Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Documentation Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 13 mai 1837

(Moniteur belge n°135-136, des 15-16 mai 1837)

(Présidence de M. Raikem.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Kervyn. fait l’appel nominal à onze heures et donne lecture du procès-verbal dont la rédaction est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Verdussen, faisant l’analyse des pièces adressées à la chambre, annonce que M. H. de Brouckere ne pourra aujourd’hui partager les travaux de ses collègues, et que le sieur Félix Steinbach, qui avait formé une demande de grande naturalisation, réduit sa demande à une naturalisation ordinaire.

Projet de loi modifiant les limites communales du hameau de Tremeloo et de la commune de Werchter

Rapport de la commission

M. de Jaegher présente, au nom de la commission spéciale chargée de l’examen du projet de loi relatif à la séparation du hameau de Tremeloo et dépendances, de la commune de Werchter, le rapport de cette commission sur ce projet.

- La chambre ordonne l’impression et la distribution de ce rapport.

Projet de loi portant transfert, annulation et augmentation de crédits au budget de la guerre pour 1836 et 1837

Discussion générale

M. le président. - Vous avez indiqué une séance de meilleure heure pour procéder à la délibération sur les projets présentés par le ministre de la guerre ; veut-on, en effet, commencer par ces projets ?

De toutes parts. - Oui ! oui !

M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - Je demanderai une discussion de détail, parce que je ne puis adhérer à toutes les propositions de la section centrale. J’adhérerai aux rédactions proposées pour les articles 1 et 2.

M. le président. - La discussion est ouverte sur l’ensemble du projet.

M. Seron. - Je ne viens pas examiner le projet soumis à votre examen ; mais je profite de la présence de M. le ministre de la guerre pour lui adresser quelques paroles.

Dans la séance du 27 février dernier, lors de la discussion générale du budget de la guerre, j’ai parlé de la position de M. Bodart, major de la gendarmerie. Cet officier, mis à la retraite par un arrêté royal du 10 avril 1834, est accusé « d’insoumission aux ordres de ses supérieurs, de mésintelligence complète avec eux. » Il est accusé « d’être tracassier envers ses subalternes et de n’avoir eu un différend avec l’intendant militaire qu’à raison du refus de ce dernier de lui allouer des rations pour des chevaux que M. Bodart n’avait pas. Enfin, M. Bodart est signalé comme un homme dont la présence dans la gendarmerie eût occasionné des désordres sans fin, et avec lequel il serait impossible d’avoir jamais une armée disciplinée. » Tel est le sens du rapport fait par M. Verrue-Lafrancq au nom de la commission des pétitions sur la réclamation adressée à la chambre par M. Bodart, le 4 janvier 1835, et qui a été renvoyée à M. le ministre de la guerre avec demande d’explications.

Ainsi que je l’ai déjà dit, je ne veux pas examiner si ces accusations sont fondées ou non ; mais plus elles sont graves, plus elles attaquent l’honneur de M. Bodart, plus il est intéressé à s’en justifier aux yeux du public. Il ne réclame pas contre la fixation de sa pension de retraite ; il ne demande pas à être remis en activité de service ; il demande seulement d’être mis en situation de prouver son innocence, c’est-à-dire d’être envoyé devant la haute cour militaire pour y être jugé.

J’invite M. le ministre de la guerre à déclarer s’il entend lui refuser cette satisfaction. M. Bodart est fondé à l’exiger, puisque sa mise à la retraite et à la pension est antérieure aux lois de juin 1836, et qu’il peut invoquer en sa faveur les dispositions de l’article 124 de la constitution.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - Il y a longtemps que je me suis occupe de l’affaire qui concerne le major Bodart. Lorsque j’ai pris connaissance de tous les détails de cette affaire, je n’ai pas pu me rallier aux conclusions du rapport dont on vient de parler. Je pense que la présence de M. Bodart dans l’armée était un véritable inconvénient. La position dans laquelle il se trouve maintenant est meilleure que celle qu’il avait autrefois, s’il veut jouir des avantages qui lui sont accordés. Quant à la demande de le renvoyer devant un conseil de guerre, je ne vois pas comment je pourrais prendre cette mesure. S’il était dans l’intérêt dans l’intérêt de la discipline de le renvoyer devant la haute cour militaire, cela serait déjà fait. Il est officier pensionné, et c’est à lui à voir la marche qu’il doit suivre. S’il veut introduire une instance, à lui permis. Pour moi, je ne peux poursuivre sans nécessité, et elle n’existe pas.

M. Seron. - Mais dépend-il de lui de se faire juger, peut-il se présenter devant la haute cour militaire ?

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Dans d’autres circonstances, messieurs, j’ai entendu dire à d’honorables membres : Le gouvernement devrait traduire tel ou tel devant la cour militaire ; je lui répondrai qu’a cet égard le gouvernement n’a pas une simple faculté, mais qu’il a un devoir à remplir. J’en appelle sur ce point aux membres de l’assemblée qui connaissent les lois concernant la matière. Lorsqu’il existe contre un individu des indices caractérisant un délit ou un crime qui aurait été commis, le gouvernement doit poursuivre ; mais, hors de ces cas, le gouvernement ne peut faire comparaître un militaire devant la haute cour criminelle.

J’ajouterai, en répondant à la dernière interpellation faite par l’honorable préopinant, qu’il ne dépend pas non plus du major Bodart d’occuper de lui la haute cour militaire, à moins qu’il ne s’agisse de délits ou de crimes dont il aurait été la victime.

M. Seron. - Est-ce que je me suis adressé au ministre de la justice ?

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - J’ai cru remplir un devoir envers la chambre en indiquant la marche que suit le gouvernement dans des affaires de cette nature. En répondant, je me suis conformé aux règles que me prescrit ma position, je n’ai fait que rappeler les principes de la justice criminelle.

M. Seron. - Au surplus, que ce soit le ministre de la justice ou le ministre de la guerre qui me réponde, c’est parfaitement égal ; mais je ferai observer qu’on ne m’a réellement pas répondu : j’ai demande si le major Bodart pouvait se présenter devant la cour militaire ?

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Il ne peut saisir la haute cour militaire que dans le cas où il y aurait indices de délits ou de crimes commis à son égard.

M. Dubus. - Il s’agit d’une mise à la retraite dont on a publié les motifs dans un rapport. Le ministre de la guerre aurait fait connaître ces motifs à la commission des pétitions, qui les aurait mentionnés dans son rapport ; eh bien, si ces motifs inculpent le major Bodart dans son honneur, s’ils constituent un délit, il serait singulier qu’il ne pût obtenir le moyen de se justifier ; cette situation ne serait pas tolérable. Si les faits sont tels qu’on les expose, il faut que le major Bodart qui demande à être juge, soit jugé.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - J’ai dit qu’il ne dépendait pas du gouvernement de faire comparaître quelqu’un devant la haute cour criminelle ; qu’il ne dépendait pas non plus des individus, soit par suite de réclamations, formées par eux-mêmes, soit par suite de réclamations formées par des tiers, de saisir une cour criminelle : elle ne peut être saisie d’une affaire que quand il y a des indices suffisantes pour caractériser un délit ou un crime. Le magistrat ne peut poursuivre parce qu’on le lui demande, il ne poursuit que dans les cas où il est de son devoir de poursuivre. J’ai répondu aux questions qui ont été faites.

M. Dumortier. - Il y a quelque chose de remarquable dans cette discussion, c’est que les ministres ne sont pas d’accord. Le ministre de la guerre dit qu’il ne croit pas devoir traduire le major Bodart devant la haute cour militaire et le ministre de la justice dit que ce major ne peut se présenter devant les magistrats militaires. Mais on a signalé à la chambre des faits d’une nature très grave ; nous devons exiger qu’ils soient éclaircis ; il faut savoir si la chambre n’a pas été induite en erreur. Il est donc nécessaire que le major Bodard obtienne justice ; ce serait un déni de justice que de repousser sa plainte.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Il n’y a pas la moindre contradiction entre ce qu’a dit le ministre de la guerre et ce que j’ai dit. Le gouvernement n’a pas cru devoir diriger des poursuites contre l’officier dont il s’agit ; mais si cet officier veut former une plainte, libre à lui ; les magistrats verront si cette plaintes est recevable. Le gouvernement ne poursuit pas à tort et à travers ; on ne peut pas adresser ce reproche au gouvernement belge ; il n’a pas d’amnistie à faire.

M. Demonceau. - Deux pétitions ont été faites par le major Bodart. Elles ont été renvoyées à M. le ministre de la guerre avec demande d’explications ; si le ministre de la guerre donnait les explications demandées, peut-être que la chambre y trouverait ses apaisements. Dans ses pétitions, le major Bodard se plaint d’avoir été mis à la retraite quand les lois en vigueur ne le plaçaient pas dans cette position ; c’est sur ce point qu’il importe d’avoir des explications.

- La chambre ferme la discussion générale et passe à la discussion des articles.

Discussion des articles

Article premier

« Art. 1er (avec la rédaction de la section centrale). Il est transféré une somme de 18,000 fr. des crédits restés disponibles au chapitre il, section 2, article premier du budget de la guerre, exercice de 1836, au chap. VI, art. premier du même budget. »

M. Dumortier. - Je ferai remarquer de nouveau que cet article est inintelligible : j’avais demandé qu’on nous dît ce que c’était que ces chapitres et ces articles auxquels on renvoie.

- L ‘article premier est adopté.

Article 2

« Art. 2 (présenté par le ministre). Une somme de un million trois cent quatre-vingt-dix mille francs, des fonds disponibles au budget de la guerre, exercice 1836, est annulée et sera déduite des chapitres et articles ci-après désignés, savoir :

« Chapitre II, section I.

« Art. 1 : fr. 30,000.

« Art. 2 : fr. 12,000

« Art. 3 : fr. 2,000

« Art. 4 : fr. 4,000

« Art. 5 : fr. 27,000

« Chapitre II, section II

« Art. 1 : fr. 130,000.

« Art. 3 : fr. 418,000

« Art. 4 : fr. 10,000

« Art. 5 : fr. 88,000

« Art. 6 : fr. 42,000

« Chapitre II, section III

« Art. 1 : fr. 36,000.

« Art. 2 : fr. 128,000

« Art. 4 : fr. 25,000

« Art. 6 : fr. 10,000

« Art. 9 : fr. 10,000

« Art. 10 : fr. 16,000

« Art. 11 : fr. 20,000

« Art. 13 : fr. 223,000

« Art. 15 : fr. 100,000

« Chapitre III

« Art. 3 : fr. 34,000

« Art. 4 : fr. 25,000

« Total : fr. 1,390,000 »

M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - J’ai à faire observer que la section centrale ayant proposé de transférer la somme de 223,000 fr. de l’art. 15 du budget de 1836 au budget de 1837, il n’est peut-être pas convenable d’annuler l’article au budget de 1837. Je fais cette observation parce qu’une distinction a été faite entre cet article et les autres, Je ne suis pas bien certain qu’il faille l’annuler an budget de 1837.

M. Desmaisières. - M. le ministre de la guerre se ralliant à la section centrale, il y a lieu à supprimer les 223,000 fr. de l’article 13 du chapitre II.

- L’article 2, dont le chiffre total est réduit à 1,167,000 fr., est mis aux voix et adopté.

Article 3

M. le président. - On passe à l’article 3.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - Au lieu du chiffre de 111,860 fr., je propose celui de 151,860 fr., et au lieu de 872,000 fr., je propose 932,000 fr.

La réduction proposée par la section centrale est fondée sur ce que des promotions n’ayant pas eu lieu dans l’armée, il n’est pas probable qu’elles aient lieu dans le second trimestre, et qu’ainsi la somme de 120,000 fr. peut être retranchée ; mais nous ne sommes pas à la fin du second trimestre ; au mois de mars j’ai pu reconnaître qu’il n’était pas possible de faire des promotions pendant le premier trimestre : mais en mai je ne puis dire si en juin on n’en fera pas. Cependant, au lieu de 120,000 fr., je propose d’en retrancher 60,000 fr. D’un autre côté, appliquant la même règle aux armes de la cavalerie et de l’artillerie dont n’avait pas parlé la section centrale, je propose une réduction de 10,000 sur chacune ; ainsi la diminution totale est de 80,00 fr.

Les deux chiffres que je propose font ensemble 1,083,860 fr.

M. Pollénus. - Je donnerai très volontiers mon assentiment à l’art. 3, parce que j’y vois le moyen de développer l’esprit militaire en Belgique, et de garantir les habitants contre les logements militaires.

Toutefois je ne puis m’empêcher de présenter quelques observations au ministre de la guerre relativement aux dépenses du camp. Le camp de Beverloo date de très peu d’années ; et je conçois très difficilement comment, après deux années d’existence, les constructions de ce camp nécessitent des réparations considérables. J’ai très bien vu qu’il s’agit aussi de constructions nouvelles ; mais mon observation n’en subsiste pas moins, parce que j’ai vu en même temps qu’on appliquait une grande partie des sommes demandées aux réparations à faire.

Je dis donc qu’il est difficile de concevoir qu’une construction si récente puisse déjà se trouver dans un état de délabrement tel qu’il faille y consacrer une somme aussi considérable. Les constructions du camp de Beverloo ont été faites avant l’entrée de M. le général Willmar au ministère de la guerre. Je fais cette remarque parce qu’il n’y a pas longtemps, on faisait sonner bien haut dans cette enceinte les économies faites par le précédent ministre de la guerre, et qu’il me semble que quand on fait des économies qui tombent si tôt en ruines, ce n’est pas faire une économie, mais, au contraire, dépenser bien mal à propos les deniers de l’Etat. Si mes renseignements sont exacts, la plupart des constructions qui ont été faites dans les camps ont été adjugées sans publicité, sans concurrence : on pourrait donc attribuer, en partie, la nécessité de la dépense dont il s’agit en ce moment, aux défauts des constructions, et ces défauts pourraient, à leur tour, être attribuées à ce qu’on n’aurait pas pris les précautions nécessaires dans l’adjudication des travaux.

Quoique je sois persuadé que M. le ministre de la guerre n’avait pas besoin de l’observation que je viens de faire, pour comprendre combien il est nécessaire de n’adjuger de semblables travaux qu’avec toutes les précautions possibles, surtout quand la chambre se montre si empressée à concourir autant qu’il dépend d’elle à assurer à notre armée des établissements convenables, j’ai cru cependant devoir insister sur ce point afin d’y rappeler un redoublement d’attention de la part de M. le ministre. Je crois qu’il est indispensable, pour des constructions quelles qu’elles soient, mais surtout pour des constructions de l’importance de celles dont il s’agit, que les travaux ne soient jamais adjugés qu’avec les conditions de publicité et de concurrence. Quant aux inconvénients qui m’ont été signalés et dont j’ai parlé tout à l’heure, je n’en garantis pas l’existence ; mais, pour autant qu’ils soient réels, je prie M. le ministre de la guerre de réfléchir mûrement et d’y remédier autant que possible.

Il me reste une dernière observation à faire : le camp de Beverloo est considéré par les provinces voisines comme très important pour elles, et elles désireraient beaucoup être mises en communication avec ce camp : or, jusqu’aujourd’hui il n’existe entre le camp de Beverloo et les provinces voisines aucune communication tant soit peu facile ; je désirerais beaucoup en voir établir une ; cela ne serait pas fort coûteux ; car il s’agirait tout simplement de faire une route d’une lieue tout au plus, pour donner aux habitants des provinces de Limbourg et de Luxembourg un moyen facile de conduire leurs denrées au camp ; ce serait là un avantage pour le camp lui-même, puisque les denrées pouvant y arriver plus facilement s’y rendraient nécessairement à meilleur compte. Une semblable communication aurait encore une influence sur le prix des constructions à faire au camp, en ce qu’elle faciliterait le transport des matériaux qui doivent y être employés.

Je dirai toutefois, messieurs, que quand je demande cette communication, je n’entends nullement méconnaître que le camp, d’après la destination qu’on y a données, étant en quelque sorte un point militaire, il pourrait peut-être y avoir des considérations relatives à la défense du pays, qui s’opposeraient à ma demande ; ces considérations, si elles existaient, seraient plus fortes que celles que j’ai fait valoir ; aussi je subordonne entièrement ma réclamation à la demande de savoir si des considérations de défense militaire ne s’opposent pas à ce qu’il y soit satisfait. J’appelle donc l’attention de M. le ministre de la guerre sur la communication qu’il serait de la plus grande utilité d’établir, pour autant que l’obstacle dont j’ai parlé n’existât pas.

M. Mast de Vries. - Messieurs, M. le ministre de la guerre a fait faire par un officier d’état-major un devis des dépenses qu’il y aurait à faire pour établir le camp en permanence ; cet officier a d’abord évalué ces dépenses à 559,000 fr. ; mais ensuite il indique une économie de 77,000 fr. qu’on pourrait faire sur cette somme, faisant remarquer en outre que si l’adjudication était faite à des conditions favorables, on pourrait encore économiser une autre somme de 100,000 fr., de sorte que des 559,000 fr. dont j’ai parlé il y aurait à déduire 117,000 fr. Je ne sais pas ce qu’il faut penser de ce devis, mais il me semble que les dépenses sont calculées sur une base assez large, et que les économies indiquées pourraient réellement être faites ; je demanderai donc à M. le ministre de la guerre s’il n’y aurait pas moyen d’opérer sur ce chiffre de 559,000 fr. la réduction de 117,000 fr. qui a été indiquée par l’officier qui a fait le devis lui-même.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - Messieurs, le devis que j’ai envoyé à la section centrale, sur la demande qu’elle m’en avait faite, est un projet qui a été fait d’une manière très peu approximative, et les économies qui s’y trouvent indiquées ne pourront très probablement pas se réaliser. Je ne puis donc pas abandonner la somme de 177,000 fr. que M. Mast de Vries propose de retrancher ; le projet dont il s’agit n’a pas pu être assez bien étudié pour qu’on pu s’y rapporter entièrement. Avec les 559,000 fr. que je demande, je suis certain de pouvoir exécuter les travaux ; mais je n’ai pas cette certitude avec la somme telle que M. Mast de Vries propose de la réduire. Tout le travail est maintenant l’objet d’une étude très approfondie ; on ne dépensera que ce qui sera rigoureusement nécessaire ; on laissera subsister les choses qui peuvent servir, et là où des constructions seront indispensables, on en fera ; mais jusqu’à présent je ne suis pas certain de pouvoir réaliser aucune des économies dont il est question, j’ai même une certitude contraire à l’égard de plusieurs d’entre elles.

Maintenant, je dois faire remarquer à la chambre que les travaux du camp n’ont pas pu être faits avec la même régularité et la même exactitude qu’on apporte aux travaux ordinaires du génie, par la raison qu’on n’a pas eu le temps de les préparer, rien n’ayant pu être décidé à l’égard de ces travaux avant le vote du budget de l’exercice écoulé, vote qui n’a eu lieu qu’à la fin du premier trimestre de l’année dernière. Le même inconvénient s’est de nouveau présenté cette année, et c’est pour le faire cesser qu’on s’est décidé à rendre le camp permanent ; mais, comme je l’ai dit, il n’a pas encore été possible d’établir un devis exact de la dépense qui en résultera : depuis mon entrée au ministère, je m’occupe à examiner cet objet avec le plus grand soin, et je le répète, je ferai toutes les économies possibles ; mais il serait imprudent de renoncer au chiffre que j’ai demandé, puisque les économies dont il a été question ne sont pas réalisables.

M. de Puydt. - Messieurs, je voulais répondre aux observations qui ont été faites par l’honorable M. Pollénus, relativement aux constructions du camp de Beverloo ; mais ce que vient de dire M. le ministre de la guerre me dispense d’entrer dans des détails à l’égard de cette observation, qui est très juste en ce qui concerne des constructions ordinaires, mais qui ne l’est pas autant pour des constructions qui n’ont qu’une durée temporaire ; or, les constructions du camp n’ont été faites jusqu’ici que pour la durée d’une campagne ; tous les ans on faisait un camp nouveau ; des constructions légères, des cabanes construites avec des perches, de la paille, et l’année suivante ces constructions étaient presque toutes hors de service, il en fallait de nouvelles. C’est précisément pour faire cesser cet inconvénient qu’on propose aujourd’hui de faire un camp plus durable. Quand on exécutera ce projet, on pourra recourir au système ordinaire des adjudications publiques ; mais on n’a pas pu le faire pour des constructions aussi peu importantes que celles qui ont été faites jusqu’à présent.

M. Mast de Vries. - Je suis étonné, messieurs, des observations qui ont été faites par M. le ministre de la guerre relativement au devis dont j’ai parlé : il veut bien se rapporter à ce devis pour l’évaluation de la dépense, mais quand il s’agit des économies qui y sont indiquées, il ne veut y avoir aucun égard ; il est cependant présumable que, quel que soit le degré d’exactitude de ce projet, cette exactitude est la même pour les économies et pour l’appréciation de la dépense ; il me semble que si l’on adopte un chiffre, il faudrait aussi adopter l’autre.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - Il est évident, messieurs, qu’en votant toute la somme que nous demandons, vous ne compromettrez en aucune façon les travaux dont il s’agit, tandis qu’ils seraient certainement compromis, si vous opériez la réduction demandée par l’honorable préopinant ; je ne puis que le répéter ; la plus grande partie des économies indiquées dans le devis dont il s’agit ne peuvent se réaliser : il y a plus, des lacunes existent dans l’évaluation primitive des dépenses ; c’est ainsi, par exemple, qu’il n’est rien porté pour les dépenses imprévues, tandis que dans une évaluation de cette espèce on n’oublie jamais d’y avoir égard, et qu’il se présentera, sans aucun doute, beaucoup de frais imprévus dans la construction du camp ; cela pourra toujours s’élever à 20 ou 25,000 fr. ; d’un autre côté les démolitions qu’on a dû faire par suite du délabrement des baraques ont déjà fait découvrir que beaucoup de matériaux sur lesquels on avait compté ne pourront pas servir. Il est donc certain, messieurs, que si vous ne voulez pas entraver les travaux, vous devez nécessairement allouer toute la somme demandée.

M. Mast de Vries. - Parmi les économies dont j’ai parlé, il en est une qui résulterait de ce qu’on pourrait obtenir les briques à beaucoup meilleur compte qu’on ne les avait d’abord évaluées ; eh bien, messieurs, on m’a dit, quoique les fonds ne soient pas encore votés, il a déjà été passé des contrats pour la fourniture de briques, à raison de 32 fr., tandis qu’en les faisant faire sur les lieux, elles ne reviendraient qu’à 17 fr. ; c’est là ce qui m’a engagé à présenter à la chambre les observations que j’ai faites.

M. Pollénus. - Tout à l’heure, messieurs, j’avais demandé M. le ministre de la guerre quelques explications sur ses intentions relativement à l’adjudication des travaux du camp : M. le ministre ne m’a rien répondu, mais l’honorable M. de Puydt a dit que jusqu’à présent on n’a fait au camp que des constructions destinées à durer peu de temps, et qui par conséquent n’étaient guère susceptibles d’être adjugées régulièrement, comme doivent l’être des travaux plus importants. Mais je prie la chambre de remarquer que depuis deux ans nous avons voté des sommes énormes pour les constructions dont il s’agit, et que par conséquent ces constructions ont dû être assez importantes pour qu’on ne les adjugeât qu’avec les précautions nécessaires.

Maintenant l’honorable M. Mast de Vries vient de nous dire que des marchés ont été faits pour la fournitures des briques ; il ne s’agit pas là d’un objet de peu d’importance, de quelques travaux provisoires ; il s’agit là de la construction définitive pour laquelle on demande en ce moment des fonds à la chambre : je voudrais donc que le ministre de la guerre nous dît si ces marchés ont été faits avec les conditions nécessaires de publicité et de concurrence.

J’avais aussi appelé l’attention de M. le ministre sur la question de savoir s’il y aurait moyen de mettre le camp en communications avec les provinces voisines ; je désirerais apprendre s’il s’occupera de cet objet.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - Je dois vous faire remarquer, messieurs, que les briques à 17 fr. sont celles qu’on suppose pouvoir fabriquer sur les lieux ; mais peut-être la plus grande partie des briques dont on aura besoin pour les constructions du camp devront y être amenées par les mauvais chemins dont on vous a parlé tout à l’heure, et il est impossible de les obtenir à moins de 32 fr. ; cet exemple prouve encore combien peu sont réalisables les économies dont on nous entretient.

Par cette observation, je reconnais implicitement l’avantage d’ailleurs incontestable qu’il pourrait y avoir à ce que le camp eût une communication bonne en toute saison, avec les parties productives du pays ; mais la question de l’établissement d’une communication entre le camp et la route de Bois-le-Duc, ou la route nouvelle qui va être construite, mérite d’être mûrement pesée, et je ne puis que répondre à l’honorable préopinant que je m’occuperai sérieusement de l’examiner.

M. Desmaisières, rapporteur. - Messieurs, la section centrale m’avait chargée de l’examen du devis estimatif qui lui avait été transmis par M. le ministre de la guerre ; je l’ai examiné soigneusement, et je dois dire qu’il ne m’a pas fallu longtemps pour m’apercevoir comme M. le ministre qu’on ne peut pas bien se baser sur ce devis pour l’appréciation du crédit qu’il conviendrait d’allouer. Pour vous en faire juger, messieurs, je compléterai ce que vient de dire tout à l’heure l’honorable M. Mast de Vries : on lit dans le devis que l’argile étant excellente dans la bruyère même où il s’agit de construire le camp, on pourra cuire des briques sur les lieux mêmes et qu’elles ne coûteront tout au plus que 17 francs le mille, tandis qu’on en a porté le prix à 25 francs, comme s’il y avait lieu de les acheter dans les villages voisins. Une économie de 32,000 fr. est donc signalée pouvoir se faire de ce chef.

Mais une note écrite en marge porte que l’on a compté ici sur ce que le transport des briques se ferait au moyen de fourgons de l’armée, et qu’au contraire on vient de passer un marché pour la livraison des briques à pied d’œuvre au prix énorme de 32 francs le mille.

Je pourrais vous citer, messieurs, encore d’autres passages de ce devis, mais je crois que celui-ci suffit pour vous faire comprendre qu’il est impossible de se baser sur cette pièce pour fixer le chiffre du crédit à accorder ; c’est cette impossibilité qui a engagé la section centrale à ne vous proposer qu’une réduction de 50,000 fr. au lieu de celle de 117,000 qui résulterait du devis.

Quant à cette réduction de 50,000 francs, elle me paraît tout à fait possible ; car, d’abord il est bien certain, messieurs, que tous les travaux du camp ne pourront pas se faire cette année, et ensuite, en supposant, comme on doit le faire, que l’auteur du devis a exagéré les économies qu’il indique, il n’en est pas moins vrai que quelques-unes d’entre elles sont réalisables et notamment une partie au moins de celle relative aux briques.

Il est un second point, messieurs, dans l’article que nous discutons, c’est le crédit demandé pour les cantonnements. Mais je crois que la discussion s’étant portée d’abord sur le crédit relatif au matériel du génie, il conviendrait de voter d’abord ce crédit, et puis passer à la discussion de celui relatif aux cantonnements. En d’autres termes, je demande la division des deux objets dont il s’agit.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - L’honorable rapporteur pense, messieurs, que les travaux ne pourront pas être achevés cette année ; je ne suis pas de son avis : les marchés ne sont pas conclus, mais ils sont tout préparés, il n’y aura plus qu’à les approuver aussitôt que les fonds seront votés, et les travaux pourront commencer immédiatement : le nombre des ouvriers qui y seront employés, est assez considérable pour que les constructions avancent rapidement ; ils seront tirés des troupes du génie et de tous les corps de l’armée ; on fera d’abord ce qui est nécessaire pour pouvoir camper le nombre de bataillons qu’on campe tous les ans : je pense qu’ils pourront s’y rendre un peu plus tôt, et que par suite le camp sera levé également un peu plus tôt ; immédiatement après on reprendra les travaux, et tout pourra être achevé cette année.

Je ne reviendrai pas sur ce qui a été dit relativement au devis qui n’est réellement qu’une évaluation très peu approximative ; je répèterai seulement que tout ce que j’ai appris sous ce rapport, démontre clairement que les économies qui y sont indiquées ne pourront point avoir lieu : ce serait donc une grande imprudence d’opérer la réduction dont il s’agit ; cela pourrait considérablement entraver les travaux.

M. Mast de Vries. - Je demanderai à M. le ministre s’il est vrai que des contrats aient été passés pour la fourniture des briques à raison de 32 fr.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - L’expression n’est pas exacte, des marchés sont seulement proposés à ce prix pour une partie de briques dont on aura besoin de suite ; plus tard on en fera sur place, du moins on l’espère, a beaucoup meilleur compte. (Aux voix ! aux voix !)

M. Desmaisières, rapporteur. - Je demande qu’on mette d’abord aux voix la partie de la proposition du ministre de la guerre, tendant à obtenir une somme de 932,000 fr. que la section centrale propose de réduire à 872 mille fr. ; je demande ensuite que la discussion soit ouverte sur la première partie. (Adhésion.)

- Le chiffre de 932,000 fr. demandé par M. le ministre de la guerre est mis aux voix et adopté.

M. le président. - M. le ministre de la guerre a proposé en dernier lieu au chapitre II, section 3, art. 13, une somme de 155,860 fr. ; la section centrale propose 111,860 fr, ; différence en moins, 40,000 fr.

M. Desmaisières, rapporteur. - Messieurs, la différence qui existe entre la proposition de M. le ministre et celle de la section centrale provient de ce qu’il ne nous accorde que la moitié du trimestre de l’incomplet de la solde des cadres d’infanterie. Vous vous rappellerez, messieurs, que lors de la discussion du budget de son département, M. le ministre de la guerre a consenti à la déduction d’un trimestre entier, c’est-à-dire à la réduction de 120,000 fr. D’après des calculs sur lesquels je m’étais mis d’accord avec le ministre, il y avait une différence pour solde des cadres d’infanterie de 480,000 fr. du complet à l’incomplet pour l’année entière. Le vote du budget de la guerre n’ayant eu lieu que vers la fin du mois de mars, M. le ministre reconnut qu’il lui était impossible de faire usage du crédit, et consentit à une réduction de 120,000 fr. de ce chef.

Maintenant la section centrale a proposé de nouveau la réduction d’un second trimestre, parce qu’elle a remarqué qu’aucune promotion n’a eu lieu depuis le vote du budget, et que d’ailleurs l’incomplet doit être même plus considérable qu’il n’était au mois de mars, puisqu’il y a eu depuis lors des démissions données et reçues.

M. le ministre de la guerre annonce qu’il fera des promotions dans un bref délai. Mais je ne puis croire, messieurs, que ces promotions être assez nombreuses pour compléter entièrement les cadres. Il est certain que si nous ne sommes pas tout à fait aussi rapprochés de la fin du deuxième trimestre que nous n’étions de la fin du premier, lors du vote du budget de la guerre ; il est certain, dis-je, que quand bien même M. le ministre de la guerre ferait les promotions dès aujourd’hui, nous pourrions encore réduire tout à fait le chiffre du budget pour le second trimestre ; car les cadres, dans ce cas même, seraient loin d’être complets pour le second semestre, et comme la solde du complet aurait été accordée pour ce second semestre, il y aurait de ce chef une somme disponible qui pourrait compenser l’excès de réduction que nous aurions demandé maintenant.

Je ferai remarquer que ce n’est pas seulement en Belgique, où au reste elles n’ont eu lieu pour la première fois que cette année, que ces réductions sont opérés. J’ai entre les mains les développements des budgets français, et j’y vois que loin de tenir à obtenir de la législature la solde tout entière, soit que ces cadres soient complets ou incomplets, loin de tenir à cette question de principe que M. le ministre de la guerre a fait prévaloir lors de la discussion du premier budget, j’y vois, dis-je, que M. le ministre de la guerre, en France, propose lui-même une réduction à chaque article de son budget.

On trouve en effet dans ce budget :

« A déduire

« Pour incomplet, vacances, extinctions, etc., à raison d’un quarante-cinquième de l’effectif. »

Vous voyez, messieurs, que quant à nous, nous ne proposons que de réduire un trimestre déjà fort avancé, pour l’incomplet tel que nous l’avons calculé d’accord avec M. le ministre de la guerre. En France, c’est une proposition de réduction établie depuis plusieurs années. Chaque année on déduit au budget 1/45 de l’effectif pour incomplet, vacances, extinctions.

On fait encore une autre réduction que nous n’avons pas proposée, c’est celle-ci :

« Pour le produit présumé des congés des officiers, sous-officiers, caporaux et soldats, dans la proportion d’un trente-deuxième en Afrique et d’un seizième en France de l’effectif total, diminué de l’incomplet et des hommes qui sont dans les hôpitaux. »

L’on sait, messieurs, que des congés sont fréquemment accordés aux officiers pendant l’année. Je crois donc que M. le ministre de la guerre ne fera pas difficulté à consentir à la réduction du trimestre entier, du chef de l’incomplet des cadres d’infanterie.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - Messieurs, je pense que la chambre ayant admis le principe que dans l’état actuel des choses il était important, pour répandre un esprit d’émulation dans l’armée, de comprendre au budget le complet des cadres ; je pense, dis-je, qu’à propos d’une allocation particulière à faire pour le camp, il n’est pas convenable de dévier de ce principe.

C’est pour ce motif que je crois devoir persister à ne sacrifier que la partie de l’incomplet des cadres qui ne peut pas être remplie.

Lorsque le pays sera entré dans l’état normal, dans l’état de paix où se trouve la France, et même peut-être après un examen plus approfondi de la question, je ne dis pas qu’il ne deviendra pas possible de porter également à notre budget une réduction pour l’incomplet. Mais, dans l’état actuel de l’esprit de l’armée il convient de maintenir le complet des cadres.

Quant aux congés, ce que vient de dire l’honorable rapporteur n’est pas entièrement exact, dans ce sens qu’eu égard à la situation particulière où nous nous trouvons, les congés d’officier que nous accordons sont peu nombreux ; cela tient même à ce qu’il existe un si grand incomplet des cadres. Sous ce rapport donc, les diminutions ne seraient pas aussi considérables qu’il pourrait se le figurer d’après l’exemple de la France.

Revenant donc à la question, je dis que puisqu’on a reconnu qu’il était convenable de porter au budget tout le complet des cadres, j’en tire la conséquence qu’il n’y a lieu de déduire que l’incomplet qu’on ne pourra pas remplir, vu l’époque avancée de l’année.

Au 16 mars dernier, il est évident qu’on ne pourrait pas faire de promotions avant le 1er avril ; on pouvait donc en conséquence réduire tout le premier trimestre, tandis que maintenant nous ne sommes qu’au 14 mai, et qu’en conséquence il pourra y avoir des promotions avant la fin du trimestre.

Je crois donc devoir persister dans ma proposition.

M. Desmaisières, rapporteur. - Messieurs, je ne sais trop jusqu’à quel point, lorsqu’on a la conviction qu’on ne pourra pas dépenser une somme pour l’objet auquel elle doit être consacrée ; je ne sais trop, dis-je, jusqu’à quel point il faille surcharger le budget de 60,000 francs pour soutenir un principe.

M. le ministre s’est appuyé sur une différence de position qui existe entre la France et la Belgique à cet égard. Mais, messieurs, on n’a pas fait attention que la position de la France, du moins quant à une partie de son armée, est au contraire, sous ce rapport, plus désavantageuse que la nôtre. Car, messieurs, il y a guerre et guerre réelle en Afrique. Et cependant l’on fait une déduction pour le produit présumé des congés des officiers, des sous-officiers, caporaux, soldats, dans la proportion du trente-deuxième de l’effectif. Là, je le répète, il y a guerre, tandis que la Belgique est dans un état mitoyen entre la paix et la guerre, qui ressemble même plus à la paix qu’à la guerre, il faut le reconnaître.

Quand nous avons demandé à M. le ministre de la guerre pourquoi il avait porté, dans les états supputant les dépenses du camp, les corps comme étant entièrement au complet, tandis que presque tous les corps de l’armée, et je puis dire tous les corps, sont loin d’être complets, M. le ministre nous a répondu qu’il comptait les compléter en prenant des officiers dans les cadres de la réserve et dans les autres corps qui ne seraient pas appelés à faire partie du camp.

Ainsi, messieurs, vous voyez que les cadres ne seront pas même complets, lorsque ce camp aura lieu, puisqu’il faudra prendre dans la réserve et dans les corps non destinés à aller au camp, de quoi les compléter. Par conséquent, ce que l’on ne dépensera pas pour les officiers et sous-officiers de la réserve et des autres corps qui ne doivent pas faire partie du camp, compensera au moins la diminution que nous proposons.

Je le répète, je ne crois pas que, pour une question de principe, on doive surcharger le budget de 60,000 francs, lorsqu’on a la conviction que ces 60,000 fr. ne seront pas dépensés pour l’objet pour lequel on les demande.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - Messieurs, pour moi je n’ai pas la conviction que les 60,000 francs ne seront pas dépensés.

Au reste, si j’ai pris de nouveau la parole, c’est pour faire cette seule observation que M. le rapporteur prend pour une chose définitive ce qui n’est qu’une éventualité. Car ce n’est que pour le cas que les cadres ne seraient pas suffisamment remplis pour les troupes qui entreront au camp, qu’on les compléterait en recourant à la réserve et aux corps qui n’entreront pas au camp. Mais cela n’aura pas lieu, si, comme j’ai lieu de le croire, les promotions auront lieu prochainement. (Aux voix ! aux voix !)

- Le chiffre du gouvernement est mis aux voix et adopté.

L’ensemble de l’art. 3, montant à 1,093,860, est ensuite mis aux voix et adopté.

Article 4

« Art. 4. (Projet du gouvernement.) La somme de cinq cent quatre-vingt-trois mille sept cent soixante-douze francs quarante centimes, des fonds alloués au budget de ta guerre, pour l’exercice 1837, sur les chapitres, sections et articles ci-après désignés, est transférée au chapitre II, section 3, art. 13 du même budget, savoir :

« Chapitre II, section II

« Art. 1 : fr. 266,742

« Art. 2 : fr. 40,590 48 c.

« Art. 3 : fr. 21,672

« Art. 4 : fr. 8,347 50 c.

« Chapitre II, section III

« Art. 1 : fr. 200,804 75 c.

« Art. 6 : fr. 5,454 72 c.

« Art. 7 : fr. 40,160 95

« Total : fr. 583,772 40 c. »

« Art. 4. (projet de la section centrale). La somme de sept cent trois mille sept cent soixante-douze francs quarante centimes des crédits alloués au budget de la guerre, pour l’exercice 1837, sur les chapitres, sections et articles ci-après destinés, est transférée au chapitre II, section 3, article 13 du même budget, savoir :

« Chapitre II, section II

« Art. 1 : fr. 386,742

« Art. 2 : fr. 40,590 48 c.

« Art. 3 : fr. 21,672

« Art. 4 : fr. 8,347 50 c.

« Chapitre II, section III

« Art. 1 : fr. 200,804 75 c.

« Art. 6 : fr. 5,454 72 c.

« Art. 7 : fr. 40,160 95

« Total : fr. 703,772 40 c. »

M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - Messieurs, le premier chiffre de cet article, proposé par la section centrale, et auquel je me suis rallié, doit être réduit de 40,000 fr., en conséquence des réductions nouvelles qui ont été faites, ce qui réduit le chiffre total à 663,772 fr. 40 c.

- Le chiffre de 665,772 fr. 40 c. est mis aux voix et adopté.

Article 5

« Art. 5 nouveau (proposé par la section centrale). Il est transféré une somme de deux cent vingt-trois mille francs du chapitre II, sect. 3, art. 13, cantonnements, du budget de la guerre pour 1836, au chap. Il, sect. 3, art. 13 du budget de la guerre, exercice 1837, pour achat de terrains propres au campement des troupes, et pour avances à faire aux villes de Namur, Louvain et Mons, à l’effet de constructions de casernes et d’un manège. »

M. le ministre de la guerre (M. Willmar) se rallie à cet article qui est mis aux voix et adopté.

Vote sur l’ensemble du projet

La chambre décide qu’elle votera immédiatement sur l’ensemble de la loi.

Il est procédé à l’appel nominal.

68 membres sont présents.

3 s’abstiennent.

65 répondent oui.

En conséquence le projet de loi est adopté ; il sera transmis au sénat.

Ont répondu oui : MM. Andries, Beerenbroeck, Bekaert, Coppieters, Corneli, Cornet de Grez, Dams, David, de Jaegher, de Longrée, de Man d’Attenrode, de Meer de Moorsel, W. de Mérode, de Nef, de Puydt, Dequesne, Desmaisières, Desmanet de Biesme, Desmet, de Terbecq, de Theux, Devaux, d’Huart, Doignon, Dolez. Dubois, Dubus (aîné), Duvivier, Ernst, Fallon, Frison, Goblet, Jadot, Kervyn, Lardinois, Lehoye, Liedts, Manilius, Mast de Vries, Milcamps, Morel-Danheel, Nothomb, Pirmez, Polfvliet, Pollénus, Raikem, A. Rodenbach, Rogier, Scheyven, Simons, Stas de Volder, Trentesaux, Troye, Ullens, Vandenbossche, Vandenhove, Vanderbelen, Verdussen, C. Vuylsteke, L. Vuylsteke, Watlet, Willmar, et Zoude.

M. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont invités à faire connaître les motifs de leur abstention.

M. Dumortier. - Je n’ai pas voulu voter contre la loi, parce que je ne connais pas les stipulations qu’elle renferme. Tant que les lois de transfert ne renferment que des renvois à une autre loi de budget, je ne pourrai pas les voter.

M. Seron. - La loi contient deux parties dont je voulais adopter l’une et rejeter l’autre. Si j’avais dit oui, je les aurais adoptées toutes deux, ce que je ne voulais pas ; si j’avais dit non, je les aurais rejetées toutes deux, ce que je ne voulais pas davantage ; je me sois donc abstenu.

M. Gendebien. - Je me suis abstenu parce que je n’ai pas pu assister à toute la discussion, ayant été forcé de quitter momentanément l’assemblée.

Projet de loi qui accorde un crédit supplémentaire au budget de la guerre pour le service de santé

Discussion de l'article unique

M. le président. - La discussion est ouverte sur l’article unique présenté par le gouvernement, ainsi conçu :

« Il est ouvert au ministre de la guerre un crédit supplémentaire de 245,000 fr. pour compléter le chap. IlI (service de santé) du budget de 1837. »

M. de Jaegher. - Lors du vote du crédit provisoire pour le service de santé, j’ai appelé l’attention de M. le ministre de la guerre sur le mode d’adjudication des médicaments ; je lui ai signalé ce mode comme la cause de ce que plusieurs quantités de médicaments n’ont pas la qualité désirable. Je désirerais savoir s’il a examiné les questions et s’il a trouvé les choses ainsi que je les avais dites.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - Je n’ai pas manqué de porter mon attention sur le point important dont avait parlé l’honorable M. de Jaegher. Mais d’abord je ne puis pas admettre ce qu’il a posé en fait, savoir : la mauvaise qualité d’un grand nombre de médicaments dans les pharmacies des hôpitaux, et comme conséquence de ce fait, une mortalité plus grande dans notre armée.

Quant à la mortalité de l’armée, le tableau que la section centrale a joint à son rapport démontre que cette mortalité était dans les limites ordinaire, et qu’elle était même plutôt favorable que défavorable. A la vérité le rapport de la section centrale a semblé élever des doutes sur la vérité d’un des éléments du rapport, sur l’exactitude des chiffres de la force moyenne de l’armée.

Ce doute n’est pas fondé ; les chiffres indiqués résultent des situations du ministère de la guerre, par conséquent cet élément peut être regardé comme exact. Le chiffre de la mortalité est conforme au tableau distribué à la chambre en 1836 ; ce second élément est également exact. Il en résulte que le rapport des morts aux hommes présents est de 1 par 67. Cette proportion est favorable, surtout si l’on fait attention au pied de rassemblement où nous nous trouvons et aux maladies assez graves qui ont régné dans l’armée par suite de cette situation. La moyenne a été calculée sur une série de 6 années. Dans un pays voisin où le service de santé n’a été l’objet d’aucun reproche, il résulte du même rapprochement que le nombre des morts est de près de 2 p. c., 1 pour 50, tandis qu’ici, je le répète, il est de 1 pour 67.

Par conséquent le fait d’une mortalité extraordinaire n’est pas exact ; il n’est pas nécessaire de chercher à l’expliquer par des abus dans la qualité des médicaments, abus qu’a signalé l’honorable M. de Jaegher.

M. de Jaegher a prétendu que les prix sur lesquels on met en adjudication les médicaments de diverses séries ne sont pas en harmonie avec les prix du commerce. J’ai ici dans ce dossier les prix courants des principaux marchands de drogueries du pays ; ces prix sont en harmonie avec les prix de base, mais il y a entre ces prix, selon les différentes maisons de commerce auxquelles ils appartiennent, des différences graves, ainsi qu’ils résultent de la nature de ce commerce. Eh bien, les prix de base diffèrent d’une partie de ces prix courants ; mais ils sont en harmonie soit avec la moyenne, soit avec les prix des maisons regardées comme devant faire lui plutôt que d’autres.

Je ne puis accorder que les prix de base soient les uns de 40 p.c. en dessous des prix du commerce, et les autres de 60 p. c. au-dessus. Ce premier grief, je le déclare, n’est pas exact.

En second lieu, l’orateur a dit qu’il dépendait d’un agent de la pharmacie centrale de commander les médicaments d’une manière tout à fait arbitraire ; que s’il voulait favoriser un entrepreneur, il commandait des médicaments dont les prix sont très élevés, et que s’il voulait lui porter préjudice, il commandait des médicaments dont les prix sont très bas. Cet arbitraire n’existe pas ; il ne peut pas exister. Il ne dépend d’aucun agent de la pharmacie centrale de commander des médicaments arbitrairement.

Le fournisseur est obligé de fournir les médicaments dans la série dont il est adjudicataire ; mais la commande est faite d’après les commandes venues des infirmeries et des hôpitaux du royaume : c’est le résultat de toutes ces commandes qui est adjugé aux fournisseurs. Il faudrait qu’il y eût connivence entre les agents de toutes les infirmeries et hôpitaux du royaume, pour que cet arbitraire attrayant ait lieu, ce qui n’existe pas.

Néanmoins, il est possible qu’il y ait des améliorations à introduire dans cette partie du service sans qu’elles aient pu encore y être apportées, parce qu’elles ne peuvent résulter que de l’expérience. Maintenant on peut savoir quels médicaments de telle ou telle espèce sont demandés par année pour telle ou telle quantité ; ainsi, on pourra indiquer des quantités présumées nécessaires, dont le détail se trouverait dans un tableau joint à l’adjudication. On devrait se réserver la faculté d’augmenter les quantités présumées dans le cas où une maladie régnant avec une grande densité exigerait l’emploi en grande quantité d’un médicament de telle ou telle espèce.

Je désire avoir satisfait l’honorable orateur.

M. de Jaegher. - Je dois remercier M. le ministre de la guerre d’avoir pris en considération les observations que j’ai eu l’honneur lui soumettre. Je les ai faites dans l’intérêt du service, et non par esprit d’opposition contre son administration.

Je dois aussi lui rappeler que si j’ai parlé de la mauvaise qualité des médicaments et de l’accroissement de la mortalité dans l’armée, c’est que ces deux faits étaient établis dans la discussion. On a prétendu que la mauvaise qualité des médicaments était la cause de la mortalité plus grande ; d’autre part on a dit que la mortalité dépendait du personnel du service de santé. Je n’ai pu reconnaître laquelle ces deux opinions est vraie ; mais je sais qu’au moins, dans la Flandre orientale, la mortalité a été en 1835 et en 1836 plus considérable qu’à l’étranger dans les pays voisins. Voici la cause que j’en indiquerai : le personnel du service de santé dans les garnisons secondaires comme Alost et Audenarde, n’est pas suffisant pour traiter les malades qui s’y trouvent ; alors on les envoie au chef-lieu ; mais là, les malades étant en grand nombre, il y a encombrement. On renvoie donc les malades dans les garnisons secondaires alors qu’ils sont à peine en convalescence, et c’est là qu’ils meurent à défaut d’avoir reçu des soins pendant un temps assez long. Les registres civils de Termonde, d’Alost, etc., offrent la preuve de cette grande mortalité. Or, le ministre de la guerre a dit que l’examen de l’abus que j’avais signalé, quant à l’abus des médicaments, lui avait démontré que les prix courants du commerce, bien que différant entre eux, ne différaient pas essentiellement des prix auxquels les adjudications étaient faites. Je crois qu’à cet égard M. le ministre de la guerre n’est pas tout à fait bien informé ; car on a examiné les prix du commerce, et tous les négociants dans cette partie ont déclaré qu’ils ne pourraient fournir les médicaments qu’à 20 ou 30 p. c. au-dessus des prix du gouvernement. Ce qui le prouve, c’est le petit nombre de concurrents qui se présentent pour les adjudications.

Sans doute il ne dépend pas des agents du service de santé de demander une quantité plus ou moins grande de tels ou tels médicaments, mais il y a un magasin central dans lequel est une réserve d’une certaine quantité de médicaments, et il dépend des agents chargés de ce service d’épuiser ou de doubler cette réserve. C’est là la source des abus que j’ai cru devoir signaler.

Du reste, je me félicite que M. le ministre de la guerre ait reconnu lui-même qu’il y avait des améliorations à introduire. Mon but sera atteint s’il fait disparaître le mal que j’ai indiqué.

Je crois à cette occasion devoir appeler l’attention de M. le ministre de la guerre sur les lacunes existant dans le service de santé, lacunes de jour en jour plus nombreuses ; je pense qu’il n’est pas offert des avantages suffisants aux officiers de santé de l’armée. Lorsqu’un officier de santé de troisième classe entre au service, il est assimilé au sous-lieutenant et en touche la solde ; il avance de grade en grade jusqu’à celui de capitaine ; il prend alors le titre d’officier de régiment et touche le traitement de capitaine. Pour le capitaine, il y encore toute une carrière ; son avancement ne fait que commencer, tandis que, pour l’officier de santé, le grade de médecin de régiment est en quelque sorte son bâton de maréchal ; car, au-delà, il n’y a plus que les places de médecins d’hôpitaux qui, étant tort rares, n’offrent qu’une perspective bien faible d’avancement. Et cependant, l’officier de santé s’est livré à des études longues et coûteuses : le prix de ses études devrait être une carrière plus lucrative.

Je crois que dans un pays comme le nôtre, où les maladies sont plus fréquentes que dans d’autres en raison de la nature du climat et de la situation du pays ; dans un pays où l’art du médecin reçoit une application plus constante, les officiers de santé devraient avoir de plus grands avantages. En France où le nombre des maladies est restreint, le nombre des médecins est plus grand par régiment.

J’ai cru devoir appeler sur ce point l’attention de M. le ministre de la guerre, parce que j’ai remarqué que dans toute circonstance où un médecin de l’armée trouve à se placer comme médecin civil, fût-ce dans une commune rurale, il quitte le service militaire. Il est évident qu’en continuant de la sorte il ne restera dans le service militaire que ceux dont l’instruction ou les connaissances pratiques n’inspirent aucune confiance aux particuliers ; il est évident que le corps des officiers de santé n’étant plus alors composé que d’hommes sans instruction et sans talent, la mortalité ne ferait que croître dans l’armée.

C’est aussi dans l’intérêt de l’armée et du service que j’ai cru devoir faire ces observations.

M. Desmaisières. - M. le ministre de la guerre a fait observer tout à l’heure que le tableau relatif à la mortalité était exact. Je crois faire connaître à la chambre ce qui a fait supposer à la section centrale qu’il n’en était pas ainsi. C’est que nous avons reçu du ministère de la guerre, lors de l’examen que nous avons fait du budget primitif un état portant à 19,000 hommes environ l’effectif moyen des garnisons d’infanterie pendant l’année 1836. De 19,000 à 42,000, il y a une différence de 25,000 ; il aurait donc fallu, pour qu’en 1836 il y eût un effectif moyen de 42,000 hommes sous les armes, que la cavalerie, l’artillerie et le génie eussent eu ensemble un effectif de 23.000 hommes. Nous avons tiré de là la conséquence que les autres chiffres n’étaient pas plus exacts que celui-ci.

Maintenant, quant à la question du crédit en lui-même, je ne sais si je dois proposer à la chambre une réduction du chef des militaires traités dans les hôpitaux. M. le ministre de la guerre a demandé de ce chef, dans les développements du budget, une somme de quatre-vingt quinze mille francs.

Les militaires traités dans les hôpitaux doivent abandonner leur solde au moyen de laquelle l’administration fait tous les frais de leur traitement ; mais comme la solde du simple soldat n’a pas été jugée suffisante, lorsqu’on a fait les règlements d’administration pour subvenir à la dépense, on ajoute par jour un supplément de 14 centimes par homme traite à l’hôpital, mais seulement pour les hommes dont le traitement ne dépasse pas 52 centimes par jour.

Or, messieurs, 14 centimes par jour reviennent, si je ne me trompe, à 51 fr. 10 c. par année. Et dans les développements du budget, je remarque qu’il y a 13,955 hommes dont la solde ne dépasse pas 52 c. Il a été accordé par des crédits supplémentaires une augmentation sur l’effectif des troupes de 2,120 hommes, ce qui fait 16,075 hommes.

Il en résulte que la proportion du chiffre de 95 mille francs demandés par le ministre serait environ d’un huitième ou un neuvième. En France, dans le développement du budget de la guerre, on compte, pour le séjour des hommes aux hôpitaux, 1/19 de l’effectif en France et 1/10 à Alger. Ce sont là encore des proportions fondées sur l’expérience. Ainsi, en accordant 95 mille francs pour cet objet, vous admettez la proportion d’un neuvième, tandis qu’en France elle est seulement du dix-neuvième pour la France et du dixième pour Alger. Je pense que de ce chef une réduction est possible sur le chiffre même proposé maintenant.

En ce qui concerne la question du rapport que j’ai eu l’honneur de déposer avant-hier, vous aurez remarqué que nous y disons :

« Quant à ces pièces et aux notes tenues par les inspecteurs-généraux sur les officiers de santé des différents corps de l’armée, elles sont de nature à n’être utiles que dans le cas où la section centrale serait mise à même de se procurer d’autres renseignements. »

En effet, messieurs, je tiens ici en mains l’inventaire analytique des diverses pièces qui nous ont été renvoyées. Toutes ces pièces se composent de factures, de comptes, d’états de toute espèce, et qui ne peuvent nécessairement rien nous apprendre, car nous ne pouvons pas prendre des informations sur ces pièces. Nous étions donc dans l’impossibilité de faire un rapport circonstancié à cet égard, et nous vous exprimé dans celui que nous n’avons pas pu retarder plus longtemps de vous présenter, la chambre paraissant sur le point de se séparer.

M. de Jaegher. - J’ai un mot à ajouter. Il a été dit dans une séance antérieure que l’ophtalmie diminuait. Ce fait, j’aime à croire qu’il est exact. Mais je crains que le mal, au lieu d’avoir diminué, ne soit que déplacé. Je remarque qu’on renvoie en congé dans les communes quantité de soldats atteints d’ophtalmie, les uns plus ou moins malades que les autres. Lorsqu’ils sont rentrés dans leurs foyers, ces soldats, s’ils rencontrent un médecin sur les lieux, peuvent se faire traiter. Mais souvent ils ne trouvent pas de médecin sur les lieux, et quand ils en rencontrent, ils sont mal traités. Le mieux qui peut leur arriver, c’est de se ruiner pour payer les frais d’un traitement qui devait être à la charge du gouvernement. Qu’arrive-t-il si ces soldats sont mal traités ? C’est qu’un mal qui dans le principe n’était pas dangereux, qui aurait disparu s’il avait été convenablement traité, devient beaucoup plus dangereux, et que les malheureux qui en sont atteints finissent par perdre la vue. Et ensuite, quand ils se présentent pour obtenir la pension comme soldats aveugles, on leur dit : Vous êtes congédiés pour défauts corporels contractés hors du service.

Voilà des malheureux qui ont dû supporter des frais qui incombaient à l’Etat, et qui, en second lieu, ne touchent pas la pension à laquelle ils ont droit.

Je prie M. le ministre de la guerre de vouloir bien porter son attention sur ce fait ; je désire qu’il ne se reproduise pas. (Aux voix ! aux voix !)

M. Dubus. - J’entends dire aux voix. Ceux qui demandent à aller aux voix savent sans doute ce qu’on mettrait aux voix ; mais moi, je ne sais pas ce qui est en discussion. On a parlé d’un chiffre. Mais le projet de loi sur lequel on demande à aller aux voix n’est pas présenté.

M. le président. - Il est sur le bureau. J’en ai donné lecture.

M. Dubus. - Je n’avais pas saisi cette lecture.

M. le président donne une nouvelle lecture de la proposition de M. le ministre de la guerre.

M. Dubus. - Je remarque que l’on vous propose de voter définitivement tout ce qui concerne le service de santé, comme si les questions soulevées par ce service et à l’égard desquelles un nouvel examen, un nouveau rapport avait été demandé, étaient résolues, étaient éclaircies ; comme s’il n’y avait qu’à les trancher même sans discussion ultérieure.

Si j’examine le nouveau rapport qui nous a été fait, je trouve que rien n’est éclairci, que la section centrale n’avait pas les moyens d’obtenir les renseignements nécessaires. Pour faire quelque chose d’utile, nous dit-elle, il faudrait qu’elle fût mise à même de se procurer d’autres renseignements.

Dans l’état des choses, le vote qu’on demande ferait un contraste fort étrange avec celui qui a déjà été émis.

Je me rappelle qu’au mois de mars dernier la question paraissait être de savoir si on ordonnerait une enquête immédiate, ou bien si, avant d’ordonner cette enquête, on demanderait à la section centrale un nouveau rapport ; et même les honorables membres qui s’opposaient à l’enquête ajoutaient qu’ils s’opposaient à l’enquête immédiate, comme si, dans le cas où le nouveau rapport demandé ne présentait pas de résultat, ils ne s’opposeraient plus à ce que la chambre eût recours aux moyens qui sont en son pouvoir pour connaître les faits, pour arriver à la connaissance de la vérité.

Nous voyons par le rapport de la section centrale que des pièces dont elle a fait l’examen, les unes ont une importance presque nulle quant à la question, et que les autres ne sont de nature à être utiles que dans le cas où la section centrale serait mise à même de se procurer d’autres renseignements.

Je ne sais si, devant cette déclaration de la section centrale, on s’opposera encore à l’enquête. Si on s’y opposait, c’est qu’on ne veut pas parvenir à la découverte de la vérité, qu’on veut, en votant définitivement les fonds, trancher tout sans examen et sans investigation sérieuse sur les faits.

Je ne sais si la chambre adoptera la proposition de M. le ministre ; mais si elle l’adopte je déclare que je protesterai, que je voterai contre son adoption.

Il en serait autrement si on demandait un crédit provisoire et si on donnait à la section centrale les moyens d’arriver à la découverte de la vérité.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - J’ai donné à la section centrale toutes les pièces, tous les renseignements qu’elle m’a demandés.

Quant au vote des fonds, il est indispensable ; je ne sais pas où un crédit provisoire pourrait conduire la chambre, je ne sais pas quel travail d’investigation elle pourrait faire pendant les trois mois qui vont s’écouler.

M. Gendebien. - Ce n’est pas là répondre aux observations de M. Dubus. Il a rappelé que quand on a agité la question de savoir si on aurait recours immédiatement à l’enquête, ceux qui s’y opposaient ne s’y opposaient pas absolument ni indéfiniment. Ils disaient seulement que l’enquête étant un moyen extrême, l’ultime ratio de la chambre ; qu’il fallait, avant d’arriver à cette extrémité, épuiser les moyens ordinaires, tous les moyens usités en pareille occasion qu’il fallait demander préalablement une nouveau rapport, de nouvelles investigations a la section centrale.

Si ce raisonnement était fait de bonne foi, et je dois le croire, il en résultait que si, après avoir épuise la juridiction de la section centrale, on n’était pas arrivé au résultat que tout le monde paraissait désirer, si on n’était pas arrivé à la découverte de la vérité, tout le monde reconnaissait qu’on devait mettre la chambre en mesure d’atteindre cette vérité, au moyen d’une enquête.

Deux ou trois mois se sont écoulés depuis et nous ne sommes pas plus avancés, comme nous l’avions prévu. Mais on a obtenu précisément ce qu’on voulait : des délais pour calmer notre juste indignation, pour faire oublier la discussion et fatiguer la polémique des journaux. Aujourd’hui, au dernier jour de la session, on demande les fonds précédemment refusés, en disant qu’il est impossible de faire des investigations ultérieures, qu’on a besoin de ces fonds, qu’il faut les voter d’urgence.

C’est ainsi qu’on procède toujours quand on veut éviter des investigations sur les faits les plus graves ; la chambre est toujours dupe de sa bonne foi. On se tire d’embarras par des moyens dilatoires. La fatigue s’empare des commissions et de l’assemblée, et on continue de marcher d’abus en abus.

On a nié la nécessité d’une investigation, on a repousse l’enquête comme prématurée, on a étouffé la vérité. Quel en a été le résultat ? C’est qu’on a sacrifié un homme de la révolution, un ennemi des abus, pour jeter un voile complaisant sur tous les auteurs des abus signalés. En un mot, dans cette occasion comme dans tant d’autres, les vertus civiques ont succombé devant ce qu’on appelle la raison d’Etat, devant les turpitudes gouvernementales.

Pour moi, je m’attendais à ce qui est arrivé ; je n’ai jamais été dupe de ceux qui proposaient des moyens dilatoires. J’ai même prédit, si, ma mémoire est fidèle, à quoi ils aboutiraient. Maintenant ce n’est pas le moment de demander une enquête quand on est sur le point de clore la session ; mais, pour mon compte, je proteste, quelle que soit la décision de la chambre, sur la demande de crédit ; je proteste contre toute approbation de la conduite du chef du service de santé de l’armée qu’on pourrait en induire. J’espère qu’à la première réunion des chambres il se trouvera une majorité assez retrempée pour demander des investigations sévères sur tant d’abus signalés dans la partie administrative la plus délicate, la partie où les abus sont les plus funestes dans leurs conséquences.

Puisqu’il ne me reste d’autre ressource pour manifester mon improbation que mon vote, je voterai contre la proposition du gouvernement.

Il est un autre point qui mérite toute votre attention : c’est l’état déplorable des ophtalmistes. Dans la dernière discussion, l’honorable membre qui est revenu sur cette question aujourd’hui, avait fait les mêmes observations. Je les ai faites aussi à diverses reprises ; j’ai dit que le nombre n’était diminué que sur le papier, c’est-à-dire en apparence, mais qu’en réalité il augmentait, qu’on renvoyait les miliciens chez eux, quand ils étaient atteints. J’ai fait voir les conséquences naturelles et funestes d’une semblable manière de procéder, mais j’ignorais ce que vient de nous révéler un préopinant : quand ces ophtalmistes ruinaient eux et leur famille pour se faire traiter et quand ils devenaient aveugles, on leur refusait la pension en leur disant qu’ils avaient contracté des défauts corporels en dehors du service. Mais c’est là un abus révoltant. On suppose qu’ils sont devenus aveugles, parce qu’ils ont reçu la contagion dans leur famille, tandis que très souvent ce n’est pas une victime que l’on fait en les renvoyant chez eux, mais plusieurs, parce qu’ils portent très souvent le germe de la maladie dans leur famille, et il y en a dix pour un qui en sont atteints. De sorte que non seulement la famille s’est ruinée pour faire traiter ce malheureux enfant entré au foyer paternel, mais elle se trouve encore accablée du même mal ! Voilà les conséquences criminelles des fautes de l’administration. Elles aggravent, elles propagent le mal, pour le diminuer sur le papier menteur.

M. le ministre aurait dû s’expliquer sur ce point. Quelles que soient les explications qu’il donne, je l’engage à s’informer, il verra que le fait que je signale est exact. Tel est d’ailleurs presque toujours le résultat de l’amour-propre administratif quand on n’a pas le courage de le comprimer.

Maintenant que l’homme qui, sous le précédent gouvernement, se prétendait seul capable de guérir l’ophtalmie et en faisait l’objet d’une violente opposition ; maintenant que cet homme voir son incapacité mise à jour, est-il étonnant que, pour la cacher, il agisse frauduleusement ainsi qu’on vous l’a signalé, en renvoyant dans leurs foyers les malheureux qui en sont atteints ; et les accidents fâcheux que nous avons signalés, n’en sont-ils pas une conséquence naturelle et nécessaire ?

On a dit un mot des officiers de santé qui ne sont pas assez encouragés, et on a semblé regretter le manque de capacités dans le service de santé. La chose n’est pas étonnante. Non seulement on n’encourage pas, mais on décourage les officiers de santé ; on récompense mal les capacités. Il y a peu d’avancement, beaucoup de protégés et plusieurs cumulards : faveurs et complaisances pour les uns, rigueurs pour les autres.

J’ai eu des relations avec plusieurs vis-à-vis desquels le chef se conduisait avec tant de hauteur et si peu de procédés, en un mot de telle manière qu’il était impossible à un officier de rester plus longtemps au service. Ils étaient traités comme un maître ne traite pas ses esclaves. Quand un homme a de la capacité, quand il sent sa valeur, il n’est pas disposé à subir de pareilles humiliations. Il n’y a que des incapacités qui peuvent s’y soumettre, des hommes qui n’ont pour mérite que leur souplesse et leur complaisance. On les caresse, on les fête, on les choie ceux-là ; tandis que les autres, on les repousse, parce qu’ils sont l’objet de comparaisons pénibles pour certains supérieurs. J’appelle encore sur ce point l’attention du ministre. Je pourrais citer des hommes qui ont consenti à rester plusieurs mois aux arrêts forcés pour obtenir justice et ne l’ont pas obtenue ; l’amour-propre du chef avait été blessé, sa vengeance devait être satisfaite avant tous.

En un mot comme en cent, il faut une réforme dans le service de santé.

L’escobarderie à l’aide de laquelle on a fait cesser la discussion il y a deux mois, ne change rien à la question du service de santé, n’ajoutera rien à la confiance qu’il inspire ; elle ne fera qu’augmenter la défiance générale. J’ai expliqué les conséquences funestes de ce défaut de confiance dans le service de santé ; vous en recueillerez les faits, si vous continuez à agir comme vous l’avez fait jusqu’à présent.

M. Desmaisières. - Comme l’a dit l’honorable préopinant, la chambre n’a pas entendu, en adoptant la proposition de M. Lejeune, préjuger la question d’enquête et d’information entière ; car voici le compte-rendu de la résolution prise par la chambre que je trouve dans le Moniteur.

« M. le président relit la proposition de M. Lejeune.

« M. Lejeune - Je demande la parole pour un instant.

« Je dois déclarer itérativement que lorsque j’ai fait ma proposition, j’ai entendu ne pas admettre l’enquête immédiate. Mais en même temps, je n’entends aucunement limiter les pouvoirs ordinaires de la section centrale.

« De toutes parts. - Nous sommes d’accord. (Aux voix ! aux voix !)

« La proposition de M. Lejeune est mise aux voix et adoptée. »

Maintenant, vous voyez par là que la chambre n’a entendu donner aucune espèce de pouvoir à la section centrale, pour procéder soit à une enquête, soit à une information.

Maintenant voici le passage de notre rapport dans lequel nous faisons entendre qu’il nous a été impossible de prendre des conclusions quelconques et de faire un rapport sur les pièces qui nous ont été renvoyées, parce que nous n’étions pas mis à même de nous procurer d’autres renseignements ; en d’autres termes, de prendre des informations.

« Vous jugerez bien, messieurs, qu’alors même qu’en l’absence de ces renseignements et d’un document important que nous avions jugé propre à nous éclairer, il y aurait eu moyen de fixer notre opinion et d’arriver à des conclusions quelconques par l’examen seul des pièces à nous communiquées, il ne nous aurait du moins, dans tous les cas, pas été possible de vous présenter aujourd’hui un rapport circonstancié et motivé, tel que l’exige l’importance et la gravité de la question. »

Le ministre de la guerre a dit qu’il nous avait adressé toutes les pièces que nous avions demandées. Le fait est très exact ; je dois cependant, pour justifier la commission à cet égard, appeler l’attention de la chambre sur le passage du rapport dans lequel nous disons que les divers documents nous ont été envoyés par M. le ministre, accompagnés de lettres d’envoi, datées des 20 avril, 4 et 9 de ce mois.

Il était impossible d’examiner toutes ces pièces dans un si court espace de temps ; mais l’examen que nous en avons fait nous a démontré qu’il était impossible e de puiser des éléments de conviction dans ces pièces, quand on ne pouvait pas procéder à des informations.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - J’ai quelques observations à présenter en réponse à celles que vient de faire l’honorable préopinant.

La demande des différentes pièces a été adressée à la section centrale le 6 du mois d’avril. Les pièces étaient déposées quand elle avait été chargée d’un nouvel examen, au 16 mars. M. le rapporteur vient de dire qu’elle a commencé par faire un examen sommaire. Elle a donc mis trois semaines à faire cet examen sommaire. Après cela, elle a demandé que le département de la guerre lui envoyât un inventaire analytique de ces pièces qui sont au nombre de plus de 400. Cet inventaire a été fait en 15 jours de temps. Je pense qu’il a fallu y mettre assez de diligence pour le faire dans ces 15 jours avec le reste de la besogne. Cet inventaire et les pièces envoyées en dernier lieu ne sont ni de grande importance, ni volumineuses. Celles envoyées le 6 et le 9 courant sont des rapports d’inspecteurs sur les officiers de santé ; c’est un tableau des maladies et du nombre d’hommes qui y ont succombé, toutes pièces qu’il suffit de lire pour en tirer les conséquences. Par conséquent, on ne peut pas faire un reproche au ministre de la guerre si la section centrale n’a pas pu faire un rapport plus détaillé.

Si c’est une enquête extraordinaire qu’on veut faire maintenant, je n’ai pas changé d’opinion à cet égard.

Puisque j’ai pris la parole, je répondrai aux observations que viennent de faire MM. Gendebien et de Jaegher.

M. Gendebien est revenu sur le découragement des officiers de santé et les mauvais traitements qu’ils auraient éprouvés. Je répondrai que depuis huit mois que je suis au ministère, une seule démission a été demandée ou donnée. Ainsi les observations de l’honorable membre se fondaient sur des faits anciens qui, j’espère, ne se reproduiront pas.

Une des parties les plus importantes du service du santé est certainement le traitement des ophtalmistes. Je dois déclarer qu’il résulte des investigations que j’ai faites qu’il y a une diminution réelle très notable de l’ophthalmie, et qu’il est impossible de commettre une véritable fraude sur ce point, parce que ce n’est pas un seul homme qui fournit les renseignements ; ils sont puisés dans les situations fournies par tous les corps et tous les établissements sanitaires.

(Erratum inséré au Moniteur belge n°137, du 17 mai 1837) Le nombre des ophthalmistes est très petit. Il résulte d’un rapport fait aux chambres par le général Evain que de 1830 à la fin de 1833, le nombre des aveugles dans l’armée s’était élevé à 600 ; on en a compté 93 en 1834. On peut donc dire que le total des aveugles depuis 1830 avait été de 693, quand les mesures prises pour combattre le fléau ont commencé à avoir leur effet.

Or, en 1835, l’armée n’a compté que 15 aveugles, et l’année 1836 n’en a présenté en tout que 7.

Cela fait pour les deux dernières années un aveugle par mois à peu près, c’est beaucoup sans doute encore, mais c’est bien peu quand on compare cet état de choses à celui antérieur à 1835 ; et il est vrai de dire que les ravages de l’ophtalmie ont considérablement diminué.

Quant aux traitements auxquels les opthalmistes sont soumis, on les a modifiés pour arriver au meilleur résultat. On en a renvoyé en congé ; mais il ne faut pas croire que cette mesure ait été prise contre leur gré. Comme on s’est aperçu qu’ils entretenaient leurs maladies par suite d’un mauvais régime, on a été obligé de cesser de les renvoyer en congé. Ainsi l’administration ne mérite pas les reproches qu’on lui adresse ; elle prendra toutes les mesures qu’il est en son pouvoir de prendre dans l’intérêt de ceux qui sont attaqués d’ophtalmie. On les passera en revue, on les réunira dans les infirmeries ; on combinera tous les moyens que comportent les circonstances locales et le budget. Au reste, il n’est pas bien prouvé que l’ophtalmie se propage dans les familles ; c’est un fait controversé.

M. Desmaisières. - La section centrale ne mérite pas les reproches que M. le ministre de la guerre lui a adressés. Elle a demandé des pièces ; on lui en a communiqué 496 sans inventaire analytique. Elle a demandé cet inventaire. Dans les pièces qu’on lui a envoyées ne se trouvaient pas celles qu’on peut regarder comme essentielles, puisqu’elles avaient été distraites pour être communiquées au procureur du Roi.

Les pièces que la section centrale a reçues ne pouvaient lui rien apprendre : les unes sont des mémoires de serrurier, de graveur, de facteur d’instruments de chirurgie, etc. ; les autres sont des rapports d’inspecteurs d’hôpitaux, mais ce sont des inspections qui ont eu lieu en 1834 pour 1830, 1831 et 1832 ; en 1835 pour 1833 et 1834, et ainsi de suite. On dit bien dans les courts extraits communiqués que les malades n’ont élevé aucune plainte ; mais comment voudrait-on que les militaires qui se trouvaient dans les hôpitaux en 1830, 1831 et 1832 auraient pu se plaindre en 1834 puisqu’ils n’y étaient plus ? Au reste, je ferai remarquer que la section centrale n’a pas perdu un instant, et qu’elle a fait des demandes de pièces aussitôt qu’elle a été saisie de la question. Aussitôt après le vote du budget, qui a eu lieu, je crois, le 16 mars, la chambre s’est ajournée au 4 avril ; ce n’est même que le 5 qu’elle s’est trouvée en nombre, et déjà le 6 nous avons écrit à M. le ministre de la guerre. Or, on peut voir par mon rapport que ce n’est que le 20 avril et les 4 et 9 mai que nous avons reçu les renseignements demandés par notre lettre du 6 avril. Ainsi, puisque l’on en est à supputer combien de semaines il y a eu entre le vote du budget et la première demande de pièces faite à M. le ministre, je demanderai à ce dernier à mon tour combien de semaines il y a entre notre demande de pièces et le jour où il a été satisfait entièrement à notre demande, c’est-à-dire entre le 6 avril et le 9 mai.

M. A. Rodenbach. - Il est parvenu à ma connaissance qu’un grand nombre d’ophtalmistes des Flandres ont demandé de rentrer dans leurs foyers parce qu’ils n’avaient pas confiance dans certains officiers de santé de l’armée. Ils ont fait cette demande avec d’autant plus d’empressement qu’ils avaient appris qu’un homme très philanthrope, docteur en médecine, les traitait gratuitement ; qu’il avait élu domicile dans une auberge à Gand, où il donnait des conseils aux ophtalmistes qui se présentaient à lui ; et on dit qu’il en a guéri un grand nombre. Il y a plus ; c’est que les discussions qui ont eu lieu dans cette enceinte sur le service de santé ont retenti dans le pays, et ont fait impression sur les esprits des malades. Le médecin, ami de l’humanité, dont je viens de parler, a demandé à traiter les ophtalmistes dans les hôpitaux ; je ne sais pourquoi on n’a pas accepté ses services.

J’ai déjà fait une demande que je renouvellerai en ce moment ; pourquoi ne donne-t-on pas un franc aux malheureux qui ont perdu la vue dans le service ? En France on a plus d’humanité ; on les considère comme capitaines aux Invalides, ou comme ayant perdu deux membres. J’ai adressé ma demande au ministre précédent, je l’ai renouvelée au ministre actuel, et toujours sans succès.

Il y a de ces infortunés qui, en rentrant chez eux, se sont mariés afin d’avoir un guide ; mais qu’est-il arrivé ? Ils ont fait des enfants, et pour faire vivre leur famille, ils sont obligés de mendier, car 75 c. par jour ne peuvent suffire à leurs besoins.

Parce que des hommes sont pauvres, et sont forcés d’entrer au service militaire parce qu’ils ne peuvent payer un remplaçant, ils deviennent aveugles, et ils sont réduits à la mendicité : voilà leur récompense !

M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - Je ne contesterai pas à l’honorable membre que les aveugles n’aient été portés pour 1 franc dans les pensions ; si cela n’est pas, un amendement peut introduire cette dispositions dans la loi.

Quant au docteur qui traite les ophtalmistes, je n’ai pas reçu de demande de sa part ; s’il m’en adressait une, je la ferais examiner, parce qu’il faut agir avec beaucoup de prudence dans ces sortes de matières.

On a déjà eu un exemple d’un essai de ce genre qui n’a pas réussi ; il faut donc user de beaucoup de précautions avant d’y recourir de nouveau.

L’honorable orateur a encore rappelé le sentiment de défiance qu’il prétend exister dans l’armée et la répugnance que les soldats auraient de se faire traiter à l’hôpital. L’honorable M. Desmet, dans la discussion générale du budget de la guerre, avait énoncé le même fait, et il avait ajouté que les soldats dépensaient jusqu’à leur dernier argent pour ne pas entrer à l’hôpital ; il avait dit que cela existait surtout dans les Flandres ; l’honorable rapporteur de la section centrale s’était emparé à plusieurs reprises de ces assertions pour tâcher d’impressionner la chambre et l’amener à prendre la mesure proposée par lui. Répondant aux orateurs qui avaient parlé dans ce sens, j’ai dit qu’aucune plainte ne m’était parvenue à cet égard, et que par conséquent je devais croire qu’il y avait au moins beaucoup d’exagération dans tout ce que l’on disait sous ce rapport. Toutefois, j’ai chargé immédiatement le général qui commande dans les Flandres de faire faire une enquête à ce sujet ; cette enquête ne devait avoir rien de secret, rien de confidentiel ; le général organisa deux commissions, l’une composée d’officiers supérieurs et présidée par le colonel commandant de place de Gand, l’autre des médecins et directeur de l’hôpital ; des rapports très circonstanciés ont été faits par ces commissions ; de plus, des rapports semblables ont été demandés à tous les médecins chargés du service des hôpitaux dans les villes des Flandres ; ces médecins, en faisant leurs rapports, ont eu soin de consulter tons les médecins des régiments ; eh bien, messieurs, tous ces rapports démentent positivement l’existence de la répugnance dont il s’agit.

Je sais bien que, non seulement dans l’armée, mais dans tout le pays, la population pauvre, pour laquelle la ressource bienfaisante des hôpitaux a été établie, éprouve une répugnance à s’y rendre ; cette aversion augmente encore chez le soldat, à cause de la sévérité du régime, de la diète qu’il doit y subir pour certaines maladies dans lesquelles il n’en comprend souvent pas toute l’importance : certes, cette espèce de répugnance existe comme elle a toujours existé, mais la répugnance extraordinaire provenant de la défiance qu’inspirerait le service de santé, cette répugnance n’existe pas. Touts les hommes qui sortent de l’hôpital conviennent qu’ils y ont été bien traités ; il est même des localités où il se trouve des soldats qui cherchent à entrer dans les hôpitaux par paresse, pour se dispenser du service : ils ne craignent donc pas qu’on les empoisonne par de mauvais médicaments.

Je pourrais donner connaissance à la chambre de beaucoup de détails des rapports dont je viens de parler, mais je me bornerai à dire qu’ils sont complètement unanimes à l’égard de la non-existence de la répugnance qu’on a signalée. De quelques garnisons on m’a envoyé l’état de l’argent de poche que possédaient les hommes entrés à l’hôpital ; il y en a qui avaient jusqu’à 30, 40 et 50 fr. ; cela prouve bien, je pense, qu’ils n’ont pas commencé à se faire traiter ailleurs. Je sais bien, comme je le disais tout à l’heure, qu’il y a des soldats qui n’aiment pas d’entrer à l’hôpital à cause du régime auquel ils y sont soumis, à cause encore de ce qu’ils en sont détournés par des gens qui font un trafic secret de consultations et de remèdes, et cela est tellement vrai que plusieurs poursuites de ce chef sont en ce moment intentées contre des individus de Gand ; toutefois ce sont là des menées qui ne peuvent jamais conduire très loin, puisque tous les 15 jours, et plus souvent toutes les huitaines, on visite tous les hommes.

Je le répète donc, je ne puis pas admettre l’existence de cette répugnance extraordinaire, de cette répugnance dépassant toutes les bornes, qu’auraient les soldats pour entrer dans les hôpitaux ; j’ose affirmer que tout ce qui a été dit à cet égard n’a pas le moindre fondement.

M. de Jaegher. - M. le ministre de la guerre vient de vous dire, messieurs, qu’on ne renvoie pas les miliciens malades dans leurs foyers, contre leur gré, et il en conclut que sous ce rapport le service de santé est à l’abri de tout reproche ; il me suffira de faire observer qu’il ne suffit pas de la demande des miliciens pour les renvoyer chez eux, parce que par ce renvoi le gouvernement grève leurs familles d’une charge d’abord, et ensuite d’un danger ; non seulement on soumet par là ces familles à des frais, mais on les expose encore à contracter les maladies dont souffrent les permissionnaires qu’on leur renvoie. Je crois donc qu’il faudrait donner des ordres pour faire cesser ces renvois ; car, quel que soit à cet égard le désir des miliciens, ce désir n’est souvent pas partagé par les parents.

M. Dumortier. - Il résulte, messieurs, des explications que vous venez d’entendre, que dans les circonstances actuelles il est impossible de voter un crédit définitif pour le service de santé. Vous avez, il y a deux mois, investi votre section centrale du soin de faire un rapport spécial sur les nombreux abus qui existent dans cette partie de l’administration. La section centrale n’a point pu faire ce rapport ; elle dit que « les pièces qu’elle a reçues ne sont de nature à être utiles que dans le cas où elle serait remise à même de se procurer d’autres renseignements. » Tout à l’heure l’honorable rapporteur vous a indiqué clairement quels sont les renseignements que la section centrale devrait avoir pour pouvoir en venir à une solution. Il est donc impossible de voter, à la veille de nous séparer, un chiffre définitif ; il existe beaucoup d’abus, et il faut nécessairement qu’on prenne des mesures pour les faire disparaître. Le ministre vient de nous parler de deux commissions d’enquête ; eh bien, les rapports de ces commissions sont encore des pièces que nous aurons à examiner.

Remarquez à ce propos, messieurs, que quand une enquête est favorable, on nous la communique, mais qu’on la tient devers soi quand elle est défavorable : alors c’est une enquête confidentielle, et on a grand soin de ne pas nous la communiquer, encore qu’on nous communique dans d’autres circonstances des lettres confidentielles, comme on l’a fait à l’égard de l’honorable M. Zoude.

Il y a du reste un procès pendant devant les tribunaux, et nous devons en attendre la fin avant de rien décider de définitif. Je proposerai donc à la chambre de voter un crédit provisoire pour quatre mois, en réduisant aux deux tiers le chiffre proposé par la section centrale ; de cette manière le service sera assuré jusqu’au mois de novembre, et d’ici là nous pourrons voir ce qu’il y aura à faire quant aux abus dont il s’agit.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Vous pourriez dans tous les cas soulever de nouveau cette question dans la discussion du budget de 1838.

M. Dumortier. - Il faut que la question reste entière, il faut que la section centrale fasse le rapport dont elle a été chargée, et pour cela il est indispensable de ne voter qu’un crédit provisoire.

Puisque j’ai la parole, je demanderai au ministre s’il a pris une mesure pour faire cesser l’abus que j’ai déjà signalé relativement à l’état précaire dans lequel se trouvent la majeure partie des officiers de santé non diplômés, qui étant docteurs, peuvent et doivent obtenir des brevets : ils sont maintenant réduits à une simple commission, ce qui les met dans l’impossibilité d’avoir aucune sécurité sur leur avenir, et ce qui fait que la plupart d’entre eux quittent le service aussitôt qu’ils trouvent l’occasion d’entrer dans une autre carrière. Si le gouvernement persiste dans son système, nous devrons plus tard voter des crédits considérables pour remplir les cadres du service de santé. Rien n’est donc plus préjudiciable que l’état de choses que je signale, et j’invite instamment M. le ministre de la guerre à y remédier le plus tôt possible.

M. Desmet. - L’honorable ministre de la guerre vient de vous parler, messieurs, de rapports qui ont été faits sur la répugnance des soldats pour l’hôpital que j’avais signalée exister dans plusieurs garnisons du royaume, mais particulièrement dans les Flandres, et desquels rapports il résulterait que cette répugnance ne serait pas si grande que moi et plusieurs de mes collègues l’avions signalé : messieurs, je ne doute aucunement de l’exactitude du rapport dont parle l’honorable ministre de la guerre ; je sais que lui et le respectable général qui commande dans les Flandres sont très scrupuleux pour bien investiguer les choses dont on se plaint dans cette chambre, et j’y ai une entière confiance. Mais cette répugnance n’a pas pour motif le peu de soin qu’on donnerait aux soldats dans les hôpitaux, mais le principal motif en est qu’on croit que la quinine a été falsifié avec de la salicine, et surtout que cette falsification a principalement eu lieu dans les provinces de Flandre, ou, pour mieux dire, qu’un livrancier qui appartient à cette province en a été accusé.

On est revenu sur l’ophtalmie ; l’objet est assez important pour qu’on y revienne, et je ne puis assez le dire, le gouvernement ne devrait rien épargner pour extirper ce terrible fléau ; on vient de vous signaler un chirurgien flamand qui a eu le bonheur de trouver le moyen de guérir l’ophtalmie, on devrait le consulter et lui laisser faire des essais dans les hôpitaux.

Vous savez, messieurs, qu’il n’y a pas longtemps que les chefs du service de santé étaient tout à fait en désaccord sur la manière de guérir les ophtalmistes. Toutes ces disputes de ces hommes de l’art ne conduisent à rien ; car tout en se disputant et en écrivant des brochures pour et contre, cela n’avance rien pour la guérison du soldat : je prie donc M. le ministre de vouloir faire prendre des informations sur la manière dont M. Fierens de Bryveld guérit les ophthalmistes ; j’y engage aussi M. le ministre de la justice, car nous avons des prisonniers atteints d’ophtalmie.

Je crois donc aussi que le pays, les chambres et le gouvernement ont le plus grand intérêt à voir la question du service de santé éclaircie, et je conjure ici l’honorable ministre de la guerre, qui comme nous n’a qu’un seul but, celui que le service de santé soit bien administré et que la santé de nos soldats soit bien soignée, d’y apporter tous ses soins.

Et ici il n’y a rien de personnel qui puisse concerner M. le ministre de la guerre, et il ne peut prendre de mauvaise part que nous insistions pour que cette question, ou, pour mieux dire, ce doute sur le bruit qui existe dans le public sur l’administration des hôpitaux et la pharmacie de l’armée, soit entièrement éclairci et les inquiétudes levées. C’est une nécessité, quand un bruit a pris racine et que tout le pays s’en occupe, fût-ce même à tort, comme nous l’espérons.

Il y a une cause pendante devant les tribunaux ; l’issue de ce procès nous apprendra sans doute quelque chose sur la question dont il s’agit, et on verra par la fin de cette cause à quel point le service de santé est coupable de négligence on d’insouciance pour ce qui regarde la falsification de la quinine, falsification dont la réalité n’est pas mise en doute.

Je crois donc que le ministre de la guerre doit appuyer la proposition de M. Dumortier.

M. F. de Mérode. - Il me semble, messieurs, qu’on a discuté la question du service de santé fort longuement, lorsqu’il s’est agi du budget ; on la discute encore maintenant, et on veut nous la faire discuter une troisième fois dans le courant de cette année, comme si nous ne devions plus discuter le budget l’année prochaine ! Vraiment, messieurs, avec un pareil système il est impossible de sortir de nos délibérations. Nous avons à nous occuper d’une foule d’objets dont tout le monde reconnaît l’utilité, et tout cela reste en retard parce que nous perdons notre temps dans des discussions qui n’ont aucun résultat. Je trouve très bien qu’on ait examiné la question du service de santé, mais enfin il faut en finir une fois ; nous ne pouvons pas éternellement ressasser cet objet. Eh bien, voilà deux fois que nous revenons sur cet objet, j’espère que cela suffit pour cette année. Vous pourrez, si vous voulez, recommencer l’année prochaine ; mais ne nous en occupons plus cette année, et discutons les lois urgentes qui nous restent à voter.

Au lieu de terminer ces objets importants, que fait-on ? On vient assaillir la chambre de propositions qui semblent tomber des nues. (On rit). C’est ainsi qu’hier l’honorable M. Dumortier est venu vous demander qu’il fût empêché qu’à l’avenir les arrondissements élussent pour représentants leurs commissaires de district. N’était-ce pas là, en vérité, une chose bien importante ? Nous avons dû nommer une commission, et passer, à cet effet, la journée d’hier à porter de nos places des billets dans l’urne et à regagner nos bancs.

S’il était vrai que la chambre voulût discuter cette année pour la troisième fois la question du service de santé, je dirais qu’il n’est aucun pays constitutionnel où l’on ressasse ainsi les mêmes objets sans fin.

Véritablement, si l’on à cœur de forcer à la retraite les députés qui ont sincèrement envie de travailler, on ne peut employer un meilleur moyen. Quant à moi, j’avoue que je préférerais donner ma démission à voir les travaux de la chambre incessamment interrompus, et le gouvernement constitutionnel convaincu d’impuissance. Oui, messieurs, vous rendrez le gouvernement constitutionnel peu désirable, vous en faites le plus mauvais des gouvernements !

M. Gendebien. - - Messieurs, M. le comte de Mérode a mauvaise grâce de se plaindre que la chambre s’occupe une seconde et même qu’elle s’occupera une troisième fois de la question du service de santé. Si M. le comte de Mérode et tous ceux qui ont voté avec lui ne s’étaient pas opposés à l’enquête, on n’aurait pas été très probablement forcé de s’occuper à plusieurs reprises de cet objet. Que nous disaient les opposants à l’enquête, lors de la discussion de la question du service sanitaire ? Ne décrétez pas l’enquête de prime abord, nous disaient-ils, renvoyez l’affaire à la section centrale ; si les investigations auxquelles elle se livre n’amenaient aucun résultat, la chambre pourrait alors recourir à son ultima ratio. Si donc la chambre est dans la nécessite de s’occuper une seconde et même une troisième fois du service sanitaire, c’est la conséquence de l’ajournement de l’enquête. On doit donc s’en prendre à ceux qui se sont opposés à l’enquête, et non à ceux qui se plaignent que cette mesure n’ait pas été adoptée ; ceux-là seuls ont droit d’adresser à M. de Mérode le reproche de faire perdre du temps à la chambre.

Je ferai remarquer que M. le comte de Mérode qui nous reproche de nous occuper deux fois d’un objet sérieux, a cherché à ranimer la discussion d’hier sur une question qui doit plus tard revenir à la chambre, et qui par conséquent aurait pu se passer de la discussion prématurée que semble provoquer le ministre d’Etat.

M. de Mérode a dit qu’on ne revenait pas sans cesse sur les mêmes objets dans les autres gouvernements ; il cite la France et l’Angleterre. M. de Mérode serait bien embarrassé de prouver son assertion. C’est d’ailleurs bien mal à propos qu’il cite ces deux pays ; je lui ferai remarquer qu’en France et surtout en Angleterre on ne s’amuse pas, comme chez nous, à contrarier des demandes d’enquête. Là, rien n’est plus simple qu’une enquête ; il suffit qu’on la demande. Pour qu’elle ait lieu, les ministres vraiment constitutionnels ne s’y opposent jamais ; et les résultats en sont presque toujours tels, qu’on n’est pas obligé de revenir sans cesse sur le même objet. Si M. de Mérode veut qu’on cesse de parler du service de santé, qu’il ne s’oppose plus à la volonté de la chambre d’arriver à la découverte de la vérité, et qu’il cesse de lui refuser les moyens d’y parvenir.

J’ai maintenant un mot à répondre à M. le ministre de la guerre. Il a révoqué en doute que l’on congédiât les militaires atteints d’ophtalmie ; je répète que le fait existe, je dirai plus ; j’ai reçu dans le temps, d’une personne digue de foi, copie d’une instruction ministérielle dans laquelle il était dit qu’aux premiers indices d’ophtalmie, il fallait s’empresser de renvoyer les militaires chez eux. Je ne dis pas que j’aie la pièce originale qui contient cette instruction, mais une copie m’en a été remise de trois côtés différents.

Vous voyez, messieurs, que c’est là un moyen bien simple de diminuer sur le papier le nombre apparent des ophtalmistes, mais cela ne diminue en rien le nombre réel ; au contraire il augmente, comme je le disais tout à l’heure, par la contagion qui s’introduit dans les familles.

On ne contraint pas, dit M. le ministre, les miliciens à retourner chez eux. Je le crois bien : il y a bien peu de miliciens sous les armes qui ne désirent rentrer dans leurs foyers ; ils sont loin dès lors de vouloir contester les motifs pour lesquels on les renvoie ; mais le fait de ce renvoi est une chose incontestable : d’ailleurs, contraints ou non, le résultat n’est-il pas toujours le même ?

Quant à la répugnance qu’ont les militaires d’entrer dans les hôpitaux, elle est toute naturelle : elle a existé de tout temps ? Lorsqu’à la fin de 1791 ou au commencement de 1792, le gouvernement autrichien se préparait à se défendre contre une attaque probable de la France, ii chercha à former des légions dans nos provinces ; eh bien, le Hainaut offrit 18,000 hommes, à condition que ces troupes auraient des hôpitaux séparés qui seraient administrés par des Belges et dont la dépense serait faite par la province, parce que les hôpitaux autrichiens étaient l’objet de la plus grande répugnance pour l’état militaire. On pensait alors aussi que les militaires étaient empoisonnés dans les hôpitaux. C’était une erreur sans doute, j’aime à le croire ; eh bien, le gouvernement autrichien ne tint pas compte de cette répugnance, aussi il n’eut point les légions.

Aujourd’hui cette même idée existe, non pas qu’on pense qu’on empoisonne volontairement, mais qu’on empoisonne avec de mauvais médicaments. Les conséquences peuvent être les mêmes.

Il est tout naturel que le militaire éprouve de la répugnance à entrer dans les hôpitaux. Quel est maintenant le moyen de vaincre cette répugnance ? C’est d’inspirer la confiance, de faire cesser les abus et de frapper impitoyablement ceux qui les ont commis, ou d’écarter ceux que l’opinion publique accuse. Eh bien, non seulement on ne veut pas frapper les auteurs de ces abus, mais on ne permet pas même que la chambre fasse les investigations nécessaires pour arriver à la découverte des coupables.

On fait mieux, on destitue l’homme qui, sur l’invitation du précédent ministre de la guerre, a remis un rapport sur les abus du service sanitaire. Qu’il eût tort ou raison, on ne devait pas le destituer pour ce rapport, puisqu’on le lui avait commandé ; on devait attendre au moins que la section centrale se fût livrée à l’examen de la question et que le litige établi judiciairement fût consommé.

Messieurs, j’en reviens à ce que je disais tout à l’heure ; ce serait une véritable escobarderie, si aujourd’hui l’on insistait pour avoir un crédit définitif qui eût pour résultat de faire considérer la discussion relative au service de santé comme définitivement terminée.

J’appuierai, pour ma part, la proposition d’un crédit provisoire ; si elle n’est pas admise, je voterai contre le crédit, avec cette signification que je ne veux pas reconnaître, par un vote affirmatif, que le service sanitaire de l’armée s’est justifié des reproches dont il est l’objet, parce que cette justification n’existe point et qu’il faut que l’opinion publique soit satisfaite, ou éclairée de manière à dissiper tous les doutes.

M. Dumortier. - Messieurs, ce n’est pas la première fois que j’ai l’honneur d’appeler votre attention sur la manière dont M. le comte de Mérode cherche à représenter aux yeux du pays la chambre des représentants. La chambre, selon lui, est convaincue d’impuissance, et le gouvernement constitutionnel tombe en déconsidération. Très souvent M. de Mérode s’est permis des sorties de ce genre dirigées contre la chambre entière, sorties qui à mon avis ne peuvent avoir d’autre but que de servir le pouvoir fort et de changer un jour l’essence du trône constitutionnel.

Pour moi, je repousse de toutes mes forces les allégations de l’honorable préopinant. Je déclare que si quelque chose est de nature à jeter de la déconsidération sur l’assemblée nationale, ce n’est pas de défendre les intérêts du peuple, mais bien de consentir à des actes que l’opinion entière réprouve. Tels sont le crédit pour le service de sante dont il s’agit en ce moment ; la question des lits militaires qu’on a prouvé être si préjudiciable au trésor public, la démolition du fort Lacroix à des conditions humiliantes pour la nation, et d’autres actes encore que l’honorable M. de Mérode a constamment défendus.

Le gouvernement constitutionnel, dit M. de Mérode, est déconsidéré. Et moi je dis que rien n’est plus propre à déconsidérer le gouvernement constitutionnel que de voir un ministre d’Etat de Belgique venir dire à la tribune nationale que ce sont des Belges qui ont détruit les dignes de la province d’Anvers, et que ce sont eux qui ont causé l’inondation du polder de Lillo.

Au reste, si l’honorable membre veut sincèrement que le pouvoir législatif soit considéré, il a grand tort de venir combattre à l’avance la proposition que j’ai eu l’honneur de déposer hier sur le bureau. Il doit désirer au contraire qu’elle réussisse. La chambre sera d’autant plus considérée, qu’elle représentera plus fidèlement la nation. Or, ma proposition tend à ce but ; M. de Mérode a donc tort de la combattre, puisqu’il dit vouloir que, je le répète, la représentation nationale soit considérée.

M. le président. - Voici une proposition de M. Dumortier :

« Je propose de voter un crédit provisoire de 4 mois pour le service de santé. »

- Cette proposition est mise aux voix.

Après deux épreuves douteuses, un procède à l’appel nominal.

En voici le résultat

69 membres prennent part au vote.

1 membre s’abstient.

36 répondent oui.

33 répondent non.

En conséquence la proposition de M. Dumortier est adoptée.

M. Willmar, qui s’est abstenu, est invité à énoncer les motifs de son abstention.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - Je me suis abstenu parce que je ne voulais pas avoir l’air de décider la question par mon vote, et parce que dans la discussion générale j’avais dit que je désirais qu’on jetât la plus grande masse de lumière possible sur le service de santé. Et quoique ce soit une question qui n’en est plus une, à mon avis, que parce qu’on l’entretient, je n’ai pas voulu qu’on pût me reprocher d’avoir mis obstacle à ce qu’elle fût éclairée le plus possible.

Ont répondu oui : MM. Andries, Beerenbroeck, Corneli, Dams, de Longrée, de Meer de Moorsel, Demonceau, Desmaisières, Desmanet de Biesme, Desmet, Doignon, Dolez, Dubus (aîné), Bernard Dubus, Dumortier, Fallon, Frison, Gendebien, Heptia, Jadot, Kervyn, Liedts, Mast de Vries, Polfvliet, Pollénus, A. Rodenbach, Scheyven, Seron, Simons, Stas de Volder, Trentesaux, Vandenbossche, Verdussen, C. Vuylsteke, L. Vuylsteke et Watlet.

Ont répondu non : MM. Bekaert-Baeckelandt, Coghen, Coppieters, Cornet de Grez, David, de Jaegher. De Man d’Attenrode, M. de Mérode, F. de Mérode, de Muelenaere, de Nef, de Puydt, Dequesne, de Terbecq, de Theux, Devaux, d’Huart, Donny, Duvivier, Ernst, Goblet, Lehoye, Meeus, Milcamps, Morel-Danheel, Nothomb, Pirmez, Raikem, Rogier, Ullens, Vandenhove, Vanderbelen et Zoude.

M. le président. - Je vais mettre la rédaction aux voix. Elle est ainsi conçue :

« Il est ouvert au département de la guerre un crédit supplémentaire de 163,333 fr. 33 c. pour satisfaire aux besoins du service de santé en attendant que le budget de la guerre pour 1837 soit réglé définitivement. »

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - M. Dumortier entend donc retoucher tout le budget de la guerre.

M. Dumortier. - Non, cette partie.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Il faut le dire, sans cela il n’y aurait pas de raison pour ne pas prétendre plus tard qu’il y a lieu de recommencer toute la discussion du budget de 1837.

M. le président. - Je mets la rédaction aux voix avec ce changement : « En attendant que cette partie du budget de la guerre, etc. »

- Cette rédaction est adoptée.

Plusieurs membres. - Il faut passer au vote de la loi par appel nominal.

D’autres membres. - Il n’y a plus rien à voter.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Il m’est indifférent qu’on vote une seconde fois. Je serais même plus à l’aise en ne le faisant pas, car moi qui n’ai pas voulu de la proposition de M. Dumortier, je serai assez embarrassé quand on remettra définitivement cette proposition aux voix. Je ferai cependant observer qu’ayant simplement admis le principe d’un projet qui n’était pas même déposé sur le bureau, il faut au moins en décider maintenant la rédaction.

M. Dubus. - C’est votre faute ; pourquoi ne l’aviez-vous pas déposé ?

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Notre projet était déposé, mais vous avez voté celui indiqué par M. Dumortier.

M. Dubus. - C’est alors un amendement. Je demande qu’on déclare l’urgence et qu’on passe au vote définitif.

Vote sur l’ensemble

- On procède au vote par appel nominal sur l’ensemble de la loi. En voici le résultat :

68 membres prennent part au vote.

58 votent pour l’adoption.

10 votent contre.

La chambre adopte.

Ont voté pour l’adoption : MM. Andries, Beerenbroeck, Coghen. Corneli, Cornet de Grez, David, de Jaegher, de Longrée, de Man d’Attenrode, de Meer de Moorsel, F. de Mérode, Demonceau, Desmaisières, Desmanet de Biesme, Desmet, de Terbecq, de Theux, d’Huart, Doignon, Dolez, Donny, Dubus (aîné), B. Dubus, Dumortier, Duvivier, Ernst, Fallon, Frison, Gendebien, Heptia, Jadot, Kervyn, Lehoye, Liedts, Mast de Vries, Milcamps, Morel-Danheel, Nothomb, Pirmez, Polfvliet, Pollénus, Raikem, A. Rodenbach, Scheyven, Seron, Simons, Stas de Volder, Trentesaux, Vandenbossche, Vandenhove, Vanderbelen, Verdussen, C. Vuylsteke, L. Vuylsteke, Watlet, Willmar, Zoude.

Ont voté contre : MM. Bekaert_Baeckelandt, Coppieters, W. de Mérode, de Muelenaere, de Nef, de Puydt, Devaux, Goblet, Meeus, Rogier.

(Moniteur belge n°137, du 17 mai 1837) M. de Puydt. (pour une motion d’ordre). - Je demanderai si le mandat de la commission à laquelle on avait renvoyé les pièces du service de santé n’est pas maintenant expiré. Il me semble que cette commission ayant fait trois fois un rapport qui n’aboutit à rien, il y a lieu d’en nommer une autre.

M. Liedts. - Je viens appuyer la proposition de l’honorable M. de Puydt. Il m’a toujours paru que lorsqu’une commission a une fois émis une opinion contraire de la majorité de la chambre, il faut la remplacer, en nommer une autre.

Remarquez que la commission avait en premier lieu proposé de faire une enquête. La chambre, à la majorité, a décidé que dans l’état actuel il n’y avait pas lieu à faire une enquête. Dès lors il me semble qu’il faut nommer une autre commission. Car si vous en revoyez la question à la même commission, vous ne pouvez attendre d’elle, sinon la même impartialité, au moins le même soin.

Je crois qu’il faudrait ainsi procéder :

J’ai moi-même présenté à la chambre, dans une précédente séance, les questions sur lesquelles devrait porter l’examen de la commission. Il me semble que la commission devrait appeler dans son sein M. le ministre de la guerre, lui présenter ses doutes et lui demander quelles pièces il peut produire pour les dissiper.

La commission, après avoir entendu le ministre et avoir vu les pièces, sera en état de faire un rapport d’après lequel la chambre pourra décider définitivement cette grave question.

M. de Jaegher. - Je ne m’opposerai pas à la proposition de l’honorable M. Je Puydt ; mais je crois devoir faire observer que si, au moment où la chambre va être renouvelée partiellement, on nomme une nouvelle commission, des membres sortants pouvant faire partie de cette commission, il y aura lieu dans ce cas de la renouveler encore. Ainsi je propose de ne renouveler la commission qu’à la rentrée de la chambre, à la session extraordinaire qui paraît devoir avoir lieu.

M. de Puydt. - Cette observation s’applique à la commission actuelle comme à la commission à nommer. Qu’on nomme une commission ; s’il s’y trouve des membres sortants, ceux-là ne prendront pas part au travail.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Il me paraît que le plus logique dans tout cela, c’est d’ajourner la nomination de la commission et d’y laisser pourvoir par la chambre à moitié renouvelée, quand elle se réunira dans la prochaine session. De toute manière, la commission qu’on formerait à présent ne pourrait rien faire d’ici là, puisque la chambre va se séparer. Les chambres ne reviendraient certes pas à Bruxelles pour d’occuper du travail. Il n’y aura donc pas de temps perdu, en ajournant, comme je viens de le proposer, la nomination de cette commission ; c’est là le parti le plus sage à prendre.

M. Gendebien. - Le plus logique c’est de faire une enquête. Voilà, je crois, la conséquence logique de tous ces débats ; je crois que la nécessité d’une enquête sera enfin reconnue.

M. de Puydt. - Je conclus de tout cela que la commission n’existe plus ; je me considère comme n’en faisant plus partie.

M. Dubus. - Je demande l’ajournement à la session prochaine de la proposition de M. de Puydt.

- L’ajournement de la proposition de M. de Puydt est mise aux voix et adoptée.

Examen de la question des sucres

Rapport de la commission

M. Desmaisières. - Pour satisfaire à la décision prise hier, la commission chargée de l’examen de la question des sucres m’a chargé de vous lire les conclusions qu’elle avait prises. Je les lis d’après le procès-verbal dressé par le secrétaire de la commission.

(Le Moniteur publie ensuite ces conclusions qui prennent la forme de treize questions, lesquelles sont suivies du seul résultat (« Oui », « non ») des votes émis sur ces questions en commission.)

- La chambre ordonne l’impression et la distribution du rapport.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - On va imprimer ces questions et les réponses laconiques qui y sont faites, mais il serait assez difficile de se former une opinion sur conclusions ainsi isolées. Je suppose que la commission avait pour délibérer des documents sous les yeux ; or, si elle ne nous procure pas d’avis motivé, elle pourrait au moins nous remettre les pièces qui se trouvent à sa disposition, afin de les faire imprimer avec ce que l’on vient de nous lire.

J’ai été appelé comme ministre des finances à donner des renseignements sur la question des sucres ; la commission les a reçus avec quelques explications. Il est probable qu’elle a encore obtenu d’autres renseignements soit de fonctionnaires publics, soit d’industriels. Je n’aperçois aucune difficulté à les faire imprimer tous. La lecture de ces documents nous mettra à même de nous ranger en connaissance de cause à l’avis de la majorité ou de la minorité de la commission, suivant que nous adopterons l’une ou l’autre de ces deux opinions résultant des éléments qui ont servi à les former et qui seront ainsi sous nos yeux.

Je prie donc la chambre d’ordonner l’impression de toutes le pièces dont il s’agit.

M. Desmaisières. - Je ferai observer que j’ai donné lecture de la seule pièce que j’aie en ma possession comme rapporteur. Il est probable que l’honorable président de la commission, qui n’est pas présent à la séance, a d’autres pièces en sa possession

M. Dumortier. - Je demanderai à M. le président qu’il veuille bien communiquer les pièces qui sont en sa possession et qui sont de nature à éclairer l’assemblée.

M. Pirmez. - Mais il faut dire quelles pièces.

M. Demonceau. - Il serait important que le rapporteur eût le temps de faire un travail bien motivé. Il me semble que la chambre devrait autoriser le rapporteur à faire son travail.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Il y a quelque chose qui m’étonne dans tout ceci. Le rapporteur est chargé de faire un travail aussi urgent, et il dit n’avoir pas les pièces qui doivent servir d’éléments à son rapport, car je demande comment il ferait un tel rapport sans pièces à consulter ? Les membres de la commission nous disent que depuis cinq mois elle s’occupe de l’examen de la question, qu’elle a délibéré bien des fois, qu’elle a pris une foule de renseignements ; eh bien, il doit rester des vestiges écrits de tout cela. Si c’est le président de la commission qui a le dossier, que M. le rapporteur le lui demande et qu’il fasse imprimer ce que ce dossier renferme.

M. Desmaisières. - Il m’est impossible de faire connaître à la chambre quelles pièces m’ont été remise, par l’honorable secrétaire de la commission ; ce n’est que depuis avant-hier qu’on m’a nommé rapporteur et qu’on m’a donné le peu de pièces dont je suis porteur et que je viens de communiquer à l’assemblée. Mon intention était de demander à M. le président toutes les pièces dont il est le possesseur. Mais hier la chambre nous a invité à faire connaître purement et simplement les conclusions de la commission, pour remplir ce devoir, il était inutile de m’enquérir des pièces ; elles me seraient inutiles.

Il me serait difficile de faire un rapport sans avoir devant moi un certain temps. La question n’est pas sans difficulté ; c’est depuis trois ans que l’honorable ministre des finances a reconnu la nécessité d’apporter des modifications à la législation actuelle ; cependant ni ce ministre, ni le ministre de l’intérieur, ne se sont crus en état de formuler un projet de loi. Cependant l’un est le défenseur né des intérêts du trésor, et l’autre le protecteur né de l’industrie indigène. Il faut donc qu’ils aient rencontré des difficultés bien graves dans la question puisqu’ils ont préféré laisser à la chambre l’initiative des mesures à prendre.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Les ministres n’avaient pas à formuler seuls un projet de loi, du moment où la chambre avait chargé une commission de le faire et qu’il était entendu que ce projet serait élaboré après que la commission aurait reçu de ma part les renseignements qu’elle aurait jugé utile de me demander. Ce n’est donc pas la difficulté de la question qui nous a empêcher de présenter un projet de loi. Je serai prêt, pour mon compte, à entrer dans la discussion quand on voudra, et, selon moi, il y a urgence de l’entamer. L’impôt sur les sucres avait été organisé dans la prévision qu’il rapporterait au trésor trois ou quatre millions, et il ne rapporte plus rien. Si, en ma moment, j’avais gardé le silence ; si j’avais, en ma qualité de ministre des finances, déserté mes devoirs ; si je ne me montrais pas désireux d’abord cette matière, quelque qu’elle délicate qu’elle puisse être, je me regarderais comme inexcusable à vos yeux.

M. le président. - Il faut savoir si nous ordonnerons l’impression des pièces.

- La chambre, consultée, ordonne l’impression des pièces. En conséquence, M. le président sera invité à les déposer sur le bureau.

M. le président. - M. de Jaegher demande que M. le rapporteur soit invité à faire son rapport.

M. Dubus. - Je crois que M. le rapporteur n’a pas besoin d’être invité à faire son rapport. La chambre a voulu savoir si dans les discussions de la commission, et si dans les pièces qui les accompagnent, il y a des éléments propres à éclairer la chambre, et à la mettre en état de discuter la question dans la séance de mardi ; mais voilà tout ; et elle n’a pas dispensé le rapporteur de remplir son devoir.

M. Dolez. - Le ministre des finances a dit qu’il était désireux qu’on s’occupât de la question des sucres, qu’elle était urgente, qu’il était prêt à la discuter ; il y aurait un moyen bien simple de hâter la discussion, ce serait que le ministre des finances présentât un projet de loi, puisque son opinion est formée, qu’il la formule. Dans l’intérêt de la question, dans l’intérêt de l’opinion du ministre des finances, il est important qu’il présente son projet promptement, et toutes les difficultés cesseront.

Les documents présentés par la commission éclaireront la discussion. C’est là la marche la plus rationnelle et la plus expéditive de sortir d’embarras.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Lorsque l’on a pressé la commission de faire son rapport, c’était pour voir si on ne pourrait pas prendre une résolution dans la session actuelle sur la question des sucres ; mais si l’on veut en renvoyer la solution à une prochaine session, il va de soi qu’il faut attendre le rapport complet de la commission.

Quant à la proposition de M. Dolez, elle ne nous rapprocherait pas du but, au contraire, elle nous en éloignerait. Si je présentais un projet de loi, il faudrait le renvoyer à une commission, laquelle recommencerait tous les examens auxquels la première commission s’est déjà livrée ; et nous arriverions peut-être ainsi en 1838 sans que rien n’eût été décidé. Tout ce qu’il y a à faire en ce moment c’est d’attendre la semaine prochaine pour voir si nous sommes en nombre, et pour décider alors si on se croit assez éclairé pour entamer de suite la discussion.

M. de Jaegher. - D’après les observations de M. Dubus, ma proposition est sans objet.

M. Pirmez. - Je ne pense pas que l’impression des pièces accélère solution de la question : une masse de pièces, et elles ne manquent pas, ne nous avancera à rien ; ce sont des extraits raisonnés de ces pièces qu’il nous faut.

M. Rogier. - Je crois que la chambre doit s’occuper sérieusement de ce qu’elle veut faire ; il ne s’agit pas de jeux d’enfants. Comment pourrons-nous traiter la question des sucres mardi prochain, puisqu’aucun projet n’est formé ? Nous ne pouvons pas délibérer sur des matières en l’air.

M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - Je voulais seulement faire observer que la loi des sucres ne pourrait être discutée qu’après la loi des douanes dont la discussion est entamée.

M. Dolez. - Malgré les observations contraires de M. le ministre des finances, je persiste à croire que la présentation d’un projet par le gouvernement ferait faire un très grand pas à la question. De plus cette présentation serait déjà un certain apaisement donné à l’industrie du sucre de betteraves, qui connaîtrait du moins la pensée du gouvernement et qui pourrait jusqu’à un certain point juger par là de l’avenir qui lui est réservé. Cela nous procurerait encore l’avantage d’avoir un objet sur lequel nous pussions délibérer, ce que nous n’avons point dans l’état actuel de la question. Je persiste donc à engager M. le ministre des finances à promettre à la chambre qu’il lui présentera dans les premiers jours de la semaine prochaine un projet de loi sur la matière.

M. Desmet. - Je ne puis concevoir pourquoi M. le ministre de l’intérieur voudrait reculer la discussion de la loi sur les sucres jusqu’après le vote de la loi relative aux douanes ; ce sont des objets tout à fait différents, et nous pourrions très bien abolir une prime scandaleuse sans avoir auparavant voté le restant de la loi des douanes. En ce qui concerne les pièces dont parle M. le ministre des finances, il doit les connaître ; ce sont probablement des tableaux desquels conste l’importance de l’exportation des sucres raffinés et qui ont profité de la prime.

Je crois que nous pouvons très bien délibérer sur les conclusions de la commission sans devoir avoir un rapport motivé. (L’ordre du jour ! l’ordre du jour !)

M. Gendebien. - Il me semble, messieurs, que dans tous les cas, il faudrait formuler un projet de loi ; ce qui ne me paraît pas bien difficile, et je ne conçois pas comment la question peut soulever tant de difficultés, elle me paraît toute simple ; le rendement (c’est le mot consacré) sera-t-il porté de 55 à 70 ou à 75 p. c. ?

Enfin, au lieu de restituer la totalité de la prise en charge, ne restituera-t-on que les 3/4 ou les 3/5 de la prise en charge ? Voilà, me semble-t-il, la question réduite à sa plus simple expression ; je ne puis pas concevoir pourquoi elle serait si difficile à résoudre.

M. Dumortier. - Les honorables préopinants perdent de vue que la chambre est saisie d’un projet de loi ; usant du droit d’initiative qui appartient à chacun de nous, j’ai, lors de la discussion du budget des voies et moyens, présenté une disposition sur la matière dont il s’agit ; voila donc un projet de loi tout formulé, et M. le ministre des finances n’a que faire d’en présenter un de son côté, ce serait élever autel contre autel. (On rit.)

Plusieurs membres. - L’ordre du jour !

Projet de loi relatif au chemin de fer de Gand vers Courtray à la frontière française, avec embranchement à Tournay

Rapport de la commission

M. Dumortier, au nom de la commission qui a été chargée de l’examen d’un projet de loi ordonnant la construction d’un chemin de fer de Gand à la frontière de France, dépose son rapport sur ce projet.

- L’impression en est ordonnée.

Projet de loi accordant des crédits supplémentaires au budget du ministère de l'intérieur

Discussion des articles et vote sur l'ensemble du projet

M. le président. donne lecture de ce projet, qui est conçu comme suit :

« Art. 1er. L’art. 5 du chapitre V du budget du département de l’intérieur, pour l’exercice de 1836, est majoré d’une somme de quarante mille francs (fr. 40,000). »

« Art. 2. Il est alloué au même département un crédit supplémentaire de deux mille deux cent soixante-neuf francs, quatre-vingt-treize centimes (2,269 93), pour l’acquit de diverses dépenses de 1833 et années antérieures, restant à liquider, et qui sont détaillées dans le tableau annexé à la présente loi.

« Cette allocation formera le chapitre XXII, article unique, du budget du département de l’intérieur pour l’exercice 1836. »

(Note du webmaster : le Moniteur publie ensuite le tableau annexé, lequel n’est pas repris dans la présente version numérisée.)

La section centrale propose l’adoption.

- Les deux articles de ce projet sont successivement adoptés sans discussion.

Il et procédé à l’appel nominal sur l’ensemble ; en voici le résultat :

60 membres prennent part au vote.

2 s’abstiennent.

59 adoptent.

1 rejette.

En conséquence, le projet est adopté

On voté l’adoption : MM. Andries, Beerenbroeck, Bekaert-Baeckelandt, Coghen, Coppieters, Cornet de Grez, Dams, de Jaegher, de Longrée, de Man d’Attenrode, F. de Mérode, W. de Mérode, Demonceau, de Muelenaere, de Nef, Desmaisières, Desmanet de Biesme, Desmet, de Terbecq, de Theux, Devaux, d’Huart, Doignon, Dolez, Donny, Dubus (aîné), B. Dubus, Duvivier, Ernst, Frison, Heptia, Jadot, Kervyn, Lehoye, Liedts, Mast de Vries, Meeus, Milcamps, Morel-Danheel, Pirmez, Polfvliet, Pollénus, Raikem, Raymaeckers, A. Rodenbach, Rogier, Scheyven, Simons, Stas de Volder, Trentesaux, Vandenbossche, Vandenhove, Vanderbelen, Verdussen, C. Vuylsteke, L. Vuylsteke, Willmar, Zoude et Fallon.

M. Seron a voté le rejet.

MM. Dumortier et Gendebien se sont abstenus.

M. le président. invite les membres qui se sont abstenus à motiver leur abstention.

M. Dumortier. - Je me suis abstenu par le même motif que tout à l’heure, parce qu’au moyen de ces transferts on ne sait pas ce qu’on vote.

M. Gendebien. - Je me suis abstenu par le même motif.

Ordre des travaux de la chambre

M. Liedts. - J’appelle maintenant l’attention de la chambre sur les demandes de crédits supplémentaires faites par M. le ministre des finances pour des créances arriérées. Parmi ces créances, il en est qui pourraient soulever une discussion assez longue ; mais il en est quelques-unes à l’égard desquelles il ne s’élève aucune objection, et qu’il serait d’autant plus juste de satisfaire que les créanciers dont il s’agit ont a leur tour pris des engagements. Je proposerai à la chambre de voter un crédit pour ces dernières et de laisser les autres en suspens.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Messieurs, le projet de loi accordant des crédits pour créances arriérées du département des finances comprend un grand nombre d’articles contre lesquels la commission a fait des objections ; elle en a réduit d’autres ; il en est même qu’elle a rejetés par une considération de principe que je dois combattre. Cela pouvant entraîner une discussion plus ou moins longue, je pense qu’il vaut mieux passer aujourd’hui à la discussion du projet de loi relatif aux successions d’étrangers ; celui-là est aussi très urgent, et nous sommes certains, messieurs, de pouvoir le terminer dans cette séance, tandis que si nous abordons l’autre, la discussion générale n’en pourra pas même être finie ; il faut nécessairement, je le répète, que j’entre dans des développements sur le principe qui a été admis par la commission des finances et qui tend a faire rejeter, sans examen, certaines catégories d’allocations que je demande.

Nous utiliserons donc mieux notre temps en examinant de suite le projet de loi relatif aux successions, qui est à l’ordre du jour depuis une semaine, et qui devait ainsi, dans tous les cas, avoir la priorité sur l’autre.

M. le président. - M. Liedts persiste-t-il à demander la priorité en faveur du projet de loi concernant les créances arriérées du département des finances ?

M. Liedts. - Oui, M. le président, au moins pour les quatre articles que j’ai indiqués. Ce que vient de dire M. le ministre des finances serait parfaitement exact, s’il s’agissait de discuter l’ensemble du rapport de la commission. La commission a effectivement rejeté quelques-unes des sommes réclamées par M. le ministre des finances ; mais elle n’a fait aucune objection relativement aux quatre articles sur lesquels je désire que la chambre vote immédiatement.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Messieurs, la chambre a à choisir entre deux objets, et à décider lequel des deux est le plus important. Or, il est incontestable que la loi des successions est beaucoup plus urgente et d’un intérêt infiniment plus général que le projet de loi relatif aux créances arriérées du département des finances. Je demande donc que la loi des successions soit mise la première en discussion. Au reste, quand cette loi sera votée, rien n’empêchera que la chambre ne s’occupe de la loi financière. (Adhésion).

- La chambre décide qu’elle discutera d’abord le projet de loi concernant les successions.

Projet de loi relative à la réciprocité internationale en matière de successions et de donations

Discussion générale

M. le président. M. le ministre de la justice se rallie-t-il au projet de la commission ?

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Avant de répondre à cette interpellation, je demanderai la permission d’entrer dans quelques explications.

Le projet de loi qui est soumis à la chambre n’a pas seulement pour objet les droits de succession d’un étranger en concours avec l’Etat, mais aussi de régler les droits d’un étranger en concours avec des Belges. C’est une chose qu’il ne faut pas perdre de vue : car il s’agit en général des qualités requises de la part d’un étranger pour succéder en Belgique.

Lorsqu’un étranger ou même un Belge décède en Belgique, sans laisser des héritiers reconnus par la loi civile, sa succession est acquise à l’Etat, non pas en vertu du droit d’aubaine, non pas en vertu d’un droit de confiscation, mais en vertu d’un droit ancien, universellement admis, d’après lequel une succession en déshérence, c’est-à-dire une succession sans héritiers légaux, est acquise à l’Etat.

Mais lorsqu’un étranger décède en Belgique, laissant des parents indigènes, alors l’Etat n’a rien à démêler dans la succession. Cependant le droit d’aubaine avait anciennement cette portée ; nos anciens coutumiers définissent le droit d’aubaine d’une manière énergique, en disant que l’aubaine ne peut ni laisser des héritiers ni être héritier.

Sous ce point de vue, le droit d’aubaine est tombé depuis longtemps en désuétude. L’étranger transmet sa succession à ses parents indigènes ; c’est un côté de la question que l’on peut écarter. Si l’étranger laisse avec des parents indigènes des parents étrangers, alors ces parents viennent réclamer des droits sur la succession, soit en concurrence avec ses parents indigènes, en se disant également proches, soit même à l’exclusion des parents indigènes, en se disant plus proches ; dans ce cas encore le débat n’existe pas entre l’Etat et les étrangers, mais entre ceux-ci et les Belges.

La question est celle-ci : L’étranger est-il capable de succéder ? Pourquoi ? l’étranger n’est-il pas parent aussi bien que le Belge ? Parce que succéder est un droit civil ; disposer ou recevoir par testament est un droit civil. Je dirai que dans tous les temps et dans tous les lieux les principaux droits civils ont été et sont encore les successions ab intestat et les successions testamentaires. Quant à moi, je n’en reconnais aucun qui soit aussi importants que ceux-là.

Or, l’étranger jouit-il des droits civils en Belgique ? L’article 11 du code civil répond à cette question. Et la réponse est conforme à l’ancien droit romain où l’on ne reconnaissait pas de droit d’aubaine, mais où cependant l’étranger ne jouissait pas de droits civils. Je fais cette observation parce que l’honorable rapporteur de la commission a parlé du droit d’aubaine chez les Romains.

Ainsi, l’étranger ne jouit pas des droits civils en Belgique ; c’est le principe posé dans l’art. 11 du code civil, à moins toutefois que les Belges n’en jouissent dans le pays de cet étranger, en vertu d’un traité de réciprocité.

Maintenant, messieurs, à l’égard des successions, nous avons l’article 726 du code civil qui ne fait qu’appliquer l’article 11, et qui porte :

« Un étranger n’est admis à succéder aux biens que son parent, étranger ou belge, possède dans le royaume, que dans les cas et de la manière dont un Belge succède à son parent, possédant des biens dans le pays de cet étranger, conformément aux dispositions de l’article 11, au titre de la jouissance et de la privation des droits civils. »

Si un étranger se présente à une succession en Belgique, il faut voir si les Belges sont admis à succéder dans le pays de cet étranger, et cela en vertu d’un traité de réciprocité entre les deux nations. Or, qu’on exige que le Belge jouisse des droits civils dans le pays de l’étranger, tout le monde le comprend ; mais pourquoi exiger que cette réciprocité soit établie par un traité ? En cela il ne m’a pas paru qu’il y eût des raisons suffisantes, et le projet de loi a pour but de supprimer cette condition. Pour qu’un étranger succède en Belgique, il suffira que le Belge soit admis à succéder dans le pays de cet étranger ; il suffira que la réciprocité existe de droit ou de fait. Voilà la différence qu’il y a entre le texte que j’ai l’honneur de proposer et le texte de l’article 726 du code civil.

Comme la réciprocité n’a plus besoin d’exister par traité, qu’elle peut exister d’une autre manière, il fallait qu’une disposition dans ce sens fût insérée dans la loi. L’art. 2 du projet y pourvoit ; il porte :

« Cette réciprocité sera constatée soit par les traités conclus entre les deux pays, soit par la déclaration des gouvernements étrangers, soit par la production de lois ou actes propres à en établir l’existence. »

Ce qui, en d’autres termes, veut dire qu’en prouvant par un document quelconque que les Belges jouissent des droits de succession dans le pays d’un étranger, cet étranger sera admis à jouir des mêmes droits en Belgique.

C’est ici, messieurs, que je puis répondre à la demande de M. le président, tendant à savoir si je me ralliais au projet de la commission. Il n’y a entre le projet du gouvernement et celui de la commission qu’une différence de quelques mots ; le projet du gouvernement porte à l’art. 2 :

« Cette réciprocité sera constatée soit par les traités conclus entre les deux pays, soit par la déclaration des gouvernements étrangers, soit par la production de lois ou actes propres à en établir l’existence. »

La commission a cru qu’on pouvait sans inconvénient supprimer ces mots « soit par les déclarations des gouvernements étrangers. » Car, dit la commission, ces déclarations sont aussi des actes propres à établir l’existence de la réciprocité ; il est inutile dès lors d’en parler spécialement.

Dès que l’amendement de la commission est présenté dans cet esprit, je n’ai aucun motif de m’y opposer, puisque les déclarations dont il s’agit sont au nombre des actes propres à établir l’existence de la réciprocité. Je dois dire cependant pourquoi j’avais parlé des déclarations de gouvernements étrangers : c’est parce que c’est là le moyen ordinaire d’établir l’existence de la réciprocité.

Quand des Belges se présentent pour recueillir une succession à l’étranger, ils viennent demander au gouvernement belge une déclaration de reciproco, et munis de cette déclaration, ils recueillent la succession ; l’étranger pourvu d’une déclaration semblable, délivrée par son gouvernement, sera également admis à succéder en Belgique. Comme la commission n’a nullement l’intention d’exclure les déclarations de l’espèce, je n’insisterai pas davantage sur cet objet.

Messieurs, le projet de loi statue pour les successions qui seront ouvertes à l’avenir. Mats il n’a pas été dans l’intention du gouvernement ni dans celle de la commission de porter la moindre atteinte aux droits des étrangers ; nous avons voulu les assurer d’une manière incontestable dans l’avenir. Je le déclare encore une fois, une autre interprétation donnée au projet de loi serait non seulement contraire au texte, mais encore absolument contraire à ma pensée.

Je vous ai déjà entretenus, messieurs, de deux hypothèses importantes ; il me reste a vous parler d’une troisième : si l’étranger décédé en Belgique ne laisse pas de parents indigènes, que des étrangers seulement se présentent pour recueillir la succession, y a-t-il lieu à contestation, et qui sera le contradicteur des étrangers ? La question est encore celle-ci : l’étranger est-il habile à succéder en Belgique ? jouit-il des droits civils, des droits de succession ? L’Etat est alors en concours avec l’étranger, car il recueille la succession à défaut d’héritiers. Du reste, on applique les mêmes principes que lorsque le débat existe entre des parents indigènes et des parents étrangers.

Quoi qu’il en soit, lorsqu’un étranger vient à mourir en Belgique, il importe de prendre des mesures conservatoires pour protéger ses biens et assurer qu’ils soient remis à ses véritables héritiers.

Je saisis cette occasion pour dire quelques mots, messieurs, des successions laissées par deux étrangers, les sieurs Renner et Cortvriendt, décédés récemment en Belgique, et dont il a été fait mention dans les papiers publics.

Je dirai d’abord que depuis la révolution le domaine n’a pas acquis un denier des successions des étrangers. J’ajouterai que le gouvernement ne réclame pas les successions des sieurs Renner et Cortvriendt, qu’il ne conteste pas à leurs parents étrangers la capacité de succéder ; mais il est de l’intérêt même des familles étrangères qu’il soit fait des actes conservatoires lorsqu’un étranger décède en Belgique.

Si quelqu’un contestait dans cette enceinte la légalité des actes du gouvernement lorsqu’il n’exerce pas de droits sur les deux successions dont je viens de parler, je n’hésiterais pas à proposer une disposition additionnelle pour faire décider la question par la législature ; si je ne présente pas d’amendement dans ce sens, c’est parce que je le crois inutile.

Il s’est présenté devant nos tribunaux des questions très importantes dont plusieurs sont encore pendantes aujourd’hui, et qui sont relatives à la successibilité des étrangers en Belgique : leurs droits sont contestés par des indigènes. Je sais combien ces matières sont délicates à toucher. Loin de moi la pensée de critiquer les jugements portés, ou d’exercer la moindre influence sur les décisions à intervenir. Mais je parle ici en homme politique. Je n’envisage pas les questions du point de vue du droit privé et d’individu à individu, mais sous le rapport du droit des gens, de nation à nation, et je me demande comment sera considérée au-delà de nos frontières l’exclusion prononcée contre un étranger, lorsque les Belges ont été admis à succéder dans le pays de cet étranger ?

(M. le ministre de la justice fait connaître les diverses espèces de contestations qui seront présentées, et il termine en ce termes :) Messieurs, il importe qu’on ne puisse douter dans aucun pays de l’esprit de loyauté et d’équité qui distingue la nation belge : peut être conviendrait-il, en usant du droit que nous donne l’art. 28 de la constitution, de trancher ces graves difficultés par voie d’interprétation. Toutefois, avant de prononcer des dispositions transitoires, je désirerais savoir si elles auraient des chances d’être accueillies favorablement. J’attendrai les observations qui seront faites par les honorables membres de cette assemblée.

M. le président. - Ainsi vous vous ralliez au projet de la commission ?

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Oui, M. le président.

Je proposerai d’ajouter une disposition ainsi conçue :

« La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa promulgation. »

M. Raikem. - Messieurs, le projet de loi soumis à notre discussion déclare les étrangers capables de succéder dans le royaume, dès que les Belges ont la même capacité de succéder dans le pays de cet étranger.

Le principe au projet a été admis par la commission chargée de son examen. Elle ne lui a fait subir qu’une légère modification.

Nous n’y trouvons pas des dispositions aussi larges que les lois de l’assemblée constituante, qui, par son décret du 6 août 1790, avait aboli le droit d’aubaine, et même avait été plus loin par la loi du 8 avril 1791, en habilitant les étrangers à succéder aux régnicoles.

On se rapproche davantage, dans les dispositions proposées, des principes du code civil. Seulement, la différence existe en ce que le code civil n’admet la réciprocité de succéder qu’autant qu’elle est stipulée dans les traités ; au lieu que le projet actuel admet la réciprocité, dès que la capacité de succéder existe, de fait, dans un autre royaume.

Les motifs exposés par le gouvernement nous apprennent qu’il ne s’est pas arrêté à l’objection que « la nécessité d’une réciprocité stipulée par traité est avantageuse en ce que la guerre suspend les traités, et cela parce qu’il n’est pas juste de porter atteinte aux rapports juridiques qui existent individuellement entre les habitants des pays qui sont en guerre. »

Ainsi, d’après la loi proposée, la guerre ne sera pas hostile aux individus, et ne les empêchera pas de jouir des droits que la loi, d’accord avec la nature, leur conférera.

Un fait rappelé par l’honorable rapporteur de la commission doit attirer toute notre attention sur le projet ; ce sont les mesures conservatoires que le gouvernement vient de prendre, en vertu du droit d’aubaine, sur les successions de deux étrangers morts en Belgique.

M. le ministre de la justice vient de s’expliquer sur ce fait. Le gouvernement n’a entendu prendre que des mesures conservatoires en faveur des ayants-droit. Il n’a nullement voulu se prévaloir du droit d’aubaine. M. le ministre a même ajouté que, s’il pouvait s’élever quelque difficulté, il était prêt à proposer une disposition interprétative pour soustraire au droit d’aubaine les successions actuellement ouvertes.

Je crois qu’une telle disposition serait inutile.

Car, comme l’a fait observer l’honorable rapporteur de la commission, « il n’entre dans les intentions de personne de déroger aux traités diplomatiques, abolitif du droit d’aubaine ou qui règlent la capacité de succéder, de disposer et de recevoir. »

L’examen de l’état actuel des choses, en même temps qu’il me paraît de nature à continuer mon opinion que le gouvernement ne serait pas fondé à se prévaloir du droit d’aubaine, fera voir de plus en plus qu’il y a lieu d’adopter les dispositions soumises à nos délibérations.

Avant les décrets de l’assemblée constituante, abolitifs du droit d’aubaine et de l’incapacité de succéder aux régnicoles, résultant de l’extrémité, la France avait fait des stipulations, à cet égard, dans divers traités conclus avec d’autres puissances. Ces traités ont été maintenus par l’art. 11 du code civil. Cet article se rapporte au présent et au futur. L’étranger jouira en France des mêmes droits civils que ceux qui sont ou seront accordés aux Français par les traités de la nation à laquelle cet étranger appartiendra.

Des traités intervinrent encore après la publication du code civil ; et par là l’on put dire que le droit d’aubaine se trouva à peu près aboli.

Mais, indépendamment de ces traites, la France étendit ses conquêtes ; et elle réunit plusieurs contrées à son territoire.

La Belgique y fut réunie par la loi du 9 vendémiaire an IV, et la Hollande par le sénatus-consulte du 23 décembre 1810.

Le fait seul de la réunion avait fait disparaître tout droit d’aubaine, toute incapacité résultant de l’extranéité.

Lors de la chute du grand empire, l’abolition du droit en d’aubaine dans les prévisions des grandes puissances.

La France fut circonscrire à peu près dans ses anciennes limites. Les territoires qui en furent détachés, d’abord administrés par des commissaires des hautes puissances alliées, formèrent ensuite diverses souverainetés.

Sans doute, lorsque les territoires étaient administrés par des commissaires-généraux, le droit d’aubaine n’existait pas respectivement entre leurs habitants. Les habitants du territoire administré par M. de Sack, par exemple, étaient sans doute habiles à succéder dans le territoire administré par le baron Vincent, et vice-versa. Et je ne pense pas qu’ont ait jamais élevé la prétention contraire.

Mais, dans le traité de paix du 30 mai 1814, il est intervenu une stipulation expresse à l’égard du droit d’aubaine. C’est l’objet de l’art. 28, ainsi conçu :

« L’abolition des droits d’aubaine, de détraction et autres de même nature dans les pays qui l’ont réciproquement stipulée avec la France, ou qui lui avaient été précédemment réunis, est expressément maintenue. »

Cet article du traité maintient un état de choses préexistant ; c’est ce qui résulte des expressions « est expressément maintenue. » C’est donc l’état de choses préexistant sur lequel nous devons porter notre attention, pour voir quelle est l’étendue de ce même article.

On doit sans doute regarder le traité de paix de Paris du 30 mai 1814, comme un traité européen. Il est conclu entre le roi de France et l’empereur d’Autriche. Mais, le même jour, dans le même lieu, et au même moment, le même traite de paix définitif a été conclu entre la France et la Russie, entre la France et la Grande-Bretagne, entre la France et la Prusse.

Ce sont donc en réalité les cinq grandes puissances, la France, l’Autriche, la Grande-Bretagne, la Prusse et la Russie, qui ont stipulé l’art. 28 du traité de paix du 30 mai 1814.

Aucune de ces puissances n’avait spécialement la souveraineté des pays détachés de la France ; et toutefois elles ont stipulé pour ces pays.

La stipulation maintient, non seulement les traités contenant abolition réciproque du droit d’aubaine avec la France, mais encore une abolition qui avait existé de fait par la réunion à la France des territoires qui y furent incorporés.

Dans l’état de réunion, le droit d’aubaine n’existait pas non seulement à l’égard de la France, à laquelle ces pays étaient réunis, mais encore à l’égard des territoires de ces pays entre eux.

Or, il résulte des termes de l’art. 28 du traité, que c’est cet état de choses qui a été maintenu. « L’abolition du droit d’aubaine est expressément maintenu dans les pays qui avaient été réunis à la France. »

On ne peut pas, à mon avis, restreindre cette stipulation à la France seule, admettre l’abolition du droit d’aubaine à l’égard de cette puissance ; et dire qu’il existerait dans un pays précédemment réuni à la France, à l’égard d’un autre pays qui lui aurait été également réuni, si, par des traités postérieurs, les deux pays ont formé deux souverainetés distinctes. Car, en maintenant l’abolition du droit d’aubaine qui avait eu lieu, par cela seul que ces pays avaient formé un même Etat avec la France, on a conservé ce qui existait avant le traité, c’est-à-dire l’abolition du droit d’aubaine entre tous les pays qui avaient été réunis à la France, aussi bien qu’avec la France elle-même. D’autant plus que l’abolition du droit d’aubaine, de ce droit que Montesquieu a traité d’insensé, doit sans doute recevoir une interprétation extensive plutôt qu’une interprétation restrictive. On ne doit donc pas restreindre l’abolition du droit d’aubaine dans les pays récemment réunis à la France, à ce qui concerne cette dernière puissance, à ses relations avec les pays précédemment réunis ; mais on doit également admettre cette abolition en ce qui concerne les relations de ces pays entre eux. C’est une abolition en quelque sorte générale de ce droit qui a en lui-même quelque chose d’odieux, et qui ne devrait en tous cas n’être admis que comme mesure de représailles.

Nous avons dit que la Belgique et la Hollande avaient été réunies à la France. Leur territoire forma, en vertu des traités de 1814 et de 1815, une même souveraineté, le royaume des Pays-Bas. L’état politique du grand duché du Luxembourg fut également réglé par les traités qui intervinrent à cette époque.

Lorsque la Belgique se sépara violemment de la Hollande en 1830, on n’annonça pas l’intention de détruire les traités. Au contraire, le décret du congrès national du 18 novembre 1830 stipula, en même temps, que c’était « sauf les relations du Luxembourg avec la confédération germanique ; » et cette stipulation se trouve répétée dans l’article premier de notre acte constitutionnel.

On peut donc encore invoquer les dispositions des traités ; on le peut surtout dans les dispositions philanthropiques contenant l’abolition du droit d’aubaine.

Cette abolition entre la Belgique et la Hollande « pour le présent et pour l’avenir » se trouve écrite dans le traité du 15 novembre 1831, auquel ont concouru les plénipotentiaires des mêmes puissances qui avaient conclu le traité de Paris, du 30 mai 1814 (art. 18 et 20.)

Et si je parle de ce traité, messieurs, je n’entends nullement entrer dans des questions de haute politique ; je me restreins à cet égard à ce qui concerne le sujet qui nous occupe en ce moment.

Que le traité soit obligatoire, qu’il ne le soit pas, qu’il existe encore ou qu’il n’existe plus, question qui a été diversement soutenue par des membres de cette assemblée ; c’est ce qui n’importe, en aucune manière, à l’argument que j’en tire relativement à l’objet aujourd’hui en discussion, et ici l’examen de ces questions serait inutile.

Mon seul but est d’en conclure que l’abolition du droit d’aubaine existe entre la Hollande et la Belgique, en vertu de la disposition de l’art. 28 du traité du 30 mai 1814, disposition qui a été maintenue par les traités de 1815.

Dans le préambule du traité du 15 novembre 1831, les grandes puissances prenant en considération « la nécessité qui résultait des événements de 1830, d’apporter des modifications aux transactions de l’année 1815… »

Ainsi les traités sont seulement modifiés, et ils subsistent pour le surplus.

Nous avons déjà fait observer que lors du traité de 1814 et même postérieurement, il existait une division territoriale, différente de celle qui a eu lieu après l’érection du royaume de Pays-Bas.

Jusqu’en 1815, la portion du territoire de ce royaume, située sur la rive droite de la Meuse, y compris la ville de Liége, eut un gouvernement différent et de celui de la Belgique et de celui de la Hollande.

Mats tous ces territoires étaient des pays qui avaient été précédemment réunis à la France ; l’art. 28 du traité de Paris du 30 mai 1814 leur était applicable. Et sans doute le droit d’aubaine n’existait pas entre les diverses portions de territoire.

Maintenant, dans quelle situation nous ont placés les événements de 1830 à l’égard de la Hollande ? Dans celle de deux souverainetés distinctes formées de pays précédemment réunis à la France, et entre lesquelles par conséquent n’existe pas le droit d’aubaine.

Ainsi, la disposition du traité du 15 novembre 1831, qui concerne l’abolition ou la renonciation à ce droit « pour le présent et pour l’avenir, » est plutôt l’exécution d’un traité antérieur qui a régi les diverses provinces, avant leur réunion en un même royaume, qu’une disposition nouvelle.

Je pense donc, messieurs, que le droit d’aubaine n’existe pas entre la Belgique et la Hollande ; et qu’à cet égard, la disposition de l’article 28 du traité du 30 mai 1814 doit recevoir son application.

Mais il reste encore un point à examiner, celui de savoir si, dans notre état actuel vis-à-vis de la Hollande, l’effet des traités abolitifs du droit d’aubaine n’est pas suspendu.

La question de savoir si la guerre suspend les effets des traités pourrait peut-être, en thèse générale, être résolue pour l’affirmative. En effet, l’on pourrait dire que les traités n’ont d’autre base que l’alliance des nations contractantes, et le premier effet d’une guerre qui survient entre deux nations, est d’annuler les traités d’alliance qui les avaient précédemment unis.

On pourrait même citer comme preuve du principe que la guerre fait cesser l’exemption contractuelle du droit d’aubaine, l’exception que le gouvernement impérial s’est cru obligé de faire à ce principe, par un décret du 20 décembre 1810, pour soustraire au droit d’aubaine les successions des Autrichiens morts en France pendant la guerre précédente.

Mais d’abord, le décret du 20 décembre 1810 est une preuve qu’on a reconnu qu’il y avait justice, dans ce cas, de faire cesser exception même pour le passé. Car, je n’ai pas vu que ce décret eût été l’objet de critiques.

D’un autre côté, en envisageant, en thèse générale, la question si l’état de guerre suspend les traités abolitifs du droit d’aubaine, peut-on dire que l’affirmative soit aussi claire qu’elle peut le paraître au premier coup d’œil ?

Sans doute, s’il y a des hostilités entre deux puissances, chacune d’elles doit prendre ses précautions ; elle doit prendre des mesures pour empêcher que les individus de la nation ennemie ne lui portent préjudice. Et l’effet qui, en définitive, sera attribué à ces mesures, dépendra naturellement des conventions à intervenir, lorsque la paix sera rétablie.

Mais, s’il n’y a pas d’hostilités flagrantes, si l’on se trouve même en état d’armistice, peut-on dire alors que les stipulations abolitives du droit d’aubaine cessent d’avoir leurs effets ?

Il ne le semble pas. Car il ne s’agit pas de conventions qui concernent les gouvernements d’une manière directe. Elles intéressent plutôt les particuliers. Les relations commerciales peuvent être interdites lorsque les hostilités existent réellement. Elles pourraient, dans un tel état de choses, avoir pour résultat de favoriser les desseins de l’ennemi ; et le salut de la patrie est la loi suprême. Mais hors un tel cas, hors celui d’une nécessité suprême, quel gouvernement s’avisera d’interdire des relations commerciales avec une puissance, à l’égard de laquelle il ne se trouve pas en état de paix ?

Eh bien, messieurs, l’abolition du droit d’aubaine est un moyen d’étendre les relations commerciales. C’est ce qui avait été senti en France depuis longtemps, Et divers édits avaient aboli le droit d’aubaine, en tout ou en partie, à l’égard de certains commerces et de certaines industries.

Pourquoi donc n’admettrions-nous pas l’abolition du droit d’aubaine, lorsque l’on se trouve dans un état de choses qui, à proprement parler, n’est ni la guerre ni la paix ? Les relations commerciales que nous avons tant intérêt à ménager et à étendre, ne peuvent qu’y gagner.

Et remarquez, messieurs, que, dans l’état actuel des choses, nous nous trouvons sous l’empire d’un armistice.

Telle est bien la convention du 21 mai 1833.

Tant que les relations entre la Belgique et la Hollande ne sont pas réglées par un traité définitif, les hostilités, suivant cette convention, ne peuvent être recommencées.

Cette même convention est qualifiée d’ « armistice indéfini » dans la note du plénipotentiaire belge, du 10 juin 1833, par laquelle il a accédé à cette convention.

Nous nous trouvons donc légalement, vis-à-vis de la Hollande, dans un état d’armistice qui doit durer jusqu’au traité définitif.

Or, quoique l’armistice ne sont pas l’état de paix, il n’est pas non plus l’état de guerre.

Une succession qui s’ouvre, alors qu’on est convenu d’un armistice, ne peut pas être qualifiée, d’une manière exacte, d’une succession ouverte pendant la guerre.

Dès lors, comment pourrait-on dire que les effets de l’abolition du droit d’aubaine seraient suspendus lorsqu’il existe un armistice ?

On peut même dire que l’abolition de ce droit n’est pas incompatible avec l’état de guerre ; car, les stipulations qui concernent cet objet règlent réciproquement les droits civils des individus, qui, en bonne justice, ne devraient pas souffrir des querelles des gouvernements.

Et deux des cinq puissances qui ont conclu les traités de 1814 et de 1815, étant intervenues dans la stipulation de l’armistice, cette stipulation laisse naturellement la Belgique et la Hollande sous l’empire des traités, en ce qui concerne l’abolition du droit d’aubaine.

On conçoit que si la puissance avec laquelle nous ne sommes pas en paix se prévalait du droit d’aubaine contre nos citoyens, la protection qui leur est due autoriserait le gouvernement à user de représailles, afin d’amener par cette mesure un autre gouvernement à user d’une juste réciprocité. Mais, hors de là, l’usage du droit d’aubaine me paraît à la fois impolitique et injuste.

Jusqu’ici j’ai examiné la question en thèse générale, et dans l’hypothèse où la convention abolitive du droit d’aubaine aurait eu lieu entre les deux puissances qui se trouvent en état de guerre.

Mais dans la position où nous nous trouvons, il n’en est pas ainsi.

Le traité de Paris, du 30 mai 1814, est intervenu entre les cinq puissances. Ce n’est donc pas une abolition contractuelles entre la Belgique et la Hollande ; c’est le résultat d’une stipulation qu’on peut qualifier d’européenne.

Or, si l’état de guerre rompt les traités, ce ne sont que ceux intervenus entre les parties belligérantes, et non ceux conclus par d’autres puissances.

Je n’examinerai pas la question si nous pouvons ou non rompre les traités en ce qui nous concerne ; cette question serait oiseuse pour la solution de celle qui nous occupe ; car, en supposant que nous puissions répudier ces traités, au moins devrait-il exister de notre part une déclaration formelle à cet égard. Nous ne sommes pas en guerre avec les puissances qui ont conclu le traité de 1814. La Hollande n’y est pas non plus. La Belgique et la Hollande doivent donc respecter les conventions faites par les cinq grandes puissances, en ce qui concerne l’abolition du droit d’aubaine, puisque ni la Belgique, ni la Hollande n’ont déclaré vouloir se soustraire à cette stipulation.

Dire que la Belgique a rompu les traités en se séparant violemment de la Hollande, ce ne serait pas résoudre la question. Car la stipulation abolitive du droit d’aubaine est indépendante du point de savoir quels seront les futurs possesseurs des pays détachés de l’empire français. Et, avec un tel raisonnement, en envisageant cette séparation comme entraînant l’abolition des traités, on en viendrait à la conclusion que l’abolition du droit d’aubaine n’existe plus vis-à-vis d’aucune puissance, conclusion dont chacun apercevra aisément l’absurdité.

L’abolition du droit d’aubaine a donc continué de subsister, quelle que fût la division des territoires. Par suite, c’est avec raison que le gouvernement ne s’en est pas prévalu à l’égard des successions dont il est parlé dans le rapport de la commission. Et, s’il avait élevé des prétentions de ce chef, elles auraient été, à mon avis, dénuées de fondement.

Mais, du reste, la loi qui nous est présentée serait un véritable bienfait ; elle fera cesser toutes les questions.

Le principe en est juste. C’est le droit de réciprocité ; il maintient les droits des individus, abstraction faite des querelles des gouvernements.

Je ne pense pas que nous devions aller plus loin que le projet, ni en revenir aux principes de l’assemblée constituante.

Sans doute, si, d’un commun accord, toutes les nations abolissaient le droit d’aubaine et les incapacités résultant de l’extranéité, chacun ne pourrait qu’applaudir à cette grande idée qui, par là, deviendrait d’une pratique universelle.

Mais ceci ne dépend pas d’une nation isolée ; il ne dépend d’elle de lever aucune des barrières qui séparent les peuples.

Or, qu’en arriverait-il si nous abolissions d’une manière indéfinie les incapacités ; des étrangers useraient dans la Belgique de la plénitude de leurs droits, tandis qu’à l’étranger les Belges en seraient exclus.

Mais n’oublions pas qu’avant tout, nous nous devons à nos concitoyens ; que ce sont leurs intérêts qui doivent principalement fixer notre attention ; et qu’une réciprocité législative, en même temps qu’elle ne repousse aucune nation, qu’elle est indépendante de la variation des traités, ne prononce des exclusions qu’autant qu’elles existent à l’étranger envers nos compatriotes.

Nous savons qu’en France, la loi du 14 juillet 1819 a été plus loin ; mais, outre que l’art. 2 de cette loi contient, en faveur des héritiers français, une réserve qui fait voir que leurs intérêts n’ont pas été négligés, l’abolition des incapacités résultant de l’extranéité sans condition peut n’y présenter aucun inconvénient, d’autant plus que l’abolition du droit d’aubaine est assez généralement reconnue à l’égard de cette puissance.

Mais notre intérêt exige que nous ne soyons pas exclus à l’étranger ; et le but qu’on se propose est, non de maintenir le droit d’aubaine ou les incapacités résultant de l’extranéité, mais d’appeler également cette abolition de la part des autres Etats.

Tenons-nous-en donc au principe de réciprocité ; c’est celui du projet, et il aura mon assentiment.

M. le président. - La parole est à M. Lehoye.

Un grand nombre de membres. - La clôture ! la clôture !

M. Dubus. - Je demande la parole contre la clôture.

Je veux faire remarquer que bien que j’aie voté dans la commission et que je suis encore disposé à voter pour son adoption, cependant je voudrais dire quelques mots, car on a dit des choses qu’il est de mon devoir de relever. M. le ministre de la justice a fait une allusion que je ne puis pas laisser passer sous silence ; et dans les développements que l’honorable député de Liége vient de donner à son opinion, il y a des choses que je dois relever également.

M. Seron. - Je m’oppose aussi à la clôture ; on ne peut pas adopter une loi aussi importante, sans discussion ; nous nous ferions moquer de nous.

M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - Présentez un amendement.

M. Seron. - J’en présenterai un. Il a pour objet l’abolition entière du droit d’aubaine.

M. Demonceau. - L’honorable M. Dubus demande la parole pour répondre aux parties des discours des honorables préopinants dont il vient de parler. Il pense qu’on a voulu faire allusion à lui ou au tribunal dont il fait partie ; je lui ferai observer que nous sommes ici législateurs et non magistrats, et par conséquent que nous devons voter comme législateur, sauf à juger et à appliquer la loi selon que nous croirons devoir le faire comme magistrats.

Je pense donc que la clôture doit être prononcée.

M. Raikem. - Je me hâte de déclarer que je n’ai fait que suivre un passage du rapport de la commission, sans faire allusion à qui que ce soit. Je ne crois pas que M. Dubus puisse rien me reprocher de semblable ; s’il le faisait, il aurait tort, car je n’ai rien entendu dire qui lui fût personnel.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Je n’ai pas fait la moindre allusion à l’honorable député de Tournay. J’ai déclaré positivement que je ne voulais exercer aucune critique sur les jugements rendus, aucune influence sur les décisions à intervenir. Si j’avais parlé des fonctions que l’honorable membre remplit hors de cette enceinte, je n’aurais pu m’empêcher de rendre hommage au magistrat éclairé et consciencieux.

M. Dubus (aîné). - Je n’ai rien vu qui me fût personnel dans les discours des honorables membres ; mais j’ai cru y remarquer une allusion à un jugement rendu. Je ne considère pas cela comme m’étant personnel, mais je considère comme de très grave conséquence de se livrer dans une assemblée délibérante à une discussion dont la tendance est d’influer sur des décisions relatives à des affaires privées. Il y a des causes pendantes devant les tribunaux ; je pense que nous devons, à cet égard, laisser aux magistrats pleine liberté d’action et de jugement.

Je ne m’oppose plus à la demande de clôture ; je me borne à cette simple observation.

- La clôture de la discussion générale est prononcée.

Discussion des articles

Article premier

M. le président. - La discussion est ouverte sur l’article premier du projet, ainsi conçu :

« Art. 1er. L’étranger est admis à succéder aux biens que son parent, étranger ou Belge, possède dans le territoire du royaume, dans les cas de la manière dont un Belge succède à son parent possédant des biens dans le pays de cet étranger.

« Les mêmes règles sont observées pour la capacité de disposer ou de recevoir par donation entre vifs ou par testament. »

M. Seron. - Messieurs, l’assemblée constituante avait aboli le droit d’aubaine comme contraire aux principes de fraternité qui doivent lier tous les hommes, quels que soient leur pays et leur gouvernement. Suivant la constitution de 1791, les étrangers établis ou non en France succédaient à leurs parents étrangers ou français ; ils pouvaient contracter, acquérir et recevoir des biens situés en France, et en disposer de même que tout citoyen français, par tous les moyens autorisés par les lois. Mais le code civil (articles 11 et 776) restreignit ces dispositions aux étrangers des pays où, aux termes des traités de paix, le droit d’aubaine n’est pas exercé contre les Français.

En lisant l’article 128 de votre constitution, où « tout étranger qui se trouve sur le territoire de la Belgique est appelé à jouir de la protection accordée aux personnes et aux biens, sauf les exceptions établies par la loi, » je croyais l’article 11 du code civil abrogé, et ce droit odieux supprimé de nouveau et banni à toujours de votre terre hospitalière. Je connaissais, par vos lois d’extradition et d’expulsion, la protection accordée aux personnes. Mais je n’aurais jamais imaginé qu’au moyen de la restriction : « sauf les exceptions établies par la loi, » la protection accordée aux biens des étrangers pût devenir également illusoire, et ne pas faire obstacle à ce que l’Etat s’emparât de leur succession au préjudice de leurs héritiers. Je me trompais, sans doute, puisque M. le ministre de la justice et votre commission spéciale ne partagent pas cette opinion, et regardent au contraire le droit d’aubaine comme subsistant toujours ici à l’égard des étrangers dans le pays de qui on l’exerce encore contre les Belges.

Quoi qu’il en soit, le projet soumis à votre délibération ne change rien au fond des choses. Seulement, au lieu de faire dériver les droits civils dont un étranger pourra jouir en Belgique uniquement des traités de la nation à laquelle cet étranger appartiendra, il les fait dériver aussi des lois de cette nation. C’est une amélioration sans doute, puisque, par là, l’état de guerre ne changera plus la condition de l’étranger. Mais il me semble que vous devez aller plus loin.

Le droit d’aubaine est vraisemblablement beaucoup plus ancien que Charlemagne, car longtemps avant lui les nations avaient des maîtres avides et rapaces ; il a même existé chez les Romains et chez les Grecs. Mais, quand l’invention en appartiendrait au fondateur de la cour velmique, au convertisseur, à l’égorgeur des Saxons, dont Rome a fait un saint, cette origine ne rendrait pas le droit plus respectable, et ne serait pas une raison pour qu’il continuât de souiller les institutions d’une nation civilisée.

On nous dit : Vous n’en faites usage qu’à titre de réciprocité C’est un véritable appel à la justice universelle ! Oui, mais la justice universelle n’a pas d’oreilles. Il y a, en effet, trente-quatre ans et plus que cet appel est écrit dans le code civil, et vous attendez encore qu’on y réponde. C’est en vain ; les monarques absolus sont intéressés à ce que le droit d’aubaine existe dans leurs Etats pour les enrichir, et dans les Etats libres pour ôter à leurs sujets l’envie de s’expatrier.

Vos vues doivent être toutes différentes. Vous ne pouvez regarder le droit d’aubaine comme un moyen d’augmenter vos finances ; ce serait une triste ressource en prix du dommage que vous ressentiriez. Les étrangers riches, instruits, amis de la liberté, ne seront pas tentés de venir goûter la douceur de vos lois, si elles déshéritent leurs enfants ; ils fuiront au contraire la Belgique comme ils fuiraient l’antre de Cacus.

On nous dit aussi que le droit d’aubaine peut être considéré comme une juste représaille. Mais y a-t-il de justes représailles ? Mais les nations doivent-elles, à l’exemple de certains individus, céder à de petites passions ? D’ailleurs, en dépouillant les étrangers de leurs biens, vous ne punissez pas les gouvernements dont ils dépendent, vous punissez des innocents, vous spoliez sans pitié des malheureux qui ne vous ont fait aucun mal, que vous n’avez aucune raison de haïr ; vous enlevez à des enfants le fruit des épargnes et des sueurs de leurs pères. Quelle philanthropie ! Mais si les enfants d’un étranger se trouvaient, par la mort de leurs parents dans la misère et dans l’abandon, à quelque pays qu’ils appartinssent, fussent-ils Arabes ou Tartares, la société ne devrait-elle pas venir à leur secours ? les laisserait-elle mourir de faim ?

Le droit d’aubaine est donc inconciliable avec les devoirs sacrés de l’humanité ; tous les publicistes l’ont flétri ; et quand nous le regardons comme injuste chez les autres peuples, quand nous blâmons avec raison les gouvernements qui le conservent dans leurs codes gothiques, hésiter à l’effacer des nôtres n’est-ce pas nous mettre en contradiction avec nous-mêmes ? Devons-nous attendre qu’on nous donne l’exemple, nous qui nous vantons de marcher en tête de la civilisation européenne ?

La loi abolitive du droit d’aubaine n’aurait pas un effet rétroactif ; ainsi, la crainte des nombreux procès auxquels, suivant ce que j’ai ouï dire, elle donnerait naissance, me semble tout à fait puérile ; ce n’est pas d’ailleurs une considération de nature à nous arrêter. Sans doute les contestations sont beaucoup plus rares quand le gouvernement peut, l’art. 11 du code civil à la main, trancher toutes les difficultés en s’emparant de la succession, Mais si des étrangers, héritiers ou se disant héritiers est Belgique, trouvent bon de plaider, la tranquillité publique n’en sera pas troublée, ni la société bouleversée ; l’Etat n’y perdra rien, et vos avocats y gagneront.

Enfin, en abolissant le droit d’aubaine, vous ne blessez les droits de personne, vous ne vous faites pas des ennemis, vous rétablissez une législation raisonnable dont il ne peut résulter aucun inconvénient, aucun préjudice pour la Belgique ; vous faites un acte d’humanité honorable pour la nation et pour vous.

« Si la loi était moins urgente, si la session législative ne touchait pas à sa fin, votre commission aurait pu reprendre la question de plus haut et se serait peut-être convaincue que le droit d’aubaine n’est plus en harmonie avec l’état actuel de nos institutions ; que la raison et l’humanité nous commandent de revenir à la législation de l’assemblée constituante ; que cette espèce de talion qui nous a été légué par les temps barbares est injuste et impolitique ; qu’en privant de l’héritage de leurs pères ceux dont tout le crime est d’être nés sous un autre ciel, nous écartons de notre pays des hommes qui, par leurs capitaux et leur industrie, seraient venus l’enrichir ; que les gouvernements absolus, loin d’être portés à l’abolition du droit d’aubaine par des menaces de représailles, applaudissent, au contraire, à une mesure qui retient ceux qui seraient tentés de s’établir chez nous, et qu’ainsi cette réciprocité n’atteint pas son but et nous est plus nuisible que profitable. » Quand on examine ces réflexions de votre commission spéciale, il est impossible, malgré leur forme dubitative, de ne pas demeurer convaincu qu’au fond la commission elle-même condamne comme injuste et impolitique le droit d’aubaine, et le juge bon à supprimer. Je me félicite d’être d’accord avec elle. Oui, messieurs, il faut en revenir aux lois de l’assemblée constituante ; car, malgré l’opinion contraire de certains hommes du mouvement ou se qualifiant tels, l’intervalle de près d’un demi-siècle qui nous sépare de l’époque où elles reçurent l’être n’a pu faire tomber en désuétude les principes dont elles sont la conséquence ; car ces principes sont impérissables par cela seul qu’ils ont leur source dans la nature des choses et dans le cœur humain.

Tels sont en peu de mots, messieurs, les motifs sur lesquels je fonde la proposition que j’ai l’honneur de vous soumettre comme amendement au projet de loi.

« Proposition.

« Art. 1er. L’étranger est admis à succéder aux biens que son parent étranger ou belge possède dans le royaume.

« Art. 2. L’étranger est capable de disposer ou de recevoir par donation entre vifs ou par testament.

« Art. 3. Les articles 11, 726 et 912 du code civil sont abrogés. »

M. Liedts, rapporteurs. - Le temps est trop précieux pour que je relève un à un les arguments de l’honorable M. Seron. Au fond nous sommes tout à fait du même avis. Je considère comme un mal le droit d’aubaine ; mais ce n’est pas sous ce rapport qu’il faut envisager la question. En effet, il est des circonstances où il faut maintenir un mal pour en éviter un plus grand ; c’est là ce qu’il s’agit d’examiner.

Eh bien, notre pays est un pays de frontières ! Si demain nous abolissons le droit d’aubaine sans réciprocité, nous nous exposons à voir, dans un temps éloigné, diminuer les richesses du pays ; les successions des Belges allant en pays étranger, et d’une autre les Belges ne recueillant pas de successions à l’étranger. C’est sous ce point de vue qu’il faudrait examiner la question, en adoptant l’abolition du droit d’aubaine sans réciprocité.

Si vous considérez qu’en exigeant la condition de réciprocité, on a obtenu l’abolition du droit d’aubaine dans la plupart des Etats de l’Europe, vous reconnaîtrez qu’en l’exigeant dans la loi, nous arriverons peu à peu au résultat que l’on désire.

Quant aux développements que M. le ministre de la justice a donné à son opinion, s’il présente les amendements dont il a parlé, je ferai sur l’un d’eux quelques observations ; comme nous sommes maintenant à l’art. 1er, je me bornerai à ce peu de mots.

M. Coghen - Je demande la parole sur l’amendement de M. Seron, amendement que je voudrais appuyer de toutes mes forces ; car il est digne du pays qui s’est donné la constitution la plus libérale qu’il y ait au monde ; mais je désirerais que l’honorable M. Seron formulât une proposition de loi et que nous pussions, en attendant, voter comme provisoire la loi qui nous est soumise.

M. Seron. - La loi est toute formulée : c’est la loi de la constituante.

Je crois, je suis sûr même qu’elle a été appuyée par Mirabeau. S’il y a ici des Mirabeau capables de faire mieux, qu’ils proposent mieux.

- La proposition de M. Seron est mise aux voix ; elle n’est pas adoptée.

L’article premier est mis aux voix et adopté.

Article 2

« Art. 2. Cette réciprocité sera constatée, soit par les traités conclus entre les deux pays, soit par la production des lois ou actes qui en établissent l’existence. »

- Adopté.

Article 3

« Art. 3. Les article 726 et 912 du code civil sont abrogés. »

M. Dolez. - L’article 3 conçu comme il l’est déciderait que l’article 912 du code civil est contraire aux dispositions de la présente loi ; mais l’opinion contraire a été soutenue, et cette question n’est pas encore résolue. Pour ne rien préjuger à cet égard, je proposerai de rédiger ainsi l’art. 3 :

« Toutes dispositions contraires à la présente loi sont abrogées. »

Si l’article 912 est contraire à la loi, il est abrogé ; si, au contraire, il y est conforme, ainsi qu’on l’a dit, il reste ce qu’il était antérieurement. Votre loi ainsi ne donnera pas d’argument dans la question de l’interprétation de l’art. 912.

C’est par respect pour l’éventualité des décisions que je propose cette rédaction, exempte, je crois, de tout inconvénient.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - La rédaction présentée par l’honorable préopinant lève tous les doutes, et je m’y rallie, en entendant bien que cette disposition ne touche pas à l’art. 11 du code civil.

M. Liedts. - Je ne veux pas entretenir la chambre de mon opinion personnelle sur l’article 912 du code civil. L’amendement de M. Dolez remplissant les intentions de la section centrale, je ne vois pas pourquoi on ne l’admettrait pas.

- L’amendement de M. Dolez, mis aux voix, est adopté. (II consiste dans ces mots : « Toutes dispositions contraires à la présente loi sont abrogées. »)

Article additionnel

M. le président. - M. Liedts présente l’article additionnel suivant :

« La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa promulgation. »

- Cet article est adopté.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - L’heure de la séance est trop avancée pour qu’il soit possible de discuter aujourd’hui les questions transitoires que j’ai soulevées dans mon premier discours. Je me bornerai à faire des réserves à cet égard.

De toutes parts. - Aux voix ! aux voix !

M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - Avant d’aller aux voix, il faut fixer le jour de notre prochaine réunion.

- La chambre consultée décide qu’elle se réunira mardi.

Vote sur l’ensemble du projet

Elle déclare ensuite l’urgence de la loi sur les successions ; en conséquence, on procède à l’appel nominai sur l’ensemble de cette loi.

59 membres sont présents.

58 en votent l’adoption.

1 seul, M. Seron, s’abstient de voter.

M. Seron. - Je n’ai pas voté contre la loi, parce qu’elle est moins mauvaise que les règles qui existent ; et je n’ai pas voté pour, parce qu’elle n’est pas à la hauteur de la civilisation.

- Ont voté l’adoption : MM. Andries, Beerenbroeck, Bekaert, Coghen, Coppieters, Corneli, Cornet de Grez, Dams, de Man d’Attenrode, F. de Mérode, W. de Mérode, Demonceau, de Muelenaere, de Nef, Desmaisières, Desmanet de Biesme, Desmet, de Terbecq, de Theux, Devaux, d’Huart, Doignon, Dolez, Donny, Dubus (aîné), B. Dubus, Dumortier, Duvivier, Ernst, Fallon, Frison, Gendebien, Heptia, Jadot, Kervyn, Lehoye, Liedts, Meeus, Milcamps, Morel-Danheel, Nothomb, Polfvliet, Pollénus, Raikem, Raymaeckers, Rogier, Scheyven, Simons, Stas de Volder, Trentesaux, Vandenbossche, Vandenhove, Vanderbelen, Verdussen, C. Vuylsteke, L. Vuylsteke, Watlet et Zoude.

- La séance est levée à 5 heures.