(Moniteur belge n°151, du 30 mai 1836)
(Présidence de M. Raikem.)
M. Dechamps procède à l’appel nominal à une heure et demie.
M. de Renesse lit ensuite le procès-verbal de la séance précédente.
M. Dechamps fait connaître l’objet des pièces adressées à la chambre.
« Des bateliers de Boom renouvellent leur demande qu’il soit opéré une réduction sur le droit de patente des bateliers. »
« Le sieur Pierre-Joseph Houyoux, ex-capitaine d’infanterie, se plaint d’être mis à la retraite et de ne jouir que d’une pension de 423 francs. »
- Ces deux pétillons sont renvoyées à la commission des pétitions, chargée d’en faire le rapport.
M. Jadot demande un congé de quelques jours.
- Accordé.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux) présente deux projets de loi relatifs à des séparations de communes.
- Ces projets seront imprimés et distribués ; la chambre en ordonne le renvoi à une commission qui sera nommée par le bureau.
M. Devaux dépose un rapport sur le projet de loi relatif à la pension à accorder à la veuve du sculpteur Kessels.
- Ce rapport sera imprimé et distribué.
M. Devaux, au nom de la commission, demande que le projet soit discuté entre les deux votes de la loi du transit.
- Cette proposition est adoptée par la chambre.
M. Rogier. - Puisqu’il s’agit de pension, je demanderai où en est la proposition de l’honorable M. de. Brouckere, tendant à en faire accorder une à Mme veuve Plaisant.
M. le président. - Le projet a été renvoyé aux sections, où il a été mis à l’ordre du jour.
- Cet incident n’a pas de suite.
M. Milcamps, M. Desmanet de Biesme, et M. Mast de Vries déposent chacun sur le bureau un rapport sur les demandes en naturalisation.
- La chambre ordonne l’impression et la distribution de ces différents rapports.
M. Mast de Vries, rapporteur. - Messieurs, dans la séance du 16 mai, vous avez renvoyé à la commission des pétitions, pour faire un rapport d’urgence, une pétition de plusieurs propriétaire, et administrateurs des bureaux de bienfaisance de Gand, qui demandent la prohibition des foins venant de l’étranger.
Les pétitionnaires exposent, messieurs, que la Belgique fournit et au-delà les foins nécessaires à ses besoins et à sa consommation, et que malgré cela la Hollande introduit dans notre pays une quantité majeure de foins sans payer aucun droit, et cela, tout au détriment des régnicoles.
Votre commission pense, messieurs, que la demande des pétitionnaires mérite une attention très sérieuse et qu’il y a lieu de réviser notre législation à cet égard ; d’abord il est certain que les établissements successifs des chemins de fer mettront une grande quantité de chevaux hors de service, de manière que sous ce rapport, il y aura moins de consommateur ; en second lieu, que, par le morcellement des propriétés et l’application de la vapeur aux différentes industries, sa consommation devient continuellement moindre, tandis qu’au contraire sa production augmente d’année en année par l’amélioration successive de nos prairies, par la mise en culture de tous les terrains bas, culture qu’on paraît vouloir faire exécuter sur une bien grande échelle dans la Campine.
En outre, sous presque tous les rapports, la position de la Hollande est plus avantageuse que la nôtre pour la production des prairies.
Il est connu de chacun que par les systèmes d’irrigation et d’assèchement, qui sont en usage en Hollande, ils sont presqu’à l’abri des résultats qu’une année calamiteuse peut produire. Eu second lieu, leurs prairies de deuxième classe, qui rivalisent avec les nôtres de première, quoique imposés au marc le franc au revenu cadastral, plus que les nôtres, paient, cependant, beaucoup moins, parce que le revenu cadastral sur ce genre de propriété ne paraît être, si nos indications sont exactes, taxé qu’à la grande moitié de ce qu’il est en Belgique.
Ces considérations, toutes puissantes, ne sont cependant point de nature, aux yeux de votre commission, pour admettre le système prohibitif ; mais elle pense, messieurs, qu’il y a urgence à frapper les foins étrangers de droits qui mettent les cultivateurs belges, au moins, sur le même pied que les étrangers.
En conséquence elle vous propose de renvoyer la pétition à M. le ministre des finances.
M. Desmet. - J’ai lu dans la pétition dont il s’agit que les fourrages destinés à notre cavalerie viennent de la Hollande ; je demanderai que la pétition soit également renvoyée à M. le ministre de la guerre.
M. Rogier. - Je demande qu’elle soit aussi renvoyée à M. le ministre de l’intérieur.
- Le renvoi de la pétition à MM. les ministres des finances, de la guerre et de l’intérieur est ordonné par la chambre.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Messieurs, la loi générale du transit qui vous a été présentée le 4 août 1835 a été considérée par l’immense majorité du pays et, je dirai, par l’immense majorité de cette chambre, comme extrêmement libérale.
Elle a été considérée, d’autre part, par quelques personnes, comme entachée de plusieurs précautions excessivement fiscales, de plusieurs moyens préventifs tels, que la loi pourrait devenir inexécutable dans beaucoup de cas.
Messieurs nous avons lieu de croire aujourd’hui plus que jamais que la loi que nous avons soumise à vos délibérations mérite d’être adoptée par la législature sauf quelques légères modifications que nous aurons l’honneur de vous indiquer immédiatement.
Nous pensons, messieurs, que les personnes qui étaient disposées à s’opposer au projet de loi à raison des difficultés d’exécution, à raison des moyens répressifs de la douane, se rangeront à notre avis, si elles veulent, comme nous, prendre pour juge de la question la chambre de commerce et des fabriques d’Anvers, dont je vais avoir l’honneur de vous communiquer les observations.
Si donc vous pensez que la chambre de commerce d’Anvers soit un juge compétent, intéressé à ce qu’il y ait une bonne loi sur le transit, vous vous empresserez d’adopter notre projet avec quelques-uns des changements suggérés par la chambre de commerce elle-même ; je vous démontrerai que les autres modifications proposées par la même administration sont inutiles.
Messieurs je ne crois pouvoir mieux faire pour abréger la discussion du projet de loi que de vous communiquer les observations qui ont été faites sur ce projet par la chambre de commerce d’Anvers. J’examinerai une à une ces observations, en les comparant aux dispositions du projet auxquelles elles se rapportent respectivement.
Voici ce que dit en commençant la chambre de commerce d’Anvers, par forme d’observations générales :
« Le projet, pour ce qui concerne la quotité du droit, est libéral et ne peut manquer d’être très favorable sur notre commerce de transit ; mais les dispositions particulières qui le régissent nous ont paru, pour la plupart, entachées de cette rigueur fiscale qui, sous le prétexte d’empêcher la fraude, ne sert le plus souvent qu’à paralyser l’effet des meilleures lois. Nous avons pensé que celle actuellement soumise aux chambres, pour qu’elle ait sur le commerce de notre pays cette influence qu’on est fondé d’en attendre, doit être dégagée de toutes ces entraves inutiles, elle doit surtout exclure le moins d’articles possible de la faveur du transit. Ces exclusions ne sauraient, pour la plupart, se justifier dans l’intérêt bien entendu de notre propre industrie, et elles auraient toujours pour inconvénient de provoquer de la part des pays qui en seraient frappés des mesures de représailles très préjudiciables à notre commerce en général. »
Nous allons passer à l’examen des articles.
Pour faire bien comprendre les observations de la chambre de commerce, je vais vous donner successivement lecture des articles du projet de loi auxquels elles se rapportent, et ce en commençant par l’article 4. Je déclarerai aussi, avant d’aller plus loin, que nous nous rallions aux changements de rédaction proposés par la section centrale, sauf un ou deux.
L’article 4 du projet de loi porte :
« Les marchandises soumises aux droits d’accises, de même que celles manufacturées, qui sont ou ont été déposées dans les entrepôts particuliers ou fictifs, sont dans tous les cas exclues de la faculté de transit. »
Voici les observations de la chambre de commerce d’Anvers :
« Cet article exclut du transit les marchandises soumises aux droits d’accises, de même que celles manufacturées, déposées dans des entrepôts particuliers ou fictifs : nous pensons qu’il conviendrait de faire une exception en faveur des sucres déposés en entrepôt fictif dans le local de l’entrepôt libre, c’est-à-dire sans le déchet accordé pour les entrepôts fictifs ; car autrement nous manquerons toujours comme par le passé de sucres susceptibles d’être exportés ; par la raison que les sucres ne jouissant pas, dans les entrepôts publics et libres, du déchet qui leur est accordé dans les entrepôts fictifs, ceux-ci seront toujours préférés pour ces sortes de dépôts. »
Je dirai d’abord, à l’égard de l’exception réclamée en faveur du transit des sucres, qu’elle peut être considérée comme étant sans objet, car les importateurs du sucre brut pourront, en le déposant à l’entrepôt libre, l’exporter ensuite s’ils le veulent ; cette faculté leur est assurée d’après les dispositions du projet de loi tel qu’il est formulé.
Or, il n’est pas nécessaire que le propriétaire du sucre brut puisse tout d’abord le conduire à l’entrepôt fictif, car s’il l’emmagasine à cet entrepôt, ce ne sera jamais que pour le transformer en sucre raffiné, et comme tel il conservera l’avantage de pouvoir l’exporter avec la décharge du droit calculée à raison de 55 kilogrammes de sucre raffiné pour une prise est charge à l’importation de 100 kilogrammes de sucre brut.
L’exception proposée devient donc inutile par suite de l’interprétation qu’il faut donner à l’art. 5 du projet du gouvernement.
Je saisirai cette occasion pour produire une réflexion extrêmement importante, en ce qui concerne les sucres.
J’ai tout lieu de croire, messieurs, que nous serons obligés, dans l’intérêt bien entendu du pays, de supprimer plutôt entièrement l’accise sur les sucres que de maintenir la législation actuelle de cet impôt.
D’après le droit établi sur le sucre brut destiné à rester dans le pays, nous devrions percevoir, selon la consommation réelle de la Belgique, trois millions et demi de fr. ; d’après les évaluations du budget des voies et moyens, supputées eu égard à la prime déguisée accordée, jusqu’alors, aux raffineurs de sucre par la forte décharge accordée à l’exportation, le revenu de cette branche d’impôt devrait s’élever à 1,700,000 fr.
Mais, comme je l’ai fait observer dans cette assemblée, il y a déjà assez longtemps, le montant total de cette prime s’accroît tellement par l’augmentation des exportations de sucre raffiné, qu’il absorbera cette année la presque totalité des droits. Il est reconnu maintenant que si les raffineurs exportent cinq fois la quantité de sucre raffiné nécessaire à la consommation intérieure du pays, le droit sera nul pour le trésor.
Un membre. - Prenez-vous en à la fraude !
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - L’état de choses que je signale ne provient pas de la fraude, mais d un vice dans la législation.
Je dis donc que si l’on exporte cinq fois la quantité de sucre raffiné nécessaire à la consommation intérieure, ce droit pour le trésor devient nul, parce qu’il est reconnu constant que la prime que nous accordons à l’exportation du sucre raffiné, par la trop forte décharge des droits pris en crédit à l’importation du sucre brut, dépasse réellement 20 p. c.
Je regrette d’avoir à vous apprendre, messieurs, que depuis le premier janvier dernier jusqu’à ce jour, notre impôt sur le sucre, qui aurait dû au prorata du temps, rapporter de 6 à 700 000 francs, selon les évaluations du budget, n’a rapporté qu’environ 40 mille francs. Voila des chiffres qui prouveront mieux que tous les raisonnements que le moment est venu de s’occuper sérieusement de la révision de la législation sur l’impôt des sucres.
Je passe maintenant à l’article 5 du projet de loi.
L’art. 5 du projet est ainsi conçu :
« Ne sont admises en transit que les marchandises qui auront été déclarées formellement à cette destination, soit au premier bureau d entrée ou de déchargement désigné pour le transit, en cas d’importation par terre ou par rivière, soit au lieu de déchargement en cas d’importation de mer, dans tous les cas, la déclaration en transit devra être faite avant le déchargement et la vérification des marchandises. Sont exclues de la faculté du transit les marchandises sortant d’entrepôts, lorsqu’elles n’y sont pas arrivées par un bureau d’importation ouvert au transit. »
C’est-à-dire que, quand elles sont introduites par un bureau d’importation ouvert au transit, elles sont admises au transit.
A mes yeux cet article est clair et ne peut s’entendre que d’une manière. Cependant, puisque la chambre de commerce d’Anvers a témoigné des craintes sur ce qu’il pourrait être interprété différemment, je proposerai de le modifier à peu près comme suit :
« Ne sont admises au transit que les marchandises qui, auront été déclarées formellement en transit ou sur entrepôt ouvert au transit. » Le reste comme l’article.
Lors de la discussion spéciale de l’art. 5, je proposerai une rédaction plus correcte ; celle que je viens d’indiquer n’est destinée qu’à détruire pour le moment toute incertitude sur les intentions du gouvernement.
Je passe à l’art. 10 qui a soulevé de la part de la chambre de commerce d’Anvers un examen sérieux.
Je vais d’abord lire cet article :
« Les marchandises déclarées en transit, après avoir été vérifiées et reconnues conformes aux acquits-à-caution délivrés, seront plombées, à l’exception des liquides autres que ceux de la troisième catégorie et des métaux non ouvrés, et pourront même, si l’administration le juge utile, être convoyées, le tout, plombage comme convoyage, aux frais des intéressés.
« Le gouvernement pourra dispenser d’autres marchandises du plombage, lorsque cette formalité ne sera pas jugée nécessaire, ou encore lorsque leur chargement dans les embarcations ou sur des voitures présente le moyen d’en plomber convenablement, et avec sûreté suffisante, les écoutilles ou la bâche. »
Voici les observations faites par la chambre de commerce d’Anvers :
« Le deuxième paragraphe de cet article dit que le gouvernement pourra dispenser d’autres marchandises du plombage lorsque cette formalité ne sera pas jugée nécessaire ; d’où il suit que chaque fois que le négociant croira avoir droit à cette exemption, d’après la nature des marchandises, il devra s’adresser au gouvernement ; car l’intérêt particulier des employés étant de plomber, il n’obtiendra de ceux-ci que ce qu’il sera légalement fondé à exiger. Il serait donc nécessaire de spécifier les marchandises qui seront exemptes du plombage ; et en attendant qu’il y soit pourvu, on pourrait ajouter à la suite de l’article 10 que les dispositions particulières qui régissent la matière seront provisoirement maintenues. »
Voici, messieurs, comment nous comprenons la rédaction de notre art. 10. Nous pensons que le gouvernement ou plutôt l’administration des douanes fera un règlement dans lequel seront spécifiées les marchandises qui pourront transiter sans plombage, de telle sorte que nous rentrons dans la pensée de la chambre de commerce. Car la difficulté qu’elle signalait était la nécessité de s’adresser au gouvernement chaque fois qu’on voudrait faire transiter des marchandises sans plombage. Il est toutefois indispensable de laisser au gouvernement à réglementer ce point, parce qu’il pourrait se glisser des erreurs ou des lacunes dans une spécification expresse formulée par la loi, et il importe, par suite, de laisser régir ce point par des règlements susceptibles d’être modifiés selon les circonstances.
L’inconvénient de recourir chaque fois au gouvernement pour avoir une autorisation spéciale de faire transiter sans plombage, n’existant pas du moment qu’un règlement déterminera les marchandises qui pourront n’être pas assujetties au plombage pour le transit, il y a grande utilité à adopter l’article 10 tel qu’il est proposé ; car si l’on s’en rapportait, pour le plombage, aux dispositions existantes, elles ne se trouveraient qu’éparses et incohérentes dans la loi générale de 1822.
L’article 12 a aussi soulevé une discussion. Il est ainsi conçu :
« Quant aux marchandises des deuxième et troisième catégories, elles devront, si l’administration le juge convenable, être soumises au double emballage et au double plombage, aux frais des déclarants. La vérification par pesage ou mesurage intégral aux frais des déclarants pourra n’être requise par l’administration ; elle sera toujours appliquée aux tissus. Les préposés auront la faculté de lever en outre des échantillons de la marchandise pour les enfermer dans un paquet clos et scellé, qui sera introduit dans les colis contenant la marchandise et placé sous le plombage de ce dernier, afin de servir à confronter l’identité de celle-ci avec ces mêmes échantillons, partout où elle est soumise à vérification ultérieure.
« En outre, les employés constateront la forme et la dimension des colis, pour servir également à en reconnaître et constater l’identité. »
Voici ce que dit la chambre de commerce :
« La rigueur établie par cet article à l’égard des tissus équivaut à une prohibition. Mieux eût valu la déclarer franchement que de la déguiser de la sorte. Quand on considère avec quel soin et avec quel luxe d’apprêt on emballe aujourd’hui presque tous les articles manufacturés, comment a-t-on pu s’imaginer que le négociant ou fabricant étranger voudrait faire usage d’une voie de transit qui exposerait les marchandises à une dépréciation certaine et considérable par le déballage et mesurage intégral ?
« Car il est à remarquer que cette vérification n’est pas seulement facultative, mais qu’elle est obligatoire. Or, le négociant étranger préférera payer quelques frais de plus en passant par un autre pays que de venir se soumettre chez nous à un régime de transit aussi intolérable : si donc on veut sincèrement attirer le transit des manufactures par notre pays, il est indispensable que les mots : « Elle sera toujours appliquée aux tissus » disparaissent de l’art. 12.
« Avec cette coupure cet article n’ouvrira encore que trop la porte la porte à l’arbitraire de l’administration. »
Messieurs, nous ne voyons pas grand inconvénient à ne pas rendre toujours obligatoire la disposition dont il s’agit pour la visite des tissus. L’administration veillera à ce que chaque fois que ce sera nécessaire, le déballage et le mesurage soient effectués. Mais la chambre de commerce trouve que l’arbitraire sera encore suffisamment large par la faculté laissée ainsi au gouvernement : Je ferai observer, messieurs, que cet arbitraire est nécessaire pour éviter la fraude. Parce que des tissus auront été élégamment ployés et tassés à la presse hydraulique, on ne peut pas admettre qu’il n’y aura ni de substitutions dans le parcours du transit, ni par conséquent que les plombs apposés ne seront pas altérés. Il ne faut jamais, en matière de transit de marchandises, adopter des suppositions semblables, parce qu’il y a trop d’exemples qui prouvent qu’on abuserait d’une telle confiance.
Du reste, la chambre de commerce d’Anvers finit elle-même par reconnaître qu’il faut laisser au gouvernement une certaine latitude à cet égard.
Il résulte, messieurs, de ce que je viens de dire, que nous ne verrons aucune difficulté à supprimer de l’article ces mots : « Elle sera toujours appliquée aux tissus. »
Je passe à l’article 13 qui est ainsi conçu :
« Quant aux marchandises de la troisième catégorie, non comprises dans la prohibition de la quatrième, la vérification intégrale, tant à qu’à la sortie, en sera toujours effectuée de la part de l’administration qui, lorsqu’elle le jugera nécessaire, en fera envoyer le transport aux frais des déclarants ; il en sera également pris échantillon, et à l’égard du sucre, il sera soumis à un essai spécial, qui consistera à en faire dissoudre quelques parties dans un volume d’eau, afin de s’assurer qu’il n’est point falsifié ou mélangé de matières hétérogènes. S’il arrivait que du sucre présenté en transit fût ainsi reconnu contenir un pareil mélange au-delà d’une tolérance de 4 p. c., le transit serait refusé, tandis que si un mélange de cette espèce, au-delà d’une tolérance de 5. p. c. du poids du sucre, était constatée à la sortie, les expéditeurs, déclarants, conducteurs, bateliers, voituriers, seront, sauf leur recours l’un envers l’autre, constitués en contravention et punis solidairement d’une amende égale au décuple du droit d’accise, outre la confiscation du sucre compris dans le document et les moyens de transport. »
Cet article assez long a suscité une discussion dans le sein de la chambre de commerce, qui a demandé qu’on y apportât les modifications que je vais indiquer avec les motifs présentes à l’appui :
« Plus d’une fois notre chambre de commerce a réclamé contre les dommages et retards qu’éprouvait le commerce des sucres par suite des vérifications partielles qui se faisaient aux bureaux frontières, et il a été constaté que ces retards étaient quelquefois de trois jours. Que serait-ce maintenant si ces vérifications, comme le veut l’art. 13, devaient se faire intégralement ? On peut à bon droit s’attendre que la nouvelle loi sur le transit fera passer par notre pays une bien plus grande quantité de ces marchandises de la troisième catégorie, surtout après l’achèvement de la route en fer. Comment alors admettre la possibilité de ces vérifications intégrales, sans porter un préjudice notable au commerce, tant pour les retards et les frais qu’elles occasionnent que sur la détérioration des marchandises ? Pour ces motifs, nous voudrions que ces vérifications intégrales ne fussent que facultatives à l’administration, mais non obligatoires.
« Le dernier paragraphe de cet article, pour ce qui concerne le mélange du sucre, est d’une rigueur inouïe. Il est tels sucres communs qui, après être dissous dans l’eau, laissent un dépôt de saleté plus ou moins grande ; il suffira, dans ce cas, de l’ignorance ou d’un faux zèle d’un employé visiteur pour transformer ce dépôt naturel à ces espèces de sucres en une falsification coupable d’au-delà d’une tolérance de cinq p. c., pour mettre l’honnête négociant sous le coup d’une amende égale au décuple du droit d’accise, outre la confiscation du sucre et des moyens de transport : pénalité qui peut être évaluée au-delà de onze fois la valeur de la marchandise. Les tribunaux sont là, il est vrai, pour faire rendre justice ; mais le dommage causé par ces démarches préventives peut être irréparable ; et on ne doit pas laisser dans les mains de l’administration des armes aussi dangereuses.
« Une contestation de la même nature a occasionné naguère un procès entre un de nos négociants et l’administration des accises, procès dans lequel cette administration a succombé, mais qui a coûté en frais au négociant 8,500 fr., et a duré quatre ans, pendant lequel terme le propriétaire des sucres a été privé d’un capital de 56,000 fr. et une caution de 85,000 fr. a été engagée, Que cette leçon de l’expérience serve d’exemple pour que l’on prévienne l’arbitraire et le danger de pareilles dispositions.
« Nous voudrions modifier cet article en ce sens :
« 1° qu’une falsification ou mélange de 5 p. c. et au-dessous ne donnerait lieu à aucune peine ;
« 2° Au delà de 5 p. c. jusqu’à 10 p. c., donnerait lieu au double droit d’accises sur toute la quantité falsifiée ;
« 3° Au-delà de 10 p. c. les peines prononcées au projet. »
Messieurs, ces observations portent sur deux points. Le premier est qu’on devait laisser facultatif au gouvernement de faire faire la vérification intégrale à la sortie. Nous n’avons pas d’objections à faire à cela. Nous avons déjà admis une disposition analogue à l’art. 5. Au reste, la disposition perdra toute sa force par suite des modifications qui seront apportées à la législation sur les sucres.
La chambre de commerce propose en second lieu une gradation que je trouve assez rationnelle et à laquelle je ne m’opposerai pas, quoique je pourrais cependant prouver à la chambre, par des procès-verbaux d’expertise que j’ai en main, faits dans des endroits différents, à Ostende, à Anvers et à Bruges, qu’on y a régulièrement constaté que le mélange de matières hétérogènes dans le sucre brut est inférieur à 1 p. c.
Ainsi quand nous fixions un maximum à 4 p. c., nous n’étions pas trop rigoureux, Cependant, comme la chambre de commerce ne s’écarte de notre chiffre que de 1 p. c. dans sa première catégorie, où elle propose de ne prononcer aucune peine ; que pour la 2ème catégorie de 5 à 10 p. c. elle établit une amende, et que pour la 3ème catégorie elle admet toute la pénalité de notre projet pour le sucre brut altéré par un mélange supérieur à 10 p. c., je ne vois pas, je le répète, grande difficulté à admettre la gradation proposée.
Maintenant vient l’art. 14 sur lequel est présentée une simple observation, en ce qui concerne le sucre candi. Nous n’avons pas de motif sérieux de nous opposer à la modification que la chambre de commerce désire voir introduire dans le projet, et qui consiste à maintenir spécialement les droits actuels de plombage à 10 centimes par caisse de 25 kil. et au-dessous, et à 20 centimes pour les caisses de plus de 25 kil : cette modification nous paraît insignifiante.
« Art. 15. Outre les objets prohibés énoncés dans la quatrième catégorie (état B), il est réservé au Roi, dans l’intervalle des sessions législatives, et sauf à donner communication de ces dispositions aux chambres, lors de leur prochaine session, de ranger sous cette prohibition telle autre marchandise ou denrée à l’égard desquelles l’intérêt de l’Etat ou celui de l’industrie et du commerce pourrait rendre cette disposition nécessaire. »
La chambre de commerce pense qu’il serait dangereux d’accorder au gouvernement le pouvoir mentionné dans cet article. Je vais lire ses observations ; elles sont courtes.
« Ne serait-il pas dangereux de laisser au Roi ou au gouvernement la faculté que lui confère cet article ? n’aurait-on pas à craindre qu’un ministre rétrograde, ou cédant aux obsessions de tel ou tel industriel, ne vienne encore ajouter à la liste déjà trop nombreuse des objets prohibés ? Nous ne voyons pas l’urgence de pareilles mesures dans l’intervalle d’une session à une autre ; et pour ce qui est de l’intérêt de l’Etat, nous ne comprenons pas ce qu’il peut avoir de commun avec un transit de marchandises ; car, pour les armes et munitions de guerre, les précautions prises dans le projet nous paraissent suffisantes. Nous serions donc d’avis de supprimer tout à fait cet article.
Il me semble, messieurs, qu’au moyen de la disposition additionnelle proposée par la section centrale et à laquelle le gouvernement se rallie, les craintes manifestées doivent cesser ; voici cette addition :
« Les dispositions prises par le gouvernement, en vertu des pouvoirs que lui confère le présent article, cesseront de plein droit leur effet immédiatement après la session pendant laquelle il en aura été donné communication aux chambres. »
Vous voyez que l’arbitraire laissé au gouvernement ne sera plus si effrayant, puisqu’il devra tomber de lui-même à des époques prévues et indiquées ; le ministre rétrograde que la chambre de commerce voit en perspective, ne sera donc pas aussi dangereux qu’elle le craint.
Quoi qu’il en soit, il importe de réserver au gouvernement la faculté que nous demandons par le projet ; elle a un caractère politique qu’il ne faut pas méconnaître ; le Roi doit pouvoir, dans certains cas, empêcher le transit de telle ou telle marchandise, qu’elle soit munition de guerre ou non, pourvu que sa provenance justifie cette interdiction.
« Art. 16. Après les dispositions relatives à l’importation et à la vérification des marchandises, et le tout étant trouvé conforme à la déclaration, le transport en aura lieu immédiatement, sans qu’on puisse décharger ni emmagasiner en route, ailleurs qu’en entrepôt public, et encore moins changer les colis ou leurs marques et numéros, sous peine d’être privé de la faveur du transit.
« Cette annulation du transir ne sera cependant pas applicable aux marchandises reconnues intactes, et pour lesquelles on prouvera par un certificat à délivrer par deux préposés qu’un retard a eu pour cause une force majeure et tout à fait indépendante de la volonté du conducteur ; dans ce cas, les marchandises seront déposées dans l’entrepôt public, s’il en existe un, ou dans un magasin, fermant à clef, mis sous la surveillance des préposés. Ce dépôt aura toujours lieu aux frais des intéresses ; il ne pourra excéder trois mois, à moins de prolongation à accorder par l’administration en cas de nécessité.
« Les causes du retard seront certifiées sur les acquits-à-caution, par les préposés qui les auront constatées, et de nouveaux délais nécessaires pour effectuer le transport, seront accordés par le préposé supérieur du lieu. »
La chambre de commerce a fait remarquer que la condition de ne pas décharger était une innovation, qu’elle ne se trouvait pas dans la loi générale, et qu’elle pourrait souvent empêcher le transit des marchandises, et par exemple, d’Anvers en Prusse.
Dans ce trajet, les marchandises arrivées à Louvain par la voie d’eau, dit-on, doivent nécessairement être déchargées pour être transportées par la voie de terre. Mais je répondrai qu’un tel déchargement ne pourrait entraîner d’inconvénient.
Louvain, comme Bruges, comme Bruxelles et autres villes, ont des entrepôts publics où on opérerait le déchargement des marchandises et d’où l’on aurait pleine liberté de les emporter par transit, puisque d’après le projet l’annulation du transit ne s’applique de plein droit qu’aux marchandises déchargées ailleurs qu’en entrepôt public. Il est toutefois possible qu’il arrive, bien rarement sans doute, que l’on doive transposer des marchandises d’un moyen de transport à un autre dans des lieux où il n’y aurait pas de ces entrepôts publics ; pour prévoir ces cas, quelque rares qu’ils soient, je proposerai la rédaction suivante :
« Sans que l’on puisse décharger hors de la présence des employés. »
C’est là tout ce qui peut être concédé, car le déchargement des marchandises abandonné sans restriction à la volonté de celui qui transite serait donner un passeport à la fraude.
Messieurs, l’article 21 du projet est extrêmement long, et je vous en épargnerai la lecture. Il porte que les acquits de transit seront immédiatement renvoyés par les receveurs de l’extrême frontière aux bureaux d’entrée, afin d’opérer la confrontation.
La chambre de commerce d’Anvers voudrait qu’un récépissé fût donné, sur le dépôt de cet acquit, au transiteur, et qu’il lui servît de décharge suffisante : nous pensons que la délivrance d’un pareil document serait très dangereuse. Sans démontrer même ce danger, je pourrais me borner à opposer la législation actuelle qui ne l’autorise pas, et cependant jamais il n’y a eu d’abus ni de réclamation à ce sujet.
Mais voici, messieurs, ce qui arriverait si l’on délivrait un simple récépissé contre le dépôt de l’acquit : celui-ci porte au dos les détails indispensables à l’administration pour pouvoir vérifier s’il n’y a pas eu de fraude ; les visas, les preuves de visites y sont apposés d’une manière authentique, tandis que le récépissé que l’on demande contiendrait uniquement une énonciation que les formalités ont été remplies. Dé là résulterait que quand on aurait fraudé pendant le trajet, on ferait bénévolement égarer l’acquit, et on ne présenterait que le récépissé, insuffisant pour pouvoir opérer la vérification, et la fraude serait légalisée. La modification sollicitée est donc inadmissible.
L’art. 25 est ainsi conçu :
« Toute déviation de la route directe déterminée pour le transport, tout déchargement de marchandises, déclarées en transit ou changement de moyens de transport opéré à l’insu de l’administration, ou hors de la présence de ses préposés, tout bris, rupture ou altération soit entier, soit partiel des scellés, des plombs ou des cordes auxquelles ils sont attachés, ainsi que leur rajustement frauduleux, entraînera, par le fait, l’annulation du transit avec amende du double droit d’importation ou d’accises le plus élevé, sur toute la quantité mentionnée au document, à charge des assujettis prédésignés ; le capitaine, batelier ou conducteur, étant d’ailleurs responsable de cette amende, sauf recours contre qui il appartient, l’administration ne sera point tenue de mettre en cause d’autres intéressés, sans préjudice toutefois à son action contre eux, pour cette pénalité que pour des amendes et confiscations applicables à la fraude dont l’un ou l’autre de ces faits serait accompagné.
« Si cependant il était reconnu par l’administration que la rupture des plombs fût l’effet d’un accident dont les intéressés auraient prévenu les préposés avant que la vérification ne fût commencée, et que d’ailleurs cet accident ne décelât aucun indice de fraude, il n’y aura lieu d’exiger que l’annulation du transit, outre le paiement du simple droit d’importation et l’accise. »
Voici les observations de la chambre de commerce sur cet article :
« Nous serions d’avis de supprimer de cet article les mots : « tout déchargement de marchandises déclarées en transit ou chargement de moyens de transport opéré à l’insu de l’administration ou hors de la présence de ses préposés, » par les motifs développés dans nos observations à l’article 16. Le reste de ce premier paragraphe, quoique prêtant plus ou moins à l’arbitraire des employés, peut être conservé, parce qu’il est bon d’intimider ceux qui auraient envie de frauder ; mais le second paragraphe nous a paru un chef-d’œuvre de fiscalité. Comment en effet concevoir que lorsqu’il sera reconnu par que le bris des plombs ou des cordes est l’effet d’un accident, et que d’ailleurs cet accident ne décelât aucun indice de fraude, on perdra néanmoins la faculté du transit avec amende de 50 fr. par colis, outre le paiement du simple droit d’importation et d’accise ?
« Il est de principe en équité que là où il n’y a pas de faute, il ne peut y avoir de pénalité ; et si une disposition aussi contraire à cette sage doctrine pouvait être sanctionnée par la législature, elle compromettrait à elle seule toute la loi. On conçoit aisément combien il est facile, pour des transports sur voitures surtout, que les plombs ou cordes se trouvent altérés pendant le trajet, soit par le frottement, soit aux déchargements et rechargements en route. On concevra même plus difficilement la possibilité d’éviter ces petits accidents partiels. Eh bien, alors, et quoiqu’il soit reconnu à toute évidence qu’il n’y a eu aucune intention de fraude, on n’en sera pas moins passible des pénalités prononcées par le susdit article.
« Quel serait le négociant ou commissionnaire qui, en présence d’une telle loi, voulût se charger de la commission de marchandises destinées au transit ? Assurément il ne s’en trouverait pas d’assez mal avisé pour se soumettre bénévolement à un pareil risque pour une simple commission de passage. Car il faut remarquer que pour une contravention de cette nature ces négociants ou commissionnaires seraient privés de tout recours, soit contre le voiturier ou leur commettant. Nous sommes donc d’avis que, dans le cas du deuxième paragraphe de l’art. 25, il ne peut être admis aucune pénalité. Cela est d’ailleurs conforme à l’article 135 de la loi générale, art. XV. »
Je pense que la disposition critiquée et qui, au premier abord, peut paraître contraire à tous les vrais principes, est très facile à justifier. Je dirai premièrement que nous voyons l’exemple de semblables dispositions dans nos lois pénales. Lorsqu’il est malheureusement arrivé que quelqu’un a tué une autre personne, son meilleur ami, par un accident bien involontaire, il a encouru des peines assez fortes.
M. Rogier. - Il n’est pas condamné à mort.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Laissez-moi achever ; on n’applique pas ici non plus le maximum de l’amende, bien s’en faut.
Je dis donc que nous avons dans nos lois pénales des exemples analogues à ce qui est proposé dans l’article 25 ; secondement je dirai que la disposition est nécessaire ; en effet, si vous n’imposiez pas une obligation au voiturier de veiller à ce que les colis restassent bien entiers et bien sains, il arriverait dans beaucoup de circonstances qu’on laisserait tomber volontairement un ballot de marchandises, pour voir si l’on ne pourrait pas impunément en extraire quelque chose.
Si des employés survenaient pendant la tentative de fraude ainsi combinée, on en serait quitte pour dire que c’est un accident ; si l’on peut réaliser l’intention, tant pis pour le trésor ou pour l’industrie similaire du pays. Il est donc important de maintenir une sanction pénale de l’obligation qui impose à celui qui transporte d’amener le tout en bon état.
Toutefois, j’avoue que la rédaction de l’article peut être meilleure ; aussi proposerai-je de modifier de la manière suivante le dernier paragraphe de l’article 25 :
« Si cependant il était reconnu par l’administration que la rupture des plombs fût l’effet d’un accident dont les intéressés auraient prévenu les préposés avant que la vérification ne fût commencée, et que d’ailleurs cet accident ne décelât aucun indice de fraude, mais seulement une négligence ou une imprudence, il n’y aura lieu d’exiger que l’annulation du transit, avec amende de cinquante francs par colis, outre le paiement du simple droit d’importation et l’accise.
« Aucune amende ne sera exigible si la rupture ou l’altération des plombs est le résultat d’une force majeure dûment constatée. »
Remarquez que la pénalité de 50 fr. comminée ici (vous ne considérerez pas comme pénalité l’obligation de déclarer la marchandise en consommation) n’est pas très considérable ; il en sera d’ailleurs de cette pénalité comme de beaucoup d’autres : l’administration pourra remettre l’amende selon les circonstances ; elle ne se montre peut-être que trop indulgente à cet égard.
Il me reste à parler sur l’article 36 ; cet article porte :
« Art. 36. Sont toutefois exceptées de l’application de ce droit, mais soumises au régime du transit :
« 1° les marchandises désignées dans l’état annexé à la présente loi sous l’état D, qui demeureront soumises à un droit de transit spécial indiqué pour chacune d’elles ;
2° celles dont le transit est déclaré libre et qui sont indiquées dans l’art. C. »
Voici les observations que cet article a provoquées de la part de la chambre de commerce :
« Cet article détermine les exceptions à la loi générale du transit, et parmi les marchandises soumises à un droit spécial (état D), nous y voyons figurer : 1° les draps taxés à 10 fr. les cent kil. ; 2° les livres taxés à 20 fr. les cent kil. »
Je vous prie de faire attention à la manière dont la chambre de commerce s’exprime relativement à cet article 36.
« Nous nous sommes demandé sur quels motifs plausibles pouvaient reposer ces exceptions, et nous n’en avons trouvé aucun. Au contraire, nous nous sommes convaincus qu’elles ne pourraient que provoquer de la part de nos voisins, notamment de la Prusse dont toute la police commerciale repose sur le système d’une parfaite réciprocité, des mesures de représailles qui tourneraient toutes au préjudice de notre commerce et de nos fabriques nationales. Il n’y a qu’une quantité modérée de draps qui passe de la Prusse par notre pays pour les colonies, mais toujours en passe-t-il, et le fabricant prussien criera bien haut contre ce droit. D’ailleurs, ce transit doit porter peu d’ombrage à notre industrie. Ce sont les fabriques d’Aix-la-Chapelle, Eupen, Stolberg, etc., qui expédient principalement, et ces fabriques n’offrent à la concurrence que les draps légers ou demi-draps, draps de zéphir et du sérail, casimirs lins, etc., qu’on travaille moins en Belgique. D’un autre côté, Verviers, Liége, etc., expédient, par la Prusse en Hollande et ailleurs, des draps, clous, quincailleries et autres objets. Les laines allemandes, dont nos fabriques ont impérieusement besoin, passent toutes par la Prusse à cause de la grande économie dans le transport que cette voie présente sur les ports du Nord. S’imagine-t-on que la Prusse nous laisse paisiblement en possession de son territoire quand nous lui fermons en quelque sorte le nôtre, et n’a-t-on pas tout à craindre, au contraire, que cette puissance qui, déjà en 1834, a considérablement abaissé son tarif en notre faveur, ne rétablisse à notre exemple ses anciens droits excessifs ? Avant 1834, les draps payaient un droit de transit de 2 thalers par quintal ou 14 francs 60 centimes par 100 kilogrammes. Les laines et les cuirs tannés payaient 1 thaler ou 7 francs 30 centimes les 100 kilogrammes. Depuis lors, le droit sur ces articles est réduit à 10 silbergros ou 2 francs 43 c. par 100 kilogramme.
« Un droit exceptionnel sur les draps nous paraît donc très impolitique, et attirerait inévitablement des mesures de représailles très onéreuses pour notre industrie.
« Pour les livres, les conséquences nous semblent moins importantes. Cependant nous ne voyons pas l’utilité de les frapper d’un droit aussi élevé. S’il est vrai que la librairie coûte moins cher en Belgique que dans les autres pays, qu’avons-nous à craindre du transit ? En France et en Prusse, cet objet est soumis au droit général de transit, et la Hollande, depuis l’acte de navigation de Mayence, admet également ces marchandises au transit moyennant un droit très modique. Il s’ensuit donc que chez nous de droits exceptionnels serait créer une prime d’encouragement en faveur de notre rivale. Les livres, ainsi que les draps, nous semblent par conséquent devoir être rangés sous la loi générale du transit. »
Vous venez de remarquer, messieurs, que l’on présente le droit de 10 francs sur les 100 kilog. de draps, le droit de 20 fr. sur les 100 kilog. de livres comme une innovation, comme une élévation des droits existants. Ceci est une erreur grave de la part de la chambre de commerce d’Anvers. Ces droits sont ceux qui existent aujourd’hui ; nous n’avons donc pas à craindre qu’on use de représailles, puisque nous ne modifions rien ?
A l’égard des draps il y a peut-être une question en quelque sorte préjudicielle à examiner. Nous avons soumis à la chambre un projet de loi portant diverses modifications au tarif des douanes, et d’après lequel la prohibition des draps de France serait levée. Si (ce que je ne pense pas) la chambre voulait discuter dès maintenant la question en ce qui concerne les draps, et considérer comme admise la levée de la prohibition des draps de France, peut-être n’y aurait-il pas lieu de maintenir le droit de transit existant sur les draps. Mais, comme telle ne sera pas sans doute l’intention de la chambre, attendu que le projet de loi de modification du tarif des douanes forme un ensemble dont il convient de combiner toutes les diverses parties entre elles, je crois qu’il n’y a aucun motif plausible de ne pas maintenir le droit de 10 fr. sur le transit des draps.
Il en sera de même en ce qui concerne les livres : toutefois s’il était démontré que notre librairie est tellement supérieure à celle des autres pays que nous pouvons fournir les livres à un prix bien inférieur aux leurs, peut-être y aurait-il lieu d’abaisser quelque peu le droit de 20 fr. Nous n’y tenons pas d’une manière irrévocable.
Reste une dernière et courte observation sur l’état B annexé à la loi ; cet état est ainsi conçu ;
« Etat litt. B des marchandises prohibées au tarif (4ème catégorie)
« Marchandises sujettes aux accises :
« 1° Boissons distillées ;
« 2° Saumure, sel brut et raffiné ;
« 3° Sucre raffiné.
« Marchandises non sujettes aux accises :
« 1° Armes et munitions de guerre (le transit n’en est permis sur que par les bureaux des frontières vers les pays qui ne sont point en état d’hostilité avec la Belgique) ;
« 2° Bestiaux, à l’exception des chevaux et mulets ;
« 3° Drilles et chiffons ;
« 4° Fer ;
« 5° Pierres à diguer ;
« 6° Pipes de terre ;
« 7° Poudre à tirer ;
« 8° Vinaigre de toute espèce. »
Voici à cet égard les observations de la chambre de commerce :
« D’après l’exposé des motifs du projet de loi, on signale les lumps d’Angleterre comme devant fournir un aliment important à notre transit, et dans la loi on les prohibe.
« Jusqu’à présent le transit des sucres raffinés est permis, mais il n’en transite pas, nos raffineurs pouvant provisoirement livrer à meilleur marché ; mais cela peut changer, l’Angleterre et la France peuvent modifier leur loi d’exportation ; pourquoi alors nous priver d’une branche importante de transit pour en enrichir nos voisins ? Craint-on la fraude ? Mais a-t-elle eu lieu jusqu’aujourd’hui que le transit n’a pas été défendu ? Que dirait-on si, à notre exemple, la Hollande, la Prusse et les villes hanséatiques défendissent le transit des sucres raffinés de notre pays ? Nous verrions immédiatement cesser nos rapports avec une partie du Hanovre, du Brunswick, du nord de la Prusse, des pays non encore entrés dans la confédération des douanes prussiennes et de la Suisse.
« On aura beau faire, par des mesures exceptionnelles, on ne retirera jamais, de la part des autres pays, que des mesures analogues contre nous, au grand préjudice de notre propre industrie qu’on aura voulu favoriser par ces mesures. Nous ne voyons donc aucune raison d’excepter les sucres raffinés de la loi commune du transit, et encore moins de les prohiber. Il en est de même pour les boissons distillées et vinaigre, dont le transit est permis par le tarif actuel, et rien ne nous paraît légitimer la proscription dont les trappe le nouveau projet de loi. »
D’après tout ce que j’ai eu l’honneur de dire en commençant, relativement au commerce du sucre, ces observations n’ont pas de portée, parce que je pense qu’il sera équitable d’abandonner aux consommateurs belges, à tous nos concitoyens indistinctement, les deux ou trois millions de francs que l’accise sur les sucres devrait nous fournir d’après l’import du droit, nous ferons équitablement, dis-je, en gratifiant plutôt les consommateurs de cette belle somme que de la continuer à leur détriment en une prime immense décernée à quelques privilégies d’une industrie spéciale.
Je pense donc que la question perd beaucoup de son importance. Car, soit que l’on persiste à conserver des avantages à l’industrie des raffineurs de sucre, soit que l’on supprime complètement les droits, la disposition sera sans portée, parce que dans le premier cas la prime accordée aux raffineurs de sucre doit être tellement réduite qu’elle n’influera en rien sur la fraude dans le pays par le transit des sucres étrangers ; parce qu’enfin, si on supprime toute l’accise sur les sucres, la disposition sera sans objet, attendu qu’il ne subsisterait plus ainsi qu’un droit insignifiant de douane nécessaire seulement pour constater dans notre statistique le montant de l’importation.
Pour les boissons distillées les observations ont plus de portée ; mais vous reconnaîtrez, messieurs, que si on autorisait le transit des spiritueux étrangers, on y substituerait facilement des spiritueux fabriqués dans le pays qui ont une valeur moindre dans le commerce, Il y aurait fraude imminente, inévitable, et cette simple objection suffira pour vous convaincre qu’il n’y a pas lieu de faire droit à la réclamation de la chambre de commerce d’Anvers en ce qui concerne les spiritueux.
Il résulte des explications dans lesquelles je viens d’entrer, et qui par leur nature ont dû nécessairement être fort longues, que nous serons maintenant à peu près d’accord, sur les différentes dispositions du projet de loi sur le transit, avec ceux même qui le regardaient comme très défectueux ; car les principes qui dirigent les membres de la chambre de commerce d’Anvers ne seront sans doute récusés par aucun des représentants qui professent les maximes les plus larges de liberté commerciale. Cette chambre de commerce connaît mieux que personne les dispositions qui peuvent être convenablement appliquées dans les différentes matières dont il s’agit.
Sous le rapport des facilités qu’elle réclame, on peut s’en rapporter entièrement à elle. Vous hésiterez d’autant moins, messieurs, à adopter le projet, avec les modifications que je viens de consentir, lorsque vous saurez que la chambre de commerce d’Anvers, écrivant à M. le ministre de l’intérieur, l’engage instamment, dans le cas même où aucune modification au projet ne pourrait être admise, à faire tous ses efforts pour que ce projet soit immédiatement adopté par la législature. Le passage de la lettre d’envoi des observations de la chambre de commerce et des fabriques d’Anvers, auquel je viens de faire allusion, est ainsi conçu :
« Nous avons l’honneur de vous déclarer, M. le ministre, que si vous jugiez que des modifications ne pourraient être apportées qu’en reculant la discussion à une époque plus éloignée, nous attachons trop d’importance à voir consacré par une loi le grand principe d’un transit libre et à des droits modérés pour ne pas nous résigner aux inconvénients qu’elle doit entraîner ; d’autant plus que ces inconvénients ne seront que temporaires et ne survivront pas à l’achèvement des routes en fer qui joindront l’Océan à toutes nos frontières. Les marchandises pouvant alors s’expédier d’un seul trajet de nos entrepôts libres jusqu’au-delà de nos frontières, la surveillance de la douane sera plus facile, et la terreur de la fraude cessera d’être un motif à des mesures préventives trop rigoureuses. »
Messieurs, je dois faire à l’assemblée une dernière observation, c’est que nous pouvons ici attester de notre empressement, de notre bonne volonté à chercher à nous entendre sur les dispositions de la loi du transit. La lettre dont je viens de vous lire un passage, et les observations qui y sont jointes sont parvenues avant-hier à mon collègue de l’intérieur. C’est hier à la séance qu’il me les a communiquées. Je les ai, comme vous voyez, examinées sans retard, et je les ai confrontées avec le projet en discussion. J’admets enfin dès aujourd’hui celles de ces observations qui sont réellement admissibles. Vous vous joindrez à nous, messieurs, et procédant immédiatement à la discussion et à l’adoption des articles de la loi soumise à vos délibérations, vous concourrez à doter le pays d’un nouveau bienfait.
Lorsque vous aurez voté cette loi, messieurs, vous aurez ajouté un travail extrêmement utile aux nombreux et importants travaux que vous avez déjà terminés pendant cette session.
M. le président. - M. le ministre des finances consent-il à ce que la discussion s’ouvre sur le projet de la section centrale.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Nous demandons que la discussion s’établisse sur le projet du gouvernement.
M. le président. - Alors les propositions de la section centrale seront considérées comme amendement.
M. le président. - La parole est à M. Hye-Hoys pour une motion d’ordre.
M. Hye-Hoys. - Messieurs, nous voyons dans le rapport fait au nom de la section centrale par l’honorable M. Desmaisières, sur le projet de loi relatif au transit, que M. le ministre de l’intérieur a recueilli les avis des chambres de commerce sur le projet de loi y annexé sous le litt. A ; que ces avis, au nombre de sept, sont tous favorables à ce projet, et qu’ils seront déposé sur le bureau pendant la discussion.
Ces avis favorables seraient d’un grand poids sans doute, s’il s’agissait de la discussion de ce projet de loi ; mais il n’en est point ainsi : le projet sur lequel les chambres de commerce ont donné leur avis, et qu’elles devaient par suite s’attendre à voir soumis tel qu’on le leur avait envoyé, à la sanction des chambres législatives, n’est pas du tout celui présenté à nos délibérations ; par conséquent les avis favorables dont on se prévaut, ne peuvent exercer aucune influence sur ce second projet de loi ; et hier M. le ministre de l’intérieur vous a déjà prévenu qu’il avait reçu des réclamations à cet égard de la chambre de commerce d’Anvers.
Ils le peuvent d’autant moins que le premier projet, littera A, ne fait que réduire les droits de transit existants à un simple droit de balance, sans rien changer à la législation réglementaire qui, depuis la loi générale du 26 août 1822, a régi le transit ; tandis que le projet proposé renverse complètement cette législation, et lui en substitue une nouvelle, sur les innovations de laquelle il semble rationnel de consulter les chambres de commerce comme on les a consultées sur le premier projet, litt. A. Ce préliminaire semblera même plus particulièrement indispensable à l’égard du second projet, si l’on considère que les éléments de prospérité du transit résident surtout dans les dispositions réglementaires du régime libéral qui doit les favoriser, et qu’il importe dans ce but d’approprier autant que possible, tout en prévenant les substitutions et la fraude, à la célérité et aux facilités d’expédition que réclament les opérations commerciales.
Il convient donc essentiellement de consulter, avant toute discussion, comme parties intéressées, les chambres de commerce du royaume, sur la question vitale de savoir si le régime de transit proposé est ou n’est pas préférable à celui auquel on veut le substituer, et s’il y a nécessité de changer dans l’intérêt du pays, et dans celui du commerce de transit, la législation qui établit ce régime.
Je ne vous dissimulerai pas, messieurs, que, dans mon opinion, cette question se résout tout à fait négativement. On semble avoir perdu de vue, dans le second projet de loi, une considération qui doit politiquement dominer notre système de transit, impérieuse nécessité où nous sommes de régler le nôtre sur celui adopté en Hollande, lequel est également aujourd’hui en vigueur en Belgique, et qu’y conservait sagement le premier projet ; étant de toute évidence que nous ne pourrions entourer le transit de gênes, d’exigences et de mesures fiscales qui le rebuteraient, sans lui faire prendre une direction où il ne les rencontrerait pas.
Le projet de loi de transit qui nous est présenté me paraît devoir amener ce fâcheux résultat. Je le trouve tel, et les nombreux amendements qu’il provoque, indépendamment des développements étendus qu’il faudrait leur donner, en changeraient tellement la contexture, qu’il serait difficile d’en faire, autrement qu’en le refondant tout entier, un tout bien coordonné.
Je renoncerai donc à en présenter, et je me bornerai à voter, si on le discute, contre le projet de loi.
J’ai l’honneur de proposer par tous ces motifs, à la chambre, de renvoyer le projet de loi à la commission d’industrie, pour être par elle apprécié, après avoir pris sur ses dispositions réglementaires l’avis des chambres de commerce.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Je viens m’opposer à la motion faite par l’honorable préopinant.
M. Hye-Hoys a parlé du projet qui a été communiqué aux chambres de commerce, à l’effet d’obtenir leur avis. Il est bon que la chambre sache que c’est au mois de février 1835 que ce projet fut communiqué aux chambres de commerce en même temps qu’à M. le ministre des finances, afin que mon honorable collègue émit également son opinion sur le projet et s’occupât des mesures de douane nécessaires pour réprimer la fraude.
Les dispositions fondamentales de la loi sur le transit, celles sur lesquelles les chambres de commerce avaient intérêt à délibérer auront donc été communiquées. Les dispositions relatives à la répression de la fraude, à laquelle le transit pourrait donner lieu, ont été arrêtées par M. le ministre des finances et moi.
Il y a un an que le projet a été imprimé et publié tel qu’il est soumis aujourd’hui à vos délibérations. Les chambres de commerce ont donc pu le soumettre à un second examen ; c’est ce qu’a fait la chambre de commerce d’Anvers. Il résulte de tout ceci que le renvoi du projet aux chambres de commerce serait un ajournement sans aucune espèce de fondement. Je ne comprends pas ce que les chambres de commerce pourraient faire de nouveau et d’utile sur une loi qu’elles ont eu tout le loisir d’examiner, et sur laquelle il leur était libre de m’adresser de nouvelles observations si elles l’eussent jugé utile.
M. Lardinois. - Nous venons seulement d’apprendre par la bouche de M. le ministre des finances que la chambre de commerce d’Anvers a été consultée (réclamations), qu’elle a envoyé un avis officieux, si l’on veut, sur le projet de loi en discussion. Ce mémoire renferme des renseignements utiles. Je propose à la chambre d’en ordonner l’impression. (Appuyé.)
Je demanderai à MM. les ministres si les chambres de commerce ont été consultées sur le projet actuel. Je vois que sur les 16 chambres du royaume il y en a 7 qui ont été consultées sur l’ancien projet. Mais ces 7 chambres sont probablement les plus intéressées à ce projet de loi. Car la loi sur le transit offre ses avantages et ses inconvénients. Elle favorisera particulièrement le commerce des villes maritimes, et les dangers qu’elle peut traîner après elle retomberont en partie sur l’agriculture et principalement sur l’industrie proprement dite. Que l’on veuille donc consulter les diverses chambres de commerce et les industries manufacturières, qui savent les dangers auxquels une pareille loi peut les exposer
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Nous avons consenti dès le principe et nous consentons bien volontiers à l’impression de la lettre et des observations de la chambre de commerce d’Anvers. La chambre n’aura pas oublié que nous avons pris l’initiative.
La motion d’ordre que l’on fait en ce moment, est entièrement déplacée. C’est, dit-on, dans l’intérêt de l’industrie et de l’agriculture que l’on voudrait consulter les chambres de commerce des villes manufacturières. Je ferai observer qu’elles ont été consultées sur le projet de loi, alors qu’il n’était pas entouré de toutes les garanties qui j’y trouvent maintenant pour la répression de la fraude. L’avis favorable qu’ont donné les chambres de commerce de Verviers, de Liége, de Tournay, etc., ne pourrait qu’être plus favorable encore depuis que la loi contient des garanties contre la fraude.
La chambre de commerce s’est particulièrement attachée à combattre quelques-unes de ces garanties proposées dans le projet définitivement arrêté par le gouvernement. Il était tout simple que la chambre de commerce d’Anvers fît parvenir au gouvernement ses observations sur des mesures protectrices qu’elle combattait, et qui sont donc loin d’être de nature à alarmer l’agriculture et l’industrie. M. le ministre des finances a déjà fait entendre de quelle manière, dans son opinion, l’on pourrait satisfaire en partie aux objections de la chambre de commerce d’Anvers sans froisser en aucune manière les justes réclamations de l’industrie et de l’agriculture.
Cette proposition d’ajournement ne peut donc être considérée que comme une fin de non-recevoir.
M. Gendebien. - Il me semble que la motion d’ordre des honorables MM. Hye-Hoys et Lardinois est au moins prématurée. Il faut l’ajourner dans l’intérêt même de ceux qui l’appuient, jusqu’à ce que la discussion ait été entamée. Nous n’avons entendu jusqu’à présent que M. le ministre des finances. Laissons la discussion se prolonger jusqu’à la fin de la séance. Si alors la chambre trouve, en effet, qu’il y a nécessité de consulter les chambres de commerce du royaume, elle les consultera : mais attendons au moins que la discussion nous en démontré la nécessité.
Je vous demande quelle opinion l’on peut se former sur la nécessité de consulter les chambres du royaume, alors que l’on n’a entendu aucun orateur. M. le ministre des finances nous a bien fait connaître le système du projet et les observations de la chambre de commerce d’Anvers. Mais nous ne savons pas encore si ces observations trouveront de l’écho dans la chambre, enfin ce que l’assemblée peut avoir l’intention de faire.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Je pense qu’il y a un motif décisif pour ne pas différer la discussion de la loi. Lundi prochain la Belgique tout entière aura connaissance de nos discussions.
Les chambres de commerce du royaume qui ont un vif intérêt à les suivre, pourront les commenter et présenter des observations si elles le jugent utile. Nous accueillerons également tous les renseignements qui nous viendront d’autre part sur cette importante question. La chambre pourra en juger la justesse et en faire l’application, s’il y a lieu, au second vote que nous aurons la précaution de fixer à un intervalle convenable du premier. De cette manière la discussion du projet de loi soumis en ce moment à vos délibérations ne souffrira aucun retard.
M. Desmaisières, rapporteur. - Je crois aussi que les chambres de commerce doivent être consultées sur le projet de loi, car M. le ministre de l’intérieur vient de nous rappeler ce que j’ai annoncé dans le rapport, que les chambres de commerce n’ont été consultées que sur le projet rédigé par le ministre de l’intérieur, qui ne contenait aucune mesure de précaution pour empêcher que le transit libre ne devînt un moyen de fraude à l’importation et à l’exportation. C’est précisément sur ce point que l’industrie et l’agriculture doivent être consultées et c’est aussi sur ce point que l’avis des chambres de commerce n’a pu porter, à l’exception de celle d’Anvers qui a envoyé hier son opinion.
Je vais vous rendre compte de ce qui s’est passé à la section centrale. La section centrale a adressé au ministre de l’intérieur cette question :
Le ministre a-t-il consulte les chambres de commerce du royaume ? Dans le cas d’affirmative, l’on demande la production des avis de ces chambres de commerce. »
Le ministre a répondu de la manière suivante :
« Réponse à la note soumise par M. Desmaisières, relative à la loi du transit.
« Le ministre de l’intérieur a conçu les principes de la loi sur le transit, actuellement soumis à la législature. Ces principes étaient formulés dans le projet de loi ci-joint, par copie, et sur lequel les principales chambres de commerce du pays ont été consultées et ont donné un avis favorable.
« En restreignant ce projet aux cinq articles qui les composent, le ministre de l’intérieur était parti de l’idée que les dispositions relatives au transit, renfermées dans la loi générale du 26 août 1826, pouvaient continuera recevoir leur exécution, sauf les changements que M. le ministre des finances aurait jugés nécessaires.
« A cet égard, le ministre de l’intérieur a dû s’en rapporter aux connaissances pratiques de l’administration des douanes, qui a formulé les autres dispositions qui font l’objet des questions ultérieures de M. Desmaisières.
« Ces dispositions n’ont pas été soumises à l’avis de chambres de commerce qui n’avaient à émettre leur opinion que sur les principes, c’est-à-dire sur le changement du système.
« M. le ministre des finances enverra directement à M. Desmaisières la réponse aux questions qui concernent spécialement son département. »
Maintenant, la section centrale a encore adressé à M. le ministre de l’intérieur une autre question qu’elle croyait aussi concerner les attributions de ce département ; c’est celle-ci :
« Quels sont les motifs qui ont fait comprendre dans les tableaux A, B, C et D, annexés au projet de loi, chacune des espèces de marchandises qu’on y voit figurer ? »
Par la réponse de M. le ministre de l’intérieur que j’ai lue tout à l’heure, vous pouvez voir que ce ministre a cru que la question dont il s’agit concernait les attributions du département des finances ; la section centrale a donc adressé cette question à M. le ministre des finances, et voici ce qu’il a répondu :
« Les marchandises exclues du transit, ou celles qui sont soumises à des restrictions spéciales, le sont à raison de leur nature qui exige ces exceptions dans l’intérêt des revenus de l’Etat, soit parce qu’elles prêtent à des substitutions trop faciles qu’il serait impossible d’empêcher, soit à cause de l’élévation des droits de consommation dont elles sont frappés. »
Vous voyez, messieurs, que ces raisons sont extrêmement vagues et qu’elles ne répondent pas d’une manière catégorique et explicite à la question faite par la section centrale ; aussi cette section ne s’en serait pas contentée si la chambre ne l’avait pressée de terminer son travail, mais elle a dû passer outre, d’autant plus que sur la demande d’un honorable député d’Anvers l’assemblée a mis la loi du transit à l’ordre du jour avant même que le rapport ne fût déposé sur le bureau.
Comme je viens de vous le faire remarquer tout à l’heure, il est indispensable que les chambres de commerce des villes industrielles du royaume soient consultées sur le projet de loi concernant le transit tout entier, et surtout sur les moyens de précaution que ce projet établit pour empêcher que le transit ne devienne un moyen de fraude ; car nous sommes tous d’accord que le transit peut et doit même être libre, quant au droit à payer, mais aussi que le transit ne peut pas devenir un moyen de fraude, soit à l’importation, soit à l’exportation. C’est surtout ceci qu’il faut avant tout prévenir, et si le transit n’était pas possible sans être un moyen de fraude, il faudrait y renoncer, car les intérêts de l’industrie et de l’agriculture sont plus importants encore que ceux du commerce de transit.
Les avis qui ont été transmis à M. le ministre de l’intérieur par les chambres de commerce qui avaient été consultées sur le premier projet sont au nombre de sept : la chambre de commerce de Tournay a transmis sa réponse en date du 6 mars 1835 ; elle approuve le système de rédaction des droits de transit et exprime le désir qu’on autorise aussi le transit des vins venant d’Allemagne ; celle d’Anvers dit qu’elle a vu le projet avec la plus vive satisfaction, et fait en terminant quelques observations sur plusieurs articles de ce projet ; la chambre de commerce d’Ostende s’est également montrée favorable au projet ; celle de Verviers appelle l’attention du gouvernement sur les mesures à prendre pour empêcher la fraude ; celle de Mons a de même approuvé le projet ainsi que celles de Bruxelles et de Liége. Mais, dans la note que M. le ministre de l’intérieur a transmise à la section centrale, il dit que les principales chambres de commerce avaient été consultées ; on n’a cependant pas demandés l’avis de plusieurs chambres de commerce qui sont pour le moins aussi principales que celles dont je viens de citer les réponses ; je ne vois pas, par exemple, pourquoi l’on ne s’est pas adressé à Gand, ville qui est à la fois manufacturière et commerçante, ainsi que capitale d’une province éminemment agricole, et qui aurait par conséquent très bien pu donner un avis sur la matière dont il s’agit ; car, comme je l’ai déjà dit, l’industrie et l’agriculture sont intéressées au plus haut degré dans la question du transit.
Quant à l’urgence du projet de loi qui nous occupe, elle n’est pas aussi grande pour le transit en général qu’on pourrait le croire, car le transit ne pourra être bien considérable que lorsque le chemin de fer sera achevé.
Un seul article de ce projet était urgent il y a quelque temps. C’est celui qui concerne les cendres venant de Hollande, mais il ne l’est plus autant aujourd’hui, puisque les arrivages ont déjà eu lieu, car les cendres s’expédient ordinairement vers la fin de l’hiver et au commencement du printemps. Si cependant on croyait qu’à raison des expéditions de septembre et octobre il fût encore utile de pourvoir de suite à ce cas, on pourrait le faire par une simple petite loi en un seul article, qui réduirait le droit actuel sur les cendre, de 5 francs à 20 centimes, comme le fait le projet qui nous est soumis,
M. Desmet. - Messieurs, je ne puis concevoir l’utilité de la motion d’ordre faite par l’honorable M. Gendebien, qui tend à continuer la discussion commencée par M. le ministre des finances ; car comment est-il possible qu’on suive le discours de cet honorable membre, qui est entièrement basé sur un très volumineux avis de la chambre de commerce d’Anvers, tout fraîchement arrivé au département des finances, sans qu’on ait cet avis sous les yeux ; il est donc évident que, pour pouvoir continuer la discussion avec quelque fruit, nous devrions avoir eu connaissance du rapport de cette chambre de commerce, qui est tout un projet de loi.
Mais je viens appuyer, de toutes mes forces, la motion d’ordre faite par l’honorable M. Hye-Hoys, et modifiée par l’honorable député de Verviers, qui tend à faire imprimer le nouvel avis de la chambre de commerce d’Anvers, dont M. le ministre des finances vient de nous faire lecture, et à consulter tous les chambres de commerce et des manufactures, et les commissions d’agriculture du royaume ; et je pense, messieurs, que vous ne voudrez pas repousser cette utile motion, vu l’importance de l’objet, et que vous ne voudrez point qu’un projet si délicat et même dangereux soit passé, pour ainsi dire, à la vapeur. Quand il s’est agi de faire quelques modifications au tarif des douanes sur l’article des cotons, on a exigé les avis de toutes les chambres de commerce, et on a eu raison de le faire. Pour celle à faire sur l’article des os, on a de même consulté toutes les chambres de commerce et les commissions d’agriculture ; quand il a été question d’apporter quelques changements au système des poids et mesures, M. le ministre des finances a pris les avis, non seulement de toutes les chambres de commerce du royaume, mais encore des villes, des gouverneurs des provinces et des commissions d’agriculture.
Et on s’opposerait à ce que pour un projet qui, quand on l’examine bien, porte une révolution entière au tarif actuel pour ce qui concerne le transit, on s’entourât de tous les avis ? Et on ne peut ignorer que quand on touche le transit, vous attaquez en même temps votre commerce national, votre industrie et votre agriculture ; et ici je ne puis partager l’opinion de l’auteur de l’exposé des motifs joint au projet de loi, qui dit que le transit forme la base du système commercial ; je la repousse au contraire de toutes mes forces, et à l’exception de quelques commissionnaires du commerce extérieur, tous mes compatriotes la repousseraient avec moi.
Vraiment elle est nouvelle cette opinion, et je ne puis imaginer comment elle peut être produite dans une chambre belge : on doit bien peu connaître le pays pour pouvoir avancer qu’en Belgique le transit ou le commerce extérieur est la première base de sa prospérité matérielle, et que le commerce national, l’industrie et l’agriculture ne viennent qu’en seconde ligne.
J’espère donc, messieurs, que vous trouverez utile comme moi d’adopter la motion d’ordre, et de ne pas passer outre à l’adoption du projet sans avoir consulté toutes les chambres de commerce du royaume, et que vous sentirez aussi qu’il serait aussi dangereux qu’injuste de ne pas demander l’avis de celles des Flandres, provinces qui sont foncièrement industrielles et agricoles, et qui, par conséquent, sont les plus propres à éclairer nos consciences sur les véritables intérêts matériels du pays. Et que pourrait-on penser de la chambre si elle votait une loi de commerce sur le simple avis de la chambre de commerce d’Anvers. Ce serait comme si les états-généraux néerlandais eussent fait passer un pareil projet sur le seul avis du commerce hollandais.
M. Lardinois. - Je crains, messieurs, que si nous n’adoptons pas l’ajournement proposé par M. Hye-Hoys, nous ne fassions une mauvaise loi ; nous sommes tout à fait privés de renseignements : consultez, messieurs, le rapport de la section centrale et ce que vient de dire l’honorable rapporteur, et vous verrez qu’il y a disette complète de renseignements. M. le ministre de l’intérieur a répondu que la section centrale, que les chambres de commerce avaient été consultées sur les principes du premier projet, et que ces principes ont aussi ceux sur lesquels repose le projet qui nous est actuellement soumis. Je conteste ce fait, messieurs : il est évident que les deux projets ne sont pas basés sur les mêmes principes ; d’ailleurs les renseignements fournis par les chambres de commerce qui ont été consultées jettent bien peu de lumières sur la question ; les observations de la chambre de commerce d’Anvers, par exemple, ne portent que sur les mesure fiscales, que les industriels approuvent tous, puisqu’elles sont une garantie contre la fraude.
Le projet de loi qui nous occupe supprime la prohibition de 40 ou 50 articles sur lesquels elle existe d’après la législation actuelle, et il la maintient seulement sur 11 articles ; de plus, il annule presque entièrement, ou du moins il réduit de 25 à 95 pour cent le droit de transit actuellement établi ; vous voyez, messieurs, que ce sont là des changements trop important pour les adopter sans nous être entourés de toutes les lumières possibles ; or, comme nous sommes entièrement dépourvus de renseignements, nous devons absolument ajourner la question jusqu’à ce que nous ayons pu en recueillir.
Depuis plusieurs années, on nous promet une statistique de l’industrie et du commerce belges ; si nous avions ce travail, il pourrait nous être d’une grande utilité dans l’examen de la loi que nous discutons ; nous pourrions y voir, par exemple la valeur des marchandises qui passent en transit par notre pays, par navires belges ou par navires étrangers, et par terre, il nous apprendrait de quels pays ces marchandises proviennent et quel est le lieu de leur destination ; maintenant, messieurs, nous ignorons complètement tous les faits qui pourraient jeter du jour sur l’importante question qui nous est soumise, et je pense que si l’on faisait à M. le ministre de l’intérieur une interpellation sur les motifs qui ont fait supprimer la prohibition de tel ou tel article et sur l’effet que doit produire cette suppression, il ne pourrait pas y répondre.
Je demande donc que l’on consulte les chambres de commerce avant de discuter le projet dont il s’agit, cela n’occasionnera pas un bien grand retard ; d’ailleurs, il n’y a pas péril en la demeure, la loi sur le transit ne pouvant produire d’effet marquant avant l’achèvement du chemin de fer ; il n’y aura donc pas grand mal si nous tardons quelques mois à voter cette loi.
M. Rogier. - Le projet de loi que nous sommes appelés à discuter se divise en deux parties. Dans l’une on affranchit le transit de droits qui pesaient sur plusieurs articles, dans l’autre on stipule toutes les précautions contre l’introduction frauduleuse des objets admis en transit. Sur cette dernière partie qui est disciplinaire, les chambres de commerce n’ont pas été consultées. Je le regrette, parce que j’ai la conviction que toutes auraient remis au gouvernement les mêmes observations que la chambre de commerce d’Anvers.
Il ne s’agit pas ici d’une question anversoise, mais d’une question nationale, d’une question industrielle et commerciale. Je ne comprends pas de commerce sans industrie, ni d’industrie sans commerce. Nous nous sommes déjà expliqués sur ce point, et à l’occasion nous y reviendrons.
Les chambres de commerce n’ont pas été consultées sur la partie fiscale, sur la partie disciplinaire. Est-ce une raison pour ajourner encore ce projet ? La section centrale en a été saisie cinq à six mois sans qu’elle fît son rapport ; à telles enseignes que plusieurs fois j’ai dû insister pour qu’il fût soumis à la chambre.
Elle a eu le temps nécessaire pour demander l’avis des chambres de commerce, et je m’étonne que le rapporteur ne se soit aperçu qu’aujourd’hui que les renseignements lui manquaient, que la chambre de commerce de Gand n’a pas été consultée. Mais après tout, à qui la faute ? N’est-ce pas à la section centrale, qui a été en possession du projet du gouvernement pendant cinq à six mois, et ne s’est aperçue qu’aujourd’hui que les renseignements lui manquaient.
Je ne comprends rien à cette conduite de la section centrale. Hier encore il paraissait qu’elle s’était entourée de tous les renseignements, car elle se disait prête à discuter la loi. Ce n’est qu’aujourd’hui, depuis que le ministre des finances s’est montré disposé à adoucir la rigueur extrême des mesures disciplinaires, qu’on semble vouloir réagir contre cette disposition du ministre. Hier il n’était nullement question de renvoyer le projet aux chambres de commerce.
Si nous avons applaudi aux adoucissements apportés aux dispositions peu favorables au transit, ce n’est pas que nous soyons satisfaits ; nous trouvons que la rigueur en est encore très grande. Je ne suis pas du tout rassuré sur la liberté du transit ; je crains que par trop de précautions pour empêcher la fraude, vous ne finissiez par repousser le transit de la Belgique. A tous égards, le projet avec les concessions que vient de faire le ministre est encore plus rigoureux que la législation actuelle, la loi du mois d’août 1822, quant aux mesures fiscales. Eh bien, sous le régime de cette loi, sous le régime actuel, se plaint-on de la fraude, a-t-on signalé beaucoup de cas de fraude produits par le régime de la loi de 1822 ? Cependant la sollicitude du gouvernement, du ministre des finances, a été telle pour les industriels prétendument menacés, qu’il a renversé complètement la législation actuelle, ce que je regarde comme un grand mal.
Il s’est passé en Hollande un fait d’une grande portée qui n’a pas pu échapper à l’attention du pouvoir législatif. Vous savez que depuis cinq ans la Hollande n’est plus sous le régime de la loi de 1822. Elle y a substitué un régime plus libéral, elle a émancipé le transit ; aussi ses relations avec l’Allemagne sont immenses ; comparées avec les relations que nous avons encore avec ce pays, celles de la Hollande sont vraiment effrayantes. Je me bornerai à citer un chiffre. D’après le rapport soumis à la chambre de commerce de Cologne et, 1835, les exportations des ports hollandais vers le Rhin ont été de 78,161 tonneaux de 1,000 kil.
Les exportations d’Anvers vers le Rhin n’ont été que de 1,243 tonneaux. Les exportations du Rhin vers la Hollande ont été de 80,800 tonneaux de 1,000 kil., tandis que les exportations du Rhin sur Anvers n’ont été que de 650 tonneaux.
Les causes sont faciles à démontrer. Avant la révolution, nous possédions un passage vers l’Allemagne par les eaux intérieures de la Hollande ; ce passage a été entièrement supprimé par le fait de la révolution. Ainsi ce serait une justice envers le commerce, si l’intérêt du commerce pouvait se séparer de l’intérêt national ; ce serait une justice, dis-je, que de lui restituer l’équivalent de ce passage que la révolution lui a enlevé.
La convention de Mayence du mois de mars 1831 a placé la Hollande dans une position toute nouvelle : liberté absolue du transit, droits de navigation très peu élevés dans les ports francs de Cologne, de Mayence, Rotterdam et Diedrich, absence de toutes mesures fiscales, de toute surveillance, simple convoiement des employés qui n’ont pas à s’ingérer dans la double mesure de déballage et de mesurage, pas de confiscation, pas d’amende, rien de toutes ces mesures vexatoires. Tels sont les principes qui régissent la Hollande dans ses rapports avec l’Allemagne, et l’Allemagne dans ses rapports avec la hollande.
De ceci je conclus qu’il est de toute urgence de nous occuper du transit, Ce n’est pas d’aujourd’hui, mais depuis cinq ans que nous voulons une législation à peu près parallèle à celle de la Hollande. Si nous ne l’obtenons pas, notre pays continuera à être privé du transit.
Si vous renvoyez le projet aux chambres de commerce, c’et encore une année perdue, il faut le reconnaître, car si vous voulez avoir un avis motivé, mûri, des chambres de commerce, quinze jours ou trois semaines se passeront, et d’ici là, je crains, que les chambres ne soient plus réunies.
Il faut dire les choses franchement : voulez-vous aujourd’hui, comme vous vouliez hier, de la discussion de la loi sur le transit ? Si vous en voulez, discutons-la, nous sommes prêts à nous relâcher beaucoup de nos justes prétentions ; mais il faut aussi que les opposants nouveau-nés ne persistent pas dans une motion dont je ne puis voir la portée sans me jeter dans quelques soupçons peu favorables sur leurs intentions.
Me résumant, je demanderai qu’on rejette la motion de M. Hye-Hoys, et qu’on passe immédiatement à la discussion des articles. Je ferai volontiers le sacrifice d’un discours que je me proposais de prononcer dans la discussion générale, et qui durerait plus d’une heure ; je renoncerai à la parole pour ne pas prolonger la discussion.
M. Desmaisières, rapporteur. - L’honorable préopinant, probablement par habitude, car ce n’est pas la première fois qu’il adresse des reproches à la section centrale, lui en fait aujourd’hui un extrêmement grave qu’il est de mon devoir de repousser. Il vous a dit : Ce n’est pas d’aujourd’hui que la section centrale sait que toutes les chambres de commerce n’ont pas été consultées ; dès lors il était de son devoir de les consulter.
D’abord je dirai que la section centrale n’avait pas reçu de la chambre mission de faire une enquête, de consulter les chambres de commerce et les commissions d’industrie et d’agriculture. La section centrale a donc fait son devoir en demandant au ministre de l’intérieur s’il les avait consultées, et en cas d’affirmative en le priant de lui communiquer les documents qu’il avait reçus.
Maintenant, messieurs, la chambre se rappellera que dans les dernières séances qui ont précédé les vacances de Pâques, elle avait montré le désir, sur l’instance de l’honorable préopinant lui-même, que le rapport sur le transit fût présenté le plus tôt possible. La section centrale s’est assemblée pendant les vacances afin de pouvoir achever promptement son travail ; elle s’est réunie en séance avec le ministre de l’intérieur et le ministre des finances, l’honorable membre qui est directeur du bureau de l’industrie et du commerce, et le directeur de l’administration des douanes.
L’honorable directeur du bureau de l’industrie et du commerce était porteur des avis des chambres de commerce ; je lui ai demandé de me les laisser, et, par inadvertance, sans doute, il les emportés avec lui, et je n’ai pas eu le temps de lui rappeler ma demande.
J’ai fait aux ministres les diverses questions que la section centrale avait posées ; ils ont répondu verbalement, et il a été convenu que je transmettrais les questions par écrit et que les ministres y répondraient également par écrit. Je l’ai fait le surlendemain, en annonçant à MM. les ministres que je partais pour Gand et que je serais de retour quelques jours après, exprès pour m’occuper du rapport de la loi sur le transit.
Je suis revenu à Bruxelles ; j’y suis resté six jours pour m’occuper du rapport. J’ai reçu les renseignements promis par le ministre des finances ; mais j’ai étonné de ne pas recevoir ceux qui avaient été promis par le ministre de l’intérieur. Je me suis rendu en personne près du ministre de l’intérieur ; il m’a dit qu’il avait transmis les notes au bureau de commerce et d’industrie, et qu’il avait donné les ordres pour qu’elles me parvinssent de suite. Je devais retourner à Gand, et c’est en revenant assister à la reprise de nos séances publiques que j’ai trouvé la réponse du ministre de l’intérieur à ma demande.
J’avais attendu cette réponse pour terminer mon rapport ; mais comme M. le ministre n’avait pas joint les avis des chambres de commerce, je ne pus le terminer entièrement. Après bien des sollicitations, ces avis furent enfin remis à mon honorable ami M. Zoude, mais ce fut après que, sur les instances d’un honorable représentant d’Anvers, la chambre eut mis à l’ordre du jour la loi du transit sans que le rapport eût été déposé. Aussitôt que ces pièces furent en ma possession, la section centrale fut convoquée. Je lus mon rapport qui fut approuvé, et en sortant de la section centrale je vins en séance publique déposer ce rapport sur le bureau.
La section centrale a donc rempli ses devoirs, et quand on a rempli ses devoirs, il est pénible de se voir en butte à des attaques qui, je dois le faire remarquer, partent toujours de ces mêmes bancs où siège le préopinant.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Je tiens maintenant plus que jamais à ce que la chambre n’adopte pas la motion d’ordre faite par M. Hye-Hoys. Si je pensais que cette motion eût des chances d’adoption, je demanderais à répondre de suite à des considérations émises par M. Rogier ; je considère cette réponse comme très importante pour la justification de notre projet. (La clôture ! la clôture !)
- La chambre consultée ferme la discussion sur la motion d’ordre.
La motion d’ordre faite par M. Hye-Hoys mise aux voix n’est pas adoptée.
Elle ordonne l’impression des observations faites par la chambre de commerce d’Anvers sur le projet relatif au transit.
M. Gendebien. - Ma motion d’ordre n’a plus d’objet maintenant, et je la retire. Toutefois, je ne crois pas qu’en repoussant la proposition faite par M. Hye-Hoys, on puisse s’engager à poursuivre la discussion quoi qu’il arrive car il pourrait arriver en effet que la discussion prouvât la nécessité de renvoyer le projet aux chambres de commerce et d’industrie.
M. Lardinois. - Il faut aussi décider que si, par suite de la discussion, on reconnaît la nécessité de consulter les chambres de commerce, le projet leur sera renvoyé.
M. Gendebien. - Je demande que mes paroles soient insérées au procès-verbal ; alors aucun doute ne restera relativement à ce point.
M. le président. - L’observation faite par M. Gendebien sera consignée au procès-verbal.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Messieurs, je combattrai de suite et en très peu de mots les principes erronés avancés par M. Rogier.
Cet honorable membre a exprimé la pensée que nous devions adopter en principe l’adoption d’une loi de transit parallèle à celle de la Hollande, c’est-à-dire semblable à celle de la Hollande. Une simple observation renversera, je pense, cette opinion.
La Hollande n’est pas un pays manufacturier, n’est pas un pays de fabriques comme la Belgique. Si en Hollande on permet le transit de tel ou tel objet manufacturé, c’est qu’il ne s’y fabrique pas de similaires, c’est que l’industrie intérieure n’y est pas intéressée. Chez nous, il faut sans doute permettre le transit, mais il faut en même temps prendre de rigoureuses précautions pour prévenir la fraude qui nuirait à l’industrie intérieure du pays. Voilà ce qui explique pourquoi nous avons renchéri sur les précautions consacrées dans la loi générale de 1822.
En facilitant le transit, nous avons dû en même temps prendre les moyens de ne pas faciliter la fraude. Les droits de transit étant abaissés à presque rien, des mesures nouvelles, minutieuses même, devaient être prescrites dans l’intérêt de notre agriculture et de nos fabriques, afin de ne pas ouvrir sous la forme d’un simple emprunt de notre territoire, une voie large à la fraude.
Voilà les observations fondamentales que j’avais à faire.
M. David. - Je répondrai peu de chose aux honorables orateurs qui se sont prononcés contre la discussion, dans ce moment-ci, du projet de loi sur le transit ; voilà dix mois, messieurs, que l’on promet le transit au pays. Cette mesure ne peut qu’être utile à tout le royaume, et si elle avait pu être hostile à l’industrie, les chambres de commerce n’eussent pas attendu qu’on les consultât. Elles eussent pris l’initiative et réclamé de toutes parts. Ce sont donc des craintes chimériques, et quand on aura écouté les chambres de commerce, on ne sera guère plus avancé qu’aujourd’hui.
Les modifications que vient d’annoncer M. le ministre des finances aux divers articles de la loi sur le transit, sont de nature à diminuer les craintes du commerce sur les imperfections du projet, et dans tous les cas, je suis heureux de voir que la législature se décide enfin à la discussion de la loi du transit ; je désire bien sincèrement que malgré la lassitude de la chambre, à la suite de ses longs travaux, cette intéressante question pour le pays ne soit pas abandonnée avant d’avoir été jugée et sanctionnée par une bonne loi.
Quand on se demande, messieurs, s’il est dans les choses possibles que nos voisins empruntent notre territoire pour le transit de leurs marchandises, lorsque notre gouvernement entrave ce transit par des droits et des frais, la réponse négative n’est pas douteuse.
Voyez le peu de transit resté à la Belgique depuis la fatale loi qui le régit. Il n’est rien en comparaison de ce qu’il devrait être ; il n’est rien vis-à-vis de celui de la Hollande. La chose est on ne peut plus naturelle. Déjà les frais de route d’ici au Rhin, par la Belgique, par conséquent par terre, sont plus élevés que ceux par la Hollande sur le Rhin. Ajoutez-y le droit de transit, et vous verrez que l’Allemagne ne peut, tellement la différence est grande, se servir de nos routes pour tirer les objets nécessaires à ses nombreux besoins.
Mais si ce droit était aboli, la Belgique concourrait-elle avec avantage contre la Hollande ? Oui, alors elle le pourrait, et d’autant plus efficacement que le plus souvent ce ne serait pas pour elle un transit pur et simple, mais bien un commerce qui se ferait de ses entrepôts vers l’Allemagne. Il y a plusieurs bonnes raisons à faire valoir pour le prouver : les frais de place en Belgique sont moindres qu’en Hollande ; généralement on y travaille à bénéfices plus modérés, et aidé qu’on serait d’une franchise de droit de transit, placée comme elle l’est, la Belgique ferait d’immenses affaires. Ce commerce serait ensuite également avantageux au reste du pays ; car il ne s’agit pas seulement des ports. Que l’on considère que 100 kilogrammes de marchandise quelconque ne peuvent arriver par mer en Belgique et transiter vers l’Allemagne, sans laisser dans le pays la portion du fret qui se dépense par les navires qui les apportent, on mieux encore qui est gagné entier, si c’est un navire national qui importe les marchandises ; que ces marchandises laissent dans le pays toute la dépense qu’elles occasionnent au port de débarquement, et tous les frais de transport ensuite jusqu’à la frontière prussienne.
Qui ne reconnaîtra alors combien est considérable la somme que, sur des masses, nos voisins auront à nous payer annuellement pour avoir emprunté notre territoire : ils nous en sont tributaires, cela saute aux yeux et a été compris depuis des siècles ; on ne perçoit en France aucun droit de transit, mais seulement un droit de balance, et actuellement en Hollande aussi on a affranchi le transit sur le Rhin de tout droit. C’est une énorme faute que la Belgique a commise en n’affranchissant pas son transit dès 1831.
Une autre considération, messieurs, c’est que la loi du transit doit être à nos yeux le complément du grand œuvre de l’établissement des chemins de fer dans notre beau pays. Ne serait-il pas ridicule, en effet, de construire d’une part des chemins de fer, de songer à ranimer notre navigation par des constructions navales stimulées par des primes, de posséder un commencement de navigation à la vapeur, d’augmenter le nombre de nos canaux, si nous n’avons pas le puissant véhicule du transit, qui est appelé à féconder ces entreprises dont notre pays surtout s’enorgueillit à juste titre ?
Quand on comprend bien ses plus chers intérêts, ces intérêts qui dans une nation vivent du tribut que lui paient ses voisins, ne doit-on pas réellement déplorer que la loi du transit ne se soit pas fait jour plus tôt dans cette enceinte ? Fût-elle même publiée et mise en vigueur aujourd’hui, deux ans s’écouleront encore avant qu’elle ne porte ses véritables fruits auprès du commerce transatlantique et des contrées plus éloignées de nous encore. Elles ne seront bien persuadées, ces contrées, que désormais elles peuvent expédier en toute tranquillité vers nos ports, pour lesquels les marins ont évidemment une si grande sympathie, que quand les effets de la loi du transit auront été sentis au loin comme dans l’intérieur du pays, et quand la navigation étrangère sera pour ainsi dire devenue coutumière de nos beaux bassins.
Le projet de loi qui nous est soumis doit, à quelques changements près, satisfaire la juste impatience du commerce, de l’industrie et de l’agriculture. Notre loi ne fût-elle pas même parfaite, je voudrais la voir voter par acclamation, tant elle est désirable ; et je la voudrais alors temporaire, pour qu’après en avoir fait un essai, mieux éclairés plus tard, nous y retouchions avec un plein succès. Je le répète, messieurs, cette loi me paraît si nécessaire, qu’à mon avis mieux vaudrait adopter le projet tout entier du gouvernement que de ne pas l’obtenir du tout cette année. En effet, les changements que la législature introduira dans le projet ne seront jamais que d’un intérêt secondaire ; on cherchera à dégager le transit des entraves rendues toutefois nécessaires par le besoin de protéger la production nationale, on demandera si est possible encore une réduction sur les frais qu’entraîneront les formalités dit plombage et tout ce qui tombe à la charge du commerce. L’existence de ces griefs, quelque bien reconnue qu’elle fût à l’avance, ne serait donc pas une raison de priver le pays d’une loi qui ne doit pas avoir plus longtemps le sort de l’ajournement. C’est ruiner bénévolement le pays et le forcer à envoyer son commerce à la Hollande que de prolonger cet état de choses, et l’honorable M. Smits vous l’a répété hier encore, et rien ne doit nous frapper, nous étonner davantage. Je désire donc vivement que la discussion sur le transit s’achève avant de toucher à toute autre besogne.
M. Devaux. - Messieurs, si je surmonte un instant la répugnance que j’éprouve souvent à me mêler aux discussions générales, ce qui m’y porte, ce sont les difficultés que le projet a rencontrées pour arriver jusqu’à la discussion, les efforts qu’on vient de renouveler encore tout à l’heure pour un nouvel ajournement, et l’incertitude qui règne encore sur la continuation de cette discussion, qui est loin de pouvoir se terminer en un jour et qui déjà sera interrompue à la séance prochaine.
Toutes ces circonstances me font croire que nous ne donnons pas tous à la loi le caractère de gravité qui me semble lui appartenir : la matière est assez neuve en cette enceinte, je le conçois, pour que plusieurs de nous s’y sentent d’abord un peu dépaysés, moi comme les autres. En effet, messieurs, nous avons fait jusqu’ici beaucoup de lois politiques, des lois administratives, des lois financières ; nous avons pris quelques mesures spéciales se rapportant à quelques branches particulières d’industrie manufacturière ou agricole ; mais c’est la première fois, la toute première fois que nous abordons une de ces lois, que je puis appeler lois organiques de notre commerce.
Il en est du transit comme de beaucoup d’autres matières ; en principe d’abord tout le monde semble d’accord. Ainsi, comme tout le monde ici s’empresse d’admettre la liberté du commerce en principe général, tout le monde aussi admet l’utilité d’un transit facile. Mais quand on arrive à vouloir préciser le degré de cette utilité, ou qu’on en vient aux applications du principe, l’unanimité cesse et la divergence des opinions commence.
Il est sur le transit deux opinions fort différentes que j’ai quelquefois entendu exprimer et que je ne puis partager ni l’une ni l’autre. Suivant l’une, le transit est une chose bonne en théorie ; mais, en pratique, c’est une véritable hostilité contre les industries du pays.
Suivant une opinion, qui est celle de très chauds partisans du transit, les avantages du transit consisteraient principalement dans les bénéfices qu’en retirent quelques commissionnaires, ou dans les dépenses que font quelques vaisseaux qui viennent se faire radouber dans le pays, s’y fournir de quelques voiles et de quelques cordages. De ces deux opinions, également étroites, la première me paraît bien fausse ; la seconde me semble une appréciation bien incomplète, bien mesquine des avantages du transit, qui sont à mes yeux d’une tout autre nature, et d’une tout autre importance.
Je vois dans un transit facile une des conditions de notre véritable position commerciale, une des conditions indispensables de ce que cette position doit être, de ce qu’elle doit espérer devenir un jour.
Messieurs, dans un pays qui comme le nôtre vient de se créer une existence indépendante, il me semble que les hommes d’Etat, appelés à le gouverner, à le fonder en quelque sorte, doivent se demander avant tout quelle doit être en Europe la position politique de ce pays, quelle doit être sa position militaire, quelle doit être sa position de civilisation, si je puis m’exprimer ainsi ; quelle doit être enfin sa position industrielle et commerciale. Ce n’est pas à l’époque où nous vivons que cette dernière question pourrait être négligée ; ce n’est, messieurs, qu’après avoir cherché une solution à ces questions, après s’être tracé ainsi les divers buts, les diverses grandes questions de notre nationalité, qu’on pourra se flatter de gouverner le pays avec quelque esprit d’ensemble et de suite, et dans quelques vues d’avenir,
A mon avis, il ne faut pas se faire de notre position commerciale à venir une idée puisée dans celles du passé. Il ne faut pas juger de ce que nous devons être par ce que nous avons été jusqu’ici. Le commerce de la Belgique en est à son berceau. Quand je dis jusqu’ici, je ne veux pas parler seulement de l’époque actuelle, mais encore de celle qui a précédé la révolution. Je crois qu’à cette époque de 1829, qu’on cite si souvent, le commerce de la Belgique ne faisait que naître, n’en était qu’à ses premiers pas. En effet, que s’était-il passé ? Deux siècles d’interruption de notre commerce extérieur maritime, pendant lesquels nous avions vu successivement l’Escaut fermé et tout le continent bloqué. Deux siècles suffisent pour détruire bien des travaux. C’est dix fois plus qu’il n’en faut pour rompre toutes les relations du commerce, pour changer toutes les habitudes, tout le caractère d’un peuple.
Le temps qui s’est écoulé depuis la paix de 1815 jusqu’en 1829 suffisait-il pour que notre commerce réparât de pareils maux et parvînt à son apogée ? Non ; il faut plus de temps pour réparer les habitudes du commerce, le mouvement des capitaux, les relations à l’étranger, la réputation d’un port ; pour élever la réputation de nombreuses maisons commerciales, pour refaire en un mot une grande place de commerce. La prospérité commerciale de 1829 ne pouvait être que les premiers signes de vie, après un sommeil deux fois séculaire ; aussi ne doit-elle pas être notre but. Nous devons viser plus haut. L’avenir commercial de la Belgique est plus grand. Nos idées sur le commerce belge sont aujourd’hui d’une timidité excessive ; elles subissent l’influence du passé. Nous ne nous figurons pas assez que la Belgique d’aujourd’hui n’est plus la Belgique autrichienne avec l’Escaut et ses plus grands intérêts commerciaux sacrifiés aux provinces-unies de la Hollande, ni la Belgique française, subissant le blocus continental. Si nous voulons trouver, je ne dis pas une parfaite analogie, mais quelques rapports analogues de position dans le passé, il nous faut au moins remonter jusqu’au milieu du 16 siècle.
En face de nous est situé le premier des pays commerciaux, l’Angleterre, qui est le marché des cinq parties du monde et dont nous ne sommes séparés que par quelques lieues de mer, Croyez-vous que notre position géographique soit tant inférieure à la sienne ? Sous d’autres rapports, je le sais, il y a entre les deux pays des différences énormes qu’il serait ridicule d’oublier ; je sais aussi que l’Angleterre a sur nous deux siècles d’avance dont elle recueille les fruits. Mais si ce n’est toutes, ne pouvons-nous donc espérer au moins de réaliser de ce côté de la mer quelques-unes des merveilles que le commerce a enfantées sur le rivage opposé ? Avec notre position spéciale, vis-à-vis de l’Angleterre, entre le nord et le midi de l’Europe, entre l’Allemagne, la France et la mer, avec une nation probe, laborieuse, intelligente et un sol fécond ; je ne vois pas de raison pour être si timides et mettre des bornes si étroites à nos espérances.
Et ce n’est pas là, messieurs, de la présomption nationale ; ce ne sont ni des rêveries ni des vanteries patriotiques ; car j’ai pour moi ici une grande autorité, une autorité étrangère, une autorité commerciale, celle d’un grand homme d’Etat, de M. Huskisson. Vous le savez, M. Huskisson ne s’effrayait pas aisément de la concurrence étrangère. Cependant il semble que la concurrence future du port d’Anvers n’était pas sans lui donner certaine inquiétude. En plein parlement britannique il a reconnu que le port d’Anvers était pour le moins aussi bien situé pour l’avantage du commerce que ceux d’Angleterre, et que si l’on y offrait plus de facilité qu’en Angleterre, le commerce lui donnerait la préférence.
Connaissez-vous un événement plus grand pour le commerce et l’industrie belges que de parvenir à établir en Belgique un grand marché commercia,l une de ces foires immenses, perpétuelles, où toutes les nations viennent acheter et vendre, où tous les besoins viendront se satisfaire ; un de ces grands foyers d’affaires, quelque chose enfin qui ressemble aux marchés des grands ports anglais ? Par là, au lieu d’aller péniblement à la découverte de débouchés lointains, nous les forcerions en quelque sorte à venir à nous ; nous les placerions aux portes mêmes de nos industries. Qu’avons-nous à faire pour arriver là à l’aide du temps et de progrès successifs, ou tout au moins pour avancer vers ce but ? En vérité nous avons peu à ajouter à ce que la nature a fait pour nous et aux éléments que nous avons sous la main.
Un grand marché, ce n’est pas après tout beaucoup d’acheteurs et beaucoup de vendeurs. Que les achats et les ventes soient faciles, acheteurs et vendeurs arriveront, vous pouvez y compter. Avec toutes les conditions que vous possédez déjà, rendez les achats et les ventes faciles, et ne vous inquiétez plus des arrivages ou des exportations, la progression suivra son cours sans que vous vous en mêliez autrement.
Or, messieurs, la loi qui nous est soumise est une de celles où il s’agit de poser ces conditions de facilité pour les achats et les ventes. C’est là la grande importance du transit, c’est par là qu’il se lie aux plus grands intérêts matériels du pays.
La Belgique est riche et populeuse, mais elle n’a que quatre millions d’habitants ; si les vaisseaux qui entrent dans vos ports ne peuvent fournir qu’aux besoins de la Belgique, si les marchandises importées chez nous ne peuvent avec facilité se rendre à l’étranger, c’est-à-dire si elles ne sont soumises à des conditions faciles d’entrepôt, alors vous rétrécissez vos ports, vous restreignez les arrivages.
La Belgique est active et industrieuse, mais elle ne produit pas tout. Son industrie ne satisfait ni à tous les besoins, ni à tous les goûts de l’étranger. Si le vaisseau qui sort de vos ports ne peut exporter que vos produits, s’il ne peut exporter facilement selon ses intérêts et sa fantaisie des produits étrangers aussi bien que les vôtres, vous restreignez les exportations, vous restreignez l’exportation de vos propres produits, ainsi que je le montrerai tout à l’heure. Alors si les arrivages sont restreints d’un côté et les exportations de l’autre, ne songez plus à faire de la Belgique un grand marché.
Alors nous retomberons, sinon dans notre ancienne léthargie commerciale, au moins dans un état qui n’est supérieur à celui-là que de peu de degrés. Alors la prospérité commerciale de 1829, les 160,000 tonneaux du port d’Anvers ne seront plus notre point de départ, mais le but que nous ne pourrons espérer de dépasser que de quelques pas ; alors au lieu de faire venir les débouchés à nous, nous enverrons tous les 4 ou 5 ans un vaisseau faire le tour du monde pour placer quelques pièces de calicot.
En envisageant les choses sous cet aspect, vous sentez l’importance qu’acquièrent toutes les lois organiques du commerce, et par là j’entends non seulement la législation des droits d’entrée et de sortie, mais encore celle du transit d’entrepôt et celle de la navigation qui comprend la question des droits différentiels. Vous sentez aussi qu’en se plaçant à ce point de vue, on ne peut attacher qu’une importance fort secondaire à certains bénéfices directs du transit, tels que les bénéfices des commissionnaires et de quelques dépenses de séjour ou d’approvisionnements, lorsqu’on met les résultats en regard du mouvement d’affaires que le transit est destiné à faciliter, et sans lequel il est impossible de faire atteindre à notre commerce les proportions que la nature semble lui avoir assignées.
La cargaison d’un vaisseau se compose rarement d’une seule marchandise. Comment un vaisseau, s’il a besoin de marchandises diverses, les unes belges, les autres étrangères, s’approvisionne-t-il dans le pays où le transit et l’entreposage n’est pas facile ? Il ira assurément charger de préférence dans les ports, où toutes les marchandises dont il a besoin auront un large et commode accès.
Remarquez bien que 20 vaisseaux qui exportent un tiers de leurs cargaisons en produits belges sont plus utiles à notre industrie qu’un seul vaisseau, ou deux vaisseaux dont la cargaison serait exclusivement composée de produits indigènes. Cependant on n’a que ce choix.
Tel vaisseau chargera volontiers chez nous des clous, des draps, de la quincaillerie, du coton, de la verrerie, des machines, des toiles, etc. Mais peut-être et le plus souvent il lui serait avantageux de joindre à ces marchandises d’autres que le pays ne produit pas. S’il ne le peut pas, il ira ailleurs se charger et vous restreignez votre propre exportation. Dans tous les ports du monde, un produit s’exporte souvent à l’aide d’un autre. Il y a de l’utilité et de la nécessité de ces assortiments, à ces accouplements quelquefois bizarres pour l’exportation des produits souvent les plus divers, plus d’un exemple frappant connu dans le commerce. J’en citerai quelques-uns pris du temps de l’ancienne prospérité commerciale de la Hollande. La Hollande, à cette époque, fournissait en quantité considérable au Portugal un produit de son agriculture : les fromages.
Comment se faisait cette exportation ? Le Portugal tirait de la Hollande des cordages pour sa marine ; il se trouvait que les vaisseaux qui exportaient les cordes, offraient dans l’arrangement intérieur des marchandises un emplacement très favorable aux fromages ; aussi, cordes, et fromages faisaient toujours routes ensemble, et l’exportation de l’une de ces marchandises était l’occasion et la condition de l’exportation de l’autre.
Cependant, qui s’imaginerait jamais a priori qu’il puisse y avoir quelque chose de commun entre l’exportation des fromages et celle des cordes ? Et supposez que les cordes fussent un produit étranger à la Hollande, combien ne lui importait-il pas d’en favoriser le transit dans l’intérêt de son agriculture et pour offrir un débouché pour l’un de ses produits !
Je citerai un autre exemple du même temps et du même pays ; la Hollande avait beaucoup de toiles hollandaises et même de toiles belges à envoyer en Espagne. Les droits dont l’Espagne frappait ces toiles étaient tellement élevés que cette exportation était très difficile.
Comment les Hollandais s’y prirent-ils ? Ils se servirent d’une autre marchandise, d’une marchandise étrangère. Ils introduisaient chaque année des grains renfermés dans une immense quantité dé grands sacs de toile fine. L’enveloppe était, pendant le trajet, l’objet de plus de soins que le contenu et échappait aux droits. Il est arrivé en Hollande que des objets qui paraissent bien peu faits pour l’exportation se plaçaient ainsi dans les intervalles que laissait la cargaison. C’est ainsi que des meubles, des tables et des chaises étaient devenus un objet assez considérable d’exportation.
Si d’un côté l’exportation des marchandises étrangères se lie aux exportations des marchandises belges, les arrivages se lient d’une manière tout aussi directe aux facilités du transit, comment pourrait-on espérer d’avoir des arrivages nombreux, des retours avantageux et par conséquent des occasions d’exportations nombreuses, si dans les ports de la Belgique ils ne trouvaient pas moyen de vendre à la fois en Belgique et même à l’étranger ? C’est là un des grands avantages que le transit accorde au commerce extérieur. Il permet à l’étranger de vendre à la Belgique, et, pour ainsi dire, à tous les pays environnants.
Ce sont là autant de débouchés nouveaux pour le commerce qui vit de débouchés comme l’industrie. Ce n’est pas en donnant ces facilités au commerce que nous utilisons les avantages de notre position géographique.
Une chose à laquelle il faut bien songer, c’est qu’une maison de commerce qui a des relations établies pour le commerce de transit avec un pays, les étend facilement aux produits mêmes de ce pays. On aime bien mieux adresser vingt commandes à une seule maison que d’écrire à vingt maisons différentes. C’est encore là un moyen qui rattache le commerce intérieur au transit. Les relations se créent et s’appellent l’une l’autre.
Le transit sera sans doute d’abord de peu d’importance en Belgique. Mais il faut avoir une législation prête, éprouvée et connue pour le moment où pourront s’ouvrir nos grandes communications, celles qui résulteront de l’achèvement de notre chemin de fer
La Belgique a d’ailleurs un grand intérêt à maintenir le lambeau de ce commerce qu’elle a si difficilement conservé. Les relations commerciales une fois rompues se renouent difficilement. Il faut bien des années pour refaire les relations qu’une seule année aurait rompues. Les exemples ne manquent pas dans l’histoire du commerce pour le prouver. Nous savons que lorsque le commerce de la Hollande eut été une première fois si gravement compromis par les désastres qu’il éprouva pendant la guerre d’Amérique, il essaya, mais en vain, de renouer des relations avec les pays qui naguère entretenaient avec elle les rapports commerciaux les plus fréquents et les plus directs. Il échoua : d’autres habitudes s’étaient introduites et elle ne put ramener les anciennes.
Pendant les guerres de Napoléon, l’Angleterre, par l’effet du blocus du continent, était devenue forcément le marché du reste du monde ; lorsque la paix survint et que le commerce maritime devint libre, l’Angleterre dut craindre que les choses ne reprissent leur ancien cours ; cependant les nouvelles relations étaient établies et résistèrent, l’Angleterre ne vit pas sa prospérité diminuer. Il est vrai, messieurs, que dans cette position qui ressemble à la nôtre depuis 1830, en ce que l’une et l’autre sont la suite d’un brusque et grand changement politique, l’Angleterre s’empressa, pour retenir le commerce étranger, de lui offrir de grandes et nouvelles facilités ; ne négligeons pas de suivre cet exemple.
Une loi de transit, si elle est bien faite, aidera à ce mouvement de renaissance qui se manifeste aujourd’hui dans notre commerce et dans notre industrie, Le seul effet moral en sera déjà favorable. Elle stimulera, elle encouragera le commerce en Belgique, consolidera les espérances qu’a fait concevoir le chemin de fer. Elle engagera les négociants à faire tous leurs efforts pour maintenir même les relations qui peuvent être momentanément onéreuses ou de peu de profit.
Mais pour qu’une loi sur le transit ait des conséquences aussi belles, il faut, outre un tarif favorable, qu’elle n’impose pas des formalités trop rigoureuses au commerce. Si nous parvenons à rédiger une bonne loi sur cette matière, nous aurons non pas peut-être fait tout ce qu’il faudrait faire pour le commerce en attendant l’achèvement du chemin de fer, mais au moins nous aurons pris une des mesures qui doivent le plus favorablement influer sur son avenir.
M. Legrelle. - J’avais demandé la parole pour démontrer que la loi sur le transit pas une question de localité, mais qu’elle intéresse tout le pays. Je voulais démontrer également que la question du transit ne se renferme pas dans le cercle étroit des droits perçus sur les marchandises transitées, mais se rattache à un vaste mouvement commercial qui intéresse le commerce intérieur du pays, son industrie surtout, tout aussi bien que le commerce de transit lui-même.
Mon intention état de combattre vivement le projet de loi primitivement présenté. L’honorable préopinant a singulièrement abrégé ma tâche ; je m’abstiendrai donc de parler dans la discussion générale. Les observations présentées par M. le ministre des finances au sujet de l’avis de la chambre de commerce d’Anvers l’ont également abrégée. Je me proposais de démontrer combien les dispositions de la loi répondaient mal à l’exposé des motifs présentés par M. le ministre de l’intérieur.
M. le ministre des finances, sans toutefois modifier les mesures tendant à la répression de la fraude, a expliqué comment il entendait les appliquer. Je rends hommage à M. le ministre ; il a considérablement simplifié la discussion : non pas que j’approuve toutes les dispositions du projet, mais tel qu’il est nous pouvons le soumettre à un mûr examen.
Comme l’a fort bien dit la chambre de commerce d’Anvers, il s’agit moins d’avoir une loi parfaite de transit que d’avoir promptement une loi sur cette matière. Tout le commerce de transit se fait maintenant par la Hollande. Notre intérêt, et c’est ici un intérêt national, est de priver la Hollande de cette importante branche de commerce qui nous revient plus naturellement.
Mettons-nous donc sans retard à l’œuvre, et en exprimant le vœu que la législature dote promptement le pays de l’importante loi du transit, je ne parle pas au nom de la ville que je représente, mais au nom de la Belgique tout entière.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Sans doute l’exposé des motifs présenté par le gouvernement contient toutes les considérations qui doivent engager la chambre à discuter promptement la loi de transit ; mais je dois déclarer qu’il n’y a jamais eu divergence d’opinions entre mon honorable collègue M. le ministre des finances et moi. Nous avons pensé tous les deux qu’il fallait autant que possible favoriser le commerce de transit en l’entourant de toutes les garanties contre la fraude, qu’exige la protection de notre agriculture et de notre industrie.
Nous sommes heureux d’avoir, en quelque sorte, terminée nos lois d’organisation militaire. Nous pourrons nous livrer avec plus de suite à tous les projets qui intéressent la prospérité matérielle du pays. Déjà nous vous avons présenté les projets les plus importants : la loi sur le transit, celle sur la construction des navires, celle sur la pêche et celle sur les droits différentiels. Celui que nous discutons est un des plus importants par les relations nouvelles qu’il doit nous ouvrir avec les puissances étrangères.
Vous avez aussi pourvu aux moyens d’améliorer les communications intérieures et celles qui doivent nous mettre en rapport avec les pays voisins.
Quant à ce dernier point, il ne restera plus que peu de chose à faire ; et nous pensons que dans le courant de la session prochaine, nous pourrons également vous présenter des dispositions qui tendront à compléter ce système de communications ; de cette manière, la chambre pourra d’ici à un an avoir pourvu véritablement à tous les besoins du commerce et de l’industrie.
M. Smits. - Mon intention était de parler dans la discussion générale ; mai, je crois que toutes les idées sur le transit ont déjà été émises dans cette enceinte ; et je demande que la chambre passe immédiatement à la discussion des articles.
M. Lardinois. - Je demande que la discussion des articles soit remise à la semaine prochaine. Je le répète, nous manquons de renseignements ; il faut que les observations de la chambre de commerce et des fabriques d’Anvers soient imprimées, et que nous ayons le temps de les examiner mûrement.
M. Legrelle. - Messieurs, nous devons actuellement clore la discussion générale. C’est la demande que M. Smits vous a présentée.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Je viens appuyer la demande de la clôture de la discussion générale ; je pense qu’il serait véritablement difficile de la prolonger utilement.
Au reste, messieurs, toutes les considérations qui pourront encore être émises se présenteront naturellement dans la discussion des articles.
M. A. Rodenbach. - Nous ne pouvons pas prendre actuellement une décision ; nous ne sommes plus en nombre ; nous ne sommes que 47.
- La séance est levée à 5 heures.