(Moniteur belge n°48, du 17 février 1836)
(Présidence de M. Raikem.)
M. Verdussen fait l’appel nominal à une heure.
M. de Renesse lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. Verdussen fait connaître l’analyse des pétitions suivantes.
« Le sieur Jean-Baptiste Quesnay, né français, demeurant depuis 12 ans à Bacleer (district de Turnhout), demande la naturalisation. »
« Un grand nombre d’habitants de Bruxelles, habitant la partie de la ville contiguë à la porte de Hal, demandent la démolition de cette porte. »
« Des habitants des villes de Stavelot et Verviers et les notaires, avocats et avoués de l’arrondissement de Verviers, demandent une disposition de loi qui autorise le transfert au bureau des hypothèques de Verviers de toutes les inscriptions non encore périmées ni radiées existant au bureau de Liége sur des immeubles situés dans les cantons d’Aubel, Herve, Limbourg, Spa, Stavelot et Verviers. »
« Le sieur Philippe Cuisinier, ancien militaire, demande une pension. »
« Les curés et desservants du district de Luxembourg, sollicitent l’exemption de la contribution personnelle. »
- La pétition qui a pour objet la demande en naturalisation est renvoyée à M. le ministre de la justice et les autres à la commission des pétitions.
« Un grand nombre des propriétaires et cultivateurs du district de Maestricht demandent qu’il soit avisé immédiatement à la répression de la fraude des céréales dans le rayon de Maestricht. »
M. de Renesse. - Un grand nombre de propriétaires et cultivateurs du district de Maestricht, se plaignent de la grande fraude des céréales venant de la Prusse, introduites en Belgique, par le rayon stratégique autour de Maestricht, sans le paiement des droits ; ils demandent qu’il soit avisé immédiatement à la répression de cette fraude qui anéantit leur agriculture et démoralise le pays.
Les pétitionnaires affirment, et ceci est notoire, que des masses de grains viennent de la Prusse, pour être entassés dans le rayon stratégique, d’où ces grains s’écoutent en fraude, comme produits de ce territoire réservé, dans les différents marchés qui avoisinent la ville de Maestricht.
Il résulte de renseignements positifs que j’ai pris moi-même, il a peu de jours, aux environs de Tongres, que les marchands de grains actuellement leurs provisions des céréales dans le rayon stratégique, au grand détriment des propriétaires et cultivateurs des provinces de Liége et de Limbourg, qui ne peuvent plus vendre les produits de leurs terres qu’à vil prix.
En appuyant de tous mes moyens les deux pétitions des habitants du district de Maestricht, j’ai l’honneur de proposer à la chambre, comme elles contiennent des vues utiles pour la répression de la fraude, de vouloir ordonner leur renvoi à M. le ministre des finances et le dépôt sur le bureau de la chambre pendant la discussion du projet de loi présenté pour la répression de la fraude des céréales.
Je demanderai en outre que ce projet de loi soit déclaré urgent, qu’il soit mis à l’ordre du jour entre le premier et le second vote de la loi communale. Il me semble qu’il ne pourra guère donner lieu à de longues discussions ; la chambre et le gouvernement étant convaincus de la nécessité de mettre un terme à cette fraude scandaleuse dont plusieurs honorables membres de cette assemblée n’ont cesse de demander avec instance la répression.
M. Pollénus. - J’appuie de tous mes moyens la proposition de l’honorable M. de Renesse. J’ajouterai à cette demande celle que la chambre veuille ordonner l’impression de la pétition au Moniteur. En général les pétitions se bornent à des demandes et signalent le mal sans en indiquer le remède. Le projet de loi dont il s’agit et dont M. de Renesse demande la mise à l’ordre du jour, ainsi que le rapport de la section centrale contiennent très peu d’indications, et il ne pouvait pas en être autrement, c’est un motif de plus pour l’insertion au Moniteur de la pétition qui, comme je l’ai dit, indique le remède à apporter au mal. Il est bien entendu que la pétition sera insérée sans les noms des pétitionnaires.
- Les propositions de MM. de Renesse et Pollénus relatives à la pétition de plusieurs propriétaires et cultivateurs du district de Maestricht sont adoptées.
M. Verdussen. Donne lecture de deux messages du sénat, annonçant l’adoption des budgets des dotations et de la dette publique, et du projet de loi qui accorde des crédits provisoires au département de l’intérieur.
- Pris pour notification.
PROJET DE LOI RELATIF AUX INDEMNITES A ACCORDER AUX VICTIMES DE LA REVOLUTION ET DE L’INVASION HOLLANDAISE
M. Quirini, au nom de la commission chargée de l’examen du projet de loi relatif aux indemnités, dépose le rapport sur ce projet de loi.
- La chambre en ordonne l’impression et se réserve d’en fixer ultérieurement la discussion.
M. Dumortier (pour une motion d’ordre). - Je demanderai si les pièces relatives à l’élection du district de Saint-Nicolas sont parvenues à la chambre.
M. le président. - Si le bureau avait reçu ces pièces, j’en aurais informé la chambre et j’aurais procédé au tirage au sort d’une commission de vérification de pouvoirs.
M. Dumortier. - Je prierai alors M. le ministre de l’intérieur d’adresser ces pièces à la chambre. Le district de Saint-Nicolas doit avoir un représentant dans une discussion aussi importante que celle de la loi communale.
M. le président. - La chambre a ajourné à cette séance l’article 7, ainsi conçu dans le projet du gouvernement et dans celui de la section centrale :
« Art. 7. Pour être électeur, il faut :
« 1° Etre Belge par la naissance ou la naturalisation, et être majeur aux termes du code civil ;
« 2° Avoir son domicile réel dans la commune, au moins depuis le 1er janvier de l’année dans laquelle se fait l’élection ;
« 3° Verser au trésor de l’Etat en contributions directes, patentes comprises, le cens électoral fixé d’après les bases suivantes :
« Dans les communes au-dessous de :
« 2,000 habitants, 20 fr.
« 2,000 à 5,000, 30 fr.
« 5,000 à 10,000, 40 fr.
« 10,000 à 15,000, 50 fr.
« 15,000 à 20,000, 60 fr.
« 20,000 à 25,000, 70 fr.
« 25,000 à 30,000, 80 fr.
« 30,000 à 35,000, 90 fr.
« 35,000 à 40,000, 100 fr.
« 40,000 à 60,000, 110 fr.
« 60,000 et au-delà, 120 fr. »
Les amendements suivants sont proposés à cet article :
Amendement de M. Legrelle.
« J’ai l’honneur de proposer l’échelle de proportion suivante pour le cens électoral :
« Au-dessous de 2,000 habitants, 20 fr.
« De 2,000 à 5,000, 30 fr.
« De 5,000 à 10,000, 40 fr.
« De 10,000 à 20,000, 50 fr.
« De 20,000 à 30,000, 60 fr.
« De 30,000 à 40,000, 70 fr.
« De 40,000 à 50,000, 80 fr.
« De 50,000 à 60,000, 90 fr.
« De 60,000 et au-delà, 100 fr. »
Amendement de M. Dumortier.
« Je propose le cens électoral suivant :
« Au-dessous de 2,000 habitants, 15 fr.
« De 2,000 à 5,000, 20 fr.
« De 5,000 à 10,000, 30 fr.
« De 10,000 à 15,000, 40 fr.
« De 15,000 à 20,000, 50 fr.
« De 20,000 à 30,000, 60 fr.
« De 30,000 à 40,000, 70 fr.
« De 40,000 à 50,000, 80 fr.
« De 50,000 à 60,000, 90 fr.
« De 60,000 et au-delà, 100 fr. »
Amendement de M. Jullien.
« J’ai l’honneur de proposer de rédiger ainsi le paragraphe premier de l’article 7 :
« Art. 7. Pour être électeur, il faut :
« 1° Etre Belge par la naissance, par la grande naturalisation ou par la naturalisation ordinaire, et être majeur aux termes du code civil. »
La parole est à M. Dumortier pour développer son amendement.
M. Dumortier. - L’amendement que j’ai l’honneur de déposer à beaucoup d’analogue avec l’amendement de M. Legrelle ; car les chiffres sont absolument les mêmes dans toutes les communes de deux mille habitants et d’une population plus considérable. Mais j’ai cru devoir modifier le chiffre en ce qui concerne les communes d’une population inférieure. En effet, je propose de réduire à 15 fr. le cens électoral pour ces communes.
Je dois d’abord déclarer que je donne mon approbation à la proposition de M. Legrelle. Cette proposition était dans l’origine celle du gouvernement et formait l’art. 25 du projet de loi primitif. Remarquez que si vous n’adoptez pas cette proposition vous refusez le droit électoral à la majorité des petits boutiquiers des villes, et en définitive vous diminuerez le nombre des électeurs au lieu de l’augmenter. Ainsi je suis convaincu que dans la ville que j’habite la proposition de la section centrale diminuerait le nombre des électeurs existant aujourd’hui.
Vous avez supprimé le cens électoral aux professions libérales ; il vous faut donc diminuer le cens électoral, afin d’avoir une somme au moins égale d’électeur. Sans cela, je le répète, tous les boutiquiers des villes sont écartés. En effet, vous savez que l’impôt foncier ne compte au locataire que pour une faible partie ; elle compte pour la majeure partie au propriétaire.
Il faudra donc que tous les boutiquiers défalquent de l’impôt qu’ils paient l’impôt foncier qui compte au propriétaire ; il ne reste donc pour former leur cens électoral que leur impôt personnel et l’impôt des patentes ; or, vous savez que l’impôt des patentes est très peu considérable ; il varie de 6 à 16 fr. ; de sorte que si vous n’élevez pas le cens électoral, les industriels qui sont la partie la plus saine, et la plus patriote de la population, seront privés du droit électoral.
Cet abaissement du cens électoral aura également l’avantage de faire participer au droit électoral les fermiers, les cultivateurs. Or, il est incontestable qu’il est de notre devoir d’appeler à jouir de ce droit les populations les plus morales.
Je pense que dans certaines communes des Ardennes et d’outre Meuse, il serait même nécessaire d’abaisser le cens électoral à 10 francs. J’appuierai volontiers un amendement dans ce sens ; mais je laisserai aux représentants de cette partie du royaume le soin de le proposer.
La deuxième section à laquelle j’avais l’honneur d’appartenir avait proposé de faire jouir du droit électoral tous ceux qui paient l’impôt personnel. J’avoue que cette disposition est celle que j’aimerais le mieux voir adopter. Si elle était reproduite, je déclare que j’y donnerais mon assentiment.
M. Jullien. - Le premier paragraphe de l’article 7 est conçu de manière à faire naître des difficultés, s’il n’est pas expliqué dans le sens de l’amendement que j’ai eu l’honneur de présenter. Il porte que, pour être électeur, il faut être Belge par la naissance ou par la naturalisation, et être électeur aux termes du code civil.
Je crois bien que l’intention du rédacteur de l’article est que la naturalisation ordinaire confère le droit d’être électeur pour les élections municipales. Si cependant il restait rédigé comme il l’est, il pourrait y avoir du doute à cet égard.
Quand au recourt à l’article de la constitution, on y trouve :
« La grande naturalisation assimile l’étranger au Belge pour l’exercice des droits politiques. »
Or, voter dans les assemblées communales pour la nomination des magistrats municipaux, c’est assurément exercer un droit politique. Il s’en suivrait que celui qui n’aurait que la naturalisation ordinaire ne pourrait exercer de droits politiques, ne pourrait concourir aux élections communales. J’ai cru que la loi des naturalisations se serait expliquée à cet égard. Mais j’y lis à l’article premier :
« La naturalisation ordinaire confère à l’étranger tous les droits civils et politiques attachés à la qualité de Belge, à l’exception des droits pour lesquels la constitution et les lois exigent la grande naturalisation. »
L’intention des rédacteurs de la loi communale a été que la naturalisation ordinaire conférât le droit de nommer au conseil communal. Sans cela, la naturalisation ordinaire ne conférerait pas d’autres droits que ceux que le Roi peut conférer par les dispositions de l’article 13 du code civil, en vertu desquelles il accorde à l’étranger la permission de résider dans le royaume.
Cette permission, accordée à l’étranger, lui confère la jouissance de tous les droits civils pendant qu’il réside dans le pays. Si la naturalisation ordinaire se bornait à la jouissance des droits civils, il suffirait à l’étranger de demander la permission de résider dans le pays. Car cette permission lui accorderait les mêmes droits.
Comme je ne pense pas que l’intention de la chambre soit de restreindre ainsi les droits de la naturalisation ordinaire, j’ai présenté mon amendement afin qu’il n’y eût pas de doute sur les élections auxquelles les individus ainsi naturalisés auraient concouru.
M. Dumortier, rapporteur. - Je crois qu’il est inutile d’adopter l’amendement de l’honorable M. Jullien. Dans mon opinion il ne peut y avoir aucun doute sur la nature de la naturalisation exigée par l’article. Nous avons toujours pensé qu’il suffisait d’avoir la naturalisation ordinaire pour être apte à concourir aux élections communales. Le premier rapport de la section centrale en fait foi.
Remarquez que ces mots qui se trouvent dans les premiers paragraphes : « Etre Belge de naissance ou avoir obtenu la naturalisation, » ne signifient rien autre chose que la naturalisation pure et simple. Toutes les fois que la loi exige la grande naturalisation, elle en fait mention en termes exprès.
C’est dans ce sens que vous avez fait la loi sur les naturalisations ; vous avez déclaré que la naturalisation ordinaire assimilait l’étranger au Belge pour l’exercice des droits civils et politiques autres que ceux qui exigent la grande naturalisation.
Dans quels cas la grande naturalisation est-elle exigée ? Presque tous ces cas sont prévus par la constitution. L’article 50 dit que pour être éligible à la chambre des représentants, il faut être né Belge ou avoir reçu la grande naturalisation. L’article 56 exige les mêmes conditions dans les mêmes termes pour être sénateur. L’article 86 dit encore que nul ne peut être ministre s’il n’est Belge ou s’il n’a reçu la grande naturalisation. Dans la loi électorale, il est stipulé que la qualité de Belge, ou la grande naturalisation, est nécessaire pour être électeur pour les chambres. Voilà quatre cas où la grande naturalisation est de toute nécessité et où elle est citée en toutes lettres.
Mais dans la loi actuelle je ne pense pas qu’il faille désigner quelle naturalisation on entend, attendu que dans la loi provinciale vous vous êtes bornés à dire que pour faire partie du conseil provincial, il fallait être né Belge ou avoir reçu la naturalisation. Il serait dangereux de spécifier le genre de naturalisation dans la loi communale, attendu que l’absence de la même désignation dans la loi provinciale pourrait faire naître des doutes. Comme ce sont les conseils provinciaux qui jugent de la validité des élections, les uns exigeront la grande naturalisation, les autres seulement la naturalisation ordinaire,
Je crois donc l’amendement de l’honorable M. Jullien inutile, et je pense que l’explication que j’ai donnée suffira pour ôter tout doute dans l’interprétation de la loi s’il pouvait y en avoir,
M. le président. - M. Gendebien, dans un amendement qu’il a déposé sur le bureau, déclare reprendre la proposition de la seconde section.
M. Gendebien. - Messieurs, il me semble que dans le régime représentatif il faut appeler aux fonctions politiques le plus grand nombre de citoyens. C’est le moyen de l’attacher aux institutions. Il y a des citoyens qui attachent beaucoup plus d’importance à participer à une élection qu’à faire partie d’un corps plus élevé. Jusqu’à présent, ce que l’on a donné d’une main au peuple, on le lui a retiré de l’autre ; c’est ce que nous faisons en élevant outre mesure le cens électoral dans les communes.
Dans la section dont je faisais partie, l’on avait proposé un tarif plus libéral pour donner le droit d’élire. On portait à 15 fr. le cens électoral dans les communes de moins de 1,000 habitants, à 20 fr, dans celles de moins de 2,000, et ainsi de suite. Le maximum était de 70 fr. pour les communes de 100,000 habitants et au-delà.
Messieurs, s’il est vrai que la fortune puisse être regardée comme une présomption légale de capacité politique (c’est le système que l’on a adopté en matière d’élections), je ne comprends pas comment un cens de 20 fr., réputé suffisant pour représenter la capacité politique dans une commune de 1,000 habitants, deviendrait insuffisant dans une grande ville. Je ne comprends pas que la présomption de capacité ne soit plus la même. Cependant, il y a plus de chances d’instruction dans les communes agglomérées que dans celles qui ne le sont pas. Il y a telle commune de 7 à 8,000 habitants dans les Flandres où il y a plus de moyens d’instruction que dans telle commune de 1,000 à 1,200 habitants.
Si la fortune est une présomption de capacité pour les individus, pourquoi ne serait-elle pas une présomption de capacité pour les communes composées de ces individus ? Si un cens de 20 francs est suffisant dans une petite commune, pourquoi ne suffirait-il pas dans une commune de 25 ou de 100,000 habitants ? Dès que vous admettez pour base la fortune comme présomption légale de la capacité, il me semble que vous devez admettre les conséquences de ce principe. Il est possible que je me trompe. Mais je prie que l’on veuille me le démontrer.
C’est parce que je professe ce principe que j’avais présenté à la deuxième section une proposition tendante à établir un cens uniforme pour tout le monde. Mais l’on a jugé que le moment n’était pas venu d’adopter une pareille proposition. Je l’ai donc modifiée, et j’ai tâché d’en conserver autant que possible le principe.
C’est le système présenté à la section centrale que je viens proposer ici sous forme d’amendement. Je crois qu’il faut l’adopter, si l’on ne veut pas reprendre au peuple d’une main ce qu’on lui donne de l’autre.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Je crois que l’on a suffisamment prouvé que l’amendement de l’honorable M. Jullien est tout à fait inutile. L’article premier de la loi sur les naturalisations ne peut laisser aucune doute à cet égard. Comme il n’est pas question dans l’article 7 de la grande naturalisation, il est clair que c’est la naturalisation ordinaire que l’on entend.
Maintenant, passant à la partie de l’article relative au cens électoral, je ferai remarquer qu’il faut bien distinguer ce qui concerne les campagnes et ce qui concerne les villes : jusqu’à présent tout le monde a pensé que le cens de 20 francs n’était pas trop élevé dans les campagnes. Il ne faut pas perdre de vue que par un article que vous avez voté dans une séance précédente, vous avez admis que la contribution foncière comptera pour un tiers au locataire. De cette manière vous avez agrandi considérablement le cercle des électeurs.
Une autre considération à examiner, c’est que, dans les communes de moins de 2,000 habitants, il n’y a que 7 à 9 conseillers. Si le cens était trop faible, il pourrait arriver que les électeurs les moins aisés de la commune fissent une coalition pour exclure les fortunes. Le conseil serait privé ainsi des lumières nécessaires pour la bonne administration de la commune. Comment trouverait-on alors dans le conseil le bourgmestre et les échevins que le Roi doit y choisir ? Vous mettriez ainsi la commune dans l’impossibilité d’être bien administrée.
L’on sait que les conseils sont appelés à voter les taxe municipales. Il faut qu’elles soient bien adoptées de manière à ménager les différents intérêts dans la commune. Vous n’obtiendrez pas cette garantie d’électeurs qui ne paieront que 15 fr. d’imposition.
Adopter l’amendement de l’honorable M. Gendebien, ce serait faire crouler par sa base la loi communale.
En ce qui concerne les villes, je ferai remarquer que la proposition de l’honorable M. Legrelle est la même que celle du gouvernement en 1834. C’est celle que la commission nommée par le Roi avait également adoptée.
C’est la section centrale qui en 1834 a proposé d’augmenter le cens électoral proposé par le gouvernement.
Le motif qu’elle donnait c’est que dans les villes de plus de 10 mille habitants le cens électoral se trouvait encore abaissé de moitié. L’on a trouvé que cette diminution était déjà assez considérable. Du reste, il me serait difficile de dire si le système de l’article 7 est préférable à celui de l’amendement de M. Legrelle. Il y a des deux côtés des motifs qui semblent présenter des avantages. Ainsi je ne m’opposerai pas à l’adoption de l’amendement de l’honorable M. Legrelle. Mais je ne pense pas qu’il y aurait grand mal à adopter le chiffre de 120 fr. pour les grandes villes. Mais sous aucun rapport je ne pourrai adopter l’amendement de l’honorable M. Gendebien.
Vous remarquerez, messieurs, que d’après cet amendement le cens électoral le plus élevé serait de 70 francs. Or, je demande si dans une grande ville comme Bruxelles, les habitants trouveraient une garantie suffisante pour la gestion de leurs intérêts communaux dans un conseil formé par les électeurs payant un cens aussi faible.
L’honorable orateur a dit qu’il ne comprenait pas que le cens représentant la capacité électorale dans les campagnes ne la représentât pas également dans les villes ; c’est qu’il y a dans les conseils communaux des villes des affaires bien plus importantes à régler que dans les conseils communaux des campagnes. Ces affaires augmentent en nombre et en importance à raison de la population des villes. Il est donc nécessaire que le cens électoral, pour les élections communales, soit au moins de 100 francs.
Si vous adoptiez l’amendement de l’honorable M. Gendebien, vous mettriez parfois le gouvernement dans l’impossibilité de trouver des hommes capables d’administrer la commune avec un cens aussi peu élevé que celui de 15 francs. Il pourrait arriver que les conseils de certaines communes rurales ne fussent composés que d’hommes exerçant des professions manuelles et incapables de se livrer aux travaux de l’administration. Je crois donc que l’amendement de M. Gendebien, ainsi que celui de M. Dumortier, doivent être rejetés, et que tout au plus on peut adopter l’amendement de M. Legrelle.
(Erratum inséré au Moniteur belge n°49, du 18 février 1836 :) M. Jullien. - Ce n’est pas sans avoir combiné les divers articles des lois que l’on a citées, que j’ai rédigé mon amendement. Je me suis aperçu des difficultés auxquelles l’interprétation de l’article 7 pourrait donner lieu. En effet, supposez qu’une élection communale soit attaquée parce qu’un individu n’ayant que la naturalisation ordinaire y aura pris part. Mettez le juge en présence de l’article 7 du projet en discussion et de l’article 50 de la constitution. Il dira d’un côté que, pour être électeur, il faut être Belge par la naissance ou par la naturalisation, et d’un autre que la grande naturalisation seule confère à l’étranger les droits politiques dont jouit le Belge. Le juge devra nécessairement regarder la part prise par l’individu naturalisé comme l’exercice d’un droit politique, et il cassera l’élection. Telle est la conséquence rigoureuse qui résulte de la combinaison des deux articles que je viens de citer. L’on oppose l’article premier de la loi sur la naturalisation, Mais cet article ne détruit pas le doute, car il s’en réfère à l’article 50 de la constitution.
Du reste, ce n’est qu’à cause de la gravité de la question que j’ai voulu la soumettre à la chambre. Puisque M. le ministre de l’intérieur déclare que la chambre entend bien qu’il s’agit de la naturalisation ordinaire, je retire mon amendement en demandant qu’il soit fait mention au procès-verbal de la déclaration de M. le ministre de l’intérieur non contredite par la chambre.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Puisque M. Jullien déclare retirer son amendement, il me reste peu d’observations à présenter. Je lui ferai seulement remarquer que s’il est dit dans l’article 5 de la constitution que la grande naturalisation assimile l’étranger au Belge par l’exercice des droits politiques, cela signifie que par la grande naturalisation seule, l’étranger est assimilé au Belge pour l’exercice de tous les droits politiques. C’est en combinant l’article 50 avec les autres articles de la constitution que l’on demeure convaincu que telle a été l’intention du législateur. En effet, par l’article 50 il est stipulé que l’on n’est éligible à la chambre des représentants, et par l’article 56 au sénat, si l’on n’est Belge de naissance ou si l’on n’a reçu la grande naturalisation.
Il serait d’autant plus inutile d’adopter l’amendement de l’honorable M. Jullien que cette adoption pourrait jeter du doute sur l’interprétation de l’article semblable qui se trouve dans la loi provinciale. Il pourrait résulter des inconvénients de la différence de rédaction des deux lois.
Je ne crois pas que personne s’oppose à la mention au procès-verbal qu’a demandée l’honorable M. Jullien.
M. le président. - Il sera dit au procès-verbal que la chambre entend bien qu’il n’est question que de la naturalisation ordinaire dans l’article 7.
M. Legrelle. - Puisque M. le ministre de l’intérieur ne s’oppose pas à l’adoption de ma proposition, je la développerai en peu de mots.
Nous devons, messieurs, étendre d’autant plus le cercle des électeurs dans les grandes villes par l’abaissement du cens que par la loi actuelle les professions libérales ne donneront plus la capacité électorale, et que dans les campagnes le nombre des électeurs se trouvera augmenté par la disposition qui compte en faveur du locataire un tiers de la contribution foncière. Il y a un équilibre à rétablir entre les communes rurales et les villes. Tel est l’objet de mon amendement.
L’expérience que j’ai à même d’acquérir m’a convaincu que si vous adoptez pour les grandes villes le cens électoral proposé par la section centrale, vous écarterez des opérations électorales un grand nombre d’habitants. Comme le cens d’éligibilité est le même que le cens électoral, il s’en suivrait que celui qui ne paierait que 100 francs de contribution ne pourrait devenir conseiller de régence.
Je sais bien que l’honorable M. d’Hoffschmidt a présenté un amendement par lequel il supprime tout cens d’éligibilité. Mais cet amendement a, selon moi, peu de chances de succès dans cette chambre. L’assemblée pensera, comme lors du premier vote, que l’homme élu doit être attaché au sol, et qu’il ne suffit pas que l’on ait de la capacité et du talent pour être appelé à faire partie d’un conseil de régence.
Rien n’est plus agréable aux magistrats d’une ville que de voir un grand nombre de citoyens concourir à leur nomination. C’est une ambition bien honorable qui ne sera désapprouvée par personne.
M. Dubus. - L’amendement proposé par l’honorable M. Legrelle change la proportion établie dans le projet. Il réduit le cens électoral pour les grandes villes et ne diminue pas dans la même proportion le cens électoral pour les communes rurales. M. le ministre de l’intérieur croit que le chiffre de 20 fr. est le minimum de ce que l’on peut admettre pour le cens électoral. Cependant je remarque qu’ailleurs, notamment en France, l’on a établi le droit électoral sur des bases beaucoup plus larges et plus libérales. L’on admet d’abord comme électeurs ceux qui paient le cens le plus élevé jusqu’à concurrence du dixième de la population, ce qui fait 100 électeurs pour une commune de 1,000 habitants.
Il a peu de communes de cette population en Belgique qui puissent présenter 100 électeurs payant, je ne dis pas 20 fr., mais 15 fr. de contributions. Comme en France les professions libérales donnent droit à être électeurs, il se trouve que ce nombre de 100 électeurs par 1,000 habitants est réellement le minimum. Je ne demande pas que l’on abaisse le cens de manière à arriver à ce résultat. Mais puisque l’on reconnaît la nécessite d’abaisser le cens pour les grandes villes, je crois qu’il faut l’abaisser dans la même proportion pour les campagnes.
Car on ne peut supposer que l’électeur payant 15 fr. de contributions soit un prolétaire non intéressé à la bonne administration de la commune. Je ne pense pas que l’objection de M. le ministre de l’intérieur soit sérieuse. Pour que les électeurs payant le cens de 15 fr. se coalisent, il faudrait d’abord qu’ils fussent plus nombreux, ensuite qu’ils en eussent la possibilité : deux conditions que vous ne rencontrerez certainement pas.
Tout ce que nous devons considérer, c’est de savoir si au moyen du cens que nous fixerons, l’électeur sera intéressé à avoir une bonne administration dans la commune.
Or, il me semble que dans notre pays, où les contributions sont peu élevées, un cens de 15 francs pour les petites communes n’est pas trop bas.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - L’honorable préopinant dit qu’en France l’on admet un nombre de 100 électeurs par 1,000 habitants. Je crois qu’au moyen de l’amendement proposé par la section centrale et adopté par le gouvernement, qui compte en faveur du locataire le tiers de la contribution foncière, le nombre des électeurs sera beaucoup plus grand chez nous qu’en France.
L’exempte cité de la France n’est pas juste, en ce sens que comme le droit d’être électeur est accordé aux capacités, cela remédie à l’inconvénient que j’ai signalé et d’où il résulterait que les conseils ruraux pourraient être composés d’individus ne présentant pas assez de garanties d’instruction pour être administrateur ou pour le devenir.
En France aussi l’on admet la dissolution des conseils municipaux. Si le gouvernement ne trouve pas dans un conseil municipal des hommes capables d’administrer la commune, il peut en prononcer la dissolution et en faire former un autre. Chez nous, le système est différent, le principe de la dissolution n’est pas admis et nous exigeons un cens électoral pour être électeur. Si vous abaissez trop le cens électoral, vous courez grand risque d’avoir des conseils municipaux composés de manière à ce qu’il soit impossible d’y choisir l’administration de la commune, et le gouvernement serait obligé de faire administrer la commune par des hommes qui auraient le moins d’intérêt à en bien gérer les affaires.
Je dois donc m’opposer à la proposition de l’honorable M. Dubus.
M. Dumortier, rapporteur. - On ne peut appeler trop de personnes à prendre part aux élections. Plus les électeurs sont nombreux, mieux le vœu de la majorité sera représenté. Je voudrais qu’on fît ici ce qui en Angleterre a été adopté par le parlement sur la proposition de lord John Russel. Je voudrais qu’on admît comme électeur quiconque paie un impôt quelconque et n’est pas aidé par un bureau de bienfaisance. Alors nous aurions de bonnes élections, des élections qui représenteraient le vœu du pays. Qui a intérêt à être bien administré ? Ce sont sans contredit les habitants de la localité. Ce ne sont pas toujours les riches, les puissants de la commune, les tenant-châteaux qui ont le plus d’intérêt à ce que la commune soit bien administrée ; ils tâcheront de la faire administrer dans l’intérêt de leurs fermiers. On sait que dans les communes les intérêts des petits particuliers sont souvent opposés à ceux des tenant-châteaux.
Je demanderai si c’est bien sérieusement que le ministre de l’intérieur dit qu’avec la proposition que je fais on s’exposerait à voir régler les intérêts de la commune par ceux qui n’ont aucun intérêt à cette gestion. Mais, messieurs, personne n’a plus d’intérêt à la gestion des affaires de la commune que les habitants de cette commune.
M. le ministre de l’intérieur croit trouver dans la disposition de la loi française qui accorde aux capacités le droit électoral un motif pour élever le cens en Belgique. Mais M. le ministre a commis une erreur ; il pense que dans le nombre des électeurs fixé au dixième de la population pour les villes de mille habitants et au-dessous, on comprend les électeurs de capacité. Il n’en est pas ainsi. En France, les électeurs de capacité sont appelés à l’exercice du droit électoral, indépendamment du dixième des habitants. Voici cette disposition de la loi française :
« Pour les commuées de mille âmes et au-dessous un nombre égal au dixième de la population de la commune.
« Ce nombre s’accroîtra de cinq par cent habitants en sus de mille jusqu’à cinq mille.
« De quatre par cent habitants en sus de cinq mille jusqu’à quinze mille. »
« De trois par cent habitants au-dessus de quinze mille.
« 2° Les membres des cours et tribunaux, les juges de paix et leur suppléants ;
« Les membres des chambres de commerce, des conseils de manufactures, des conseils de prud’hommes ;
« Les membres des commissions administratives, des collèges, des hospices et des bureaux de bienfaisance ;
« Les officiers de la garde nationale ;
« Les membres et correspondant de l’Institut, les membres des sociétés savantes instituées ou autorisées par une loi ;
« Les docteurs de l’une ou de plusieurs facultés de droit, de médecine, des sciences, des lettres, après trois ans de domicile réel dans la commune ;
« Les avocats inscrits au tableau, les avoués près les cours et tribunaux, les notaires, les licencies de l’une des facultés de droit, des sciences, des lettres, chargés de l’enseignement de quelqu’une des matières appartenant à la faculté où ils auront pris leur licence, les uns et les autres après cinq ans d’exercice et de domicile réel dans la commune ;
« Les anciens fonctionnaires de l’ordre administratif et judiciaire jouissant d’une pension de retraite ;
« Les employés des administrations civiles et militaires jouissant d’une pension de retraite de 600 fr. et au-dessus ;
« Des élèves de l’école polytechnique qui ont été, à leur sortie, déclarés admis ou admissibles dans les services publics, après deux ans de domicile réel dans la commune ;
« Toutefois, les officiers appelés à jouir du droit électoral en qualité d’anciens élèves de l’école polytechnique ne pourront l’exercer dans les communes où ils se trouveront en garnison qu’autant qu’ils y auraient acquis leur domicile civil ou politique avant de faire partie de la garnison ;
« Les officiers de terre et de mer jouissant d’une pension de retraite ;
« Les citoyens appelés à voter aux élections des membres de la chambre des députés ou des conseils généraux des départements, quel que soit le taux de leurs contributions dans la commune. »
Ainsi, les professions libérales, en France, n’arrivent pas en déduction aux censitaires, mais en augmentation, de manière que dans une commune de mille habitants, quand ce sont des chefs-lieux de canton, il faut ajouter les membres des bureaux de bienfaisance, le juge de paix et ses suppléants.
Il y a une autre disposition qui a une corrélation avec l’article 10 de la section centrale. Elle porte que le nombre des électeurs domiciliés dans la commune ne pourra pas être moindre de 30, sauf le cas où il ne se trouverait pas un nombre suffisant de citoyens payant une contribution personnelle. Nous avons réduit ce chiffre à 25. Notre loi est donc moins libérale que la loi française. Je l’ai déjà dit, c’est parmi les petits boutiquiers, parmi les petits cultivateurs qu’on trouve les patriotes les plus dévoués, les appuis les plus sûrs de la révolution. Nous ne pouvons donc trop abaisser le cens électoral.
J’insiste sur la proposition que j’ai l’honneur de faire à la chambre, et j’espère qu’elle voudra bien y donner son assentiment.
(Moniteur belge n°49, du 18 février 1836) M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - L’honorable préopinant m’a mal compris s’il pense que j’ai avancé que les électeurs de capacité étaient compris dans le nombre fixé en raison de la population. Je n’ai pas dit cela, mais j’ai dit que l’admission des électeurs de capacité tendait à corriger les inconvénients que je signalais. J’ai dit que du moment qu’on excluait les capacités, il fallait chercher plus de garanties dans le cens. Je dirai encore que si vous abaissez le cens à 15 fr., vous ouvrez la porte aux intrigues. Un propriétaire qui aura des propriétés considérables, les répartira de manière à donner un bonnier à l’un, un demi-bonnier à l’autre, afin de compléter le cens. Avec la faculté de compter au cultivateur la contribution du bien exploité, vous donnez à chaque grand propriétaire le moyen de créer autant d’électeurs qu’il juge à propos.
(Moniteur belge n°48, du 17 février 1836) M. Dumortier, rapporteur. - M. le ministre de l'intérieur n’a pas saisi la loi. Ignore-t-il que l’impôt foncier ne compte que pour un tiers au cultivateur qui l’exploite ? Or, combien faut-il exploiter de terre dans les Ardennes, pour être électeur en admettant mon amendement ?
M. Legrelle. - La Belgique n’est pas dans les Ardennes.
M. Dumortier, rapporteur. - Non, mais les Ardennes sont dans la Belgique ; et la population des Ardennes est très patriote, et je lui porte un très grand intérêt. Eh bien, pour être électeur, un cultivateur devra payer 45 fr. de contribution pour les biens qu’il exploite. Trouvera-t-on dans les communes des Ardennes beaucoup de cultivateurs payant 45 fr. d’impôt foncier ?
Cependant, quand un cultivateur ne sera pas propriétaire, il faudra qu’il paye 45 fr. d’impôt foncier pour avoir le cens de 15 fr., puisqu’on ne lui compte que le tiers de la contribution des propriétés qu’il exploite. Je pose en fait que si vous n’adoptez pas mon amendement, beaucoup de fermiers ne seront pas électeurs, car en fixant le minimum du cens à 20 fr., un fermier devra payer 60 fr., et pour payer 60 fr ; dans les pays de montagnes, il faut de vastes propriétés.
Je ne puis trop le répéter, plus nous abaisserons le cens, plus nous appellerons de cultivateurs, de petits propriétaires et par conséquent de patriotes à participer aux élections.
M. Gendebien. - J’ai reproduit ma proposition, parce qu’elle avait été admise à l’unanimité dans la deuxième section qui se trouvait très nombreuse, car elle comptait dix ou douze membres. Mais puisque plusieurs personnes paraissent préférer l’amendement de M. Dumortier, je n’insisterai pas afin d’économiser le temps. On a tort de dire qu’en abaissant le cens à 70 fr. dans des villes comme Gand et Bruxelles, où les affaires que les conseils ont à traiter sont plus importantes, on ne trouverait pas de garanties suffisantes. Cet argument détruit la présomption légale d’aptitude qu’on tire de la fortune, car si dans les conseils de ces villes on traite des objets d’une plus grande importance, dans ces villes aussi vous trouvez plus de capacités. Veuillez remarquer que, dans la ville de Bruxelles, il y a des moyens d’instruction pour tout le monde. Il est tels de nos ouvriers à Bruxelles qui ont plus d’instruction que les 99 centièmes de nos bourgmestres de communes ; ils savent lire, écrire, dessiner, calculer, connaissent la géométrie, et pénètrent fort avant dans les mathématiques. Cependant, ces ouvriers, parmi lesquels il en est qui seraient très dignes et très capables de siéger au conseil et même parmi nous, vous les excluez tous.
Je n’insisterai pas sur ma proposition, mais quand nous en serons à l’article 8, je demanderai qu’on compte aux locataires des villes le tiers de la contribution foncière de la propriété qu’ils occupent, comme on l’a fait pour les campagnes. En comptant au cultivateur le tiers de la propriété qu’il exploite, vous avez établi un privilège en faveur des propriétés rurales. Alors qu’on abaisse le cens des communes rurales à 15 ou 20 francs, vous comptez aux locataires le tiers de leur contribution, et dans les villes où vous portez le cens à 100 francs, vous n’accordez rien aux localités. Cela est injuste et contraire à l’esprit de la constitution.
Je n’insiste pas sur l’amendement que j’avais proposé, mais je me crois autorisé à revenir sur l’article suivant ; et quand nous aurons voté sur l’amendement de M. Dumortier ou celui de M. Legrelle, je proposera à cet article un changement dans le sens que je viens d’indiquer.
M. le président. - M. Gendebien ayant retiré son amendement, je vais mettre aux voix celui de M. Dumortier qui s’éloigne le plus du projet du gouvernement.
- L’amendement de M. Dumortier est adopté ainsi que l’ensemble de l’article 7.
M. Gendebien. - Il me semble juste et conforme à l’esprit de notre constitution que les habitants des villes aient la même faveur que les habitants des campagnes. Je proposera en conséquence de modifier de la manière suivante le dernier paragraphe de l’article 8 :
« Le tiers de la contribution foncière compte au fermier et au locataire, sans diminution des droits du propriétaire. »
M. Verdussen. - L’article 8 a été adopté ; je pense que l’amendement de M. Gendebien ne pourra être discuté qu’au second tour.
M. Gendebien. - j’avais fait mes réserves en retirant ma proposition, pour le cas où l’article eût été adopté sans amendement ; celui de M. Dumortier ayant été admis, je puis amender l’art. 8 et je consens à ne présenter mon amendement sur l’article 8 qu’au second vote.
M. Pirmez. - Je pense qu’il y a une lacune dans le chapitre que nous venons de voter. Il faudrait savoir s’il s’agit bien pour le cens de la contribution qu’on veut payer et qu’on paie, ou s’il faut posséder la base de la contribution. Ainsi la contribution personnelle, on la porte sur une déclaration. Eh bien, je fais cette déclaration, plus élevée que je ne devrais la faire, afin de figurer au rôle pour une somme suffisante pour être électeur. Il s’agit de savoir si le conseil communal, le conseil provincial et la cour de cassation pourront faire rayer l’électeur qui aura enflé sa déclaration pour payer une contribution assez forte pour être électeur.
Je soumets cette question à la chambre parce qu’elle a donné lieu à des contestations. Et il m’est parvenu des observations sur ce point. Si on veut éviter de nouvelles contestations, il faut trancher la question dans la loi. Car il y a beaucoup de citoyens qui, en enflant leur déclaration, se sont fait porter au rôle des contributions pour une somme suffisante pour être électeur. Il va en résulter des conflits entre les conseils communaux, les conseils provinciaux et la cour de cassation. Il serait plus court de décider dans la loi s’il suffit de payer réellement le cens, ou s’il faut posséder les bases de la contribution.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - L’article 7 de la loi a résolu la question en disant qu’il faut verser au trésor de l’Etat, en contributions directes, patentes comprises, le cens électoral fixé d’après les bases suivantes, etc.
L’article 10 dit ensuite que les contributions ne sont comptées à l’électeur qu’autant qu’il ait payé le cens électoral pour l’année antérieure à celle où l’élection a lieu.
De telle sorte qu’il faut avoir payé réellement le cens pendant un an au moins, pour être électeur et éligible. Mais là n’est pas toute la question soulevée par l’honorable préopinant. Il dit que quelqu’un, pour payer un cens suffisant afin d’être électeur déclarera, par exemple, qu’il a deux chevaux de luxe, alors qu’il n’en possède réellement aucun, et au moyen de l’augmentation de contribution qui résultera de cette déclaration, fausse quant à la base existant en réalité, il sera porté sur la liste des éligibles.
Quant à moi, je ne vois pas à cela de grands inconvénients. Je ne crains pas d’ailleurs que beaucoup de personnes fassent augmenter cette contribution pour être portées sur la liste des électeurs et des éligibles.
Quoi qu’il en soit, je crois que si quelqu’un voulait se faire imposer plus qu’il ne doit l’être, aucune juridiction ne pourrait lui imputer à crime une volonté si favorable au trésor et n’aurait le droit de repousser sa déclaration comme étant trop élevée ; les lois d’impôt n’ont pas prévu de semblables éventualités, et il suffira, d’après le texte même de la loi communale, de constater que l’on a versé au trésor, pendant l’année antérieure à celle où l’élection a lieu, la somme nécessaire pour être inscrit sur la liste des électeurs.
M. Pirmez. - Sans doute, jamais un receveur ne trouvera une déclaration trop forte ; mais il s’agit de savoir si le conseil communal, le conseil provincial ou la cour de cassation, pourrait rayer un électeur pour avoir enflé sa déclaration.
Il y a eu une enquête administrative sur la conduite d’un receveur qu’il avait admis de pareilles déclarations.
M. Legrelle. - Je crois qu’il ne se trouvera pas beaucoup de personnes qui, pour être électeurs, voudront payer des contributions plus fortes qu’elles ne doivent. Mais la question soulevée par M. Pirmez ne peut donner lieu à aucune difficulté en présence du texte de l’art. 5, qui dit qu’il faut verser au trésor de l’Etat, en contributions directes, patentes comprises, la somme de… Ainsi, dès qu’on verse cette somme, qu’on y soit tenu ou non, cela suffit.
D’ailleurs l’art. 10 doit donner cet apaisement à l’honorable membre ; car d’après cet article, pour être électeur, il faut avoir payé le cens pendant l’année antérieure à celle où l’élection a lieu.
M. Smits. - Il est impossible à une autorité quelconque de décider si la maison que j’habite est d’un loyer de 1,000 fr., quand j’ai déclaré deux mille. Il en est de même pour les patentes. Je veux porter dans ma déclaration l’importance de mes affaires à 50,000 fr. au lieu de 25,000. Personne ne pourra infirmer ma déclaration.
M. Pirmez. - Il suffit donc de payer le cens. Il n’est pas nécessaire de justifier de la base.
M. le président. - La chambre, dans sa dernière séance, a adopté les autres articles des chapitres 1, 2 et 3. Nous passons au chapitre suivant.
« Art. 47. Nul n’est éligible s’il n’est âgé de 25 ans accomplis, et s’il ne réunit, en outre, les qualités requises pour être électeur dans la commune.
« Les fils et gendres d’électeurs ou de veuves sont éligibles, en justifiant que leur père, mère, leur beau-père ou belle-mère, paie le cens électoral exigé pour la commune où se fait l’élection, pourvu qu’ils remplissent les autres conditions d’éligibilité.
« Dans les communes ayant moins de 3,000 habitants, un tiers au plus des membres du conseil peut être pris parmi les citoyens domiciliés dans une autre commune, pourvu qu’ils paient le cens électoral dans celle où ils sont élus et qu’ils satisfassent aux autres conditions d’éligibilité.
« Nul ne peut être membre de plus de deux conseils communaux.
« Nul ne peut être nommé bourgmestre de plus d’une commune, si ce n’est sur avis conforme de la députation provinciale. »
La section centrale propose l’amendement suivant :
« Art. 47. Nul n’est éligible s’il n’est âgé de 25 ans accomplis, et s’il ne réunit en outre les qualités requises pour être électeur dans la commune.
« Les fils et gendres d’électeurs ou de veuves sont éligibles, en justifiant que leur père, mère, leur beau-père ou belle-mère, paie le cens électoral exigé pour la commune où se fait l’élection, pourvu qu’ils remplissent les autres conditions d’éligibilité.
« Dans les communes ayant moins de mille habitants, un tiers au plus des membres du conseil peut être pris parmi les citoyens domiciliés dans une autre commune, pourvu qu’ils paient, dans celle où ils sont élus, le cens électoral qui y est exigé, et qu’ils satisfassent aux autres conditions d’éligibilité.
« Nul ne peut être membre de plus de deux conseils communaux.
« Nul ne peut être nommé bourgmestre de plus d’une commune, si ce n’est sur avis conforme de la députation provinciale. »
M. le président. - M. le ministre se rallie-t-il à l’amendement de la section centrale ?
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Je me rallie aux changements de rédaction, mais non à la substitution du chiffre 1,000 à celui de 3,000.
M. le président. - Dans l’un des paragraphes de l’article, la section centrale pose le chiffre : « mille habitants ; » le gouvernement propose le chiffre de trois mille habitants.
M. Dubus. - Je ferai remarquer qu’il n’y a pas harmonie entre les deux derniers paragraphes de l’article :
« Nul ne peut être membre de deux conseils communaux.
« Nul ne peut être nommé bourgmestre de plus d’une commune. »
La dernière disposition vient à tomber puisque le bourgmestre doit être pris dans la commune.
M. le président. - M. d’Hoffschmidt propose l’amendement suivant à l’article 47 :
« Pour être éligible, il faut :
« 1° Etre Belge par la naissance ou par la naturalisation ;
« 2° Jouir des droits civils et politiques ;
« 3° Etre âgé de 25 ans accomplis. »
La parole est à M. d’Hoffschmidt pour développer son amendement.
M. d'Hoffschmidt. - Comme l’honorable M. Legrelle l’a fait remarquer, c’est la troisième fois que je présente cet amendement à la chambre ; mais l’honorable membre aurait dû ajouter qu’en mai dernier il n’a été rejeté qu’à une majorité de deux voix.
L’honorable M. Legrelle espère que la chambre, conséquents avec ses antécédents, rejettera encore ma proposition. Ici je ferai observer que mon amendement est modifié et que la chambre ne serait pas en opposition avec ses antécédents en adoptant la proposition que je lui soumets.
Plusieurs de nos honorables collègues n’étant pas encore membres de cette chambre lorsque l’on a discuté précédemment la loi communale, je ne craindrai pas de reproduire des arguments déjà énoncés.
Messieurs, je ne me suis jamais bien rendu compte des motifs d’après lesquels on voudrait priver des Belges d’un de leurs plus beaux droits politiques, de celui de pouvoir administrer les intérêts de leurs communes par suite de la confiance de leurs concitoyens et je viens combattre de nouveau les dispositions du projet qui tendent à ne rendre éligibles que les électeurs.
Ces dispositions détruisent évidemment l’harmonie qui doit exister dans toutes les parties de notre système électoral, et les anomalies qui en résulteraient seraient d’autant plus choquantes que vous avez décidé que, pour faire partie des conseils provinciaux, on pouvait y appeler tout Belge méritant les suffrages et la confiance de ses concitoyens, qu’il payent ou non un cens quelconque. Il y a plus, c’est que, pour être élu représentant, on n’exige aucun cens, et qu’il suffit d’être Belge par la naissance ou par la grande naturalisation.
Vous vous rappelez que notre honorable collègue M. Dubois avait fait une proposition tendant à établir que l’on ne serait pas apte à faire partie des conseils provinciaux si on ne payait un certain cens dont il avait fixé la quotité ; et vous savez que cette proposition n’a eu d’autre suffrage que celui de son auteur.
Pourquoi, lorsqu’il s’agit d’intérêts communaux, n’admettrions-nous pas des principes que nous avons consacrés lorsqu’il s’agissait d’intérêts d’un ordre plus élevé, d’intérêts provinciaux, et que le pacte social avait consacrés auparavant pour la représentation nationale ?
Veut-on circonscrire l’éligibilité dans un petit nombre de familles ; car tel serait l’effet du cens d’éligibilité ? Il y aura un grand nombre de communes où l’on ne pourra compter que 25 électeurs ; trois ou quatre familles les fourniront ; et alors ce sera dans ces familles que les administrateurs municipaux seront choisis exclusivement. C’est le contraire que nous devons établir dans l’intérêt des communes comme dans celui du gouvernement. Car s’il doit choisir le bourgmestre et les échevins dans le conseil, il faut élargir le cercle des éligibles autant que possible.
Depuis quand la fortune est-elle dotée de l’apanage exclusif de l’intelligence, de l’instruction, de la moralité ? Depuis quand est-il impossible de faire de bons choix autre part que parmi les gens fortunés ? Ce n’est sans doute pas dans cette enceinte que l’on voudrait préconiser de semblables doctrines !
Cependant, si vous adoptiez l’art. 47, ce serait déclarer que la capacité, le savoir, la probité, l’honneur ne peuvent équivaloir à la richesse.
Combien de personnes honorables seraient exclues des conseils communaux d’après cet article ?
Je connais des hommes qui préférant le mérite réel, le mérite personnel aux richesses, ont mieux aimé sacrifier le peu de bien qu’ils avaient afin d’acquérir de solides connaissances, et passer leurs plus belles années dans l’étude, que de les employer à augmenter leur petit avoir ; et voilà cependant des hommes que vous déclareriez incapables de faire partie du conseil de la commune et d’en bien administrer les intérêts. Quoique réfugiés sous le chaume, ils n’en méritent pas moins la confiance de leurs concitoyens ; pourquoi donc ne seraient-ils pas éligibles ?
Des militaires ont combattu honorablement pour la patrie ; ils reviennent dans leurs modestes foyers ; les priverez-vous de la faculté de faire partie des conseils communaux ?
Un homme d’un mérite incontestable ou d’une probité et d’une prudence reconnues est envoyé à l’administration provinciale quoiqu’il ne paie pas le cens électoral ; irez-vous dire que cet homme, en rentrant chez lui, ne peut faire partie de l’administration communale ?
Payer des contributions n’est pas une condition nécessaire pour être élu membre de cette chambre ; eh bien, écrirez-vous dans votre loi que celui que la confiance de ses concitoyens a appelé à discuter les plus hauts intérêts de la société ne sera pas capable de discuter les intérêts d’une petite commune ?
Il est un de nos honorables collègues qui ne paie pas le cens électoral ni par lui-même ni par ses parents, et qui a siégé dans cette chambre depuis le congrès jusqu’aujourd’hui parce qu’il a toujours obtenu les suffrages de ses concitoyens. Pouvez-vous décréter que ce député est inhabile à gérer les intérêts d’une commune ?
Si, dans une pétition qui vous serait adressée, on se plaignait que les ministres ne nomment aux emplois d’administration publique que des hommes qui paient certain cens, et qu’ils refusent de donner la moindre place à celui dont les contributions ne s’élèvent pas à telle hauteur, que diriez-vous ?
Cette assemblée se récrierait sans doute contre une telle manière d’agir, et tout le monde y dirait que les emplois doivent être donnés aux plus capables, aux plus expérimentes, sans s’occuper de savoir s’ils sont riches ou non.
Dira-t-on que de puissants motifs exigent que l’administrateur communal ne soit pas totalement privé de fortune ? Mass ces motifs qu’on nous a déjà allégués sont bien faibles en comparaison de ceux sur lesquels s’appuie mon amendement.
Qu’il me soit permis d’aborder quelques-unes des raisons de mes adversaires, et de faire voir qu’elles n’ont aucune solidité.
Si vous admettez des personnes qui ne paient pas le cens, dit-on d’abord, il en résultera que des familles influentes feront nommer qui elles voudront : leur fermier, leur jardinier, leur garde-chasse deviendront les administrateurs de la commune et on comprend alors comment seraient gouvernés les intérêts des localités. Cette objection ne me paraît pas même spécieuse ; car dès que des familles auront assez d’influence pour nommer qui elles voudront, c’est que leur ascendant s’étendra sur tous les électeurs, et alors pourquoi ne choisiraient-elles pas parmi ces électeurs bénévoles quelques hommes plus recommandables qu’un ouvrier, dans le cas où elles ne voudraient pas se faire donner la gestion des intérêts communaux ?
Un orateur a dit lors de cette discussion qu’il fallait se tenir en garde contre les familles influentes, parce qu’il suffirait de trois ou quatre de ces familles pour s’emparer de toute l’administration de la localité : je réponds que c’est précisément parce qu’il faut éviter cette influence qu’on ne doit pas restreindre le cercle des éligibles ; et l’on conçoit facilement que cet argument tombe à faux, quoique ce soit un ministre qui l’ait présenté.
Il faut d’autant moins restreindre le nombre des éligibles que vous avez déjà trop limité le cercle électoral : d’après le cens que vous exigez des électeurs, dans beaucoup de communes il n’y aura que le minimum fixé de vingt-cinq personnes appelées à élire le conseil municipal ; car dans un grand nombre de localités il n’y a pas un seul électeur payant le cens pour pouvoir concourir à l’élection de la représentation nationale.
On a souvent attaqué ici le système de l’élection directe ; on a cité des exemples où les élections s’étaient faites au moyen d’influences fâcheuses ; on est allé jusqu’à dire qu’un tonneau de bière avait déterminé des choix : quoi qu’on en ait dit, je ne puis admettre que le système d’élection directe soit aussi mauvais qu’on le présente. Sans doute qu’à la première application de ce système on aura pu commettre quelques abus ; on en était à l’essai de cette innovation libérale ; mais l’expérience a depuis éclairé les électeurs ; ils ont appris que c’étaient eux qui étaient les victimes des mauvais choix ; aussi lorsque maintenant ils procèdent à des remplacements, ils arrivent en foule aux élections, et ils ne se laissent plus influencer lorsqu’il s’agit de leurs intérêts de commune.
Savez-vous dans quelle circonstances ils paraissent indifférents et ne s’empressent pas de se montrer aux élections ? C’est lorsqu’il n’y a qu’un ou deux candidats, connus par leur probité ; alors, ne craignant pas de mauvais choix, ils se dispensent d’aller donner leurs suffrages qu’ils considèrent, dans ce cas, comme inutiles. Mais quand ils craignent des cabales, et quand les candidats qu’on leur présente ne leur conviennent pas, ils se rendent en foule aux élections pour prévenir de mauvais choix. C’est donc à tort que l’on cherche à discréditer le mode de l’élection directe qui a fait, quoi qu’on en dise, un grand pas vers la perfection qu’il atteindrait sans doute, si aucune entrave n’y était apportée.
Mais admettons pour un moment que le système de l’élection directe puisse quelquefois être vicié au moyen d’un tonneau de bière, puisque c’est là l’expression qu’on a employée qui pourra faire usage de ce moyen ? Des familles riches ; elles seules peuvent faire usage de semblables moyens, mais assurément des artisans de petits cultivateurs ne peuvent se servir de semblables influences ; ils n’ont que leur seul mérite pour les faire parvenir aux élections.
Un dernier argument a été oppose à ma proposition, lors des premières discussions : on ne peut, a-t-on dit, admettre dans l’administration communale des hommes qui ne possèdent rien, parce que, dit-on, ceux qui ne possèdent rien, n’ont pas d’intérêt à empêcher que la tranquillité ne soit troublée ; ce sont eux qui sont les fauteurs de troubles ; enfin celui qui n’a rien ne représente rien,.
Messieurs, à quoi conduirait une telle doctrine ? A établir une classe d’ilotes parmi nous ! est-ce là l’intention des membres de cette chambre ?
Ceux qui n’ont rien ne représentent rien !.. Mais qui donc nous représente sur les frontières quand l’ennemi s’y montre ? Sont-ce les enfants des familles riches ? non, ce ne sont pas même les fils des électeurs ; ce sont les fils des familles les plus pauvres ; et cependant vous savez bien, dans les moments de danger, les transformer en citoyens, et leur donner à défendre au prix de leur sang le plus grand intérêt de la patrie, l’indépendance nationale.
Ceux qui n’ont rien sont des fauteurs de désordre !... Et pourquoi donc les armez-vous en garde civique ? Ne les organisez-vous pas militairement pour leur confier le maintien de l’ordre public ? N’est-ce pas dans ce but que vous leur mettez les armes à la main ? Et puisque vous reconnaissez qu’ils peuvent maintenir efficacement la tranquillité publique, comment pouvez-vous induire par votre loi qu’il faut les exclure des conseils communaux, parce qu’ils sont en état de suspicion comme fauteurs de trouble ?...
Ce n’est pas en formant des catégories, ce n’est pas par des exclusions que vous parviendrez à attacher la classe la plus laborieuse de la nation à nos institutions : le peuple s’instruit, et il s’instruit tous les jours davantage ; s’il s’aperçoit que l’on veut faire une caste de parias des hommes qui ne possèdent rien, alors il pourra bien s’agiter, alors il pourra bien devenir fauteur de trouble. Notre siècle est un siècle de lumière, et les hommes dépourvus des dons de fortune comprennent parfaitement bien qu’ils ne sont pas nés seulement pour se faire tuer en défendant uniquement les intérêts des propriétés et les intérêts des riches.
Faites attention, messieurs, que c’est pour l’avenir que nous faisons une loi d’organisation communale et que les classes que nous pensons encore arriérées concevront certainement à la suite qu’elles ne peuvent être considérées autrement que les autres citoyens ; et elles ne pourront voir sans regret leurs droits méconnus. Sans doute il se trouve dans la classe des prolétaires et même en plus grand nombre que dans les autres, des hommes qu’on ne saurait appeler aux affaires, ou des hommes disposés à seconder des fauteurs de trouble ; mais les électeurs ne désigneront pas de tels hommes et ne les chargeront pas de leurs intérêts, de maintenir la tranquillité et la sécurité dans la commune.
Ce sont les hommes éclairés, les hommes probes qui doivent être appelés à administrer pour les autres ; il faut pouvoir les choisir là où ils sont ; et comme un cens d’éligibilité ne donne pas nécessairement les connaissances indispensables pour faire un bon administrateur, il ne faut pas l’exiger. Il est impossible de dire que des hommes qui jouissent de la confiance de leurs concitoyens ne soient pas capables de gérer les intérêts de la communauté : une telle assertion serait une absurdité.
L’on dira peut-être que ceux qui ne possèdent rien ne peuvent jamais avoir un grand intérêt à défendre celui de la commune. Qu’iraient-ils faire dans les conseils ? Ils y perdraient leur temps...
Mais il est facile de répondre à cette objection. Vous savez, messieurs, qu’il y a beaucoup de communes où les bois et les biens communaux forment la principale ressource de la plus grande partie des habitants, qui ont tous une part égale dans les revenus de ces biens. Or, lorsqu’il y a des dépenses à faire dans ces communes, les gros propriétaires ont toujours plutôt intérêt à les faire retomber sur ces revenus que sur les autres propriétés, parce que dès qu’il s’agit de faire des répartitions sur les habitants, elles se font au marc le franc, et par conséquent ils doivent payer dans la proportion de ce qu’ils possèdent, tandis que lorsque le conseil communal décide que les dépenses s’effectueront au moyen de coupes de bois, de ventes de terres ou locations de pâturages, le pauvre y contribue comme le plus riche.
Vous voyez donc que ceux qui ne sont pas électeurs peuvent avoir le plus grand intérêt à être représentes au conseil communal.
Il faut, disait M. le ministre de l’intérieur, que pour être apte à bien gérer une commune on y possède quelque chose, car sans cela on n’est attaché à rien : messieurs, celui qui est né dans une commune, qui y a sa famille, qui y possède une simple chaumière, qui y exerce un état, est aussi attaché à la commune que tel autre qui y possède de grands biens. Et, en effet, il est évident que celui qui perdrait son petit, son seul avoir, serait plus à plaindre que celui qui se verrait priver de grandes propriétés qu’il peut presque toujours remplacer.
Messieurs, je considère la disposition que je propose, comme une des plus importantes de la loi ; je ne voudrais pas que vous établissiez deux classes de citoyens en Belgique et que vous disiez à ceux qui n’ont pas de fortune : Vous avez de l’intelligence, de l’instruction, de la probité et de la conduite ; mais ne possédant rien, vous n’êtes propres à rien dans la commune. Vous pourrez bien être appelés à représenter la nation dans la chambre des députés, à défendre les intérêts provinciaux dans les conseils de la province, mais tout cela ne suffit pas pour débattre et gérer des intérêts communaux.
C’est là, messieurs, que je trouve l’anomalie, et certes elle est aussi évidente que choquante.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - L’amendement reproduit par l’honorable préopinant a été si souvent rejeté par la chambre, et à une telle majorité, que je suis surpris qu’il nous le représente encore.
M. d'Hoffschmidt. - La dernière fois il n’a été rejeté qu’à une majorité de deux voix.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - J’en suis d’autant plus surpris que la chambre vient d’abaisser le chiffre électoral. Après un tel vote, c’est une disposition en sens inverse de celle que présente l’honorable membre qu’il faudrait adopter. Pour appeler à l’administration communale ceux qui ne paient pas le cens, il aurait fallu conserver au moins pour les électeurs le chiffre de 20 francs, comme il était au projet primitif.
Dans le cas où la proposition de l’honorable membre aurait du succès, je me réserve au second vote de demander une augmentation relativement au cens électoral.
Je ne sais ce que représentent les personnes qui ne possèdent rien. Mais si ces personnes ont de l’instruction et appartiennent à des familles aisées, elles peuvent être admises dans les conseils communaux, puisque d’après la loi, pour être éligible, il suffit de payer le cens par soi-même ou par ses parents. Etendre l’éligibilité au-delà de ces limites ce serait s’exposer aux inconvénients que j’ai eu l’occasion de signaler. Je ne crois pas que vous puissiez introduire dans les conseils de la commune les personnes les moins intéressées à la défense des intérêts matériels de la localité.
M. de Jaegher. - Je voulais faire la même observation qu’a présentée M. Dubus. Toutefois je n’admets pas qu’un bourgmestre ne puisse remplir cette fonction que dans une seule commune ; et je ne pense pas qu’il y ait lieu à supprimer le dernier paragraphe.
M. Legrelle. - L’honorable auteur de la proposition croit à tort que nous voulons faire deux classes d’hommes, l’une comprenant ceux qui possèdent quelque chose, l’autre comprenant ceux qui ne possèdent rien et qu’on regarderait comme des parias ; tel n’est pas le sens de l’article en discussion ; il ne s’agit pas en effet d’intérêts généraux, il ne s’agit que d’intérêts communaux.
Un honorable député de Tournay vous l’a dit : la commune est une famille qui doit être représentée par son chef ou par un de ses membres ; mais d’après l’amendement de l’honorable membre, on pourrait appeler à gérer les intérêts de la famille une personne qui lui serait entièrement étrangère. Pour être électeur, il faut avoir payé pendant les années précédentes un cens déterminé, ce qui suppose au moins deux ans d’habitation dans la localité. Cette condition ne se trouvant pas dans l’amendement, il s’ensuit qu’un homme, habitant la commune depuis quelques jours, pourrait être appelé à régir des intérêts qu’il ignorerait totalement.
Rien ne serait plus facile, au moyen de la proposition de l’honorable membre, que d’introduire dans le conseil communal des éléments étrangers, soit par l’intrigue, soit par d’autres moyens qui répugneraient autant à l’honorable membre qu’à moi, et dont il est inutile que je vous entretienne.
Lorsqu’on veut se faire élire dans une commune, il y a bien des moyens pour réussir si vous n’exigez aucune condition d’éligibilité, si vous n’exigez que l’obtention des suffrages des électeurs. Souvent alors c’est celui qui parle le mieux qui réussit, et ce n’est pas celui qui parle le mieux qui agit le mieux. Quand il s’agit de régler les intérêts communaux, qui sera le plus disposé à épargner les deniers de la commune, à bien gérer ses finances, à être sobre des dépenses, surtout de celles inutiles, sinon celui qui représente quelque chose. Celui qui est attaché au sol par son industrie ou par une propriété !
L’honorable député du Luxembourg, pour appuyer son opinion, nous a cité un membre de la représentation nationale, qui n’a jamais payé le cens. Je demanderai si ses parents ne paient pas ce sens, car aux termes de la loi cela suffit pour être éligible.
Il a ensuite parlé de petites communes où l’on paie fort peu de chose. Mais pour ces communes n’avez-vous pas la disposition que vous avez adoptée sur la proposition de M. Dumortier et qui fixe le cens à 15 fr. !
Je pense, messieurs, qu’il n’y a pas lieu de supprimer le cens d’éligibilité et que tout ce qu’on a dit en faveur de ce système se réduit à des phrases.
M. d'Hoffschmidt. - Je n’ai pas grand-chose à dire, d’autant plus que j’ai répondu d’avance aux objections présentées par les honorables préopinants ; je n’ai demandé la parole que parce que M. le ministre de l’intérieur a dit en commençant, pour me réfuter, que l’amendement que je présente ne peut manquer d’être rejeté par la chambre qui l’a déjà rejeté un grand nombre de fois, et toujours à une forte majorité. Les allégations de M. le ministre sont ordinairement adoptées de confiance. et sans examen. Mais il est temps que nous y fassions attention. Il est de fait que c’est aujourd’hui la troisième fois que je présente cet amendement. La première il a été rejeté par assis et levé. Toutefois il a fallu renouveler l’épreuve. La seconde fois il a été rejeté à une majorité de deux voix et peut-être sera-t-il encore rejeté aujourd’hui, mais j’aurai de nouveau rempli mon devoir.
L’on a pensé me faire une réponse en disant qu’il y a un article de la loi d’après lequel il suffit pour être éligible d’être fils ou gendre d’un électeur, et qu’ainsi tout membre de cette chambre qui ne paierait pas le cens électoral par lui-même pourrait cependant faire partie d’un conseil communal comme fils d’électeur ; je connais fort bien cet article, quoi qu’en dise M. Legrelle, et lorsque j’ai parlé d’un membre de cette chambre qui ne pourrait être élu conseiller communal si l’art. 47 était adopté, je ne l’ai fait qu’après avoir demandé à cet honorable collègue s’il pourrait être éligible après cette adoption, et il m’a répondu que non : ainsi l’anomalie que j’ai signalée existe en fait.
M. Legrelle a prétendu que je m’élevais à tort contre une disposition sage en disant que l’on voudrait diviser la société en deux classes dont l’une serait le rebut de la société. Non, messieurs, jamais je ne me suis servi de semblables termes ; c’est M. Legrelle qui a cherché à flétrir de cette expression insultante la majorité de la nation, tous les citoyens qui ne paient pas le cens électoral !
Il y a mille moyens de se faire élire, dit encore M. Legrelle. Mais j’ai dit tout à l’heure que ces mille moyens existaient pour le riche, et non pour celui qui ne possède rien.
C’est ainsi que tous les arguments du préopinant frappent à faux. Je crois que s’il eût mieux examiné la question, il n’eût pas voulu soutenir une aussi mauvaise thèse.
M. Legrelle. - Je demande la parole pour un fait personnel.
L’honorable préopinant m’a supposé bien gratuitement des intentions que je n’ai jamais eues. J’ai dit qu’il résultait de ce qu’il disait que, selon lui, la société serait maintenant divisée en deux classes ; l’une, l’ornement de la société, l’autre qui en serait le rebut. En effet, s’il n’a pas employé l’expression de « rebus de la société, » il s’est servi de celle de « parias » qui en est bien l’équivalent. D’ailleurs tout ce qu’il a dit tend à prouver la légitimité du terme dont je me suis servi.
Le reproche que le préopinant m’a adressé de vouloir insulter la majorité du pays, les citoyens qui ne paient pas le cens, ne peut pas m’atteindre. Mes antécédents suffisent pour le repousser.
M. Gendebien. - Je puis me dispenser d’appuyer l’amendement de l’honorable M. d’Hoffschmidt. Je l’ai toujours appuyé, et les motifs que nous avons invoqués pour le faire adopter sont vraiment sans réplique et n’ont jamais été réfutés.
Sans vouloir reproduire ce qui a été dit précédemment, je vous prie de considérer quelle anomalie il y aurait à exiger un cens d’éligibilité pour les fonctions de conseiller communal, alors que la loi n’en exige pas pour le conseil provincial et pour les membres de la chambre des représentants, qui sont appelés à prononcer sur les plus grands intérêts du pays. Cette observation seule n’est-elle pas plus logique que celles qu’on fait valoir pour faire admettre un cens d’éligibilité ?
Que dit-on pour repousser l’amendement de M. d’Hoffschmidt ? que celui qui ne possède rien n’a aucun intérêt dans les objets soumis à la délibération du conseil communal. Mais faut-il posséder beaucoup pour s’intéresser à la commune qui est pour ainsi dire le foyer domestique ; d’ailleurs sur quoi a-t-il à délibérer dans les conseils communaux ? sur les voies et moyens, sur les octrois. Or, qui a plus d’intérêt dans ces discussions que le prolétaire ! car les octrois ne frappent-ils pas la houille, la bière, le genièvre, en un mot tous les objets de première nécessité ?
On dit que si l’on n’admet pas un cens d’éligibilité, on se trouvera dans le conseil communal avec des personnes avec lesquelles on aura de la répugnance à siéger. Mais songez que la loi n’exclut pas le bourreau ; que s’il paie le cens il est éligible. S’il était élu membre du conseil, vous seriez obligés de siéger avec lui. Après cela j’ai peine à comprendre votre répugnance à siéger dans un conseil communal avec un citoyen qui ne paie pas le cens électoral ; il est tels riches avec lesquels j’aurais plutôt de la répugnance à siéger.
Dans tout le cours de la discussion, on vous a toujours fait une loi d’éviter l’oppression des minorités ; on vous a dit que c’était pour que les minorités ne fussent pas opprimées qu’il fallait donner au gouvernement la nomination du bourgmestre et des échevins. Mais dans votre sollicitude pour les minorités, prenez garde que ce soient les majorités, qui seront opprimées par votre loi si elle exige un cens d’éligibilité ; or les 9/10 des citoyens, dans la plupart des communes, ne paient pas ce cens. Je dirai plus : à Bruxelles, il y a 95 citoyens sur 100 qui ne le paient pas.
Je dirai à cette occasion ce que j’avais l’honneur de dire tout à l’heure. Prenez garde de fatiguer, d’irriter par vos dédains, les majorités qui s’éclairent tous les jours, et qui sont mal à l’aise ; dans le cercle étroit où vous les resserrez tous les jours d’avantage, ne leur ôtez pas l’ambition bien légitime de concourir à la composition du conseil communal, si vous voulez éviter qu’elles ne prétendent à une plus large part dans l’administration du pays. Je crois cette argumentation plus morale et plus prudente que toute la diplomatie au moyen de laquelle on veut arracher au peuple les libertés qu’il a conquises en septembre 1830.
M. Jadot. - Je me bornerai à soumettre à la chambre, à l’appui de l’amendement de l’honorable M. d’Hoffschmidt, une considération particulière à la province du Luxembourg, mais qui n’en mérite pas moins l’attention de l’assemblée : c’est que dans cette province les communes possèdent généralement des bois communaux assez considérables, et que si vous n’appelez au conseil communal que des personnes payant un cens, c’est-à-dire des propriétaires, ils feront, dans les charges extraordinaires, opérer la vente des coupes de ces bois, pour éviter que leurs propriété soient grevées, ce qui est préjudiciable à ceux qui ne possèdent pas, c’est-à-dire à la majorité. Je pense que cette considération mérite toute votre attention.
M. Dubus. - Il y a deux ans un pareil amendement a été présenté. Je l’ai combattu alors ; aujourd’hui que vous avez abaissé le cens électoral, je dois plus qu’alors persister dans l’opinion que j’ai émise.
On fonde particulièrement l’amendement sur cette considération qu’il faut avoir une confiance aveugle dans le choix que feront les électeurs. Je crois que cette assertion pèche par sa base ; car si elle devait être admise, vous n’exigeriez aucune condition d’éligibilité. Or, vous admettez une condition d’âge comme garantie d’une certaine maturité de jugement, par la crainte que les électeurs ne choisissent un mandataire trop jeune. J’admets ce motif, mais dès lors n’ai-je pas le droit de demander, comme autre condition d’éligibilité, une garantie d’attachement aux intérêts communaux, garantie que je trouve dans le cens fixé par la loi ?
Dans les premiers règlements des villes, aucune condition de cens n’était exigée de l’éligible ; on n’a introduit cette condition que dans les seconds règlements. Mais on n’a critiqué cette modification des premiers règlements que sous le rapport qu’elle excluait les fils d’électeurs ; or ici, la loi, par la manière dont elle est conçue, répond à cette critique.
Une autre objection a été tirée de la comparaison entre les conditions d’éligibilité pour la représentation nationale et provinciale et les conditions d’éligibilité pour être membre du conseil communal. Cependant, selon moi, il y a une assez grande raison de différence, c’est que le collège est bien plus étendu dans les deux autres cas. Ici il est plus circonscrit : tous les électeurs sont habitants de la commune ; ils sont en petit nombre ; ce nombre peut être borné à 25 ; ce chiffre ne sera pas excédé dans un assez grand nombre de communes ; or, à coup sûr, il y a plus de précautions à prendre pour assurer de bons choix dans un collège peu nombreux que dans un collège nombreux. Je crois que le nombre des électeurs étant si faible, on doit exiger une garantie de plus de l’éligible.
Les motifs qui m’ont déterminé à repousser l’amendement, il y a deux ans, subsistent. Je persisterai donc à le repousser.
Je ne vais pas cependant jusqu’à adopter le système de M. le ministre de l’intérieur, qui voudrait, paraît-il, exiger de l’éligible un cens plus élevé que de l’électeur. Sous aucun rapport, je ne puis admettre ce système ; car celui qui paie un cens assez élevé pour exercer les fonctions d’électeur et qui en a obtenu le suffrage de la majorité des membres du conseil électoral, ne peut pas être supposé n’être pas suffisamment intéressé à la bonne administration de la commune.
M. d'Hoffschmidt. - Si je m’attendais à voir mon amendement combattu, ce n’était pas assurément par l’honorable préopinant. il vous a dit que l’abaissement du cens électoral le déterminait à repousser cette disposition. Je vous avoue au contraire que l’adoption de cette disposition libérale m’avait fait penser que la chambre, continuant ce système, adopterait la disposition également libérale que j’ai l’honneur de proposer ; l’abaissement du cens est certainement un acheminement vers un meilleur système, et je ne conçois pas que M. Dubus veuille s’arrêter en si beau chemin. Cet honorable membre a fait observer que nous ne devons pas avoir une confiance absolue dans le choix des électeurs, et que puisque nous admettons une condition d’âge comme condition d’éligibilité, d’autres conditions, telle que celle du cens, pouvaient d’après le même principe leur être imposées.
Mais, messieurs, je dirai que, pour la représentation, cette condition a toujours été exigée ; toujours on a voulu que les hommes auxquels on confiait un mandat fussent d’un âge mûr. Quoique je sois persuadé que les électeurs ne nommeraient pas membre du conseil communal un homme qui ne présenterait pas cette garantie, j’ai cru devoir la stipuler dans la loi communale, pour la mettre en harmonie avec la loi électorale et la loi d’organisation provinciale. On a répété encore qu’il fallait posséder quelque chose dans la commune pour y être attaché. Je demanderai si celui qui paie 14-95 de contribution dans une commune rurale, et celui qui paie 99 à Bruxelles, ne porteront pas tout autant d’intérêt à la commune que celui qui paie un peu plus et qui par conséquent est électeur ; s’il paie un peu moins de contribution, il a dans la commune sa famille, son état, sa petite habitation, enfin tout son avoir ; et pourquoi voulez-vous qu’il ne porte pas intérêt à la bonne administration de la localité à laquelle il doit être attaché, ne pouvant en changer à volonté comme le riche. Celui qui a moins, y tient d’autant plus.
Messieurs, il y a un honorable député qui siège au banc des ministres, qui a été éloquent en défendant le même amendement, lorsque je l’ai présenté la première fois. S’il m’était permis de dire ce qu’il a dit, alors je suis sûr que son discours exercerait de l’influence sur le vote que vous allez émettre ; car ses arguments avaient fait une vive impression sur l’assemblée. Plusieurs de nos collègues ont déclaré qu’avant d’avoir entendu cet honorable membre, ils étaient disposés à rejeter l’amendement, mais qu’après son discours ils étaient revenus de leur opinion. Aussi personne n’a réfuté depuis cet honorable membre. L’honorable M. Dubus lui-même n’a pu y répondre.
Plusieurs membres. - Lisez ! lisez !
M. d'Hoffschmidt. donne lecture du discours prononcé par M. Ernst sur cette question, dans la discussion de 1834.
(Moniteur belge n°49, du 18 février 1836) M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Messieurs, je ne répéterai pas ce que j’ai dit ; je pense que chacun a retenu les raisons péremptoires qui doivent faire rejeter le système de l’honorable préopinant. J’ajouterai seulement une réflexion, en ce qui concerne la composition du conseil provincial. C’est à tort qu’on a voulu établir de l’analogie entre le conseil communal et le conseil provincial. Pour le conseil provincial, on exige le même cens que pour les électeurs des membres des chambres. Là on n’a cherché de garantie que dans le cens électoral. Si telle n’avait été la pensée du législateur, il aurait fallu abaisser le cens pour la composition du conseil provincial, de la même manière qu’on l’a fait pour la composition du conseil communal.
Dans les communes, au contraire, on a exigé moins de garanties des électeurs, on a abaissé le cens ; mais on a demandé plus de garanties de ceux qui devraient être appelés à composer le conseil.
Les cas que vous a cités l’honorable préopinant ne sont que de rares exceptions, et ce n’est pas pour de rares exceptions qu’on fait les lois, mais pour ce qui se pratique le plus communément. Il est certain qu’il n’arrivera presque jamais que quelqu’un soit exclu à raison de défaut de cens, s’il réunit les qualités nécessaires pour remplir les fonctions de conseiller, puisque la loi admet comme éligibles tous ceux dont les parents paient le cens. Le cercle se trouve ainsi très étendu. Admettre l’amendement de l’honorable préopinant serait, je le répète, ouvrir la porte à une foule d’inconvénients pour un avantage très rare.
M. Gendebien. - Un honorable député a dit que puisqu’on exigeait un cens pour être électeur, il ne voyait pas de raison pour n’en pas exiger de l’éligible. Si j’ai bien compris, c’est là ce qu’il a dit. Moi je trouve au contraire là la raison pour ne pas exiger de cens d’éligibilité. Car vous trouvez dans la condition du cens électoral une garantie suffisante pour qu’il n’arrive au conseil que des hommes capables. Si celui qui paie un cens pour élire n’est pas assez intéressé à la bonne administration de la commune, n’admettez plus l’élection. Si vous admettiez le vote universel, je conçois que vous ne reconnaissiez pas aux électeurs le jugement nécessaire pour apprécier les hommes propres à l’administration. Mais vous exigez un cens de l’électeur ; dès lors vous ne pouvez pas demander un cens de l’éligible. Il y a là double emploi et défiance déraisonnable.
Vous admettez bien qu’on exige une garantie d’âge dit l’honorable membre ; puisque vous reconnaissez qu’on peut demander cette condition, pourquoi n’admettez-vous pas qu’on demande l’autre ? Je ferai remarquer que la condition d’âge n’est pas un privilège pour les uns et une exclusion pour d’autres ; chaque citoyen arrive à son tour à l’âge requis ; il n’en est pas de même de la fortune ; il n’est pas accordé à tout le monde de faire fortune. Ce sont les moins fortunés qui sont ordinairement les plus probes et les plus honnêtes, car le plus souvent la fortune s’acquiert par le vol, la rapine, l’indélicatesse dans les relations sociales.
Le riche le plus souvent doit sa fortune à des actions honteuses, à des crimes contre la propriété, tandis que l’honnête homme est resté dans une condition modeste. Et cette modeste condition est un titre pour être écarté de la liste des éligibles. On préfère le riche, dût-il apporter dans l’exercice de ses fonctions municipales l’indélicatesse qui l’a fait riche et éligible.
Vous voyez donc qu’on ne peut pas tirer argument de ce qu’on exige une condition d’âge, pour exiger un cens d’éligibilité. On exige bien, vous a-t-on dit encore, qu’on soit domicilié dans la commune. Ma réponse, au premier argument, est encore applicable ici ; chacun est libre de prendre son domicile où il veut, il n’y a pas là privilège pour les uns à l’exclusion des autres. Déjà on a présenté cet argument qu’on n’exigeait pas de cens pour être élu membre du conseil provincial, et que par conséquent on ne devait pas en exiger davantage du membre du conseil communal.
A cela, qu’a-t-on répondu ? Que le cens électoral pour la composition du conseil provincial était beaucoup plus élevé que pour la composition du conseil communal.
Je répondrai à mon tour au ministre par un argument qu’il présente souvent, et qu’on a répété pour justifier la disproportion du cens, selon les populations. Je lui dirai que si le cens électoral pour la composition des conseils communaux est moins élevé que pour la composition des conseils provinciaux, c’est que les affaires qu’on traite dans un conseil communal sont d’une bien moindre importance que celles dont on s’occupe dans un conseil provincial.
Vous avez trouvé votre garantie dans un cens plus élevé, en raison des fonctions plus importantes des membres à élire ; pourquoi ne vous contenteriez-vous pas d’un cens moins élevé du chef de l’électeur pour nommer des citoyens appelés à traiter des objets de moindre importance ?
En un mot, vous trouvez la même garantie pour le conseil communal que pour le conseil provincial dans le cens électoral, et vous n’avez pas d’un côté plus que de l’autre de raison d’exiger un cens d’éligibilité.
On n’a pas répondu au principal argument. Pendant toute la discussion sur la question de savoir si le gouvernement interviendrait dans la nomination des bourgmestre et échevins, le ministre et ceux qui ont parle dans le même sens ont dit qu’ils voulaient donner aux minorités la possibilité d’être représentées dans le conseil de régence ; que si le gouvernement n’intervenait pas, les minorités seraient toujours opprimées. J’ai fait observer que si on n’admettait pas l’amendement proposé, ce ne serait plus la minorité qui ne serait pas représentée dans le conseil, mais la majorité de chaque commune. On n’a pas répondu à cela, je demande qu’on y réponde. (Aux voix ! aux voix !)
M. le président. - Je vais mettre aux voix l’amendement de M. d’Hoffschmidt.
On procède à l’appel nominal.
61 membres sont présents.
27 votent l’adoption.
34 votent le rejet.
En conséquence, l’amendement de M. d’Hoffschmidt n’est pas adopté.
Ont voté pour : MM. Berger, de Foere, de Meer de Moorsel, Demonceau, Desmanet de Biesme, d’Hoffschmidt, Doignon, Duvivier, Ernst, Frison, Gendebien, Jadot, Jullien, Liedts, Manilius, Nothomb, Raymaeckers, Rouppe, Seron, Thienpont, Trentesaux, Troye, Vandenbossche, Vanden Wiele, Vergauwen, Watlet et Zoude.
Ont voté contre : MM. Beerenbroeck, Bosquet, Cornet de Grez, de Behr, de Longrée, W. de Mérode, de Muelenaere, de Nef, de Renesse, de Roo, de Sécus, de Terbecq, de Theux, Devaux, d’Huart, Dubois, Dubus (aîné), B. Dubus, Dumortier, Eloy de Burdinne, Fallon, Hye-Hoys, Kervyn, Legrelle, Morel-Danheel, Pirmez, Raikem, Scheyven, Ullens, Vandenhove, Vanderbelen, Verdussen et H. Vilain XIIII.
Les deux premier paragraphes de l’article sont adoptés.
La séance est levée un peu avant cinq heures.