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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 26 avril 1837

(Moniteur belge n°117, du 27 avril 1837)

(Présidence de M. Raikem.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse procède à l’appel nominal à midi et demi.

M. Kervyn lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.

« Un grand nombre d’hôteliers de la Belgique se plaignent de ce que leur mobilier soit soumis à un double impôt. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants propriétaires d’Eckeren demandent la prohibition du foin et de la chicorée hollandais. »

- Sur la proposition de M. Mast de Vries, renvoi à la commission d’industrie.


« La régence de Lillo demande que la chambre adopte le projet de loi relatif au polder de Lillo. »

- Renvoi à la commission des polders.


« Les sieurs Stranack frères, marchands d’huîtres à Ostende, adressent des observations contre la proposition de M. Donny relative à la pêche nationale. »

- Renvoi à la commission chargée de l’examen de cette proposition.


« Le sieur Charles-Auguste Boulangé, négociant à Mons, né Français, demande la naturalisation. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.

Prise en considération de demandes en naturalisation

M. le président. - L’ordre du tableau des demandes de naturalisation appelle maintenant celle du sieur N. Dally. M. N. Dally avait d’abord formé une demande de grande naturalisation sur laquelle la commission des naturalisations a fait son rapport.

Il a adressé au président de la chambre une lettre par laquelle il déclare se borner à la demande de la naturalisation ordinaire. La chambre veut-elle renvoyer cette lettre à la commission des naturalisations ?

M. Fallon. - M. N. Dally annonce qu’il réduit sa demande de grande naturalisation à une demande de petite naturalisation. Je crois qu’il est inutile de renvoyer sa lettre à la commission des naturalisations, qui ne pourrait que persister dans son premier rapport. Je crois que la chambre peut statuer sur-le-champ sur cette demande de naturalisation ordinaire. (Adhésion.)

Il est procédé au scrutin secret sur la demande de naturalisation ordinaire formée par le sieur N. Dally.

En voici le résultat :

Nombre des votants, 65.

Boules blanches, 23.

Boules noires, 42.

En conséquence, la demande en naturalisation ordinaire formée par le sieur N. Dally n’est pas prise en considération.


Demande de grande naturalisation formée par le sieur R. Guillery :

Nombre des votants, 65.

Boules blanches, 12.

Boules noires, 54.

En conséquence, la demande de grande naturalisation formée par le sieur H. Guillery n’est pas prise en considération.


Demande de grande naturalisation formée par le sieur C.-E. Guillery :

Nombre des votants, 70.

Boules blanches, 12.

Boules noires, 58.

En conséquence, la demande de grande naturalisation formée par le sieur C.-E. Guillevy n’est pas prise en considération.

Projet de loi modifiant le tarif des douanes

Discussion générale

M. le président. - La parole est à M. Manilius.

M. Manilius. - Quoique le malencontreux projet de loi ne soit que très faiblement soutenu, et que la disette des arguments est telle que l’on a eu recours à vouloir confondre des orateurs par leurs discours à des époques et des circonstances bien différentes, ce qui n’a rien produit ni rien motivé en faveur du projet, et ce qui n’a rien détruit des arguments des nombreux orateurs qui se sont prononcés contre le projet, j’y ferai, cependant, encore quelques observations brèves.

Prenez, a dit l’honorable Smits, des dispositions aussi sévères que possible ; prohibez même, mais par mesure générale, et l’on n’objectera rien. On nous a rappelé les tristes souvenirs de 1831 ; mais je prierai la chambre de vouloir bien se rappeler aussi de 1835. C’était une mesure générale qui était mise en discussion. Eh bien, n’a-t-on pas vu alors l’ambassadeur français à la tête des réclamants, exhibant les notes pressantes de sou cabinet ? La Prusse, la Suisse, le duché de Bade, ne sont-ils pas venus réclamer chacun à leur tour ; et voilà qu’aujourd’hui notre directeur du commerce vient nous dire : « Prenez des mesures générales, prohibez même, mais faites disparaître ces mesures exceptionnelles, sans quoi notre tarif ressemble à un échiquier, où tout a une marche différente et où bien tous nous nous trouverons mal. » C’est à merveille.

Mais puisque l’honorable M. Smits fait une pareille comparaison de notre tarif de douane, je me permettrai aussi, moi, de le comparer à un damier où l’on nous souffle le pion.

Mais, dit-on, il faut voir les choses en grand et largement, et alors vous verrez qu’il y a réciprocité plus que réelle entre nous et la France. Car on reçoit vos toiles, vos houilles, vos fers et votre cire à cacheter. Et ils vous envoient leurs vins, leur quincaillerie, leur mercerie, leur orfèvrerie, leurs soieries, leurs modes, leurs produits immenses en fabricats-manufacturiers de toute espèce, riches par la main-d’œuvre ; et cela est tout juste d’après la balance de l’honorable Smits.

Non, il faut même faire davantage, il faut lever vos droits gênants et vos prohibitions insignifiantes, car vous avez le chemin de fer qui « hurle » à côté des prohibitions.

Voilà une solution charmante sur laquelle, j’espère, la chambre pourra facilement se mettre d’accord, quand il est entendu qu’aussitôt les chemins de fer établis jusqu’au Rhin, jusqu’à Paris, la France, la Prusse, comme la Belgique, lèveront leurs forts droits et leurs prohibitions, puisqu’elles hurlent à côté des chemins de fer.

Ainsi, messieurs, laissons, en attendant, les choses où elles en sont, ajournons la question, prenons le temps pour l’examiner plus mûrement, et en admettant l’amendement que j’ai eu l’honneur de vous présenter, attendons paisiblement jusqu’à l’ouverture de la section du chemin de fer qui joindra Paris à Bruxelles, et qu’alors nos tarifs se confondent.

L’honorable M. Smits nous a dit d’un ton sévère qu’il fallait traiter la chose très sérieusement.

Mais puisqu’il veut traiter la chose très sérieusement, je demanderai à M. le directeur du commerce si c’est bien sérieusement qu’il nous a dit que la Prusse reçoit nos fabricats manufacturiers à raison de 15 silbergroschen.

Sous ce rapport, mieux informé, je suis fondé de supposer que l’honorable M. Smits a copié tout bonnement ce chiffre dans un document dont il ne s’est pas douté de l’inexactitude, et comme il s’est déclaré pour une première fois ami de la pratique, nous avons l’espoir qu’il agira par la suite avec un peu plus de circonspection ; mais je lui dirai, en attendant, que je sais par expérience et pratique que cela ne se pratique pas ainsi en Prusse, et que ces 15 silbergroschen de droit d’entrée sur le tissus de coton qu’il cite, ne sont pas conformes avec le tarif en usage en Prusse ; ainsi vous voyez, messieurs, que puiser des chiffres à la légère est très facile ; mais les conséquences de ces chiffres, voilà ce qui mène très loin.

J’en ai puisé aussi des chiffres. Pour vous donner une idée, messieurs, de l’importance des tableaux statistiques (je pense que la chambre me dispensera de l’énumération de tous les chiffres de ce tableau), mais le résultat de ce tableau est tel que l’entrée des pays étrangers du seul article des tissus en coton écru, blanc ou peint, s’élève, année commune, à environ 40,000,000. Eh bien, messieurs, les tableaux qu’on nous a délivrés et qui ne sont que des compilations des registres de la douane, ne portent les entrées qu’à 5 ou 6,000,000, de manière qu’année commune, l’étranger nous livre pour plus de la moitié des besoins de la consommation de ce seul article.

Ainsi, messieurs, jugez maintenant de la solidité des raisonnements fondés sur des tableaux statistiques, et jugez de la confiance que l’on peut accorder aux arguments d’un directeur du commerce qui ne doit pas exactement rendre compte des tarifs de douanes de nos plus proches voisins.

M. le ministre de l’intérieur et des affaires étrangères a parlé beaucoup du devoir, de l’honneur et de l’intérêt du pays, et c’est précisément à quoi tous les orateurs qui ont combattu le projet tiennent expressément ; et en diminuant les droits sur les vins et les spiritueux, n’est-ce pas une assez grande satisfaction donnée à la France, en raison de ce qu’elle a fait pour recevoir nos matières premières ? Quoi qu’en dise M. le ministre sur les houilles qui sont aujourd’hui pour l’industrie productive, comme pour tout le pays, une matière indispensable et de première nécessité, et même en faisant des concessions sur les vins, est-ce que l’intérêt du pays, du trésor du moins, sera bien ménagé ? Je ne le pense pas, et je crains bien que le trésor n’en souffrira que trop ; et n’est-ce pas là faire assez de sacrifices ? Faut-il encore attaquer, pour complaire à la France, les fortunes particulières, nos industries nationales ? Je pense bien que la chambre ne l’entendra pas ainsi.

Quant aux traités de commerce, M. le ministre nous a dit qu’il ne peut en être question dans les négociations, que les ouvertures à cet égard ne peuvent avoir qu’un caractère officieux. Nous n’avons pas besoin d’apprendre que nos lois ne peuvent se décréter aux Tuileries. Mais on peut y préparer des projets à condition de ratification réciproque par la législature, et je croirai même que l’on y prépare beaucoup plus de projets que nous n’avons lieu de le désirer. Ainsi l’objection faite à cet égard par M. le ministre est absolument superflue.

Quant à M. le ministre des finances, il doit s’être senti dans une situation bien gênée pour se défendre par les moyens qu’il a employés : alléguer des contradictions dans des discours d’honorables membres prononcés à diverses époques, chose qui arrive aussi à l’honorable M. d’Huart, et j’en ai ici la preuve devant moi, dans le Moniteur de septembre 1355, cela n’avance en rien et ne milite nullement en faveur de son projet, pas plus que la légèreté avec laquelle il nous a communiqué une lettre d’un honorable membre de cette chambre écrite à un commissaire commercial à Paris ; cette lettre n’était pas destinée à la publicité : est-ce bien là une conduite à tenir par MM. les ministres à côte de celle tenue lors de la discussion du budget de la guerre ? Alors les pièces demandées étaient considérées du domaine public, et les signataires ne se seraient peut-être pas opposés à la publicité. C’est bien triste une semblable conduite ; elle est bien différente aussi d’un jour à l’autre ; mais elle prouve dans quelle triste situation en est la défense du projet.

L’honorable M. Seron ainsi que l’honorable M. Jullien nous ont modestement engagés à quelques concessions envers la France notre alliée, notre amie ; ils aiment la voir rentrer dans la loi commune : eh bien, tout ce qui est raisonnablement possible d’être fait, la chambre, je pense, a les mêmes intentions et s’empressera de le faire, car toute la discussion doit avoir prouvé à ces honorables membres que ce n’est que dans l’intérêt de la Belgique seulement que parlent les adversaires d’une partie du projet, sans vouloir méconnaître la part à faire à la France.

Mais l’honorable M. Rogier y va plus rudement, et, d’un ton que je ne qualifierai pas, il accuse l’opposition d’être guidée par l’intérêt privé. Sont-ce là des arguments de conviction qui peuvent éclairer la chambre ? C’est comme si je lui disais que les défenseurs du projet sont guidés par un intérêt français.

Les opposants au projet ne sont guidés que par l’intérêt et l’honneur du pays, que par l’amour de la patrie dont ils ont sucé le lait.

Je n’ai entendu qu’un seul orateur sur le projet qui a bien saisi l’intention des divers orateurs qui ont attaqué le projet. C’est M. Devaux : il a compris, cet honorable membre, et il a tellement exposé à la chambre qu’il ne s’agissait pas seulement de se presser à mettre la France dans le droit commun, tout en renversant par des secousses trop fortes l’industrie nationale. Venons-y graduellement, a-t-il dit, et en cela nous sommes parfaitement d’accord. Accordons aujourd’hui encore une faveur sur les vins (car nous en avons déjà accordé une) ; une faveur sur les spiritueux, sur quelques produits chimiques, sur les soieries ; mais arrêtons-nous là pour le moment, sauf à continuer quand nos intérêts nous permettront d’en faire davantage.

Que notre directeur du commerce étudie un peu mieux les dispositions douanières de nos voisins, et s’il trouve que de nouvelles concessions deviennent raisonnablement possibles, qu’on nous les présente après un mûr examen et avec moins de légèreté.

Mais en attendant, messieurs, j’espère que vous accueillerez favorablement ma proposition d’ajournement de quelques articles, dont rien ne milite en faveur du projet. Prenez le temps, messieurs, en aide de la réflexion, ménagez les intérêts nationaux, votez en faveur de ce qui ne peut nuire à la Belgique et refusez ce qui est contraire à ces intérêts : le pays entier admirera votre conduite.

M. le président. - La parole est à M. Smits pour un fait personnel.

De toutes parts. - Il n’y a pas lieu à répondre !

M. Smits. - Messieurs, quand nous sommes toujours sur la brèche pour défendre l’intérêt général contre les prétentions de l’intérêt privé, il n’est pas étonnant que nous soyons exposés aux attaques personnelles ; mais nous n’accepterons jamais ce combat ; nous ne pouvons l’accepter que sur le terrain des faits et des choses, et point sur celui des personnalités. L’opinion que vient d’exprimer M. Manilius est tout à fait anti-parlementaire ; il n’y a pas ici de directeur du commerce ; il y a un député qui remplir loyalement son mandat.

Quant au tarif que j’ai cité, je l’ai pris dans le tarif prussien ; si l’honorable M. Manilius est plus savant que ce tarif, tant mieux pour lui.

Il a voulu aussi critiquer les tableaux statistiques qui ont été présentés relativement aux matières de coton ; mais ses critiques prouvent que les importations se font en fraude, et que les droits, au lieu d’être trop bas, sont trop élevés, voilà à quoi peuvent aboutir les assertions de l’honorable membre.

M. Pirson. - Messieurs, hier mon honorable ami Seron, toujours franc et loyal, a cru devoir exhiber un passeport en règle, sans qu’on le lui demandât, avant d’entrer dans le camp ministériel pour défendre un de ses ouvrages ; moi j’arrive accusé par des hommes de parti d’être porteur d’un faux passeport. Selon eux je suis devenu plus ministériel que les ministres. Cela signifie probablement que je me suis placé à l’avant-garde du camp : pauvre avant-garde qui s’appuierait sur un bâton, seule et unique arme qui convienne à mon grand âge.

Je suis accoutumé à ces sortes d’attaques, parce que de tout temps j’ai lutté contre toute espèce de despotisme sans recherche les faveurs d’aucun parti. La franchise m’a servi de bouclier ; j’ai maintenant 48 campagnes révolutionnaires, et je crois encore être honoré de l’estime de mes concitoyens auxquels cependant je n’ai point épargné la vérité. Je la dirai encore aujourd’hui. Il me semble que l’on s’est fourvoyé grandement dans la discussion actuelle.

Pour qu’il y ait esprit de suite, reportons-nous à quelques faits antérieurs à notre position actuelle. Sous le gouvernement autrichien, nos provinces jouissaient d’une grande liberté commerciale : c’était très bien pour les consommateurs mais l’industrie ne faisait aucun progrès. Sous la république et le grand empire français, nous avons subi toutes les variations qu’entraînent après elles la guerre et une législation de circonstance. Le blocus continental adopté par Napoléon en haine de l’Angleterre a pourtant produit ce bon effet, que chez nous comme en Allemagne, un grand élan a porté les peuples vers l’industrie. Cependant il faut convenir que les mesures acerbes qui devaient nécessairement accompagner l’exécution de ce vaste plan de blocus déplaisaient beaucoup au plus grand nombre des Belges, peu accoutumés à pareille gêne. Mais ces mesures excitaient moins de mécontentement dans l’ancienne France, qui les trouvait presque légères comparativement à celles qui existaient sous les Bourbons avant la révolution.

Lorsque la dislocation de l’empire est survenue, beaucoup de Belges se sont réjouis de leur séparation, quelques-uns notamment, les industries de la frontière, ont conservé des regrets.

La France, dans sa position nouvelle, épuisée par les contributions de l’étranger, a cru devoir former une ceinture de douane telle qu’aucune production étrangère n’entrât chez elle et ne lui enlevât le peu de numéraire qui lui restait. Elle a frappé de prohibition beaucoup d’objets. Du reste, son tarif a été uniforme pour tous les peuples, elle n’a point imprimé le cachet de la haine envers tel ou tel de ses voisins.

Le roi de Hollande, devenu souverain de la Belgique, a pris des mesures de douane exceptionnelles envers la France ; mais c’était en haine et de la France et de ses soi-disant sujets de la frontière qu’il supposait attachés à la France.

L’Angleterre a-t-elle un tarif qui nous soit plus favorable ? Au contraire : eh bien le roi Guillaume nous a laissé inonder des produits anglais ; bien plus, il a ordonné à ses douaniers de protéger et convoyer les contrebandiers qui, par nos frontières, introduisaient des marchandises anglaises en France.

Que voulait le roi Guillaume ? soulever des antipathies entre la France et nous. Etait-ce par amitié pour nous qu’en 1816 et 1817 il défendait la sortie de nos grains par terre, les accaparait, les faisait sortir par mer, et lorsque nous mourions de faim, nous a envoyé quelques milliers de mesures de grains avariés et pourris ? On en a fait des ventes à Dinant et Philippeville ; plusieurs familles sont mortes empoisonnées. Etait-ce par amitié pour ses sujets de la frontière qu’il défendait l’entrée des vins par terre ? non, mais c’était pour favoriser son commerce maritime.

Etait-ce par amitié pour les provinces de Luxembourg, de Namur, de Liège et de Hainaut qu’il laissait arriver et vendre du fer anglais à la porte de nos forgeries ? non, mais il convoitait nos bois ; il les voulait à vil prix, il les a obtenus. Alors il est bien parvenu à leur rendre toute leur valeur.

Etait-ce par amitié pour nous qu’il voulait nous interdire la langue diplomatique de l’Europe ? Eh non : dans son désir haineux, il croyait trouver dans une simple disposition des lettres de l’alphabet une barrière insurmontable entre nous et la France.

Eh ! lui disais-je un jour à la tribune, si vous voulez nous faire oublier la France, gouverniez mieux qu’elle ; cela n’est pas difficile.

Et puis, en résultat, que sont les prohibitions chez nous ? Elles n’ont point de sanction, puisqu’il n’y a pas de recherche à l’intérieur. C’est tout simplement un encouragement à la fraude, car nous ne manquons point des objets prohibés ; ne vaudrait-il pas mieux que le trésor public profitât de tout ce qu’usurpe la fraude ! En vérité cela ressemble un peu à un enfant qui boude et refuse de manger.

Messieurs, la chaleur de la discussion a produit ici un quasi- délire, peu s’en faut qu’on n’ait rayé une partie des griefs qui ont soulevé les populations de la Belgique contre le roi Guillaume, et que nous n’ayons traité d’égoïstes ceux qui nous ont rendu les plus grands services

Reprenons nos sens, et voyons les choses telles qu’elles sont. Nous sommes heureux d’être séparés de la Hollande. Si nous voulons conserver notre indépendance politique, conservons notre indépendance commerciale : frappons de droits protecteurs toutes les provenances étrangères, par quelque frontière qu’elles arrivent ; demandons un peu plus que la fraude et l’on ne fraudera plus. Ne songeons ni à la confédération commerciale de l’Allemagne (les produits de ce pays n’arrivent déjà que trop chez nous), ni au renversement de la douane entre la France et nous, car alors il nous faudrait subir de tous les autres côtés non seulement le tarif français mais tout son cortège, les recherches à l’intérieur, les monopoles du sel, du tabac, etc.

Nos Belges ne sont point accoutumés à tant de gêne ; il leur faut liberté raisonnable en tout, en commerce comme en politique, j’ai presque dit en religion : ils y arriveront.

Eh quoi, nous sommes en progrès, tous nos ouvriers sont dans l’aisance, lorsque chez nos puissants voisins il y a crise, et nous nous refuserions à retrancher de notre code commercial ce qui le dépare et nous porte plus de préjudice que de droit. Je veux dire les prohibitions !

Croyez-moi, l’industrie de ce pays est assez avancée pour ne plus craindre celle de nos voisins ; ce qui la distingue, messieurs, c’est la probité de nos industriels ; nous fabriquons plus solidement que les Anglais ; il y a beaucoup de charlatanisme dans ce pays, toutes leurs drogues ne sont point liquides, ce qu’ils font de bon est très cher.

Nous avons bien plus d’avantages qu’eux sous le rapport de la main-d’œuvre.

Quand notre système et ses résultats seront bien appréciés par nos voisins, nous aurons des imitateurs. Ayons quelque confiance en nous-mêmes, ayons aussi quelque patience, et ne nous présentons point à des voisins puissants en posture de commandement.

Nous ne pouvons nier que la France a fait le premier pas vers nous. C’est autant dans son intérêt que dans le nôtre, dit-on ; mais, messieurs, cela doit être ainsi ; s’il en était autrement, si une nation devait profiter aux dépens de l’autre, il y aurait duperie pour celle-ci ; il faut en toute convention qu’il y ait avantage réciproque.

Notre position est belle, il y a accord entre tous les grands pouvoirs ; point de troubles à l’intérieur, point de crise commerciale, point d’embarras financiers, point de malaise dans la classe ouvrière ; nous n’avons que des félicitations à nous adresser et non des reproches.

Je voterai sur les articles dans le sens du discours que je viens de prononcer.

M. Zoude. - J’ai à répondre successivement à deux de MM. les ministres : d’abord à celui de l’intérieur, pour une assertion qu’il a avancée dans la séance du 22, et contre laquelle j’ai demandé la parole ; et ensuite à M. le ministre des finances, qui m’a adressé des reproches aussi impétueux que nombreux.

Répondant à M. le ministre de l’intérieur, je veux seulement lui faire remarquer que je le crois en erreur lorsqu’il a dit que la France a livré exclusivement aux houilles beiges la zone de St-Malo à nos frontières.

Il n’en est rien, messieurs, et la chambre française, par l’organe du rapporteur de sa commission, a déclaré qu’en refusant à l’Angleterre l’approvisionnement par mer de tout son littoral et en maintenant à la Belgique une préférence, a eu moins en vue l’intérêt de ces deux puissances que celui de ses propres houillères. Et le ministre Thiers s’empresse d’ajouter que si le droit avait été réduit de la frontière du nord à St-Malo, les charbons anglais en auraient exclu ceux du nord de la France et de la Belgique ; il explique ensuite comment, en favorisant l’entrée des houilles belges, on procurait aux département du Nord, de l’Oise et de la Somme, un bénéfice de 3 millions, résultant de l’augmentation de valeur, qu’acquièrent nos houilles rendues aux grands marchés de consommation.

Il est encore une autre raison pour laquelle les Anglais s’abstiennent de livrer la houille au littoral de la Manche, c’est qu’il n’y aurait que peu ou point de marchandises à charge en retour.

Et si le droit a été plus élevé ensuite de St-Malo aux sables d’Olonne, c’est qu’il a fallu y protéger les houillères du centre auxquelles les houilles étrangères auront livré une concurrence redoutable ; mais il n’en est pas de même pour la zone des sables d’Olonne à sa frontière d’Espagne. Là, il n’y avait pas lieu à protéger le houilles françaises, qui ne peuvent y arriver, aussi le droit y a été réduit à l’égal de celui de nos frontières, et ce littoral est exclusivement livré aux navires anglais, d’abord parce qu’en échange des houilles, ils sont toujours certains de trouver des cargaisons complètes à Bordeaux, Marseille et autres ports, tant en vins, huile, eaux-de-vie, etc., et puis parce que, favorisés par le traité de navigation du 26 juin 1826, ils ne paient par 1,000 kil. de houille que 3 fr. 30, tandis que les Belges traités comme étrangers sont soumis au droit de 8 fr ; 80 c., ce qui constitue à notre préjudice une différence de 5 fr 50 c. Aussi les vins qui, avant la loi de faveur tant préconisée, nous arrivaient par navires nationaux, sont importés maintenant par bâtiments anglais ou français.

Voilà, messieurs, l’explication des prétendus privilèges qu’au dire d’un orateur, dans la séance du 24, le gouvernement français nous a accordés à l’exclusion de l’Angleterre.

Dans la séance d’hier, M. le ministre de la guerre nous a dit que la prévoyance d’un événement de guerre était restée (si je l’ai bien compris) en dehors des motifs que le gouvernement français a fait valoir dans la conférence avec les commissaires belges ; que si cette guerre éclatait, la Belgique pourrait aussi bientôt être fermée à la France.

Je réponds qu’il était naturel que le gouvernement ne nous donnât pas d’abord gain de cause en avouant d’abord la position dans laquelle se trouvaient les fabriques françaises si un événement quelconque venait à les priver des houilles anglaises.

Mais ce que n’a pas dit le gouvernement dans la conférence, il l’a dit à la tribune, et avec lui plusieurs orateurs. Il faut, a dit Duchâtel, que la Belgique et le Nord de la France soient en mesure de faire concurrence à l’Angleterre et de suppléer à ses envois, s’ils venaient à manquer. Si vous aviez ruiné les transports par la voie des canaux, le jour où arriveraient quelque événement dont il plaise à Dieu que nous soyons préservés, combien le gouvernement serait accusé d’imprudence et d’imprévoyance, et combien, disait M. Thiers, il serait malheureux au pays de faire dépendre toute son industrie d’une déclaration de guerre que le moindre incident peut amener !

Mais, a objecté l’honorable ministre, la Belgique pourrait lui être fermée aussitôt. Je crois, messieurs, qu’au premier instant d’une déclaration de guerre, le premier mouvement de la France serait de faire porter précipitamment ses armées beaucoup au-delà de nos frontières, et que de nombreuses légions françaises élèveraient promptement une barrière entre nous et les puissances belligérantes.

La France serait à demi-vaincue le jour où elle laisserait envahir notre territoire par les armées ennemies.

Je ne puis quitter la houille sans répondre quelques mots à M. le ministre des finances, qui a avancé que la houille n’était pas un objet qu’on pût appeler matière première, et je lui dirai avec M. Odillon-Barrot qu’elle est plus que matière première, que c’est une puissance naturelle, une force motrice comme l’air, comme l’eau, qui précède toutes les fabrications, qui augmente la force de l’homme, etc., et c’était aussi ce qu’exprimait Duchâtel, lorsqu’il disait que la valeur de 6 à 7 millions de houille créait chaque année des produits pour plusieurs centaines de millions.

Dans la séance du 19, j’ai dit que les houilles belges avaient des qualités dont celles d’Angleterre sont dépourvues ; cette assertion a été critiquée par certain journal, et quelques membres de la chambre m’ont paru douter de son exactitude.

Si, à l’appui de mon opinion, j’invoquais le témoignage de quelques noms belges qui font autorité en cette matière, on pourrait soupçonner de la partialité ; c’est pourquoi j’irai chercher mes preuves ailleurs, et c’est au témoignage de la France elle-même que j’en appelle ; là, d’abord, je trouve à la tribune du 26 avril 1836, un orateur, M. Barbel, de Rouen, qui déclare qu’à prix égal, « la houille belge sera toujours préférée sur les marchés français, parce qu’elle fournit plus de calorique dans un volume donné, et qu’elle n’attaque pas les métaux comme cela arrive à la houille anglaise. »

Et dans la même séance, le ministre du commerce dit que les charbons de Mons sont ceux qu’on recherche pour les chaudières, que ce sont aussi ceux qu’on emploie à Rouen.

J’ajouterai à ces témoignages ce que je lis dans les archives du commerce de France, tome 9, page 255 : « La presque universalité des industriels de Bordeaux, qui possèdent des usines à chaudière, affirment, et ce fait ne saurait être contesté, que la spécialité de leurs travaux et la nature du feu qu’ils exigent, leur prescrivent l’indispensable emploi de charbons belges ; et la meilleure preuve, c’est qu’ils vont, à cher denier, réclamer ces charbons à l’étranger. »

Ce que l’expérience démontre ici, messieurs, nous pourrions l’expliquer par des raisons physiques ; mais cela sort du domaine de la discussion.

J’adresserai encore en passant un mot à l’honorable M. Smits, qui nous a dit que c’est à la sollicitation du gouvernement, que l’on doit la disposition de la loi du 5 juillet qui a fait disparaître de la prohibition les applications sur tulles d’ouvrages en dentelle de fil, ce qui nous a rendu, dit-il, un service véritable.

Eh bien, messieurs, pour apprécier l’importance de ce service et les efforts qu’il a fallu faire pour l’obtenir, je transcrirai la partie du rapport de la commission en ce qui concerne cet objet ; la voici :

« Les applications sur tulles d’ouvrage en dentelle se composent de fleurs et fonds faits avec du fil de lin sur tulles, dont la valeur est de 1/15 et même de 1/30 dans celle de l’objet appliqué. » (Et non de 1/10, comme l’a dit avec certaine intention M. Smits.)

« Jusqu’à présent, » continue le rapport, « on avait traité l’accessoire comme le principal, mais le tulle est tombé si bas que la valeur de la matière dont se forment ces applications est à peine appréciable.

« La réserve qu’on a voulu faire à la main-d’œuvre du travail de l’application est sans importance. Ce travail est ingrat et mal payé ; les essais qu’on a faits n’ont pas réussi, et le commerce s’adresse à la contrebande pour se procurer les dentelles d’application, dont la prime est de 6 à 8 p. c. »

Messieurs, cette concession a l’air de ressembler beaucoup celle qu’on a dit faite dans l’intérêt du Luxembourg, je veux dire la réduction de 25 francs sur le droit d’entrée des chevaux en France. (Voir ce qu’a dit à ce sujet le ministre de la guerre). C’est à M. le ministre des finances que j’ai à répondre ; je serai court et modéré autant que ses attaques ont été impétueuses et multipliées.

Je dirai que quand j’ai attaqué le projet, je l’ai fait avec cette conviction, dont je suis encore pénétré, qu’il est hostile au pays et destructif de plusieurs de nos industries. J’ai dû le repousser dès lors avec toute l’énergie dont je suis capable, et je le dis avec vérité, d’après la précision que j’ai des conséquences funestes dont son adoption serait le résultat, si j’avais été au pouvoir, oui, je l’eusse abdiqué plutôt que de devenir l’instrument de la ruine d’une partie de nos industries.

Mais est-ce à dire pour cela que les deux ministres, auteurs du projet, auraient fait preuve de déloyauté ? Mais une telle inculpation, avant de sortir de ma bouche, eût dû être dans mon cœur ; or, messieurs, j’ai dans toutes circonstances fait preuve des sentiments de profonde estime que je n’ai cessé de professer à leur égard.

Je me suis adressé à des convictions contraires à la mienne ; le ministre a déjà essayé de les justifier en partie, je crois même qu’il a invoqué des considérations puisées dans la sphère élevée où il se trouve placé, et qui échappent à ceux qui sont en dehors.

Du reste, j’ai entendu avec plaisir M. le ministre nous dire que si, dans la discussion des articles, des concessions projetées tournaient réellement au détriment ou à la perte de quelques-unes de nos industries, il serait le premier à s’y opposer, lorsque la chose lui sera démontrée. J’espère que la démonstration lui en sera faite, et que nos convictions se rencontreront.

Mais il a dit qu’il ne reconnaissait à personne, je crois, le droit de censurer les actes du gouvernement ; je lui ferai remarquer cependant qu’il ne s’en est pas fait faute comme député, et qu’il a souvent, et avec l’énergie qu’on lui connaît, attaqué les actes du pouvoir, et dans des cas qui avaient cependant fort peu d’analogie avec ce qui se passe maintenant.

On a dit que si la Belgique s’associait aux douanes allemandes, elle s’attirerait des mesures terribles de représailles de la part de la France. Ecoutons encore ici le président du conseil ; il dit : « Si les Belges s’associent aux douanes allemandes, ils feront chose bien dommageable à la France. Mais alors même y aurait-il justice de lui fermer un débouché existant ? ce serait une iniquité intolérable ? »

M. le ministre, en convenant que j’étais resté invariable dans mon système commercial, dit que j’ai toujours été partisan de la prohibition. Je n’ai jamais été partisan de la prohibition que par réciprocité ; je le suis au contraire d’un système libéral, puisque souvent j’ai émis le vœu que la barrière de douanes soit levée entre nous et la France. J’ai dit également et répété qu’à défaut de la France, il fallait solliciter notre incorporation au système douanier allemand ; j’étais donc si peu restrictif, que dans un cas, je voulais la liberté entière entre 36,000,000 de producteurs et consommateurs, et dans le second avec 30,000,000. J’ai dit que la position de la Belgique devant lui faire désirer qu’il n’y eût plus de douanes sur le continent ; que si quelques industries de la Belgique auraient pu en souffrir, cette liberté générale aurait été profitable à la majorité.

Je suis partisan de la prohibition, dites-vous ; eh bien, dans la première section dont j’étais le rapporteur, j’ai proposé, et cela est inséré dans le rapport de la section centrale, de remplacer la prohibition des draps par un droit de 15 p. c. ; eh bien, cette proposition qui a été admise, j’aurais cherché à la faire prévaloir à la section, lorsqu’une nouvelle des plus fâcheuses est venue m’arracher à ses travaux ; je ne suis donc pas prohibitionniste absolu comme le dit M. le ministre.

Mais resserrés dans une enceinte aussi étroite que celle de la Belgique, et admettre tous les produits étrangers et lorsque l’étranger refuse les nôtres, j’ai dit et je le proclame, qu’appliquer un pareil système c’est se déclarer l’ennemi de son pays.

Donner beaucoup de travail à la classe ouvrière, voilà tout mon système commercial.

M. le ministre nous a dit qu’il ferait aussi valoir l’intérêt du consommateur.

Je l’attendrai avec tranquillité sur ce terrain lorsque le combat sera ouvert sur cette matière. Entre-temps je lui dirai que lorsque dans l’intérêt des fabricants de grains et pour les protéger dans les jours de détresse, vous prohibez l’entrée des grains étrangers, les fabricants d’autres produits qui souffrent parce que vous les forcez à manger du pain plus cher, n’ont-ils pas le droit à leur tour à une protection, quand même elle pourrait par un instant opérer quelque renchérissement dans les objets de consommation des cultivateurs ?

Dans l’état de société on doit s’entraider et se faire des concessions mutuelles.

M. le ministre de la guerre a voulu détruire une à une toutes les concessions que nous avons faites depuis longtemps à la France. Pour le réfuter, je voudrais bien qu’il nous communiquât les arguments irréfragables qu’il a fait valoir lui-même comme négociateur près du gouvernement français, et je lui demanderais avec confiance de quel côté sont ses convictions ; je crois que je les établirais facilement moi-même, mais cela m’’entraînerait pour le moment au-delà des bornes de la discussion.

J’allais presque oublier de parler d’une lettre que j’ai écrite à l’un de nos commissaires à Paris, qui siège aujourd’hui au banc des ministres, et sans avoir rien à désavouer de ce que j’ai écrit alors, je demanderai d’abord comment il s’est fait que cette lettre se soit trouvée en mains de M. le ministre des finances ; je demanderai ensuite s’il est bien dans les convenances de donner de la publicité à une lettre particulière, sans la participation de celui qui l’a écrite. Il est vrai qu’en l’écrivant, j’avais bien l’espoir que l’admission en France du fer forgé au bois serait un immense bienfait pour ma province ; mais pourquoi le rapport de la députation provinciale est-il venu me désabuser ? on y lit en effet que les exportations de nos fers n’ont subi aucun changement et sont d’une rare insignifiance.

Je regrette que le discours de l’honorable ministre de la guerre, qui a cité mon nom plusieurs fois dans la séance d’hier, ne soit pas reproduit au Moniteur ; j’aurais eu probablement à répondre à quelques-unes de ses objections ; je me réserve de le faire, s’il y a lieu dans la discussion des articles.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Je rappellerai à l’assemblée que nous n’avons en aucune façon attaqué M. Zoude ; nos arguments aussi impétueux que nombreux, comme il vient de le dire, lui ont été opposés en état de légitime défense.

Si maintenant ce membre n’attribue pas une grande portée aux paroles par lesquelles il a incriminé le gouvernement, je regrette qu’il n’ait pas pesé ses expressions, et qu’il n’ait pas mieux senti ce qu’elles renfermaient d’injurieux à notre égard ; dans tous les cas, c’est en vain qu’il chercherait à prétendre que son discours a rencontré la modération convenable. Revoyons-en le passage contre lequel je me suis particulièrement élevé : « Ce sont des ministres belges, disait M. Zoude, qui vous le proposent (le projet de loi) ; ce sont des ministres qui ont fait preuve de patriotisme et qui jouissent de notre confiance tout entière ; mais nous le disons avec un profond regret, infidèles à leurs antécédents, plutôt que d’abdiquer le pouvoir, ils ont eu le courage de venir vous proposer l’anéantissement d’une partie de vos industries. »

Que veulent dire ces expressions, si ce n’est que nous avons été soumis à la volonté du gouvernement français ? ce doit être là la pensée de ce passage, s’il a un sens. Vous avez donc supposé que la condition de notre maintien au pouvoir était la présentation du projet de loi ! Mais depuis quand le gouvernement belge se soumet-il à la volonté d’un gouvernement étranger ? Nous avons repoussé, avec une juste indignation, cette sortie, et je ne crains pas de dire que nous ne serions pas dignes de votre confiance si nous avions pu supporter, sans y répondre avec énergie, des attaques aussi offensantes que celles-là.

Une chose assez étrange toutefois, mais qui est de nature à nous consoler, c’est que, dans cette circonstance, notre sort est le même que celui qu’ont eu les ministres français en soutenant la contrepartie de la loi que nous discutons. On dirait même que M. Zoude n’a fait que copier certaines imputations produites par des orateurs français, pour combattre la loi confirmative des ordonnances qui, dit-on ici, ne nous ont rien accordé de très utile. En effet, que disait M. Glaïs Bizoin lors de la discussion de cette loi ?

« Je déclare que la pensée de cette loi semble plutôt avoir été conçue à Bruxelles qu’à Paris ; elle me semble plutôt appartenir à une administration belge qu’à une administration française. »

Voilà les reproches que l’on adressait au gouvernement français quand on combattait une loi qui, à entendre certains membres de cette chambre, n’est qu’un leurre pour la Belgique. Cela prouve, messieurs, qu’en France comme en Belgique, il est des personnes qui ne tiennent pas compte des faits et du passé, ou les apprécient différemment.

M. Lardinois. - Ce projet a été modifié considérablement !

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Il faudrait nous démontrer qu’il a été modifié d’une manière sensible, autre part que pour les toiles.

Je vais, messieurs, vous citer un article qui concerne le Luxembourg, et vous verrez encore si en France on était d’avis que le tarif n’a été modifié que d’une manière illusoire sur cet article qui est celui des chevaux :

« Je reviens à la question belge, disait M. Glaïs Bizoin. Vous connaissez le nombre total des importations des chevaux étranger sur le territoire français. Il est de 10,000. Eh bien, la part de la Belgique seule est de 5,440 dans ce total. C’est à vous maintenant à décider si vous voulez ouvrir vos portes plus largement. Quant à moi, je ne demande point d’augmentation de droits, mais la conservation du tarif actuel me paraît indispensable, alors surtout que l’élève des chevaux est en progrès, et que ce progrès pourrait être retardé si l’on touchait aux droits existants… »

Voilà, messieurs, ce que les orateurs français disaient pour combattre la loi que vous regardez comme étant de pur intérêt français.

Mais, nous a objecté M. Zoude, le gouvernement français a abaissé de moitié le droit sur les chevaux, parce que cette moitié est l’équivalent de la prime de la fraude.

Pensez-vous, messieurs, que les marchands belges, que ceux qui élèvent des chevaux ne préfèrent pas beaucoup faire entrer leurs chevaux sans encourir les risques de la fraude ? croyez-vous aussi que ceux qui viennent acheter des chevaux n’ont pas plus de confiance en payant des droits au gouvernement, qu’en les payant aux fraudeurs ? Cette disposition, je le sais, est particulièrement utile au trésor français, mais elle est avantageuse aussi pour nous ; et vous voyez d’ailleurs comment elle a été comprise en France.

Pour le fer on s’obstine à prétendre ici que la disposition adoptée dans le tarif français ne nous est guère favorable ; que nous n’avions pas besoin de ce débouché. Eh bien, voyons ce que disait un député français du département du Nord, contrée la plus intéressée dans la question des fers. M. Dumont s’exprimait ainsi :

« Je ferai observer que le droit de 4 fr. sur les fontes de Belgique est tel qu’il rend sans inconvénient le droit que je propose sur les fontes d’Angleterre ; car, encore une fois, de quelque côté que vienne la concurrence, le résultat est le même. Les fontes de Belgique, qui n’ont qu’un transport de 25 à 30 centimes à payer par 100 kilog. des lieux de production jusqu’à Maubeuge, pourront arriver à Paris moyennant un fret de 15 à 18 fr. par tonne de 1,000 kilog. et l’on conçoit qu’elles pourront facilement arriver sur les marchés français. »

« … Revenons, disait le même M. Dumont, au droit de 4 fr. qui s’applique au profit de la Belgique sur toutes nos frontières du nord et de l’est à partir du bureau de Blanc-Misseron ; je répéterai ce que j’ai eu l’honneur de dire à la chambre : c’est qu’il doit avoir des conséquences graves pour le pays. Ces conséquences sont telles que déjà la Belgique entre en possession de notre marché, qu’elle l’aura tout à fait envahi avant dix ans, et qu’elle pourra alors vomir sur la place de Paris même des centaines de millions de kil. s’il lui en prend fantaisie.

« Qu’on ne croie pas cependant que je veuille repousser les produits de la Belgique, loin de moi une pareille idée. Je tiens plus que personne à faire acte de bon voisin vis-à-vis d’elle, et à lui témoigner toute ma sympathie. Mais il faut qu’on sache bien quels sacrifices nous lui faisons, afin qu’on apprécie mieux les avantages commerciaux que nous sommes en droit attendre.

« … Que sera-ce, ajoutait ce député, quand elle (la Belgique) nous aura sillonné son territoire de chemins de fer, qu’elle aura aussi établi (ce que déjà elle est en train de faire) des voies de communications rapides et économiques, des minières au centre des usines, et des usines aux houillères ? Que deviendra notre fer quand une fois elle aura satisfait à ses propres besoins, et qu’elle se présentera sur nos marchés avec tous les moyens de production à si bas prix, elle qui, pour arriver chez nous, a à peine payer 25 à 50 centimes de frais de transport par 100 kilog. ? »

M. Lardinois. - C’est une phrase !

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Ainsi, ce sont des phrases que l’on prononce aussi dans cette enceinte contre le projet ? En France, comme en Belgique, les députés de la nation parlent avec conscience ; ils parlent sur des faits qu’ils regardent à tort ou à raison, mais de bonne foi, comme constants.

Messieurs, je ne vous ennuierai pas par d’autres citations de discours prononcés dans le même sens en France.

Quoi qu’il en soit, on ne peut méconnaître les avantages réels qui sont résultés pour nous des ordonnances de 1835, et de la loi de 1836 qui les a confirmées.

L’honorable M. Zoude vous a parlé de nouveau de la houille. Il a contesté qu’on pût la considérer autrement que comme une matière première, éminemment utile à notre propre industrie.

Déjà l’honorable M. Rogier a démontré clairement que les millions qui proviennent de la vente des houilles, étaient toujours de la même valeur quelque fût la nature de cette substance, et qu’il suffisait que ces millions fussent assurés à la Belgique.

Mais je demanderai à M. Zoude qui regarde, avec raison, je le reconnais, la houille comme agent si essentiel à nos propres industries, s’il veut empêcher les houilles de la Belgique d’en sortir ?

M. Lardinois. - Il ne s’agit pas de cela !

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - On attaque, on fait des observations ; au bout de tout cela, il faut bien qu’il y ait des conclusions.

M. Lardinois. - Il n’y a personne qui conteste ce que vous demandez !

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Vous l’avez contesté, vous, et d’autres orateurs, que la houille soit autre chose qu’une matière première.

M. Lardinois. - Je défie qu’on le prouve !

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - On avait attaqué notre projet dans ses bases et dans son origine, il nous fallait prouver que, et pour les bases et pour l’origine de ce projet, ceux que nous combattons aujourd’hui étaient de notre avis il y a deux ans ; ils ne doivent pas pour cela sans cesse m’interrompre.

L’honorable M. Zoude s’est étonné que ce fût moi qui eusse cité la lettre écrite par lui à notre collègue le général Willmar, mais que ce fût moi qui eusse donné lecture d’un passage de cette lettre ; mais rien de plus naturel. Croyez-vous qu’en nous disant, en d’autres termes, que nous sommes ennemis du pays, que nous soutenons d’autres intérêts que des intérêts belges, de semblables accusations doivent nous trouver impassibles ? Croyez-vous que nous puissions les laisser passer sous silence ?

M. le général Willmar, étonné de ce que M. Zoude fût l’auteur de l’inculpation que j’ai relevée, quand il avait eu en main une pièce qui devait interdire de semblables imputations à cet honorable membre, me communiqua cette pièce qui n’est pas une lettre privée, puisqu’elle a été adressée à un commissaire du gouvernement et qu’elle traite exclusivement d’une affaire publique.

Il était important, messieurs, que ce document fût connu, n’importe par lequel des ministres, la défense leur étant commune.

Ceux des honorables membres qui s’opposent au projet et qui ont, à vos yeux, des connaissances spéciales en commerce et en industrie, pouvaient avoir exercé trop d’influence sur vos esprits pour qu’il nous fût permis de laisser passer sous silence les contradictions dans lesquelles ils étaient tombés ; il était essentiel pour nous de réduire à sa juste valeur l’effet des derniers discours qu’ils ont prononcés devant vous. Nous ne devions négliger aucune bonne raison dans la défense du projet que nous avons consciencieusement déféré à vos délibérations.

M. Lardinois. - Messieurs, je ne puis m’empêcher de considérer la conduite du ministre des finances comme une conduite de tactique ; il ne recule devant aucune assertion afin d’arriver à son but.

Tout à l’heure, pour intéresser les députés du Hainaut, il a avancé que les députés qui ont combattu le projet voulaient empêcher la sortie de la houille.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Je n’ai pas dit un mot de cela.

M. Lardinois. - Vous avez dit que nos arguments concluaient à empêcher la sortie des houilles du Hainaut, et vous avez ajoute que moi-même j’ai demandé que les houilles ne puissent pas sortir du pays. Eh bien, je vous défie formellement de prouver que j’ai avancé une pareille absurdité, qui est incapable d’entrer dans ma pensée.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Il est très commode, messieurs, de combattre avec les armes dont se sert l’honorable préopinant ; il est très aisé de venir dire : Je vous défie de prouver telle assertion, quand on n’a pas songé le moins du monde à avancer cette assertion ; vous n’avez pas besoin de me défier de prouver la vérité des paroles que vous m’attribuez, car il ne m’est pas venu à l’idée de les prononcer. Je n’ai pas dit un seul mot de tout ce que vous me faites dire. Voici les choses comme elles sont : l’honorable M. Zoude avait parlé de l’importance des houilles pour notre propre industrie ; il avait cherché, par les considérations qu’il avait fait valoir à cet égard, à amoindrir l’avantage qu’il y a pour nous à pouvoir exporter de la houille ; sur ces observations, j’ai demandé à l’honorable M. Zoude quelle conclusion il voulait en tirer, je lui ai demandé s’il voulait que la houille ne pût plus sortir du pays. Voilà une question que j’adressais exclusivement à M. Zoude.

J’ai fait remarquer ensuite que M. Lardinois, qui m’interrompait, avait aussi indiqué la houille comme une matière première ; mais il ne m’est pas venu à la pensée de dire qu’il était dans l’intention de l’honorable membre de vouloir empêcher la sortie de la houille. On a donc eu grand tort de nous attribuer des attaques auxquelles nous ne nous sommes pas livrés, auxquelles nous n’avons même pas songé. Nous défendons nos propositions avec des armes convenables et parlementaires ; si nous avons cru devoir, dans l’intérêt de cette défense, citer des passages de discours qui ont été prononcés dans cette enceinte, il n’y a rien en cela qui puisse justifier les interpellations du préopinant.

M. Pirmez. - Messieurs, si ceux qui ont présenté le projet et ceux qui l’ont défendu n’avaient pas été attaqués avec tant d’aigreur, je n’aurais pas pris la parole dans la discussion actuelle, parce que, pour défendre le projet, je me trouve en quelque sorte placé sur un terrain isolé ; car ceux qui ont défendu le projet comme ceux qui l’ont attaqué ont toujours raisonné dans ce sens que, lorsqu’une nation lève une prohibition quelconque, elle fait un avantage à une autre nation, tandis que je suis convaincu, moi, que c’est la nation qui lève la prohibition qui se procure un véritable avantage. Comme je suis à peu près le seul dans cette enceinte à professer cette opinion, je n’aurais pas pris la parole pour l’énoncer dans cette occasion, si on n’avait pas attaqué avec tant d’aigreur ceux qui ont présenté ou défendu le projet, mais comme on leur en a fait un crime, il me semble qu’il y aurait une espèce de lâcheté, quand on considère le projet comme favorable à l’intérêt général, à ne pas exprimer hautement sa conviction à cet égard. C’est pour cela que j’ai demandé la parole.

Je dis que le projet est favorable à l’intérêt général, et je vais expliquer comment j’entends l’intérêt général : l’intérêt général d’une nation, c’est de se procurer le plus facilement possible, avec le moins de travail possible, toutes les choses désirables ; ainsi, lorsqu’on se procure une chose quelconque avec facilité, avec peu de travail, c’est un avantage pour la nation considérée en masse et abstraction faite de toutes les industries particulières. Lorsqu’on nous présente un projet de loi qui doit contribuer à assurer cet avantage à la nation, on fait, selon moi, un acte conforme à l’intérêt général ; lorsqu’on cherche à laisser introduire dans le pays les objets que d’autres nations produisent à meilleur compte que nous, on fait un acte conforme à l’intérêt général. Il est vrai de dire toutefois qu’en prenant des mesures de cette nature on froisse des intérêts particuliers ; c’est pourquoi j’ai toujours soutenu qu’il ne faut lever les prohibitions qu’avec des précautions excessives ; car les intérêts particuliers sont excessivement vivaces, excessivement forts : lorsqu’il s’agit de lever une prohibition quelconque, la masse qui est lésée par cette prohibition fait peu d’efforts pour la faire disparaître, tandis que les intérêts particuliers qui en profitent remuent ciel et terre pour la maintenir. C’est surtout dans les gouvernements constitutionnels que le système prohibitif trouve le plus d’appui, parce que là, pour parvenir aux charges publiques, il faut se faire de nombreux amis et qu’on ne peut obtenir ce résultat en froissant des intérêts particuliers, ce qu’il est impossible de ne pas faire lorsqu’on supprime des prohibitions.

L’observation que je viens de faire explique le langage qui a été tenu en France à l’occasion des modifications que ce pays a introduites dans son tarif de douanes ; dans une assemblée comme la chambre française, où les grands industriels ont une si grande influence, il est impossible que les ministres et les députés qui ont leurs places à conserver, les électeurs à ménager, ne parlent pas comme ils ont parlé. Les arguments qu’on a voulu tirer de ce qui a été dit en France, en faveur du système prohibitif, n’ont donc qu’une bien mince valeur.

On a, je crois, messieurs, dans cette discussion, fait l’éloge des primes d’exportation : mais, que fait un gouvernement quand il accorde des primes d’exportation ? Il fait cadeau aux autres peuples d’une partie du travail de sa propre nation. Si par exemple la France nous donnait ses draps pour rien, croyez-vous qu’elle ne ferait pas là quelque chose d’avantageux pour nous ? Certainement oui, puisqu’elle vêtirait gratuitement toute la population de la Belgique. Mais si, au lieu de nous donner ses draps pour rien, elle accordait à ses fabricants une prime d’exportation de 50 ou de 25 p. c., et nous donnait ainsi ses draps pour la moitié ou les trois quarts de leur valeur, n’entrerait-elle pas de cette manière pour une moitié ou pour un quart dans les frais d’habillement des habitants de la Belgique ? Je ne conçois donc pas comment on peut soutenir qu’il est de l’intérêt d’une nation d’accorder des primes d’exportation.

On a aussi parlé de réciprocité, et, si j’ai bien compris les honorables membres qui nous ont entretenus à cet égard, ils ont dit que la réciprocité consiste à échanger les produits d’un certain travail contre les produits d’un travail semblable ; de manière que si nous échangeons par exemple le travail de mille ouvriers belges contre le travail de cent ouvriers français, nous trouverions un grand avantage dans cet échange ; je crois, messieurs, que c’est là une grave erreur ; je crois que si nous échangions le travail de cent ouvriers belges contre celui de mille ouvriers français, nous serions dix fois plus riches que la France.

En résumé, messieurs, je voterai en faveur du projet si la chambre l’adopte tel qu’il a été présenté par le gouvernement, parce que je désire beaucoup voir faciliter les relations commerciales entre la France et nous, c’est-à-dire abaisser graduellement et enfin lever tout à fait les barrières qui entravent le commerce des deux pays ; mais si l’on veut en adopter les dispositions qui conviennent à certaines localités et rejeter les autres, alors je les repousserai. Je dois dire en terminant que MM. les ministres qui ont présenté le projet, et qui ont été si vivement attaqués de ce chef, ont donné une véritable preuve de courage, puisque dans l’intérêt général, il n’ont pas craint de se mettre en opposition avec les intérêts privés, qui ne pardonnent jamais.

M. Dumortier. - Au point où en est venue la discussion, je n’aurai plus que peu de mots à ajouter à ce que j’ai dit dans une séance précédente. Je dois un mot de réponse à quelques orateurs qui ont paru vouloir me mettre en contradiction avec moi-même, et qui me semblent avoir perdu de vue la différence immense qui se trouve entre la position actuelle et celle où nous étions lors de la discussion de la loi cotonnière.

De quoi s’agissait-il alors ? Il s’agissait, messieurs, d’établir des droits prohibitifs, d’établir l’estampille et la recherche sur une grande quantité de marchandises. De quoi s’agit-il aujourd’hui ? d’abaisser des droits à un taux tel qu’il est facile de prévoir dès à présent que ces réductions amèneraient inévitablement la ruine de plusieurs de nos industries.

Vous voyez donc, messieurs, que la position à laquelle on fait allusion est absolument différente de celle dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui.

Lorsque M. le ministre des finances a prétendu tout à l’heure me mettre en contradiction avec moi-même, il a dû reconnaître pourtant que j’avais toujours été conséquent avec mes principes ; ces principes, vous les connaissez tous. Je n’ai jamais voulu et ne veux pas encore de prohibition que dans des cas infiniment rares, lorsque les matières premières que le pays produit ne suffisent par pour l’industrie nationale ; dans tous les autres cas, j’ai toujours été ennemi des prohibitions.

Vous savez aussi, messieurs, pour quel motif j’ai déclaré être l’ennemi de la liberté du commerce, comme plusieurs membres de cette chambre l’entendent ; ce motif est bien simple : Lorsque l’étranger, de toutes parts, refuserait nos produits, pourrions-nous recevoir les produits étrangers ? Ne serait-ce pas manifestement courir à notre ruine que d’adopter un système semblable ?

J’ai assez de confiance dans l’industrie de la Belgique, pour croire qu’elle pourrait lutter avec avantage contre l’industrie des nations étrangères, si celles-ci prenaient le parti de renoncer au système prohibitif. Mais vouloir, en présence des prohibitions qui nous entourent de tous côtés, réduire notre tarif des douanes à peu près au chiffre de zéro, c’est évidemment jouer le rôle de dupes ; et ce rôle, je ne consentirai jamais qu’il soit celui de mon pays.

M. le ministre des finances, ne trouvant donc pas à me mettre en contradiction avec moi-même, quant à mes principes, s’en rejette, pour prouver que j’étais en contradiction, sur une proposition que j’ai présentée relativement à la réciprocité en matière de douanes.

J’aurai l’honneur de faire remarquer ici la différence immense qui existe entre les principes que j’ai toujours professés, et la question assez minime que le ministre des finances a rappelée.

Qu’est-ce en définitive que la réciprocité en matière de douanes ? Est-ce une question de principe ? pas le moins du monde. Est-ce une question de système ? pas encore. C’est simplement l’appréciation d’une évaluation ; car il est certain qu’en matière d’évaluation on peut varier dans sa manière dé voir.

Je ne finirai pas l’examen de la manière dont M. le ministre des finances a voulu nous répondre, sans lui rappeler la façon très peu convenable avec laquelle il a communiqué à l’assemblée la lettre particulière d’un de nos collègues, lettre qu’il écrivit, j’en suis convaincu, comme simple personne privée et non pas comme fondé de pouvoir. Souvenez-vous, messieurs, de ce qui s’est passé dans l’affaire de l’enquête concernant les abus du service militaire. Nous demandions alors au gouvernement de nous donner communication de l’enquête qui avait été annoncée à la chambre ; lors de la discussion de l’adresse en réponse au discours du trône, nous demandions alors qu’on nous communiquât un document officiel, une information judiciaire et administrative, comme on l’appelait, faite par des généraux à ce institués par le gouvernement. Qu’a-t-on répondu à notre demande ? Que la pièce était revêtue d’un caractère confidentiel, et qu’à ce titre le gouvernement ne croyait pas devoir en donner communication à la chambre. Eh bien, les mêmes hommes qui nous tenaient ce langage, sont venus nous communiquer une lettre confidentielle d’un de nos honorables collègues. Jugez, d’après cela, s’ils sont conséquents avec eux-mêmes.

Et d’ailleurs, puisque le ministre des finances a voulu me mettre est contradiction avec moi-même, en s’étayant sur une opinion que j’ai manifestée dans une autre circonstance tout à fait différente de celle qui nous occupe, moi, je me permettrai de lui faire observer qu’il s’est mis en opposition avec lui-même, il y a peu d’instants, et cela dans un même discours.

Je ne veux pas adresser de reproche à M. d’Huart, dont je connais le patriotisme, mais je prouve qu’il se met en contradiction avec lui-même dans un seul et même discours.

Bornons-nous à faire ce que fait la France, prenons des mesures qui soient en même temps dans l’intérêt de la France et de la Belgique. Diminuons le droit sur les soieries, dont nous ne profitons pas ; diminuons le droit sur les batistes, sur les esprits-de-vin, sur les fils, sur le bois de réglisse. Voilà des objets sur lesquels nous pouvons adopter une réduction de droits et rendre ainsi service en même temps à la France et à nous-mêmes. Mais je ne pense pas qu’on doive avoir envers la France une telle obséquiosité que nous lui sacrifiions toutes nos industries.

Si les dispositions qui concernent deux industries exercées dans la ville que j’habite, la faïence et porcelaine, et la bonneterie, il est incontestable qu’avant peu de mois ces industries seront dans la plus grande, dans la plus déplorable détresse.

Quel moment choisit-on pour vous proposer de semblables réductions ? c’est celui où il existe à l’étranger une crise effrayante qui jusqu’ici n’a pas atteint la Belgique, mais à laquelle nous n’échapperons pas, grâce aux réductions intempestives qu’on veut apporter à notre tarif. Car les produits de l’étranger qui ne trouvent pas de débouché à cause de la crise, envahiront nos marchés en si grande masse que notre commerce en souffrira au décuple. Voilà une considération que je vous abandonne. La chambre doit prendre en considération les circonstances dans lesquelles se trouvent les pays voisins. Nous devons tous désirer que la crise à laquelle ils sont en proie n’arrive pas jusqu’à nous. Nous n’y échapperions pas, si le projet du gouvernement était adopte.

D’ailleurs, je vous le demande, si nous consentons à supprimer le droit différentiel qui existe à l’égard de la France, droit que nous n’avons pas établi, mais que nous avons trouvé dans notre tarif, qu’aurons-nous désormais à offrir à la France en compensation quand nous lui demanderons de nouvelles concessions, si nous introduisons dans notre tarif des modifications qui réduisent les droits à 5 ou 6 p. c., quand, sur les mêmes objets, la France les maintient à 2 ou 300 fr. ? Cependant nous devons encore réclamer de la France des réductions de droit. Nous serons dessaisis. Quand la Belgique aura réduit à 20 fr. les 100 kilog. le droit sur la porcelaine qui en France est de 344 fr., que répondra la France à vos demandes de réduction ? Elle se rira de vous qui aurez abandonné les armes au moyen desquelles vous pouvez obtenir des réductions efficaces.

Je pense qu’il n’est pas prudent d’adopter toutes les modifications proposées par le gouvernement. Si vous voulez vous réserver le moyen d’arriver à de nouvelles concessions de la part de la France, vous devez maintenir les droits élevés sur les objets sur lesquels notre industrie ne réclame pas de réduction.

Je ne suis pas partisan des prohibitions ; mais je concevrais qu’on en maintînt quelques-unes afin d’avoir une arme dont nous puissions nous servir au besoin.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - Messieurs, je n’abuserai pas des moments de la chambre, je ne m’occuperai que du fait personnel en ce qui concerne la citation d’une lettre de l’honorable M. Zoude. Il n’échappera pas à la chambre que cette citation a un caractère tout particulier. Elle a été faite en présence de l’honorable membre auteur de la lettre, qui pouvait répondre, et pour repousser l’accusation portée par lui contre les ministres, d’avoir trahi les intérêts du pays et en particulier de la localité qu’il représente. Il semble qu’il y aurait eu une sorte de duperie à ne pas se servir d’un document émanant de cet honorable membre, et duquel il résultait que le gouvernement avait agi dans l’intérêt de cette même localité et comme l’avait désiré l’honorable M. Zoude.

Je n’attache pas pour mon compte grande importance à ces espèces de contradictions dans lesquelles on peut placer des orateurs à certains intervalles de temps plus ou moins longs. Mais dans des questions toutes spéciales, comme celles qui nous occupent, il y a une influence très grande qui peut être exercée par les personnes auxquelles on suppose des connaissances spéciales ; si on démontre que ces personnes ont erré d’une manière grave dans des circonstances déterminées, on peut ébranler la confiance qu’elles peuvent inspirer. C’est de bonne guerre, quand les attaques que rencontre un projet en mettent l’adoption en danger, de montrer que la confiance qu’on paraît disposée à accorder à certaines personnes ne doit pas être absolue, puisque leurs connaissances se sont trouvées en défaut dans une circonstance donnée.

Je bornerai là mes observations.

M. Pirmez. - Je dois un mot de réponse à M. Dumortier. Lorsqu’il a parlé du travail, il a singulièrement travesti mes idées et mes intentions. Il a divisé la nation en plusieurs classes, il l’a partagée en rentiers et en travailleurs. Mais ce n’est pas là ce que j’avais fait.

J’avais dit : Prenez un individu quelconque, il sera d’autant plus riche qu’il se procurera le plus de choses avec le moins de peine, avec le moins de travail possible. La richesse n’est pas autre chose que la possibilité de satisfaire le plus de désirs avec le moins de peine. Or, si, au lieu d’un individu, vous prenez une nation entière, elle sera d’autant plus riche qu’elle se procurera plus de choses avec moins de peine, avec moins de travail.

M. Gendebien. - Je n’entends pas prolonger la discussion, mais je dois expliquer le silence que j’ai gardé pendant cette discussion et auquel on paraît attacher de l’importance, sinon un reproche.

Toutes les fois qu’il s’est agi de douanes, de commerce et d’industrie, on a prolongé les discussions indéfiniment ; et si par lassitude on ne se décide pas à clore celle-ci, il n’y a pas de raison pour qu’elle ne dure encore six semaines. De quoi cela provient-il ? De ce qu’on ne nous présente pas de travail complet ; que, dans chaque circonstance semblable à celle-ci, on développe les mêmes systèmes, les mêmes théories et que jamais on ne veut voir les faits.

D’un autre côté, on vous présente toujours ce qu’on semble aimer et demander de prédilection un bout de loi ; cependant rien n’est plus difficile en législation, surtout lorsqu’il s’agit d’intérêt général, de s’occuper d’une branche sur laquelle on veut greffer ou qu’on veut abattre. A chaque circonstance j’ai dit qu’il n’y avait qu’une manière de faire quelque chose d’utile : c’état de présenter non pas un système complet, comme l’entendent les idéologies en matières commerciales ; mais une loi embrassant tous les intérêts, faisant une position convenable à la Belgique, en tendant compte de la position de tous nos voisins. C’est ainsi que si on faisait une loi générale, nous n’aurions pas à nous justifier du reproche de partialité, nous n’entendrions pas le mot de paria au sujet de la France que je désire, pour mon compte, bien traiter. Nous ferions un tarif de douanes applicable et favorable à la Belgique avant tout et conciliable autant que possible avec les faits qui se passent chez tous nos voisins.

Nous avons déjà consacré cinq séances à la discussion générale ; combien en consacrerons-nous à discuter les articles avant d’être tous d’accord ? Je pense que nous pouvons employer ainsi dix séances, et, au bout du compte, nous ne serions pas d’accord entre nous et bien moins avec nos voisins, par la raison que, quand vous croirez avoir satisfait un intérêt, vous aurez fait surgir une plainte d’un autre côté, et que, quand vous aurez répondu à cette plainte, il s’en élèvera d’autres ; tandis que si on présentait un système complet, fondé, non sur des théories, mais sur des faits, il faudrait en définitive se rendre à l’évidence. Je ne conçois d’évidence possible en matière de douanes surtout que celle qui résulte des faits.

J’engage le gouvernement à recommencer son travail à nouveau, à nous apporter une loi générale sur la matière. Je sais que c’est un écueil pour un ministère, et qu’il faut plus que du courage pour aborder un pareil travail ; mais qu’ils ne se présentent pas avec un système arrêté, qu’ils recueillent les faits, qu’ils confient le soin de les analyser aux hommes spéciaux payés par le gouvernement pour ce genre de travail et que, sans système arrêté, il réunisse une commission dans cette chambre, qu’on la compose d’hommes ayant des notions positives, qu’on y appelle les principaux intéressés, il arrivera à une transaction équitable à la chambre, transaction d’autant plus facile qu’elle sera générale. Nous finirons par nous mettre d’accord en bien moins de temps qu’on en a mis depuis six ans à se diviser sur des articles spéciaux.

Mais si vous ne prenez pas ce parti, quand vous aurez fini cette discussion, après 15 jours de labeur, vous ne serez pas plus avancés que le premier jour, au contraire, vous aurez fait surgir beaucoup de plaintes, et vous n’aurez contenté personne.

Le seul conseil que je pourrais donner au gouvernement, ce serait de retirer son projet et de présenter une loi générale mûrement et sagement élaborée.

Je ne dirai pas que l’amour-propre du ministère est malheureusement intéressé à ne pas reculer ; quoique je sois souvent en désaccord avec eux, je les crois assez hommes pour faire le sacrifice de cet amour-propre un peu trop puéril. Ils rendront un grand service au gouvernement, au pays et à eux-mêmes, en agissant ainsi.

Ils doivent d’ailleurs voir d’après ce qui s’est passé jusqu’à présent, qu’il resterait peu de chose de leur projet, qu’il y aurait pour eux plus d’honneur à le retirer qu’à courir les chances d’un rejet inévitable.

Quant à moi, je n’ai ni système ni théorie, je voterai sans préoccupation ; quand nous arriverons à la discussion des articles, je voterai pour ou contre, selon que ma conscience sera éclairée sur l’utilité ou le danger de la proposition.

Quant à l’ensemble, je vois plus de choses à repousser qu’à adopter ; c’est, je pense, le résultat auquel les ministres doivent s’attendre.

- La chambre consultée ferme la discussion générale.

Discussion du tableau du tarif

M. le président. - Nous passons à la discussion des articles.

Les articles du projet se rapportent au tarif proposé ; je crois qu’il y a lieu de discuter les dernières propositions contenues dans le tarif avant d’en venir aux articles du projet qui n’en sont que l’application.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Dans la dernière séance où l’on a fait rapport sur les pétitions, la chambre m’a fait l’honneur de me renvoyer une pétition de semeurs et de sécheurs de chicorée qui demandent un droit protecteur.

J’ai pris l’engagement de donner des explications sur cette pétition au moment où commencerait la discussion des articles. Je dépose ces explications sur le bureau.

M. de Renesse. donne lecture de ces explications. (Note du webmaster : le Moniteur contient le texte de ces explications. Compte tenu de son intérêt limité, ce texte n’est pas repris dans la présente version numérisée.)

M. Dechamps. - J’avais déclaré à la fin du discours que j’ai prononcé à une précédente séance qu’avant de passer à la discussion des articles, je ferais une proposition sur la question de savoir si la chambre adopterait à l’égard de la France des mesures exceptionnelles.

Peut-être la chambre, par des raisons développées par différents orateurs, croira devoir maintenir à l’égard de la France quelques mesures exceptionnelles et faire un pas vers elle en diminuant les droits selon le système de MM. de Brouckere et Devaux.

Quant à moi, je crois que si la chambre se décidait à ne pas admettre entièrement la France dans le droit commun, cela serait d’un mauvais effet et nuirait aux négociations futures.

Par ces considérations je retire ma proposition.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Je ferai remarquer à la chambre qu’il y avait une autre raison pour rendre inutile la proposition de M. Deschamps, c’est que l’article premier de la loi porte que la disposition exceptionnelle de 1823 est abrogée. La question préalable, formulée d’abord par l’honorable membre, n’était donc rien autre chose que l’art. 1er, et ainsi elle se représentera quand nous arriverons à cet article.

En attendant, il y a lieu de procéder dans cette loi comme dans les autres, et par conséquent d’examiner le tarif destiné à y être annexé. Si on tombe d’accord sur les différents articles de ce tarif, il sera facile ensuite de le faire cadrer sur la loi elle-même.

Bas et bonneteries

M. le président. - Projet du gouvernement :

« bas et bonneteries

« Bas, bonnets, mitaines, et autres vêtements de coton, de laine ou de fil, tricotés soit à la main soit au métier (de toute provenance) :

« Coton.

« Gilets, manches, jupons, bretelles et caleçons : à la valeur : droit en francs à l’entrée, 10 p. c. ; droits en francs à la sortie, 1/2 p. c.

« Bas, chaussettes, bonnets : à la valeur : droit en francs à l’entrée, 10 p. c. ; droits en francs à la sortie, 1/2 p. c.

« Bas, chaussettes, bonnets, lorsque le poids de la douzaine est inférieur à 5 hectog. : à la valeur : droit en francs à l’entrée, 10 p. c. ; droits en francs à la sortie, 1/2 p. c.

« Gants et mitaines : à la valeur : droit en francs à l’entrée, 10 p. c. ; droits en francs à la sortie, 1/2 p. c.

« Laine.

« Echarpes : à la valeur : droit en francs à l’entrée, 10 p. c. ; droits en francs à la sortie, 1/2 p. c.

« Gilets, manque, camisoles, chemises, robes, jupons, caleçons, pantalons : à la valeur : droit en francs à l’entrée, 10 p. c. ; droits en francs à la sortie, 1/2 p. c.

« Gants, mitaines, chaussons, calottes : à la valeur : droit en francs à l’entrée, 10 p. c. ; droits en francs à la sortie, 1/2 p. c.

« Bas, chaussettes, bonnets : à la valeur : droit en francs à l’entrée, 10 p. c. ; droits en francs à la sortie, 1/2 p. c.

« Lin.

« Bas, chaussettes, gants : à la valeur : droit en francs à l’entrée, 10 p. c. ; droits en francs à la sortie, 1/2 p. c. »


Projet de la section centrale :

« Bas et bonneteries

« Coton.

« Gilets, manches, jupons, bretelles et caleçons : le kilog. : droit en francs à l’entrée, 2 fr. ; droits en francs à la sortie, 1/2 p. c.

« Bas, chaussettes, bonnets : le kilog. : droit en francs à l’entrée, 4 fr. ; droits en francs à la sortie, 1/2 p. c.

« Bas, chaussettes, bonnets, lorsque le poids de la douzaine est inférieur à 5 hectog. : le kilog. : droit en francs à l’entrée, 8 fr. ; droits en francs à la sortie, 1/2 p. c.

« Gants et mitaines : le kilog. : droit en francs à l’entrée, 10 fr. ; droits en francs à la sortie, 1/2 p. c.

« Laine.

« Echarpes : le kilog. : droit en francs à l’entrée, 2 fr. 50 c. ; droits en francs à la sortie, 1/2 p. c.

« Gilets, manque, camisoles, chemises, robes, jupons, caleçons, pantalons : le kilog. : droit en francs à l’entrée, 4 fr. ; droits en francs à la sortie, 1/2 p. c.

« Gants, mitaines, chaussons, calottes : le kilog. : droit en francs à l’entrée, 5 fr. ; droits en francs à la sortie, 1/2 p. c.

« Bas, chaussettes, bonnets : le kilog. : droit en francs à l’entrée, 6 fr. ; droits en francs à la sortie, 1/2 p. c.

« Lin.

« Bas, chaussettes, gants : le kilog. : droit en francs à l’entrée, 5 fr. ; droits en francs à la sortie, 1/2 p. c. »

M. Manilius a proposé l’ajournement de cet article.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Je ne conçois pas que l’on vienne demander la question préalable, ou, si vous aimez mieux, l’ajournement de cet article. Ce serait entrer dans une voue nouvelle, peut-être inconstitutionnelle. Comment, on vient dire que le projet de loi n’a pas été suffisamment élaboré et examiné ! un projet de loi présenté depuis le 14 avril 1836, dont vous êtes saisis depuis plus d’un an, est tout à coup signalé comme étant prématuré !

Mais les motifs politiques, principaux, du projet, sont-ils déjà oubliés ; et d’ailleurs les chambres de commerce n’ont-elles pas été consultées ? tous les éléments nécessaires à une sage délibération ne sont-ils pas là ?

Nous sommes prêts, messieurs, à soutenir la discussion, à vous indiquer des faits, puisqu’on a demandé des faits ; ainsi que l’on ne vienne pas proposer la question préalable ou l’ajournement, car si l’on adoptait une proposition semblable, si une telle marche s’introduisait dans nos débats parlementaires, on pourrait ajourner par la sorte toutes les propositions du gouvernement en prétendant tout d’abord qu’elles n’ont pas été suffisamment élaborée. En aucun cas, et surtout dans cette circonstance une proposition semblable ne pourrait être convenablement adoptée.

M. Verdussen. - Je me permettrai deux observations sur la demande d’ajournement faite par M. Manilius.

En premier lieu, elle est contraire au règlement ; car, d’après l’art. 24, il faudrait préciser le temps auquel on renvoie la discussion.

D’un autre côté, proposer l’ajournement, c’est proposer le rejet ; car le résultat est le même. Il restera quelque chose : le tarif actuel.

Je comprends la demande d’ajournement d’un projet nouveau, fondée sur ce qu’on pourra s’occuper de la matière dans un temps plus opportun. Le rejet et l’ajournement aboutissant au même but, il n’y a pas véritablement d’ajournement.

M. Dumortier. - Je repousserai l’ajournement, mais par d’autres motifs. La proposition de M. Manilius aurait un avantage, ce serait de terminer la discussion ; mais comme je crois que l’on peut admettre la proposition de la section centrale et que l’industrie s’en trouverait bien, je demande la discussion immédiate des articles.

- L’ajournement mis aux voix est rejeté.

La discussion est ouverte sur l’article premier relatif aux produits de la bonneterie.

M. Doignon. - Dans une autre circonstance, messieurs, j’ai déjà eu l’honneur de vous entretenir de cet article. Je crois superflu de vous rappeler tout ce que j’ai dit à cette époque pour vous démontrer toute l’importance de la fabrication de la bonneterie en Belgique, vous faire connaître en même temps combien cette industrie est en souffrance depuis nombre d’années, et vous convaincre par suite de la nécessité de la protéger contre la concurrence étrangère.

Mes doléances étaient justifiées et appuyées par l’opinion unanime de la section centrale sur la question cotonnière, par les avis des chambres de commerce, par les réclamations universelles des fabricants, et j’ose le dire, par la notoriété publique.

Le commerce et l’industrie ont donc été aussi surpris que profondément affligés de voir qu’aujourd’hui le gouvernement, au lieu de venir à leur secours, par des droits protecteurs, vous faisait au contraire une proposition de réduction qui ne tendrait à rien moins qu’à achever leur ruine.

Les faillites multipliées de nos fabricants n’ont pu même ouvrir les yeux du gouvernement. Aujourd’hui encore j’invoquerai le deuxième avis de la chambre de commerce de Bruxelles qui, parlant à M. le ministre, lui dit en termes formels : « La perte de ce genre d’industrie serait certaine si vous persistiez dans l’idée de diminuer le droit d’importation ; nous pensions au contraire qu’il faut l’élever quant à l’Allemagne. »

La bonneterie, messieurs, est une de ces branches d’industrie telles que nos toiles, nos tapis, nos porcelaines qui se trouvaient dans l’état le plus florissant en 1813, lors de notre séparation de la France : la Belgique avait alors à fournir tous ces articles aux 32 millions de consommateurs de l’empire. Leur supériorité sur les mêmes articles étrangers était tellement reconnue, que tout Paris notamment était inondé de nos marchandises.

Mais ce fut peu pour la Belgique de perdre ce débouché important qui fit la richesse d’un grand nombre de nos maisons de commerce et même de quelques-unes de nos villes ; les Belges réunis malgré eux aux Hollandais furent bientôt sacrifiés à l’esprit mercantile de ces nouveaux frères. La Hollande qui n’avait en vue que de favoriser son commerce de spéculations au détriment de nos fabriques, ouvrit nos barrières du côté de l’Allemagne aux bonneteries étrangères en ne les taxant qu’à un droit modéré de 10 p. c. qu’on réduisait dans l’exécution à sept, et qui même ne se percevait guère par suite de la négligence des douanes. La bonneterie saxonne, ouvertement protégée par le gouvernement hollandais, pénétra donc peu à peu dans toute la Belgique et bientôt elle vint remplacer en grande partie, notamment notre bonneterie fine, dans les magasins du pays,

Alors, comme aujourd’hui encore, des obstacles puisés dans la nature même des choses paralysaient nos efforts pour lutter contre la fabrication allemande. Le Saxon a sur nous un avantage que la Belgique ne peut que difficilement lui disputer, c’est que dans ce pays-là, ce sont presque exclusivement les paysans qui travaillent à la bonneterie, et ces paysans, dont on connaît le genre de vie si misérable, se contentent du plus chétif salaire ; chez nous, au contraire, l’ouvrier des villes surtout, ne saurait exister, si le prix de la journée n’était plus élevé ; en réduisant, comme ont déjà dû le faire nos fabricants, le prix de cette journée au strict nécessaire, la main-d’œuvre saxonne reste encore de beaucoup inférieure à la nôtre.

Dans cette branche comme dans presque toutes les autres, ce n’est donc point notre genre industriel qui est en défaut ; nos expositions nationales, et ce que nous avons vu de nos yeux dans certains ateliers, ont suffisamment prouvé que nous pouvons atteindre le même perfectionnement que les paysans allemands. Nos produits ont même plus de solidité ; mais malgré cela, la différence marquante entre les prix de la façon demeure toujours un inconvénient grave. Si donc on veut donner de l’émulation à nos fabricants, si l’on veut qu’ils se soumettent à des sacrifices, pour faire aussi bien que l’étranger, et qu’ils puissent soutenir, il faut nécessairement leur assurer une protection suffisante ; sinon vous les découragerez, et vous anéantirez peu à peu cette branche si importante de notre commerce. Cette industrie existant en Belgique depuis des siècles, nos fabricants ont incontestablement un droit acquis à sa conservation contre les envahissements de l’étranger. Il y a d’autant moins d’inconvénient à imposer la bonneterie saxonne, qu’en général, à raison de sa grande finesse, on peut la regarder comme un objet de luxe.

Il n’est donc pas douteux que la Belgique ne peut laisser subsister davantage le faible droit d’entrée de 10 p. c. qu’avait établi le gouvernement hollandais sur les produits allemands et auxquels on doit évidemment attribuer aujourd’hui l’état de souffrance et même de détresse de nos fabriques.

La section centrale et nos diverses sections délibérant sur les propositions comprises dans la question cotonnière, avaient déjà reconnu qu’on n’atteindrait le but d’une protection suffisance qu’en faisant subir à ce droit une forte augmentation. Cette section avait donc partagé la bonneterie allemande en trois catégories, dont la première était tarifiée au poids à raison de 40 p. c., et les deuxième et troisième aussi au poids, à raison de 20 p. c.

Lorsque tout concourrait à prouver au ministère qu’il y avait nécessité évidente d’élever ici notre tarif, comment a-t-il donc pu nous proposer de maintenir encore ce même droit qui nous a été si fatal, sans songer même à lui faire subir la plus petite augmentation ? Evidemment, c’est vouloir achever la destruction de nos fabriques, c’est mépriser ouvertement leurs justes réclamations, que de perpétuer ce simple droit de 10 p. c. contre les produits allemands, droit qui n’est en réalité que de sept.

La section centrale propose de porter ce droit à 15 p. c. ; mais une augmentation de 5 p. c. seulement sera certainement insuffisante, principalement à l’égard de la bonneterie fine de Saxe. Dans l’impossibilité évidente de soutenir la concurrence avec un droit aussi faible, la Belgique se trouvera bientôt obligée de renoncer à la fabrication de cette espèce de bonneterie, et par suite des fautes de nos gouvernements, elle se verra ainsi supplantée pour toujours par les Allemands.

L’Angleterre et la Prusse ont établi un droit de 30 p. c sur les produits belges. Pourquoi, à l’exemple de ces Etats, n’élevons-nous pas nos droits de manière aussi à protéger efficacement notre industrie ?

L’Angleterre a encore contre nous cet avantage que la matière première lui coûte moins cher. Nous est-il permis de montrer une telle libéralité envers des étrangers aux dépens de nos fabricants ?

Mais, du côté de la France, la conduite de notre gouvernement est encore bien plus inexplicable : tandis que cette puissance prohibe absolument chez elle l’entrée de notre bonneterie, le ministère nous propose de réduire de moitié notre droit d’entrée qui n’est que de 20 p. c. Ainsi, ce n’était point assez de laisser envahir notre marché et notre consommation intérieurs par les Allemands et les Anglais, il faut encore que la France vienne nous exploiter avec sa bonneterie, lorsque déjà nos magasins regorgent de tous les objets de luxe de ce pays.

En 1815, quand nous fûmes séparés de la France, son gouvernement s’empressa de fermer ses frontières à notre bonneterie. Malheureusement la Hollande dont le génie commercial se porte entièrement sur le commerce de spéculation et de commission, ne put comprendre le système protecteur dont la Belgique avait besoin ; et au lieu de répondre à la prohibition de la France par une prohibition réciproque, elle crut devoir se borner à exiger un droit de 10 p. c., qui dans le fait se réduisait à huit. On vit bientôt en Belgique les conséquences d’une protection aussi faible. Les bonneteries françaises, celles de la Picardie, de la Champagne et spécialement celle de Troyes, vinrent inonder notre pays, mais notre commerce et nos fabriques ne tardèrent point à jeter les hauts cris contre une mesure aussi désastreuse. Ils persévérèrent dans leurs réclamations jusqu’à ce qu’enfin, par notre nouveau tarif de 1823, le droit d’entrée sur les bonneteries françaises fût fixé à 20 p. c. C’était au surplus un bien léger dédommagement du tort considérable que leur faisaient déjà depuis 1815 les bonneteries allemandes et anglaises, dont on tolérait, pour ainsi dire, d’un autre côté, la libre entrée dans l’intérêt de la Hollande.

Qui aurait jamais pu penser qu’étant maintenant séparé de la Hollande, notre gouvernement, sorti de la révolution de septembre, aurait essayé en 1837 de reproduire précisément le même grief, dont nos fabricants furent victimes sous le régime précédent ? Car la réduction à 10 p. c., demandée par le ministre, abaisserait justement le droit d’entrée vers la France au même taux qu’en 1815.

On croirait réellement que notre gouvernement est frappé d’aveuglement sur les véritables intérêts du pays. Quoi ! une mesure a été prise il y a nombre d’années par l’administration hollandaise ; l’expérience en a été faite, elle a été jugée funeste à notre industrie, c’est cette même mesure qu’on ne craint pas de nous proposer encore aujourd’hui ! Certes, si un ennemi en avait donné le conseil au pouvoir royal, il n’aurait pas mieux fait pour le désaffectionner.

Mais, l’on n’y a pas réfléchi sans doute, le rétablissement du droit de 10 p. c. seulement, qui existait en 1815, ferait bien aujourd’hui beaucoup plus de mal à notre fabrication qu’à cette époque. La France a depuis lors introduit son système de primes d’exportations, qu’on peut appeler perfide, tel qu’il est établi. Elle donne pour la bonneterie en coton 50 fr. par 100 kilog., ou 6 à 8 p. c. ; de sorte que notre droit d’entrée qui est actuellement de 20 p. c., se trouve déjà réduit, au moyen de cette prime, à 12 ou 14 p. c. ; et d’après cela, si l’on admettait maintenant la proposition du ministère de l’abaisser à 10, vous auriez cette conséquence que, déduction faite de la prime de 6 à 8 p c. qui lui est déjà accordée par son gouvernement, le fabricant français ne paierait dans la réalité qu’un droit de 2 ou 4 p. c., pour importer ses produits en Belgique. Mais mieux vaudrait, dans ce cas, déclarer que l’entrée de la bonneterie française est entièrement libre.

La section centrale elle-même a donc déjà été trop loin selon moi, lorsqu’elle a consenti de réduire à 15 le droit de 20 p. c., à présent établi sur la bonneterie de France ; elle s’est probablement laissé diriger par des vues de conciliation ; mais ne serait-ce pas se montrer bon et facile jusqu’à la faiblesse que de consentir ainsi soi-même à la propre destruction de son industrie ?

Ce droit de 15 p. c. était donc réduit, par suite de la prime française, à 7 ou 9 p. c. Le calcul de la section centrale repose sur une base inexacte ; son dessein est d’écarter le régime de 1815 qui n’exigeait que 10 p. c., et elle se jette dans une voie toute opposée ; car, à cause de cette prime, le droit d’entrée, au lieu d’être supérieur à 10, sera au contraire inférieur à ce taux. Ce qui précède prouve donc, ainsi que je l’ai établi dans la discussion générale, qu’avant d’aborder aucun changement à notre tarif, notre gouvernement aurait dû tenir à négocier sur l’ensemble du système français ; car, vous le voyez dans l’espèce, il est clair que la France ne peut rationnellement prétendre à aucune diminution du droit. Aussi longtemps que de son côté, elle maintient sa prime de 6 à 8 p. c., pour la sortie de ses bonneteries.

Mais une autre considération péremptoire doit nous déterminer à conserver notre droit d’entre actuel de 20 p. c., c’est que la France elle-même prohibe absolument chez elle l’entrée de la bonneterie belge, et si nous comprenons nos véritables intérêts, ne devons-nous pas réciproquement repousser la sienne à nos frontières ? Avec ce seul droit de 20 p. c., notre tarif est déjà bien plus libéral que le sien, puisque, de son côté, elle ne veut pas même une parcelle de notre bonneterie ; elle n’en veut à aucun prix, tandis que la Belgique reçoit toujours la sienne moyennant ce droit simplement protecteur. Si donc pour cet article, comme pour une foule d’autres, il y a lieu de faire des concessions, ce n’est point de la Belgique, mais bien de la France elle-même qu’on est en droit d’en attendre.

Observera-t-on encore qu’il convient d’entretenir les relations de bon voisinage. Mais l’an dernier le ministère français n’a-t-il pas déclaré lui-même que les liaisons d’amitié avec une puissance ne devaient compter pour rien en matière d’intérêt commercial ou industriel. C’est donc à nous de profiter de la leçon que le gouvernement français lui-même nous a donnée.

Mais il y aurait parfois un peu trop de débonnaireté à acheter ou conserver l’amitié de ses voisins au prix de sa propre ruine. Mais l’orgueil national du Français ne serait-il pas blessé lui-même à juste titre de recevoir de notre part, d’un petit Etat comme le nôtre, des concessions qui ne seraient réellement que des actes de pure générosité. Tranchons le mot ; enfin, aux yeux des Français eux-mêmes, comme aux yeux des autres nations, nous serions considérés comme de véritables dupes.

Nous devons attacher d’autant plus d’importance au maintien de notre droit protecteur de 20 p. c. vers la France, que c’est principalement la bonneterie en laine qu’elle peut nous importer, et à l’égard de cet article, elle pourrait bientôt devenir aussi dangereuse pour nous que la Saxe elle-même quand à la bonneterie en coton ; le tort immense que celle-ci nous a fait et nous fait tous les jours, a forcé nos fabricants de se tourner aujourd’hui plus particulièrement vers la bonneterie en laine. En ce moment, celle-ci a donc plus que jamais besoin d’une grande protection ; j’ajouterai encore que depuis six ans elle a perdu son débouché vers la Hollande.

A la fabrication de la bonneterie en laine se lie encore l’état prospère de notre agriculture ; non seulement elle occupe des millions de mains dans nos campagnes, mais sans elle l’éducation de nos moutons doit languir et cesser d’être une des plus riches ressources de nos agriculteurs.

Je rejetterai donc la rédaction proposée par le gouvernement en faveur de la France, et c’est même avec le pus vif regret que je verrais la chambre consentir à abaisser le droit dont il s’agit, à 15 p. c. de la valeur. Si l’on veut sérieusement un droit qui puisse produire quelque effet en faveur de notre industrie, il est indispensable de maintenir pour la France celui de 20 p. c. actuellement existant, et de le porter au même taux pour l’Allemagne et les autres pays.

M. le ministre insinue dans son exposé des motifs qu’il y aura lieu de réduire à 10 le droit de 20 p. c. sur la bonneterie française, parce que ce dernier chiffre serait tellement élevé, qu’il fournirait un appât à la fraude. Cette assertion est encore contredite par les faits et les réclamations du commerce. Sans doute, quelque puisse être l’élévation d’un droit de douane, il y aura toujours, comme il y a toujours eu quelque fraude. Mais il est notoire que la quantité de bonneterie française en laine qui entrait en très grande quantité avant l’établissement des 20 p. c. n’entre aujourd’hui que pour une faible portion, tellement que nos fabriques reconnaissent qu’elles sont sous ce régime convenablement protégées vis-à-vis de la France. Si, comme on le suppose, la fraude rendait cette protection illusoire, les intéressés seraient certes les premiers à s’en plaindre. Ce n’est donc là qu’un prétexte pour obtenir l’abaissement du droit à 10 p. c.

La bonneterie en laine qui est pour ainsi dire la seule que la France nous envoie, jouit d’une prime d’exportation de 6 à 8 p. c. Or, ce n’est certainement point avec une prime aussi considérable, qui déjà réduit notre droit de 20 à 12 ou 14 p. c. que le Français doit être très porté à frauder cette marchandise.

Au surplus, la prime d’assurance est assez élevée pour qu’on puisse voir que le droit peut rester tel qu’il est ou qu’il peut au moins être au-delà de 15 p. c., car dans tous les cas le droit doit se trouver à un taux supérieur à cette prime.

Il serait d’ailleurs imprudent, quand on veut faire une loi de durée en matière de douane, de se rapporter autour d’une prime d’assurance et de la prendre pour règle, lorsqu’on sait qu’une telle prime peut varier d’un moment à l’autre selon les circonstances, les moyens plus ou moins faciles de frauder et le plus ou moins de surveillance de nos douanes : depuis longtemps on réclame une réforme notable dans le personnel de ce service, et il faut espérer qu’on l’obtiendra un jour.

Loin de nous, messieurs, l’idée de vouloir jamais des augmentations de droit qui puissent favoriser le monopole et grever nos consommateurs. Dans mon système, l’élévation de nos droits doit simplement rester dans les termes d’une protection réelle, sans détruire d’une manière absolue la concurrence étrangère, concurrence qui a aussi quelquefois ses bons effets pour notre industrie elle-même et qu’il convient conséquemment de traiter avec prudence.

Dans tous les cas, il est à présent reconnu par l’expérience, que pour déterminer quant aux bonneteries la valeur sur laquelle le droit doit être perçu, il est préférable de prendre pour base le poids de la marchandise ; il y a tant de variété dans ces sortes d’articles, qu’il serait extraordinairement difficile aux employés d’avoir des connaissances suffisantes pour préempter : le commerce les met même dans l’impuissance de le faire, en dépariant les marchandises destinées à passer notre frontière : ces marchandises au surplus, ne pourraient souffrir des visites minutieuses sans éprouver un dommage réel.

Je dois enfin signaler un abus, dont nous sommes chaque jour témoins à notre frontière vers la France. On sait qu’elle accorde deux primes considérables d’exportations et pour la laine filée et pour la laine fabriquée. Afin de jouir de ces deux primes à la fois, le fabricant français de l’extrême frontière fait d’abord passer avec une première prime sa laine filée pour être tricotée ou fabriquée par les ouvriers et ouvrières de nos communes limitrophes ; les douanes françaises et belges tolèrent ensuite la rentrée en France des objets confectionnés en Belgique avec cette même laine, et peu après les fabriques françaises nous importent de nouveau ces mêmes objets avec une seconde prime. Au moyen de cette fraude, notre droit d’entrée devient tout à fait illusoire, et la concurrence française sur nos marchés devient absolument libre.

Le moyen de faire cesser ce commerce interlope, c’est d’interdire à nos douanes la tolérance qui y a donné naissance : on devrait même empêcher l’entrée de la laine filée, destinée à être confectionnée chez nous en bonneterie ; nos travailleurs trouveraient en Belgique un accroissement de travail égal à la perte qu’ils pourraient faire du côté de la France.

- La séance est levée à 4 heures et demie.