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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 17 mai 1837

(Moniteur belge n°138, du 18 mai 1838 et Moniteur belge n°139, du 19 mai 1839)

(Moniteur belge n°138, du 18 mai 1838)

(Présidence de M. Raikem.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Verdussen procède à l’appel nominal à midi trois quarts.

M. Lejeune donne lecture du procès-verbal de la séance précédente, dont la rédaction est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Verdussen fait connaître l’analyse de la pétition suivante.

« Le sieur J. Maertens, fondé de pouvoirs d’une société demanderesse en concession d’un chemin de fer vers la France, demande que la chambre accorde à cette société une indemnité du chef des pertes qui résulteraient pour elle de l’adoption du projet du gouvernement. »

- Sur la proposition de M. Lejeune, cette pétition est renvoyée à la commission qui a examiné le projet de loi présente par le gouvernement sur la construction d’un chemin de fer vers Lille, et cela comme commission spéciale.

Sur la proposition de M. de Muelenaere, appuyée par M. Dumortier, la chambre met le projet de loi relatif à la construction d’un chemin de fer vers Lille à l’ordre du jour après ceux déjà à l’ordre du jour entre les deux votes du projet de loi concernant les douanes.

Sur la proposition de M. Donny, appuyée par M. Smits et M. Desmaisières, la chambre met le projet de loi relatif aux primes concernant la pêche nationale à l’ordre du jour après celui relatif à la construction d’un chemin de fer vers Lille.

Projet de loi modifiant le tarif des douanes

Discussion du tableau du tarif

Verreries

M. le président. - La discussion est ouverte sur l’article du tarif « Verreries » ajourné dans la séance d’hier.

M. Smits. - J’ai lu attentivement le discours prononcé à la fin de la séance d’hier par l’honorable M. Frison. Mais je dois dire que je n’y ai trouvé aucun motif, aucun fait qui doive nous empêcher de retirer les mesures exceptionnelles qui frappent la France ; en effet, l’honorable membre a reconnu que les fabriques belges luttent avec avantage sur tous les marchés étrangers ; il a reconnu qu’il n’y avait presque pas de concurrence avec nos fabriques ; il a reconnu enfin que, pour les moyens de fabrication, nous ne le cédons à personne. Seulement il s’est effrayé de la progression des importations en objets de verreries étrangères, progression sans importance réelle, selon moi, si on fait attention que dans la somme de 350,000 fr., total de la valeur introduite en 1834, figure une somme d’environ 200,000 fr. pour des objets d’origine française, que nous ne fabriquons point et qui sont en général destinés aux opérations de la physique et de la chimie. Ainsi l’importation totale de verreries étrangères s’est limitée en 1834 à 110,000 fr. environ, et je vous demande, messieurs, s’il y a là de quoi s’effrayer ?

L’honorable membre, sentant sans doute la faiblesse de ce moyen d’opposition, vous a dit ensuite que les avantages dont jouissait la fabrication belge, ont disparu par suite de l’augmentation sur le combustible, la main-d’œuvre, etc. Mais ici encore une seule remarque suffira pour détruire cette objection ; car veuillez remarquer, messieurs, que si ces augmentations ont eu lieu en Belgique, elles ont dû avoir lieu aussi en France, et que par conséquent il y a égalité. D’ailleurs c’est là une circonstance momentanée, qui ne peut manquer de disparaître et qui, d’ailleurs, ne peut influencer en rien une question de principe.

J’ai dit que je n’ai découvert dans le discours de l’honorable membre rien qui doive empêcher de lever la prohibition qui frappe par exception un peuple ami, et qui est de nature à blesser sa dignité. Mais est-ce à dire pour cela qu’en levant cette prohibition, nous devions abaisser totalement nos barrières, laisser entrer librement les produits étrangers ? Nullement. Ce que nous demandons au contraire, c’est une protection large, efficace, bienfaisante pour l’industrie nationale, établie de manière à concilier l’intérêt belge avec ce que nous devons à la France.

Or, pour assurer cette protection, il faut déterminer un droit sur les produits étrangers. Quel sera ce droit ? voilà toute la question.

Aujourd’hui, et d’après le droit actuel, la verrerie étrangère, sauf celle venant de la France, est frappée d’un droit de 6 p. c., et de 4 p. c. seulement pour les importations qui se font par le Rhin. Le gouvernement, dans le projet qui vous est soumis, a demandé que ce droit fût porté à 10 p. c. pour les « verres et verreries de toute sorte, moulés, taillés, gravés, y compris les cloches, cylindres et bocaux, à l’exception des glaces et miroir, » et à 5 p. c. pour les « verres et verreries soufflés, dont la valeur de 100 kilog. n’excédera pas 250 fr., y compris les carreaux dits de Bohème. » La section centrale, au contraire, propose les droits comme suit :

« Verres unis, 10 p. c.

« Verres moulés, 20 p. c.

« Verres taillés ou gravés, 25 p. c. »

Certes, dans des temps ordinaires et dans celui où le tarif du gouvernement a été conçu, je l’aurais chaudement défendu ; mais nous nous trouvons aujourd’hui dans une circonstance tout à fait extraordinaire. Une crise commerciale qui affecte en même temps l’Amérique, l’Angleterre et la France, et dont il est malheureusement impossible de prévoir le terme, a produit nécessairement un obstacle aux débouchés. De là est résulté un encombrement dans les manufactures, et conséquemment une espèce d’obligation pour les fabricants de ces pays de réaliser leurs produits à tout prix ; or, comme il pourrait résulter de cette circonstance une grande importation de produits étrangers qui serait de nature à nuire beaucoup aux manufactures nationales, j’ai cherché un moyen pour prévenir ce grave inconvénient, et je crois l’avoir découvert dans un droit uniforme de 15 p. c. à la valeur sur tous les objets : « Verreries et cristaux, » sans exception. Si cependant l’assemblée croyait que le tarif à la valeur ne convient pas, on pourrait, dans l’intervalle des deux votes, établir le tarif au poids. Mais je crois que 15 p. c. est la limite où nous devons nous arrêter, et je demanderai à l’honorable M. Frison s’il n’a pas comme moi l’intime conviction que ce droit est suffisamment protecteur ?

La section centrale, ainsi que je l’ai fait remarquer, avait établi un tarif gradué, c’est-à-dire qu’elle avait distingué, quant à la quotité du droit, entre les verres unis, les verres moulés et les verres taillés ou gravés. Mais il me semble qu’un droit uniforme vaut mieux, parce que la marchandise paie toujours en raison de la valeur, et qu’en résultat les verres taillés ou gravés supporteront des droits plus forts que les verres unis.

J’attendrai la réponse de l’honorable M. Frison à ma proposition et à la question que je lui ai adressés, pour présenter quelques autres considérations.

M. de Brouckere. - Et moi aussi j’ai lu attentivement le discours de l’honorable M. Frison, et je l’ai trouvé tellement fort de faits, tellement logique dans tous ses raisonnements, que je crois qu’il serait difficile d’y rien répondre, de réfuter aucune de ses allégations. Aussi vous avez entendu combien a été faible la réponse que vient de lui faire l’honorable préopinant. A quoi se borne cette réponse ? L’honorable M. Frison vous avait dit que l’importation des verreries avait singulièrement augmenté depuis 1831, et il vous avait fourni un tableau qui donnait la preuve de la vérité de cette assertion. Le préopinant se borne à répondre que des chiffres qui avaient été avancés, il faut défalquer quelque chose pour des instruments de physique ou de chimie, fabriqués en France. Eh bien, personne ne s’oppose à ce que cette déduction soit faite. Toujours est-il vrai que la progression, depuis quelques années, des objets importés de France est vraie et réelle. Peu importe que le chiffre soit un peu plus ou un peu moins élevé. Ce qui importe, c’est que l’importation augmente chaque année.

M. Frison avait trouvé un argument très fort dans l’augmentation de toutes les matières nécessaires à la fabrication des verreries. On répond à cela : Il est vrai que ces matières ont beaucoup augmenté. Mais il est probable qu’elles ont augmenté dans la même progression en France. Il est probable aussi que cette augmentation en Belgique n’est que momentanée et qu’elle viendra bientôt à cesser.

D’abord, je ne crois pas que l’augmentation sur les matières premières soit aussi forte en France qu’en Belgique. En deuxième lieu, je voudrais que l’honorable membre prouvât sur quoi il fonde l’opinion que cette augmentation n’est que momentanée en Belgique ; je voudrais qu’il nous indiquât ce qui lui fait croire que le bois coûtera à l’avenir moins cher qu’aujourd’hui. Je pense tout autrement. Comme nous ne pouvons raisonner que sur des probabilités, il est probable qu’au lieu de diminuer, le bois augmentera en Belgique.

Dans des temps ordinaires l’honorable préopinant appuierait, dit-il, la proposition faite par la section centrale ; mais il convient que nous sommes dans un moment de crise, et il croit que la diminution proposée est trop forte ; il en propose une un peu moins défavorable à la fabrication belge. Si on convient que nous sommes dans un moment de crise, qu’on convienne aussi que ce n’est pas le moment de changer quelque chose à notre tarif.

Oui, il existe une crise ; elle frappe particulièrement sur les bouteilles et verreries, parce que ces produits trouvaient avant 1830 un immense débouché en Hollande et dans les colonies ; d’où il résulte que la crise qui a frappé toutes les industries depuis quelque temps, frappe plus particulièrement celle des verres et verreries. La chambre comprendra que le moment est mal choisi pour changer quelque chose au tarif, pour établir sur l’importation un droit tel que les fabricants français trouvent un très grand avantage à nous envoyer leurs produits.

Je borne là mes observations parce que je crois avoir répondu à toutes celles présentées par honorable préopinant.

Je répéterai en terminant ce qu’a dit hier l’honorable préopinant : les fabricants belges ne craindraient pas les fabricants français. Si on voulait une réciprocité complète en ce qui concerne les verreries, les fabricants belges ne feraient aucune opposition à cette mesure ; mais je ne crains pas de le dire, c’est ici une question de vie ou de mort pour la fabrication belge. Si vous abaissez le droit à un taux tel que l’introduction des produits étrangers soit trop facile, vous portez un coup de mort à l’industrie belge ; le résultat de votre décision sera des plus déplorables.

L’honorable M. Frison a dit que la fabrication des verreries en Belgique monte à plus de 6 millions. Je crois pouvoir assurer que ce chiffre n’est pas exagéré. Le nombre des ouvriers occupés par cette industrie est d’autant plus grand, que c’est particulièrement à la main-d’œuvre que sont employés les capitaux placés dans la fabrication des verreries.

J’engage la chambre à réfléchir mûrement avant de prendre une décision, et de se pénétrer que si elle abaisse trop le droit d’importation, si tant est qu’elle lève la prohibition, elle frappera de mort les verreries belges.

M. Coghen - Je viens appuyer l’amendement de M. Frison. J’ai écouté hier son discours avec la plus grande attention, je l’ai trouvé plein de faits qui ne peuvent pas être détruits. Il est évident que la fabrication des verres et cristaux occupe une population très nombreuse, qu’elle emploie des produits du pays, qu’elle donne la nourriture à une immense population, active la navigation intérieure et fournit à la navigation extérieure les moyens de former des cargaisons d’exportations, objet dont s’occupe avec toute bienveillance l’honorable député d’Anvers.

Messieurs, depuis la révolution, les verreries belges ont été dans un grand état de souffrance. Elles ne se sont pas encore tout à fait relevées de cet état.

C’est à force de soins et d’activité que nous tâchons d’arriver à rendre les nations voisines tributaires de notre industrie ; on fait des essais partout ; tous ne sont pas heureux ; il en est qui ont donné jusqu’à 80 p.c. de perte. Cependant on persévère, et en espère que l’avenir couronnera les efforts qu’on fait dans l’intérêt du pays.

On demande la suppression de la prohibition qui frappe les verres et verreries de France, et on propose de la remplacer par un droit de 5 p. c. M. Smits propose aujourd’hui de porter ce droit à 15 p. c. de la valeur.

La France contre nous prohibe d’une manière formelle tous les produits de nos verreries : cristaux et bouteilles, tout est exclu. La seule concurrence que nous ayons à redouter, c’est celle de la France ; et cette France qui nous repousse, on veut lui ouvrir la porte pour qu’elle vienne nous écraser par la concurrence de ses produits.

Les fabriques établies en France, qui fournissent à 34 millions de consommateurs, produisent avec plus d’économie que celles qui sont limitées à une consommation de 4 millions : car si les frais généraux frappent sur une production plus grande, le coût de l’objet est moindre : si vous admettez la concurrence française, même avec un droit, elle viendra chercher à anéantir votre industrie, non pas qu’il lui importe beaucoup d’avoir votre marché, mais de détruire votre industrie afin de n’avoir plus votre concurrence dans l’Inde et sur les marchés américains où nous allons aujourd’hui.

La Prusse impose les verres ordinaires de 25 à 30 p. c., et les cristaux de 40 a 50 p. c. L’Angleterre les frappe d’un droit prohibitif. Nous ne savons de quel côté nous retourner pour écouler nos produits ; partout on les repousse, et nous serions assez bons pour permettre à l’étranger de venir, avec la surabondance de ses produits qu’il fabrique à plus bas prix que nous, nous étouffer sur notre propre marché.

Je ne suis pas partisan de la prohibition, elle est contraire à mes principes ; c’est contre ma pensée que souvent je me vois dans la nécessité absolue de dans l’intérêt bien compris de mon pays. Je désire que MM. les ministres le comprennent aussi.

Souvent, dis-je, je suis entraîné à émettre un vote contre mon opinion. Mais aussi longtemps que je verrai les nations voisines nous repousser partout et chercher à nous rendre tributaires de leur industrie, à nous exploiter, jamais je ne consentirai à lever la prohibition Comme je l’ai dit lors de la discussion de la loi sur les céréales, ce serait anéantir notre industrie et jouer le rôle honteux de dupe.

Pour les cristaux, il y a une remarque très essentielle à faire. C’est une industrie qui existe en France depuis des siècles ; elle a tellement perfectionné ses produits qu’elle peut avec facilité lutter avec nous, d’autant plus qu’elle nous donne le ton et la mode pour les cristaux comme pour beaucoup d’autres objets ; c’est une loi que nous recevons de la France, et à laquelle nous ne saurions pas nous soustraire.

Depuis quelques années, une révolution s’est opérée dans cette fabrication, c’est le moulage. Par ce moyen on est parvenu à couler des cristaux comme d’autres matières. Le prix est tellement réduit que ce qui valait 20 fr., s’achète maintenant à 3 fr. Il est évident que la manufacture de France qui donne la mode, peut, pendant 4 et 5 mois, fabriquer des objets qu’elle fait passer dans le commerce ; quand elle en a fabriqué une quantité suffisante pour les jeter dans la circulation, ces objets nous arrivent ; il faut les imiter.

Un ouvrier bien adroit a besoin de six mois pour faire un moule ; et quand on est parvenu à s’en procurer un, nous nous présentons sur les marchés quand la mode est aisée ; nous pouvons alors difficilement soutenir la concurrence et trouver la vente.

En France, on fabrique des masses de marchandises. Avec un moule qui peut coûter environ de 1,000 à 2,000 francs, on compte quarante à cinquante mille objets ; en Belgique, vous en faites à peine quatre à cinq mille, de sorte que le prix de revient est majoré de toute la qualité que nous ne pouvons pas fabriquer faute de débit.

Quant à la fixation des droits pour obtenir une protection suffisante, elle est presque impossible à établir. Si on ne conserve pas la prohibition, il faudrait, dans tous les cas, un droit uniforme pour tous les cristaux, parce que si on faisait des différences il serait facile de profiter du droit le plus bas, et tout ce qui a une grande valeur passerait à des prix minimes.

(Moniteur belge n°139, du 19 mai 1837) M. Desmet. - Messieurs, vous savez comme moi que notre plus grande rivale que nous ayons pour la verrerie c’est la France, personne ne peut en douter ; c’est assez étrange qu’on paraît l’ignorer dans notre département de l’intérieur.

Les arrêtés de 1823 ont été une cause première que nos verreries ont repris : depuis lors elles ont prospéré ; et, parce qu’elles prospèrent, on veut prendre des mesures pour les anéantir : messieurs, c’est là toute la portée de la proposition du ministère et de l’amendement que vous a présenté l’honorable M. Smits.

Pour ce qui concerne les verres à vitre, l’honorable député de Charleroy vous a fait des raisonnements et cité des faits qu’il sera difficile de combattre, et aussi on ne l’a pas encore fait.

Je vais prendre la liberté de vous entretenir un instant des cristaux ou de la gobeleterie, toujours dans le but de conserver la prohibition et ne pas changer le statu quo du tarif dont nos fabriques de cristaux ont besoin pour exister.

Oui, messieurs, et veuillez bien vous en pénétrer, votre vote est une question de vie ou de mort pour ces fabriques dont vous en avez trois dans le pays, l’établissement du Val-St-Lambert, celui de M. Zoude à Namur, et celui qui existe dans le Hainaut dans la commune de Glin ; si vous conservez la prohibition, vous pourrez les conserver dans votre pays, et si vous y portez des modifications, elles devront s’expatrier et se rendre en France, où elles sont assurées de conserver la protection ; je sais même que déjà l’établissement de Val-St-Lambert a un projet de s’établir aux environs de Valenciennes, si malheureusement la proposition des ministres passe.

Et savez-vous, messieurs, pour qui on voudrait sacrifier nos verreries ; savez-vous que c’est pour une seule maison qui a le monopole dans toute la Provence ? Ce n’est donc point dans l’intérêt général de la France, mais pour une seule maison ; car vous savez que les quatre fabriques de verre qui existent en France, celle de Bauceret, de St-Louis, de Bussi et de la quatrième dont, dans ce moment, je ne puis me rappeler le nom ; que ces quatre fabriques sont réunies à Paris en une seule maison de débit.

Et vous savez, messieurs, comment ces quatre établissements font usage de leur monopole et comment ils manœuvrent pour anéantir les verreries des autres pays et particulièrement les nôtres, qui sont leurs principales rivales. ils ont deux répertoires de prix courants : un pour l’intérieur de la France et un pour le débit à l’extérieur. J’ai ces deux prix courants en main ; si vous le voulez, je pourrais vous faire voir que ces prix courais, diffèrent tellement entre eux que ceux pour l’extérieur sont 30 à 40 p. c. plus bas que ceux de l’intérieur de la France. Vous pouvez saisir la tactique de cette différence de prix courants : en France, par le monopole qu’ils y ont, ils vendent aussi cher qu’ils veulent et couvrent aisément les frais ; alors tout ce qu’ils vendent à l’étranger est bénéfice, et ainsi ils peuvent vendre à très bon compte et rester en dessous de nos prix, et ainsi nous porter un coup mortel, si la prohibition était levée et remplacée par un droit. Voilà, messieurs, toute la portée de l’amendement de M. Smits. Il m’étonne que notre bureau d’industrie, qui doit cependant savoir le moyen qu’on emploie pour détruire une branche d’industrie à l’étranger, voudrait aussi par gaîté de cœur et sans le moindre motif ni raison laisser détruire nos verreries et fabriques de cristaux.

L’honorable M. Coghen vient de vous le faire remarquer que les fabriques de France mettent en usage un moyen pour exterminer les nôtres qui réussiraient immanquablement si vous leviez la mesure prohibitive ; ce moyen est celui de mouler, et vous savez, messieurs, que dans ce moment ce sont les cristaux moulés qui forment le plus grand débit et qui remplacent en majeure partie les cristaux taillés.

En France, pour le moulage des cristaux on fait un moule dont le prix s’élève quelquefois à six ou sept mille francs ; et on coule des quantités immenses d’objets, que l’on peut jeter ensuite sur nos marchés aussi abondamment que le grosil, que les verres cassés, parce qu’on a déjà couvert les frais de moule par le débit en France, où les fabriques ont le monopole. Comment pourrions-nous soutenir la concurrence quand nous ne pouvons obtenir le moule que plus tard, et quand nous ne pouvons couler qu’une bien moins grande quantité de ces cristaux ?

Vous avez l’exemple d’une fabrique qui florissait en Belgique quand nous étions réunis à la France, et qui, depuis notre séparation s’est établie à Bauceret, où elle prospère, parce qu’elle a un débit certain qui lui donne la protection qui existe en France. Si vous changez les tarifs actuels, je connais d’autres fabriques qui seront aussi obligées de s’expatrier, et je dois encore le répéter que ces établissements se déplaceront dans le moment que le projet des ministres passerait.

Je vous conjure donc, veuillez-y prendre attention et ne pas contribuer par votre vote à anéantir des fabriques qui, sous la foi de votre tarif actuel, ont fait de grandes dépenses et sont sur le point d’en faire encore. J’ose donc me flatter que vous repousserez la proposition destructive des ministres ainsi que l’amendement de l’honorable M. Smits qui n’est qu’un palliatif, mais qui a la même portée, soyez-en sûrs.

Messieurs, je ne puis trop le dire, c’est vraiment déplorable pour notre pauvre Belgique que dans le département de l’intérieur il existe au bureau de commerce et d’industrie qui est toujours guidé par une opinion systématique en faveur du commerce extérieur et toujours défavorable à l’industrie nationale.

(Moniteur belge n°138, du 18 mai 1837) - M. Gendebien. - Messieurs, les trois honorables orateurs que vous venez d’entendre, ayant dit à peu près tout ce que je me proposais de vous dire, je pourrais renoncer à la parole. Cependant vous me permettrez d’ajouter une réflexion qui leur est échappée.

On m’a assuré, et j’ose même dire, il est notoire, qu’en France il y a quatre sociétés principales qui ont le monopole de la verrerie et surtout des cristaux. C’est à ce point que ces quatre fabriques ont un centre, une seule maison à Paris, si mes renseignements sont exacts. Or, voici le résultat de ce monopole :

Pour maintenir le prix de leurs produits à un taux élevé, ces sociétés sont convenues de briser chacune une certaine quantité des verres ou des cristaux qui ne sont pas promptement placés. Ceci ne doit pas surprendre ; c’est la même opération que l’on pratique en Hollande à l’égard des pipes.

Si on levait la prohibition, qu’en résulterait-il ? C’est qu’au lieu de briser l’excédant de leurs produits sur la consommation, elles enverraient cet excédant chez nous à très bas prix. Elles se contenteraient d’un prix égal aux frais de transport, et au prix du verre brisé ou grosil.

De cette matière elles ruineraient infailliblement nos fabriques, car il nous serait impossible de soutenir la concurrence.

Voilà des observations qui n’avaient pas encore été faites et que j’ai cru devoir vous présenter, parce que si elles sont exactes, elles sont décisives ; et pour moi elles m’ont déterminé maintenir le statu quo, bien qu’il soit prohibitif. On a parlé de la main-d’œuvre : mais il est notoire qu’en Belgique, et particulièrement dans l’arrondissement de Charleroy, la main-d’œuvre a augmenté considérablement, elle a presque doublé.... On me dit qu’elle a triplé depuis deux ou trois ans ; et la chose se conçoit facilement. Toutes les branches dans ce pays, sont poussées au dernier degré d’activité, et toutes réclament des bras ; nulle part il n’y en a assez pour répondre à cette activité ; dès lors les travailleurs deviennent rares et par conséquent exigeants. Cet accroissement de main-d’œuvre est loin de changer en fléchissant. Il augmentera encore, n’en doutez pas.

En France je ne vois pas la même raison pour l’augmentation de la main-d’œuvre ; aussi elle est beaucoup moins élevée.

On vous a fait observer que toutes les matières qui entrent dans la fabrication de la verrerie augmentent de valeur. A Charleroy, par exemple, le charbon a augmenté de cent pour cent. Quoiqu’on produise du charbon en quantité double ou quadruple, comme on en consomme dix fois plus dans les usines aux environs de Charleroy, sa valeur s’est accrue et ne diminuera pas avant deux ou trois ans, et la baisse ne sera pas très sensible. Il en est de même des autres matières qui entrent dans la composition du verre ; étant plus recherchées, elles doivent nécessairement augmenter.

Il me semble qu’on ne peut nous adresser aucun reproche de maintenir le statu quo, alors que la France persiste dans son système prohibitif, et alors surtout que les principaux intéresses viennent vous dire hautement et publiquement que si la France changeait son système, nous pourrions changer le nôtre sans inconvénient pour les deux pays. Il y aurait imprudence coupable de charger le statu quo, puisque, d’après ce que j’ai eu l’honneur de vous faire connaître pour les cristaux, ce serait nous donner la mort.

M. Smits. - L’honorable préopinant aurait parfaitement raison si les verres pouvaient venir en Belgique sans frais de transport ; car alors il arriverait que de grandes quantités de vitres et de cristaux employés comme verres brisés, dans les fabriques françaises, nous seraient envoyés ; mais cela ne pourrait avoir lieu, avec le droit protecteur que je propose ; ce droit nous rendrait toujours la concurrence favorable sur notre marche intérieur.

L’honorable M. de Brouckere a désiré avoir la preuve que l’état actuel des choses changera et que le bois diminuera ; mais le bois n’est pas le seul combustible qui s’emploie dans les verreries ; on y emploie aussi le charbon de terre. Quand les sociétés puissantes qui se sont formées auront doublé et perfectionné les moyens d’extraction de la houille, cette substance diminuera sans aucun doute sur nos marchés.

M. Gendebien. - Cela ne peut avoir lieu avant deux ou trois ans.

M. Smits. - Soit, j’admets cela ; mais toujours est-il vrai de dire que l’effet des circonstances ne sera que momentané.

M. de Brouckere. - En attendant, il faudra du bois.

M. Smits. - Oui, mais il en faut aussi à la France, et sous ce rapport elle ne se trouve pas dans une position plus favorable que nous. Ne nous trompons pas, messieurs, la véritable cause de la diminution de nos exportations en bouteilles, sur laquelle on s’est surtout appuyé pour repousser le projet, c’est la perte des colonies ; c’est là que les bouteilles s’écoulaient spécialement ; mais c’est là aussi un fait auquel il est impossible de remédier qu’en cherchant, comme nous le faisons, à augmenter nos exportations vers d’autres parages.

Un autre fait qui domine cette discussion et qu’on oublie sans cesse, c’est que la prohibition prononcée contre les produits français n’est que nominative ; car rien n’empêche ce pays de nous envoyer des produits par la voie du Rhin à 4 p. c. et par la voie de mer à 6 p. c. C’est une considération que j’ai déjà fait valoir dans une autre circonstance, quand il s’est agi des draps et des acides. Sans doute, les frais de transport des verreries seraient considérables par le Rhin ou par mer ; mais toujours est-il que l’importation est possible, et soyez persuadés que la France se serait servie de l’une ou l’autre de ces voies, si elle avait pu avec succès lutter avec nous sur le marché intérieur.

L’honorable M. de Brouckere a encore parlé de la progression effrayante de l’importation des verreries étrangères ; mais je vous demande, messieurs, ce que c’est que cette importation quand les quantités importées se limitent à 110,000 fr. environ, tandis que notre fabrication produit pour 6 ou 7 millions ?

Il me semble donc, messieurs, que toutes les considérations militent en faveur de la levée de la prohibition et de la proposition que j’ai eu l’honneur de vous faire.

M. Dumortier. - Je ne pense pas, messieurs, que ces observations de l’honorable préopinant puissent exercer aucune influence sur vos esprits ; vous avez entendu le discours de l’honorable M. Frison, et certes il est impossible d’y répondre. D’ailleurs un fait incontestable, c’est qu’avant 1823, notre verrerie était absolument dans l’enfance, que c’était à peu près comme si elle n’existait pas ; c’est sous la législation actuelle qu’elle s’est établie, et voici comment cette industrie s’est formée : les premiers établissements qui se sont fondés n’ont point pu se maintenir, malgré la législation de cette époque, et pourquoi ? Parce que les frais de premier établissement des verreries sont tels qu’ils ne peuvent pas être absorbés par les bénéfices ; ensuite des événements politiques sont survenus, ont mis le sceau à leur malheur et ils ont dû cesser. Aujourd’hui les verreries qui ont succédé à ces premiers établissements, n’ont point encore fait des bénéfices assez considérables pour couvrir les dépenses de premier établissement ; si donc on ne leur accorde pas une protection suffisante, elles ne pourront pas soutenir la concurrence et se trouveront dans le même cas que leurs devanciers.

« Mais, a dit l’honorable M. Smits, les charbons diminueront. » Il est possible que la houille diminue d’ici à quelques années ; toutefois il n’y a aucune certitude à cet égard ; quoi qu’il en soit, si la prévision de l’honorable M. Smits se réalise, il sera encore temps de nous présenter alors un projet de loi ; mais la simple éventualité de la diminution du prix de la houille n’est pas un motif pour ruiner une de nos industries.

L’honorable M. Smits a été complètement en erreur lorsqu’il a dit que la verrerie française peut éluder la prohibition en important ses produits par la voie du Rhin ; les verreries françaises sont situées de manière que si elles voulaient importer leurs produits en Belgique par la voie du Rhin, il en résulterait des frais de transport très considérables. Mais si vous levez la prohibition, les verreries françaises, par leur position à proximité des nôtres, pourront amener leurs produits sur notre marché sans payer plus de frais de transport que nos propres établissements ; la prohibition est donc indispensable.

On a dit qu’il n’a été importé que pour quelques centaines de mille francs de verreries françaises. Eh bien, messieurs, c’est précisément à la prohibition que nous devons ce résultat. Cet argument tourne donc contre le système que défend l’honorable préopinant.

Rappelons-nous, messieurs, une vérité qui a déjà été plusieurs fois énoncée dans cette enceinte : nous n’avons pas obtenu de la France toutes les concessions que nous avions droit d’en obtenir ; si nous voulons plus tard réclamer celles qui nous ont été refusées jusqu’à présent, il faudra que nous ayons quelque chose à offrir en retour, et si nous concédons tout aujourd’hui, nous aurons alors les mains vides.

Il y a, par exemple, les toiles qui sont un article très important et à l’égard desquelles nous aurons des réclamations à faire auprès du gouvernement français, car tous les députés qui connaissent cette partie conviennent que le nouveau tarif français est plus préjudiciable à nos toiles que l’ancien ; nous aurons également à réclamer pour nos bestiaux et pour une foule d’autres articles ; eh bien, si nous n’avons plus rien à offrir en échange des concessions que nous demanderons à la France, elle se rira de nous et nous n’obtiendrons rien.

Que devons-nous faire ici, après tout, messieurs ? C’est une loi dans l’intérêt de notre industrie : ce n’est pas, comme l’a déjà dit mon honorable ami. M. Dubus, une loi française ni une loi anglaise, mais une loi belge que nous devons faire.

Aujourd’hui, messieurs, nos verreries doivent stater pendant une partie de l’année ; les fours à bouteilles entre autres doivent chômer six mois par an ; comment voulez-vous dans un pareil état de choses voter une loi qui les ferait chômer pendant toute l’année ?

Je maintiens donc, messieurs que nous devons conserver la législation actuelle.

M. Coghen - Messieurs, l’honorable M. Smits a dit qu’on peut éluder la prohibition dont les cristaux français sont frappés ; c’est là une erreur le tarif porte textuellement : « cristaux et verreries d’origine française. » ; or, comme cette production se distingue très facilement de la production de Bohème, il est impossible de l’introduire puisque aussitôt qu’on reconnaîtrait l’existence dans le pays de cristaux français, l’attention de la douane serait immédiatement éveillée.

Ce qui rend étonnante la persistance qu’on met à demander la levée de la prohibition, c’est que les fabricants français ne la demandent même pas. Les propriétaires des usines considérables qui existent en France ne demandent pas que nous levions la prohibition, parce qu’ils savent bien que, si nous commettions cette faute, l’existence de nos verreries deviendrait impossible, et qu’elles devraient immédiatement passer la frontière pour se fixer en France dans le département du Nord où elles auraient cet avantage d’être placées là où le charbon et les autres produits qui doivent concourir à la fabrication des cristaux sont à bon marché. Cela est si bien connu des fabricants français qu’il n’est jamais venu dans l’idée à aucun d’eux de demander que nous levions la prohibition.

(Moniteur belge n°139, du 19 mai 1837) M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - Messieurs, nous n’avons pas à nous enquérir de la question de savoir si les fabricants français ont demandé la levée de la prohibition ; le but de la loi qui nous occupe, est de faire rentrer la France dans le droit commun, tout en maintenant en faveur de notre industrie une protection suffisante : les honorables orateurs qui ont encore dans la séance d’aujourd’hui parlé en faveur de la prohibition, ne se sont pas attachés à démontrer que le droit proposé par l’honorable M. Smits fût insuffisant ; c’est cependant la question qu’il aurait fallu discuter principalement, car si ce droit est suffisant pour protéger convenablement notre verrerie, il est inexact de dire que la proposition ruinerait cette industrie.

On a dit, messieurs, qu’avant 1823, la verrerie n’était pas aussi florissante en Belgique qu’aujourd’hui ; mais peut-on attribuer l’état de cette industrie en 1823 au peu d’élévation du tarif de cette époque ? Il ne s’ensuit pas que la proposition de l’honorable M. Smits n’est pas suffisamment protectrice, car en 1823 le maximum du droit n’était que de 6 p. c., tandis que l’honorable membre propose un droit de 15 p. c., ce qui fait une énorme différence ; ce droit facilitera d’autant plus la concurrence à nos fabricants que leurs établissements sont aujourd’hui dans un état prospère, et qu’ils n’ont plus, comme l’époque dont il s’agit, les frais de premier établissement à supporter.

On a parlé, messieurs, du prix du charbon ; mais il est évident que le charbon est plus cher en France qu’en Belgique. Quant à la main-d’œuvre, elle augmente aussi considérablement en France, parce qu’en France comme en Belgique l’industrie prend tous les jours une nouvelle extension. Remarquez d’ailleurs, messieurs, que si le prix de la main-d’œuvre s’est en ce moment considérablement élevé dans l’arrondissement de Charleroy, c’est parce qu’on y crée un très grand nombre d’établissements nouveaux, de sorte que les ouvriers ne sont pas seulement occupés à l’exploitation des usines anciennes, mais en même temps à la construction de nouvelles. Cela résulte, messieurs, de renseignements fournis par des personnes dont l’opinion doit à coup sûr faire autorité dans cette matière.

On a parlé, messieurs, de l’importation croissante des verreries françaises : on vous a déjà démontré que cette importation n’est pas à beaucoup près aussi considérable qu’on l’a dit ; j’ai ici le tableau de ce qui a été importé en 1831, et vous allez juger, par les chiffres que je vous citerai, ce qu’il faut penser de cette importation croissante :

« Glaces étamées à miroirs, cloches et lanternes de verre destinées à éclairer les vestibules, avec ou sans accessoires, cristaux, globes et cylindres.

« Il est entré en France, en 1834, pour 224,110 fr.

« De Hollande, 4,155 fr.

« De Prusse, 104,447 fr.

« Des villes anséatiques, 2,130 fr.

« De l’Angleterre, 1,110 fr.

« Du Brésil, 70 fr.

« Fioles et bouteilles d’apothicaire, pour 12,426 fr.

« Bouteilles :

« De Hollande, 1,793 fr.

« De Prusse, 549 fr. »

On dit, messieurs, que c’est surtout l’importation des bouteilles pleines qui va toujours en augmentant ; mais remarquez que le projet de loi ne change rien à cet égard ; aujourd’hui les bouteilles pleines sont admises. Du reste nous n’avons rien à craindre quant à l’importation des bouteilles vides, car il résulte du rapport de la chambre de commerce de Charleroy que les bouteilles de France sont beaucoup plus chères que les nôtres ; si on les importe, ce n’est qu’accessoirement, parce qu’elles sont remplies de liquide, et lorsqu’on fait pour le commerce de Belgique des commandes en petit, par exemple, de vins de Champagne et d’autres liquides de ce genre.

Une voix. - On ne les en importe pas moins.

M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - On ne les en importe pas moins, cela est très juste ; mais il ne faut pas croire que le projet de loi exercera la moindre influence sur l’importation des bouteilles. Ainsi cette partie du discours de M. Frison doit être complètement considérée comme non advenue, puisque si vous adoptez le projet de loi ou que vous ne l’adoptiez pas, il ne sera apporté aucun changement à l’état actuel des choses.

Je pense donc qu’il ne vaut pas la peine pour cet article seul de maintenir le principe exceptionnel à l’égard de la France, et qu’on peut très bien, par un droit convenablement gradué, conserver une protection suffisante en faveur de nos verreries,

Au reste, si l’on trouve que la proposition de l’honorable M. Smits n’est pas suffisante pour l’un ou l’autre des articles particuliers, et que l’on pense qu’il y ait lieu à faire une distinction ou à proposer une majoration, on peut la présenter, soit aujourd’hui, soit au second vote.

M. de Brouckere. - Messieurs, j’ai demandé la parole, pour relever une erreur dans laquelle l’honorable M. Smits est tombé. M. Smits, voulant prouver que la hausse sur le bois n’influerait pas longtemps sur la fabrication des verreries, a dit que très probablement le prix de la houille diminuerait d’ici à peu de temps. C’est une erreur, si l’honorable préopinant pense qu’on puisse dans la fabrication des verres substituer en général la houille au bois ; car si la houille peut être employée pour certaines parties de la verrerie, le bois est indispensable pour quelques autres. Or, le bois est à un prix très élevé, et, selon toute apparence, non seulement ce prix se maintiendra, mais il ira encore en haussant.

Du reste, les observations qui ont été faites contre la proposition du gouvernement et contre celles de la section centrale, sont restées sans réponse, tant de la part de M. le ministre de l’intérieur que de celle de M. Smits.

M. de Theux a prétendu que le prix de la journée des ouvriers n’était qu’une chose tout à fait momentanée. En effet, a-t-il dit, il résulte de rapports faits par des gens qui méritent toute confiance que le prix actuel de la journée des ouvriers est la conséquence des nombreux établissements qui s’érigent en ce moment. Cela peut être vrai pour certaines industries, mais à coup sûr cela ne peut être vrai pour les verreries ; car, qu’on élève en ce moment autant d’établissements qu’on veut, ce ne sont certainement pas les ouvriers des verreries qu’on emploie à faire ces nouveaux établissements. De manière que le nombre des nouvelles usines, fût-il même double de celles qui se construisent maintenant, ne peut influer en rien sur le prix de la journée des verriers. L’argument sur lequel on s’est appuyé frappe donc tout à fait à faux, en ce qui concerne les verreries.

M. Desmet. - Messieurs, M. le ministre de l’intérieur vient de vous dire qu’il n’a pas été répondu à la proposition de l’honorable M. Smits, tendant à substituer un droit à la prohibition actuelle. Mais, messieurs, tous ceux qui ont défendu la proposition de M. Frison ont réfuté victorieusement les arguments de M. Smits, et prouvé à l’évidence que si on levait la prohibition, les fabricants français pourraient introduire des cristaux comme du verre cassé, comme du groisil, et en peu de temps détruire entièrement nos fabriques de cristaux.

On est revenu sur la question du bois à employer dans les verreries. Il est certain que le bois est indispensable à cette fabrication, et cela est tellement vrai qu’en France les fabriques de l’espèce sont établies dans des forêts ; et il est de même des journées des ouvriers : il n’est que trop connu qu’en France, et surtout où sont établies les fabriques de cristaux, les journées sont beaucoup plus basses qu’en Belgique. Mais la principale question n’est pas seulement dans ces deux points, elle est essentiellement dans l’avantage que les fabriques françaises ont de leur monopole en France, et peuvent ainsi faire de grands sacrifices et mettre en usage tous les moyens pour anéantir les nôtres.

Je demanderai à présent qui demande la mesure que le ministère vous propose ? Est-ce le fabricant belge ? Non, car il y voit la mort. Est-ce le consommateur belge ? Jusqu’à présent vous n’êtes saisis d’aucune demande à ce sujet. Est-ce le gouvernement français ? Encore non ; car ce n’est pas un intérêt général de la France, ce n’est seulement que pour nourrir de plus en plus le monopole d’une seule maison.

Messieurs, il est vraiment déplorable, alors que ni le gouvernement français, ni les besoins de la consommation belge ne réclament une modification à l’état actuel des choses, en ce qui concerne les verreries ; il est vraiment déplorable, dis-je, de voir que la demande de la levée de prohibition émane de notre département de l’intérieur, et cela pour une seule maison de France. J’espère que la chambre appréciera les choses d’une autre manière, et qu’elle adoptera la proposition de M. Frison.

M. Gendebien. - Messieurs, l’honorable M. Smits a fait remarquer que l’importation en Belgique n’était aux produits belges que comme un est à cent. Cela peut être ainsi pour la masse des importations et non pas pour les cristaux. Mais, messieurs, si l’on chargeait le régime actuel à l’égard de la France, qui vous dit que cette importation n’arrivera pas à 50 et même à 100 p. c. de la production belge ? Car si les fabricants français peuvent, comme je le disais tout à l’heure, fournir des cristaux au prix du groisil, et s’ils nous envoient ces cristaux, au lieu de les briser, bien certainement la proportion de l’importation à la production belge ne sera plus d’un à 100 ; l’importation pourra être égale et même supérieure à la production indigène, même avec le droit de 15 p. c, proposé par M. Smits.

M. le ministre de l’intérieur vous a dit encore que l’augmentation du prix de la main-d’œuvre était le résultat d’une presse momentanée d’ouvriers pour les constructions ; cela n’est pas exact. Mais cela fût-il vrai, nous ne sommes pas sur le point de finir nos constructions ; au contraire, on en élèvera beaucoup plus en 1837 qu’en 1836, et très probablement en 1838, beaucoup plus que pendant les années précédentes.

Messieurs, toutes les mains-d’œuvre augmentent, les unes à cause de la pénurie d’ouvriers, les autres par imitation ; si les ouvriers verriers ne sont pas propres à faire des constructions, il n’est pas vrai de dire qu’ils élèvent leurs prétentions à mesure qu’ils voient d’autres mains-d’œuvre mieux salariées : il n’y a pas le moindre doute que dès l’instant qu’un genre d’ouvriers est plus recherché, et que par cette raison la main-d’œuvre augmente, toutes les autres fabrications exigent une main-d’œuvre plus élevée. C’est ce qui arrive à Charleroy, où les mains-d’oeuvre de tous les objets sont majorées, et que cette majoration se maintiendra même pour tous les ouvriers verriers, parce que ce n’est pas seulement une majoration de comparaison pour un genre de mains-d’œuvre pour lesquelles la pénurie ne se fait pas aussi vivement sentir, mais cette pénurie existe réellement, quant à la verrerie ; car notre production sous ce rapport augmente dans une proportion gigantesque. Et c’est précisément dans le moment où l’industrie prend cet essor, qu’on veut l’abandonner à la spéculation des verriers français qui, à l’avantage qu’ils trouvent dans 32 millions de consommateurs, joignent encore ceux du monopole.

Je demande s’il est prudent, sous prétexte de faire rentrer la France dans le droit commun, de lever la prohibition, alors que la France la maintient, bien qu’elle ne soit pas exposée comme nous aux dangers que j’ai signalés.

Je pense, messieurs, qu’il faut rester dans le statu quo ; s’il pouvait rester un doute sur la question, il faudrait encore s’abstenir. Or, la discussion n’a laissé aucun doute ; elle a prouvé au contraire la nécessité de maintenir l’état actuel des choses. C’est pour le statu quo que je voterai.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Messieurs, j’ai entendu dans cette discussion que l’importation de verres et verreries avait considérablement augmenté depuis quelques années.

Déjà on vous a fait connaître le chiffre de l’importation de 1834 ; voici ceux de 1835 et de 1836, et vous verrez que les choses sont restées à peu près au même niveau.

En 1835, il a été importé en Belgique pour 390,145 francs de verres et verreries de toute espère, et en 1836 pour 365,808 francs. Si vous rapprochez ces deux chiffres de celui qu’on vient d’indiquer pour 1834, lequel est de 350,000 francs environ, vous trouverez que le chiffre de l’importation n’a pas subi de notable variation.

Comparons maintenant l’état des exportations de nos verres et verreries avec celui des importations. Je vois qu’en 1835 la Belgique a exporté pour une valeur de 1,312,599 francs, et en 1836 pour 1,053,039 francs ; aussi le chiffre de nos exportations est triple de celui des importations.

Il faut ajouter à cela la consommation à peu prés exclusive du pays, et, d’après le calcul de M. Frison, nos verreries produisent pour 6 à 7 millions par an ; il est donc juste de reconnaître que sous tous les rapports nos verreries se trouvent dans une assez belle position.

Mais on nous crie : Ne changez pas cette position, ne détruisez pas l’état prospère de cette industrie qui tend encore à s’améliorer. Moi, je pense, messieurs, qu’en établissant un droit uniforme de 15 p. c. sur toutes nos frontières, nous n’introduirions en réalité aucun changement quant au commerce de la France, si ce n’est que nous la placerions sur la même ligne que les autres nations. Voilà quel serait uniquement le résultat de l’adoption d’un droit uniforme de 15 p. c.

Selon les partisans du maintien de l’état actuel des choses, le prix des matières premières est à bien meilleur compte en France qu’en Belgique. A cette occasion l’on a beaucoup parlé du bois, parce qu’il est l’agent principal dans les verreries qui consomment plus de ce combustible que de charbon ; eh bien, messieurs, je crois que ce qu’on a dit relativement à la cherté comparée du bois en France et en Belgique n’est pas exact : et, en effet, les Français viennent en faire des achats considérables en Belgique ; presque tout le produit des coupes dans trois de nos provinces frontières du midi est enlevé par les maîtres de forges et fabricants français, qui paient un droit de 6 p. c. auquel il faut ajouter dans les prix de revient les frais de transport.

Vous voyez donc, messieurs, que lorsqu’on vient prétendre que le prix du bois est moindre en France qu’en Belgique, l’on est complètement dans l’erreur.

En ce qui concerne le charbon dont le prix a aussi été annoncé comme étant moindre en France qu’en Belgique, il a déjà été répondu à l’honorable M. Coghen que puisque nous livrons la houille à la France, il n’y a pas de doute qu’elle y revient plus cher qu’en Belgique.

On a prétendu que les verriers français feraient entrer les cristaux pour rien chez nous, si la prohibition était levée, puisque aujourd’hui, au lieu de livrer à la consommation ce qui est de qualité inférieure, ils préfèrent les briser pour les refondre ; on dit en un mot que si nous levons la prohibition, les Français introduiront en Belgique ces cristaux au lieu de les casser, et qu’ils nous les livreront à peu près au prix du groisil. Mais il est positif que ces cristaux, quel que soit leur prix, ne sauraient jamais nuire à nos fabriques en luttant contre un droit protecteur de 15 p. c. Une semblable différence de condition ne peut jamais être éludée sérieusement.

Messieurs, on a beaucoup parlé des avantages que les fabricants français ont à cause de leur grand marché, de la grande consommation qui se fait en France de leurs produits. Il est vrai que le prix du verre en France est très élevé, mais vous n’ignorez pas que ces fabricants français se sont entendus pour établir un monopole.

Cela devrait nous servir de leçon ; car ne serait-il pas possible que si nous laissions le marché de la Belgique exclusivement à nos fabricants, et ce à tout prix, ils s’entendissent aussi pour exercer un monopole ? Peut-être se sont-ils déjà entendus. La prudence nous fait donc un devoir, dans l’intérêt du consommateur, c’est-à-dire dans l’intérêt général qui, lui, ne réclame pas toujours de vive voix comme les intérêts particuliers, de prendre des mesures pour empêcher un monopole, qui, s’il a pu s’établir en France malgré l’étendue du pays, s’organisera bien plus facilement en Belgique.

Après avoir cité le débouché que nous avons en Amérique, on a dit que si nous admettions, n’importe à quelles conditions, les produits des verreries françaises, nos usines viendraient bientôt à tomber, et que par suite nous perdrions encore bientôt ce débouché au profit de la France. Mais pourquoi n’aurions-nous plus ce débouché ? Et si nous pouvons vendre actuellement nos produits en Amérique, n’est-ce pas la preuve que nous sommes en situation de concourir, à conditions égales, avec la France ? car elle peut faire le commerce comme nous en Amérique, et cependant nos verreries se vendent avantageusement sur ce marché-là.

J’ai entendu l’honorable M. Dumortier dire qu’avant 1823, l’industrie de la verrerie était chez nous dans l’enfance. Cependant tout le monde connaît le magnifique établissement qui existait alors dans la province de Namur. La verrerie de Vonêche, avant 1823, était tellement florissante et étendue qu’elle produisait pour la Belgique entière. C’est depuis la législation de 1823 qu’il a cessé d’exister.

Je ne veux pas toutefois en inférer que cette législation a nui à notre industrie, mais j’en conclus qu’on a tort de prétendre qu’avant cette époque nos verreries étaient l’enfance, et que c’est à cette législation exceptionnelle qu’elles doivent leur prospérité actuelle ! et, en effet, si cela était vrai, l’établissement de Vonêche qui était dans un état prospère avant la loi de 1823, serait devenu de plus en plus florissant. C’est donc à d’autres causes qu’à la législation de 1823 qu’il faut attribuer à la fois, et la prospérité des verreries qui existent actuellement, et la chute de l’établissement de Vonêche.

M. Gendebien. - Le ministre des finances a cherché à établir que le bois était plus cher en France qu’en Belgique. Il en donne pour preuve qu’on vient de France chercher le bois chez nous, et qu’on paie un droit de sortie en Belgique et un droit d’entrée en France. C’est ici surtout, messieurs, qu’on ne peut admettre de raisonnements d’un fait particulier à une généralité. Pour les bois, les prix tiennent aux localités. Je puis même admettre que généralement il coûte plus cher en France qu’en Belgique ; mais je pose en fait que dans aucune localité de France, pour l’application à l’industrie en entendu, il n’est aussi cher qu’à Charleroy, qui est un des plus grands foyers de consommation. Pour l’exploitation des charbons seuls, pour étayer les fosses ou bures et les travaux souterrains, il en faut des quantités immenses ; et pour peu que les défrichements continuent, nous serons obligés peut-être un jour de nous servir de fer. Le bois coûte toujours cher à Charleroy, et grâce au défrichement momentané de la forêt de Soignies, nous en avons ; sans cela nous en manquerions.

Le ministre des finances reconnaît que les sociétés françaises exercent un monopole ; on doit reconnaître également la conséquence que j’ai tirée de leur manière de procéder, c’est-à-dire qu’elles peuvent nous fournir des cristaux à peu près au prix du groisil. Personne n’a conteste ni le fait ni les conséquences que j’en ai tirées ; dès lors aucun droit, quel qu’en soit le taux, ne peut protéger notre industrie. Il n’y a que la prohibition.

Mais, dit-on, on s’est entendu en France pour établir le monopole ; pourquoi les fabricants belges ne s’entendraient-ils pas aussi pour faire augmenter les prix ? C’est là une chose loisible pour eux ; il est possible qu’ils le fassent ; cependant je connais beaucoup d’obstacles à cet accord ; je n’en citerai qu’un qui est palpable. C’est qu’il y a plusieurs sociétés rivales, dont les rivalités augmentent chaque jour et qui ne sont pas au moment de s’entendre.

Ces sociétés se subdivisent d’ailleurs en d’autres sociétés indépendantes les unes des autres. Il y a en outre des particuliers, des familles, des sociétés qui prétendent concourir avec tout le monde, qui concourent effectivement avec tout le monde. Il y en a encore une toute nouvelle qui s’établit dans ce moment. Le monopole n’est donc pas si à craindre qu’on le suppose. D’ailleurs la législature se réunit tous les ans pour pourvoir à tous les besoins, et si la nécessité de détruire un monopole se faisait sentir, il y serait facilement pourvu. Encore faudrait-il procéder avec prudence, dans la crainte de remplacer le monopole par un mal plus grand, l’extinction de notre industrie, ce qui, dans l’état actuel des choses, ne manquerait pas d’arriver si, sous prétexte de détruire un monopole en Belgique, on laissait opérer le monopole français.

On nous a dit que la France fournit les marchés étrangers que nous fréquentons avec elle, et que si elle avait tant d’avantage sur nous, elle pourrait nous exclure aussi bien de ces marchés que tuer nos fabriques en s’emparant de notre marché intérieur. Je ferai observer que, pour les cristaux, nous ne pouvons pas concourir avec la France sur les marchés étrangers, et nous ne le pouvons pas précisément en raison des manœuvres que j’ai signalées et que le ministre n’a pas méconnues, le monopole des fabricants français. A ce malheur d’exclusion à l’étranger, nous en ajoutons un autre, si nous permettons aux fabricants français de faire chez nous ce qu’ils font ailleurs ; si nous les laissons s’emparer de nos marchés, notre industrie sera détruite, nous n’aurons plus même la consommation de la Belgique, et quand une fois nos établissements seront anéantis, la France augmentera ses prix et nous fera payer au décuple ce que nous aurons gagné en recevant pendant un temps ses produits au prix du groisil.

On a cité un fait pour prouver que notre industrie n’avait pas besoin de la prohibition ; on a cité l’établissement de Vonêche, qui florissait avant 1823 et qui est tombé depuis le régime protecteur. On sait la cause particulière, toute personnelle, que a fait fermer cet établissement, Mais tout le monde sait aussi que c’est à l’époque même à laquelle il a cessé que s’est établie à Liège la fabrique de Val-St-Lambert. L’argument ne prouve donc rien ; il y a là, au contraire, un fait qui prouve en faveur de l’assertion des honorables préopinants.

Je crois en avoir dit plus qu’il n’en faut pour faire maintenir le statu quo. (Aux voix ! aux voix !)

M. Hye-Hoys. - Il est bien entendu que si la proposition de M. Frison n’est pas adoptée, on reviendra à la proposition de la section centrale.

Plusieurs membres. - C’est de droit ! c’est de droit !

M. le président. - Plusieurs propositions sont faites.

M. Frison demande le maintien du tarif actuel.

M. Smits propose un droit de 15 p. c. à la valeur, sauf à établir, s’il y a lieu, le droit au poids, en prenant pour base le droit de 15 p. c.

Vient ensuite la proposition de la section centrale.

Je vais d’abord mettre aux voix la proposition de M. Frison.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Je demande l’appel nominal ; c’est une prohibition qu’on propose.

Plusieurs membres demandent l’appel nominal.

On procède à cette opération.

En voici le résultat :

71 membres prennent part au vote.

1 membre s’abstient,

41 répondent oui.

31 répondent non.

En conséquence la proposition est adoptée.

M. le président. M. Bekaert qui s’est abstenu est invité à énoncer les motifs de son abstention.

M. Bekaert. - Je me suis abstenu parce que je ne veux pas de prohibition, et je n’ai pas voté contre parce que je ne savais pas dans la circonstance actuelle le mal qui pourrait résulter de la levée de cette mesure pour les verreries indigènes.

Ont répondu oui : MM. Andries, Coghen. Corneli, Cornet de Grez, Dams, David, de Brouckere, de Jaegher, de Meer de Moorsel, Demonceau, de Muelenaere, de Puydt, de Renesse, Desmaisières, Desmanet de Biesme, Desmet, de Terbecq, Doignon, Dolez, Dubois, Dubus aîné, B. Dubus, Dumortier, Frison, Gendebien, Heptia, Hye-Hoys, Jadot, Lardinois, Lejeune, Meeus, Stas de Volder, Thienpont, Troye, Vandenhove, Verrue-Lafrancq, C. Vuylsteke, L. Vuylsteke, Wallaert, Zoude et Raikem.

Ont répondu non : MM. Beerenbroeck, Brabant, de Longrée, de Man d’Attenrode, de Nef, de Theux, Devaux, d’Huart, Duvivier, Ernst, Fallon, Keppenne, Kervyn, Lebeau, Lehoye, Mast de Vries, Milcamps, Morel-Danheel, Nothomb, Polfvliet, Raymaeckers, A. Rodenbach, Scheyven, Seron, Simons, Smits, Ullens, Vandenbossche, Verdussen, Watlet et Willmar.

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M. le président. - Plusieurs propositions sont faites, l’une relative à la chicorée, une autre relative aux fils de lin, une troisième relative aux fromages du Limbourg, et une quatrième relative aux houilles de la Sarre.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Je demande la permission de faire une observation générale sur tous les amendements présentés. Selon moi il serait dangereux d’improviser la discussion de propositions semblables, et je crois qu’avant de fixer notre opinion à leur égard, il faudrait avoir pris l’avis des chambres de commerce, ou au moins avoir recours à l’avis des sections de la chambre. Il y aurait imprudence à admettre incidemment dans une loi, dont toutes les dispositions étaient éclairées depuis longtemps, les nouvelles dispositions non mûries qu’on propose d’y ajouter, dispositions qui ne paraissent pas au premier abord avoir grande portée, mais qui, ainsi que tous les articles quelconques d’un tarif de douane, sont importantes parce qu’ils se rattachent toujours à des intérêts divergents.

Nous agirions donc prudemment en ajournant les amendements dont il s’agit ; le gouvernement pourrait prendre des informations sur leur mérite et en faire ultérieurement rapport à la chambre.

M. de Puydt. - Je ne pense pas que l’ajournement proposé par M. le ministre des finances puisse s’appliquer à ma proposition. J’en appelle aux souvenirs de la chambre. Il y a quinze mois et plus que j’ai eu l’honneur de soumettre à la chambre une proposition tendant à favoriser l’entrée des houilles de la Sarre dans une partie de la province du Luxembourg. Cette proposition a été envoyée en sections, puis en section centrale qui, pour s’éclairer sur son utilité, l’a adressée par l’intermédiaire de la chambre à la commission d’industrie, afin d’avoir des renseignements sur les inconvénients qui pouvaient en résulter et sur les avantages qu’elle pourrait amener.

Il y a un an que la commission d’industrie a été saisie.

S’il faut plus de 15 mois à une proposition d’un membre pour arriver à un degré quelconque d’instruction, s’il faut plus d’un an à une commission d’industrie pour recueillir des renseignements, je ne sais à quoi sert le droit d’initiative que nous donne la constitution, ni à quoi sert de charger la commission de recherches spéciales sur des questions en discussion.

A qui d’ailleurs pourrait-on s’adresser pour obtenir les renseignements qu’on réclame ? A la chambre de commerce du Luxembourg ? Il n’y en a pas. On a dû dès lors consulter la députation provinciale ; eh bien, elle a exprimé une opinion favorable dans le rapport que le gouverneur a adressé au ministre de l’intérieur, le 20 septembre 1836.

Je pense, je le répète, que ma proposition n’est pas dans la catégorie de celles dont le ministre des finances vient de faire mention.

Je demande qu’on passe outre à la discussion.

M. Demonceau. - Je demande la parole pour faire observer que mon amendement ne tend pas à changer le système de la loi des douanes. L’article dont je propose la modification est le résultat d’une erreur. M. le ministre le reconnaîtra lui-même. Il s’agit de lever le droit à la sortie sur les fromages du Limbourg : on les exporte tous ; les Belges n’en veulent pas ; je n’ai pas besoin de vous dire pour quelle cause, ils portent avec eux une odeur toute nationale. (On rit.) Je dois croire que c’est pour ce motif que les Belges donnent la préférence au fromage hollandais. Si vous consultez le tableau des importations et des exportations, vous trouvez que nous avons importé 1,200,000 kil. de fromage, tandis que nous n’en avons exporté que 900,000 fr. Je demande qu’on favorise l’exportation afin qu’elle puisse au moins balancer l’importation, par conséquent qu’on supprime le droit à la sortie : il n’y a pas d’inconvénient à cela, puisque les Belges ne veulent pas user de nos fromages.

M. Dumortier. - J’appuie les observations des honorables préopinants. Les propositions qu’ils ont faites, sont tellement simples qu’elles me paraissent devoir donner matière à aucune discussion. M. de Puydt demande que les houilles de la Sarre soient admises dans le Limbourg ; M. Demonceau propose de supprimer le droit à la sortie sur les fromages du Limbourg ; moi j’ai proposé la suppression du droit à la sortie sur les fils de lin assortis. Cette proposition doit être discutée et introduite dans la loi actuelle. Vous avez rejeté quelques-unes des modifications que nous avait proposées le gouvernement. Nous nous en proposons une maintenant qui est en même temps favorable à la France et à notre industrie.

Remarquez, messieurs, qu’il n’existe pas de droit à la sortie sur ces lins, qu’ils peuvent sortir librement, tandis que les lins qui ont déjà subi une manutention sont frappés d’un droit. C’est là une absurdité. Une pareille proposition n’a pas besoin d’examen ; elle doit être votée dès qu’on a exposé les faits. Je demande qu’on admette cette proposition. Je pense que le ministre ne s’y opposera pas. Il ne pourrait pas s’y opposer.

Je répète que cette mesure, qui est également utile à la France et à notre industrie, viendra en compensation des réductions que nous n’avons pas pu introduire dans notre tarif.

M. Zoude. - Un intérêt immense domine la question des houilles de la Sarre. L’introduction de ces houilles peut compromettre toute la forgerie du Luxembourg, et je crois qu’elles ne pourraient alimenter qu’un seul fourneau.

Il ne faudrait pas, pour une seule usine, compromettre toutes les autres. La France n’a admis les fers du Luxembourg à certaines conditions, que parce que nous les fabriquons au bois ; elle pourrait ne plus les admettre si on en faisait au coak, ne fût-ce que dans une seule usine. Nous avons cherché à nous entourer de renseignements, mais ces renseignements sont encore à nous parvenir. Je m’étais adressé à un collègue pour les obtenir, sa position près des bords de la Sarre le mettait à même de nous en fournir.

Si la houille allemande entre dans le Luxembourg, on craindra que la jalousie française n’invoque une disposition de loi qui frappe les fers faits avec la houille, parce qu’on dira que les fera qui ont la faculté d’entrer dans une certaine zone, ne sont pas confectionnés au bois, comme la loi l’exige.

M. Gendebien. - Discutez séparément les articles, en commençant n’importe par lequel.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Je me rallie à la proposition que fait M. Gendebien.

M. Watlet. - J’appuie la proposition faite par M. de Puydt.

Foins

M. le président. - Voici le premier article. Il est relatif à l’entrée des foins étrangers. On demande que le droit d’entrée sur les foins étrangers soit de 5 fr. pour 1,000 kilog.

M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - J’ai consulté sur cet objet les chambres d’agriculture, et je ferai imprimer leurs avis. On peut ajourner la question.

M. Mast de Vries. - Maintenant le droit est de 50 centimes les 1,000 kilog., et la récolte va se faire dans un mois ; la situation n’est pas tolérable.

M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - Je ne vois pas l’urgence de discuter la question.

Les foins sont à un prix très élevé cette année, et nous ne devons pas redouter l’entrée des foins étrangers.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Ainsi que vient de le dire M. le ministre de l’intérieur, il n’y a pas de motifs pour empêcher en ce moment l’importation des fourrages en Belgique. Il s’est trouvé cette année des contrées de notre pays où l’on a été obligé de laisser périr le bétail faute de foin. La récolte s’annonce d’ailleurs mal, et il pourrait arriver qu’une mesure comme celle qu’on nous propose, favorable à quelques propriétaires de prairies, nuirait généralement à toute la population.

M. de Jaegher. - Je ne veux pas émettre d’opinion sur le fond, mais j’appuierai l’ajournement. Les prairies qui longent l’Escaut sont encore sous les eaux, et il est très probable qu’elles ne donneront pas de récolte. Il n’y a donc pas d’urgence à repousser les foins étrangers.

- L’ajournement mis aux voix est adopté.

Houilles de la Sarre

M. le président. - Il y a maintenant la proposition faite par M. de Puydt, tendant à autoriser l’entrée des houilles allemandes par la frontière du Luxembourg, moyennant un droit de 1 franc par tonneau.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - La considération présentée par M. Zoude est grave et mérite d’être examinée sérieusement par la chambre. Cet honorable membre a fait remarquer que la Belgique ayant en sa faveur une zone exceptionnelle pour l’importation du fer en France, zone que l’on a accordée notamment pour le Luxembourg, parce que les fers y sont fabriqués au bois, la France pourrait alléguer que le fer étant aussi fabriqué à la houille dans cette province, il y aurait lieu de la faire entrer dans le droit commun, c’est-à-dire d’appliquer le plus fort droit sur toute la frontière du Luxembourg.

Je suis partisan de la proposition de M. de Puydt, mais ce que vient d’y objecter M. Zoude me dispose à croire que l’on ferait peut-être bien d’adopter l’ajournement, afin de vérifier si effectivement les maîtres de forges du Luxembourg pourraient avantageusement fabriquer le fer avec les houilles prussiennes.

M. de Puydt. - Le droit actuel sur les houilles de la Sarre est de 14 fr. par tonneau ; je propose de réduire ce droit à 1 fr., c’est-à-dire au même taux que le droit que paient les houilles à leur entrée en France. Maintenant, mille kilog. de houille n’arrivent de la Sarre dans le Luxembourg qu’au prix de 65 francs ; au moyen de ma proposition les mille kilog. arriveront au prix de 41 fr.

Je crois que chacun de nous est convaincu que la production de houille indigène n’a rien à redouter des suites de ma proposition ; les houilles de Liège et du Hainaut ne peuvent pénétrer dans le Luxembourg à cause des difficultés de transports, et ce n’est que dans le midi de cette province que la libre entrée des houilles étrangères pourra être utile. Les districts houillers belges sont donc désintéressés dans la question.

Quand j’ai présenté ma proposition, je l’ai fait dans le but de favoriser quelques petites industries, comme, par exemple, la clouterie, la fabrication des briques, de la chaux, de la faïence, la papeterie, la draperie, etc. ; mais il n’est jamais entré dans ma pensée de favoriser la forgerie de la province du Luxembourg par l’introduction des houilles de la Sarre, car je n’ai jamais considéré cette introduction comme pouvant amener en ce moment une révolution dans la forgerie du Luxembourg, et engager les maîtres de forges à faire des changements considérables à leurs usines, afin de traiter le fer à la manière anglaise ; et certes, si les houilles de la Sarre présentaient un avantage quelconque pour l’amélioration de la forgerie, les Français en auraient profité pour ceux de leurs établissements qui avoisinent le terrain houiller de la Sarre ; ils auraient converti leur forgerie actuelle en forgerie à l’anglaise, puisque ces houilles prussiennes peuvent entrer en France moyennant le droit insignifiant d’un franc par tonneau ; cependant ils ne l’ont pas fait. Je ne pense donc pas que l’emploi de la houille de la Sarre en Belgique puisse produire, à cause de son prix, rendue sur les lieux, les changements qu’on semble redouter dans la forgerie de la province de Luxembourg ; car, en raison de la distance, cette même houille coûtera toujours plus en Belgique que dans la partie de la France dont je fais ici mention.

La clouterie du Luxembourg est actuellement dans un véritable état de souffrance. Aux environs de Vianden, d’Echternach et de Grevenmakeren il y avait autrefois un grand nombre de clouteries ; aujourd’hui ils sont sortis du pays pour s’établir en Prusse ; c’est la une perte réelle pour ces cantons ; si l’on admettait ma proposition, la réduction qui en résulterait dans le prix des houilles suffirait pour raviver cette industrie qui est actuellement presque éteinte.

L’arrondissement de Diekirch possède beaucoup de fours à chaux ; si les routes projetées s’exécutent, comme il faut l’espérer, la consommation de la chaux pour l’usage de l’agriculture des Ardennes augmentera ; il sera donc très avantageux aux chaufourniers de cet arrondissement, et à l’agriculture des Ardennes, que la houille puisse venir améliorer une industrie aussi importante pour l’avenir agricole du pays.

Il en sera de même pour ce qui concerne la fabrication des briques et des pannes qui s’y cuisent aujourd’hui avec du bois, et qui reviendraient à beaucoup meilleur marché si on pouvait les cuire avec du charbon de terre : il résulterait de là un grand avantage pour les constructions de toute espèce.

Il y a également dans le midi du Luxembourg des papeteries, une entre autres, celle de M. Lamnort à Senningen, où il y a une machine à vapeur ; ces établissement font usage de la houille pour leurs séchoirs ; il y a aussi des fabriques de drap qui ont également besoin de moyens artificiels pour sécher en hiver ; l’abaissement des droits que je réclame favoriserait donc encore ces industries.

Ma proposition, messieurs, a été examinée par l’administration provinciale du Luxembourg ; je crois que la manière dont elle l’envisage est de nature à faire impression sur vos esprits ; je demanderai donc la permission de lire quelques passages du rapport de cette administration, rapport qui a un caractère tout à fait officiel :

« Il s’est agi, et même un projet de loi a été proposé dans ce sens, de favoriser l’introduction dans la province de Luxembourg des charbons de terre, de la Sarre, en diminuant les droits d’entrée. Il n’est pas douteux que cette disposition ne soit très favorable à quelques industriels de l’arrondissement de Grevenmakeren, et même de ceux de Luxembourg et d’Arlon.

« En quoi une introduction plus grande des houilles prussiennes serait-elle nuisible à l’industrie de nos propriétaires de bois ? Pour bien comprendre la portée de cette question, il convient de donner le chiffre des importations à diverses époques. »

Ici, messieurs, vient une série de chiffres présentant le détail des importations de houille de la Sarre pendant plusieurs années ; je les rapporterai sommairement :

En 1833, 135 tonneaux environ.

En 1835, 271 tonneaux environ.

Pour 6 mois de 1836, 150 tonneaux environ.

« En prenant pour base, dit le rapport, les chiffres de 1835, on est amené à dire que la consommation de cette houille, pendant l’année 1836, sera de 330 tonneaux environ.

Ainsi, en moins de trois années, la consommation a plus que doublé. Voilà la conséquence que nous en tirons ; c’est que dans les industries secondaires il y a progrès notable.

« Que peuvent en redouter les propriétaires de bois ?

« En même temps que l’importation de la houille augmentait, les bois se vendaient en plus grande quantité et à des prix plus avantageux. Il est démontré par là que le charbon de terre est employé par d’autres industries que celles qui consomment le charbon de bois. Il n’y a donc pas de motif pour que le gouvernement ne songe pas à favoriser l’entrée des houilles de la Sarre. »

Cet avis de l’administration provinciale va au-devant, comme on le voit, de l’objection principale, c’est-à-dire l’intérêt des propriétaires de bois ; car c’est réellement là ce que l’honorable M. Zoude a eu en vue de garantir : mais que M. Zoude et les propriétaires de bois se rassurent, la consommation de la houille dans le Luxembourg, si elle était plus abondante, aussi abondante même que dans le Hainaut, produirait ce résultat de développer toutes les industries, d’en créer de nouvelles et d’enrichir même les propriétaires de bois.

Le rapport que je tiens renferme encore d’autres développements sur cette question : il y revient plusieurs fois et à diverses occasions, toujours pour insister sur l’utilité de ma proposition, et en provoquer l’adoption. Je pense donc que ce rapport équivaut à toutes les enquêtes que l’on pourrait faire ; il doit pleinement rassurer la chambre sur les conséquences de l’introduction de la houille dans la province de Luxembourg.

M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - Je pense, messieurs, que ce qu’il y aurait de mieux à faire, ce serait de voter la proposition de l’honorable M. de Puydt comme loi séparée ; alors le gouvernement, avant de sanctionner cette loi, pourrait s’assurer si elle doit produire les conséquences qui ont été signalées par l’honorable M. Zoude ; dans le cas ou ces conséquences ne seraient point à craindre, il n’y aurait aucun inconvénient à sanctionner la loi, et si au contraire ces conséquences étaient à craindre, il resterait à examiner si les avantages qui résulteraient de la loi seraient tels qu’on dût la promulguer, même au risque de perdre l’exportation des fers du Luxembourg.

M. Watlet. - Je pense, messieurs, qu’on ne doit point craindre les conséquences signalées par l’honorable M. Zoude ; car, d’après les nombreux renseignements que j’ai reçus, les houilles de la Sarre ne sont point propres à la fabrication du fer ; elles renferment un tiers de calorique de moins que les houilles du pays de Liège ; elles donnent en outre beaucoup de fumée. D’ailleurs, il n’est à peu près aucune forgerie qui pût profiler de l’avantage que l’honorable Zoude a attribué à la libre entrée des houilles de la Sarre ; pour s’en convaincre, il suffit de jeter un coup d’œil sur la carte : on voit de suite que des deux seules forges qui pourraient faire usage des houilles de la Sarre, l’une est à peine activée et l’autre tombe en ruines. Mais, si même il existait dans le Luxembourg des forges qui pussent profiter de la libre entrée des houilles de la Sarre, elles se garderaient bien de le faire précisément par la crainte de voir entraver leur exportation vers la France qui est leur principal débouché ; les maîtres de forges sentiraient bien que s’ils faisaient usage de houille, la chose serait de suite ébruitée et qu’ils ne parviendraient plus à placer leurs fers. Voilà ce que j’avais à répondre à l’honorable M. Zoude.

J’ajouterai une considération fort courte à celles que l’honorable M. de Puydt a fait valoir en faveur de sa proposition : tous les jours il arrive des plaintes sur l’état de délabrement dans lequel se trouvent une foule de petites industries, surtout de la partie frontière du Luxembourg ; la serrurerie et la maréchalerie entre autres souffrent beaucoup et ne peuvent plus soutenir la concurrence avec les fabriques qui sont établies sur la frontière prussienne et qui envoient leurs produits dans le Luxembourg, par petites quantités il est vrai, mais par des expéditions tellement répétées qu’elles inondent tout le pays ; l’adoption de la proposition de M. de Puydt serait un avantage pour ces industries, elle aurait pour effet de leur rendre un peu d’activité.

D’ailleurs, messieurs, il y a une grande absurdité dans la législation actuelle, relativement à des houilles étrangères dans la province de Luxembourg.

La houille française, on plutôt la soi-disant houille française (je dit la soi-disant houille française, parce que les départements français qui avoisinent le Luxembourg ne produisent pas un atome de houille), cette houille, dis-je, coûte trois francs trente centimes à l’entrée par la frontière française, c’est-à-dire par la frontière d’un pays qui ne produit pas de houille, tandis que l’entrée de la houille par la frontière de la Prusse, qui pourrait nous en fournir, coûte quatorze francs, ce qui revient à ceci : qu’on permet l’entrée de la houille par la frontière d’un pays où il n’y a pas de houille, et qu’on en défend l’entrée par un pays qui en produit, en la frappant d’un droit prohibitif. Cela est évidemment absurde.

J’ajouterai que le plus grand nombre d’industries qui s’exercent dans Le Luxembourg profiteraient beaucoup à l’entrée de la houille prussienne. Depuis 1831, un grand nombre de pétitions ont été adressées chaque année à la chambre pour obtenir l’entrée de cette houille. Déjà même avant que M. de Puydt eût présenté sa proposition, des pétitionnaires demandant l’abaissement du droit dont est frappée la houille prussienne au niveau du droit que paie à l’entrée la houille française, ces pétitions, dis-je, furent renvoyées à la commission d’industrie ; plus tard on lui a également renvoyé la proposition de M. de Puydt, si depuis lors la commission n’a pas pu se procurer des renseignements suffisants, je ne sais à quelle époque elle pourra les avoir recueillis ; il me semble qu’elle doit être suffisamment éclairée et par les nombreuses pétitions qui nous ont été adressées, et par l’avis de la députation provinciale du Luxembourg entièrement favorable à la proposition de M. de Puydt.

Je crois donc qu’il faut se hâter d’adopter cette proposition dans l’intérêt de nos industries.

M. Zoude. - Messieurs, je serais incliné à adopter la proposition de M. de Puydt en faveur de quelques petites industries ; mais la question des forgeries dont le sort peut être compromis domine entièrement mon opinion. Je ne pourrai donc adopter immédiatement la proposition de notre honorable collègue, mais je déclare ici solennellement que de retour dans ma province, je m’empresserai de prendre tous les renseignements propres à m’éclairer sur la question ; si j’ai tous mes apaisements, et que je revienne à la chambre, je serai le premier à appuyer la proposition de M. de Puydt.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Messieurs, il me semble que la proposition de M. le ministre de l'intérieur doit mettre fin à tout débat ultérieur. Je demande avec lui que l’on fasse une loi spéciale de la proposition de M. de Puydt : avant de soumettre cette loi à la sanction royale, nous prendrons des renseignements sur les lieux, et s’il en résulte que des motifs sérieux s’opposent à ce que la disposition soit mise en vigueur, elle ne sera pas sanctionnée, et les motifs nous seront communiqués ; si, au contraire l’adoption définitive de la loi n’entraîne pas les inconvénients signalés tout à l’heure, nous proposerons au Roi de la sanctionner, et tout sera dit.

M. de Puydt. - Messieurs, je me rallie sans doute à la proposition de M. le ministre de l'intérieur, surtout si la loi dont il s’agit doit être votée immédiatement. Cependant j’ai une observation à faire : il est un fait sur lequel j’appelle l’attention de la chambre, c’est que la zone dans laquelle le droit d’entrée sur nos fontes est réduit en France ne s’étend que jusqu’à Sapogne vers Bouillon ; toute la partie de la frontière depuis ce point jusqu’à la Moselle est soumise à un droit plus élevé. Or, la forgerie du Luxembourg se divise en deux groupes d’établissements, l’un placé vers la Semois, l’autre vers la Sure inférieure ; d’après les dispositions du projet, il n’y aurait que les fourneaux des bords de la Sure qui pourraient être avantagés par les houilles de la Sarre ; ce ne seront donc jamais les fontes provenant de ces fourneaux qui pourront entrer en France par la zone dont il s’agit, car elles devraient pour cela parcourir 15 à 20 lieues de pays sans routes, à travers un terrain accidenté, et cela pour tomber ensuite dans la concurrence des fontes de la Semois. L’objection de M. Zoude est donc sans fondement.

- Personne ne demandant plus la parole, il est procédé au vote par appel nominal sur la proposition de M. de Puydt, ainsi conçue :

« Charbons de terre (houille). Par la frontière de Luxembourg, depuis Remich jusqu’à Vianden ; droits d’entrée, les 1,000 kilog. : 1 fr. »

Vote sur l'article (proposition de Puydt)

La proposition est adoptée à l’unanimité des 66 membres qui ont pris part au vote. Elle sera transmise au Sénat.

Un membre (M. Zoude) s’est abstenu parce qu’il a craint, en adoptant la loi, de compromettre le sort de l’industrie la plus importante du Luxembourg.

Racines de chicorée

M. le président. - Nous passons à la discussion de l’amendement présenté par MM. Verdussen et A. Rodenbach. Cet amendement est ainsi conçu :

« Nous proposons d’introduire dans le tarif actuel des droits de douanes la modification suivante :

« N°66. Chicorée (racines de), au droit d’entrée de 2 fr. par 100 kil.

« Chicorée brûlée, préparée ou moulue, au droit d’entrée de 5 fr. par 100 kil. »

M. Verdussen. - Messieurs, j’ai très peu de chose à dire pour développer la proposition que M. A. Rodenbach et moi avons eu l’honneur de déposer. Ma tâche a été presque entièrement remplie par les explications qui vous ont été données par M. le ministre des finances par la pétition que vous lui aviez renvoyée. Il vous a fait connaître le montant des exportations et des importations de cette racine. Ainsi, nous avons vu qu’en 1835 il a été importé en Belgique 390,000 kilog. de racines de chicorée et 66.000 kilog. de chicorée brûlée.

En 1834 les importations se sont élevées à un demi-million et les exportations à 4 millions. Cette exportation de 4 millions faisait un très grand bien à la Belgique. Mais cette source de prospérité est venue à tarir immédiatement parce que l’Angleterre a refusé d’admettre dans son pays la chicorée étrangère. C’est dans cette position qu’il convient de venir au secours de nos produits agricoles, surtout que nous remarquons que les importations se sont accrues en sens inverse des exportations.

En 1835 les importations étaient de 697 mille kilog. ; en 1836 elles se sont élevées à 1,800 mille, et les exportations étaient devenues insuffisantes par suite de la prohibition dont l’Angleterre avait frappé les produits. Je pense qu’il faut venir au secours de cette industrie. Aujourd’hui les droits sur la chicorée sont, pour les racines seulement, de 10 cent. par 100 kil., et pour la chicorée tourillée, préparée, moulue, de 4 fr. par 100 kilog. Nous proposons une augmentation insignifiante sur la chicorée tourillée, préparée ou moulue ; nous proposons de porter le droit de 4 à 5 fr., parce que, comme déjà nous l’avons fait remarquer, l’introduction de la chicorée tourillée, préparée ou moulue, est presque nulle ; et elle ne nuisait pas à notre industrie, mais il fallait venir au secours de la chicorée en racine qui n’était imposée à l’entrée qu’à 10 cent. les 100 kilog. Nous proposons de porter le droit à 3 fr. Ce droit équivaut à 9 p. c. de la valeur, et celui sur la chicorée préparée ou moulue à environ 11 p. c. Nous n’aurions eu aucun scrupule à laisser le droit à 4 fr., mais la différence n’était pas assez sensible entre le droit sur la racine préparée et celui sur la racine crue ; c’est pour les mettre plus en harmonie que nous avons cru devoir élever de 4 à 5 fr. le droit sur la chicorée préparée ou moulue.

Voilà les développements que je crois devoir donner à une proposition qui est si simple, que la portée peut en être saisie par tous ceux qui ont réfléchi un instant sur la matière.

M. Dumortier. - J’appuie la proposition de MM. Verdussen et Rodenbach. Beaucoup de nos fabriques sont dans une grande détresse, par suite de la prohibition dont l’Angleterre a frappé leurs produits, Si vous permettez l’introduction des chicorées étrangères, vous faites un tort considérable à votre industrie.

Toutefois, je ferai remarquer que ceux qui se sont toujours opposés à la prohibition, quand elle était contraire à leur intérêt, ne la dédaignent pas quand elle leur est favorable. En effet, le chiffre qu’on vous propose ici est plus que prohibitif. On propose de mettre un droit de 3 francs par 100 kilog. sur des racines dont les 100 kilog. ne valent que 2 francs, c’est-à-dire que vous propose un droit de 150 p. c.

Je voterai pour la proposition. Mais j’ai voulu faire remarquer la contradiction dans laquelle se mettent certains membres qui sont chauds adversaires de la prohibition quand elle leur est contraire, et savent bien l’admettre quand elle leur est avantageuse. Ils devraient alors se montrer un peu moins rigoureux dans leurs principes quand des industries réclament une protection qui leur est nécessaire.

M. Eloy de Burdinne. - J’ai demandé la parole pour appuyer la proposition d’imposer à l’entrée les racines de chicorée. Il est bon de remarquer qu’avant 1836 la culture de la chicorée était très suivie ; il s’en faisait un commerce considérable avec l’Angleterre. Elle vient d’imposer la chicorée, tant en racines qu’en poudre, à un taux qui équivaut à la prohibition, et cela pour favoriser la vente de son café.

Eh bien, nous devrions également repousser le café anglais, l’imposer comme l’Angleterre impose la chicorée. Nous trouverions de cette manière une ressource qui ne pèserait guère que sur les riches, et qui nous permettrait de faire disparaître l’impôt sur le sel et sur la bière qui est la boisson des malheureux.

M. Desmet. - J’engage le gouvernement à faire quelques démarches auprès de l’Angleterre pour obtenir la réduction du droit sur la chicorée à l’ancien taux ; nous sommes en droit d’attendre qu’elle fasse quelque chose pour nous ; nous venons de prendre une mesure qui lui est avantageuse en réduisant le droit d’entrée sur le fil d’un certain numéro. Notre agriculture gagnerait beaucoup si on pouvait obtenir cela de l’Angleterre.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Je répondrai à l’honorable préopinant que le gouvernement n’est pas en demeure de réclamer auprès de l’Angleterre ; depuis longtemps il fait de vices instances auprès de ce gouvernement pour que les chicorées soient admises au droit qui existait avant 1835. Je ne dirai rien pour m’opposer à la proposition de M. Verdussen, cependant, je crois de mon devoir de faire remarquer que la denrée que nous allons frapper d’un droit élevé est exclusivement destinée au pauvre. C’est celui-là seul qui en fait usage. Je n’ai pas pu me dispenser de présenter cette considération, parce que si le prix de la chicorée venait à hausser par suite du droit prohibitif qu’on propose, je ne voudrais pas qu’on pût arguer de notre silence à cet égard pour nous en faire un reproche.

M. A. Rodenbach. - La racine de chicorée est la matière première pour les fabricants de chicorée ; si nous en manquions, je ne ferais pas la proposition qui vous est soumise. Mais nous en avons considérablement en Belgique, on la cultive dans presque toutes les provinces.

Il est vrai que la chicorée est consommée par le pauvre, mais elle n’est pas chère. Quand elle est tarifée, elle se vend 13 fr. les 100 livres. Il faut convenir que c’est très modique. Pour un cents on en a pour 10 ou 12 personnes. Ainsi l’observation de M. le ministre tombe.

Nous devons encourager l’agriculture, et nous ne devons pas manquer de le faire quand nous le pouvons sans nuire au consommateur.

M. Verdussen. - J’avais demandé la parole pour faire quelques observations sur la médiocrité du prix de la chicorée, mais l’honorable préopinant vient de remplir ma tâche.

Puisque j’ai la parole, je répondrai quelques mots à l’honorable M. Dumortier. Il vous a dit que la valeur de la chicorée n’était que de 2 fr. les 100 kil. J’aime autant m’en rapporter à cet égard à la statistique qui nous a été distribuée ; j’y trouve la valeur portée à 35 c. le kil. pour la racine et à 45 c. pour la chicorée préparée ou moulue.

L’honorable membre a dit ensuite qu’il m’engageait à suivre son exemple et à y engager les députés d’Anvers. Je n’ai pas de conseil à donner aux députes d’Anvers. Si M. Dumortier croit en conscience devoir, dans l’intérêt de la Belgique, s’opposer à ma proposition, je l’engage à le faire ; je l’engage à agir comme je le fais toujours, non dans l’intérêt d’une localité, mais dans l’intérêt de toute la Belgique.

M. Dumortier. - Je demande la parole. Je ne sais pas de quel droit l’honorable préopinant vient supposer que je n’émets pas mes votes consciencieusement. Je ne reconnais à personne le droit de faire de semblables suppositions. Je vote aussi consciencieusement qu’un Anversois.

- La proposition de MM. Verdussen et Rodenbach est mise aux voix et adoptée.

Fils de lin

M. le président. - Nous passons à la proposition de MM. Dubus, Dumortier et Doignon.

Elle est ainsi conçue :

« Nous avons l’honneur de proposer de fixer les droits d’entrée de douanes sur les fils de lin, comme suit :

« Fil de lin, de chanvre et d’étoupes (à l’exception des autres fils, spécialement dénommés au tarif de 1822)

« Ecru, à la valeur, 1/2 p. c. à l’entrée. (Ce droit d’entrée est le même qu’aujourd’hui) et 1/2 p. c. à la sortie (Le droit de sortie est jusqu’ici de 3 p. c. sur le fil écru et de 1 p. c. sur le fil à tisser)

« A tisser, à la valeur, 1 p. c. à l’entrée. (Ce droit d’entrée est le même qu’aujourd’hui) et 1/2 p. c. à la sortie (Le droit de sortie est jusqu’ici de 3 p. c. sur le fil écru et de 1 p. c. sur le fil à tisser)

« Les autres fils, comme au tarif actuel. »

M. Dumortier. - J’ai eu l’honneur de développer les motifs de notre proposition. Ils sont extrêmement saillants. Dans l’état actuel les lins sont libres à la sortie, tandis qu’il existe un droit sur le fil de lin. C’est vraiment absurde ; car c’est un impôt qui frappe notre production.

M. Desmaisières (pour une motion d’ordre.) - Je n’ai pas demandé la parole pour demander l’ajournement de la proposition des honorables députés de Tournay. Je ne m’oppose pas à ce que l’on discute cette proposition, que je ne repousse pas formellement, du moins quant à présent. Mais je dois faire observer à la chambre, en ma qualité de rapporteur de la section centrale chargée de l’examen des propositions de trois membres relatives à l’industrie linière, que l’amendement des honorables députés de Tournay n’est pas un amendement à la loi des douanes que nous discutons actuellement, mais un amendement à une proposition qui a reçu tous les degrés d’instruction, et sur laquelle il a été fait un rapport.

J’ai en main le rapport que j’ai eu l’honneur de présenter sur cette proposition le 30 avril 1834. Là nous proposions un tarif tout nouveau sur le fil de lin et sur le lin. La chambre alors jugea à propos de ne s’occuper que de la question des toiles, et ajourna la question du lin et fil de lin. J’eus l’honneur de faire observer que c’était l’ajournement aux calendes grecques. L’événement l’a prouvé, puisque le rapport est fait depuis 3 ans et qu’on n’a pas encore abordé la question. Je réclame donc la priorité pour la proposition de la section centrale sur laquelle les chambres de commerce et les commission d’agriculture ont été consultées, et qui n’a été faite en 1834 qu’après que nous avons eu reçu un grand nombre de pétitions des localités où s’exercent ces industries, et notamment du Hainaut ; car je dois faire remarquer aux honorables membres que leur proposition ne satisfait pas aux réclamations de la localité qu’ils représentent : en effet les localités du Hainaut ont demandé la suppression du droit de 5 p. c. sur les fils de dentelles. La proposition de la section centrale admet cette suppression, tandis que les honorables auteurs de l’amendement maintiennent le tarif actuel à égard de ces fils.

M. Dubus (aîné). - J’ai peine à croire que ce soit encore sérieusement que l’on fait cette motion de priorité, en même temps que l’on demande que l’amendement ne soit pas ajourné ; car je demande si c’est autre chose qu’une demande d’ajournement, à moins qu’on ne suppose qu’on va interrompre la discussion sur te tarif des douanes, pour entamer la discussion sur la question linière, qui occuperait la chambre pendant peut-être 15 jours.

Je crois que l’honorable préopinant a voulu saisir cette occasion de rappeler à la chambre qu’elle a à s’occuper de la question linière et qu’elle ferait bien de s’en occuper à la session prochaine. Mais, je le répète, je ne pense pas que ce soit sérieusement qu’il vienne nous demander de suspendre la discussion de la loi dont nous nous occupons en ce moment, pour revenir à un projet de loi abandonné de fait depuis plusieurs années.

Il s’est agi de diminuer les droits sur le fil, lorsqu’on s’est occupé de la question du lin. Je le crois bien. Il s’en est agi même auparavant ; car depuis longtemps il est arrivé chaque année à la chambre des pétitions pour réclamer la suppression des droits sur les fils, droits dont l’absurdité a été démontrée. Si cette absurdité a été reconnue par tout le monde et par le préopinant lui-même, pourquoi ajournerions-nous ? Il y a là un abus. Empressons-nous de le faire disparaître. Je ne crois pas vraiment que la chambre puisse hésiter à adopter la proposition que nous avons eu l’honneur de lui soumettre.

M. Desmet. - Messieurs, je ne puis partager l’opinion de l’honorable préopinant, et je pense au contraire que la proposition de l’honorable M. Desmaisières est très logique et qu’elle est faite très à propos.

L’honorable membre soutient que vous devez adopter les deux propositions sur lesquelles il a fait le rapport et vous a présenté un projet de loi : ces deux propositions sont celles du lin et du fil ; qu’il y a connexité entre ces deux propositions. Ceux qui connaissent un peu l’industrie linière ne peuvent en disconvenir ; et c’est vraiment étrange qu’on veuille discuter avec tant de précipitation et sans aucun examen un amendement qui a une grande portée et qui est une proposition entière, et qu’on voudrait refuser de mettre en délibération une proposition qui concerne le même objet et dont on vous a fait un rapport et présenté un projet de loi.

Toute l’argumentation des honorables auteurs de l’amendement consiste à dire que le lin n’est imposé que d’un simple droit de balance, tandis que celui sur le fil l’est de 3 p. c., et ils trouvent que c’est une contradiction même que d’imposer le fil qui est le produit du lin, tandis que le lin qui en est la matière première ne l’est aucunement.

Je ferai remarquer aux honorables députés de Tournay, auteurs de cet amendement, que si l’industrie linière n’a pas eu jusqu’à présent de protection, et qu’aucune mesure n’a été prise contre l’accaparement de la matière première du lin, elle avait une certaine protection par le droit de 3 p. c, qui était imposé sur le fil, qui, comme on le sait, est aussi matière première pour le tissage des toiles et pour la fabrication du fil retors et doublé.

Et ici je dois vous faire remarquer que nos tisserands de toiles ont toujours beaucoup de peine à se procurer tout le fil dont ils ont besoin pour le tissage de leurs toiles.

C’est de même pour les fabriques du fil tors ; ces fabriques ne peuvent pas se procurer toujours à temps et en quantité suffisante tout le fil simple dont ils ont besoin pour leurs fabriques.

Et vous savez, messieurs, que nous sommes en lutte continuelle dans la fabrication du fil retors avec les mêmes fabriques de Lille ; nous avons beaucoup de difficulté à lutter avec elles ; eh bien, si vous allez favoriser ces fabriques françaises, en laissant notre fil simple librement, vous allez augmenter les moyens de nos rivaux pour avoir le dessus sur nous.

Et vous ne pouvez ignorer que la France, et particulièrement le département du Nord, a essentiellement besoin de notre bon fil simple pour fabriquer son bon fil à coudre ; et quand vous consultez le livre statistique des importations et exportations, vous verrez que tous les ans l’exportation de notre fil de lin vers la France augmente. En 1832 l’exportation était de 600,000 kilogrammes ; en 1833 elle s’élevait à 774,000, et en 1834 elle montait jusqu’à 1,225,000 kilogrammes. Nous ne connaissons pas le montant des deux autres dernières années, mais j’ai lieu de soupçonner qu’il y a encore eu augmentation, car je sais que nos fabriques de fi retors ont eu encore plus de difficulté pour se procurer tout le fil écru dont ils avaient besoin.

Et qu’on ne dise point, comme quelques préopinants l’ont fait sentir, que nous devons laisser entrer librement nos fils en France, afin de ne pas laisser fournir ce pays par le fil anglais filé à la mécanique ; mais, messieurs, il paraît qu’on ignore que les fabriques de France du fil à coudre, et principalement celles de Lille, n’emploient que notre fil filé à la main, et ne font aucun usage du fil anglais ; et si elles risquaient à l’employer dans leurs fabriques, je ne doute pas que bientôt les nôtres ne triomphassent de celles de France.

Oui messieurs, la question est plus importante qu’on ne paraît le croire, et il est vraiment déplorable qu’on veuille la trancher avec tant de précipitation et sans examen préalable ; si vous ne voulez pas admettre la proposition de l’honorable M. Desmaisières, du moins alors ajournez le vote sur l’amendement des députés de Tournay, et je conjure ces honorables membres de retirer leur proposition, car l’objet est d’une importance majeure pour l’industrie linière, qu’ils ont même reconnu être la première de toutes les branches de notre industrie nationale ; et je ne puis croire que la chambre voudra faire passer une modification au tarif sans avoir consulté les intéressés.

M. Dubus (aîné). - J’avais raison de dire que, tout en protestant que ce n’était pas l’ajournement que l’on demandait, on le demandait bien réellement ; en effet l’honorable préopinant, qui a appuyé la motion de l’honorable député de Gand, vient de nous engager à retirer notre proposition, et a soutenu qu’elle doit être ajournée. La question de priorité n’est donc qu’une question d’ajournement.

L’honorable préopinant, pour motiver sa motion d’ajournement, a hasardé de dire qu’il était difficile de trouver le fil nécessaire pour les trames, et qu’en conséquence la proposition que nous faisons mérite examen et donnerait lieu à des inconvénients.

Mais je vous prie de considérer que le fil frappé à la sortie d’un droit de 3 p. c. n’est pas le fil à tramer, mais le fil à retordre. Le droit sur le fil écru à tisser n’est que de 1 p. c.

Il est manifeste que, même malgré le droit, on est obligé d’exporter en grande quantité ce fil dont on a besoin à l’étranger. C’est pour la fabrication étrangère une matière première dont elle ne peut se passer.

Les chiffres dont vient de parler le préopinant qui indiquent que l’exportation des fils de lin va en augmentant me paraissent être plutôt en faveur que contre la proposition, à moins que le préopinant ne préfère que ce soit le lin qui sorte, au lieu du fil, pour être fabriqué à l’étranger.

Mais, dit le préopinant, nous demandons un droit à la sortie du lin. Je ne pense pas que la chambre soit disposée à le voter.

Au reste, quand la chambre sera disposée à cela, elle examinera si, en rapport avec ce droit de sortie, elle doit établir un droit autre que celui que nous proposons pour le fil. Aujourd’hui nous n’avons qu’une chose à faire, c’est de mettre le droit sur la sortie en harmonie avec le tarif actuel, en ce qui concerne le lin brut. Ce peu d’observations suffit pour montrer qu’il y a lieu à rejeter la proposition d’ajournement.

M. Desmaisières. - L’honorable préopinant prétend toujours que c’est l’ajournement que nous demandons par l’amendement ; je lui déclare que ce n’est qu’une question de priorité que nous agitons.

La proposition des honorables députés de Tournay n’est pas un amendement au projet de loi en discussion ; elle n’est qu’un amendement au projet de loi dont la chambre est saisie et sur lequel un rapport a été présenté ; dans ce projet la question du fil se combine avec celle du lin ; et c’est ainsi qu’il faut procéder ; il y a connexion entre ces deux questions ; on ne peut donc repousser la demande de priorité. (La clôture ! la clôture !)

M. Desmet. - L’honorable M. Dubus vient de dire que j’avais hasardé un fait en assurant que nos tisserands trouvaient peu de fil pour la trame ; cependant rien n’est plus exact… (La clôture ! la clôture !) Je crois que je pourrais dire la même chose à l’honorable adversaire, que c’est bien hasardé que de lancer d’une manière si improvisée une proposition qui a une si grande portée que celle dont les honorables députes de Tournay sont les auteurs.

Oui, messieurs,, je peux dire sans craindre un démenti que nos tisserands de toiles ont besoin du fil écru qu’on veut laisser entrer librement en France ; ils en ont tellement besoin, comme je l’ai déjà dit, qu’ils ne peuvent toujours se procurer les fils qui sont nécessaires pour la trame en quantité suffisante du tissage des toiles, et qu’ils doivent souvent venir dans plusieurs marchés pour se les procurer.

C’est un fait que tout le monde reconnaît dans nos provinces. Je me peine fortement que l’honorable M. Bekaert n’est pas en séance ; je ne doute pas qu’il n’affirmât ce que je viens d’avancer. L’honorable M. Dubus vient de vous dire que je m’étais trompé dans la qualité du fil et que ce fil, dont il veut réduire le droit à la sortie, n’est pas le fil à lisser. Mais, messieurs, c’est l’honorable membre qui est ici dans l’erreur. Le fil simple écru, imposé aujourd’hui à 3 p. c. à la sortie, est celui qui est employé pour la trame de nos toiles de lin, et le fil à tisser qui est distingué dans le tarif, et dont l’honorable membre veut parler, est ce fil fin qu’on file particulièrement dans le district de Soignies. C’est vraiment étrange qu’on veuille ainsi par un vote d’assaut ôter à cette importante industrie linière, importance qui a été solennellement reconnue par l’honorable adversaire il n’y a pas longtemps, la seule protection qu’elle ait dans le tarif actuel, et qui a été placée dans ce tarif avec grande connaissance de cause. Oui, messieurs, c’est déplorable qu’on foule ainsi aux pieds la plus intéressante branche de l’industrie nationale. (La clôture ! la clôture !)

M. de Muelenaere. - On vous a fait pressentir toute l’importance de la question ; elle est grave, et je suis étonné de voir l’impatience qu’on montre dans cette enceinte pour la trancher ; elle intéresse cependant une industrie qui rapporte au pays de 25 a 35 millions de francs.

On n’est pas d’accord sur la question essentielle : les uns disent qu’il s’agit de fil à tisser, les autres qu’il s’agit de fil à trame ; il faudrait que je fusse éclairé par une discussion plus ou moins approfondie pour me déterminer.

M. Dubus (aîné). - On dit que l’on n’est pas d’accord sur le fil dont il s’agit ; c’est du fil écru et du fil à tisser que nous parlons, et nous demandons que l’un et l’autre soit diminué d’un demi pour cent.

- La chambre ferme la discussion sur la question de priorité. Cette question, mise aux voix, est rejetée.

M. Kervyn. - Messieurs, j’ai peu de chose à ajouter aux développements que vient de donner l’un des honorables auteurs de la proposition.

En imposant le fil de lin écru à 3 p. c. à la sortie, les auteurs du tarif de 1822 eurent évidemment pour but d’empêcher l’exportation trop considérable de cette espèce de fil : ils voulurent nous le conserver afin qu’il acquît avant l’exportation quelques degrés de manipulation de plus. En effet, messieurs, comme le tarif français l’admet, il était à craindre que les industriels français qui retordent et blanchissent le fil de lin écru ne s’emparassent de la plus grande partie de notre fil écru au détriment de nos industriels. Il était à craindre qu’il n’en fût de nos fils comme de nos toiles, que nous exportons écrues et qui reçoivent en France le blanchiment et l’apprêt. Ce raisonnement pouvait être juste en 1822, mais les circonstances sont tellement changées aujourd’hui, le filage du lin a fait des progrès si remarquables en d’autres pays et notamment en Angleterre, qu’il serait absurde de regarder aujourd’hui le fil de lin écru comme une matière première qui soit propre à la Belgique et dont ne puisse passe passer. Je suis même d’opinion que s’il en était ainsi, il faudrait encore modifier quant à cet article la législation de 1822, parce que je ne voudrais pas favoriser un petit nombre de blanchisseurs et de tordeurs de lit au détriment des pauvres fileuses, D’ailleurs, en thèse générale il ne faut mettre des bornes à l’exportation de matières premières que lorsqu’elles sont de nature à ne pouvoir être produites en raison des demandes. Mais il n’en est pas ainsi, la fabrication du fil peut s’étendre indéfiniment, et le fil écru n’est pas une matière première dont nous ayons le monopole. Pour vous en convaincre, messieurs, vous n’avez qu’à jeter les yeux sur la situation de l’industrie linière dans la Grande-Bretagne. En 1826, les filatures de lin de ce pays mettaient déjà en oeuvre 51,721,955 kilog. de lin importé de l’étranger, dont 4,710,000 de la Belgique. D’après les « customhouse documents » l’exportation de fil de lin qui ne montait en 1825 qu’à 5,315 kilog. s’est élevée en 1836 à plus de 10 millions de kilog. Et il est à remarquer que c’est la France qui en a reçu la plus grande partie. Après cela, messieurs, il me semble évident que si nous maintenions le droit de 3 p. c. sur le fil écru à la sortie, nous nuirions à la classe si Intéressante des fileuses, sans aucun avantage pour les tordeurs et les blanchisseurs de fil. J’adopterai donc la proposition qui vous est faite de réduire à 1/2 p.c. le droit à la sortie du fil écru et à tisser.

M. A. Rodenbach. - Nous recevons en Belgique le fil de Silésie qui ne paie que deux à trois pour cent, tandis que d’un autre côté nous gênons notre fabrication en lui imposant un droit de 3 p. c. à la sortie. C’est frappés par un tel droit que nous devons soutenir la concurrence avec les Anglais qui font leur fil à la mécanique. En France maintenant, à Commines, on fabrique le ruban avec le fil anglais. De plus, nous laissons les fils d’Allemagne traverser la Belgique pour aller en France ; nous faisons tout pour anéantir l’industrie de nos malheureuses fileuses ; elles ne gagnent cependant que 10 cents par jour. S’il est une classe qu’il faille favoriser, c’est la classe pauvre.

M. Desmet. - Les membres qui viennent de parler confondent deux choses distinctes... (Aux voix ! aux voix !)

- La proposition de MM. Dubus, Doignon et Dumortier, mise aux voix, est adoptée.

Fromages du Limbourg

M. le président. - Nous passons à la proposition faite par M. Demonceau tendante à réduire le droit à la sortie sur les fromages de Limbourg, de 1 fr. 6 centimes à 5 centimes par 100 kilog.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Je ne vois aucun motif pour m’opposer à la proposition de M. Demonceau. Le trésor y pourra perdre ; mais la perte est si peu de chose, qu’il serait ridicule de s’en prévaloir pour repousser la demande. Il y a lieu à admettre cette proposition sans discussion.

M. Demonceau. - Je saisis cette occasion pour observer à la chambre et à MM. les ministres qui nous ont vanté la concession faite sur ce point par la France, que l’administration des douanes de France n’entend pas comme ils l’entendent la modification introduite dans le tarif français depuis 1836 (5 juillet). Si mes renseignements sont exacts, et je n’ai aucune raison douter tant j’ai confiance dans mes compatriotes qui me les ont transmis, l’amélioration du tarif ne s’applique qu’aux fromages de pâte molle dits chez nous « fromages blancs non salés » ; et certes si l’on a recours à la discussion qui a eu lieu devant la chambre des députés de France, la douane française parait avoir certaine raison d’en agir sur ce point comme elle le fait.

Je réclame ici toute l’attention de MM. les ministres ; je leur recommande de faire bien attention sur ce point important pour les cultivateurs des communes, dont l’intérêt n’est malheureusement bien compris généralement que par ceux qui savent ce qui s’y passe lorsque les produits du sol lie trouvent point de placement à l’étranger. Je désire surtout que la France revienne sur l’interprétation donnée à la dernière loi, et j’apprendrais avec satisfaction que ce que la douane a fait est le résultat d’une erreur plutôt que l’effet d’une disposition de la loi.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Il a été convenu, dans les négociations avec le commissaire français, que les fromages du Limbourg seraient admis en France au droit de six francs les cent kilog., comme devant être rangés dans la catégorie des fromages de pâte mole et blanche.

Aussi, messieurs, pendant les six premiers mois après la loi du 2 juillet 1836, c’est ainsi que la chose a été comprise par la douane de France ; cela est si vrai que des receveurs ayant appliqué différemment la perception du droit dont il s’agit, c’est-à-dire les uns ayant perçu le haute droit et les autres seulement le droit de 6 francs ; l’administration supérieure a fait restituer tout ce qui avait été perçu au-delà de 6 fr. Cependant il résulte de renseignements positifs qui me sont parvenus que les receveurs des douanes ont depuis reçu d’autres instructions, et que maintenant ils perçoivent le haut droit. Aussitôt que j’ai eu connaissance de ce fait j’en ai écrit au département des affaires étrangères qui a immédiatement réclamé auprès du gouvernement français, et nous avons lieu de croire qu’on interprétera de nouveau sainement la loi, et qu’on en reviendra aux instructions données en premier lieu, d’après lesquelles les fromages dont il s’agit devaient être rangés dans la catégorie imposée à raison de 6 fr., comme on nous l’avait promis.

- La proposition de M. Demonceau est mise aux voix et adoptée.

La séance est levée à 4 heures et demie.