(Moniteur belge n°22, du 22 janvier 1837 et Moniteur belge n°23, du 23 janvier 1837)
(Moniteur belge n°22, du 22 janvier 1837)
(Présidence de M. Raikem.)
M. Verdussen procède à l’appel nominal à 1 heure et quart.
M. Lejeune donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier, dont la rédaction est adoptée.
M. Verdussen fait connaître l’analyse des pétitions suivantes.
« L’administration communale de Braeschaet demande que la chambre alloue au budget de l’intérieur une somme nécessaire pour lui payer les prestations faites à l’armée française lors du siège de la citadelle. »
« Les marchands en détail d’Anvers demandent une loi qui défense toute espèce de ventes publiques à l’encan et den détail de marchandises neuves. »
« Les brasseurs de la ville de Gand demandent que les soies de porc brutes ou non ouvrées soient frappées à la sortie du royaume d’un droit de 5 p. c. de leur valeur. »
« Des fabricants de sucre indigène à Tournay adressent des observations sur les modifications présentées à la législation sur les sucres. »
- La pétition des fabricants de sucre indigène est renvoyée à la commission chargée de l’examen du projet de loi sur le sucre.
Les pétitions des marchands en détail d’Anvers et des brasseurs de la ville de Gand sont renvoyées à la commission des pétitions.
Sur la proposition de M. Verdussen, la pétition de l’administration communale de Braeschaet est renvoyée à la commission des finances.
M. de Puydt, au nom de la commission chargée de l’examen du projet de loi concernant l’école militaire, dépose le rapport sur ce projet de loi.
- La chambre ordonne l’impression et la distribution du rapport sur ce projet de loi, et, sur la proposition de M. de Puydt, en fixe la discussion, en même temps que celle du projet du budget du département de la guerre, au moment où l’on abordera le chapitre concernant l’école militaire.
M. Fallon., au nom de la commission permanente des finances, dépose un rapport supplémentaire relatif à des créances de 1830, 1831 et années antérieures, du département de la guerre.
- La chambre ordonne l’impression et la distribution de ce rapport, et, sur la proposition de M. Fallon, en fixe la distribution après le rapport de la commission des finances dont ce nouveau rapport est le complément.
M. le président. - L’ordre du jour appelle, en premier lieu, le vote définitif du projet de loi apportant des modifications à la sixième base de la contribution personnelle.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Je pense que la chambre a fixé ce vote définitif après le premier vote du budget de la justice. S’il n’en est pas ainsi, je le demanderai à la chambre parce que je vais déposer sur le bureau la nouvelle rédaction de l’art. 4, de sorte que cet amendement soit imprimé et distribué avant la séance de lundi où il serait discuté.
Voici cet art. 4 :
« La cotisation continuera à être établie sur la déclaration du contribuable ; toutefois, si, lors de l’examen des déclarations avant leur inscription au rôle, il s’élève des doutes sur leur exactitude, relativement à l’usage du cheval, il en sera référé à la députation du conseil provincial, et la cotisation sera établie d’office d’après la décision qu’elle prendra sur l’avis de la commission instituée par l’art. 58 de la loi sur la contribution personnelle, et dont chaque fraction avisera séparément, dès qu’il y aura partage égal de voix. La commission joindra à son avis les observations contradictoires, qui, sur son invitation, devront être fournies, dans le délai de huit jours, par le contribuable intéressé.
« L’avis de la commission, avec les pièces y relatives, sera présenté à la députation permanente par l’intermédiaire du directeur des contributions directes, cadastre, douanes et accises.
« La cotisation d’office opérée par suite de la décision de la députation permanente est obstative à tout recours judiciaire. »
M. Verdussen. - Puisqu’il est question de faire imprimer un amendement à la loi dont nous devions nous occuper aujourd’hui, je demanderai que l’on fasse précéder l’art. 1er de ces mots :
« Par modification de l’art. 42 de la loi sur la contribution personnelle du 22 juin 1822 (Journal officiel, n°15), il ne sera perçu en principal que 15 fr., etc. »
C’est pour faire voir que la loi est une modification à la loi antérieure qui existe. Je sais qu’il en est ainsi de fait. Mais je crois qu’il est nécessaire de l’insérer dans le texte de la loi.
- La chambre ordonne l’impression et la distribution des amendements de MM. le ministre des finances et Verdussen, et fixe à lundi la discussion du projet de loi apportant des modifications à la sixième base de la contribution personnelle.
M. le président. - La discussion continue sur l’art. 2 du chapitre V, ainsi conçu :
« Art. 2. Constructions pour la cour de cassation : fr. 100,000. (La dépense totale s’élèvera à 315,000 fr.) »
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Je vais soumettre à la chambre une proposition qui sera de nature à concilier les opinons divergentes : c’est d’ajourner l’article en discussion, de le renvoyer à la section centrale constituée en commission spéciale.
Je me mettrai le plus tôt possible en rapport avec le conseil communal et avec l’autorité provinciale.
Le projet de bâtir sur l’emplacement du palais de justice actuel un monument à l’instar de celui en construction à Gand, et destiné à réunir la cour de cassation et tous les corps judiciaires, sera étudié par les hommes de l’art et examiné par les parties intéressées.
Je ferai des communications à la section centrale, et s’il y a lieu, je soumettrai des propositions nouvelles à la chambre.
De cette manière tout sera concilié.
Mon intention a toujours été d’accorder à la cour de cassation un local dont elle a le plus grand besoin. On pourrait construire ce local en premier lieu dans le système d’un bâtiment consacré à tous les corps judiciaires.
Nous pourrons voir à combien s’élèverait la dépense de la construction d’un palais de justice et pour quelle somme la ville de Bruxelles et le conseil provincial consentent à entrer dans ces frais de construction.
Si l’on pouvait terminer une négociation analogue à celle conclue pour le palais de justice à Gand, ce serait un grand avantage.
C’est dans ce sens que j’ai l’honneur de proposer l’ajournement de l’article, le renvoi à la section centrale, considérée comme commission (attendu que déjà elle connaît les faits), de manière cependant à ne pas arrêter la discussion et le vote du budget.
M. le président. - M. le ministre demande l’ajournement de la discussion de l’article 2 du chapitre V, et le renvoi à la section centrale, considérée comme commission spéciale de l’objet de cet article.
- La proposition mise aux voix est adoptée.
« Art. 3. Construction pour la cour d’appel de Gand : fr. 100,000. »
- Adopté.
« Art. 1er. Impression du Bulletin officiel : fr. 21,400. »
M. Pollénus, rapporteur. - Je demande la parole pour prier M. le ministre de vouloir bien surveiller l’expédition des bulletins. Il est à ma connaissance que dans le courant de l’année dernière les bulletins ne sont arrivés à leur destination que deux mois, deux mois et demi après l’époque où ils auraient dû parvenir ; c’est là un véritable inconvénient. Il faut que ces bulletins soient reçus dans un délai convenable.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Je prendrai en considération les observations de l’honorable rapporteur, et je tâcherai que le fait ne se reproduise plus.
- L’article premier est adopté.
« Art. 2. Impression, etc. du Moniteur : fr. 62,400. »
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Dans cet article se trouve une augmentation, admise par la section centrale, et qui a pour objet de fournir aux frais d’envoi du il, aux procureurs du Roi et aux commissaires de district ; je viens actuellement faire une demande analogie par suite de réclamations qui m’ont été adressées récemment par quelques présidents de tribunaux de première instance, qui voudraient avoir aussi le Moniteur.
Il suffirait d’une augmentation de 1,609 fr. 50 c. pour les satisfaire. Cette augmentation, vous devez le remarquer, ne serait qu’apparente parce que vous savez que par le timbre et par l’envoi de la poste, la plus grande parie des dépenses rentre au trésor ; pour le cas dont il s’agit la dépenses réelle ne s’élèverait qu’à 275 fr. 50 c. Si je n’ai pas fait cette demande plus tôt, c’est que les réclamations de MM. les présidents ne m’étaient pas encore parvenues.
M. Pollénus, rapporteur. - Messieurs, je pense qu’il serait impossible de faire une objection sérieuse contre la demande du ministre : le Moniteur doit être envoyé aux présidents comme il est envoyé aux procureurs du Roi et aux commissaires de district ; les mêmes motifs existent pour les uns comme pour les autres, puisqu’on regarde le Moniteur comme ayant caractère officiel relativement à l’interprétation des lois. Toutefois, en appuyant la proposition du ministre, je demanderai que la collection du il soit envoyée aux présidents des tribunaux de première instance, à dater du premier janvier de cette année. La collection adressée aux commissaires de district et aux procureurs est incomplète, et c’est cette considération qui me fait demander l’envoi d’une collection complète.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Je réduirai l’augmentation que j’ai demandée à la somme ronde de 1,600 fr. ; en sorte que le total de l’article serait de 64,000 fr.
Quant aux observations faites par l’honorable rapporteur, elles méritent d’être prises en considération. S’il est possible, le Moniteur sera envoyé aux présidents, à partir du 1er janvier. S’il est possible encore, j’enverrai même aux commissaires de district et aux procureurs du Roi les numéros du il qui compléteraient leur collection.
M. Doignon. - Puisque le Moniteur est dans les attributions du ministre de la justice, je me permettrai une observation que j’entends faire tous les jours ; je demanderai à M. le ministre pourquoi la direction de cette feuille a-t-elle une prédilection toute particulière pour l’insertion des articles de fond d’un journal étranger, le Journal des Débats, journal ministériel français ? Est-ce que par hasard on voudrait nous inoculer les opinions, les doctrines et les mœurs françaises ? ces articles sont si souvent répétés que notre il paraît être plutôt un journal français qu’un journal belge.
On s’est principalement attaché à nous donné tous les articles relatifs aux lois d’exception adoptées ou proposées en France, comme si de semblables lois pouvaient jamais se justifier en Belgique, comme si l’on voulait préparer ici les esprits à recevoir une semblable législation : si M. le ministre veut nous franciser, je lui dirai qu’il ne connaît pas le caractère belge, caractère à une distance énorme de l’esprit et des mœurs des Français.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Messieurs, si on veut juger de notre politique, il en est un moyen aisé, c’est de consulter nos actes, alors on verra que nous voulons l’exécution franche de notre constitution, et que notre politique est toute nationale.
Quant aux publications faites dans le Moniteur, elles doivent avoir pour but de soutenir des principes d’ordre et de morale, et quand on trouve des articles bien faits sur ces objets dans le journal que l’on a nommé ou dans tout autre, on a raison de les reproduire.
Messieurs, s’il y avait nécessité de porter en Belgique des lois exceptionnelles, j’aurais le courage de les présenter, et je ne prendrais pas de moyens détournés pour les obtenir ; des moyens pareils produiraient un effet tout contraire à celui qu’on pourrait décider.
M. A. Rodenbach. - Je saisirai aussi cette occasion pour prier M. le ministre d’empêcher le directeur du il de publier les annonces des charlatans, ou d’accueillir des annonces de remèdes d’empiriques et d’ignorants qui sont occupés de tout autre chose que du rétablissement de la santé du public. Ces annonces dans un tel journal sont un moyen de tromper le peuple, et le Moniteur se rend l’auxiliaire des charlatans en cherchant à propager l’emploi des drogues que les corps savants n’ont pas approuvés ou sont loin d’approuver.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Comme j’ai autre chose à faire que de lire les annonces du il, je n’ai pas été dans le cas de vérifier les observations de l’honorable préopinant. Cela n’empêche pas que je ne les trouve très justes ; aussi j’en ferai la remarque au directeur du il.
- Le chiffre de 64,000 fr. est adopté.
« Art. 3. Abonnement au Bulletin des arrêts de la cour de cassation transmis à toutes les cours et tribunaux. »
M. Gendebien. - Il me semble que l’envoi de ce bulletin aux juges de paix occasionnerait une légère dépense. Les juges de paix sont encore plus isolés que les tribunaux.
M. Pollénus, rapporteur. - Je crois devoir rassurer le préopinant ; je puis lui assurer que tous les juges de paix reçoivent un exemplaire du bulletin des arrêts de la cour de cassation.
- L’article 3 est adopté.
« Art. 1er. Pensions : fr. 10,000. »
- Adopté.
« Art. 2. Secours à des magistrats ou à des veuves de magistrats qui, sans avoir droit a une pension, ont des titres à un secours par suite d’une position malheureuse : fr. 4,500. »
- Adopté.
« Art. 3. Secours à des employés ou veuves et enfants mineurs d’employés se trouvant dans ce cas : fr. 3,000. »
La section centrale propose le rejet de ce crédit.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Je prie la chambre de ne pas refuser ce crédit que je demande pour satisfaire aux besoins les plus pressants de mon administration et en faveur duquel militent des raisons évidentes d’humanité. C’est principalement dans l’intérêt des gardiens et autres employés des prisons que j’ai demandé la légère somme dont il s’agit ; lorsque l’administration des prisons ressortissait au département de l’intérieur, alors le chef de ce département pourvoyait autant que possible aux besoins des malheureuses veuves d’employés des prisons, au moyen de la somme que vous lui aviez votée.
Actuellement que l’administration des prisons est séparée du ministère de l’intérieur, le ministre de la justice est obligé de s’adresser au ministre de l’intérieur lorsqu’il a besoin d’une légère somme pour secourir un employé des prisons, ce qui est d’autant plus fâcheux que les crédits alloués au budget de l’intérieur sont à peine suffisants pour les besoins de ce département. Aussi mon honorable collègue de l’intérieur m’a engagé à demander aux chambres un crédit spécial pour l’objet dont il s’agit, et depuis que je l’ai fait m’en a félicité. L’année dernière, je me suis trouvé dans la nécessité de refuser la plus petite somme à la veuve d’un gardien qui était chargée de huit enfants et qui n’avait aucun moyen d’existence ; il m’a été impossible de lui accorder le moindre secours n’ayant point de fonds à ma disposition et ne pouvant en obtenir de M. le ministre de l’intérieur, qui lui-même n’en avait point de disponibles.
Dans de semblables cas il ne me reste qu’à recourir à la munificence royale ; ainsi refuser le crédit que je vous demande serait le rejeter à la charge de la cassette du Roi, qui ne refuse jamais de venir au secours des malheureux.
Il est vrai que le crédit qui a été alloué l’année dernière au budget de l’intérieur, du chef dont il s’agit, n’a pas été diminué cette année, mais lorsque vous discuterez ce budget vous entendrez les observations du ministre de l’intérieur, et s’il est possible de diminuer la somme dont il est question, il y consentira certainement ; mais, pour ma part je doute fort que M. le ministre de l’intérieur puisse consentir à voir réduire le léger crédit qu’il demande.
Si le crédit n’a pas été porté sous le titre de « Secours aux employés, veuves et enfants mineurs des employés des prisons, » c’est parce que, quoique la somme n’ait jusqu’ici pour objet que de secourir les employés des prisons, il peut cependant s’en présenter d’autres qui aient droit d’être secourus et que dans ce cas il est à désirer que leur demande puisse être accueillie.
J’espère que la chambre prendra en considération les motifs que j’ai fait valoir et qu’elle accordera le subside que je demande.
M. Pollénus, rapporteur. - Messieurs, comme vous le voyez par le rapport de la section centrale, elle a rejeté l’allocation demandée par le gouvernement par la raison qu’une somme de six mille francs portée au budget de l’intérieur s’est trouvée suffisante les autres années, pour venir au secours des personnes dont il s’agit dans la proposition du gouvernement. Je crois, messieurs, devoir vous rappeler que si les sections ont adopté le chiffre de six mille francs demandé au budget de l’intérieur, ce n’a été que dans la supposition que le crédit demandé au budget de la justice ne serait pas accordé, et qu’il entre par conséquent dans l’intention des sections de réduire la somme demandée au budget de l’intérieur, dans le cas où des fonds seraient alloués pour le même usage au budget de la justice.
Je dois encore faire observer à la chambre que d’après ce qui a été dit par M. le ministre de la justice, il y aurait lieu à porter au chap. VIII l’art. 3 dont il s’agit, puisque d’après le libellé de la proposition, il n’est nullement stipulé que le crédit ne sera employé qu’à secourir les employés, veuves ou enfants d’employés des prisons. Je demande donc à M. le ministre que, si son intention est de n’appliquer le crédit qu’à ces seules personnes, il consente au transfert dont je viens de parler. Dans ce cas, je l’avoue, je n’aurai peut-être plus les mêmes objections à faire : à l’art. 3 du chap. VIII se trouve une somme destinée à accorder des récompenses aux employés qui, par une conduite exemplaire ou des actes de dévouement, y auraient acquis des droits, et cette somme pourrait peut-être jusqu’à un certain point recevoir la destination dont on parle. Je dois cependant faire remarquer à M. le ministre qu’il n’a cité qu’un seul cas où l’humanité exigeait que des secours fussent accordés, il a parlé de la veuve d’un ancien gardien de prison, qui avait donné des preuves de zèle et de dévouement dans l’exercice de ses fonctions, laquelle est chargée de 8 enfants. Il me semble que pour un besoin aussi minime une somme de 8,000 fr. est un peu forte, et si la chambre était disposée à accorder un crédit, je proposerais alors de le réduire à 2,000 fr.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - J’ai dit, messieurs, que la somme est principalement destinée aux employés des prisons ; mais il peut arriver que d’autres employés se trouvent dans le cas de mériter à tous égards un secours, sans cependant avoir droit à une pension ; c’est pour ne pas me trouver, le cas échéant, dans l’impossibilité d’accorder un semblable secours que j’ai libellé le crédit en termes généraux.
L’honorable préopinant a dit que je n’avais cité qu’un seul cas où j’ai dû refuser un secours ; je pourrais, messieurs, en citer un nombre infini ; j’ai pris pour exemple le fait d’une veuve avec 8 enfants qui est venue me demander un secours qu’elle méritait à tous égards et que faute de fonds j’ai dû demander à S. M., qui s’est empressée de l’accorder ; j’ai choisi ce fait parce qu’il s’est passé récemment et qu’il me semble concluant.
Je crois donc, messieurs, qu’il est nécessaire de voter la somme demandée et de la laisser au chapitre où elle est portée. Je déclare du reste à la chambre que la somme analogue à celle que je demande, qui est accordée au budget de l’intérieur, est tout à fait indispensable aux besoins de ce département et que je serais fâché d’avoir dit une parole dont on pût s’appuyer pour demander la diminution d’une allocation aussi juste.
M. Legrelle. - Messieurs, lorsque une première fois la chambre a accordé au ministre de l’intérieur une légère somme pour venir au secours des employés et veuves d’employés malheureux qui n’ont pas droit à la pension, je crois que son intention a été que cette somme profitât indistinctement aux employés de toutes les administrations et non pas seulement aux employés du ministère de l’intérieur ; cependant depuis il a été dit que la somme ne pouvait servir qu’à secourir les employés ou veuves d’employés du département de l’intérieur, et il a été agi en conséquence. Ce que demande aujourd’hui M. le ministre de la justice est donc entièrement fondé ; ce qu’on a accordé au ministre de l’intérieur, il faut l’accorder aussi aux autres ministres ; il ne faut pas dans un Etat deux poids et deux mesures ; il ne faut pas que les veuves des employés du ministère de la justice ne puissent rien obtenir, tandis que les veuves d’employés du ministère de l’intérieur reçoivent des secours. Je connais la veuve d’un employé du ministère des finances qui mérite des secours et qui ne peut en obtenir, parce qu’il n’y a pas d’allocation pour cet objet au budget des finances. Si donc la chambre vote le crédit demandé par M. le ministre de la justice, j’engagerai M. le ministre des finances à demander aussi un semblable crédit. Dès que vous consacrez le principe que des secours doivent être accordés aux veuves d’employés qui n’ont pas droit à la pension, ces secours doivent être accordés indistinctement aux veuves d’employés de tous les ministères.
M. Verdussen. - Je ne crois pas, messieurs, que ce que vient de dire l’honorable préopinant soit parfaitement exact. Je me suis intéressé à une veuve dont le mari avait été employé au ministère des finances et qui n’avait pas droit à la pension. Eh bien, messieurs, elle a obtenu du ministre de l’intérieur un secours sur le crédit que a été effectivement porté à son budget pour secours à accorder en général à des veuves d’employés de tous les ministères. Je crois donc que M. le ministre de l’intérieur a employé la somme dont il s’agit conformément aux intentions dans lesquelles elle a été votée par la chambre.
Du reste, ce qui arrive aujourd’hui ne m’étonne pas, et si vous accordez le crédit demandé par M. le ministre de la justice, je m’attends à en voir demander de semblables par les autres ministres.
J’ai cru devoir vous présenter ces observations pour vous faire comprendre la portée du vote que vous allez émettre, pour vous faire voir que si vous accordez l’allocation dont il s’agit, elle en entraînera encore d’autres à sa suite.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Messieurs, lorsqu’un employé ressortissant à mon département, et principalement un employé des prisons, s’est trouvé dans le besoin, il est vrai que M. le ministre de l'intérieur n’a pas refusé, sur ma demande, de lui accorder un secours ; mais il est vrai aussi qu’il s’est trouvé fort souvent dans le besoin, vu le manque de fonds, de ne pas pouvoir accéder à mes demandes. (Aux voix ! aux voix !)
M. Legrelle. - Je n’ai plus qu’à dire un mot, en réponse aux observations de mon honorable ami, M. Verdussen. Cet honorable membre vous dit qu’il s’est intéressé auprès du ministère de l’intérieur en faveur de la veuve d’un ancien employé des finances, et que M. le ministre de l’intérieur ne s’est pas refusé à faire accorder un secours à cette personne. Eh bien, messieurs, je tiens en mains une pétition d’une ancienne collectrice de la loterie à Ostende, qui a perdu sa place par suite de la suppression des loteries.
Si cette personne s’adresse au département des finances, on lui répond qu’on ne peut rien lui accorder ; si elle va au ministère de l’intérieur, on l’éconduit en lui disant que l’emploi qu’elle a occupé antérieurement ne ressortissait pas au département de l’intérieur.
Je pense, messieurs, qu’il est nécessaire que chaque ministère ait des fonds pour secourir les employés ou veuves d’employés ressortissant à chacun d’eux.
M. de Brouckere. - Il est vrai, messieurs, que le crédit voté jusqu’ici en faveur des employés et veuves d’employés qui, sans avoir droit à la pension, ont néanmoins des droits à un secours, à raison d’une position malheureuse il est vrai, dis-je, que jusqu’ici ce crédit n’a figuré qu’au budget du département de l’intérieur ; mais il n’en est pas moins vrai, comme on l’a dit, que le chef de ce département a consenti à ce qu’une partie de la somme fût donnée à des employés ou à des veuves d’employés étrangers à son administration.
Eh bien, selon moi, c’en là une chose à laquelle il faut porter un remède ; car on conviendra que ce n’est pas au ministre de l’intérieur qu’il appartient de juger si un employé du ministère de la justice ou des finances a des titres à l’obtention d’un secours : le juge de cette question est le chef du département auquel a ressorti l’employé.
Ainsi, une chose qui me semble bien établie, c’est qu’il faut voter à chaque budget une somme quelconque qui ait une semblable destination. Faudra-t-il maintenant, par suite du vote que nous allons émettre, diminuer la somme que nous avons allouée les années précédentes pour le ministère de l’intérieur ? C’est une question que nous discuterons plus tard.
Ce qui me paraît prouvé maintenant, c’est la nécessité de voter une somme destinée à secourir des employés malheureux, ou veuves d’employés du ministère de la justice.
L’honorable M. Pollénus a cru voir dans ce crédit un double emploi avec celui qu’on propose à l’art. 3 du chapitre suivant, pour récompense à accorder aux employés pour conduite et actes de dévouement ; mais il n’en est rien car cet article concerne des employés en activité qui rendent des services extraordinaires. Il n’y a pas d’employés qui soient plus dans le cas de rendre des services de ce genre ; chaque année il arrive que quelques-uns des ces employés courent les plus grands dangers ; que plusieurs d’entre eux reçoivent des blessures, et que même leur vie est mise en péril.
Eh bien, dans de semblables circonstances, le chef du département de la justice ne doit-il pas à avoir à sa disposition le moyen de secourir ces employés qui, par suite des luttes qu’ils ont eu à soutenir, sont hors d’état de remplir leurs fonctions et sont obligés de s’imposer des dépenses extraordinaires ?
Je crois, toutefois, avec l’honorable M. Pollénus, que le crédit pourrait être réduit à 2,000 fr.
M. le président. - Je vais mettre aux voix le chiffre de 5,000 fr. demandé par le gouvernement.
- Ce chiffre n’est pas adopté.
Le chiffre de 2,000 fr. est ensuite mis aux voix et adopté.
(Moniteur belge n°22, du 22 janvier 1837) « Art. 1er. Frais d’entretien et de nourriture des détenus : fr. 700,000. »
- Adopté.
« Art. 2. Traitement des employés attachés au service des prisons : fr. 255,000. »
- Adopté.
« Art. 3. Récompenses à accorder aux employés pour conduite exemplaire et actes de dévouement : fr. 2,500 fr. »
- Adopté.
« Art. 4. Frais d’impression et de bureau : fr. 8,000. »
- Adopté.
« Art. 5. Constructions nouvelles, réparations et entretien des bâtiments et du mobilier : fr. 400,000. »
M. Gendebien. - Messieurs, je voudrais qu’avant de voter des sommes pour l’agrandissement des prisons, on s’occupât de leur amélioration et surtout de l’amélioration de l’éducation des détenus ; en un mot je voudrais qu’on fît avant tout un bon choix de système pénitencier ; on trouverait le moyen de rétrécir les prisons qu’on augmente chaque année d’une manière effrayante.
Je n’ai pas eu le temps de visiter les prisons, comme je me l’étais proposé, pour vérifier certains renseignements qui m’ont été fournis. Si ces renseignements sont exacts, les prisonniers seraient en général mal nourris ; l’on s’occuperait fort peu de la partie morale, et l’immense majorité des détenus sortiraient des prisons beaucoup plus mauvais qu’ils n’y étaient entrés. Je n’affirme rien, je rapporte ce qu’on m’a dit et je désire qu’on me réfute complètement.
Je voudrais, messieurs, que l’on fît enfin choix d’un bon système pénitencier, que toutes les constructions fussent faites en exécution d’un bon plan général définitivement arrêté ; dans ce cas je serais disposé à voter toutes les sommes, n’importe leur hauteur.
Si d’autres informations que j’ai reçues sont également exactes, on emploie dans les prisons un moyen de discipline qui ne peut pas être toléré. Les détenus reçoivent 20 centimes par journée de travail ; et lorsqu’il leur arrive, non pas de rester une journée entière sans travailler, mais de ne pas compléter leur tâche, on retient 1 franc sur les épargnes de ces malheureux, de manière qu’ils doivent, après une première punition, travailler pendant 5 jours pour se remettre au niveau.
Je déclare de nouveau que je n’ai pas pu vérifier par moi-même ces renseignements ; je n’affirme rien et je désire que le ministère nous donne à cet égard des explications satisfaisantes.
On m’a dit enfin, car je dois tout dire, que les malheureux détenus étaient livrés à l’exploitation des entrepreneurs.
Il me serait agréable d’apprendre qu’il n’en est rien. J’attendrai sur ce dernier point, comme sur les autres, les explications de M. le ministre de la justice.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Messieurs, je regrette que l’honorable préopinant n’ait pas visité nos prisons ; au lieu de faire la critique de l’administration, il lui aurait donné peut-être de justes éloges.
Je suis charmé que cet honorable membre ait communiqué à la chambre tous les renseignements qui lui ont été donnes sur les prisons, parce qu’il me fournit l’occasion de rectifier son opinion à cet égard ; car tout ce dont on l’a entretenu n’est qu’un tissu d’erreurs.
L’honorable membre désirerait que l’on s’occupât une bonne fois de l’adoption d’un bon système pénitentiaire ; eh bien, messieurs, ce désir se trouve en partie accompli : nous y travaillons tous les jours ; et les nouvelles constructions pour lesquelles nous vous demandons des fonds ont pour objet de faciliter de nos projets de réforme.
L’important dans un bon système pénitentiaire, c’est d’isoler les prisonniers pendant la nuit, dans l’intérêt de la salubrité et des mœurs. Pour atteindre ce but, il faut des cellules qui exigent des constructions considérables ; dans l’état actuel de nos prisons, il nous a été impossible d’introduire cette mesure partout.
Si vous nous accordez, messieurs, les moyens que nous vous proposons, nous établirons à Namur un pénitencier pour les femmes qui, j’ose le dire, sera une prison modèle. Voyez les grands avantages qui en résulteront.
Actuellement, il y a environ deux cents femmes détenues dans la prison de Vilvorde et trois cents à Gand. Elles sont réunies sons la direction des sœurs de la charité dans le local du dépôt de mendicité, qui sera convenablement approprié à cette destination.
La séparation absolue des prisonniers des deux sexes produira par elle-même de bons effets. D’un autre côté, la place que nous gagnerons à Vilvorde et à Gand nous permettra d’améliorer dans ces établissements la division des reclus par catégories, et la distribution des ateliers. Un bon classement des condamnés et la facilité d’une surveillance continue sont les conditions les plus essentielles d’un bon régime pénitentiaire ; nous cherchons à remplir successivement ces conditions à mesure que les locaux nous en offrent la possibilité.
L’agrandissement de la prison militaire d’Alost, pour lequel nous demandons un nouveau subside à la chambre, produira des résultats analogues. Les militaires qui sont maintenant confondus avec les forçats à Vilvorde, en seront séparés ; l’encombrement si funeste à Vilvorde et à Alost disparaîtra, et dans les deux établissements on pourra classer les prisonniers le jour et la nuit de manière à assurer la salubrité et la moralité, qui sont l’objet constant de notre sollicitude.
L’honorable préopinant a eu tort de dire qu’on ne fait rien dans les prisons pour la réforme de leur état moral ; s’il avait pu visiter la prison de Vilvorde, il aurait vu les améliorations introduites dans cette partie du service depuis que des religieuses se dévouent avec un zèle vraiment admirable à la surveillance et à l’instruction des prisonnières. La prison de Gand va jouir des mêmes avantages ; ce sera surtout quand toutes les femmes seront réunies à Namur sous la direction des sœurs de la charité qu’on aura fait le plus grand pas pour la réforme morale des détenues.
C’est peu de chose que les prisonniers soient bien nourris, bien vêtus, il faut faire en sorte que les mauvais ne corrompent pas les autres ; il faut faire en sorte d’améliorer les mauvais, et je ne connais pas de meilleurs moyens pour obtenir ce résultat que de confier la surveillance des prisonniers à des personnes qu’anime l’esprit de charité et qui donnent l’exemple d’un dévouement que la religion seule peut inspirer.
Au moyen de l’allocation que je demande, j’organiserai un quartier d’exception à Gand, dans lequel j’introduirai des frères de la charité qui exerceront une influence salutaire sur les condamnés : ce n’est pas assez d’isoler les prisonniers, il faut leur donner des consolations morales et religieuses. Un aumônier est insuffisant pour 800 détenus, il les connaît à peine ; les prisonniers doivent être constamment observés, on ne doit laisser échapper aucune occasion de leur montrer les conséquences de leur mauvaise conduite et les moyens de se réconcilier avec la société.
Je mets peu d’ordre dans mes explications ; mais je fais en sorte de rencontrer toutes les observations qui ont été faites par préopinant.
Il vous a parlé de la nourriture des détenus, qu’on lui a dit être très mauvaise. Ce reproche n’est pas fondé. On m’avait fait un rapport pour prouver la nécessité de modifier le régime alimentaire à Vilvorde. Par mes ordres, deux médecins distingués, l’un de Gand, l’autre de Bruxelles, se sont rendus à l’improviste a Vilvorde, et après une enquête faite avec soin, il a été reconnu que les aliments étaient de bonne qualité et donnés en quantité suffisante.
Il n’y a pas six semaines que cette enquête a été faite par MM. Mareska et Van Mons. Les mesures que nous avons prises prouvent à la fois l’inexactitude des informations de l’honorable préopinant et la vigilance de l’administration des prisons.
Le même orateur s’est plaint des moyens de discipline des prisons, et vous a dit qu’ils sont injustes et vexatoires, que le prisonnier qui ne fait pas toute sa tâche est condamné à une amende d’un franc. Je n’ai aucune connaissance de faits semblables, et je puis affirmer que cela n’est pas. Les prisonniers sont payés suivant leur travail. Il n’est pas exact de dire qu’ils sont livrés à l’exploitation des entrepreneurs. Car il y a des règlements où les droits des prisonniers sont stipulés, et on veille à l’exécution des obligations des entrepreneurs vis-à-vis des prisonniers.
Ce serait la chose du monde la plus inexcusable que de laisser des entrepreneurs disposer à leur gré des bras des prisonniers et exploiter leurs sueurs. Toutes les précautions sont prises pour éviter un pareil abus. Nos prisons sous le rapport du travail ne laissent rien à dire, il n’est aucun pays au monde où le travail des prisons soit mieux organisé. Sous le rapport moral il a y encore à faire ; c’est ce qui attire toute mon attention. Nous croyons avoir déjà fait beaucoup, et nous sommes bien décidés à ne pas nous arrêter dans la voie des améliorations.
M. de Brouckere. - Je dirai comme l’honorable préopinant, je regrette que l’honorable M. Gendebien n’ait pas visité nos prisons ; il en serait sorti avec la conviction qu’elles sont dirigées avec tous les soins possibles, et qu’on ne néglige aucune des parties qui rentrent dans les attributions des employés et de la commission des prisons.
D’après les renseignements recueillis par l’honorable membre, les prisonniers seraient mal nourris. Déjà M. le ministre de la justice a répondu à cette allégation. Je puis affirmer que quand il y a des plaintes de la part d’un ou de plusieurs prisonniers sur la nourriture qui leur est distribuée, on prend des mesures pour s’assurer si ces plaintes sont ou ne sont pas fondées ; et quand elles le sont, il y est incontinent fait droit.
Mais, dit l’honorable membre, on m’a assuré que la partie morale n’était pas soignée : c’est encore là une erreur. Non seulement on s’occupe beaucoup de ce qui regarde la moralité des détenus, mais on s’occupe même de leur instruction, car un instituteur est attaché à chaque grande prison ; et c’est une chose admirable que l’empressement des prisonniers à suivre les leçons pour se procurer l’instruction qu’on leur offre. Il y a plus, dans les grandes maisons il se trouve une petite bibliothèque composée d’ouvrages à la portée des prisonniers, et les jours où ils ne doivent pas travailler, les dimanches et les fêtes, on voit un grand nombre de détenus demander des livres pour passer une partie de la journée à les lire. Vous pensez bien que ces livres sont de telle nature que les prisonniers ne peuvent que gagner sous le rapport de la moralité, en les étudiant et les méditant.
Les moyens de discipline employés ont été aussi l’objet de la critique de l’honorable membre ; il s’est plaint de leur sévérité, il a dit qu’on allait jusqu’à infliger une amende d’un franc au prisonnier à qui, à la fin de la journée, une faible partie de la tâche imposée resterait à faire. Cela n’est pas exact non plus. Je dois dire que dans les grandes maisons la discipline est douce et même paternelle. Jamais on ne voit dans les établissements du royaume de ces punitions que permettent cependant les règlements en vigueur, qui sont ceux du gouvernement précédent. Jamais on ne frappe les détenus, jamais un gardien ne porte la main sur eux. La seule punition qu’on leur inflige est quelques jours de cachot, ou une faible retenue sur leur salaire, alors qu’il y a mauvaise volonté de leur part, et seulement dans ce dernier cas. On comprend combien il serait injuste de retenir le salaire d’un prisonnier, quand il n’y a pas de sa faute s’il pas achevé sa tâche. Il n’en est pas ainsi.
Je viens à la dernière observation.
On a assuré à l’honorable membre que les détenus étaient livrés à l’exploitation des entrepreneurs. Je puis dire que ce reproche est, de tous ceux qui ont été articulés, le moins fondé, et je vais le prouver. Le plus grand nombre des prisonniers sont employés à tisser de la toile. A ceux-là le salaire est payé par le gouvernement, mais quelques entrepreneurs sont admis dans la prison de Vilvorde. Un fabricant de brosses ou de chapeaux se présente et demande à pouvoir employer un certain nombre de prisonniers. Un contrat est alors passé entre ces entrepreneurs et le gouvernement, dans lequel les intérêts du gouvernement et des prisonniers sont stipulés. La commission administrative est chargée de veiller à la rigoureuse exécution des stipulations du contrat. Il est à remarquer que tous les prisonniers préfèrent travailler dans les ateliers des entrepreneurs, c’est même un objet de jalousie entre eux. La raison en est simple, c’est qu’ils y reçoivent un salaire plus fort. Les entrepreneurs n’ont aucun droit sur les prisonniers, ils ne peuvent leur infliger aucune peine. S’ils ont à se plaindre d’un prisonnier, ils doivent s’adresser au directeur de la prison qui peut infliger une peine, mais sous l’approbation du conseil d’administration.
Je termine en invitant l’honorable membre à visiter une des prisons de l’Etat, celle de Vilvorde qui est la plus rapprochée ; j’ai la conviction qu’il en sortira avec tous ses apaisements sur les renseignements inexacts qui lui ont été remis.
M. A. Rodenbach. - Lors de la discussion du dernier budget, j’ai demandé à M. le ministre de la justice des explications sur le régime pénitencier ; je suis charmé qu’il nous ait donné aujourd’hui ces explications.
Il est généralement reconnu que nos prisons sont parfaitement tenues. M. Bérenger, dans le mémoire qu’il a publié sur les prisons, cite celles de Belgique comme les mieux tenues.
Trois choses sont nécessaires pour avoir un bon régime pénitencier. Comme le ministre nous l’a dit, d’abord l’isolement la nuit, le travail dans le jour et le silence. Je pense que jusqu’à présent le silence n’est pas observé.
Une des choses sur lesquelles les économistes ont le plus insisté, c’est le perfectionnement moral. Et sous ce rapport l’introduction des sœurs de la charité dans les prisons a produit d’excellents effets.
M. Bérenger dit qu’à Lyon les frères de la charité ont considérablement amélioré la moralité des prisonniers ; depuis qu’ils ont été introduits dans cette prison, les récidives qui étaient de 68 p. c. se sont réduites à 19. Ces frères remplissent les fonctions de porte-clefs, de garde-magasin, s’occupent de l’instruction des prisonniers et sont leurs aumôniers. Un aumônier par prison, comme cela existe maintenant, est insuffisant. J’appuie l’intention de M. le ministre d’introduire dans les prisons des frères et des sœurs de charité.
Je le répète, les récidives sont en France de 19 au lieu de 70 p. c., depuis que l’instruction morale est perfectionnée. J’espère donc que le ministre utilisera pour les prisons l’instruction des frères de charité. L’argent, ce moteur universel, n’est pas le Dieu qu’ils adorent. Ils font le bien par esprit de religion. Dans tous les grands établissements de bienfaisance l’esprit de religion a plus fait que l’esprit philosophique.
M. Desmet. - Comme j’ai eu l’occasion de visiter souvent la prison militaire d’Alost, je peux parler avec connaissance de cause et appuyer ce que vient d’avancer l’honorable M. H. de Brouckere, en réponse aux observations de l’honorable M. Gendebien, au moins pour ce que concerne la maison d’Alost.
La nourriture y est saine et très bonne, je suis sûr que bien de nos villageois n’ont pas de si bonne table chez eux ; ils ont journellement de la viande, des légumes et un excellent bouillon avec du pain de la meilleure espèce ; d’ailleurs on sait que deux commissaires mensuels, délégués par la commission administrative attachée à chaque prison, prennent presque quotidiennement l’inspection de la nourriture des détenus.
Je crois que l’instruction n’est pas négligée ; Car dans chaque maison, indépendamment de l’aumônier, il y a des instituteurs, il y a une bibliothèque. Je ne sais comment elle est composée ; mais elle l’est, je suppose, de livres moraux. J’appelle, au reste, sur ce point, l’attention du ministre de la justice, et je l’engage faire examiner par les aumôniers des prisons si les livres sont bien choisis.
Quant au système cellulaire, je crois que la division par catégories y est préférable. Je crois que le couchage dans des dortoirs est meilleur que l’isolement pendant la nuit.
J’attirerai en terminant l’attention du ministre de la justice sur ce qui se passe au dépôt de mendicité de la Cambre. Là les enfants sont véritablement bien instruits. Quand on leur donne l’instruction, ils sont surveillés. Mais dans les récréations, ils s’amalgament avec les personnes d’âge. Cela offre des inconvénients. Je voudrais que les enfants fussent constamment isolés des grandes personnes. Ce serait un bon moyen non seulement pour leur donner une bonne instruction, mais aussi et principalement pour qu’ils acquièrent de bonnes mœurs, tandis qu’à présent ils les gâtent très facilement par le contact qu’ils ont avec les vagabonds et mendiants âgés pendant les heures de récréation.
M. Gendebien. - Lorsque j’ai pris la parole, j’ai communiqué à la chambre les renseignements qui m’avaient été donnés, sans rien affirmer. Mon but était de les éclaircir et des obtenir d’autres.
Je suis charmé d’avoir dit tout haut ce que d’autres disent tout bas, puisque sur plusieurs points on a donné des explications plus ou moins satisfaisantes. Mais il est un point sur lequel la réponse qui m’a été faite ne m’a pas rassuré ; car les débats à la cour d’assises de Bruxelles ont révélé, il y a peu de jours, des faits qui prouvent que dans certaines prisons la moralité laisse beaucoup à désirer. Je prie M. le ministre de la justice de prendre auprès de qui de droit des renseignements à cet égard.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Je sais ce que vous voulez dire.
M. Gendebien. - Le fait est tout récent ; il date de 5 ou 6 jours, et je ne pense pas que vous le contestiez.
Quant à la nourriture, il y a 6 semaines on a fait une enquête. Je désire qu’elle ait amélioré la nourriture ; les renseignements que j’ai obtenus m’ont été donnés il y a 3 mois environ par une personne qui a visité toutes les prisons de la Belgique, et à cette époque la nourriture n’était pas bonne partout.
Sur le point de l’amende que l’on fait payer aux ouvriers, j’ai, comme pour le reste, soumis mes observations sous la forme du doute ; ce doute n’a pas disparu, car M. le ministre a répondu qu’il n’avait aucune connaissance de ce fait ; puis il a affirmé que ce fait n’existe pas. Singulière manière de rassurer !
Pour moi, j’avoue, messieurs, que cette réponse m’inspire peu de confiance et qu’elle a presque transformé mon doute en certitude. Au moins elle laisse beaucoup d’incertitude dans mon esprit. Je prie le ministre de prendre des informations à cet égard ; car c’est le fait de l’amende qui faisait dire à cette personne qui m’a fourni les renseignements, que les prisonniers sont exploités par les entrepreneurs.
Je désire que le ministre donne tous ses soins, toute son attention au régime des prisons ; je me propose de les visiter, non pas toutes, car je n’en ai pas le temps, mais une ou deux ; et je serai le premier à rendre justice à qui il appartiendra. En attendant, je dois dire qu’alors qu’on croira avoir tout fait, il restera beaucoup à faire.
Je n’entrerai pas dans l’examen des différents systèmes pénitentiaires, d’abord parce que je suis fort ignorant dans cette matière. Mais je dois dire que l’isolement pour la nuit, le silence pendant le travail et l’instruction pour tous, combinée avec les moyens de discipline modérés et persuasifs, sont les premières améliorations à introduire dans le régime des prisons, et peut- être les seules ou au moins les plus efficaces.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - L’honorable préopinant est surpris de ce qu’après avoir dit que je n’avais aucune connaissance du fait d’une amende d’un franc imposée à un prisonnier pour n’avoir pas fait sa tâche, j’aie pu affirmer que cela n’était pas. Cependant, sauf les expressions qui ne sont pas toujours des mieux choisies dans une improvisation, je crois que ma pensée était facile à comprendre : c’est que si dans un cas particulier, on avait retenu un franc à un prisonnier, je l’ignorais et j’en doutais, mais que d’après les règlements des prisons cela ne devait pas, cela ne pouvait pas être. Dans tous les cas, c’est là ce que j’ai voulu dire.
Le préopinant a supposé que, par suite de l’enquête qui a été faite, la nourriture des prisons a été améliorée. Non, la nourriture n’a pas été améliorée. Il n’y avait pas à l’améliorer. L’enquête a constaté qu’il n’y avait rien à changer, que la nourriture était ce qu’elle devait être.
Le même orateur a ajouté qu’il n’est pas rassuré par les observations que j’ai faites, en ce qui regarde la moralité. Il a fait allusion à un fait qui s’est passé il y a 5 ou 6 jours, et que probablement, dans l’intérêt des mœurs, il n’a pas cru devoir citer.
Mais sous le rapport des mœurs, j’ai reconnu qu’il y a beaucoup à dire, beaucoup à faire. Ce point a attiré toute mon attention. Il faut introduire de grands changements ; il faut séparer les prisonniers pendant la nuit, établir des catégories pour mieux surveiller les prisonniers. Mais pour cela il faut avoir des locaux suffisants ; car la disposition des locaux est nécessaire, non seulement pour séparer les prisonniers pendant la nuit, mais encore pour faciliter la surveillance. Je crois que l’on ne peut pas introduire ces améliorations tout d’un coup, mais peu à peu. D’ailleurs, dès que l’administration des prisons connaît les vices de l’organisation actuelle et vous demande les moyens de les faire disparaître, je crois que l’on ne peut pas demander davantage.
Un honorable préopinant a dit qu’un caractère d’un bon système pénitencier est le silence imposé aux détenus. Cela est vrai. Mais pour que cette règle soit observée d’une manière absolue il faut que les locaux soient améliorés : car dans l’état actuel on ne pourrait faire autrement qu’on n’a fait jusqu’ici.
Un autre préopinant a dit, en parlant de la prison d’Alost, qu’il ne considérait pas le système cellulaire comme le meilleur, que la séparation par catégories lui paraissait préférable. Mais ces deux systèmes doivent marcher ensemble. Si l’honorable préopinant veut m’écouter un moment, il en sera convaincu.
Je ne sais pas ce que l’on pourrait dire contre le système cellulaire pendant la nuit. Quel inconvénient peut-il y avoir à mettre un homme coucher seul, un malfaiteur, qui peut avoir été condamné pour attentat aux moeurs ? Ce ne peut être qu’un bien à tous égards. Quant au système cellulaire pendant le jour, c’est une autre question sur laquelle je ne me suis pas prononcé. Nous n’avons pas adopté ce système. Seulement à Gand nous avons fait un essai sur les hommes condamnés à mort ou aux travaux forcés à perpétuité, sur les hommes regardés comme incorrigibles. A cet égard je crois que l’administration a encore fait son devoir.
Le même préopinant a dit quelques mots du dépôt de mendicité de la Cambre. Il a dit que les enfants étaient, pendant les récréations, confondus avec les personnes âgées. C’est un véritable inconvénient, s’il en est ainsi. Mais les frères de la charité (j’ai eu l’occasion de le dire à la Cambre) doivent surveiller les enfants aussi bien pendant les récréations que pendant l’instruction. J’attirerai sur ce point l’attention de la commission, et je veillerai à ce que les choses se fassent pour le mieux.
M. Desmet. - Je ne veux pas insister sur le système cellulaire, parce que le ministre dit que ce n’est qu’un essai qu’on fait, en ce moment. Je ferai cependant remarquer, en faveur du système des dortoirs, que les prisonniers ont un hamac ou un lit à part, et que comme on met dans les dortoirs autant de surveillants qu’il est nécessaire, jamais un détenu ne peut sortir d’un lit pour aller dans un autre. Je ne peux donc m’expliquer la préférence accordée au système cellulaire ; surtout pour les militaires qui sont des hommes forts, il offre un danger physique et moral. Le système cellulaire avait été mis en usage, si je ne me trompe, au commencement de la création de la maison de force de Gand, et après on l’a abandonné par les raisons auxquelles je viens de faire allusion.
M. de Brouckere. - Je m’étonne que l’on s’élève contre le système d’isolement des prisonniers pendant la nuit. Car c’est le seul moyen de remédier au vice signalé par M. Gendebien et qui existe dans un grand nombre de nos prisons. Au reste cette matière est trop délicate pour qu’on puisse en parler longtemps.
Je n’ai plus qu’un mot à répondre à l’honorable M. Gendebien, qui est revenu sur ce fait qu’une amende d’un franc avait été imposée à un prisonnier pour ne pas avoir rempli sa tâche. Il est vrai que quelquefois l’on retient aux prisonniers une partie de la somme à laquelle ils ont droit. Voici dans quels cas. Lorsqu’un prisonnier, méchamment, par mauvais vouloir, par désir de nuire, détruit un objet à la fabrication duquel il était employé, alors on évalue le dommage qu’il a fait volontairement et méchamment, et l’on retient sur le salaire dû par l’Etat ou l’entrepreneur la valeur de ce qui a été perdu, par le fait du prisonnier.
Et assurément c’est non seulement justice, mais c’est nécessité. Les hommes qui sont détenus dans les prisons ne sont pas des hommes parfaits, à l’abri de tout reproche ; ce serait pour eux un moyen trop facile de vengeance que la détérioration des objets qui sont remis entre leurs mains, si on ne leur faisait pas payer le dommage qu’ils causent. C’est le seul cas où on puisse imposer des amendes aux détenus aussi fortes que celles dont a parlé l’honorable M. Gendebien.
M. Raikem. - Messieurs, mon intention n’est nullement de parler sur les diverses questions qui viennent d’être soulevées par les honorables préopinants ; je me bornerai à faire une observation sur l’article en discussion : « Constructions nouvelles, réparations et entretien des bâtiments et du mobilier. »
Cette année on demande pour cet objet 400,000 fr., y compris les constructions nouvelles qu’on se propose de faire. Les années précédentes, le ministre n’avait demandé que les sommes nécessaires aux réparations et à l’entretien. Je suis loin de vouloir contester au gouvernement les moyens d’améliorer les prisons, ou de faire des constructions nouvelles ; mais je crois devoir rappeler au ministre les observations qui ont déjà été faites dans la section centrale relativement à l’état dans lequel se trouve la prison de Liège.
Et comme le ministre a reconnu la justesse de ces observations, que lui-même a dit qu’il était incontestable qu’une prison toute nouvelle devait être érigée dans la ville de Liège, je demanderai pourquoi on ne s’occupe pas de cet important objet, car jusqu’ici il n’y a ni plan, ni devis arrêtés à cet égard.
Je n’en dirai pas, en ce moment, davantage sur ce point ; je sens que la chambre n’est pas éclairée par les rapports qui devraient être faits sur cet objet. Il est urgent qu’on s’en occupe ; car l’état des prisons de Liége est intolérable, et la situation des prisonniers exige que l’on apporte les plus prompts remèdes à un si grand mal. Comme l’affaire n’est pas instruite, je me contenterai de la rappeler à la sollicitude du ministre ; je le prierai de vouloir bien s’entourer de tous les renseignements nécessaires, et quand il les aura obtenus, de faire en conséquence des propositions à la législature.
Le ministre sentira lui-même que les réponses qu’il a faites à la section centrale, quand il y fut interpellé sur ce point, démontrent la nécessité de s’occuper de cet objet.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Il y a plus d’un an qu’il a été reconnu, dans mon département, qu’il fallait reconstruire une maison de justice à Liége ; si on n’a pas fait de proposition à la chambre sur cet objet, c’est qu’on a voulu s’entendre avec les administrations locales afin de savoir pour combien la commune et la province contribueraient dans la dépense. Il faut encore être d’accord avec ces administrations relativement à l’emplacement et au plan à adopter.
Je ferai remarquer en outre que, comme il aurait fallu demander une assez forte somme à la chambre pour cette construction, j’ai cru qu’avant de s’occuper d’une maison d’arrêt, il fallait organiser nos maisons centrales. Toutefois, dès que les circonstances le permettront, et quand les plans seront dressés, je m’empresserai de demander à la chambre les fonds nécessaires à la construction de cette maison d’arrêt.
M. Raikem. - M. le ministre vient de dire que les grandes prisons de l’Etat devaient avoir la préférence dans sa sollicitude. Je lui ferai observer que dans les maisons d’arrêt sont les prisonniers non condamnés ; qu’ils sont présumés innocents jusqu’à ce qu’ils soient déclarés coupables, et qu’ils ont plus de droits à la sollicitude du gouvernement, que ceux qui ont dans les grandes maisons de détention, où ne se trouvent que des hommes frappés par la justice ; et qu’ainsi il est même plus urgent de s’occuper des maisons d’arrêt que des maisons centrales. Je crois donc que le ministre voudra bien s’occuper le plus tôt possible de la prison de Liége, objet réellement digne de toute sa sollicitude.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Je n’ai jamais perdu de vue la nécessité de réparer les maisons de justice, aussi bien que les prisons centrales. Je demande tous les ans des subsides pour faire des réparations aux maisons de justice ; mais, pour Liége, il faudra peut-être quatre à cinq cent mille francs, et cette considération m’a empêché de m’en occuper dans le budget actuel. L’encombrement qui existe dans les grandes prisons de l’Etat, m’a paru réclamer tous mes soins ; cependant, aussitôt que je le pourrai, je ferai des propositions à la chambre pour les prisons de Liége.
- Le chiffre de l’article 5 est adopté.
« Art. 6. Achat de matières premières et salaires : fr. 1,000,000. »
- Adopté.
« Art 1er. Frais d’entretien et transport des mendiants dont le domicile de secours est inconnu : fr. 10.000 fr. »
M. Doignon. - Ce chapitre est relatif aux établissements de charité ; il y a, à cet égard, une amélioration importante à faire au département de la justice. Je voudrais voir distraire de ce département les bureaux de bienfaisance et les hospices : il est certain que l’administration des établissements de charité n’a rien de commun avec l’administration de la justice ; elle est entièrement étrangère aux travaux et aux connaissances ordinaires d’un ministre jurisconsulte. Cet objet tombe de droit dans les attributions du ministère de l’intérieur : une nouvelle division a été créée dans ce ministère, et elle pourrait comprendre les hospices et les bureaux de bienfaisance. L’état actuel des choses donne lieu à de graves inconvénients. Il arrive souvent que la même affaire doit être instruite dans deux départements différents ; par exemple, (erratum inséré au Moniteur belge n°25, du 25 janvier 1837 :) il sera fait un legs à un établissement de charité à charge de services religieux ; il faudra instruire l’affaire tout à la fois au ministère de la justice et à l’intérieur ; et ces deux ministres peuvent envisager l’affaire sous deux points de vue différents. Ce mode d’instruction nécessite aussi des allées et venues réellement inutiles.
Je voudrais encore que tout ce qui est relatif à la police fût distrait du ministère de l’intérieur et renvoyé à celui de la justice. C’est à cause d’un certain embarras de position de M. le ministre de la justice qu’on a dans le temps transféré la police à l’intérieur. Mais ces circonstances ont cessé depuis longtemps, et le moment est venu de rendre à chacun le sien, c’est-à-dire à la justice, la police ; et à l’intérieur, les établissements de charité.
M. Desmet. - Trop souvent, lorsque les gendarmes escortent les prisonniers que l’on envoie d’une geôle à une autre, on voit au milieu des malfaiteurs un soldat, et je ne puis vous exprimer jusqu’à quel point cela me choque
Quelle émotion pénible ne doit pas éprouver un père de famille lorsqu’il voit ainsi son fils, appelé par la milice, à côté de misérables auxquels il ne reste ni probité ni pudeur, et qui ont peut-être commis les crimes les plus révoltants ! N’est-il pas nécessaire de faire plusieurs transports, et de séparer les jeunes soldats des brigands ? J’appelle fortement l’attention du ministre sur ce point.
Ne compromettons pas le moral de nos jeunes soldats en les mettant en contact avec des malfaiteurs, en les accolant avec des êtres qui en tout pays sont le rebut et le fléau de la société.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Le transport des prisonniers peut recevoir de grandes améliorations : un projet est préparé sur cet objet ; j’ai commencé une enquête, j’ai pris des renseignements près des gouverneurs des provinces ; si le système que je me propose de mettre en action est reconnu avantageux, je le soumettrai à l’approbation royale.
M. Gendebien. - Le silence du ministre de la justice relativement au transfert de la police du département de l’intérieur au sien me porte à prendre la parole.
Je demanderai au ministre qu’il s’explique à cet égard car son silence pourrait être pris comme approbation, et plus tard on pourrait se prévaloir du silence de la chambre, car on pourrait considérer ce silence comme improbateur. Je proteste contre la réunion de la police à la justice.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Nous ne pouvons pas prendre constamment la parole ; et nous demandons l’on n’interprète pas notre silence. Quand un ministre ne dit rien, cela ne veut pas dire qu’il approuve ou qu’il improuve ; cela veut seulement dire qu’il ne voit pas la nécessité de parler.
M. Gendebien. - Je peux considérer comme non approbatif le silence du ministre.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Non ; silence veut dire : je ne dis rien.
M. Legrelle. - Il me semble que les transports des prisons ne sont pas assez fréquents ; à Anvers, par exemple, il en résulte que des personnes arrêtées pour des motifs quelquefois assez légers, pour formalités non remplies dans leurs papiers, sont forcées de rester plusieurs jours dans une partie de la maison d’arrêt où sont souvent des hommes dans un état de santé ou de malpropreté des plus dégoûtants ; je voudrais que le ministre portât son attention sur la nécessité de transporter à Bruxelles sans retard les personnes arrêtées.
M. Pollénus, rapporteur. - Je crois pour ma part devoir engager M. le ministre de la justice à ne satisfaire qu’après un mûr examen à ce que vient de proposer l’honorable député d’Alost. Si l’on multipliait trop les transports, une augmentation du personnel de la gendarmerie pourrait devenir nécessaire, et cela entraînerait une augmentation de dépenses assez considérable ; j’invite donc M. le ministre de la justice à s’entourer de beaucoup de renseignements avant de prendre une résolution dans le sens des observations de l’honorable M. Legrelle.
M. Legrelle. - S’il est nécessaire d’augmenter le personnel de la gendarmerie, qu’on l’augmente, messieurs ; lorsqu’il s’agit de satisfaire aux lois de l’humanité, ce n’est pas un accroissement de dépenses qui doit nous arrêter. Voulez-vous que je cite un exemple des inconvénients qui résultent de ce que les transports sont trop peu fréquents ? Dernièrement un individu qui n’avait rien à sa charge, si ce n’est de ne pas être muni de papiers, devant être transporté à Bruxelles par la voie ordinaire de la gendarmerie, a dû rester pendant 5 jours en prison ; je vous le demande, messieurs, est-ce là un état de choses qui puisse durer ? Nous sommes aujourd’hui à une lieue et demie de Bruxelles, et vous faites rester sous les verrous pendant cinq jours un homme qui peut-être n’est pas coupable. C’est là un abus qui ne peut être toléré. Aussi lorsque nous en serons à voter des fonds pour la police, je ferai des observations plus sévères ; mais je le répète, il est déplorable de voir que, sans aucune nécessité, des hommes qui ne sont coupables en rien sont retenus pendant plusieurs jours en prison.
M. Pollénus, rapporteur. - Je répondrai à l’honorable M. Legrelle que jamais la gendarmerie ni le gouvernement ne s’est refusé à ce qu’il fût fait des transports extraordinaires, chaque fois que la demande en était faite ; c’est ce que j’approuve beaucoup ; mais j’ai engagé M. le ministre à ne pas accueillir avec trop d’empressement des observations qui tendent à faire établir non pas des transports extraordinaires, mais des transports réguliers plus fréquents, des voyages à jour fixe, sans aucune utilité.
M. Gendebien. - Messieurs, les observations de l’honorable M. Legrelle sont très justes, et il y aurait inhumanité à maintenir l’abus qu’il a signalé et qui n’existe pas trop réellement ; par exemple, un malheureux devra être transporté de Bruxelles, à Anvers ; il sera d’abord conduit d’ici à Malines où on le laissera pendant 5 jours, et alors seulement il continuera sa route, de manière que pour aller d’ici à Anvers, il aura mis 7 jours et sera resté 5 jours en prison. C’est là un état de choses qui ne peut durer ! Je désire que M. le ministre de la justice y tienne la main pour faire cesser le plus tôt possible un pareil abus.
Il n’est point question ici d’économie ; il s’agit d’humanité ; alors même qu’il n’y aurait que des criminels à transporter, l’humanité réprouverait même à leur égard tous les mauvais traitements inutiles ; mais souvent des innocents sont victimes de cet abus. M. Legrelle en a cité un exemple, et on pourrait en citer beaucoup d’autres. J’invite donc M. le ministre de la justice à prendre immédiatement en considération les observations de l’honorable membre ; et si, pour y satisfaire, il faut une augmentation de crédit, je l’engage à nous la demander avant la fin de la discussion de son budget.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Je regrette, messieurs, que la discussion se soit prolongée ; il me semble que les explications que j’ai données au commencement auraient dû suffire ; en effet, j’ai dit qu’il y a des améliorations à introduire dans le transport des prisonniers, que j’ai préparé un projet à cet égard, que je l’ai présenté à l’avis d’une commission, et que, s’il obtient son approbation, je le soumettrai bientôt à S. M. Vous voyez, messieurs, que la chose attire mon attention et que je m’en occupe.
- L’article est mis aux voix et adopté.
« Art. 2. Subsides à accorder extraordinairement à des établissements de bienfaisance. »
M. Pollénus, rapporteur. - Messieurs, dans plusieurs provinces il existe des besoins urgents de fonder quelques établissements de bienfaisance et d’en améliorer d’autres ; il me semble qu’au moyen de l’allocation demandée il sera bien difficile, sinon impossible, de donner à ces provinces les secours dont elles ont besoin. La province de Limbourg, par exemple, manque entièrement d’établissements pour les aveugles, pour les sourds et muets, pour les incurables. J’entends dire que c’est aux provinces et aux villes d’établir ces sortes d’institution ; mais cette obligation de la part des villes et des provinces n’exclut nullement les secours que le gouvernement peut leur accorder pour les mettre à même de la remplir, D’ailleurs l’allocation qui est portée au budget prouve suffisamment que le ministre veut accorder ces secours, et mon observation tend seulement appeler l’attention du gouvernement sur l’insuffisance de la somme demandé.
Cependant je déclare que je ne désire pas augmenter le chiffre et que je ne demande la majoration du chiffre de l’article en discussion que pour autant qu’il serait possible de réduire dans la même proportion celui de l’article 4 destiné à l’entretien des enfants trouvés et abandonnés. Avant de formuler ma proposition, je demanderai à M. le ministre si la somme de 200,000 fr. qui figure à l’art. 4 est bien nécessaire ? Car, si mes renseignements sont exacts, cette somme qui est la même depuis plusieurs années n’a pas été absorbée en 1836, soit que cette diminution de dépenses résulte de la loi de 1834. La proposition que je désire faire relativement à l’article des établissements de bienfaisance, dépendra donc de la réponse que voudra bien me faire M. le ministre de la justice, concernant le chiffre de l’art. 4.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Je dois, messieurs que l’on pourrait sans inconvénient réduire le subside pour les enfants trouvés à 190,000 francs, attendu que cette année nous n’avons guère dépensé davantage, et que, suivant toutes les probabilités, cette somme suffira pour l’année courante. Je pense, comme l’honorable préopinant (et j’ai déjà donné à la section centrale des éclaircissements dans ce sens), qu’il conviendrait, en réduisant à 190,000 francs le chiffre de l’art. 4 de majorer de 10,000 celui qui est destiné aux établissements de bienfaisance. J’ai fait connaître à la section centrale l’emploi des 50,000 francs qui ont été accordés l’année dernière pour cet objet, et elle a pu voir qu’au moyen de cette somme il a été opéré beaucoup de bien ; aussi je n’ai jamais reçu aucune plainte sur la manière dont elle a été distribuée. Au moyen de cette somme nous avons favorisé, dans un grand nombre de localités, l’établissement d’institutions pour les sourds et muets, pour les aveugles, pour les aliénés, et l’amélioration de semblables institutions déjà existantes. J’ai stimulé tous les conseils provinciaux à en établir là où il n’en existe pas, et à les améliorer là où elles existent ; et je leur ai promis à cet effet de demander à la législature les moyens de les aider dans cette œuvre d’humanité. Si donc vous accordez les 10,000 francs dont il s’agit, ce ne sera pas un grand sacrifice pour la nation, et vous permettrez au gouvernement de faire beaucoup de bien : vous n’avez pas à craindre d’ailleurs que ces fonds soient mal employés, tout cela se fait publiquement ; toutes les années il vous est rendu un compte fidèle de toutes les dépenses relatives à cet objet. De nouvelles demandes nous sont faites, entre autres, par l’établissement des sourds et muets à Bruxelles, par l’établissement des aliénés à Mons : si vous accordez le crédit de 60,000 fr., nous pourrons satisfaire à ces demandes et subvenir aux autres besoins de cette année.
Si donc la chambre admet mes observations, je lui proposerai de fixer à 60,000 fr. le crédit pour les établissements de bienfaisance, et de réduire en même temps de 10,000 fr. celui qui est destiné aux enfants trouvés. Toutefois je dois déclarer qu’en proposant cette diminution, je n’ai nullement l’intention d’entrer, relativement aux enfants trouvés, dans un système différent de celui qui a été suivi jusqu’ici, et qu’aucune commune ne pourra se plaindre de la diminution que je propose, puisque le nombre d’enfant trouvés et abandonnés a beaucoup diminué.
C’est ainsi qu’en 1834 le nombre a été de 8,495, et en 1835 seulement de 7,190 ; qu’en 1834 la dépense totale a été de 591,354 fr., tandis que pour 1835 elle n’a été que de 521,972 fr.
Je pense, en conséquence, que l’on peut sans le moindre inconvénient réduire de 10,000 fr. le chiffre concernant les enfants trouvés et abandonnés, et qu’il sera extrêmement avantageux d’augmenter de la même somme l’article en discussion.
M. A. Rodenbach. - Messieurs, le système suivi par le gouvernement relativement aux établissements de bienfaisance est peut-être le système le plus économique qui soit appliqué en Europe.
En effet, on fait beaucoup en Belgique, avec de faibles sommes. En France, un seul établissement de bienfaisance, par exemple, un institut de sourds-muets, coûte plus que tous les établissements du même genre en Belgique. En France, on accorde des locaux ; il n’en est pas de même ici ; chez nos voisins, on paie des traitements plus ou moins élevés à des professeurs ; chez nous, au contraire, le gouvernement se contente, avec le concours de la commune et de la province, d’accorder sur le trésor public de légers subsides de 100 ou de 200 francs ; et cependant, avec d’aussi faibles moyens, nous sommes parvenus à exécuter d’excellentes choses.
Aussi, comme la majoration demandée par M. le ministre a pour but d’étendre l’application de ce système philanthropique, je l’appuierai bien volontiers.
Puisque nous en sommes au chapitre des bureaux de bienfaisance, je crois opportun de soulever de nouveau la question dont j’ai entretenu l’assemblée, il y a environ deux ans ; je veux parler des monts-de-piété.
Messieurs, nous devons franchement en convenir, les monts-de-piété, c’est-à-dire une institution de bienfaisance, mais bien des établissements d’usure. Quel a été dans l’origine le but des institutions de ce genre ? Le mot même l’indique : c’était de prêter de l’argent à des malheureux, à titre gratuit, et non de le prêter, comme on fait aujourd’hui, a de gros intérêts qui montent parfois à 25 p. c.
On dira peut-être que le produit des lombards retourne aux pauvres. Mais, messieurs, cela n’est-il pas immoral ? Peut-on pressurer les pauvres pour donner aux pauvres ?
Il y a, messieurs, de grandes économies à introduire dans l’administration de ces établissements. Il paraît, par exemple, que certains directeurs reçoivent des traitements de 5 à 6,000 fr. ; n’est-ce pas là, messieurs, un taux exorbitant, surtout lorsqu’on réfléchit que les fonctions qui concernent ces institutions devraient être exercées gratuitement ?
Voilà donc un premier abus auquel on devrait remédier. Quant au taux de l’intérêt, qui est véritablement usuraire, je pense que s’il était de 6, de 7 ou de 8 p. c. tout au plus, il serait bien suffisant.
J’oubliais de dire que dans un grand nombre de villes, les directeurs de monts-de-piété, outre le traitement, reçoivent le logement.
Je crois, messieurs, qu’il est indispensable qu’une nouvelle législation vienne promptement faire cesser le mal je le répète, ce que nous voyons aujourd’hui est vraiment immoral ; c’est la classe la plus malheureuse de la société qui seule est la victime des abus dont je me plains, qui seule est pressurée par l’intérêt usuraire, l’intérêt illégal, qu’on lui fait payer.
M. Verdussen. - Messieurs, je regrette que l’honorable préopinant ait mêlé à une question concernant le budget du ministère de la justice, une autre qui est devenue tout à fait communale.
Vous savez, en effet, messieurs, que dans la loi communale il a été dit que dorénavant les monts-de-piété et les règlements organiques y relatifs devaient être administrés et arrêtés par le conseil communal.
Si j’avais cependant à traiter cette question dans ce moment-ci, je me permettrai de faire quelques observations sur ce qu’a dit l’honorable M. Rodenbach, et je tâcherais surtout de faire ressortir l’exagération dans laquelle est tombé cet honorable membre, quand il a dit que les monts-de-piété étaient de véritables établissements usuraires.
La question des monts-de-piété a été traitée depuis longtemps par les esprits les plus élevés, qui n’ont pas vu dans ces institutions des maisons usuraires ; loin de là : l’expérience de tous ceux qui ont été en position de voir de près ces établissements leur a prouvé que là où ces institutions sont établies, l’usure, dans la véritable acception du mot, n’existe pas, tandis qu’elle existait dans les localités privées de monts-de-piété.
J’ai l’honneur d’appartenir depuis près de douze ans à l’administration du mont-de-piété de la ville d’Anvers, et je vous avoue que mes collègues et moi ne recevons que des bénédictions de la part de ceux qui doivent recourir à cette institution.
Il faut avoir à la tête d’une pareille administration, pour en connaître tout l’esprit, et pour apprécier tout le bien qu’elle peut procurer.
Je ne crois pas, messieurs, devoir m’étendre davantage sur une question étrangère au département de la justice, et qui pourrait nous mener très loin. Mais j’ai cru qu’il était au moins de mon devoir de ne pas laisser sans réponse une assertion hasardée de l’honorable préopinant.
M. A. Rodenbach. - Messieurs, Je n’avais pas perdu de vue que la loi communale charge les administrations de communes de gérer les monts-de-piété. Ces administrations auront soin, sans doute, de diminuer considérablement les appointements de ceux qui sont à la tête des monts-de-piété.
Je puis donc dire que l’honorable M. Verdussen ne m’a nullement répondu, puisqu’il n’a pas abordé la question du taux de l’intérêt qui, comme je l’ai dit, va parfois à 25 centimes. Je persiste à soutenir que ce taux est usuraire. Il m’importerait fort peu, si l’intérêt n’était pas réduit, que les communes gérassent les monts-de-piété ; car je veux que le peuple ne soit pas plus pressuré par les communes que par le gouvernement ou par les particuliers. (Aux voix ! aux voix !)
M. Verdussen. - Messieurs, comme la question devient spéculative, je m’abstiens de répondre pour le moment.
- Il est procédé au vote par appel nominal sur le chiffre de 60,000 fr. demandé par M. le ministre de la justice.
51 membres seulement sont présents ; en conséquence, il n’est pas pris de décision.
Ont répondu à l’appel nominal : MM. Andries, Beerenbroeck. Bekaert, Brabant, Coppieters, Dolez, de Jaegher, de Longrée, de Meer de, Moorsel, F. de Mérode, W. de Mérode, de Nef, de Renesse, Desmanet de Biesme, Desmet, de Terbecq, Devaux, d’Hoffschmidt, Doignon, Donny, Dubois, Dubus (aîné), B. Dubus, Eloy de Burdinne, Ernst, Fallon, Frison, Gendebien, Jadot, Keppenne, Legrelle, Lejeune, Milcamps, Morel-Danheel, Pirmez, Pollénus, de Man d’Attenrode, Raymaeckers, Alexandre Rodenbach, Scheyven, Seron, Simons, Trentesaux, Ullens, Vandenhove, Vanden Wiele, Vanderbelen, Verdussen, Verrue-Lafrancq, L. Vuylsteke et Raikem.
- La séance est levée à 4 1/2 heures.