(Moniteur belge n°67, du 7 mars 1836)
(Présidence de M. Raikem.)
M. Schaetzen fait l’appel nominal à une heure.
Il donne ensuite lecture du procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. Dechamps présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.
« Un grand nombre d’habitants de Tournay, Peruwelz, Blandain, Tainteignies, Nechin, Leers-Nord, Bailloeul, Saint-Léger, Estaimbourg, Templeuve, Estaimpuis et Marquin demandent le maintien au peuple de l’élection directe des échevins. »
« Les héritiers et représentants des frères Clermont de Hodimont réclament le paiement des intérêts arriérés depuis 1793 des sommes avancées par les frères Clermont aux communes de Herve, Petit-Rechain et Dison pour constructions de routes. »
« Des fabricants de coutellerie de Gembloux demandent un traité de commerce avec la France ou la réunion aux douanes allemandes. »
« Le sieur F. Begrand à Halanzy (Luxembourg), né à Longwy (France), habitant la Belgique depuis 1813, demande la naturalisation. »
« Le conseil communal de l’Ecluse (Brabant) réclame le paiement de la somme de fr. 1,857 04 du chef de fournitures de fourrages à l’armée française en 1831. »
- La pétition qui est relative à l’organisation communale restera déposée sur le bureau pendant la discussion de la loi sur cette matière.
Celle du sieur Begrand, qui a pour objet une demande en naturalisation, est renvoyée à M. le ministre de la justice.
Les autres sont renvoyées à la commission des pétitions.
M. le président. - Nous en sommes au chapitre dernier, relatif aux délimitations. L’art. 78, qui forme ce chapitre, est ainsi conçu dans le projet du gouvernement :
« Art. 78. Lorsqu’une fraction de commune aura été érigée en commune, un arrêté royal ordonnera une convocation immédiate des électeurs de la fraction qui se sépare, réglera tout ce qui est relatif à la première élection et fixera la première sortie périodique en concordance avec les sorties générales prescrites par la présente loi.
« Les conseils communaux règlent, de commun accord, le partage des biens communaux entre les habitants des territoires séparés, en prenant pour base le nombre des feux, c’est-à-dire des chefs de famille ayant domicile dans ces territoires. Ils règlent également ce qui concerne les dettes et les archives.
« Les délibérations relatives à ces objets sont soumises à l’approbation de la députation provinciale.
« En cas de dissentiment entre les conseils communaux, la députation provinciale nomme trois commissaires pour chaque commune, et les charge de régler les différends sous son approbation et sauf recours au Roi. »
Au lieu des second et troisième paragraphes, la section centrale propose l’amendement suivant :
« L’ancienne et la nouvelle commune nommeront chacune trois commissaires pour déterminer les limites, régler tout ce qui est relatif aux questions financières, au partage des archives, et, en un mot, pour procéder à la séparation de la communauté, de manière à ce que les communes ou fractions de commune conservent leurs biens, leurs droits et usages, et que les biens communaux soient répartis en prenant pour base le nombre de feux. En cas de contestation, la députation statuera, sauf recours au Roi. »
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - La différence entre le projet du gouvernement et le projet de la section centrale consiste en ce que la section centrale fait intervenir pour le règlement des intérêts communaux une commission nommée par les conseils qui ont des affaires à régler, tandis que le gouvernement laisse intervenir les conseils eux-mêmes, ce qui est plus conforme aux principes de l’administration communale. Rien n’empêchera les conseils communaux de nommer des commissaires pour préparer le travail relatif à leur liquidation. Je crois que la proposition du gouvernement est plus en harmonie avec la constitution qui donne aux communes la gestion de leurs propres affaires.
M. Jullien. - Messieurs, si nos discussions sont si longues et surtout si fastidieuses, cela vient un peu de cette espèce de manie que l’on a de vouloir toujours changer, corriger, modifier des articles qui par eux-mêmes n’ont pas grande importance, qui sont réglementaires, qui ont subi quatre ou cinq examens et autant de discussions.
Il s’agit dans l’article 78 d’une fraction de commune qui elle-même devient une commune. Il est tout simple que lorsqu’une grande commune est divisée, on partage les dettes et les biens de la communauté qui a existé entre la fraction et l’ancienne commune. D’après le projet du gouvernement, on décide que dans ce cas les conseils communaux règlent, de commun accord, le partage des biens entre les habitants des territoires séparés, eu prenant pour base le nombre des feux. Il règle également ce qui concerne les dettes et l’argent. Cette disposition est logique. En effet, qui doit faire ce partage ? Incontestablement l’ancienne commune et la nouvelle, c’est-à-dire l’ancien conseil et le nouveau.
Je ne vois pas pourquoi la section centrale substitue trois commissaires à la commune elle-même, qui, d’après la constitution, a le droit de faire ses propres affaires.
Mais, dit-on, comment voulez-vous qu’un conseil communal aille faite en masse le partage ? S’il ne peut le faire, que chaque conseil nomme des commissaires et prenne toutes les mesures qu’il jugera propres à l’éclairer, voilà l’ordre des idées ; et voilà comment cela doit se pratiquer. La disposition présentée par le gouvernement est sage et raisonnable, tandis que je n’aperçois pas l’utilité de l’autre proposition. Des commissaires ne doivent intervenir qu’en cas où les conseils communaux ne sont pas d’accord, et c’est ce que suppose l’article 78 dans son dernier alinéa qui est ainsi conçu :
« En cas de dissentiment entre les conseils communaux, la députation provinciale nommera trois commissaires pour chaque commune, et les charge de régler les différends sous son approbation et sauf recours au Roi. »
Alors vous voyez que quand chaque conseil communal a épuisé sa juridiction et n’a pas pu parvenir à la liquidation, c’est à la députation à nommer des arbitres, des experts, des commissaires, lesquels examinent les différends ; la députation juge, sauf recours au Roi. Voilà l’économie dans laquelle on doit laisser l’article. C’est ainsi qu’il est présenté par le gouvernement. Quant à moi je voterai le projet du gouvernement, et je rejetterai celui de la section centrale.
M. Dubus. - D’après le projet de la section centrale, on établit comme règle absolue que les biens communaux seront partagés en prenant pour base le nombre des feux, c’est-à-dire le nombre des pères de famille ayant domicile dans le territoire ; mais on prend une autre règle pour la question financière et le partage des dettes. Il me semble cependant qu’il y a beaucoup de cas où la même règle doit être appliquée au partage des biens comme au partage des dettes.
Supposez qu’une commune ait pour une valeur de 20,000 fr. en biens, et qu’elle ait pour 10,000 francs de dettes, vous ne pouvez vouloir qu’on partage les biens suivant une règle, et les dettes suivant une autre.
Quant à la différence entre l’article du gouvernement et l’article de la section centrale, elle consiste principalement en ce que l’article du gouvernement fait régler le partage par les conseils communaux, tandis que la section centrale, supposant que ce mode de procéder est impraticable, veut que chaque conseil nomme trois commissaires.
On objecte qu’il est très possible que le partage soit exécuté par les conseils communaux ; mais pour le cas où les conseils n’auraient pas pu s’entendre, reconnaissant la nécessité de nommer des commissaires, on les fait nommer, non pas par les conseils communaux, mais par la députation. Dans tous les cas, si l’on n’admet pas la proposition de la section centrale, je crois qu’il y aurait lieu à modifier le dernier paragraphe du gouvernement.
Il me semble que c’est aux conseils communaux à nommer eux-mêmes les commissaires, sauf recours au Roi. En conséquence je proposerai la disposition suivante :
« En cas de dissentiment entre les conseils communaux, s’ils ne peuvent s’entendre, ou s’ils le jugent convenable, trois commissaires seront nommés par chaque commune, lesquels seront chargés de régler ces différends sous l’approbation de la députation des états, sauf au recours au Roi. »
Je ne trouve nulle part la raison pour laquelle ce serait la députation qui imposerait des commissaires aux communes : dès que trois commissaires doivent être nommés pour chaque commune, c’est le conseil communal qui doit les nommer.
M. Jullien. - L’honorable préopinant convient assez qu’il faut laisser aux conseils communaux le soin de régler et de liquider la communauté qui a existé entre deux territoires : mais, dit-il, pourquoi laisserait-on à la députation des états le choix des trois commissaires ? Messieurs, la raison en est simple ; dès que les deux communes ne s’entendent pas sur le règlement et qu’elles déclarent quels sont les objets qui les divisent, c’est à la députation des états à nommer les commissaires, elle fait comme font les tribunaux qui nomment des experts. Dès que vous investissez la députation des états du droit de juger le différend entre les communes, il est tout simple que ce soit la députation des états qui nomme les commissaires afin de s’éclairer sur les moyens de statuer en définitive sur les points qui divisent les communes.
Je ne me rends pas bien raison pourquoi la députation nommerait trois commissaires pour une commune et trois commissaires pour une autre ; il me semble qu’il suffirait qu’on nommât un nombre quelconque de commissaires pour examiner les points en litige ; c’est une observation que je soumets au ministère.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Je ne vois pas grand inconvénient à adopter la proposition telle qu’elle est faite par le gouvernement. Mais je ne vois pas non plus grand inconvénient à ce que la députation ne nommât que 3 ou 4 commissaires. Je m’en rapporte à la sagesse de la chambre.
- L’amendement de la section centrale est mis aux voix et rejeté.
L’amendement présenté par M. Dubus est également rejeté.
La chambre décide que la députation des états ne nommera en tout que trois commissaires, et elle vote l’adoption de l’art. 78 présenté par le gouvernement.
« Art. 79. Lorsqu’une commune ou fraction de commune aura été déclarée réunie à une autre commune, on procédera, quant aux intérêts communs, d’après les dispositions de l’article précèdent. Si l’adjonction de cette commune ou fraction de commune nécessite une augmentation du conseil communal de la commune à laquelle elle est réunie, il sera procédé comme au même article. »
- Adopté sans discussion.
« Art. 80. Jusqu’à ce qu’il y soit autrement pourvu, le conseil communal est tenu de porter annuellement au budget des dépenses les frais et dépenses des chambres de commerce et des fabriques. »
M. Devaux. - Messieurs, sans avoir l’intention d’occasionner une discussion longue, je demanderai la permission de présenter à la chambre un amendement.
Vous avez réglé la nomination du secrétaire de la commune ; vous avez décidé qu’il y aurait incompatibilité entre les fonctions de secrétaire et celles d’employé du gouverneur ou du commissaire de district. Je crois qu’il y a quelques considérations propres à justifier une exception temporaire à faire à cette règle.
Il y a des employés des gouverneurs et des commissaires de district qui sont en possession depuis dix, quinze ou vingt ans, des places de secrétaires communaux.
Vous savez qu’il n’y a pas de grands changements dans les bureaux des gouverneurs, et que les employés y ont de petits traitements. Ce sont de petites existences. Ce ne sont pas là des hypothèses. Plusieurs réclamations m’ayant été adressées par ces employés, je les ai crues tellement justes que je vais ici vous les exposer.
Je proposerai en conséquence une exception au principe adopté. Cette exception serait ainsi conçue :
« Les secrétaires communaux employés au gouvernement provincial, ou au commissariat du district, et qui sont secrétaires communaux depuis plus de dix ans, peuvent être maintenus dans leurs fonctions. »
Le nombre en est extrêmement restreint. Il y a 2,600 communes en Belgique, et il n’y a peut-être que 15 ou 20 individus dans le cas que je signale.
Il y avait quelque chose d’extrêmement dur à briser ces humbles existences qui ont survécu à tous les bouleversements politiques. Pourquoi changer ces existences, surtout quand ils ne peuvent plus modifier leurs habitudes et entrer dans une nouvelle carrière ? Je crois que ce serait exagérer la rigueur du principe que de ne pas le faire fléchir devant des considérations d’humanité.
Je dois dire que, malgré l’exception, on pourrait ne pas continuer à employer ces secrétaires, s’ils ne remplissaient pas les conditions nécessaires à leurs fonctions.
M. Jullien. - Je demande la parole pour appuyer l’amendement. Je ne répéterai pas les considérations que l’honorable membre a fait valoir, et auxquelles la chambre est sans doute disposée à rendre justice.
En fait d’abus, mon opinion est qu’il faut frapper dessus, les extirper, mais qu’il faut ménager, autant que possible, les personnes. Je conçois, en effet, que l’on détruise un principe par lequel certaines pensions sont accordées, mais je ne veux pas que l’on touche aux pensions données.
J’ai eu des conversations avec un homme d’Etat de l’Angleterre : son avis est aussi qu’il faut toucher aux abus sans toucher aux droits acquis.
Vous avez depuis dix ans, quinze ans, vingt ans, des employés des anciennes administrations qui sont secrétaires des communes ; il en est qui étaient autrefois employés dans les préfectures ; si votre loi est adoptée comme elle est, voilà des pères de famille dont l’existence sera dérangée, dont les ressources seront taries. Ce n’est pas ce que vous voulez. Vous le voudrez d’autant moins qu’on vient de vous faire remarquer que les communes ne sont pas forcées de continuer leur confiance à ces employés.
Si une commune trouve que son ancien secrétaire mérite encore sa confiance, pourquoi la forcer à le renvoyer ?
L’honorable membre propose le délai de dix ans ; je sous-amende la proposition, et je demanderai qu’on abaisse le délai de cinq ans.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - J’avais demandé la parole pour présenter que vient de présenter l’honorable M. Jullien. Depuis la révolution, les conseils communaux ont pu révoquer les secrétaires des communes ; de telle manière que ceux qui ont été conservés l’ont été parce qu’ils méritaient la confiance de la commune, puisqu’elle aurait pu, depuis 5 ans, les révoquer de leurs fonctions. Je crois donc qu’il y a des motifs d’équité pour faire admettre l’amendement proposé.
M. Dumortier, rapporteur. - Je ne puis donner mon assentiment à l’amendement.
D’abord, je partage pleinement l’opinion de l’honorable député de Bruges ; je suis tout à fait de son avis ; toutes les fois qu’il s’agit de droits acquis, nous devons les respecter. Dans mon opinion, si, comme en Angleterre, nous songions à déraciner les abus en respectant les droits acquis, nous n’aurions pas touché à ce qui constitue véritablement des droits acquis. Mais ici s’agit-il de droits acquis ? En aucune manière ; il s’agit de fonctions temporaires qui ne constituent nullement des droits acquis.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Il y a au moins possession.
M. Dumortier, rapporteur. - Oui, mais une possession momentanée, une possession qui ne vaut pas titre. Il s’agit de fonctions tellement momentanées, qu’à tout instant elles sont révocables.
Qui vous dit que dans plusieurs communes on n’aurait pas révoqué, depuis quelque temps, les secrétaires, si l’on n’avait pas eu la perspective de pouvoir les écarter, en vertu de la nouvelle loi communale ?
L’amendement tel qu’il a été formulé par la chambre a été demandé par un grand nombre de membres de cette assemblée et du sénat.
Messieurs, on s’est plaint de ce que des employés des commissariats de district et des gouverneurs provinciaux étaient secrétaires de communes. On a cité des faits qui me paraissent on ne peut plus péremptoires. On s’est plaint de ce que les employés qui cumulaient ces fonctions, lorsqu’ils envoyaient une dépêche dans une commune, envoyaient, en même temps, la réponse à y faire. On a considéré avec raison cela comme un abus. Au reste, l’honorable auteur de la proposition a reconnu qu’elle pouvait donner lieu à quelques abus ; mais il pense qu’elle peut être utile dans quelques localités. Si vous ne l’adoptez pas, dit-il, vous allez apporter une modification au budget de ces employés.
C’est comme si l’on disait qu’un bourgmestre qui exerce ces fonctions depuis 10 ans, devra nécessairement être renommé par le gouvernement, parce que sans cela il y aurait une modification apportée à son budget. Ce serait déraisonnable ; c’est cependant ce que l’on vous propose de faire pour les conseils communaux.
L’honorable auteur de la proposition a dit qu’elle ne pourrait donner lieu à des inconvénients, puisque le secrétaire serait nommé par le conseil. Mais il n’en est pas ainsi : la première nomination des secrétaires est faite par le Roi, c’est- à-dire par les gouverneurs et les commissaires de district, car ils font les présentations, et l’on sait que ces présentations sont toujours suivies de nominations. Vous feriez donc cesser l’incompatibilité, alors qu’il serait le plus nécessaire de l’établir. Ce serait dénaturer un premier vote de la chambre ; ce serait modifier une disposition qui est irrévocablement admise. Je ne pense pas que vous puissiez le faire.
J’ajouterai un mot pour faire voir combien auquel on veut porter remède est criant. L’expérience a démontré que toutes les fois qu’une commune, ayant pour secrétaire un employé du gouvernement ou du commissariat de district, était en collision d’intérêt avec une autre commune, c’était toujours en faveur de la première de ces communes que l’administration faisait peser la balance.
En outre, c’est un abus dont on s’est beaucoup plaint, que la résidence du secrétaire est à plusieurs lieues de la commune à l’administration de laquelle il participe. Adopter la proposition des honorables députés auxquels je réponds, c’est vouloir perpétuer ces abus, c’est comme si vous insériez dans la loi, en termes exprès : « Tout employé d’un commissariat de district ou d’un gouvernement provincial, qui est en même temps secrétaire d’une commune, sera maintenu dans ses fonctions. » Ce n’est pas pour perpétuer un pareil abus, que vous voudrez modifier une décision que vous avez prise et qui est irrévocable, puisqu’elle a été adoptée sans amendement, au premier vote, par la presqu’unanimité de la chambre, et de l’assentiment du gouvernement.
M. Devaux. - Je pourrais me dispenser de répondre à l’honorable préopinant ; car tout ce qu’il a dit peut s’appliquer au sous-amendement fait à ma proposition, mais non pas à ma proposition même. Je ne détruis pas la règle ; car la règle comprend 2,700 communes, et mon amendement ne s’appliquera tout au plus qu’à 15 ou 20 communes. Mon amendement ne s’applique qu’aux secrétaires qui exercent ces fonctions depuis plus de 10 ans ; et je dis que cela arrivera tout au plus dans 15 ou 20 communes. Or, remarquez quelle coïncidence : il faut pour qu’il y ait abus, il faut que ces 15 ou 20 secrétaires aient été nommés par l’ancien gouvernement ; que, lorsque la révolution a éclaté, ils aient été maintenus dans leurs fonctions qu’ils exerçaient depuis quatre ou cinq ans ; que depuis lors ils n’aient pas été révoqués par les conseils communaux, et qu’en outre ils aient été nommés par le Roi. Après toutes ces garanties, il faudrait un singulier hasard pour que, dans quinze ou vingt communes, se présentent les abus dont se plaint l’honorable préopinant.
Sans doute, il n’y a pas de droits acquis ; il n’y a pas de droits rigoureusement acquis.
Mais c’est une considération d’humanité en quelque sorte que j’ai fait valoir.
Remarquez que la plupart de ces secrétaires qui remplissent ces fonctions depuis dix ans et plus sont d’un âge très avancé, et qu’alors qu’il y aurait abus, la mortalité n’en aurait que trop tôt fait justice.
Je crois donc que si l’assemblée n’adoptait pas le sous-amendement, elle ne peut, sans vouloir encourir le juste reproche de dureté, se dispenser d’adopter mon amendement.
M. d'Hoffschmidt. - Je trouve que les inconvénients signalés par l’honorable M. Dumortier sont très positifs. Il n’y a pas de doute que, si vous adoptez l’amendement de l’honorable M. Devaux, vous perpétuerez pour une certaine quantité de communes des abus qui existent, on ne peut en douter.
J’ai pris la parole, parce que MM. Jullien et Devaux ont dit que les communes ne seraient pas obligées de conserver leurs secrétaires. Mais il arrive que des communes qui désirent se débarrasser d’un secrétaire, n’osent pas le faire, parce qu’elles craignent de s’attirer l’animadversion d’un secrétaire attaché au commissariat du district ; voilà ce qui fait que bien souvent les secrétaires sont maintenus par les conseils communaux.
Quant à moi j’ai tellement considéré ce cumul comme un abus, que, comme commissaire de district, j’ai défendu à mes employés de servir de secrétaires aux communes ; je ne veux pas même qu’ils rédigent pour une commune une pétition, parce qu’ils peuvent être appelés à rédiger un avis sur cette pétition, et que l’ayant rédigée, ils seraient portés à faire pencher la balance du côté du pétitionnaire.
C’est un abus évident. Mais, dit-on, il ne s’appliquera qu’à 20 ou 30 communes ! Pourquoi donc, je le demande, puisque c’est un abus, puisque c’est un mal, l’établir exceptionnellement ?
Je sais que certains secrétaires de la Flandre orientale ont adressé une circulaire à tous les employés de commissariats de district pour les engager à pétitionner afin de pouvoir être secrétaires de communes. Cela démontre l’abus que ces messieurs en font.
Il y a souvent un motif pour maintenir un secrétaire, c’est qu’il est mal rétribué par le commissaire de district, parce que celui-ci même n’a pas un très fort traitement. Si les commissaires de district rétribuaient assez bien leurs communes, ceux-ci n’auraient pas besoin de recourir à des centimes additionnels pour avoir un traitement suffisant.
Je crois que c’est un abus qu’il est bon de déraciner pour toujours, de telle sorte qu’il ne se représente plus.
- Le sous-amendement de M. Jullien à la proposition de M. Devaux est mis aux voix ; il n’est pas adopté.
La proposition de M. Devaux est mise aux voix et adoptée.
« Art 80. Jusqu’à qu’il y soit autrement pourvu, le conseil communal est tenu de porter annuellement au budget des dépenses les frais et dépenses des chambres de commerce et des fabriques. »
- Adopté.
M. le président. - La chambre a terminé le projet de loi d’attributions communales. La suite de l’ordre du jour appelle le second vote du projet de loi d’organisation communale.
M. Dubus (pour une motion d’ordre.) - Je ne pense pas que la chambre ait annulé sa résolution antérieure ; la chambre a décidé que, lorsqu’elle aurait terminé le premier vote sur tout ce qui concerne la loi communale, elle aurait à décider en premier lieu s’il serait fait une ou deux lois des deux titres de la loi communale, et que, dans le cas où elle déciderait qu’il sera fait deux lois, alors elle commencerait la première loi, dont un article a été ajourné. Je vous ferai remarquer que le dernier article de la première loi n’a pas subi l’épreuve du premier vote, parce qu’on a reconnu qu’il fallait décider auparavant si les deux titres de la loi communale formeraient une ou deux lois.
Je demande donc que l’assemblée décide préalablement s’il y aura une ou deux lois d’organisation communale.
Quant à moi je demande qu’il soit décidé par la chambre qu’il n’y aura qu’une seule loi. Je crois que les motifs qui ont déterminé à une bien faible majorité, il y a environ un an, à séparer le titre du personnel du titre des attributions pour en faire des lois spéciales, n’existent plus. Quels sont ceux que l’on a allégués ? C’est que la chambre ayant modulé au second vote, le système adopté au premier vote pour l’organisation du personnel, il était convenable de chercher à mettre d’accord les trois branches du pouvoir législatif sur les questions de personnel, d’ajourner le second vote sur le surplus, et d’attendre que la première loi fût votée par le sénat et eût reçu la sanction royale.
Voilà les motifs que l’on a mis en avant. Mais aujourd’hui il n’est pas question de cela, il est question d’envoyer les deux titres ensemble au sénat. Alors je demande pourquoi les séparer et en faire deux lois. Comment, alors que dans des dispositions générales vous êtes obligés de mêler ce qui concerne les attributions avec le personnel ; comment, alors que vous avez été obligés de mettre aux voix comme question préalable une question du titre des attributions, pourrait-on faire du titre du personnel une loi séparée ?
Nécessairement d’ailleurs nous devons pouvoir voter sur l’ensemble de la loi, sur les deux titres réunis. Sans cela, nous pourrions être gravement trompés sur le résultat définitif de nos votes. Quand la première loi aurait été adoptée par l’autre chambre, on viendrait lui demander des modifications dans la seconde. On ferait des efforts pour obtenir ces modifications ; et de guerre lasse les deux chambres finiraient par admettre un système différent de celui qu’a voulu cette assemblée.
J’appelle sur ce point l’attention la plus sérieuse. Alors ce système de conciliation deviendrait un système de déception ; c’est alors que la déception se réaliserait.
Je pense donc que nous ne devons pas voter deux lois séparées.
Il faut qu’elles soient sanctionnées toutes les deux à la fois ; si l’on n’y prend garde maintenant, on ne pourra plus revenir sur ce point.
L’on fera des efforts multipliés pour mettre d’accord trois branches du pouvoir législatif. L’on dira que le pays attend la loi provinciale. L’on fera consentir les membres qui sont entrés dans une voie de conciliation à un nouveau sacrifice.
Je ne pense pas, messieurs, que l’on puisse signaler un seul avantage de la réunion de la loi communale en deux lois. Quant à la réunion des deux titres en une seule loi, elle est rationnelle parce qu’elle présente un tout complet ; cette réunion seule peut satisfaire les membres qui sont entrés dans le système que l’ensemble de la loi vient de consacrer. Donnez-leur la satisfaction de voter sur l’ensemble en une seule loi. Ne les forcez pas à fractionner leurs votes, l’un sur la loi du personnel, sans égard aux attributions, l’autre sur la loi des attributions, sans égard au personnel.
M. le président. - L’article additionnel suivant a été déposé sur le bureau :
« La présente loi ne pourra être mise à exécution que simultanément avec la loi d’organisation provinciale.
« Les élections provinciales et communales devront avoir lieu dans la même quinzaine.
« Dumortier, Dubus aîné, Doignon, A. Gendebien, D. Quirini, Aug. Frison, P. David, C. Raymaeckers, A. Vanden Wiele, Fréd. Corbisier, Coghen (pour la promulgation simultanée), Dams, de Renesse, H. van Hoobrouck, F. d’Hoffschmidt, Troye, Jullien, Vergauwen, J. Vandenbossche, L. Desmaisières, F.-A. Manilius, Stas de Volder. »
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Avant de m’expliquer sur la proposition de l’honorable M. Dubus, je voudrais savoir si dans son opinion il y aurait lieu de suspendre le second vote.
M. Dubus. - Non, non.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Dans ce cas nous ne formons pas d’opposition à la réunion des deux lois en une seule.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Ainsi la déception n’a pas lieu.
M. Dumortier, au nom des signataires de l’article additionnel, prend la parole en ces termes. - Vous savez, messieurs, que le pays réclame la loi provinciale, que les cours et tribunaux sont en souffrance parce que les conseils provinciaux n’existent pas. D’un autre côté, les états provinciaux se composent de personnes qui depuis longtemps ont épuisé leur mandat.
Nous avons pensé que puisque l’on donnait au gouvernement la loi communale, il fallait que le gouvernement fît en sorte de donner au pays, en même temps, la loi provinciale.
Il n’existe à cet égard aucune garantie pour nous. Voilà deux ans que la loi provinciale est votée, et cependant le pays n’est pas encore doté de cette loi.
Dernièrement le ministère s’appuyait de l’art. 139 de la constitution pour prouver que les lois provinciale et communale devaient être mises ensemble à exécution.
C’est ce que nous demandons. Comme il ne nous a pas paru possible que les élections fussent faites en même temps, nous avons voulu au moins qu’elles fussent faites dans la même quinzaine.
Les élections communales se font dans les localités, les élections provinciales dans les chefs-lieux de cantons. Le gouvernement pourra informer les électeurs que dans la même quinzaine ils auront à élire les membres des conseils communaux et les membres des conseils provinciaux. C’est une garantie qui n’est pas dans la loi provinciale.
Du reste, cette proposition n’est que la reproduction textuelle de ce que le gouvernement a déclaré devoir être fait.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Je crois qu’il n’est pas nécessaire de faire de grands efforts pour faire comprendre à la chambre combien l’élection simultanée des conseils communaux et provinciaux pourrait amener de confusion et d’agitation dans le pays. Cette proposition n’est exécutable sous aucun rapport.
Nous désirons autant que quelques membres que ce soient que la loi provinciale soit mise en vigueur. Nous désirons que cette loi soit discutée immédiatement au sénat. Ce désir est partagé par cette assemblée elle-même qui attend avec impatience l’adoption de la loi communale par cette chambre pour s’occuper de la loi provinciale.
Sous ce rapport donc je crois qu’il y a unanimité de vues entre les trois branches du pouvoir législatif.
Mais fixer un délai pour les élections communales et provinciales comme on le propose, c’est chose impossible. La seule chose que l’on puisse souhaiter, c’est que les lois soient promulguées immédiatement.
Sous ce rapport, nous prenons très volontiers l’engagement de faire tous nos efforts pour que la discussion et la promulgation des deux lois soient immédiates et en quelque sorte simultanées.
M. Dumortier. - Vous voyez d’après ce que vient de dire M. le ministre de l’intérieur qu’il n’y a pas une grande différence entre notre proposition et la sienne. Le gouvernement prend l’engagement de promulguer simultanément les deux lois, elles seront donc exécutées simultanément dix jours après leur promulgation.
Quant à notre seconde proposition, elle est toute rationnelle. Elle n’offre pas d’inconvénients. L’essentiel, c’est que les deux lois soient mises à exécution en même temps. C’est que l’on ne puisse pas doter le pays de la loi communale avant la loi provinciale. La deuxième disposition de notre article ne peut donner lieu à des inconvénients et présentera des avantages réels.
M. Gendebien. - Il est bien entendu que notre proposition n’a d’autre portée que de faire promulguer en même temps, le même jour, les deux lois.
Quant à l’exécution. M. le ministre vous a dit qu’il pourrait être dangereux de procéder aux deux élections dans la même quinzaine ; qu’il pourrait en résulter de l’excitation, du désordre dans le pays.
Au commencement de la révolution, l’on a procédé en même temps aux élections municipales et aux élections du congrès. Jamais il n’y a eu un concours plus considérable d’électeurs, et il n’en est pourtant pas résulté le moindre désordre, pas même le moindre signe d’agitation dans le pays.
Si M. le ministre de l’intérieur n’a pas d’arrière-pensée, je lui demande de répondre catégoriquement à ma proposition. Que l’on procède en premier ordre aux élections des conseils provinciaux. Je n’ai plus rien à dire.
Que le gouvernement prenne l’engagement de procéder d’abord aux élections des conseils provinciaux.
La chose est toute rationnelle. Il existe actuellement des conseils communaux au grand complet. L’administration communale marche régulièrement, tandis que nous n’avons pas d’organisation provinciale. Les besoins d’une organisation provinciale se font sentir tous les jours davantage. Il est donc tout logique de commencer par les élections des conseils provinciaux.
Croyez-vous qu’il soit bien prudent de ne pas faire dans la loi une stipulation sur l’objet qui nous occupe ? Si nous ne décidions rien à cet égard, on commencerait par procéder aux élections communales, et l’on se ferait des créatures dans les communes au moyen de la nomination des bourgmestres et des échevins. L’on dénaturera ainsi les conseils provinciaux. Voilà ce qui arrivera.
Que M. le ministre donc nous donne une sécurité ; qu’il nous promette d’agir rationnellement, logiquement, naturellement.
Nous ne demandons pas autre chose.
Je prie M. le ministre de vouloir bien répondre à mon interpellation.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Je ne pense pas du tout qu’il y ait lieu pour le gouvernement de prendre l’engagement de commencer par les élections provinciales.
Je rappellerai à la chambre ce qui s’est passé lorsque les deux lois ont été présentées. Tout le monde donnait la priorité à la loi communale. L’on n’a commencé la discussion de la loi provinciale que sous la réserve de l’interrompre aussitôt que le rapport de la loi communale serait près. C’est que chacun connaissait l’extrême urgence d’organiser la commune.
Voilà ce qui s’est passe dans cette chambre. Si l’on a achevé la loi provinciale, c’est que le rapport de la loi communale n’a pas été présenté à temps.
Je ne puis prendre l’engagement que l’honorable préopinant demande.
M. Dubus. - Je ne suis pas d’accord sur les faits avec M. le ministre de l'intérieur. Il a dit que l’on ne s’était occupé de la loi provinciale qu’en l’absence du rapport de la loi communale. C’est la loi communale en effet qui a été présentée la première au congrès. Mais l’on a fait remarquer dans cette assemblée que c’était celle dont on avait le moins besoin, qu’il était surtout urgent d’organiser la province, attendu qu’elle était privée de toute représentation. L’on a, en quelque sorte, fait au ministre de l’intérieur d’alors la sommation de présenter une loi communale, et il l’a présentée.
Il résulte des délibérations du congrès que l’on voulait voter en premier lieu de la loi provinciale. C’est par suite de ce désir que le premier ministère du Roi a présente en premier lieu à la première session du corps législatif la loi provinciale, signalée comme la plus urgente, parce qu’il y avait une représentation communale et qu’il n’y avait pas de représentation provinciale.
Maintenant M. le ministre de l’intérieur veut faire procéder aux élections communales avant les élections provinciales ; quoiqu’il ne l’ait pas dit formellement, il résulte assez des paroles qu’il vient de prononcer qu’il suivra cet ordre.
La question est réduite à ses véritables termes : si l’on veut servir des fonctionnaires que la loi communale met à la disposition du gouvernement pour influencer les élections provinciales, l’on commencera par les élections communales. Voilà toute la question, selon moi.
Je voudrais que le gouvernement eût la franchise de s’expliquer nettement. Mais comme je ne veux pas que le gouvernement exerce une telle influence, j’appuie la proposition déposée sur le bureau.
Je désire que la représentation provinciale soit une vérité, représente réellement la province. C’est pour cela que je désire que les élections soient en quelque sorte simultanées.
Quant à l’inconvénient de procéder aux deux élections générales dans la même quinzaine, vous verrez à quoi il se réduit si vous considérez que les élections communales n’exigent aucun déplacement, qu’il suffit que les électeurs se rendent à l’hôtel de ville pour y déposer leur bulletin.
Les seules élections provinciales exigeront un déplacement puisqu’elles auront lieu dans les chefs-lieux de canton. Encore le déplacement ne sera-t-il pas considérable, et les réunions étant multipliées, ne seront-elles pas fort nombreuses.
L’inconvénient que l’on avait trouvé dans des élections simultanées s’évanouit donc complètement.
Toute la question et de savoir s’il convient que le gouvernement puisse nommer d’abord des bourgmestres et des échevins pour en faire des instruments qui lui serviront à influencer les élections provinciales.
Voilà toute la question.
M. F. de Mérode. - Lorsqu’il s’est agi de donner la priorité à la loi provinciale sur la loi communale, c’est qu’effectivement il y avait une organisation communale, tandis qu’il n’y avait pas d’organisation provinciale. Depuis, l’on a remarqué qu’il convenait d’établir ces deux lois ensemble.
Maintenant que le sénat a pris la résolution de ne pas examiner la loi provinciale avant d’avoir la loi communale, il faut que les choses se passent d’une manière régulière.
Or on organise la commune avant d’organiser la province. La commune n’est pas censée organisée aujourd’hui. Cette organisation était très irrégulière. Elle avait été confiée au zèle actif des bons patriotes par l’arrêté du gouvernement provisoire.
Maintenant qu’il s’agit d’organiser définitivement la commune, il convient, selon moi (je ne sais pas ce que fera M. le ministre de l’intérieur), de procéder à cette organisation avant d’organiser la province.
Je ne conçois donc pas que l’on puisse adopter la proposition de l’honorable M. Dumortier. Cet honorable membre voit de la corruption partout.
La place de bourgmestre est si magnifique qu’elle va ôter à celui qui sera revêtu de ce titre, tout patriotisme, toute indépendance, tout intérêt pour la chose. Il appartiendra corps et âme au gouvernement.
Moi j’ai meilleure opinion des personnes qui rempliront les fonctions de bourgmestre et d’échevins. Je ne pense pas que ces personnes abjurent jamais leurs opinions et méconnaissent les intérêts du pays.
Je le répète en terminant : pour organiser la commune et la province, il faut agir régulièrement, commencer d’abord par la commune ; la province vient ensuite.
M. Gendebien. - L’honorable préopinant a dit que l’organisation communale actuelle était très irrégulière. L’on n’a pas été dire qu’elle était toute révolutionnaire. C’eût été aller trop loin. Il n’a pas été jusque-là.
M. F. de Mérode. - Je vais jusque-là si vous voulez.
M. Gendebien. - Je sais que vous n’êtes plus aussi révolutionnaire qu’en 1830.
M. F. de Mérode. - Je ne suis pas révolutionnaire.
M. Gendebien. - Cette organisation, tout irrégulière qu’elle est, marche bien. Elle est le produit de l’élection directe. Elle est le produit de la révolution.
Ce sont ces institutions qu’il faut se hâter de renverser, tandis que celles de Guillaume, formées des hommes de Guillaume, celles-là peuvent rester. Il n’y a nulle hâte de les renverser.
Vous voyez bien que si M. de Mérode n’a pas trouvé l’organisation communale actuelle trop révolutionnaire, comme d’autres membres du cabinet, ayant à choisir entre les hommes de la révolution et les hommes de Guillaume, il n’hésite pas pour maintenir ces derniers.
Tout au contraire, messieurs, à part les raisons que j’ai données tout à l’heure, vous sentez qu’il faut organiser la province d’abord, afin de toucher aux hommes de Guillaume avant de placer les hommes de la révolution.
Il y a urgence reconnue, depuis 4 ans, d’organiser la province, non pas seulement parce que les intérêts provinciaux en souffrent, mais surtout parce que les intérêts judiciaires sont en souffrance.
Une infinité d’autres institutions ne peuvent marcher. Nous n’avons pas de représentation provinciale. Nous n’avons pas d’administrations provinciales. Dans certaines provinces, il n’y a qu’un seul membre de la députation qui soit resté en fonctions.
L’organisation provinciale va être retardée encore longtemps, car le gouvernement voudra se donner le temps de se faire des créatures parmi les bourgmestres et les échevins.
M. de Mérode a de la confiance dans les bourgmestres et les échevins. Moi aussi, messieurs ; mais c’est le gouvernement qui m’inspire de la méfiance. Notre gouvernement n’est pas plus exempt que tout autre de cette manie qu’on les gouvernements représentatifs de substituer l’intrigue au principe de l’élection.
J’ai déjà dit à plusieurs reprises que la résolution adoptée par le sénat concernant la loi provinciale n’était qu’un moyen offert au gouvernement d’organiser la province selon son gré, après qu’il aurait organise la province.
Ce que je disais alors se réalise aujourd’hui. Quelque décision que la chambre prenne sur notre proposition, il est bon que le pays sache que nous n’avons pas été pris pour dupes et que nous prévoyions d’avance l’abus que le gouvernement ferait de la loi communale dans l’organisation de la province.
M. Devaux. - Je ne conçois pas les craintes de l’honorable préopinant. Si ces craintes étaient fondées, le remède qu’il propose ne serait que provisoire. Car elles se renouvelleraient lors de la recomposition partielle des conseils provinciaux, c’est-à-dire deux ans après, et toujours de deux années en deux années.
Adopter l’amendement des honorables membres, c’est décider que nous avons fait une loi détestable dont nous craignons l’application, puisque nous jugeons la loi si mauvaise que nous voulons en retarder l’exécution autant que possible.
Ce serait nous mettre en opposition flagrante avec nous-mêmes.
On propose de faire faire les élections communales et provinciales dans la même quinzaine. Mais comment voulez-vous que dans 15 jours la nomination de tous les bourgmestres et de tous les échevins soit faite ? Il faudra au moins au gouvernement des mois pour faire ces nominations.
Dans quelle position se trouvera alors le conseil communal ? Vous aurez dans chaque commune 6 à 8 candidats aux places de bourgmestre et d’échevins, et au lieu de trois créatures du gouvernement dans chaque commune, vous en aurez 8. (Rires d’approbation.) C’est ainsi que l’amendement atteindrait son but.
Je pensais moi qu’après quatre discussions de la loi communale et une cinquième qui va commencer sur l’heure, nous serions enfin arrivés au bout de nos peines et que la loi communale telle quelle serait mise à exécution. Mais si la proposition qui est faite est adoptée, toute la loi communale devient encore problématique si le moindre amendement est apporté par le sénat à la loi provinciale. On pourra remettre cette loi trois ou quatre fois en discussion, et la loi communale que nous croyions achevée se trouvera encore remise à une époque indéterminée. Il est de la dignité de la chambre de mettre à exécution la loi communale telle qu’elle sera jugée la meilleure. Si nous croyons que la loi est mauvaise, changeons-la ; mais terminons-la, et ayons assez de confiance dans notre œuvre pour la mettre à exécution.
M. le président. - M. Gendebien vient de déposer l’amendement suivant :
« Il ne sera procédé aux élections communales qu’après les élections provinciales. »
M. Dubus. - Je ne me suis décidé à prendre la parole de nouveau que parce qu’un honorable préopinant a fait observer que la loi provinciale pourrait nous revenir à plusieurs reprises. Sur le banc où siège cet honorable membre, on vous a prédit que la loi provinciale vous reviendrait ; et quant à moi, je l’ai toujours pensé, j’ai toujours pensé qu’on n’était pas pressé de donner au peuple une liberté dont il est privé en dépit de la constitution, tandis qu’on avait hâte de restreindre la liberté communale dont il jouit. Aussi la loi communale marchera vite, s’exécutera vite ; et la loi communale terminée, lorsqu’il n’y aura plus de sacrifices à faire, tout ce qu’on voudra bien nous donner dans la loi provinciale sera autant de gagné, car en fait de liberté provinciale le peuple n’a rien. Alors le gouvernement nous fera réellement la loi, et dira : nous n’accordons que cela, c’est à prendre ou à laisser. Le rejet de la loi telle que le gouvernement voudra la modifier serait le renvoi indéfini de l’organisation provinciale, la continuation de l’état de choses actuel, où il n’existe pas de représentation provinciale. Je m’empare de cette considération que la loi provinciale pourra nous revenir, pour appuyer l’amendement.
Si vous l’adoptez, le gouvernement aura intérêt à ce qu’il y ait une organisation provinciale parce que ce sera pour lui le seul moyen d’avoir l’organisation communale.
Ensuite, il ne pourra pas avoir recours ans moyens machiavéliques que j’ai signalés et que j’avais déjà signalés antérieurement. Si vous avez fait le sacrifice d’une partie des libertés communales, vous obtiendrez ce que vous avez voté de libertés provinciales ; on ne pourra pas vous faire la loi pour obtenir des sacrifices ultérieurs. Je prie la chambre de peser ces considérations que je regarde comme très importantes.
J’appuie la proposition et le sous-amendement de M. Gendebien. (Aux voix ! aux voix !)
M. le président. - Je vais mettre aux voix la première partie de l’article additionnel :
« La présente loi ne pourra être mise à exécution que simultanément avec la loi d’organisation provinciale. »
- Après une double épreuve cette disposition est déclarée rejetée.
M. Gendebien. - Il faut mettre maintenant aux voix la proposition de M. Coghen, la promulgation simultanée de la loi communale et de la loi provinciale.
- Cette proposition est mise aux voix.
On demande l’appel nominal.
Il est procédé à cette opération dont voici le résultat :
Nombre des votants, 92.
Pour, 45.
Contre, 47.
En conséquence la proposition n’est pas adoptée.
Ont répondu non : MM. Brabant, Cols, Coppieters, Cornet de Grez, de Behr, de Jaegher, de Longrée, F. de Mérode, W. de Mérode, Demonceau, de Muelenaere, de Nef, Dequesne, Desmanet de Biesme, de Terbecq, de Theux, Devaux, d’Hoffschmidt, Dubois, Duvivier, Eloy de Burdinne, Ernst, Heptia, Keppenne. Lardinois, Lebeau, Legrelle, Mast de Vries, Milcamps, Morel-Danheel, Nothomb, Pirmez, Polfvliet, C. Rodenbach, Rogier, Schaetzen, Simons, Smits, Ullens, Vilain XIIII, Vandenhove, Vanderbelen, Verdussen, Verrue-Lafrancq, C. Vuylsteke, Zoude et Raikem.
Ont répondu oui : MM. Andries, Beerenbroeck, Bekaert, Berger, Coghen, Corbisier, Dams, David, Dechamps, de Meer de Moorsel, de Puydt, de Renesse, de Roo, Desmaisières, Desmet, d’Hoffschmidt, Doignon, Dubus (aîné), Bernard Dubus, Dumortier, Fallon, Frison, Gendebien, Hye-Hoys, Jadot, Jullien, Kervyn, Liedts, Manilius, Quirini, Raymaeckers, A. Rodenbach, Rouppe, Scheyven, Seron, Stas de Volder, Thienpont, Trentesaux, Troye, Vandenbossche, Vande Wiele, Vergauwen, Van Hoobrouck ; L. Vuylsteke et Watlet.
L’amendement de M. Gendebien est mis aux voix. Il n’est pas adopté.
M. le président. - Je crois que la seconde partie de la proposition tombe. (Oui ! oui !)
Nous allons passer au second vote.
M. Dubus. - Je demande qu’en tête de la loi on mette « Loi communale, » et qu’avant le premier chapitre on place, comme dans le premier projet, ces mots : « Titre premier. - Du corps communal, » et ensuite qu’on rappelle en tête de la loi les articles de la constitution qu’on avait placés en tête des deux lois.
- La proposition de M. Dubus est adoptée.
M. le président. - M. le ministre s’étant rallié à l’article 1er, il n’y a pas lieu de le remettre aux voix.
Avant de mettre en délibération l’article 2, je dois faire observer qu’ayant pris la parole dans la première discussion de cet article, je dois quitter le fauteuil.
Un grand nombre de membres. - Non ! non !
M. le président. - Je ne puis rester au fauteuil qu’avec l’assentiment de l’assemblée. (Nous sommes tous d’accord.)
« Art. 2. Les conseillers sont élus directement par l’assemblée des électeurs de la commune.
« Le Roi nomme le bourgmestre et les échevins dans le sein du conseil. »
M. Liedts. - Messieurs, fidèle à mes antécédents, je voterai pour l’article 2 du projet de loi, non pas tel que le ministère l’a mutilé, mais tel qu’il a été délibéré en conseil des ministres, tel que le Roi avait chargé le cabinet de le présenter à la législature. Je voterai donc contre la nomination des échevins par le Roi.
Des ministres, parlant autrefois comme députés, et d’autres honorables membres de cette assemblée, ont fait valoir à l’appui de mon opinion tant et de si puissants moyens, que je me serais décidé à garder le silence, s’il ne restait un point de la discussion qui a été plutôt indiqué que développé et sur lequel il me paraît utile d’appeler de nouveau votre attention.
Messieurs, le dépôt le plus précieux qui soit confié à notre garde, c’est la loi qui garantit la liberté des élections : toutes les autres garanties sociales fussent-elles violées, rien ne serait perdu tant que les élections amèneraient sur ces bancs des hommes qui fussent l’expression du vœu national, tant qu’il descendrait de cette tribune des paroles de vérité qui, se répandant parmi le peuple, prépareraient la voie pour reconquérir les libertés dont il serait momentanément privé. Aussi, je ne crains pas de le dire, ce serait un crime politique que de remettre entre les mains du gouvernement le pouvoir d’étouffer dans les élections la voix de la majorité et de faire arriver dans ce sanctuaire des hommes qui ne représenteraient qu’une majorité factice. Et cependant, messieurs, c’est ce pouvoir immense, redoutable, à mes yeux, que vous allez confier au ministère sans même qu’il eût osé le solliciter.
Lorsque vous voyez augmenter successivement, depuis le congrès, le nombre des agents du gouvernement dans cette enceinte, lorsque déjà on en compte 18 dans la majorité obtenue par le ministère au premier vote, outre ceux qui ont voté avec la minorité ; lorsque vous avez vu destituer des fonctionnaires révocables pour n’avoir pas soutenu l’élection de candidats ministériels ; lorsque vous avez vu ériger en principe qu’un ministère peut destituer ses agents qui s’opposent ici à ses mesures ; lorsque déjà la presse ose parfois mettre en doute l’indépendance de la chambre, est-ce bien sage à nous de donner au ministère le moyen de composer, à son gré, les chambres législatives, d’en éliminer ceux qui pourraient lui faire ombrage, d’y amener ceux dont la voix lui est assurée ?
Messieurs, nous donnons déjà au gouvernement la nomination d’un bourgmestre, et, après avoir créé de cette manière 2,600 nouveaux agents du pouvoir, destinés à devenir autant d’instruments dans les élections, vous ne craignez pas de lui en offrir encore plus de 6,000 en conférant au pouvoir exécutif la nomination de deux échevins au moins dans chaque commune.
Avez-vous bien pesé toutes les conséquences du vote que vous allez émettre ? Vous êtes-vous rendu compte de la position, de l’influence de ces administrateurs communaux, travestis en agent du pouvoir exécutif ? Je sais que dans les grandes villes leur influence est rendue presque nulle par des positions sociales plus élevées, par une civilisation plus avancée, par une indépendance plus grande que dans les campagnes.
Mais, dans les communes rurales, les administrateurs sont les pères, les tuteurs, les protecteurs des habitants ; c’est d’eux qu’ils ont besoin dans les fléaux qui viennent fondre sur leur récolte ou décimer leurs troupeaux, c’est à eux qu’ils s’adressent, comme à leur conseil, leur ami, dans leurs différends ; c’est à eux qu’ils recourent pour la milice, pour intercéder auprès des autorités supérieures ; c’est avec eux qu’ils ont des rapports continuels pour la police rurale ; en un mot, depuis le moment où ils viennent au monde jusqu’à celui où ils en sortent, c’est avec les administrateurs communaux qu’ils ont des relations journalières, permanentes, forcées. Peut-on d’après cela se dissimuler l’immense ascendant que ces administrateurs exercent sur l’esprit des électeurs ? peut-on s’étonner que Paul-Louis n’ait pas craint de dire qu’il vaut mieux être à Paris ennemi déclaré des ministres et des grands qu’à la campagne ne pas plaire à M. le maire ?
Aussi, lorsque ces tuteurs, ces pères de la commune seront devenus les agents du pouvoir, les hommes du gouvernement, les créatures des ministres, que ne fera-t-on pas pour violenter les consciences, pour imposer aux électeurs de la campagne le candidat officiel ? Promesses, menaces, tout sera mis en œuvre ; et quels sont les électeurs des communes sur lesquels l’un ou l’autre de ces moyens odieux n’exercera pas d’empire ?
Aux employés salariés, aux secrétaires, aux receveurs communaux, des hospices, des bureaux de bienfaisance, on fera entendre la nécessité de faire abnégation de leur volonté et de leur raison, de voter aveuglément pour le candidat du pouvoir. A ceux qui ont le bonheur de jouir d’une position plus indépendante, l’on dira : Vous avez des enfants à placer, voulez-vous assurer leur avenir, obtenir pour eux une place ; votez pour le candidat du ministère.
Vous êtes notaire, greffier : désirez-vous obtenir une mutation avantageuse, votez avez nous.
Vous êtes aubergiste, hôtelier : voulez-vous prévenir qu’on n’exécute à votre égard avec une extrême rigueur les règlements locaux sur la police de vos établissements, venez grossir nos rangs.
Vous êtes des membres de notre famille : si vous voulez maintenir votre proche parent dans la place de bourgmestre ou d’échevin, votez avez nous.
Vous êtes des cultivateurs et si vous ne votez avec nous, craignez que le canal qui doit fertiliser vos champs ne soit détourné, que la route vicinale projetée ne prenne une autre direction moins favorable à vos intérêts.
Vous êtes choyé, fêté à la cour : si vous ne votez avec nous... Mais je m’arrête ici, quoiqu’il ne soit pas sans exemple, depuis notre révolution, qu’on ait mêlé le nom d’un auguste personnage aux intrigues électorales.
Oui, c’est au moyen de ces discours et de mille autres semblables, que l’on parviendra à fausser la représentation nationale, à éliminer tous ceux dont la voix trop libre gêne les ministres, à composer une chambre de fonctionnaires révocables ou de personnes qui aspirent à l’être.
Et remarquez que les raisons ne manqueront jamais pour couvrir une conduite si digne d’être flétrie d’une apparente d’amour du bien public. Tantôt ce sera un candidat républicain qu’on voudra écarter, un homme qui ne rêve que le renversement de nos institutions ; tantôt ce sera un orangiste dont la présence serait dangereuse au sein de la chambre ; tantôt enfin ce sera un exalté dont les inflexibles maximes, bonnes en théorie, seraient pernicieuses dans l’application. Et sous ces prétextes on parviendra à éliminer les hommes qui, confondant dans un même sentiment l’amour du Roi et de nos institutions, n’ont d’autre tort que de tenir dans cette enceinte un langage trop sévère et d’être intraitables quand il s’agit de violer le droit du peuple !
Et dans quel moment, messieurs, vous disposez-vous à rendre le gouvernement maître des élections ? Lorsqu’une apathie, un abattement momentanés ont succédé à la fièvre révolutionnaire ; lorsque le triomphe sera d’autant plus aisé, que les électeurs montreront plus d’indifférence ; lorsqu’enfin les nombreux agents du gouvernement, qui ont échoué dans leur candidature aux dernières élections, n’attendent qu’une loi qui leur mette en main plus d’instrument pour réussir !
Oui, messieurs, tel sera le résultat inévitable de votre loi : quand elle ne procurerait pas la facilite d’imposer à la majorité des électeurs de campagne le candidat du pouvoir, elle aura du moins pour effet d’éloigner le grand nombre de ceux qui, malheureusement trop peu soucieux de l’exercice de leurs droits de citoyens, préféreront laisser le champ libre aux intrigues que d’engager une lutte inutile contre les hommes qui administrent leurs intérêts communs, et dont il leur importe tant de se ménager l’amitié. Or, dans l’un comme dans l’autre cas, le mal sera produit.
C’est alors que le ministère, en possession d’une chambre composée à son gré, pourra impunément démolir pièce à pièce les institutions du congrès, et que les députes, au lien d’être les organes des besoins de la nation, deviendront les apologistes de toutes les mesures destructives de notre charte.
Le pouvoir est trop faible, il faut bâillonner la presse qui se constitue l’écho de toutes les exagérations.
Le pouvoir est trop faible, il faut détruire le jury, institution antinationale.
Le pouvoir est trop faible, il faut rendre les associations impossibles.
C’est ainsi qu’au moyen des lois organiques, on rendra méconnaissable l’œuvre admirable du pouvoir constituant et que la charte sera comme un précieux cadre renfermant un hideux tableau. Et à côte de notre presse, vraiment nationale et indépendante, vous verrez des étrangers, dignes émules des Libry-Bagnano, encenser des abus que le bon sens public réprouve, déguiser l’oppression du peuple, vendre et prostituer ce que l’homme a de plus noble, la liberté de la conscience et de la pensée.
Messieurs, c’est s’abuser étrangement de croire qu’en donnant au gouvernement le moyen de corrompre les élections, on augmente sa force. Le gouvernement est fort, au contraire, lorsque, dans ces jours solennels où le peuple assemble délibère sur le choix de ses mandataires, il se trouve dans l’heureuse impuissance de lui imposer des candidats ; lorsqu’il s’appuie sur une majorité librement élue. C’est alors que le gouvernement a pour lui l’opinion publique, les sympathies de la nation, l’affection du peuple, sans laquelle il n’est pas de trône qui soit stable, pas de couronne qui ne pèse.
Rappelez-vous bien, en effet, que le gouvernement le plus odieux, le plus dangereux, le plus exécrable, c’est le gouvernement fondé sur une représentation corrompue, une représentation qui, au lieu d’être le produit spontané des suffrages du peuple, n’est que le produit des intrigues du pouvoir.
Mieux vaudrait cent fois le gouvernement le plus absolu, la tyrannie la plus caractérisée. Au moins le monarque absolu ne peut ignorer la responsabilité qui pèse sur sa tête. S’il veut enfreindre les lois et la justice, il a toujours devant les yeux la fureur populaire : la crainte de mettre en jeu son trône et son existence empêche qu’il n’étende une main de fer sur le peuple qu’il gouverne.
Mais un gouvernement qui repose sur une représentation composée sous son influence, peut s’en servir impunément pour opprimer la nation, confisquer les libertés du peuple par ses propres représentants, anéantir la constitution, et exercer un despotisme d’autant plus redoutable qu’il se cache sous le voile de la liberté.
C’est ainsi qu’au moyen d’une représentation corrompue, Henri VIII parvint à faire du parlement anglais l’instrument aveugle de son despotisme.
Je sais, messieurs, que les temps ont changé, que nous n’avons pas à craindre de sitôt les excès sous lesquels l’Angleterre a gémi à cette époque, et que si l’on se hasarde déjà à élaguer quelques branches vivaces de l’arbre de la liberté, il a encore trop de sève pour qu’on ose mettre la cognée au pied de l’arbre, mais je sais aussi que nous faisons une loi de durée, une loi permanente, une loi destinée à nous survivre. Or, comme les partis, par un principe inévitable qui n’a été démenti en aucun temps, ni chez aucun peuple, tendent à abuser de leur force, comme la volonté des gouvernants ne connaît d’autres bornes que celles de leur puissance, leur fournir les moyens de corrompre la représentation nationale, c’est leur en donner tôt ou tard le désir et la volonté.
On ne manquera pas sans doute de m’opposer ici des fonctionnaires révocables qui ont fait preuve d’une grande indépendance, des hommes que j’estime et que j’honore.
Mais pensez-vous, messieurs, que cela suffise ? Ne voyez-vous pas que le gouvernement représentatif est, je le répète, le gouvernement de l’opinion publique ; qu’il ne faut pas seulement qu’une loi soit l’expression libre de la majorité de la nation, mais qu’il faut encore qu’elle soit regardée comme telle hors de cette enceinte ? Le mal n’est-il pas le même, que la loi soit arrachée par le pouvoir ou que le peuple l’envisage comme tel ? Dans l’un et l’autre cas, la loi ne produit son effet que comme force matérielle et perd son plus bel apanage, la force morale.
Ne voyez-vous pas enfin que votre loi nuira à la considération même des fonctionnaires élus librement ?
Et si un jour, par le vote que vous allez émettre, cette enceinte est envahie par les créatures du pouvoir, à qui remettrez-vous le soin d’y porter remède ? Comptez-vous sur vous-mêmes, vous soutiens du ministère dans cette circonstance ? Mais qui vous dit que vous ne serez pas réduits à cette époque à déplorer au fond de vos provinces l’usage que l’on fait de l’arme fatale que vous aurez confiée au gouvernement ?
Comptez-vous sur le bon sens des électeurs ? Mais vous aurez faussé l’expression de leur volonté, et une majorité dominatrice sera seule en possession du champ des élections.
Avez-vous enfin assez de confiance dans le ministère, pour espérer qu’il n’en abusera pas, qu’il ne fera jamais jouer dans son intérêt tous les ressorts électoraux que vous lui préparez ? Je le veux bien ; mais la vie ministérielle, vous le savez, est bien courte, et qui vous assure que leurs successeurs auront la même sagesse ?
Non, messieurs, si ce malheur vient à peser un jour sur la patrie, si la représentation nationale, faussée dans sa source, n’est plus que l’expression d’une majorité obtenue par les intrigues électorales, il n’y a qu’un seul remède, remède d’autant plus violent que le mal est extrême ; c’est que la nation, longtemps trompée, fatiguée d’un despotisme coloré du nom de liberté, brise violemment le pouvoir qui l’opprime, au risque d’engloutir à la fois le trône et la liberté.
(Moniteur belge n°68, du 8 mars 1836) M. Lebeau. - Messieurs, à propos de l’organisation communale, comme pour les autres lois organiques que la chambre est appelée à fonder, d’après la mesure de puissance législative qui lui est dévolue par la constitution, je crois qu’il est avant tout une réflexion qui doit se présenter naturellement à l’esprit.
La chambre des représentants n’est pas le congrès, la chambre des représentants n’est pas une assemblée constituante, elle n’est pas dotée de l’omnipotence parlementaire ; le pouvoir législatif ne lui est concédé par les institutions fondamentales du peuple belge que dans une proportion déterminée. La chambre doit subir les conséquences de cette position.
La chambre, en présence de l’obligation qui lui est faite par la constitution de pourvoir à l’organisation de la province et de la commune, doit se rappeler qu’il existe dans l’Etat d’autres pouvoirs qui ont leur mot à dire dans ces lois importantes. Vous le savez, dans une autre chambre les premiers votes de la chambre des représentants déjà ont rencontré une opposition très prononcée.
Dans les gouvernements parlementaires, en présence de pareils conflits, chaque branche du pouvoir qui fait les lois a toujours reconnu l’indispensable nécessité de se prêter à des concessions. Si, messieurs, chacun usait de son droit sans limite, de la manière la plus absolue, le gouvernement représentatif serait une entrave perpétuelle à la marche des affaires publiques.
Eh bien, messieurs, placé en face de cette nécessité d’un rapprochement entre les diverses branches du pouvoir législatif, si nous voulons, après un long et laborieux travail, enfanter enfin une loi communale, il faut que chacun de nous, dans la mesure que sa conscience et la constitution lui permettent, apporte dans cette œuvre difficile un esprit de concession et de conciliation.
C’est ainsi que, pour mon compte, j’entends le mandat dont je suis investi ; c’est ainsi que je me prononcerai, non pour le système que je crois le meilleur, mais pour celui qui me paraît avoir de grandes chances de prévaloir, et présenter de bons résultats généraux ; je le crois constitutionnel, et il fait une part assez équitable à l’indépendance communale et à l’indépendance du pouvoir exécutif.
Le projet ministériel ne présentait pas les inconvénients dont un honorable préopinant vient de faire un tableau si rembruni, mais heureusement si exagéré. Le système ministériel, au moins dans l’intention qui semblait y avoir présidé, faisait aussi une part assez équitable au pouvoir exécutif et à l’indépendance communale ; le système présenté par le ministère, au moins dans la pensée qui l’avait dicté, tendait à la solution du problème qui est soumis aux lumières de la chambre, à savoir la libre prérogative du pouvoir royal, du pouvoir chargé d’exécuter les lois et l’indépendance communale.
Ce système, on n’en a pas voulu ; on l’a mutilé, rendu méconnaissable ; on a accepté tout ce qui pouvait affaiblir, paralyser, annuler à mon l’action du pouvoir royal dans la commune, tout ce qui pouvait donner une extension exagérée à l’intervention communale dans l’exécution des lois ; on a répudié le reste. On n’est donc pas en droit de reprocher au ministère d’avoir abandonné son système quand ce système n’est revenu devant nous que couvert de mutilations et complètement défiguré.
C’est, messieurs, par suite de cet esprit de concession dont j’ai parlé tout à l’heure que mes honorables amis et moi avons voté pour le nouveau système résumé dans l’amendement de l’honorable M. Desmet.
Là, messieurs, nous avons persisté à voir de grands inconvénients dans la grande limitation apportée au choix du bourgmestre ; mais nous nous sommes dit qu’il fallait pourtant en finir de cette loi communale, et que si chacun restait inflexible dans les principes qu’il voulait d’abord faire prévaloir, vous discuteriez dix ans encore et vous n’auriez pas de loi.
Le nouveau système, dit-on, constitue une centralisation excessive. Il n’est pas de mot qu’on n’ait cité plus souvent et qu’on n’ait moins défini dans cette enceinte que celui de centralisation.
Mais, messieurs, quelle est la centralisation que nous voulons ? Est-ce une centralisation qui fasse aboutir au pouvoir exécutif le règlement exclusif et absolu des intérêts communaux et provinciaux, des intérêts domestiques, soit de la province, soit de la commune ? Jamais rien de semblable n’a été dans notre pensée.
Nous voulons la centralisation gouvernementale, en ce sens que lorsque les trois branches du pouvoir législatif ont fait une loi, ont déclaré la volonté de la nation, il n’appartienne à personne d’opposer des obstacles, d’apporter des entraves, soit dans la province, soit dans le plus obscur village, à l’exécution de cette volonté. Voilà ce que nous entendons par centralisation.
La centralisation ainsi comprise est inhérente à l’ordre public aussi bien dans une république que dans une monarchie. Ce n’est pas là une question de forme gouvernementale, c’est une question d’ordre public indépendante de la forme de tout gouvernement.
Entendue de cette façon, il est évident que tout le monde doit vouloir de la centralisation ; que l’on doit vouloir de la centralisation pour l’exécution des lois administratives, comme on en veut pour la justice, pour les impôts, pour les douanes.
Et, quant à la centralisation administrative, remarquez-le bien, la loi dont vous avez déjà adopté provisoirement les dispositions, opère une notable décentralisation. La loi actuelle, messieurs, est, sous ce rapport, bien plus libérale que l’arrêté du gouvernement provisoire, arrêté qui n’en mérite pas moins nos éloges pour l’esprit dans lequel il a été promulgué. Il y avait nécessite de le publier ; et, si je remarque que dans cet arrêté le gouvernement provisoire n’avait pas touché aux attributions dans lesquelles résident d’ordinaire les abus de la centralisation, ce n’est pas pour lui en faire un reproche. Il n’y avait pas urgence de toucher aux attributions : il fallait d’ailleurs les modifier d’une main délicate et prudente et avec un calme que ne comportaient pas les circonstances.
La loi actuelle décentralise considérablement sous le rapport communal ; elle fait aboutir à la province une foule de décisions prises par l’autorité communale qui devaient auparavant aboutir au gouvernement central, qui entraînaient des écritures, des lenteurs. Je pose en fait que maintenant, pour plusieurs catégories d’affaires communales, les quatre-vingt-dix-neuf centièmes des délibérations qui aboutissaient au gouvernement central aboutiront désormais à l’autorité provinciale, autorité très voisine de l’autorité communale, et qui a la plus grande analogie, par son origine et par sa formation, avec les conseils communaux.
Messieurs, je l’ai dit, le problème à résoudre dans une bonne loi communale est celui-ci : exécution prompte et certaine des lois d’intérêt général, indépendance communale sans autres limites que celles dictées par l’intérêt général et l’intérêt de la commune elle-même. Car ce n’est pas sans surprise que j’ai entendu professer cet étrange principe, que pour les communes comme pour les particuliers la propriété c’était le droit d’user et d’abuser. Cette doctrine est directement contraire à la nature même de l’association communale.
Les communes, messieurs, ne possèdent point comme propriétaires ; elles possèdent et administrent comme usufruitières ; et il appartient à une autorité tutélaire de veiller à ce qu’une administration imprudente ou coupable n’aliène pas les revenus, le patrimoine des générations futures. C’est de là que dérive la nécessité de la tutelle dans laquelle sous maintenez les communes.
Quant à l’exécution des lois, et d’après l’esprit même de notre constitution, vous avez parfaitement compris que pour que ceux qui en sont chargés puissent remplir leur mission, et soient responsables de la non-exécution, il faut qu’ils aient le choix de leurs agents : c’est là une conséquence de la responsabilité du gouvernement. Garrottez-le, et vous perdez le droit de lui adresser le moindre reproche.
Ce serait, messieurs, une singulière façon d’entendre l’administration publique que de prétendre que l’intervention du gouvernement est amplement suppléée par les peines contre les fonctionnaires communaux, par l’envoi de commissaires spéciaux ou même par l’annulation de leurs actes. Il en résulterait, s’il en était ainsi, que le choix des agents du pouvoir exécutif dans la commune deviendrait une chose complètement oiseuse, que l’on n’aurait à s’informer ni de la capacité, ni de la moralité du fonctionnaire, s’il a ou non des sentiments hostiles au gouvernement né de la révolution ; ii suffirait qu’on fût pourvu d’un arsenal de moyens coercitifs pour vaincre toutes les résistances. Ce n’est pas ainsi qu’on peut entendre le gouvernement ni l’administration. C’est convertir les hommes en purs rouages mécaniques, c’est faire du matérialisme administratif.
Dans le cercle des intérêts domestiques de la commune, la plus grande indépendance possible doit régner ; les limites à cette indépendance ne peuvent se justifier que par l’intérêt de l’Etat ou par l’intérêt même de la commune. Mais ces limites doivent être posées par la sagesse du législateur seul. Il faut que dans le cercle de ses intérêts domestiques l’initiative appartienne toujours à la commune, et qu’à cette règle il n ‘y ait d’autres exceptions que celles posées par la loi.
C’est, messieurs, ce que prescrit la constitution ; c’est ce que vous avez fidèlement observé dans toutes les dispositions relatives aux attributions de la commune.
Que l’on ne s’y trompe pas, il y a des éléments distincts dans la commune ; une commune doit être considérée sous deux rapports : c’est d’abord une collection d’habitants, une association ayant, ainsi que les autres associations, des propriétés à gérer, des affaires à régler, des revenus à percevoir, des dépenses à faire. Ainsi considérée, la commune existe indépendamment de la loi et avant la loi. Une commune est aussi une circonscription administrative créée par la loi, à l’instar des arrondissements et des provinces : sous ce dernier rapport il y a analogie complète. Il faut dans la commune, considérée comme circonscription administrative, que la loi s’y exécute sans entraves, sans rencontrer la moindre résistance.
Mais, dit-on, ce problème est résolu, l’arrêté du gouvernement provisoire s’exécute depuis 5 ans, et la coexistence du régime communal actuel et d’une bonne exécution des lois est démontrée par cette expérience.
S’il en est ainsi, d’où vient donc que tout le monde, au moins la grande majorité du pays, sent la nécessité de substituer une organisation définitive à l’organisation existante ? D’où vient que beaucoup de ceux-là même à qui les abus du régime actuel ne sont pas connus, ont l’instinct, la conscience de cette nécessité ? D’où vient que l’on veut des changements ? C’est que l’on sent que si l’ordre règne encore dans beaucoup d’administrations communales, il a néanmoins un caractère très précaire ; que cet ordre tient surtout, messieurs, à l’influence encore existante des traditions de subordination administrative ; que cet ordre tient aussi à la moralité du pays.
Mais il en est de la moralité d’un peuple comme de ses finances, il faut en user et non pas en abuser ; il ne faut pas soumettre la moralité d’un peuple à des épreuves devant lesquelles elle finirait par succomber. Et c’est le sentiment de cette vérité qui fait désirer une organisation communale nouvelle.
Si, depuis la révolution, on avait fait percevoir les contributions de l’Etat par le receveur de la commune ; que ce comptable eût été nommé par la commune même et révocable par elle seulement, je crois que les lois financières eussent été généralement assez bien exécutées ; mais, malgré les résultats d’un tel système, est-il quelqu’un qui pût en vouloir comme d’un régime définitif ?
Certainement non. Or, ce qui a lieu pour la perception des impôts doit avoir lieu pour l’exécution de toutes les lois d’intérêt général, des lois sur la garde civique, sur la milice, sur les passeports, sur la police des étrangers, pour l’exécution de ces lois salutaires d’extradition et d’expulsion que la patriotique sagesse des chambres a accordées au gouvernement, et dont j’espère qu’il continuera à faire usage avec fermeté et modération. Relativement à l’exécution des lois générales, l’Etat a un intérêt évident d’intervention dans la nomination du bourgmestre et des échevins considérés comme agents du pouvoir exécutif. Mais vous remarquerez que le choix du gouvernement est extrêmement restreint. Dans telle commune où il y a cent personnes parmi lesquelles le gouvernement pourrait choisir les hommes de sa confiance, vous lui imposez l’obligation de se restreindre dans un cercle de sept, neuf, onze candidats : car, terme moyen, les conseils communaux se composeront généralement ainsi.
Il est donc évident que, quant à la formation de l’autorité appelée à exécuter les lois dans la commune, sous le contrôle et la responsabilité du gouvernement, la part laissée à celui-ci est infiniment petite comparée à la part que vous avez faite à la commune elle-même.
Quels sont en général les éléments de la compétence communale ? Les impositions locales, les octrois, les centimes facultatifs, les règlements du droit d’affouage ; la construction ou la réparation d’un chemin, d’une église, d’un presbytère, d’une école, d’un pont, d’un bâtiment quelconque, etc. Eh bien, dans tous ces cas, l’initiative du conseil est la condition sine qua non ; et, je le répète, à cette condition générale une seule exception peut être portée, c’est celle que la loi indique. S’agit-il de budgets de comptes ; rien de tout cela n’est nécessairement soumis au gouvernement. Tout cela, à moins d’appel et de recours de la commune, s’arrête à l’autorité provinciale. Il est impossible de mieux concilier l’indépendance de la commune avec la surveillance que son intérêt même exige.
Mais en dehors de ces éléments qui constituent véritablement la compétence communale, vous avez dans la commune, considérée comme circonscription administrative, à pourvoir à l’exécution des lois : j’ai déjà cité quelques-unes de ces lois : la loi sur la milice, sur la garde civique, etc. ; je demande ce que peut faire à l’exécution de ces lois, en ce qui concerne la commune, une part plus ou moins grande dans la composition du collège échevinal ?
Est-ce que ce collège a la faculté de faire arbitrairement l’application d’une seule de ces lois, et en dehors soit des formes qu’elles établissent, soit des règlements publiés pour leur exécution ? Si au contraire, dans la commune, l’application de ces différentes lois à des droits individuels froisse quelques intérêts, à l’instant même l’autorité provinciale, indépendante de l’autorité du gouvernement, est là pour accueillir le recours du citoyen lésé, et va prononcer en second ressort. Vous voyez dès lors, que, quelle que soit la composition di collège échevinal, il est impossible que les obligations, dérivant de la loi générale, en soient le moins du monde affectées au préjudice d’un citoyen quelconque. Pour la milice, pour la garde civique, par exemple, ce sont des conseils spéciaux qui prononcent, sauf appel à la députation permanente du conseil provincial.
Un honorable préopinant a soutenu qu’il y avait peu de lois générales proprement dites et que les lois administratives notamment étaient essentiellement mixtes. J’ai de la difficulté à comprendre comment les lois sur la garde civique, sur la milice, sur les passeports, etc. seraient des lois mixtes, bien qu’elles puissent affecter les habitants de la commune ; mais à supposer que ces lois soient d’une nature mixte, eh bien ! il faudrait en tirer une conclusion toute différente de celle de l’honorable préopinant ; il faudrait en conclure non pas que le collège échevinal doit émaner de la commune, mais qu’il doit émaner du concours du gouvernement et de la commune, puisque ces lois sont, dit-on, d’une nature mixte.
C’est précisément ce problème qui a été résolu par l’amendement de l’honorable M. Desmet.
Laissant à part les autres considérations par lesquels d’honorables membres de cette chambre ont repoussé le système qui a prévalu au premier vote, un honorable préopinant s’est spécialement étendu sur l’influence électorale, attachée à l’intervention du gouvernement dans la nomination des bourgmestre et échevins. Cet honorable préopinant a fait précéder ses réflexions de quelques considérations générales, et il a paru faire allusion aux votes précédemment émis, dans la discussion actuelle, par des députés qui remplissent des fonctions publiques. Je répondrai à l’honorable préopinant que l’indépendance parlementaire est bien plutôt dans le caractère que dans la position, et qu’on n’a pas besoin d’être abrité par une sinécure inamovible pour voter selon sa conscience.
Avec les principes bien arrêtés que je professe et dont j’espère ne jamais me séparer, dois-je désirer pour moi-même que le pouvoir, dont l’opinion peut varier et dont j’ignore l’avenir, exerce dans tous les cas, lui et la majorité qui le soutiendra, une influence excessive dans les élections ?
Mais moi, je prise un peu plus haut que certains préopinants la moralité du peuple belge, que cependant ils préconisent si souvent ici.
Quoi, messieurs, il suffira qu’on soit bourgmestre, qu’on soit échevin, désigné (remarquez-le bien) parmi les élus de la commune, parmi les citoyens librement choisis par les électeurs, pour qu’on soit, à tout jamais, et comme une bête de somme, inféodé à tous les ministères qui peuvent se succéder ! On a poussé, sur ce point, l’appréhension jusqu’à dire que si la nomination et la révocation des gardes champêtres étaient laissées au gouvernement, on portait une grave atteinte à la liberté électorale. Voilà, il faut en contenir, des influences bien puissantes, bien dangereuses ; voilà un peuple bien moral, des collèges électoraux admirablement composés !
Mais si les collèges électoraux sont composés d’hommes tellement faibles, tellement dégradés que le contact d’un bourgmestre, de l’échevin du plus mince village, que le contact même d’un garde-champêtre puisse l’influencer, l’asservir aux volontés du gouvernement, lui dicter ses votes, ne voyez-vous pas quel argument vous donnez à ceux qui parlent de réforme parlementaire ? Ne voyez-vous pas que vous faites ainsi la satire la plus sanglante des collèges électoraux tels que la législation actuelle les a constitués ?
Et quels sont les hommes du gouvernement qui vont devenir les serviles instruments de ses volontés ? Des hommes qu’il est obligé, lui, de choisir parmi les élus du peuple ; car il est impossible que le gouvernement choisisse en dehors du conseil communal. Il faudrait donc que les électeurs eussent choisi ce qu’il y a de plus malléable et de plus servile, pour que le gouvernement pût faire des magistrats municipaux ses instruments aveugles ? Et quels sont les emplois qui vont corrompre la moralité des citoyens appelés aux fonctions communales ? On vous l’a dit, une corvée, une charge parfois très pénible, une position où souvent l’on se fait des ennemis de ceux dont on est obligé de froisser les intérêts et les passions ; et c’est pour conserver un tel emploi, c’est pour conserver cette charge, cette corvée, qui ne sert souvent qu’à se faire des ennemis, qu’à s’exposer à des menaces, à des ressentiments, à des actes de vengeance, qu’on se vendra corps et âme à l’administration centrale !
Il faut reconnaître qu’il y a, dans les tableaux du préopinant, beaucoup de poésie, sans doute, mais fort peu de réalité. Je crois que la panique dont le préopinant est saisi à la vue des bourgmestre et des échevins désignes par le gouvernement dans le sein du conseil, repose tout à fait sur des chimères.
Mais, nous vous l’avons déjà dit, nous ne tenions pas à ce que le gouvernement nommât les échevins. J’aurais pu appuyer le système de M. le ministre de l’intérieur qui consentait à ce que leur élection appartînt à la commune ; mais vous avez voulu en faire des agents du pouvoir exécutif, vous avez voulu qu’ils concourussent avec le bourgmestre à l’exécution des lois : dès lors notre opinion ne pouvait plus être douteuse. Nous devions voter comme nous l’avons fait.
Au reste, non seulement nous eussions adopté le système de M. le ministre de l’intérieur, nous eussions voté même, mes honorables amis et moi, la suppression complète du collège échevinal. Je pose en fait que si l’amendement de l’honorable M. Pollénus était mis aux voix, les honorables collègues qui partagent mes opinions voteraient pour son adoption.
Nous ne voulons pas plus que vous que le gouvernement ait, dans les élections, une influence illicite, oppressive de la liberté du vote ; mais nous ne voulons pas que vous établissiez, dans les 2,500 communes du pays, le moyen de se mettre en rébellion non seulement contre la volonté du gouvernement mais contre la volonté du pays manifestée par vous ; car le gouvernement n’est chargé que d’exécuter cette volonté. Tout ce que vous ôtez au gouvernement, vous l’ôtez au pouvoir législatif.
Nous ne voulons pas d’agents du gouvernement courtiers d’élections ; mais nous ne voulons pas non plus de petits tyranneaux qui seraient à la fois le fléau de certaines communes, une entrave perpétuelle à l’exécution des lois et des règlements généraux. Voilà quel est notre système ; et sans vouloir me constituer le panégyriste de M. le ministre de l’intérieur, je crois que c’était là le système que voulait le gouvernement.
Où sont, dit-on, les abus de l’organisation actuelle ? On l’a déjà dit : de ce qu’on n’aurait pas vu résulter de nombreux abus d’une organisation provisoire et incomplète, faut-il en induire que cette organisation puisse être perpétuellement maintenue ?
Croyez-vous d’ailleurs que la perspective d’une organisation définitive n’ait pas arrêté beaucoup de velléités de résistance au gouvernement ? Croyez-vous que la position précaire des magistrats communaux n’ait pas influé sur leurs déterminations, sur leur conduite ?
Quand vous auriez proclamé que l’organisation établie par les circonstances, par la nécessité, est immuable et définitif, c’est peut-être alors que vous verriez des fruits amers portés par cette organisation.
Mais, messieurs, ce que je dis de l’avenir, je pourrais le dire pour le passé.
Vous n’avez pas oublié (sans vouloir tirer un trop grand parti de ce fait, je ne puis l’omettre), vous n’avez pas oublié quel scandale a été donné par une des principales villes du royaume. Si trois ou quatre villes avaient imité son exemple, que serait devenue la dignité du gouvernement, la dignité des chambres, qui, dans cette circonstance, ont pensé comme le gouvernement ?
Tout récemment encore, sans vouloir nommer personne, savez-vous comment un échevin, chargé d’exécuter les lois s’est conduit ? Il s’agissait d’un arrêté d’expulsion porté en vertu d’une loi que vous avez votée à une grande majorité. Le gouvernement agissait pour l’exécution de cette loi. Eh bien, l’échevin, loin de se montrer disposé à exécuter la loi, laissait publiquement annoncer qu’il offrait un asile dans sa maison à l’étranger expulsé en vertu de la loi.
Si M. le ministre de l’intérieur voulait faire le dépouillement de ses archives, il pourrait citer d’autres faits analogues.
Je pourrais vous parler encore d’un collège de bourgmestre et échevins qui a écrit à une députation provinciale qu’il se refusait à exécuter la dernière loi rendue par vous sur la garde civique.
Je pourrais m’en rapporter, à l’égard de ce dernier fait, à la science personnelle de plusieurs de mes honorables collègues, sans craindre d’être démenti.
Parlerai-je de l’administration des communes rurales, des plaintes arrivées aux députations des provinces sur les abus commis par des fonctionnaires communaux sur des indemnités de logement non distribuées, sur des empiétements considérables sur les chemins vicinaux ? Parlerai-je de pétitions signées par 80, 100, 150 habitants de telle commune qui demandent la révocation de leur conseil en masse et ne comprennent pas comment il existe une législation qui s’y oppose ? Voilà des faits qui ne sont que trop nombreux, et que la position précaire des fonctionnaires a seule pu empêcher de se multiplier à l’infini, comme cette position et l’attente d’une organisation nouvelle ont suspendu sans doute bien des plaintes semblables.
C’est en présence de ces considérations que je voterai, soit pour que les échevins n’aient aucune part dans l’exécution des lois et soient nommés par la commune, mais aussi pour qu’alors le bourgmestre soit nommé par le Roi partout où il lui plaira ; soit pour la suppression des échevins et la nomination illimitée par la Roi du bourgmestre, ou bien encore pour le système qui a prévalu au premier vote.
(Moniteur belge n°67, du 7 mars 1836) M. Seron. - Je ne viens pas, messieurs, répéter ce que j’ai dit à diverses fois en faveur de l’élection directe des officiers municipaux par le peuple, je veux seulement examiner les considérations produites à l’appui du système contraire par M. de Theux dans son long discours du 8 février dernier, et voir si elles sont aussi décisives, aussi convaincantes qu’il a paru lui-même de se le persuader.
L’honorable ministre parle, en premier lieu des anciennes institutions communales de la Belgique et de celles dont naguère, elle jouissait sous le gouvernement du roi Guillaume, de celles que viennent d’obtenir tout récemment l’Angleterre et la Prusse ; il les compare à son propre ouvrage, c’est-à-dire à vos institutions communales en projet, et naturellement il donne la préférence à celles-ci sur celles-là. Vos anciennes franchises, dit-il, attiraient l’attention de l’Europe, et cependant elles n’empêchaient pas que, dans presque toutes les villes où elles avaient leur siège, les bourgmestres et les échevins ne fussent à la nomination du gouverneur des Pays-Bas. Sous le régime hollandais point de liberté communale pour les villages ; le bill des corporations voté par le parlement britannique est applicable seulement à 134 villes du royaume, et quant au statut municipal de la Prusse il se borne à permettre l’élection dans les villes de trois provinces. Ainsi, poursuit-il, la Belgique dotée dans toutes ses communes, sans exception, de l’élection directe des conseillers municipaux, aura des institutions communales beaucoup plus libérales que celles des autres pays. Mais si l’on examine l’ensemble des institutions, c’est alors que la comparaison est bien plus à notre avantage. Par exemple, en Angleterre il y a une pairie héréditaire forte de privilèges et de possessions ; le Roi est à la tête d’un clergé riche de dîmes et de biens-fonds ; on n’y connaît pas les conseils provinciaux. Ici où il n’existait autrefois ni états généraux, ni liberté de la presse, nous avons deux chambres législatives élues directement et des conseils municipaux délibérant publiquement. Nous avons le droit de pétition, le jury dans toute son étendue, la liberté de la presse sans restriction et la liberté d’association la plus illimitée. Ajoutez-y le bonheur de vivre au milieu d’une nation civilisée, où l’instruction et l’aisance se trouvent répandues dans toutes les classes.
Ce tableau, messieurs, a pu paraître séduisant, mais en réalité il est inexact et incomplet. Effectivement, si l’aristocratie nobiliaire siège à la chambre des lords, l’aristocratie des richesses compose votre sénat où nul n’est admis à moins de payer une contribution directe de 1,000 florins ; et je ne sais laquelle des deux aristocraties est la moins mauvaise, la moins contraire au bonheur de la société : car les richesses font souvent de ceux qui les possèdent des égoïstes, et ne sont pas toujours une preuve de leur capacité et de leur dextérité dans le maniement des affaires publiques. Je ne sais pas non plus si le privilège qu’elles donnent est bien conciliable avec votre constitution, où les Belges sont tous déclarés égaux devant la loi. Nous avons la liberté de la presse, il est vrai ; mais sommes-nous assurés contre la licence du sabre et contre sa propension à briser les presses ? Nous avons le jury, mais le jury incomplet et bâtard de Bonaparte ; nous jouissons du droit de pétition aux chambres, mais il est devenu presque illusoire. Nous jouissons de la liberté d’association dans toute sa latitude, et l’on en use largement ; mais quels avantages en recueillons-nous ?
Elle a fait arriver de la Suisse ici, comme dans une terre de promission, les jésuites chassés de la France par le ministère Martignac ; elle nous amènera les moines espagnols et portugais ; leur habit leur tiendra lieu de passeport, ils ne seront pas expulsés ; ils enseigneront et propageront librement leurs doctrines ultramontaines ; ces doctrines multiplieront les bienheureux et les saints à la grande satisfaction de M. de Theux sans doute, mais elles n’amélioreront pas l’esprit public, elles ne formeront pas de bons citoyens, elles ne contribueront pas à la prospérité et à la félicité du pays. Enfin, il est malheureusement faux que l’aisance soit répandue dans toutes les classes, car les masses ont à peine le nécessaire. Il est également faux qu’elles soient instruites, à moins de supposer qu’il leur a suffi d’apprendre par cœur les vérités du catéchisme. Elles sont au contraire plongées dans l’ignorance et l’abrutissement ; elles y demeureront malgré vos universités, en eussiez-vous dix au lieu de quatre, car les riches seuls peuvent y avoir accès ; elles y demeureront tant qu’il n’existera pas, dans chaque canton, une bonne école gratuite aux frais de l’Etat ; et cette école si nécessaire, on sait que le ministère n’en veut pas et ne l’établira jamais.
Admettons toutefois sans restriction, comme des réalités, les suppositions de M. de Theux ; croyons en outre avec lui que les radicaux du parlement britannique regardent notre constitution et nos institutions « en projet comme le maximum de ce qu’ils voudraient avoir pour leur pays : » en résultera-t-il qu’il a raison et que nous avons tort ? Nous disons : « Dans un gouvernement constitutionnel les bourgmestres et les échevins doivent être élus directement par le peuple ; nous le prouvons. » Il nous répond : Vous vous trompez, puisque, de l’aveu des membres du parlement partisans de la liberté illimitée, nos institutions sont parfaites, bien préférables à celles de l’Angleterre ; vous vous trompez puisqu’elles valent mieux que les institutions prussiennes, mieux que vos institutions anciennes, mieux que les institutions hollandaises ; vous vous trompez, car nous avons la liberté de la presse, le jury, les associations et de plus l’instruction et l’aisance répondues dans toutes les classes de la société. Vraiment, voilà de belles phrases ! mais prouvent-elles que le bourgmestre et les échevins doivent être nommés par le monarque ? Non, elles sont étrangères à la question, elles font voir seulement que M. de Theux passe à côté des arguments qu’on lui oppose au lieu de les rencontrer de front et de les combattre.
Et quand il s’écrie : « C’est au nom de la liberté communale qu’on veut sacrifier l’administration publique et établir le désordre dans la commune ; oui, nos libertés sont en péril en présence de l’exagération des opinions de certains orateurs qui voudraient ôter à la puissance publique tout moyen de réprimer le désordre, » est-ce de la logique ? n’est-ce pas plutôt de la déclamation et de la déclamation ridicule ? Quoi donc ! On vous concède le droit de suspendre, de destituer les magistrats, d’annuler leurs actes, et vous dites qu’on veut vous ôter tout moyen de réprimer le désordre ! y pensez-vous ?
M. de Theux n’est pas plus conséquent quand il cite à l’appui de son opinion ce mot des membres du parlement anglais qu’il a vus à Bruxelles : « En Belgique il faut plutôt édifier que détruire. » Car si ces messieurs ont dit vrai comme il le croit, pourquoi veut-il supprimer l’élection directe dont le peuple est en possession ? Appelle-t-il cela édifier ?
Il assure qu’en France, au commencement de la révolution, l’élection directe ne fut pas créée comme un état normal (je me sers de ses expressions) ; elle ne fut donc suivant lui qu’une mesure de circonstance. Devons-nous le croire sur parole ? Assurément ce n’est ni dans l’histoire parlementaire de cette époque, ni dans le caractère, ni dans les termes de la loi, qu’il a puisé cette étrange opinion. Il ajoute : « Du système introduit par l’assemblée constituante est née l’anarchie. » Mais c’est encore là une supposition gratuite. Je ne sais ce qu’il entend par anarchie. Quand de mauvais Français livrèrent aux Anglais le port, les arsenaux et la flotte de Toulon, il y eut trahison infâme ; quand Lyon, Marseille, le Calvados et la Vendée se révoltèrent, il y eut guerre civile ; le comité de salut public fut un gouvernement de fer jusqu’au 9 thermidor an II, et je ne vois de véritable anarchie en France qu’après cette dernière époque, c’est-à-dire dans ce temps de réaction où l’on égorgeait les républicains en chantant le Réveil du Peuple. Mais avant M. de Theux personne, que je sache, ne s’était avisé de trouver dans l’élection directe l’origine de ces jours de malheur et de sang. Que dirions-nous si l’on venait soutenir ici que le pillage et l’impunité de ses auteurs sont le résultat des élections de 1830 ?
La nation française, dit encore M. de Theux, se trouva heureuse que le pouvoir impérial voulût bien la couvrir de sa dictature et la sauver ainsi des maux dans lesquels elle était abîmée. Je ne sais de quels maux Bonaparte préserva la France, ni quelle reconnaissance elle put jamais lui devoir. A son retour d’Egypte, il l’avait trouvée pleine de vigueur, triomphante ; elle venait de vaincre les Autrichiens, les Russes et les Anglais dans les célèbres batailles de Zurich et de Castricum ; son territoire, y compris les départements réunis, était demeuré intact ; elle avait de bonnes armées et une constitution, les privilèges de l’ancien régime étaient anéantis ; elle ne connaissait d’autres impôts que les douanes et les contributions directes. Bientôt le génie de son empereur abolit les lois libérales et rétablit les vieilles institutions et les vieux abus. La France revit des nobles, des croix, des cordons, des bastilles, des substitutions, des gabelles sur le tabac, sur les boissons, sur le sel. Pour combler ses bienfaits, le grand capitaine entreprit une expédition insensée à la suite de laquelle la nation qu’il avait si sagement gouvernée passa sous les fourches caudines des armées étrangères : voilà des faits.
C’est d’ailleurs aux vues despotiques de ce chef qu’il faut naturellement attribuer le mode de nomination des municipalités créé par la loi de pluviôse an VIII ; mais M. de Theux aime mieux le faire naître du système de liberté introduit par l’assemblée constituante. Je ne sais qui partagera un semblable avis. Au reste, il est à remarquer qu’après son retour de l’île d’Elbe, Bonaparte lui-même se hâta de rendre au peuple l’élection directe des maires, des adjoints et des membres du conseil municipal.
M. de Theux arrive au gouvernement provisoire. « A cette époque, dit-il, on introduisit l’élection directe de tous les officiers municipaux sans exception ; mais cette mesure était toute révolutionnaire ; elle était nécessaire pour le développement de la révolution. » Ainsi, messieurs, on donne des libertés au peuple quand on a besoin de ses services, on lui ôte les libertés quand ses services deviennent inutiles : l’aveu est ingénu. Mais qu’est-ce donc que le développement de la révolution ? Est-ce l’expulsion des Hollandais ? Mais cette œuvre était consommée à l’époque où le peuple fut appelé à nommer lui-même ses magistrats ?
Est-ce la réforme des lois fiscales ? Elle n’est pas encore entamée. N’est-ce pas plutôt la distribution des emplois publics entre nous et nos amis, et la certitude maintenant acquise que ceux qui les occupent les conserveront s’ils n’en obtiennent de meilleures ?
« Mais, ajoute M. de Theux, était-ce là une mesure permanente, une mesure applicable au temps de paix ? Non, le congrès lui-même né de l’élection directe n’a pas voulu consacrer l’élection directe du chef de l’administration de la commune. » M. de Theux se trompe ; la constitution (art. 108) consacre positivement l’élection directe du chef de la commune ; il suffit de la lire pour en être convaincu ; l’exception qu’elle vous permet d’établir, elle ne l’ordonne pas ; son texte est précis. C’est inutilement qu’on voudrait l’obscurcir par des citations puisées dans les gazettes du temps, où l’on sait que les discussions du congrès étaient abrégées et mal rendues ; et ce n’est pas avec de pareilles autorités à la main qu’on peut venir dire à cette chambre : « il ne peut plus être question de constitutionnalité ; il y a chose jugée. » Où donc est le jugement ?
Le trouvera-t-il dans les votes de la chambre ? Mais la chambre n’est pas infaillible ; mieux éclairée, elle peut réformer aujourd’hui une décision par elle prise hier. N’avons-nous pas vu récemment un assez bon nombre de ses membres changer d’opinion au sujet de la censure des théâtres et voter avec nous ?
Enfin, M. le ministre de l’intérieur affirme sans craindre, dit-il, d’être démenti, que depuis cinq ans des communes, en grand nombre, vivent, ou plutôt végètent sous le despotisme de leurs administrateurs. Pour moi je rejette cette assertion dénuée de preuves, et je ne crois pas que plus les élections directes se répéteront pour la nomination du chef de la municipalité, plus les abus iront en augmentant, plus les choix seront mauvais, plus les électeurs seront insouciants. Le simple bon sens me dit au contraire qu’instruits par l’expérience et comprenant leurs intérêts, les électeurs deviendront de jour en jour plus sages, plus zélés, plus capables de faire de bons choix. Je crois que le despotisme des hobereaux et des hommes d’affaires auxquels MM. les commissaires de district pourraient confier les places si elles étaient à la disposition du gouvernement, est beaucoup plus à craindre que le despotisme des élus du peuple, retenus du moins dans les bornes du devoir par la crainte de perdre sa confiance et de n’être pas continués dans leur emploi.
Je finis, messieurs ; je n’ai rien trouvé dans les arguments de M. de Theux qui pût me faire revenir de mon opinion. Je persiste donc à croire que tous les membres de la municipalité, sans exception, doivent continuer à être nommée par le peuple.
M. Dequesne. - Messieurs, la discussion de la loi communale, si je suis bien informé, doit se présenter au second vote avec un élément nouveau. Des pétitions, revêtues de nombreuses signatures doivent être déposées sur le bureau, en faveur des franchises municipales. Personne plus que moi n’est disposé à accueillir avec respect et reconnaissance tous les moyens d’éclairer notre religion, et surtout lorsqu’ils se présentent sous les auspices du droit sacré de pétition. Mais aussi je ne doute pas que les pétitionnaires eux-mêmes, qui sont pénétrés du cercle dans lequel ce droit doit être circonscrit, ne soient les premiers à reconnaître avec nous que leur vœu ne peut être le seul élément décisif dans les déterminations que nous avons à prendre ; que nous avons à apprécier le désir de ceux qui se taisent comme de ceux qui parlent, et que pour cela nous avons à considérer ce qui est exigé par l’intérêt général, le bien-être de notre pays, et surtout par les principes, souvent si fugitifs dans des matières si graves, de la raison, de la justice et enfin de la conscience.
Sous ce rapport, je pense que toutes les raisons un peu saillantes pour ou contre avaient été dites lors de la première discussion, et d’un autre côté cette loi qui comparaît pour la troisième fois devant la législature y avait fixé assez l’attention du pays pour que nous connaissions à peu prés son vœu ainsi que ses besoins, éléments importants pour fixer nos décisions. En sorte que, selon moi, l’on aurait pu sans inconvénient ne pas prolonger davantage la discussion. Si la matière était grave, il faut reconnaître que de part et d’autre on y avait apporté toute la gravité et toute la solennité désirables, et que c’était en toute maturité et en connaissance de cause que la chambre avait pris une détermination.
D’un autre côté, s’il m’est permis de hasarder quelques conjectures sur notre décision, je pense qu’elle eût réuni une plus forte majorité si plusieurs membres n’eussent penché pour l’amendement proposé par l’honorable M. Pollénus, ou la combinaison mise en avant par l’honorable M. Fallon.
Déjà plus d’une fois, dans le cours de la discussion qui vient d’avoir lieu, les partisans de l’élection directe, en défenseurs courageux, ont repris à nouveaux frais une question à peu près souverainement jugée, et recommencé indirectement un examen que la chambre, peut-être, aura trouvé fort long, non par là que je veuille les blâmer ; au contraire, j’admirerai toujours la persévérance, fruit de la conviction, comme une des premières qualités de tout homme politique. J’ajouterai que la présentation des mêmes arguments sous des formes diverses à plus de force qu’on ne pense peut-être, et que ce n’est pas sans peine que les hommes même les plus inflexibles parviennent à y résister. C’est ce qui a fait dire à un des plus habiles diplomates du siècle que, de toutes les figures de rhétorique, il n’en était pas de plus incisive, de plus pénétrante, de plus irrésistible que la répétition.
Cependant, quoique la discussion soit rouverte, j’éviterai autant que possible l’emploi de ce moyen. Je laisserai de côte toutes les raisons que l’on a fait valoir et sur la constitutionnalité et sur l’opportunité du système, et qui, selon moi, me paraissent décisives. Je ne reviendrai pas davantage sur les considérations tirées de notre situation politique, soit intérieure, soit extérieure, et que j’avais présentées pour démontrer la nécessité de rattacher les communes à un centre commun, en laissant toutefois la liberté d’action qu’il est juste et raisonnable de lui accorder. Ce serait, selon moi, abuser des moments si précieux de la chambre. Je demanderai seulement la permission de dissiper les nuages fort sombres et fort noirs, dont on a voulu entourer et nos actes et nos intentions, et j’espère vous faire voir que tout ce qui s’est passé dans cette discussion n’avait pas besoin d’une couleur aussi rembrunie, ni aussi chargée. Je terminerai par quelques considérations nouvelles qui me paraissent nécessitées par la manière dont, au dehors, on a présenté la question.
Il est d’abord un argument favori que l’on a présenté sous toutes les formes et sur tous les tons. L’on nous a peints comme les sacrificateurs, comme les immolateurs de la liberté communale. Nous avons eu beau dire, comme vient encore de le démontrer l’honorable M. Lebeau, que la vie de la commune aurait toute l’activité désirable avec le système de publicité, d’élection directe du conseil, du baptême populaire donné à ses magistrats municipaux ; qu’il fallait avoir un peu égard à la nécessite d’unité et dans le gouvernement et dans l’administration. L’on ne nous a tenu aucun compte de tous ces tempéraments et de toutes ces raisons ; et l’on nous a condamnés comme voulant la mort et de la commune et de la liberté communale. Cependant, quoique condamnés par nos honorables contradicteurs, nous n’en devons pas moins, je pense, rester parfaitement convaincus de notre innocence, et ne pas trop regretter un système qui aurait eu pour résultat de ramener des franchises abolies depuis longtemps, et contraires à la chose publique comme à l’intérêt général.
Nos raisons n’ont pas été plus épargnées. Pour ma part, ainsi, j’avais dit que dans les attributions dévolues aux autorités municipales, partie était d’intérêt communal, parie d’intérêt général ; et, en cela, je croyais n’avoir fait que suivre l’opinion des auteurs les plus connus et l’autorité des hommes d’Etat les plus en renom. Je m’étais trompé, et l’honorable M. Doignon a repoussé bien loin ces distinctions comme purement sophistiques.
Comme dans une autre circonstance à peu près, un autre honorable membre n’avait vu dans mes raisonnements que de la subtilité et de l’escobarderie, quoique, soit dit en passant, j’avais toujours cru jusqu’à présent que la doctrine d’Escobard était d’admettre les morales de toutes les couleurs, et de les trouver toutes également bonnes.
Pour en revenir à la question, l’honorable M. Doignon pense au contraire que l’application des lois et arrêtés d’administration générale n’est elle-même qu’une question d’intérêt communal. Je conçois cette manière de voir dans le système qui considérerait les communes comme autant de petites républiques venant aboutir à un centre commun, par un lien d’allégeance, de foi et d’hommage lige. Mais dans un gouvernement représentatif tel que le nôtre, où les lois doivent recevoir une exécution uniforme et régulière, je ne puis plus admettre un semblable raisonnement. Je me garderai bien cependant de dire à l’honorable membre qu’il n’y a dans ses raisons que du sophisme. Mais je lui ferai observer qu’il m’est impossible de ne pas y voir de l’anachronisme.
Quoique présentés sous une autre forme, tous les raisonnements de l’honorable abbé de Foere reviennent à peu près au même résultat. « Lorsque les intérêts de la commune sont mal gérés, a dit l’honorable membre, le mécontentement ne s’agite que dans le cercle de la commune même ; si les administrateurs sont le fait de sa propre nomination, la commune aura à s’imputer à elle-même les conséquences de son propre choix. » Et plus bas : « Le gouvernement est neutre dans la plupart des conflits et des dissidences. Les murmures, les réclamations et les griefs ne peuvent l’atteindre sérieusement. »
De ces paroles il semble résulter que l’honorable membre voudrait un gouvernement neutre, impassible au milieu des événements et des actes administratifs ; à peu près comme l’antiquité nous représente l’aveugle Destin. Un semblable rôle serait fort agréable pour ceux qui aiment à ne rien faire. Cependant si l’administration venait à être mauvaise ou vexatoire, je ne sais si les administrés laisseraient le gouvernement jouir de cette irresponsabilité que l’honorable abbé de Foere est tout prêt à lui abandonner. La justice humaine, en fait d’ordre social, a une tout autre manière de procéder.
Il est un argument qui paraît, au premier abord, le plus sérieux que l’on ait fait valoir dans la discussion, et qui cependant, tout bien pesé et considéré, ne me paraît pas avoir une portée aussi longue que celle qu’on voudrait lui donner. En laissant au gouvernement le choix de trois agents dans chaque commune et pour la plupart électeurs, l’on craint que l’influence du pouvoir ne devienne trop grande dans la composition de la représentation nationale. Je ne reviendrai pas sur toutes les considérations que l’on a fait valoir pour dissiper presque entièrement ces inquiétudes. L’honorable M. Lebeau a rempli cette tâche beaucoup mieux que je ne pourrais le faire. Me bornant à résumer, je mettrai de nouveau les principales en saillie. D’abord, les places de bourgmestre et échevins sont, en général, fort peu recherchées. D’un autre côté, la part que prennent et le peuple et le gouvernement dans la nomination de ces fonctionnaires est à peu près la même. Si ce choix appartient au Roi, l’élection primitive vient du peuple. Au bout des six ans, les élus doivent comparaître devant leurs juges naturels. Et là, toute la vie politique est passée en revue. Soyez-en sûrs, les votes, pourvu qu’ils soient bien connus, n’y échapperont pas. D’un autre côté encore, il y a tact de précautions et de palliatifs encore contre les mauvais choix de la représentation nationale, le scrutin secret, l’élection directe, la liberté de la presse, les débats et les votes au grand jour, et enfin l’opinion publique, pour que, dans une perspective que tant d’autres circonstances rendent peu probable, il faille repousser ce qui est exigé par le besoin d’une bonne administration et la nécessité d’unité dans notre ordre politique et social. Si tant de raisons n’étaient pas faites pour nous rassurer, il faudrait, je ne crains pas de le dire, désespérer du gouvernement représentatif.
Une autre accusation d’une nature grave dans l’état actuel des esprits a été lancée contre le système adopté par la majorité. Quoique cette accusation soit partie du dehors, je ne crois pas cependant manquer aux convenances parlementaires en l’abordant et en la discutant. Car, selon moi, la tribune nationale a pour mission d’accueilli, et de discuter tous les reproches, toutes les doléances, tous les griefs présentés convenablement, quelle que soit leur source, qu’ils viennent de cette enceinte ou du dehors. Un de nos honorables collègues, usant de son droit de citoyen, a représenté, par la voie de la presse, les dispositions soumises en ce moment à vos suffrages, comme funestes à la religion, je dirai même comme lui portant un coup fatal. Au premier abord, j’avoue que je n’ai point vu ce que les franchises municipales pouvaient avoir de commun avec la religion : pour trouver quelque valeur à cette accusation, il a fallu aller plus loin et me reporter aux principes et aux doctrines professées dans cette enceinte à diverses reprises, et notamment dans la discussion qui nous occupe aujourd’hui.
Circonscrire le rôle du gouvernement à la surveillance des intérêts purement matériels, lui refuser toute action, toute direction dans la sphère des intérêts moraux ; éviter, autant que possible, que le pouvoir puisse s’attirer une influence morale : tel est le système complet que les honorables abbé de Foere et M. Doignon, n’ont fait que développer en partie, que d’autres membres ont soutenu en d’autres occasions, et dont, pour moi, les franchises communales ne sont qu’un simple corollaire. C’est entraînés par la force de ces principes que plusieurs honorables membres voudraient n’accorder au pouvoir que des moyens répressifs, moyens dont l’emploi répété serait peu propre à lui gagner la faveur populaire. C’est ainsi encore qu’ils voudraient l’isoler le plus possible de ses agents, lui laisser avec eux les points de contact les moins agréables et les moins conciliateurs. Qu’on y prenne garde ! contre le gré et le vœu de mes honorables contradicteurs, les derniers résultats de cette doctrine sont plus à redouter qu’on ne pense, et cependant en politique il faut savoir aller au fond des choses, et ne pas craindre d’en prévoir les dernières conséquences ; car si on les laisse dormir aujourd’hui, demain viendra quelqu’un qui, lui, saura les tirer.
Il faut bien le dire, cette crainte de toute influence gouvernementale, même dans les limites les plus restreintes, a été surtout manifestée sur les bancs des membres qui à diverses reprises se sont proclamés éminemment catholiques. Et ici peut-être on m’arrêtera en me disant que, légalement parlant, il n’y a dans cette chambre ni catholiques, ni protestants, ni déistes, mais bien des citoyens. Cela est vrai dans la rigueur des principes, mais la religion a toujours joué dans la société un si grand rôle ! Elle éveille dans notre Belgique tant de susceptibilités de part et d’autre que, pour nous surtout, cette manière d’envisager les choses ne sera dès longtemps qu’une pure fiction de la loi. Nous devons savoir gré au contraire à nos honorables collègues de cette franchise et de cette manifestation d’un sentiment d’ailleurs aussi honorable,
C’est pour répondre à cette franchise, c’est pour lever des scrupules que l’on ne peut assez respecter que je crois devoir suivre nos adversaires sur le terrain où ils ont placé la question. Je dirai ma pensée tout entière. Je le fais encore par intérêt, par amour pour cette belle religion que je respecte et que je vénère, et dont je ne rougirai jamais de me déclarer un des enfants. Je crois qu’il est sage, politique, et d’un ami tout à la fois de son pays et de la religion, d’entrer une bonne fois en matière. Car des explications franches, nettes et précises ont souvent arrêté à leur origine des défiances, des haines et même des inimitiés.
En refusant au pouvoir la part d’influence morale que, selon moi, la constitution lui a laissée ; que les hommes d’Etat comme les philosophes qui se sont occupés de législation, lui ont reconnue nécessaire, indispensable, quelle conséquence en résultera-t-il pour l’ordre religieux ? Une seule me paraît possible, inévitable, je dirai même fatale. Et la voici :
Je l’ai déjà dit, malgré toutes les théories, malgré toutes les formes de gouvernement, il faut et faudra toujours, pour une nation, une direction, une influence centrale. Quand cette direction, cette influence ne sont pas dans les pouvoirs constitués, il faut qu’elles soient ailleurs ; il faut de plus, pour marcher avec ordre, suite et ensemble, qu’elles soient dans un corps organisé, Tout cela, ce n’est pas moi qui le dis. C’est la force des choses qui le veut ainsi. C’est l’autorité des siècles qui le proclame. En Belgique, après l’Etat, je ne vois plus d’autre corps organisé que le clergé.
Si donc on enlève à l’Etat cette influence, cette direction, pour que tout ne marche pas à l’aventure, le clergé sera obligé de les ressaisir, qu’il en veuille ou qu’il n’en veuille pas. Cependant, je ne pense pas qu’il y ait quelqu’un dans cette chambre qui désire un semblable état de choses. Je pense encore moins qu’il puisse être l’objet des vœux du clergé, qui jusqu’à présent a montré trop de sagesse pour se laisser aller à ces décevantes illusions.
Et, en effet, si un semblable état de choses venait à se réaliser, il faudrait s’écrier : Malheur pour la religion, que l’on devrait fausser pour la faire entrer dans cette voie, malheur pour le pays, qui serait remis entre les mains d’un corps incapable de satisfaire à tous ses besoins ! Et ici j’invoquerai encore l’histoire, cette inflexible histoire que l’on m’a déjà reproché à deux reprises d’appeler à mon secours. Je pourrais citer bien des exemples ; je me bornerai à un seul, concluant, irrésistible. Que l’on examine le sort de l’Espagne depuis deux siècles, et l’on verra si ce que je dis n’est pas la vérité.
Je le sais, l’on m’opposera deux circonstances où l’intervention plus ou moins intime du clergé dans les affaires de l’Etat a eu son utilité, son avantage, sa nécessité même. La première, après l’invasion des barbares, lorsque l’anarchie et la force brutale régnaient sur toute l’Europe ; la seconde, au temps de Louis XIV, lorsque la religion était le seul frein qui restait encore à opposer au despotisme. Mais ces situations étaient des situations anormales, des époques de malheur ou de danger pour l’humanité entière. D’un autre côté, au milieu de ces circonstances l’on trouvera encore que dans son contact trop étroit, trop intime avec le pouvoir, la religion n’a jamais eu qu’à y perdre.
Tout cela est encore une suite de la nature des choses. Par essence, la religion aime la solitude, la retraite, et l’on peut ajouter, la contemplation, Par ses préceptes, elle prêche la fuite du monde, la soumission aux pouvoirs de la terre, la concentration dans le for intérieure, une charité active, mais douce, prudente et secrète. Son domaine est la conscience, la persuasion et l’enseignement. Après cela, son rôle a cessé sur la terre. Là où finit le rôle de la religion, là commence celui du gouvernement. Lui aussi a des intérêts moraux à défendre, mais bien plus nombreux, bien plus variés, bien plus extérieurs surtout, que ceux dévolus à la religion et à ses ministres, Comme elle, il a besoin de persuasion, mais dans un but plus spécial, pour conserver ainsi, et diriger la vie et l’esprit national ; pour soutenir l’ordre matériel auquel la force brutale ne sera jamais suffisante. Sans doute, pour parvenir à cette persuasion, la religion peut être d’un grand secours à l’Etat ; mais, tant qu’elle restera dans sa sphère d’activité, les moyens qui sont en son pouvoir seront toujours insuffisants, et l’Etat sera obligé de recourir à des moyens et à une action plus conformes à sa nature ; et sous ce rapport je pense que le congrès a fait un acte de haute sagesse, en décrétant qu’il y aurait un enseignement aux frais de l’Etat.
Ce n’est pas tout. Il est une foule d’autres intérêts qui sortent tout à fait du cercle de la religion, qui lui sont presque toujours indifférents, souvent opposés. C’est cette longue série de tous les intérêts matériels dans laquelle le gouvernement doit avoir une large part. Eh bien ! je le demande, ne serait-ce point fausser la religion, ce qu’il a de plus intime, de plus délicat, de plus mystérieux dans le cœur de l’homme, que de la faire entrer au milieu de cette masse d’intérêts divers, égoïstes et purement terrestres ? Et telle serait pourtant la suite des choses si le clergé venait à absorber l’influence gouvernementale. Qu’on ne dise pas qu’il se réserverait la direction morale et qu’il abandonnerait la direction matérielle. Ces séparations sont très belles en théorie, mais impossibles en pratique ; il arriverait ce qui est toujours arrivé : la religion serait dans l’Etat, et l’Etat dans la religion, et bientôt ils finiraient par se vicier et se corrompre réciproquement.
La constitution a fait la part de chacun, la ligne de démarcation a été tracée. C’est actuellement aux pouvoirs constitués à empêcher les empiétements, et à défendre d’une main ferme les droits et prérogatives qui leur ont été attribués contre ceux qui voudraient aller trop loin. La religion rend de grands services à la société, elle imprime à toutes nos actions une haute direction. Elle arrête dans plus d’une occasion des actes blâmables que les lois ne peuvent atteindre ; enfin elle satisfait à un des besoins les plus intimes, les plus profonds et les plus impérieux de l’humanité ; et ce n’est pas d’aujourd’hui qu’on a dit qu’elle était la première sauvegarde des Etats. Pour récompense de ces services comme ministre, comme soutien de cette religion, le clergé est en droit de demander à l’Etat et à tous les citoyens respect, tolérance réciproque, liberté de culte et d’enseignement ; et sous le rapport matériel, subside pour l’entretien du culte, traitement pour tous ses membres remplissant des fonctions reconnues par la loi.
A l’égard de tous ces points consacrés par la constitution, il faut que la volonté du pacte fondamental s’accomplisse. Mais, après cela, toute prétention doit cesser ; et si, par un désir aveugle, involontaire, d’envahissement, auquel nous sommes tous sujets et dont le clergé n’est pas plus à l’abri que les autres corps politiques, quelques-uns de ses membres voulaient aller plus loin, j’adjurerais tous les membres supérieurs de ce corps à y mettre obstacle, comme aussi vis-à-vis de ces derniers je pense que tout ministère, quel qu’il soit, devrait interposer sa médiation, sa volonté même, si l’on voyait qu’ils voulussent outrepasser les bornes. Ce désir, je le manifeste dans l’intérêt de la religion elle-même, de la chose publique, et dans l’intention de conserver la spécialité, le concours et l’harmonie de tous les corps de l’Etat.
Au point où j’en suis arrivé, je ne puis m’arrêter ici ; il faut aller plus loin et sonder à fond un mal partiel encore, imaginaire dans son principe, mais qui, s’il venait à continuer, pourrait jeter le pays dans des crises plus on moins à craindre.
Frappés de ce qui s’est passé antérieurement, des catholiques, en minorité sans doute, mais trop nombreux encore, sont tourmentés par la crainte vague que l’Etat ne s’immisce dans les affaires de la religion, et voilà ce qui les rend défiants. Pour moi, il me semble au contraire que ces exemples et les conséquences qui les ont suivis, ont donné au pouvoir une leçon assez imposante pour dissiper toute inquiétude et rassurer contre tout empiétement futur ; d’ailleurs la constitution a prononcé. Elle a pour elle nos serments et l’esprit public, et je pense que personne venant au pouvoir ne sera tenté d’y porter atteinte.
Malheureusement les faits n’ont pas contribué seuls à jeter l’alarme dans les esprits. Ce système de défiance illimitée contre le pouvoir a été formulé, coulé pour ainsi dire en une doctrine compacte et profonde, par un homme du clergé à conviction forte, d’un grand talent et d’une grande éloquence. La face des choses a pourtant bien changé. Si ses premiers principes ont paru irréfragables, les dernières conséquences qu’il en a tirées ont montré où il voulait en venir. Quel que soit son but légitimiste ou religionnaire, il est devenu à peu près évident que sa doctrine, très bonne pour détruire, est peu propre pour réédifier. Pour les catholiques surtout, ces principes doivent être jugés sous le rapport religieux. Une grave autorité a prononcé, et je crois que pour tous le moment est arrivé de rejeter de cette doctrine et le nom et la chose.
En terminant, il est quelques paroles que je dois relever, bien que prononcées en une autre circonstance de la discussion, car elles se rattachent intimement au sujet qui nous occupe en ce moment. A propos de quelques mots, peut-être mal compris, l’honorable M. Dumortier nous a dépeint avec sa chaleur d’âme les grands services que la religion avait rendus et rendait encore à l’humanité ; pour ma part, je n’ai pu que m’associer au sentiment si vrai, si moral, qui faisait parler l’honorable orateur. Mais j’ai trouvé que son zèle l’avait poussé trop loin, et qu’il avait fini par être injuste envers une autre bienfaitrice de l’humanité, la philosophie. Elle aussi a rendu de grands services, et n’a pas été aussi étrangère que l’honorable membre a bien voulu le dire, au développement de l’esprit humain et au bonheur de la société. Sans doute la religion a été la première à prêcher l’abolition de l’esclavage, et à répandre l’esprit d’égalité parmi les hommes. Mais la philosophie agissant, soit séparément, soit conjointement, lui a été d’un grand secours et a mis la main à l’œuvre ; et, dans le dernier siècle, cette philosophie presque seule a servi à répandre, propager et populariser, à travers des erreurs sans doute, les principes qui forment aujourd’hui la pierre angulaire de notre ordre social.
Il ne faut point se le dissimuler, le clergé, trop occupé peut-être de la perte de ses biens et de ses privilèges, était resté en arrière.
Depuis lors, il a repris sa revanche, marché avec le siècle et reconnu que ces principes ne lui étaient pas aussi contraires qu’il l’avait cru d’abord. Il y a quarante ans, une alliance entre la philosophie et la religion eût été impossible. Il existait entre elles trop de haine, d’irritation et d’injustice. C’était l’accompagnement nécessaire d’une révolution aussi brusque, aussi profondément sociale, que celle qui apparut alors avec les crises et les réactions les plus violentes, et le sang coulant à grands flots. Elle a coûté bien des larmes, bien des tourments à nos pères ; peut-être plusieurs de nos proches y ont-ils péris. Grande leçon pour ceux qui pensent que l’on peut impunément, et sans trop y regarder détruire, renverser les principes fondamentaux de la société. Notre révolution à nous a été plus douce, plus tranquille, parce qu’elle a été purement nationale et n’ayant d’autre but que d’expulser l’étranger, et que d’un autre côté elle n’a fait que consacrer des principes posés et reconnus depuis longtemps. Maintenant que le calme est rétabli, jouissons de ces principes et n’oublions pas qu’ils sont surtout le fruit de la philosophie. Le moment est arrivé d’établir entre elle et la religion une alliance franche, entière et sans arrière-pensée. Qu’on ne dise pas que ce soit une chimère ! En nous bornant seulement aux sommités de la science, ne voyons-nous pas que depuis Socrate et Platon, jusqu’à Descartes, Pascal, Newton, Leibniz et Euler, elles ont marché unies et en sœurs ? N’est-ce point encore au nom de cette alliance que la Belgique est parvenue à fonder l’état actuel des choses ? Tâchons donc après la victoire de conserver cette alliance aussi étroite que possible, sans nous effrayer de quelques divergences. On l’a dit depuis longtemps, le malheur réunit, la prospérité au contraire tend à diviser. Ne nous étonnons donc point de voir les uns pencher davantage pour la religion, les autres pour la philosophie, quelques esprits même chercher à les séparer entièrement.
Tout cela est dans l’ordre des choses, tout cela même est de l’essence d’un gouvernement représentatif, et n’est pas sans utilité pourvu que les bornes ne soient pas franchies. Mais quant au pouvoir et à ceux entre les mains de qui il peut être remis, quels qu’ils soient, leur rôle est, et sera encore pour longtemps, (erratum inséré au Moniteur belge n°68, du 8 mars 1836 :) de se placer avec fermeté au milieu de toutes ces divisions ; de maintenir et défendre l’alliance entre ta philosophie et la religion, centre de la lutte en Belgique, immense dans un sens, étroit dans un autre, mais qui est la première pensée de notre pacte fondamental ; et surtout, de rendre à chacun ce qui lui est dû sans distinction de parti. Mais si le gouvernement doit justice à tous et pour tout, il est également de son devoir de la réclamer pour lui, de maintenir et défendre ses droits et prérogatives, de s’opposer à tout empiétement, de quelque part qu’il vienne, et d’adopter pour devise : rien en-deçà, rien au-delà de la constitution.
- La séance est levée à 5 heures.