(Moniteur belge n°147, du 26 mai 1836 et Moniteur belge n°148, du 27 mai 1836)
(Moniteur belge n°147, du 26 mai 1836)
(Présidence de M. Fallon., vice-président.)
M. Verdussen fait l’appel nominal à une heure et demie.
M. de Renesse lit le procès-verbal de la séance précédente.
M. Desmaisières. - Je demande la parole.
Messieurs, j’ai toujours tenu, et je tiendrai toujours, à remplir consciencieusement, religieusement, les fonctions dont j’ai l’honneur d’être revêtu ; ce n’est donc pas par les fonctions honorables de rapporteur de la section centrale que je commencerai à dévier de ce principe.
Mais si je tiens à remplir mes devoirs, je tiens aussi à ce qu’il soit établi que je les ai remplis.
Je demande, donc qu’il soit constaté au procès-verbal que dans la séance d’hier j’ai insisté deux fois, avant le prononcé de la clôture, pour obtenir la parole, à l’effet de pouvoir défendre les amendements de la section centrale contre les attaques dont ils avaient été l’objet de la part des défenseurs des principes de la loi, et particulièrement de la part des ministres.
- La demande de M. Desmaisières est adoptée par la chambre.
Ensuite le procès-verbal est adopté avec cette addition.
M. Goblet, qui a été admis dans une séance précédente, prête serment.
M. Vandenbossche. - Messieurs, avant de passer à la discussion de l’art. 2 du projet de loi, je pense qu’il serait convenable de proposer l’adjonction d’un article nouveau à l’article 1er du projet du gouvernement.
Cet article porte entre autres : « Pour faits graves non prévus par les lois, qui sont de nature à compromettre l’honneur et la dignité de la profession des armes, ou de la subordination militaire. »
Le vague de ces expressions a effrayé beaucoup de membres mais, d’après moi, l’application de la disposition n’atteindra personne.
En effet, je trouve qu’aucun des trois paragraphes proposés par la section centrale en remplacement de cette disposition ministérielle ne contient un seul fait qui soit de nature à compromettre l’honneur et la dignité de la profession des armes, ou de la subordination militaire ; ce sont cependant de pareils faits, des faits analogues que le projet de loi devrait d’abord atteindre, parce que s’il ne les atteint pas, je ne sais plus à quels faits l’article pourrait devenir applicable. Ce ne seraient certainement pas les dénonciations anonymes qu’on a déjà voulu flétrir, et auxquelles recourent quelquefois des militaires qui n’osent dénoncer ouvertement la conduite répréhensible de leurs supérieurs.
Je crois, messieurs, qu’un article additionnel pourrait énumérer ces cas, sinon limitativement, au moins démonstrativement, afin de montrer que ce sont les faits désignés par la section centrale, et ceux qui sont rapportés dans l’article, qui doivent être considérés comme étant de nature à compromettre la dignité et l’honneur de la profession des armes, ou la subordination militaire.
J’ajouterai qu’un outrage public à la pudeur, l’adultère, et d’autres faits encore, pourraient être punis de la même peine.
M. le président. - Si M. Vandenbossche a rédigé un amendement, je l’invite à le déposer sur le bureau.
M. le président. - Nous passons à l’art. 2 du projet de loi.
Cet article est ainsi conçu :
« Lorsqu’un des faits énumérés en l’art. 1er I sera imputé à un officier, le ministre de la guerre ordonnera la réunion d’un conseil d’enquête, à Bruxelles, si l’inculpé est officier-général ou supérieur. Si l’officier est d’un grade inférieur, le conseil d’enquête se réunira au quartier-général de la division de l’armée dont il fait partie, ou au chef-lieu de la province où il se trouve en garnison, s’il ne fait point partie de l’armée active.
- Cet article est mis aux voix et adopté.
M. le président. - « Art. 3. Le conseil d’enquête est composé de 7 membres, suivant le grade de l’officier inculpé, conformément au tableau joint à la présente loi. »
La section centrale propose la rédaction suivante :
« Le conseil d’enquête est composé de 7 membres, suivant le grade de l’officier inculpé, conformément au tableau joint à la présente loi.
« S’il n’existe pas 7 généraux de division, 2 pourront être suppléés par des généraux de brigade.
« Les officiers de l’intendance et du service de santé de l’armée sont compris dans le tableau pour les grades dont ils jouissent par assimilation. »
M. le ministre de la guerre se rallie-t-il à cette rédaction ?
M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Messieurs, la prévision de la section centrale sur la possibilité de ne pas trouver 7 généraux de division dans notre armée, l’a engagé à vous proposer le premier des deux paragraphes additionnels dont il vient d’être donné lecture. Je me rallie à cette disposition qui est toute prévisionnelle.
Quant au second paragraphe, je demanderai une explication au rapporteur de la section centrale, avant d’énoncer mon opinion.
Le deuxième paragraphe additionnel porte :
« Les officiers de l’intendance et du service de santé de l’armée sont compris dans le tableau pour les grades dont il jouissent par assimilation. »
Si c’est un officier de troupe, par exemple un capitaine ou un lieutenant, qui est renvoyé devant un conseil d’enquête, je pense qu’alors des militaires seuls devront figurer dans le conseil, et que ce serait uniquement dans le cas où des officiers de l’intendance militaire et du service de santé seraient attraits devant un conseil, que celui-ci devrait être composé d’officiers de ces deux administrations, si le sort en disposait ainsi, en faisant sortir de l’urne des officiers appartenant à son administration.
En conséquence, je prierai M. le rapporteur de me dire si, dans la pensée de la section centrale les officiers de l’intendance militaire et du service militaire doivent concourir au tirage au sort pour la composition d’un conseil qui concernera des officiers de troupe, ou bien si leur concours sera réservé au cas où il s’agira d’officiers de ces deux administrations.
M. Desmaisières, rapporteur. - Messieurs, la section centrale n’a pas eu l’intention de séparer entièrement les intendants et les officiers du service de santé des autres officiers de l’armée, parce qu’il peut arriver que des officiers étrangers à ces deux services soient accusés de délits relatifs à l’administration, à la comptabilité, et qu’en conséquence il n’est pas mauvais que les intendants puissent faire partie du conseil d’enquête.
Cependant, quant à moi personnellement, je ne m’opposerais pas à un amendement qui serait présenté par M. le ministre et qui tendrait à séparer les officiers de l’intendance et du service de santé des autres officiers de l’armée, en ce qui concerne la formation des conseils d’enquête, c’est-à-dire que si l’officier inculpé appartient à l’une des deux administrations dont il s’agit, le tirage au sort se ferait parmi les intendants et les officiers du service de santé ; mais, je le répète, il faudrait que le ministre présentât un amendement à cet égard.
M. Verdussen. - M. le ministre de la guerre vient de se rallier au premier paragraphe additionnel présenté par la section centrale.
Je pense aussi qu’il est utile que cette disposition soit insérée dans la loi, mais je proposerais à la chambre de la rédiger d’une autre manière.
La section centrale propose de dire que dans le cas où sept généraux de division n’existeraient pas, on pourrait nommer deux généraux de brigade.
Je ne sais pas pourquoi le nombre 2 se trouve inséré dans la disposition ; je propose de la rédiger ainsi : « S’il n’existe pas sept généraux de division, le conseil d’enquête pourra être complété par des généraux de brigade. »
- L’amendement est appuyé.
M. Desmaisières, rapporteur. - Messieurs, la pensée de la section centrale a été celle-ci : Elle a remarqué que nous n’avions maintenant que huit généraux de division, et que, par conséquent, il pourrait arriver que l’on n’eût pas assez de généraux pour former le conseil d’enquête ; et comme elle a pensé, d’un autre côté, qu’il y en aurait toujours cinq, elle a proposé que deux puissent être suppléés par des généraux de brigade. Mais encore une fois, je ne puis pas parler ici au nom de la section centrale, puisque je n’ai pu la consulter. Personnellement, je ne m’oppose pas à la rédaction proposée par M. Verdussen qui me paraît remplir plus complètement le but de la section centrale.
M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Nous sommes d’accord avec le rapporteur de la section centrale que l’article doit être interprété ainsi : que lorsqu’il s’agira de réunir un conseil d’enquête contre un officier du service de santé ou de l’intendance militaire, les officiers de ces deux corps, qui font partie d’une division de l’armée ou d’une garnison, concourront alors avec les autres officiers au tirage au sort pour la formation du conseil d’enquête. C’est dans ce sens que la disposition doit être entendue.
M. le président. - M. le ministre de la guerre se rallie-t-il à l’amendement de M. Verdussen ?
M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Oui, oui, M. le. président.
- L’art. 3 du projet de la section centrale, avec l’amendement de M. Verdussen, est mis aux voix et adopté paragraphe par paragraphe et dans son ensemble.
« Art. 4. Il sera convoqué pour les officiers-généraux ou supérieurs, par le ministre de la guerre, et pour les autres officiers, par les généraux commandant les divisions de l’armée, ou par les commandants de province. »
- Adopté.
« Art. 5 (projet de la section centrale). Il sera formé, dans chacune des divisions de l’armée et dans chaque province, une liste de tous les officiers en activité de service par grade, et dans laquelle seront désignés par la voie du sort les officiers qui devront composer les conseils d’enquête.
« Le tirage au sort aura lieu publiquement. »
M. le président. - M. le ministre de la guerre se rallie-t-il à l’art. 5, tel qu’il est proposé par la section centrale ?
M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Je réitère l’assertion que je me suis rallié à la proposition de la section centrale, qui consiste à remettre au tirage au sort la désignation du conseil d’enquête. Mais je dois déclarer en même temps que d’après la rédaction de l’article du projet du gouvernement, il n’était pas nécessaire, comme la section centrale a paru le croire, que ce fussent toujours les mêmes personnes qui composassent le conseil d’enquête par divisions de l’armée et par provinces du royaume.
Ce devait être un tableau par grades et par ancienneté de grades sur lequel on devait prendre successivement les membres du conseil d’enquête. La rédaction n’était peut-être pas assez claire. La commission a cru devoir proposer le tirage au sort, et le gouvernement se rallie à cette proposition.
- L’article 5 du projet de la section centrale, auquel le gouvernement se rallie, est mis aux voix et adopté.
« Art. 6. Une liste semblable sera dressée, au ministère de la guerre, de tous les officiers généraux et supérieurs de l’armée appelés à composer le conseil d’enquête pour les officiers-généraux et supérieurs. »
M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Par une conséquence du principe admis au précédent article, il est bien entendu que ce sera par la voie du tirage au sort que seront désignés les officiers-généraux et supérieurs appelés à composer le conseil d’enquête pour les officiers généraux et supérieurs. Peut-être serait-il nécessaire de le répéter ?
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - On pourrait dire :
« Une liste semblable sera dressée, au ministère de la guerre, de tous les officiers-généraux et supérieurs de l’armée appelés également, s’il y a lieu, par voie du tirage au sort, à composer le conseil d’enquête pour les officiers généraux et supérieurs. »
M. de Puydt. - Je ferai observer à M. le ministre des finances qu’il ne faut pas ajouter « s’il y a lieu, » parce que l’article concerne non seulement les officiers généraux, mais encore les officiers supérieurs.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - C’est pour cela qu’il est nécessaire de dire : « s’il y a lieu, » car s’il s’agit de former un conseil d’enquête pour un général de division et qu’il n’y ait que 7 généraux de division, il n’y a pas lieu au tirage au sort. Dans les autres cas, il y a lieu au tirage au sort.
M. Gendebien. - Il est évident que l’addition des mots : « s’il y a lieu, » proposée par le ministre des finances, est inutile et même dangereuse. S’il s’agit d’un conseil d’enquête et qu’il n’y ait que 7 généraux de division, un tirage au sort serait inutile et il est inutile de le dire, car ce serait une opération vaine et ridicule, et la loi ne prévoit pas des choses vaines et ridicules.
Dans les autres cas, il y aurait du danger à ajouter les mots « s’il y a lieu. » Car on pourrait en induire qu’il dépend du ministre de déclarer qu’il n’y a pas lieu au tirage au sort.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - S’il n’y a que 5 généraux de division, deux généraux de brigade doivent être tirés au sort. Dans les cas supposés par le préopinant le tirage au sort est également nécessaire,
Le préopinant dit qu’il y aurait danger à admettre l’addition des mots « s’il y a lieu. » Mais quel danger ? S’il n’y a que 7 généraux de division, le tirage au sort est inutile, et même impossible. C’est pour cela qu’on a ajouté ces mots « s’il y a lieu. » S’il y a plus de 7 généraux de division, le tirage au sort est nécessaire. S’il y en a moins, il l’est également parce que les généraux de brigade qui doivent compléter le conseil d’enquête doivent être désignés par le sort. Ainsi l’amendement de mon honorable collègue est justifié.
M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Je dois faire observer que l’article ne porte pas seulement sur les généraux de division, mais sur tous les officiers-généraux et supérieurs, et que pour tous ces officiers, sauf le général de division, lorsqu’il n’y a que 7 généraux de division, un tirage au sort est nécessaire, Par exempte, si un major est inculpé, le conseil d’enquête devra être composé d’un général de brigade, un colonel, 2 lieutenants-colonels, 3 majors. Si c’est un lieutenant-colonel, le conseil d’enquête sera composé d’un général de division, un général de brigade, 2 colonels, 3 lieutenants-colonels. Ce n’est que pour le seul général de division qu’il y a difficulté, si le nombre de généraux de ce grade qui devrait composer le conseil n’existe pas. Alors le sort désigne quels généraux de brigade doivent être adjoints aux généraux de division existants.
M. Gendebien. - Messieurs, je répéterai ce que j’ai dit, puisqu’il paraît qu’on ne veut pas me comprendre.
On veut introduire l’expression « s’il y a lieu » pour un seul cas, pour celui d’un général de division qui doit être jugé par 7 généraux de division ; or, s’il n’y a que sept généraux de division, vous dit-on, il n’y a pas lieu à tirer au sort ; donc il faut dire, pour comprendre ce cas ; « s’il y a lieu. » Mais remarquez donc que dans ce cas il n’y a pas lieu de s’occuper de la règle du tirage au sort, puisqu’il ne peut pas y avoir lieu ; il n’y a pas non plus nécessité de s’occuper de l’exception, ni de l’établir dans la loi, puisque pour le cas prévu il y a nécessité absolue de ne pas recourir à la voie du sort.
Remarquez ensuite que l’expression « s’il y a lieu » s’applique au tirage au sort en général et sans spécification du cas unique que vous voulez excepter. C’est à cette observation que je voudrais que l’on répondît ; car, tout en voulant excepter l’opération du tirage au sort, pour le cas seulement où il s’agit d’officiers généraux de division, vous mettez en doute l’opération du tirage au sort pour tous les cas prévus dans l’article. C’est-à-dire que, d’après le texte amendé, on pourrait soutenir que le tirage au sort est facultatif pour tous les cas : ce n’est pas cependant ce que vous voulez. On vient de me dire que, pour tel ou tel cas il y avait lieu à tirer au sort les généraux, les colonels, les majors. Cette observation ne répond pas à mes arguments ; car, c’est au contraire précisément parce que vous reconnaissez vous-mêmes que le tirage au sort est indispensable dans certains cas, et qu’il est impossible dans un cas déterminé, qu’il faut rejeter l’amendement du ministre des finances qui met en question précisément ce qu’on reconnaît comme de nécessité dans l’exécution de la loi. D’ailleurs, le cas des généraux de division est spécial ; il faudrait donc le prévoir dans un paragraphe séparé, l’on jugeait utile d’en faire mention ; et pour tous les autres cas, il y aurait toujours lieu au tirage au sort.
Il va sans dire que quand il n’y a que sept généraux de division, ils doivent tous siéger ; il est inutile d’en faire mention dans la loi. (Aux voix ! aux voix !)
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - C’était pour ôter toute espèce d’équivoque que j’avais proposé ces mots : « s’il y a lieu. » Je retire cette partie de l’amendement puisqu’il est bien entendu que l’article ne peut être compris que comme nous voulions l’interpréter.
- L’article 6 mis aux voix est adopté avec la rédaction suivante :
« Une liste semblable sera dressée au ministère de la guerre, de tous les officiers-généraux et supérieurs de l’armée appelés également par la voie du sort à composer le conseil d’enquête pour les officiers-généraux et supérieurs. »
« Art. 7. L’auditeur militaire remplira les fonctions de rapporteur près le conseil d’enquête de la division ou de la province.
« L’auditeur-général, ou son substitut, remplira les mêmes fonctions dans les conseils d’enquête institués pour les officiers-généraux ou supérieurs.
Le conseil chargera l’un de ses membres de faire les fonctions de secrétaire. »
M. Dumortier. - Avant de voter cet article, je voudrais qu’on mît aux voix l’art. 8 ; car si l’inculpé n’avait pas la faculté d’avoir un conseil, je combattrais cet art. 7.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Le ministre de la guerre s’est rallié à l’amendement par lequel la section centrale demande que l’inculpé ait la faculté d’avoir un conseil.
- L’art. 7 mis aux voix est adopté.
« Art. 8. Le conseil fera une enquête sur les faits qui lui seront dénoncés.
« L’officier inculpé sera interrogé.
« Les témoins produits par l’auditeur et par l’officier inculpé ainsi que ceux que le conseil croirait devoir faire comparaître seront entendus.
« L’officier inculpé pourra présenter sa défense et aura la faculté de se faire assister par un conseil.
« Le conseil d’enquête émettra un avis par scrutin secret. »
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Le ministre de la guerre ne se rallie pas au dernier paragraphe, ainsi conçu : « Le conseil d’enquête émettra un avis par scrutin secret. »
En place de ce paragraphe nous proposons celui-ci :
« Le conseil d’enquête émettra, au scrutin secret, un avis sur les faits imputés à l’officier inculpé. »
M. Gendebien. - Avant de déterminer de que fera le conseil d’enquête, il conviendrait de savoir si l’on admettra les récusations : dans toutes les législations criminelles et même dans toutes les législations civiles, excepté dans les tribunaux d’exception ou dans les commissions spéciales qui sont proscrites par notre constitution, on admet toujours les récusations.
On admet des récusations pour le conseil des mines, qui ne fait que donner des avis comme vous l’avez soutenu, et où il ne s’agit que d’intérêts matériels ; mais, dans le cas actuel, il s’agit de l’honneur, de l’existence des militaires. Il est nécessaire de compléter la loi en présentant les moyens de récusation.
J’y reviendrai plus tard si la chambre ne juge pas à propos d’y statuer dès à présent.
M. Desmaisières, rapporteur. - Messieurs, il paraît que le ministre de la guerre n’entend se rallier qu’à l’amendement présenté par la section centrale, et par lequel un conseil est accordé à l’officier inculpé, et point à l’amendement par lequel « le conseil d’enquête émettra un avis par scrutin secret.» Par ce paragraphe, la section centrale a entendu ne poser aucune limite à cet avis.
Messieurs, d’après la rédaction présentée par le ministre de la justice, le conseil d’enquête n’émettrait d’avis que sur les faits imputés à l’officier inculpé ; ainsi le conseil ne pourrait pas émettre d’avis sur la question de savoir si les faits rentrent dans la catégorie de l’article premier, c’est-à-dire si les faits sont de nature à compromettre l’honneur et la dignité de la profession des armes.
Il ne pourrait non plus émettre d’avis sur la peine. Ce n’est pas la pensée de la section centrale. Mais j’attendrai que le ministre de la guerre ait fait connaître les motifs des restrictions qu’il demande à porter à l’amendement de la section centrale, avant de soutenir cet amendement lui-même.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Voici la différence qui se trouve entre l’amendement présenté par la commission et celui présenté par le gouvernement ; et je prendrai un exemple pour rendre la différence plus sensible.
On ne peut inculper un officier que pour un fait qualifié par la loi : supposons que ce soit pour avoir émis publiquement des opinions hostiles à nos institutions monarchiques ; eh bien, ce fait doit être déclaré constant par la commission d’enquête.
Tout fait qui ne serait pas compris dans l’art. 1er ne peut donner lieu à la réforme, à la suspension ou à la perte du grade.
Le conseil d’enquête se réunit ; il entend l’accusation, les témoins, la défense ; tout est consigné dans le rapport.
La décision du conseil d’enquête est celle-ci : « Oui, l’officier a énoncé une opinion hostile à la monarchie constitutionnelle. » Mais le conseil d’enquête ne donnera pas son avis sur la question de savoir s’il y a lieu de mettre l’officier en réforme, de le suspendre ou de le priver de son grade. C’est au Roi qu’appartient le droit de suspendre, de révoquer un officier. Le conseil ne prononce pas un jugement, il émet une opinion ; c’est une sorte d’expertise à laquelle il se livre. Et je crois que la garantie pour les officiers sera complète, puisque ce ne sera que sur des faits déterminés par la loi et reconnus constants par le conseil qu’une des conséquences légales pourra leur être appliquée.
D’un autre côté, la position des officiers qui composent le conseil est plus avantageuse : ce n’est pas à eux à prononcer la peine, à appliquer les conséquences de la loi à leur compagnon d’armes. Dès lors, ils ne peuvent avoir aucune espèce de répugnance à donner leur avis.
Par ces considérations, je crois que la section centrale ne peut s’opposer à la proposition faite par le gouvernement.
M. Pollénus. - Je crois qu’il n’y a pas d’inconvénient à autoriser le conseil à s’expliquer sur les circonstances du fait, sur son caractère, puisqu’on laisse à la prérogative royale à prononcer la peine.
Un fait, selon sa gravité, peut donner lieu, soit à la suspension, soit à la perte du grade ; et nous avons cru, dans le sein de la section centrale, qu’il était convenable que le conseil s’expliquât sur la gravité du fait puisque les conséquences en sont différentes.
Le conseil n’est appelé à répondre que par oui et par non sur le fait imputé ; quel mal peut-il y avoir à ce que le conseil dise s’il trouve des circonstances atténuantes ou aggravantes ? Dès qu’il n’émet qu’une simple opinion, il ne peut y avoir aucun inconvénient à ce qu’il déclare quel est le caractère du fait.
Il nous a paru qu’un avis, pour être complet, ne devait pas se borner à la qualification de tel ou tel fait, qu’il convenait également que le conseil s’expliquât sur le plus ou moins de gravité de ces faits et des circonstances qui les ont accompagnés.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Les observations de l’honorable préopinant me font sentir la nécessité de m’expliquer d’une manière plus catégorique sur l’avis à donner par le conseil d’enquête.
Pour rendre la chose plus claire, je choisirai encore un exemple, je prendrai un des cas prévus par le n°1 de l’article 1° : Un officier est prévenu d’avoir par écrit menacé ou outragé un de ses chefs, fait qui, suivant moi, est grave et attentatoire à la subordination militaire.
Le conseil d’enquête se réunit et entend l’accusé, les témoins et la défense ; ensuite, il répond oui ou non si l’officier a commis un fait grave contraire à la subordination militaire.
Le préopinant doit être satisfait de cette explication. Il faut qu’il y ait un fait grave de nature à compromettre l’honneur et la dignité de la profession des armes ou la subordination militaire, et il faut que ce fait soit reconnu par un conseil d’enquête, par une autorité que ne récusera pas l’officier inculpé. Il ne peut donc y avoir de doute, messieurs, sur l’application de la loi dans l’esprit dans lequel vous avez entendu la voter.
Remarquez bien que ce n’est pas le ministre qui apprécie le fait et le déclare grave et de nature à compromettre et la dignité de la profession des armes. C’est le conseil d’enquête qui a cette attribution importante et délicate ; et quand il aura prononcé, quand il aura reconnu l’existence du fait imputé, le Roi sera encore libre, eu égard aux circonstances puisées dans l’enquête ou dans la conduite antérieure de l’officier ; le Roi sera encore libre, dis-je, de ne pas priver l’officier de son grade ; il pourra se borner à le suspendre ou à le mettre au traitement de réforme.
M. Desmaisières, rapporteur. - Je me vois obligé de combattre le système proposé par le ministre, par le motif qu’il faut se garder de porter la moindre atteinte à la prérogative royale, la plus belle prérogative dont jouit le Roi, je veux parler du droit de grâce.
J’ai sous les yeux un projet de loi en tout semblable à celui que nous discutons, qui a été présenté à la chambre des pairs de France en 1832, et auquel la législature de ce pays n’a pas même fait les honneurs de la discussion. Voici un passage de l’exposé des motifs de ce projet de loi :
« Une considération capitale et à laquelle la loi nouvelle ne pouvait pas se soustraire, c’est que tout prononcé des conseils d’honneur ne recevrait son exécution qu’après avoir été préalablement soumis par le ministre de la guerre à l’approbation du Roi. Là il ne s’agit ni de crimes ni de délits ; l’approbation du Roi est indispensable pour laisser au Roi, chef suprême de l’armée aux termes de la constitution, l’exercice de sa plus belle prérogative, le droit de faire grâce. C’est par son caractère de bienveillance et de protection que l’autorité royale doit se manifester. »
Telle a été l’opinion du ministre français sur les conseils d’honneur qui sont en grande partie semblables aux conseils d’enquête dont il s’agit dans la loi que nous discutons. Le gouvernement paraît même avoir emprunte les principaux articles qu’il vous propose au projet auquel la législature française n’a pas, jusqu’à présent, cru devoir faire les honneurs de la discussion.
Le ministre français pensait lui-même que ne pas accorder au conseil le droit d’émettre un avis, non seulement sur les faits, mais aussi sur les peines à appliquer, ce serait porter atteinte au droit de grâce qui est la plus belle prérogative de la royauté.
Par ces motifs je m’opposerai au système présenté par le gouvernement.
(Moniteur belge n°148, du 27 mai 1836) M. Pollénus. - Le ministre de la justice pense qu’après la déclaration sur l’existence du fait, il est inutile que le conseil d’enquête émette un avis sur les circonstances qui ont accompagne le fait ; qu’il restera toujours loisible au Roi d’examiner l’enquête et de prendre en considération la conduite antérieure de l’officier, la déclaration des témoins et les moyens de défense présentés.
Mais, messieurs, ce n’est pas chose facile que de bien juger une enquête. Je ferai un appel à toutes les personnes qui ont quelques connaissances pratiques, et je leur demanderai si ce n’est pas chose extrêmement difficile que de juger une enquête à laquelle on n’a pas assiste soi-même, d’émettre un jugement sur des dépositions de témoins qu’on n’a pas entendues.
Car peut-être un témoin s’est-il présenté devant le conseil dominé par un autre sentiment que celui de rendre hommage à la vérité. Ses hésitations ont pu trahir les pensées qu’il voulait cacher dans son cœur. Quelle que soit l’habileté du secrétaire du conseil, il ne pourra pas rendre, dans la rédaction des dépositions, ces hésitations ou telle autre conduite d’un témoin qui seraient de nature à faire suspecter la véracité de ses déclarations. Non, à mon avis, rien n’est plus difficile que de juger une enquête à laquelle on n’a pas assisté.
J’ajouterai qu’il est de l’intérêt du gouvernement de connaître l’avis du conseil d’enquête sur le fait et sur les circonstances atténuantes ou aggravantes sur la conduite antérieure du prévenu.
Qui pourrait, en effet, donner un avis sur ces points plus convenablement que ce conseil d’enquête ? Ce n’est, d’ailleurs, qu’un simple avis qui ne lie pas le gouvernement, et d’un autre côté, le droit qu’on veut attribuer au Roi d’apprécier les circonstances est inexécutable.
Je crois que ce sont ceux devant qui l’enquête a eu lieu, qui sont dans le cas de juger l’enquête elle-même ; sans cela il n’est pas nécessaire d’avoir un conseil, il suffit de constater le fait, et pour cela il ne faut pas de conseil délibérant.
Une fois le fait déclaré constant, vous dit le ministre, le conseil d’enquête n’a plus rien à faire. Et il vous a cité un cas rentrant dans le n°1°, celui où un officier adresserait un écrit menaçant à un supérieur. Eh bien, les circonstances qui accompagnent les faits de cette nature, ordinairement ne sont pas les mêmes et varient même à l’infini.
Par exemple, la personne inculpée peut n’avoir qu’un faible degré d’instruction qui ne lui permette guère d’apprécier la portée de ses expressions ; elle peut être d’un caractère faible et avoir été entraînée ; d’un autre côté, la personne à qui s’adressait l’écrit, peut avoir puisé des faits qui, s’ils ne justifient pas l’écrit, seraient de nature à en atténue la culpabilité ; il peut y avoir plusieurs autres circonstances qu’il serait trop long d’énumérer. Car, dans toutes les affaires criminelles, quelque atroces qu’elles soient, on rencontre souvent des circonstances qui sont de nature à en atténuer l’immoralité. Ai-je besoin de prouver ceci au ministre de la justice ! Ne voyons-nous pas, non seulement pour des faits d’insubordination, mais pour les crimes les plus révoltants, le droit de grâce exercé à l’approbation de tout le monde ?
Il peut donc se présenter des circonstances telles qu’il est impossible de les prévoir. C’est au conseil d’enquête qu’il appartient de donner un avis sur ces circonstances. Lui seul présente des garanties réelles, et ces garanties sont toutes à l’avantage du gouvernement ; car le conseil, en pesant les circonstances qui accompagnent les faits qui lui sont déférés, prémunit le gouvernement contre des errements. Le gouvernement doit donc désirer que l’avis soit aussi complet que possible. Son intérêt bien entendu doit lui commander de ne pas assumer une trop grande responsabilité.
L’on veut attribuer quelque effet à ce conseil d’enquête, il faut qu’il soit appelé à prononcer sur le degré de gravité des faits et sur les circonstances, sans cela il ne peut répondre au but avoué de sois institution.
Je n’en dirai pas davantage, je crois que le rapporteur a suffisamment justifié les propositions de la section centrale.
M. le ministre de la guerre (M. Evain). - J’ai demandé la parole pour ajouter quelques développements aux documents que le rapporteur de la section centrale vient de faire connaître relativement à la marche qu’a suivie en France la discussion des lois que nous proposons.
En 1832, le gouvernement français proposa à la chambre des députés une loi sur l’état des officiers, et à la chambre des pairs une loi relative à la formation, dans les corps et dans les divisions, de jurys d’honneur chargés de prononcer la privation ou la suspension des grades. La loi sur les jurys d’honneur ne fut pas mise immédiatement en discussion, parce que le gouvernement s’occupait d’un règlement de discipline militaire et qu’on trouva que les dispositions de la loi sur les jurys d’honneur pouvaient y être placées, et l’on pensa aussi que la nouvelle rédaction et les modifications qu’avait reçues la loi sur l’état des officiers, permettaient de faire une loi complète au moyen du règlement de discipline militaire.
Le règlement de discipline militaire a paru le 3 novembre 1833. Le titre X contient toutes les dispositions relatives au jury d’honneur qui est devenu le conseil d’enquête ; il remplit le même but que la loi proposée à la chambre des pairs. Lorsqu’au mois de mai fut adoptée la loi dont il a été si souvent question dans nos discussions, l’on trouva que le règlement ne contenait pas toutes les dispositions que le nouvel état de l’officier rendait nécessaires. C’est pourquoi l’art. 13 fut rédigé de la manière suivante. Il y fut dit que les conseils d’enquête seraient composés d’après les dispositions qui seraient prises ultérieurement par un règlement d’administration publique. Il s’en est suivi la nécessité d’ajourner l’exécution du titre X du conseil d’enquête pour la discipline militaire qui avait été inséré dans le règlement du service intérieur des troupes et de la discipline. On s’occupe en ce moment de faire un règlement d’administration dans le sens de la loi du 19 mai 1834.
Je voulais démontrer que si la chambre des pairs n’avait pas donné suite à la composition des jurys d’honneur, c’est qu’un règlement d’administration publique en avait pris l’initiative, et que l’exécution en avait été arrêtée par la discussion de la loi à intervenir sur la position de l’officier.
M. Legrelle. - Puisque le rapporteur de la section ainsi qu’un autre honorable préopinant ont cru devoir combattre l’opinion de M. le ministre, je déclare à l’assemblée que dans la section centrale il n’a été nullement question d’autre avis que d’un avis sur les faits. C’est dans ce sens du moins que je l’ai toujours compris. Si je me trompe, je demande que l’on me fasse connaître mon erreur.
Le deuxième paragraphe de l’art. 8 porte :
« Le conseil forme une enquête sur les faits qui lui sont dénoncés.
« Le conseil d’enquête émettra un avis par scrutin secret. »
Sur quoi ? évidemment ce ne peut être que sur les faits qui ont eu lieu. Il est évident que le dernier paragraphe ajouté par la section centrale n’est que le corollaire du premier paragraphe proposé par le gouvernement. Je ne sache pas cependant que dans la section centrale il ait été question d’avis conforme comme le voudrait M. Pollénus, ni d’avis sur la peine comme le demande M. le rapporteur de la section centrale. Ce sont là des objets dont nous ne nous sommes point occupés. Ce qu’il ya de sûr, c’est que si l’on s’en était occupé, je m’y serais opposé dans le même but que M. le ministre.
Pour ma part, il me semble que les faits seuls peuvent être l’objet des investigations de la commission d’enquête.
Si l’on conteste ce que j’avance sur ce qui s’est passé dans la section centrale, j’en appellerai au témoignage de l’honorable M. Raikem pour savoir s’il a été question d’autre chose que de l’ensemble des faits.
M. Liedts. - La mémoire de l’honorable M. Legrelle le sert fort mal. S’il en veut la preuve, il n’a qu’à lire l’article 10 que porte : « L’avis du conseil d’enquête ne peut être modifié qu’en faveur de l’inculpé. » Cela suppose que le conseil émet son avis sur la pénalité. L’on ne pourrait jamais modifier les faits en faveur de l’accusé s’il n’était question que d’émettre un avis sur les faits. L’on a donc pensé qu’il fallait que l’avis eût lieu sur les circonstances comme sur les pénalités, ainsi que sur les faits en eux-mêmes.
Il y a un motif déterminant pour en agir ainsi.
Par exempte l’on prononce la perte du grade pour manifestation publique d’opinions hostiles à la monarchie constitutionnelle. L’on produit les témoins de part et d’autre : il se trouve que tel officier, tel jour ou tel lieu, a manifesté des opinions contraires à la monarchie constitutionnelle. Mais les membres du conseil d’enquête qui ont entendu les témoins peuvent seuls apprécier si la manifestation a eu lieu dans un but assez hostile, si je puis m’exprimer ainsi, pour qu’elle puisse entraîner la perte du grade. Si vous ne permettez pas que le conseil d’enquête puisse apprécier les dépositions des témoins, émettre son avis sur les peines que peuvent mériter les faits constatés, il en résultera que l’on pourra adresser au gouvernement le même reproche que l’on a adressé aux cours d’appel en matière de police correctionnelle, lorsqu’elles statuent sur de simples notes écrites. M. le ministre de la justice a signalé lui-même, dans le temps, l’inconvénient qu’il y avait de réformer un jugement de première instance, alors que l’on ne pouvait entendre les témoins qui avaient déposé devant le premier juge.
Il convient donc que le conseil émette un avis sur les faits et sur les circonstances atténuantes. C’est le seul moyen d’éclairer la religion du gouvernement.
M. Desmaisières, rapporteur. - Il est réellement étonnant qu’un membre de la section conteste soit venu en quelque sorte s’inscrire en faux contre les assertions que j’avais émises en qualité de rapporteur, surtout lorsque ce même membre n’a assisté qu’à une seule de ses réunions, et encore n’est-ce que par hasard.
La chambre n’aura pas oublié, en effet, que je suis également rapporteur de la loi sur le transit. Le lendemain du jour où nous avons pris nos vacances de Pâques, l’honorable M. Legrelle, qui faisait en même temps partie de la section centrale de la loi sur le transit, pria le président de faire colloquer cette section centrale à 11 heures, et comme la section centrale des lois militaires avait lieu à midi, il s’est trouve que M. Legrelle a pu s’y rendre. C’est donc, comme je le disais, par un pur effet du hasard que M. Legrelle a assisté à une seule de nos réunions.
Revenant à la question qu’il a traitée, je lui ferai remarquer comme l’a déjà fait l’honorable M. Liedts, que s’il avait lu tous les amendements proposés par la section centrale et en particulier l’art. 10, il aurait vu que l’intention de la section centrale a toujours été que le conseil d’enquête ne se bornât pas à un simple exposé des faits, mais se prononçât sur la pénalité. Cet amendement avait été adopté par suite des observations de la sixième section dont j’avais l’honneur de faire partie. L’honorable M. Legrelle n’appartenait pas à cette section ; il ne pouvait donc savoir quels avaient été les motifs de cette section en proposant cet amendement.
Puisque j’ai la parole, j’ajouterai encore quelques considérations à ce que j’ai dit tout à l’heure. J’ai dit que le système du ministre me semble entraver l’exercice libre de la plus belle prérogative de la couronne, celle du droit de grâce ; car vous conviendrez avec moi qu’il ne faut pas faire descendre la royauté au simple rôle de juge. Si le système du gouvernement était adopté, le Roi serait constitué le juge des officiers. En agissant ainsi, au lieu d’augmenter le sentiment d’affection qui règne dans toute l’armée pour la personne sacrée du Roi, vous arriveriez à un but tout contraire.
Comme la question de récusation a été soulevée par l’honorable préopinant, je crois devoir faire connaître à la chambre un article qui se trouve dans le projet de loi présenté par le ministère français.
C’est l’art. 7 ; il est ainsi conçu :
« Ne pourront être membres des conseils d’honneur, les commandants du corps auquel appartiendra l’officier inculpé, les officiers de l’escadron ou de la compagnie dont il fera partie, ses parents ou alliés à l’un des degrés prohibés par la loi. »
Je ne sais si cet article a été maintenu par le règlement de discipline. Je désirerais que M. le ministre de la guerre voulût bien me le faire connaître.
M. Legrelle. - Il est facile, avec des assertions inexactes, de présenter les faits sous un jour favorable à l’opinion que l’on défend.
Si jamais assertion a été inexacte, c’est bien celle de l’honorable préopinant. Non seulement j’ai assisté à plus d’une séance de la section centrale, mais je crois que j’ai assisté à toutes les séances ; malgré les nombreux travaux que mes fonctions administratives m’imposent chez moi, j’ai quitté trois jours différents la ville d’Anvers, pour prendre part en section centrale à l’examen de lois dont je reconnaissais toute l’importance.
Je me rappelle parfaitement que les discussions des sections centrales de la loi sur le transit et des lois militaires se sont prolongées après la séparation de la chambre, et que nous avons consacré deux jours de nos vacances à les terminer.
Je n’ai pas manqué une seule séance ; c’est la mémoire de l’honorable préopinant qui l’a très mal servi. C’est une assertion gratuite qu’il a faite, pour ne rien dire de plus. (Signes de dénégation de la part de M. Desmaisières.) Si l’on en doute, j’appellerai à l’appui de mon assertion le témoignage de deux honorables officiers-généraux avec lesquels j’ai fait le trajet de Malines à Bruxelles. (Hilarité générale.)
C’est qu’il est très désagréable, messieurs, de se voir combattre par des armes mensongères dans les faits, mais point dans l’intention.
Je suis fâché de ne point voir dans le dernier paragraphe de l’art. 10 ce que l’honorable M. Liedts y a vu à l’appui de son opinion.
M. Liedts a dit que le paragraphe qui parle de l’avis à émettre par le conseil d’enquête prouve qu’il a été question de plus que d’un avis sur les faits ; je ne saurais partager l’opinion de l’honorable membre : je le répète, je n’ai jamais entendu parler dans le sein de la section centrale d’un avis à émettre par le conseil d’enquête sur autre chose que sur les faits. S’il a été question d’un avis sur la peine à infliger, pourquoi le rapport n’en fait-il pas mention ? Car ce serait là un changement de la plus haute importance, ce serait constituer le conseil d’enquête en véritable tribunal, ce serait admettre un système tout à fait nouveau, et, si telle avait été l’intention de la section centrale, le rapport n’aurait certes pas gardé le silence à cet égard, et l’honorable M. Desmaisières, qui s’est étendu sur des articles moins importants, aurait, sans aucun doute, fait valoir les motifs qui auraient engagé la section centrale à introduire dans la loi une modification d’une semblable portée. Je persiste donc à soutenir que l’opinion que vient de développer l’honorable rapporteur doit être regardée comme une opinion purement personnelle.
M. Desmaisières, rapporteur. - Je déclare solennellement et je suis prêt à faire le serment que M. Legrelle n’a pas assisté à toutes les séances de la section centrale.
M. Legrelle. - Vous avez dit tout à que je n’avais assisté qu’à une seule séance ; et, à cet égard, je vous donne un démenti formel.
M. F. de Mérode. - Il ne s’agit pas ici de procédure criminelle comme dans les causes qui entraînent une pénalité et qui sont jugées par un jury ordinaire. Il s’agit seulement de la privation d’un avantage et d’un rang que l’officier s’est mis dans le cas de perdre, privation que le congrès national n’a pas jugé devoir être le résultat d’un jugement.
En assimilant l’avis relatif à la perte du grade militaire à la décision qui condamne ou absout un criminel, nous tomberions dans une confusion que le congrès a eu le plus grand soin d’éviter, c’est en effet cette confusion qui portait hier M. Dumortier à vous dire que le parricide, traduit devant un tribunal, avait plus de garanties que l’officier traduit devant un conseil d’enquête.
Je vous le demande, le congrès national aurait-il refusé d’admettre pour l’officier le droit de n’être passible de la perte du grade que par un jugement, s’il y avait eu le moindre rapport entre la procédure criminelle et l’enquête dont il s’agit ici ? Messieurs, la confusion serait par trop grossière ; elle nous entraînerait hors de la sphère où nous devons nous renfermer dans la discussion d’une loi qui n’est pas criminelle, mais purement et exclusivement militaire.
M. Dumortier. - Messieurs, je commencerai par répondre quelques mots à ce que vient de dire l’honorable préopinant qui a parlé avant moi. Oui, j’ai dit hier, et je le répète, que la loi, telle qu’elle nous a été présentée par le gouvernement, est plus sévère envers l’officier de l’armée qui aurait commis la plus petite faute qu’envers le parricide, qu’envers le monstre qui a assassiné l’auteur de ses jours ; je l’ai dit, je le répète et je le prouve, car il est incontestable que le projet de loi ne voulait pas même que l’officier inculpé pût s’adjoindre un simple défenseur ; tandis qu’il exigeait que l’auditeur militaire l’accusât, il ne laissait au prévenu que la faculté de présenter lui-même sa défense. Ce projet voulait que les chefs de corps formassent eux-mêmes le jury sans avoir de règle fixe à cet égard ; en un mot il refusait au militaire traduit devant ce qu’on appelle le conseil d’enquête, toutes les garanties qui environnent toujours un accusé.
On a beau venir prétendre ici qu’il ne s’agit pas d’un jugement ; on a beau vouloir dénaturer les faits, il n’en est pas moins vrai que le conseil d’enquête sera un véritable jury militaire et que ce seront bien des jugements qu’il rendra ; or, du moment qu’il s’agit d’un jugement, il faut de toutes les formalités qui protègent toujours celui qui est accusé, même du plus grand crime.
Je le répète, ce qu’on appelle ici un conseil d’enquête n’est rien autre chose qu’un jury militaire pour des cas particuliers. Il est vrai, mais toujours un véritable jury ; et, je le demande, n’est-il pas dans la nature de tout jury de faire connaître ces circonstances atténuantes qui peuvent avoir accompagné le fait pour lequel il a condamné un prévenu ? n’est-il pas dans la nature de tout jury d’appeler la clémence royale sur le coupable qu’il en croit digne, quoique la loi l’ait forcé à sévir contre lui ? On n’a jamais refusé cela à aucun coupable, quelque énorme que fût son crime, et si vous le refusez aux militaires, vous les traiterez avec plus de rigueur que les parricides.
Ce que je viens de dire suffit, messieurs, pour démontrer que vous devez absolument admettre les explications de M. Desmaisières sur le sens du projet de la section centrale, et il est en effet hors de doute que lorsque cette section propose de dire : « Le conseil d’enquête émettra un avis par scrutin secret, » elle entend parler d’un avis relatif à l’application de la peine aussi bien qu’au fait lui-même ; si quelqu’un pouvait en douter, il suffirait, pour s’en assurer, qu’il lise l’article 10 ainsi conçu :
« Le Roi décidera sur le rapport du ministre de la guerre. Il pourra prononcer la perte ou la suspension du grade suivant la gravité des cas.
« Les arrêtés portant le retrait ou la suspension des grades seront motivés. »
Et auquel la section centrale propose d’ajouter : « Les avis du conseil d’enquête ne pourront être modifiés qu’en faveur de l’accusé. »
Qui est-ce, messieurs, qui estimera la gravité des cas, si ce n’est le conseil d’enquête lui-même ? Il devra donc donner un avis, non seulement sur le cas lui-même, mais aussi sur les circonstances qui l’accompagnent et qui seront de nature à en augmenter ou à en diminuer la gravité ? Voilà, messieurs, ce qui résulte de l’article 10, et je crois que cela suffit pour vous déterminer à adopter le système développé par M. Desmaisières.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Je ne répondrai pas, messieurs, à ce qu’a dit l’honorable préopinant, que le gouvernement voulait former des commissions d’une manière arbitraire, alors que M. le ministre de la guerre a déclaré formellement, que les officiers qui doivent composer les conseils d’enquête auraient, suivant son projet, été choisis d’après le rang d’ancienneté ; je dirai seulement que c’est avec beaucoup de légèreté que l’honorable préopinant a supposé que le gouvernement voulait empêcher les officiers de présenter leur défense, lorsque l’art. 8 contient une disposition formelle qui leur en assure le droit.
M. Dumortier. - Je demande la parole.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Ainsi, suivant le projet du gouvernement, les juges sont appelés d’après un ordre déterminé, et l’inculpé a le droit de présenter sa défense ; l’auditeur militaire ne peut pas non plus remplir les fonctions d’accusateur public, il est seulement appelé à résumer les faits.
Je viens à la disposition en discussion. Faut-il, comme le prétend l’honorable M. Desmaisières, que le conseil d’enquête propose au Roi d’appliquer la perte du grade, la suspension, la mise au traitement de réforme, ou bien doit-il seulement être appelé à constater le fait qui peut donner lieu à leur application par le gouvernement ? Je n’hésite pas à déclarer que le gouvernement doit demeurer libre, ou de ne faire aucun usage du droit que la loi lui accorde, ou d’en fixer d’une manière plus ou moins sévère, selon qu’il le jugera convenable pourvu que les faits soient dûment constatés.
Remarquez, messieurs, que les faits dont il s’agit sont parfaitement déterminés. Le conseil d’enquête sera appelé, suivant l’article 1er, à déclarer si l’officier inculpé est l’auteur de faits graves, qui sont de nature à compromettre l’honneur et la dignité de la profession des armes ou la subordination militaire ; nous voulons une déclaration bien circonstanciée : si l’officier est l’auteur de faits graves qui sont de nature à compromettre l’honneur et la dignité de la profession des armes ou la subordination militaire, si l’officier a émis une opinion hostile à la monarchie constitutionnelle, aux institutions fondamentales de l’Etat, aux libertés garanties par la constitution, s’il a commis une offense à la personne du Roi.
Il faut que tous les faits soient bien caractérisés dans la déclaration à émettre par le conseil d’enquête ; mais cette déclaration ayant bien caractérisé les faits, c’est au gouvernement qu’il appartient, suivant ce que pourra exiger le maintien de la discipline dans l’armée, de faire ou de ne pas faire l’application d’une des dispositions de la loi, et il serait contraire à tous les principes d’appeler le conseil d’enquête lui-même à faire des propositions relatives à la punition à infliger ; ce conseil doit se borner à constater et à qualifier les faits, et les faits étant constatés et qualifiés, le gouvernement doit voir s’il y a lieu, ou non, à appliquer les dispositions de la loi. D’après ces considérations, je crois, messieurs, que vous n’hésiterez pas à adopter la proposition telle que le gouvernement l’a présentée en dernier lieu.
Remarquez, messieurs, que le gouvernement a été au-delà de la proposition de la section centrale en ce qui concerne les dispositions atténuantes qu’on réclamait dans la loi, puisqu’il peut se borner à mettre au traitement de réforme l’officier inculpé, dans les cas où la suspension ou la perte du grade serait jugée trop sévère, à cause de circonstances particulières que l’enquête aurait établies. J’insiste donc, messieurs, pour que vous adoptiez la proposition telle qu’elle vous est soumise par le gouvernement.
M. Dumortier. - Je n’aime pas que l’on change mes paroles. L’honorable préopinant me fait dire que c’est avec légèreté que j’ai dit que l’officier inculpé ne peut présenter sa défense. A mon tour je pense que c’est avec beaucoup de légèreté que l’honorable préopinant me prête de semblables paroles. Je n’ai pas dit que l’officier ne pouvait présenter sa défense ; mais j’ai dit, et c’est ce qui résulte du texte de la loi, qu’il ne pouvait se faire aider d’un défenseur, tandis que l’on avait stipulé que l’auditeur devait être là pour accuser l’officier. (Dénégations au banc des ministres.)
L’auditeur militaire remplira les fonctions de rapporteur.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - De rapporteur !
M. Dumortier. - C’est comme qui dirait les fonctions du ministère public. C’est l’expression dont se servent toujours les conseils de guerre et la haute cour militaire. L’auditeur militaire présentera son rapport sur les faits, c’est-à-dire accusera l’officier inculpé. C’est l’expression sacramentelle ; M. le ministre de la justice lui-même a entendu le paragraphe dans ce sens,
J’arrive à la loi en elle-même. C’est, dit M. le ministre de l’intérieur, au gouvernement à faire l’application de la disposition qui nous occupe. Il faut nous entendre : Si le gouvernement ne fait qu’appliquer les résolutions du jury, nous sommes d’accord. Les jugements, dit la constitution, s’exécutent an nom du Roi. Mais si M. le ministre entend que c’est le gouvernement qui fera le jugement, nous ne sommes plus d’accord. La constitution est formelle à cet égard. Comme je l’ai dit dans une séance précédente, le congrès a bien entendu que les officiers ne pourraient être privés de leurs grades qu’en vertu d’un jugement.
Et l’honorable auteur de la proposition, et les membres qui l’ont appuyée ou combattue au congrès, ont tous entendu que le gouvernement ne pouvait priver les officiers de leurs grades qu’en vertu d’un jugement.
Je vais vous donner lecture de l’analyse des discours prononcés à cette occasion, et vous y verrez la preuve de ce que j’avance.
(M. Dumortier donne lecture du compte-rendu de la séance du congrès où fut discuté l’article de la constitution auquel il fait allusion.)
Il résulte de la lecture que je viens de vous faire, messieurs, que tous les membres qui ont pris part à cette discussion entendaient bien qu’il fallait un jugement pour faire perdre son grade à l’officier. Si le mot jugement n’a pas été inséré dans la constitution, c’est que l’on a fait observer judicieusement que l’on pouvait sentir la nécessité de réduire le taux des pensions ou de diminuer l’effectif de l’armée, que ces deux objets ne pouvant se régler que par des lois, il était dangereux d’introduire le mot « jugement » qui ne permettrait pas de prévoir ces deux cas. L’auteur même de la proposition, appréciant la justesse de ces observations, s’était rallié à la rédaction qui comprenait toutes ces éventualités.
Mais, dans toute cette discussion, est-il jamais venu à l’idée de personne de donner au gouvernement le droit de dépouiller, sans jugement, l’officier de ses pensions et honneurs ? En aucune manière, Il faut bien le reconnaître la constitution établit un droit en faveur des militaires, et nullement le pouvoir, pour le gouvernement, de les révoquer de leur grade.
Le texte de la loi fondamentale était clair. On y lisait :
« Le Roi dispose des forces de terre et de mer ; il nomme les officiers de tout grade et les révoque avec pension, s’il y a lieu. »
Il est impossible d’imaginer rien de plus clair et de plus précis. Que dit au contraire notre constitution ?
« Les militaires ne peuvent être privés de leurs grades, honneurs et pensions que de la manière déterminée par la loi. »
Selon MM. les ministres, les deux textes n’en font qu’un ; ils signifient la même chose.
Il y a plus : dans l’article de la constitution qui règle les limites de la prérogative royale, on y lit :
« Le Roi confère les grades dans l’armée. »
Mais on s’est bien gardé de dire qu’il les révoque. La loi fondamentale plaçait les officiers sous la volonté royale. C’est ce système que l’on voudrait faire prévaloir aujourd’hui.
Je déclare que, si un pareil système était admis, je le regarderais comme une violation flagrante de la constitution. Je défie tout homme de bonne foi de trouver, dans l’exposé des discussions du congrès, autre chose que cette pensée qui les a dominées. Les officiers ne peuvent être privés de leurs grades et pensions qu’en vertu d’un jugement, hors le cas où il y aura lieu à réduire l’armée ou à diminuer le chiffre des pensions.
Nous devons donc faire, des conseils d’enquête, de véritables jurys militaires. Puisque nous avons voulu laisser du vague dans l’art. 1er, au moins admettons des garanties en faveur de l’inculpé dans l’article qui nous occupe. Puisque vous avez voulu que tous les faits non prévus par les règlements fussent punis de la perte du grade, admettez, je le répète, des garanties en faveur de l’inculpé.
Il est deux garanties indispensables, selon moi, outre celles qu’a demandées la section centrale.
La première, c’est que le conseil d’enquête stipule quelle est la peine dont il croit que l’officier inculpé doit être frappé. Autrement l’article que nous avons voté, et par lequel le gouvernement ne peut moduler l’avis du conseil qu’en faveur de l’inculpé, est complètement inutile, Si le conseil n’a à répondre qu’à cette seule question : « L’inculpé est-il coupable ? » et qu’il réponde : « Oui, » le gouvernement ne peut pas venir dire : « Non, l’accusé n’est pas coupable. » Ce n’est pas là modifier un avis. L’avis du conseil sur la culpabilité, ne pouvant être modifié par le gouvernement, il est donc nécessaire, pour que l’article que nous avons voté signifie quelque chose, que le conseil donne son avis sur la pénalité.
Il est une autre garantie indispensables selon moi, c’est celle que l’on exige de tous les tribunaux en fait de pénalités, c’est qu’il y ait une majorité plus forte que la majorité ordinaire. Je demande donc que le jury composé de 7 membres ne puisse prendre de décision défavorable à l’accusé qu’à la majorité de 5 voix. Il faut que vous admettiez en faveur de l’inculpé militaire les mêmes garanties qu’en faveur de l’inculpé civil, autrement vous auriez deux poids et deux mesures.
Si vous admettiez la simple majorité pour prononcer la culpabilité, il en résulterait que, comme vous ne parlez pas de récusations dans la loi, le conseil d’enquête pourrait se trouver quelquefois composé de personnes hostiles à l’inculpé. Il se trouvera en présence de supérieurs pour la plupart mal disposés contre un subordonné accusé d’insubordination. Il est fâcheux que l’on ne compose pas le conseil d’enquête pour la moitié des pairs de l’inculpé. Pour ma part, je voudrais que le conseil d’enquête chargé de juger un sous-lieutenant fut composé pour la moitié de sous-lieutenants, et ainsi de suite en observant la même proportion ; mais si dans la composition actuelle du conseil d’enquête, telle qu’elle est proposée dans le tableau annexé à la loi, vous admettez que la simple majorité suffira pour que l’avis soit défavorable à l’inculpé, vous allez commettre un abus criant, et de plus une absurdité.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Je ne conçois pas comment l’honorable préopinant peut soutenir que le congrès n’a jamais eu en vue, dans l’objet qui nous occupe, que la perte des grades et pensions militaires, en vertu de jugements, alors que cette proposition a été soumise deux fois aux discussions et à l’épreuve de la discussion publique, et que chaque fois elle a été repoussée.
Une des sections avait proposé de dire : « En vertu d’un jugement. » Voici ce que porte le rapport de la section centrale du congrès :
« La section centrale a été d’avis qu’une pareille disposition pourrait être contraire à la discipline militaire et favoriser l’insubordination. »
Maintenant, messieurs, la même proposition qui avait été faite dans une des sections fut reproduite dans la discussion publique par M. Tiecken de Terhove, qui demandait également que les militaires ne pussent être privés que par un jugement de leurs grades, honneurs et pensions. Cette disposition n’a pas été adoptée par le congrès. Le congrès s’est borné à décréter qu’ils ne pourraient en être privés que de la manière déterminée par la loi. Qu’avons-nous donc à faire aujourd’hui, pour rester fidèles au texte de la constitution ? C’est de déterminer la manière dont les militaires pourront être privés de leurs grades. Or, quelle est cette manière ? C’est d’établir un conseil d’enquête composé de militaires, et de charger ce conseil de constater les faits qui d’après la loi sont de nature à amener la perte ou la suspension du grade, et qu’ensuite le gouvernement fasse l’application de la loi. Voilà ce qu’on doit faire pour être fidèle à la lettre et à l’esprit de la constitution.
Le congrès n’a pas voulu de jugement ; il fallait bien prendre un intermédiaire entre le jugement et l’absence de toute garantie. Cet intermédiaire se trouve dans la loi que nous vous présentons. Si nous établissions qu’il y aura jugement, nous dévierions du texte et de l’esprit de notre constitution. Il est dont impossible, pour être conséquent avec le congrès, de s’écarter des propositions du gouvernement quant à cet article.
M. Raikem. - Comme mon nom a été cité dans cette discussion, je crois devoir présenter quelques observations sur la disposition proposée par la section centrale et sur celle que viens de présenter le gouvernement pour remplacer l’amendement de la section centrale.
Je commencerai par dire qu’il me serait impossible de dire quels sont les membres qui ont assisté à toutes les séances de la section centrale, quand on a discuté ce projet, et ceux qui n’ont assisté qu’à une partie de ces séances. Ma mémoire ne peut pas s’étendre jusqu’à retenir ces particularités, dont je crois qu’il était inutile de faire mention dans cette assemblée
D’un autre côté, on a demandé une explication sur le sens des propositions de la section centrale. Le conseil d’enquête, par l’amendement de la section centrale, émettra un avis par scrutin secret. Cette disposition est assez générale. Mais un autre article porte que les avis du conseil d’enquête ne pourront être modifiés qu’en faveur de l’inculpé. Est-ce seulement sur le fait que porte cet avis, ou bien portera-t-il aussi sur la perte du grade ou la suspension ? C’est ce que nous n’avons pas à examiner. Il me semble que la question qui se présente est celle de savoir quelle est la meilleure des dispositions proposées, de celle de la section centrale ou de celle du gouvernement. Car dans une section centrale chacun sait qu’on n’entend se lier en aucune manière ; on adopte la proposition qui paraît la meilleure ; chaque membre apporte de la meilleure foi possible ses lumières dans les discussions de la section centrale ; mais si par la suite une disposition est présentée qui remplit mieux l’objet qu’on s’était proposé, qui paraît préférable, ce n’est pas une raison, parce qu’on a fait partie de la section centrale, pour qu’on ne puisse pas abandonner ses propositions et se rallier très loyalement à celles qui paraissent meilleures.
Je pense donc que toute discussion à cet égard est inutile. Ce que nous devons faire, c’est de discuter les propositions en elles-mêmes, et non telle ou telle particularité qui se rattacherait à ces dispositions.
Je ne crois pas devoir m’arrêter à la question de constitutionnalité ; on a déjà tant de fois répété l’opinion que viens d’émettre l’honorable préopinant qu’il serait inutile d’y revenir.
On a rappelé le rapport de la section centrale et tout ce qui s’est passé au congrès, et se fondant sur une partie d’un discours contre un amendement, on tire la conséquence que « jugement » et « la manière déterminée par la loi » sont synonymes.
Il suffit de se rappeler ce qu’a dit M. Tiecken de Terhove quand il a renouvelé sa proposition au congrès, pour être persuadé que les expressions de son amendement et celles qui ont été insérées dans la constitution n’ont pas la même portée.
Que réclamait M. Tiecken de Terhove ? La même garantie pour les officiers que pour les juges. Il disait, en soutenant son amendement, que c’était à tort que la section centrale l’avait considéré comme contraire à la discipline et comme favorisant l’insubordination.
Pour savoir si c’est à tort que la section centrale du congrès a énoncé cette opinion, c’est l’expérience qu’il faut consulter. Eh bien, de l’expérience faite, résulte-t-il que la proposition de M. Tiecken est de nature à favoriser l’insubordination, à compromettre la discipline ? Ce sont ceux qui ont l’expérience de l’état militaire qui peuvent plus sainement en juger. Quant à moi, étranger à l’état militaire, je ne puis prononcer à cet égard.
Mais vous avez remarqué que M. Tiecken de Terhove demandait la même garantie pour les officiers que pour les juges.
Que porte la constitution à l’égard des juges ?
« Les juges sont nommés à vie.
« Aucun juge ne peut être privé de sa place, ni suspendu que par un jugement. »
Si donc on avait voulu accorder la même garantie aux officiers, on l’aurait proclamé dans la constitution, ainsi que proposait de le faire M. Tiecken de Terhove. Mais on a substitué à son amendement la disposition suivante :
« Les militaires ne peuvent être privés de leurs grades, honneurs et pensions que de la manière déterminée par la loi. » C’est-à-dire que le chef de l’Etat ne pourra priver les militaires de leurs grades, honneurs et pensions qu’autant que la loi aura déterminé la manière dont ils peuvent en être privés.
Ainsi le pouvoir constituant s’en est entièrement rapporté à la loi, et n’a pas exigé l’intervention du pouvoir judiciaire.
Il est évident que rien ne peut gêner en aucune manière le pouvoir législatif.
Je puis dès lors voir quelle disposition il convient d’adopter, ou de la proposition de la section centrale ou de celle du gouvernement.
Messieurs, un des honorables préopinants vous a dit que c’était une chose difficile à juger qu’une enquête, pour ceux qui n’y avaient pas assisté ; il veut que l’avis porte sur les circonstances aggravantes et sur les circonstances atténuantes. Mais jusqu’ici il ne s’agit que des faits, et je conçois fort bien qu’on ne peut pas juger du mérite d’une enquête quand on n’y a pas assisté, que ceux qui ont entendu sont mieux à même d’apprécier les dépositions que ceux qui ne les connaissent que par la lecture.
Mais cela ne touche en rien la question de la perte du grade, ou de la suspension qui pourra être prononcée contre l’officier à l’égard duquel des faits auraient été déclarés constants.
Un honorable préopinant a assimilé le conseil d’enquête à un jury.
Et en cela, il a eu assez de raison ; seulement il a tiré des conséquences qui ne peuvent pas s’appliquer à un jury. De quoi est juge un jury ? du fait. Ce n’est pas au jury à interpréter la loi ni à déterminer la peine à appliquer. L’honorable préopinant a dit aussi que le jury devait déclarer l’existence de circonstances atténuantes. Je sais que cela peut avoir lieu en France, parce qu’une loi l’a ainsi établie ; mais ici, un jury ne peut pas s’expliquer sur les circonstances atténuantes, et il ne peut le faire sur les circonstances aggravantes que pour autant qu’il doive en résulter une modification de la peine à appliquer.
Le même honorable membre a dit que le jury pouvait recommander à la clémence royale. J’ai lu le code d’instruction criminelle et je n’y ai rien vu de semblable.
De ce qu’a dit cet honorable membre, rien ne s’appliquant à la question, que trouverons-nous qu’a à faire le conseil d’enquête ? s’expliquer sur tel ou tel fait, dire si tel ou tel fait existe ou n’existe pas. Il me semble qu’une telle disposition suffit pour donner toute garantie aux officiers qui pourraient être inculpés. Car remarquez que le jury s’explique non seulement sur le fait, mais sur la moralité du fait. Ainsi il n’apprécie pas seulement le fait matériel, mais aussi la moralité de ce fait. C’est ce que devra faire le conseil d’enquête.
Ainsi, si l’on en vient à la disposition du n°1° de l’art. 1er, le conseil d’enquête se demandera si l’inculpé a commis un fait grave de nature à compromettre l’honneur et la dignité de la profession des armes ou la subordination militaire.
Il ne s’attachera pas seulement aux faits qui lui seront présentés, il s’attachera à toutes les circonstances, à la moralité de ces faits. S’il existe des circonstances telles qu’elles doivent faire écarter toute intention de la part de l’inculpé, eh bien, le conseil d’enquête déclarera qu’il n’est pas constant que l’inculpé ait commis un fait de nature à compromettre l’honneur de la profession des armes. Lorsqu’il rendra une décision contraire, cette décision sera le résultat d’une conviction formée par l’audition des témoins.
Lorsque le conseil d’enquête a déclaré constants des faits qui, d’après la loi entraînent la perte du grade, le Roi peut prononcer cette perte du grade ; mais il n’est pas même obligé de la prononcer ; il peut se borner à prononcer la suspension du grade ou la mise au traitement de réforme.
Il me semble donc, messieurs, que la disposition proposée par le gouvernement suffit pour donner toute garantie à l’inculpé ; et je pense que dans la section centrale on ne s’est pas attaché au plus ou moins d’étendue de l’avis du conseil. On y a adopté la disposition de la loi française, suivant laquelle les avis du conseil d’enquête ne peuvent être modifiés qu’en faveur de l’inculpé.
Je bornerai là mes observations.
M. Gendebien. - Messieurs, il est complètement inexact de dire que le congrès ait repoussé deux fois, ainsi que l’ont dit plusieurs orateurs, et notamment le ministre de l’intérieur, le principe que le grade et la pension ne peuvent être perdus que par suite d’un jugement ; cette proposition, ou du moins ce principe, n’a pas été repoussé. Il n’a pas même été contesté d’une manière sérieuse et je vais le prouver : je prouve ce que j’avance, et n’ai pas l’habitude d’entasser assertions sur assertions sans jamais rien prouver.
Dans une des sections du congrès l’honorable M. Tiecken de Terhove avait agité la question de savoir si les militaires pouvaient être privés de leurs grades, de leurs pensions et traitements, autrement que par un jugement. La section centrale été d’avis qu’il n’y avait pas lieu à examiner cette question, qu’il fallait laisser ce soin à la loi qui réglerait les droits et les devoirs des milliaires. Elle a proposé des dispositions qui ont passé sans discussion ; mais, dans tout le chapitre intitulé « de la force publique, » qui a été adopté dans la séance du congrès du 4 février, il n’a pas même été prononcé un mot d’où l’on pût conclure que l’assemblée s’est occupée de la nécessité du jugement.
Le lendemain de l’adoption de ce chapitre, l’honorable M. de Tiecken de Terhove a présenté un article additionnel en ces termes : « Les militaires ne peuvent être privés de leurs grades, pensions et honneurs, qu’en vertu d’un jugement. » Cet article a été discuté ; et je le répète, il est inexact de dire qu’il a été repoussé ; c’est au contraire le système de la section centrale, défendu par M. Fleussu, qui a été repoussé. Je vous demande la permission de lire le discours prononcé à cette occasion par M. Tiecken. Je trouve ce discours dans l’Union belge.
Je regrette que son honorable auteur ne soit pas dans cette enceinte ; il trouverait dans ses nobles sentiments les moyens de défendre avec nous les vrais principes, les principes du congrès, car il est un des hommes rares qui sont restés fidèles à leurs actes et à leurs doctrines.
Voilà ce qu’il disait quand il a proposé son article additionnel :
« Messieurs, quand, hier, on a commencé la discussion sur le titre V de la constitution qui traite de la force publique, beaucoup de membres ignoraient que ce titre était à l'ordre du jour ; d'autres pensent, et je suis de ce nombre, qu'il n'a pas été annoncé la veille ; peu de membres avaient apporté le rapport de la section centrale, et devaient donc discuter, approuver ou rejeter les articles sur une simple lecture ; peu étaient préparés pour cette discussion, sauf quelques honorables membres qui ont le talent de l'improvisation ; aussi a-t-elle marché si lestement qu'il semblait qu'on voulait prendre les articles d'emblée : c'était un mouvement continuel de levés et assis, tellement les articles se succédaient rapidement. J'aurais désiré réclamer une garantie pour les militaires de tous rangs, c'est un acte de justice ; mais je n'en ai pas trouvé le temps : comme on n'a pas voté sur l'ensemble du titre, ce qui cependant, dans nos usages parlementaires, est de règle, je pense pouvoir encore aujourd'hui revenir sur ce titre et faire ma proposition. Je ne touche pas aux articles adoptés ; c'est un nouvel article à ajouter au titre V, si l'assemblée ne s'y oppose pas, et je ne puis le supposer quand il s'agit d'un principe de justice, d'un droit.
« La section dont j'ai eu l'honneur de faire partie avait adopté cette disposition à une grande majorité ; la section centrale a été d'un avis opposé, et par conséquent l'a rejetée, arguant à tort qu'une pareille disposition pourrait être contraire à la discipline, et favoriser plus ou moins l'insubordination ; elle a trouvé, dans la liberté de la presse et la responsabilité ministérielle, une sauvegarde contre les abus du pouvoir.
« La section centrale, lors de son rapport du chapitre : Du pouvoir judiciaire, n'a sans doute pas trouvé cette sauvegarde suffisante puisque, article 76, elle a adopté le principe « qu'aucun juge ne peut être privé de sa place ni suspendu que par un jugement ; » j'ai donc lieu de m'étonner qu'elle l'ait trouvée suffisante quand il s'est agi du militaire : je désirerais qu'elle voulût bien m'expliquer les motifs de cette contradiction.
« Et qu'on ne vienne pas m'alléguer ici que cette disposition relâcherait la discipline : il ne s'agit pas de discipline, pour laquelle il existe des lois pénales, mais d'un droit, d'un droit sacré ; il faut une garantie aux braves qui se dévouent à la défense de la patrie, pour leurs honneurs, leurs grades, leurs traitements, leurs pensions. Comment, messieurs, ceux qui consacrent toute leur vie, toute leur existence au noble métier des armes, qui répandent leur sang, exposent leur vie pour la défense commune, pour l'honneur national, se verraient donc sans cesse exposés aux caprices de l'arbitraire, aux abus du pouvoir, et, après avoir suivi avec loyauté une carrière aussi périlleuse qu'honorable, après avoir versé leur sang, perdu leurs membres, leur santé, pourraient donc encore être exposés à voir leur existence compromise, et perdre les sacrifices de toute une vie consacrée à la défense de la patrie ! Non, messieurs, vous êtes trop justes, trop équitables pour ne pas consacrer cette disposition dans la constitution, et vous n'abandonnerez pas le sort de nos braves à la variation d'une loi ; vous ne ferez pas moins pour eux, qui méritent toute votre sollicitude, que pour les membres du pouvoir judiciaire. »
Vous voyez qu’il résulte de ce discours que l’honorable M. Tiecken n’avait pas proposé son amendement la veille. Il n’a donc pas été repoussé comme on l’a répété sans cesse. Il n’a pas eu le temps, dit-il, de le présenter, tellement tous les articles avaient été enlevés d’assaut ; et il se croyait en droit de présenter un article additionnel, et cet article additionnel n’a pas été rejeté ; il a été modifié, non dans son principe, mais dans sa trop grande généralité et au lieu de dire : « privés par un jugement, » on a dit : « les militaires ne peuvent être privés de leurs grades, honneurs et pensions que de la manière déterminée par la loi. »
Dans quel sens a-t-on entendu modifier l’amendement ? Il est impossible de trouver des renseignements plus sûrs, relativement aux intentions du congrès, que dans la discussion et dans les développements des intentions de l’auteur même de l’amendement.
M. Fleussu, rapporteur, a seul soutenu, comme on le fait ici, qu’il ne fallait pas de jugement ; mais il a échoué complètement, et son système n’a pas trouvé un seul appui dans le congrès.
M. Jottrand n’a, en aucune façon, contesté les garanties demandées par M. Tiecken pour les officiers ; il a dit au contraire qu’on ne saurait trop leur donner de garanties, et que la modification qu’il proposait à l’article additionnel leur en donnerait davantage ; et ce n’est que dans l’intention de leur en donner davantage qu’il a proposé de substituer aux mots : « par jugement, » ceux-ci : « de la manière déterminée par la loi. »
D’autres membres ont appuyé la proposition de M. Jottrand, entre autres M. Lebeau ; mais il n’en est pas un seul qui ait contesté la nécessité d’un jugement pour enlever à l’officier son grade ; seulement on a pensé qu’il fallait laisser à la législature le droit de régler et réviser les pensions et de licencier une partie de l’armée.
M. Lebeau faisait remarquer qu’il y avait dans l’article proposé par M. de Tiecken des choses qu’on ne pourrait pas toujours régler par un jugement ; que par exemple on ne pouvait diminuer leur solde que par une loi et non par jugement ; que le licenciement de l’armée ou la diminution du nombre des officiers ne peut encore avoir lieu que par une loi et point par un jugement. M. Forgeur et d’autres députés ont appuyé la proposition de M. de Tiecken dans le même sens. Toutefois, personne n’a contesté des droits aux officiers et n’a reconnu la possibilité de donner au gouvernement futur l’arbitraire que l’on veut dans la loi en discussion.
Lisez le compte-rendu de la séance du congrès, et dans l’Union Belge, qui était alors le journal officiel, et dans le Courrier Belge, et vous verrez que la loi proposée est une violation flagrante de la constitution.
La constitution a voulu consacrer des droits ; le congrès s’en est expliqué nettement ; il n’a pas voulu abandonner au hasard ni aux caprices des ministres la position des officiers ; il a voulu que les pensions, que les grades, ne fussent enlevés que par un jugement et, dans certains cas, par une loi ; et vous verrez dans les discussions du congrès qu’il est impossible que par ces mots : « de la manière déterminée par la loi, » substitués aux mots : « par jugement, » il ait considéré comme une manière légale et constitutionnelle d’opérer dans ce cas, celle de laisser tout à l’arbitraire, comme on l’a fait dans l’art. 1er déjà adopté, comme on veut le faire par l’art. 8 en discussion.
On invoque sans cesse le rapport fait au nom de la section centrale au congrès ; eh bien, lisons-le :
« La section centrale a été d’avis qu’une pareille disposition (les militaires ne peuvent être privés de leurs grades, pensions et honneurs que par un jugement) pourrait être contraire à la discipline militaire et favoriser plus ou moins l’insubordination ; elle a trouvé dans la liberté de la presse et dans la responsabilité ministérielle une sauvegarde contre les abus du pouvoir à l’égard des militaires ; elle s’est encore déterminée pour le rejet de cette proposition par la considération que la loi particulière pourrait contenir une disposition sur ce point, conformément au prescrit de l’art. 31 qui porte in fine : « Elle (la loi) règle également l’avancement, les droits et les obligations des militaires. »
Les « droits » sont imprimés en caractères italiques au rapport de la section centrale ; c’est donc avec intention qu’elle a parlé de leurs droits, c’est évidemment parce qu’elle voulait les consacrer dans la constitution.
Eh bien, ces mêmes expressions se trouvent transcrites au paragraphe 10 de l’art. 139 de la constitution.
Il est incontestable que le congrès a reconnu des droits aux officiers ; s’il avait voulu les abandonner à l’arbitraire, il aurait renvoyé à l’article de la loi fondamentale qui accordait au roi Guillaume le droit de nommer et de destituer les officiers sans aucune restriction. Le congrès aurait pu et il aurait dû, si telle avait été son intention, reproduire dans la constitution la disposition de la loi fondamentale ; mais c’est précisément parce qu’il était frappé des abus qu’on pouvait faire d’une pareille disposition, qu’il n’en a pas voulu et qu’il a adopté les art. 121 et 139 paragraphe 10.
Le congrès n’a pas voulu que l’armée fût à la merci du gouvernement, parce qu’il savait bien qu’il pourrait par un trop grand ascendant faire tourner contre les libertés du pays les armes qui doivent les défendre ; que de mettre les militaires à la merci, à la discrétion du pouvoir, c’était mettre aussi la constitution à la merci, à la discrétion du chef de l’armée.
Lisez un autre alinéa du même rapport, et vous verrez quel était esprit du congrès, quelles étaient ses prévoyances.
« Plus d’un publiciste a fait ressortir les dangers de l’entretien d’armées nombreuses, entretenues à grands frais en temps de paix ; trop souvent, au lieu de servir au salut de l’Etat, elles aident à favoriser les entreprises du despotisme ; l’exemple du tous les gouvernements absolus fournit la preuve de cette vérité. »
Eh bien, c’est préoccupé de ces inquiétudes, c’est averti par l’abus que le roi Guillaume avait fait des pouvoirs qui lui avaient été donnés sur l’armée, que le congrès a voulu éviter de remettre les militaires à la discrétion et à la merci du pouvoir exécutif ; et la section centrale (du congrès) vous a fait elle-même, en raccourci, l’exposé des motifs pour lesquels il fallait donner à l’armée toutes les garanties, et ne point la priver de ses droits, de ses grades, pensions et honneurs, que par une loi ; et le congrès tout entier a voulu donner à l’armée plus de garanties que n’en offrait l’amendement de M. Tiecken ; c’est ce qui résulte d’une manière claire et incontestable de la discussion de la proposition de M. Tiecken.
Et l’honorable M. Tiecken s’est rallié lui-même à l’amendement de M. Jottrand, en déclarant qu’il y trouvait plus de garanties que dans son propre amendement.
Osez dire après cela que l’amendement de M. Tiecken n’a pas été agréé par le congrès, qu’il a été rejeté deux fois ; répétez encore que le congrès n’a voulu reconnaître aucun droit aux officiers, qu’il leur a refusé toutes espèces de garanties de leurs droits : c’est ce que vous ne manquerez pas de faire ; mais je vous défie de prouver vos assertions, je vous défie de réfuter mes observations, mes démonstrations.
Je sais que ces observations ne vous touchent guère, messieurs les ministres ; car je sais que ce n’est qu’en dehors de la constitution que vous voulez établir votre pouvoir.
C’est le rôle de tous les ministres qui méconnaissent leur mission, leurs devoirs. Mais il vous arrivera un jour ce qui arrive à tous les ministres qui ne respectent pas la constitution.
Maintenant, revenons à la misérable discussion de l’art. 8. Vraiment j’ai à peine le courage de parler encore, alors que depuis quinze jours je parle sans succès ; mais l’imposante minorité d’hier est un avertissement pour le ministre et un encouragement pour moi.
Après avoir livré tous les officiers de l’armée à l’arbitraire, par le vague de l’art. 1er, on veut leur enlever toute espèce de garantie par l’art. 8 ; le rapprochement de ces deux articles est réellement effrayant pour l’armée et pour le pays et ses libertés.
On nomme une commission d’enquête, on veut qu’elle prononce sur les faits qui lui sont dénoncés. Le ministre de la justice a commencé par dire que le conseil prononcerait sur les faits dénonces, mais qu’il ne donnerait pas son avis sur la nature de ces faits. Plus tard et immédiatement après, il a dit que le conseil d’enquête reconnaîtrait la gravité du fait. Mais dès que vous reconnaissez que le conseil d’enquête est chargé de reconnaître la gravité du fait, vous reconnaissez qu’il doit donner son avis, non seulement sur l’existence des faits dénoncés, mais sur leur nature.
M. de Theux, ministre de l’intérieur, a soutenu que le conseil d’enquête est réduit au rôle de simple écho à qui on demande une réponse. « Oui ou non, le fait est-il constant ? » Voilà uniquement ce que le conseil est appelé à faire, vous a-t-il dit.
On prétend que les militaires trouveront une garantie immense dans cette commission d’enquête. Mais remarquez le vague de l’article 8. Les ministres ne sont pas même d’accord sur sa portée. On ne sait si c’est sur l’existence matérielle des faits ou sur leur nature et leur caractère que le conseil est appelé à donner un avis. Quelle garantie peut-on y trouver, lorsqu’on ne sait même pas sur quels faits le conseil aura une enquête à faire, car l’article premier porte :
« Les officiers de tout grade en activité, en disponibilité, en non-activité ou mis au traitement de reforme, pourront être privés de leur grade et de leur traitement pour les causes ci-après exprimées :
« 1° Pour faits graves non prévus par les lois, qui sont de nature à compromettre l’honneur et la dignité de la profession des armes, ou la subordination militaire. »
Ainsi on soumettra à une commission d’enquête la question de savoir s’il est constant qu’un militaire s’est permis tel ou tel fait. Mais il est impossible de prévoir sur quelle espèce de faits le conseil d’enquête aura à prononcer ; car la première disposition de l’article premier ne définit aucun fait. Le conseil d’enquête saura bien dire : « L’officier a commis tel fait. » Mais à M. le ministre de la guerre seul appartiendra de considérer un fait comme de nature à compromettre l’honneur et la dignité de la profession des armes, ou même la subordination militaire ; et cet officier sera condamné, et cet honorable officier qui pourra être plus honorable que le ministre de la guerre (ce qui pourrait fort bien se voir en certaines circonstances), sera destitué, sera déshonoré aux yeux de l’armée et de la nation tout entière. Et voyez l’hypocrisie ! C’est sur l’avis d’une commission d’enquête composée de 7 officiers que le jugement sera porté ! Mais remarquez que ces sept officiers n’auront pas dit autre chose, sinon : « Tel officier a commis tel acte. » Que cet acte soit innocent, qu’il ne soit de nature à compromettre ni l’honneur, ni la dignité de la profession des armes, ni la subordination militaire, n’importe : le conseil n’est pas appelé à se prononcer sur ce point ; c’est au gouvernement seul, au Roi en sa qualité de chef de l’armée, qu’appartient, vous a-t-on dit, le droit d’apprécier les faits et de destituer les officiers à volonté. Voilà où l’on veut en venir. Il y a plus, c’est que le gouvernement ne veut pas même borner son droit à adoucir l’avis de la commission d’enquête. Il ne veut être gêné en rien ; en sorte qu’il pourra même, d’après le vague de l’article 8, condamner un officier contre l’avis du conseil.
Mais veuillez remarquer que le ministre de la justice, en venant dire que le conseil d’enquête reconnaîtrait la gravité des faits, a été amené à cela par la discussion ; car l’article du gouvernement n’en disait pas un mot, c’est par amendement que le gouvernement a admis l’avis du conseil, et d’après la nouvelle rédaction du gouvernement, le conseil ne doit encore dire que « oui » ou « non ». C’est d’ailleurs ce qu’ont soutenu MM. de Theux et F. de Mérode. Si donc on veut sincèrement que le conseil puisse émettre un avis sur la nature des faits, il faut le dire dans la loi, car les deux rédactions du gouvernement n’ont pas la portée qu’on leur suppose.
On veut que le Roi apprécie seul la nature des faits et qu’il prononce seul les peines selon la gravité des faits, qu’il appréciera seul en qualité de chef suprême de l’armée ; c’est, dit-on, une prérogative qu’on ne peut lui contester. Eh bien, croyez vous qu’il soit, je ne dirai pas de la dignité du chef de l’Etat ou de l’armée, mais de son intérêt (car l’intérêt est ordinairement la règle de toutes les actions des hommes), est-il de l’intérêt du Roi de prendre personnellement la responsabilité des jugements qu’il portera ? On veut que ce soit lui, en sa qualité de chef de l’armée, qui puisse destituer, prononcer la mise à la réforme ou à la demi-solde. En un mot, on veut que le Roi ôte l’existence à d’honorables militaires qui auront pu commettre une faute et pourront souvent n’avoir que le tort de déplaire à un chef ou à quelque ministre. Est-ce bien là agir dans l’intérêt du Roi ? Non sans doute, et à cet égard, je vous dirai, comme l’a fort bien fait remarquer l’honorable M. Desmaisières : Vous connaissez bien mal la dignité et l’intérêt du chef de l’Etat. Quand vous mettez les citoyens en rapport avec le chef de l’Etat, il faut que ce ne soit jamais que pour recueillir une faveur, une grâce ou la réparation d’une injustice. Mais ne mettez jamais aucun citoyen et encore moins un militaire en contact avec le Roi pour recevoir un reproche, pour recueillir une disgrâce, ou pour subir quelquefois une injustice, et il s’en commettra.
Si le conseil prononce sur la gravité des faits et s’il prononce sur la question de savoir s’il y a lieu de mettre des officiers à la non-activité ou à la reforme, ou s’il y a lieu de leur faire perdre leur grade ; s’il prononce sur ces faits et si, comme le propose si sagement la section centrale, l’avis du conseil d’enquête ne peut être modifié qu’en faveur de l’officier inculpé, tout rentre, sous ce rapport au moins, dans l’ordre, je ne dirai pas de la constitution, mais de la prudence, de la sagesse. Car le Roi n’interviendra jamais que pour accorder une grâce, que pour adoucir la rigueur trop grande du conseil d’enquête, que pour redresser des erreurs. Mais non, en vertu de la prérogative que vous voulez lui donner, vous intervertissez les rôles ; au droit de grâce vous substituez le cumul inconstitutionnel d’accusateur et de juge. Pour moi, je conçois autrement l’intérêt du chef de l’Etat. Je comprends tout autrement le gouvernement représentatif. Et si j’avais le malheur de siéger au banc des ministres, je me garderais bien de demander pour le Roi une pareille prérogative, je la repousserais de toutes mes forces ; car, ne vous le dissimulez pas, si la loi passe telle qu’elle est, tout officier placé dans une des trois positions indiquées dans le projet attribuera au chef suprême de l’armée, au Roi, tout le mal. Il y a plus : il y aura tel ministre qui ne manquera pas peut-être de se mettre personnellement à couvert en disant : « Le Roi l’a ainsi voulu. » Il est déjà arrivé qu’un ministre dise : « C’est la volonté du Roi. Le Roi est inexorable sur ce point. » Des ministres en disgrâce et rejetés dans la foule trouveront fort commode ce moyen de se justifier auprès de leurs camarades. Cependant il faut dans un bon gouvernement, dans tout gouvernement représentatif, que le Roi, que le chef de l’Etat, quel que soit son titre ou sa domination, soit impeccable ; il faut qu’on ne lui attribue que le bien, jamais le mal, jamais l’injustice, jamais l’infortune ou la misère.
Vous ne savez pas jusqu’où peut aller le désespoir d’un militaire qui, après 25 ou 30 ans de service, se verra dépouillé, dégradé, réduit à la misère ; et pour quelle cause encore ? Rien n’est défini, rien n’est prévu dans la loi. L’un se verra traduit devant le conseil d’enquête pour avoir manifesté un attachement trop grand à la révolution, aux principes consacrés par la révolution ; un autre pour avoir émis des doutes sur le droit du gouvernement à exiger telle ou telle chose d’un militaire d’après la constitution ; pour avoir manifesté l’opinion que, dans telle circonstance, le gouvernement a violé la constitution.
Ce sera un militaire qui aura servi sous l’empire et qui regrettera l’empereur, et qui fera une comparaison fâcheuse pour le chef de l’Etat. Ce sera un militaire qui aura servi sous la république et qui aura conservé des sentiments républicains.
En un mot, pour une infinité de faits qui ne se rattachent ni à la subordination militaire, ni à la dignité de la profession des armes, vous pourrez renvoyer ces officiers pour ces raisons, ou sous d’autres prétextes ; et comme votre loi est arbitraire, on sera toujours en droit de suspecter les décisions, de s’en plaindre, et on se croira souvent autorisé à s’en venger. Mais même pour ceux des officiers (s’il en est, et j’aime à en douter) qui mériteraient d’être renvoyés de l’armée, convient-il que cette décision soit prise par le Roi ?
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Oui, avec un ministre responsable !
M. Gendebien. - Mais on sait ce que c’est que la responsabilité ministérielle. Il y a longtemps que nous l’apprécions à sa juste valeur. Et vous-même, lorsque vous étiez députe, vous avez défini énergiquement ce qu’est, en réalité, cette responsabilité. Nous savons tous ce qu’elle vaut.
Au reste, c’est en sa qualité de chef suprême de l’armée que vous donnez au Roi cette prérogative. C’est une juridiction que vous lui donnez. Il ne s’agit pas là d’acte d’administration, il ne s’agit pas là d’un acte du pouvoir exécutif pour lesquels la fiction de la responsabilité ministérielle a été consacrée par la constitution. Il s’agit d’un jugement ; il s’agit d’un jugement rendu par un tribunal d’exception, repoussé par la constitution. Il s’agit d’un jugement prononcé par le chef de l’Etat, non comme chef du pouvoir exécutif, mais comme chef suprême de l’armée ; c’est vous-mêmes, messieurs les ministres, qui l’avez dit.
Est-ce que le gouvernement, par hasard, serait envieux des prérogatives de l’ancien bon régime ! Permettez-moi de remonter un peu haut.
Messieurs, ce n’est pas ma faute si, pour rencontrer nos hommes de progrès, je suis obligé de reculer jusqu’aux temps de la barbarie. S’il faut en croire certains historiens, le roi Clovis (sans doute parce qu’il était le plus fort, et qu’il était entouré d’hommes serviles qui voulaient bien souffrir de pareilles infamies) ; le roi Clovis avait aussi la prétention de juger ses soldats comme chef supérieur de l’armée ; il n’avait même pas toujours besoin de conseil d’enquête. Il remplissait lui-même les fonctions de juge, d’accusateur et même quelquefois de bourreau ; car l’histoire rapporte que, passant une revue de ses troupes, il remarqua un soldat qui avait manqué à je ne sais plus quel point de la discipline : le bon, le très humain roi Clovis n’hésita pas à cumuler les fonctions d’accusateur, de juge et même de bourreau, car il le pourfendit séance tenante. Mais il est vrai de dire que Clovis n’était gêné en rien dans l’exercice de ses prérogatives de chef supérieur de l’armée. Il n’avait pas le fâcheux désagrément d’être soumis à une constitution.
Est-ce que le gouvernement serait d’avis de s’attribuer de pareilles prérogatives ? Il ne lui manque en effet qu’une seule chose : les fonctions de bourreau que s’arrogeait Clovis. Mais s’il a le droit d’ôter à des officiers leur existence morale, s’il leur ôte d’un trait de plume leur existence matérielle en les privant de leurs moyens d’existence, quelle différence reste-t-il entre les prérogatives que Clovis s’arrogeait en sa qualité de chef suprême de l’armée, et les prérogatives que vous voulez donner à un Roi constitutionnel ?
Il faut avoir perdu, je ne dirai pas tout respect de la constitution, mais tout esprit de sagesse et de prudence pour traiter la nation belge et l’armée comme on demande le droit de le faire par la loi qui vous est proposée. Je vous en conjure, messieurs, arrêtez-vous tandis qu’il en est temps encore.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Messieurs, je ne traiterai pas la question de constitution, elle me semble épuisée depuis longtemps ; mais je ne puis m’empêcher de relever quelques-unes des assertions de l’honorable préopinant.
Suivant lui, j’aurais dit que le conseil d’enquête n’est pas appelé à donner son avis sur les faits.
Le préopinant est dans l’erreur ; je ne me suis pas exprimé ainsi ; si j’avais tenu ce langage, j’aurais renoncé à la proposition du gouvernement, car c’est nous qui avons propose l’amendement qui porte : « Le conseil d’enquête émettra au scrutin secret un avis sur les faits imputés à l’officier. »
M. Gendebien. - J’ai dit que vous avez déclaré que le conseil d’enquête n’est pas appelé à donner son avis sur la nature des faits.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Je vous prie de ne pas m’interrompre ; je vous ai écoute avec patience. Je revendique le même droit contre vous.
Je le répète donc, selon l’honorable préopinant, j’aurais dit que le conseil d’enquête ne peut émettre un avis sur les faits, et notre proposition établit le contraire.
Nous allons même plus loin : nous disons expressément que si les faits ne sont pas déclarés constants, il n’est pas possible de révoquer ou de suspendre l’officier.
L’honorable préopinant ajoute : « Mais sur quel fait le conseil va-t-il prononcer ? Sur un fait grave, selon le n°1° de l’article 1er, dit-il, qui n’est pas défini. »
Mais, messieurs, l’honorable préopinant s’arrête au milieu de l’article ; il aurait dû lire le numéro entier, s’il voulait l’interpréter ; il aurait vu que ces faits sont ceux qui sont de nature à compromettre l’honneur et la dignité de la profession des armes, ou la subordination militaire.
Voilà des faits, et des faits graves que le conseil doit constater d’une manière pertinente.
J’ai dit que le Roi devait décider seul s’il y avait lieu de retirer à l’officier son grade, ou de le suspendre, ou de le mettre à la reforme ; et que la mission du conseil d’enquête devait se borner à donner son avis sur des faits imputés à l’officier, et qui d’après la loi peuvent entraîner ces conséquences.
Mais, dit l’honorable préopinant, vous faites tomber sur le Roi tout l’odieux de la mesure. Je répondrai que la décision est une prérogative que le Roi exerce, au moyen du contreseing d’un ministre responsable. S’il y a de l’odieux, il ne peut tomber que sur le ministre.
Messieurs, si j’ai déclaré que le conseil d’enquête pouvait constater les faits, je me suis opposé à ce que le conseil fût appelé à se prononcer sur les circonstances atténuantes ; et sous ce rapport j’ai été, dès le principe, d’accord avec M. le ministre de l’intérieur ; et il est impossible de ne pas l’être, eu égard à la différence que nous avons toujours établie entre la proposition de la section centrale et la nôtre ; car, suivant nous, le conseil d’enquête ne prononce que sur des faits, tandis que, suivant la section centrale, ce conseil délibérerait sur le point de savoir s’il y a lieu de révoquer ou de suspendre l’officier ; c’est ce que nous n’admettons pas.
M. de Brouckere. - Messieurs, nous avons examiné dans la séance précédente le sens qu’il fallait donner à l’art. 124 de la constitution, article qui a été invoqué si souvent depuis quelques jours.
Nous avons examiné à propos de l’art. 1er du projet en discussion, si la loi était ou non contraire à la constitution.
J’ai exprimé franchement mon opinion à cet égard et jamais il n’est entré dans ma pensée que je serais parvenu à ramener à mon opinion ceux de mes collègues qui professaient un avis différent.
Mais je croyais la question jugée par la chambre ; je m’étonne de voir que les efforts se renouvellent pour prouver l’inconstitutionnalité du projet. Je dis que la majorité s’est prononcée : et en effet, dans les articles précédents, vous avez décidé que lorsqu’un des faits énumérés dans l’art. 1er du projet serait imputé à un officier, le ministre de la guerre ordonnerait la réunion d’un conseil d’enquête.
Eh bien, je le demande, qu’avez-vous entendu voter en décidant que l’officier inculpé serait appelé devant un conseil d’enquête ? Avez-vous pensé que ce conseil constituât un tribunal ? Mais, messieurs, le mot enquête indique assez que vous n’avez pas voulu un tribunal, mais seulement une commission consultative.
Malgré cela, j’entends la plupart des orateurs parler encore aujourd’hui et du droit de rendre justice, et du droit de grâce, et du droit de prononcer des jugements. Mais, messieurs, il n’est question ici, ni du droit de rendre justice, ni du droit de rendre des jugements, ni de l’exercice du droit de grâce ; il est seulement question de la création d’un conseil que l’on consultera avant de prononcer sur le sort de l’officier inculpé d’un des faits mentionnés dans le n° 1° de l’article 1er.
S’il s’était agi, messieurs, d’un jugement à rendre sur l’officier inculpé, je me serais élevé contre l’adoption d’un conseil tel que celui dont vous avez ordonné la création dans les articles précédents, parce que j’aurais trouvé ce conseil contraire à la constitution ; j’aurais dit et j’aurais soutenu, la constitution à la main, que si c’était un jugement que vous vouliez, pour qu’un officier pût être privé de son grade, il fallait traduire cet officier, non pas devant un conseil d’enquête, mais devant les tribunaux militaires, c’est-à-dire devant les conseils de guerre ou devant la haute cour militaire, suivant le grade de l’officier.
S’il s’était agi de jugement, j’aurais demande d’abord : Pourquoi montrer de la défiance pour les conseils de guerre et la haute cour militaire ? Aurait-on des raisons pour suspecter l’impartialité de ces corps judiciaires qui jusqu’ici se sont acquittés de leurs devoirs de manière à ne donner lieu à aucun reproche ?
Ainsi donc, s’il avait été question d’un jugement, j’aurais dit qu’il était convenable, non pas de créer une commission spéciale, mais de faire comparaître les officiers inculpés devant les conseils de guerre et la haute cour militaire. Je serais venu soutenir cette proposition la constitution à la main :
« Nul tribunal, nulle juridiction contentieuse ne peut être établie qu’en vertu des lois.
« Il ne peut être créé de commissions ni de tribunaux extraordinaires sous quelque dénomination que ce soit. »
Si la majorité de la chambre pensait qu’il est question du droit de rendre justice, d’un jugement à prononcer contre un officier, je dis que nous n’avons pas le droit de créer une commission spéciale pour un genre de délit déterminé. Mais il n’est question ici ni des tribunaux ni de jugement, ni du droit de rendre la justice. Il est question de commissions d’enquête, de commissions consultatives obligées de se tenir dans les termes de leur mandat.
Mais quel doit être le mandat, la mission du conseil d’enquête ? Tel est l’objet de la discussion qui s’est élevée à l’occasion de l’article 8. Déjà l’honorable M. Raikem l’a dit, la question soulevée est celle de savoir s’il faut préférer, relativement à l’avis émis par le conseil, la rédaction de la section centrale à la rédaction du gouvernement.
Evidemment, la première mission du conseil d’enquête doit être de constater les faits. Là-dessus, il ne s’élève aucune difficulté. Mais les faits constatés, faut-il que le conseil d’enquête exprime un avis, et sur quoi doit-il exprimer un avis ? Qu’il exprime un avis ; cela me paraît positif.
Si l’on avait voulu borner la mission du conseil à la constatation des faits, l’on n’aurait pas eu besoin de prendre toutes les précautions stipulées dans la loi. Il aurait suffi de faire désigner par le sort deux officiers qui, assistés d’un greffier, auraient procédé à l’instruction. Ce genre de procédure n’aurait présenté aucun inconvénient, puisque les déclarations des témoins et de l’officier inculpé auraient dû être signées par ceux qui auraient fait les dépositions.
Le conseil n’est donc pas appelé seulement à constater les faits. Sa mission est aussi d’émettre un avis. Cet avis doit-il porter simplement sur les faits ? ou faut-il qu’après avoir exprimé son avis sur les faits, ce conseil ajoute quelle est son opinion sur la décision à prendre ? Voilà toute la question. Je crois l’avoir posée plus nettement que l’honorable membre qui l’a réduite au choix entre la rédaction de la section centrale et celle du gouvernement. C’est qu’il y a du doute sur l’intention de la section centrale. En effet, vous avez entendu un honorable membre de la section centrale prétendre que son avis est que le conseil d’enquête exprime son opinion sur les faits, mais non pas sur la résolution à prendre.
A mon avis, cet honorable membre est dans l’erreur. Il résulte de la combinaison des articles 8 et 10 de la section centrale, que son intention a été que le conseil se prononce et sur les faits et sur la résolution à prendre.
Pour moi, je pense que la mission du conseil doit se borner à se prononcer sur les faits, c’est-à-dire qu’après avoir fait son enquête, il doit indiquer son opinion sur le résultat de l’enquête. D’ailleurs, je dirai qu’avec une semblable faculté, nous devons avoir nos apaisements tout aussi bien que si le conseil émettait son opinion sur la résolution à prendre. Mais vouloir que le conseil d’enquête s’exprime sur cette résolution, c’est le faire sortir de sa mission. Celui qui est chargé d’une enquête peut bien dire comment il apprécie les faits, mais il ne peut lui appartenir de se prononcer sur la résolution à prendre relativement à ces faits.
L’honorable M. Raikem a dit : « C’est une espèce de jury que vous créez. Ce sera véritablement un jury, un jury appelé à se prononcer sur des faits résultant enquête. Il doit appartenir à un autre pouvoir de prendre une résolution. » Mais, dit-on, c’est le Roi qui prononcera. Vous voulez donc le rendre responsable de la décision à intervenir. Vous voulez donc rejeter sur lui tout l’odieux de la décision, s’il y en a. A cela la réponse est facile ; le Roi décidera sur le rapport du ministre de la guerre. Et il n’y aura de décision qui ne soit revêtue d’un contreseing. (Signes d’adhésion au banc des ministres.) L’objection tombe donc d’elle-même ; car il n’y a pas de résolution royale valable si elle n’est contresignée par un ministre responsable.
Il résulte de toutes ces observations que, dans mon opinion, le jury n’aura à s’expliquer que sur les faits ressortant de l’enquête, mais qu’il n’entre pas dans les limites de sa mission de prendre une résolution sur la décision à intervenir.
M. Desmaisières, rapporteur. - Il est évident, quoi qu’on en dise, que la section centrale a voulu que le conseil d’enquête émette son avis par scrutin secret, sans restreindre en aucune manière son avis à la simple déclaration que les faits sont constants.
Pour le prouver, je n’ai besoin que de combiner encore une fois le dernier paragraphe de l’article 10 avec l’amendement proposé par la section centrale, car nous disons à ce paragraphe : « Les avis du conseil d’enquête ne pourront être modifiés qu’en faveur de l’inculpé. » Si nous avions voulu stipuler que le conseil d’enquête n’aurait pas autre chose à faire que de déclarer si les faits sont constants, oui ou non, quelles modifications pourrait apporter le Roi à l’avis du conseil d’enquête ? Déclarer non constants des faits reconnus constants par le conseil ?
Il est évident que l’opinion de la section centrale a été telle que je l’ai exposée, et je la maintiens.
Maintenant, je dois un mot de réponse aux assertions de M. le ministre de la justice. Quand il a répondu à l’honorable M. Gendebien, le ministre vous a dit qu’il était évident selon lui que le gouvernement, en présentant son amendement ainsi : « Le conseil d’enquête émettra au scrutin secret un avis sur les faits imputés à l’officier, » ne prétendait aucunement limiter l’avis du conseil d’enquête en tout ce qui se rapportait aux faits.
Eh bien, messieurs, je dis moi qu’il résulte de l’ensemble des amendements présentés par le ministre à l’art. 8 et à l’art. 10, que le ministre a entendu restreindre l’avis du conseil d’enquête à la simple déclaration si les faits sont certains ou non, car nous lisons dans l’amendement présenté par le ministre à l’art. 10 :
« Le Roi décidera sur le rapport du ministre de la guerre.
« Si les faits sont déclarés constants par le conseil de d’enquête, le Roi pourra prononcer, suivant la gravité des circonstances, la perte, la suspension du grade, ou seulement la mise au traitement de réforme.
« Les arrêtés royaux seront motivés. »
Vous voyez qu’il résulte de cette disposition, combinée avec celle de l’art. 8, que le gouvernement a voulu restreindre l’avis du conseil d’enquête purement et simplement à la constatation des faits, et nullement à la nature des faits.
Maintenant c’est vainement, selon moi, que l’on prétend que le système du gouvernement ne fait pas descendre le Roi au simple rôle de juge. On dit qu’il ne faut, quand le fait est déclaré constant, qu’appliquer la peine que la loi a prévue pour ce fait. Mais le nouvel art. 10, proposé par le ministre, vient démontrer que le Roi, au contraire, remplira réellement le rôle de juge puisque la loi laisse le choix entre plusieurs espèces de peines, la perte du grade, la suspension et la mise au traitement de reforme.
Ainsi le Roi doit apprécier l’acte en juge, puisqu’il peut même ne prononcer aucune peine.
Je persiste donc à maintenir l’amendement présenté par la section centrale.
M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Ce qui a pu faire croire à quelques membres que l’intention de la section centrale, en insérant dans l’art. 8 le paragraphe suivant : « Le conseil d’enquête émettra un avis au scrutin secret, » que cet avis devrait porter sur les circonstances, c’est l’addition faite à l’art. 10 portant que les avis du conseil d’enquête ne pourraient être modifiés qu’en faveur de l’inculpé. Ce paragraphe est pris textuellement dans la loi française.
Je dis que la section centrale n’a nullement voulu que l’avis du conseil d’enquête déterminât la pénalité, car si telle eût été son intention, elle aurait dû fixer la majorité à laquelle la déclaration devrait être faite, si c’était à cinq, quatre ou trois voix. Mais elle n’a rien fait de cela, d’où je conclus qu’elle ne voulait que l’avis fût donné que sur les faits.
Si l’avis eût dû porter sur la pénalité, c’eût été un jugement, et elle aurait dû déterminer à quelle majorité il serait rendu.
M. Gendebien. - Je prends de nouveau la parole parce que je ne puis me dispenser de relever la supposition faite par le ministre de la justice, lorsqu’avec un ton de persiflage il est venu dire que, le projet du gouvernement la main, il prouverait la niaiserie de mon observation.
Il est impossible que j’aie dit que le conseil n’était pas appelé à donner un avis, puisque nous lisons à l’art. 9 : « Le procès-verbal d’enquête, et l’avis du conseil, etc. » J’ai dit que le ministre avait prétendu que le conseil n’était pas admis à donner son avis sur la nature des faits ; et sous ce rapport vous ne pouviez pas me répondre avec le texte de la loi que je connais tout aussi bien que vous, et que j’ai lu peut-être avec plus d’attention que vous, car j’ai pris la plus large part à la discussion.
Le ministre croit répondre aux inconvénients que j’ai trouvés à faire peser sur le Roi la responsabilité de la peine portée en disant : « Ce n’est pas le Roi qui décide, mais le conseil d’enquête. » Je ferai observer que le conseil d’enquête ne fera que donner son avis sur la question de savoir si le fait existe ou n’existe pas. Ensuite le Roi prononcera la peine ; mais c’est d’après la gravité du fait, ainsi que l’a déjà fait remarquer l’honorable préopinant, que cette peine sera la perte de grade, la suspension ou la mise au traitement de réforme.
C’est donc le gouvernement seul qui appréciera la gravité du fait et par conséquent qui aura la responsabilité de la peine prononcée.
Maintenant, je dirai que je ne comprends pas comment on peut opposer une fin de non-recevoir à une question de constitution. Ce n’est pas moi qui l’avais soulevée le premier, je n’ai fait que répondre aux observations puériles des ministres. J’ai établi, et M. Dumortier l’a fait après moi, en reproduisant la discussion du congrès, que la disposition était constitutionnelle, et j’ai démontre les aberrations de ceux qui soutenaient le contraire.
On a prétendu que la chambre avait décidé la question à l’article premier. C’est une erreur, car là il n’est question que des actes qui seront punis de telle ou telle peine ; et c’est seulement quand il serait question du pouvoir qui serait chargé de prononcer ces peines que la question constitutionnelle pourrait être soulevée.
On vous a dit que l’odieux de la décision ne tombera pas sur le Roi, parce qu’il est bien entendu que ce ne sera pas sur simple rapport, mais sous le contreseing du ministre, que l’arrêté serait rendu. C’est là une vérité de M. de la Palisse. J’ai raisonné dans cette hypothèse, j’ai fait ressortir la différence de cet acte avec les autres actes, qui appartiennent au pouvoir exécutif en vertu de la constitution.
La responsabilité ministérielle couvre l’inviolabilité du Roi pour tous les actes et prérogatives comme pouvoir exécutif ; mais je dis qu’ici le pouvoir exécutif s’ingère dans le pouvoir judiciaire ; il se fait juge ; ainsi il n’est pas exact de dire que la responsabilité du ministre couvre la volonté du Roi, car le Roi sort de ses prérogatives comme pouvoir exécutif. Il s’ingère dans des attributions où il ne lui est pas permis d’après la constitution d’avoir une volonté.
Mais, en supposant que cela fût entré dans les prérogatives du Roi, l’odieux en retomberait toujours sur lui, quand le jugement emporterait des peines, et il peut en prononcer de bien dures.
Quand il s’agit de mesures générales, on murmure lorsque l’on en est frappé, mais on subit la loi commune ; il n’en est pas de même quand il s’agit de mesures particulières, on les considère comme des actes de haine, de vengeances personnelles. D’ailleurs le citoyen frappé ne s’arrête pas à la question constitutionnelle, il ne voit que le bras qui l’a frappé ; il ne voit pas si ce bras est impeccable, il ne considère que le mal qu’il en a reçu.
On préfère un avis simple sur l’existence du fait, à un avis sur la nature, les circonstances et le caractère du fait, et sur la peine ; et pourquoi ?
Le ministre répond : C’est parce que la commission d’enquête jugerait alors et ne donnerait pas simplement un avis. Si la commission d’enquête faisait autre chose que de donner un avis, dit un autre orateur, elle porterait un jugement, et, dans ce cas, je considérerais la constitution comme violée. Et, bien, dirai-je à mon tour, que fera le Roi en prononçant, sur l’avis de la commission, une décision infligeant des peines ? Ne sera-ce pas un véritable jugement que prononcera le Roi ? Car quelle qualification donnerez-vous à sa décision ? Ainsi donc, messieurs, de quelque manière qu’on envisage la question, ce sera toujours violer la constitution, en mettant un pouvoir nouveau et rigoureux dans des mains qui ne devraient jamais s’ouvrir que pour répandre des grâces. Vous allez les armer d’un poignard qui assassinera, dans leur honneur, dans leur existence, d’honorables militaires. Non, messieurs, vous ne consacrerez pas une pareille monstruosité, vous ne compromettrez pas à la fois et la dignité et les intérêts du chef de l’Etat, autant et plus peut-être que les droits de l’armée.
M. le président. - Voici un amendement déposé par M. Dumortier :
« L’officier inculpé ne pourra être déclaré coupable qu’à la majorité de cinq voix. »
- Cet amendement, n’étant pas appuyé, n’est pas mis aux voix.
L’amendement présenté par M. le ministre de la justice et formant le dernier paragraphe de l’art.8 est mis aux voix et adopté. Il est ainsi conçu :
« Le conseil d’enquête émettra, au scrutin secret, un avis sur les faits imputés à l’officier. »
- L’art. 8 est adopté dans son ensemble.
M. de Jaegher présente un rapport relativement à la police du roulage sur les chemins vicinaux.
- La séance est levée à 5 heures.