(Moniteur belge n°122, du 2 mai 1837)
(Présidence de M. Raikem.)
M. de Renesse fait l’appel nominal à midi et demi.
M. Kervyn lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. de Renesse présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.
« Des habitants et négociants de Venloo demandent que le bureau de Venloo soit déclaré bureau de paiement pour l’entrée et la sortie des marchandises. »
« Des habitants électeurs de l’arrondissement de Huy, du canton de Nandrin, demandent le maintien de la loi électorale. »
« Le sieur Benda, négociant à Bruxelles, demande que la chambre n’adopte pas les droits proposés par la section centrale sur l’article bas et bonneterie. »
- Dépôt sur le bureau de la chambre pendant la discussion de la loi qui modifie le tarif de la douane.
« Des propriétaires de Bruxelles dont les maisons ont été dévastées en tout ou en partie dans les journées de septembre 1830, demandent le paiement de l’indemnité qui leur revient. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur l’indemnité.
Les autres pétitions sont renvoyées à la commission spéciale, qui en fera le rapport.
M. le président. - La parole est à M. de Brouckere pour faire lecture d’une proposition déposée sur le bureau, et signée par un grand nombre de membres de la chambre. »
M. de Brouckere monte à la tribune et lit la proposition suivante :
« Par dérogation aux articles 4 et 5 du règlement du 11 mai, il sera, à l’avenir, procédé à la prise en considération des demandes en naturalisation ordinaire par scrutin de liste.
« A cet effet, le bureau fera imprimer des listes portant les prénoms, noms, qualités et domicile des pétitionnaires relativement auxquels la commission aura fait son rapport, et le numéro d’ordre du rapport. Les listes ne pourront contenir plus de 25 noms.
« Chaque membre recevra à domicile une liste, et effacera le nom des pétitionnaires auxquels il veut refuser la naturalisation. Un secrétaire fera l’appel nominal ; les listes seront déposées dans une urne. Le bureau vérifiera le nombre des votants.
« Quatre bureaux de quatre scrutateurs tirés au sort dépouilleront le scrutin.
« Les articles 4 et 5 du règlement du 11 mai 1836 continueront à être observés pour les demandes en grande naturalisation. »
Messieurs, je ne pense pas qu’il soit nécessaire de donner de longs développements à la proposition qui vient de vous être lue ; elle est si simple qu’elle se justifie d’elle-même ; et d’ailleurs, elle a déjà obtenu l’approbation de la plupart d’entre vous, puisqu’elle est revêtue de la signature de 46 membres de la chambre.
La proposition a deux choses en vue : d’abord, de nous faire gagner du temps et, en second lieu, de hâter la décision à intervenir sur les nombreuses demandes en naturalisation qui ont été adressées à la chambre. Chaque jour nous passons une partie de nos séances pour prononcer sur deux ou trois demandes en naturalisation ; comme il en reste environ deux cents sur lesquelles il n’est pas intervenu de décision, il en résulte que nous aurons de quoi nous occuper pendant quatre-vingts ou quatre-vingt-dix séances en continuant la marche que nous avons suivie jusqu’à aujourd’hui.
Il est à remarquer en outre que la plupart de ces demandes sont très anciennes ; il en est qui datent de cinq à six ans ; il est plus que temps d’y faire droit. Si vous admettez la proposition, nous pourrons avoir terminé en sept ou huit jours, c’est-à-dire en sept ou huit heures prises dans sept ou huit séances différentes.
Je ne sais s’il est nécessaire de prouver à la chambre que la proposition n’a rien de contraire à la loi du 27 septembre 1835, et que du reste elle ne présente aucun inconvénient.
En ce qui concerne la loi du 27 septembre 1835, tout ce qui y est exigé, c’est que la décision de la chambre sur la prise en considération ait lien sans discussion, et au scrutin secret ; eh bien, d’après le mode que je propose, le scrutin sera évidemment aussi secret qu’il l’a été jusqu’aujourd’hui : les listes seront imprimées et distribuées ; et la seule opération des membres sera de rayer les noms des pétitionnaires auxquels ils ne voudraient pas accorder la naturalisation ; il n’y aura ni écriture ni signature d’aucun de nous sur les listes.
L’art 3 de la loi du 27 septembre statue que l’admission de plusieurs étrangers à la naturalisation ordinaire pourra être décidée par une seule et même disposition : ainsi point d’obstacle sous ce rapport.
J’ai dit que la proposition n’avais pas d’inconvénient ; en effet, les listes étant distribuées à domicile et pouvant l’être un jour franc avant celui où la chambre s’occupera des demandes en naturalisation portées sur les listes, nous aurons le temps de prendre les renseignements indispensables. Du reste, le scrutin sera toujours précédé de la lecture des rapports sur lesquels nous aurons à décider.
En terminant, je ferai observer que la mesure n’est pas relative aux demandes en grande naturalisation, sur lesquelles il y aura toujours un scrutin séparé. Les dispositions des articles 1, 2 et 3 du règlement du 11 mai 1836 resteront en vigueur pour les demandes en naturalisation ordinaire comme celles en grande naturalisation.
- La proposition de M. de Brouckere est appuyée ; la prise en considération est mise aux voix et adoptée.
M. le président. - Il reste à la renvoyer à une commission ou aux sections.
M. de Brouckere. - Je crois que le renvoi à une commission est absolument inutile, et qu’on pourrait prendre immédiatement une décision. Il ne s’agit pas d’un projet de loi, mais d’un article réglementaire pour lequel on peut se dispenser de suivre les règles usitées.
M. le président. - Conformément au règlement, il faut renvoyer la proposition à une commission ou à la section centrale : on peut la renvoyer à une commission qui fera son rapport demain ou même aujourd’hui.
M. de Brouckere. - Je prierai M. le président de vouloir bien nommer une commission, et je prierai en outre la commission de faire son rapport dans cette séance même.
- Le renvoi à une commission est ordonné.
Le bureau, chargé de la formation de cette commission, désigne MM. Liedts, Bernard Dubus, Lehoye, Pollénus, Dubois.
M. de Jaegher. - Par pétition en date du 23 décembre 1836, le sieur P. Tallois, propriétaire à Ham-sur-Heure, a adressé à la chambre une réclamation contre un arrêté de M. le ministre de l'intérieur, en date du 30 novembre même année, en matière d’élections communales, et contre les conséquence de cet arrêté sur la composition du personnel administratif de cette commune.
La chambre ayant hier invité la commission des pétitions à lui soumettre un prompt rapport sur cette réclamation, qui m’a dans le temps été transmise, j’ai l’honneur de déférer à son désir.
Voici les faits tels qu’ils sont établis dans la requête et les pièces y annexées :
Lors des dernières élections pour la recomposition du conseil communal d’Ham-sur-Heure, en exécution de la loi communale, la liste primitive des électeurs étant close, le collège des bourgmestre et assesseurs porta d’office six électeurs sur une liste supplémentaire qui, d’après l’article 15 de la loi communale, ne pouvait être formée que sur réclamation approuvée par le conseil communal.
Protestation contre cet acte de la part du pétitionnaire, tant près l’administration locale que près la députation permanente des états du Hainaut.
L’administration communale se tait ; la députation provinciale déclare l’inscription valide, et le réclamant se pourvoit en cassation contre cette décision.
Entre-temps les élections s’opèrent, les six individus précités sont admis à voter, et le réclamant proteste contre leur admission, en exigeant que le procès-verbal en fasse foi.
Intervient l’arrêt de la cour de cassation, qui déclare illégale l’inscription contestée, ordonne la radiation des six noms de la liste supplémentaire précitée, et renvoie l’affaire devant le conseil communal de Namur pour être statué ce qu’il appartiendrait.
Ce conseil déclare également cette inscription illégale.
Appuyé de l’autorité de ces décisions dont des copies sont jointes à la requête, le réclamant s’adresse de nouveau à la députation permanente du conseil provincial du Hainaut, aux fins d’obtenir l’annulation des élections comme viciées dans leur base.
Ici les choses se compliquent ; car le gouvernement, sans s’inquiéter de tout ce débat, avait déjà fait choix, parmi les élus, des nouveaux bourgmestre et échevins.
Le réclamant ne se décourage pas encore, et envoie immédiatement à M. le ministre de l’intérieur de même qu’au gouverneur de la province, copie de sa requête aux états du Hainaut, avec prière de faire surseoir à l’installation du conseil, et à la prestation du serment des nouveaux titulaires, jusqu’à ce qu’une décision sur la question soulevée leur égard soit intervenue.
Cette série de protestations et de réclamations, dans lesquelles l’insistance du plaignant à faite reconnaître ses droits, est aussi remarquable que son peu de réussite, aboutit enfin à un arrêté de M. le ministre de l’intérieur qui maintient les élections prétendues viciées, et dont voici la teneur :
Votre commission considérant que la cour de cassation à déclaré illégale l’inscription des six individus contre lesquels il a été réclamé ; que les réclamations contre les irrégularités qui ont été la conséquence de cette admission, ont, à en juger par les pièces du dossier, été faites dans les formes et dans les délais que prescrit la loi ; que d’après la répartition des suffrages, telle qu’elle apparaît au procès-verbal de l’élection dont copie est également jointe à la requête, cette admission a pu exercer une influence sur le résultat de l’élection et spécialement sur la désignation des candidats mis en présence au second tour de scrutin, votre commission, dis-je, a conclu au renvoi à M. le ministre de l’intérieur, avec demande de promptes explications.
- Les conclusions de la commission sont adoptées par la chambre.
Sur la demande en naturalisation ordinaire formée par M. Gerson, commissionnaire à Anvers, le scrutin secret donne pour résultat :
Nombre des votants, 60.
Boules blanches, 50.
Boules noires, 10.
La demande est prise en considération ; il en sera donné avis au Sénat.
2° Sur la demande en naturalisation formée par M. Biergaus, le scrutin secret donne pour résultat :
Nombre des votants, 71.
Boules blanches, 55.
Boules noires, 16.
La demande est prise en considération ; il en sera donné avis au sénat.
M. Liedts, rapporteur de la commission qui a été chargée d’examiner la proposition de M. de Brouckere, relative au mode de voter sur la prise en considération des demandes en naturalisation ordinaire, fait, au nom de cette commission, le rapport suivant. - Messieurs, la commission à laquelle vous avez renvoyé la proposition qui vous a été faite par l’honorable M. de Brouckere, au commencement de cette séance, m’a chargé de vous présenter son rapport à cet égard. Je commencerai par vous donner une nouvelle lecture de la proposition. (Ici M. le rapporteur lit cette proposition).
Vous voyez d’abord, messieurs, que la proposition ne se rapporte qu’aux naturalisations ordinaires, et que le règlement actuel continuerait à subsister pour les demandes en grande naturalisation. Votre commission n’a trouvé aucune difficulté à admettre la proposition : si la chambre a exigé le vote secret pour la prise en considération, ç’a été pour ménager à chacun la pleine liberté du vote ; or, la proposition de l’honorable M. de Brouckere conserve le vote secret et remplit par conséquent ce but.
Aussi la seule objection qui ait été faite contre cette proposition consiste à dire que si la chambre avait à s’occuper de 25 demandes en naturalisation par jour, ce serait trop et qu’il faudrait limiter le nombre des demandes que pourront contenir les listes à 12 ou à 15 ; on a dit que d’un côté une naturalisation même ordinaire doit être entourée de quelque solennité, et que par conséquent, si la chambre portait le nombre dont il s’agit au-delà de 12 ou 15, il serait difficile de se procurer du jour au lendemain les renseignements nécessaires pour pouvoir voter en connaissance de cause. On a répondu à cela que du moment que les listes seront imprimées, il sera même plus facile qu’aujourd’hui de se procurer les renseignements nécessaires sur le compte des pétitionnaires, et que d’un autre côté il s’écoulera toujours au moins un jour franc entre la distribution de la liste et le vote.
D’après ces motifs, messieurs, la commission a cru devoir vous proposer l’adoption de la proposition de M. de Brouckere telle qu’elle vous a été présentée ; elle fait toutefois observer que lorsque les demandes excéderont le nombre d’une douzaine, il sera toujours utile de laisser s’écouler au moins un jour franc entre la distribution de la liste et le vote, afin que chacun puisse se former une opinion.
M. le président. - Quand la chambre est-elle d’avis de discuter cette proposition ?
De toutes parts. - De suite ! de suite !
- La discussion est ouverte.
M. Dumortier. - Messieurs, la proposition qui vous a été faite par l’honorable M. de Brouckere et à laquelle la plupart d’entre nous ont adhéré, est une excellente proposition : il faut convenir que le règlement actuel, en ce qui concerne les naturalisations, renferme un grand vice, puisqu’il prescrit le même mode de procéder pour les demandes en naturalisation ordinaire et pour les demandes en grande naturalisation, ce qui peut souvent faire oublier l’extrême importance d’une grande naturalisation : d’un autre côté il résulte du mode de procéder actuel une grande lenteur et une perte de temps considérable pour la chambre. Je remercie donc notre honorable collègue de nous avoir présenté la proposition dont il s’agit et qui tend à introduire une véritable amélioration.
Toutefois, je désirerais qu’on insérât dans la proposition conçue dans le sens de la dernière observation de l’honorable rapporteur de la commission ; qu’on stipulât qu’il devra toujours s’écouler au moins un jour franc entre la distribution de la liste et le vote sur la prise en considération : il faut nécessairement que chacun de nous ait le temps de s’éclairer, et s’il arrivait que nous dussions voter sur une liste de 25 demandes en naturalisation qui nous eût été distribuée la veille, nous n’aurions pas eu le temps de prendre des renseignements et de nous former une opinion sur le compte de chacun des pétitionnaires.
Je désirerais aussi, pour mon compte, que le nombre des demandes contenues dans une liste ne pût dépasser vingt ; j’entends même un honorable voisin me dire qu’il faudrait limiter ce nombre à 15 ; si l’on en fait la proposition, je l’appuierai : dans tous les cas, le nombre de 25 est beaucoup trop élevé.
M. Gendebien. - Pour faciliter le travail de chacun de nous, je voudrais que la liste portât, outre les noms et prénoms domicile et qualités du pétitionnaire, le numéro du rapport qui est relatif à sa demande.
M. de Brouckere. - Il doit être entendu que cela ne dérogerait pas à la disposition existante aujourd’hui, et d’après laquelle le bureau fait imprimer les listes selon l’ordre établi par la commission des naturalisations.
M. le président. - L’adoption de la proposition de M. Gendebien n’empêcherait pas la commission des naturalisations de déterminer l’ordre dans lequel il sera proposé à l’assemblée de voter sur la prise en considération des différentes demandes qui lui sont faites, et le bureau continuera toujours à faire imprimer les listes d’après cet ordre fixé par la commission.
Voici, messieurs, les amendements qui ont été présentés :
Amendement de M. Dumortier : « Il s’écoulera au moins un jour franc entre la distribution de la liste et le jour du scrutin. »
Autre amendement de M. Dumortier : « Les listes ne pourront contenir plus de vingt noms. »
Troisième amendement du même membre : « La liste sera affichée dans la salle des conférences. »
M. Gendebien demande que les listes portent le même numéro du rapport sur chaque demande.
- Ces amendements sont successivement appuyés.
M. Jullien. - J’appuie l’amendement de M. Dumortier qui a rapport au délai qu’il devrait y avoir entre la distribution de la liste et le scrutin, ainsi que celui qui porte que la liste sera affiché dans la salle des conférences ; quant au nombre des demandes qui pourront être contenues dans une liste, du moment qu’on est d’accord sur le principe de voter par scrutin de liste, je ne vois pas plus d’inconvénients à voter à la fois sur 25 demandes que sur 20 ; je voterai donc en faveur de la proposition : ce sera un moyen d’achever plus vite un travail qui devient fastidieux pour la chambre, qui lui fait perdre beaucoup de temps, et dont la lenteur excite de vives réclamations de la part de ceux qui sont depuis plusieurs années en instance pour obtenir la naturalisation.
Ainsi, messieurs, j’accepte deux des amendements de M. Dumortier, et c’est déjà fort honnête ; pour le reste, je voterai en faveur de la proposition de M. de Brouckere, appuyée par la commission.
M. Verdussen. - Je pense, messieurs, que la naturalisation même ordinaire n’est pas un objet de peu d’importance, et que par conséquent il ne conviendrait pas d’appeler l’attention de la chambre sur un trop grand nombre de demandes, parce qu’alors l’apathie s’en mêle à tel point qu’on n’écoute plus même la lecture des rapports ; car il est peu de personnes dont l’attention soit assez soutenue pour écouter la lecture de 25 rapports sur des demandes en naturalisation.
Je pense donc qu’il faudrait même réduire le nombre proposé par M. Dumortier et l’abaisser à 15 ; en supposant qu’il y ait encore aujourd’hui 150 demandes, ce serait une affaire de 10 jours.
J’ajouterai, messieurs, que rien n’empêcherait le bureau de faire distribuer plusieurs listes à la fois, afin que nous ayons mieux encore le temps d’examiner les demandes sur lesquelles nous aurons à voter.
- L’amendement de M. Verdussen qui tend à limiter à 15 le nombre des demandes qui pourront être contenues dans une liste, est appuyé.
M. de Brouckere. - Je n’ai, messieurs, qu’une seule observation à faire c’est, que le nombre de 25 n’est qu’un maximum et qu’il appartiendrait toujours au bureau de porter moins de noms sur les listes.
M. Verdussen. - Je craindrais de laisser une semblable responsabilité au bureau ; car s’il réduisait le nombre des demandes sur lesquelles la chambre serait appelée à voter dans chaque séance, les personnes qui éprouveraient par là du retard pourraient le taxer de partialité.
M. Dumortier. - Comme je l’avais déclaré d’avance, j’appuierai la proposition de l’honorable M. Verdussen de limiter à 15 le nombre des demandes qui pourront être contenues dans une liste ; comme l’honorable membre le dit fort bien, s’il y a 150 demandes, il suffira de 10 jours pour prendre une décision à leur égard. Quant à la proposition de distribuer simultanément plusieurs listes, je m’y opposerai, car comment voulez-vous qu’en ayant plusieurs listes sous les yeux, on ne confonde pas l’une avec l’autre ? Il faut nécessairement finir une liste avant de s’occuper d’une seconde.
- Le premier amendement de M. Dumortier est mis aux voix et adopté.
Le sous-amendement de M. Verdussen au deuxième amendement de M. Dumortier est mis aux voix et n’est pas adopté. Le deuxième amendement de M. Dumortier est ensuite mis aux voix et n’est également pas adopté.
Le troisième amendement présenté par le même membre est mis aux voix et adopté.
L’ensemble de la proposition ainsi amendée est mis aux voix et adopté. Elle fera, en conséquence, partie du règlement concernant le mode de la prise en considération des demandes en naturalisation.
La chambre décide quelle s’occupera vendredi prochain de naturalisations.
M. le ministre des finances (M. d'Huart) monte à la tribune et donne lecture d’un projet de loi concernant la pêche nationale.
Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ce projet de loi qui sera imprimé et distribué, ainsi que l’exposé des motifs qui l’accompagne.
M. le président. - Désire-t-on le renvoi du projet de loi en sections ou à une commission ?
M. Donny. - Messieurs, je demande que le projet de loi que M. le ministre des finances vient de déposer sur le bureau soit renvoyé à la commission qui a été chargée de l’examen des propositions que j’ai eu l’honneur de faire à la chambre dans la séance du 17 mars dernier.
Je demande en même temps que la commission soit complétée. Un des membres de la commission M. de Foere, est tombé malade le lendemain de sa nomination, et comme l’objet de mes propositions, ainsi que celui du projet qui vient de vous être soumis, est des plus urgents, je pense qu’il y a lieu de remédier à l’absence de M. de Foere.
Cela est d’autant plus nécessaire que les autres membres de la commission font partie de sections centrales ou d’autres commissions qui travaillent presque journellement ; c’est à tel point que la plupart d’entre eux étant absorbés par la discussion du tarif qui occupe la chambre depuis 7 à huit jours, la commission n’a pu se réunir et s’est trouvée jusqu’ici dans l’impossibilité de commencer ses travaux.
Je demande donc qu’il plaise à la chambre de décidé que M. de Foere sera remplacé par un autre membre à la nomination du bureau.
- La première proposition de M. Donny est mise aux voix et adoptée. En conséquence le projet de loi proposé par M. le ministre des finances est renvoyé à la commission qui est chargée de l’examen des deux propositions de M. Donny, concernant la pêche nationale.
M. le président. - Il reste à statuer sur la deuxième demande de M. Donny, tendant à faire remplacer M. de Foere en sa qualité de membre de la commission dont il s’agit.
Ne pourrait-on pas conserver M. de Foere, et adjoindre deux nouveaux membres à la commission. (Adhésion.)
M. Donny. - La proposition de M. le président remplissant encore mieux le but que j’avais en vue, je déclare m’y rallier.
- La chambre prend une décision dans ce sens. En conséquence M. de Foere reste membre de la commission à laquelle deux nouveaux membres seront adjoints.
M. le président. - La discussion est ouverte sur l’amendement de M. le ministre de l’intérieur, ainsi conçu :
« Bas et mitaines d’Islande, d’Ecosse, de Kloppenburg et de Danemarck ; 3 p. c. »
M. Dubus (aîné). - Je demanderai d’abord si la discussion est encore ouverte sur cet amendement ? Si la discussion est encore ouverte, j’aurai des observations de fait à présenter. Toutefois, si la discussion est close, par respect pour le règlement, je m’abstiendrai de prendre la parole.
M. Desmet. - Messieurs, il me semble que dans la séance de samedi la chambre n’a voté que les dispositions concernant la bonneterie. Rien ne me paraît s’opposer dès hors à ce que la discussion s’ouvre sur l’amendement de M. le ministre de l’intérieur.
M. Verdussen. - Messieurs, il faut être ici de bonne foi ; il n’y a pas eu une discussion réelle sur l’amendement de M. le ministre de l'intérieur. Dans la séance de samedi, nous étions tellement préoccupés de graves questions, que nous avons perdu de vue l’amendement du ministre. Il me semble dès lors qu’il y a lieu de le mettre en discussion.
M. le président. - M. Verdussen est d’avis que l’amendement de M. le ministre de l'intérieur n’a pas été compris dans la clôture.
M. Dumortier. - J’avais regardé l’amendement de M. de Theux comme implicitement rejeté par le vote de la chambre. (Non ! non !)
M. le président. - Il a été entendu que l’amendement de M. le ministre de l’intérieur était indépendant des propositions de la section centrale.
La parole est à M. Dubus.
M. Dubus. - L’amendement qu’a déposé le ministre de l’intérieur mérite grandement l’attention de ha chambre, et sous le rapport du fait même qui a été présenté comme motif principal par l’auteur de l’amendement, et sous le rapport de l’usage qui a été fait dans ces derniers temps de l’exception qu’on propose de maintenir.
Quant au fait le ministre a annoncé que la disposition qu’il présentait ne pouvait pas alarmer l’industrie belge, parce qu’en Belgique on ne fabrique pas de produits similaires de ceux qui font l’objet de cette exception. D’après les renseignements qui me sont arrivé aujourd’hui, on fabrique des produis similaires dans le pays ; notamment cette bonneterie grossière connue dans le commerce sous le nom de bas et mitaines d’Islande, d’Ecosse, de Kloppenburg et de Danemarck, a son analogue dans une bonneterie toute semblable que l’on fabrique dans plusieurs communes de l’arrondissement de Tournay et dans des communes de la province de Liège et de la province de Limbourg.
Dans l’arrondissement de Tournay il y a les communes de St-Sauveur, canton de Frasnes, où on s’occupe presque exclusivement de ce genre de bonneterie ; plusieurs communes du canton de Peruwelz, où cet article se fabrique en grande quantité. On le fabrique aussi à Arendonck, dans la province d’Anvers ; à Visé, dans la province de Liége ; dans la Campine, dans le Limbourg ; de sorte que le motif donné à l’appui de la proposition est sans fondement. M. le ministre de l’intérieur a été induit en erreur quand il a pensé réellement que ce genre de fabrication n’existait pas dans le pays. On m’a dit qu’il existait tellement, qu’il y a dans le plat pays des fabricants qui s’occupent exclusivement de cet article.
D’un autre côté, d’après les chiffres que j’ai maintenant sous le yeux, il paraîtrait que cette exception a donné lieu à une fraude considérable, et que la masse de la bonneterie qui nous arrivait auparavant d’Angleterre et d’Allemagne, comme bonneterie ordinaire, entre maintenant comme bonneterie exceptionnelle avec un droit de 3 p. c. au lieu de 10.
En effet, si vous considérez que cette bonneterie a été présentée comme se réduisant à certains articles tellement grossiers, qu’ils ne sont qu’à l’usage des marins, l’importation dès lors ne devrait pas en être considérable ; et en effet, nous voyons que l’importation totale est nulle en 1831 ; en 1832 elle est encore presque nulle, elle n’est que de 2,965 fr. ; en 1833 elle est de 22,669 fr. Jusque-là, cette importation n’était pas de nature à alarmer notre industrie ; mais tout à coup, en 1834, voilà qu’elle s’élève à 523,253 fr. Ainsi, nous voyons l’importation de cet article passer brusquement de 22 à un demi-million. Voilà de ces changements qui ne peuvent s’expliquer que par une supposition de fraude, par la supposition que la bonneterie ordinaire est entrée sous le nom de bonneterie exceptionnelle. Cette supposition, on sera plus encore en droit de la faire si l’importation de la bonneterie ordinaire a diminué dans la proportion que l’autre a augmenté.
Or, nous voyons qu’en 1832 on a importé pour 492,000 de bonneterie ordinaire ; en 1833, on en a importé pour 580 mille francs. En 1834, elle n’est plus que de 189 mille francs. C’est précisément alors que l’importation de la bonneterie exceptionnelle augmente dans la proportion de 500 mille fr., que l’autre diminue de 400 mille fr. D’autres comparaisons de chiffres viennent confirmer cette supposition qui acquiert ainsi le degré de certitude morale ; je les trouve dans l’examen des quantités qui sont arrivées de l’une et de l’autre espèce de marchandise, dans ces années-là, de certains pays.
Prenons d’abord l’Angleterre. En 1831, 1832 et 1833, l’Angleterre ne nous fournit pas pour un sou de cette bonneterie exceptionnelle. Toutes ses importations sont en bonneterie ordinaire. En 1831 nous en importe pour 50,224 fr. ; en 1832, pour 237,483 francs ; en 1833 pour 277,496. Tout à coup, en 1834, la chance est tout à fait renversée ; l’Angleterre ne nous envoie plus de bonneterie ordinaire ; toute son importation est exclusivement en bonneterie d’Ecosse et d’Islande.
Elle s’élève à 212,532 francs. Comment pourrait-on expliquer un pareil changement autrement que par la fraude ? Pendant trois années, il nous arrive des importations d’Angleterre pour une somme, terme moyen, de plus de 200 mille francs en bonneterie ordinaire exclusivement, payant le droit de 10 p. c. ; et tout à coup ces importations se font exclusivement en bonneterie exceptionnelle, en bonneterie prétendument d’Ecosse et d’Islande, au droit de 3 p. c.
Comme il y a un ordre régulier dans le commerce, on doit conclure que les mêmes importations ont continué et que la différence a été dans la perception du droit ; que ce qui a été importé antérieurement à 1834 l’a été comme bonneterie ordinaire et a payé 10 p. c. de droit, tandis que les importations de même nature, faites en 1834 et années suivantes, ont été déclarées bonneterie d’Ecosse ou d’Islande et n’ont payé par ce moyen que 3 p. c., au grand préjudice de l’industrie indigène.
Pendant trois années les importations d’Allemagne ont été exclusivement en bonneterie, qui payait 10 p. c. de droit. Il en entra pour 82,779 fr. en 1831, pour 171,507 fr. en 1832, pour 276,550 fr. en 1833. La progression, comme l’on voit, est jusque-là ascendante ; tout à coup, en 1834, il n’en entre plus que pour 148 mille fr. La diminution est de près de 150 mille fr. Elle est compensée par l’importation de prétendues bonneteries d’Ecosse, d’Islande ou de Kloppenburg, pour une somme de 308 mille fr. Voilà la première fois que cette sorte de bonneterie s’importe par la frontière de terre, par celle d’Allemagne, alors que l’importation en bonneterie ordinaire a diminué par cette même frontière de près de 150 mille fr.
Voilà des faits qu’il faudrait pouvoir expliquer autrement que par la supposition de fraude qui, pour moi devient une véritable conviction. Si le gouvernement ne les explique pas, il faudra convenir que cette exception qu’il propose de maintenir est une porte ouverte à la fraude, et que, si vous l’admettez, toute l’industrie étrangère prendra le nom de l’industrie en faveur de laquelle l’exception est proposée, et viendra inonder nos marchés à 3 p. c. de droit d’entrée.
Je crois que si vous considérez d’une part l’abus qu’on a fait de cette exception, d’autre part que les articles dont il s’agit sont aussi fabriqués par l’industrie indigène, par conséquent que le motif mis en avis pour la proposer est le résultat de l’erreur, je pense que vous rejetterez l’amendement. Quant à moi, je voterai contre.
M. Smits. - Messieurs, je dois encore répéter qu’on semble perdre de vue le but du projet de loi qui nous occupe ; ce but c’est de faire cesser les mesures exceptionnelles qui frappent la France et de la faire rentrer dans le droit commun. Or, le droit commun de notre tarif, c’est la taxation de 10 p. c. sur les bonneteries ordinaires de toute provenance, et le droit de 3 p. c. sur les bas et mitaines d’Islande, d’Ecosse, de Klappenburg et de Danemarck était une exception. En plaçant la France dans ce droit commun comme vous l’avez fait, en décidant que les produits français et autres paieraient à l’avenir au poids à raison de 15 p. c., je ne vois pas de motif pour changer cette modification à l’égard d’autres puissances ; car nous ne devons pas, de gaieté de cœur, hausser notre tarif vis-à-vis des puissances étrangères amies, mais nous devons au contraire faire tous nos efforts pour augmenter nos relations avec elles. L’exception doit donc continuer à subsister.
On a objecté que cette exception avait été établie parce qu’il n’existait pas d’industrie similaire dans le pays. Cela prouverait que, même sous l’empire de cette exception, elle a pu se créer et prospérer, et par conséquent que le droit de 3 p. c. était une protection suffisante.
Au reste, on vous l’a déjà dit : considérez l’importation totale en objets de bonneterie : elle s’élève 686 mille fr. pour tout le pays. Quelle est, à côté de cela, la consommation ? En ne la portant pas à 20 fr. par individu, mais à 5 fr., nous aurons encore 20 millions. Or, sur une consommation de 20 millions, qu’est-ce qu’une importation de 686 mille francs, alors que nous exportons pour 348 mille francs ? Rien ; cela est véritablement insignifiant et ne vaut pas la peine de prendre contre des nations amies des dispositions qu’elles pourraient considérer commue hostiles.
Je le répète, il n’y a aucun motif pour supprimer l’exception qui existe et qui a toujours existé.
M. Dumortier. - Messieurs, je suis étonné que l’honorable député d’Anvers, qui est en même temps directeur…. (Interruption.)
M. le président. - Il n’y a ici que des représentants !
M. Dumortier. - De même que j’ai l’honneur d’être représentant et colonel de la garde civique, de même l’honorable M. Smits est député d’Anvers et directeur du commerce.
Je dis donc que je suis étonne que l’honorable député, qui est en même temps directeur de la division du commerce, vienne prétendre qu’il faille supprimer les droits différentiels envers la France, et que, d’autre part, il faille maintenir les droits différentiels eu faveur de l’Ecosse, du Danemark, quand le but du projet de loi est de faire cesser les mesures exceptionnelles.
M. Smits. - Mais le droit de 3 p. c. est très ancien.
M. Dumortier. - Mais le droit sur les bonneteries françaises est ancien aussi.
L’honorable préopinant a pris soin de se combattre lui-même. Il a dit que sous le droit de 3 p. c. l’industrie actuellement existante en Belgique s’était créée : je m’étonne qu’une personne qui doit connaître l’état de l’industrie du pays, qui doit s’informer des objets de cette industrie, ne connaisse pas mieux l’état de l’industrie dont il s’agit.
La bonneterie en laine de la Belgique est peut-être aussi ancienne que la Belgique elle-même ; elle a toujours existé dans la plupart de nos contrées ; comment peut-on dire qu’elle s’est créée et qu’elle a prospéré sous le droit de 3 p. c. !
Je pense qu’avant de toucher à des questions aussi délicates, il faut commencer par savoir si, avant le droit de 3 p. c., la fabrication de la grosse bonneterie de laine existait chez nous.
Il y a ici une considération qui domine toute cette discussion, c’est l’impossibilité de distinguer, dans la tarification, la bonneterie d’Ecosse, de Danemarck, d’Islande, de la bonneterie d Allemagne ou d’ailleurs.
Comment un douanier, avec les meilleures intentions du monde, pourrait-il prouver aux négociants qui voudront frauder, que les marchandises présentées sont de telle ou de telle provenance ?
La preuve que le droit de 3 p. c. a été l’occasion de fraudes, c’est qu’il n’est pas entré de bonneterie d’Ecosse, de Danemarck, en Belgique, pendant l’exercice 1831 ; cependant, si la Belgique en avait eu besoin, il en serait entré.
En 1832, il en est entré pour 2,963 francs ; en 1833, il en est entré pour 22,000 francs, et en 1834, pour le chiffre considérable de 523,000 francs. Que résulte-t-il en effet de ceci ? Que le libellé de la loi prête à la fraude. On peut déclarer toutes les bonneteries comme étant d’Ecosse ; et comme le douanier ne peut distinguer la provenance des produits, le droit sera éludé. Si le ministre veut donner un moyen de distinguer la provenance des marchandises, son amendement sera alors susceptible de discussion ; mais comme on ne peut distinguer la provenance des marchandises, on ne peut mettre des droits différents sur la même marchandise.
Quand on veut établir des droits différentiels, il faut prendre des mesures pour empêcher la fraude ; et quand on ne peut pas faire distinguer les marchandises, il faut mettre des droits uniformes.
D’après le chiffre de l’introduction en 1834, cette grosse bonneterie devrait se trouver en grande quantité dans nos magasins ; eh bien, il m’a été impossible d’en trouver dans ceux de Bruxelles.
Un membre. - Il s’en trouve à Anvers.
M. Dumortier. - Quel moyen avez-vous de vous opposer aux introductions frauduleuses ? Tant que vous ne l’indiquerez pas, nous ne pouvons admettre la proposition du ministre de l’intérieur. Si on l’admettait, toutes les bonneteries arriveraient en fraude.
M. Desmet. - L’honorable ministre de l’intérieur a dit dans une séance précédente que la bonneterie qui fait l’objet de son amendement ne se fabriquait pas dans le pays, et aujourd’hui M. Smits nous dit qu’elle a prospéré depuis l’établissement du droit de 3 p. c. sur les bas et mitaines de Kloppenburg.
Messieurs, je vous laisse juges de cette contradiction entre le ministre et l’honorable député d’Anvers, qui cependant se trouve à la tête du bureau du commerce qui est établi dans le département de l’intérieur.
Messieurs, vous connaissez ces bas et gants qu’on désigne sous le nom de bonneterie d Islande, de Kloppenburg et de Feroë ; citons ceux qui sont portés par les marins et qui sont fabriqués d’une très grosse espèce de laine ; ce sont ces bas de laine foulés et ces gants de laine à un seul doigt.
Ces gros tricots se font aussi bien en Belgique qu’en Allemagne ; ils se fabriquent notamment à Visé sur la Meuse et environs, dans quelques communes du district de Charleroy et dans celui de Tournay, comme vient de vous le dire l’honorable M. Dubus.
Ils ont été fabriqués chez nous de tout temps, et quoique, sous le régime hollandais, on les ait laissé introduire avec un petit droit, il n’est pas moins vrai qu’on les faisait dans plusieurs parties du royaume, et quoi qu’en dise l’honorable M. Smits, que la fabrication en a prospéré depuis le droit de 3 p. c., c’est justement le contraire, et il m’étonne qu’il ne soit pas mieux informé, car, depuis ce petit droit, qui en réalité était presque l’entrée libre, la fabrication de cette espèce de bonneterie a beaucoup diminué.
Je m’étonne qu’on ne sache point à notre bureau de commerce et d’industrie que tout ce qui est bonneterie de laine est dans tous les autres pays fortement protégé : en France, elle est protégée par la prohibition ; en Prusse par un droit de 33 thalers le centener, ce qui revient à 125 fr. les 50 kilog.
Et en Belgique on devrait pour ainsi dire la laisser entrer librement ; vraiment, messieurs, il y a des choses qui se passent en ce moment dans notre ministère qui sont inexplicables, car c’est le ministre de l’intérieur, celui qui a dans ses attributions l’industrie, qui a déposé cet étrange amendement.
Mais l’honorable M. Smits n’a pas répondu aux observations de l’honorable M. Dubus ; il ne nous a pas expliqué comment il arrivé qu’en 1831 il n’y avait aucune provenance de Kloppenburg ; qu’en 1832 il n’y en avait que pour deux à trois mille francs de valeur, qu’en 1833, que pour une vingtaine de mille francs, et qu’en 1834 il y avait une provenance qui surpassait un demi-million de francs.
N’est-ce pas clair comme le jour qu’en 1834 on a vu qu’on pouvait exercer la fraude à l’entrée en Belgique de la bonneterie étrangère, en faisant la déclaration que c’étaient des objets de bonneterie qui venaient de Kloppenburg, d’Islande et d’Ecosse ; c’est ainsi qu’on a tant fraudé le droit de 10 p. c., et que toute la bonneterie étrangère est entrée en Belgique à raison du minime droit de 3 p. c.
L’Angleterre et l’Allemagne ont joliment profité de la facilité de notre douane et ont fait un bon usage pour elles de la dénomination de Kloppenburg pour faire entrer leurs produits à 3 p. c. de droit et ainsi gagner 7 p. c. sur le véritable droit qu’ils auraient dû payer ; de la sorte l’Allemagne en a fait entrer pour une valeur d’au-delà de 300,000 fr., et l’Angleterre pour plus de 200,000 fr.
Je vous laisse à présent, messieurs, juger si ce n’est pas un véritable scandale de faciliter autant la fraude et de laisser faire un si grand tort à notre trésor et tuer en même temps une branche intéressante de notre industrie, qui est doublement importante, parce qu’elle occupe particulièrement la classe pauvre et celle qui réside dans les campagnes ; et après de tels faits et une si dure expérience, comment peut-on concevoir que le ministre de l’intérieur veuille nous reproduire une telle mesure exceptionnelle qui anéantirait entièrement la protection de la bonneterie ?
Mais je ne doute pas que la chambre ne fasse droit de l’amendement en faveur de Kloppenburg.
M. Smits. - Quand le législateur de 1822, celui qui a fait le tarif en vigueur, à fixé à 3 p. c. les droits d’entrée sur les produits du Danemarck, de l’Ecosse, il a eu ses motifs ; il a jugé que ce droit était suffisant pour protéger l’industrie nationale. On ne fait des tarifs que pour cela. Mais on dit que depuis la fraude s’est emparée de cet article, et que maintenant on introduit sous le tarif de 3 p. c. les produits de la fabrication allemande. Dans mon opinion, le fait signalé par M. Dubus peut s’expliquer autrement et ne tenir qu’à la progression des importations, résultat de la progression générale du commerce, que vous remarquerez pour presque tous les articles d’importation et d’exportation renseignés au tableau qui vous a été communiqué.
Quoi qu’il en soit, si la fraude qu’on signale existe réellement, il y aurait un moyen facile d’y remédier : ce serait de ne permettre l’entrée de la bonneterie d’Ecosse et du Danemarck que par la mer, sauf en outre, à l’administration des douanes, de prendre toutes les mesures de précaution qu’elles pourrait juger convenables.
Si l’Allemagne devait importer par mer pour profiter du tarif à 3 p. c., les frais seraient trop considérables, et elle n’aurait plus d’avantages. Je crois donc que l’amendement du ministre de l’intérieur pourrait être adopté, en ajoutant que les provenances d’Ecosse, de Kloppenburg, etc., devront, pour jouir du petit droit, être importés par mer. De cette manière, on évitera tous les inconvénients. Je déposerai un amendement dans ce sens.
M. A. Rodenbach. - Le chiffre qu’a cité l’honorable député de Tournay, m’a indiqué que le droit de 3 p. c. était un moyen de fraude ; et j’ai été encore porté à le croire d’après les informations que j’ai prises sur la vente de la grosse bonneterie en laine. On m’a dit que cette vente était peu considérable. Cependant, il est évident que la majoration des tarifs donnerait tous les bénéfices aux contrebandiers, au détriment du fisc et de notre industrie. La question que nous discutons est donc épineuse, et nous ne saurions nous entourer de trop de lumières.
Dans la pétition qu’on a citée ce matin, il peut y avoir des renseignements utiles ; il faudrait qu’on l’imprimât dans le Moniteur pour que nous pussions la tire tous. C’est ce que je demande formellement.
M. Coghen - Je demande la parole pour m’opposer à l’amendement présenté par le ministre de l’intérieur. La possibilité de frauder en employant de fausses dénominations doit obliger le législateur à changer de tarification. Les chiffres d’importation cités par l’honorable député de Tournay sont une preuve frappante de l’abus qu’on fait du droit de 3 p. c. Je crois qu’il est dans l’intérêt du pays d’élever ce droit ; nous avons dans le pays beaucoup de laines communes, et beaucoup de bras inactifs dans les prisons, dans les hospices, que l’on pourrait employer pour faire les gros ouvrages en laine. (Marques d’approbation.)
Remarquez que la proportion de 3 à 15 n’est pas celle de 3 à 10 qu’on proposait, et qu’il y a ici nécessairement un changement à faire.
M. Dubus (aîné). - Je voudrais répondre à une observation présentée par l’honorable député d’Anvers. Il croit pouvoir expliquer les différences entre les chiffres d’importation que j’ai signalées, par le mouvement ascendant du commerce qui a amené une augmentation générale dans le chiffre de toutes les importations : mais ce mouvement ascendant n’explique rien dans le cas actuel ; car j’ai fait voir que l’exportation de bonneterie ordinaire avait diminué dans la même progression que l’importation avait augmenté ; cependant le mouvement du commerce aurait dû agir sur l’exportation comme sur importation.
Or, l’importation pour la bonneterie ordinaire était en 1833 de 580,000 fr. ; et elle est descendue, en 1834, à une somme inférieure à 200,000 fr. Il y a là environ 400,000 fr. de différence qui se trouvent compensés par une augmentation de 500,000 fr. sur la bonneterie exceptionnelle.
L’explication que vient de donner l’honorable député ne signifie rien, en présence du fait relatif à l’importation d’Angleterre. Je ferai remarquer que cette importation se faisant par mer, l’addition proposée à l’amendement de M. le ministre de l’intérieur n’empêchera pas la fraude. La fraude continuera par mer.
L’importation d’Angleterre, en bonneterie, s’est faite exclusivement par mer et ainsi qu’il suit :
En 1832, 237,000 fr.
En 1833, 277,000 fr.
En 1834, alors elle cesse tout à fait, mais elle est remplacée par les bonneteries d’Islande et de Kloppenburg, pour 212,000 fr. ; et pendant les 3 années qui ont précédé 1834, l’Angleterre n’avait rien importé en bonneteries d’Ecosse et d’Islande. Ce fait demeure incontesté. Il est donc évident que la chambre ne peut adopter l’amendement proposé.
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - Si les suppositions de l’honorable M. Dubus sont fondées, si, depuis trois ans, il y a une tendance à substituer les bas et bonneteries ordinaires aux bas et bonneteries d’Ecosse et d’Islande, alors il est évident que, malgré l’introduction des bonneteries à 3 p. c., malgré une concurrence si facile à faire à notre industrie, celle-ci a eu peu à en souffrir ; il y a donc eu erreur lorsqu’on a élevé le droit à 15 p. c. Je prends acte de cette circonstance.
A cette occasion, j’appuierai la proposition de l’honorable M. A. Rodenbach de faire imprimer la pétition dont il a parlé, parce qu’elle contient probablement des faits qui pourraient éclairer les membres de la chambre pour le second vote.
En ce qui concerne la proposition spéciale, je ferai remarquer qu’en tenant pour exacts les chiffres de l’honorable M. Dubus, au moins doit-il admettre qu’antérieurement on a distingué les bonneteries d’Ecosse, d’Islande et de Danemarck, et que s’il y a eu confusion, ce n’est que depuis peu de temps.
Dans ce cas, l’administration des douanes pourrait prendre des mesures pour assurer davantage la distinction et la perception effective des droits, de manière à empêcher l’application de l’exception à la bonneterie ordinaire. Ce qui serait contraire à notre pensée.
M. Dumortier. - Il est manifeste que le libellé proposé ne serait qu’un moyen de fraude. Or, un moyen de fraude doit être repoussé par la législature.
Le ministre de l’intérieur vous a dit que le ministre des finances prendra des mesures. Autant qu’il n’y a pas possibilité de distinguer entre les différentes espèces de bonneteries, on devra s’en rapporter à la déclaration.
Un honorable membre vient de me faire remarquer que si la chambre n’adopte pas l’amendement de M. le ministre de l’intérieur, cet amendement restera néanmoins en vigueur. C’est pour cela que je propose de dire : « Bas et bonneteries de toute provenance. »
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - J’ai entendu faire la proposition d’imprimer au Moniteur une pétition relative à la discussion actuelle ; je ne sais si cette impression a été décidée, et dans le doute j’en demanderai la lecture. Toutefois, je préférerais l’impression, parce qu’au deuxième vote la question reviendra devant la chambre et que d’ici là ou pourra examiner les chiffres concluants que cette pièce renferme.
M. Dumortier. - Je ne suis pas opposé à l’impression. Je ferai seulement remarquer à MM. les ministres, qui paraissent y tenir autant, que l’auteur de la pétition n’est pas un Belge. C’est un étranger domicilié à Bruxelles, qui cherche à faire sacrifier l’industrie belge, au profit de sa propre industrie.
- La chambre décide l’impression au Moniteur de la pétition de M. Benda, négociant à Bruxelles.
Le sous-amendement de M. Smits tendant à ajouter à l’amendement de M. le ministre de l’intérieur les mots : « importés par mer, » est mis aux voix ; il n’est pas adopté.
L’amendement de M. le ministre de l’intérieur et des affaires étrangères est mis aux voix ; il n’est pas adopté.
M. le président. - La chambre a maintenant à statuer sur la proposition de M. Dumortier tendant à ajouter aux mots du tarif « bas et bonneteries » ceux « de toute provenance. » Je ferai remarquer que le libellé de l’article a été adopté dans la séance de samedi.
M. Dumortier. - Comme ceci est une affaire de rédaction, je retire ma proposition ; je la reproduirai au second vote ; il suffit seulement que la proposition de M. le ministre n’ait pas été adoptée.
M. de Roo. - L’observation que j’ai à faire valoir, messieurs, se rapporte au tableau en général, et non à un article spécial. Je demanderai à M. le ministre des finances à quel tarif il fait allusion lorsque, dans la première colonne de son tableau joint au projet de loi en discussion, il cite les numéros d’ordre du tarif, 163, bas et bonneteries, 3, bois, etc.
J’ai compulsé la loi sur les douanes, et vainement j’ai cherché à pouvoir rapprocher lés articles qu’elle contient, avec les chiffres indiqués dans la susdite colonne. Cependant, je crois en tenir la solution dans un ouvrage que j’ai sous les mains, où il se trouve les mêmes articles avec les mêmes chiffres, qui se rapportent ici à un tarif appelé Veldman. Vous voyez, messieurs, qu’il y a de tout dans ce projet. Maintenant, si vous voulez connaître ce que c’est que ce tarif Veldman, la note suivante, couchée dans un tarif imprimé à Bruxelles, vous l’expliquera ; elle est ainsi conçue :
« Le tarif Veldman est l’ouvrage du commis-archiviste de ce nom : au 1er juin 1828, par une résolution du conseiller d’Etat alors chargé de l’administration des droits d’entrée, de sortie et des accises, il a été établi que ce tarif servirait de règle aux employés en ce qui concerne la perception des droits, à l’exclusion de tous autres ouvrages particuliers.... M. Veldman a donc fait imprimer son travail à son profit, et il y en avait encore, à l’époque de la révolution, plus de cent exemplaires à la vente dans les bureaux de l’entrepôt de Bruxelles.
« Ceux qui sont aujourd’hui à l’administration des douanes belges étaient collaborateurs de M. Veldman, et ils ont fait faire, à leur profit ou à celui de leur imprimeur, une contrefaçon de la propriété littéraire de leur ancien camarade... Une contrefaçon du tarif Veldman pour servir de régulateur aux employés belges !... Mais cela n’a pas de nom. »
Or, messieurs, vous voyez que ces chiffres ne sont point les numéros d’ordre de la loi, mais se rapportent à un ouvrage tout à fait hétérogène, à une œuvre qui n’a aucun caractère d’authenticité ni de légalité, et que certainement vous ne voudrez pas sanctionner par votre vote : c’est pourquoi je demande la suppression formelle de tous les chiffres contenus dans cette colonne première.
M. le président. - M. de Roo demande la suppression des numéros d’ordre du tarif. S’il n’y a pas d’opposition, je mettrai les articles aux voix sans indication de numéros. (Adhésion.)
- Les deux articles suivants du tarif sont successivement adoptés sans discussion.
« Bois de réglisse sans distinction de provenance et de qualité. Par 100 kil. Droit d’entrée : 60 c. ; droit de sortie : 30 c. »
« Liqueurs alcooliques quelconques, non soumis aux accises, contenant en mélange ou en solution des substances qui en altèrent le degré. Le litre. Droit d’entrée : 50 c. ; droit de sortie ; 1 c. »
M. Verdussen. - Messieurs, j’ai eu l’honneur de présenter avec l’honorable M. Rodenbach un amendement relatif à la chicorée ; comme on a suivi dans le tarif l’ordre alphabétique, il me semble que ce serait le moment de s’occuper de cette proposition.
M. Desmet. - Si la chambre veut s’occuper maintenant de la proposition de MM. Verdussen et Rodenbach, je demanderai la parole ; mais il me semble qu’il conviendrait de ne s’occuper de cette proposition qu’après avoir voté le projet de loi ; car si tout le monde va présenter des amendements relatifs à telle et telle industrie je ne sais pas où cela pourra nous mener.
- La chambre, consultée, décide qu’elle s’occupera de la proposition de MM. Verdussen et Rodenbach, après le vote du projet en discussion.
M. le président. - Nous passons à la disposition relative aux draps ; voilà la proposition du gouvernement.
« Draps. Draps et casimirs sans distinction de provenance, savoir :
« De la valeur de 8 fr. et au-dessous, 85 fr. pour 100 kilog.
« De la valeur de 8 à 16 fr., 150 fr. pour 100 kilog.
« De la valeur de 16 à 25 fr., 215 fr. pour 100 kilog.
« De la valeur de 25 à 33 fr., 255 fr. pour 100 kilog.
« De la valeur de 33 fr. et au-dessus, 520 fr. pour 100 kilog. »
La note suivante se trouve annexée au tarif ;
« La valeur des draps et casimirs se rapporte au mètre de longueur de l’étoffe supposée à la largeur ordinaire de 100 à 150 centimètres ; lorsque les draps ou casimirs seront d’une largeur inférieure au mètre, leur valeur prise à la moitié de la proportion déterminé ci-contre servira à régler l’application du droit auquel ils doivent être assujettis. Ces valeurs restent soumises au droit de préemption. »
La section centrale propose le maintien de l’état de choses actuel.
M. David. - Messieurs, dans la longue discussion générale du projet de loi qui nous occupe, tous les articles de cette loi ont déjà été abordés. Il serait donc difficile, pour ne pas dire impossible, d’éviter des répétitions. Vous connaissez déjà, messieurs, tous les arguments qu’apporte la draperie nationale, pour prouver la nécessité du maintien de la prohibition sur la draperie française. Je viens ici les reproduire en les accompagnant de mes réflexions particulières à leur sujet.
On vous a fait judicieusement observer qu’en levant la prohibition sur les draps français, et ne les imposant que du droit commun à l’Allemagne et à l’Angleterre, votre loi placerait sur notre propre marché les fabricants français dans une position plus favorable que les fabricants belges eux-mêmes. Cette assertion, messieurs, est évidente, incontestable. Ce résultat serait dû à la circonstance de la prime d’exportation en France, qui est de 10 p. c. et que, par de fausses déclarations de valeur, on parvient à porter à 12 et 15 p. c.
Cette prime dans laquelle un des honorables préopinants ne voit de juste remboursement des droits payés sur la laine étrangère en France, et que moi je considère comme tout à fait dangereuse pour nos fabriques, est le point le plus intéressant à éclaircir, et aussi qui domine toute la discussion à l’article des draps et casimirs. C’est en étudiant ce point, que l’on finit par être convaincu que sans le maintien de la prohibition, ou sans des droits élevés, les fabricants français ont sur nous une avance de 7 à 8 p. c. sur nos propres marchés, si la proposition de M. le ministre vient à passer. Sans doute, si l’on veut admettre que les fabricants français emploient de préférence la laine étrangère aux excellentes et abondantes laines qui sont maintenant produites dans leur pays, et que souvent nous achetons nous-mêmes, on se dira que cette prime n’est qu’une restitution. Mais il n’en est pas ainsi, messieurs ; les fabricants français connaissent trop bien leurs intérêts, pour employer des matières étrangères sans une impérieuse nécessité, et à coup sûr tous les draps moyens qu’ils nous enverront, si nous levons la prohibition, seront fabriqués avec leurs laines indigènes. Les fabricants français n’ont recours aux laines étrangères que pour leurs draps superfins. Alors incontestablement ils sont plus ou moins tributaires du nord : je dis plus ou moins, car on trouve en France des laines admirables, témoin celles de Rambouillet,
Il est donc évident, messieurs, qu’aussi longtemps que dure la législation française actuelle sur les primes, il est du plus haut intérêt pour nos fabriques que la prohibition soit maintenue.
On croit généralement que la fraude ne coûte que le sacrifice de 7 à 8 p. c. aux fabricants français. Je ne puis être de cet avis. Il me semble qu’il est facile de démontrer que quand le fabricant français fraude, il perd la prime d’exportation.
En faisant la fraude, comment remplir toutes les formalités exigées à la frontière pour constater l’exportation ? Ce serait vouloir se faire livrer par les douaniers français, dans les mains des douaniers belges. Ce n’est donc que dans le cas d’exportation régulière que l’on est apte à toucher la prime. S’il en était autrement, la France s’exposerait à payer plusieurs fois la prime sur le même objet.
On a dit encore : Puisque, par la frontière de Prusse, on peut entrer au droit commun de notre tarif (et ce droit, toujours par la combinaison des déclarations, doit être évalué de 5 à 6 p. c. environ) ; puisque par cette frontière, dis-je, on peut entrer au droit ordinaire, empruntons le territoire prussien, et nous ne paierons pas plus que les Allemands.
D’abord, je conteste que les fabricants français se soient jamais servis d’une pareille voie, et je crois pouvoir dire, sans crainte d’être contredit, qu’en s’y prenant ainsi, ils ne seraient pas plus avancés qu’en faisant directement la fraude.
Si, au lieu de 7 ou 8 p. c., pour la fraude directe en Belgique, ils ne paient que 5 fr., pour frauder par le détour qu’occasionne la frontière allemande, encore ont-ils dans ce cas un excédant de frais de transport qui amènerait toujours le même résultat, c’est-à-dire les 7 à 8 p. c.
Mais il y a mieux ; c’est que selon moi cette fraude est absolument impossible et n’a jamais été qu’un rêve. En effet, comment faudrait-il s’y prendre pour l’exécuter ? On répond qu’il faut déclarer la marchandise en transit par la Prusse ; mais alors, votre marchandise est soumise aux rigoureuses formalités voulues par le transit ; elle est ficelée, plombée, et c’est dans cet état qu’elle arrive, convoyée par les douaniers prussiens, à la frontière belge. Comment serait-il dès lors possible de la faire passer pour être d’origine allemande ? Si elle était d’origine allemande, elle n’aurait pas besoin d’être expédiée en transit. Evidemment alors les douaniers belges examineront les pièces qui accompagnent les colis, et reconnaîtront par ces documents la véritable origine du drap. Ils verront que c’est du drap français et en empêcheront l’introduction.
Il n’y aurait donc possibilité de frauder des draps français en Belgique par le territoire prussien, qu’en acquittant les droits prussiens ; mais, à leur tour, ces droits sont très élevés, et rendraient l’opération doublement impraticable. Ainsi, sans présupposer l’acquittement des droits prussiens, on ne peut s’expliquer cet allégué, que des fabricants français, moyennant de faux certificats d’origine obtenus de la complaisance de fabricants prussiens, seraient parvenus à introduire, à un droit de 5 à 6 pour cent, leurs draps en Belgique. Ce fait est controuvé et la chose n’est pas soutenable.
Si je suis forcé d’entrer dans ces détails, messieurs, c’est pour combattre le raisonnement de ceux qui s’obstinent à dire que la prohibition ne sert à rien, et que c’est par entêtement que nous rejetterions les propositions de MM. les ministres.
On vous a cité la crise financière, messieurs : à cette occasion je dirai qu’on doit être frappé du danger qu’a couru l’industrie de draperie dans notre pays. Si, moins soucieux de l’avenir, ou abusés sur les vrais intérêts du pays, nous avions commis la faute de voter, pendant la session de l’année dernière, la levée de la prohibition des draps de France, qu’en serait-il arrivé ? La pénurie extrême du numéraire dans l’état actuel du commerce en France, ayant doublé l’appât de la prime, que l’on rembourse argent comptant à la sortie, toutes nos villes seraient aujourd’hui inondées de draps et de casimirs français, on les y vendrait à tous prix ; il faudrait des années pour réparer le mal affreux et la perturbation qu’une aussi imprudente mesure aurait amenés dans notre industrie drapière.
Il est réellement fâcheux, messieurs, que dans les circonstances où nous nous trouvons engagés vis-à-vis de la France, nous ne puissions faire acte de désintéressement, sans que la révocation de notre prohibition nous soit on ne peut plus funeste. La France doit comprendre notre position, elle ne s’irritera point de notre refus ; et puis après tout, pourquoi tient-elle tant à la levée de notre prohibition ? La prohibition chez nous n’est qu’un vain mot, chez nous elle n’existe pas en fait. Voyez la différence de la prohibition française : là elle est flanquée de toutes les rigueurs, de la recherche à l’intérieur, de l’estampille et même de la vexation la plus odieuse, de la visite domiciliaire.
Que la France lève donc cette terrible prohibition, nous lèverons bientôt la nôtre. Nous sommes assez fatigués d’un état d’hostilité commerciale, qui, il faut le reconnaître, ne profite à personne.
Et alors, messieurs, si nos frontières étaient franchement ouvertes aux Français, ils auraient toujours sur nous certains avantages indépendants de la prime, que nous ne pourrons jamais leur disputer.
On comprend merveilleusement combien l’empire de la mode a de force et combien ce prestige exercerait d’influence sur nos acheteurs à notre détriment.
Je pose en fait qu’un dépôt de draps français établi à Bruxelles y placerait de la marchandise qui, dans nos mains, serait souvent invendable. Avec la réputation d’apporter la nouveauté, nos concurrents feront tout passer. La couleur la plus bizarre, une nuance manquée ou douteuse, que l’art du teinturier ne pourrait reproduire, trouveront des amateurs. Tel est l’engouement des hommes pour tout ce qui est étranger et surtout pour la mode.
On nous parle des concessions faites par la France.
Nos fabricants peuvent s’en applaudir de ces concessions. Elles sont cause que l’on vient aujourd’hui remettre en question leur existence et celle de tant de malheureux ouvriers. Les fabriques de draps, déjà si maltraitées par les prohibitions accumulées de toutes parts, seront offerte en holocauste, pour payer la faveur faite à la houille et à la toile. Il y a longtemps que je m’aperçois qu’il ne peut en être autrement. Si au moins il y avait des motifs légitimes de craindre que la France retirât ses faveurs à la houille et aux toiles, j’excuserais cette peur ; mais il n’en est rien.
En augmentant le droit sur les charbons de terre à leur entrée en France par terre, ce seront les Français eux-mêmes qui se puniront. On a beau dire que les droits à l’importation par mer seront diminués en faveur de l’Angleterre. L’importation par mer ne peut exercer d’influence sur les parties de la France où l’importation par terre est nécessaire. Il y aurait d’énormes frais de transport de la mer aux lieux de consommation.
De nos toiles, la France en est tributaire : et à cette occasion, quelle précieuse concession nous a-t-elle faite ? Je vois que dans cette enceinte on reconnaît généralement qu’il y augmentation plutôt que diminution de droit.
Les députés les plus au courant de cet article vous disent que la France a fait une diminution sur les toiles fines et une augmentation sur les toiles moyennes et communes. Ce sont justement ces dernières que l’on exporte à la proportion de vingt à un. Voilà, messieurs, les deux grandes bases de notre commerce avec la France, la houille et la toile. Je suis loin de voir d’un œil jaloux que ma province ne puisse y prendre une aussi grande part que d’autres parties du royaume, mais je m’alarme à l’idée du sacrifice d’une industrie à la prospérité d’autres industries, quand un aussi terrible remède n’est aucunement nécessaire.
Je suis donc loin, pour mon compte, d’imputer à blâme à un honorable collègue le revirement d’opinion dont on l’a accusé. Je partage sur le principe de la liberté du commerce les idées qu’il a émises à cette tribune ; mais il faut en convenir, leur application est quelquefois bien rigoureuse. Cependant, quel est l’homme consciencieux, chargé de la défense des intérêts de son pays, qui ne doive le sacrifice de son amour-propre et de son opinion, quand il reconnaît que ses doctrines deviennent dangereuses ou inapplicables ? Certes, la draperie belge, elle qu’on repousse de toutes parts, serait gravement compromise si on lui appliquait les beaux rêves des idéologues.
Avant de donner la main à la spoliation de nos fabricants, il me semble que nous devrions au moins nous enquérir des concessions que l’on pourrait accorder à la France sans atteindre, sans frapper tout autour de nous. Je crois, pour ma part, pouvoir signaler une de ces concessions qui serait fort du goût de messieurs nos voisins. Celle-là aurait au moins le mérite de ménager toutes les positions commerciales, et, en définitive, serait même favorable à notre trésor.
Si donc, MM. les ministres, vous êtes liés par un engagement d’honneur et forcés de faire des concessions à la France, au lieu de lui accorder une vétille, une vraie misère, en abaissant de 1 fr. 38 centimes le droit d’entrée sur ses vins, soyez grands, tranchez généreusement dans votre droit d’accises ; alors la France, au lieu d’importer pour 5 millions de vin par an, doublera ses affaires avec la Belgique. Le trésor sera loin d’être en perte par la réduction du droit d’accises, car la consommation augmentera dans la proportion de cette réduction. C’est ce dont on a l’expérience dans une foule de cas analogues, et c’est notamment ce que l’on a constaté en Angleterre, à l’occasion de la réduction du droit de consommation sur le thé et sur les vins de France.
Je borne là cette digression pour appeler un instant votre attention sur un article pour l’admission duquel nos voisins nous traitent encore avec une extrême rigueur, à laquelle nous n’opposons aucune réciprocité.
Je veux parler de nos cuirs tannés, article de toute première nécessité et pour la fabrication duquel la France ne peut invoquer l’infériorité de sa position dans la production. Nous recevons pour des valeurs considérables de cuirs et de peaux de la France. La France paie, à l’entrée chez nous, 30 francs aux 100 kil., et la France nous frappe, nous producteurs belges, à notre entrée chez elle, pour le même poids, de 75 francs, pour cuirs introduits par navires français ; de 81-25 pour cuirs introduits par terre et par mer par navires étrangers.
Vous semble-t-il qu’il n’y ait pas là une révoltante injustice ? Pourquoi ne pas admettre à 30 francs, en pleine réciprocité, le produit des tanneries belges ? Mais, dira-t-on, à l’entrée par mer, en France, les peaux sèches des îles paient 15 francs aux 100 kil. J’en conviens ; aussi pourrait-on stipuler l’augmentation relative sur les 30 francs imposés sur le cuir tanné, et à ce taux, messieurs, les tanneurs français ne risquent rien ; la concurrence sera toujours facile à tenir chez eux avec un droit protecteur de 40 à 45 aux 100 kil., d’autant plus que le cuir étant une matière très pondéreuse, les frais de transport seuls, pour le rendre au coeur de la France, viennent renforcer le droit de 15, 20 et quelquefois 25 francs aux 100 kil.
J’ai dit, messieurs, que les Français étaient dans une position analogue à la nôtre pour la fabrication du cuir ; et, en effet, ils viennent dans nos ports acheter la matière première en concurrence avec nous, comme nous pouvons, nous, aller la chercher dans les leurs, au Havre, à Bordeaux, à Marseille, etc.
Le véhicule de la tannerie, messieurs, c’est l’écorce du chêne, ou tan. La France en a abondamment, puisqu’elle en exporte des quantités considérables. Voyez combien d’écorces de France descendent la Meuse toutes les années. Après tout ce que je viens de citer, n’est-ce pas mauvais vouloir de la part de la France de nous prohiber, car les droits de 75 et 81-25 sont une véritable prohibition sur une matière comme le cuir tanné pour semelle.
Aux dernières discussions de la chambre française sur les douanes, il fut question de fixer le droit du cuir tanné au taux de 50 fr. par 100 kilogrammes. C’était l’avis de la commission chargée de l’examen du projet. Je crois me rappeler que lorsqu’on aborda l’article, un orateur fit tout simplement la motion de poser le droit à 75 fr. Pas une observation ne fut présentée contre cette majoration, et elle fut admise.
Avant la loi du 5 juillet 1836, les cuirs étaient prohibés en France. Depuis cette loi, ils ne le sont pas moins, car lever ainsi une prohibition, c’est faire une concession tout à fait dérisoire. Je le répète, messieurs, il y aurait justice que la France revînt sur un chiffre pareil et le réduisît de manière à ce que nous fussions traités en pleine réciprocité par les Français. Les tanneurs de ce pays-là seront sans doute un jour plus raisonnables que leurs fabricants de draps, et si MM. les ministres attendent de nouvelles concessions de la part de la France, J’espère que l’objet important des tanneries ne sera pas oublié.
Messieurs, je termine en protestant de tout mon pouvoir contre la levée de la prohibition des draps de casimirs, tout aussi longtemps que la France prohibera les nôtres. J’ose attendre de vos lumières et de votre patriotisme le rejet d’une proposition qui tient dans la plus grande anxiété les fabricants et les ouvriers de la province de Liége.
M. Demonceau. - (Note du webmaster : la présente version numérisée prend en compte les errata (de nature typographique) insérés dans le Moniteur belge n°125 et 126, des 5 et 6 mai 1837) Deux systèmes sont en présence, celui du gouvernement et celui de la section centrale. Je viens combattre le premier et appuyer le second : je ne ferai pas usage des notes que j’avais préparées, en tant qu’elles se rapportent à la partie que vient de traiter mon honorable collègue M. David ; il est par sa position plus à même que moi de traiter pareille matière, mais les arguments que j’ai entendus de la part des défenseurs du projet du gouvernement, les motifs plus ou moins spécieux qu’ils ont fait valoir pour l’appuyer exigent de ma part un examen sérieux de la question ; elle est grave, messieurs, elle intéresse au plus haut degré le district le plus industrieux en ce genre de la Belgique ; je vais donc tâcher de réfuter tout ce que nos adversaires ont dit sur ce point.
La France, dit-on n’exige le sacrifice d’aucune branche de notre industrie ; tout ce qu’elle désire, tout ce qu’elle a le droit d’exiger, c’est d’être replacée dans le droit commun, c’est de ne pas être traitée comme une paria commerciale. Le gouvernement, ajoute-t-on, ne vous propose rien qui puisse vous autoriser à jeter des cris d’alarme ; tout ce qu’il vous demande, c’est le retrait d’un système exceptionnel, et la substitution de droits sagement protecteurs de l’industrie nationale. Un de mes honorables collègues que vous avez entendus dans la discussion générale vous a prouvé, je pense, que les concessions faites par la France n’ont pas de degré d’importance que semblent leur attribuer les défenseurs du projet. Pour l’industrie des draps et casimirs, la France n’a rien fait et paraît même peu disposée à faire la moindre chose. Quand je dis la France, j’entends toutefois parler des industriels français dont le gouvernement, à la différence du nôtre, a écouté les plaintes et y a fait droit. J’ai lu la discussion qui eut lieu l’année dernière à pareille époque à la chambre des députés de France, et j’y ai trouvé que les organes du gouvernement, loin de se plaindre de la Belgique, semblent au contraire faire retomber tout le blâme sur les industriels français. Ecoutez ce que disait alors le chef du cabinet français qui venait de quitter le ministère du commerce pour prendre la présidence du conseil. L’honorable M. Desmet vous a cité le commencement d’un discours remarquable ; mais comme j’y ajoute ce qui concerne les draps, vous me permettrez, j’espère, de reproduire une partie de ce que vous a cité notre honorable collègue.
« Vous me dites : Fournissez aux Belges un débouché, cherchez quelque matière produite par eux que vous puissiez employer chez vous, et introduisez-la ; eh bien ! nous l’avons cherché. Je me souviens, lorsque j’avais l’honneur d’être ministre du commerce, d’avoir discuté avec les Belgique, et je n’ai pas trouvé qu’il fût possible d’introduire en France des marchandises belges ; ainsi, lorsqu’il s’est agi du drap, vous avez la Normandie qui pousse des cris aigus ; qu’on me permette de le dire. Je l’ai entendu, je me suis rendu chez elle. Je voulais négocier un arrangement entre les intérêts belges et les intérêts normands, quant aux draps, parce qu’il pourrait en résulter des avantages considérables pour l’ensemble de l’industrie française ; eh bien, en Normandie, croyez-vous, (et je ne blâme pas ici les Normands d’être partisans du système protecteur, et grand partisans), croyez-vous qu’on se contente d’un droit énorme ? J’ai parlé aux fabricants de draps d’un droit de 40 à 50 p. c. Cela ne les rassure pas ; ils veulent la prohibition absolue ; ajoutez maintenant si vous le voulez, et dites-moi, répète le ministre, cherchez un moyen de dédommager les Belges, je l’ai cherché et je ne l’ai pas trouvé. »
Voilà, messieurs, un langage bien clair, un aveu solennel ; ce n’est point le gouvernement français qui refuse de s’entendre avec les Belges, ce sont les industriels français qui nous repoussent, et l’on viendra nous faire croire que, faute par nous de lever la prohibition sur les draps français, un gouvernement qui tient un pareil langage, invoquera les concessions qu’il a faites sur d’autres points, alors que lui-même est convaincu que négocier un arrangement quant aux draps, peut produire à la France des avantages considérables pour l’ensemble de son industrie ; comment, vous tenez en main le moyen d’arriver à cet arrangement, et vous venez nous proposer de l’abandonner ! Ah, si les fabricants de draps belges tenaient le langage que tiennent les fabricants français, je me rendrais peut-être compte d’une pareille conduite, mais qu’il est loin de se ressembler le langage de ces industriels !
Les industriels français ne veulent pas se contenter de droits de 40 à 50 p. c., et les fabricants belges ne vous en indiquent aucune ; ils se bornent à vous dire :
« Nous ne demandons pas mieux que de voir lever la prohibition sur les draps français, pourvu qu’il y ait réciprocité de la part de la France ; nous ne sommes pas partisan de la prohibition, et nous ne conseillerons jamais au gouvernement de refuser des concessions équivalentes à celles que l’on nous offrira. Nous sommes à peu près réduits à la consommation intérieure, que les Anglais et les Allemands partagent déjà avec nous, grâce à la modération de notre tarif. Vous ne l’ignore pas, et cependant vous voulez nous faire venir de nouveaux copartageants, les Français ! Mais alors, qu’ils nous laissent aussi entre chez eux, ou qu’au moins l’on nous donne des consommations, car partout nous ne rencontrons que prohibitions et droits élevés. »
Leur langage fut le même en 1833 :
« Il est à désirer que cet état d’hostilité commerciale cesse entre deux pays qui ne peuvent que gagner l’un et l’autre à se faire de mutuelles concessions. La France prohibe nos draps et casimirs, nous prohibons les leurs, tandis que tous les autres draps et casimirs étrangers peuvent être importés en Belgique, moyennant un droit qui équivaut de 4 à 7 pour cent, suivant les qualités.
« Nous ne pensons pas que cette exclusion réciproque ait été plus profitable à la France qu’à la Belgique, les deux pays n’ont fait que s’interdire mutuellement des relations utiles.
« Dans les négociations qui vont s’ouvrir avec la France, nous commissaires feront sans doute tous leurs efforts pour faire cesser cet état de choses, nous ne demandons pas mieux que de voir le mot prohibition rayé de notre tarif et voir admettre chez nous les produits français aux mêmes droits que ceux des autres nations, pourvu que la France fasse subir la même réforme à son tarif et remplacé la prohibition absolue par des droits sagement calculés. »
Et ce sont des industriels qui se montrent aussi conciliants que l’on accuse d’égoïsme, ce sont ces honorables manufacturiers dont les réclamations sont à peine lues par quelques-uns de nos collègues et peut-être par le gouvernement !
Réfléchissons-y bien, messieurs, il s’agit ici de sacrifier la draperie belge à la draperie française, et cependant quel est l’homme un peu au courant de cette branche d’industrie qui ignore que, réunies sous l’empire, elles ont transporté leurs produits dans toutes les parties du monde ? Partout, alors, vous rencontriez des draps français en concurrence avec les draps anglais et allemands. Depuis notre séparation de la France, les industriels belges et français sont, au contraire, est concurrence dans les pays où jadis ils disputaient en commun la palme aux produis anglais ! Et voyez les prohibitions et les droits élevés qui accablent les produits belges ; depuis 1830 les colonies leur sont fermées ; cependant nous exportions aux colonies au moins 20 mille pièces de draps, nous ne parvenons à pénétrer en Hollande que bien difficilement.
La France maintient sa prohibition absolue, c’est-à-dire avec tous les accessoires bien différents de la prohibition belge.
L’Autriche les prohibe.
La Suède les prohibe.
La Lombardie de même. L’Espagne prohibe certaines qualités ; la Russie et la Pologne prohibent les noirs blancs et verts et prélève sur les autres qualités un droit prohibitif de 80 p. c., et le royaume de Naples et Sicile prélève 80 p. c. Rome qui, avant 1836, se bornait à 30 p. c., a porté le droit à 60 depuis 1836. Le Portugal qui les recevait à 50 p. c., a proposé une augmentation ; le Danemark les impose d’un droit de 50 p. c. ; le Piémont et la Sardaigne exigeant 27 p. c. ; les Etats-Unis ont fixé les droits pour 1836 à 44 1/4 p. c. ; l’Angleterre, la Prusse et les Etats allemands réunis, y compris Francfort, les imposent de droits qui reviennent respectivement à 15 p. c.
Après cette longue série, que reste-il à nos industriels, comme pays d’exportation ? je ne connais que la Suisse ! Et vous voudriez amener chez nous de nouveaux concurrents ! Mais, dit-on, la prohibition doit vous demandez le maintien est insignifiante, et l’on s’étonne même de ne pas en voir voter la levée par acclamation, puisqu’elle peut être remplacée par des droits sagement protecteurs de l’industrie nationale.
La prohibition est insignifiante ; je pense qu’il ne me sera pas difficile de prouver le contraire, et, pour le faire, je vais me servir d’une partie des arguments invoqués à l’appui de la proposition que je combats. L’intérêt privé de chaque industrie est, dit-on, le mobile puissant qui fait agir nos industriels en général, et que demandent-ils ? le maintien de la prohibition. Donc, dans l’opinion de nos adversaires, ils ne peuvent être considérés comme agissant contre leurs intérêts. Mais si la prohibition est insignifiante, pourquoi les industriels français en ont-ils repoussé la levée chez eux par des cris aigus, et pourquoi le gouvernement français tient-il tant à l’obtenir chez nous ? Pourquoi vous-mêmes voulez-vous l’accorder, alors que 7 à 800 manufacturiers et commerçants s’y opposent de tout leur pouvoir et ne vous demandent d’autre protection que le maintien du statu quo. Si vous êtes de bonne foi, et je n’en doute pas, vous reconnaîtrez au moins que nous qui demandons le maintien de la prohibition, nous sommes plus conséquents que vous ; car qu’avez-vous à craindre pour le fer et la houille, si vous refusez à la France une concession illusoire pour laisser à notre industrie drapière la seule fiche de consolation qu’elle réclame.
Mais, dit-on, la fraude se fait au moyen d’une prime de 7 à 8 p. c. Demandez en Belgique du drap français, soit à votre tailleur, soit à tout détaillant, et bientôt vous l’avez sous la main. Mais pour introduire le drap français en Belgique, il faut au moins recourir à la fraude, et certes il existe en France comme en Belgique, des négociants qui, quoiqu’on semble insinuer que l’intérêt est leur seul mobile, ne voudraient pas avoir recours à ce moyen ; c’est une grande gêne pour le commerce lorsqu’un fabricant livre ses draps aux fraudeurs, il ne lui est guère possible de compter sur leur arrivée à destination ; la douane est quelquefois là pour l’arrêter. Ce que j’admire le plus, c’est la bonhomie, permettez-moi de m’exprimer de la sorte, de mes honorables collègues, qui, parce qu’on leur offre ou qu’ils demandent à leurs tailleurs du drap français, croient avoir porté du drap d’origine française ; les tailleurs, les détaillants peuvent facilement les tromper sur l’origine ; ils offrent, j’en conviens, du drap beau et bon, car les draps belges réunissent assez généralement ces deux qualités ; mais savez-vous ce qui arrive le plus souvent ? C’est que tel qui veut à tout prix du drap français, porte le plus souvent des habits du même drap que les miens qui sont d’origine belge. Il paie un peu plus, j’en conviens, mais il croit avoir des habits de draps français, le nom lui suffit ; et puisque le nom vous suffit, venez dans notre district, vous y trouverez du Sedan, du Louviers, de l’Elbeuf. Comme vous rencontrerez dans tous les magasins de la Belgique de véritables foulards des Indes, de véritables chapeaux de Paris, de véritables cotons suisses, de véritables rasoirs anglais, etc. ; produits qui généralement ont été fabriqués en Belgique et qui, malgré le faux baptême qu’on leur donne, permettez-moi l’expression, n’en sont ni moins beaux, ni moins bons pour l’usage, que les produits étrangers réclamés plutôt par le caprice des acheteurs qu’à cause de leur bonne qualité. Mais, dit-on, remplacez si vous le voulez, la prohibition par des droits prohibitifs.
Je préfère le maintien de la prohibition à des droits prohibitifs, parce qu’il me paraît déloyal (permettez moi de vous le dire) de remplacer le mot par la chose. La Belgique ne doit pas suivre un système que je qualifierai de perfide, et pour mon compte, je ne veux pas y donner la main ; je ne suis partisan ni du système qu’ont souvent défendu les honorables membres qui nous donnent ce conseil, ni de celui qu’ils ont toujours combattu ; je n’admets en pareille matière aucune règle absolue, je vous l’ai dit en d’autres temps : ce que je veux c’est une réciprocité véritable ; je ne vous définirai pas ce que j’entends, moi, par réciprocité ; d’abord parce que, par état, je sais que toute définition est dangereuse, et ensuite parce que j’ai toujours remarqué que chacun donne des définitions propres à se concilier avec le système qu’il veut défendre ou combattre, ce que je veux en pratique, c’est une protection suffisante et égale autant que possible, pour tous les produits comme pour toutes les industries de la Belgique, c’est-à-dire, pour que l’on me comprenne bien, que je ne veux sacrifier aucune de nos industries à l’étranger, parce que ce qu’on veut bien appeler en théorie la « balance du commerce, » fléchirait un peu en faveur de la Belgique ; je n’aime pas non plus ces théories ou utopies ; je tiens aux vérités pratiques et les faits sont là pour prouver de quel côté a toujours résidé l’erreur. Espérons que ceux de nos honorables collègues qui marchent encore dans cette voie, suivront bientôt l’exemple de ceux qui ont eu la franchise de nous dire : nous étions jadis partisans de la liberté la plus illimitée du commerce, parce que nous considérions ce système comme étant le seul capable de nous faire jouir d’une grande prospérité commerciale.
Nous en revenons maintenant au système de protection, non par principe, mais par nécessité, et parce qu’on nous y force ; vous les avez entendus, et cette vérité m’a toujours frappé ; ce n’est pas à un petit pays tel que le nôtre à vouloir donner l’exemple que se gardent bien de donner les Etats puissants qui nous entourent ; et que serait-il arrivé si, cédant aux doctrines de certains membres, vous aviez ouvert vos frontières à tous les pays du monde ? Que vous n’auriez pas à vous enorgueillir de votre prospérité et de la création de cette communication importante dont, à bon droit, l’on vous parle si souvent, comme ferait un père tendre, d’un enfant chéri ; car vous auriez eu beau décréter sa construction, vous n’auriez peut-être pas trouvé dans votre trésor les fonds nécessaires pour y faire face. La chambre me pardonnera, j’espère, cette digression, et je me hâte de rentrer dans la discussion spéciale.
Pour combattre le système du statu quo, nous voyons les adversaires se livrer sur l’article qui nous occupe à une singulière argumentation.
Le gouvernement, dit-on, ne vous propose pas de rétablir de prime abord les choses dans l’état où elles se trouvaient avant 1823. Il vous propose au contraire de substituer à la prohibition des droits protecteurs généralement plus élevés que les anciens, afin de garantir l’industrie nationale contre une nouvelle concurrence qui, sans les précautions nécessaires, pouvait lui être nuisible.
Je nie d’abord ce que vous dit l’honorable député, qui a prétendu que des droits plus élevés étaient substitués aux anciens, et, pour lui prouver son erreur, il me suffit de le renvoyer au projet du gouvernement. Que propose en effet le gouvernement ? un droit égal au droit actuel et rien de plus.
Douze chambres de commerce, ajoute-t-on, ont émis un avis favorable, et, chose étrange, mais assez commune aujourd’hui, voyez comment procède l’intérêt privé ! il s’est ici montré dans toute sa nudité ; voyez ces avis ; du moment que vous sortez du cercle de l’intérêt personnel de telle localité, vous la trouvez très accommodante ; s’agit-il au contraire de l’intérêt d’une industrie locale, les droits prohibitifs ne suffisent pas, il faut la prohibition, et après la prohibition, la confiscation, etc. S’agit-il de l’industrie des draps, tout ce qui n’est pas chambre de commerce de Verviers est d’accord avec le gouvernement ; il faut permettre l’entrée des draps français en Belgique.
Je regrette, messieurs, d’avoir à relever ces paroles proférées par une bouche qui toujours montra la plus grande confiance aux délibérations de nos chambres de commerce, qui souvent provoqua leur avis et s’en prévalut plus souvent encore ; je regrette surtout d’avoir entendu faire ainsi le procès d’honorables commerçants ; car rien n’est plus humiliant, selon moi, pour un homme d’honneur, que de s’entendre dire : vous avez voté dans votre intérêt.
C’est aux honorables manufacturiers du district de Verviers que le reproche s’adresse ; je ne ferai pas à cet honorable membre l’injure de croire et même de supposer qu’il n’aurait pas lu attentivement le volume qui nous a été communiqué de la part du gouvernement, et ou nous trouvons les avis émis par la chambre de commerce, l’honorable membre s’est sans doute plus particulièrement attaché à l’examen de l’avis émis sur le point en discussion par celles de Verviers et d’Anvers, car de l’ensemble des opinions émises par toutes les chambres de commerce, il résulte au contraire (et je vais vous le prouver), que s’il y a unanimité, c’est pour le rejet de la proposition du gouvernement. Ainsi, après m’avoir entendu, je pense que vous serez d’accord avec moi pour renverser la question et dire :
Tout ce qui n’est pas chambre de commerce d’Anvers est d’accord contre le gouvernement, de ne pas admettre en Belgique les draps français, aussi longtemps que la France maintiendra la prohibition sur les produits de notre industrie.
Résumons donc l’avis de la chambre de commerce sur l’article des draps :
Bruges. Cet article n’a donné lieu à aucune observation.
Ypres. La chambre est d’avis qu’il serait de stricte rigueur que les draps, casimirs et autres tissus de laine provenant de France, fussent imposés des mêmes droits que ceux frappés par elle sur les provenances belges de la même nature.
Ostende laisse aux fabricants la tâche d’éclairer le gouvernement sur les détails que la pratique plutôt que la théorie suggère.
Bruxelles en parle pour mémoire et laisse aux chambres de commerce de Liége et Verviers le soin d’éclairer le gouvernement, les reconnaissant plus aptes qu’elle à raisonner sur ce point.
Mons parle en général et ne dit rien de spécial sur les draps.
St-Nicolas n’en dit rien non plus et ajoute qu’il lui serait difficile de donner une opinion avec connaissance de cause.
Louvain n’a pas d’observation à faire.
Gand ne dit rien des draps.
Courtray, idem.
Tournay, idem.
Ruremonde, idem.
Verviers, Liége sont pour le maintien du statu quo.
Arlon, Charleroy et Venloo n’en disent rien.
Anvers est pour la levée de la prohibition et a tranché la question. Examinons les motifs qu’elle a donnés :
« La levée de la prohibition pour les draps et casimirs d’origine française, a dit la chambré de commerce d’Anvers, nous paraît une mesure prudente. » Et pourquoi ? Le voici (c’est encore la chambre de commerce qui parle,) « parce qu’elle amènera peut-être la législature de France à nous faire également quelques concessions sur cet article. »
Vous le voyez, messieurs, le seul corps délibérant qui paraisse contraire au système du statu quo ne paraît considérer la mesure proposée comme prudente, que parce qu’il espère par là obtenir quelques concessions sur cet article ; et comment se fait-il donc que ce corps si haut placé dans le commerce de la ville la plus commerçante de la Belgique, ce corps composé, comme partout, de l’élite du commerce, se dépouille bénévolement et sans autre certitude qu’un peut-être, de la seule arme qui reste à la Belgique pour obtenir les concessions désirées ? ce sont des hommes qui font du commerce leurs études spéciales, qui n’ignorent sans doute pas tout ce que renferme l’enquête française sur la matière, qui ont lu sans doute tout ce qui a été dit aux chambres françaises ; ce sont des honorables négociants qui croient à des concessions lorsque nous ne pourrons plus répondre par des concessions ! Mais, ajoute la chambre de commerce :
« Les droits substitués à la prohibition restent d’ailleurs assez élevés pour préserver d’une forte concurrence de l’étranger cette branche importante de notre industrie, la prime que le gouvernement français accorde pour l’exportation des draps ne met point le fabricant belge dans une position plus défavorable que celui du pays voisin, parce que cette prime établie au taux de 9 p. c. ne constitue que la restitution du droit d’entrée perçu en France sur les laines, lequel monte à 20 p. c. sur les laines brutes et à 30 sur les laines peignées. »
Ces observations me conduisent nécessairement à l’examen d’une question de la plus haute importance, question que les négociants d’Anvers auraient bien fait d’examiner, parce qu’ils connaissent mieux que personne l’usage, pour ne pas dire l’abus, que l’on peut faire et que l’on fait assez généralement des primes d’exportation ; ce que ces messieurs n’ont pas fait, et pour cause. Je vais tâcher de le faire, et si, pour ce qui concerne la question particulière des draps, je parviens à vous faire partager la conviction que j’ai acquise après avoir lu les discussions qui ont eu lieu sur ce point aux chambres françaises, je pense que vous ne douterez plus que tout ce qui vous a été dit par d’honorables collègues et par les manufacturiers de Verviers est de la plus grande vérité.
Cependant, si vous m’entendez flétrir le système des primes en France, n’allez pas croire pour cela que je me déclare l’ennemi de toute restitution ; c’est l’abus que je vais attaquer et non les primes en elles-mêmes ; toute prime qui sera une véritable restitution, mais qui ne sera rien de plus qu’une restitution de droit, obtiendra toujours mon appui.
C’est aussi comme moi que s’exprime la commission de la chambre des députés de France dans son rapport sur cette partie du tarif français.
Les primes en bonne et saine économie, dit la commission, ne doivent être que des simples drawbacks, leur chiffre doit être calculé non point sur les exigences plus ou moins puissantes de telle ou telle industrie, mais bien sur le montant du droit perçu ; dans aucun cas, la prime ne doit dépasser la proportion établie par le droit et c’est porter atteinte au trésor et aux contribuables que de ne pas se conformer à cette règle.
Voilà, messieurs, des principes bien clairs en théorie, noue verrons ce qu’ils sont en pratique.
Pour protéger l’industrie agricole, la France, pays de protection, quoi qu’on en dise, établit un droit exorbitant de 22 p. c. de la valeur sur les laines étrangères.
Vous savez tous, messieurs, que la France produit assez de laines de fine et moyenne qualité en général, pour la consommation intérieure, elle regorge même parfois de ces produits ; car c’est assez souvent en France que nos fabriques de Verviers vont s’approvisionner ; elle a besoin au contraire de laines communes, et vous savez qu’il en entre peu dans la confection des draps asses généralement demandés aujourd’hui.
Cependant, pour faire taire l’industrie manufacturière, le tarif français vient aussi à leur secours et il accorde à la sortie une restitution que moi j’appelle prime de neuf pour cent « de la valeur du drap en fabrique et au comptant. »
C’est donc la valeur qui sert de base aux droits à l’entrée comme à la sortie.
Lorsque, pour fixer un droit à l’entrée, comme une restitution à l’exportation, vous prenez pour base la valeur, les estimations à l’entrée sont faites au plus bas taux possible ; celles à l’exportation au contraire sont fixées au prix le plus élevé, ce système conduit donc à une perte double pour le trésor qui voit réduire les droits à l’importation par la faiblesse des déclarations, et augmenter les restitutions par l’exagération des déclarations ; et voyez l’exorbitance du système français sur les primes accordées pour les draps ! La valeur de ce produit est calculée non seulement sur la matière en elle-même qui est la laine, mais encore sur le travail que la matière a subi, sur les frais que le fabricant a dû faire pour convertir la laine en drap propre à être exporté, car les neuf pour cent sont restitués sur la valeur du drap en fabrique et au comptant.
Il y a plus, cette prime est en général accordée sur des draps confectionnés exclusivement avec des laines du produit français.
Faites attention, messieurs, à ces termes de la loi : valeur en fabrique et au comptant. Pour qui sait un peu ce que c’est que la fabrique de draps, il peut, sans être fabricant, en comprendre toute l’importance. La valeur en fabrique, c’est le prix du revient, mais la valeur en fabrique et au comptant, c’est la valeur réelle et effective du drap livré au commerce, c’est-à-dire le prix que peut obtenir le fabricant, au comptant. Et cette valeur, qui peut la constater ? Pour moi je le déclare avec franchise, je ne me suis jamais occupé de cette branche d’industrie ; mais je suis né dans le district où j’exerce mes fonctions ; j’ai eu des relations suivies avec grand nombre de nos honorables manufacturiers, et toujours je leur ai entendu affirmer que le drap qui arrivait à une valeur de 17 à 20 francs le mètre, pouvait facilement être déclaré valoir de 24 à 25 francs, et ainsi de suite, tant il est difficile de reconnaître la véritable valeur, la valeur intrinsèque de ces produits ; et vous voudriez que des hommes de la douane fussent appelés à contrôler des valeurs que plus d’un fabricant en Belgique comme en France ne pourraient vérifier et reconnaître. Voilà, messieurs, l’abus que nos honorables industriels craignent, et c’est là un motif pour nous de ne pas céder.
Ayons maintenant recours à la statistique, pour mieux expliquer l’abus qu’on fait, et l’abus plus grand encore qu’on peut faire, d’une pareille législation. Ecoutez M. Duchâtel, s’expliquant sur ce point dans la discussion qui l’année dernière, à pareil jour à peu près, eut lieu aux chambres françaises ; cet honorable député qui, comme ministre du commerce, venait de céder la place à M. Passy, reconnaît :
1° Qu’en 1834 le trésor avait perçu sur les laines à l’entrée fr. 4,750,000, et qu’il avait été payé pour primes fr. 4.120,000, et qu’ainsi le trésor avait conservé la somme de fr. 630,000 pour tous droits.
2°. Que les exportations en laines s’étaient élevées au chiffre de 9,400,000 kil., et que les exportations en draps et tissus n’avaient atteint que le chiffre de 1,800,000 ; différence en kil,, 7,600,000 ; qui, en réalité, n’ont donné au trésor que la somme de fr. 630,000.
Calculez et voyez si la prime d’exportation sur les draps et tissus de laine de France, n’est pas égale à plusieurs fois le droit.
Voici, du reste, un calcul que je soumets à vos méditations, il a un résultat vraiment frappant, et j’espère qu’il sera examiné avec attention, je désire qu’il me soit prouve qu’il y a erreur, car, je le répète, le résultat en serait effrayant.
Il est entré en France 9,400,000 kilogrammes de laines ; le droit a produit au trésor 4,750,000 francs. La valeur donnée à l’entrée a donc été de 21,600,000 francs, le droit étant de 22 p. c. ; il a été exporté en draps de 1,800,000 kilog. qui ont obtenu une restitution de 4,120,000 francs ; la valeur donnée à la sortie s’est donc élevée à 45,800,000 francs, la restitution étant de 9 p. c. de la valeur.
Ainsi, 21,600,000 de valeur ont produit pour :
- 9,400,000 kilogrammes, fr 4,750,000
- 45,800,000 de valeur exportés du poids de 1,800,000 kilogrammes ont obtenu une restitution de fr. 4,120,000
9,400,000 kilog. n’ont été portés qu’à une valeur de fr. 21,600,000
Terme moyen pour le kilog.. 230.. Au contraire 1,800,000 kilog. exportés ont obtenu une valeur de 45,800,000
Ainsi, il est resté en France 7,600,000 kilog. de laines qui n’ont laissé au trésor que fr. 630,000
Je vous parle de la législation française sur les primes, parce que là est tout le danger pour nous, écoutez maintenant les organes du gouvernement français, et vous pourrez juger si je me trompe, D’abord c’est le commissaire du Roi chargé de défendre la loi de douanes devant la chambre des députes, (M. Greterin homme spécial), répondant aux plaintes élevées par quelques honorables députés contre l’administration des douanes et les douaniers relativement aux préemptions qu’opéraient trop souvent les employés.
« M. le général Demarçay, dit-il, estimait (dans une séance précédente), que l’atténuation de valeur donnée à l’entrée pouvait être d’un tiers ; je pense qu’il y a quelque exagération dans le chiffre et qu’il n’excède pas le quart. Faites attention que la douane, outre les dix pour cent qu’elle paie en sus, paie en outre le droit sur ces 10 p. c. Ainsi fr. 2 20 c., ce qui, réuni au droit de 22 p. c. sur la valeur primitivement donnée, fait 12 1/2, donc ce que je viens de dire prouve que la préemption est impossible quand la déclaration n’est pas atténuée d’au moins 20 p. c. »
Ainsi voilà qu’il est bien prouvé, j’espère, que la valeur de la laine à l’entrée peut être portée aux trois quarts, sans craindre la mesure rigoureuse introduite dans la loi contre les fraudeurs.
Voyons pour les primes et souvenons-nous que la prime est fixée à 9 p. c. de la valeur en fabrique et au comptant.
« Pour fixer cette valeur, dit M. Duchâtel, l’administration s’est entourée de toutes les lumières, elle a cherché à savoir dans quel rapport de valeur les laines entraient dans les diverses espèces de tissus, puis appliquant une règle de proportion, elle a déterminé quelle surcharge résultait du droit et par suite quelle devait être la restitution : l’on a calculé que la laine entrait pour une moitié dans la valeur de ces tissus. Le droit sur la matière première est de 22 p.c. et la prime de 9. On ne restitue donc pas tout le droit perçu, on reste plutôt en dessus qu’en dessous du calcul. » M. Duchâtel donne ensuite les chiffres que je viens de vous reproduire sur les importations et exportations, et, tout en reconnaissant qu’il ne reste que 630,000 pour une quantité de 7,600,000 non exportés, il ajoute : Le trésor n’y perd pas.
Entendons à présent M. le ministre du commerce.
Vous demandez pourquoi il a été payé à l’exportation à peu près la valeur de ce qui avait été reçu pour la totalité. En voici la raison :
« Il y a déchet considérable sur les laines, remarquez ensuite que les draps exportés sont des étoffes de qualité fort élevées, et que les laines importées au contraire, sont de qualités diverses parmi lesquelles il y en a de fort communes.
« D’autre part, dans les draps exportés, il entre non seulement des laines étrangères, mais aussi des laines nationales, en un mot des laines françaises fines à la place des laines étrangères plus communes ; vous donnez la prime sur les laines étrangères et françaises. Je ne sais si je me fais bien comprendre (ajoute M. le ministre) et j’insiste ; car la question est délicate, et vous prie de remarquer que la restitution du droit à l’exportation n’est si considérable qu’à cause de la différence des valeurs entre les laines importées et les étoffes exportées qui sont faites avec des laines de la plus haute valeur ; ce qui fait que la quantité et le poids n’offrent aucune certitude d’évaluation quand on compare le poids sorti fabriqué, et le poids entré, ou la valeur entrée, divisée par la quantité. »
Voilà, messieurs, la législation française expliquée clairement par ceux-là même qui l’ont proposée et défendue : quel est maintenant le député belge qui soutiendra qu’une pareille législation ne prête pas à la fraude et peut engendrer les plus grands abus ! N’est-il pas prouvé par les faits que le droit de 22 p. c. imposé à l’entrée sur les laines, dans le but de protéger les laines indigènes, tournent pour ainsi dire entièrement au profit des manufacturiers ? Et c’est en face d’une pareille législation que l’on voudrait lever la prohibition et autoriser l’entrée des draps français moyennant 5 à 6 p. c. de droit ? ne serait-ce pas anéantir un jour toutes nos fabriques, et placer nos industriels dans la triste nécessité de fermer leurs ateliers.
La question est grave, elle intéresse au plus haut degré les industriels qui, jusqu’à ce jour ne vous ont demandé ni primes, ni protection, mais le maintien du statu quo et des débouchés, si possible, pour étendre encore leur industrie. Une crise commerciale dont les conséquences ne peuvent être prévues, effraye en ce moment tous les pays voisins, et nos manufacturiers, qui toujours ont travaillé à soutenir et à améliorer la position qu’à force de veilles et de travaux ils ont su conquérir, éprouvent déjà la plus grande gêne. Pourquoi faut-il que cette discussion soit arrivée pour jeter l’alarme où naguère la confiance régnait ! La chambre, par son vote, leur rendra bientôt le calme dont ils ont si grand besoin ; elle adoptera la proposition de la section centrale. Vous avez toujours eu pour principe de placer en première ligne les intérêts de tous les Belges sans distinction ; vous resterez fidèles à ce principe. En prenant ici la défense des honorables industriels du district que j’habite, je défends des intérêts belges sans compromettre en aucune manière l’intérêt général de mon pays ; je cède à la conviction la plus sincère. Je termine donc en invoquant ces paroles qui, dans une séance précédente, sont sorties de la bouche de M. le ministre de l’intérieur et des affaires étrangères : « Il n’est jamais entré dans la pensée du gouvernement de sacrifier une industrie à un autre avantage, il veut simplement admettre à l’égard de quelques industries une concurrence modérée. »
Ce serait sacrifier l’industrie drapière, que d’admettre la proposition du gouvernement, surtout en face la législation française sur les primes et eu égard aux circonstances ; et je me flatte que la chambre maintiendra le statu quo proposé par la section centrale.
M. le président. - La parole est à M. Rogier, pour un fait personnel.
De toutes parts. - A demain ! à demain.
M. Rogier. - Puisque la chambre paraît fatiguée, je ne parlerai pas maintenant, mais je me réserve de répondre demain à quelques assertions de l’honorable préopinant.
- La séance est levée à 4 heures et demie.