(Moniteur belge n°71, du 11 mars 1836)
(Présidence de M. Raikem.)
M. de Renesse fait l’appel nominal à une heure.
M. Schaetzen donne lecture du procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. de Renesse présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.
« Le sieur L. Moireaut fils, marchand de vins à Frasnes, ayant importé en Belgique la méthode de traiter le vin de Champagne pour le rendre mousseux, demande une disposition législative qui favorise cette industrie au moyen d’un entrepôt et d’une exemption de droits sur le liquide perdu par la fermentation. »
« Les bourgmestres des communes de Lillo, Stabroek, Beerendrecht et Santvliet renouvellent leur demande relative à la construction d’une digue intérieure et à l’adoption d’une loi sur les indemnités. »
« Les sieurs Serniclaes et Persoons demandent que la chambre rejette dans la loi communale la disposition qui porte que les employés des commissariats de district ne pourront être en même temps secrétaires de communes. »
- Ces pétitions sont renvoyées à la commission chargée d’en faire le rapport, sauf la dernière qui est devenue sans objet par adoption de la loi sur l’organisation communale.
M. Verdussen écrit pour s’excuser de ne pouvoir, pendant quelques jours, se rendre aux séances de la chambre à cause de quelques affaires de famille qui le retiennent à Anvers, par suite de la mort de son beau-frère.
M. le ministre de la guerre (M. Evain) prend la parole. Il présente à la chambre deux projets de loi ayant pour objet, l’un de déterminer la position des officiers de l’armée. D’après ce projet, les officiers seraient rangés dans les quatre classes suivantes : les officiers en activité, les officiers-généraux en disponibilité, les officiers en non activité, et les officiers en reforme.
Le second projet détermine quelques cas, indépendamment de ceux prévus par les lois existantes, où des officiers peuvent perdre leur grade.
- Ces deux projets de loi, avec l’exposé des motifs qui les accompagne, seront imprimés et distribués à MM. les membres de la chambre ; ils sont renvoyés dans les sections.
M. d'Hoffschmidt, rapporteur de la commission chargée de l’examen du projet de loi sur les barrières, est appelé à la tribune. Il s’explique en cas termes. - Messieurs, j’ai cru inutile d’entrer dans de longs développements dans le rapport que j’ai à vous présenter comme organe de la commission chargée de l’examen du projet de loi présenté par M. le ministre de l’intérieur relativement à la perception de la taxe des barrières, cette commission ayant admis à l’unanimité et sans observation le projet du gouvernement qui tend à proroger pour une année les lois en vigueur sur cette matière.
Ces lois ont déjà été prorogées l’année dernière sans modification, et les longues discussions qui ont eu lieu dans cette enceinte sur le même objet n’ont roulé que sur la durée de 3 ans que le gouvernement avait proposé de donner à ces lois. Aujourd’hui qu’il ne propose la même prorogation que pour une année, la commission a pensé que la législature pouvait adopter cette proposition, l’expérience ayant démontré que les lois dont il s’agit ne présentent aucune difficulté, ni dans leur application, ni quant au taux du droit contre lequel aucune réclamation ne s’élève.
Cependant, messieurs, j’ai à vous rendre compte d’une pétition datée du 12 septembre dernier, de M. Amand, propriétaire et maître de forges à Ermeton sur Blert, qui expose à la chambre que des doutes se sont élevés sur l’interprétation de la loi du 18 mars 1833 en ce qui concerne les exceptions établies par l’article 6 de cette loi, la députation des états de la province de Namur n’ayant pas cru devoir lui en accorder les bénéfices, et d’autre part le tribunal de première instance de Dinant ayant décliné la compétence que lui confère, selon le pétitionnaire, l’art. 15 de la même loi, qui porte : « Toute contestation sur de la présente loi sera du ressort des tribunaux. »
Le pétitionnaire se plaint de ce qu’un tel conflit d’attributions laisse un article de la loi du 15 mars sans sanction et réclame l’intervention de la chambre pour le faire cesser, sans toutefois considérer les dispositions citées des articles 6 et 15 comme ambiguës ; il trouve au contraire ces dispositions claires et précises, et a peine à concevoir comment l’article 15 a été ainsi interprété.
La majorité de votre commission a été de l’avis du pétitionnaire sur la précision des dispositions que je viens de rappeler, ce qui l’a déterminée à ne rien changer à sa résolution de ne vous proposer aucune modification aux lois qu’il s’agit de proroger.
Si néanmoins il pouvait s’élever des doutes sur l’interprétation à donner aux dispositions de l’art, 6 rappelé par le pétitionnaire, et en vertu desquelles le tribunal de Dinant a, sans doute, décliné son incompétence dans le cas signalé, s’appuyant probablement sur ce qu’une décision prise d’office par la députation s’entend être une chose jugée définitivement ; s’il pouvait, dis-je, s’élever des doutes à cet égard, il ne s’agirait que d’introduire la modification suivante à la loi que nous discutons :
« Dans le cas prévu à l’art. 6 de la loi du 18 mars 1833, la députation des états prononcera définitivement. »
Toutefois, cette disposition trouverait mieux sa place dans la loi générale qui nous sera, nous l’espérons, présentée lorsque les travaux les plus importants auxquels la législature est livrée, seront terminés. La pétition de M. Amand pouvant être, lors de la discussion générale, consultée avec avantage, la commission propose d’en faire le renvoi au bureau des renseignements.
Une autre pétition a été renvoyée par la chambre à la même commission. C’est celle de M. Poncelet, maître de la poste aux chevaux d’Arlon, qui demande que la chambre admette dans la loi sur les barrières une disposition qui exempte du droit les chevaux et animaux servant au transport des fourrages nécessaires à l’entretien des chevaux de poste.
Le pétitionnaire, propriétaire à Arlon, expose qu’il lui est impossible de trouver des fenils assez grands à Arlon pour y placer ses approvisionnements ou fourrages pour une année, de sorte qu’il est dans la nécessité d’y en faire conduire, à différentes époques, ce qui l’empêche de jouir du bénéfice de l’art. 7, paragraphe 7, de la loi du 18 mars.
Le cas particulier signalé par le pétitionnaire n’a pu décider la commission à vous proposer la modification qu’il réclame.
Elle vous propose cependant également le renvoi de cette pétition au bureau des renseignements.
- Les conclusions de la commission en ce qui concerne les deux pétitions sont adoptées ; en conséquence, ces deux requêtes seront déposées au bureau des renseignements.
M. A. Rodenbach. - Messieurs, je ne m’opposerai pas à ce que le droit de barrière actuel soit perçu jusqu’au 1er avril 1837 ; mais en attendant qu’on nous présente la loi générale sur cette matière, loi dont M. le ministre a déjà parlé ainsi que le rapporteur, je désirerais que M. le ministre voulût bien nous donner quelques explications sur l’ouverture et la fermeture des barrières, et nous dire s’il n’y aurait pas moyen de faire cesser les abus qui existent à cet égard et que je vais signaler.
Vous savez tous, messieurs, que souvent on ouvre les barrières quand on devrait les fermer, et qu’on les ferme quand il faudrait les ouvrir ; on m’a assuré que cette année encore, dans la province du Hainaut, le 9 janvier, lorsqu’il gelait à pierre fendre, les barrières étaient fermées, et qu’elles étaient ouvertes pendant le dégel le plus complet. Dans cette province on ouvre les barrières 10 et même 12 jours plus tard que dans le reste du pays, de sorte que quand on peut circuler partout, on ne le peut pas dans le Hainaut. C’est là, messieurs, une anomalie administrative qu’il importe de faire disparaître.
La législation actuelle sur la matière prescrit des formalités beaucoup trop longues. Lorsqu’il s’agit, par exemple, de fermer les barrières, la proposition en est d’abord soumise à l’avis de l’ingénieur des ponts et chaussées qui l’adresse ensuite au chef de cette administration ; celui-ci l’envoie au gouverneur qui prend un arrêté ordonnant la fermeture ; cet arrêté passe encore par plusieurs mains, et avant qu’il ne soit arrivé au fond de la province, l’état des routes est tellement changé qu’au lieu de fermer les barrières, il conviendrait de les ouvrir. Je demande s’il n’y aurait pas moyen de faire cesser un tel état de choses que j’appellerai ridicule, car à quoi sert-il de fermer les barrières quand cela ne doit avoir aucun effet ? Il me semble qu’autant vaudrait les laisser toujours ouvertes.
Il serait peut-être bon de charger les commissaires de district, ou quelqu’autre autorité plus locale que le gouverneur, d’ordonner l’ouverture et la fermeture des barrières. Dans tous les cas, il est impossible avec la législation actuelle que les routes soient conservées.
Je désirerais donc qu’avant de nous présenter la loi générale sur les barrières, M. le ministre veuille bien nous dire s’il n’y a pas moyen d’abréger les formalités prescrites en cette matière et s’il faut absolument que l’ordre d’ouvrir ou de fermer les barrières parte toujours du chef-lieu de la province. On pourrait soutenir, je le répète, qu’il vaudrait mieux que la fermeture n’eût jamais lieu que de laisser subsister les dispositions actuelles.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Messieurs, l’honorable préopinant, faisant la critique de la fermeture des barrières, dit que souvent elle a lieu intempestivement, même quand il conviendrait de les ouvrir, et il voudrait qu’on abandonnât le droit d’ordonner cette mesure aux commissaires de district : le remède que l’honorable préopinant propose serait pire que le mal ; car si l’on adoptait son système, il faudrait autant de décisions qu’il y a de commissariats de district.
D’après ce qui existe maintenant, la fermeture des barrières peut avoir lieu tardivement dans certaines circonstances, et dans d’autres être prolongée trop longtemps ; mais il est impossible qu’il en soit autrement : en effet, la température est extrêmement variable, et cette année surtout elle a varié d’une manière toute particulière. Il a donc été impossible que la fermeture et l’ouverture des barrières pût toujours avoir lieu à point nommé dans toute l’étendue du royaume.
Il est impossible de ne pas laisser aux gouverneurs des provinces le soin d’ordonner la fermeture et l’ouverture des barrières après avoir reçu l’avis de l’ingénieur des ponts et chaussées. Je crois qu’on ne pourrait prendre à cet égard une mesure fixe, invariable et toujours utile.
M. Pirmez. - Je voterai pour le projet de loi, mais je ferai remarquer à M. le ministre de l’intérieur qu’il se trouve beaucoup de routes dans un grand état de dégradation, ce qui est d’autant plus déplorable que ce sont précisément les routes qui fournissent un excédant de la recette sur la dépense qui sont dans cette situation. Je citerai un exemple de ce que j’avance, et pour ne pas sortir de la province où nous nous trouvons, je dirai que la route de Nivelles à Mariemont est entièrement défoncée : eh bien, cette route fournit un subside provenant de l’excédant de la recette sur la dépense, pour être employé dans tout le royaume à la réparation des routes des autres contrées.
Il y a beaucoup d’autres routes qui sont dans la même position que celle que j’ai citée, et cela provient de ce que l’on ne fait pas les dépenses nécessaires à leur entretien. Il est facile de se procurer un revenu sur les routes si l’on ne veut pas les réparer.
Il y a un excédant de 800,000 fr. ; mais en vérité l’on ne peut pas dire qu’il est pris sur l’excédant des recettes comparées aux dépenses, mais bien qu’il provient de la non-réparation des routes. C’est en les laissant dans un état de délabrement qu’on parvient à en retirer un bénéfice. Il y a sans doute dans cette assemblée des hommes qui sont à même d’appuyer les faits que j’ai signalés. Nécessairement, le mauvais état des routes est le résultat de la mesure par laquelle on les a rendues solidaires les unes des autres ; on n’a pas réfléchi aux conséquences de cette solidarité.
Les routes sur lesquelles il se fait un grand transport et qui, par conséquent, produisent beaucoup d’argent sont aussi celles qui souffrent le plus, qu’il faut le plus réparer ; et si vous les négligez, ce n’est pas sur des recettes que vous faites une économie, mais sur le péage ; c’est une espèce de droit que vous établissez au profit des autres routes.
Ce système de solidarité, on veut même, je crois, le pousser plus loin encore ; on veut, je pense, contracter un emprunt hypothéqué sur les routes.
Eh bien, la dégradation des routes qui produisent beaucoup sera encore plus considérable lorsque vous aurez voté cet emprunt ; c’est ce que je tâcherai de vous démontrer quand une proposition vous sera soumise à cet égard ; j’essaierai alors de traiter cette question, et de vous prouver que ce sera un emprunt sur la dégradation des routes ; car si les routes sont dans un mauvais état, c’est que vous n’y dépensez pas l’argent nécessaire ; car si vous y appliquiez les fonds nécessaires, vous n’auriez pas un excédant de 800,000 fr.
Je le répète, lorsqu’on nous demandera un emprunt, je le combattrai de toutes mes forces, non pas avec un grand espoir de succès, car je sais que cet emprunt a beaucoup de partisans, mais pour prouver que je ne donne pas dans la piége grossier qu’on nous prépare.
M. A. Rodenbach. - Le vice que j’ai signalé est réel ; et tout le monde doit être convaincu qu’il occasionne les plus grandes dégradations. Je n’ai pas demandé que les commissaires de district soient chargés de l’ouverture et de la fermeture des routes ; j’ai émis le vœu de voir changer des formalités qui sont si fatales à nos moyens de communication et qui, par suite, font les plus grand tort au commerce. Les fonctionnaires chargés d’ordonner l’ouverture ou la fermeture des barrières demeurent quelquefois à douze ou quinze lieues des routes ; et de la résultent des retards très préjudiciables. Il faut simplifier ces rouages administratifs qui font plus de mal que de bien, et qui dans l’application sont ridicules.
M. F. de Mérode. - Une des causes qui selon moi occasionnent une grande dégradation des routes, c’est la facilité des surcharges qui a été autorisée. Quand on surcharge une voiture à deux roues, pendant les mauvais temps, comme tout le poids agit sur deux points seulement, il a une action double que si la voiture était à quatre roues, et la route est plus rapidement dégradée. Cependant on met cinq à six chevaux à ces voitures à deux roues : aussi détruisent-elles tout. Ce n’est pourtant pas un grand avantage pour le roulage que l’emploi de ces voitures. Le commerce gagne au bon état des routes, les transports s’y font plus rapidement.
C’est surtout pendant le dégel que l’on devrait faire attention aux surcharges ; pendant un jour de dégel une lourde voiture dégrade plus une route que trois mois de roulage pendant la belle saison.
Cette année, il y a eu des dégels fréquents, et la lenteur apportée à la fermeture des barrières à nécessairement contribué à la dégradation des routes. L’observation faite par M. Rodenbach me parait très fondée ; on devrait chercher des moyens plus rapides pour fermer à temps les routes lors des dégels.
Les diligences ont la facilité de porter le même poids pendant toutes les saisons ; en France il en est autrement. Pendant le dégel on ne permet plus, dans ce pays, aux grosses diligences de circuler ; les voyageurs sont transportés dans une voiture et les paquets dans une autre. Permettre les surcharges en tout temps, c’est occasionner des dégâts qui, pour être réparés, demandent de grandes dépenses, et qui avant leur réparation, gênent les transports et nuisent au commerce.
Quant à la route dont a parlé M. Pirmez, c’est une route tout à fait dégradée, et il faudra attendre la belle saison pour la réparer.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - L’honorable député de Roulers demande que l’on concilie l’intérêt du commerce avec l’intérêt du trésor ou avec la conservation en bon état des routes ; certainement cette demande est très sage, et l’administration s’est toujours occupée de la solution de ce problème ; mais là aussi est toute la difficulté. Quoi qu’il en soit, la mesure que cet honorable membre propose serait funeste au commerce.
Il faut pour la fermeture des barrières une centralisation quelconque. Jusqu’ici on a cru que c’était celle de la province qu’il fallait adopter. Ce point a été examiné, et l’on n’a pas trouvé qu’il fût possible de donner à une autre autorité le droit d’ordonner la fermeture et l’ouverture des barrières.
Un honorable membre s’est élevé contre la facilité des surcharges. Il est vrai qu’en 1834, par arrêté royal, on a étendu la facilité des surcharges ; mais cette facilité était réclamée vivement dans l’intérêt du commerce et surtout par les rouliers. L’administration des ponts et chaussées est continuellement appelée à émettre son avis, dans chaque province, relativement aux effets de l’arrêté royal de 1833. De plus, le conseil général des ponts et chaussées, qui s’assemble annuellement, examine les rapports des ingénieurs de chaque province et prend les conclusions ; mais jusqu’ici ce conseil n’a pas vu qu’il fût possible de démontrer que la facilité des surcharges nuisît aux routes ; en conséquence, il a émis un avis tendant au renouvellement de l’arrêté pour une année.
L’année prochaine, on verra s’il y a lieu de revenir sur la mesure qui a été prise. C’est à l’expérience à nous éclairer.
Un honorable membre s’est plaint de ce que l’on n’affectait pas des sommes suffisantes pour l’entretien des routes, et partant de ce fait comme s’il était exact, il en a tiré un argument pour attaquer la centralisation des produits des barrières. Je conçois qu’un tel argument puisse être fait en faveur d’une province qui est amplement dotée de routes, mais je doute qu’il soit appuyé par les provinces dénuées de moyens de communication : quoi qu’il en soit, l’administration prend toutes les mesures pour connaître les besoins des localités et pour y satisfaire autant qu’on le peut.
Les ingénieurs de chaque province sont annuellement appelés à faire les propositions relatives à l’entretien de routes : ces propositions sont débattues dans le conseil général des ponts et chaussées ; et le gouvernement n’a jamais refusé les fonds nécessaires pour maintenir les routes dans un bon état. L’entretien des routes est un objet d’art, et du ressort du corps des ponts et chaussées.
L’honorable membre, en se plaignant, a fait remarquer que les dégradations étaient plus grandes sur les routes qui donnent le plus de revenus : cela est dans la nature des choses ; elles ne produisent que parce qu’elles sont très fréquentées et c’est parce qu’elles sont fréquentées qu’elles sont détériorées.
Mais la question véritable est celle-ci : les fonds accordés sont-ils suffisants ? Comme je l’ai déjà dit, la réponse à cette question ne peut être faite que par les hommes de l’art ; et de ce chef, il ne peut y avoir aucune espèce de reproche à faire au gouvernement.
Il est des causes qui certainement peuvent influer sur la détérioration des routas : par exemple, lorsqu’une route reste ouverte quand elle devrait être fermée. Mais, comme je l’ai déjà exposé, il est impossible de parer à tous les inconvénients de ce genre quand les variations de température sont trop fréquentes : il arrive des dégels qu’on ne peut pas prévoir et qui donnent lieu à de grandes dégradations. Ce que l’on peut faire à cet égard, c’est d’engager les ingénieurs des ponts et chaussées des provinces et les gouverneurs à prendre les mesures les plus promptes pour prévenir ces dégâts, et c’est ce que l’on a fait.
Dernièrement j’ai appelé l’attention de l’inspecteur général sur les dégradations dont ou se plaignait : il m’a répondu que les plaintes étaient exagérées et que les choses étaient loin d’être dans l’état où on les présentait.
M. Desmanet de Biesme. - J’habite à peu près le même canton que M. Pirmez, et je puis assumer que ce qu’il a avancé est fondé,
M. le ministre de l’intérieur vient de lui répondre, mais d’une manière qui ne me paraît pas satisfaisante. J’adopte l’opinion que lorsque les contrées sont riches en routes, on doit appliquer l’excédant des produits que donnent leurs barrières sur les dépenses qu’elles occasionnent aux routes des autres provinces, mais ce n’est que l’excédant qui doit être appliqué ; avant tout, il faut que les routes soient entretenues. Celles qui rapportent beaucoup sont importantes au commerce ; elles doivent donc être, dans l’intérêt même du commerce, entretenues en bon état. On nous dit que des fonds suffisants pour cet objet sont accordés ; j’en doute, car elles sont en mauvais état.
Au reste, ce n’est pas tout de nous assurer que les fonds sont suffisants ; il faudrait aussi savoir s’ils sont bien employés, si les réparations sont entreprises en temps utile.
Dans quelques localités on attend l’hiver pour réparer les routes ; les premiers dégels les dégradent et les mettent dans le plus mauvais été après avoir très peu servi.
J’appuie les observations présentées par M. Pirmez qui me paraissent d’une grande justesse.
M. d'Hoffschmidt, rapporteur. - Sans doute que la police actuelle du roulage est mauvaise ; mais ici il ne s’agit pas de cela ; il s’agit de la perception de droits. Les règlements de roulage, quoique mauvais, ne sont pas même suivis partout. D’après ce qu’ils prescrivent, par exemple on ne peut atteler plus de huit chevaux à une voiture ; j’en ai cependant vu souvent dix à douze au même chariot ; vous pouvez comprendre quelles charges ils traînent et quels dégâts on fait aux routes. Nos provinces n’ont pas toutes des bascules ; celle du Luxembourg en manque totalement, et les routes s’y détériorent, en hiver surtout, parce que la charge n’étant pas limitée, on met autant de chevaux que l’on veut.
C’est là un grand inconvénient.
J’ai dit tout à l’heure que les règlements de la police du roulage étalent incomplets et renfermaient des abus. Je crois que lorsqu’il s’agira de loi générale des barrières, il sera bon d’aviser en même temps à avoir des règlements plus complets.
Je bornerai là mes observations, me référant à ce qu’ont dit d’honorables préopinants.
M. Pirmez. - Après ce qu’a dit l’honorable M. Desmanet de Biesme, il ne me reste rien à dire. Je me bornerai à faire remarquer que le bon état des routes est incompatible avec mon système de centralisation en cette matière, puisque dans ce système le produit d’une route est consacré non à la réparer, mais à réparer les routes d’autres localités, et à construire de nouvelles routes. On sait d’ailleurs que ce système n’a été établi par le gouvernement hollandais que pour construire des routes en Hollande avec le produit des roules de la Belgique.
On a parlé des ingénieurs, qui sont juges des réparations à faire aux routes ; mais ces ingénieurs ne représentent pas les localités, n’offrent pas les garanties suffisantes pour les représenter.
Le système de centralisation est injuste et vexatoire, puisqu’il tend à ce que le produit d’une route, au lieu d’être consacré à la réparer, soit employé, je le répète, à la réparation d’autres roules ou à la construction de routes nouvelles.
M. Dumortier. - Je dois aussi prononcer quelque mots appuyer les observations des honorables préopinants.
Il est certain que l’arrêté pris en 1833 sur la proposition du corps des ponts et chaussées a amené un résultat infiniment préjudiciable au pays. Dans la province que j’habite, dans le Hainaut, les routes, sous l’empire de cet arrêté, sont arrivées à l’état le plus déplorable ; jamais, à ma connaissance, elles n’ont été aussi mauvaises que maintenant.
D’où provient ce fâcheux état de choses ? Comme l’a dit l’honorable M. F. de Mérode, de la faculté qu’ont les diligences de prendre des charges trop fortes, en temps de dégel.
Toutes les fois que j’ai eu à me rendre aux travaux parlementaires, en temps de dégel, j’ai vu les diligences mises à l’amende, et j’ai su par les conducteurs que, malgré ces amendes, les entrepreneurs trouvaient encore du bénéfice à surcharger leurs diligences. En effet, ces amendes sont couvertes et au-delà par les prix de transport que paient les particuliers. Mais s’il y a là bénéfice pour les entrepreneurs, il n’en est pas de même pour l’Etat, car Il résulte de là des dégradations considérables aux routes, et il faudra dépenser des millions pour les réparer.
Le gouvernement prend donc une mesure très fausse lorsqu’il autorise les surcharges des diligences, en temps de dégel.
Dans l’état actuel, la faculté de transport des diligences a été augmentée d’un tiers. Comme les mesures de surveillance ne sont pas suffisantes en temps de dégel, les routes sont alors dégradées par les diligences qui parcourent le pays.
Ce que l’on devrait faire, ce serait non de faire payer l’amende aux diligences trop chargées, mais de les obliger à ôter leur surcharge.
Pour moi je voudrais qu’en temps de dégel les diligences ne pussent transporter que les voyageurs et les bagages. Il en résulterait une grande économie pour le trésor public ; il en résulterait l’économie des fonds que l’on est obligé de consacrer à la réparation des routes par suite de leur mauvaise administration en temps de dégel.
J’appelle l’appelle l’attention du gouvernement sur ces abus ; je crois que M. le ministre de l’intérieur n’en est pas informé, que le corps des ponts et chaussées trouve que tout est pour le mieux. Mais pour nous il n’en est pas ainsi. Je crois que le gouvernement doit intervenir pour empêcher les abus que j’ai signalés.
Je pense qu’il est nécessaire de revenir sur l’arrêté de que je considère comme la cause du désastre de nos routes.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Il est certain que le corps des ponts et chaussées est désintéressé dans cette question. Au contraire, son intérêt administratif serait de diminuer la charge des voitures, plutôt que de permettre une plus grande tolérance, puisqu’elle aurait moins de surveillance à exercer l’entretien de nos routes.
Voici le motif qui a guidé l’administration, c’est que le décret sur le poids des voitures a été rendu en 1806, à une époque où les routes étaient dans le plus mauvais état, et que depuis lors il y a eu une considérable amélioration dans l’état des routes. On a conclu de là que l’on pouvait permettre une tolérance plus grande.
Au reste, comme je l’ai dit, ce n’est qu’un essai qu’on a voulu faire par l’arrêté de 1833. J’espère que d’ici à l’an prochain on sera entièrement fixé sur l’utilité des mesures dont on a voulu faire l’essai. Mais si le gouvernement reconnaissait des inconvénients graves à ces mesures, il serait le premier à les repousser.
Je ne dirai qu’un mot de la centralisation. L’honorable député de Charleroy prétend que la centralisation est contraire au bon entretien des routes. Pour moi, je pense qu’elle est favorable au bon entretien des routes, car l’administration centrale a intérêt à ce que toutes les routes soient bien entretenues, tandis qu’il arrive que dans des localités on laisse se dégrade un chemin pour ne pas diminuer la circulation sur tel autre chemin, à la convenance de telle ou telle localité.
Je crois donc qu’il n’y a pas lieu de décentraliser, mais au contraire qu’il faut maintenir le système de centralisation.
M. Jullien. - Je ne conçois pas comment les plaintes des honorables préopinants peuvent être réelles sans qu’il y ait quelques abus, qu’ils viennent du ministère de l’intérieur, di corps des ponts et chaussées ou de toute autre administration.
Il me semble qu’il ne faut qu’une simple observation pour s’en convaincre.
D’après l’art. 5 de la loi sur laquelle nous sommes appelés à voter, le produit des barrières est destiné en première ligne à l’entretien des routes ; en second lieu, à l’amélioration des routes, et en définitive à l’ouverture de nouvelles communications. Vous savez que lors de la discussion qui a eu lieu à l’occasion du même article, on s’est demandé ce que c’est que l’amélioration des routes. L’on a expliqué que c’était l’ouverture de nouveaux embranchements à des routes avoisinantes.
Maintenant, je prie M. le ministre de l'intérieur de vouloir bien me résoudre ce problème. Comment est-il possible qui l’on ait un excédant sur le produit des barrières, si les routes sont en aussi mauvais état que l’ont dit MM. les députés du Hainaut ? car c’est à l’entretien des routes que le produit des barrières est affecté en première ligne. Aucun travail d’amélioration des routes ou de nouvelles communications ne peut se faire si les frais de l’entretien des routes n’ont pas laissé un excédant sur le produit des barrières.
Comment donc peut-il y avoir un excédant, si les routes ne sont pas bien entretenues ? Puisque ce produit est considérable, puisqu’il est plus que suffisant pour le simple entretien des routes, il me semble qu’il y a une mauvaise disposition des fonds.
Tout au moins je ne comprends pas que l’on puisse hypothéquer un emprunt sur le produit des barrières, si les routes sont dans un état aussi déplorable qu’on le dit.
C’est une explication que je serais charmé d’obtenir de M. le ministre de l’antérieur. J’avoue que je ne sais pas comment cela est possible sans abus.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Le problème que l’honorable préopinant ne s’est pas expliqué n’est pas difficile à résoudre.
Quelles que soient les sommes que l’on applique à l’entretien des routes pendant l’été, il arrivera des dégradations pendant l’hiver.
Il ne faut qu’un événement fortuit pour amener une dégradation considérable dans une route, par exemple la fermeture tardive ou la réouverture trop prompte d’une barrière. Il est donc impossible, avec la meilleure volonté du monde, d’empêcher les dégradations des routes, et le problème posé par l’honorable préopinant se trouve ainsi tout naturellement résolu.
Je crois que tout ce que l’on peut faire, c’est d’évaluer annuellement les sommes que l’administration des ponts et chaussées reconnaît nécessaires pour l’entretien des routes.
On ne peut nier que cette administration n’ait le plus grand intérêt à ce que les routes seraient bien entretenues.
M. Jullien. - Le problème que j’ai posé n’est résolu qu’en partie pas la réponse de M. le ministre de l’intérieur. Je conçois, comme lui, que l’on ne peut prévenir les dégradations des routes quand elles sont occasionnées par la mauvaise saison. Mais, au retour de l’été, on a bien vite réparé les dégâts causés par l’hiver. Mais, s’il faut en croire les honorables préopinants, c’est depuis longtemps que les routes du Hainaut se trouvent dans un état déplorable de dégradation, parce qu’elles n’ont jamais été bien restaurées.
Mon problème sur l’excédant du produit des barrières subsiste donc toujours, quoi qu’en ait dit M. le ministre de l’intérieur.
(Erratum inséré au Moniteur belge n°72, du 12 mars 1836 :) M. Pirmez. - Je ne suis pas ennemi de la centralisation ; je l’admets dans ce sens que le gouvernement ait l’inspection des routes. Je m’en réfère entièrement à cette inspection.
Mais il s’agit de nous entendre sur les mots. Ce que je ne veux pas, c’est la solidarité entre les provinces. Comment ! une route, dont le produit est considérable, sera pauvrement entretenue parce que les produits de telle autre route ne suffiront pas à ses besoins.
C’est une solidarité que je ne veux pas admettre. Je veux qu’une route qui produit assez pour son entretien soit réparée convenablement, et que l’on n’établisse ou ne répare d’autres routes sur les fonds provenant de ses recettes que lorsqu’il y aura réellement excédant.
L’honorable M. Jullien ne comprenait pas comment on pouvait emprunter sur le produit des barrières lorsque les routes dans un état déplorable de conservation. C’est parce que l’on ne dépense pas assez pour l’entretien des routes.
J’admets votre centralisation ; mais je n’admets pas la solidarité des provinces.
- La clôture de la discussion générale est demandée.
M. Dumortier. - Messieurs, la discussion est assez intéressante pour le Hainaut et les autres provinces pour qu’il soit peu convenable de la fermer.
En effet, les autres provinces n’auront pas de subsides pour construire de nouvelles routes, si le Hainaut n’a pas d’excédant. Pour qu’il y ait excédant, il faut qu’il n’y ait pas de trop grands dégâts à réparer. Je demande à la chambre de me permettre de dire encore quelques mots dans la discussion. Il est incontestable que dès que l’on met le pied dans la province du Hainaut, les routes deviennent mauvaises. Dans 3 ou 4 ans il faudra peut-être des millions pour les réparer. Il faudra des sommes d’autant plus considérables qu’il y a plus de routes dans le Hainaut.
- La discussion générale est close.
« Art. 1er. La taxe des barrières continuera d’être perçue, à partir du 1er avril 1836, à minuit, conformément aux lois du 18 mars 1833 (Bulletin officiel, n°262, 263 et 264), et à la loi du 12 mars 1834 (Bulletin officiel, n°205).
M. Pollénus. - Je conçois très bien qu’il ne peut être question, à propos d’une loi temporaire, de proposer quelque changement de nature à attaquer l’économie de la loi.
Je me propose cependant de présenter une modification tendante à simplifier la police répressive en matière de contravention à cette loi. Je crois que la chambre a déjà montré qu’elle était de cet avis qu’il convenait de prononcer des amendes assez simples dans des matières qui forment des contraventions de simple police, au lieu de prononcer des amendes calculées sur les endroits à parcourir. Il est possible d’admettre des amendes fixes, en laissant toutefois une échelle de proportion, échelle dont l’excédant atteindrait à peu près les moyens de transport les plus considérables.
Il vaudrait mieux, ce me semble, prononcer des amendes de 5 à 15 francs ; de cette manière, ces contraventions seraient ce qu’elles doivent être, des contraventions de simple police. Je proposerai, comme une conséquence de cette première modification, que les procès-verbaux constatant les contraventions, au lieu de faire un détour inutile, soient adressés au juge de simple police du lieu de la contravention.
Je ne sais pas pourquoi la loi a voulu que les procès-verbaux fussent adressés à une autorité centrale à charge de les transmettre ensuite au juge de simple police. Il en résulte des retards qui compliquent la police des routes, et ce n’est pas là un des moindres inconvénients de la loi.
Remarquez, messieurs, que les contraventions doivent être poursuivies dans le mois, et que les divers déplacements des procès-verbaux occasionnent une perte de temps considérable.
Ce que je propose, c’est de simplifier les moyens de répression, qui sont embarrassés aujourd’hui par un état de choses auquel il est impossible de remédier, si ce n’est par une disposition législative.
La jurisprudence de la cour de cassation a malheureusement substitué l’autorité administrative qui avait des moyens de répression à l’autorité judiciaire qui n’en a aucun. Je me borne à présenter cette réflexion.
Je crois avoir assez justifié la nécessité de remplacer l’amende comminée par la loi en discussion par une amende, et d’appeler le juge de simple police à prononcer sur ces amendes,
Voici l’amendement que j’ai l’honneur de soumettre à l’assemblée :
« Les contraventions dont il s’agit à l’art. 12 de la loi du 18 mars 1833, serons punies d’une amende de 5 à 15 francs sans préjudice de droit.
« Par dérogation à l’art. 14 de la même loi, les procès-verbaux seront transmis directement au juge de simple police du lieu de la contravention. »
M. d'Hoffschmidt, rapporteur. - Si nous n’avions pas l’espoir de voit adopter bientôt une loi générale sur la matière, l’on pourrait accueillir l’amendement de M. Pollénus ; mais nous devons nous attendre à avoir cette loi.
Jusqu’à présent celle en vigueur n’a pas démontré que des abus semblables à ceux signalés par l’honorable membre soient très graves. Je crois donc que nous pouvons nous borner à voter la prorogation pure et simple de la loi.
Il ne faut pas disconvenir qu’un arsenal de modifications nous entraînerait dans un dédale qui deviendrait indéchiffrable pour les tenant-barrières. Si nous modifions tous les ans la loi sur les barrières, on finira par ne plus rien comprendre. Il faut faire attention que les routiers n’ont pas toujours la loi sous les yeux, et qu’il est désagréable pour eux qu’on en change à chaque instant les dispositions.
L’article 15 de la loi de 1818 est susceptible de modifications qu’il sera utile de proposer lorsqu’il s’agira de faire une loi générale.
D’après l’art. 15 de la loi de 1818, toutes les contestations de la nature de celles dont il s’agit ressortissent aux tribunaux. C’est sur ce point peut-être qu’il serait convenable d’appeler l’attention du gouvernement lorsqu’il présentera son projet de loi générale ; car, dans l’état actuel des choses, cette juridiction entraîne de grands frais et souvent pour des contestations très peu importantes.
Si j’avais eu l’intime conviction que l’article 94 de la constitution ne s’y opposât pas, j’aurais proposé de déférer à la députation des états le jugement des questions contentieuses qui surgissent de ce chef.
Cette mesure serait prise dans l’intérêt général, parce qu’elle éviterait aux particuliers des dépenses considérables, occasionnées par des procédures douteuses.
Je pourrais citer des cas où les employés qui verbalisent ont accumulé tes procès-verbaux sur les mêmes rouliers, et cela précisément parce qu’ils savaient que ces rouliers n’avaient pas les moyens de plaider.
Je le répète, si j’avais eu la conviction qu’il n’y eût pas d’inconstitutionnalité à attribuer à la députation les jugements qui sont actuellement déférés aux tribunaux, j’aurais proposé cette modification ; mais je n’ai pas tous mes apaisements à cet égard.
M. Jullien. - Il me semble assez difficile de m’expliquer de suite sur le mérite de l’amendement de M. Pollénus.
M. Pollénus. - Mais mon amendement a subi un changement.
M. le président. - En effet, M. Pollénus a modifié son amendement comme suit :
« Les procès-verbaux, de contravention seront transmis au juge de simple police qui appliquera les amendes comminées par l’article 12. »
M. Jullien. - Malgré ce changement, je reste dans le même embarras, parce que sur des amendements de cette nature, je crois qu’il est nécessaire de présenter au moins quelques réflexions.
En effet, cet amendement a pour effet de changer la juridiction établie d’après la législation sur les barrières. Quel sera l’effet de ce changement ? Ce qu’il serait, je pense, difficile de dire. Sera-ce un bien ? sera-ce un mal ? C’est ce que tout au moins l’honorable auteur de l’amendement devait nous expliquer.
J’ai à faire une observation, qui me paraît pertinente, c’est que dans ce moment vous n’avez besoin d’autre chose que d’une mesure provisoire et pendant un an, portant condamnation.
On s’occupe d’une législation complète ; on réunira dans une seule loi les cinq ou six lois qui se rattachent à celle sur laquelle vous allez voter tout à l’heure.
Pourquoi se presser de faire des innovations, sans qu’on ait pu en calculer toutes les conséquences ? Cela jetterait encore le désordre dans cette partie de l’administration ; et, en vérité, je n’en vois ni l’urgence ni la nécessité.
A moins que l’auteur de l’amendement ou la suite de la discussion ne me démontre que la disposition proposée présente une amélioration sensible, je suis dans l’intention de voter contre.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Je ne puis qu’appuyer les observations faites par l’honorable préopinant ; j’y en ajouterai une seule, c’est que la chambre est saisie en ce moment d’une loi sur les compétences ; si la chambre juge convenable d’y insérer des dispositions relatives à l’objet en discussion, elle pourra le faire en connaissance de cause. Il est dangereux de toucher à ces questions sans qu’on soit éclairé.
Un grand nombre de voix. - La clôture ! la clôture !
M. Pollénus. - Puisque la chambre ne paraît pas disposée à entendre les développements et les explications que plusieurs membres ont désiré que je donnasse sur mon amendement, je déclare le retirer. Au reste, il m’aurait été facile de répondre à toutes les objections.
- La clôture de la discussion sur l’article premier est mise aux voix et adoptée.
L’article premier est ensuite adopté.
« Art. 2. Le droit de barrières ne sera perçu qu’aux endroits déterminés par le tableau jouit à la présente loi, qui sera exécutoire le jour de sa promulgation.
« La présente loi cessera ses effets le 1er avril 1837, à minuit. »
- Adopté.
Il est procède au vote par appel nominal sur l’ensemble du projet de loi.
Il est adopté à l’unanimité des 59 membres présents, et sera par conséquent transmis au sénat.
M. Desmanet de Biesme. - Dans les premières années qui ont suivi la révolution belge, alors qu’il s’agissait de notre existence comme nation, d’être ou de ne pas être, nos préoccupations se sont portées principalement sur l’administration de la guerre et sur la formation de l’armée.
Absorbée par des lois organiques et urgentes, la chambre n’a pu jusqu’à ce jour s’occuper entièrement de l’examen du budget de l’intérieur, elle s’est bornée à y apporter des économies successives.
Mais quant à la question de savoir si le département de l’intérieur, organisé comme il l’est, répond aux besoins de l’industrie et du commerce, cette question est encore entière ; et c’est sur ce point que j’appellerai votre attention, en vous soumettant quelques vues qui ne me paraissent pas dénuées d’intérêt.
A la suite des troubles politiques, alors qu’un peuple a fait la révolution, et est rentré dans l’état normal, ses premiers soins se portent généralement sur les intérêts matériels trop souvent froissées : heureux si dans ces grandes-tempêtes ils échappent au naufrage !
Plus heureux encore si, comme en Belgique, ils se relèvent plus florissants, plus pleins de sève et de vie que jamais. Sous le rapport de l’industrie et du commerce, il est évident pour l’observateur impartial qu’à ces agitations sourdes qu’on a eu naguère à déplorer, a succédé un calme parfait. Le commerce et l’industrie renaissent partout, de grands travaux s’exécutent dans tous les pays. Les gouvernements ont senti que dans la situation des esprits, ils devaient diriger leur activité vers un but utile.
Les grands faits qui se passent, la réunion des douanes allemandes et les constructions de chemins de fer qui s’exécutent dans une grande partie de l’Europe, en sont la preuve.
La Belgique, à peine sortie d’une révolution, est entrée notablement dans le grand concours ouvert à l’industrie ; elle marche d’un pas ferme dans la voie tracée par l’Angleterre et laisse bien loin derrière elle la France et ses antiques préjugés commerciaux, pour se placer en première ligne parmi les peuples industriels.
La nation belge, avec ce bon sens qui la caractérise, se livre à des opérations commerciales inespérées. Jamais jusqu’aujourd’hui on n’avait vu le commerce et l’industrie dans des circonstances aussi favorables, jamais on n’avait vu pareille accumulation de capitaux vers les opérations commerciales et industrielles. Le numéraire est abondant, les biens fonds ont atteint une élévation telle qu’il est impossible d’en faire l’objet de spéculations
Les spéculateurs de fonds publics ont reçu de sévères leçons, dont ils paraissent disposés à profiter, car ils commencent à se dégoûter de ces agiotages qui ne sont qu’une source de ruine et d’immoralité. Ils cherchent ou du moins ont une tendance à chercher à placer leurs fonds dans des entreprises nationales qui, si elles ne leur donnent pas la perspective de bénéfices aussi considérables leur en offrent de plus sûrs.
Je vois avec plaisir que le système des associations jette de vastes racines sur notre sol industriel. Il appartient à la chambre et au gouvernement de seconder ce mouvement. Nous le pouvons par de bonnes lois sur l’industrie et le commerce et par des constructions de route qui lient entre elles les diverses provinces de la Belgique.
C’est en présence de ces besoins de l’industrie et du commerce que je me suis demandé si le département de l’intérieur, tel qu’il est constitué, pouvait remplir le but qu’on devait se proposer. Je n’ai pas besoin de vous dire que j’ai pensé que non. Pour s’en convaincre, il suffit de faire l’énumération des diverses branches d’administration qui ressortent de ce département. Il comprend la sûreté publique, l’enseignement aux frais de l’Etat, les cultes, l’organisation de l’administration communale et provinciale, la garde civique, la milice, les travaux publics, le service des mines, l’agriculture, le commerce et l’industrie, et les chambres qui durent 5 à 6 mois de l’année et occupent le ministre 4 à 5 heures par jour. Ajoutes à cela les audiences qu’il doit donner, et vous demeurerez convaincus que le département de l’intérieur est absolument trop surchargé. Le ministre, quel que soit le zèle qu’il mette, zèle auquel je me plais à rendre justice, ne peut pas suffire à tous les services ; il doit nécessairement se décharger d’une partie d’un fardeau et beaucoup d’affaires doivent nécessairement échapper à l’inspection du ministre.
Le ministre a souvent cherché, en l’absence d’un conseil d’Etat, à remédier aux inconvénients qui en résultaient, en créant dans le sein du ministère des commissions dont plusieurs, je me plais à le reconnaître, ont porté de bons fruits.
Mais vous savez que généralement on en réunit difficilement les membres, qu’on y manque des documents nécessaires, qu’on n’est pas au fait de l’administration journalière, et qu’en définitive, on fait d’assez mauvaise besogne. J’en dirai de même des commissions nommées dans le sein de la chambre. Malgré les lumières qu’en y rencontre, elles ne sont pas d’une aussi grande utilité pour le pays qu’on pourrait le désirer.
Bien des personnes ont pensé que dans l’état actuel des choses, il serait utile de diviser les attributions du ministère de l’intérieur, de laisser à ce département l’administration supérieure, et d’en former un autre qui comprendrait les travaux publics, les beaux-arts, l’industrie et le commerce.
Je ne me prononce pas sur cette question, je reconnais qu’il n’appartient pas à la chambre de prendre l’initiative. Mais je crois devoir appeler l’attention du gouvernement et des chambres sur deux parties très intéressantes de ce ministère. Je veux parler des mines et des travaux publics.
Pour ce qui concerne les mines, en l’absence d’un conseil d’Etat, comme il y avait impossibilité d’accorder des concessions, le ministre, après s’être entouré de renseignements et de documents, vous a présenté un projet de loi ayant pour but la création d’un conseil des mines qui tiendra lieu du conseil d’Etat. Je pense que de cette manière il sera satisfait aux besoins de l’industrie.
Je crois que l’administration actuelle, en ce qui concerne les travaux publics, ne répond pas à ce qu’on aurait le droit d’en attendre.
J’ai examiné si elle marchait convenablement, j’ai fait quelques remarques sur son organisation, je me suis entouré de renseignements qui, quoique puisés à des sources différentes, se soit trouvés d’accord et m’ont suggéré les observations suivantes :
Le corps des ingénieurs des ponts et chaussées charges de ce service se compose actuellement d’ingénieurs de provinces, d’un inspecteur-général, d’un inspecteur-divisionnaire ; ces deux fonctionnaires supérieurs, chargés des missions particulières, occupés d’affaires spéciales, presque toujours éloignés du centre de l’administration, restent étrangers à la plupart des affaires qui se traitent au ministère de l’intérieur. Qu’en résulte-t-il ? C’est que le chef de division des travaux publics se trouve par le fait, le seul homme sur qui repose toute l’administration, administration qui a, vous le savez, le plus d’influence sur les développements de l’industrie et sur la fortune publique ; car je ne crois pas trop m’avancer en disant que les autres branches du service public dont je vous ai fait l’énumération et les chambres ne laissent pas au ministre le temps d’examiner avec détail toutes les parties de sa vaste administration ; songez-y, messieurs, c’est en définitif un seul homme, un simple chef de division, qui préside, qui règle presque toujours seul l’établissement des communications les plus importantes ; et pesez les conséquences qui peuvent en résulter. Aussi, il faut le dire avec franchise, les affaires se traitent mal ou ne se traitent pas ; elles restent longtemps en souffrance, et s’il en sort quelqu’une des bureaux, ce n’est qu’à force de démarches et de sollicitations des intéressés.
Les affaires ne sont instruites qu’au dernier moment, lorsqu’on ne peut plus en refuser l’expédition ; elles sont examinées à la hâte, et trop souvent on est forcé de revenir sur des décisions prises ; le pays éprouve tous les inconvénients du retard et de la précipitation.
Pour qu’une administration de travaux publics convienne à notre époque créatrice, il faut qu’elle soit éclairée et prompte, il faut qu’elle soit forte et indépendante ; alors seulement l’intérêt général ne restera point en souffrance, il l’emportera sur les convenances et l’intérêt particulier.
Au lieu d’un chef de division isolé sur qui repose aujourd’hui un service, dont un homme seul ne peut raisonnablement être chargé, je voudrais un directeur général aidé d’un conseil d’ingénieurs permanent. Je voudrai, que le directeur-général, et je vous prie de remarquer ceci, fût absolument étranger au corps des ingénieurs pour qu’il n’eût jamais à s’occuper de la question d’art ; je voudrais surtout une disposition analogue à celle qui, sur ma proposition à la commission des mines, a été insérée dans le projet de loi du gouvernement, et qui serait ainsi conçue : « Les membres du conseil des ponts et chaussées ne peuvent être intéressés ni directement, ni indirectement dans la confection des routes. » J’aime à croire que dans la pratique c’est ce qui se fait déjà actuellement au ministère de l’intérieur ; car s’il pouvait en être autrement ce serait là un abus bien grave, et qui tuerait à sa naissance le système d’association, et la concurrence en matière de concessions, en établissant par la position des ingénieurs un monopole qui serait bientôt intolérable ; les ingénieurs du gouvernement doivent contribue à créer la fortune industrielle de la Belgique et non la leur.
Je désirerais que le directeur-général fût, autant que possible, membre de la législature, pour pouvoir prendre part aux discussions relatives aux travaux d’intérêt général.
Le conseil des ponts et chaussées qui ne se réunit à Bruxelles, chaque année, que dans les premiers jours de janvier, deviendrait permanent.
Il serait composé de l’inspecteur-général, de l’inspecteur-divisionnaire, et de trois ingénieurs en chef ; les cinq membres de ce conseil auraient leur résidence effective à Bruxelles. Ce conseil se réunirait habituellement pour l’instruction de toutes les affaires soumises au directeur-général. Chaque affaire serait instruite par un des membres et discutée en conseil, en présence du directeur-général lorsqu’il jugerait convenable d’assister aux séances. Les bureaux ne seraient plus chargés que des expéditions.
Ainsi plus de retard, car le conseil pourrait traiter les affaires au fur et à mesure qu’elles se présenteraient. Les projets pourraient être examinés sur les lieux mêmes et discutés avec les ingénieurs des provinces, par un membre du conseil délégué, qui en ferait rapport.
Le directeur général, éclairé sur toutes les questions, déciderait en parfaite connaissance de cause, et établirait alors dans l’administration des travaux publics les améliorations dont elle est susceptible et l’uniformité nécessaire ; tandis qu’aujourd’hui ce qui se fait dans une province n’a trop souvent aucun rapport avec ce qui se passe dans la province voisine.
Ce conseil pourrait se réunir au conseil des mines, lorsqu’il s’agirait d’établissement de routes destinées à mettre les exploitations en rapport avec les routes ou canaux de l’Etat et dans d’autres circonstances à déterminer.
Quant à l’augmentation de dépense, elle serait bien peu sensible ; car le corps des ponts et chaussées étant au complet, deux ingénieurs en chef de province et celui actuellement chef de division, au ministère, pourraient être appelés au conseil.
Les deux premiers seraient remplacés dans leur service par des ingénieurs de première classe, et le troisième par un commis qui ne serait plus alors qu’un chef d’expéditionnaires. Il n’y aurait donc réellement à tenir compte que du traitement du directeur-général.
Cette faible dépense serait largement compensée par la lacune et la prompte expédition des affaires, et j’ose dire par l’économie qui s’introduirait infailliblement dans l’exécution des travaux. Le ministre de l’intérieur se trouverait déchargé de la besogne qui l’accable, et la création de ces deux conseils rendrait longtemps inutile l’établissement d’un conseil d’Etat pour la création duquel beaucoup de membres de cette assemblée ont une répugnance avouée.
Messieurs, après vous avoir fait voir l’organisation de cette administration telle que je la conçois, je crois devoir répondre à une objection qu’on ne manquera pas de me faire, que ce serait créer une trop grande centralisation. J’avoue qu’en matière de travaux publics, je suis partisan de la centralisation. Je la crois nécessaire. Je ferai observer que la centralisation serait diminuée par l’augmentation du nombre des membres du conseil. Maintenant ce sont trois hommes qui dirigent tout ce service, et même le plus souvent un seul. Je ne connais pas de centralisation pire que celle qui se résume dans la main d’un seul.
Je crois que la centralisation, comme je l’entends ici, ne serait pas nuisible. Elle porterait sur la direction à donner aux travaux destinés à relier les provinces entre elles ; mais pour l’exécution, ce seraient les ingénieurs des provinces qui en seraient chargés après l’approbation des plans qui est réservée au gouvernement par la loi provinciale. Cette approbation était indispensable. Je ne sais pas ce que seront les nouveaux états députés ; mais je sais que les anciens étaient souvent mus par des intérêts particuliers. L’intérêt de chaque localité trouvait moyen de l’emporter sur une bonne direction dans l’intérêt général.
Les anciens états de la province de Namur, sous le régime autrichien, ont établi une route qui fait tous les circuits possibles.
On n’a pas besoin de demander, en la voyant, si l’ancien propriétaire du château était membre des états ; car on a fait passer la route par toutes les localités où il avait une habitation. La surveillance du gouvernement n’est pas moins nécessaire à l’égard des particuliers et des communes qui font des routes. Dès qu’un péage est établi sur une route, on a le droit d’exiger qu’elle soit bien entretenue, il est du devoir du gouvernement de s’en assurer. Malheureusement c’est une chose qui est trop négligée.
Est-il nécessaire d’appeler l’attention du gouvernement sur les besoins des provinces ? Tous les jours on dépose sur votre bureau des pétitions des diverses provinces réclamant de nouvelles communications. On ne peut y faire droit parce que ces affaires ne sont pas suffisamment instruites. Si le département de l’intérieur était organisé comme je l’entends, il serait facile de satisfaire à ces demandes. Toutes les provinces y ont le plus grand intérêt. D’un côté c’est le Hainaut qui veut relier ses grands établissements industriels avec les routes et les canaux de l’Etat. D’un autre côté, c’est le Luxembourg, province déshéritée, presque abandonnée par tous les gouvernements, sous le vain prétexte de la stérilité de son sol, tandis que si on facilitait l’exploitation de cette terre presque vierge, elle rendrait au pays de grandes richesses qui restent enfouies dans son sein. C’est la Campine, pays non moins négligé que le Luxembourg, qui demande des routes et des canaux pour changer ses bruyères en plaines fertiles et vous promet de vous payer au centuple les avances que vous lui aurez faites.
Ce sont les Flandres qui, quoique déjà dotées de routes et de canaux, réclament de nouvelles communications pour transporter l’excédant des productions de leur industrie vers de grands centres de consommation. Vous savez qu’une proposition d’un projet gigantesque avait été mise sur le tapis. La chambre a cru faire chose utile en disant que cela devait être réglé par la loi. Nous avons laissé la question intacte. Je n’examinerai pas si la route devait être autorisée par le gouvernement, mais je suis persuadé que dans l’organisation actuelle du ministère de l’intérieur, l’exécution de ce projet se fera longtemps attendre, tandis que si une administration comme je l’entends pouvait s’en occuper on aurait bientôt une solution.
Personne ne nie l’utilité des communications dont il s’agit. J’ai un reproche administratif à adresser au ministre de l’intérieur. C’est relativement à la séparation des travaux publics et des ponts et chaussées.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Vous parlez des constructions de chemins de fer ?
M. Desmanet de Biesme. - Oui !
J’ai toujours pensé que c’était une malheureuse idée que d’avoir séparé ces deux choses qui me paraissent intimement unies. Il me semble que les chemins de fer doivent se coordonner avec les canaux existants et ceux à créer.
Je ferai remarquer qu’on se plaint de la lenteur des travaux.
Je crois que l’on aurait remédié à ces inconvénients s’il n’y avait qu’une seule administration pour ces divers moyens de communication. Dans les provinces où passent les chemins de fer, dans les Flandres, par exemple, les ingénieurs et leurs employés ne sont pas tellement occupés qu’ils ne puissent soigner les nivellements, soigner d’autres parties des travaux de la route en fer et leur donner plus de célérité. Cette considération est importante.
Je n’aime pas à me rendre l’écho de plaintes exagérées ; mais j’en ai entendu quelques-unes contre l’administration des chemins de fer, qui, si elles étaient fondées, mériteraient qu’on y fît droit promptement. Je ne veux pas devancer la décision des tribunaux en émettant mon opinion sur une affaire que les magistrats de Bruxelles sont appelés à examiner et à juger ; mais s’il était vrai que certains industriels fussent soumis par l’administration des chemins de fer à des conditions que l’on n’exige pas d’autres industriels, il y aurait là de graves abus ; car on ferait, de cette manière, grand tort, non seulement à ces industriels, mais à la Belgique elle-même, puisqu’on y détruirait cette émulation qui doit résulter de la concurrence.
Un second reproche que j’ai à adresser, c’est d’avoir établi la perception des droits sur le chemin de fer au moyen d’agents qui appartenaient au département de l’intérieur. Jamais le département de l’intérieur ne devrait faire de recettes ; il est créé pour dépenser et non pour recevoir ; c’est au département des finances à percevoir.
Le ministère des finances est une administration fiscale toute montée ; il y a là les moyens et les agents nécessaires au contrôle ; rien de semblable n’existe au département de l’intérieur. Je n’hésite pas à dire qu’il faudrait, dans la loi qui nous est présentée sur la prorogation des péages, mettre une disposition d’après laquelle la perception des droits sur les chemins de fer serait donnée au ministère des finances. Si je suis bien informé, la cour des comptes a fait de ce point le sujet de ses observations.
J’aurais pu vous présenter ces considérations au chapitre spécial du budget de l’intérieur qui traite des travaux publics ; toutefois j’ai cru devoir vous les exposer maintenant, afin d’attirer l’attention du ministre et la vôtre sur cet objet.
Messieurs, quand je blâme différentes parties de l’administration qui me semblent devoir être modifiées, loin de moi la pensée d’être hostile aux chefs de cette administration je fais souvent de l’opposition, mais de cette opposition qui critique et n’entrave pas la marche du pouvoir administratif. Je fais partie de cette classe de citoyens qui, partisans de notre révolution, appréciateurs de ses bienfaits et fidèles au mandat qu’ils ont reçu du pays, demandent des améliorations et non la réorganisation ou la destruction de la machine administrative. J’ai dit. (Bien ! bien !)
M. Manilius. - Messieurs, si je prends la parole dans la discussion du budget de l’intérieur, c’est principalement pour engager la chambre à donner une meilleure direction aux fonds destinés à l’encouragement de l’industrie. L’emploi que l’on a fait jusqu’ici de ces fonds ne me semble pouvoir justifier les intentions du vote qui les a accordés : les véritables industriels et négociants n’en ont aussi qu’à se plaindre. Ces fonds accordés par la nation pour l’encouragement de la généralité ne peuvent servir à privilégier aucun établissement d’industrie en particulier, notamment d’une nature semblable à ceux dont la Belgique est déjà possesseur ; ce n’est pas seulement contre l’esprit de nos lois, mais encore c’est une atteinte sensible aux intérêts des industriels et négociants paisibles, qui ne viennent disputer la part dont le gouvernement dispose souvent en faveur de ceux qui, sous mille formes différentes, viennent le solliciter.
Non, messieurs, les véritables industriels ne désirent une telle manière d’encourager ; ils l’envisagent comme nuisible aux industriels qui ont des capitaux immenses, engagés d’une manière à ne pouvoir se retirer d’une position devenue si difficile.
Ainsi, l’industrie en général ne demande point de l’encouragement pécuniaire, mais une protection légale, des conventions commerciales avec les autres puissances qui veulent s’entendre avec nous, et une même rigueur envers ceux qui nous traitent si rigoureusement.
S’il y a des branches d’industrie qui souffrent depuis longtemps, ce n’est pas avec de l’argent que vous porterez remède à ces souffrances. Il a été reconnu dans cette enceinte que certaines lois protectrices étaient insuffisantes : qu’on se hâte donc d’y porter remède en votant de meilleures lois ; mais que l’on cesse de disposer constamment des deniers des contribuables pour soulager ou soutenir un établissement, et presser ainsi la ruine de l’autre.
Messieurs, j’ai un exemple assez frappant à vous citer, pour que l’on se méfie d’un semblable encouragement.
Rappelez-vous, messieurs, quand le projet de loi sur l’industrie cotonnière a été en discussion, l’honorable M. Smits est venu vous dire : C’est l’industrie gantoise seule qui se plaint, les établissements de Liége et Andennes sont prospères.
L’honorable M. Rogier vous disait : « Que les Gantois fassent comme les industriels de Liége et Andennes ; ceux-là ne se plaignent pas, ils font des dessins de goût et nouveaux, ils les vendent même à Gand, ils exportent aussi des fils à Elberfeld, etc., etc. »
Ces assertions, d’une part, d’un ex-ministre qui ne pouvait ignorer la fâcheuse position des fabriques du gouvernement (car notez, messieurs, que les fabriques d’Andennes et Liége sont au gouvernement, fondées en partie par les fonds de l’industrie et du roi Guillaume, qui est encore intéressé dans la chose), d’autre part, d’un directeur du commerce et de l’industrie, sur la foi duquel nous ne croyons pouvoir établir du doute, surtout qu’il nous débite ces assertions avec une assurance formelle (Andennes et Liége sont prospères, disait-il), tout cela nous fit supposer que des talents supérieurs et inconnus aux Gantois devaient guider ces établissements.
Mais hélas ! messieurs, quelle amère dérision ! Ces établissements, si pompeusement annoncés comme étant en état prospère, sont venus réellement enlever, dans la cité industrielle, la préférence des acheteurs, mais, messieurs, moyennant des sacrifices extraordinaires et énormes. Les comptes que la commission d’industrie vous fera connaître sous peu confirmeront à la chambre combien elle a été induite en erreur dans cette malheureuse discussion. C’est une perte énorme, messieurs, d’environ 31 p.c., que présentent les établissements d’Andennes et de Liége, soutenus par les fonds de l’industrie.
Voila cette prospérité que l’on nous a opposée pour étouffer les plaintes fondées des industriels. Voila l’effet des fonds de l’encouragement pour l’industrie.
Ainsi, je ne qualifierai pas la conduite de ceux qui ont humilié l’industrie gantoise ; elle était donc ignorante, impuissante, parce qu’elle ne se résigna à sa ruine, parce qu’elle s’est plainte pour qu’on mette un terme à ses malheurs.
Non, ces plaintes ne devaient pas être fondées parce qu’un délégué du gouvernement, pour veiller aux fonds de l’industrie, était venu déposer un détail erroné sur la position des établissements du gouvernement.
Cet exemple, messieurs, est frappant pour prouver ce que peuvent les fonds pour l’encouragement de l’industrie ou le million Merlin de triste mémoire, car ces établissements en ont reçu une large part et en demandent encore.
Il est donc bien démontré, messieurs, que ce n’est pas à tort que l’on s’est toujours plaint de la prodigalité de ces fonds de l’industrie que l’on prélève si péniblement sur la nation.
Chaque écu que vous accordez, messieurs, à ce genre d’encouragement, devient une arme terrible contre l’industriel qui ne vous demande rien et c’est, sans doute, bien ce dernier qui mérite la préférence de vos égards.
Voter des fonds sous le simple titre d’encouragement pour l’industrie, c’est voter la ruine des véritables industriels, c’est exciter à l’intrigue pour obtenir de la prodigalité des ministres des capitaux que vous lui abandonnez si bénévolement. Que des fonds pour encourager l’industrie soient votés, mais que l’on désigne la manière de les utiliser.
Que l’on accorde par exemple un encouragement pécuniaire à un inventeur d’une industrie nouvelle qui manque de ces moyens pour réaliser son invention, de même à l’inventeur ou l’introducteur d’un procédé nouveau, pour autant que rien de semblable n’existe en Belgique ; ensuite, en accordant des brevets à l’inventeur d’une mécanique qui souvent devient indispensable à une industrie, brevet par lequel il met les industriels à contribution par le prix exorbitant auquel il fixe son objet breveté, que l’on compose avec cet inventeur ou introducteur par le moyen du fonds de l’industrie, afin qu’il livre au fabricant la nouvelle mécanique au prix le moins élevé possible, alors vous encouragerez réellement l’industrie en général, et les fonds votés à cette fin rempliront réellement leur but.
Mais créer des établissements nouveaux d’industrie ou de commerce qui viennent contrarier ou renverser les anciens, c’est un abus révoltant.
Voici, messieurs, ce que je propose d’ajouter à l’art. 1er du chapitre XI : « Ces fonds ne peuvent être affectés à aucun établissement industriel ; néanmoins, des subsides pourront être accordés pour des inventions, perfectionnements ou introductions de mécaniques ou procédés nouveaux et utiles. »
Vous comprendrez facilement, messieurs, que mon but n’est absolument que d’éviter que l’on dispose de ces fonds en faveur des sociétés d’une nature telle que j’ai eu l’honneur de vous signaler, et qu’au lieu de servir d’encouragement, ils ne servent qu’à mettre la perturbation dans le commerce et l’industrie. Car vraiment c’est incompréhensible qu’un gouvernement dispose des deniers du trésor pour trafiquer en concurrence contre les industriels nationaux, contre ses contribuables.
L’industriel, le contribuable enfin, serait donc tenu de soudoyer son propre concurrent.
Vous dire, messieurs, que sous l’ancien gouvernement les fonds de l’industrie n’avaient aussi d’autre libellé que le mot encouragement, c’est assez vous dire pour vous engager à restreindre la trop grande extension de ce mot et à éviter ainsi de voir encore former de ces espèces de sociétés en Belgique. Déjà celles établies par le roi Guillaume ne sont que trop nuisibles.
On pourrait croire, messieurs, que je me déclare ici l’ennemi des associations. Il n’en est rien ; je suis au contraire, autant qu’on peut l’être, satisfait de voir se former en Belgique l’esprit qui a produit de merveilleux effets dans d’autres pays. Mais je m’oppose qu’on mette le peuple à contribution pour soutenir ou doter les sociétés qui viennent nuire à l’industrie : je demande que l’on ne vote pas des fonds sans destination certaine ; car le mot d’encouragement a été tellement mal interprété, qu’il est devenu découragement pour l’industriel qui n’en est point venu disputer une part.
J’espère que la chambre prendra ces motifs en considération et votera pour mon amendement ; car, messieurs, c’est pénible de voir que depuis la révolution les nombreuses faillites que nous avons à déplorer sont précisément des établissements qui n’ont point reçu des fonds de l’industrie ; ils n’ont su résister aux sacrifices continuels qu’ils ont dû faire pour soutenir la concurrence de ceux qui sont en possession des capitaux à bon marché, et qui n’ont point des créanciers incommodes, car le gouvernement n’exige point, avec la même rigidité qu’un autre bailleur de fonds, la rentrée aux époques fixes. Obsédé par ses débiteurs, le gouvernement, au contraire, croyant sans doute faire une bonne action, accorde toute facilité pour la rentrée des fonds de l’industrie, tandis que l’on pousse ainsi à la ruine de véritables industriels qui ne sont point des débiteurs de l’Etat, mais des contribuables attachés à la patrie, sans autre gage que celui de la protection des lois. Les forcer de lutter contre les deniers du trésor qui sont entre les mains de leurs concurrents, c’est continuer l’un des griefs les plus repoussants et les plus reprochés l’ancien gouvernement.
M. Smits. - Je partage entièrement les principes que vient de développer l’honorable préopinant sur la manière de distribuer les fonds d’encouragement à l’industrie portés au budget de l’intérieur ; aussi, ce sont ces principes qui ont constamment été mis en application par le gouvernement. Vous voyez donc qu’une erreur est échappée à l’honorable membre lorsqu’il prétendu que c’était au moyen de ces fonds que le gouvernement était venu au secours des fabriques d’Andennes et de Liége. Messieurs, ces fabriques n’ont pas reçu une obole à titre d’encouragement.
Il existe entre l’Etat et l’établissement d’Andennes un ancien contrat d’après lequel le gouvernement doit lui avancer annuellement 70,000 f. jusqu’à concurrence d’une somme stipulée.
C’est le ministère des finances qui est chargé de l’exécution de cette clause : ce ministère manquait de fonds, le ministère de l’intérieur lui a avancé 40,000 fr. ; mais cette avance a été faite au ministère et non à l’établissement.
La seule circonstance où le gouvernement a fait une exception à ses principes rigoureux, c’est lorsque les fabriques de tissus de coton ont présenté leurs doléances ; alors on a fait une avance de fonds à la société formée pour favoriser l’industrie cotonnière.
Généralement lorsque le gouvernement se détermine à faire des avances sur le fonds de l’industrie, c’est en faveur d’une industrie nouvelle, ou d’une industrie qu’il importe de propager dans le pays.
Je pense que ces explications satisferont l’honorable membre et qu’elles rectifieront entièrement ses idées.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Je me proposais de répondre au discours de M. Desmanet de Biesme, mais je m’aperçois que cet honorable membre est absent. Les observations que j’aurais à présenter pouvant revenir quand on en sera au chapitre des travaux publics, j’ajourne ma réponse.
De toutes parts. - A demain ! A demain ! à demain ! Nous ne sommes pas en nombre.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - J’apprends que plusieurs membres de cette chambre sont disposés à s’absenter ; alors nous ne serions plus en nombre pour délibérer ; il serait regrettable que la discussion du budget de l’intérieur fût suspendue.
M. Legrelle. - Je pense que tout ce que l’on pourrait dire dans la discussion générale trouvera sa place dans la discussion des chapitres ; ainsi je crois qu’on peut clore la discussion générale.
Si on la continuait, il en pourrait résulter un très grave inconvénient ; c’est que plusieurs membres qui viennent ici pour voter et non pour discourir s’absenteraient.
Je demande formellement que l’on prononce la clôture de la discussion générale.
M. Jullien. - Je pense que tout ce que l’on peut dire maintenant ne signifie rien absolument, car nous ne sommes pas en nombre pour prendre une décision.
De toutes parts. - L’appel nominal ! l’appel nominal !
M. le président. - Je vais mettre aux voix par appel nominal la clôture, et cet appel nominal constatera en même temps si nous sommes en nombre suffisant.
53 membres sont présents.
50 votent la clôture de la discussion générale.
3 s’abstiennent de prendre part au vote.
Ainsi la discussion générale est close.
Ont voté la clôture : MM. Bekaert-Baeckelandt, Berger, Cols, Cornet de Grez, de Behr, Dechamps, de Jaegher, de Longrée, de Meer de Moorsel, F. de Mérode, Demonceau, de Muelenaere, de Nef, de Renesse, de Sécus, Desmaisières, Desmanet de Biesme, de Theux, d’Hoffschmidt, Dubois, Bernard Dubus, Eloy de Burdinne, Ernst, Heptia, Hye-Hoys, Jullien, Kervyn, Legrelle, Liedts, Manilius, Morel-Danheel, Pirmez, Pollénus, Quirini, Raikem, Rouppe, Schaetzen, Simons, Smits, Stas de Volder, Ullens, Vandenbossche, Vandenhove, Vergauwen, Verrue-Lafrancq, van Hoobrouck, L. Vuylsteke et Zoude.
M. Milcamps a voté le rejet.
MM. Brabant, Dubus aîné et Gendebien se sont abstenus. Ces honorables membres déclarent qu’étant momentanément hors de la séance, ils n’ont pu savoir sur quoi on votait, et qu’ainsi ils ont été obligés de s’abstenir.
- La séance est levée à 5 heures moins un quart.