(Moniteur belge n°294, du 21 octobre 1837)
(Présidence de M. Raikem.)
M. de Renesse fait l’appel nominal à 1 heure.
M. Lejeune lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. de Renesse présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.
« Le sieur Malafosse, négociant français, actuellement détenu aux Petits-Carmes, se plaint d’une arrestation illégale et réclame l’intervention de la chambre pour obtenir sa mise en liberté. »
« Le conseil provincial de Limbourg demande que la chambre adopte un projet de loi d’après lequel on avancerait à cette province, sur les fonds de l’Etat, une somme de 500,000 fr. pour construction de routes. »
« Le sieur Beausacq, né Français, habitant la Belgique 1815, demande la naturalisation. Il la sollicite depuis 5 années. »
« Le sieur Pierre-Théodore Siffer, négociant à Somergme, né en Prusse, habitant la Belgique depuis 1822, demande la naturalisation. »
« Le sieur Communaut, directeur de messageries, né en France, habitant la Belgique depuis 1851, demande la naturalisation. »
« Le sieur Buyck à Yves-Gomerci, né en France, habitant la Belgique depuis 1805, demande la naturalisation. »
« Le sieur J. Maréchal, batelier à Genappes, réclame de nouveau le paiement de l’indemnité qui lui revient pour dégâts commis à son bateau qui a servi à établir un pont sur le canal de Maestricht à Bois-le-Duc. »
« Les administrations locales et les habitants des communes de Lummen et Schuclen (Limbourg) demandent la construction d’une route partant de Herck-la Ville par Lummen sur Beeringen,comme prolongation de la route de Tirlemont par Léau à la frontière de Limbourg. »
« Des habitants de la rue des Petits-Carmes et du Petit-Sablon à Bruxelles, demandent que le terrain de l’ancien ministère de la justice soit converti en une boucherie. »
« Huit distillateurs du canton de Nivelles proposent des modifications à la loi du 7 mai 1837 sur les distilleries, et demandent la suppression des mesures vexatoires. »
« Des habitants de la commune de Lomprez demandent que l’embranchement projeté de la croisette de Froid-Lieu à la route de Dinant à Arlon, passe par Lomprez et Witlin. »
« Même pétition des habitants de la commune de Wollin, chef- lieu du canton de ce nom. »
« La dame veuve de Meulemuster, habitante du vieux Lillo situé dans le polder de la commune de Lillo, demande de pouvoir introduire en Belgique, libre de droit, son bétail au nombre de 14 pièces, tant petit que grand. »
« Le sieur Guillette, canonnier à la 11ème batterie d’artillerie de siège, demande de nouveau à être exempté du service comme fils unique pourvoyant. »
« Les bourgmestre, échevins et habitants du canton d’Osperen (Luxembourg), demandent que le nombre des juges du tribunal de Diekirch soit augmenté. »
Les sieurs Roelants et Degrawe, membres de la légion d’honneur (Gand), demandent le paiement de leur pension, comme légionnaires. »
« Le sieur Bourgogne, ex-directeur de la monnaie, demande le paiement d’une somme de 1,750 fl. pour traitement qui lui revient pendant l’année 1831 et neuf mois de 1832, époque à laquelle il a été démissionné. »
« Le conseil communal et les habitants de la commune de Machelen réclament le paiement de l’indemnité qui leur revient pour logements militaires qui leur ont été imposés contrairement à l’arrêté du 18 avril 1814. »
« Trois légionnaires du Hainaut demandent le paiement de la pension attachée à la croix d’honneur. »
« L’administration communale d’Anderlecht (Bruxelles) demande l’uniformité du cens électoral. »
« Le conseil communal de Maldeghem demande l’exécution du canal de dessèchement de Zelzaete à Blankenberg. »
« Les syndics et membres de la chambre de discipline des huissiers de l’arrondissement de Liège adressent des observations contre le projet présenté par le ministre de la justice, tendant à abroger le décret impérial du 14 juin 1815.»
« Le conseil communal de la ville de Bruges demande la réforme de la loi électorale. »
« Des habitants de Boussu adressent des observations sur le projet de loi relatif à l’émission de pièces d’or. »
Le sieur Coornaert, à Courtray, demande que la chambre discute le projet de loi sur le sel. »
« Des électeurs du canton de Bedigne demandent le maintien de la loi électorale. »
« Des habitants de Genappes demandent la réforme de la loi électorale et l’uniformité du cens. »
- Les pétitions relatives à des demandes de naturalisation sont renvoyées à M. le ministre de la justice.
M. de Renesse. - Messieurs, le conseil provincial du Limbourg, dans le but de procurer à la province les communications nécessaires à son industrie et à son commerce, a voté dans la session de 1836 la levée d’un emprunt de 500,000 francs pour construction de routes ; par arrêté royal du 9 novembre 1836 cette décision du conseil a été approuvée ; ledit emprunt devait s’effectuer avec publicité et concurrence.
Quoique des démarches aient été faites auprès des principaux établissements de banque et de plusieurs capitalistes, le conseil n’a pu jusqu’à ce jour contracter un emprunt, par suite d’un défaut de confiance, qui prendrait sa source dans l’expectative du morcellement de la province et dans la diminution d’hypothèque, si le traité du 15 novembre 1831 venait à être mis en exécution ; dans cet état de choses, le conseil provincial s’adresse à la chambre, pour qu’un prêt de 500,000 fr. sur les fonds de l’Etat soit fait à la province de Limbourg, ou que toute autre mesure soit prise pour mettre cette province en état de contracter l’emprunt nécessaire pour la construction de routes.
J’ai l’honneur de demander que cette pétition soit renvoyée à la commission des pétitions avec demande d’un rapport dans le plus bref délai possible.
M. Pollénus croit que la pétition devrait être renvoyée à la section centrale chargée des travaux publics, puisqu’il s’agit de construction de routes.
M. de Jaegher pense que comme il s’agit d’une demande d’argent, c’est à une autre section centrale qu’il faudrait renvoyer le mémoire.
M. Dumortier. - Toutes les fois qu’il s’agit des intérêts patriotiques du Limbourg et du Luxembourg, je regarde comme un devoir d’élever la voix pour protester contre tout acte qui arracherait une partie du territoire de ces provinces pour le céder à l’étranger. Je crois que le traité des 24 articles n’existe plus, qu’il ne lie pas la Belgique, parce que tout contrat synallagmatique est nécessaire ; et il est évident que la Belgique ne peut être liée par un traité qui ne lierait pas la Hollande. Je pense donc que c’est simplement à la commission des pétitions que vous devez renvoyer la pétition, parce que de cette manière vous aurez à examiner s’il a lieu à prendre des mesures pour assurer toute sécurité à nos frères du Limbourg et du Luxembourg. Les deux autres propositions que l’on a faites ne peuvent être admises. (Adhésion.)
M. Gendebien. - Dès l’instant que l’on se rallie à l’opinion de M. Dumortier, je n’ai plus rien à dire. Les pétitionnaires demandent que le gouvernement cautionne l’emprunt qui leur est nécessaire ; pour arriver à ce résultat, il faut un rapport ; la commission des pétitions est en mesure de présenter promptement ce rapport, c’est donc à elle qu’il faut renvoyer le mémoire. Restons dans les termes du règlement, et évitons toute discussion oiseuse en adoptant la proposition de M. Dumortier.
- La proposition de M. Dumortier est adoptée.
M. Gendebien. - Au nombre des pétitions dont on vient de présenter l’analyse, il en est une du sieur Malafosse, qui se plaint d’arrestation et de détention arbitraire ; je demande que la commission des pétitions fasse promptement son rapport sur ce mémoire.
- La proposition de M. Gendebien est adoptée.
- Toutes les autres pétitions sont renvoyées simplement à la commission des pétitions.
Il est fait hommage à la chambre du tome X des mémoires de l’académie belge, et du tome XI des mémoires étrangers couronnés.
M. le président. - Plusieurs sections ayant autorisé la lecture de la proposition déposée sur le bureau par M. Verhaegen, la parole est à cet honorable membre.
M. Verhaegen. - Je propose, dans un article unique de loi, d’augmenter le traitement des membres de l’ordre judiciaire, d’un tiers pour ceux qui siègent dans la capitale, et d’un quart pour ceux qui siègent dans les provinces.
- La chambre entendra mardi les développements que M. Verhaegen donnera à sa proposition.
M. Zoude, rapporteur de la commission chargée d’examiner la demande d’emprunt de 10 millions, faite par le ministre des travaux publics, pour terminer les chemins de fer, dépose son travail et les conclusions de cette commission sur le bureau.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb). - Je demande que la chambre fixe à lundi la discussion des conclusions de ce rapport ; c’est une mesure urgente dont il s’agit, parce que le crédit alloué est sur le point d’être épuisé.
- La proposition est adoptée.
M. Metz, rapporteur de la commission de comptabilité, dépose sur le bureau les conclusions de cette commission, relativement aux dépenses de la chambre.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) dépose sur le bureau de la chambre un projet de loi relatif à la suspension du roulage sur les routes pendant le dégel.
- Ce projet, sur la proposition de M. le ministre, sera renvoyé à une commission qui sera nominée par le bureau.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) dépose sur le bureau les motifs de la demande d’un article nouveau, montant à 350,000 fr., qui figure à son budget, et qui est destiné à des constructions navales.
M. Dechamps. - Je crois que la discussion actuelle doit se circonscrire dans la question de savoir si la chambre maintiendra son premier vote, ou la perception du droit au poids, on bien si, cédant aux instances du gouvernement, elle changera d’avis et adoptera le droit ad valorem ; mais engager le débat sur les questions posées par M. Desmaisières, ce serait rentrer dans la discussion générale qui a été si longue ; c’est renouveler une controverse épuisée, et cela sans amener aucun résultat. Après deux ou trois séances passées à rechercher si la France avait ou n’a pas fait de concessions, nous n’aurons fait faire aucun pas à la discussion spéciale qui nous occupe.
Nous resterons chacun avec nos convictions individuelles ; les uns persuadés que la France nous a fait des concessions réelles, au moins jusqu’à un certain point ; les autres, que ces concessions sont véritablement illusoires. Restons donc, messieurs, une bonne fois, dans la question relative à la perception au poids ou à la valeur ; cette question est assez importante par elle-même pour attirer notre attention exclusive et nous engager à ne pas nous en écarter.
Si j’avais, messieurs, à me prononcer en théorie sur la question de la préférence à donner au mode de perception au poids ou à la valeur, je vous avoue que je serais fort embarrassé, car on rencontre de part et d’autre des avantages particuliers et des inconvénients relatifs : vous savez tous, messieurs, que la tarification au poids prête beaucoup moins à la fraude, que la législature est beaucoup plus certaine d’atteindre le taux du droit qu’elle veut fixer, puisque le droit au poids est toujours véritablement perçu. D’autre part le droit à la valeur, quoique plus arbitraire dans l’application, est cependant, il faut l’avouer, plus juste, plus équitable en principe ; mais, messieurs, comme il arrive ordinairement que les déclarations sont faussées de moitié, il en résulte la plupart du temps que cette équité du principe disparaît presque complétement dans l’application ; il me paraît donc difficile, messieurs, d’admettre à cet égard des théories absolues.
L’honorable M. Dubus vous a dit hier, messieurs, que la Prusse préfère le droit au poids ; l’honorable M. Rogier d’autre part vous a démontré que l’Amérique préfère, elle, le droit à la valeur ; l’Angleterre et la France, au moins jusqu’à certain point, ont admis dans leurs tarifs respectifs tantôt le droit à la valeur, tantôt le droit au poids, selon les circonstances et les convenances du moment, selon les marchandises qu’il s’agissait de tarifer. L’honorable ministre des finances, dans la discussion pour le premier vote, a lui-même déclaré qu’il est loin d’être contraire au principe général du droit au poids.
Ainsi, messieurs, il ne s’agit pas ici de théories, il ne s’agit pas de savoir en spéculation si le droit au poids ou la valeur est mieux en harmonie avec un bon système de douanes, il s’agit uniquement de savoir si dans l’espèce le droit au poids est plus approprié à la bonneterie que le droit à la valeur.
D’abord, messieurs, il est un fait qu’il ne faut pas perdre de vue : c’est qu’il faut toujours préférer ce mode de perception au poids lorsque la marchandise offre beaucoup de catégories, lorsqu’elle comprend une assez grande quantité de différentes qualités ; car, messieurs, lorsque ces différentes catégories existent, il est toujours difficile, pour ne pas dire impossible, aux employés de la douane, de pouvoir apprécier la valeur réelle des marchandises. Or, messieurs, par l’inspection du tableau des catégories que la section centrale a joint à son rapport, comme pièce justificative de la tarification qu’elle propose, on peut se convaincre du grand nombre de nuances différentes dont la bonneterie se compose. Sous ce premier point de vue donc il paraît que le droit au poids doit être préféré, puisque, comme je l’ai dit tout à l’heure, le droit à la valeur serait ici inévitablement fraudé.
MM. Dubus et Dumortier vous ont cité des faits desquels résulte que les déclarations seraient faussées de moitié. M. le ministre de l’intérieur a prétendu que ce fait était isolé ; mais lui-même nous a fourni la preuve qu’il était plus général qu’il ne le croyait : il évalue d’une part le chiffre des importations à une moyenne d’environ 600,000 fr. ; d’autre part, il a évalué la consommation en Belgique au taux exorbitant auquel M. Smits l’a élevée, à 30 à 40 millions de fr.
Comme la production belge ne va guère au-delà de 8 à 10 millions, il résulterait de la combinaison de ces chiffres, d’ailleurs exagérés, qu’il y aurait en consommation sur notre marché environ pour 50 millions de marchandises étrangères en valeur non déclarée ; je dis en valeur non déclarée, parce qu’il est impossible qu’au droit de 10 p. c., établi aux frontières d’Allemagne, d’où nous viennent les 3/4 de l’importation, la fraude puisse se faire d’une manière importante.
Je sais bien que ce chiffre a quelque chose de ridicule par son exagération ; mais, en l’abaissant à une moyenne probable, le fait que je veux établir, celui de l’immense proportion des déclarations fausses, n’en reste pas moins prouvé par les aveux mêmes de nos adversaires.
Il est donc bien établi que le droit à la valeur sera toujours complétement inefficace à l’égard de la bonneterie.
Mais, dit-on, votre tarification au poids est impossible à fixer sans faire monter les droits quelquefois jusqu’à 25 et 27 p. c., ce qui est contraire à l’intention de la législature qui veut se borner à accorder un droit de 15 p. c., un droit un peu au-dessus de la prime de fraude.
Messieurs, il y a ici certainement une difficulté, mais j’espère vous convaincre qu’elle n’est pas insurmontable. D’abord, veuillez remarquer que la tarification ne serait pas vicieuse par cela seul que dans l’échelle des catégories certaines qualités seraient frappées d’un droit de 20 à 25 p. c., tandis que d’autres ne seraient atteintes que par un droit de 5 à 6 p. c. Il en est toujours ainsi quand il s’agit d’obtenir une moyenne entre des prix différents.
La seule condition sur laquelle il faut porter toute l’attention pour parvenir à l’exactitude dans la tarification, c’est que ces différentes catégories de marchandises, ces différentes qualités se trouvent à peu près en quantité égale, en vente dans le commerce.
Si, par exemple, l’on consomme dans la même proportion la bonneterie fine et moyenne qui est tarifée, d’après M. Verdussen, à 7 1/2 et 9 p. c., que la bonneterie commune qui, selon le même orateur, est tarifée à 23 et 25 p. c., vous obtiendrez toujours la moyenne de 15 p. c. que nous cherchons.
Eh bien, nous avons un moyen de vérifier ce fait sans pour cela aller parcourir les magasins, où les assertions varient et n’offrent rien de certain ; et ce moyen, le voici :
Il a été prouvé hier que sur 750,000 fr. d’importations, il y en a 692,000 pour la seule frontière d’Allemagne ; or, vous savez que les provenances d’Allemagne consistent en bonneterie fine et moyenne.
S’il est donc vrai, comme on l’a avancé, que d’après la tarification adoptée par la section centrale, les qualités fines ne sont frappées que d’un droit de 7 1/2 p. c., tandis que le droit sur les communes s’élève à 25, la moyenne de 15 p. c. ne sera pas atteinte en fait, puisqu’il entrera beaucoup plus de qualités frappées du minimum du droit, que de qualités dont la tarification est plus élevée.
M. Smits. - Messieurs, je ne puis partager l’opinion qui vient d’être émise par l’honorable M. Dechamps car, quoi qu’il en dise, la tarification au poids est une quasi-prohibition contre certains objets qui en sont frappés, nommément contre l’article de bonneterie, En effet, l’on sait que ces objets sont envoyés en petits ballots, séparément paquetés ; que par conséquent le déclarant doit en faire le déballement, en est souvent exposé ainsi à faire subir à ses marchandises ou une dépréciation ou des avaries irréparables.
Je reconnais toutefois que la tarification au poids a certains avantages, en ce qu’elle prévient plus facilement la fraude ; mais elle n’est réellement favorable, qu’alors que les marchandises peuvent se séparer ; qu’elle frappe sur des articles, qui s’expédient isolément, tels que le café, te sucre, etc. ; dans le cas contraire, c’est-à-dire dans celui où les marchandises s’expédient par assortiments généraux, la tarification au poids n’est pas la plus préférable.
On vous a cité, messieurs, l’exemple de la Prusse, pour vous faire adopter cette tarification : on a dit qu’en Prusse tous les articles étaient frappés de cette manière ; le fait est vrai, mais nous ne devons pas aller non plus jusqu’à imiter un système exagéré. En Prusse, par exemple, la tarification au poids frappe jusqu’aux tableaux : de sorte qu’un Rubens ou un Raphael, paie les mêmes droits que la production du dernier barbouilleur. Ce sont là, messieurs, des exagérations, dans lesquelles il ne faut pas tomber.
En Angleterre il y a une foule d’articles tarifés à la valeur ; je pourrais en citer de suite jusqu’à 150. Et ce qu’il y a de remarquable, c’est que beaucoup de tissus, à l’exception de ceux de soie, sont tarifés de cette manière, avec cette stipulation que, pour les soieries, la douane peut assujettir le déclarant à subir la tarification soit au poids, soit à la valeur ; mais cette faculté n’existe pas pour la bonneterie.
Dans la question qui nous occupe en ce moment, la tarification au poids aurait encore un autre inconvénient ; ce serait, comme on l’a déjà dit, de frapper spécialement les produits qui servent à la classe pauvre, et d’exempter les vêtements du riche. Or, telle ne peut pas être l’intention de la législature.
Messieurs, je me suis borné hier à examiner l’article des bonneteries dans sa nudité primitive, si je puis m’exprimer ainsi ; je me suis abstenu d’entrer dans des considérations générales, parce que je croyais ainsi me conformer aux désirs et à la décision de la chambre, mais d’autres orateurs ont transplanté la question sur un terrain plus vaste ; et comme ils se sont trompés sur quelques faits généraux qui importent à la discussion actuelle, je crois devoir profiter de la parole pour suivre ces orateurs sur ce nouveau terrain.
Messieurs, pour atténuer les concessions qui nous ont été faites par la France, l’honorable M. Dumortier vous a dit que c’était la Belgique qui avait pris l’initiative en levant d’abord la prohibition sur les vins, vinaigres et eaux-de-vie, du côté des frontières de terre, en assimilant ensuite les bateliers français aux bateliers belges, en permettant enfin l’introduction des charbons français par l’abaissement des droits.
Je conviendrai sans peine, messieurs, que ces mesures avaient pour but de donner à la France une preuve de nos sympathies ; mais il n’en est pas moins vrai non plus que ces mesures étaient prises aussi dans l’intérêt de la Belgique. Aussi, les bateliers français ont été admis à naviguer chez nous comme les bateliers nationaux, parce qu’à cette époque nous avions un indispensable besoin de faciliter l’exportation de nos charbons vers la France. Les charbons français ont été admis à de moindres droits en Belgique, parce que les chaufourniers de Tournay le demandaient ; enfin la prohibition sur les vins, vinaigres et eaux-de-vie a été levée du côté des frontières de terre, parce qu’il y avait une espèce de monopole en faveur des ports maritimes ; on a donc voulu d’un côté favoriser l’industrie nationale, et de l’autre on a rendu la position égale pour tout le monde. Mais, je le répète, ces diverses mesures étaient commandées par l’intérêt immédiat de la Belgique.
Depuis, on n’a plus rien fait. La prohibition a continué à exister contre la France pour les draps, les verreries et les acides, et des surtaxes ont continué à grever ses produits pour la bonneterie, les faïences et les porcelaines.
Dès le principe de la révolution, le gouvernement français avait fait quelques tentatives pour faire renoncer la Belgique aux droits exceptionnels qui frappaient seulement la France, mais le gouvernement belge lui a répondu : commencez par vous départir de la rigueur de vos tarifs, et puis nous verrons ce qu’il y a à faire de notre côté.
Des commissaires ont été envoyés à Paris pour discuter les modifications qu’il aurait été possible d’apporter aux tarifs des deux nations et dans l’intérêt respectif de ces nations. Les changements de ministère qui sont survenus n’ont pas permis d’arriver à un arrangement. Cependant je dois à la vérité de dire qu’il y a eu des promesses de part et d’autre, pour parvenir aux modifications que l’envoi des commissaires avait eu pour but d’obtenir. Vous connaissez tous ces modifications, le tableau vous en a été distribué, et par conséquent je me dispenserai de les reproduire.
Cependant il serait encore difficile de déterminer le résultat exact de ces concessions. Mais tous ceux qui ont examiné le dernier tableau du commerce de la France, ont dû reconnaître que nos relations commerciales avaient été en augmentant. Ainsi, messieurs, il résulte de ce tableau que les importations de Belgique en France, pendant l’année 1836, ont excédé de 16 millions les importations de 1835, et dans cette importation totale, nos produits manufacturés figurent à peu près pour la moitié.
J’ajouterai que par contre les importations françaises en Belgique, au lieu de suivre la même échelle ascendante, sont restées stationnaires ; même elles sont inférieures à celles de 1835 d’environ 200,000 fr.
Et c’est contre un tel pays, messieurs, que nous voudrions laisser subsister des mesures de prohibition ! Et nous voudrions donner à l’opposition française le moyen d’empêcher le gouvernement de France de nous faire de nouvelles concessions, nous, messieurs, qui vivons sous un tarif libéral ; nous qui avons intérêt à ce que la France se départe de son système prohibitif ; nous qui venons de recevoir des nouvelles preuves de sympathie de sa part ; nous qui, sous l’empire de notre tarif, sommes parvenus à porter notre industrie au point de prospérité où elle se trouve. Je ne puis, messieurs, le penser.
On a objecté dans le temps que la France avait intérêt à notre bonheur, que politiquement elle ne pouvait prendre aucune mesure hostile contre nous. Je sais apprécier comme un autre les motifs tirés de la générosité de la France ; mais je ne saurais y voir un motif de maintenir contre elle des dispositions rigoureuses, alors peut-être qu’elle eût pu être exigeante.
Après ces considérations générales auxquelles m’ont amené l’argumentation erronée de nos adversaires, je reviens à l’article spécial qui nous occupe.
M. Dubus s’est beaucoup récrié contre l’évaluation que j’avais faite hier en estimant de 35 à 40 millions la consommation des articles de bonneterie. Mais je dois faire observer à la chambre que cet article comprend une foule d’objets, tels que les bas, les caleçons, les gilets de laine, les bonnets, les écharpes, les gants, les mitaines ; tout cela fait partie de l’article bonneterie ; et je persiste à croire que ce n’est pas exagérer d’estimer à 10 francs la consommation annuelle et individuelle de cet article.
On a dit, messieurs, qu’il n’y a que 5,000 métiers dans le pays, et que la production totale n’est que de 8 millions ; cela peut être la production totale de l’arrondissement de Tournay ; mais qu’on ne perde pas de vue que l’on fait de la bonneterie dans presque toutes les villes de la Belgique, et qu’il n’y a presque pas de ménage, pour ainsi dire, où l’on ne tricote des bas et autres objets de cette nature.
Quoiqu’il en soit, la production en articles de bonneterie ne fût-elle que de 20 ou de 15 millions, toujours est-il que l’importation d’un demi-million est insignifiante. Eh, messieurs, si voulez exporter à l’étranger, il faut aussi vouloir que l’étranger importe chez vous : c’est là le résultat obligé des échanges.
On a cru, messieurs, trouver un grand argument dans ce qu’avait dit M. Passy, ministre du commerce, à la chambre française, lorsqu’il a soutenu que la Belgique avait présenté à sa législature un tarif qui était extrêmement favorable à la France, bien plus favorable que les concessions que la France nous avait faites. Mais, messieurs, le ministre français a dû tenir ce langage, pour oser soutenir son projet.
Une voix. - Pourquoi ne faites-vous pas de même ?
M. Smits. - Je maintiens ce que j’ai dit, car c’est la vérité. M. Passy a dû tenir ce langage, en présence des reproches dont son administration était l’objet. M. Glaiz-Bizoin, entre autres, n’avait-il pas avancé que le tarif qu’on présentait à la chambre française avait été dicté dans un cabinet belge ? M. Dumont et plusieurs autres n’ont-ils pas soutenu qu’on sacrifiait l’industrie française à l’industrie belge. Ce que M. Passy a dit ne peut donc exerce aucune influence sur vos esprits.
Par analogie avec la prime de fraude payée pour les draps, nous avions estimé que la prime pour la bonneterie ne pouvait s’élever à 15 p. c., qu’elle ne devait être que de 9 à 10 p. c. On a contesté ce chiffre. Heureusement on a apporté la preuve que la prime de fraude était de 15 p.c. avec garantie. Or, si la prime est de 15 p. c. avec garantie, on peut conclure qu’elle est moindre sans cette garantie.
Quoi qu’il en soit, ce fait mérite de fixer toute votre attention, messieurs, car il est prouvé maintenant que la fraude existe et qu’elle se pratique impunément ; MM. les députés de Tournay vous en ont donné l’assurance et la preuve matérielle.
Si donc la fraude se fait à 15 /2 p. c. avec garantie, il y aurait absurdité à élever le tarif à 20, 30 et même 50 p. c., comme cela arriverait si l’on adoptait la proposition de la section centrale.
Avant tout examen on a voulu contester l’exactitude du tableau des vérifications que le gouvernement vous a présenté sur l’influence des droits adoptés lors du premier vote, et on a dit à ce sujet que les vérifications faites par la section centrale étaient parfaitement exactes. Ce n’est pas moi qui contesterai les soins et le scrupule qu’elle a dû mettre dans son travail. J’honore trop mes collègues pour penser le contraire ; mais les vérifications qui avaient été faites par la commission ou par la section centrale, qui s’est occupée de la tarification des toiles, avaient également été reconnus exactes. Celle-ci aussi avait soutenu que le droit ne se serait élevé qu’à 10 p. c., tandis que nous prétendions nous qu’il s’élevait à 21 et 25 p. c. pour quelques qualités. Cependant qu’est-il arrivé ? C’est que le droit dans l’application et d’après l’expérience s’élève réellement au taux que nous avions estimé. C’est un fait qui vous a encore été attesté hier par notre honorable collègue M. de Langhe.
A propos de la question relative à la tarification des toiles, je rappellerai à la chambre que M. Dubus partageait alors notre opinion, ou plutôt que c’était nous qui partagions la sienne.
Il soutenait (je cite ses propres paroles) que « dans l’intérêt des consommateurs, qu’il ne fallait pas perdre de vue, le droit de 10 p. c., et même de 7 p. c. était suffisant pour protéger la fabrication des toiles dans le pays. »
Dans la séance du 3 juillet 1834, « il proposait d’appliquer à la tarification des toiles, le droit de 10 p. c. à la valeur proposée par M. Rodenbach. Il ajoutait que ce droit reconnu ne devoir s’élever en réalité qu’à 7 p. c., était suffisant, puisque les droits élevés manquent leur but en donnant lieu à la fraude ; point surtout à considérer dans notre pays, dont les frontières sont trop étendues relativement à sa grandeur, et où le système de douanes est peu propre à la répression de cette fraude. »
« Il calculait que l’importation des toiles allemandes ne s’était élevée qu’à 600 mille francs en 1833 et demandait si c’est pour une importation aussi minime qu’il fallait appliquer en Belgique le tarif français sur les toiles.
« Il soutenait et démontrait que ce n’est pas de hauts droits que l’industrie linière a besoin, mais bien de perfectionnements qui la mettent à même de lutter avec l’industrie étrangère.
« Il préférait le droit à la valeur comme plus équitable et plus propre à atteindre d’une manière uniforme les produits étrangers de quelque provenance que ce soit. »
Enfin, dans la séance du 8 juillet suivant, M. Dubus reproduisait sa proposition de fixer le droit à la valeur, ce droit étant réellement propre à faire payer à la marchandise un droit vraiment en proportion avec sa valeur effective.
Voilà ce que M. Dubus disait alors, et je regrette vivement, messieurs, que dans la question actuelle, cet honorable député ne partage pas nos convictions ; mais je désire qu’il se ressouvienne de son opposition à la loi des toiles, et qu’il mette aujourd’hui en pratique les principes qu’il faisait valoir alors.
M. Dequesne. - Messieurs, l’amendement que nous examinons en ce moment a par lui-même une grande portée ; il en a une plus grande encore par les conséquences qu’il entraînera nécessairement. Pour ma part, je le considère comme formant le premier échelon qui doit décider du sort de toute la loi. Dans la séance d’hier, on nous a donné connaissance de beaucoup de détails de lettres, de conversations, de déclarations, de chiffres, de rapports de l’exposition d’industrie qui, selon moi, n’ont pas avancé beaucoup l’état de la discussion. Nous avons pu remarquer de nouveau que les calculs statistiques, lorsqu’on les isole des considérations d’ensemble et de principe, se prêtent merveilleusement et avec une complaisance extrême à toutes les thèses, à tous les arguments. Aussi m’a-t-il semblé, malgré ce qu’en ait pu dire l’honorable M. Dechamps, que l’on sentait le besoin d’envisager la question sous un point de vue plus général qu’on avait commencé à le faire. C’est au moins ce qui paraîtrait résulter de la série d’interpéllations que l’honorable M. Desmaisières a adressées au ministre à la fin de la séance. Lors du premier vote, beaucoup de questions avaient été laissées indécises, des réserves avaient été faites de part et d’autre, et tout faisait présager que si l’on eût repris immédiatement le second vote, il eût été permis d’aborder la seconde discussion sur une base large et approfondie. Aujourd’hui que quatre mois sont écoulés depuis notre premier examen, que, dans cet intervalle, plusieurs points de la discussion ont pu être plus ou moins perdu de vue, qu’en outre un renouvellement s’est opéré dans la chambre, tout doit nous engager à ne pas étrangler un objet aussi important, à l’examiner de nouveau sous toutes ses faces. Telles étaient aussi, à ce qu’il m’a paru, les intentions de la chambre, lorsqu’elle a fixé son ordre du jour. Je me proposais de lui présenter quelques considérations générales, qui, du reste, ont parfaitement trait à l’amendement actuellement en discussion. Cependant, si la chambre se croit suffisamment éclairée, je suis prêt à renoncer à la parole. (Continuez !)
Je continuerai puisque la chambre n’y fait point obstacle. Avant de rentrer dans la discussion, il ne sera pas inutile, je pense, de jeter un coup d’œil sur l’état où nous l’avons laissée à la fin de la session dernière. Quand le projet de loi nous fut soumis, la France venait de faire un premier pas vers nous. Ce premier pas sans doute était assez insignifiant, cependant il annonçait de la part de nos voisins l’intention de se départir du système de rigueur qu’ils avaient suivi jusqu’alors envers nous. Il pouvait d’ailleurs être considéré plus ou moins comme le résultat des conférences qui avaient eu lieu entre les deux pays. Lié ou non lié, le gouvernement nous proposa de répondre à ces dispositions de bienveillance par des dispositions de même nature. Depuis 1823 la France était sous le coup d’une loi d’exception et de représailles, qui, il faut bien le dire, semblait se justifier par l’interdit qu’elle avait lancé sur presque tous nos produits. Le gouvernement crut que le moment était arrivé de proposer l’abolition de cette mesure. Le projet touchait donc uniquement à une loi qui dans son but et dans son esprit n’avait jamais été qu’exceptionnelle et purement temporaire, la question se réduisait à examiner si la France avait assez fait pour que nous nous dessaisissions complétement d’une arme que le gouvernement précédent nous avait léguée ; en second lieu, s’il n’y avait pas trop grand préjudice pour nos industries à les priver d’un régime sous lequel elles avaient vécu depuis 14 ans, tout exceptionnel qu’il était.
En cet état, l’on devait espérer que l’on s’occuperait exclusivement de l’exception, et que pour cette fois au moins notre système général ne serait pas l’objet de nouvelles attaques. Telle ne fut point la marche qui fut imprimée à la discussion. D’une question purement exceptionnelle, purement diplomatique, l’on en fit une question de tarif général, de régime intérieur. Tandis que le projet de loi appelait notre attention sur nos relations avec la France seulement, l’on crut devoir étendre le cercle de l’examen, et par suite nous avons vu surgir à l’improviste des propositions qui sont venues aggraver sans raison le sort des pays circonvoisins, grever nos tarifs de nouvelles prohibitions, et tout en ayant l’air de faire des concessions à la France, majorer les droits sur beaucoup de points. Je citerai ainsi l’amendement sur la bonneterie que nous discutons en ce moment. D’après le tableau qui nous a été remis, il serait à peu près établi que tandis qu’on ne payait que 20 p. c. du côté de la France, 3 et 10 p. c. des autres côtes, l’on paiera de tous les côtés, si cet amendement est adopté, 30 à 40 p. c.
Qu’est-il arrivé de là ? C’est que la brèche une fois ouverte par cet amendement, les conséquences n’ont pas tardé à suivre. Nous n’avons plus vu ici que majoration de droits envers et contre tous. Le contrecoup s’est même fait sentir au dehors. Les demandes de protection déjà trop nombreuses n’ont fait que redoubler. En nous séparant, la commission d’industrie nous proposait de frapper les foins à l’entrée, et M. le ministre des finances lui-même, oubliant presque la thèse qu’il venait de défendre avec un courage et une énergie dont on ne peut assez le louer, nous apportait un projet de loi tendant à augmenter les droits sur le poisson étranger ; ainsi augmentation de droits de toutes parts. Voilà, messieurs, sur quelle pente nous étions placés à la clôture la dernière session.
Aujourd’hui donc nous sommes en présence de deux systèmes : celui du gouvernement, qu’il n’a pas abandonné et sur lequel, au contraire, il insiste plus que jamais, et celui que nous avons vu surgir lors du premier vote, et qui, après s’être occupé légèrement de l’exception, est venu frapper en plein sur le tarif général, compromettre nos relations avec la Prusse et l’Angleterre, et enfin remettre de nouveau en question un système sage et libéral avec lequel nous avons vécu depuis 15 ans et avec lequel nous avons prospéré.
Je viens d’abord au projet du gouvernement. Les uns, pour repousser ce projet, ont prétendu qu’il n’existait aucun mot suffisant pour sortir du statu quo ; les autres, tout en reconnaissant que des concessions appelaient des concessions, ont trouvé que le gouvernement avait établi sur une mauvaise base les concessions qu’il se proposait de faire ; que ces concessions enfin iraient frapper les industries qui avaient le plus besoin de ménagement et de protection.
L’on ne peut se dissimuler que la France ne s’est pas imposé des sacrifices bien pesants, qu’elle ne nous a pas accordé des avantages bien considérables, et pour ma part, je reste convaincu qu’elle eût pu aller plus avant sans inconvénient pour le présent, et à son grand avantage pour l’avenir. Mais enfin il y a eu concessions. Toutes faibles qu’elles sont, elles ont été la suite des négociations qui ont eu lieu entre les deux pays, et ici même il paraîtrait, messieurs, que nous ne serions pas tout à fait libres, qu’il existerait au moins des quasi-promesses qui, dans l’état des conférences qui ont lieu, ne doivent pas être perdues de vue.
En supposant même que nous soyons complétement libres, je pense encore qu’il serait sage et politique de répondre aux avances que la France nous a faites, et que si nous voulons qu’elle continue avec nous l’œuvre commencée, nous devons nous montrer, si pas généreux, au moins justes.
L’on a fait beaucoup de théories sur ce que la France était en droit d’attendre de nous, et l’on peut encore en faire beaucoup que l’on pourra adopter ou rejeter à volonté ; car rien n’est plus problématique que le droit des gens en matière de douanes. L’on a dit ainsi que la France avait trouvé profit dans son fait, et que dès lors elle n’avait rien à réclamer. Je serais fort disposé à adopter cet avis, si l’on ne devait tenir compte que de l’effet général. Mais l’on ne peut nier qu’à côté de l’avantage durable, il existe dans tout changement de tarif un mal passager qui froisse plus ou moins des industries existantes, des relations établies ; et lorsque ces changements sont la suite de négociations, lorsqu’ils ont lieu dans un intérêt commun, il est juste qu’on ne les perde pas de vue, qu’on cherche à mitiger le mal par l’ouverture de nouvelles relations.
Ainsi, ce serait en vain que l’on ferait entendre à la France que notre tarif est plus libéral que le sien ; que, pour prétendre à des concessions, elle doit mettre ses droits au niveau des nôtres. Elle nous répondrait toujours que si notre tarif est moins restrictif, nous devons nous en féliciter ; mais qu’en le réglant, nous avons songé à notre intérêt et non au sien, et que les négociations dès lors n’ont pu porter sur ce qui existait, mais bien sur de nouvelles relations à ouvrir de part et d’autre.
Encore moins pourrait-on faire goûter à la France le système de l’honorable M. Doignon. Cet honorable membre voudrait qu’on lui dît : « Vous importez chez nous pour 40 millions de marchandises. Cela résulte de nos tableaux. L’importation doit être en raison des consommateurs de chaque pays. Votre population est huit fois plus considérable que la nôtre. Tant que vos tableaux ne nous indiqueront pas une exportation de 320 millions, vous n’aurez rien. »
Au lieu de ces théories plus ou moins alambiquées, il vaut mieux, je crois, s’en rapporter à l’équité. En faisant un pas vers nous, la France nous a pour ainsi dire obligés d’en faire un vers elle. Reste seulement à ménager nos intérêts comme elle l’a fait pour les siens, à ne pas sacrifier nos industries.
A cet égard le gouvernement vous a dit quel avait été son point de départ ; il voulait et veut encore annuler les mesures de représailles de 1823, remettre la France dans le droit commun. Nul doute qu’une fois le principe de concession admis, d’après le but et l’esprit de cette loi, cette base ne fût la plus légitime et la plus régulière. Cependant je le déclare, s’il nous avait été démontré que l’on ne pouvait sans inconvénient lever les barrières élevées en 1823, j’eusse été le premier à repousser les modifications que l’on proposait, à demander qu’elles portassent sur des points moins dommageables, sans trop m’inquiéter si l’uniformité avait à en souffrir.
Mais, après avoir écouté attentivement ce qui a été dit à ce sujet et après avoir fait la part de l’exagération, car il est impossible qu’il n’y en ait pas en semblable matière, il me semble que tous les inconvénients du projet de loi se réduisent à deux seulement. A venir d’abord dans un moment inopportun, à ne pas neutraliser suffisamment ensuite les effets des primes accordées en France. Or, il est facile d’obvier à ces inconvénients, et ces précautions prises, l’on ne peut disconvenir que le projet de loi n’offre plus aucun des dangers dont on a voulu l’entourer.
Ainsi, pour ne parler que de la bonneterie et de la draperie, articles qui ont donné lieu ici à la plus forte résistance, on vous a fait voir que les gouvernements les plus à craindre étaient non la France, mais l’Allemagne et l’Angleterre ; il a été établi ensuite que si la France avait un aussi grand avantage qu’on le suppose à importer ces deux espèces de marchandises, il y a longtemps qu’elle eût pu le faire en dépit de la loi de 1823. Car il lui était libre de franchir sans grand danger notre faible barrière de douane, soit directement par la fraude, soit indirectement par le transit. La prohibition est illusoire, disaient en 1835 les industriels les plus influents de Verviers. Pourquoi aujourd’hui aurait-elle un autre caractère ? Que l’on jette un regard sur les tableaux statistiques qui nous ont été remis, et l’on trouvera à peu près la même conclusion pour la bonneterie ; l’on verra que malgré nos prétendus désavantages, nous importons plus en France de ce fabricat que la France n’en importe chez nous. On trouve ainsi pour 1834 une exportation de 43,516 fr. et seulement une importation de 34,201 fr., et cependant, à en croire ces industriels, si nous revenons à l’état normal, nous les anéantissons, nous les frappons de mort.
Je puis me tromper, mais il me semble que les cris aigus que nous avons aussi entendus, n’ont pas tant eu pour objet d’empêcher l’adoption de la loi que le gouvernement proposait, que d’obtenir ce qu’on appelle une compensation, que d’atteindre des concurrents plus dangereux, dont on serait bien aise de se débarrasser ; et il faut en convenir, la tactique a parfaitement réussi : aux clameurs de leurs concitoyens, les députés qui les représentent plus particulièrement se sont émus, ils se sont épouvantés de l’effroi qu’ils voyaient autour d’eux ; nous n’avons plus entendu ici que prédictions sinistres, que malédictions contre le projet de loi. L’honorable M. Dumortier, avec une imagination qui embellit tout ce qu’elle touche, nous a dépeint ces industries sur le point de descendre dans la tombe ; il nous a offert le spectacle de 40 mille ouvriers venant nous demander du pain, et à l’aide de ces tableaux lugubres, mais heureusement fort loin de la réalité, nous avons fini par accorder ce qu’on désirait. Nous avons accordé des compensations, et ces compensations ont été si libérales qu’elles équivalent à une prohibition absolue.
Sans douze il est fort agréable d’accorder des faveurs, mais il faut voir ce qui en résultera ? On a enlevé, par exemple, à Verviers la prohibition ? Pourquoi ne lui accorderait-on pas aussi une compensation ? Si nous persévérons dans notre première décision, nous nous plaçons vis-à-vis des autres industries dans la fâcheuse alternative, ou de leur concéder les mêmes faveurs, ou d’être accusés d’injustice et de partialité.
En droit strict, trouve-t-on des motifs bien solides pour autoriser ces prétendues compensations ? La mesure que l’on nous propose d’abolir était exceptionnelle et purement temporaire. Elle avait un but politique et non économique. Elle était prise contre la France dans des vues de représailles et non de protection spéciale. Elle ne peut donc constituer l’ombre même d’un droit acquis. La part légale de protection revenant à chaque industrie a été fixée par le tarif général, et nous détruisons la proportion adoptée si nous accordons à l’un ce que nous refusons à l’autre.
Invoquera-t-on l’équité et la longue durée du régime exceptionnel ? L’on pourrait s’en faire un titre, j’en conviens, si en modifiant le régime l’on apportait grand préjudice aux industries qu’il favorisait. Mais il a été démontré qu’à l’aide de précautions le préjudice serait insignifiant ; que le mal, s’il en existe, serait paralysé, et je ne vois plus dès lors sur quel titre on pourrait autoriser ces prétendues compensations.
Dans tous les cas, mieux vaudrait rejeter la loi, et s’il le fallait même, n’accorder aucune concession à la France, que de venir sous ce prétexte aggraver le sort de nos voisins, ouvrir la porte à toutes les demandes et remettre en question un tarif sage et libéral qui, je ne crains pas de le dire, a fait notre force jusqu’ici.
En supposant même que certaines industries en cause dans le projet réclamassent une protection plus forte, ne serait-il pas plus sage, plus politique d’en faire l’objet d’une proposition, d’une instruction et d’une discussion spéciale, que de l’adjoindre à la question diplomatique qui nous occupe en ce moment ? De cette manière au moins nous pourrions décider en connaissance de cause, et nous ne nous exposerions pas à nous voir accusés de partialité et d’injustice envers les pays que nous allons surtaxer.
Pour vous montrer tous les inconvénients de notre manière de procéder, il me suffira de citer l’amendement sur la bonneterie, nous l’avons adopté. Mais, en l’adoptant, sommes-nous bien sûrs de ce que nous avons fait ? En dire la portée exacte serait, je pense, chose fort difficile. La seule chose certaine est que le droit est augmenté, que la valeur ne forme plus la base de la perception. Quant aux motifs de ces changements, je suis encore à les chercher au milieu de cet amas de faits contradictoires qui ont été articulés de part et d’autre.
L’on dit, pour justifier la majoration, que les importations allaient toujours croissant, que la bonneterie indigène souffrait et déclinait visiblement, et enfin que nous devions soutenir à tout prix une industrie aussi importante. Mais ce que je n’ai pas vu, c’est une preuve nettement posée, instruite régulièrement, et telle qu’elle doit être lorsqu’on veut décider en connaissance de cause.
L’importation augmente. Quand le fait existerait, irons-nous, sur ce seul fait, modifier notre tarif ? Avec un pareil système le mieux serait de renoncer à toute relation commerciale avec l’étranger, à nous enclore complétement dans le cercle de la Belgique, car il n’y aurait plus dans nos relations stabilité, aucune garantie. En éloignant ainsi les étrangers, qu’arriverait-il de là ? Nous nous priverions des objets que nous ne fabriquons pas, et pour ceux que nous fabriquons, mais que l’étranger nous donne à meilleur marché, nous sacrifierions l’intérêt du consommateur et nous enlèverions à l’industrie ce qui la stimule, la force à marcher, la concurrence.
La bonneterie, ajoute-t-on, perd tous les jours de son importance. Elle finira par disparaître si l’on ne vient à son secours. Pour le tricot la chose est possible, mais quant au surplus j’attends encore la preuve du fait.
Irons-nous lutter contre la force des choses pour soutenir le tricot ? Empêcherons-nous que l’emploi des machines ne fasse tomber cette industrie ? Pourquoi donc aller rappeler vers elle par un surcroît de protection les capitaux et le travail qui s’en éloignent ? Pourquoi au contraire ne pas laisser effectuer insensiblement un déplacement avantageux pour tous, avantageux pour l’ouvrier aussi bien que pour le négociant et pour le consommateur ?
Il s’agit d’une de nos premières industries manufacturières, s’est écrié l’honorable M. Dumortier dans un élan patriotique ; l’on ne peut la laisser périr sans venir à son secours. Personne plus que moi ne reconnaît qu’en matière de commerce il faille les plus grands ménagements pour ce qui existe, pour les capitaux engagés, eussent-ils pris un mauvais cours. Mais dans ce cas, pour leur accorder un tour de faveur, il faut une nécessité absolue ; il ne suffit pas d’articulations vagues, il faut quelque chose de précis et de positif. Il faudrait ainsi être fixé sur le chiffre des capitaux engagés dans la bonneterie ; sans quoi, s’il suffit d’énoncer vaguement qu’on sait qu’ils sont considérables, nous verrons aussi d’autres industries venir se proclamer les premières du pays, et peut-être avec plus de raison, et réclamer à ce titre des faveurs du même genre.
Les changements apportés à la base de la perception se défendent-ils mieux ?
Pour les justifier, l’on a invoqué l’exempte de la France, de la Prusse et de l’Angleterre. Ce premier point déjà a été contesté. Au moins avons-nous par-devers nous une pétition émanant d’un marchand de bas qui révoque en doute ce qui a été avancé. Mais, le fait existât-il, je ne sais s’il mérite toute l’autorité dont on a voulu l’entourer. La France, que l’on a principalement invoquée, est loin d’être classique en matière de commerce, et je ne vois pas pourquoi nous ne nous tiendrions pas à ce que nous avons, sans aller y chercher nos modèles en matière de douanes.
Je conçois très bien la perception au poids pour les objets d’une difficile appréciation, et encore quand le poids donne une idée approximative de la valeur ; mais, en bonneterie, que peut signifier le poids lorsque les marchandises les plus légères sont presque toujours les plus chères et les plus ouvragées ? Pourquoi donc alors, pour éviter l’arbitraire des déclarations, tomber dans un autre genre d’arbitraire, imposer la marchandise la plus grossière au droit le plus élevé, et enfin faire porter tout le poids de la protection sur le pauvre et non sur le riche, sur l’objet commun et non sur l’objet de luxe, quoique le premier ait nécessité le plus de main-d’œuvre, et après avoir trouvé le droit de perception suffisant pour d’autres fabricats d’une appréciation plus difficile, viendrait-on tout à coup déclarer qu’il est insuffisant pour la seule bonneterie, ou consacrerait-on, en sa faveur, une perception gênante pour le commerce, difficile dans l’exécution, contraire à l’esprit de notre tarif ?
Il faut bien le dire, messieurs, ce qu’on a voulu par ces amendements improvisés, c’est de nous lancer de plus en plus dans la voie prohibitive ; toute la discussion n’a pas eu d’autre tendance, d’autre esprit, et il faut en convenir, la loi actuelle qui mettait en présence tant d’intérêts divers, offrait une occasion favorable. Aussi, messieurs, qu’avons-nous entendu de tous côtés ? Il faut protéger nos industries, il faut anéantir la concurrence étrangère ; agir autrement serait une duperie ; voilà ce qu’on a posé comme des axiomes ; l’on en a fait la base de toute la discussion, l’on y a puisé les motifs déterminants de toutes les décisions prises. Mais ce qu’on n’a pas fait, et ce qui était à désirer que l’on fît, c’était de démontrer la vérité de ces axiomes, d’établir les avantages réels du système où plus que jamais l’on cherche à nous lancer.
Je ne parlerai pas des charges que le régime restrictif impose aux consommateurs ; à cet égard, il est à peu près convenu que le consommateur doit être une victime dévouée dont il n’y a pas à s’occuper. Je me bornerai à envisager le régime sous ses rapports industriels, sous les avantages qu’on lui suppose de ce côté.
A en croire les partisans de ce régime, il aurait, je le sais, des effets infaillibles, il posséderait le pouvoir magique de faire naître des industries, de soutenir celles qui souffrent, de prêter vie à celles qui meurent. Mais lorsque l’on consulte, non quelques faits isolés, mais l’ensemble des faits, les résultats sont loin de confirmer ces brillantes promesses. L’on trouve que le régime promet plus qu’il ne tient, qu’il coûte plus qu’il ne rapporte, et qu’enfin, comme le cheval de Roland, il a toutes les qualités ; il n’a qu’un défaut, celui d’être mort, et par conséquent de ne pouvoir donner vie à ce qui n’en a pas. Pour résister aux crises, faire naître ou vivifier des industries, il faut autre chose que des tarifs : il faut de la constance, de l’activité, l’amour du travail et le goût de l’épargne, et sous ce rapport j’ai toujours cru, je crois encore, que le régime de la liberté peut plus que le privilège et le monopole. Ceux-ci avec leurs faveurs endorment l’industrie, la rendent stationnaire ; ceux-là avec ses luttes la forcent à marcher, à se modifier et à se transformer suivant les besoins et les circonstances.
Un autre vice du système protecteur, et surtout lorsqu’il veut soutenir une production qui tombe, (Erratum inséré dans le Moniteur n°295, du 22 octobre 1837) est de raisonner comme si l’esprit industriel n’avait qu’une corde à son arc, comme si le déplacement des capitaux était toujours un mal, comme si enfin là où il n’y a que simple transformation, il y avait ruine nécessaire. Et cependant que l’on jette un regard sur la marche industrielle, aux Etats-Unis par exemple, l’on verra comme elle sait se multiplier suivant les besoins et les aptitudes : là sans doute l’activité commerciale a pris un développement prodigieux.
Mais sous ce rapport nous devons aussi avoir la confiance en nous-mêmes, car nous avons su, quand il le fallait, surmonter les obstacles qui nous étaient offerts. Pourquoi alors, quand une industrie tombe, quand les capitaux se détournent, vouloir les y ramener par des encouragements dangereux par l’appât trompeur de la protection ? En laissant faire l’intérêt privé, il eût marché dans la bonne voie ; en l’alléchant par l’appât des primes intérieures ou externes, on l’égare, on le détourne de son cours naturel, on amène une mauvaise distribution de capitaux et de travail ; l’on crée des industries factices qui produisent mal et cher et qui négligent de produire ce qui devait l’être.
Enfin un troisième inconvénient du système protecteur est d’être presque toujours injuste et arbitraire en disposant de ce qui revient à l’un pour le donner à un autre. Et, pour vous en convaincre, il me suffirait de rappeler ce qui s’est passé l’année dernière lors de la discussion du budget de l’intérieur. Un honorable membre proposait ou au moins tendait à proposer un droit de sortie sur les oléagineuses ; l’honorable M. Dubus prouva très bien alors et d’une manière très logique que ce droit favoriserait peut-être les fabricants d’huile mais qu’il tournerait en définitive au détriment de l’agriculture. D’un autre côté, si l’on voulait examiner au profit de qui les encouragements sont accordés, l’on verrait qu’ils deviennent le plus souvent le partage non de celui qui réclame avec le plus de raison, mais de celui qui crie le plus fort. Enfin une dernière considération à ajouter, et pour nous surtout d’après notre position topographique, c’est que ces droits sont le plus fréquemment un objet de prime pour l’indélicatesse et la fraude, un sujet de ruine pour l’honnêteté et la bonne foi.
Ainsi, messieurs, répartition injuste et immorale des bénéfices, mauvaise distribution des capitaux et du travail, amortissement de l’esprit et de l’activité industriels, voilà les résultats les plus fréquents du système protecteur qui promet tant et tient si peu ; voilà les effets de l’intervention du gouvernement dans une matière où plus que partout ailleurs il devrait s’immiscer le moins possible.
Que si le gouvernement veut intervenir, protéger et encourager, qu’il fasse des routes, des chemins de fer, qu’il établisse et maintienne un bon système de crédit. Là est sa véritable mission industrielle, là il peut le bien, s’il le veut ; mais ailleurs son intervention n’a le plus souvent pour résultat que de s’opposer par une direction mal combinée à la marche la plus avantageuse pour amener la multiplicité, la perfection et le bon marché des produits ; et cependant ce sont là les conditions uniques et nécessaires pour agrandir le marché intérieur, rendre peu redoutable la concurrence étrangère, faciliter les échanges internationaux et donner ainsi au commerce la plus grande extension.
Voilà ce que l’économie politique, en examinant, comme la législature doit le faire, non les effets passagers, mais les effets stables et permanents, non quelques industries, mais l’ensemble de l’industrie démontre jusqu’à la dernière évidence. On traitera ces principes d’utopies, je m’y attends. Mais ce qu’on ne récusera pas aussi facilement, ce sont les faits, ce sont les résultats.
Depuis 15 ans, la Belgique, quoique entourée de tous les côtés de barrières, est régie par le système de douanes le plus libéral de l’Europe. Son industrie a-t-elle eu à se plaindre du système suivi ? N’a-t-elle pas pris au contraire un essor toujours croissant ? Si quelques villes n’ont pas marché avec la même rapidité, toutes n’ont-pas suivi une marche ascendante ? Verviers se plaint parce qu’il est réduit à peu près au seul marché de la Belgique ; et cependant Verviers fabrique deux fois plus de draps qu’à l’époque où il fournissait à tout l’empire français. Tournay lui-même considéré en masse, fait, j’en suis sûr, plus d’affaires qu’au moment de la séparation d’avec la France.
Mais, dira-t-on, cet essor, ce développement sont le fruit de 22 ans de paix et du mouvement des esprits vers les spéculations industrielles, La France s’est trouvée dans les mêmes circonstances, et cependant on est loin d’y remarquer les mêmes progrès, le même développement commercial. Je me garderai bien d’en rejeter toute la faute sur son système de douanes ; mais cependant il est certain qu’il n’y a pas peu contribué. Tous les bons esprits en France le reconnaissent, et les ministres du commerce qui se sont succédé depuis 1830 l’ont senti mieux que personne. Aussi, s’il y a eu peu d’améliorations dans les tarifs, la faute en est moins à eux qu’à la nature des choses et à la force des préjugés. Sans vouloir disculper ici la politique de nos voisins, l’on ne peut se dissimuler que l’on ne fait pas disparaître en un jour un tarif de douanes, que rien n’est plus délicat, plus difficile, et ne demande plus l’œuvre du temps si l’on veut opérer sans secousse et sans crise. Que l’on parcoure au reste l’enquête de 1833, et l’on pourra se convaincre de la force du mal ; l’on y verra à chaque page des industriels récriminant les uns contre les autres, se plaignant des prédilections accordées à leurs voisins, et cependant par une déduction admirable de logique, défendant à cor et à cris les droits établis en leur faveur.
On nous demande des faits, en voilà, je pense, qui ont bien leur autorité. Quant à nos adversaires si dédaigneux des théories, je suis encore à chercher les faits un peu concluants sur lesquels ils se soient appuyés. A l’appui de leurs opinions ils ont sans doute invoqué des principes, fait défiler devant nous des théories de toute espèce. Mais en les approfondissant, qu’y trouve-t-on en définitive ? une véritable tour de Babel où il est impossible de s’entendre, où l’un dit blanc tandis que l’autre dit noir. L’honorable ministre des finances, en vous rappelant d’anciennes opinions, vous a montré combien elles cadraient peu avec ce qu’on a dit depuis. La discussion, telle qu’elle a eu lieu jusqu’ici, si on voulait l’exploiter, ne serait pas moins riche, moins abondante en faits de ce genre ; je me bornerai à en signaler un seul. A la session dernière, à propos de la loi actuelle, l’honorable M. Dumortier trouvait que la sortie des bois était chose regrettable parce qu’elle nous privait d’un moyen de plus de fabrication, et un instant auparavant l’honorable M. Zoude demandait un droit d’entrée sur les bois étrangers. Ainsi, pour contenter ces deux honorables membres, il faudrait tout à la fois empêcher la sortie et l’entrée du même objet ; il faudrait que tout à la fois il se vendît bon marché pour favoriser l’industrie manufacturière, et cher pour encourager l’industrie agricole.
C’est ainsi que, sous prétexte de protéger l’industrie nationale, mais au fond dans le désir d’attirer les faveurs sur quelques branches seulement, nous avons vu tour à tour répudier le commerce étranger au nom de la balance commerciale, nos industries les plus vivaces au nom d’une prétendue distinction dans la nature des produits, et enfin les machines et l’agriculture à l’aide des journées de travail de M. Dumortier. Je demande pardon à la chambre d’entrer dans tous ces détails, mais puisque nos adversaires nous ont porté sur ce terrain, il faut bien les y suivre, il le faut d’autant plus que ces considérations n’ont pas été sans influence sur le sort de la loi que nous discutons en ce moment.
C’est ainsi que l’on a trouvé mauvais les importations anglaises, parce qu’elles surpassaient nos exportations et que par suite l’on est parvenu à attirer sur les faïences de ce pays de nouveaux droits au nom des principes de la balance commerciale. A la session dernière, l’honorable M. Lardinois nous disait que cette balance commerciale était une vieille idée mise en avant il y a deux siècles et abandonnée depuis longtemps. A cet égard, je partage tout à fait l’avis de mon honorable collègue. En effet, sur quoi repose cette théorie ? car c’en est une : un pays exporte pour 70 millions de marchandises, par exemple ; on importe chez lui pour 40 millions ; il y a, dit-on, avantage parce que la balance du commerce est en sa faveur, parce que l’excédant doit être payé en numéraire. L’avantage au contraire cesserait si l’importation égalait ou dépassait l’exportation.
Ainsi, d’après cette théorie, tout le mérite serait d’enlever à l’étranger beaucoup d’argent et peu de marchandises, et cependant quand l’Amérique nous envoie les cotons pour être filés, je ne vois pas que nous soyons si malheureux, dût-elle nous enlever notre numéraire. De même quand l’Angleterre importe chez nous des produits que nous ne fabriquons pas ou que nous ne sommes pas appelés à fabriquer à aussi bon marché, je pense encore que nous avons raison de les accepter et que tous les obstacles que nous pourrions y mettre n’auraient d’autre résultat que de nous imposer des privations ou de nous grever d’industries factices, nous revenant cher, et nous rapportant peu. L’importation peut être quelquefois un mal, j’en conviens : dans le cas, par exemple, où une industrie pleine d’avenir, mais naissante (erratum inséré dans le Moniteur n°295, du 22 octobre 1837) et faible encore, trouve à l’étranger une concurrence redoutable. Mais ceux qui s’appuient sur la balance du commerce ne s’arrêtent pas à ces considérations, ils réprouvent l’importation d’une manière absolue uniquement et exclusivement, parce que, selon eux, elle ruine le pays en lui enlevant son numéraire.
Si l’on veut, c’est une idée empruntée à l’économie politique. Mais à une époque où elle commençait à peine à bégayer, où elle ne voyait dans une nation d’autres richesses que le numéraire, où elle prenait ainsi le signe pour la chose, l’intermédiaire pour l’objet. Avec ce système, Crésus, pour qui tout se changeait en or, eût été le plus heureux et le plus riche des hommes tout en mourant de faim.
La distinction des produits en matières premières et en objets manufacturés, a-t-elle un fondement plus solide ? Est-ce un guide plus sûr quand il s’agit d’encouragements à donner à l’industrie, de direction à lui imprimer ? Nos houillères, par exemple, ne sont-elles pas aussi productives que les manufactures ? N’emploient-elles pas autant de bras ? Pourquoi donc les unes seraient-elles placées au rang des parias et les autres seraient-elles seules dignes de notre bienveillance ! Pourquoi donc n’aurions-nous pas autant d’intérêt à exporter les produits des premières que ceux des manufactures ? L’honorable M. Doignon, si je ne me trompe, a prétendu qu’il nous importait fort peu d’envoyer en France quelques blocs équarris. Que l’honorable membre se donne la peine de descendre dans nos carrières, et il verra que généralement ces blocs n’ont d’autre valeur que celle qui leur a été donnée par la main-d’œuvre, et qu’en ce premier état ils ont déjà atteint la plus grande partie de leur valeur. En définitive, tout est matière première ou objet manufacturé suivant qu’on veut l’envisager. Les ressorts sont objets manufacturés pour le fabricant qui les vend, matière première pour l’horloger qui les emploie, et c’est sur une distinction aussi imperceptible, aussi scholastique que l’on voudrait classer les avantages de nos relations commerciales, fixer le degré de bienveillance qui doit leur être accordé.
L’honorable M. Dumortier a-t-il été plus heureux dans ses références ? Selon lui, le travail du sol ne serait rien, le travail de l’ouvrier seul aurait de l’importance. Mais à ce compte, il faut abandonner l’agriculture où la nature fait presque tout, briser nos machines qui ont singulièrement diminué le travail manuel. Une imprimerie, par exemple, fait ce que ne feraient pas 10,000 copistes. D’après les principes de l’honorable membre, l’imprimerie serait donc une invention funeste, je dirai presque infernale. Elle se serait substituée à l’homme pour lui enlever les moyens de travail, pour faire succéder à des produits demandant beaucoup de journées, des ouvrages qui n’en demandent presque pas, il faudrait sans doute supprimer les métiers à bas pour s’en tenir au tricot.
Je crois cependant que malgré la théorie de l’honorable membre, nous n’avons qu’à nous féliciter de l’introduction toujours croissante des machines et que l’ouvrier aussi bien que le consommateur y ont trouvé de brillants avantages.
Heureusement, messieurs, qu’il ne s’agissait pas dans la loi actuelle des produits agricoles, car nous eussions peut- être vu évoquer les théories de Quesnay et soutenir que le sol seul créé des richesses, que par suite l’agriculture seule est digne d’encouragement. Après cela, messieurs, l’on est à même d’apprécier la valeur du système protecteur et les difficultés inextricables qu’il présente lorsqu’il s’agit d’en venir à l’application, lorsqu’il s’agit de repartir la protection.
Et en quel moment veut-on, tantôt sous un motif, tantôt sous autre, nous conseiller cette politique rétrograde : au moment où un mouvement sourd s’opère dans toute l’Europe vers la liberté commerciale, où la politique des gouvernements y incline plus que jamais, où elle cherche à lever tous les obstacles qui l’entourent ; au moment, enfin, où la nature des découvertes récentes et les chemins de fer surtout forceront peut-être les peuples à lever sublimement leurs barrières de douanes. C’est en ce moment que l’on nous engage à suivre une marche inverse, à gâter une belle position, d’où nous pouvons attendre sans crainte tous les changements qui peuvent survenir, et ce pour en prendre une nuisible pour le présent, dangereuse pour l’avenir.
Ces considérations ne devraient-elles pas au contraire nous rendre très peu favorables à toute augmentation de droit, très réservés pour tout changement de tarif, et nous engager même, si nous avons des modifications à faire, à marcher progressivement, en dépit des autres peuples, vers un système de plus en plus libéral ?
Je le sais, messieurs, les idées libérales en matière de commerce, bien que tout le monde dise les aimer, n’ont pas un accueil bien favorable à attendre. On les traite de théories impraticables, de rêveries creuses, d’utopies chimériques, de système de dupes, et tout est dit ; les hommes ne sont pas plus épargnés que les choses : on leur reproche de ne tenir compte ni des faits, ni de ce qui existe. On les représente comme voulant tout bouleverser, tout changer, au nom d’une prétendue liberté illimitée du commerce. En un mot, ce sont des idéologues, comme l’a dit un honorable membre, quoique j’ignore ce que l’idéologie vient faire en cette assemblée.
Mais, messieurs, il ne suffit pas de jeter les épithètes et la défaveur, il faut être encore dans le vrai et surtout ne pas travestir les opinions. Et je demanderai où cette prétendue liberté du commerce a été professée, où l’on a invoqué la suppression immédiate de ce qui existe ? Serait-ce dans cette chambre ? Nous comptons, sans doute, et je m’en félicite, plusieurs membres partisans d’une liberté sage et progressive ; mais jusqu’ici je n’en ai vu aucun demander autre chose que le maintien de ce qui est. Serait-ce dans les livres d’économie politique ? Mais tous au contraire recommandent le plus grand respect pour les relations établies, pour les positions acquises. Tous considèrent les changements de tarif et d’impôt, quelque mauvais que ces tarifs et ces impôts puissent être, comme une chose très délicate, parce qu’ils savent fort bien que les industries finissent par s’adapter à ce qui est, et qu’à la longue, il s’établit un équilibre auquel il est toujours dangereux de toucher.
Si l’on voulait se porter sur le terrain de l’accusation, ne pourrait-on pas avec plus de raison reprocher aux partisans du système protecteur de vouloir tout bouleverser, tout changer, tout diriger à leur guise par des demandes incessantes de protection, par des attaques continuelles contre le tarif existant ! Une industrie prospère-t-elle, ses produits se vendent-ils bien, à l’instant l’on réclame des droits de sortie. Une industrie au contraire décline-t-elle, les capitaux se portent ailleurs, il faut les y rappeler par l’appât de la protection.
Et qu’arriverait-il si ces vœux étaient exaucés ? Le plus souvent l’on romprait des relations établies, et pour aller l’on ne sait où, l’on enlèverait au commerce toute stabilité. Au reste le moment n’est pas loin où nous verrons par un exemple frappant les beaux résultats du système protecteur. Lorsqu’on viendra à discuter la loi sur les sucres, nous y verrons comment, en attirant les capitaux sur un point par l’appât des primes, on y a fait naître une concurrence qui est devenue funeste à ceux-là même qu’on a voulu protéger ; on a imposé au pays un sacrifice de 4 millions, et l’on obtient pour tout résultat une industrie exubérante et très souffrante qui est un embarras et une source d’abus que nous ne devons pas favoriser.
(Lettre adressée au directeur du Moniteur et inséré dans le n°295, du 22 octobre 1837) : « A M. le directeur du Moniteur belge. Monsieur, une erreur assez grave s’est glissée dans la manière dont vous avez rapporté l’opinion que j’ai émise hier. Je n’ai pas dit à la fin de mon discours : « Et l’on obtient pour tout résultat une industrie exubérante et très souffrante qui est un embarras et une source d’abus que nous ne devons pas favoriser, « mais bien : « Et l’on a obtenu pour tout résultat une industrie exubérante factice, , souffrante, qui est un embarras pour nous et à qui pourtant nous ne pouvons donner la mort, » ce qui est bien différent. Comme il s’agit ici d’une question fort grave que nous aurons à examiner plus tard, je désire que mon opinion ne soit pas travestie, et j’espère que vous voudrez bien faire droit à ma réclamation en insérant la rectification dans votre numéro de demain. Agréez, M. le directeur, l’assurance de mes sentiments distingués. E. Dequesne. »
M. Verhaegen. - Messieurs, lorsqu’à la séance du 12 octobre, je demandai qu’on ne se bornât pas à procéder au second vote de la loi de douane, mais qu’on recommençât la discussion, j’avais en vue de m’éclairer ; je pensai qu’il était nécessaire de s’occuper de l’ensemble d’une loi avant d’en apprécier les dispositions spéciales. J’ai dit alors que si on nous laissait dans l’impossibilité d’apprécier la loi dans son ensemble, force nous serait de nous abstenir de voter.
Le tempérament que votre décision a apporté à notre position nous a mis à même d’apprécier cet ensemble, et la discussion qui vient de s’ouvrir nous a éclairé suffisamment pour qu’en pleine connaissance de cause nous puissions donner notre vote.
J’ai demandé la parole sur l’article bonneterie, non pas que je veuille m’occuper de ces détails qui me sont pour la plupart étrangers, mais parce que, relativement à cette partie même du projet, je crois de mon devoir de donner un vote négatif et sur la proposition du gouvernement et sur celle de la section centrale.
Après avoir apprécié le projet dans toutes ses parties, je l’ai trouvé mauvais, mauvais surtout dans les circonstances actuelles, et comme certaines localités, en obtenant ce qu’elles désirent, pourraient donner un vote favorable sur l’ensemble, je ne pouvais dans l’occurrence émettre un vote favorable sur l’article qui nous occupe. Je craindrais que quelque intérêt de localité autre que celui dont il s’est agi jusqu’à présent ne souffre de l’adoption de l’ensemble de la loi.
Voici pourquoi j’ai pensé qu’il était nécessaire de rejeter non seulement l’ensemble, quand il en sera question ; mais à rejeter dès à présent toutes les modifications que quelques localités sont intéressées à voir adopter, et qu’elles sont venues nous proposer.
Quelle est donc la loi que nous discutons ? J’ai entendu dire aux séances précédentes que la loi était française, qu’elle était anglaise, qu’elle était allemande. On a dit d’autre part qu’elle était belge. Moi, je pense que si la loi est belge, au moins elle n’est pas nationale puisqu’elle semble du moins dans certaines dispositions être faite dans l’intérêt de certaines localités ; c’est ce qui mérite de fixer toute votre attention.
L’honorable M. Rogier nous a dit hier que le but du gouvernement, en présentant sa loi, était de replacer dans le droit commun un peuple allié qui a droit de se plaindre des dispositions de notre tarif qui lui sont directement hostiles. Mais que l’on me dise ce que les dispositions relatives aux tulles avaient de commun avec les intérêts de la France ? Nous rencontrons dans le projet des modifications sur les droits concernant les articles de tulle. Il ne s’agit pas là de la France, car la France ne nous fournit pas de tulle L’Angleterre ne s’en est pas occupée, et n’a jamais fait de réclamation à cet égard ; mais c’est dans un projet de loi qui avait pour but de replacer un peuple allié dans le droit commun de notre tarif qu’on a glissé des dispositions tout à fait étrangères à ce peuple. Pourquoi a-t-on introduit ces dispositions ? Pour favoriser les commissionnaires qui font le commerce avec l’étranger, au détriment des fabricants indigènes. Cela doit être évident pour tout le monde. Je n’entrerai pas dans des détails à cet égard, je ne veux qu’énoncer la chose, me réservant d’en faire la démonstration quand nous serons arrivés aux détails. Toujours est-il que cette allégation, qui avait été faite hier, que le but du gouvernement était de replacer dans le droit commun de notre tarif un peuple allié, la France, toujours est-il, dis-je, que cette allégation n’est pas exacte, car alors il ne devait pas être question des tulles.
Si je ne suis pas d’accord avec M. Rogier sur ce point, je suis d’accord avec lui sur un autre point. S’il y a eu négociation avec le gouvernement français, s’il y a eu une espèce de traité, promesses ou quasi-promesses, il faut conserver le statu quo ; la loyauté exige qu’on ne place pas la France dans une position plus défavorable que celle où elle était avant la présentation du projet de loi. J’adopte tous les motifs de cette opinion, et j’en subis toutes les conséquences ; c’est pour cela que je voterai contre tous les amendements qui auraient pour objet d’améliorer la position de l’une ou l’autre province de la Belgique. C’est aussi pour arriver au résultat que je me propose, c’est-à-dire au rejet de la loi, que je ne fournirai pas aux représentants de telle ou telle partie du pays qui aurait obtenu ce qu’elle désire, un motif pour voter en faveur de l’ensemble d’une loi que je trouve mauvaise. Je crois nécessaire de m’expliquer franchement sur mon vote qui sera négatif sur tous les articles. Le meilleur parti à prendre est de rejeter une loi qui évidemment est inopportune.
Je disais tout à l’heure qu’avant d’examiner les dispositions spéciales d’une loi, il fallait en examiner l’ensemble, le but et les circonstances dans lesquelles elle est présentée.
J’ai lu tout ce qui avait été dit sur la matière. Force nous a été de nous éclairer. J’ai donné à ce travail tout le temps nécessaire. J’ai lu tous les mémoires qui ont été publiés ; je me suis pénétré des principes de la matière ; et j’ai acquis la conviction que le projet de loi ne peut être adopté ou que, s’il est adopté, ce sera un véritable malheur pour le pays.
Je suis d’accord avec nos adversaires sur un point, c’est que c’est un principe général, un principe d’économie politique qu’il ne faut pas légèrement adopter des prohibitions. Les économistes sont ennemis des prohibitions et de l’élévation de droits. J’admets ce principe. Mais à ce principe général il y a des exceptions. Tous les auteurs qui ont écrit sur l’économie politique ont admis ces exceptions. Les prohibitions, en général admises, ne le sont plus lorsqu’elles existent à titre de représailles. Il est également reconnu par tout le monde qu’il faut être très avare de la levée des prohibitions. Ainsi, qu’on ne vienne pas nous placer sur ce terrain où on a voulu nous placer. Qu’on ne vienne pas avec des idées libérales nous dire : « il faut une liberté illimitée ; il faut renverser les barrières qui gênent le commerce. » Moi le premier je voudrais voir renverser ces barrières ; je voudrais que tous les peuples ne fissent qu’un peuple de frères. Cela est fort beau en théorie ; mais ne nous le dissimulons pas, le siècle n’est pas encore arrivé là ; et malheureusement la pratique fait voir que ces beaux principes ne sont pas pour le moment susceptibles d’application.
Je suis d’accord avec ces messieurs, notamment avec l’honorable M. de Langhe qui le premier a fait valoir ces principes généraux. J’admets qu’en principe les prohibitions doivent être rejetées et qu’il faut la liberté la plus grande.
D’autre part on voudra bien accorder que des exceptions sont indispensables, surtout quand les prohibitions sont, comme dans l’occurrence, adoptées à titre de représailles.
Avant de rencontrer ce qui a été dit sur le projet en discussion, je demanderai si le temps est bien opportun pour s’occuper non seulement des modifications à la loi des douanes, mais même d’un tarif ou d’une loi quelconque de douanes. Il ne faut pas se le dissimuler, nous sommes en quelque sorte, de même que nos voisins, dans une position provisoire. On a beau venir nous dire qu’aujourd’hui notre position est assurée, et que nous pouvons faire chez nous ce que nous jugeons à propos ; mais si le gouvernement attendait, notre position ne serait-elle pas plus assurée qu’aujourd’hui ? Toujours est-il qu’il n’y a aucun inconvénient à attendre.
L’établissement des chemins de fer peut, dit-on, produire de grands changements ; je rétorque l’argument et je dis : voyons ce que produiront tous ces chemins de fer, voyons quels seront les changements qui en résulteront et nous mettrons ensuite la loi de douanes en rapport avec ces conséquences qu’il nous est impossible d’apprécier maintenant.
Ensuite nous voyons dans le discours du roi Guillaume qu’on se propose en Hollande de soumettre aux chambres des modifications au tarif des douanes. Voilà une troisième considération. Car, quand dans un pays voisin on se propose d’apporter des modifications au tarif des douanes, ce n’est pas sans doute le moment de se jeter à corps perdu dans une discussion qui peut avoir les plus graves résultats. Conservons le statu quo. C’est ce que nous pouvons faire de mieux. Voilà pour la moralité de la chose ; nous allons voir ce qui doit en être dans la rigueur des principes.
On est entré en négociations avec la France. Il faut bien, dit-on, tenir ce que l’on a promis à cette puissance amie. Tout cela se réduit à dire qu’il faut faire à la France des concessions. Il y a eu des négociations ; nous le savons. Il y a eu des promesses de la part de la France ; mais ces promesses n’ont pas été exécutées. Ce que le ministre du commerce en France a reconnu devoir être fait en toute justice en faveur de la Belgique, n’a pas été fait. Je vais le démontrer. J’admets qu’il y a eu contrat ou quasi-contrat, promesse ou quasi-promesse ; mais on voudra bien admettre aussi que, si les promesses n’ont pas été exécutées de la part du gouvernement qui les avait faites vis-à-vis du gouvernement qui devait en donner l’équivalent, le gouvernement qui devait donner cet équivalent n’est pas tenu de le faire ; car il y a contrat bilatéral lorsque les deux parties sont engagées ; mais si une partie ne remplit pas son engagement, l’autre n’est pas tenue de remplir le sien.
Ainsi, en prenant la position la plus favorable à nos honorables adversaires, je dis : Oui il y a eu des négociations ; oui, il y a eu des promesses. Mais les négociations n’ont pas eu de résultat, les promesses n’ont pas été exécutées, elles ne peuvent donc nous lier en aucune manière. Les ministres français eux-mêmes, à la tribune, ont déclaré qu’ils avaient la conviction que la Belgique avait droit à des avantages plus grands que ceux qui lui ont été promis. Or, les avantages qui nous ont été promis ne nous ont pas même été accordés. Et c’est dans des circonstances semblables qu’on vient demander à la Belgique de faire des sacrifices comme si elle en avait reçu l’équivalent, tandis qu’elle n’a rien obtenu.
Ce que je dis ici, je le puise d’abord dans l’exposé des motifs du projet de loi actuellement en discussion. Je lis à la page 2 :
« Des commissaires furent désignés afin de connaître les conséquences réciproques suivant lesquelles il pourrait être apporté des modifications aux tarifs des deux pays.
« Les rapports d’amitié et de bon voisinage, si avantageusement établis entre la France et la Belgique, faisaient désirer depuis longtemps que l’on parvînt à aplanir les difficultés inséparables de la complexité des intérêts de cette nature.
« Ainsi que nous venons de le faire remarquer, la Belgique est entrée la première dans les voies de conciliation ; heureusement elle vient d’acquérir la preuve que la France est disposée à s’y rencontrer avec elle ; une ordonnance royale du 10 octobre 1835 a apporté au tarif des douanes de France des modérations dont plusieurs sont favorables à nos produits industriels ou territoriaux ; de plus, le projet de loi présenté le 2 avril courant aux chambres françaises promet particulièrement de nouvelles améliorations notables ; ces résultats justifient de plus en plus l’espoir conçu de voir les deux pays s’accorder successivement des avantages propres à assurer et à accroître mutuellement leur prospérité commerciale. »
Vous voyez donc que dans l’opinion même de ceux qui présentent le projet de loi, nous devons avoir égard aux dispositions de l’ordonnance du 10 octobre 1835 et aux dispositions du projet de loi du 2 avril 1836, et concevoir l’espoir qu’au moyen de cela les deux pays pourront s’accorder réciproquement des avantages.
Déjà à cette époque les adversaires du projet disaient qu’un espoir était peu de chose ; qu’il ne suffisait pas d’un espoir pour traiter ; que pour traiter en de pareilles matières, il fallait des certitudes, comme équivalent d’autres certitudes. On avait raison exprimer ainsi. Alors, comme on le disait, cet espoir était peu de chose. Aujourd’hui l’expérience a démontré que l’espoir n’est rien, car il est déçu. Les dispositions de l’ordonnance du 10 octobre 1835 ont été singulièrement restreintes devant les chambres françaises ; le projet de loi du 2 avril 1836 a été singulièrement modifié. Les avantages qui devaient résulter pour la Belgique de l’ordonnance du 10 octobre 1835 et de la loi 2 avril 1836, lui ont été enlevés, et je le prouve.
Ici, je vous prie de recourir à un gros mémoire (cela ne doit pas vous effrayer), présenté par les fabricants de draperies. Il entre dans tous les détails ; il examine la loi dans son ensemble et dans ses détails. Ce mémoire que je considère comme un chef-d’œuvre d’économie politique, m’a donné la conviction que si le projet de loi était adopté, il ferait le malheur de notre pays.
Je lis à la page 16 de ce mémoire :
« Toutes les promesses faites à nos négociateurs, celles en vertu desquelles le projet de loi du 14 avril a été conçu et rédigé, n’ont donc pas été remplacées. La preuve en sera fournie à l’instant.
« Avant la promulgation des lois de douanes des 2 et 5 juillet, une ordonnance sur la matière avait été publiée par M. Duchâtel le 10 octobre 1835. Le projet de loi avait été présenté aux chambres par M. Passy le 2 avril 1836. Si l’on compare ces deux documents avec les lois rendues plus tard, les différences sont nombreuses. Le rapport qui précède l’ordonnance du 10 octobre 1835, promettait une réduction de droits sur les rails destines aux chemins de fer ; la discussion a écarté cette réduction. Le projet de loi de M. Passy promettait une réduction sur les machines ; les débats l’ont ajournée. Le même projet avait proposé d’abaisser à 50 fr. par 100 kilog. le droit sur les peaux tannées pour semelles ; c’est à 75 fr. par 100 kilog. qu’il a été définitivement fixé. Un avantage offert sur l’entrée par terre des grandes peaux brutes et sèches, n’a pas été conservé. »
Voilà donc ce que le ministre du commerce de France avait regardé comme juste et équitable pour que la Belgique fît des concessions . Et quand un honorable membre, M. Dumortier, a rappelé hier les paroles de M. Passy, il a eu parfaitement raison. Car peut-on mieux connaître les dispositions d’un pays que quand le ministre chargé de représenter ses intérêts commerciaux vient s’exprimer ainsi que l’a fait M. Passy ! La Belgique, a dit ce ministre, offre des sacrifices plus grands que ceux que peut faire la France.
Peut-on venir dire sérieusement devant une assemblée législative, que le ministre n’a avancé cela que pour faire passer son projet ? Ce serait donner une très mauvaise idée des ministres en général que d’assurer qu’ils sont capables d’eu imposer pour faire adopter un projet de loi ; je ne ferai pas cette injure à M- Passy, et je croirai, avec M. Dumortier, que le ministre français n’a dit que ce qui était vrai.
Mais laissons-là les dires et voyons les faits. L’ordonnance de 1835 est là ; les dispositions nous en sont connues ; les dispositions du projet de loi de 1836 sont également là : eh bien, ces dispositions sont-elles l’équivalent des concessions qu’on veut nous faire adopter ? Nos négociateurs étaient, dit-on, parvenus à faire un traité de commerce qui devait être sanctionné par la chambre ; les concessions provisoirement arrêtées étaient les dispositions renfermées dans l’ordonnance de 1835 et dans le projet de loi de 1836 ; il n’y a donc pas équivalent ; car s’il y a eu promesses, ces promesses n’ont pas été exécutées ; et par conséquent nous ne pouvons ratifier les promesses faites par nos agents.
Quand on a présenté le projet de loi dont nous nous occupons, les chambres françaises n’avaient pas encore prononcé ; tout était en projet ; et l’on nous disait que l’on concevait l’espoir de voir les deux pays s’accorder des avantages réciproques ; mais cet espoir a été déçu ; et c’est une leçon pour qu’à l’avenir on n’agisse plus à la légère. Qu’on ne se laisse donc pas aller aux idées libérales qui germent dans tous les cœurs, car elles nous égareraient et nous conduiraient à prendre des décisions qui seraient fatales à nos mandants.
Après ces considérations, j’ai à me demander dans quelle position nous nous trouvons à l’égard de la loi en discussion elle-même. On vous l’a déjà dit, et sur ce point je partage l’opinion d’un des honorables préopinants, les lois de douane, en général, doivent entraîner les plus graves conséquences ; elles sont faites de telles manière que des intérêts sont froissés ou sont avantagés ; elles produisent la richesse ou la pauvreté de certaines classes ; car ce qui est pour les pays entre eux est aussi pour les provinces entre elles d’un même pays.
De ces prémisses découle nécessairement la conséquence qu’il faut être très sobre de changements en matière de douane, qu’il faut être très réservé à apporter des modifications au tarif, et que la nécessité doit être flagrante pour porter atteinte à ce qui existe.
On vous l’a dit encore, et ceci n’a fait que fortifier ma conviction, lorsqu’une industrie a pu compter pendant un certain nombre d’années sur un ordre de choses, et qu’en conséquence elle a multiplié ses machines, ses usines, il faut y regarder à deux fois avant de bouleverser cet ordre de choses et d’anéantir les capitaux appliqués à un immense matériel.
Voilà des principes certains que l’on peut opposer à ce que l’on a fait valoir en faveur de l’opinion contraire. Vous trouverez tout cela parfaitement développé dans le mémoire que j’ai cité. Il est désolant qu’on ne puisse le lire en entier ; tous les principes y sont nettement posés ; toutes les difficultés y sont résolues. Il faut puiser partout, surtout quand on trouve du bon, et c’est dans le mémoire de messieurs de Verviers que j’ai trouvé de quoi baser ma conviction. J’ai également trouvé dans cet ouvrage les principes particuliers relatifs aux modifications des tarifs, et parce qu’en raison de son volume, il pourrait effrayer quelques lecteurs, je vais en présenter, en peu de mots, le résumé.
Ces messieurs disent, comme nous disions tout à l’heure, qu’il faut être sobre de concessions, et n’accorder rigoureusement que l’équivalent de celles que l’on reçoit. Ce principe est incontestable ; il est particulièrement incontestable en présence d’un état de choses tel que celui qui existe, c’est-à-dire, lorsque les prohibitions et les élévations de droits n’ont lieu qu’à titre de représailles. Que les prohibitions et les élévations de droits n’aient lieu qu’à titre de représailles, cela résulte à la dernière évidence. L’arrêté de Guillaume de 1825 n’était qu’une mesure de représailles contre la France, et cet arrêté a été converti en loi par les états généraux.
A-t-il été porté la moindre atteinte à cet état des choses ? Je ne citerai qu’un seul exemple ; nos draps sont prohibés en France, et nous avons prohibé les draps français ; eh bien, c’est au moment où les draps belges ne peuvent entrer en France que l’on veut autoriser les draps français à entrer en Belgique ! Est-ce une loi belge, nationale que l’on veut faire ? Disons-le franchement, si la loi était adoptée, elle ferait honte à la Belgique, elle serait une loi de bassesse ; elle prouverait que nous sommes à la remorque de la France ; elle prouverait que chez nous il n’y a pas d’indépendance nationale.
Ne nous trompons pas, et ne croyons pas avec M. Rogier que le but de la loi est de rétablir une puissance alliée dans le droit commun ; car le droit commun exige que ceux qui nous demandent des concessions vous en fassent de même nature ; et cela est si vrai qu’on l’a parlé de ce que les ministres français avaient fait et tenté de faire pour la Belgique. On voit, dans le mémoire que j’ai cité, que les ministres français, à certaines époques, avaient tenté de faire lever la prohibition à l’entrée des draps belges en France ; qu’un cri s’était élevé dans ce pays contre une pareille proposition, et que l’on a dû céder à l’opinion. Voilà ce qui est ; et c’est dans de telles circonstances qu’on demande des équivalents aux concessions qui nous ont été faites !
Ce que nous désirions a été demandé par le ministère français, mais a été rejeté par les chambres ; ce n’est donc pas le cas de déroger à nos lois et d’en adopter une qui n’aurait pour but que de nous rendre ridicules aux yeux des peuples civilisés.
Il faut avoir égard au temps où l’on traite et au pays avec lequel on traite ; en temps de crise, l’utilité des mesures prohibitives ne peut être méconnue ; ce principe que les auteurs du mémoire développent, est également certain. C’est au temps qu’il faut s’attacher, c’est aux peuples avec lesquels on traite qu’il faut avoir égard : vous connaissez notre position vis-à-vis de la France, vous connaissez les propositions faites à la chambre française, et vous savez ce qui en est advenu. Ce principe concourt donc avec le premier au rejet d’un projet de loi subversif de toutes les règles d’économie politique.
Un troisième principe est relatif aux aménagements qu’il faut apporter dans les changements de tarifs par rapport aux industries que ces changements peuvent atteindre. Nous vous parlerons de l’importance de la fabrication des draps quand nous en serons à son article ; il s’agit actuellement de la bonneterie, industrie intéressante puisqu’elle est exercée par les cultivateur en certaines saisons, lorsque les travaux de l’agriculture leur en laissent le loisir ; l’abaissement des tarifs l’anéantirait ; cependant nous n’apprécierons pas les propositions de ceux qui veulent une augmentation de tarif, et nous croirons avoir concilié les intérêts de cette classe d’industriels avec ceux du pays par le statu quo, ou par le rejet de la loi dans son ensemble.
Ces ménagements sont à considérer dans les capitaux immobilisés, dans la situation des finances ; mais sur ces points divers, je vous prie de recourir au mémoire pour les détails.
Quatrième règle : il est essentiel de respecter l’opinion. Messieurs, la France, l’Angleterre et tous les pays chez lesquels nous pouvons chercher des exemples ont respecté cette opinion.
Jamais une loi en matière de douanes n’a été accueillie, présentée même, que conformément à l’opinion qui domine. Nous en avons encore la preuve dans ce qui a été fait par le ministère français : on sait, messieurs, qu’il avait proposé de laisser entrer nos draps en France, moyennant, il est vrai, un droit très élevé, et qu’il a dû renoncer à son projet et le retirer. Ici, messieurs, l’opinion publique a prononcé sur le projet que nous discutons ; d’un bout de la Belgique à l’autre, il n’y a qu’un cri à cet égard ; l’industrie, messieurs, se trouve dans une crise, l’industrie est effrayée des résultats de la loi. Je ne vous parlerai pas seulement de Verviers, de Tournay, de telle ou telle autre localité ; je suis étranger à toutes les localités que la chose concerne, mais ce que je sais c’est que d’un bout de la Belgique à l’autre il n’y a qu’une opinion contre le projet qui nous est soumis. Pourquoi donc accorder des concessions, s’écrie-t-on, à ceux qui n’en veulent pas faire à leur tour ? Pourquoi lever la prohibition en faveur de ceux qui veulent la maintenir ? Vous avez usé de représailles, ayez le courage de les maintenir jusqu’à ce que les mesures qui les ont provoquées aient été retirées. C’est en agissant de cette manière que vous parviendrez à obtenir justice de vos voisins.
C’est là, messieurs, le quatrième principe que j’invoque ; je crois qu’il ne peut pas souffrir de difficulté.
La cinquième règle, c’est de ne jamais sacrifier une industrie sans lui offrir à l’instant même une compensation au moins équivalente. Vous voulez ici, messieurs, le sacrifice de telle et telle industrie ? Eh bien, si vous le demandez dans l’intérêt général, les principes exigent que vous puissiez indemniser les industries que vous voulez sacrifier. Quel est donc le dédommagement que vous offrirez aux industries que la loi viendrait frapper de mort ? Si la loi passait, c’en serait fait de l’industrie drapière, qui est si intéressante, et de beaucoup d’autres encore Or, je le demande, que deviendront les capitaux engagés dans ces industries ? Que deviendront les nombreux ouvriers auxquels elles fournissent du travail ? Quelles seront les conséquences d’une mesure qui réduira à la dernière misère un aussi grand nombre d’ouvriers ? N’auriez-vous pas à craindre de nouvelles commotions politiques ? Quant à moi, je suis persuadé, messieurs, que notre position n’est pas encore telle que nous puissions dire qu’en portant atteinte à des intérêts, aussi multipliés que ceux qui seraient froissés par la loi dont nous nous occupons, nous ne donnerions pas lieu à des inconvénients semblables à ceux que nous avons déplorés précédemment.
La sixième règle, c’est qu’il n’y a de bonnes lois de douanes que celles qui sont discutées et votées avec une parfaite indépendance ; c’est là un principe, messieurs, que personne ne peut révoquer en doute et qui doit surtout fixer votre attention. Or, messieurs, y a-t-il indépendance des concessions à faire à un pays qui ne veut pas en faire lui-même ; à lever la prohibition en faveur d’une nation qui la maintient à l’égard de nos produits ? On dit : « C’est un pays allié, c’est un pays qui nous a rendu des services ; il faut le traiter avec ménagements, et on veut lui faire des concessions quand même. » Mais, messieurs, c’est là mettre de côté l’indépendance nationale ; je dirai plus, c’est compromettre l’honneur du peuple belge. Car enfin, j’espère au moins qu’au moment où nous vivons, nous pouvons dire que la Belgique est indépendante ; nous savons au moyen de quels immenses sacrifices elle a acquis cette indépendance. Eh bien, messieurs, soyons donc indépendants, non seulement de nom, mais en fait ; montrons cette indépendance quand il s’agit de voter une loi de douane, et ne la faisons pas de manière que tous les peuples civilisés nous reprochent de nous être mis à la remorque d’une puissance, dont nous croyons avoir besoin.
J’ai vu, messieurs, dans les amendements qui ont été adoptés, des tempéraments de nature à satisfaire quelques hommes, parce que l’intérêt de telle et telle localité s’en trouverait avantagé ou au moins ne serait pas sacrifié. Je dis parce que telle et telle localité se trouverait avantagée ou ne se trouverait pas sacrifiée, car c’est peut-être encore une question de savoir si l’industrie de la bonneterie gagnerait à l’amendement qui a été adopté, et si le statu quo ne serait pas plus favorable à cette industrie que ce qui résulterait de l’amendement qui a été voté. Je laisse cette question indécise ; mais, tout en la laissant indécise, je voterai contre l’amendement, parce que je le regarde comme étant de nature à pouvoir peut-être, par l’assentiment des députés des localités qui seraient avantagées, procurer à la loi, lors du vote définitif, une majorité de quelques voix, et sacrifier ainsi d’autres intérêts locaux. Voilà, messieurs, ce que je vous prie de ne pas perdre de vue, car c’est le point culminant de toute la discussion. Il est bon de savoir qu’au moyen de quelques amendements qui semblent favoriser certains intérêts, on parvient quelquefois à faire passer des lois qui en sacrifient beaucoup d’autres.
Pour la draperie, on a adopté un amendement en vertu duquel la prohibition ne serait levée qu’en 1839 ; eh bien, messieurs, je vous dirai que j’ai la conviction qu’au lieu de faire quelque chose pour cette industrie, on a rendu sa position beaucoup plus défavorable que si l’on n’avait pas introduit dans la loi la disposition dont il s’agit. Quoi ! vous tenez la massue suspendue sur la tête des fabricants de draps depuis 1837 jusqu’en 1839, et vous voulez que l’industrie qui ne vit que de confiance, puisse prospérer dans cet état de choses ! La confiance est avant tout nécessaire à l’industrie, et vous lui dites qu’en 1839 ses capitaux n’auront plus d’emploi, ses ouvriers plus de travail ! Dites-moi après cela quel avantage résulte pour l’industrie drapière de l’amendement dont il s’agit ?
Cette disposition, messieurs, est une véritable dérision ; elle dit aux fabricants de draps : Travaillez, prospérez jusqu’en 1839, augmentez vos établissements, mais en 1839 ce sera fini ; alors votre industrie sera arrêtée, alors elle sera frappée de mort. C’est là ôter entièrement la confiance qui est la base nécessaire de toute industrie .
On dit que nous devons nous en rapporter à la bonne foi de la France, que nous avons tout lieu d’espérer qu’il n’y a pas de doute qu’elle nous fera des concessions. Messieurs, il faut encore ici consulter l’expérience ; l’Angleterre a tout fait pour la France. et qu’on me dise ce que la France a fait pour l’Angleterre ? La Suisse laisse entrer chez elle tous les produits français, et qu’on me dise ce que la France a fait pour elle ? Peut-être l’Angleterre a-t-elle changé tant soit peu d’opinion, peut-être commence-t-elle à s’apercevoir, elle qui a eu des idées peut-être trop libérales sur ce point, qu’elle a été dupe des concessions qu’elle a faites à la France ; aussi avons-nous vu récemment qu’elle a perçu des droits sur les marchandises françaises chargées dans des ports anglais et destinées pour Alger. Est-ce politique ? Est-ce l’arrière-pensée d’en venir là où l’Angleterre n’a jamais voulu aller ? Je ne déciderai rien à cet égard, mais toujours est-il que ceux qui ont été assez bénévoles pour faire des concessions à la France n’ont rien obtenu : l’Angleterre n’a rien obtenu, la Suisse n’a rien obtenu ; accordez tout et vous n’obtiendrez rien.
Je réduis maintenant la question à ses véritables éléments : j’ai entendu hier les questions que l’honorable M. Desmaisières a adressées aux ministres ; j’ai cru qu’à l’ouverture de la séance ces questions auraient reçu une réponse : cette réponse sera-t-elle donnée ou ne le sera-t-elle pas ? Je l’ignore. Mais toujours est-il que ces questions sont d’une haute portée et qu’elles se rattachent tellement à l’opinion que je viens d’émettre, que je les considère en quelque sorte comme en étant le résumé. M. Desmaisières demande au ministère : « Vous prétendez qu’il y a eu une espèce d’arrangement (je ne dis pas un arrangement formel, car jamais dans un pays constitutionnel il n’en a été conclu de semblable sans l’assentiment des chambres) ; eh bien, veuillez donner quelques explications sur les points suivants
« Première question. Quels sont les divers articles du tarif français, qu’ont eu en vue de faire modifier les mesures de représailles prises par l’arrêté du 20 août 1825, converti en loi le 8 janvier 1824 ? »
Ces prémisses, il importe de les connaître pour fixer ensuite l’opinion sur ce qui doit en être le résultat.
« Deuxième question. Quelles étaient les modifications demandées au tarif français dans l’intérêt commun de la Belgique et de la Hollande ? Quelles étaient celles demandées seulement ou plus particulièrement dans l’intérêt de la Hollande ? Quelles étaient celles demandées seulement ou plus particulièrement dans l’intérêt de la Belgique ? Quelles sont celles que, relativement à notre position politique, industrielle et commerciale actuelle, il nous importe le plus d’obtenir ? »
« Troisième question. Quelles sont les diverses concessions en faveur de la France et les diverses suppressions de mesures de représailles que le congrès national et la législature ont décrétées depuis la séparation de la Belgique et de la Hollande ? »
« Quatrième question. Quels sont les avantages qui résultent pour la Belgique des modifications apportées au tarif des douanes de France par les lois des 2 et 5 juillet 1836 ? Quels sont ceux qui seraient résultés des projets de loi, si la législature ne les avait pas modifiés ? »
Les lois des 2 et 5 juillet 1836 sont déjà réduites à leur véritable valeur ; ces lois devaient consacrer les ordonnances d’octobre 1835 ,qui renfermaient l’équivalent de ce qu’on nous demandait ; il ne fallait pas nous retirer la plupart des avantages que nous promettaient les ordonnances dont il s’agit, car c’était là les concessions que la Fronce devait nous faire pour que nous lui en fissions à noire tour.
« Cinquième question. Les lois françaises des 2 et 5 juillet 1836 ou les projets ministériels de ces lois, et le projet de loi soumis en ce moment à notre examen, sont-ils le résultat de négociations établies entre les gouvernements des deux pays ? Y a-t-il eu des engagements pris de part et d’autre, et de quelle nature sont-ils, s’il y en a eu ? »
Cela est très rationnel. On nous avait dit hier que des promesses avaient été faites, que l’honneur national était engagé, que la Belgique devait tenir sa parole. Mais, messieurs, la Belgique a un mot à dire par l’organe de ses représentants, et son gouvernement ne peut traiter, sans y être autorisé. Quoi qu’il en soit, il nous importe de savoir en quoi toutes ces promesses consistaient.
« Sixième question. Est-il à la connaissance du ministère que des commissaires français, les uns à mission ouverte, les autres à mission secrète, sont venus, préalablement à la présentation des projets de loi des 2 et 5 juillet, recueillir des renseignements nombreux en Belgique ? Est-il à sa connaissance que depuis le premier vote émis par nous sur le projet actuel en discussion, il est venu en Belgique des agents français chargés de l’une ou de l’autre de ces mêmes missions de la part de leur gouvernement ? »
L’honorable M. Desmaisières doit à cet égard en savoir un peu plus que nous, et comme dans la circonstance présente il importe d’avoir des renseignements, je pense que M. Desmaisières a encore parfaitement bien fait, en posant cette question ; car les réponses qu’on donnera à cette question sont de nature à nous fournir des lumières précieuses.
M. Desmaisières a terminé sa série de questions par celle-ci :
« Le gouvernement belge a-t-il envoyé, et à quelles époques, des agents chargés de semblables missions en France ? Dans ce cas, quels sont les renseignements qu’ils ont réussi à recueillir ? »
Cette question, messieurs, me semble encore très opportune. On nous a parlé de négociateurs que le gouvernement belge a envoyés à Paris ; il nous importe de savoir quels ont été les résultats de leur mission. Je sais bien que quand nous envoyons des commissaires en France, ils y sont parfaitement reçus, qu’ils sont fêtés de la manière la plus amicale ; mais quant à des concessions en notre faveur, ils n’en obtiennent jamais. Et nous irions répondre à un semblable résultat par des concessions réelles ! Mais, messieurs, la chose est impossible ; et je crois en avoir dit assez pour établir que ce que nous avons de mieux à faire, c’est de maintenir le statu quo. En cela, je suis d’accord avec l’honorable M. Rogier. Si nous maintenons le statu quo, on ne pourra nous adresser aucun reproche, ni de loyauté, ni de manque de parole. Un temps plus heureux viendra peut-être ; nous attendrons que de nouvelles négociations soient ouvertes, et qu’elles aient produit quelques résultats ; alors nous ferons ce que la justice exigera de nous. Mais pour le moment, le maintien du statu quo doit être notre ligne de conduite, et c’est dans l’intime conviction qu’il doit en être ainsi, que je voterai le rejet de toute la loi ; je voterai également contre tous les amendements, pour les motifs que j’ai déjà fait valoir.
M. le ministre de l’intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). – Messieurs, lorsque j’ai demandé la parole, je me proposais de répondre aux questions qui ont été adressées hier au gouvernement par l’honorable M. Desmaisières, et en même temps de rencontrer quelques-uns des arguments de l’honorable préopinant. Je dois dire cependant, que les questions posées par M. Desmaisières n’ont rien qui doive jeter un jour nouveau dans cette discussion, attendu que tous les faits essentiels ont déjà été établis dans la dernière session :
« Première question. Quels sont les divers articles du tarif français, qu’ont eu en vue de faire modifier les mesures de représailles prises par l’arrêté du 20 août 1825, converti en loi le 8 janvier 1824 ? »
A cet égard, je ne puis donner d’autre réponse que celle-ci : nous ne possédons pas les archives de l’ancien gouvernement ; nous ne trouvons pas non plus énumérés dans les considérants, soit de l’arrêté de 1823, soit de la loi de 1824 qui l’a suivi, les motifs spéciaux qui ont provoqué cette disposition législative. Mais personne n’ignore que ces mesures ont été prises parce que la France avait adopté un système de commerce restrictif.
A ce sujet, on aurait pu adopter une question bien plus importante et demander quels avantages la loi de 1824 avait procurés à la Belgique. Je crois qu’on eût été très embarrassé de prouver que la Belgique a profité d’une manière quelconque de ces dispositions prises par le gouvernement des Pays-Bas.
« Deuxième question. Quelles étaient les modifications demandées au tarif français dans l’intérêt commun de la Belgique et de la Hollande ? Quelles étaient celles demandées seulement ou plus particulièrement dans l’intérêt de la Hollande ? Quelles étaient celles demandées seulement ou plus particulièrement dans l’intérêt de la Belgique ? »
A ces questions ; je dois encore répondre que nous ne possédons par les anciennes archives, et que, par conséquent, il nous est impossible de fournir avec certitude les renseignements demandés. Cependant chacun pourra supposer, avec beaucoup de fondement, que le gouvernement des Pays-Bas réclamait du gouvernement français l’adoption des mesures les plus favorables au commerce du pays en général.
« Quelles sont celles que. relativement à notre position politique, industrielle ou commerciale actuelle, il nous importe le plus d’obtenir ? »
Ici, messieurs, nous ne sommes nullement embarrassés pour notre réponse. Nous indiquerons en premier lieu la levée de la prohibition, ou l’abaissement des droits pour tous les produits manufacturés en Belgique. Nous indiquerons ensuite l’abaissement des droits sur les produits de notre agriculture, sur nos fers, etc. Il est évident que si ces concessions pouvaient être obtenues de la part de la France, il en résulterait un grand avantage pour la Belgique. Mais là n’est pas la question ; il s’agit de savoir si la Belgique est à même de répondre, par des compensations équivalentes. aux dispositions que la France prendrait à cet égard en notre faveur.
« Troisième question. Quelles sont les diverses concessions en faveur de la France et les diverses suppressions de mesures de représailles que le congrès national et la législature ont décrétées depuis la séparation de la Belgique et de la Hollande. »
A cet égard, messieurs, je puis m’en rapporter au discours que j’ai prononcé dans la séance du 22 avril dernier ; je disais alors :
« L’on a parlé, dans le rapport de la section centrale, de la suppression de la différence de la patente à l’égard des bateliers charbonniers ; mais, messieurs, cette suppression a été également faite dans notre intérêt, pour augmenter la concurrence pour l’exportation des charbons.
« On a parlé d’une loi qui a laissé introduire certaines qualités de charbon français ; mais dans quel but cette loi a-t-elle été portée ? Evidemment dans l’intérêt de nos chaufourniers. Les modifications apportées à notre tarif, quant à l’introduction des vins de France qui en ont permis l’entrée par terre, ces modifications étaient dans l’intérêt du consommateur belge et de nos rouliers. Il n’y avait pas de motifs plausibles pour priver plusieurs de nos provinces du commerce direct avec la France et de les obliger de recevoir cette denrée par l’un de nos ports. C’est une des considérations qui ont déterminé à retirer cette disposition, tout en admettant qu’on ait eu en vue de faire une chose qui fût agréable à la France et de nature à obtenir une réciprocité de sa part. »
« Quatrième question. Quels sont les avantages qui résultent pour la Belgique des modifications apportées au tarif des douanes de France par les lois des 2 et 5 juillet 1836 ? Quels sont ceux qui seraient résultés des projets de loi, si la législature ne les avait pas modifiés ? »
Cette question est double. Quant au premier point : quels sont les avantages qui résultent pour la Belgique des modifications apportées au tarif des douanes de la France par les lois des 2 et 5 juillet 1836 ? il a été répondu au moyen de l’imprimé que nous avons communiqué à la chambre, il contient les diverses modifications apportées par les lois nouvelles au tarif ancien. Voilà, messieurs, pour le point législatif. Quant au point de fait, il est évident que les exportations vers la France ont considérablement augmenté, depuis les ordonnances du mois de décembre 1835, converties en loi au mois de juillet 1836.
On a demandé quels avantages seraient résultés pour nous, si le projet de loi avait été adopté par les chambres françaises, tel qu’il leur avait été soumis par le gouvernement.
Chacun de vous, messieurs, a pu consulter le projet de loi qui a été imprimé dans le Moniteur, et en faire la comparaison avec la loi qui a été adoptée. Cependant, pour éviter des recherches, j’indiquerai succinctement ces modifications.
Une première modification, et c’est la plus importante, a été apportée dans la classification des toiles. Mais ici je dois à la vérité de déclarer à la chambre que l’adoption de la proposition du gouvernement était en grande partie subordonnée à la condition qu’on administrerait la preuve que le tarif, tel qu’il existait en France, produisait par son application des droits supérieurs à ceux qu’on avait réellement eu en vue d’établir. Or, cette justification n’a pu être faite au gré des chambres françaises, et dès lors le gouvernement français a été dans l’impossibilité d’obtenir sur ce point un entier assentiment à son projet.
Les autres modifications sont au nombre de sept ; je les indiquerai succinctement.
Le projet portait : Tissus croisés en coutils pour vêtements 200 fr. les 100 kilogrammes. Le droit a été porté à 250 fr. ; il a donc été augmenté d’un quart.
Le droit sur le linge de table, ouvragé et écru, avait été proposé à 125 fr. ; il a été porté à 150 ; il y a donc ici augmentation d’un cinquième.
Le droit proposé sur le linge de table était du 250, il a été porté à 300 fr. Majoration d’un cinquième.
Mais en revanche le droit de 300 fr. proposé pour le linge de table damassé sans distinction de blanc ou d’écru, a subi une réduction de 150 fr. ; c’est-à-dire de moitié sur le linge écru.
Le droit de 10 fr. proposé sur les poulains a été porté à 15 fr.
Le droit de 50 fr. proposé sur les peaux tannées pour semelles, a été porté à 75 fr.
Sur les chapeaux de feutre, il y a eu une modification, en faveur du commerce belge ; le droit de 1 fr. 50 proposé pour les qualités communes a été étendu aux qualités fines au lieu du droit de 6 fr. dont le gouvernement voulait les laisser grevées.
Telles sont les modifications qui ont été faites au projet. J’oubliais cependant de mentionner que dans son projet de loi le gouvernement a étendu la ligne pour l’introduction de la fonte et du fer au moindre droit beaucoup au-delà de ce que son commissaire avait cru pouvoir promettre, et que cet article du projet a été adopté.
« Cinquième question. Les lois françaises des 2 et 5 juillet 1836 ou les projets ministériels de ces lois, et le projet de loi soumis en ce moment à notre examen, sont-ils le résultat de négociations établies entre les gouvernements des deux pays ? Y a-t-il eu des engagements pris de part et d’autre, et de quelle nature sont-ils, s’il y en a eu ? »
Ici je dois de nouveau donner lecture d’une partie du discours que j’ai prononcé le 2 avril dernier, où se trouve la réponse la plus complète à cette question :
« Quelques orateurs ont désiré d’obtenir des explications sur les négociations qui, selon eux, auraient eu lieu avec la France dans le but de conclure un traité de commerce ; je crois, messieurs, devoir déclarer qu’il n’a jamais été question de négocier un traité de commerce avec la France ; il y a eu uniquement des conférences qui avaient pour but d’engager la France à apporter certaines modifications à son tarif de douanes, comme de son côté la France en a réclamés de la Belgique dès le principe de notre révolution. Ces conférences ont été d’abord officieuses ; on a recueilli au préalable tous les renseignements ; dès la fin de 1831 il a été institué un grand comité chargé d’éclairer le gouvernement sur la direction à donner aux réclamations qu’il aurait à faire auprès des pays étrangers ; des commissaires ont été nommés ; ils se sont empressés de recueillir également dans leurs localités tous les renseignements qui pouvaient les guider dans les négociations.
« En 1834, les négociations devinrent officielles ; le gouvernement français nomma des commissaires, et le gouvernement belge en nomma de son côté ; les négociations furent interrompues par suite d’un changement de ministère en France, mais elles furent reprises officieusement à Bruxelles ; c’est par suite de ces conférences que des ordonnances ont paru en France, et que des projets de loi ont été présenté aux chambres, tant en France qu’en Belgique. Nous n’avons jamais pensé qu’il pût être sérieusement question de négocier un traité de commerce qui portât sur l’ensemble des intérêts des deux pays, et qui, par sa nature de traité, eût été obligatoire ; nous avons cru que chaque pays devait demeurer libre dans la fixation de son tarif de douanes comme dans les modifications qu’il croirait devoir y apporter ; nous avons atteint le même but en présentant simultanément des projets de lois qui accordent des concessions réciproques et à peu près équivalentes. J’aborderai successivement les diverses objections qui ont été présentées contre le projet que par suite de ce système nous vous avons soumis. »
« Sixième question. Est-il à la connaissance du ministère que des commissaires français, les uns à mission ouverte, les autres à mission secrète, sont venus, préalablement à la présentation des projets de loi des 2 et 5 juillet, recueillir des renseignements nombreux en Belgique ? »
En effet il est venu des commissaires français dans le pays, personne ne l’ignore. Ce fait a été signalé dans la dernière discussion, et tous les journaux l’ont annoncé au public.
« Est-il à sa connaissance que depuis le premier vote émis par nous sur le projet actuel en discussion, il est venu en Belgique des agents français chargés de l’une ou de l’autre de ces mêmes missions de la part de leur gouvernement ? »
Je dois dire qu’il n’est pas ma connaissance qu’aucun commissaire soit venu dans le courant de cette année à l’occasion du projet de loi que nous discutons. Je pense que si un agent du gouvernement français est venu, ce n’est pas à propos des points qui sont en discussion.
« Septième question. Le gouvernement belge a-t-il envoyé, et à quelles époques, des agents chargés de semblables missions en France ? Dans ce cas, quels sont les renseignements qu’ils ont réussi à recueillir ? »
(Erratum inséré dans le Moniteur n°295, du 22 octobre 1837) Je répondrai qu’en France il y a eu une enquête commerciale qui a été imprimée et que nous avons eu le soin d’examiner, que les commissaires belges se trouvaient à Paris au moment de l’enquête, et qu’ils ont pu recueillir les renseignements dont ils avaient besoin. J’ajourerai que les principaux points en discussion, ne devaient nullement dépendre d’un enquête. Je le prouverai.
En effet, messieurs, il est évident en ce qui concerne l’article actuellement en discussion, la bonneterie, que le droit de 20 p. c. n’était pas perçu à la frontière française, que l’importation se faisait en fraude, et l’opinion du gouvernement à cet égard n’a pas été démentie dans cette enceinte ; au contraire, elle a été confirmée par des faits, puisqu’hier un député a annoncé qu’il tenait en main une facture dont il constait qu’on s’engageait à importer des articles bonneterie moyennant une prime de 15 p. c. sans aucun risque pour le négociant belge.
Pour ce qui concerne la draperie, il était bien inutile de faire une enquête en France, pour savoir quel serait le résultat de la levée de la prohibition en Belgique.
L’honorable M. Devaux, dans la séance du 2 mai dernier, a rappelé à la chambre des faits et des documents d’une grande importance qui se rattachent au point en discussion. Qu’il me soit permis de vous les indiquer en peu de mots. Après avoir rapporté l’opinion de tous les députés de Verviers sur l’inutilité de la prohibition des draps français, pour soutenir leur industrie, il a cité l’opinion de la chambre de commerce de Verviers sur la question de savoir s’il fallait adopter la prohibition des cotons français en représailles de la prohibition des cotons belges.
Voici ce que disait la chambre de commerce de Verviers : (Addendum inséré dans le Moniteur n°295, du 22 octobre 1837) « Voici donc ce qu’en 1835, époque où en quelque sorte elle avait plus de liberté d’exprimer son opinion entière sur la prohibition des draps français, la chambre de commerce de Verviers en pensait. Voici les faits qu’elle signalait. On peut changer de principes tant qu’on voudra, on ne peut pas changer des faits :
« Notre industrie a besoin de débouchés ; nous demandons à la France des concessions, notamment la réduction du droit d’entrée sur nos toiles ; comment pourrons-nous espérer de réussir, si, par des mesures prohibitives, nous autorisons nos voisins à se montrer rigoureux envers nous ? D’ailleurs la législature serait-elle disposée à voter une loi dont l’exécution nécessiterait les visites domiciliaires ? Nous ne le pensons pas ; or, sans la saisie à domicile des marchandises non revêtues d’une marque constatant qu’elles sont d’origine indigène, la prohibition est illusoire. N’en avons-nous pas la preuve avec les draps de France, qui, quoique prohibés, se trouvent dans tous les magasins de la Belgique ? Les draps n’étant soumis à aucune formalité pour constater leur origine, les fabricants français peuvent, sans le moindre obstacle, introduire leurs draps chez nous par la frontière maritime, ou par la frontière d’Allemagne, en les faisant passer pour des draps allemands ou anglais, et en acquittant le droit d’entrée qui équivaut à 5 p. c. environ en terme moyen. Il n’est pas même nécessaire de s’y prendre de cette manière ; car la fraude est si bien organisée sur la frontière de France, que la prime de fraude ne surpasse pas le droit ci-dessus. »
Dès lors avons-nous besoin d’instituer une enquête, pour proposer la levée d’une prohibition aussi illusoire ? N’était-il pas plus dans l’intérêt du pays d’accepter les concessions que la France nous faisait, en nous relâchant des mesures restrictives contre la France et dont notre pays ne profitait pas.
Le gouvernement, en agissant de cette manière, n’a fait que répondre aux vœux manifestés cent fois dans le sein de la législature avant que le projet de loi dont il s’agit ne fut présenté.
Messieurs, le système de droits élevés et de prohibition me semblait avoir été irrévocablement jugé en 1835 par la chambre des représentants ; je ne supposais pas qu’il serait de nouveau mis en avant, après l’échec qu’il avait éprouvé. Et dans quelles circonstances avait-il éprouvé cet échec : quand l’industrie cotonnière jetait les hauts cris et ne cessait d’importuner le gouvernement et la législature, usant du dernier des moyens, en faisant signer des pétitions par les ouvriers. Vous vous rappelez que des pétitions sont arrivées dans cette chambre, couvertes de milliers de signatures.
On n’annonçait que malheurs dans la classe ouvrière, ruine parmi les capitalistes. La chambre a été sourde à ces clameurs, elle a discuté les raisons ; elle a vu que la prohibition était impossible en Belgique, à moins d’établir la seule garantie de la prohibition, la recherche à l’intérieur. La chambre n’a pas voulu d’un moyen aussi vexatoire, aussi antipathique à nos habitudes et qui aurait exigé un renforcement de douanes dont la dépense aurait surpassé les bénéfices qui en seraient résultés pour notre industrie. Eh bien, forts de la résolution de la chambre, forts des raisons données par plusieurs membres qui sont aujourd’hui nos adversaires (car si l’on se réfère à la discussion de 1835, on verra que plusieurs orateurs qui sont aujourd’hui partisans de la prohibition et des droits élevés, combattaient alors la prohibition et les mesures vexatoires qui en sont la conséquence), nous avons suivi vos principes dans le projet que nous avons présenté et qui est essentiellement dans les intérêts de la Belgique ; pouvions-nous dès lors nous attendre à être accusés de négliger les intérêts du pays ?
Je le déclare, la Belgique n’a pas d’intérêt commercial plus pressant que de persister dans la voie où elle a voulu entrer dès les premiers temps de la révolution à l’égard de la France, et le plus grand danger à redouter pour la Belgique serait que le projet de loi ayant été repoussé, la législature de France revînt sur la loi qu’elle a portée et qu’alors nous fussions dans la même position où nous nous sommes trouvés sous le gouvernement des Pays-Bas. Je me demande quels adoucissements au tarif français a obtenus le gouvernement des Pays-Bas après son arrêté de 1823 et la loi de 1824 ? Quels ont été les succès des négociations tentées depuis par ce gouvernement ?
Je pense qu’il est démontré que le projet de loi a été librement rédigé, et qu’il a été présenté par le gouvernement belge à l’abri toute influence étrangère.
Nous avons été les premiers à recourir à la France pour obtenir des avantages commerciaux ; la France nous en a accordé ; nous ne devons pas déserter nos premières démarches.
Je reviens à l’article actuellement en discussion, et je crois qu’il me sera très facile de prouver que la disposition proposée ne porte nullement atteinte à l’industrie du tricot ; mais je réserve cette démonstration pour la discussion spéciale qui aura lieu sur ce point. Je me bornerai à dire un mot sur la tarification au poids, à l’appui de ce que j’ai dit hier, puisque c’est le seul point maintenant en discussion.
Si la perception au poids est utile dans certaines circonstances, c’est lorsqu’il s’agit de marchandises où il n’y a pas une très grande variété de qualités et de poids. Mais dans la bonneterie, dans les bas, il y a une très grande variété ; on devrait établir autant de droits différents. Dès lors il est facile de comprendre que tout commerce deviendrait impossible. D’ailleurs, la mode amène tous les ans quelque nouvelle qualité d’objets fabriqués ; il faudrait donc chaque année ajouter un article nouveau au tarif pour atteindre ces nouveaux objets. Le système à la valeur, au contraire, s’applique à toutes les variétés, à toutes les circonstances ; on ne peut donc soutenir qu’il faille préférer le droit au poids renfermant une injustice flagrante et frappant le pauvre à l’avantage du riche, au système de la tarification à la valeur.
- La séance est levée à 4 heures et demie.