(Moniteur belge n°79, du 20 mars 1837 et Moniteur belge n°80, du 21 mars 1837)
(Présidence de M. Raikem.)
M. de Renesse procède à l’appel nominal à midi et demi.
M. Lejeune lit le procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est adoptée.
M. de Renesse fait l’analyse des pièces adressées à la chambre.
« Le sieur Gall, professeur émérite à l’université de Liége, demande une augmentation de pension comme professeur émérite. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
Le sénat, par un message en date du 15 courant, informe la chambre qu’il a adopté le projet de loi contenant le budget des travaux publics.
M. Simons (pour une motion d’ordre.) - J’ai déposé, il y a quelques jours, le rapport de la commission chargée d’examiner le projet de loi relatif aux nouvelles circonscriptions des cantons électoraux sud et nord de Maestricht. Ce rapport vient d’être distribué. Les honorables membres qui ont pris lecture de ce rapport ont pu se convaincre qu’il ne donnera lieu à aucune difficulté. Il a été adopté à l’unanimité par la commission. Et il est urgent que la chambre vote ce projet de loi, pour le cas d’une session extraordinaire du conseil provincial, afin qu’on puisse procéder à l’élection de conseillers provinciaux du canton qui, à cause de la lacune qui sa trouve dans la loi, n’a pas pu procéder à ces élections.
Je demande en conséquence que ce projet de loi soit mis à l’ordre du jour après le vote du budget de la guerre.
M. de Puydt. - Je suppose que M. Simons entend que le projet dont il parle soit mis à l’ordre du jour après la loi relative à l’école militaire.
M. Simons. - Non, non, après le budget de la guerre.
M. de Puydt. - Alors, je m’y oppose.
M. Simons. - Ce projet n’occupera la chambre que quelques minutes. Si on ne le vote pas après le budget de la guerre, le sénat se séparera et ce projet ne pourra pas être voté cette année.
M. Dubus. - Déjà nous avons à l’ordre du jour des lois d’une grande importance : la loi concernant les indemnités et la loi des mines. Je ne pense pas que le vote de lois d’un intérêt si majeur doive être retardé pour une loi toute de localité et sans actualité. En effet, il n’est pas question de réunir les conseils provinciaux et de procéder à l’élection des membres qui doivent composer ces conseils.
- La proposition de M. Simons est mise aux voix et adoptée.
M. le président. - Je vais mettre aux voix les articles de la loi.
M. Fallon. - Comme on ne peut arrêter le chiffre du budget que quand on aura voté définitivement les chiffres des diverses allocations, je proposerai de remettre le vote des articles de la loi après le second vote des articles du budget.
M. le président. - S’il n’y a pas d’opposition, nous procéderons de cette manière.
M. le président. - A l’art. 3 du chapitre premier, il y a eu une augmentation de 7,000 fr. Mais le ministre s’y est rallié.
M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - Je m’étais proposé de profiter de second vote de la chambre pour reproduire la proposition du gouvernement ayant pour objet d’augmenter le cadre des officiers-généraux ; mais comme on m’a fait observer que cette proposition était un amendement à la proposition primitive du gouvernement, je ne la reproduirai pas, et je me bornerai à déclarer que je regarde cette augmentation comme de la plus grande utilité et que je n’y renonce que par respect pour le règlement.
- La chambre confirme successivement les amendements adoptés aux deux premières sections du chapitre II et aux six premiers articles de la section III.
« Art. 7. Masse de casernement des hommes. »
M. le président. - Le gouvernement avait demandé fr. 830,966 70 c. ; sur la proposition de la section centrale, la chambre à réduit l’allocation à 773,805 70 c. : différence, fr. 57,161.
M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - Messieurs, je viens proposer à la chambre de revenir sur le vote qu’elle a émis dans la séance où elle a prononcé sur l’article 7 du chap. Il qui est en ce moment en délibération. Je pense que ce vote a été plutôt émis dans l’intérêt de quelques régences, que dans l’intérêt général du pays ; je vais en donner la preuve.
Je ne m’arrêterai pas sur la circonstance de l’ébranlement qui résulterait pour le crédit du pays de ce qu’un marché conclu de bonne foi ne serait pas respecté. Mais j’insisterai particulièrement sur la grande considération de l’amélioration que le nouveau système de couchage a apportée au bien-être et surtout à la santé des troupes.
J’ai lieu de m’étonner de ne pas rencontrer d’accord avec moi les honorables membres que j’ai eus pour adversaires dans la question relative au service de santé. Je pense que la santé du soldat est aussi intéressée à ce qu’on lui procure un couchage sain et isolé, qu’à ce qu’il ne soit pas mêlé aux médicaments qu’on lui administre, des matières, je ne dirai pas délétères, mais pouvant en diminuer l’effet.
Il n’y a pas là un principe évidemment vicieux ; car, en augmentant la dose, on obtient les mêmes résultats qu’on obtiendrait avec la substance pure.
Mais, dans le système du couchage à deux, il y a inoculation de principes vicieux et délétères ; et je crois être dans la vérité en disant que ce système de couchage double toutes les infirmités et peut-être tous les vices.
Je prendrai pour exemple le fléau qui a fait le plus de mal dans l’armée. Sans admettre le chiffre de mille aveugles indiqué par M. A. Rodenbach, je suis obligé de convenir que d’après le relevé que je possède, il est au moins de 700. Ce qui est certainement beaucoup.
Quant à l’ophtalmie dite militaire qui ne produit guère que la moitié du chiffre des ophtalmistes, quoique le système suivi par le gouvernement soit celui de la non-contagion, on doit convenir que ce système n’a pas rencontré l’assentiment universel. Il y a des personnes qui pensent encore que l’ophtalmie est contagieuse. Il y a même des administrateurs et des médecins qui ont eu la crainte que quelques miliciens n’aient porté la contagion dans leurs foyers.
Mais on vous dit qu’il n’y a guère que la moitié d’ophtalmistes militaires. La plupart des autres ophtalmistes viennent de défaut de constitution physique, ou bien d’excès de débauche ; et je pense que l’ophtalmie due à ces deux causes est essentiellement contagieuse. Sous ce rapport il est impossible de méconnaître les malheurs devant résulter de la réunion dans un même lit de deux hommes : l’un sain et l’autre ayant le germe d’une telle maladie. Je ne crois pas qu’il y ait besoin de beaucoup de développements pour soutenir cette opinion, quoique ce soit là une opinion médicale.
Sous ce point de vue, je regarde comme contraire au bien général le rejet du système auquel nous devons le bon couchage des troupes et surtout leur couchage un à un.
Maintenant je reviens au système que j’ai exposé à la chambre.
Je crois avoir démontré que le nouveau système de couchage est bon et n’est pas onéreux à l’Etat ; car il est comparativement moins cher que celui qu’il a remplacé. On m’a à la vérité fait une objection contre les calculs que j’ai établis ; on m’a dit que je ne tenais pas compte de la non-occupation. La non-occupation doit être envisagée sous deux rapports : quant à la compagnie Legrand et quant aux régences.
Quant à la compagnie Legrand, on a mis en avant que la non-occupation serait toujours d’un tiers. Pour moi je suis persuadé que le taux moyen ne dépassera pas un dixième ou un huitième tout au plus. La première année, où l’organisation a rencontré des difficultés très grandes, la non-occupation n’a pas été d’un sixième. Mais j’accorde même la non-occupation. J’ai établi que le loyer d’un lit de la compagnie Legrand, où nos hommes sont couchés seuls, coûte un demi-centime de plus par jour que les lits doubles des régences. Si je joins à cela la différence d’un tiers, j’ai pour résultat les cinq sixièmes, c’est-à-dire que l’Etat paie 5 sixièmes de plus pour un bon lit où nos hommes sont couchés seuls que pour un mauvais lit où ils sont couchés à deux. Mais, dit-on, les régences ne reçoivent pas cinq centimes par jour ; par conséquent la différence de non-occupation diminue le chiffre des régences.
Je crois que l’on ferait bien de faire abstraction de la non-occupation des régences, puisqu’on fait abstraction des frais d’entretien des bâtiments.
L’an dernier, l’honorable rapporteur a appris à la chambre qu’à Gand on avait repris du gouvernement de mauvaises couchettes, et que l’on avait regardé ce cadeau comme onéreux.
Je ne comprends pas d’abord comment on accepte un cadeau onéreux. Toujours est-il que l’on avait donné pour raison de cette acceptation le grand avantage que procure une garnison : notamment l’augmentation des revenus de l’octroi et des bénéfices de tous les commerces à peu près de la ville. D’après cela, je pense qu’il y aurait une injustice réelle à mettre sur la même ligne des entrepreneurs qui ne jouissent pas de ces avantages et les villes qui les réclament.
Je reviens aux chiffres.
Le simple soldat d’infanterie qui reçoit la solde la moins élevée met tous les jours dans son ordinaire 21 centimes. Le moindre denier de poche du soldat d’infanterie est à peu près de 25 centimes ; par conséquent le soldat le moins bien payé dépense tous les jours dans la ville où il est en garnison. Si maintenant je tiens compte de la dépense plus grande des officiers et des sous-officiers, et en outre de ce que les soldats reçoivent de leur famille et dépensent encore, je ne crois pas exagérer en doublant la dépense que j’avais indiquée ; je crois que l’on peut compter que chaque homme dépense tous les jours de 80 à 90 centimes par jour. Malheureusement la consommation la plus grande est en eau-de-vie et en bière. La consommation louable est en viande. Je crois que l’on peut évaluer taux moyen les droits d’octroi à 30 p. c. du prix des denrées. Mais mettons-les à 20 p. c., soit même à 10 p. c. Prenez donc 10 p. c. à chaque soldat d’après la consommation de 80 à 90 centimes par homme et par jour. Alors vous serez convaincus qu’une régence reçoit par homme non pas 5 centimes pour le lit qu’elle lui donne, mais en outre de 8 à 10 centimes sur la dépense qu’il fait. La compagnie Legrand ne fait pas cette dernière recette. Si vous considérez en outre qu’elle donne un bon lit au soldat et qu’elle le couche seul, trouverez-vous que l’Etat donne trop lorsqu’il donne les 5/6 d’un centime de plus ? Ne suis-je pas en droit de conclure que sous ce point de vue, qui est fort rationnel, on ne peut dire que le marché de la compagnie Legrand soit onéreux à l’Etat ?
Je n’ai pas besoin de revenir sur la question des frais de réparation et d’entretien, puisqu’il me semble qu’elle n’a pas été contestée.
Je ne traiterai pas la question constitutionnelle ; mon intention n’est pas de l’attaquer.
Si l’honorable général Evain avait prévu tous les désagréments que lui a attirés cette question, il s’est acquis un titre de plus à la reconnaissance de l’armée. Pour moi il faudrait une nécessité absolue pour que je m’exposasse aux mêmes désagréments. A moins de cela, fût-ce même pour faire le bien, je ne le ferais pas. La chambre n’a donc pas à craindre, si elle sanctionne ce marché de 20 ans, que ce soit un acheminement et une voie ouverte à des marchés semblables.
Je crois pouvoir borner là mes explications et prier la chambre de voter le chiffre du gouvernement.
M. Desmaisières, rapporteur. - L’honorable ministre de la guerre a commencé par faire observer à la chambre que l’opinion qui avait prévalu dans une précédente séance reposait principalement sur l’intérêt des régences. Je dois d’abord lui faire observer que ce n’est que secondement que l’intérêt des régences a été mais en jeu dans la discussion.
Maintenant M. le ministre de la guerre vous a fait un nouvel exposé des améliorations que le système de couchage adopté avait introduites dans l’intérêt du soldat. C’est là une question sur laquelle dès le premier abord tout le monde a été d’accord.
Le rapport que j’ai eu l’honneur de faire au nom de la commission spéciale a commencé par reconnaître que ce nouveau système était un bienfait. Nous rendons grâce au ministre d’avoir porté des modifications au système de couchage dans l’intérêt du soldat.
Messieurs, ce que nous avons critiqué, ce que nous critiquerons encore, ce que nous critiquerons toujours, c’est le mode d’exécution de ce système, c’est la manière dont on l’a pratiqué ; c’est là ce qui est onéreux à l’Etat, au soldat, et aux communes.
L’honorable ministre de la guerre a dit encore qu’il ne croyait pas que les lits de la compagnie Legrand pouvaient rester inoccupés, ou qu’il n’y en aurait que le dixième qui serait inoccupé. Je ne sais pas s’il entend borner cette assertion à la situation actuelle du pays, ou s’il entend parler de la situation de guerre, d’hostilité ; dans ce cas, je crois qu’on n’en occupera presque pas, et peut-être même pas un seul, et par conséquent, aux charges de guerre que nous devrons alors supporter, nous devrons ajouter 432,000 fr. annuellement sans utilité aucune.
S’il a parlé de l’état de paix, il est encore certain que nous éprouverons une lésion qui, comme je l’ai fait remarquer dans mon rapport, monte à 228,000 francs par année.
Si c’est de la situation actuelle seulement que le ministre a entendu parler, je suis à même de montrer que dès la première année de l’exécution du marché de 1836, si le service avait été complété, on n’aurait pas occupé tous les lits de la compagnie.
Je tiens ici un état qui a été remis à la section centrale par le ministre de la guerre, er qui indique les chiffres des diverses garnisons d’infanterie dans toutes les villes du royaume pendant l’année 1836. D’après cet état, il y aurait en troupes d’infanterie dans les places où le service de la compagnie Legrand est établi (successivement pendant la durée des camps, hors de la durée des camps).
Bruxelles, 2,000 - 2,300
Vilvorde, 150 - 200
Charleroy, 110 - 400
Anvers, 1,770 - 2,300
Liége, 890 - 1,200
Mons, 630 - 1,000
Namur, 630 - 1,000
Tournay, 630 - 800
Lierre, 350 - 300
Hasselt, 440 - 400
Total, 7,450 - 9,700.
A déduire pour Namur et Liège, où le service Legrand n’est établi que partiellement, et pour les malades aux hôpitaux, en restant beaucoup au-dessous de la proportion de l’état que je tiens en main, 745 - 970.
Reste : 6,705 - 8,730.
Ce qui présente, en supposant la durée des camps à 2 mois, tandis qu’au budget on l’a portée à 100 jours, une moyenne de 8,392 hommes.
D’après l’annuaire, les garnisons en troupes de cavalerie, en supposant le complet du budget, auraient présenté pour un escadron à Anvers, trois à Namur, deux à Charleroy, six à Tournay et quatre à Bruxelles (déduction faite pour les malades), 3,051 hommes.
C’est faire une large concession que de supposer qu’un tiers du complet, selon le budget, ait été pendant toute l’année en garnison dans les places du service Legrand, 2,662 hommes.
Total des troupes qui auraient pu être couchées sur les lits Legrand en 1836, si le service eût été complété dès le 1er janvier 1836, 14,105 hommes.
Or, le service Legrand est établi pour 21,705 hommes.
Donc il y aurait eu des lits inoccupés pour 7,600 hommes.
Et par conséquent, de ce chef, dès la première année du marché, on aurait payé, dans l’état de dislocation des troupes que l’on avait établi sans doute de manière à ce qu’il fût en rapport avec la situation du pays, on aurait payé, dis-je, 150,000 fr. en trop.
Le ministre a fait ensuite ressortir les avantages qui résultent pour les villes d’avoir garnison : nous sommes d’accord avec lui sur ce point ; certainement, ces villes ont de très grands avantages par suite des garnisons, et c’est pour cela que nous avons toujours soutenu que l’Etat pouvait mieux traiter avec les régences qu’avec les entrepreneurs, parce que les entrepreneurs ne pouvaient pas obtenir les avantages indirects qu’ont les villes. Ainsi, loin de combattre, par là, notre opinion, le ministre n’a fait que la renforcer.
On a constamment cherché à nous entraîner sur un terrain où nous ne voulions pas aller ; on a constamment cherché à réduire la question à une question d’intérêt personnel, en quelque sorte, entre des entrepreneurs rivaux. Nous n’avons jamais voulu nous poser sur ce terrain. Nous l’avons fait, il est vrai, dans notre premier rapport, parce que cette question avait été le principal point sur lequel avait porté la discussion avant la nomination de la commission spéciale, au nom de laquelle j’ai présenté ce rapport, et nous l’avons fait alors, parce qu’alors aussi il était de notre devoir d’examiner la question des lits militaires sous ce point de vue. C’est pourquoi nous avons posé la sixième et la huitième des questions que nous avons résolues. La sixième question était ainsi conçue :
« Aux conditions de l’adjudication, eût-il été plus avantageux à l’Etat d’acquérir et de fournir lui-même les couchettes en fer que d’en charger l’entrepreneur ? »
La huitième question était celle-ci :
« La soumission de Félix Legrand et compagnie était-elle plus avantageuse que celle de Destombes. »
Vous le voyez, messieurs, alors et alors seulement nous avons été obligés de considérer aussi la question des lits militaires sous ce point de vue, parce que la force des choses nous y avait entraînés, parce que le ministre lui-même l’avait traitée.
Mais la section centrale n’a pas voulu de nouveau s’engager dans cette discussion ; elle a voulu que la discussion fût dégagée de tout ce qui pouvait être personnel à des intérêts rivaux. Cependant, puisqu’on est revenu sur ce point, je vais présenté à la chambre quelques calculs qui prouveront à l’évidence que l’auteur de l’adjudication a mal choisi entre les deux bases que lui-même avait posées.
La soumission de Destombes, sur la seconde base, c’est-à-dire sans couchettes, où les couchettes fournies par l’Etat, était de 375,237 fr. 80 c.
La soumission de la compagnie Legrand, qui a été accueillie sur la première base (avec couchettes) s’élevait à 432,650 fr.
Différence en plus, fr. 57,400.
Or, payer 57,400 fr. par année, pendant vingt années, revient à payer aujourd’hui, c’est-à-dire au commencement de la première des vingt années, en calculant les annuités à 5 p. c., 715,000 fr. Ainsi l’auteur de l’adjudication, en choisissant la base de l’adjudication Legrand, faisait payer à l’Etat une somme de 715,000 fr. ; en pourquoi ? pour le simple usage des lits de fer, et non pour en acquérir la propriété, car au bout des vingt ans l’Etat n’avait rien.
La compagnie Legrand dit actuellement, ainsi que l’auteur de l’adjudication, que les lits de fer lui reviennent en définitive à 650,000 fr. (Notez bien que c’est après des modifications qu’il a fallu faire au modèle reconnu tout à fait défectueux.)
Eh bien, sur ces 650,000 fr., vous aurez encore une différence de 65,000 fr.
Et si aujourd’hui la compagnie Legrand n’avait fait aucune proposition de transaction, si elle s’était tenue au marché, il faudrait au bout de ce marché ajouter à ces 65,000 fr., qui deviennent alors 172,000 fr. par suite des intérêts composés, encore le prix des couchettes, ce qui fait 650,000 fr. ; ainsi le désavantage total pour l’Etat est de 822,000 fr.
Mais comme la transaction dernière réduit à 290,000 fr. le prix des couchettes au bout des vingt ans, il en résulte une diminution à faire de 360,000 fr. ; il resterait toujours un désavantage, pour l’Etat, de 462,000 fr., et l’on aurait les lits en fer entièrement détériorés.
Ainsi, messieurs, vous voyez que la question doit être tranchée comme nous vous le proposons, en la restreignant même dans les limites étroites où l’on veut à toute force la retenir et dont nous avons, nous, toujours voulu sortir, puisqu’il ne s’agit pas de savoir s’il fallait adjuger à Destombes plutôt qu’à Legrand ou à Legrand plutôt qu’à Destombes, mais qu’il s’agit de l’intérêt de l’Etat, de l’intérêt du soldat, de l’intérêt des communes ; veuillez relire, dirai-je, encore une fois, en pages 42, 43 et 44 du rapport de la section centrale, et vous y verrez si ces intérêts ont été ménagés ou s’ils n’ont pas été évidemment lésés.
Je le répète, messieurs, la principale objection qui ait été faire contre le marché, celle qui domine toutes les autres, c’est que la prime de loyer est payée à la compagnie, que les lits soient occupés on non ; c’est là l’article du contrat qui est le plus onéreux à l’Etat.
Je ne reviendrai point sur les propositions de transaction que j’ai faites l’autre jour, mais je soutiens que ce sont les seules bases qui puissent concilier tous les intérêts.
Le ministre de la guerre se propose d’établir une nouvelle dislocation des troupes, parce qu’il considère celle qui existe maintenant comme vicieuse, comme pouvant nuire aux intérêts de la défense du pays ; eh bien, messieurs, si la transaction que je regarde comme la seule possible, comme la seule qui puisse concilier tous les intérêts, avait lieu, M. le ministre de la guerre ne serait nullement gêné dans l’exécution de la mesure de dislocation qu’il se propose de prendre, tandis qu’il le sera infailliblement dans l’état actuel des choses : car d’une part il se trouvera en présence des contrats faits avec les régences, et d’autre part il se trouvera en présence du contrat fait avec la société Legrand ; il devra, pour satisfaire aux intérêts du trésor, faire en sorte que tous les lits de la société soient occupés, autant que possible ; il devra donc augmenter les garnisons là où elles ne sont pas assez nombreuses pour occuper tous les lits de la société qui s’y trouvent, et d’un autre côté, s’il ne veut pas manquer à la foi des promesses, il devra aussi augmenter les garnisons des villes avec lesquelles il a traité pour le couchage des troupes. Je le demande donc, messieurs, le ministre de la guerre ne sera-t-il pas éminemment gêné dans le système de dislocation qu’il veut établir ?
M. Pirson. - Messieurs, dans l’état où la question qui nous occupe en ce moment s’est présentée l’année dernière, lorsque le ministre de la guerre nous a demandé un crédit pour la masse de casernement des troupes, après qu’il eut conclu un marché de vingt ans pour le couchage des soldats, il était, selon moi, impossible de voter en faveur de ce crédit, parce que le marché n’était pas accompagné des pièces nécessaires, et entre autres d’un tarif qui mît le soldat à l’abri des concussions qui auraient pu être exercées à son préjudice ; il était impossible de voter contre le crédit, parce qu’il n’était pas suffisamment démontré qu’il fut onéreux pour l’Etat. Je proposai donc un libellé qui ne renfermait autre chose que l’ajournement de la question jusqu’à cette année. Ce libellé fut amendé par M. le ministre des finances et adopté ensuite par la chambre.
Maintenant, messieurs, notre position n’est plus la même : nous avons maintenant un tarif qui met le soldat à l’abri de toute espèce de concussion ; nous avons la possibilité d’acquérir la propriété des lits de fer à l’expiration du marché ; nous avons en outre une circonstance avantageuse qui ne dépend ni de nous ni de la société : c’est le grand renchérissement du fer qui est maintenant d’un tiers plus cher que l’année dernière ; d’où il résulte que, puisque la compagnie offre de nous céder la propriété des lits de fer pour à peu près la moitié du prix auquel ils étaient cotés l’année dernière, nous avons en définitive le moyen d’acquérir ces lits pour le tiers environ de leur valeur actuelle.
Je ne dirai plus rien des avantages du nouveau système de couchage comparativement à l’ancien ; la section centrale, le ministère, nous tous, tout le monde reconnaît que le nouveau système est, sous le rapport de la salubrité et de la morale, infiniment meilleur que l’ancien.
M. le ministre de la guerre a fait un appel aux sentiments de la chambre ; il a dit que ses adversaires d’hier doivent aujourd’hui appuyer son système ; eh bien, messieurs, je réponds à cet appel, et cela prouve que je ne fais point une opposition systématique. Mais, par la même raison que, de notre côté, nous ne faisons point de la question une affaire d’amour-propre, le ministère ne doit point non plus faire de la question qui a été discutée hier une affaire d’amour-propre. S’il ne pèse point sur certains individus une culpabilité suffisante pour qu’ils soient dénoncés aux tribunaux, il est au moins certain qu’il y a de mauvais administrateurs, et un ministre doit savoir faire justice des mauvais administrateurs.
M. A. Rodenbach. - Messieurs, je voterai le chiffre qui est proposé par la section centrale ; je ne saurais sanctionner un marché qui a été conclu comme celui des lits de fer : quelques semaines avant la réunion des chambres, un ministre prend sur lui de conclure un marché si considérable pour un terme de vingt ans, au lieu d’attendre quelques semaines et de proposer d’abord à la législature une loi qui l’autorisât à conclure un marché pour le couchage des troupes ; s’il avait agi de cette manière, il aurait entendu les mandataires de la nation, il se serait éclairé et il en serait résulté un marché qui n’eût pas été aussi onéreux pour l’Etat que celui dont il s’agit en ce moment. La section centrale aussi bien que les ministres, aussi bien que nous tous, veut que le soldat soit bien couché ; nous aurions tous donné la main à un arrangement qui assurât aux soldats un bon couchage et qui ne lésât pas les intérêts du trésor.
Lorsqu’il s’est agi de première fois de ce marché, le ministre et ceux qui l’appuyaient tenaient le même langage qu’aujourd’hui ; on nous disait en faveur du marché tout ce qu’on nous dit aujourd’hui ; cependant depuis lors la compagnie Legrand a fait des concessions, elle nous a successivement fait plusieurs propositions ; si nous avons le courage de les refuser, il n’y a pas de raison pour qu’elle n’en fasse pas de nouvelles, d’autant plus qu’elle est dans son tort puisqu’elle devait connaître la loi, puisqu’elle devait bien savoir qu’un ministre n’avait pas le droit de conclure un semblable marché sans le concours des chambres ; nous ne pouvons donc que gagner en adoptant la proposition de la section centrale ; nous y gagnerions au moins un million ou un million et demi.
En France les troupes ne sont pas mal couchées, et là cependant le couchage ne coûte que 15 francs par homme ; ici vous payez 20 francs et des centimes, ce qui fait un quart de plus qu’en France où personne ne peut se plaindre du couchage du soldat.
Je répète donc que le marché est onéreux, et que si nous voulons ne pas prodiguer les deniers des contribuables, nous devons adopter la proposition de la section centrale ; le soldat n’en sera pas moins bien couché, il n’en aura pas moins des lits du fer, et nous aurons soigné les intérêts du trésor ; nous aurons appris aux ministres à ne pas contracter des marchés pour vingt ans sans le concours des chambres.
M. Verdussen. - Messieurs, j’ai déjà en l’occasion de le dire plusieurs fois, et il faut que je le répète encore aujourd’hui, j’aurais été prêt à voter une somme beaucoup plus forte que celle qui nous est demandée, s’il eût dépendu de cette somme de procurer au soldat un couchage avantageux ; mais la seule chose dont il s’agissait, c’est qu’au moment où le marché a été conclu par le prédécesseur de M. le ministre de la guerre, il n’était pas nécessaire de faire les sacrifices qu’on a faits pour assurer le bon couchage des soldats ; c’est sous ce seul rapport que j’ai trouvé le marché onéreux pour l’Etat.
Lorsqu’il s’est agi de voter le chiffre, je me suis abstenu et je vous ai fait connaître les motifs de mon abstention ; ces motifs subsistent encore aujourd’hui ; mais il en est encore un autre, c’est que je ne puis admettre ni l’un ni l’autre des chiffres qui nous sont proposés : celui du ministre de la guerre est insoutenable, ce que je crois avoir prouvé ; celui de la section centrale me paraît trop faible : il me semble qu’il faudrait voter un chiffre intermédiaire.
Je ne l’ai pas présenté, je ne le présente pas encore, parce que je ne pense pas qu’il puisse faire fortune dans la chambre.
Je saisis cette occasion pour rectifier une erreur dans laquelle paraissent être tombés plusieurs des orateurs qui ont parlé sur le chiffre que j’avais posé. J’en excepte cependant l’honorable M. Gendebien qui m’a compris.
Lorsque j’ai dit que le chiffre de 13 mille fr. était celui que le ministre avouait être payé en plus qu’il ne fallait, je n’ai pas voulu prendre sur moi tous les chiffres qui avaient été la base du mien ; mais, pour ne pas rencontrer de contestations, j’ai pris les bases de mon calcul dans un mémoire que le ministre avait présenté sous le titre d’exposé succinct. Ces chiffres pouvaient être contestés, mais je n’ai pas voulu batailler avec le ministre sur ces chiffres. J’ai commencé par dire que j’acceptais ses chiffres hypothétiquement, et que dans cette hypothèse on payait 18 mille fr. de trop. Mais il faut ajouter à ce chiffre 10 mille francs pour frais d’entretien, parce que cet entretien venait à la charge du fournisseur des literies d’après l’article 4 du cahier des charges. Je suis d’accord avec la section centrale, il aurait fallu que le ministre acceptât l’autre base, et la faute capitale qu’il a commise, c’est d’avoir adopté la base à laquelle il a donné la préférence.
Je n’ai jamais voulu faire retourner le soldat à son détestable couchage ; je serais même disposé à faire de plus grands sacrifices que ceux demandés pour éviter un pareil résultat.
Cependant, comme le chiffre de la section centrale pourrait avoir cette conséquence, je m’abstiendrai encore une fois.
M. Eloy de Burdinne. - Messieurs, il est assez d’usage que les membres qui n’ont pas assisté à une discussion s’abstiennent de voter. Cependant, quoique j’aie été retenu chez moi par une indisposition, je ne m’abstiendrai pas dans la question qui nous occupe. J’ai lu attentivement le Moniteur pendant tout le temps qu’a duré cette discussion, et j’ai été plus à même d’apprécier la force des arguments du pour et du contre que si j’avais assisté à la séance, parce que j’ai pu examiner avec beaucoup d’attention, sans être interrompu par personne.
J’ai reconnu donc que le marché Félix Legrand et compagnie était bon, surtout depuis qu’on a fait quelques concessions qui n’existaient pas l’année dernière, quand je me suis abstenu lors du vote du budget de 1836.
Je n’entrerai pas dans les motifs qui me portent à voter en faveur de ce marché. On en a dit assez, je crois, pour que chacun de nous soit convaincu ou pour ou contre.
Pour moi, je considère que l’augmentation de dépense d’un centime, fût-elle de deux ou de trois, pour pouvoir coucher nos soldats seul à seul et leur éviter ainsi des maladies, doit être votée sans hésiter. Ce motif seul doit nous décider à voter le chiffre demandé par le gouvernement. Un autre motif me détermine encore à voter ce chiffre ; c’est que dans la supposition où il ne serait pas voté, je craindrais que le gouvernement ne fût obligé de cantonner l’armée, ou à laisser les soldats sur les grabats des régences, couchés deux à deux et exposés à toutes sortes de maladies. Ce motif d’humanité ne sera pas, j’en suis sûr, perdu de vue par la chambre.
Il est à remarquer que l’homme fatigué, quand il est bien couché, se remet de ses fatigues, récupère ses forces, tandis que quand on est mal couché et deux dans un même lit, on se lève plus fatigué qu’on ne l’était en se couchant.
Comme la sûreté de l’Etat réside dans la force de l’armée, je crois de mon devoir de dire tout ce qui dépend de moi pour que cette armée soit bien couchée, bien nourrie et en état de nous défendre à l’occasion.
En conséquence je ne m’abstiendrai pas ; je voterai le chiffre du ministre, et je ratifierai le marché contracté avec Félix Legrand et Cie.
M. Gendebien. - Je ne veux en aucune façon rentrer dans la discussion : depuis longtemps elle est épuisée ; mais je dois protester contre l’intention qu’on nous suppose et sur laquelle le ministre est revenu. Chacun de nous est convaincu de la nécessité d’un changement dans le couchage des soldats ; la section centrale et la commission qui l’a précédée ont applaudi au régime adopté. Jamais la question n’a été de savoir si nos soldats devaient être bien ou mal couchés ; nous sommes tous d’accord qu’ils doivent être couchés le mieux possible. La question a été de savoir si on ne pouvait pas les coucher aussi bien et même mieux, à un prix moins élevé.
Dans la première discussion j’ai dit que s’il fallait dix centimes par homme et par jour, je n’hésiterais pas à accorder la somme pour empêcher qu’on ne revienne à l’ancien régime du couchage qui n’a duré que trop longtemps. La question est de savoir si l’Etat doit être spolié sans avantage pour le soldat. C’est là le seul rapport sous lequel le marché a été envisagé.
J’ai cru devoir revenir sur cette protestation à cause des insinuations faites au commencement de cette séance par le ministre de la guerre ; jamais on n’a mis en question si les soldats devaient être bien ou mal couchés ; et moi, je le répète, c’est le résultat du marché pour le trésor qu’on a seul examiné ; et si on me prouvait qu’il est nécessaire de doubler la somme, c’est-à-dire de payer dix centimes pour que le soldat fût mieux couché, dès à présent je les voterais. Ce qu’on ne voulait pas, c’est que le trésor fût surchargé de dépenses inutiles, et que le soldat ne fût pas exploité par la compagnie.
Si quelqu’un a droit à la reconnaissance du soldat, ce n’est pas le général Evain ; car il avait livré le soldat à la merci de la compagnie. C’est la commission qui a seule droit à la reconnaissance du soldat, en empêchant qu’il continuât à être exploité, en faisant disparaître du règlement ce qui offrait à la compagnie des moyens d’exploitation.
Voilà, puisqu’on parle de reconnaissance, à qui elle est due.
Je ne dirai qu’un mot du marché. Il est onéreux pour l’Etat, on l’a prouvé de toute manière. J’ajouterai une seule considération, En France le couchage de chaque soldat couchant seul coûte, non compris la couchette en fer, 15-24. La couchette est fournie par le gouvernement ; l’intérêt à payer pour le capital employé à l’acquisition des couchettes n’aurait été que de 1-25 par homme, total 16-49. Nous payons à la compagnie Legrand 20 50 par homme et par an ; différence 4-01 par homme, sur 20,700 lits dont 1,000 lits à deux places : cela fait plus de 21,000 individus couchés par la compagnie. Si vous multipliez ce chiffre par 4, je néglige la fraction, le centime, il en résulte que nous payons 84 mille fr. plus qu’en France ; ajoutez à cela qu’en Belgique tous les objets de couchage sont 25 p. c. meilleur marché qu’en France : jugez de la différence et des sacrifices inutiles. Voilà sous quel rapport la commission a envisagé la question. Sous ce rapport, je persiste à dire que le marché est onéreux, et je persisterai à voter contre, réitérant ma protestation contre l’intention qu’on nous a supposée de vouloir ramener le soldat à l’ancien couchage, déclarant que si une nouvelle proposition est faite, je suis prêt à accorder dix centimes par jour et par soldat pour qu’il soit mieux couché qu’il ne l’est d’après le mode actuel.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Messieurs, je suis charmé que l’honorable préopinant soit entré dans des comparaisons de prix du couchage des troupes en France et en Belgique. Je me proposais moi-même d’aborder ces comparaisons, qui ont été souvent faites dans cette discussion, parce que les arguments qu’on en a tirés contre le marché dont nous nous occupons vont tomber devant les raisonnements fort clairs et fort simples que je vais avoir l’honneur de vous présenter.
Les prix qui résultent du marché passé en France en 1822 sont de vingt francs par lit à deux places avec couchettes en bois, et le prix de location d’un lit à une pièce, la couchette en fer étant fournie par le gouvernement, est de 15 fr. 24 c., comme l’a dit l’honorable préopinant.
Le gouvernement français pouvait donc économiser une somme considérable s’il avait voulu continuer à laisser les soldats coucher deux à deux dans un lit de bois, puisque le couchage de deux hommes ne lui coûtait ainsi que 20 fr., tandis qu’en les isolant, chacun coûte 15 fr. 24 c., indépendamment de la couchette qui est livrée, par le gouvernement ; ce qui fait par conséquent, pour deux soldats couchant seul à seul, un prix de location de 30 fr. 48 c., auquel on doit ajouter au moins 3 fr. par lit pour les couchettes en fer, soit 36 fr. 48 c. ; d’où il résulte une différence de 16 fr. 48 c. par deux hommes dont le gouvernement français a voulu faire le sacrifice, afin que les soldats pussent coucher seuls ; c’est donc un sacrifice de 8 fr. 24 c, par homme, qui, appliqué sur un nombre de 20,000 hommes, s’élève à 164,800 fr. Donc, en comparant les choses dans les deux pays, je dis que la France n’a pas craint de faire un sacrifice de 164,800 fr. pour obtenir un résultat auquel nous sommes arrivés avec les 37,120 fr, que refuse la section centrale.
Mais, messieurs, quand on vient dire que nous payons 20 fr. 50 c. par lit à une place, tandis qu’en France on ne paie que 15 fr. 24 c., on oublie que la couchette est fournie et entretenue par le gouvernement français, à qui elle revient au moins à 3 fr. par homme et par an, ce qui porte à 18 fr. 24 c. le couchage par homme et réduit la différence à 2 fr. 26 c. ; différence qui est elle-même l’argent compensée par l’autorisation donnée aux entrepreneurs français d’employer à la confection des objets de literie en laine les 2/3 des anciennes fournitures, lesquelles, estimées d’abord valoir 13 millions par l’ancienne compagnie, lui furent payées seulement, en suite d’une expertise qu’avait réservée le gouvernement, à raison de 5,800,000 fr. Ces entrepreneurs ont donc employé la majeure partie des anciens objets de couchage, tandis qu’ici nous avons eu des literies tout à fait neuves ; aussi, est-il arrivé que les literies en France n’ont coûté que 60 fr. par lit, tandis qu’ici elles ont coûté de 100 à 105 fr.
De plus, en France, tous les anciens locaux ont été remis aux entrepreneurs, tandis qu’en Belgique ils ont dû fournir des locaux à leurs frais. Cela représente une dépense qui revient à 1 fr. 75 c. par lit. Ensuite nos literies sont plus lourdes, la différence peut être évaluées à 1 fr. 15 c.
Ces différences de conditions sont notables ; cependant, en ne s’y arrêtant même pas, il reste toujours constant qu’en France le gouvernement a fait un sacrifiée de 8 fr. 24 c. par homme et par an pour obtenir un meilleur couchage des soldats, et en Belgique, comparaison gardée, nous n’avons, toutefois, en obtenant mieux encore, fait qu’un sacrifice de 1 fr. 65 c. par homme sur ce que nous étions forcés de payer aux régences.
Je sais que nous avons obtenu un meilleur couchage, car il faut remarquer qu’en France les couchettes ne sont pas tout à fait en fer ; ce sont des tréteaux sur lesquels on pose trois planches ; or, c’est là un grand défaut, attendu que l’air ne pénétrant pas au travers des planches, comme cela arrive entre les tringles en fer, la santé du soldat n’est pas aussi bien assurée avec ce mode qu’avec le nôtre. Les insectes, les punaises finissent d’ailleurs par se loger dans ces planches, et c’est là encore un bien grand inconvénient.
Vous le voyez, messieurs, il est juste, lorsque l’on compare le couchage des soldats en France avec le nôtre, de tenir compte de toutes les considérations qui ont pu faire que les frais y aient été moindres qu’en Belgique.
Outre les différences essentielles que je viens de signaler il en est encore une autre très notable qu’on semble perdre de vue et sur laquelle il est bon d’appeler l’attention de l’assemblée, c’est qu’en France les lits sont placés définitivement dans les casernes auxquelles ils ont été destinés dès le principe, ils ne peuvent pas être transférés dans d’autres localités, en Belgique, au contraire, le ministre de la guerre s’est réservé le droit de faire verser les couchettes qui sont en trop dans cette localité où il le juge nécessaire, et cela aux frais de l’entrepreneur. En France, je le répète, elles restent immuables où elles ont été primitivement placées : et qu’on ne prétende pas que c’est sans importance ; on va construire de suite des casernes à St-Trond et à Tirlemont, et le ministre y fera transporter des couchettes et des literies de l’entreprise afin d’y coucher immédiatement la troupe, ce qui évitera des cantonnements, contre lesquels vous vous êtes élevés avec raison dans tant de circonstances.
Messieurs, ainsi que le ministre de la guerre l’a dit tout à l’heure en terminant, nous avons lieu de penser que si M. le général Evain avait prévu toute la peine, toutes les tracasseries qu’il a essuyées par son marché des lits militaires, il se fût bien gardé de contracter ce marché ; or, l’on n’aurait pas eu de reproches sérieux à lui faire, parce qu’il serait resté dans la position où on était depuis si longtemps. Cependant nous aurions ainsi eu depuis un an plus de 10 mille hommes en cantonnement, ce qui nous aurait coûté deux fois plus que le capital de la somme annuelle contestée par la section centrale, indépendamment des désagréments d’une partie de la population.
Honneur donc au générai Evain, qui a risqué de contracter ce marché en s’exposant à tant de tracasseries ; honneur à lui, car il a atteint un double but dans l’intérêt de la morale et du trésor. Ce que je dis est incontestable ; car depuis que ce marché a été passé, il n’y a plus eu de cantonnements, et sans cela vous auriez eu plus de 10 mille hommes cantonnés, ce qui eût coûté une somme considérable et la coûterait pendant un temps encore plus long.
Vous n’ignorez pas qu’en effet les charges du trésor s’aggravent, par an, de 130 fr. par homme cantonné qu’il coûte de plus que quand il est logé dans une caserne ; pour 10,000 hommes ainsi logés, nous eussions donc dépensé en plus 1,300,000 fr., tout en obligeant une grande partie de nos hôpitaux à subir les cantonnements.
Maintenant, a-t-on bien pesé les conséquences qui peuvent résulter du rejet du marché dont il s’agit en ce moment ? On proteste sans cesse qu’on ne veut pas revenir à l’ancien mode de couchage, replacer les soldats deux à deux dans de mauvais lits. Cependant ce résultat est inévitable, ou bien nous opprimerions le faible, nous obligerions la compagnie adjudicataire à souscrire à des conditions onéreuses, malheureuses. Pour moi, je ne veux pas forcer violemment la société à transiger, et il me semble que la foi du contrat qui mérite bien quelque égard, vous interdit de recourir à un tel moyen.
Et si, en rejetant le marché, la compagnie pouvait se refuser à la transaction qu’on voudrait lui imposer, nous tomberions inévitablement dans les embarras du cantonnement en grevant le trésor d’un surcroît de dépense de 2,600,000 fr. par an ; car, avec l’effectif auquel on porte notre armée, il faudrait cantonner au moins 20,000 hommes. Dans cette position que ferait le ministre de la guerre ? Ne devrait-il pas venir vous demander mensuellement pour les cantonnements un crédit de 216,666 fr.
Les troupes ne pourraient rentrer, même momentanément, dans les anciens lits, il n’en existe plus au-delà du nombre nécessaire à 22 ou 23,000 hommes ; du reste, les adversaires du marché protestent qu’ils ne veulent plus de ce couchage ; par conséquent il est impossible de sortir de l’alternative, ou d’imposer la volonté du plus fort à la compagnie, ou de recourir au mauvais couchage des cantonnements avec ses conséquences désastreuses pour le trésor et pernicieuses pour les habitants.
J’ai dit que la foi due au contrat méritait aussi d’être prise en considération. Pensez-vous qu’à force de rejeter des marchés faits dans l’intérêt du pays par des engagements ministériels, l’on n’éloignerait pas les honnêtes gens qui pourraient avoir l’intention de traiter avec l’Etat ? On ne voudra plus passer de marché de quelque durée, et on aura raison, car c’est la certitude de l’exécution du contrat qui inspire la confiance et qui permet de traiter à des conditions avantageuses pour le trésor. On risquera donc de compromettre cet avantage en rejetant le marché dont il s’agit en ce moment.
Le préopinant vient de dire que s’il y a quelque honneur à retirer dans l’affaire qui nous occupe, il appartient à la commission de la chambre, attendu que c’est elle qui a amené le règlement sur les dégradations, lequel est favorable aux soldats. Je vous rappellerai, messieurs, qu’il n’existait aucun règlement avant celui dont on parle, et que, dès le début des premières discussions relatives aux lits militaires, l’ancien ministre de la guerre a déclaré qu’il n’avait pas encore arrêté de règlement définitif, parce qu’il attendait de quelques mois d’expérience du nouveau service l’appréciation convenable des moyens propres à prévenir dans ce règlement toute espèce d’exactions à l’égard du soldat.
Je le répète donc, il n’existait pas alors de règlement, et celui qui a été fait depuis, c’est l’ouvrage d’une commission nommée par l’ancien ministre de la guerre.
M. Dumortier. - Vous dénaturez les faits.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Je ne dénature nullement les faits. L’ancien ministre a déclaré plus d’une fois qu’il voulait s’éclairer d’une expérience de quelques mois avant de formuler un règlement définitif.
M. Dubus. - Il y avait un règlement qu’on appliquait au su et vu du ministre de la guerre.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Il est constant que ce règlement n’était que provisoire ; et d’ailleurs, qui a nommé la commission qui a rédigé le règlement définitif actuel ? C’est l’ancien ministre de la guerre.
Quoi qu’il en soit, en admettant un moment que le général Evain se soit trompé à cet égard, et que c’est la commission de la chambre qui a amené seule le bon résultat du nouveau règlement, je vous abandonne cela ; mais prenez ce résultat, puisqu’il existe, pour en former avec moi votre conviction en faveur du marché.
Il est reconnu que le soldat ne peut pas être exploité par la compagnie ; or, comme c’était là le motif principal, unique même, de certains orateurs pour s’opposer au marché, je ne concevrais pas qu’ils persistassent à le repousser, lorsque de l’aveu de tous les honorables membres, sans exception, toute exaction envers le soldat est devenue impossible.
M. Dubois. - Je n’ai que deux mots à dire. Ainsi que l’honorable M. Eloy de Burdinne, je n’ai pu assister à la discussion de la question qui nous est soumise ; cependant j’ai suivi cette discussion avec toute l’attention qu’elle méritait, et d’ailleurs l’année dernière j’ai assisté à la longue discussion que cette question a soulevée. Depuis lors des modifications favorables ont été faites au marché ; je croirai pouvoir voter avec toute connaissance de cause. J’avais besoin de faire connaître les motifs de mon vote. (Aux voix ! aux voix ! la clôture !)
M. Gendebien. - Je demande la parole.
M. le président. - M. Lebeau est inscrit avant vous,
M. Lebeau. - Si l’intention de la chambre est de clore la discussion, je renoncerai à la parole. Je n’ai que quelques mots à dire ; mais comme je parlerai dans le même sens que M. le ministre des finances, il serait plus logique d’entendre d’abord un orateur dans le sens contraire, si on n’entend pas clore ; mais me réserve la parole après, parce que j’ai quelques mots à dire.
M. Gendebien. - Le ministre des finances ne m’a pas compris. Il a commencé par supposer que j’aurais oublié que le gouvernement français avait fourni les lits. Mais c’est ce que j’ai dit. J’ai dit à la chambre ce que paie le gouvernement français pour les fournitures d’un lit à une place. Il paie 15 francs 24 centimes. J’ai ajouté à cela de la somme nécessaire pour acheter la couchette complètement en fer en Belgique ; d’où il résulte que pour chaque lit l’on paie 4 fr. 1 c. par an, plus en Belgique qu’en France. J’ai ajouté qu’en Belgique, tout en payant 25 p. c. de plus qu’en France, les objets de couchage coûtent au moins 20 p. c. de moins qu’en France ; de là j’ai conclu qu’il y avait exorbitance dans le marché.
Qu’on vienne après cela nous dire que la compagnie française a acheté des objets qui avaient déjà servi et les a fait entrer dans ses fournitures. Mais il en est de même en Belgique. On a cédé des objets à la compagnie.
Un membre. - On n’a fait que lui en prêter.
M. Gendebien. - Eh bien, l’avantage n’en est que plus grand ; car elle n’a rien payé pour la location de ces objets prêtés ; au moins je n’ai rien vu porté de ce chef au budget des recettes.
En France on a cédé à la compagnie, qui les a payés, de mauvais objets ayant déjà servi. Mais ces objets ont dû être renouvelés plutôt que des objets neufs. Ainsi, en définitive, le résultat est le même pour les entrepreneurs.
On vous a parlé des couvertures ; elles valent mieux qu’en France, vous a-t-on dit. Je rencontrerai cette observation en répondant à ce qu’a dit le ministre des finances sur le règlement. Vous verrez ce qui a été fait relativement aux couvertures, et vous n’en serez pas édifiés.
On vous a dit qu’en France les couchettes n’étaient pas tout en fer, qu’il y avait trois planches au fond des lits. Mais ai-je fait mes calculs pour des lits partie en bois, partie en fer ? Non. J’ai pris pour base de mes calculs des lits totalement en fer. Ainsi, l’objection du ministre ne répond à rien ; et par conséquent les punaises n’ont plus rien à faire dans cette discussion.
On vous a parlé des grands inconvénients des cantonnements. Si le général Evain n’avait pas contracté de marché, les troupes, dit-on, seraient en cantonnement. Mais on a contracté un marché, et les troupes vont être cantonnées, si bien que l’on vient vous demander un supplément pour un grand nombre de troupes à envoyer en cantonnement. C’est là le résultat de notre situation de quasi-paix ou de quasi-guerre ; il y aura toujours des cantonnements, qu’il y ait ou non des couchettes en fer. Ainsi, cet argument tiré des cantonnements doit être rayé des observations du ministre en réponse à mes calculs, auxquels elles ne répondent d’ailleurs en aucune façon.
Mais, dit-on, si le général Evain avait prévu tous les désagréments que lui attire ce marché, il ne l’aurait pas passé. Mais il lui était bien facile de prévoir tous ces désagréments ; il savait ce qui s’était passé sous son prédécesseur, sous lequel il avait travaillé, M. de Brouckere ; il savait donc qu’il fallait une loi ; car M. de Brouckere, sur mon observation, l’avait reconnu au sein de la chambre. M. Evain n’avait qu’à proposer une loi ; on aurait discuté les bases du marché. Il aurait dû le faire d’autant plus qu’en France il y avait eu un autre marché ; il est convenu que ce marché lui a causé les plus grands désagréments, qu’il a été pour lui l’objet d’une disgrâce. Il avait donc et l’expérience de ce qui s’était passé en France, et l’expérience de ce qui passe dans cette chambre.
On est revenu sur les prétendues atteintes au crédit public, si le marché était annulé. Mais je dis, moi, que quand on verra que la chambre veille à ce que toutes les dépenses soient faites au meilleur marché possible, le crédit public s’en trouvera affermi. Je crois qu’un homme économe, quelle que soit sa position, a plus de crédit que celui qui ne veille pas rigoureusement à ses dépenses.
Quant à l’influence que le marché peut avoir pour les entreprises futures, cette influence est nulle. Toutes les fois qu’un marché dépassera le terme d’une année, le ministre sera obligé de demander une loi aux chambres, et dès lors, sans loi, le ministre ne trouvera pas d’entrepreneurs : à cela il n’y a pas de mal. Ce sers une garantie de plus contre le retour de marchés tels que celui fait par le général Evain ; ce sera une sanction de plus pour la conservation de nos prérogatives.
M. Willmar a dit que l’on ne devait pas craindre, en sanctionnant le marché, d’établir un précédent, parce que lui prenait l’engagement de ne pas contracter de marché semblable. Mais M. Willmar est-il éternel au ministère ? Vous avez vu, dans la séance d’hier, qu’il n’y tenait guère ; car, au sujet du plus léger différend, il voulait s’en aller. Le successeur de M. Willmar respecterait-il ses engagements ? M. Willmar n’oserait pas le garantir. Par conséquent cette objection tombe comme tant d’autres.
Enfin on vous a dit encore que c’était un abus de la force que de mettre la société dans la nécessité de transiger, quand, après des démarches si multipliées, on devait présumer qu’elle ne pouvait pas faire de sacrifices. Mais n’a-t- il pas été établi qu’il est payé en trop, d’après mes calculs, 37,000 fr. pour les couchettes seules ; et, d’après les calculs de M. Verdussen, 18,000 fr. avec la possession des couchettes à la fin des 20 années ?
Nous ne demandons que le sacrifice de cette somme ou même d’une partie de cette somme : après cela il restera encore une différence de plus de 3 fr. par lit en faveur de la compagnie Legrand sur la compagnie française, sans parler des avantages résultant du prix plus avantageux de tous les objets de fournitures en Belgique.
On a conteste d’abord à la commission (puis on a ensuite abandonné cette prétention) le droit qu’elle peut prétendre à la reconnaissance du soldat, pour avoir fait modifier les règlements qui le livraient à l’exploitation de la société. On dit, pour justifier le général Evain, qu’il n’y avait pas de tarif, ou au moins que le tarif n’était que provisoire.
S’il en était ainsi, je dirais que le général Evain est très condamnable et qu’il y a eu au moins imprudence et même incurie de sa part ; mais il y a plus, le général Evain n’a pas dit la vérité ; car il y a eu un tarif, et ce tarif a été publié à la suite du cahier des charges dont un exemplaire a été remis à chacun des membres de la commission. Ce tarif n’était que provisoire, dit le ministre des finances. Mais quels changements y ont été faits ?
On a changé le tarif, mais ce fut pour l’augmenter et aggraver la position du soldat, et cela avant que la commission ne s’occupât des lits de fer ; on l’a augmenté notamment pour les couvertures dont a parlé M. d’Huart.
L’évaluation des dégradations a été augmentée dans plusieurs articles. Pour n’en citer que deux, je vous ferai remarquer que pour les couvertures de laine elles étaient portées au tarif annexé au cahier des charges à 10 fr. pour les lits à une place et à 13 fr. pour les lits à deux places ; eh bien, Evain les a portées à 15 fr. et à 18 fr. Il connaissait donc le tarif, il l’avait même révisé, mais au profit des entrepreneurs.
Voila comment le général Evain a stipulé pour l’intérêt du soldat : il a augmenté, après l’adjudication, les articles du cahier des charges, lorsqu’il s’est agi de restitutions à faire par le soldat. Et l’on dira après cela que le soldat doit une grande reconnaissance au général Evain ?
Le général Evain à dit dans la première discussion qu’il avait amélioré les couvertures, qu’il avait exigé qu’elles fussent d’une meilleure qualité, que c’est pour cela qu’il avait augmenté le tarif des pertes et dégradations. J’ai demandé où il avait stipulé cette qualité meilleure des couvertures ? Cette question est restée sans réponse. Ainsi le général Evain augmente à la charge du soldat le prix des réclamations des objets fournis, et quand, pour s’excuser, il vient vous dire que les prix ont été augmentés, il se trouve qu’il n’y a aucune stipulation vis-à-vis des entrepreneurs. Je demande si cette conduite mérite l’éloge de la nation et la reconnaissance de l’armée. Voilà dans quel sens le général Evain s’est occupé du soldat, voilà comment il a bien mérité de la patrie ainsi qu’il s’en est vanté dans plusieurs discours.
Maintenant je ne reviendrai pas sur l’examen du tarif. Vous avez entendu s’expliquer sur ce point, dans les précédentes séances, un grand nombre d’orateurs. Tous vous ont exprimé une profonde indignation ; l’honorable M. Desmanet de Biesme vous a dit que l’on ne suivait même pas le tarif, et il vous a donné la liste des sommes que l’on faisait payer ; il a cité principalement les soldats des guides, et toute la chambre en a été indignée.
Eh bien, je ne crains pas de dire que si je n’avais pas donné l’éveil à la chambre, le tarif aurait subsisté ; on aurait attendu que l’excès du mal amenât le remède, que le soldat fatigué de ces exactions réclamât bien haut. C’est ce que la commission a voulu éviter. C’est en ce sens que non seulement le soldat, mais aussi le gouvernement, lui doit de la reconnaissance.
Un grand nombre de membres. - La clôture !
M. Lebeau. - Si la chambre veut clore la discussion, je renonce volontiers à la parole.
M. Pirmez. - Je demande la parole contre la clôture.
Je n’ai que trois mots à dire. J’ai été absent ; et cependant je ne m’abstiendrai pas. Mais je voudrais dire pourquoi ; c’est l’affaire de trois mots. Je voulais dire...
M. le président. - La clôture ayant été demandée, je ne puis vous donner la parole que contre la clôture.
- La clôture est prononcée.
(Moniteur belge n°80, du 21 mars 1837) M. le président. - La chambre a à statuer sur l’article « Masse de casernement des hommes. »
Conformément aux antécédents de la chambre, je mettrai d’abord aux voix le chiffre le plus élevé, celui de 830,666 fr. 70 c., proposé par le ministre.
M. Pirson. - Je demande la parole sur la position de la question.
Nous allons voter sur 2 chiffres différents : l’un proposé par la section centrale, l’autre proposé par M. le ministre. Il est nécessaire qu’avant de voter, nous sachions bien quelle est la portée du vote que l’on va émettre. L’an dernier, il y avait un libellé. Il était dit que le chiffre était adopté sous toutes réserves, quant au marché. Cette année-ci, je demande s’il ne serait pas nécessaire d’ajouter un libellé.
Si le chiffre de la section centrale est adopte, c’est le rejet du marché. Mais si l’on adopte le chiffre du ministre, c’est l’adoption du marché. Cependant il ne faut pas qu’il y ait erreur sur ce fait. Il ne faut pas que l’on puisse revenir sur cette discussion plus tard. Ainsi, il est clair que ceux qui voteront pour le chiffre du ministre adopteront le marché.
Je n’insiste pas sur un libellé quelconque, parce qu’il est bien entendu que si l’on adopte ce chiffre, on laisse à la sagacité du ministre de l’employer et d’obtenir les conditions les plus avantageuses qu’il pourra obtenir.
M. Dumortier. - Il ne faut pas se tromper sur le vote que nous allons émettre. Nous allons voter un chiffre et rien qu’un chiffre. Si vous adoptez le chiffre de la section centrale, le marché est rejeté, car ce chiffre ne suffit pas pour satisfaire au contrat, ou bien il faudra que le marché soit modifié d’après votre vote. Mais si vous adoptez le chiffre du ministre, ce n’est pas l’approbation du marché ; car vous ne pouvez pas approuver un marché de 20 ans.
M. Gendebien. - Il me semble qu’aux termes du règlement les amendements doivent être remis aux voix à une séance suivante. Or, c’est l’amendement de la section centrale qui a été adopté ; c’est donc cet amendement qui doit être mis aux voix.
M. Dubus (aîné). - Il n’y a pas de question de priorité. Je crois qu’aux termes des art. 44 et. 45 du règlement les amendements adoptés doivent être soumis à une nouvelle discussion et un second vote. Comme l’a fait observer l’honorable préopinant, c’est l’amendement de la section centrale qui a été adapté. C’est donc cet amendement qu’il faut mettre aux voix.
M. le président. - Je ferai observer que, d’après les antécédents de la chambre, on a toujours commencé par mettre aux voix le chiffre le plus élevé.
M. Devaux. - Il est indifférent dans quel ordre on votera ; mais je dis que le règlement ne décide pas la question ; car le chiffre du ministre est un amendement au chiffre adopté au premier vote.
- La chambre consultée donne la priorité au chiffre proposé par le ministre.
La chambre procède au vote par appel nominal sur l’article :
« Masse de casernement des hommes (chiffre proposé par le gouvernement) : fr. 830,966 70 c. »
Voici le résultat du vote :
81 membres sont présents.
3 (MM. Raikem, Dolez et Verdussen) s’abstiennent par les motifs qu’ils ont énoncés lors du premier vote.
78 prennent part au vote.
41 votent pour l’adoption.
34 votent contre.
La chambre adopte.
Ont voté pour l’adoption : MM. Berger, Coppieters, Cornet de Grez, Corneli, David, Dechamps, de Man d’Attenrode, F. de Mérode, W. de Mérode, de Nef, de Puydt, Dequesne, de Sécus, Desmet, de Terbecq, de Theux, Devaux, B. Dubus, Dubois, d’Huart, Eloy de Burdinne, Ernst, Goblet, Jullien, Lardinois, Lebeau, Legrelle, Meeus, Milcamps, Morel-Danheel, Nothomb. Pirmez, Pirson, Polfvliet, C. Rodenbach, Rogier, Smits, Ullens, Vandenhove, Vanderbelen, Vilain XIIII (Hippolyte), Vuylsteke (Constant), Watlet, Willmar.
Ont voté contre : MM. Andries, Brabant, de Longrée, de Jaegher, Demonceau, e Renesse, de Roo, Desmaisières, Dubus (aîné), d’Hoffschmidt, Doignon, Dumortier, Fallon, Frison, Gendebien, Hye-Hoys, Keppene, Kervyn, Lejeune, Liedts, Manilius, Pollénus, Raymaeckers, Rodenbach (Alexandre), Scheyven, Seron, Simons, Stas de Volder, Trentesaux, Troye, Vandenbossche, Vergauwen, Vuylsteke (Louis), Donny.
- Tous les articles déjà adoptés, jusqu’au chap. IlI, relatif au service de santé, sont de nouveau adoptés. Mais l’article du service de santé donne lieu au débat suivant :
M. de Jaegher. - Dans la discussion dont nous venons heureusement d’atteindre le terme, il a été articulé des faits assez graves pour faire une profonde impression sur mon esprit.
Des médicaments ont été sophistiqués ; la mortalité a été, est peut-être encore plus forte dans l’armée que rationnellement on n’aurait dû l’attendre ; jusque là, je n’ai malheureusement rien à tirer en doute ; mais, quand, au lieu d’une série de cas de falsification de médicaments, je n’en ai entendu citer qu’un seul, le mélange du sulfate de quinine avec la salicine, je n’ai pu, je vous l’avoue, messieurs, me contenter de l’opinion de ceux qui ont attribué cette augmentation de mortalité à ce mélange incidentel de drogues, et il m’a paru qu’un si grand résultat devait avoir été amené par des causes plus grandes, exerçant sur la santé du soldat une influence plus générale.
Ce n’est donc pas à ce fait isolé que j’ai cru devoir m’arrêter ; c’est dans l’examen du système général des adjudications de médicaments que j’ai cherché à me rendre compte d’aussi déplorables effets.
Je vous ferai grâce, messieurs, de toute dissertation pour laisser parler les faits.
Lorsqu’il s’agit de procéder à une adjudication de médicaments, il est présenté aux adjudicataires concurrents des listes indicatives des différents objets qui figurent comme médicaments dans la pharmacie de l’Etat. Chacun de ces médicaments y est coté par le gouvernement à un prix d’évaluation, sans indication s’il en sera ou non demandé dans le terme de l’adjudication ni en quelle quantité il en sera demandé. On présente ces évaluations comme mises à prix, en demandant aux concurrents quel est le rabais qu’ils consentent à subir sur ces différentes mises à prix subdivisées en quatre séries de 30 ou 40 articles. Si tous ces prix supposés étaient en égal rapport avec la valeur réelle en commerce des objets demandés, peu importerait qu’ils soient portés de 5, de 10 ou de 20 p. c. au-dessus de cette valeur ; mais par le peu de soin (car je ne veux pas supposer autre chose) qui est apporté à la confection de ces listes indicatives, il se trouve que certains objets y figurent cotés 60 p. c. au-dessus du prix de commerce, tandis que certains autres n’y sont cotes qu’a 40 p. c. au-dessous de ce prix rationnel.
Comme, d’après le cahier des charges de l’adjudication, il est loisible au gouvernement de requérir de l’adjudicataire telle quantité qu’il juge convenable de chaque article en outre de tels articles de la liste qu’il désigne, il en résulte que l’exécution du même contrat présente trois chances à l’adjudicataire pour savoir :
1° Qu’il en retire le bénéfice légitime sur lequel il a compté en faisant sa soumission dans le cas où il lui est demandé, de chacun des articles, une quantité égale ;
2° Qu’il peut perdre de 30 à 60 p. c. si, de la série dont il est adjudicataire, on ne lui demande que la livraison des articles cotés au-dessous de la valeur ;
3° Qu’il peut gagner de 30 à 40 p.c. si on lui demande les articles dont la mise à prix figure sur la liste évaluative d’autant au-dessus de la valeur réelle.
Vous déduirez de cette simple citation que ce n’est pas, comme a cru devoir l’indiquer l’honorable M. Lebeau, parce que la rivalité et la concurrence poussent les adjudicataires à de trop considérables rabais, qu’ils se voient parfois dans l’obligation de livrer à perte, mais parce que par le mode d’adjudication il dépend de l’agent du service de santé, chargé de l’exécution du contrat, de ruiner ou d’enrichir l’entrepreneur.
Je ne crois pas nécessaire, messieurs, d’établir les inconvénients qui peuvent résulter d’une pareille latitude, d’une latitude qui doit si puissamment faire sentir à l’un l’importance de se ménager la bonne intelligence de l’autre.
Je veux croire cet agent, quel qu’il soit, parfait honnête homme ; mais je m’étonne que, pour lui-même, il n’ait pas cherché à faire cesser cet état de choses qui écarte des soumissionnaires de bonne foi, qui se contentent, dans leur commerce d’un honnête bénéfice, et qui ne veulent pas être exposés à devoir spéculer sur les bonnes grâces de l’un ou l’autre agent pour faciliter une fortune ou éviter une ruine.
Voilà un point que je recommande instamment à la sérieuse attention de M. le ministre, parce que c’est là qu’il faut chercher les motifs pour lesquels il se présente si peu de soumissionnaires dans les adjudications de médicaments, pour lesquels des fournisseurs ont été placés dans la funeste alternative de se ruiner ou de fournir de mauvais produits.
Voilà, messieurs, pour ce qui est des médicaments, ce qui explique le fait isolément cite de falsification de quinine, ce qui expliquerait d’autres falsifications et leur effet sur le chiffre de la mortalité dans l’armée.
Il est d’autres causes déterminantes de cette augmentation de mortalité ; mais la chambre manifestant le désir de passer outre au budget, pour que le sénat puisse encore le recevoir aujourd’hui, je me réserve le soin de prendre la parole en une autre circonstance pour entretenir M. le ministre de l’organisation du service de santé.
M. Dumortier. - Messieurs, il existe un grand nombre d’abus dans le service de santé, et j’en dois signaler un fort grave ; c’est l’état précaire dans lequel le gouvernement laisse les officiers de santé. Des plaintes ont déjà retenti dans cette enceinte sur ce point, et l’on s’est demandé comment il se faisait que tous les officiers de l’armée eussent le diplôme de leur grade, et que dans le service de santé un immense nombres d’officiers ne soient que commissionnés et n’aient pas de diplômes, c’est-à-dire puissent être révoqués de leur emploi.
Je tiens en main une note qui a été fournie à la section centrale l’année dernière, ou il y a deux ans ; d’après cette note, sur 89 médecins adjoints, 83 n’auraient que de simples commission, et six seulement auraient des brevets.
Comment peut-on imaginer qu’un jeune homme qui a fait ses études, qui quelquefois a dépensé sa fortune pour acquérir les connaissances nécessaires à l’art de guérir, puisse consentir à entrer dans le service de santé où il ne trouvera qu’une situation précaire ? Il est manifeste que nous n’aurons que le rebut des hommes qui se livrent à l’art de guérir, dans le service de santé. Ce n’est pas à dire qu’actuellement nous ayons du rebut dans nos hôpitaux militaires ; mais ces hommes qui ont servi depuis la révolution restent dans la position où ils sont. La santé du soldat doit nous être aussi chère que la santé des autres citoyens, et nous ne devons pas maintenir un état de choses qui lui serait funeste par la suite.
Lorsque nous voyons les abus les plus graves, lorsque nous voyons les médicaments falsifiés, lorsque l’on met sur les plaies du soldat de la charpie pourrie, il est pénible d’avoir d’autres griefs à ajouter à ceux-là.
Les quatre cinquièmes des officiers du service de santé ne sont que commissionnés, tandis que dans l’armée tout officier reçoit un brevet pour son grade ; ces officiers ont une position acquise ; pourquoi refuse-t-on une position acquise aux officiers de santé ? C’est parce que le chef du service de santé n’éprouve aucune sympathie pour les officiers sous ses ordres, et qu’on veut les tenir sous sa férule ; c’est là une iniquité.
Il y a deux ans, et au budget de l’année dernière, on vous a demandé des fonds pour établir une école de médecine, dans laquelle on aurait fait des médecins militaires ; vous avez refusé ces crédits, et vous avez déclaré que nul ne pouvait exercer l’art de guérir dans l’année s’il n’était élève d’une université.
Dans la loi sur les universités vous avez dit positivement que nul ne peut pratiquer de guérir en qualité de médecin ou de chirurgiens s’il n’a été reçu docteur, conformément à la même loi. Un autre article a, il est vrai, excepté les élèves qui alors faisaient leurs études ; mais cette exception prouve la règle. En présence de ces textes de la loi, qu’a fait le chef du service de santé ? Il a établi une commission pour recevoir des docteurs, et ce qui est plus fort, pour réviser les diplômes donnés par le grand jury. Le grand jury national que vous avez placé si haut dans l’opinion publique, est soumis à un appel dans l’ordre militaire ! Un homme qui a reçu un diplôme de docteur en médecine et en chirurgie doit aller subir un examen devant une commission du service de santé, et peut voir son diplôme annulé ! Remarquez quelle est la conséquence de ce système ; c’est bien moins contre le candidat que l’affront est dirigé que contre le grand jury, car par là on le déclare incapable de prononcer un bon jugement.
Pourriez-vous admettre que le ministre de la justice, par exemple, voulût qu’on passât un second examen de docteur en droit pour obtenir les emplois auxquels on est apte, d’après la loi, quand on est docteur ? Cependant l’analogie a lieu pour le service de santé ; c’est inconstitutionnel. Je ne peux comprendre comment un ministre tolère un pareil abus.
Si des places sont vacantes dans le service de santé, que le gouvernement ouvre un concours, rien de mieux, parce que dans un concours il n’y a pas de révision des diplômes ; mais soumettre à un examen sur les mêmes matières celui qui a été déclaré capable par le grand jury, c’est un abus énorme.
Au reste, ce n’est pas dans le service de santé seul que cet abus s’est introduit.
J’ai vu avec étonnement qu’il existait et dans l’école militaire et dans l’école des ponts et chaussées. Dans ces écoles, un docteur en sciences doit toujours subir un examen.
Je demande au ministre des explications sur ces faits. Si M. Vleminckx se croit le pouvoir de créer des docteurs, la santé du soldat se trouve grandement compromise, car nos troupes seront exposées à subir des expériences pour l’instruction de gens que la loi ne reconnaît pas. Quand je vois qu’on admet ainsi aux examens des hommes qui n’ont pas de diplôme, je dis que c’est un abus des plus scandaleux.
M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - J’aurais quelque peine à mettre d’accord les deux propositions qui font la base du discours de l’honorable membre. Quoi qu’il en soit, il reconnaît lui-même que pour obtenir le brevet d’officier de santé, on peut ouvrir un concours, c’est-à-dire, ouvrir des examens, et c’est ce qui a eu lieu.
Je n’ai point à traiter ici la question d’amour-propre du grand jury ; cependant il n’est pas venu à ma connaissance que des hommes ayant diplôme n’aient pas été admis à concourir. Au reste il n’y a eu qu’un examen, et dans cet examen on a respecté les droits de l’ancienneté autant qu’on l’a pu, principe que je regarde comme très large, et qui est tout en faveur des officiers de santé.
L’orateur a comparé la situation des officiers du service de santé à celle des officiers de l’armée ; mais tous les officiers de l’armée sont censés avoir rempli les conditions nécessaires pour l’occupation de leur grade ; il n’en est pas de même pour les officiers du service de santé et pour les officiers des corps savants de l’artillerie et du génie : pour être officier dans ces corps, il faut avoir fait preuve de connaissances spéciales, et avoir par conséquent subi des examens. Ceux qui, par suite des circonstances, sont entrés dans ces corps sans examen préalable, ont dû en subir pour obtenir de l’avancement. Il est inutile de dire pourquoi on doit s’assurer de la capacité des officiers de santé et des officiers des corps savants. Quant au grand nombre d’officiers de santé commissionnés, je dirai, messieurs, que l’organisation du corps ne permet pas de les breveter tous. Ces officiers se trouvent dans le même cas que la plupart des employés de l’ambulance que l’on peut licencier, lorsque l’on n’en aura plus besoin.
M. Dumortier. - Il n’y a pas de contradiction dans mes observations. Je me suis plains de ce que l’on accordait des diplômes à des gens auxquels la loi déniait le droit d’exercer l’art de guérir. Si, dans les médecins adjoints, il s’en trouve qui n’aient pas de diplôme, le ministre doit les placer dans les villes où il y a des universités, afin qu’ils puissent se mettre en état de passer des examens devant le grand jury, seul capable de donner des diplômes.
Quant à ce que dit M. le ministre de la guerre, que les officiers de l’armée sont censés avoir rempli les conditions nécessaires pour l’occupation de leurs grades, et que rien de semblable n’existe pour les officiers de santé, je ne puis le comprendre : comment ! des officiers de santé exercent depuis la révolution, ils ont reçu des diplômes du jury, et vous les regarderez comme incapables ? S’ils sont incapables, ôtez-les de l’armée ; mils s’ils ont bien rempli leurs grades, vous devez leur donner des brevets.
Il est certain que dans ce déplorable service de santé on veut retenir tous les officiers sous la férule du chef, parce que ce chef est détesté. Et c’est parce qu’on veut maintenir ce chef, source de tant d’abus, qu’on maintient l’abus que je signale.
Il faut faire régner la justice dans l’armée : sur plus de deux cents officiers il y en a à peine 53 qui ont des diplômes. Tous portent les insignes des fonctions qu’ils remplissent, et cependant d’un jour à l’autre vous pouvez leur enlever leur emploi et les dégrader ; n’est-ce pas là un abus de pouvoir énorme, c’est plus, c’est un crime aux yeux de la nation !
M. Dubus (aîné). - Je ne peux pas m’empêcher de prendre la parole pour appuyer les observations présentées par mon honorable ami. Il y a ici un grief réel. Il s’agit de l’exécution de la loi, et d’après les faits allégués, et la loi, et la constitution seraient violées.
Le gouvernement chargé de l’exécution de la loi ne doit pas permettre que l’on élude la constitution, que l’on viole la loi ; encore moins doit-il y donner les mains.
Le premier grief articulé est l’état précaire où l’on tient les officiers de santé ; cependant les officiers de santé sont maintenant compris dans la disposition constitutionnelle, qui veut que les grades ne puissent être enlevés que conformément à la loi. En rédigeant cet article, le congrès a voulu donner une garantie à tous les officiers de l’armée ; cette garantie s’évanouit si on peut imposer une condition pour être continué dans son grade, si on peut remplacer le titre primitif par un autre titre. Une pareille manière de procéder n’a pu entrer dans la pensée du pouvoir constituant, car sans cela il ne se serait pas donné la peine de rédiger dans la constitution un article sur cet objet.
Si cela était permis pour le service de santé, pourquoi cela ne serait-il pas permis pour les autres grades militaires ? Pourquoi ne remplacerait-on pas les brevets par des commissions ? Ne pourrait-on pas, par ce moyen, éluder toutes les garanties données à l’armée ?
Quant au second grief, la loi est formelle. Elle porte que l’on ne pourra exercer l’art de guérir sans avoir obtenu un diplôme de la manière qu’elle prescrit ; or, si l’on institue une commission pour accorder des diplômes, on aura beau dire que c’est pour exercer l’art de guérir dans l’armée on viole la loi, car la loi ne fait pas de distinction. L’humanité n’en fait pas non plus ; il faut la même capacité pour exercer l’art de guérir dans l’armée que dans l’ordre civil ; il faut donc les mêmes garanties. Que l’on doive devenir médecin militaire ou médecin civil, on a besoin de faire les mêmes études et de recevoir le même diplôme des mains du jury d’examen. Si donc une commission n’est instituée que pour examiner ceux qui n’ont pas de diplôme, il y a violation de la loi.
Si, comme le croit mon honorable ami, (mais le ministre a mis le fait en doute), la commission avait refusé de reconnaître les diplômes délivrés par le jury d’examen, l’abus serait plus grave. M. le ministre n’a pas répondu à l’observation qu’a faite mon honorable ami, quand il a dit : « Que penserait-on d’une mesure par laquelle le ministre de la justice instituerait une commission pour délivrer des diplômes de docteur en droit à ceux qui désireraient entrer dans les corps judiciaires ? » Mais on ne pourrait pas assez s’élever pour flétrir une pareille mesure. M. le ministre de la guerre a-t-il plus de droit d’établir une commission pour délivrer ou refuser des diplômes de docteur en médecine que M. le ministre de la justice n’a le droit d’établir une commission pour délivrer ou refuser des diplômes de docteur en droit ? Il y a donc un double grief qui doit fixer toute l’attention du gouvernement.
J’aurais désiré que M. le ministre de la guerre eût répondu à l’observation qui a été faite par l’honorable M. de Jaegher ; là encore, si le fait qu’il a signalé est exact, il y aurait sinon un abus, au moins la porte ouverte aux abus : cela doit être senti par tout le monde, car s’il dépend soit du chef du santé, soit d’un autre administrateur quelconque appartenant à ce service, de ruiner un fournisseur ou de lui faire faire de gros bénéfices selon qu’il lui fera des commandes d’une espèce ou d’une autre, ne voyez-vous pas que dès lors tous les fournisseurs seront à la merci du chef du service de santé ?
Je crois que le fait que l’honorable M. de Jaegher a signalé à l’attention du gouvernement doit être également signalé à l’attention de la section centrale, et que la section centrale fera bien d’examiner s’il n’y a pas là une cause réelle des plus graves abus.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Messieurs, la comparaison qui été faite par un honorable préopinant entre le cas où le ministre de la guerre, avant d’employer des docteurs en médecine ou en chirurgie dans le service du santé de l’armée, les soumet à une épreuve, et le cas où le ministre de la justice exigerait d’autres conditions que celles qui sont déterminées par la loi pour remplir des fonctions judiciaires, n’est pas exacte. Je conçois que la loi détermine des conditions sine qua non pour l’exercice d’une fonction quelconque, mais rien n’empêche qu’on exige de celui à qui on veut conférer cette fonction, outre les conditions voulues par la loi, d’autres garanties qu’il la remplira convenablement. Il ne s’agit pas de réviser les diplômes, mais de s’assurer que celui qui se destine à exercer l’art de guérir dans l’armée, a assez de connaissances spéciales et d’expérience pour inspirer de la confiance. C’est ainsi que le ministre de la justice, sans imposer un examen à ceux qui se mettent sur les rangs pour obtenir des fonctions judiciaires, prend cependant des informations sur la capacité, la moralité, les connaissances pratiques des divers candidats.
Si plusieurs docteurs demandent un emploi dans le service de santé de l’armée, pourquoi M. le ministre de la guerre ne pourrait-il pas les soumettre à une épreuve, afin de donner la préférence à celui qui a le plus de mérite ? Personne n’est obligé d’accepter cette épreuve ; il n’est pas question de réviser les diplômes, mais d’établir une espèce de concours afin de pouvoir choisir l’homme le plus capable.
Puisque j’ai la parole, je relèverai des attaques injustes faites dans une séance précédente par un honorable préopinant à l’occasion des poursuites auxquelles la sophistication du sulfate de quinine a donné lieu. Il est d’autant plus nécessaire de repousser des attaques que certains journaux en ont tiré parti pour se livrer à des commentaires malveillants.
Vous le savez, messieurs, ce délit grave a un caractère tout particulier ; le ministère public ne peut pas le poursuivre d’office, mais seulement en vertu d’une dénonciation formelle du gouvernement. Eh bien, dès que M. le ministre de la guerre a connu la sophistication du sulfate de quinine, il m’en a aussitôt averti, et de mon côté je me suis empressé de faire la dénonciation exigée par l’art. 433 du code pénal. Les poursuites ont commencé immédiatement, elles ont continué sans interruption ; le délit a été instruit sous toutes ses faces et dans ses rapports avec tous ceux qui ont été inculpés. Dès que l’instruction sera terminée, la chambre du conseil statuera.
Mais, a-t-on dit, le principal prévenu est laissé en pleine liberté ; depuis qu’il est revenu de Londres, il parcourt librement les rues. Cette insinuation est aussi offensante pour le magistrat chargé de l’instruction, pour un magistrat inamovible, que pour les officiers du parquet.
Le juge d’instruction a entendu le sieur de Paepe sous mandat de comparution, il l’a interrogé plusieurs fois ; mais il n’a pas cru nécessaire dans l’intérêt de la justice de soumettre le prévenu à un emprisonnement préalable. Le juge d’instruction, aussi bien que le parquet et le ministère, a rempli son devoir ; personne n’avait mérité de reproche.
M. Dubus. (pour un fait personnel). - A entendre M. le ministre de la justice j’aurais, messieurs, affirmé un fait inexact, j’aurais même accusé un magistrat inamovible, je dirai, en passant, que comme juge d’instruction le magistrat dont il s’agit n’est pas inamovible ; toutefois, je n’ai accusé personne, j’ai fait remarquer des faits à la chambre, et toutes les circonstances que j’ai citées existent. Quant aux conjectures de la presse, cela ne me concerne pas. J’ai dit qu’avant et pendant la discussion de l’adresse on prenait la peine de nous informer par le Moniteur qu’il était dirigé des poursuites. J’ai lu un premier article dans le Moniteur où l’on nous annonçait que le ministre de la justice avait dénoncé le fait au procureur général ; peu après le Moniteur contenait un second article extrait d’un autre journal, qui nous apprenait que le juge d’instruction avait procédé à un interrogatoire ; depuis que l’adresse a été votée, nous n’avons plus rien appris à cet égard ; nous ne savons plus ce que l’instruction est devenue. J’ai dit qu’on annonçait dans les journaux qu’un des individus poursuivis et qui s’était sauvé en Angleterre, était revenu et se promenait tranquillement dans une ville de la Belgique ; le fait paraît exact, au moins M. le ministre de la justice ne l’a pas nié.
Voilà, messieurs, ce que j’ai dit ; je demande comment on peut voir en cela une accusation dirigée contre un magistrat.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Lorsque j’ai interrompu l’honorable préopinant, c’était parce qu’il parlait de cette poursuite comme si elle n’était entre les mains du gouvernement qu’un moyen, en quelque sorte, de tromper la chambre ; il a dit qu’on laissait les inculpés en pleine liberté, que le Moniteur ne parlait plus de cette affaire ; mais, messieurs, le Moniteur n’en a parlé que pour rectifier une assertion d’un autre journal. Il y a un fait incontestable, c’est que le gouvernement a fait dans cette affaire tout ce qu’il pouvait faire dans l’intérêt de la justice ; la poursuite n’a pas été interrompue, elle continue avec la même activité. (Aux voix ! aux voix ! la clôture !)
- La clôture est mise aux voix et prononcée.
Le chiffre de 245,000 fr., comme crédit provisoire, est définitivement adopté par la chambre.
- L’article 2 du chapitre V (matériel du génie), dont le chiffre a été par amendement porté à 2,747,000 fr., est mis aux voix et définitivement adopté.
M. le président. - La proposition de la section centrale relativement au couchage des troupes n’ayant pas été adaptée, les articles réglementaires qu’elle avait proposés à cet égard deviennent sans objet par suite du vote que la chambre a émis ; je ne les mettrai donc pas aux voix.
Il s’agirait de savoir si l’on veut faire du crédit provisoire que l’on vient de voter, un article spécial.
M. Dumortier. - La loi ne serait pas régulière si l’on allait insérer au milieu de crédits annuels un crédit provisoire ; il faut donc que l’on fasse un article spécial pour le crédit de 245,000 fr.
M. le président. - Voici ce qu’on pourrait faire : on fixerait d’abord dans l’art. 1er le chiffre total des crédits définitifs, et un second article accorderait eu outre un crédit provisoire. (Assentiment.)
Le chiffre du budget, non compris le crédit provisoire de 245,000 fr., est de 41,319,738 fr. 16 c. Pour rendre le chiffre rond, comme il a été entendu qu’on le ferait, il y aurait lieu à défalquer des dépenses imprévues une somme de 738 fr, 16 c., ce qui réduirait les dépenses imprévues à 83,966 fr. 71 c.
- Ce chiffre est mis aux voix et adopté.
Les articles de la loi, y compris un article relatif au crédit provisoire pour le service de santé, sont successivement mis aux voix et adoptés. Ils sont ainsi conçus :
« Art. 1er. Le budget du département de la guerre, pour l’exercice de 1837, est fixé à la somme de 41,319,000 fr, conformément au tableau ci-annexé. »
« Art. 2, Le chap. IlI (service de santé) n’étant porté que pour mémoire, il est, outre la somme portée à l’art. 1er, ouvert au même département un crédit provisoire de 245,000 fr. pour satisfaire aux besoins de ce service, en attendant que cette partie du budget soit réglée définitivement. »
« Art. 3. La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa promulgation. »
M. Dumortier (pour une motion d’ordre.) - Messieurs, à l’ouverture de la discussion, j’ai signalé à l’assemblée une brochure qui a été distribuée avec profusion dans l’armée, et dans laquelle les attaques les plus graves, les plus violentes sont dirigées contre la législature : ces attaques ne tendent à rien moins qu’à représenter la législature comme hostile à l’armée, qu’à la rendre odieuse à l’armée ; et quel moyen emploie-t-on pour cela ? celui d’un journal qui paraît sous le patronage du département de la guerre, Je vais lire deux passages de cette brochure, afin que chacun de nous puisse juger jusqu’à quel point ces attaques…
Plusieurs membres. - Vous rentrez dans la discussion générale.
M. de Jaegher. - Le sénat attend le budget de la guerre ; il serait à désirer que nous le votions immédiatement ; M. Dumortier pourra ensuite présenter ses observations.
M. Dumortier. - Ma motion d’ordre ne sera pas longue ; si l’on ne m’avait pas interrompu, j’aurais déjà fini. J’invoque la dignité de l’assemblée, j’invoque ses prérogatives...
Plusieurs membres. - Laissez voter avant le budget !
M. Dumortier. - Si la chambre le préfère, je parlerai après le vote du budget.
- La chambre procède au vote par appel nominal sur l’ensemble du budget ; en voici le résultat :
71 membres ont pris part au vote.
6 se sont abstenus.
62 ont voté l’adoption,
9 ont voté le rejet.
En conséquence le budget est adopté.
Ont voté l’adoption : MM. Berger, Coppieters, Cornet de Grez, David, de Brouckere, Dechamps, de Jaegher, de Longrée, de Man d’Attenrode, F. de Mérode, W. de Mérode, de Nef, de Puydt, Dequesne, de Renesse, de Roo, de Sécus, Desmet, de Terbecq, Devaux, d’Hoffschmidt, d’Huart, Dolez, Donny, Dubois, Bernard Dubus, Eloy de Burdinne, Ernst, Frison, Goblet, Hye-Hoys, Keppenne, Kervyn, Lardinois, Lebeau, Legrelle, Lejeune, Liedts, Meeus, Milcamps, Morel-Danheel, Nothomb, Pirmez, Pirson, Polfvliet, Raikem, C. Rodenbach, Rogier, Smits, Trentesaux, Troye, Ullens, Vandenhove, Vanderbelen, Verdussen, Verrue-Lafrancq, Hippolyte Vilain XIIII, Constant Vuylsteke, Watlet et Willmar.
Ont voté le rejet : MM. Desmaisières, Doignon, Dubus (aîné), Dumortier, Gendebien, Manilius, Seron, Stas de Volder et Vergauwen.
Se sont abstenus : MM. Brabant, Corneli, Fallon, Jullien, A. Rodenbach et Thienpont.
M. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont appelés à motiver leur abstention.
M. Brabant. - Je n’ai pas voulu dire oui, parce que je n’ai pas voulu sanctionner le marché pour les lits de fer, je n’ai pas voulu dire non, parce que je crois la grande masse des crédits que renferme le budget, indispensables pour établir la défense du pays sur un pied respectable, et que j’ai confiance au ministre qui est maintenant à la tête du département de la guerre.
M. Corneli. - Je me suis abstenu parce que n’étant que depuis quelques jours membre de la chambre, je n’ai pas eu le temps d’examiner le budget.
M. Fallon. - Je me suis abstenu par les mêmes motifs que M. Brabant.
M. Jullien. - Je me suis abstenu parce que je ne voulais pas sanctionner le vote que la chambre a émis à l’égard du service de santé.
M. A. Rodenbach. - Je me suis abstenu par les mêmes motifs que M. Brabant.
M. Thienpont. - Je me suis abstenu par les mêmes motifs.
M. Dumortier. - Messieurs, ce que j’ai à signaler à la chambre est assez grave. Comme l’heure est avancée, si on veut, je remettrai mon interpellation à demain. (Parlez ! parlez !)
Messieurs, lors du commencement de la discussion du budget de la guerre, j’ai eu l’honneur de signaler les attaques les plus virulentes lancées contre la chambre, dans une brochure anonyme, imprimée au bureau du journal de l’armée belge, qui paraît sous le patronage du département de la guerre. J’ai eu l’honneur de lire un des passages de cette brochure, mais ce n’était pas encore ce qu’elle contient de plus virulent contre nous, de plus inconvenant, de plus haineux contre la représentation nationale. « Partout ailleurs qu’en Belgique, dit l’auteur de ce pamphlet, le budget de la guerre peut passer au milieu des préliminaires d’une session législative, sans occasionner beaucoup de tumulte. »
Ecoutez, vous verrez si un général qui voudrait préparer un 18 brumaire, pourrait faire imprimer des choses plus fortes que celles que je vais signaler. (Interruption.)
Ecoutez : « Chez nous, la présentation du budget de la guerre est et a toujours été l’occasion d’attaques virulentes contre l’armée, comme si les hommes qui la composent étaient hostiles ou à charge. »
Ainsi, on présente la représentation nationale comme hostile à l’armée.
Plus loin, l’auteur dit encore : « L’adversaire le plus acharné, le plus invulnérable du système régénérateur de M. Willmar, ce sera la législature. » Ainsi, vous le voyez, on présente la législature comme l’adversaire le plus acharné du système d’amélioration de l’armée. Voilà sous quelles couleurs on dépeint à l’armée la représentation nationale, qui a constamment accordé au gouvernement toutes les demandes pour l’armée.
Remarquez que ce ne sont pas des paroles vagues jetées en l’air ; ce sont, je le répète, des paroles qui partent du bureau d’un journal qui est sous le patronage du département de la guerre. Examinez le dernier numéro du journal de l’armée belge, vous verrez comme on y annonce cette brochure, comme on engage tous les officiers à se la procurer.
« Cette brochure importante, dont on ne saurait contester l’extrême utilité au moment où les chambres vont voter le budget de la guerre, est un document dont la connaissance est indispensable à tous les officiers qui veulent connaître l’état et les ressources militaires de leur pays. Elle est remarquable par l’intérêt qu’elle comporte et par son bon marché. »
J’ai trop le sentiment de notre dignité pour laisser passer sous silence des injures aussi violentes, surtout après le discours que nous avons entendu dans la séance d’hier. Il est certain que si en Angleterre on se permettait la centième partie de ces injures contre le parlement, on en aurait bientôt fait justice.
Je vous le demande, messieurs, si un étranger disait dans un journal que l’adversaire le plus acharné des améliorations dans l’armée, c’est le Roi, il ne demeurerait pas 24 heures en Belgique. Or vous remarquerez que l’auteur de cette brochure est un étranger qui reçoit ici l’hospitalité. Mais c’est la chambre des représentants qu’il a attaquée, le gouvernement ne s’en est pas ému.
Un journal nous apprend que cet étranger se nomme J .B. Petit, éditeur du journal de l’armée belge. Quand j’ai eu connaissance de ces faits, j’ai eu peine à contenir mon indignation. Si un étranger disait un seul mot contre Louis-Philippe ou contre un ministre dans un café, on l’aurait bientôt expédié à l’étranger. Car c’est ainsi qu’on se conduit. Mais quand des attaques virulentes sont lancées contre la représentation nationale, quand on la met au ban de l’armée, on vient nous dire qu’il faut mépriser de pareilles choses. Pour moi je comprends trop bien la dignité de la représentation nationale pour me contenter d’opposer le mépris à de pareilles attaques.
Je me borne à signaler ces faits, j’espère que le ministère s’empressera de faire justice de pareils abus pour en empêcher le retour. Si la chambre n’obtenait pas satisfaction, je proposerai un projet de loi pour qu’à l’avenir elle ne puisse être impunément l’objet de semblables attaques qui préparent la voie aux coups d Etat contre le peuple et la liberté.
- La séance est levée à quatre heures et demie.