(Moniteur belge n°311, du 7 novembre 1837)
(Présidence de M. Raikem.)
M. B. Dubus procède à l’appel nominal à une heure.
M. de Renesse donne lecture du procès-verbal de la séance d’avant-hier, dont la rédaction est adoptée.
M. B. Dubus fait connaître l’analyse des pièces suivantes adressées à la chambre.
« Le sieur Legrand, Gand, adresse des observations sur le projet de loi relatif aux modifications an tarif des douanes, en ce qui concerne les tulles. »
« Le sieur J.-J.-C. Vansnick, à Bruxelles, copropriétaire des poudres qui ont été détruites au mois d’août 1830, demande le paiement de l’indemnité qui lui revient de ce chef. »
« Le sieur C. Willems demande la discussion du projet de loi sur le sel, comme pouvant procurer un dégrèvement annuel de quatre millions de francs avec bénéfice pour le trésor, sans léser aucun intérêt licite. »
La dame Marie-Joseph Montigny, épouse du sieur Smette-Drion, réclame l’intervention de la chambre pour que son mari, engagé au 8ème régiment sans son consentement, soit congédié du service. »
- La pétition relative aux tulles sera déposée sur le bureau pendant la discussion du projet de loi tendant à modifier certains articles du tarir des douanes ; les autres pétitions sont renvoyées à la commission des pétitions.
M. Angillis, admis dans une précédente séance, prête serment.
M. le président. - La parole est à M. Liedts, pour un rapport.
M. Liedts, rapporteur de la section centrale chargée de l’examen du budget de la justice. - Messieurs, à la séance du 19 octobre dernier, M. le ministre de la justice vous présenta deux projets de loi qui furent renvoyés à la section centrale chargée de l’examen du budget de ce ministère pour l’exercice 1838.
Par le premier de ces projets, M. le ministre demanda un supplément de crédit de 500,000 fr. au budget de 1837. Ce supplément de crédit est destiné à couvrir les dépenses des ateliers des prisons centrales.
Le crédit primitif réclamé par M. le ministre et voté par la législature n’était que d’un million. Mais deux circonstances principales, dont il était impossible de tenir compte lorsque le budget fut présenté, ont eu pour résultat de rendre ce crédit insuffisant.
La première, c’est l’augmentation successive de l’armée par l’arrivée du général Willmar au ministère de la guerre. Ce renforcement de l’armée fit naître naturellement un plus grand besoin d’effets d’équipement et d’habillement que celui qui avait été prévu. Et comme ces objets sont fabriqués et confectionnés dans les prisons centrales, l’allocation portée au budget pour l’achat des matières premières devint insuffisante.
Une autre circonstance qui a fait dépasser les évaluations du budget, c’est que le gouvernement a été obligé de transférer dans la prison centrale de Vilvorde un grand nombre des détenus de la catégorie de ceux qui se trouvent à Alost. Cette translation, nécessitée par l’insuffisance de la prison d’Alost, est venue augmenter à Vilvorde le nombre des travailleurs, et par conséquent les dépenses à faire pour leur procurer du travail.
Votre section centrale, messieurs, déterminée par ces motifs, vous propose, à l’unanimité, l’adoption du projet de loi. Ces conclusions, pensons-nous, rencontreront d’autant moins d’opposition que le crédit demandé n’est évidemment qu’une avance dont les heureux résultats ne se bornent pas seulement à procurer aux prisonniers une occupation utile, mais donnent encore à l’Etat un bénéfice réel, bénéfice qui s’est élevé, pour l’exercice 1836, à 124,327 fr. 94 c .
Le second projet de loi, présenté par M. le ministre de la justice, a pour but de l’autoriser à faire deux transferts au budget de l’exercice 1836. L’article 5, chapitre II de ce budget, relatif aux dépenses des tribunaux de première instance et de commerce, offre un excédant de crédit que le ministre demande à pouvoir transférer, savoir : 12,000 fr. au chapitre IV du même budget, et 6,100 fr. à l’article 2, chapitre VI dudit budget. Le chap. IV se rapporte aux frais de justice. L’allocation, basée sur les dépenses des années antérieures, était de 350,000 fr., mais différents faits sont venus détruire les prévisions du budget.
Ces faits sont énumérés dans l’exposé des motifs du projet de loi ; votre section centrale, messieurs, en a reconnu toute la justesse ; il lui a donc paru superflu de les reproduire ici, et elle vous propose à l’unanimité d’autoriser ce premier transfert.
Le second transfert concerne le Moniteur ; l’allocation pour’ 1836 était fixée à 58,000 fr., mais la longueur de nos séances, la nécessité de reproduire toutes les impressions officielles de la chambre, et la distribution de ce journal à un plus grand nombre de fonctionnaires publics, ont amené dans les frais de timbre, d’affranchissement, d’impression et de matériel, un surcroît de dépenses tel que le chiffre s’est rapproché de la somme allouée de ce chef pour 1837.
La dépense étant suffisamment justifiée aux yeux de votre section centrale, nous avons l’honneur de vous proposer aussi l’adoption de ce transfert.
- La chambre ordonne l’insertion de ce rapport au Moniteur et fixe à demain la discussion des deux projets de loi qui en font l’objet.
M. le président. - Nous en étions arrivés aux amendements de MM. Demonceau, Lardinois et Metz, relatifs aux tissus de laine autres que les draps. casimirs et leurs similaires.
M. le ministre des finances a proposé l’ajournement de ces amendements.
La discussion continue sur cette proposition.
M. Demonceau. - Messieurs, la discussion à laquelle nous nous sommes livrés depuis environ 10 jours et surtout dans les deux dernières séances, m’ont fait faire bien des réflexions. J’avais déposé un amendement qui avait pour but de protéger toutes les industries de la Belgique. Cci amendement a dû être compris, car je l’ai expliqué le jour où la chambre a voté la levée de la prohibition ; il avait pour but de comprendre tous les tissus de laine en général et de les ranger dans la même catégorie. J’avais l’intention de protéger l’industrie belge par un droit suffisant et non par un droit illusoire tel que celui qui se trouve porté dans notre tarif. Je voulais aussi mettre notre industrie à l’abri de cette prime que la France accorde sur tous les tissus de laine en général. J’ai développé cette proposition ; ce qui prouve qu’on a compris mon amendement, c’est l’insistance qu’on met à en éviter la mise en discussion. Je me trouve dans une position assez embarrassante. Après avoir eu à combattre le système soutenu par les défenseurs du gouvernement, j’ai eu à les combattre pour soutenir le ministère contre ceux qui l’avaient d’abord soutenu ; et me voilà encore obligé de rentrer en lice pour combattre ceux que j’ai déjà combattus. Ma position est difficile, mais elle est la conséquence nécessaire du système que j’ai adopté en prenant part à la discussion.
Pour prouver que mon amendement ne devait pas avoir effet, on a soutenu que les industries qu’il a pour but de protéger n’étaient pas connues en Belgique. Je puis assurer que, sans sortir de la province de Liége. je puis trouver de quoi fournir à la consommation de toutes les étoffes dont il est question dans mon amendement. Quand j’ai dit que la Belgique pouvait suffire à sa consommation, je n’ai rien avancé que d’exact. Cette industrie ne jouit d’aucune protection ; car on ne peut considérer comme une protection le droit de 2 ou 3 p. e. dont sont frappés les flanelles et mérinos étrangers. J’ai vu avec plaisir un honorable collègue qui a voté pour la levée de la prohibition être d’accord avec moi sur l’amendement dont il s’agit. Il a reconnu qu’en principe mon amendement était juste.
Vous savez que cet amendement a aussi pour but d’atteindre la prime que la France accorde à l’exportation des tissus dont il s’agit. Mais vous savez aussi que l’honorable M. Smits, dont l’opinion doit faire autorité en pareille matière, est encore convaincu qu’en France il n’existe pas ce que j’appelle prime. Rappelez-vous ce que dans une séance précédente l’honorable M. Lebeau lui-même disait dans cette enceinte. La prime de sortie, disait M. Lebeau, est-elle une prime d’encouragement ou une prime de restitution ? M. Lebeau fut forcé de reconnaître avec moi que, d’après la législation française qu’il avait examinée comme je l’avais fait moi-même, cette prime de restitution avait fini par se convertir en une prime de compensation. Moi, je l’appelle une prime d’encouragement, une prime d’exportation.
Je persiste à dire, et en cela je suis d’accord avec M. Lebeau, qu’on paie la prime à la valeur donnée aux fils et tissus, sans exiger la représentation des quittances des droits payés ; que la prime se paie sur tous les tissus, qu’ils aient été confectionnés avec de la laine étrangère ou de la laine indigène. et cette prime je l’appelle prime d’exportation. Cette dénomination de prime de compensation est non-légale, mais vous savez aussi quels en sont les effets. M. Lebeau lui-même est encore à cet égard de mon avis, car voici ses paroles :
« Qu’il y ait abus et qu’un abus existe encore relativement à cette prime de compensation, c’est ce dont je suis convaincu. » Mais ici, messieurs, M. Lebeau se sépare de moi pour dire que de ma part il y a eu exagération sur ce point. M. Lebeau, dont vous avez dû admirer la prudente réserve dans cette circonstance, a eu soin de ne rien dire de mes calculs. Je dois croire qu’il les a examinés ; car, comme je l’avais fait, il avait examiné la législation, et c’était pour me combattre s’il y avait trouvé moyen.
M. Smits, qui est moins adroit que M. Lebeau et plus difficile à convaincre, sur le point légal est parfaitement d’accord avec moi. Interpellé par l’honorable M. Gendebien, il a voulu combattre mes chiffres.
Voyons s’il a été assez heureux pour atteindre la tâche qu’il s’était imposée. Vous vous rappelez que pour prouver l’abus qu’on faisait de la loi française, j’avais produit des calculs reconnus exacts par les organes du gouvernement français.
Les ministres français, avais-je dit, ont reconnu que 1,800,000 kilogrammes de tissus avaient obtenu du trésor une prétendue restitution qui s’était élevée à 4,120,00 fr. Ils ont avoué que 9,400,000 kil. de laine, au contraire, n’avaient produit au trésor à l’entrée qu’une somme de 4,750,000 fr. et qu’ainsi, pour 7,000,000 de kil. de laine non exportés, il n’était resté au trésor que 630,000 fr.
Pour arriver à un pareil résultat, avais-je dit, il a fallu donner pour valeur aux tissus le chiffre énorme de 45,800,000 fr. Pour la laine, au contraire, il a été nécessaire de réduire la valeur des 9,400,000 kil. importés, à la somme modique de 21.200,000 fr. Différence : 24,200,000 fr.
J’avais donc tiré pour conséquence juste et inévitable de ce fait incontestable, que la législation autorisait l’atténuation de la valeur de la laine à l’entrée et l’exagération de la valeur à la sortie ; et que fait maintenant M. Smits ? Il reconnaît que, lorsque j’ai dit qu’il avait fallu donner à 1,800,000 kil. de tissus exportés une valeur de 45,800,000 fr., je n’ai rien exagéré ; cette valeur a donc pu être donnée aux tissus sans inconvénient pour les fabricants. Qu’importe maintenant, pour le fait d’exagération de valeur en 1834, que ceux qui blâmaient la loi aient été en minorité dans la chambre des députés de France ! Le fait avoué par le ministère est-il pour cela altéré le moins du monde ? Non, il reste et restera toujours fait vrai. Qu’importe aussi que le fabricant français supporte plus ou moins de hausse par suite du droit établi sur la laine, si ce fabricant reçoit la prime de compensation sur ce surcroît de dépenses comme sur la matière première et tout ce que l’on peut ranger dans ce qu’il débourse pour matières tinctoriales et huile, etc. ! La valeur sur laquelle il perçoit la prime n’est-elle pas calculée valeur en fabrique et au comptant, c’est-à-dire au prix non seulement de revient, mais du commerce, au prix enfin que le fabricant estime sa marchandise, tous ses bénéfices compris ? Que ce soit du drap, du casimir ou des étoffes, peu importe ! Aussi il est de fait que la prime est supérieure au droit, et je le prouverai tantôt.
L’honorable M. Smits m’a ramené sur un terrain qu’il aurait bien fait de ne pas toucher ; je vais donc essayer de le convaincre, et je dois l’espérer, moi qui suis parvenu à satisfaire, en grande partie, M. Lebeau : vous vous souvenez que ce dernier a aussi reproduit les paroles sorties de la bouche de M. Duchâtel, et dont j’avais cru devoir faire extrait à l’appui de l’opinion que j’avais défendue lors du premier vote. « Le trésor, disait-il, n’y perd pas, car on ne restitue pas tout le droit perçu, on reste plutôt en dessus qu’en dessous du calcul. »
Eh bien, j’ai cherché à m’assurer si en effet le trésor, ainsi que l’avançait en 1836 M. Duchâtel, n’y perdait pas ; et voici ce que j’ai trouvé et que je me permets de mettre sous les yeux de la chambre, du ministère et de l’honorable M. Smits lui-même, pour que chacun sache à quoi s’en tenir.
J’ai consulté le tableau des exportations publié par le gouvernement français pour la même année 1834. Car, pour ne pas confondre, il faut rester dans la même année. Voici ce que j ‘ai trouvé :
Exportations de 1834.
Il a été exporté en tissus seulement, divisés comme suit (évaluation moyenne) :
1° Draps, 1.015,975 kil., évalués à fr. 27,431,325 27 c.
2° Casimirs, 186,297 kil., évalués à fr. 8,755,959 47 c.
3° Etoffes, 175,284 kil., évalués à fr. 4,557,384 26 c.
Total, 1,377,556 kil., évalués ensemble à fr. 10,744,668.
Et cette valeur ayant dû servir de base pour la restitution de la prime qui, d’après M. Smits, était pour l’année 1834 de 13 p. c. à la valeur, il en résulte que le trésor français a dû restituer fr. 5,296,806 84 c.
Les discussions qui out en lieu en avril 1836 devant la chambre des députés de France, établissant comme fait reconnu vrai par les organes du gouvernement que les droits à l’entrée sur la laine avaient produit la somme de fr. 4,750,000. Il y aurait donc en restitution en plus, et par suite perte pour le trésor, de fr. 546,806 84 c.
Sur les trois catégories ci-dessus seulement, l’abus vous est-il maintenant mieux démontré ?
Ce calcul, je l’ai fait d’après la base me donnée par M. Smits lui-même, savoir 13 p. c. pour restitution. M. Smits m’ayant fait connaître que pour l’année 1334 la prime était de 13 p. c. prouve-t-il que j’ai exagéré l’abus qui a été fait de la loi pendant ladite année ? Non, mais il prouve une chose, il prouve que lors de la discussion sur la partie du tarif relative aux primes, le gouvernement français, ou du moins ses organes à la chambre des députés de France, disaient en 1836 que le trésor n’y perdait pas, qu’on ne restituait pas tout le droit, parce qu’enfin on restait plutôt au-dessus qu’au-dessous des calculs ; il prouve, dis-je, que le gouvernement tenait ce langage pour faire passer la loi sur les primes et satisfaire ainsi les exigences des industriels français.
Je tenais, messieurs, à ce qu’il fût établi un droit sur les tissus de laine de France ; car vous devez reconnaître qu’il y a injustice dans le tarif français en ce qu’il prohibe entièrement nos draps, nos casimirs et nos tissus de laine, tandis que nous ne prohibons que les casimirs de France. Ses tissus de laine entrent en Belgique.
St vous n’adoptez pas ma proposition, il en résulte que les négociants français restitueront au gouvernement belge la prime sur les draps et les casimirs et n’auront pas besoin de restituer la prime sur les tissus de laine. Vous voyez donc de quelle importance est mon amendement.
Je comprends cette importance, et c’est pour cela que j’insiste ; cependant je vous avoue que si le ministère et ceux qui défendent son système ayant pour but l’ajournement disaient que l’ajournement a pour but l’instruction et l’examen de la question, alors je déclarerais peut-être que je puis y consentir ; mais si c’est un rejet qu’on veut avoir sous la forme de l’ajournement, je demande qu’il soit statué immédiatement sur mon amendement.
Le ministère dit que la chambre n’est pas à même de discuter, d’examiner mon amendement. Je ne veux pas dire qu’il est en mesure de donner à la chambre tous les documents propres à la satisfaire, quoique je sache ; si mes renseignements sont exacts, qu’il existe au ministère des échantillons de toutes les étoffes dont j’ai parlé dans mon amendement, échantillons remis par la chambre de commerce de Verviers.
Je demande donc qu’on veuille bien expliquer de quelle manière on entend l’ajournement. Entend-on l’ajournement défini de manière ce que l’on s’occupe de l’examen de la question ? Dans ce cas je déclare que j’y consens ; mais qu’on le sache bien, il faut que ma proposition soit discutée, examinée et rejetée s’il le faut, avant le vote de la loi, si toutefois vote il y a.
Puisque j’ai la parole, je me permettrai de faire à la chambre et surtout au ministère une observation qui m’est suggérée par une observation faite dans la séance d’avant-hier sur l’amendement que nous venions d’adopter.
Il a dit : « Il est bien entendu que ce que nous avons voté ne sera mis à exécution qu’au moment où sera levée la prohibition. » J’ai cru entendre M. le ministre des finances accueillir pour bonne cette observation ; eh bien, je le dis au ministère, s’il adoptait ce système, je préférerais voir lever la prohibition aujourd’hui ; car aujourd’hui la crise qui est imminente en ce moment le sera bien plus en 1839, alors en sera certaine ; je vais m’expliquer : vous avez eu l’imprudence de dire aux fraudeurs français, contre mon opinion, qu’ils peuvent entre par mer et par la frontière prussienne ; c’est comme si vous invitiez les négociants français à faire entrer leurs produits per cette voie, moyennant 4 à 5 p. c., et à inonder la Belgique de ces produits d’ici au 1er janvier 1839, époque à laquelle ils auront à payer un droit de 10 p c. Ce ne sont pas seulement les négociants français, ce sont aussi les fabricants anglais, prussiens et ceux de tous les pays, que vous engagez ainsi à vous inonder de leurs produits.
Les droits seront triplés, a dit M. Devaux. Mais ne comprenez-vous pas que les fabricants étrangers auront bien soin d’inonder la Belgique de leurs produits d’ici au 31 décembre 1838 et amèneront ainsi une crise bien autrement effrayante que celle que vous craignez aujourd’hui ; car, je le répète, alors elle sera certaine. Je pense que quand vous aurez réfléchi, vous reculerez devant de pareilles conséquences. Je le répète, plutôt que d’admettre un pareil système, je préférerais qu’on prononçât la levée immédiate de la prohibition, ou qu’on autorisât le gouvernement à la prononcer quand il le jugera convenable.
J’engage donc le gouvernement à réfléchir sur ce point.
Je rappelle à M. le ministre des finances les principes qu’il a professés en matière d’impôts ; je lui rappelle que cheque fois qu’il s’est agi de changer un impôt, il a dit qu’il fallait la plus grande prudence, et que souvent le trésor restait 2, 3, 4 mois sans rien percevoir lorsqu’un changement de droit était annoncé quelque temps d’avance ; et ici vous donnez 18 mois aux négociants de tous les pays pour inonder la Belgique de leurs produits. Si vous l’entendez ainsi, vous compromettez plus que jamais l’industrie drapière.
Je pense donc que le ministère doit s’expliquer sur la manière dont il entend l’ajournement. S’il l’entend en ce sens qu’il faut examiner une question d’une haute importance pour le Belgique, Je consens à l’ajournement. Mais que l’on fixe une époque pour la discussion, de manière à obtenir une solution. Si on l’entend comme un rejet, ainsi qu’ont paru le faire quelques honorables membres, alors je ne puis accueillir la proposition d’ajournement.
M. le ministre de l’intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - Je pense que mon honorable collègue le ministre des finances s’est exprimé clairement sur la portée qu’il donne à sa proposition d’ajournement. Il a dit à la chambre qu’elle n’est pas assez éclairée pour statuer sur la proposition de M. Demonceau, mais que la levée de la prohibition ne devant avoir lieu que le 1er janvier 1839, d’ici là cette proposition pourrait être instruite et discutée de manière à prendre une décision en connaissance de cause. Ainsi, la proposition d’ajournement n’a d’autre but que de faire prendre à la chambre une décision plus mûre.
En ce qui concerne l’époque où seront introduites les modifications au tarif, il est évident que ce ne peut être qu’à l’époque de la levée de la prohibition . L’amendement de M. Dechamps n’a été présenté que comme compensation de la levée de la prohibition ; ainsi l’on ne peut tout à la fois maintenir la prohibition à l’égard de la France et jouir à l’égard des autres pays d’une augmentation de droits ; jamais l’amendement de M. Dechamps n’a été entendu autrement.
Si donc M. Demonceau pense qu’il est plus avantageux de mettre immédiatement à exécution le nouveau tarif et la levée de la prohibition, ou de laisser au gouvernement la faculté de rapprocher l’époque de la levée de la prohibition, il peut en faire la proposition sous la forme d’un article additionnel portant que le gouvernement sera néanmoins autorisé à lever la prohibition avant le 1er janvier 1839, mais à la condition de mettre à exécution le nouveau tarif.
M. Lebeau. - Messieurs, il serait bon de savoir, pour ne pas abuser des moments de la chambre (car je me propose de soutenir la proposition d’ajournement), si M. Lardinois partage l’opinion de M. Demonceau, lequel consent à ajourner son amendement selon les explications qui seront données par le ministre. Il serait bon de savoir également si M. Metz prend le même parti. Nous simplifierions les débats, si ces honorables membres partageaient l’opinion de M. Demonceau, car je suis prêt, dans ce cas, à faire le sacrifice des courtes observations que j’ai à faire pour soutenir la proposition d’ajournement.
M. Metz. - Je m’opposerai quant à moi à tout ajournement de la discussion de la question qui vous est soumise sur les tissus de laine ; je ne puis surtout approuver un ajournement aussi éloigné que celui qui est proposé par le ministère.
M. Lardinois. - Si j’ai bien compris l’honorable M. Demonceau. je crois qu’il consentirait à un ajournement défini ; quant à moi je me rallie à l’opinion de M. Metz ; je consentirai à l’ajournement de la question jusqu’au vote définitif. Mais je veux que les amendements soient discutés avant ce vote définitif, et non avant l’exécution de la loi.
M. Lebeau. - Alors, messieurs, je viens appuyer l’ajournement.
Nous avons, dit-on, porté un coup mortel à l’industrie des draps, industrie déjà si malade, industrie déjà si souffrante ; voyons donc, de bonne foi, ce que nous avons fait à l’égard de cette industrie.
Et d’abord, s’il était vrai que l’industrie drapière fût souffrante et exigeât des ménagements, je dirais que ces ménagements sont inscrits dans la loi, laquelle déclare que la levée de la prohibition n’aura lieu que dans un an.
Ensuite je demanderais, si l’industrie drapière est dans un tel état de souffrance, à quoi a servi jusqu’ici la prohibition ? Qu’attendez-vous donc pour l’avenir d’une mesure qui vous a si mal servi dans le passé ? Est-ce que la prohibition aura désormais un effet qu’elle n’a pas eu depuis douze ans ?
Est-ce qu’il est question de changer la prohibition existante ? d’y attacher l’estampille, la visite domiciliaire ?
M. Demonceau. - Non ! non !
M. Lebeau. - On ne demande aucun changement au mode de la prohibition existante ; or, la prohibition, telle qu’elle existe, est illusoire, sans effet ; c’est une autorité très compétente dans la question qui l’a dit, c’est la chambre de commerce de Verviers.
Vous nous reprochez d’avoir divulgué ici que la fraude se faisait de France en Belgique, soit directement, soit par la voie maritime, soit par la frontière de l’Allemagne : mais c’est la chambre de commerce de Verviers qui, la première, aurait commis cette imprudence, qui l’a écrit pour être imprimé ; et nos adversaires sont ses complices, car ils l’ont répété jusqu’à satiété dans le courant de la discussion de la loi cotonnière. Toutefois, rassurez-vous, il n’y a pas eu d’imprudence commise, car le commerce étranger sait très bien par quels moyens on peut éluder les prohibitions.
Pendant douze ans que la prohibition a été inscrite dans les lois, elle n’a dû produire aucun effet ; et si je suis disposé à croire qu’on a changé le tableau de la situation de l’industrie drapière, je veux bien admettre qu’elle souffre ; mais j’en trouverai une cause beaucoup plus naturelle ; cette cause, je la trouve dans la crise américaine qui a fait sentir son contrecoup en Angleterre, en France et en Belgique. Et je parle ici de l’Amérique du Nord avec raison, car il paraît reconnu que les exportations de Verviers vers ce pays avaient subi une progression considérable. Il n’est donc pas étonnant que l’industrie de Verviers souffre du contrecoup de la crise américaine qui s’est fait sentir dans toute l’Europe.
Maintenant voyons, la loi actuelle étant votée, en quoi la situation de l’industrie drapière sera changée. Empruntant le langage de la chambre de commerce de Verviers, et de ceux qui ont soutenu ses assertions, ii faudra dire que sous la législation actuelle l’industrie drapière n’est pas protégée du côté de la France, où l’on fraude moyennant une prime de 5 à 6 p. c. ; que les draps français sont fraudés au moyen du transit par l’Allemagne ; qu’ils le sont par la voie de mer ; que, pour les draps allemands et anglais, le droit est de 6 p. c. ; qu’il est perçu à la valeur, et qu’il peut, dans la pratique, se réduire à 4 p c ; qu’ainsi la prohibition n’est qu’illusoire sur la frontière du midi, et que sur le double frontière du nord le droit de 6 p c. descend jusqu’à 4 p c. par l’atténuation de la valeur dans la déclaration.
Telle est la situation véritable de l’industrie drapière sous la législation actuelle. Quelle est la situation que vous voulez lui faire ? Vous substituez à une prohibition, dont on se joue, un droit réel, un droit qu’il n’est pas possible de réduire par de fausses déclarations sur la valeur, puisqu’il se perçoit au poids et qu’il est uniforme.
Vous effacez les catégories de valeurs, ce qui est une amélioration de protection, non seulement contre la France, mais contre l’Allemagne et l’Angleterre, puisqu’il n’est plus possible d’atténuer les déclarations ; ainsi, le droit qui était de 6 p. c. à la valeur, et dans le pratique réduit à 4 p c., est porté, dans l’article adopté de 6 ¼ à 15 ½ p. c., et donne une moyenne de 10 p. c.
Pour les casimirs, le droit de 6 p. c (soit 4 p. c.) sera élevé de manière à donner une moyenne de 8 p. c.
De plus, vous convertissez en disposition législative une disposition purement ministérielle, et qui pouvait être modifiée par une autre disposition ministérielle, si l’honorable M. d’Huart quittait le banc qu’il occupe aujourd’hui de manière à mériter l’estime de la chambre. Voilà donc encore une amélioration, car c’en est une que de rendre définitive une disposition ministérielle susceptible d’être révoquée par un ministre qui ne partagerait point les opinions du ministre actuel.
Les similaires des draps et casimirs dont il est parlé dans la décision ministérielle, sont maintenant portés à un droit de 7 à 14 3/4 p. c., qui donne une moyenne de 10 p. c.
Enfin, la moyenne générale du nouveau droit sera d’environ 10 p.c., et j’ai déjà fait observer que de fausses déclarations sont impossibles, puisque le droit se perçoit au poids, et non par catégories de valeur.
Vous aurez remis la France dans le droit commun en frappant ses produits de 10 p. c., droit que vous pouvez espérer percevoir puisqu’il n’est pas exagéré.
Vous atteignez encore la prime de sortie, qui n’est pas, comme on l’a dit, de 13 p. c., mais qui a été fixée à 9 p. c. de la valeur en fabrique par la loi du 2 juillet 1836. Il arrivera qu’en combinant le montant de la prime avec le droit, vous aurez une protection contre les draps français de 15 à 19 p. c.
M. Demonceau. - On fraudera !
M. Lebeau. - Si l’on fraude, cela prouve que vous avez eu tort de soutenir l’amendement du ministre des finances pour l’accroissement du droit de tout le montant de la prime d’exportation.
Vous voyez qu’il faut un peu rabattre du tableau si sombre que l’on a tracé de l’avenir préparé à l’industrie drapière par le vote de la chambre. Les oraisons funèbres dont cette industrie a été si mal à propos l’objet doivent d’ailleurs inspirer un peu de méfiance, parce qu’elles ne sont pas désintéressées ; et ce qui le prouve, c’est qu’elles ont servi de passeport à la proposition faite par d’honorables députés, d’introduire des modifications au tarif sur les autres tissus de laine, modifications qu’on voudrait introduire incidemment contre tous les usages suivis par la chambre, dans une matière si délicate.
Comment ! messieurs, il s’agit d’un commerce dont l’importance est évaluée par l’honorable auteur d’un des amendements à 20 millions de francs, commerce légal, loyal ; et l’on nous fait à l’égard de ce commerce une proposition qui, quoiqu’on en ait qualifié l’objet de « très minime, » n’en a pas moins pour but de modifier complétement le tarif ; et l’on invite la chambre à déserter ses antécédents, à dévier de la marche que jusqu’ici elle s’est constamment prescrite dans les questions douanières, à voter d’emblée et par forme de fiche de consolation (puisque ce mot a été employé) un droit qui va jusqu’à 13 et même 15 p. c. d’après les uns, et 20 et 28 p. c. d’après les autres, sur des produits parmi lesquels (nous devons bien le reconnaître) il s’en trouve beaucoup que nous ne fabriquons pas ; car voilà, messieurs, le cercle vicieux dans lequel, tout en faisant des professions de foi libérales, roulent constamment nos adversaires : si une industrie n’existe pas, il faut la créer, et dès lors votons des droits protecteurs ; si une industrie est florissante, il faut bien se garder d’y toucher ; dès lors maintenons les droits qui la protègent ; quand une industrie dépérit, il faut non seulement maintenir les droits dont elle jouit, mais il faut encore les renforcer. Ainsi, messieurs, dans toutes les situations possibles, il faut des droits protecteurs, et les professions de foi libérales n’engagent absolument à rien.
Remarquez, messieurs, que ceux qui proposent ici une majoration dont la chambre n’est pas en ce moment à même de calculer la portée, sont précisément ceux qui, en faveur de l’industrie drapière, ont invoqué les droits acquis. Quels sont donc les droits acquis des industries que vous voulez protéger ? De votre aveu, ces industries sont à créer ; à peine si quelques-unes sont naissantes, si elles ont acquis quelque importance. C’est surtout pour créer que vous voulez élever les droits ! Vous ne pouvez donc pas invoquer ici les droits acquis sur lesquels vous vous êtes appuyés relativement aux draps. En vérité, messieurs, il semble que ce soit pour le seul plaisir de faire du prohibitif, de faire du rétrograde, que l’on propose les amendements dont nous nous occupons en ce moment.
Qu’a fait la chambre lorsqu’il s’est agi du projet de loi sur les cotons ? Elle en a renvoyé l’examen à sa commission d’industrie et de commerce, en l’invitant à entendre les intéressés. La chambre voulut connaître l’opinion des chambres de commerce du royaume.
Qu’a fait la chambre lorsqu’elle a été saisie du projet de loi qui est maintenant soumis à vos délibérations ? Elle a institué une vaste enquête : tous les intéressés ont été entendus, le droit de pétition a pu s’exercer dans la plus large mesure, tous les intérêts contradictoires ont été pesés.
Voilà, messieurs, comme la chambre s’est conduite dans une circonstance analogue. Lorsqu’il s’est agi de la loi actuelle, le ministère s’était aussi environné de renseignements ; mais on n’a pas cru le ministère ; on a demandé le renvoi à toutes les chambres de commerce du royaume ; et aujourd’hui, lorsqu’il s’agit de relations commerciales dont l’importance, de l’aveu de nos adversaires, est de plus de 20 millions de francs, on irait ainsi, à l’improviste, incidemment, sans lumière aucune, sans enquête, sans pétitions, sans avoir entendu une seule des maisons de commerce intéressées, frapper en aveugle et sans connaître la gravité des coups qu’on veut porter ! Et ne croyez pas, messieurs, que dans huit ou dix jours vous serez plus éclairés qu’aujourd’hui : ce n’est pas en si peu de temps que vous pourrez vous procurer les renseignements dont vous avez besoin ; dans 8 ou 10 jours vous frapperiez en aveugles tout comme aujourd’hui.
Si nos adversaires croient que leur proposition est fondée, que l’intérêt de l’industrie indigène en exige l’adoption ; s’ils trouvent dans la prime d’exportation sur les tissus de laine français un argument plausible pour leur projet ; s’ils pensent qu’il faut sacrifier à quelques industries de peu d’importance encore, le commerce de plusieurs de nos grandes villes, ils sont parfaitement maîtres de saisir la chambre d’un projet de loi ; ils ont l’initiative, qu’ils en usent, qu’ils déposent aujourd’hui même un projet de loi, et il est impossible que la chambre en décline l’examen. Je ne vois donc pas pourquoi l’on insiste tant, lorsqu’on trouve dans le règlement un moyen régulier de saisir la chambre.
M. Lardinois. - La chambre est saisie.
M. Lebeau. - Il est impossible que la chambre soit saisie sans renier les principes de prudence, les principes d’équité envers tous les intérêts, qui l’ont constamment guidée ; la chambre ne peut pas donner suite aux amendements, tels qu’ils ont été présentés.
Je voterai donc l’ajournement, parce qu’il est impossible que, dans l’état actuel de la discussion, la chambre puisse, sans la plus grande imprudence, s’occuper des amendements dont il s’agit.
M. A. Rodenbach. - Je pense, messieurs, que l’industrie des tissus de laine a besoin de protection ; je crois que cette protection est d’autant plus nécessaire que d’après les documents officiels qui ont été cités par un honorable député de Verviers, il entre annuellement pour 20 millions de tissus de laine dans le pays, tandis que nous pouvons fabriquer nous-mêmes la plus grande partie de ces tissus, puisque nous avons toutes les mécaniques nécessaires à cet effet et que nous sommes fort avancés sous ce rapport.
Les tissus de laine, autres que les draps et casimirs, ne sont frappés aujourd’hui que d’un droit de 2 à 5 p. c. ; cette protection est nulle ; il n’y a peut-être pas un seul pays, en Europe, la Suisse exceptée, qui ne protège pas plus efficacement ses industries.
Il faut donc, messieurs, prendre des mesures en faveur de nos fabricants d’étoffes de laine, mais il faut le faire sans nuire aux intérêts des négociants, sans nuire même aux intérêts des consommateurs. Il faut, en un mot, rendre justice à l’industrie des tissus de laine sans toutefois lui sacrifier d’autres intérêts.
Eh bien, messieurs, malgré tout mon désir de protéger cette industrie, il me serait impossible de lui accorder, sans un mûr examen, le droit de 10 à 12 p c. qui nous a été demandé : il faut consulter les chambres de commerce, il faut que nous sachions si, parmi les divers articles qu’on nous a proposé de frapper, il n’en est point que nous ne pouvons pas fabriquer.
Je demande donc, messieurs, que les propositions dont il s’agit soient renvoyées aux chambres de commerce ; mais je demande en même temps que l’avis des chambres de commerce ne se fasse pas attendre pendant un temps indéfini ; sans cela, dans la prévision des mesures que nous pourrons prendre, on aura soin d’introduire une grande quantité de tissus de laine dans le pays, de manière que nous en serions inondés pour longtemps. Il faut donc que le ministère prenne immédiatement tous les renseignements nécessaires, et qu’il nous présente dans le plus bref délai possible un projet de loi accordant une protection efficace à notre industrie ; toutefois cette protection ne doit pas être trop élevée, elle doit être en harmonie avec la prime de fraude, car sans cela toute protection est illusoire.
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Je demande, messieurs, que la chambre veuille considérer comme formant un projet de loi spécial les propositions de MM. Demonceau, Lardinois et Metz, et en prononcer l’ajournement. Alors le gouvernement prendra l’engagement de consulter immédiatement les chambres de commerce et de vous transmettre leurs avis à mesure qu’ils arriveront, de telle sorte que, dans un mois ou six semaines, vous soyez à même d’aborder la discussion avec connaissance de cause. Chacun de nous pourra alors proposer à la chambre de s’occuper de cet objet, et certes la majorité ne s’y refusera pas du moment qu’elle aura les renseignements nécessaires. De cette manière chacun doit avoir tout apaisement.
M. Metz. - Messieurs, je me suis aperçu qu’il fallait réellement du dévouement pour joindre notre voix aux plaintes qu’a fait entendre l’industrie drapière : qu’on nous attaquait non seulement par des raisonnements, mais par des plaisanteries ; qu’on est allé jusqu’à faire usage du ridicule. Cependant, messieurs, une industrie qui s’annonçait comme souffrante méritait bien, au moins, quelques égards ; il fallait bien, au moins, laisser se plaindre celui qui se croit égorgé. Mais, messieurs, malgré cette position dans laquelle nous nous trouvons, je n’ai pas reculé, j’ai voulu partager le danger avec mes honorables amis de Verviers, dont les intérêts sont communs avec les nôtres.
Et comme je vous l’ai dit, je n’ai pas hésité de prendre la parole pour les défendre.
Mais nous nous posons ici comme industriels consommés ; à peine avons-nous quelques notions sur la question des draps par exemple, et nous voulons, messieurs, la régenter ; les industriels de Verviers, la chambre de commerce de cette ville, leurs organes dans cette chambre ne savent pas ce qu’ils disent ; les industriels de Verviers sont tous dirigés dans la question actuelle par un intérêt personnel. Et nous, messieurs, nous qui devons aller chercher des lumières près de cette chambre de commerce, près de ces industriels, nous qui devons nous attacher aux rapports des gens instruits dans la matière, nous signalons, comme dictées par l’intérêt personnel et par l’erreur, toutes les déclarations de ceux qui doivent nous instruire !
L’on vous a dit, messieurs, que l’industrie drapière faisait un tableau trop sombre de sa situation ; et pour prouver que l’industrie drapière avait tort de se plaindre, on a commencé par dire à ses défenseurs : « A quoi vous sert la prohibition à laquelle vous vous cramponnez avec tant de force ? Eh quoi ! l’industrie drapière est souffrante, à peine vit-elle, et néanmoins le système prohibitif existe. Pourquoi donc voulez-vous le maintien de ce système, si ce système vous laisse sans protection, sans avenir ? »
Non, messieurs, ce n’est pas ainsi que raisonne l’industrie drapière. Ah ! si l’industrie drapière devait être combattue par le raisonnement que lui a opposé l’honorable M. Lebeau, je m’assiérais à l’instant parmi ses adversaires, je n’ajouterais pas un mot pour la défendre davantage.
Mais que vous dit la chambre de commerce de Verviers, l’industrie drapière en général ? Elle vous dit : « Oui, jusqu’ici nous avons été mal protégés par la prohibition, jusqu’ici notre position géographique, l’inefficacité peut-être de notre régime douanier, nous ont empêchés de recevoir de la prohibition tous les bienfaits que nous devions espérer d’en obtenir. »
Mais que la prohibition ne soit pas protectrice pour l’industrie drapière, voilà certes ce que n’a jamais dit la chambre de Verviers, ni aucun membre de cette chambre qui est l’organe des industriels de cette ville. La prohibition est insuffisante pour couvrir entièrement l’industrie drapière, nous le reconnaissons ; mais, à côté de la prohibition, il y a quelque chose de plus funeste : c’est la levée de la prohibition.
Cette prohibition sera peut-être un coup mortel pour l’industrie drapière, tandis que sous le régime de la prohibition elle a vécu tant bien que mal, soutenue au moins par l’espoir d’un meilleur avenir.
Messieurs, l’on a cherché, et l’on n’y a pas réussi, à prouver que l’industrie drapière devait recevoir plus d’avantages de la levée que du maintien de la prohibition.
Si cela était vrai, je partagerais encore l’opinion de l’honorable M. Lebeau ; mais je suis persuadé qu’il n’en est pas ainsi, et le motif qui me le fait croire c’est que les industriels de Verviers, et tous ceux qui possèdent des notions étendues sur la matière, vous ont demandé à grands cris de ne pas lever la prohibition. Peut-on penser que toute l’industrie drapière soit esclave des préjugés, qu’elle soir aussi oublieuse de ses intérêts, aussi aveugle sur les conséquences d’un fait, pour venir à chaque moment solliciter avec les plus vives instances le maintien de la prohibition ? Il est impossible d’admettre une semblable supposition. Et l’honorable M. Lebeau a voulu prouver cependant que la levée de la prohibition doit être favorable à l’industrie drapière.
Messieurs, la cause pour laquelle la levée de la prohibition est une mesure hostile à l’industrie, je vais vous la dire ; et à moins que je n’aie ouvert ma pensée à une raison sans puissance, vous partagerez mon opinion.
Moi aussi, messieurs, j’ai longtemps cru que le maintien de la prohibition était inutile, au moins pour l’industrie drapière ; je me disais : Il est insensé de vouloir la prohibition, lorsque la fraude vous amène les draps français à un taux inférieur à celui où la levée de la prohibition les atteindrait par un droit protecteur. Voilà, messieurs, ce que je me disais ; mais, dans le cours de la discussion j’ai cherché à m’éclairer ; je suis allé aux renseignements ; je n’ai pas même voulu en croire mes honorables amis de Verviers, desquels on nous disait de nous défier : j’ ai puisé des informations à d’autres sources, et je me suis assuré que partout où on a remplacé la prohibition par un droit quelconque, ce droit n’a nullement protégé l’industrie.
Dans un semblable état de choses, je crois, messieurs, que si réellement le droit qu’on percevra à la frontière, joint à la prime, constitue un droit supérieur à celui que paient les draps français pour entrer en Belgique, je conçois que la levée de la prohibition ne doive pas nuire passagèrement à l’industrie de Verviers. Mais, messieurs, ce n’est pas seulement pour les circonstances ordinaires que vous allez prendre des mesures, l’industrie doit être protégée contre toutes les éventualités d’un ordre de choses qui, par sa nature, n’étant pas saisie, peut varier à chaque instant.
Une crise commerciale se fait sentir aujourd’hui en Amérique. Mais qui nous dit que cette crise ne s’étendra pas à la France ? Et en ce cas, qui peut prévoir qu’elle ne s’exercera pas principalement sur les producteurs de draps ? Et si une semblable hypothèse venait se réaliser, quel serait le sort de notre industrie drapière ? Elle serait écrasée. En effet, le petit marché de la Belgique serait inondé des produits considérables que la France vomirait sur nous.
Ne croyez pas, messieurs, qu’il n’y ait pas d’exemples à citer dans un ordre de choses semblable à celui dont je viens de parler. En 1828, une crise s’était fait sentir en France dans la fabrication des fils de coton ; eh bien, la fabrique d’Alsace a livré aux négociants de Rouen une masse de fils à 20 p. c. de perte. C’est un fait qui a été établi dans la discussion qui a eu lieu en France, à une époque peu éloignée de nous, à l’occasion du tarif des douanes. En 1831, le pays où je ne dirai pas que le coton naît, mais où il reçoit sa préparation entière, l’Angleterre, a reçu de France 164,000 kilog. de coton de fil.
En présence d’exemples pareils dont la réalité ne peut être contestée, l’on conçoit les craintes que la levée de la prohibition doit inspirer à ceux qui pensent qu’il faut avant tout protéger l’industrie indigène.
En appliquant ce fait à l’industrie drapière, je me suis dit que si cette industrie venait à subir une crise en France, nous serions inondés de produits français qui non seulement empêcheraient la vente de nos propres produits pendant plusieurs années, mais donneraient peut-être le coup mortel à notre industrie drapière. Dans de semblables circonstances, la prohibition est une mesure protectrice, parce que les moyens que la fraude peut mettre en œuvre pour éluder la prohibition ne sont pas susceptibles d’une grande extension.
Messieurs, il ne s’agit en ce moment que de savoir si le principe de la prohibition étant levé, nous devons nous occuper de la question des tissus qui ont donné lieu aux trois amendements dont vous êtes saisis. Pour cela, il faut examiner d’abord s’il y a intérêt à s’occuper de la question ; nous n’hésitons pas à dire que l’industrie nouvelle que nous voulons enter sur l’industrie drapière mérite toute notre attention.
Et en effet, messieurs, une industrie qui tendrait à livrer à nos producteurs une consommation intérieure de 20 millions de francs, est une industrie qui, si elle n’existe pas dans le pays, doit être vivement désirée ; c’est une plainte que l’on ne peut trop se hâter d’importer chez nous.
Mais, messieurs, cette industrie existe en Belgique. Dans une séance précédente, l’honorable M. Rogier a relevé par des plaisanteries une parole que j’avais prononcée relativement à cette industrie. J’avais dit que dans notre pays l’industrie dont il s’agit n’était pas née encore. Si l’honorable M. Rogier avait été présent à la séance, je lui aurais prouvé qu’en m’exprimant de la sort, j’avais entendu dire que les produits de cette industrie sont hors de proportion avec les besoins du pays, avec la force vitale qu’elle pouvait recevoir. J’aurais pu répondre aussi par des plaisanteries à l’honorable M. Rogier ; mais je laisse volontiers à d’autres le privilège d’être plus plaisants que moi.
Je le répète donc, l’industrie dont nous nous occupons mérite toute votre attention. Elle avait déjà fixé les regards de la commission qui a été nommée à l’occasion de la dernière exposition des produits de l’industrie nationale. Dans son rapport la commission parle de l’industrie des bays, flanelles, serges, mérinos, de tous les articles enfin pour lesquels nous réclamons aujourd’hui une protection . Et je remarque dans le même rapport que des médailles ont été décernées à MM. Biolley à Verviers, Keyzer à Bruxelles, etc.
En présence de ces fabriques qui occupent une immense quantité d’ouvriers, auxquelles il ne manque qu’une protection raisonnable pour remplacer les produits des industries françaises, anglaises et allemandes, peut-on dire qu’il ne faut pas s’en occuper ?
Revenant aujourd’hui sur la prétention exagérée qu’il avait mise en avant à la dernière séance, M. le ministre des finances a dit qu’il consentait à considérer comme projet de loi la proposition faite par M. Demonceau. En effet, comment aurait-on pu soutenir qu’il ne fallait pas s’occuper de cette industrie, qu’il fallait ajourner indéfiniment la proposition qui la concerne, en présence des difficultés que rencontre l’exercice du droit d’initiative des membres, surtout quand il s’agit de tarif de douanes ?
En effet, rappelez-vous ce que vous disait M. Rogier à la dernière séance ; à peine avons-nous donné satisfaction à l’industrie de Verviers (amère dérision, coup de pied donné au cadavre d’un homme après l’avoir tué), à peine a-t-on donné satisfaction à l’industrie de Verviers, qu’une masse d’industries se lèvent pour demander des droits protecteurs ?
Mais, pourquoi donc sommes-nous ici, si ce n’est pour écouter les plaintes de l’industrie nationale et pour y faire droit ? Après les libertés publiques, qu’avons-nous de plus digne de notre sollicitude que l’industrie à qui la Belgique doit sa gloire et sa prospérité, que nous voulons étendre, et que d’autres sans doute veulent rendre rétrogrades ?
Vous voyez comme on reçoit, dans cette enceinte, un membre qui usant de son droit d’initiative, fait une proposition relative au tarif de douanes. Je dirai, messieurs, qu’ajourner la proposition dont il s’agit, c’est l’enterrer dans les cartons. Cela ne m’étonne pas, et je n’en veux pas aux ministres, c’est souvent une nécessité de position. Quand il s’agit de porter la main sur un article du tarif des douanes, de toutes parts des réclamations s’élèvent.
Pour répondre ici à l’honorable M. Lebeau, je ferai observer qu’il y a une immense différence entre la proposition dont il s’agit et le projet présenté par le gouvernement. Comment peut-on assimiler deux propositions semblables ? Pour le projet du gouvernement on a appelé le concours de toutes les lumières, on a fait une enquête pour s’assurer de l’opportunité des mesures proposées. C’est qu’alors il s’agissait de porter la main sur la protection dont jouissaient nos industries, tandis qu’aujourd’hui il s’agit d’en accorder à celles qui n’en ont pas ; alors les craintes étaient éveillées, les dangers se montraient apparents, les chambres avaient la volonté de conserver une protection à l’industrie ; elles dirent aux ministres : Ce ne sont pas seulement vos inspirations qu’il nous faut, consultez les chambre de commerce, entendez des industriels expérimentés, et quand vous nous aurez transmis leurs observations, nous prononcerons en connaissance de cause. Aujourd’hui, il ne s’agit plus de compromettre la position de notre industrie, de l’immoler à une volonté étrangère, mais de lui donner une protection plus efficace.
Vous voyez combien est grande la différence entre les deux propositions.
Il faut, dit-on, prononcer l’ajournement. Mais, messieurs, quelle sera la durée de cet ajournement ? C’est en 1839 seulement que la loi en ce qui concerne les draps sera mise à exécution ; d’ici là, nous dit-on, nous avons tout le loisir nécessaire pour éveiller les craintes des consommateurs et de l’industrie, et de prendre une décision.
Je ne sais si je m’aventure en traitant de perfidie la manière dont on a décidé la question drapière. Commencez, dit-on, par voter la question sur les draps et casimirs ; nous nous occuperons de votre proposition après ; nous étions encore les maîtres, nous aurions pu forcer à discuter notre proposition, mais nous avons cru au piège ; nous avons voté sur les draps et casimirs, persuadés que nous étions, qu’on allait s’occuper de nos intérêts, qu’on allait nous donner la compensation que nous réclamions.
Et maintenant que nous avons accordé ce qu’on demandait pour les draps et casimirs, vous refusez la compensation que nous demandons. Ce n’est pas là la marche qu’on doit suivre dans une assemblée législative. Il fallait nous mettre à même de nous expliquer, quand la partie était encore égale ; si nous avions fait sentir alors tous les avantages qu’on enlevait à l’industrie drapière, si nous avions expliqué qu’avant de la sacrifier, il fallait donner à une autre industrie le moyen de se fonder pour rétablir l’équilibre, il se peut que la décision de la chambre eût changé ; peut-être eût-on voté d’abord sur notre proposition avant de prononcer la levée de la prohibition sur les draps et casimirs qui était l’objet de toute votre sollicitude.
Non il est impossible qu’on ajourne jusqu’au 1er janvier 1839 la majoration que nous demandons. Il y a pour cela beaucoup de raisons très sensibles. La première, c’est que s’il est vrai (pour moi cela ne fait pas doute) que notre industrie drapière doit diriger son activité vers d’autres produits pour remplacer ceux qui vont lui échapper, il ne faut pas laisser son sort si longtemps indécis. Mieux vaudrait qu’on mît à l’instant à exécution le projet qui arrache à cette industrie ses ressources que de la laisser sous le coup de la crainte, de l’irrésolution, toutes choses qui tuent l’industrie.
Si, avant 1839, nous avions montré à l’industrie drapière qu’il est d’autres fabrications qui lui présentent, je ne le répéterai pas le mot de fiche de consolation, qui lui présentent un dédommagement pour le sacrifice réclamé d’elle ; si on lui montre qu’elle peut diriger ses capitaux, l’emploi de ses machines vers une autre espèce de produits pour lesquels nous lui assurons les moyens de soutenir la concurrence avec l’étranger ; elle sera rassurée et au moment où le coup que nous lui portons l’atteindra, il sera amorti par la compensation que nous lui aurons offerte.
Il faut donc que nous puissions dire à l’industrie drapière : Votre activité, vos capitaux, vos machines, les milliers d’ouvriers que vous allez détacher de la fabrication des draps, ouvriers au sort desquels une grande partie de nos adversaires s’est montrée presque indifférente, voilà un moyen de les employer.
J’entendais contester l’ajournement en tant qu’il serait porté trop loin. Peu m’importe l’époque à laquelle la discussion ait lieu, pourvu qu’elle soit rapprochée. En répondant à M. Lebeau, j’ai demandé que la chambre s’occupât promptement de la question qui lui est soumise. J’avais fixé l’époque où, étant arrivés à la fin du tarif dont nous nous occupons, nous eussions pu reprendre la discussion actuelle que nous aurions ajournée jusque-là. Moi aussi, je désire non pas m’éclairer sur cette question, car je le suis, mais que la chambre se mise à même de voter en connaissance de cause. Nous ne craignons pas les investigations ; de quelque côté que vienne la lumière, elle ne peut qu’être favorable à la cause que nous défendons.
Hier nous avons entendu dire au ministre qu’il ne savait pas s’il était possible à la Belgique de produire les articles sur lesquels nous demandons une augmentation de droits. Eh bien, M. Demonceau, qui est pesé dans ses paroles, vous a dit que l’arrondissement de Verviers seul pouvait produire pour les 20 millions de produits que nous fournit l’étranger. Quand l’étranger est en possession d’un pareil débouché chez nous, il doit être facile de vous convaincre qu’il est de votre devoir d’affranchir le pays de ce tribut.
Il y a un autre motif pour lequel nous devons voter dès à présent, soit l’amendement de M. Demonceau qui, je l’avoue, à mon avis est trop élevé, soit celui de M. Lardinois auquel je me rallierai, soit le mien ; c’est qu’il n’est pas douteux que l’industrie belge qui ne reste jamais en arrière en fait de progrès, si on lui accorde quelque peu de protection, avec la capacité qui distingue les Belges, sera bientôt à même de rivaliser avec qui que ce soit dans la fabrication des articles dont il s’agit.
Voilà pourquoi il faut lui donner dès à présent la protection que nous sollicitons.
Je suis fâche d’avoir encore à prononcer le nom de M. Rogier. C’est pour une industrie naissante, dit-on, qu’on vient maintenant demander une protection ! Si l’honorable membre ou tout autre avait voulu chercher la moindre lueur d’économie politique, il aurait appris que c’est ainsi qu’il faut traiter les industries.
Tantôt, vous a dit M. Lebeau, c’est pour une industrie florissante qu’on vient demander protection, tantôt c’est pour une industrie souffrante, tantôt c’est pour une industrie qui n’est pas née. Où vous arrêtez-vous donc ?
Non, non, M. Lebeau, ne créez pas des chimères pour vous donner le plaisir de les combattre. Qui a dit qu’une industrie florissante avait besoin d’être protégée ?
L’industrie drapière se trouvait dans ses beaux jours de gloire à l’époque où elle était en possession de fournir une partie de l’Europe, elle n’aurait pas besoin de protection. Quand une industrie voit ses produits s’écouler à mesure qu’elle les fabrique, elle n’a pas besoin de protection. Quand une industrie est souffrante, elle a besoin d’être protégée ; ce n’est que comme cela qu’elle parvient à se soutenir. Il ne s’agit pas d’industrie qui n’est pas née, mais une industrie naissante. Comment la traite-t-on dans les autres pays ?
Voyons comment on fait en Angleterre, pays où nous devons chercher des leçons de tarif et de protection. Quand l’Angleterre voit poindre à l’horizon une industrie, elle s’y attache avec amour, elle la caresse, elle l’entoure de tous les soins imaginables ; elle la traite comme en serre chaude jusqu’à ce qu’elle soit florissante, et alors elle lui dit : « Vole de tes propres ailes, tu n’as plus besoin de protection. »
Et, messieurs, si vous attendez pour protéger une industrie qu’elle soit florissante, jamais vous ne la protégerez, car jamais elle ne fleurira. Ce ne sera qu’un avorton, qu’un être mort-né qui mourra presque aussitôt qu’il aura reçu la naissance. Vous ne voudrez pas, messieurs, qu’il en soit ainsi de l’industrie si intéressante pour laquelle nous vous demandons protection ; vous nous accorderez de suite pour elle, j’en ai la confiance, la protection dont elle a besoin.
M. le président. - La proposition suivante vient d’être déposée par M. le ministre des finances :
« Je demande à la chambre de considérer les propositions de MM. Demonceau, Metz et Lardinois comme un projet de loi spécial, et de prononcer l’ajournement de la discussion de ces propositions jusqu’à ce que les chambres de commerce aient été entendues ; les avis des chambres de commerce que le gouvernement se charge de réclamer seront immédiatement communiqués à la chambre. »
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Vous le voyez, messieurs, il y a loin de ma proposition à celle d’ajourner la discussion à l’année 1839, comme on vient de le dire ; il ne s’agit d’après cette proposition que de prendre le temps qu’il faut pour recueillir les renseignements nécessaires, pour s’éclairer sur une question qui n’est pas aussi simple qu’on vient de le prétendre.
Je dois un mot de réponse au préopinant, sur ce qu’il a dit qu’il y avait eu précédemment une sorte de perfidie (c’est l’expression dont il s’est servi) à demander le vote isolé sur les draps et casimirs, et à réclamer ensuite l’ajournement sur l’article des tissus de laine qui nous occupe en ce moment ; il me suffira, messieurs, de vous lire la proposition de division de la discussion telle que je l’ai motivée dans la discussion générale sur l’article draps et casimirs. Vous jugerez après cela, messieurs, si l’on peut être admis à présenter l’insinuation qu’il y aurait eu de notre part perfidie, comme vient de l’alléguer le préopinant, insinuation qui, dans aucun cas d’ailleurs, ne devrait être permise dans cette chambre, où personne ne doit être supposé capable d’user de moyens déloyaux.
Pour moi, je n’ai donné à qui que ce soit le droit de faire à mon égard de pareilles suppositions que je repousse. Voici ce que j’ai eu l’honneur de dire à la chambre dans la séance du 3 novembre :
« Avant d’examiner l’amendement de M. Demonceau qui comprend tous les autres tissus, il faudrait, me semble-t-il, engager la discussion exclusivement sur les draps, casimirs et tissus similaires qui sont seuls prohibés, tandis que les autres étoffes, comme mousselines de laine, flanelle, etc., sont admises par le tarif actuel au droit général et uniforme de 68 fr. les 100 kilog.
« J’espère donc que l’honorable M. Demonceau ne s’opposera pas à ce que nous discutions d’abord spécialement ce qui est relatif aux draps, casimirs et tissus similaires ; après cela, si l’honorable membre pense que les fabriques d’autres tissus de laine ont besoin d’une protection plus élevée que le droit de 68 fr. dont ces tissus sont maintenant frappés, il pourra faire à cet égard une proposition spéciale, car je ne puis assez le répéter : les deux catégories de tissus que l’amendement de M. Demonceau confond font aujourd’hui l’objet de deux différents articles du tarif qui, d’une part frappent de prohibition les draps, casimirs et tissus similaires de provenance française, et qui, d’autre part, imposent les autres tissus de laine, de toute provenance, d’un droit uniforme de 68 fr. par 100 kilog. »
Plus loin :
« Vous jugerez sans doute, messieurs, qu’il importe d’autant plus de ne pas confondre les deux questions traitées par l’honorable M. Demonceau, que nous ne sommes, en ce moment, saisis que d’une seule de ces questions, celle qui concerne les draps-casimirs et leurs similaires, c’est-à-dire les étoffes prohibées, quant à la France, et servant exclusivement à faire des habillements d’homme.
« En effet, il n’est nullement question maintenant des autres tissus de laine, qui, je ne puis assez le répéter, font l’objet d’un article spécial du tarif, et qui, n’étant prohibés d’aucun côté, peuvent entrer par toutes les frontières, moyennant un droit uniforme de 68 fr. par 100 kilog.
« Il y aurait, du reste, à décider, messieurs, si avant de nous occuper de changer le droit dont ces derniers tissus sont actuellement frappés, une instruction ultérieure ne serait pas nécessaire ; il faudrait en un mot s’assurer, avant de majorer le droit sur ces tissus, si les fabricants réclament réellement une protection plus forte que celle dont ils jouissent actuellement, et quelle devrait être, selon eux, cette protection. »
Plus loin encore :
« Maintenant, si nous considérons comme draps et casimirs les étoffes qui, quoique présentant quelque différence dans le tissage, servent au même usage, nous ne pouvons pas considérer comme étoffes similaires des draps et casimirs les mousselines de laitue et les mérinos. Il est évident que ces étoffes ne se ressemblent pas et que surtout elles ne servent pas aux mêmes usages. Il importe donc de ne pas confondre dans une même discussion des objets aussi distincts. Le tarif porte au n° 97 l’article draps, et au n°242 les tissus qu’on voudrait confondre avec les draps ; il faut conserver cette distinction pour l’avenir.
« Je le répète, messieurs, il ne s’agit pas de savoir si les droits sur les mérinos et les mousselines de laine doivent être modifiés, nous avons à décider sur ce qui concerne les draps-casimirs et étoffes similaires ; cela fait, si vous vous croyez assez éclairés, si vous ne jugez pas qu’il soit nécessaire de prendre des renseignements auprès des chambres de commerce, vous vous prononcerez sur la seconde partie de l’amendement de M. Demonceau. Si au contraire vous êtes d’avis qu’on doive prendre des renseignements nouveaux, vous ajournerez la question.
« Je ne veux pas toutefois agiter une question préalable sur l’amendement de M. Demonceau, je désire que la chambre prononce actuellement sur la seule question en délibération. Je demande en un mot la division, division qui peut toujours être réclamée, et qui plus particulièrement dans cette circonstance est de droit absolu, la chambre n’étant réellement saisie régulièrement que d’une partie de la proposition. »
En effet, messieurs, on aurait pu demander la question préalable sur ces amendements, car ils sont relatifs à des articles qui ne font pas partie du premier vote de la loi, et qui ne pourraient, par conséquent, si l’on voulait observer le règlement, être présentés en second vote. Mais vous le voyez, il ne s’est pas agi de subtilités : nous avons voulu de bonne foi et nous voulons encore nous éclairer, savoir si l’industrie pour laquelle on plaide a besoin de protection et de quelle protection ; nous avons, nous-mêmes, écarté toute espèce de questions préalables, nous avons désiré qu’on nous laissât le temps de réfléchir.
A la vérité, messieurs, si nous avions, en économie politique, les principes professés par le préopinant, je conviens qu’il ne serait pas nécessaire de prêter tant d’attention, de procéder avec tant de prudence avant de frapper les produits étrangers de droits extrêmement élevés ; si nous ne considérions que les facilités de l’industrie exclusivement, si nous ne tenions aucun compte des intérêts de la masse de nos concitoyens, c’est-à-dire des consommateurs, nous aurions moins de scrupule d’admettre, sans examen approfondi, les droits élevés et anti-progressifs qu’on réclame. Mais la question se présente autrement à nous ; lorsqu’il s’agit de hausser les droits existants, il nous importe de veiller que l’augmentation, si elle est jugée nécessaire, soit sagement protectrice, et surtout qu’elle ne soit pas prohibitive, susceptible d’être éludée par la fraude, au détriment du trésor et du commerce loyal ; et, pour coordonner toutes ces conditions, il ne faut pas de précipitation, il est indispensable de s’entourer de toutes les lumières auxquelles il est possible de puiser.
A l’appui des propositions dont il voudrait l’admission immédiate, l’honorable membre auquel je réponds., a préconisé le système douanier de l’Angleterre, système à droit protecteur, qui paraît être la thèse favorite de tous les auteurs de propositions nouvelles qui arrivent sur le bureau ; il nous a présenté ce système comme un modèle excellent à suivre ; mais, en nous donnant un tel conseil, M. Metz ne voit donc pas que la Belgique n’a en elle-même, quant sa position topographique, aucune similitude avec l’Angleterre, et que ses frontières ne comportent en aucune façon un régime prohibitif susceptible de sanction.
Avec un tel système inutilement hostile à nos voisins, nous ruinerions nos industries en venant les protéger ; nous perdrions le pays.
Il n’est pas besoin de développer une proposition pareille ; elle doit être élémentaire pour tout le monde.
Le préopinant trouve qu’on a grand tort de ne pas s’empresser à venir par le tarif au secours des industries naissantes, ou qui peuvent naître ; mais avant de venir à leur secours, il faut bien savoir si elles en valent la peine, car si leur avenir n’offrait pas assez d’importance, il ne faudrait pas leur donner les moyens de végéter ou de naître pour qu’elles viennent ensuite réclamer le maintien d’une protection qui n’ait d’autre effet que de rançonner les consommateurs.
Pour savoir si nous devons ou si nous ne devons pas secourir une industrie naissante, il est donc indispensable de consulter les chambres de commerce, juges compétents en cette matière, afin de s’assurer si cette industrie est viable, dans quel délai et sous quelles conditions elle peut se développer de manière à procurer des avantages au pays, équivalents ou plutôt supérieurs à la charge des droits élevés qu’il faudrait supporter pour elle.
Messieurs, pour ne pas rentrer dans la discussion du fonds et m’en tenir à celle de l’ajournement, je dois me borner à ces courtes observations. Tout le monde comprendra du reste le véritable but de la proposition que j’ai déposée par écrit à dessein pour qu’elle ne puisse plus être dénaturée. Dès que nous aurons reçu l’avis des chambres le commerce, lesquelles seront immédiatement consultées, ces avis vous seront communiqués, et la chambre, après les avoir renvoyés aux sections, ou à une commission, pourra, en connaissance de cause, prendre très prochainement une décision.
M. le président. - La parole est à M. Eloy de Burdinne.
Plusieurs membres. - La clôture !
M. Eloy de Burdinne. - J’avais demandé la parole pour parler non pas sur l’ajournement, mais sur le fond. Si on trouve convenable de clôturer, je ne demande pas mieux ; car la discussion a traîné assez longtemps pour que chacun ait pu se former une conviction.
M. Verhaegen. - Je suis étranger à l’industrie et surtout à l’industrie drapière ; je suis étranger à toutes les localités dont il s’agit dans l’occurrence, et si j’ai parlé contre la levée de la prohibition, si je parle encore en ce moment, c’est que j’obéis au cri de ma conscience.
J’ai trouvé que les réclamations de l’industrie verviétoise étaient justes, je les ai appuyées.
J’ai trouvé que la proposition de M. Demonceau ne forme qu’un ensemble, et je viens parler contre l’ajournement.
Je me permettrai d’ajouter quelques réflexions à celles qui ont été si bien développées par l’honorable M. Metz.
Posons bien la question. De quoi s’agit-il ? D’un amendement qui forme un ensemble ; car je considère la deuxième partie de l’amendement de M. Demonceau comme ne faisant qu’un avec sa première partie. Je considère l’objet dont nous nous occupons comme un dédommagement à une industrie qui souffre, dédommagement qu’il est juste de lui accorder après le sacrifice que vous lui avez imposé dans l’intérêt général.
Si, comme je le pensais, on avait suivi ce que portait le règlement, on aurait voté d’abord sur l’amendement de M. Demonceau tel qu’il a été présenté ; car, dans mon opinion, l’amendement de M. Demonceau, dans son ensemble, est celui qui s’éloigne le plus de la proposition du gouvernement. On a donné la préférence à une autre proposition ; et après en a divisé l’amendement de M. Demonceau. Maintenant que le mal est fait, il ne faut pas en chercher un second. Après que nous avons voté sur la première partie dans la conviction que nous voterions de même sur le seconde, nous empêcher d’émettre ce vote, ce serait nous mettre dans une position que nous n’avons pas dû présumer, et ce serait ôter aux habitants de Verviers la seule ressource qui leur reste dans l’occurrence. Il ne serait pas juste d’en agir ainsi.
Messieurs, le majorité a prononcé sur la levée de la prohibition ; nous respectons son opinion, mais quand quelques orateurs sont venus rendre compte des motifs qui l’ont déterminée, et nous dire que la mesure était prise dans l’intérêt de Verviers, il nous sera permis de ne pas les croire, et de leur démontrer que ce n’est pas là le motif qui a guidé le majorité. Le question est encore ouverte, et il nous sera permis d’en parler encore.
C’est pour faire quelque chose de bien en faveur de l’industrie drapière qu’on lève la prohibition ! Je ne répondrai pas à un pareil argument, car c’est ajouter la dérision au malheur, c’est ce mettre en opposition formelle avec toutes les circonstances, avec toutes les données de ce grand problème qui a été débattu devant le chambre.
Je crois plutôt, messieurs, et je pense qu’à cet égard vous partagerez mon opinion, je crois que la majorité n’a consenti à lever la prohibition que parce qu’elle a pensé qu’il y aurait à gagner, pour la Belgique, d’entrer dans la voie des conciliations, dans la voie des concessions.
Peut-être encore que quelques-uns des honorables membres qui formaient la majorité, se sont laissé guider par des considérations politiques ; mais ni les uns, ni les autres n’ont voulu, en levant la prohibition, faire quelque chose dans l’intérêt de l’industrie de Verviers.
S’il en est ainsi, si l’industrie drapière a été condamnée à faire un sacrifice dans l’intérêt général, soit à raison de considérations politiques, soit à raison de toutes autres considérations, il est dans la justice et même dans l’intérêt général qu’on lui donne un dédommagement,
Nous parlions, dans la première discussion, de principes d’économie politique ; c’en est un qu’on ne peut contester, et qui est mis au grand jour par notre maître en économie politique, J.-B. Say, qu’on doit un dédommagement aux industries quand on exige d’elles de sacrifices. Or, il est impossible de croire jamais que l’industrie de Verviers gagnera quelque chose en permettant aux draps français d’entrer en Belgique ; il faut donc lui trouver un dédommagement. C’est en conséquence de ce principe que les rédacteurs des amendements ont préparé leurs propositions.
Sans doute que les localités sur lesquelles M. Metz a attiré votre attention méritent beaucoup d’intérêt ; mais, en première ligne, il faut voir l’industrie de Verviers ; et je considère l’amendement de M. Demonceau comme étant réellement un équivalent en faveur de cette industrie. M. Lebeau n’a-t-il pas dit que l’amendement de M. Dechamps était un équivalent de la levée de la prohibition ? Alors n’en est-il pas de même des amendements de MM. Demonceau, Lardinois et Metz ?
Je prends donc acte de l’observation faite par M. Lebeau ; et puisqu’il en est de même de tous les amendements, pourquoi diviser celui de M. Demonceau, et n’en prendre que la première partie, et rejeter la seconde qui est une compensation ?
Messieurs, si on renvoyait la seconde partie de l’amendement au 1er janvier, si la proposition de M. Demonceau devait être le sujet d’un projet de loi, ce ne serait plus un équivalent, ce ne serait plus une compensation pour le sacrifice que l’industrie de Verviers a dû faire : on dirait, quand viendrait la discussion de cette proposition, qu’elle est une loi nouvelle ; qu’elle doit passer par la filière ordinaire et il s’en suivrait qu’on ne pourrait pas s’appuyer des arguments qui se présentent maintenant ; car aujourd’hui il ne s’agit que d’un corollaire de la première partie de l’amendement de M. Demonceau. La position dans laquelle se trouve l’industrie de Verviers mérite que vous fassiez attention à ce corollaire.
Si l’industrie de Verviers est souffrante, dit M. Lebeau, j’en connais la cause ; c’est la crise qui existe en Amérique, qui se fait sentir dans toute l’Europe, qui produit ce malaise ; eh bien, je rétorque l’argument, et m’appuyant sur les observations présentées par M. Metz, je dirai que si l’industrie de Verviers souffre en raison de ce que la crise de l’Amérique se fait sentir en France, les conséquences en seront plus fatales encore pour l’industrie de Verviers quand on aura levé la prohibition. Si l’industrie était malade pendant la prohibition, ne sera-t-elle pas moribonde d’ici en 1839 ? et même n’aura-t-elle pas cessé d’exister à cette époque ? Voilà qui découle nécessairement des observations qu’il nous a soumises.
Je vois donc la question comme ayant un rapport direct avec tout ce qui est relatif à l’industrie drapière, dont vous avez exigé un sacrifice ; et je ne m’occupe de la seconde partie de l’amendement de M. Demonceau que comme un équivalent de ce sacrifice. Il me semble qu’il y a moyen d’arranger les choses de telle façon que les intérêts de tout le monde soient saufs.
La question n’est pas mûre, dit-on ; il faut prendre des renseignements. Eh bien pour cela il faut prendre la marche que l’on propose.
L’article 43 du règlement a pourvu à ce cas. La chambre peut suspendre la délibération jusqu’à ce que les documents nécessaires pour l’éclairer lui soient parvenus.
Le ministre des finances disait qu’on pourrait renvoyer l’amendement, considéré comme proposition de loi, à une commission ; nous nous y sommes opposés ; mais si l’on considère la seconde partie de l’amendement comme dépendante de la première, et si l’on veut faire une enquête parce qu’on n’a pas tous les renseignements sur cette seconde partie, je consens qu’on l’a renvoie une commission, en suspendant la discussion. Voilà comme les choses doivent se passer.
Si l’on admettait le système du ministère, on viendrait toujours dire contre les développements d’une proposition quelconque, il y a quelque chose de nouveau dans cet amendement ; nous ne sommes pas éclairés ; il faut prendre des renseignements et ajourner la discussion. Mais l’article 43 vous montre comment on lève cette difficulté.
Que l’on ne dise donc pas que le règlement met de côté la proposition, ni qu’on ne peut pas au second vote proposer des amendements nouveaux ; la chambre a décidé sur cette dernière assertion, en commençant la discussion de la loi de douane ; il a été dit, après les observations que j’ai présentées, que pour cette fois on mettrait de côté le règlement, et qu’à ce second vote on pourrait faire tous les amendements possibles.
Eh bien, messieurs, conformément à cette décision, plusieurs amendements ont été proposés et discutés, on a même discuté et voté la première partie de celui dont il s’agit en ce moment ; il y aurait donc injustice à ne pas en discuter également la seconde partie. Agir de cette manière, ce serait mettre ceux qui ont été lésés par la levée de la prohibition dans la position de ne pas pouvoir obtenir un équivalent des sacrifices qu’ils ont faits ; ce serait violer le principe reconnu par tout le monde, que si quelqu’un est obligé de faire un sacrifice dans l’intérêt général, il doit en être immédiatement indemnisé.
Voilà, messieurs, ce que j’ai cru devoir ajouter aux considérations si justes qu’a fait valoir mon honorable collègue M. Metz ; en le faisant, j’ai agi sous l’inspiration de ma conscience, car je n’ai rien de commun avec les industries ni avec les localités qui sont intéressées dans la question.
M. Dubus (aîné). - J’aurais désiré, messieurs, que le gouvernement nous eût mis à même de nous prononcer de suite sur les amendements qui ont été déposés dans cette discussion, qu’il eût rencontré sur-le-champ les faits sur lesquels ces amendements reposent. On a porté l’attention des ministres sur la fabrication des tissus de laine et sur le défaut absolu de protection en faveur de cette industrie, que présente le tarif actuel ; les tableaux qui ont été imprimés dans le Moniteur prouvent que le droit de 68 fr. par 100 kilog. dont les tissus de laine étrangers sont actuellement frappés ne revient qu’à 2 p. c. de la valeur pour tels tissus, à 3 ou 4 p. c. pour tels autres : ce sont là des faits que tout gouvernement doit être à même de rencontrer. Cependant M. le ministre des finances ne les rencontre pas. Nous avons un bureau de statistique commerciale, ce bureau doit posséder des renseignements sur toutes les industries du pays, cependant ce bureau ne nous a fourni aucun document propre à nous éclairer. En vérité, messieurs, d’après la manière dont la discussion a marché, d’après la manière dont les rôles s’y sont partagés, il me semble que si l’on avait pu trouver dans les renseignements que possède le bureau de statistique commerciale quelque chose de favorable aux amendements, on n’aurait pas manqué de l’objecter, et de ce que l’on n’objecte rien, je conclus qu’il n’y a rien à objecter.
Cependant, messieurs, je ne m’opposerai pas à l’ajournement, mais je dirai : Si vous voulez ajourner une partie, ajournez aussi l’autre et ne prononcez sur l’ensemble de la loi que quand vous serez à même de prononcer égaiement sur les amendements dont on veut à toute force écarter l’examen.
Mais, dira-t-on, la chambre différera-t-elle ainsi le vote de la loi ? Eh ! quel mal y aurait-il messieurs, à ce que ce vote fût reculé quelque peu ? Où est l’urgence ? La première partie déjà votée, doit-elle être mise exécution avant le 1er janvier 1839 ? Nous pourrons donc aussi bien voter la loi dans deux mois que maintenant, et il ne faudra pas même deux mois, puisque le ministre ne parle que de quelques semaines pour obtenir les renseignements nécessaires. Pourquoi donc n’attendrions-nous pas ? Devons-nous nous montrer si empressés à frapper une de nos plus importantes industries et reculer à peu près indéfiniment la compensation que nous lui devons ? Il me semble, messieurs, que nous ne pouvons pas consommer le sacrifice sans faire en même temps la réparation.
On ne pourrait, messieurs, donner aucune explication satisfaisante de l’empressement qu’on veut mettre à prononcer la levée de la prohibition, alors qu’on veut ajouter la mesure qui doit, jusqu’à un certain point, dédommager l’industrie drapière du coup qu’on lui porte.
Du reste, messieurs, la levée de la prohibition reportée à 14 ou 15 mois d’ici est une mesure évidemment imprudente ; vous reconnaissez qu’aujourd’hui la levée de la prohibition est impossible, que dans les circonstances actuelles elle compromettra l’industrie drapière, et vous votez cependant cette mesure pour un temps plus éloigné. Mais pouvez-vous savoir si dans un an la levée de la prohibition ne compromettra pas d’avantage l’industrie drapière ? Pouvez-vous connaître maintenant les circonstances dans lesquelles nous nous trouverons alors ? Une pareille conduite prouve-t-elle l’intérêt qu’on porte à nos industries, ou le désir trop souvent manifesté de donner que l’on appelle une satisfaction à la France ? Ce n’est donc pas l’intérêt de l’industrie indigène, mais l’intérêt de l’étranger qui dicte l’empressement qu’on veut mettre à voter la loi dont il s’agit et l’insistance avec laquelle on repousse une mesure qui intéresse essentiellement une des principales industries du pays.
Cette mesure, messieurs, intéresse au plus haut degré l’industrie drapière, c’est même ce haut degré d’intérêt qui paraît effrayer le gouvernement et ceux qui l’appuient ; mais ce n’en est pas moins une importante raison pour que la chambre demeure saisie des amendements dont il s’agit, pour qu’elle s’en occupe, qu’elle y donne toute son attention, tous ses soins, et pour qu’elle ne vote pas la première partie de l’article, dont l’ajournement ne présente aucun inconvénient, sans en voter en même temps la seconde partie. Cette manière de procéder est donc d’une bonne politique, parce qu’elle fera voir que c’est l’intérêt du pays et non pas l’intérêt de l’étranger que la chambre considère dans cette question. L’intérêt étranger sera toujours là, sans doute pour s’opposer la deuxième partie de l’article ; mais nous, messieurs, nous ne devons avoir égard qu’à l’intérêt du pays.
Les tissus étrangers entrent en Belgique moyennant un droit de 2 ou 3 p. c., mais ce n’est pas encore assez, messieurs ; le gouvernement français paie en outre une prime d’exportation de 9 p. c., de manière que, de compte net, c’est, avec 7 p. c. d’avance que l’étranger vient lutter contre l’industrie du pays. Qu’on dise après cela qu’il n’y a pas urgence de remédier à un pareil état de chose !
Je bornerai là pour le moment mes observations, me référant aux développements si lumineux qui ont été donnés par l’honorable préopinant.
M. Lardinois. - Dans la dernière séance nous étions en présence de deux amendements, celui de l’honorable M. Dechamps et celui de M. Demonceau. Le premier a été voté et adopté, et il avait été positivement convenu que le second serait discuté et soumis au vote de la chambre.
Néanmoins, l’honorable ministre des finances propose d’ajourner cette discussion, c’est-à-dire d’écarter par une fin de non-recevoir les propositions qui nous ont été faites pour alléger le mal considérable qui doit résulter pour l’industrie drapière du retrait de la prohibition.
Je ne dirai pas que les ministres ni nos adversaires ont agi avec perfidie, mais il faut convenir qu’ils y ont mis beaucoup d’adresse. Lorsque dans la dernière séance je demandais comment on concilierait deux amendements inconciliables, on me répondait : Soyez bien tranquille, la rédaction obviera à tout. Cependant, après l’amendement de M. Dechamps adopté, on vous a demandé l’ajournement des autres, et c’est ainsi, à ce qu’il paraît, qu’on voulait lever la difficulté.
La proposition d’ajournement que vient de libeller M. le ministre des finances n’est pas non plus perfide, mais elle tend à nous renvoyer aux calendes grecques.
Les motifs que l’on avance pour justifier cet ajournement, sont : que nous ne sommes pas assez éclairés pour prendre une décision sur cet objet, et que l’on ne sait pas si on fabrique dans le pays tous les articles pour lesquels on demande protection.
L’honorable M. Metz a déjà fait judicieusement observer que le gouvernement n’a pas craint de lancer son projet de loi, qui devait compromettre une sorte d’industrie, sans avoir consulté au préalable les chambres de commerce. J’ajouterai que les fabricants français seront assez éclairés, par la levée de la prohibition, pour se préparer à nous envoyer leurs produits.
L’on révoque en doute si les articles que nous voulons imposer au droit de 10 p. c. environ se fabriquent dans le pays. Je ne veux pas, messieurs, vous ennuyer en vous faisant la statistique des industriels qui s’en occupent ; il n’y a, pour cela, qu’à consulter le rapport qui a été fait sur l’exposition des produits de l’industrie belge.
L’honorable M. Lebeau vient d’avancer avec assurance que nous ne fabriquions pas les tissus de laine pour lesquels nous demandions des droits protecteurs. Certainement je ne prétendrai pas avec d’autres orateurs que le district de Verviers ou la province de Liége pourrait fournir la consommation de la Belgique ; mais si nous ne produisons pas ces articles en quantité suffisante, il est constant que nous les fabriquons presque tous, et c’est pour donner du ressort et étendre ces diverses fabrications que nous vous demandons d’imposer les tissus de laine à un droit de dix p. c.
Je conçois que des raisons politiques aient pu engager le gouvernement à demander la levée de la prohibition sur les draps et casimirs français ; je conçois même que des orateurs aient soutenu la nécessité et l’utilité de cette mesure ; mais ce que je ne puis comprendre c’est l’insistance que l’on met à ne pas accorder de suite à l’industrie une compensation raisonnable pour le tort qu’on lui fait.
Mais, vous répète-t-on sans cesse, l’industrie n’est pas en souffrance, et fût-elle dans la détresse, la cause ne peut en être attribuée à la levée de la prohibition qui est illusoire. Admirablement raisonné ! Si dans l’état actuel des choses les manufactures souffrent et se plaignent du manque de débouchés, que feront-elles donc lorsque vous aurez ouvert vos frontières aux draps et casimirs français qui viendront concourir sur nos marchés ? Souffriront-elles moins parce que leur position sera aggravée ?
Nos adversaires out taxé nos plaintes d’exagération, et ils ont toujours contesté que la levée de le prohibition aurait des résultats funestes pour la draperie. Mais voyons quelle influence a pu avoir l’arrêté du 26 août 1823 sur les exportations de France dans les Pays-Bas en tissus de laine. C’est un point essentiel à éclaircir et qui doit fixer votre attention.
Il a été exporté de France, dans les années suivantes, en tissus de laine :
En 1815 pour 38,662,677 fr.
En 1816 pour 68,007,529 fr.
En 1817 pour 49,862,593 fr.
En 1818 pour 44,971,455 fr.
En 1819 pour 40,615,461 fr.
En 1820 pour 43,383,660 fr.
En 1821 pour 39,750,591 fr.
En 1822 pour 40,528,113 fr.
Moyenne de ces années : 45,722,760 fr.
En 1823, pour 33,082,211 fr.
En 1824, pour 34,436,512 fr.
En 1825, pour 37,821,130 fr.
En 1826, pour 29,848,406 fr.
En 1827, pour 27,369,125 fr.
En 1828, pour 30,025,776 fr.
En 1829, pour 31,606,464 fr.
En 1830, pour 27,690,138 fr.
En 1831, pour 28,088,716 fr.
En 1832, pour 36,306,600 fr.
En 1833, pour 38,098,047 fr.
Moyenne de ces années : 32,215,740 fr.
Ainsi, avant que le roi Guillaume eût pris des mesures de représailles contre la France, elle exportait pour tous le pays, en tissus de laines, pour 45,722,760 fr., et sous l’empire de l’arrêté de 1823 elle n’a plus exporté en moyenne que pour 32,215,740 ; donc une différence de 13,507,020.
Ces chiffres prouvent plus que tous les raisonnements qu’on voudrait opposer aux optimistes qui prétendent que la levée de la prohibition ne nous sera pas nuisible. Dans cette différence de 13,507,020, je voudrais bien qu’on établît la part qui revenait à la Belgique. Pour y parvenir, il n’y a qu’à comparer d’abord les exportations de 1822 et de 1823, et l’on verra que la première année a déjà présenté une différence de sept millions. J’admets ce chiffre pour le royaume des Pays-Bas, et je ne serai pas taxé d’exagération pour la consommation de la Belgique seule, en draps et casimirs, pour une somme de 4 millions au moins, et que, la prohibition levée, elle nous en fournira pour une valeur encore plus considérable.
Et c’est en présence d’un pareil résultat que l’honorable M. Lebeau proclame que la prohibition n’est que nominale, s’appuyant toujours sur nos déclarations à propos de la loi cotonnière. Je ne dirai pas qu’il y a aberration de jugement chez cet honorable orateur, mais je pense qu’il est en opposition avec l’évidence des faits. Que devient, dit-il, le système des droits acquis ? Nous ne faisons suivant lui que du rétrograde. Mais qu’il réfléchisse donc que nous ne demandons qu’une compensation modérée, et que si nous devons recourir à une élévation de droits, ce n’est pas notre faute ; nous y sommes poussés par la décision de la chambre.
C’est donc une nouvelle concurrence évaluée à 4 millions de francs que nous jetons sur les bras de l’industrie drapière. Si vous ajoutez à cette somme aux millions dont je vous ai parlé dans le développement de mon amendement, nous aurons un total de 26,000,000 de francs pour la valeur des tissus de laine qui nous sont fournis par l’étranger.
Vous conviendrez, messieurs, que ces calculs ne sont pas rassurants pour l’industrie drapière. Il est vrai que l’amendement que vous avez adopte sera salutaire en ce sens que la fraude ne pourra pas avoir lieu dans les déclarations aux douanes ; mais, croyez-moi, ce n’est pas assez : il faut mettre les fabricants à même, par une protection raisonnable et immédiate, de diriger leurs capitaux et leur intelligence vers tous les genres de production en tissus de laine, afin d’entretenir ses établissements et de lutter contre la concurrence étrangère.
Une autre considération prépondérante qui devrait engager le gouvernement et la chambre à discuter aujourd’hui les amendements proposés, c’est la difficulté qu’il y aura d’exécuter la disposition de la loi qui sera formulée en suite de l’amendement de M. Dechamps. En effet, je ne sais pas comment l’administration pourra interpréter le mot « similaire. » J’ai devant moi une foule d’échantillons d’étoffes de laine qui ne paient que le droit de 68 fr., et je puis soutenir avec succès, devant un jury d’hommes pratiques et de connaisseurs, que la plupart de ces tissus sont similaires aux draps et casimirs, et qu’ils servent l’habillement des hommes. C’est donc à l’arbitraire du gouvernement que l’on voudrait abandonner les catégories, et dans ce cas il sera assailli des réclamations des industriels belges et des diplomates étrangers. Toutes les observations qui ont été faites à ce sujet par M. Lebeau, sont parfaitement fondées.
Pour éviter tous ces inconvénients, il faut prendre de suite une décision sur nos amendements, et je vous dirai en résumé :
1° Que la question politique est sauve.
2° Que la chambre doit une compensation à l’industrie drapière pour l’indemniser de la levée de la prohibition des draps et casimirs français.
3° Que le droit que nous vous demandons ne dépasse pas dix pour cent.
4° Enfin, pour que cette protection soit efficace, elle doit nous être accordée de suite afin de pouvoir nous préparer à la lutte pour tous les tissus de laine.
Je ferai encore quelques courtes observations pour terminer.
Comme je ne voudrais pas assumer la responsabilité de la levée immédiate de la prohibition des draps et casimirs français, je n’appuierai point l’opinion de mon honorable collègue Demonceau à ce sujet. Cependant je dois déclarer avec lui qu’il est indispensable de mettre à exécution le tarif avant la levée de la prohibition, parce que nous devons nous y prendre à temps pour dépister nos concurrents, anglais, allemands et français. Il est aussi vrai de dire que si la prohibition était levée aujourd’hui, nous ne recevrions pas autant de draps français qu’en 1839, parce que d’ici cette époque ils auront eu le temps de fabriquer les qualités qui conviennent à notre consommation. L’expérience vous apprendra qu’il n’y aura pas le plus mince des fabricants qui ne voudra goûter de notre marché ; il en résultera aussitôt un encombrement de marchandises, et les lessives ne tarderont pas à avoir lieu ; mais malheureusement les fabrique du pays ressentiront le contrecoup.
Il faut convenir que la résistance que nous rencontrons ici de la part du gouvernement est décourageante. Après avoir succombé, nous demandons qu’on veuille bien nous aider un peu pour diriger nos capitaux vers d’autres industries, et on nous répond par des propositions qui nous lient les mains. Ce n’est pas ainsi que les autres gouvernements agissent lorsqu’il est question de l’industrie. En Autriche, le gouvernement cède, aux industriels qui veulent aller s’y établir, le terrain en suffisance pour élever l’établissement, avance souvent des fonds pour bâtir, et exemple de toutes contributions pendant un grand nombre d’années. En Prusse, des faveurs d’un autre genre viennent protéger les fabricants. Il n’est pas rare de voir ce gouvernement offrir gratuitement des machines de nouvelle invention, pourvu qu’on les mette en mouvement et qu’on les montre aux confrères. Il y a peu d’années que le gouvernement prussien, voulant introduire dans ses Etats la fabrication des mérinos anglais, prit des arrangements avec un fabricant de Elberfeld, la maison Beuninghaus, je pense, pour monter des métiers, et il s’engagea à donner un subside de 20 thalers par métier. On a commencé par faire des essais sur quelques métiers, et au moyen de la protection accordée, cet établissement a prospéré, et il a maintenant 4 à 500 métiers en activité. Je cite cet exemple à nos gouvernants pour qu’ils le méditent.
Ce n’est pas sans protection et du jour au lendemain que de nouvelles industries se créent et grandissent ; il faut des années avant de pouvoir marcher régulièrement, et le plus souvent vous n’obtenez des résultats avantageux qu’après de longs efforts et de grands sacrifices.
Je terminerai par une dernière observation qui ne sera à la vérité qu’une répétition. Nous ne défendons pas ici uniquement l’industrie de Verviers, mais tous les cantons en général qui s’occupent de la fabrication des tissus de laine. C’est pour favoriser notamment le Luxembourg que j’ai demandé un droit de 150 fr. sur les étoffes communes. Vous avez sans doute lu le rapport du conseil de cette province, et vous savez quels regrets ils témoignent de la décadence des fabriques de draps dans cette partie du royaume. Je me rappelle, et M. le ministre des finances doit le savoir mieux que moi, que sous l’empire français il existait beaucoup de fabricants de draps à Wiln, Ensch, etc., qui produisaient considérablement. Aujourd’hui visitez ces communes, et vous verrez que beaucoup de ces industriels ont été forcés de vendre jusqu’à leurs vaches et leurs moutons pour se libérer. Cela tient au défaut de protection et à ce que les Anglais nous fournissent une masse de coatings qui pourraient être facilement fabriqués avec les laines du Luxembourg.
M. le ministre de l’intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - Il est vraiment étonnant de voir l’insistance que mettent quelques membres à vouloir déterminer la chambre à voter immédiatement des propositions aussi importantes, et à repousser les lumières d’une enquête que le gouvernement a offertes. D’autre part, messieurs, il est peut-être encore plus étonnant qu’on propose l’ajournement du vote définitif du projet de loi, alors que ce projet a été présenté dès le mois d’avril 1836, qu’un mois a été consacré à le discuter une première fois, et que la seconde discussion a déjà duré près d’un nouveau mois sans qu’elle soit encore près d’être terminée. Vraiment, messieurs, autant vaudrait demander le rejet de la loi, car on ne peut pas ainsi ajourner sans mesure.
L’honorable député de Verviers est de nouveau entré dans des calculs pour chercher à prouver le tort immense que selon lui la levée de la prohibition doit causer à l’industrie drapière ; l’honorable membre dit que nous ne réfutons pas ses chiffres. Nous n’avons pas cru, messieurs, qu’il fût nécessaire de réfuter tous les calculs qui ont été mis en avant dans cette discussion, car évidemment c’eût été pour ne pas en finir ; cependant, puisqu’il le désire, je ferai une seule observation, c’est qu’il confond à chaque instant l’importation des tissus de laine avec l’importation des draps. En ce qui concerne spécialement cette dernière, il évalue à 4 millions l’accroissement qu’elle prendra par suite de l’adoption de la loi qui nous occupe, et il se fonde à cet égard sur ce qui s’est passé avant 1822.
Mais sans remonter aux causes des importations qui peuvent avoir existé avant 1822, il faut tenir compte des dispositions nouvelles du projet de loi. Le tarif sous l’empire duquel ces importations ont eu lieu, si tant est que ces chiffres soient exacts, se trouve considérablement modifié. En outre, l’importateur français ne jouira pas du bénéfice de la prime : voilà deux circonstances extrêmement importantes.
Et qu’on ne dise pas que la levée de la prohibition facilitera une introduction énorme de produits français ; car avec les droits que vous avez votés, l’importation ne saura être très considérable ; s’il en était autrement, cela ne pourrait jamais avoir lieu qu’en fraudant les droits.
L’on a dit que la chambre s’était engagée à discuter à fond la proposition de l’honorable M. Demonceau. Mais M. le ministre des finances qui est l’auteur de la motion de division que la chambre a adoptée, a clairement annoncé qu’il entendait se réserver la faculté de demander l’ajournement ; il vous a lu un passage de son discours qui ne peut laisser aucun doute à cet égard.
L’amendement sur les tissus de laine se lie, dit-on, intimement à l’article des draps, parce que cet amendement est destiné à procurer un dédommagement à l’industrie drapière. Eh bien, nous n’avons cessé de soutenir que cet amendement ne se lie pas à l’article des draps, et vous-mêmes, messieurs, vous en avez jugé ainsi, lorsque vous avez adopté la division.
Nous avons déjà donné un dédommagement très important à l’industrie drapière, par l’adoption des dispositions qui ont été votées dans la dernière séance ; ceci, au reste, n’empêche pas qu’on n’accorde encore un avantage à d’autres industriels qui voudraient se consacrer plus spécialement à la fabrication des tissus de laine, autres que draps et casimirs. Mais quand faudra-t-il voter cette disposition ? Lorsqu’elle aura été mûrement examinée.
On ne peut donc sous aucun rapport soutenir que l’article des tissus se lie à l’article des draps ; d’ailleurs, comme on l’a déjà fait observer, la prohibition n’existe que sur les draps et casimirs ; elle ne frappera pas les tissus ; nous n’apportons aucune modification, quant à présent, relativement à ces tissus. Cette disposition spéciale peut et doit donc être séparée du projet de loi.
Je ne connais pas de précédent de la motion qu’a proposée l’honorable M. Dubus et qu’avait déjà annoncée l’honorable M. Verhaegen.
Il y a au contraire de nombreux antécédents de la part de la chambre, en ce qui concerne la proposition de M. le ministre des finances. Il est arrivé fréquemment que lorsqu’à l’occasion du projet de loi l’on présentait des amendements, et que ces amendements, et que ces amendements étaient susceptibles d’un plus ample informé, la chambre les ajournait et passait outre au vote définitif de la loi. A propos du projet même qui nous occupe, je pourrais citer l’exemple de la proposition de M. de Puydt, relativement à l’importation de la houille par les frontières du Luxembourg : Cette proposition a été séparée du projet de loi.
Je ne réfuterai pas cette autre assertion de l’honorable député de Verviers : que la loi actuelle, en ce qui concerne les draps, serait inapplicable, à cause qu’on ne pourrait savoir ce que l’on doit comprendre sous le nom de tissus similaires. Nous avons fourni à cet égard d’amples explications que la chambre a adoptées, puisqu’elle a voté l’article. (La clôture ! la clôture !)
M. Dumortier. - Avant que l’on prononce la clôture, je demanderai sur quoi la chambre va voter. Nous sommes saisis de deux questions, d’abord de la question des droits qu’on prétend majorer sur les tissus de laine, puis de la question de la prime que la France accorde à la sortie des tissus de laine.
M. de Brouckere. - Messieurs, la clôture n’a été demandé que sur la question d’ajournement…
M. Dumortier. - L’ajournement de quoi ?
M. de Brouckere. - Cet ajournement porte sur tous les amendements qui ont rapport aux tissus de laine. (C’est cela !) La question est toute simple.
M. Dumortier. - D’après cette observation, je ne vois plus d’opposition à ce que la clôture soit adoptée. Mais lorsqu’on arrivera à la discussion de l’amendement de M. le ministre des finances, je proposerai d’étendre les dispositions de cet amendement à tous les tissus de laine et fils de laine, quels qu’ils soient.
- La clôture est mise aux voix et prononcée.
M. le président. - Auquel des amendements, de celui de M. Dubus ou de celui de M. le ministre des finances, la chambre entend-elle accorder la priorité ?
M. Dubus (aîné). - M. le ministre des finances se borne à demander l’ajournement des amendements. Ma proposition tend à faire ajourner en même temps l’article des draps ; sous ce rapport, mon amendement a une plus grande étendue que celui du ministre.
M. Gendebien. - Messieurs, j’ai besoin d’expliquer comment j’entends la priorité que l’on doit accorder à l’amendement de M. Dubus. Cet amendement est un véritable sous-amendement de la proposition de M. le ministre des finances ; c’est une sanction qui garantit que la chambre ne sera pas leurrée ; considérée sous ce point de vue, la proposition de M. Dubus doit avoir la priorité.
Si la chambre votait l’amendement du ministre des finances sans cette sanction, il en résulterait que si le gouvernement ne faisait pas toutes les diligences…
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Si l’on discute, je devrai répondre.
M. Gendebien. - Je ne discute pas, je trouve que la proposition de M. Dubus est un sous-amendement de l’amendement du ministre des finances. Je n’ai pas l’intention d’abuser des moments de la chambre qui n’est déjà que trop fatiguée.
Je disais donc que la proposition de M. Dubus devait d’abord être mise aux voix, parce qu’elle contient une sanction sans laquelle l’amendement du ministre pourrait être un leurre pour la chambre.
En effet, si nous ne nous conservons pas un aiguillon pour pousser le gouvernement à demander et à nous fournir dans le plus bref délai tous les renseignements sur la question des tissus de laine, la session pourra arriver à sa fin, sans que nous ayons le moindre rapport des chambres de commerce.
Par conséquent, nous ne pouvons pas voter l’amendement du ministre sans avoir préalablement la garantie que je trouve dans l’amendement de M. Dubus. C’est dans ce sens que j’entends accorder la priorité ce dernier amendement.
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Je n’ai que deux mots à dire.
Je veux faire remarquer d’abord qu’en demandant la priorité en faveur de l’amendement de M. Dubus, on vient de combattre l’autre proposition.
Je dois dire ensuite que le gouvernement n’a pas besoin de ce moyen de sanction dont parle l’honorable préopinant. Rien n’autorise à supposer que le gouvernement ne remplira pas l’engagement de réclamer et de vous soumettre, aussitôt que faire se pourra, tous les renseignements propres à éclairer la chambre sur la question des tissus de laine. Nous ne pouvons avoir aucun motif, aucun intérêt à ne pas agir ainsi. Eh ! messieurs, d’honorables membres semblent se poser toujours contre nous les défenseurs de l’industrie, comme si nous ne devions pas être comme eux les amis, les protecteurs de l’industrie.
M. Gendebien. - Messieurs, si le gouvernement considère cette sanction comme inutile, ce n’est pas une raison pour que la chambre se dépouille de cette sanction.
Eh bien, quelle est la garantie que le ministre actuel, qui dit n’avoir pas besoin d’aiguillon, sera encore au pouvoir demain, et que ses successeurs seront dans les mêmes dispositions que lui ? Il n’y en a aucune. Quand la chambre a un moyen de sanction, elle ne doit pas s’en dessaisir. Elle ne pourrait pas le faire dans cette circonstance sans imprudence.
- La proposition de M. Dubus est mise aux voix par appel nominal.
64 membres prennent part au vote.
37 répondent oui.
27 répondent non.
En conséquence cette proposition est adoptée.
Ont répondu oui : MM. Bekaert-Baeckelandt, Berger, Coghen, Corneli, Van Volxem, Metz, David, de Foere, de Jaegher, de Meer de Moorsel, F. de Mérode, Demonceau, de Renesse, de Roo, Desmaisières, Desmet, Doignon, Dubus (aîné), B. Dubus, Dumortier, Frison, Gendebien, Verhaegen, Jadot, Maertens, Lardinois, Lejeune, Meeus, Raikem, A. Rodenbach, Trentesaux, Vandenbossche, Vandenhove, van Hoobrouck, Vergauwen, Angillis, Zoude.
Ont répondu non : MM. Coppieters, de Behr, de Brouckere, de Longrée, de Nef, de Terbecq, de Theux, Devaux, d’Huart, Eloy de Burdinne, Fallon, Lebeau, Mercier, Milcamps, Morel-Danheel, Pirmez, Polfvliet, A. Rodenbach, Simons, Smits, Ullens, Perceval, Verdussen, de Langhe, Florisone et Willmar.
- La séance est levée à 4 heures 1/2.