été beaucoup plus simple s’il se fût borné à demander une augmentation de traitement pour les membres des tribunaux qui sont moins rétribués qu’avant la révolution ; mais il a généralisé sa proposition, quoiqu’il n’existe en Belgique que deux cours dont les membres sont moins payés qu’avant la révolution : ces cours sont celles de Bruxelles et de Liége ; tous les autres tribunaux ont été augmentés, soit sous le rapport des traitements, soit sous le rapport du grade. Je ne prétends pas cependant qu’il faille rejeter la proposition de M. Verhaegen, mais il faut avouer qu’elle eût été beaucoup plus facilement admise si elle avait été conçue comme je viens de l’indiquer. L’honorable membre propose, par exemple, d’augmenter les traitements des membres de la cour de cassation, qui siège une fois par semaine : il faut convenir que c’est là une chose difficile à admettre.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Messieurs, je n’entrerai pas dans la critique des observations générales qui ont été faites par l’honorable préopinant, parce que ce serait entrer dans une discussion prématurée, dans une discussion tout à fait étrangère à ce qui fait en ce moment l’objet de l’ordre du jour. Lorsque la section centrale, qui a été saisie des propositions relatives aux tribunaux de Charleroy, Tournay, Mons, Dinant, Philippeville, aura fait son rapport, alors seulement nous pourrions discuter sur les éléments de la statistique civile, et vous verrez alors, messieurs, s’il y a des erreurs dans cette statistique. S’il y a des erreurs, c’est dans ce qu’a dit l’honorable préopinant. Il avance, par exemple, qu’il serait facile d’établir un tribunal de commerce à Charleroy ; eh bien, messieurs, c’est là une chose impossible ; toutes les autorités, judiciaires et administratives, tous ceux qui ont examiné cette question, ont reconnu l’impossibilité d’établir un tribunal de commerce à Charleroy. Il a ajouté qu’en comparant les travaux du tribunal de Charleroy avec ceux du tribunal de Tournay, nous avons confondu les jugements par défaut avec les jugements contradictoires ; je dénie ce fait.

Il est facile, dans une discussion étrangère à l’objet dont on s’occupe, de venir alléguer légèrement des faits ; mais je proteste contre de semblables assertions.

Il n’est pas question de demander à la section centrale qu’elle fasse un rapport spécial sur ce qui concerne le tribunal de Charleroy, il faut l’inviter à faire un rapport sur toutes les propositions dont elle a été saisie ; alors nous examinerons la question pour Tournay comme pour Charleroy, comme pour toutes les autres localités intéressées. Vous sentez bien, messieurs, que le gouvernement est parfaitement impartial dans cette affaire.

Quant à ce que vient de dire l’honorable membre des travaux de la cour de cassation, je dois également protester contre ses assertions ; lorsque la question se présentera, j’aurai l’honneur de faire connaître à la chambre ses travaux nombreux et importants du premier corps judiciaire de la Belgique.

M. Dubois. - Messieurs, il vous a été présenté un projet de loi qui a beaucoup de rapports avec la question qui vient d’être soulevée ; dans la session précédente, l’honorable M. Heptia a déposé sur le bureau une proposition tendant à supprimer les tribunaux de quatrième classe et à les ranger tous parmi ceux de la troisième ; cette proposition a été renvoyée aux sections, mais je ne sais pas si elles s’en sont occupées jusqu’à présent : je demanderai au bureau s’il ne juge pas convenable de mettre ce projet à l’ordre du jour dans les sections ; quand elles s’en seront occupées, quand la section centrale sera formée, elle pourra se mettre en rapport avec M. le ministre de la justice pour en obtenir les renseignements qui lui seront nécessaires pour pouvoir formuler un projet de loi. La proposition de M. Heptia a beaucoup d’analogie avec celle de M. Verhaegen, et la décision qui sera prise sur la première facilitera beaucoup celle qui devra être prise sur l’autre.

M. Verhaegen. - Vous voyez, messieurs, que tous les intérêts spéciaux sont chaudement défendus dans cette enceinte ; vous entendez qu’on demande une augmentation de personnel pour Charleroy, Tournay, une augmentation de traitement pour Bruges, Courtray, etc., etc. ; chacun, en un mot, s’occupe des affaires de sa localité.

Nous pourrions aussi agir de la sorte, mais cela nous répugne ; nous nous abstiendrons toujours de vous entretenir d’intérêts de localité, parce que nous pensons que ce sont les intérêts généraux que nous devons avoir d’abord en vue.

Maintenant, messieurs, on a parlé de ma proposition, et c’est parce que j’ai entendu appuyer les intérêts spéciaux, parce que les intérêts de localité se sont agités, que je crois devoir vous entretenir un moment à cet égard : sans cela j’aurais suivi le cours ordinaire des affaires, j’aurais attendu que ma proposition fût à l’ordre du jour. Mais, si, comme on le disait tout à l’heure, messieurs, vous rendez justice à tel ou tel tribunal spécial, ce qui sera bien plus facile puisqu’il n’en coûtera pas autant, alors on viendra vous dire plus tard, quand il s’agira des intérêts généraux : « Voyez quelle somme énorme on nous demande ! Il faut des centimes additionnels ; c’est une chose impossible. »

Je conviens avec M. le ministre de la justice qu’il y a une différence à faire entre l’augmentation du personnel de certains tribunaux et l’augmentation de traitement ou l’augmentation de classification : l’augmentation de classification, comme le dit M. le ministre de la justice, est la même chose que l’augmentation de traitement, puisque, quand on place un tribunal quelconque dans une classe supérieure, on augmente nécessairement le traitement de tous les membres de ce tribunal : la différence n’existe donc qu’entre l’augmentation de personnel d’une part, et l’augmentation de traitement ou de classification d’autre part.

Je suis encore d’accord avec M. le ministre de la justice que l’augmentation de personnel présente quelquefois de l’urgence ; car la justice doit être rendue, et si dans certaines localités les magistrats, quel que soit leur zèle, sont dans l’impossibilité de juger tous les procès qui se présentent, il faut, dans l’intérêt général, qu’on augmente le nombre de ces magistrats. Mais, quant à l’augmentation de traitement ou de classification, cela ne présente jamais d’urgence pour quelques tribunaux en particulier ; il n’y a pas plus d’urgence d’augmenter les traitements des membres de quelques tribunaux spéciaux que de le faire pour tous les tribunaux.

On a parlé de justice distributive, mais la justice distributive exige qu’on mette tout le monde sur la même ligne, et qu’on ne s’occupe pas plutôt des tribunaux de Courtray et de Tournay dont on a beaucoup parlé, que de tous les autres tribunaux. De deux choses l’une : ou bien la question est urgente, et alors elle l’est pour tous les tribunaux, et alors il faut faire un prompt rapport pour tous les tribunaux en général ; ou bien la question n’est pas urgente, et alors il ne faut pas plus un prompt rapport pour les tribunaux spéciaux dont on a parlé que pour tous les autres ; en un mot, il ne faut pas plus faire pour la proposition de M. Bekaert que pour la mienne. Quand je réclame la justice distributive, je ne la réclame pas seulement pour Bruxelles, pour Louvain, pour telle ou telle localité ; je la réclame pour tout le monde.

Messieurs, M. Dumortier vous a dit qu’il pouvait y avoir quelque chose de bon dans ma proposition, mais que je l’avais trop généralisée ; l’honorable membre a reconnu entre autres que la cour de Bruxelles et même celle de Liége sont aujourd’hui moins favorablement traitées qu’elles ne l’étaient avant la révolution. Pourquoi, me dit M. Dumortier, n’avez-vous pas borné votre proposition à ces deux localités ?

Je ne me suis pas borné à ces localités, d’abord parce que je ne veux pas encourir le reproche de m’occuper ici des intérêts de la localité à laquelle j’appartiens ; j’aime beaucoup mieux m’occuper des intérêts généraux. En second lieu, je n’ai pas cru devoir restreindre ma proposition aux deux cours dont il s’agit, parce qu’en voyant les choses telles qu’elles sont, je pense qu’il y a plusieurs augmentations à faire relativement aux traitements des membres des tribunaux en général, et je m’en expliquerai lorsque ma proposition sera discutée.

Vous demandez, me dit-on, une augmentation de traitement pour les conseillers de la cour de cassation de Bruxelles, et cependant ces magistrats ont déjà un traitement de 9,000 fr. Messieurs, dans la position personnelle où je me trouve, je ne pouvais ni ne voulais excepter de ma proposition la cour de cassation. Mais qu’on fasse à cet égard tel amendement que l’on veut, et qu’on me donne des raisons qui soient de nature à me convaincre que les conseillers de la cour de cassation sont déjà traités assez avantageusement, et peut-être serai-je le premier à me rallier à cet amendement. Si, moi, j’avais excepté de ma proposition la cour de cassation de Bruxelles, l’on m’en aurait faut un reproche.

Quoi qu’en dise M. Dumortier, ses observations ne s’appliquent pas à tout le personnel de la cour de cassation. Les avocats généraux de cette cour, par exemple, ne sont pas mieux traités que les conseillers de la même cour, et cependant il est de toute justice que les appointements des avocats généraux soient plus élevés, puisque leur besogne est beaucoup plus considérable.

Quoi qu’il en soit, ce n’est pas une raison pour rejeter d’emblée ma proposition ; d’ailleurs, elle a été prise en considération. Si l’on veut pour le moment, considérer uniquement comme urgente l’augmentation du personnel, je n’ai plus rien à dire ; mais si vous considérez comme urgentes toutes les propositions, tant pour les traitements que pour le changement de classification de tribunaux, la justice distributive exige qu’on s’occupe des intérêts de tous, et par suite, je demanderai pour ma proposition ce que M. Bekaert demande pour la sienne.

M. Pirmez. - Je me proposais de répondre à M. Dumortier qui, dans la comparaison qu’il a établie entre les tribunaux de Tournay et de Charleroy, a placé le premier au-dessus du second. M. le ministre de la justice ayant prouvé l’inexactitude de toutes les assertions de M. Dumortier, je n’ai plus rien à dire ; au reste, quand la question sera discutée, chacun de nous produira des renseignements à l’appui des propositions.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Il n’a jamais été question, de la part de personne, je pense, de vouloir rejeter d’emblée la proposition de l’honorable M. Verhaegen, ayant pour objet d’augmenter les traitements des membres de l’ordre judiciaire. Personne n’a provoqué ce rejet et n’a pu le provoquer. En effet, la proposition de l’honorable membre a été renvoyée aux sections ; elle sera examinée à son tour, et probablement avec les autres propositions du même genre ; cela est même désirable.

Il n’a pas été question non plus, et je prie l’honorable membre d’y faire attention, de considérer les propositions concernant la classification d’autres tribunaux, comme plus urgentes que celle qui auraient pour objet d’augmenter les traitements de la magistrature en général. Non, messieurs ; l’on a demandé et l’on avait droit de demander que le ministre fît son rapport sur les diverses pétitions qui avaient été faites dans l’intérêt de divers tribunaux. Ce rapport sera fait ; mais la question n’en restera pas moins de savoir s’il y a lieu de faite une proposition à la chambre, soit de la part d’honorables membres de cette assemblée, soit de la part du gouvernement ; car jusqu’ici l’initiative n’a été prise par personne.

Dans ma pensée, comme j’ai déjà eu l’honneur de le faire observer, les questions de la classification des tribunaux ont une liaison intime avec celles de l’augmentation du personnel, et j’appelle l’attention de la chambre sur ce point : s’il ne serait pas convenable de renvoyer toutes les propositions qui ont pour objet un changement de classification à la même section centrale qui sera chargée d’examiner la proposition de M. Verhaegen. Sous ce rapport nous sommes parfaitement d’accord avec cet honorable membre.

Je terminerai, messieurs, en accueillant une observation qui a été faite par l’honorable préopinant. Il est certain qu’il serait juste et d’une très bonne politique d’augmenter le traitement des avocats généraux de la cour de cassation. Il n’est pas juste que les avocats généraux, qui sont chargés d’un travail beaucoup plus difficile que les autres magistrats, n’aient pas un traitement plus élevé. Il importe, messieurs, d’attacher au ministère public des hommes capables, des hommes d’expérience. Or, si nous n’augmentons pas les traitements des avocats généraux, il arrivera presque toujours que nous perdions ces magistrats. Nous en avons déjà perdu un de ces avocats généraux, qu’il est extrêmement difficile de remplacer, quel que soit le talent de son successeur.

J’ajouterai qu’il est encore une autre classe de magistrats dont la position doit être améliorée : c’est celle des juges d’instruction. Les fonctions de ces juges sont très pénibles et très difficiles, et nous voyons rarement des juges d’instruction qui désirent conserver leur position : c’est une magistrature qu’on doit, pour ainsi dire, imposer.

M. Desmet. - Comme M. le ministre de la justice vient de déclarer qu’il ne fera de rapport que sur les demandes qui ont été envoyées par la chambre à son département, et que comme les propositions faites pour avoir un quatrième arrondissement judiciaire dans la Flandre orientale ont été envoyées à une commission nommée par la chambre, il est à craindre qu’elles ne seront pas comprises dans le rapport du ministre. J’insiste donc pour que la commission ne tarde pas à faire son rapport sur les propositions de M. Dewitte et d’un autre membre de la chambre, tendantes à avoir un quatrième arrondissement judiciaire dans la Flandre orientale ; je désire que la commission fasse son rapport le plus tôt possible, afin que le ministre en ait communication avant d’arrêter son rapport général, et ainsi le mette à même d’y comprendre aussi les propositions qui concernent ma province. Messieurs, je ne veux pas en faire un reproche à la commission, mais cependant vous ne pouvez méconnaître qu’un objet qui tient tant à l’intérêt public soit ainsi oublié, et particulièrement cette proposition qui a été appuyée par de si nombreuses pétitions qui vous ont été adressées ; car plus de 200.000 habitants ont pétitionné pour obtenir ce quatrième arrondissement dans la province de la Flandre orientale.

M. de Brouckere. - Messieurs, je vois qu’il est temps de terminer la discussion, parce qu’elle ne doit amener aucun résultat. Car, quels que soient les discours que l’on prononce aujourd’hui, nous ne pourrons décider ni quels seront les tribunaux dont le personnel sera augmenté, ni quels sont les magistrats dont les appointements seront augmentés. Le seul désir que l’on puisse exprimer en ce moment, c’est que l’on s’occupe des diverses propositions dans un temps plus ou moins rapproché.

Si j’ai demandé la parole, c’est parce que j’ai entendu l’honorable M. Dumortier dire que les membres de la cour d’appel étaient les seuls magistrats dont les traitements eussent été diminués depuis la révolution ; c’est là une erreur ; il est d’autres magistrats dont le traitement a également subi une diminution : ce sont les présidents et procureurs du Roi près des tribunaux des villes où siège une cour d’appel.

Ainsi le président et le procureur du Roi près du tribunal de première instance de Bruxelles, qui avaient chacun 6,000 fr. avant la révolution, n’ont plus aujourd’hui que 4,800 fr. Eh bien, dans ma pensée, le magistrat qui a le plus à se plaindre de la distribution qui a été faite, quant aux traitements, lors de l’organisation judiciaire de 1832, c’est le président du tribunal de Bruxelles, qui est le chef d’un corps plus nombreux que jamais, qui est obligé, par sa position supérieure, à une certaine représentation, et qui néanmoins se trouve placé dans une situation moins avantageuse qu’avant la révolution.

Je crois inutile de parler plus longuement à cet égard, quant à présent. Quand on en viendra à la discussion de la proposition de M. Verhaegen, je reproduirai ce que je viens de dire, et il ne me sera pas difficile de prouver que, de tous les corps judiciaires, celui qui a le plus à se plaindre de sa position, c’est le tribunal de première instance de Bruxelles.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Messieurs, les observations de l’honorable préopinant, en ce qui concerne le président et le procureur du Roi près le tribunal de première instance de Bruxelles, sont très exactes. Celui qui comprend l’importance de ces fonctions judiciaires, surtout dans la capitale, pourra apprécier aussi combien il est juste d’augmenter le traitement qui y est attaché.

Toutefois, je dois faire remarquer que la proposition de maintenir les traitements dont il s’agit au taux où ils étaient avant la révolution, a été faite par le ministre de la justice, lors de la discussion de la loi concernant l’organisation judiciaire, et que cette proposition a été rejetée.

M. A. Rodenbach. - Messieurs, je demande la clôture de cette discussion, qui me paraît tout à fait anticipée. La proposition de M. Verhaegen a été renvoyée aux sections, qui l’examineront, et la section centrale fera son rapport. Le ministre, de son côté, nous soumettra un rapport sur toutes les propositions qui ont pour objet une augmentation de personnel ou un changement de classification. Jusque-là, nous n’avons rien à faire. Je persiste à demander la clôture.

M. Dumortier. - Messieurs, je ne veux pas prolonger la discussion, je me réserve de parler plus tard ; il me suffit pour le moment d’avoir signalé les erreurs qui se trouvent dans le travail du ministre et d’avoir prouvé que ses assertions sont inexactes.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Messieurs, il importe de rétablir les faits dont l’honorable préopinant vient de parler. Il a dit que les assertions du ministre n’étaient pas exactes ; le ministre doit répondre qu’il n’a fait aucune assertion, qu’il a seulement nié, et qu’il nie de nouveau, ce que l’honorable membre a avancé.

M. Pirmez. - M. Dumortier prétend que les documents sont inexacts ; M. le ministre répond qu’ils sont exacts. Quand il répétera 50 fois qu’ils sont inexacts, on lui répondra 50 fois qu’ils sont exacts.

- La chambre consultée ferme la discussion.

L’article est mis aux voix et adopté.

Article 6

« Art. 6. Justices de paix et tribunaux de police : fr. 310,880. »

M. Trentesaux. - Messieurs, sur l’article 5 on a beaucoup parlé de justice distributive, quant au traitement des juges. Si vous voulez établir véritablement une justice distributive, commencez par élever le traitement des juges de paix. C’est par la base qu’il faut commencer. Les juges de paix sont encore aujourd’hui sur le même pied que sous le consulat et l’empire. Depuis lors, les juges des tribunaux de première instance et les conseillers de cour d’appel, tout le reste de la hiérarchie judiciaire, ont eu leur traitement augmenté ; les juges de paix ont été oubliés. Je le répète, si on veut réellement exercer une justice distributive, c’est par les juges de paix qu’il faut commencer.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Je suis de l’avis de l’honorable préopinant, et je ne me suis pas borné à partager son avis, j’ai posé un fait ; il y a trois ans que j’ai proposé à la chambre un projet de loi ayant pour but d’augmenter le traitement des juges de paix. Plusieurs fois, j’ai renouvelé la proposition d’inviter la commission à faire son rapport à la chambre.

M. Verhaegen. - Les observations qui viennent d’être faites, sont on ne peut pas plus fondées ; j’ai si bien compris la chose ainsi, que ma proposition comprend les juges de paix comme les juges de première instance.

M. Trentesaux. - Les juges de paix ont droit à une attention toute spéciale, par la raison que j’ai donnée tantôt, par la raison que, depuis leur institution sous le consulat et l’empire, leur traitement est resté au même taux. Je n’ajouterai rien, vous devez reconnaître que c’est par eux que vous devez commencer.

M. de Jaegher. - La question dont il s’agit se lie intimement à une autre question, celle de la compétence en matière civile. J’ai prié plusieurs fois la commission chargée d’examiner la loi relative à cet objet de hâter son travail. C’est la base de tout ce qui est relatif au traitement de l’ordre judiciaire. C’est ce projet de loi qui établira l’importance des justices de paix. Avant de connaître leurs attributions, on ne peut fixer le traitement auquel ils ont droit. Je renouvelle la prière que j’ai déjà adressée aux membres de la commission de nous faire connaître si son travail avance.

M. de Behr. - La commission chargée de l’examen du projet de loi sur la compétence en matière civile s’est réunie plusieurs fois sous la présidence de M. Fallon. Ce projet de loi soulève des questions graves qu’il faut examiner avec soin. Depuis quelque temps, M. Fallon est absent à cause de la maladie de son fils. Comme je ne suis pas président, je ne puis pas réunir la commission.

M. de Jaegher. Je ne doute pas que le projet dont il s’agit, ne soulève des questions très graves ; mais, depuis trois ans que la commission est saisie du projet, quelque graves que soient les questions, elle aurait pu, sinon les résoudre, au moins présenter son rapport. Les administrations provinciales sont aussi entravées par les retards de ce projet de loi ; les nouvelles délimitations de canton, les circonscriptions des notariats, ne peuvent être établies que quand cette loi sera votée.

Ce n’est pas à titre de reproche que je fais ces observations, mais pour engager la commission à nous présenter son travail le plus tôt possible.

M. de Behr. - Je conviens que pour fixer le traitement des juges de paix, il faut connaître les attributions qu’on doit leur donner. Si M. Fallon n’a pas réuni plus souvent la commission chargée d’examiner cette loi d’attribution, c’est parce que la chambre était surchargée de travaux ; on demandait d’ailleurs avec instance le rapport sur la banque qu’on n’a pas encore eu le temps de discuter. Il a dit qu’il était inutile de faire un rapport lorsqu’il serait impossible de le mettre en discussion, et qu’il fallait s’occuper du plus urgent. M. Fallon a dû faire le rapport sur la banque, qu’on demandait.

- L’article est mis aux voix et adopté.

Chapitre III. Justice militaire

Articles 1 à 3

« Article 1er. Haute cour militaire, personnel : fr. 62,050. »

- Adopté.


« Art. 2. Haute cour militaire, matériel : fr. 4,200. »

- Adopté.


« Art. 3. Auditeurs militaires et prévôts : fr. 53,921. »

- Adopté.

Chapitre IV. Frais d’instruction et d’exécution

Article unique

« Article unique. Frais d’instruction et d’exécution, etc., y compris la majoration de 20,000 fr. demandée par M. le ministre à la section centrale : fr. 570,000. »

- Adopté.

Chapitre V. - Constructions

Articles 1 et 2

« Art. 1er. Constructions, réparations et loyer des locaux : fr. 35,000. »

- Adopté.


« Art. 2. Constructions pour la cour d’appel à Gand : fr. 100,000. »

- Adopté.

Article 3

« Art. 3. Construction d’un palais de justice à Bruxelles, y compris la majoration de 100,000 fr. demandée à la section cenraie pour le premier cinquième : fr. 400,000. »

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Messieurs, lorsque j’ai fait la proposition, dans la loi du budget soumise à votre examen, de porter une allocation de subsides pour contribuer à la construction d’un palais de justice à Bruxelles, je n’étais pas à même de remettre tous les renseignements nécessaires à l’appui de cette proposition. Plusieurs sections ont demandé ces renseignements ; il est convenable que j’expose les raisons qui ne m’ont pas permis de présenter, comme je l’avais voulu, un rapport à l’appui d’une proposition aussi importante.

Vous me permettrez, messieurs, avant d’entrer dans ces détails, de remonter un peu plus haut. D’abord il s’était agi de construire un palais pour la cour de cassation. La nécessité, l’urgence de cette construction a été reconnue par la chambre. Personne n’a révoqué en doute que le premier corps judiciaire est dans un local où il est impossible de le laisser plus longtemps sans compromettre la dignité de la magistrature.

Lorsque j’eus l’honneur de demander un second subside pour ce monument, on réclama la construction d’un palais réunissant tous les corps judiciaires de la capitale.

Messieurs, le gouvernement devait être plus porté à construire à Bruxelles un monument pour tous les corps judiciaires qu’à faire un édifice séparé pour la cour de cassation.

Mais voici quels avaient été les motifs de sa détermination :

La construction d’un palais de justice pour la cour de cassation est à la charge du gouvernement seul ; s’agit-il au contraire de faire un édifice destiné aux tribunaux de première instance et de commerce, à la cour d’assises et à plusieurs autres corps judiciaires, alors le gouvernement ne doit pas seul contribuer à la dépense. Les tribunaux de première instance et de commerce et la cour d’assises sont à la charge de la province ; le local pour les tribunaux de paix et de police est à la charge de la ville où siègent ces magistratures.

Dans les premiers temps où on s’occupa, dans le département de la justice, du projet de faire construire un palais pour la cour de cassation, la commune et la province n’étaient pas organisées ; on ne pouvait donc compter sur leur concours pour la dépense. Les choses étaient changées lorsque la chambre délibéra sur le second subside à accorder pour le palais de la cour de cassation. Plusieurs honorables membres dirent que la ville et la province étaient disposées à payer leur part dans la dépense d’une construction destinée à tous les corps judiciaires. J’avais des doutes, je croyais que la ville et la province reculeraient devant ces dépenses ; cependant je ne voulais pas qu’on pût, plus tard, faire des reproche, et me dire : « Si vous aviez invoqué le concours de la ville et de la province, nous aurions un monument où seraient réunis tous les corps judiciaires.» Je consentis à l’ajournement ; je déclarai que je réunirais une commission composée de délégués de la commune et de la province, que j’y adjoindrais des membres de l’ordre judiciaire, que nous travaillerions ensemble à ce projet, et que nous tâcherions que chacun contribuât pour sa part aux dépenses nécessaires.

Cette commission a été réunie, et, comme vous l’a dit la section centrale par l’organe de son honorable rapporteur, elle s’est occupée de la construction d’un palais de justice d’après un plan fait par un des premiers architectes du pays, et a réparti les dépenses de ces constructions. D’après la proposition de cette commission, la province paierait 2/6, la ville 1/6, et le gouvernement 3/6 ; la dépense, comme vous le savez, serait de 3,000,000 fr.

Le monument dont le plan est déposé au greffe ne comprend que ce qui est absolument nécessaire pour tous les corps judiciaires. On n’a rien sacrifié au luxe ; les intérêts de la commune et de la province, aussi bien que ceux de l’Etat, y ont été ménagés ; cependant je dois ajouter que dans ma pensée ce plan n’est pas définitif ; il y a toute nécessité d’avoir un palais qui satisfait aux besoins des divers corps judiciaires ; mais l’intérêt des arts et de la capitale exige que le plan de ce monument soit soumis à l’examen de tous les hommes spéciaux, de tous les artistes. C’est ce qui a eu lieu lorsqu’il s’est agi de bâtir un palais de justice à Gand. Le premier plan vous a été communiqué, il a été soumis ensuite à tous les architectes rivaux de l’auteur du plan, à la commission placée près du ministère de l’intérieur, dite commission des monuments. Des modifications ont été introduites dans le plan par cette commission pour l’embellissement de l’édifice. Je propose d’en agir de même pour le palais de justice dont il s’agit aujourd’hui. A cet égard toute satisfaction sera donnée à ceux qui désirent avec raison qu’on n’entreprenne pas légèrement une construction aussi importante.

Je vais reprendre, messieurs, l’exposé que j’ai interrompu : les propositions de la commission n’étant que provisoires, les conseils provincial et communal devaient les ratifier, comme vous êtes appelés à y donner votre approbation. Le conseil provincial a cru qu’il irait au-delà d’une dépense juste et proportionnelle en contribuant pour plus de 500,000 fr. ; mais le conseil provincial a-t-il contesté la nécessité ou l’opportunité de la dépense d’un nouveau local ? Non ; cette nécessité, cette opportunité ont été reconnues. Le conseil provincial a seulement réduit la dépense à la juste proportion dans laquelle il croit devoir contribuer.

Le conseil communal de Bruxelles, qui a à satisfaire à tant d’obligations importantes, a-t-il reculé devant la dépense ? Non, il s’est empressé d’y contribuer. Voilà donc un second corps qui reconnaît encore la nécessité et l’opportunité de la dépense.

Vient maintenant le tour du grand corps de l’Etat dont les obligations doivent être placées en première ligne, le tour de la législature ; je ne crains pas de démenti lorsque je dis que je puis compter sur l’importance que vous attachez à ce que les corps judiciaires soient honorés comme ils le méritent.

Déjà j’ai vu avec plaisir que la section centrale a reconnu la nécessité et l’opportunité de la dépense ; ce sont ses expressions ; un seul membre a réservé son vote ; personne ne s’est élevé contre la dépense dans la section centrale. Je ne pense pas que la nécessité de cette dépense soit contestée dans la chambre ; si j’ai pris la parole, contre la coutume, au commencement de la discussion, ç’a été pour suppléer à un silence qui n’aurait pas été explicable si je ne l’avais pas justifié par les raisons que j’ai eu l’honneur de faire connaître.

Lorsque le budget de mon département a été arrêté, les conseils de la province du Brabant et de la ville de Bruxelles n’avaient pas encore pu se prononcer sur les propositions de la commission, il m’était dès lors impossible de donner, dans les développements du budget, dans les développements du budget, les explications que j’ai communiquées à votre section centrale.

Je me résume en deux mois. Vous avez déjà reconnu la nécessité de construire un palais pour la cour de cassation ; si on conteste la nécessité de la dépense par la cour d’appel et les autres cours judiciaires, j’en fournirai la preuve que j’ai à la main : en laissant la cour d’appel et le tribunal de première instance dans les locaux qu’ils occupent, on s’oblige à faire des dépenses considérables en pure perte, au lieu d’élever une construction utile qui ferait honneur au pays. La capitale ne doit pas être traitée comme une autre ville ; c’est au pays tout entier que s’adresse l’honneur qu’on réclame pour Bruxelles.

M. Desmanet de Biesme. - Je ne veux pas ici contester ici l’utilité de la proposition du gouvernement ; mais il est bien des choses utiles qui ne sont pas indispensables.

Selon moi, il est indispensable de donner un local à la cour de cassation ; comme l’a dit M. le ministre de la justice, à cela se bornait la première demande.

Quand on examine le budget de cette année, on est vraiment effrayé de l’accroissement de la dépense dans tous les départements. La dépense la plus importante en ce moment pour la Belgique, c’est l’armée ; aussi on ne se fait pas faute de demander un budget énorme pour le département de la guerre. Ce sont ensuite les chemins de fer qu’on réclame de tous côtés ; puisqu’on est entré dans cette voie, il faut la continuer. Si après cela nous entrons dans la voie des grandes constructions, je ne sais plus où nous nous arrêterons. Nous avons commencé à Gand ; avant de décréter la construction d’un nouveau monument, ne faudrait-il pas attendre que celui de Gand fût terminé ? Pour la cour de cassation je ne conteste pas. M. le ministre de la justice dit qu’il est indispensable de donner aussi un nouveau local à la cour d’appel ; s’il en est ainsi, je ne refuserai pas mon vote ; mais j’ai entendu hors de cette enceinte contester cette assertion.

J’ai entendu dire (j’avoue que je ne suis pas en état d’en juger) que le local occupé par la cour d’appel est très solidement bâti, que, moyennant quelques dépenses de réparations, il pourra durer très longtemps. Je me réserve mon vote ; je n’y mets pas d’obstination ; si la dépense est nécessaire, je la voterai.

J’ai une autre observation à présenter à la chambre. Lorsqu’il s’est agi de la construction du palais de justice à Gand, on a proposé que le gouvernement contribuât pour 900,000 francs dans la somme de 3,000,000 de francs à laquelle devait s’élever la dépense, et le gouvernement a eu soin de stipuler que si la dépense était plus considérable, l’excédant serait à la charge de la ville et de la province. Je ne vois rien d’analogue à cela, aujourd’hui, dans les paroles du ministre, non plus que dans le rapport de la section centrale.

Quel que soit le talent des architectes, je n’ai pas de confiance dans leurs devis quant à l’évaluation des dépenses. Chacun sait en général, même quand on construit soi-même, qu’on va toujours en delà de la dépense qu’on a prévue dans le devis ; il est donc à craindre que nous ne soyons obligés de voter des sommes plus considérables que celles dont il est question aujourd’hui.

On a pris des précautions vis-à-vis de Gand, et je demande si le ministre n’a pas aussi stipulé pour les intérêts de l’Etat, pour les constructions de Bruxelles, car en votant cette somme de deux millions, nous ne savons pas si cela ne conduira pas à quatre millions.

M. Dumortier. - Il n’y a pas, pour un gouvernement, de manie plus folle et plus ruineuse que celle des bâtiments. C’est la manie des bâtiments qui a ruiné Louis XIV autant que les guerres qu’il a soutenues ; et je vois avec regret que notre gouvernement veut entrer dans ce système. La Belgique est régénérée ; on veut, en quelque sorte, la rhabiller à neuf. Rien de ce qui a été fait sous l’ancien gouvernement ne convient ; on veut tout renverser pour tout rebâtir. Voilà à peu près l’histoire des constructions depuis quelques années ; et on s’abandonne sans réserve à cette manie si ruineuse et si folle.

Le projet du ministre de la justice, pour lequel on nous demande 400,000 fr., est le premier pas vers une dépense de plusieurs millions. Ainsi, il faut se pénétrer de cette vérité que si vous accordez 400,000 fr., c’est au moins deux millions qu’il en coûtera à l’Etat. Mais, comme l’a très bien observé M. Desmanet de Biesme, il n’est pas bien certain qu’on ne demandera que deux millions à l’Etat parce que les devis des architectes ne sont pas toujours le tableau exact des dépenses qu’occasionnent les constructions qu’il faut entreprendre.

La première question qui se présente est celle-ci : Y a-t-il nécessité de faire la dépense ? Je ne demanderai pas s’il y a convenance, s’il faut des embellissements, si même il y a utilité. Dans l’état actuel de nos finances, je demanderai s’il y a nécessité, car nous devons écarter de nos dépenses celles qui ne sont pas sanctionnées par la loi de la nécessité ; et je n’hésite pas à déclarer qu’il n’y a pas nécessité.

Depuis quand est construit le palais actuel de la justice ? Il a été reconstruit à nouveau il y a au plus quinze ou vingt ans. Il y avait à la vérité quelques parties de l’édifice qui existaient auparavant, mais on n’a conservé que des parties qui, par leur solidité, promettaient de durer encore longtemps. Si je suis bien informé, et j’ai des motifs pour’ le croire, il est incontestable que le palais de justice, bien réparé, peut encore durer soixante ans.

En présence de pareils faits, à quoi bon venir demander la construction d’un monument ? Qui vous dit que le monument que vous allez construire durera plus longtemps que les bâtiments existants ? Qui vous dit que dans vingt ans on ne vous proposera pas un édifice encore plus monumental ? Ainsi, d’année en année, nous recommencerons des dépenses déjà faites.

Le ministre de la justice a cru exercer une grande influence sur l’assemblée en disant que le plan avait eu l’assentiment de la commission des monuments...

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - J’ai eu l’honneur de dire à l’assemblée que le plan de l’édifice de Gand, quoique approuvé par la chambre, n’avait commencé d’être mis à exécution qu’après avoir été soumis à l’examen des architectes rivaux de celui qui l’avait dressé, à l’avis de la commission des monuments, et j’ai signalé que je ferais de même pour l’édifice de Bruxelles.

M. Dumortier. - Le ministre de la justice a cru exercer une grande influence sur vos esprits en vous disant que si vous votiez l’allocation demandée il assemblerait la commission des monuments ; j’ai beaucoup de respect pour cette commission ; mais personne n’ignore que les architectes qui la composent ont beaucoup d’intérêt à ce que l’on construise des monuments en Belgique.

Messieurs les architectes sont orfèvres (on rit) ; ils ne sont pas si malhabiles que de ne pas vouloir d’un monument qui coûtera trois millions. La commission veut le plus de monuments possible.

Vous allez consulter la commission des monuments ; que vous dira-t-elle ? Elle vous dira qu’il faut suppléer au défaut que la section centrale a signalé dans le plan ; que l’édifice n’est pas assez monumental ; et elle vous donnera des plans pour un monument ou pour augmenter la dépense ; elle vous dira : « Ne gâtez pas votre tarte pour un œuf ; » puisque vous fricassez les deniers de l’Etat, fricassez largement. Voilà ce que dira la commission des monuments ; et elle doublera les dépenses pour avoir un bel édifice dans la capitale. Je ne vois pas de garantie dans la commission des monuments dont nous parle le ministre de la justice.

D’un autre côté on se prévaut d’un vote émis par la chambre relativement à la cour de cassation : eh bien, lorsque le ministre de la justice vint demander un crédit de quelques cent mille francs pour construire un palais pour la cour de cassation, beaucoup de membres de Bruxelles se levèrent pour assurer qu’au moyen de quelques cent mille francs, ou plus, on pourrait, dans le palais de justice actuel, établir la cour de cassation. Que faut-il pour cette cour de cassation ? Une salle d’audience, des archives… Le terrain ne manque pas au palais de justice pour faire ces constructions.

Je suis loin de vouloir refuser à la cour de cassation les bâtiments qui lui sont nécessaires ; j’appelle de tous mes efforts le moment où cette cour sera établie convenablement ; mais il ne faut pas faire une dépense de deux millions.

L’époque où nous sommes, la situation du pays, réclament autre chose que des monuments : le temps des constructions est passé à jamais…

M. Rogier. - Nous espérons que non !

M. Dumortier. - On sait bien que vous espérez que non, vous qui voulez rebâtir la tour de Malines. (On rit).

Messieurs, ce que nous devons vouloir, ce sont des choses utiles ; nous devons vouloir les dépenses nécessaires pour notre armée, et pour les chemins de fer, comme l’a très bien dit M. Desmanet de Biesme. Avec la dépense que l’on demande pour le palais de justice on ferait une section de chemin de fer, ce qui vaudrait mieux que de donner cette somme à des architectes, sinon à des maçons. Si nous étions dans une situation prospère, je ne verrais pas un si grand inconvénient à bâtir ; mais ce qui me touche maintenant c’est que notre budget des recettes ne soit pas au niveau de notre budget des dépenses.

Je demanderai à l’assemblée qu’elle opère pour le budget de la justice comme elle a opéré tout à l’heure pour le budget de la marine, c’est-à-dire qu’elle ajourne l’examen de la dépense dont il s’agit jusqu’après le vote du budget des voies et moyens : nous verrons alors si nous avons de l’argent de trop dans le trésor.

N’oubliez pas la proposition déposée par M. Verhaegen ; il veut augmenter les traitements des membres de l’ordre judiciaire d’une somme annuelle d’un demi-million ; si vous dépensez vos fonds à bâtir, vous ne pourrez pas les employer à augmenter les traitements des juges.

Je crois, messieurs, que ce que nous devons faire, c’est de voter un budget modèle, c’est de ne pas dépenser plus que nous ne recevons.

M. le président. - M. Dumortier propose l’ajournement de l’article, et son renvoi après le vote du budget des voies et moyens.

M. C. Rodenbach. - A l’occasion des deux millions qu’on vient vous demander pour ériger un palais qui doit réunir tous les corps judiciaires de la capitale, permettez-moi, messieurs, d’entrer dans quelques considérations qui tendent à obtenir une diminution notable dans les dépenses qu’on se propose de faire.

Ceux qui sont appelés à administrer les revenus de l’Etat ne doivent pas plus se permettre des magnificences, des libéralités, que ceux qui gouvernent une famille. Un loyal député, celui qui comprend son mandat, ne doit pas non plus, sans raison et par une condescendance empressée, sanctionner des profusions. C’est donc dans des vues économiques et pour répondre aux vœux des contribuables, déjà alarmés par l’augmentation successive du budget, qu’on devrait, au lieu d’élever un monument splendide à Bruxelles, se borner à restaurer le palais de justice actuel, suffisant pour contenir le corps judiciaire. Quant à la cour de cassation, elle pourrait être placée dans une localité convenable. Ne pourrait-on modifier la loi organique de l’ordre judiciaire et placer le premier corps de la magistrature à Malines, qui l’a possédé pendant des siècles et qui pourrait revendiquer ses anciens droits ?

Les circonstances sont changées depuis qu’un honorable député qui ne siège plus parmi nous, a proposé Malines pour siège de la cour de cassation. Les motifs qui ont plus particulièrement fait rejeter son amendement n’existent plus depuis l’exécution du système des chemins de fer qui a comblé toutes les distances. Deux élections ont d’ailleurs amené des changements dans le personnel de la chambre, et les opinions sont modifiées par l’expérience. Ce n’est donc pas sans objet que je vous occupe d’une question qui, malgré qu’elle ait été soumise à vos délibérations à une autre époque, n’en a pas moins de l’opportunité et de l’à-propos. Un point important en cette matière est celui de s’assurer s’il y a réellement quelques inconvénients à placer la cour de cassation à Malines, et s’il y a des avantages à laisser son siège à Bruxelles.

Je vais, messieurs, chercher à éclaircir ce point qui a été faiblement débattu dans cette enceinte, et qui n’a été, en quelque sorte, que controversé par le sénat, dont 14 membres contre 16 ont voté pour le siège à Malines.

Le lieu des tribunaux d’appel, le centre du pouvoir judiciaire, peut-il être plus convenablement placé que dans le centre des chemins de fer ? J’ai l’intime conviction qu’aucun argument solide ne peut être donné contre son établissement à Malines. Les avantages de la cour suprême dans cette ville furent universellement reconnus autrefois. L’institution du grand conseil de Malines date de 1473 ; elle n’a été supprimée qu’en 1794. C’était la réunion de toutes les chambres de justice et des chambres des comptes en un seul parlement. Cette institution n’était pas seulement judiciaire, elle était aussi une espèce de cour politique, car les puissances étrangères la prirent souvent pour arbitre dans de graves questions gouvernementales. Malines était donc en possession. L’ancien bâtiment de cette cour existe encore. A Bruxelles, rien n’est fait, rien ne pourra se faire avant six à sept ans, car on ne peut considérer comme un local décent pour la cour de cassation l’unique chambre qu’elle occupe, qui doit être évacuée par le public chaque fois qu’elle délibère. Depuis 1832 la cour n’a pris, en quelque sorte, qu’un établissement provisoire.

La crainte de ne pas avoir un barreau composé d’hommes éprouvés par une longue expérience est chimérique. Le chemin de fer n’a-t-il pas annihilé toutes les distances ! Malines n’est plus qu’à trente minutes de la capitale, où un barreau peut se recruter. Celui qui existe à Malines est d’ailleurs composé d’hommes distingués.

La belle cité de Malines, la huitième du royaume en population, convient à merveille à la nature des hautes fonctions judiciaires, d’autant plus qu’elle rapprocherait les justiciables de leurs juges. Il est évident que les plaideurs auraient moins de distances à parcourir et moins de frais accessoires. Les conseillers pourraient y vivre plus honorablement qu’à Bruxelles, parce que la vie y est à meilleur marché et parce que des demeures convenables y sont plus faciles à trouver. Dans une résidence royale, la haute magistrature est, pour ainsi dire, éclipsée par les richesses qui l’entourent, et perd de la sorte une partie du prestige qui doit l’environner. La bruyante activité d’une capitale, la pompe, la somptuosité des mœurs, ne conviennent pas à l’ordre judiciaire. Une localité où tous les pouvoirs sont concentrés est d’ailleurs moins propice qu’une ville plus modeste où les magistrats peuvent se livrer à des travaux, à des études.

On trouve d’ailleurs plus de garantie d’indépendance dans leur éloignement de la capitale. Ce n’est pas une attaque contre le pouvoir, ni contre la cour de cassation que je viens faire ; corps respectés, composés d’hommes recommandables et bien pénétrés de leurs devoirs ; mais c’est le principe que je veux signaler. Les hommes ne sont-ils pas toujours enclins à juger d’après les impressions qu’ils reçoivent autour d’eux ? Pour tous ceux qui ont quelques connaissances morales, il est prouvé que les balances de la justice chancellent lorsqu’on s’en sert trop près du pouvoir. L’indépendance de position, comme à la cour de cassation, existe de fait, je le sais ; mais ce n’est pas l’inamovibilité ni la position sociale qui donnent l’indépendance à l’homme, c’est le caractère. Il est peut-être d’une politique prévoyance d’éloigner du pouvoir exécutif une cour, qui, au nombre de ses importantes attributions, a le droit de juger les ministres mis en accusation. Le frottement de l’autorité supérieure, surtout dans les moments de crises politiques, a ses dangers et peut affaiblir bien des caractères. Sans contester l’indépendance des conseillers en ce moment en fonctions, et sans mettre en suspicion et la moralité et l’équité de nos ministres actuels, on peut avoir des prévisions et appréhender certaines éventualités. De quoi ne sont pas capables les passions politiques ? L’éloignement de la cour de cassation du siège du gouvernement est en quelque sorte une garantie constitutionnelle.

Comme je suis convaincu que ce n’est pas dans l’intérêt du pouvoir qu’on a établi la cour à Bruxelles, je n’insisterai pas sur ce point ; j’en viens à la question d’utilité et d’économie.

A Malines, au point central du chemin de fer, la cour suprême pourrait jeter un plus grand éclat sur la magistrature qu’à Bruxelles, où elle est confondue avec les autres pouvoirs judiciaires et où elle est absorbée par l’entourage de fortune, de luxe. La cour serait relevée, aurait plus de dignité aux yeux des masses par le souvenir même du grand conseil de Malines. La haute magistrature a besoin, messieurs, comme les cultes, d’un certain prestige, dans l’intérêt même de l’ordre public. Tous les hommes qui composent la cour de cassation ne sont pas des hommes fortunés. Tous ceux qui en feront partie par la suite ne le seront pas davantage ; ce sont et ce seront d’ordinaire des hommes de talent qui, après de longs travaux, désireront une vie paisible et qui n’ont pas d’autre perspective, surtout lorsqu’ils sont mariés et qu’ils ont des enfants.

Ces considérations sont importantes et méritent d’être appréciées par les esprits froids qui ne manquent pas dans cette enceinte. N’est-ce pas d’ailleurs améliorer la condition des conseillers de la cour que de la placer à Malines, sans porter atteinte à la bonne administration de la justice ?

Malines a l’avantage sur Bruxelles de posséder dès à présent un local des plus beaux du royaume (la commanderie de Pitsenbourg), tandis que la capitale n’est pas, comme elle, disposée à faire seule tous les sacrifices pour l’amélioration et l’entretien des bâtiments.

D’après toutes ces considérations, il me semble qu’il y aurait lieu à réformer l’article premier de la loi organique de l’ordre judiciaire. La constitution ne s’y oppose point ; car c’est en vertu de cette loi que le siège de la cour de cassation a été placé à Bruxelles. Sans frais, sans perte de temps, la cour pourrait être établie à Malines le lendemain même de la promulgation de la loi qui fixerait le nouveau siège.

Les revenus publics ne doivent pas, messieurs, sans nécessité, être immolés à des magnificences publiques. C’est, suivant moi, une grande prodigalité que de vouloir élever des monuments dans une ville, sans urgence aucune, lorsqu’on peut trouver des locaux convenables dans d’autres cités. Le parti le plus sage serait, il me semble, de se borner, à Bruxelles, aux réparations indispensable au palais de justice actuel, et d’éloigner la cour de cassation, éloignement désiré même par un grand nombre de conseillers.

Je n’entrerai pas pour le moment dans de plus grands détails, car il suffit de soulever une question dans cette enceinte pour la faire soudainement approfondir.

Je m’oppose donc à l’allocation demandée.

M. Verhaegen. - Je craindrais encore, messieurs, d’élever la voix dans cette enceinte, parce qu’il est question de Bruxelles ; mais, enfin, il faut bien que, dans l’intérêt général, nous répondions aux objections qui ont été faites par les préopinants. S’il n’était question dans l’occurrence que de la capitale, s’il ne s’agissait, comme on veut le faire croire, que de l’embellissement de la capitale, s’il ne s’agissait que de conserver à la capitale ce qui s’y trouve, si d’autres considérations d’intérêt général ne venaient pas à propos dans l’occurrence, encore faudrait-il que je prisse la défense de la capitale, puisque je ne viendrais pas réclamer pour elle une faveur, et que je ne ferais que la défendre contre des attaques qui ne sont que trop fréquentes. Il est temps enfin de dire toute ma pensée. Il semble, messieurs, que l’on veuille ici en Belgique tout le contraire de ce que l’on veut dans d’autres pays ; dans d’autres pays, messieurs, on comprend que sans capitale il n’y a pas de nationalité, et de ce qu’en Belgique on ne veut pas de capitale, je suis autorisé à dire qu’on ne veut pas de nationalité.

Messieurs, quand on enlève à Bruxelles un établissement qu’elle possède, il faut que les députés de Bruxelles ne fassent pas d’observations, il faut qu’ils se résignent. Dernièrement pour l’école militaire, qui était à Bruxelles, on l’a placée à Gand ; aujourd’hui il s’agit de la cour de cassation, on veut la placer à Malines : car c’est ainsi, messieurs, que se résume et le discours de M. Rodenbach et tout ce que les honorables collègues ont dit avant lui. L’honorable M. Rodenbach a été jusqu’à dire qu’il était d’un intérêt constitutionnel bien entendu d’éloigner la cour de cassation de la capitale où siège le gouvernement, parce qu’il faut soustraire ce corps judiciaire à l’influence du gouvernement ; si la cour de cassation n’était pas à l’abri de toute influence, je dirais, à mon tour, messieurs, qu’on veut la placer sous l’influence d’un autre pouvoir, qu’on ne veut la retirer de la capitale que pour la placer au foyer de l’opinion que nous connaissons.

M. C. Rodenbach. - Je demande à répondre à l’insinuation de l’honorable préopinant qui se pose derechef homme de parti, et porte indirectement atteinte à la constitution. Car, ce qu’il y a d’admirable dans notre constitution, c’est qu’elle a séparé entièrement le pouvoir spirituel, auquel le préopinant a fait allusion, du pouvoir temporel. Le pouvoir signalé ne peut donc exercer aucune influence sur un corps judiciaire quelconque. Ces reproches d’empiétements sont absurdes.

M. Verhaegen. - S’il y a ici une observation absurde, c’est bien celle de l’honorable préopinant, qui prétend que le gouvernement pourrait exercer de l’influence sur la cour de cassation ; s’il y a ici une insinuation malveillante, c’est celle que s’est permise l’honorable membre ; je n’ai fait que répondre à ses attaques, la chambre me rendra cette justice.

On a dit, messieurs, que la Belgique est à peine régénérée et qu’on veut tout démolir, qu’on veut faire des constructions somptueuses ; on a ajouté que la Belgique devrait aux constructions sa ruine ; on a même fait la comparaison de ce qui se passe sous nos yeux avec ce qui se passait sous le règne de Louis XIV. Je voudrais bien que l’honorable préopinant qui a tenu ce langage, voulût m’indiquer quelles sont les constructions somptueuses qui ont été faites jusqu’à présent ; où sont-elles donc ? Nulle part, messieurs, il n’y a que des assertions, dont pas un mot n’est vrai. Jusqu’à présent on n’a rien démoli, on n’a rien construit, il n’y a pas de constructions somptueuses, il n’y a rien.

Si je voulais entrer dans des considérations locales, je demanderais, messieurs, si bientôt on ne considérera pas aussi comme une faveur pour la capitale la possession de l’école vétérinaire, et si l’on ne songe pas encore à transférer cet établissement ailleurs, car on enlève successivement à la capitale tout ce qu’elle possède : mais je ne veux pas faire valoir ces considérations d’intérêt local, je ne veux m’occuper que des intérêts généraux.

Faut-il un palais pour la cour de cassation ? Voilà, messieurs, la première question qui se présente. Eh bien, vous avez reconnu vous-mêmes la nécessité d’une semblable construction, et je pense que les observations que l’honorable ministre de la justice a fait valoir à cet égard, n’ont été détruites par aucun des préopinants ; c’est revenir sur un premier vote que de mettre aujourd’hui en question ce qui a été décidé par la chambre, c’est-à-dire qu’il faut un palais pour la cour de cassation ; le pouvoir législatif a également décidé que ce palais doit être à Bruxelles, ce qui, soit dit en passant, décide la question que l’honorable M. Rodenbach a voulu soumettre à la chambre : c’est un point définitivement arrêté, il ne s’agit plus d’y revenir.

La cour de cassation doit donc rester à Bruxelles, et la cour de cassation doit avoir un palais. Maintenant, dans le projet du ministère, pour la première fois depuis la révolution, on propose de faire quelque chose de bon, quelque chose d’utile, quelque chose qui soit digne du gouvernement, et on vous propose de le faire dans la capitale. C’est la première chose d’utile et de grand que l’on propose de faire dans la capitale. On s’y oppose ; et pour quels motifs ?

« Si la chose est utile, dit-on, elle n’est pas indispensable ; déjà l’on a fait des dépenses considérables dans d’autres genres, les budgets en offrent la preuve ; le budget de la guerre nous enlève des millions ; le chemin de fer nous enlève des sommes considérables ; on fait un palais de justice ; attendez au moins que celui-ci soit achevé et vous verrez alors ce que vous ferez pour Bruxelles. »

Ce sont donc là les grandes constructions dont on a parlé, et c’est pour ces grandes constructions qu’il faut arrêter ce que nos adversaires eux-mêmes regardent comme utile et ce que nous trouvons, nous, être indispensable !

L’honorable M. Desmanet de Biesme a dit que pour la cour d’appel et les tribunaux les bâtiments actuels sont suffisants, et que ces bâtiments sont très solides ; j’aime croire que l’honorable M. Desmanet ne connaît pas les localités, car ces assertions sont tout à fait inexactes ; l’honorable membre et M. Dumortier après lui ont ajouté que le palais de justice actuel est pour ainsi dire un bâtiment tout neuf, qu’il a été entièrement reconstruit il y a 15 ans, et qu’au moyen de quelques petites dépenses on pourrait faire de ce local tout ce qui est nécessaire pour l’administration de la justice. Ici, messieurs, je suis plus compétent que quiconque pour apprécier les raisons données par ces honorables préopinants, et je ne crains pas de soumettre tout ce que je vais avoir l’honneur de vous dire, à l’enquête la plus rigoureuse : ce superbe palais, construit il y a 15 ans, voulez-vous savoir ce que c’est ? C’était un hôpital, et, sous l’ancien gouvernement, on a mis la justice à l’hôpital ; on a fait quelques faibles dépenses pour approprier les salles où se trouvaient les malades et les mettre en état de recevoir la magistrature. Voilà, messieurs, le palais dans lequel se trouvent la cour de cassation et la cour d’appel.

Un honorable préopinant a dit qu’il ne manque à la cour de cassation qu’une chambre. La cour de cassation, messieurs, a deux sections et la cour de cassation n’a pas seulement la moitié des places qui sont nécessaires pour une section. Quant à la cour d’appel, messieurs, elle est misérablement logée : la cour d’appel a maintenant trois chambres civiles, une chambre correctionnelle et une chambre de mise en accusation ; eh bien, messieurs, la cour d’appel n’a pas assez de locaux pour loger 2 chambres ; il faut que 4 chambres prennent alternativement les locaux l’une de l’autre, de manière que les conseillers sont dans l’impossibilité de délibérer lorsqu’ils le devraient, et le service en souffre beaucoup. J’en appelle, messieurs, à quiconque connaît les localités, et je demande s’il est possible de soutenir que dans cet ancien hôpital on puisse placer convenablement la cour de cassation et les cinq chambres de la cour d’appel, auxquelles il faudrait encore ajouter la cour d’assises, qui est maintenant placée dans un autre local et qu’il conviendrait de placer dans le même local que les autres cours et tribunaux. Je n’ai pas encore parlé du tribunal de première instance dont les deux chambres se trouvent dans le local de la cour d’appel. Ce local, qui est si bon, qui est si nouvellement construit, qui est si favorable. Eh bien, messieurs, la deuxième chambre du tribunal de première instance (je le dis d’après mon expérience, puisque je m’y trouve deux ou trois fois par semaine), la deuxième chambre du tribunal de première instance n’est pas seulement à l’abri du vent et de la pluie, la pluie y tombe par torrents, et les juges sont quelquefois obligés de quitter leurs sièges ; je défie quiconque de me donner un démenti sur ce point, car le fait est constant ; la première chambre, qui siège dans la salle appelée La Rotonde, est dans la même position.

Les juges ont été en maintes circonstances obligés de lever la séance, parce que la pluie tombait par le plafond. Voilà, messieurs, le palais de justice à Bruxelles.

Maintenant le gouvernement vous propose de réunir tout cela. Les divers intérêts ont été consultés. La province, pour certains coups de justice, devait contribuer, la province a contribué ; la ville devait contribuer également pour les justices de paix et les tribunaux de police ; et quelle que fût sa détresse, la ville de Bruxelles a contribué pour une part plus large qu’on ne pourrait l’espérer. Car, messieurs, si vous fixez votre attention sur la quote-part de Bruxelles, et si vous réfléchissez à tous les cours de justice qui doivent être comprises dans ce palais général, vous aurez la conviction que Bruxelles fait beaucoup plus qu’on ne pourrait proportionnellement exiger d’elle.

Et c’est cependant cette ville qui se trouve dans la position la plus critique. On vous en disait un mot hier, et nous serons obligés plus tard de fixer votre attention sur sa détresse, quand il s’agira ultérieurement de fixer son sort. Bruxelles, messieurs, a été l’objet de toutes les catastrophes de la révolution, et c’est à titre de capitale qu’elle a dû subir tous ces événements qui ont amené sa ruine.

Et néanmoins l’on semble s’attacher à vouloir lui ôter tout ce qui pourrait le dédommager de ses pertes et lui donner un peu de considération comme capitale. S’agit-il de quelque avantage, on s’empresse de le lui retirer ; mais s’agit-il de charges, on a bien soin de les maintenir.

La position de la ville de Bruxelles est telle que depuis longtemps nous aurions fixé votre attention à cet égard, si nous n’avions craint de rencontrer cette opposition qui ne cesse de se manifester contre la capitale, car chaque fois que nous prenons la parole, on semble vouloir dire : ah ! il s’agit encore des intérêts de la ville de Bruxelles. Mais encore une fois si vous voulez une nationalité, veuillez au moins une capitale.

Maintenant que le projet du gouvernement réunit tous les corps de justice dans un seul local, tout le monde ne trouve-il pas son avantage ? Le gouvernement lui-même n’y trouvera-t-il pas son avantage à cet établissement ? L’on veut temporiser, et voilà où se réduit la proposition de M. Dumortier. C’est encore un ajournement, et quel doit être le résultat de cet ajournement ? De faire des dépenses pour réparer d’abord le local de la cour d’appel de Bruxelles ; ajoutez-y une aile pour la cour de cassation, et vous allez être entraînés dans une dépense de plusieurs centaines de mille francs ; car, quelle que soit l’économie qu’on puisse y mettre, il faut cependant bien que l’on paie en proportion de ce qu’on veut avoir. Et toutes ces dépenses vont se faire, en attendant que l’on puisse donner son opinion sur le projet actuel du gouvernement, et en attendant surtout qu’on ait examiné si l’on ne pourrait pas placer le siège de la cour de la cour de cassation à Malines ; car voilà en dernière analyse, en quoi se résume la question.

Messieurs, il est de l’intérêt général, et c’est une considération qui mérite de fixer votre attention, que tous les corps de justice soient réunis dans un seul local. Si vous donnez un local spécial à la cour de cassation, cette séparation présentera des inconvénients graves. L’intérêt même des justiciables exige que tous les corps de justice soient réunis dans un même local. En effet, les avocats attachés au barreau de cassation, plaidant également devant les cours d’appel, il en résultera que, si les locaux sont séparés, les remises des causes seront trop fréquentes ; l’intérêt des justiciables et l’intérêt général en souffriront. Il est donc dans l’ordre d’une bonne justice que tous les corps judiciaires soient réunis dans le même bâtiment.

Maintenant qu’on a démontré l’utilité, la nécessité même de l’établissement d’un seul palais de justice, il ne reste plus qu’à examiner si les propositions ministérielles méritent votre assentiment. A cet égard, M. le ministre de la justice est entré dans des considérations qui ne peuvent souffrir aucune contradiction.

Nous n’avons pas sur ce point des connaissances spéciales, et nous nous garderons bien de suivre l’honorable M. Dumortier dans les objections qu’il a faites à cet égard. Ce sera au ministre de la justice à lui répondre, s’il le juge à propos.

Quant à moi, j’ai rempli la tâche que je m’étais imposée en ce qui concerne les intérêts de la capitale, s’ils pouvaient être mis en question ; je m’en suis expliqué franchement ; je me suis expliqué de même à l’égard de ceux qui proposent l’établissement de la cour de cassation à Malines ; j’ai également relevé avec franchise quelques paroles de l’honorable M. Rodenbach, et si la manière dont je lui ai répondu a paru lui être désagréable, vous reconnaîtrez, messieurs, que j’étais dans le cas de la légitime défense.

J’ai voulu vous dire une fois pour toutes ce qu’était la capitale et vous signaler l’esprit qui paraît dominer au moins quelques membres de cette chambre, lorsqu’il s’agit de la ville de Bruxelles. Abandonnant les intérêts de la capitale, et ayant en vue l’intérêt général, j’ai démontré que le palais de la cour de cassation est indispensable ; j’ai prouvé que la réunion de toutes les cours judiciaires dans un même local est dans l’intérêt de tous, et notamment des justiciables ; que le gouvernement, la province, tous enfin doivent y gagner.

Il ne s’agit pas des constructions somptueuses, majestueuses dont a parlé l’honorable M. Dumortier ; nous ne voulons pas élever à Bruxelles des édifices à la Louis XIV ; ce que nous voulons, c’est un bâtiment simple, utile, indispensable ; c’est la première construction que nous demandons, et, sous ce rapport, ce sera probablement la dernière.

M. de Perceval. - Mon honorable ami M. Rodenbach ayant développé les motifs pour lesquels il y aurait plusieurs avantages pour le pays à ce que la cour de cassation soit établie à Malines, je n’ajouterais que quelques considérations pour engager la chambre à apprécier que la ville de Malines, autrefois siège d’un conseil souverain pour tout le pays, siège dont elle a été en possession pendant des siècles et dont le pays tout entier se faisait orgueil, a des droits incontestable pour revendiquer que cette cour y soit rétablie. Dans le moment actuel l’occasion se présente de faire droit à cette juste réclamation et de lui donner une compensation de cette perte. j’espère que l’assemblée voudra y avoir égard, d’autant plus que la ville de Malines, placée au centre de toutes les communications du royaume, présente de grands avantages : elle possède des locaux vastes et très convenables pour y établir la cour de cassation ; en outre je puis assurer la chambre que le conseil communal est très disposé à faire exécuter, à ses frais, des constructions nouvelles pour l’établissement de cette cour, et ne reculera pas devant les plus grands sacrifices.

M. Pollénus. - Comme le rapporteur, ni aucun membre de la section centrale n’a encore pris la parole, je demande que la discussion soit renvoyée à demain. (Appuyé !)

La séance est levée à quatre heures et trois quarts.