(Moniteur belge n°41, du 10 février 1836 et Moniteur belge n°42, du 11 février 1836)
(Moniteur belge n°41, du 10 février 1836)
(Présidence de M. Raikem.)
M. de Renesse fait l’appel nominal à une heure.
M. Schaetzen lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. le président. - la parole est à M. Dubois.
M. Dechamps. - Je demande la parole pour un fait personnel. Messieurs, hier je n’étais pas présent quand l’honorable M. Dubus a prononcé son discours. J’ai vu ce matin dans ce discours un passage qui me concerne. Je connais trop bien les intentions de mon honorable ami pour attacher à ses paroles une acception injurieuse. Cependant comme elles ont retenti dans cette enceinte et qu’elles auront du retentissement en dehors, je tiens à rectifier ce qu’elles ont d’inexact.
L’honorable M. Dubus a dit que dans mes discours antérieurs je m’étais montré défenseur des libertés communales ; et comme dans cette discussion on a parlé de conversions individuelles opérées en dehors de cette enceinte, je tiens à montrer en peu de mots que mon opinion n’a pas changé, que les conversions individuelles ne me concernent pas.
L’opinion que j’ai dernièrement émise est la même au fond que celle que j’avais développée précédemment. Ce n’est pas que je tienne à n’avoir jamais modifié en rien mes opinions, et si l’on me faisait une semblable objection je ne la considérerais pas comme un reproche. Dans un temps où les meilleurs esprits sont divisés sur la solution à donner aux questions sociales et où ceux qui se proposent le même but diffèrent sur les moyens d’y parvenir, dans un temps où nul n’oserait assigner quelles seront les bases de la société qui remplaceront celles qui s’en vont, et où le doute en ces matières est peut-être la conséquence la plus rationnelle que les événements produisent, je crois que celui qui dirait n’avoir jamais modifié en rien ses opinions ferait plutôt acte de faiblesse que d’intelligence.
Quoi qu’il en soit, je n’ai pas besoin de cette apologie ; car j’ai toujours différé en quelques points des opinions de mes honorables collègues. Il est même vrai que la distance qui nous sépare maintenant est moins grande que celle que nous séparait antérieurement relativement au même objet. Je veux comme eux un collège administratif ; je veux qu’on donné toutes les attributions communales aux membres de ce collège, et que le bourgmestre et les échevins aient le pouvoir exécutif dans la localité ; je veux que le gouvernement ne puisse révoquer ni le bourgmestre, ni les échevins, sans conditions expresses, et sans limites tracées ; je veux comme eux que le bourgmestre et les échevins soient pris dans le sein du conseil…
M. Jullien. - Tout cela n’a rien de personnel à l’orateur ; tout cela est personnel à la loi.
M. Dechamps. - M. Dumortier fait même une concession que je n’accorde pas. Il donne au gouvernement la faculté de choisir le bourgmestre en dehors de la commune dans certains cas ; j’aime mieux faire des concessions relativement aux échevins que d’en faire relativement au bourgmestre.
Vous voyez, messieurs, que d’un point de vue d’ensemble, il n’y a entre nous que la même nuance qui nous a toujours séparés et que les convictions que je conserve dans cette discussion sont celles que j’ai toujours manifestées. C’est ce fait que j’avais à cœur de rétablir.
M. Dubus. - Je suis étonné que mon honorable ami ait jugé nécessaire de prendre la parole pour un fait personnel. Je suis à rechercher l’inexactitude que j’aurais commise à son égard. J’ai rappelé textuellement les paroles qu’il a prononcées dans cette enceinte le 8 juillet 1834, et j’ai dit qu’il avait été défenseur des libertés communales.
J’ai fait remarquer que cet honorable membre, ainsi qu’un orateur qui combat ces mêmes libertés, partaient des mêmes principes pour arriver à des conclusions opposées. J’ai raisonné sur ce fait. Si j’en ai tiré une fausse conséquence, la chambre pourra apprécier la justesse de mes observations, mais il n’y a rien à rectifier dans les faits.
On dit que j’ai parlé de défections ; je ne me suis pas servi de ce mot, il n’y a rien à rectifier en fait dans ce que j’ai dit.
M. Dubois. - Messieurs, la discussion de la loi d’organisation communale est déjà bien longue, je le reconnais ; c’est pour la troisième fois que, dans cette chambre, on cherche à définir les droits et les prérogatives de la commune et de la nation, à les unir l’une à l’autre, à les harmoniser entre elles, sans qu’elles se nuisent réciproquement et de manière à en faire un tout homogène et organique. Certes, cette discussion-ci n’a pas été une des moins remarquables, et cependant elle sert encore à démontrer combien il est peu aisé d’établir à ce sujet des règles fixes et invariables. Toujours on craint de favoriser les intérêts de l’une aux dépens de l’autre. Prêter au pouvoir central une puissance d’activité et d’énergie trop grande, ce serait s’exposer à le voir reculer vers l’excès du pouvoir ; poser des bornes à ses forces, limiter ses pouvoirs de manière à le subordonner aux caprices et aux exigences toujours croissantes des communes, c’est le rendre incapable de faire le bien, de maintenir l’union, de conserver sa force et sa puissance ; c’est le réduire à un rôle de neutralité insoutenable ; c’est, en un mot, voter sa ruine et la nôtre.
Ces vérités sont si simples qu’il suffit de les indiquer. Elles sont comprises par chacun de vous, messieurs, et quand on en considère toute la gravité, on ne s’étonne plus trop de voir qu’une organisation sollicitée par le pays depuis cinq ans, élaborée et discutée à différentes reprises dans cette chambre, soit encore à créer.
D’autres orateurs avant moi vous ont fait l’histoire de vos doutes et de vos hésitations ; ils vous ont dit comment ont été amenés des votes divers ; mais ils n’en ont pas expliqué suffisamment la cause. Moi, je la trouve dans l’importance même de la question ; peut-être encore, dans ce qu’on s’est trop exagéré les difficultés qu’elle présente.
A mon tour, j’ai demandé la permission de vous dire sommairement er le plus brièvement possible mon opinion. Pénétré de l’idée que l’idéal des meilleures institutions politiques possible tombe devant la réalité de l’application, je ne l’ai cherchée dans aucune de ces théories spéculatives et exclusives qui trompent toujours ; j’ai cherché à la faire dériver d’un fait social, du fait de notre existence comme peuple libre et indépendant.
On risquerait de s’égarer, si on cherchait à appliquer à une nation des lois et des institutions qui ont été jugées bonnes ailleurs. Les nations ne se ressemblent pas plus que les individus, Ce qui convient à l’une convient rarement à une autre.
L’histoire des autres peuples a ses leçons et sa moralité ; elle nous dit de quels moyens s’est servie la providence pour faire naître et pour faire grandir de puissantes nations ; elle nous découvre le secret de leur prospérité et de leur décadence ; elle nous enseigne comment certains peuples se sont souvent pour ainsi dire affaissés sur eux-mêmes pour disparaître et pour faire place à d’autres ; mais si l’on veut recourir à l’histoire, ce qui me semble le plus utile dans la question qui nous occupe, c’est de rappeler nos propres souvenirs. Notre histoire, plus que celle de tout autre peuple, a quelque chose à nous apprendre. Nous ne pouvons même pas organiser notre pays sans tenir quelque compte du passé, sans consulter nos mœurs, nos habitudes administratives, pourvu qu’on mette toutes les choses en rapport avec le nouvel ordre de choses que nous nous sommes créé, avec nos libertés publiques, avec notre nouvelle nationalité que nous avons conquise.
Non, la question communale n’est pas neuve chez nous. Elle est née pour ainsi dire avec notre pays. Elle s’est développée avec notre civilisation ; elle a suivi celle-ci dans toutes ses phases et dans ses variations successives. Pendant plusieurs siècles elle fut l’objet principal des préoccupations politiques de nos pères, et chose remarquable ! tandis que d’autres peuples doivent leur nom, leur grandeur, leur puissance à l’esprit de conquête, aux succès constants de leurs armes, à l’extension progressive de leur commerce et de leur industrie, on est tenté d’affirmer que parmi nous c’est cet attachement continue à nos libertés et à nos garanties communales, ce sont les longues luttes que nous avons soutenues pour elles, qui ont nourri et maintenu nos sympathies mutuelles et qui nous ont menés au point d’union, d’indépendance nationale et de progrès où nous sommes. On voit, en effet, que l’histoire de l’émancipation de nos communes et des développements de leurs libertés a marché de pair et a suivi une ligue constamment parallèle à celle de l’histoire de l’émancipation intellectuelle, des progrès dans les arts et dans l’industrie, du développement moral et religieux de nos populations.
Je n’hésite donc pas à le dire : nous devons tenir compte du passé. Nous devons rendre aux hommes le plus de liberté et d’indépendance d’action possible. Nous travaillons sur un sol que des siècles ont remué et préparé à recevoir de la bonne semence, Ainsi je fais aux communes, pour autant que je les considère comme des corps politiques individuels et exerçant sur elles-mêmes, et sur leurs intérêts particuliers, les concessions les plus larges ; je leur donne la part de liberté la plus grande, et je le fais pour être juste.
Mais là aussi doit se borner ce pouvoir ; car je n’ai pas, comme l’honorable député qui a parlé le premier dans la séance d’hier, cette admiration exclusive pour tout ce qui s’est fait chez nous dans les temps passés, Je ne crois pas qu’il faille envier à nos ancêtres ces chartes qu’ils arrachèrent à leurs maîtres, cette organisation antique qui isolait les communes entre elles et qui les plaçait sans défense à la merci du premier agresseur. Ces libertés pouvaient être bonnes alors, mais en réalité elles n’étaient propres qu’à une époque de transition pour laquelle elles ont été faites.
Le souvenir du passé doit donc faire place maintenant aux nécessités politiques du nouvel Etat que nous avons constitué, du nouveau pouvoir que nous avons organisé, que nous avons placé au-dessus de toutes ces forces individuelles, pour les ramener à un centre commun, pour établir et conserver leur homogénéité, et pour raffermir et assurer la puissance et le bien-être de la nation.
Au-dessus de nos institutions antiques, au-dessus de nos institutions libres de la commune, un nouveau principe s’est établi : celui de la centralisation du pouvoir. Non pas, messieurs, de cette centralisation mesquine et tracassière, qui s’arrogeait les moindres détails, qui s’appliquait aux plus petits détails de l’administration, entravait sa marche, ralentissait ses mouvements et décourageait les administrateurs ; mais une centralisation sage et bien ordonnée, telle que nous l’ont faite l’expérience des temps et les progrès de nos connaissances administratives ; un système de centralisation qui, à l’abri de nos lois, se présente à nous avec tous ses avantages, qui est une bonne chose, parce qu’elle contient en soi des gages d’ordre et de progrès, parce qu’elle est et qu’elle sera toujours le plus puissant levier de civilisation.
Ils sont déjà loin de nous, messieurs, ces temps où le despotisme, profitant d’une des plus belles conceptions de la révolution française, s’en empara pour enchaîner une nation, et pour fonder sur elle sa longue et effrayante domination.
La centralisation était une dérision, alors que le peuple voyait tout dans le personnel, quand chaque individu nommé à une place se trouvait associé à la vaste corporation d’un pouvoir absolu.
Mais ces traditions sont passées avec le despotisme impérial qui les a fait naître, et récemment encore elles se sont effacées entièrement devant nos libertés et devant notre nouvelle constitution.
Ces dernières paroles, messieurs, ne sont pas neuves dans nos bouches. C’est ainsi que je m’exprimais touchant ce système lors de l’organisation de la province, et je me plais à le répéter parce que mon opinion ne s’est modifiée en rien à ce sujet. Chaque jour je comprends davantage combien elle est belle, cette conception, mise en regard avec les divers pouvoirs électifs établis par la constitution qui surveillent et qui contrôlent incessamment le pouvoir central de l’Etat.
Si donc, nous avons bien fait d’appliquer ce système à nos institutions provinciales, nous pouvons sans crainte et sans devoir l’appliquer à l’organisation actuelle.
Si la commune a des droits, elle a par cela même des obligations. Elle peut prétendre à diriger elle-même tout ce qui tient à ses besoins individuels, tout ce qui ressort de son intérêt particulier ; mais comme membre de la grande association qui la protège, elle doit à son tour concourir aux charges que celle-ci supporte ; elle doit exécuter et faire respecter les règlements et les lois qui les dirigent ; ayant le droit de poser des actes et d’administrer, il faut que l’Etat et les administrés eux-mêmes aient des garanties d’une bonne et loyale administration ; pouvant nommer ses chefs, ses conseillers et ses administrateurs il faut que l’Etat, qui est obligé de faire exécuter ses lois dans la commune, y trouve également des fonctionnaires capables et dignes de sa confiance. Je crois, messieurs, que c’est encore là être juste.
Les garanties de l’Etat à l’égard des actes des administrations communales, sont indiquées dans la deuxième partie de la loi.
Nous pouvons croire qu’elles resteront, à peu de modifications près, fixées comme elles ont été établies. Il n’en est pas de même, messieurs, quant à celle qu’il doit trouver dans le personnel chargé d’exécuter ses lois. Ici se présente de nouveau la question tant agitée dans cette chambre : quelles sont les limites des droits réciproques de la commune et de l’Etat, dans la nomination des administrateurs communaux ?
D’abord, je dois vous faire remarquer, messieurs, qu’ici il ne peut être aucunement question de la nomination du conseil communal. La constitution est précise à cet égard : Chacun de ses membres doit être choisi directement par les électeurs. Il ne s’agit donc que de la nomination des membres de ce conseil qui, dans l’intérêt de l’administration de la commune et de l’Etat, doivent être délégués pour faire gérer les affaires de l’une, et pour faire exécuter les lois générales de l’autre.
Deux systèmes ont été proposés à cet égard ; tous les deux ont été longuement débattus et discutés. Je ne ferai que les indiquer ; par le premier on proposait de laisser au peuple, à l’exclusion de toute intervention du gouvernement, le libre choix de ses administrateurs.
Ce système présentait évidemment une trop grande force à l’élément démocratique, c’était un écueil contre lequel l’Etat lui-même pouvait venir se briser : il a été écarté.
Par le second, on donnait au pouvoir exécutif la nomination et la révocation du bourgmestre en dedans ou en dehors du conseil, la nomination des échevins dans le sein du conseil et leur révocation.
Cette proposition, qui était celle du gouvernement, après avoir été vivement débattue, et après avoir couru diverses chances de succès, a dans un dernier vote été rejetée.
Cependant, je crois qu’il est permis d’affirmer que les discussions qui se sont élevées à l’égard de l’un et de l’autre de ces deux systèmes ont laissé dans l’esprit de la majorité des membres de cette chambre, la conviction que le gouvernement, chargé sous sa responsabilité personnelle de faire exécuter dans les communes les lois générales, d’y faire régner l’ordre, et, notez bien ceci, messieurs, car, quoiqu’on l’ait déjà dit, on n’y a pas assez insisté, je pense, de défendre ces communes elles-mêmes contre les usurpations du pouvoir de certains administrateurs que l’intrigue d’une coterie aurait menés à la tête des affaires, contre les vexations particulières qu’ils pourraient exercer, contre toute atteinte qu’ils pourraient porter à la liberté individuelle de leurs administrés, que le gouvernement, dis-je, ne peut atteindre ce but, sans qu’il ait sa part d’influence dans la nomination des chefs dirigeants la commune et exécuteurs de ses lois.
C’est sans doute pénétré de ces vérités et parce que le collège échevinal avait été dénaturé dans les formes admises pour son organisation, que le ministère nous présente un nouveau projet, par lequel il attribue à un seul homme l’exécution de ses lois et donne aux échevins des attributions spéciales et exclusivement communales. Mais ce nouveau projet est-il bien convenable ? Est-il plus conforme à nos mœurs et à nos habitudes administratives ? L’accueil qu’il a déjà reçu dans cette chambre m’en fait grandement douter.
Sans doute il paraît, au premier abord, exact et concluant en théorie, mais il pourrait bien ne plus convenir, quand on l’aurait mis pendant quelque temps en pratique dans notre pays.
Quoiqu’il ne représente pas exactement le régime des maires de l’empire, il s’en rapproche beaucoup. Il a avec lui des analogies frappantes, et le souvenir de cette ère de despotisme municipal est encore trop récent dans les souvenirs de nos populations, pour qu’elles n’accueillent pas avec beaucoup de défiance un projet qui touche de bien prés à un ordre d’administration que le pays a reprouvé et qui dorénavant est devenu incompatible avec notre régime constitutionnel. Ensuite, le gouvernement s’est bien assuré de la possibilité d’exécuter un pareil système ? La ligne qui sépare ce qui est d’intérêt communal, et ce qui est d’intérêt général est-elle bien précisée dans nos lois ? La démarcation des deux pouvoirs sera-t-elle bien claire, bien nette ? A-t-on réfléchi au nombre des conflits administratifs qui en surgiront ?
Les explications qu’a données à cet égard M. le ministre de l’intérieur ont été peu précises, et je persiste à croire que la mesure ne sera pas aussi facile à être mise à exécution, qu’elle semble claire et logique en théorie.
Quant à moi, messieurs, je pense que le gouvernement a trop légèrement abandonné le système échevinal ; je veux dire, l’institution d’un collège de bourgmestre et échevins, agissant et administrant en commun sous le double contrôle du conseil communal et du pouvoir exécutif.
Je ne vous expliquerai pas comment il faudrait déléguer à un corps composé de trois, de quatre et de cinq membres, l’exécution des mesures adoptées en conseil ou ordonnées par la loi. Ici, la théorie manquerait peut-être, mais si celle-ci est en défaut, ce fait est pour nous, et c’est un fait respectable qu’il serait imprudent de négliger.
Dans le premier rapport qu’il nous présenta, l’honorable rapporteur de la section centrale essaya de prouver que l’institution tutélaire de l’échevinage est d’institution belge ; qu’elle existait dans notre pays antérieurement aux temps de Charlemagne, et que c’est de chez nous qu’elle est partie dans les autres parties de l’Europe. Depuis lors, elle s’est constamment maintenue dans toutes les administrations du pays.
Presque toujours, messieurs, les meilleures lois existèrent dans l’esprit et dans les mœurs d’un peuple, bien avant qu’elles se trouvassent écrites dans leurs chartes. Ainsi, les libertés et les garanties politiques énoncées dans notre constitution, se trouvaient-elles dans nos vœux et dans nos sympathies, bien antérieurement à l’époque où éclata notre révolution d’où surgit le congrès national qui les sanctionna.
L’échevinage et par suite le collège d’administration, est donc bien dans la nature des choses ; il est porté dans nos mœurs et dans nos habitudes administratives. Pourquoi dès lors se décourager ? Pourquoi, à prétexte d’un vote de la chambre, qui d’ailleurs n’était pas définitif, abandonner cette institution, pour recourir à une autre qui n’a pas encore été jugée, qui est nouvelle pour nous, et qui malgré sa simplicité apparente, lui offrira, je le crains, beaucoup de difficultés, je dirai des impossibilités dans l’exécution ? Je ne vois pas la réponse.
C’est vous dire, messieurs, que je me rallierai franchement, moi, à toute proposition qui tendrait à rétablir le collège échevinal avec ses prérogatives et avec tous ses droits ; pourvu qu’à part les autres garanties qui paraissent être consenties, on laisse au pouvoir supérieur une part modérée, mais suffisante dans la nomination et la composition du personnel.
Je n’ignore pas, messieurs, certaines objections qu’on fera à ce système. Déjà j’ai répondu à une première ; j’aborderai les autres si je le crois utile, quand on sera descendu dans les détails de cette question, lors de la discussion des motions d’ordre présentées par MM. Nothomb et Desmet. Je dirai seulement un mot touchant l’organisation de la province, qu’on citée comme modèle à l’organisation de la commune et qu’on lui oppose pour faire voir qu’en rétablissant le système échevinal nous nous écartons de l’unité des formes.
Si par cela on craint de gêner le mouvement central, je dirai qu’il importe peu à celui-ci que la direction et la surveillance des affaires lui arrive par un mode plus ou moins varié. On aboutit à l’unité tout aussi bien par la diversité que par la simplicité des formes. Dans la province, ce sera le gouverneur, dans les communes, ce seront les bourgmestres et échevins qui recevront et qui transmettront la correspondance administrative. Il y a là peu de différence. Au surplus, ou ne peut mettre sur la même ligne les communes et la province.
Les communes, c’est comme la famille : c’est une agrégation politique d’individus, la plus réelle, la plus naturelle, qu’on ne peut pas aisément détruire ni morceler et dont l’ensemble forme l’Etat. La province, au contraire, n’est qu’un corps constitué arbitrairement, qui n’a pas ou qui ne peut du moins avoir d’existence politique séparée. D’ailleurs, je ne sais pas encore comment on établirait une analogie parfaite entre les fonctions du bourgmestre et celles du gouverneur de la province.
Faut-il s’arrêter, messieurs, à la question de constitutionnalité ? Je sais que cette objection n’est pas encore levée pour chacun de nous, mais en vérité, je crois que de part et d’autre on a épuisé le sujet.
De toutes les objections présentées je n’en ai retenu que deux : la première, c’est que quelques-uns de nos collègues, et parmi eux, l’honorable ministre des finances, qui siégèrent au congrès, ont assuré que l’art. 108 de la constitution défend dans tous les cas au pouvoir exécutif de s’immiscer dans le choix des échevins.
Mais, messieurs, malgré toute la déférence que j’ai pour l’opinion de ces honorables membres, je dois avouer que j’ai été peu touché de cette raison, quand je me suis aperçu que le premier projet de loi communale a été rédigé presqu’immédiatement après la clôture du congrès, par six membres très distingués de cette illustre assemblée, par MM Beyts, Barthélemy, de Stassart, de Theux, Lebeau et Devaux ; on leur avait adjoint M. Jullien qui, seul parmi eux, n’était pas membre du congrès ; or, le choix des échevins est déféré au Roi par l’art. 4 de leur projet. Ces messieurs auraient-ils oublié si promptement une des dispositions les plus importantes de notre charte ? Leur est-il échappé qu’ils devaient chercher un autre mode d’organiser la commune s’ils voulaient être fidèles à leur œuvre qu’ils venaient de terminer et à laquelle ils avaient tous juré de demeurer fidèles ?
L’autre objection est celle présentée par l’honorable M. Ernst, qu’a rappelée M. Doignon dans son discours. La voici : il y a doute si les échevins sont compris dans l’exception, donc il faut leur appliquer le principe.
Cela paraît juste. Mais quel est le principe ? M. Ernst dit qu’ici c’est l’élection directe, et qu’il faut les faire élire directement.
A cela, messieurs, on peut répondre oui et non. Oui, si les échevins n’exercent dans les communes d’autres fonctions que celles qui leur seraient déléguées par le conseil communal, s’ils ne s’immiscent-en rien dans la direction ni dans l’exécution des lois et ordonnances de l’Etat. Mais la thèse change, et je réponds non, quand les administrateurs communaux sont adjoints au bourgmestre pour exécuter de commun accord avec lui tout qui est d’intérêt général. Alors ils deviennent agents du pouvoir, et la commune ne peut pas leur conférer un pareil mandat. Ici du moins la constitution est formelle. Lisez, messieurs l’art. 31, il est ainsi conçu : « Les intérêts exclusivement communaux ou provinciaux, sont réglés par les conseils communaux ou provinciaux, d’après les principes établis par la constitution. » Ainsi, ni le peuple, ni les conseils communaux ne peuvent déléguer qui que ce soit à des fonctions publiques.
Je crois donc qu’on pourrait fort bien s’emparer du raisonnement du ministre de la justice et se dire : Il y a doute si les échevins sont compris dans l’exception ; donc il faut leur appliquer le principe, et, supposons que le principe établisse le collège des bourgmestre et échevins, donner au pouvoir exécutif et responsable de ses agents et de ses actes, le moyen de les choisir au moins parmi les conseillers que se sera choisis la commune.
Messieurs, je viens de vous émettre une opinion tranche et sincère sur les questions qui sont à l’ordre du jour. Je sais qu’il manque beaucoup ; j’aurai dû entrer dans plus de développements ; mais l’étendue du sujet ne le permet pas. Je n’ai pu que vous indiquer quelques généralités sur lesquelles je fonde le mode à suivre pour organiser convenablement la commune. Je suis rendu compte de ce que nous devons à la mémoire du passé ; j’ai consulté nos mœurs et nos habitudes administratives, et sans égard à ce que pourraient me suggérer mes théories personnelles ou mes affections particulières. J’ai examiné consciencieusement ce que veut et ce que nous défend notre constitution qui est la pensée écrite du congrès national ; j’y ai trouvé établi un régime constitutionnel monarchique et j’ai cru que nous ne pouvions pas dévier de ces principes, parce qu’en essayant de faire une réforme administrative, nous pourrions risquer d’opérer ou du moins de préparer une grande catastrophe politique.
(Moniteur belge n°42, du 11 février 1836) M. Jullien. - Messieurs, on a fait tant d’érudition dans le cours de ces débats que vous me saurez gré peut-être de la résolution que j’ai prise de parler uniquement à votre bon sens et surtout à votre bonne foi. Ainsi, messieurs, je laisserai de côté la période gauloise, la période romaine et la période franque de l’honorable rapporteur de la section centrale ; je glisserai très légèrement sur les considérations politiques, philosophiques et historiques de l’honorable député de Thuin, d’autant plus que ces considérations sont considérablement maigries depuis les trois discours que vous avez entendus après le sien ; et je vais droit à la question principale.
Accorderez-vous au Roi le droit absolu de nommer et de révoquer les bourgmestres comme le gouvernement vous le propose ? Je n’hésite pas à vous dire que si vous adoptez ce système, il sera funeste à la commune et dangereux pour le gouvernement lui-même.
Il sera funeste aux communes, car personne ne me contredira lorsque je dirai que les officiers municipaux sont des magistrats domestiques, sont les magistrats du foyer. Ces magistrats ont existé depuis que les associations communales ont été formées ; ils ont commencé avec elles, par la raison toute simple qu’il est impossible de concevoir une association d’habitants dans une localité sans concevoir en même temps un pouvoir qui la protège. Ainsi, les officiers municipaux sont essentiellement les protecteurs des habitants de leur commune. Détruisez aujourd’hui par la violence cette institution, elle renaîtra demain, fût-ce par la violence, parce qu’il est impossible qu’il en soit autrement, parce que le premier bien de l’homme c’est la sûreté, la paix de son foyer. Il peut souffrir patiemment, au dehors, toutes les misères de l’homme en société ; mais, chez soi, l’honnête homme veut être à l’abri de toutes les vexations, et surtout des vexations du pouvoir.
Quel est le but de cette protection indispensable à la commune ? Il n’est pas sans doute le même aujourd’hui qu’au moyen âge ; il ne s’agit pas de préserver les communes de l’invasion à main armée ; nous payons, Dieu merci, assez cher pour avoir une force publique, capable de nous protéger, à l’intérieur comme à l’extérieur.
Quelle est donc la protection que demande la commune ? C’est la protection contre les vexations qui peuvent être suscitées par les dépositaires de l’autorité centrale ; c’est la protection contre les roueries de la police, contre les agents du fisc, contre un commissaire de district, contre les exigences de la province... Voilà quelle est la nature de la protection que la commune a droit de réclamer pour qu’il ait sécurité dans le foyer. Eh bien, pour accorder cette protection, pour la faire valoir aux yeux de l’habitant, qu’est-ce que vous allez nommer pour qu’il l’obtienne ? Vous voulez nommer précisément un agent du pouvoir. Ainsi, la protection que vous êtes dans la nécessité d’accorder à la commune contre les agents du pouvoir, vous chargerez le pouvoir lui-même de la donner. Cela n’est-il pas évidemment un contre-sens !
Quel est l’homme qui voudrait se faire protéger par celui de qui il a à craindre ? Voilà pourtant la position dans laquelle vous placez les communes, si vous accordez au Roi le droit absolu de nommer les bourgmestres.
Il me reste à prouver que ce système est également dangereux pour le gouvernement.
Que les amateurs du pouvoir fort y réfléchissent ; s’ils veulent être forts, il faut qu’ils s’appuient sur les communes, car la force est là.
Or, en politique comme en physique, on ne s’appuie que sur ce qui résiste.
Il faut donc placer à la tête des communes des hommes qui sachent obéir, qui sachent donner au gouvernement tout ce qui lui appartient, mais aussi qui sachent résister lorsque le gouvernement demandera ce qui ne lui est pas dû, résister contre une mesure illégale. Alors le gouvernement s’éclaire de leurs observations et même de leurs résistances, et il reculera quelquefois devant des actes iniques qui auraient les conséquences les plus funestes ; mieux servis en cela que si vous placez à la tête des communes de ces créatures du pouvoir qui ont passé par tous les régimes en flattant tous les gouvernements, qui ont été dévoués corps et âme au premier comme au dernier, qui ont pris de tout récompenses et honneurs, des hommes dont on pourrait compter les défections, pour ainsi dire, par le nombre des faveurs ou des croix qu’ils ont obtenues. Il s’en trouve beaucoup de ces hommes-là dans les grandes villes.
Placez ces mêmes hommes à la tête des communes, et loin de s’opposer aux prétentions du pouvoir ils lui accorderont beaucoup plus qu’il ne demandera et cela pour se faire valoir, pour obtenir en retour les faveurs du pouvoir. Ce ne sont pas là de vaines théories ; je ne vous répète que ce que vous avez vu, si l’expérience est quelque chose pour nous. Vous avez vu aussi les conséquences.
Ainsi, sous le rapport de la commune, comme sous le rapport du gouvernement, je crois qu’il y a danger à adopter le système qui vous est présenté par le ministre.
Il y a encore une autre raison ; c’est que les bourgmestres ne sont pas seulement placés dans les communes pour protéger les habitants contre les vexations que je viens de signaler. Ils sont encore placés dans les communes pour faire obtenir à la communauté des habitants leur part dans les avantages distribués par le pouvoir, afin que le pouvoir répartisse équitablement ses faveurs ou distribue également sa justice entre toutes les communes. Vous avez encore vu qu’il y a certaines communes favorisées par le gouvernement, tandis que d’autres sont totalement disgraciées.
Si c’est un homme du pouvoir qui vient former ces réclamations au ministre il ne sera entendu que comme un inférieur par son supérieur ; il ne fera pas changer la pensée du gouvernement. Tandis que si cet homme est le premier magistrat de la cité, s’il est l’élu du peuple, quand il réclamera au nom de sa commune protection et justice égales pour sa commune comme pour les autres, soyez persuadés qu’il sera entendu. Un gouvernement qui négligerait une telle demande serait un gouvernement insensé. Voilà donc, messieurs, les avantages et les inconvénients du système.
D’un autre côté le gouvernement propose dans son système de faire un bourgmestre qui dans le conseil communal n’ait pas autre chose que voix consultative. Il n’aurait pas voix délibérative. Je n’hésite pas à le dire. C’est là une des conceptions les plus malheureuses qui puissent être échappées au gouvernement. Une telle position ne serait pas tenable pendant 6 mois. Il ne sera pas difficile de le démontrer.
Figurez-vous un bourgmestre qui doit avoir sur le conseil municipal l’influence que lui donnent son caractère et la place qu’il occupe. Il en résultera que pour toutes les délibérations à prendre, il usera de son influence. Eh bien, s’il parvient à faire prendre au conseil communal une détermination qui ne soit pas dans l’intérêt de la commune, il aura dicté en quelque sorte la délibération et il n’aura pas de responsabilité.
Il pourra dire au conseil communal : « J’ai délibéré avec vous cette décision ; mais je n’y ai pas pris part d’une manière effective, en ce sens que je n’avais pas voix délibérative. S’il y a quelque chose à y redire, c’est à vous que vous devez vous en prendre. » Vous voyez que dans ces systèmes un bourgmestre devient suspect au conseil. Il n’est plus pour lui qu’un objet de haine et de défiance.
J’aimerais autant le système de l’honorable M. Vandenbossche ; car, au moyen de quelques précautions législatives pour mettre ses deux bourgmestres d’accord, la commune y trouve au moins son représentant comme le gouvernement le sien.
Mais laisser subsister le système du gouvernement qui est d’imposer à la commune un bourgmestre (erratum inséré au Moniteur belge n°44, du 13 février 1836 :) qui n’ait pas voix délibérative dans le sein du conseil, je vous le dis, c’est une conception bizarre, et elle ne pourrait avoir que de fort mauvais résultats.
Quelle serait la meilleure combinaison ? Messieurs, lorsque vous enlevez au peuple, en vertu de l’exception admise par la constitution, l’élection du bourgmestre, la meilleure combinaison est celle qui vous est présentée par la section centrale, c’est-à-dire la nomination par le Roi du bourgmestre dans le sein du conseil.
Alors, messieurs, vous avez donné tout au moins par là, au gouvernement, l’intervention dans les affaires de la commune qui lui est convenablement due. D’un autre côté, vous n’avez pas écarté entièrement l’intervention du peuple, puisque la première condition pour être bourgmestre serait d’être l’élu du peuple. Dans un pareil système, le bourgmestre n’oublierait jamais son origine primitive. J’y trouve même un autre avantage : c’est que les électeurs, sachant que le bourgmestre sera choisi parmi les conseillers municipaux, apporteront d’autant plus de soin à faire leur choix. Ils se garderont bien d’introduire dans le conseil des hommes dont ils ne voudraient pas pour bourgmestres, parce que le gouvernement qui a assez souvent la main malheureuse, nommerait peut-être celui dont la commune ne voudrait pas pour bourgmestre. Cet avantage, messieurs, n’est pas à dédaigner.
J’en viens maintenant à la question des échevins, c’est ici que se présente d’abord cette éternelle question constitutionnelle, à savoir si les échevins peuvent être nommés par le Roi, si l’on peut étendre l’exception de l’article 108 aux échevins comme aux bourgmestres. Vous avez entendu, dans les deux ou trois discussions qui ont eu lieu sur cette question, les opinions les plus divergentes.
Les uns ont voulu expliquer les prétendues intentions du congrès en faisant cet article. Les autres, en se rattachant d’une manière sensée au texte de la loi, vous ont dit qu’il fallait voir la loi comme elle était faite et ne pas rechercher telle intention de tel ou tel membre du congrès, d’autant plus que vous avez entendu dans cette interminable discussion des orateurs ayant tous fait partie du congrès, et qui ont exprimé sur la prétendue intention de ce corps une opinion diamétralement contraire.
Quant à moi qui n’ai pas fait partie du congrès, je lis et interprète la loi comme elle est faite, et je vous avoue que je n’ai jamais pu soumettre ma raison à l’interprétation forcée qu’on veut donner à l’art. 108 de la constitution.
Il y a dans cet article une exception à l’élection directe pour les chefs des administrations communales et les commissaires du gouvernement près des conseils provinciaux. Tout le monde connaît cet article. Demandez quels sont les chefs des administrations communales. Tout le monde vous répondra : Ce sont les bourgmestres. Non, disent les partisans du système opposé, ce ne sont pas seulement les bourgmestres. Les échevins sont aussi les chefs des administrations municipales. L’un est le bourgmestre. Il est chef. Les autres sont les échevins placés sous l’autorité dia bourgmestre. Ceux-là sont aussi des chefs, de sorte que l’exception facultative de l’article 108 peut s’étendre aux échevins parce que, dit-on, ils ont à peu près la même autorité que les bourgmestres et qu’ils prennent part aux délibérations d’intérêt communal sans reconnaître au gouvernement de suprématie, voilà les puissantes raisons que l’on donne.
Ainsi parce que les échevins prennent part avec le bourgmestre aux décisions d’intérêt communal, on combine l’art. 108 avec l’art. 31, et voilà qu’on en fait des chefs de l’administration communale.
J’invoquais tout à l’heure le bon sens et la bonne foi de la chambre. C’est ici de nouveau à son bon sens que j’en appelle.
Dans tous les langages possibles, le chef, c’est la tête. De ce que la tête fait partie du corps, ce n’en est pas moins la tête. Voilà de ces vérités triviales pour tout le monde, excepté pour ceux qui veulent ergoter sur le texte de la constitution.
Le chef est celui qui dirige, qui est à la tête ; c’est le bourgmestre. N’est-il pas le premier magistrat de la cité ? ne lui avez-vous pas accordé des attributions que n’ont pas les échevins ? n’est-ce pas lui qui préside l’assemblée, qui requiert la force publique, qui se présente devant l’émeute pour la faire cesser. Et l’on vient prétendre que les échevins sont ses collègues, ses égaux, parce qu’ils prennent part aux mêmes délibérations d’intérêt communal ; que ce sont tous des chefs !
Ce système révolte ma raison. Ce qui n’empêche pas que d’autres n’aient une opinion contraire ; et pour trancher toute une question qui est devenue dans la chambre un point d’irritation, je dirai que ceux qui n’ont pas voulu ou pu comprendre ces vérités ne les comprendront jamais et qu’il est à peu près inutile de parler beaucoup sur des choses aussi simples que celles-là.
J’oubliais cependant une objection faite je ne sais par qui. L’on a dit : Vous voyez que dans ce mélange d’attributions le bourgmestre n’est parmi les échevins que primus inter pares. J’ai toujours regardé cette définition de collège comme une de ces expressions de courtoisie, une petite consolation d’amour-propre, mais soyez persuadés que dans tous les pays du monde le premier est toujours le premier. Le bourgmestre est sans contredit le premier de la commune par son caractère et ses attributions. Ne venez pas chercher des définitions de cette espèce pour renverser le texte formel de la constitution.
Messieurs, le gouvernement a très bien senti qu’il s’était placé, à l’occasion de cette question, sur un mauvais terrain. Le gouvernement ne propose plus maintenant la nomination des échevins par le Roi, il propose l’élection directe des échevins par le peuple. C’est un retour de la part du gouvernement aux idées constitutionnelles. Mais, qu’est-ce qu’il a fait en accordant au peuple la nomination directe des échevins ? Il les a dépouillés de toute leur autorité, de tout le caractère qu’ils avaient dans l’organisation communale. Il les a présentés tout nus aux électeurs. Il leur a dit : Vous pourrez faire des échevins autant que vous voudrez, mais ils n’auront pas d’attributions. N’est-ce pas une véritable dérision ; n’est-ce pas se moquer du peuple que de venir lui dire qu’on lui laisse la nomination de ses échevins, quand on en a fait des hommes nuls, des hommes de paille, destinés à n’être que les satellites du bourgmestre, ses adjoints, comme les adjoints des maires de l’empire.
Mais le peuple ne verra plus là ses échevins. Je vous déclare que, dans de la commune, je préférerais des échevins nommés je ne sais par qui conservant leurs attributions, à des échevins nommés directement par le peuple, mais qui n’auraient plus d’attributions du tout, comme le propose le gouvernement.
Repassons les attributions des anciennes institutions municipales du pays.
Avant la révolution française, les autorités municipales du pays réunissaient dans leurs mains le pouvoir judiciaire et le pouvoir administratif. C’est une des grandes conquêtes de la révolution française ; c’est un grand bienfait de cette révolution d’avoir séparé, irrévocablement séparé, le pouvoir judiciaire du pouvoir administratif et d’avoir tracé entre ces deux pouvoirs une ligne de démarcation vraiment infranchissable. Les institutions municipales ont donc été de cette manière dépossédées du pouvoir judiciaire. Aujourd’hui, que veut-on faire ? On veut les dépouiller du pouvoir administratif, on veut les laisser dans un état absolu d’impuissance de manière qu’elles ne puissent jamais ni contrarier les volontés du pouvoir, ni servir les intérêts des habitants de la cité.
Dans cet état de dégradation et de mutilation, reconnaissez-vous les institutions de vos ancêtres ? Croyez-vous que les magistrats municipaux réunissent encore assez de pouvoir pour satisfaire à tous les besoins du peuple. On leur a enlevé le pouvoir judiciaire et en cela on a bien fait, c’était une mesure d’intérêt public. Mais on veut leur ravir encore le pouvoir administratif, la seule chose qui reste des traditions de vos institutions municipales. Voilà ce que veut le pouvoir fort.
Savez-vous la raison qu’on donne de cette étrange prétention ? On ne veut pas que les magistrats de la commune s’immiscent dans le pouvoir exécutif.
Avec ce grand mot de pouvoir exécutif, on est arrivé à soutenir que les attributions municipales, ayant un rapport médial ou immédiat avec le gouvernement, ne pouvaient être laissés à un magistrat nommé par les électeurs, sans fausser le pouvoir exécutif. Il n’est pas possible que ce soit sérieusement et de bonne foi qu’on soutienne un pareil système.
Sans doute, les communes et les habitants des communes ont et doivent avoir des rapports avec le gouvernement. Mais en ce qui concerne le pouvoir exécutif, veuillez faire attention à ce que sont ces rapports. Qu’est-ce que le gouvernement demande aux communes ? Il demande, comme tous les gouvernements, des hommes et de l’argent, et de plus que les lois générales de police et de sûreté publique s’exécutent.
Voilà tout ce que peut vouloir le pouvoir exécutif. S’il veut de l’argent, il demande à une province une somme globale. Mais de cette somme globale, il faut faire la répartition, et cette partition doit être faite par commune et, dans chaque commune, entre les habitants. Il faut donc bien que la commune intervienne, fût-ce même officieusement, pour faire cette partition. Le gouvernement ne peut pas établir le contingent de chacune et aller de porte en porte en faire la collecte. C’est le pouvoir municipal qui connaît les ressources des administrations, qui sait comment rendre au gouvernement de la manière la plus douce possible l’impôt qu’il demande ; c’est le pouvoir municipal qui fait, en un mot, l’application des lois aux membres de la communauté.
Mais quand il s’agit de l’exécution d’un contribuable récalcitrant, et qu’il est question de contrainte et de garnisaires, qui est pouvoir exécutif ? Ce n’est certes plus la commune, ce sont les agents directs du fisc. Ainsi, vous voyez qu’en matière d’impôts, c’est-à-dire dans l’une des principales branches de l’administration publique où la commune ait quelques rapports directs avec le pouvoir exécutif, ces rapports consistent plutôt dans l’intervention officieuse de la commune pour imposer ses propres habitants et préparer et faciliter l’exécution de la loi, que dans l’exécution elle-même.
S’agit-il de milice, la commune désigne les enfants qui ont atteint l’âge requis pour servir et ceux qui sont atteints d’infirmités de nature à leur faire obtenir des exemptions.
Elle donne ensuite le contrôle de ceux qui sont appelés à servir. Voilà une des principales parties de son travail. Mais s’il s’agit de faire marcher un milicien réfractaire, c’est la force publique, ce sont les gendarmes qui en sont chargés, la commune n’a rien à démêler avec l’exécution. S agit-il enfin des lois générales de police et de sûreté publique, la commune intervient pour les publier, pour les faire connaître à ses habitants, elle intervient encore pour leur assurer, dans certains cas, protection contre les vexations auxquelles l’exécution de ces lois peut donner lieu. Mais si un habitant y contrevient, n’avons-nous pas les procureurs du Roi, les juges d’instruction, les officiers de gendarmerie ? N’avez-vous pas à foison des agents du pouvoir exécutif, chargés directement par la loi d’assurer la paix et la tranquillité publique, sans recourir à la commune ? Quand on est venu nous parler de ce pouvoir exécutif des communes, je n’ai pas compris autre chose, sinon que la pensée du ministère était d’attribuer tout uniment tout le pouvoir municipal au bourgmestre nommé par le Roi, malgré le texte formel de la constitution.
Mass si ce pouvoir exécutif qui regarde la commune comprend ces trois objets : argent, soldats, police générale, ce sont précisément ces trois choses auxquelles sont le plus intéressés les habitants de la commune. Or, celui qui sous ces trois rapports aurait à se plaindre, à qui s’adresserait-il ? Il n’y aurait personne dans l’autorité municipale capable de faire droit à sa plainte, si ce n’est le bourgmestre, c’est-à-dire l’homme du pouvoir, qui serait peut-être intéressé à l’éconduire. Tandis qu’en laissant aux échevins l’intervention dans toutes ces matières, le père de famille qui aura à faire une plainte de cette nature, s’il ne connaît pas tous les échevins, en connaîtra au moins un ; cet échevin qui sera l’élu du peuple aura à cœur les affaires de la commune et les intérêts de tous les habitants, ainsi la plainte de l’opprimé se fera jour. Le gouvernement sur qui retombent en définitive toutes les haines que s’attirent ses agents n’aura plus à en redouter les effets.
Voila les conséquences que je vous prédis si vous adoptez l’un ou l’autre système.
Puisqu’on a parlé de considérations philosophiques, historiques et politiques, je suis bien aise aussi de dire un mot de la centralisation.
Cet honorable orateur qui s’est posé le champion de la centralisation, n’a oublié qu’une chose, dans ses belles théories, c’est la constitution, il n’a oublié que de mettre sa théorie de la centralisation en harmonie avec la constitution.
On peut faire sur un objet toutes les théories qu’on veut, cela dépend de l’imagination de celui qui les présente. Je ne conteste pas cette imagination à l’honorable membre. Mais quand on veut parler devant une chambre législative, dont chacun des membres a juré d’observer fidèlement la constitution, on ne peut pas venir soutenir ces théories de centralisation et de pouvoir fort, si la constitution les repousse.
Or, les articles 31 et 108 de la constitution ont décidé ces questions en accordant au peuple l’élection directe, et aux communes l’attribution de tout ce qui concerne l’intérêt municipal. La constitution a, ce qu’on peut dire, décentralisé.
Si donc la constitution a prononcé, je ne sais plus ce que vous pouvez faire avec vos théories de centralisation. Il s’en faut au reste de beaucoup que la centralisation ait tous les effets qu’on veut bien lui prêter. On a invoqué l’exemple de la France, on a dit : voyez ce beau et puissant royaume de France, c’est à la centralisation du pouvoir qu’il doit la prospérité dont il jouit. C’est par l’unité des mesures d’un gouvernement central qu’on obtient tous ces résultats que je voudrais avoir pour la Belgique. Retournez la médaille et voyez ce que ce beau et puissant royaume de France a manqué de devenir en 1813. Quelques heures de plus, et un simple conspirateur isolé, sorti des prisons de Paris, s’emparait de tous les pouvoirs. C’était l’intrépide Mallet.
Et s’il eût réussi à renverser le gouvernement, à saisir toute la puissance impériale, dites comment il y serait parvenu si ce n’est à l’aide de la centralisation si vantée du député de Thuin ?
On a parlé aussi des franchises espagnoles et on a prétendu que c’était à ces prérogatives des provinces espagnoles qu’étaient dues les convulsions au milieu desquelles l’Espagne se débat. On s’est encore trompé. L’honorable M. Seron a relevé ce qu’il y avait d’inexact dans ces assertions. Quand vous parlez des provinces d’Aragon, de Castille et de Navarre, vous ne pensez pas sans doute que vous parlez de privilèges qui n’appartenaient qu’à telles provinces du royaume, et qui, par suite, étaient pour les autres un objet de jalousie et de discussions interminables entre les citoyens d’une même nation ayant droit aux mêmes avantages ; voilà ce que c’est que les privilèges pour lesquels on se bat en Espagne. Car ne croyez pas que les Espagnols se battent pour des moines ou contre des moines, pour Isabelle ou pour don Carlos, ils se battent pour reconquérir d’anciennes prérogatives que leurs anciens royaumes ont perdues, ou pour conserver celles qu’ils ont encore. Voilà peut-être la véritable cause de la situation de l’Espagne.
Y a t-il la moindre analogie entre les privilèges qu’on conteste aux provinces espagnoles, et qui donnent lieu à de sanglants débats, et notre organisation communale ? ici c’est une situation homogène qu’on veut établir pour tout le pays ; on ne veut pas plus pour une province que pour l’autre, pour une commune que pour une autre commune ; on veut une mesure égale pour tous ; on ne demande de faveur pour personne, c’est l’exécution stricte, littérale et de bonne foi de la constitution que l’on réclame. Y a-t-il, je le répète, entre toutes ces choses le moindre rapport ? C’est à vos consciences et à vos lumières à en juger.
Le même orateur a dit encore (j’aime bien à rencontrer quelques-uns de ses arguments), le même orateur a dit : si vous avez du talent et de l’ambition, ne restez pas dans les chambres, allez dans les conseils communaux et provinciaux, c’est là que vous pourrez donner carrière à l’ambition qui vous dévore. Il a pensé, sans doute, que nous vivions sous les ducs de Bourgogne du temps d’Artevelde et des corps de métier, lorsqu’une révolte des bourgeois de Bruges on de Gand pouvait remuer l’Europe, en alarmant les Etats voisins. Mais il n’y a rien de plus innocent au monde que les assemblées provinciales et les objets dont elles s’occupent.
C’est à peine si on peut les tenir réunies huit jours une fois chaque année. (Erratum inséré au Moniteur belge n°44, du 13 février 1836 :) Tant les conseillers sont pressés de retourner à leurs affaires.
Quant aux conseils communaux, il y a plusieurs années que je fais partie de celui de la ville de Bruges. Je puis assurer qu’il n’y a pas moyen de s’y poser comme tribun. Tous ceux qui ont tant soit peu l’habitude de ces administrations savent bien qu’on ne s’occupe que d’objets d’intérêt communaux et que ce sont de véritables discussions de famille.
Eh bien, qu’est-ce que votre ambition irait faire dans les conseils provinciaux ou dans les conseils communaux, à l’époque où nous vivons ? Moi, comme je vous crois du talent, je renverserai votre invitation. Je vous dirai : Si vous voulez jouer un rôle, restez dans les chambres, vous y trouverez moyen d’utiliser le talent dont la nature vous a doué et même de satisfaire votre ambition, si vous en avez et d’arriver aux emplois. Vous voyez que conseil pour conseil, le mien vaut bien celui de l’honorable député de Thuin.
Je finirai par une observation qui m’a frappé. Ne craignez-vous pas, vous a-t-on dit, si vous accordez au peuple l’élection directe des bourgmestres et des échevins, qu’un parti ne s’empare de ces élections et que ce parti tout puissant, le parti clérical, il faut bien l’appeler par son nom, ne parvienne à faire nommer par les électeurs tous les bourgmestres et les échevins des communes. Voilà les craintes qu’on n’exprime pas ouvertement mais qu’on cherche à inspirer à ceux qui ne sont pas de ce parti.
Ces craintes ne me touchent pas. Je ne crois pas qu’on me taxe d’être de ce parti. (On rit.) Mais je ne sacrifierai jamais un principe à la crainte d’un parti quel qu’il soit. Il est de la nature des partis de périr de leurs propres excès ; les partis sont éphémères tandis qu’un principe reste. Si vous détruisez un principe, il faudra peut-être des siècles et des commotions violentes pour le relever.
Pour achever ma pensée, je dirai que ces craintes sont ridicules, j’oserais presque dire niaises. En effet, si vous supposez que ce parti a assez d’influence et d’autorité pour faire nommer, par les électeurs, tous les bourgmestres et les échevins que bon lui semble, il aura assez d’influence et d’autorité pour faire nommer tous les représentants de la nation, nous en savons quelque chose. Il sera donc maître du ministère. Etant maître du gouvernement il fera nommer par le gouvernement tous les bourgmestres et échevins que bon lui semblera. Vous arriverez au même résultat et vous avez un inconvénient de plus, c’est que toutes les fois que vous faites du gouvernement l’instrument d’un parti, le gouvernement devient méprisable et est justement méprisé.
En résumé je voterai pour l’élection des bourgmestres par le Roi dans le sein du conseil et pour l’élection directe des échevins.
M. Devaux. - Il est de ces mots qui rendent une discussion difficile, tant ils y jettent d’équivoque et de vague. Je n’en connais pas, dans cette interminable discussion de la loi communale, dont on ait plus abusé que celui de « liberté communale. » A entendre certains orateurs, vous n’auriez fait dans toute cette loi qu’un holocauste perpétuel des libertés du peuple. Quand vous décidez que certains actes des autorités communales seront, dans l’intérêt même de la commune, soumis à l’approbation d’une autorité plus éclairée, quand vous voulez éviter ainsi les vexations et souvent des mesures ruineuses à la commune, vous avez sacrifié la liberté communale. Lorsqu’on vous proposait de donner au gouvernement la faculté de dissoudre les conseils communaux, d’appeler au peuple (pour me servir de l’expression favorite de nos contradicteurs) des erreurs de l’administration communale ; lorsqu’on vous proposait de donner aux électeurs les moyens de remplacer les conseils communaux dont ils ne voudraient plus, c’était encore sacrifier les libertés de la commune. Lorsque, dans trois ou quatre votes successifs, vous vous êtes prononcés sur la nomination des bourgmestres et des échevins, quelque parti que vous ayez pris (et vous avez changé plusieurs fois) de quelques éléments que la majorité se soit formée, toujours elle s’est trouvée d’accord pour immoler la liberté de la commune. Chose étrange ; hors de la commune, pour arriver à la liberté, on a pondéré tous les pouvoirs, on a eu soin qu’aucun pouvoir ne fût indépendant ; une chambre ne peut rien faire sans l’assentiment de l’autre chambre et sans l’assentiment du pouvoir royal ; nulle part il y a indépendance : là sont les garanties de la liberté. S’agit-il de la commune, tout est différent : là, plus vous rendrez l’autorité indépendante, plus vous ferez pour la liberté, moins il y a de bornes à l’autorité communale, plus il y a de liberté pour la commune.
Messieurs, cette liberté qui consiste dans l’indépendance de l’autorité, cette liberté peut bien être l’indépendance de l’autorité communale, mais, à mon avis, ce n’est pas la liberté des habitants de la commune ; ce pourrait être tout au contraire l’assujettissement des habitants de la commune aux vexations d’un pouvoir trop indépendant. C’est cependant sur cette confusion de mots que sont basés, je ne dirai pas plusieurs discours, mais des centaines de discours que nous avons entendus dans cette éternelle discussion.
Je dis, moi, que soumettre les actes de l’administration communale à un pouvoir plus éclairé ce n’est pas sacrifier la liberté des habitants de la commune, mais les garantir contre des autorités trop peu éclairées qui pourraient s’abandonner à bien des vexations et bien des erreurs. Je dis aussi, que dissoudre un conseil communal, ce n’est pas sacrifier la liberté de la commune, c’est au contraire donner aux habitants de la commune le moyen de secouer le joug des magistrats qu’ils reconnaissent avec eu tort de nommer et qu’ils veulent remplacer. Je pense aussi, et je vais vous en exposer les motifs, que la nomination du bourgmestre et des échevins par le Roi est plus favorable à la liberté de commerce que l’élection.
Vous voyez que je me place sur le terrain choisi par nos adversaires, celle de la liberté de la commune. Je consens un instant, celui de la liberté de la commune. Je consens un instant à faire comme eux abstraction de l’intérêt administratif et de l’intérêt général, qui cependant doit être aussi compté pour quelque chose. Je dis donc qu’il y a plus de liberté pour la commune, dans la nomination des chefs de l’administration communale par le Roi, que dans l’élection ; qu’il y a plus de germe de despotisme communal, dans l’élection, que dans l’intervention du gouvernement.
Que les premières fonctions communales restent électives, qu’arrivera-t-il ? Que la plupart des communes finiront par se diviser en deux partis. Ces partis ne seront pas même toujours des partis politiques, mais il restera très peu de communes où la division ne sera pas marquée, où les habitants ne seront pas divisés en deux camps, fût-ce souvent sous les prétextes et les dénominations les plus frivoles. Tous vous connaissez des communes que divisent les partis politiques, comme moi vous en connaissez où la scission repose sur d’autres motifs. Ici, sans que la politique y soit pour quelque chose, il y a le parti de l’ancienne administration communale, et celui de la nouvelle ; ailleurs c’est le parti du curé et le parti du bourgmestre ; le parti du bourgmestre et celui de l’assesseur. Je connais telle commune où un curé a été déplacé, et qui est divisé en deux partis : l’un est forme des partisans du nouveau curé, l’autre est formé des partisans de l’ancien. Il y a des motifs de division bien plus frivoles encore que celui-là. Plus le motif est léger, et souvent plus les divisions s’aigrissent dans une localité étroite où les adversaires sont forcés de se trouver journellement en contact l’un avec l’autre. Eh bien, dans un tel état de choses, donnez à l’élection la nomination des principaux fonctionnaires de la municipalité, qu’arrivera-t-il dans cette commune ? Il arrivera que le parti qui sera en majorité s’emparera à la fois du conseil communal et des fonctions de bourgmestre et d’échevins ; qu’ayant ces pouvoirs en mains il pourra s’en servir pour vexer et humilier quotidiennement ses adversaires.
En effet, une fois nommé le bourgmestre et les échevins et les conseillers, les voilà en place et libres d’agir jusqu’à une nouvelle élection, car on ne veut pas même qu’une dissolution puisse amener une élection nouvelle : en se maintenant seulement dans le cercle où ils n’auront à rencontrer ni l’autorité provinciale, ni les tribunaux, ils auront le champ libre pour faire subir des tracasseries quotidiennes à la minorité vaincue.
Remarquez bien, que dans cette hypothèse le conseil communal institué comme garantie et comme limite contre le bourgmestre et les échevins s’annule. C’est le parti qui se contrôle lui-même. Chaque fois que le collège échevinal agira au nom des passions de son parti, ce n’est pas un contrôle, c’est un appui qu’il trouvera dans le conseil.
Un gouvernement a le plus haut intérêt à ne jamais pousser les choses à l’extrême : il a besoin de l’appui de toutes les communes et non d’une seule ; il lui faut l’assentiment, ou au moins, l’estime de tous les hommes sensés ; il a intérêt à l’union et au bon ordre.
Mais un parti local, qui donc l’empêchera de se livrer à ses passions ? il peut pousser les choses aussi loin qu’il veut ; pourvu qu’il évite d’être poursuivi devant les tribunaux, quel mal lui en adviendra ? Il sait bien qu’il n’y aura pas de bouleversement en Europe, ni de révolution en Belgique, parce qu’une partie des habitants d’une commune opprimera l’autre. Craindrait-il les plaintes portées au-dehors ? mais à qui s’adresseraient-elles quand il ne se trouve hors de la commune aucun pouvoir qui en puisse faire justice ? Ces plaintes auront-elles même l’appui d’une grande publicité ? Pas davantage, à moins qu’il ne s’agisse de quelque grande ville ou de quelque grand débat politique ; mais une plainte locale contre un bourgmestre choisi par la localité ira tout au plus mourir dans quelque petit journal ignoré. Il n’y a rien là qui intéresse les journaux de l’opposition ; au contraire, en dénonçant les abus, il en est peut-être qui craindraient de décréditer le principe électif.
Qu’on ne me dise pas que ces tracasseries que je prévois ne se sont pas réalisées jusqu’ici. Il me semble que nous en avons quelques exemples déjà assez fréquents. Il faut d’ailleurs un peu de temps aux institutions pour altérer les mœurs et porter leurs fruits. Il ne faut pas oublier non plus que la position précaire où l’attente d’une législation nouvelle a placé les administrations communales leur a imposé un frein.
Faites nommer les premiers fonctionnaires de la commune par le Roi, à l’instant vous effacez tous ces partis misérables ; leur principal aliment aura disparu. Il n y aura pas pour les places de conseillers de la commune les mêmes rivalités que pour celles de bourgmestre, car elles ne donnent ni la même satisfaction à l’amour-propre, ni les mêmes moyens de vexation.
Le gouvernement, messieurs, n’entrera pas dans le détail des misères des partis locaux ; il a bien d’autres difficultés à surmonter ; il a d’autres embarras plus graves pour entrer dans ces luttes de commérages.
S’il est obligé de choisir dans un conseil, il prendra l’homme le plus modéré, l’homme conciliateur, l’homme qui, sans être l’ennemi d’un des partis, ne sera pas assez passionné pour opprimer l’autre. Dans ce cas, et grâce à la différence d’origine du conseil communal et du pouvoir actif de la commune, le conseil est rendu à sa véritable destination ; il redevient le contrôle de l’administration du bourgmestre et des échevins. S’il y a de sa part un peu de jalousie, un peu d’hostilité même, le contrôle n’en sera que plus sévère. Si cette garantie ne suffit pas, s’il y a vexation, cette fois on pourra se plaindre au-dehors ; il y aura là des pouvoirs pour faire justice : à défaut de cette justice, un autre recours sera ouvert. Cette fois les plaintes ne devront pas expirer aux limites de la localité. Ce sont ces hommes du gouvernement qui sont en cause.
Qu’une plainte arrive aux journaux, voilà l’opposition qui prend feu et fait sonner toutes ses trompettes ; le redressement se fait-il attendre encore, les pétitions, les plaintes retentissent dans le conseil provincial ; elles parviennent jusqu’aux chambres, les ministres sont interpellés, forcés de s’expliquer ; de locale, d’ignorée qu’elle était, l’affaire est traîné sur le grand théâtre des débats législatifs et peut en revêtir les proportions.
Quelle possibilité de vexations obscures dans un système ! quelle multitude de garanties dans l’autre ! Ai-je tort de regarder l’élection du collège échevinal et de la majorité de ce collège comme une source cent fois plus féconde en despotisme communal, en vexations locales, que la nomination de ces fonctionnaires par le gouvernement ?
En faudrait-il d’autre preuve par l’exemple qui vous est connu, exemple fameux déjà dans les annales de notre régime nouveau ?
Une partie d’une administration communale élue a été jusqu’à éliminer de son sein, par un acte de bon plaisir, un citoyen élu comme elle, sans autre forme de procès que de le déclarer démissionnaire. Il a eu beau protester que, jamais, il n’avait donné sa démission ; malgré lui, malgré la législature, malgré le gouvernement et toutes les autorités intermédiaires, l’élimination a été maintenue et malgré toutes les autorités, on a procédé à l’élection pour remplir une place qui n’était pas vacante.
C’est là un acte de despotisme le moins déguisé, le plus complet que je connaisse. Je demande à tous les hommes dont l’exagération n’aveugle pas le jugement s’il leur est possible de supposer un seul instant qu’un agent du gouvernement, dans l’état actuel de nos institutions, sous le régime où nous vivons, puisse concevoir seulement de commettre un acte semblable.
Non, messieurs, pour tomber dans un pareil excès il faut être l’élu d’un parti, il faut s’appuyer sur un parti ; il faut savoir que l’on n’est responsable qu’envers ce parti, et que lui n’est responsable envers personne ; il faut être en position de fermer l’oreille à tout ce qui se dit en dehors de la commune en en dehors du parti.
Vous pourrez prendre dans la loi communale des précautions pour que des pareilles énormités ne se renouvellent pas, je le sais ; mais vous ne pourrez pas tout prévoir dans la loi. Les tracasseries locales se présentent sous mille formes, et le plus grand nombre vous échapperont, si vous-mêmes en déposez le germe dans la loi.
Jusqu’ici, messieurs, je n’ai parlé que de l’intérêt de liberté, mais si les habitants d’une commune doivent être libres, s’ils ont droit de n’être pas vexés, tout n’est pas là ; il faut aussi que les intérêts soient autant que possible gérés avec soin et intelligence ; il faut encore que les intérêts généraux, qui sont en contact avec les leurs, ne soient pas oubliés.
Quant aux intérêts généraux, je n’insisterai pas ; je crois que personne ne met en doute qu’ils seront mieux administrés par les hommes nommés par le gouvernement que les élus par la localité. Je viens d’entendre dire que le gouvernement ne trouve d’appui que là où l’on résiste : si l’on a voulu conclure de là que des administrateurs élus sont plus utiles au gouvernement que ceux qu’il choisit lui-même, on pourrait porter loin les conséquences de ce raisonnement.
Je ne sais s’il ne faudrait pas demander alors que tous les agents du pouvoir exécutif fussent élus ; car vous auriez plus de chances de résistance et par conséquent plus de chances d’appui.
Quant aux intérêts communaux, mon avis est encore qu’ils seront mieux administrés par ceux que le gouvernement aura choisi ; ainsi, je diffère en ce point d’opinions avec les honorables membres qui ne veulent de la nomination pas le Roi, du bourgmestre et des échevins, qu’à raison qu’ils sont chargés de fonctions d’intérêts mixtes ; pour moi, quand le bourgmestre et les échevins ne seraient chargés que d’intérêts purement communaux, je me refuserais encore à les faire élire.
Je l’ai déjà dit, cette organisation élective ne me convient pas plus pour la commune que pour l’Etat.
Les opinions exagérées tendent toujours à abuser précisément des choses les meilleures. L’élection, comme la nomination par le Roi, n’est certainement pas une chose excellente de tous points, elle n’est point exempte de tout inconvénient. Mais, les avantages et les inconvénients compares, l’élection est bonne et même indispensable dans certains cas. De là on conçoit qu’elle est bonne partout.
Dans les révolutions, quand tout a été remis en question, quand une opinion obtient facilement faveur par cela seul qu’elle est nouvelle, on exagère volontiers tous les principes. Vous savez quel usage exagéré on fit de l’élection pendant la révolution française. En 1830, nous avons été plus sages, éclairés que nous étions par l’expérience. Cependant il y avait aussi dans le congrès, auquel moi aussi je suis le premier à rendre justice, des hommes qui voulaient exagérer le principe de l’élection ; il y avait dans le congrès et en dehors du congrès des personnes qui voulaient un Roi électif ; d’autres un président de l’Etat électif ; il y en avait qui voulaient, outre deux chambres électives, des juges électifs, il y en avait probablement aussi (puisqu’il se représente ici) qui voulaient que les fonctions de bourgmestre et d’échevins fussent électives ; d’autres voulaient que tous les grades de la garde civique fussent électifs ; enfin il en était qui, si on les eut laissés faire, eussent probablement étendu l’élection beaucoup plus loin encore.
Permettez-moi, à ce sujet, de lire quelques paroles que j’ai eu l’honneur de prononcer au congrès la première fois que je montai à la tribune. Il s’agissait de l’élection du chef de l’Etat.
« La vraie raison qui anime des esprits généreux, mais trop absolus, contre la monarchie, n'est pas une raison d'économie. (On avait prétendu faire adopter la république par une raison d’économie.) Qu'ils s'en rendent compte ou non, c'est la haine de l'hérédité comme privilège, comme exception à ce principe d'égalité générale qu'ils chérissent avant tous les autres. L'idée d'une famille élevée à perpétuité au-dessus de toutes les autres, ne peut trouver grâce dans leur esprit. Ils veulent que tous les grands pouvoirs soient électifs. Pourquoi ? Parce qu'au vrai ce qu'ils veulent avant tout, et sans peut-être se l'avouer à eux-mêmes, ce n'est pas que tout se fasse pour le plus grand bonheur du peuple, mais que tout se fasse par le peuple. On tombe dans cette grande erreur de mettre les formes, les moyens au-dessus du but. C'est en vertu de ce principe que, dans des républiques anciennes, tout se faisait par la masse du peuple, jusqu'aux jugements des accusés. Ces jugements étaient passionnés, souvent iniques ; mais enfin, ils étaient rendus par le peuple tout entier. Dans les résultats, la liberté et la justice étaient sacrifiées, mais dans les formes l'égalité était parfaitement maintenue.
« L'élection, dit-on, est la voix du peuple ; l'hérédité n'est que la loi du hasard. Je réponds que si, dans telle circonstance, la loi du hasard me paraît devoir amener de meilleurs résultats pour le pays que la voix du peuple, je préfère la loi du hasard ; ce que je veux avant tout, c'est la liberté du pays ; la forme qui mène le plus sûrement à ce but, quelle qu'elle soit, est celle que je préfère. Du moment qu'elle l'atteint, je ne m'effraye pas des mots, et je l'accepterais sous toutes les dénominations, monarchique, républicaine, aristocratique même ou oligarchique.
« C'est par une idée toute contraire que chez nous et en France quelques hommes, aux intentions desquels je rends parfaite justice, réclament aujourd'hui avec tant d'instance la république, et vont même jusqu’à demander le suffrage universel. Ils veulent avant tout, non pas des résultats populaires, mais des formes populaires ; pour eux l'égalité dans les formes est plus précieuse que la liberté dans les résultats. Ils mettent ainsi les erreurs de la politique des anciens au-dessus des vérités démontrées par l'expérience et par la science politique de notre siècle. Leur principe à eux, quoique, je le répète, ils ne se l'avouent peut-être pas bien clairement, c'est égalité absolue d'abord ; partant point d'hérédité, point d'aristocratie, point de cens électoral, et, cela obtenu, la liberté arrivera si elle peut et comme elle pourra. Notre principe à nous, c'est liberté d'abord, et si une certaine hérédité, une certaine aristocratie, un certain cens électoral sont nécessaires au maintien de cette liberté, nous allons jusqu'à les admettre.
« Les résultats sont tout pour nous ; les formes, les citoyens, sont presque tout pour eux ; nous subordonnons les moyens au but, eux font tout le contraire. Nous combattons le suffrage universel, bien que ce soit, quant à la forme, le plus favorable à l'égalité, parce qu'il est fatal à la liberté quant aux résultats ; en temps de passion, il mène à l'anarchie, qui est aujourd'hui la plus redoutable ennemie de la liberté ; en temps ordinaire et à la longue, mieux que tout autre système, il assure l'influence exclusive de l'aristocratie et lui sacrifie la liberté du peuple. Par la même raison nous combattons la république ; la monarchie peut nous offrir les mêmes libertés, elle nous délivre des chances de troubles et de désordres de la république ; aujourd’hui que les besoins matériels des nations, leurs intérêts industriels et commerciaux ont plus d'étendue que jamais, plus que jamais aussi elles ont besoin d'ordre ; l'absence d'ordre les précipiterait, après quelque temps, dans les bras du despotisme, pour recommencer ce cercle fatal, en dehors duquel la monarchie constitutionnelle peut si heureusement nous placer aujourd'hui.
« La monarchie constitutionnelle représentative, telle que je l'entends, c'est la liberté de la république, avec un peu d'égalité de moins dans les formes, si l’on veut ; mais aussi avec une immense garantie d'ordre, de stabilité, et par conséquent, en réalité, de liberté de plus dans les résultats. »
Je vous demande pardon de me citer ainsi moi-même contre mon habitude. J’avais pour cela un double motif ; d’abord j’ai voulu prouver que je m’appuyais alors sur les principes sur lesquels je m’appuie encore aujourd’hui. Je crois que nos adversaires sont toujours dans l’erreur, en voulant faire directement par le peuple ce que nous voulons faire pour le peuple. Ensuite puisque l’occasion s’en présente, j’ai voulu relever une opinion émise par un honorable orateur dans la discussion qui a eu lieu l’an dernier sur le mode de nomination des échevins. Je n’ai pas voulu alors (la chose n’en valait pas la peine) interrompre la discussion.
Vous vous rappellerez qu’un honorable membre a fait une revue des opinions émises dans le congrès ; et au moyen de certains rapprochements avec les opinions d’aujourd’hui il fit paraître quelques membres en contradiction avec eux-mêmes. Je figurai dans cette galerie de portraits, et à mon nom j’ai vu des sourires sur les lèvres de mes honorables collègues, la citation que l’on avait faite de mes paroles tendant probablement à me représenter comme un quasi-républicain. Vous jugerez cette citation lorsque vous saurez que c’est une phrase isolée ou une demi-phrase de ce que je viens de lire.
Je ne prétends pas à l’immobilité de mes opinions. Si j’ai longtemps à vivre, je compte avoir beaucoup à apprendre. Je trouve naturel qu’on critique mes paroles, qu’on ait d’autres convictions que les miennes. Mais je tiens à honneur d’avoir été, dès les premiers jours de la révolution, l’adversaire des exagérations. Je tiens à montrer qu’après avoir lutté pendant six ans pour la liberté dès les premiers jours de la révolution, j’ai compris que le danger ne serait pas dans le défaut de liberté, mais dans l’excès de la liberté. Je tiens à honneur d’avoir dès cette époque, tout en faisant tous mes efforts pour faire écrire toutes les libertés raisonnables, d’avoir, dis-je, appuyé toutes les propositions modérées, d’avoir sans relâche et malgré tous les obstacles, combattu les exagérations de tous les genres.
Le discours que je viens de citer fut le premier que j’eus l’honneur de prononcer à la tribune du congrès national. C’était le 20 novembre, quinze jours après l’ouverture du congrès. La seconde fois que je montai à la tribune, ce fut, si j’ai bonne mémoire, pour combattre l’application du principe de l’élection à la nomination des sénateurs.
Dans le discours qu’on a voulu opposer à mes opinions actuelles, je ne me bornais pas à combattre la république, j’y combattais encore le suffrage universel ; je faisais même pressentir les dangers que les sociétés politiques de France nous feraient courir un jour. J’avançais, par un singulier hasard, non seulement comme mon opinion, mais comme ce qui me paraissait être l’opinion de la plupart de mes collègues, qu’il ne fallait pas étendre trop loin l’indépendance des administrations provinciale et communale. Sans doute j’ai prononcé la phrase qu’on a citée et que vous avez entendue : « Je veux la liberté de la république. » Oui, et je le dis encore en demandant la nomination des échevins par le gouvernement, je veux la liberté de la république, je dirai même davantage aujourd’hui, je veux plus que la liberté de la république ; et, non seulement je la veux, mais mon but est atteint, je crois, déjà aujourd’hui que la monarchie belge donne au pays plus de liberté vraie que n’en a jamais donné aucune république, soit des temps passés soit de nos jours. Qu’on cherche un terme de comparaison qui ne soit pas à notre avantage et on n’en trouvera pas.
L’élection (je le dis aujourd’hui comme je le disais alors) est bonne dans certains cas, et détestable dans d’autres ; l’élection, je la reconnais bonne pour nommer des assemblées délibérantes destinées à contrôler le pouvoir exécutif et à poser des limites à ce pouvoir. Mais s’il s’agit de nommer des hommes d’action, des administrateurs, des hommes à aptitude spéciale, je dénie la capacité nécessaire à l’élection ; je la regarde comme aussi impuissante à nommer des administrateurs qu’à nommer des généraux ou des financiers.
Dans les localités où il y a des passions politiques, on élira des échevins non pas parce qu’ils seront administrateurs, mais parce qu’ils seront libéraux ou catholiques, dans d’autres parce qu’ils seront du mouvement ou du juste-milieu ; ici il faudra de toute force un noble ou un millionnaire, là un roturier. Dans les communes où l’on ne s’occupe guère de politique, dans celles même où il existe le moins de divisions, si les électeurs viennent aux élections, les choix se feront souvent par coterie, souvent vous verrez écarter les seuls hommes capables pour élire des hommes sans envieux, qui ménagent toutes les opinions, c’est-à-dire qui la plupart du temps sont des hommes sans caractère et sans capacité. Que sera-ce là où les électeurs n’iront pas aux élections ; vous vous rappelez une grande ville où il y a peu de temps, les élections furent faites par 14 électeurs. On m’en citait tout à l’heure une autre où les électeurs se sont trouvés au nombre de deux. (On rit.)
Ai-je besoin de dire que le gouvernement est au-dessus des mille petitesses qui peuvent influer dans des communes restreintes. Dans les petites communes surtout, le gouvernement fera des choix plus éclairés que les électeurs. Cela importe beaucoup. Les progrès et la civilisation partent du centre. Il n’est pas indifférent, pour les petites communes, qu’il y ait un canal quelque étroit qu’il soit, par où quelque esprit d’amélioration puisse leur arriver.
Dans les grandes communes où il y a des passions politiques, le gouvernement fera des choix modérés. Je le répète, il serait très dangereux de laisser les fonctions actives de l’administration communale entre les mains d’ennemis du gouvernement ; ce serait dangereux pour une commune aussi bien que pour une province.
Il arrivera de là, j’en conviens, que l’opposition sera, je ne dirai pas exclue entièrement du rang des échevins, mais que pour y entrer, il faudra qu’elle s’impose quelque modération, quelque respect des convenances.
C’est peut-être un inconvénient aux yeux de l’opposition. Mais après tout et de bonne foi la place de l’opposition est-elle dans l’administration ? Quant à moi je regretterais qu’il n’y eût pas d’opposition dans un pays constitutionnel ; mais je la veux à sa place ; je ne la veux assurément pas dans le ministère, mais je la veux dans les chambres, dans les conseils provinciaux, dans les conseils communaux, si l’élection l’y porte. Mais mettre l’opposition dans l’administration c’est y mettre l’anarchie.
Je n’ai pas jusqu’ici parlé de la constitutionnalité de la nomination des échevins par le Roi. Je croyais, moi aussi, comme l’honorable M. Jullien, que la question était fort simple. Les explications qu’a reproduites l’honorable ministre de l’intérieur sont si claires que j’avoue que moi non plus je ne conçois pas que l’on puisse y répondre.
Dans la constitution on n’a voulu rien préjuger. On était à la fin de janvier, et l’élection du duc de Nemours a eu lieu au commencement de février. On voulait à toute force terminer le travail de la constitution. Que fit-on ? Pour toutes les questions qui pouvaient donner lieu à discussion et qu’on pouvait abandonner à la législature, on adopta des termes sur lesquels tout le monde fut d’accord, parce qu’ils ne préjugeaient rien. C’est là l’esprit de la séance dont l’honorable M. de Theux nous a lu le compte-rendu.
L’honorable M. Jullien dit, si j’ai bien compris : « Comment pouvez-vous dire que le chef de l’administration communale soit autre chose que le bourgmestre ? « Un corps a-t-il plus d’une tête ? » Cet argument est-il sérieux ? N’avons-nous pas vu plus d’une fois un corps administratif, composé de plusieurs chefs ; les consuls n’étaient-ils pas chefs du gouvernement ?
Le directoire n’était-il pas chef, quoique composé de plusieurs personnes ! l’administration provinciale de la Flandre Occidentale en 1830 était composée de 3 personnes ; MM. Julien, de Muelenaere et un autre citoyen notable de la ville de Bruges.
Ces messieurs, quoique trois, n’étaient-ils pas les chefs de l’administration provinciale. Je crois que cela n’a guère besoin de démonstration.
Ainsi que l’a dit l’honorable M. de Theux, on ne voulut pas préjuger si les dénominations de bourgmestre et d’échevins seraient conservées ; en deuxième lieu, on ne voulut pas préjuger s’il y aurait des échevins car on avait proposé un système d’après lequel il n’y en aurait pas eu et l’on adopta une rédaction qui laissait tout dans l’indécision. Je demande s’il est possible de croire sans cela qu’on ait traité une telle question dans une fin de séance dont la plupart des journaux ont rendu compte dans une demi-colonne.
Assurément si cette question avait été traitée dans le congrès, où il y avait des défenseurs de la liberté communale et des hommes qu’on appelle aujourd’hui les ennemis de cette liberté, on aurait consacré plus de temps à cette discussion.
Je m’étonne d’entendre dire à l’honorable préopinant que la question est si simple qu’on ne peut qu’ergoter dans un sens contraire. Quant à moi je défie de trouver une autre expression que « les chefs de l’administration communale » pour désigner les bourgmestre et échevins sans préjuger s’il y aura des bourgmestre et échevins. La chose est si claire que dans la commission pour la rédaction de la loi communale dont j’avais l’honneur de faire partie avec l’honorable M. Jullien, la question fut examinée, on se fit apporter les journaux et à l’unanimité la commission décida que les échevins seraient nommés par le Roi. Je ne blâme pas M. Jullien d’avoir une autre opinion aujourd’hui ; je comprends que la discussion l’ait éclairé et qu’il ait embrassé une autre opinion, mais cela prouve qu’il n’y a pas besoin d’ergoter pour soutenir la première opinion, ce qui le prouve encore que très peu de temps après le vote de la constitution sous le régent, il fut présenté au congrès même un projet d’après lequel le bourgmestre et ses adjoints devaient être nommés par le gouvernement.
Assurément si cette proposition avait été contraire à la disposition votée par le congrès, on ne l’aurait pas faite quelques semaines seulement après le vote de cette disposition. Que disait le projet de loi présenté au congrès ? Il portait : « Art. 19. Le bourgmestre et ses adjoints sont nommés directement par le gouvernement ou par les fonctionnaires qu’il délègue à cet effet ; ils peuvent être pris parmi les membres du conseil communal. »
Ainsi c’était même par exception que les bourgmestres et échevins auraient été pris dans le sein du conseil communal.
Je vous demande si cela est compatible avec l’opinion de ceux qui prétendent que, d’après la constitution, les échevins ne peuvent être nommés par le Roi.
M. Dumortier, rapporteur. - Cette opinion est celle d’un membre du congrès ; mais ce n’est pas l’opinion du congrès.
M. Devaux. - Je crois, pour répondre à l’interpellation de M. Dumortier que, de quelque opinion que l’on fût, on n’aurait pas présenté un projet en opposition avec l’opinion exprimée par le congrès dans la constitution sur une des questions principales de l’organisation communale.
M. Dubus. - Dans ce projet, il n’est pas question d’échevins, il n’y a que des adjoints.
M. Devaux. - Peu importe pour la question du texte de la constitution ; s’il n’y a que cette difficulté, nous parviendrons aisément à nous entendre.
Je voterai pour le projet qui se rapproche le plus des principes que je viens d’émettre. J’avoue qu’aucun des amendements présentés ne me satisfait complètement.
Je dirai, quoique avec défiance, que j’ai peu de foi à l’institution du collège échevinal qui me paraît être ou un embarras ou une illusion, En effet, ou les échevins ne s’entendront pas, et alors je ne connais rien de plus contraire à l’intérêt de la commune qu’une pareille institution ; ou ils s’entendront, et il arrive alors que le prétendu collège devient comme, je le disais, une illusion, car alors les fonctions se partagent et chacun agit seul dans ses attributions ; avec cette différence, qu’aucun n’ayant une responsabilité personnelle, chacun se met à couvert sous la responsabilité morale de tous.
S’il fallait à toute force conserver l’institution des échevins, ce qui n’est pas mon opinion, je crois que je préférerais encore, surtout dans les villes, répartir entre eux les fonctions de l’administration ; de manière qu’il n’y eût plus d’embarras, qu’il y eût unité et responsabilité morale pour chaque personne. Je voudrais qu’il n’y eût pas plus de confusion entre les attributions de chacun des membres de l’échevinage, qu’il n’y en a par exemple entre celles des divers ministres.
Cette opinion, je ne la formulerai pas en amendement ; je ne veux pas prolonger la discussion. Je crois que je rencontrerais des habitudes dont il serait inutile aujourd’hui de vouloir triompher.
Je m’attends, messieurs, à ce que l’on répondra aux principes que je viens de prononcer. Peut-être déjà les notes sont-elles prises dans ce sens. L’exemple de la réponse que l’on a faite au discours si remarquable de l’honorable M. Dequesne me fait pressentir, si l’on veut me faire l’honneur de me combattre, le genre de réponse que l’on me fera. On me présentera comme un ennemi du principe de l’élection en général, comme voulant l’anéantissement des chambres des conseils provinciaux et communaux : on vous dira que je veux le pouvoir absolu, la centralisation absolue ; on vous dira que je veux ressusciter les maires de l’empire. Je ne suis pas ennemi du principe de l’élection, mais je veux le circonscrire dans le cercle où il est vraiment utile ; dans les chambres, dans les conseils provinciaux et même dans les conseils communaux. Quoique pour les petites communes la supériorité des avantages sur les inconvénients soit moindre dans le cercle où l’élection est bonne, je serai toujours le premier à la défendre, mais aussi je ne craindrai pas de la combattre là où elle doit produire de mauvais fruits. Je veux les maires de l’empire, oui à peu près comme je veux les ministres de l’empire. Car enfin si les maires de l’empire étaient despotiques, les ministres, ce me semble, l’étaient quelque peu aussi ; et je ne sache pas qu’on ait proposé de supprimer les ministres, ni même de les rendre électifs. Les ministres de l’empire ont été conservés, mais on a donné des garanties à leur administration, on a posé des limites à leurs envahissements ; en un mot on a placé à côté d’eux des assemblées délibérantes. De même à côté des maires, à côté des préfets de l’empire, je veux des assemblées délibérantes. Mais je veux qu’il y ait unité, accord, progrès dans l’administration, en même temps absence de vexations mesquines ; tout cela je ne le trouve pas dans les bourgmestres et échevins élus.
Je crois avoir entendu dire dans cette discussion que nous qui sommes un produit de l’élection populaire, il ne nous appartient pas de nous méfier les élections. A ce compte chaque fonction que nous aurions désormais à créer devrait être élective, pour peu que quelqu’un ici en fît la proposition ; le congrès était aussi un enfant de l’élection ; il aurait dû, s’il ne pouvait en aucun cas se défier de l’élection, rendre tout électif : royauté, autorité judiciaire, toutes les fonctions quelconques. Le congrès a pensé que si l’élection pouvait être bonne dans certains cas elle était mauvaise dans d’autres. C’est là mon avis.
(Moniteur belge n°43, du 12 février 1836) M. Trentesaux. - Quoique j’aie peu d’espoir de voir adopter mon opinion, je dirai cependant quelques mots.
On a fait dans cette discussion de la théorie ; beaucoup de théories. Et cependant que faisons-nous ? Nous mettons en application la constitution. Il me semble donc que la seule chose à faire est de consulter la constitution pour nous décider. La constitution a un chapitre sur les institutions communales et provinciales, et c’est dans ce chapitre que nous devons trouver la règle à appliquer. L’art. 108 de la constitution dit :
« Les institutions provinciales et communales sont réglées par des lois.
« Ces lois consacrent l’application des principes suivants… »
Les principes !... entendez-vous ?...
« Le principe de l’élection directe, » vous comprenez...
« Sauf les exceptions que la loi peut établir à l’égard des chefs des administrations communales et des commissaires du gouvernement près des conseils provinciaux. »
Le principe, la règle que la constitution prescrit, c’est l’élection directe. On peut cependant y faire des exceptions… des exceptions au pluriel.
Exception pour les chefs des administrations communales. Exception pour les commissaires du gouvernement près les conseils provinciaux. Quand on vous a proposé cette deuxième exception au principe de l’élection directe dans la loi provinciale, personne ne l’a contestée. Il était assez naturel de laisser au gouvernement la nomination de son agent, quoique ce fût une dérogation à la règle de l’élection directe, consacrée par la constitution.
Que vous propose aujourd’hui le gouvernement ? Il vous propose une exception au principe de l’élection directe. Il veut avoir la nomination du bourgmestre et il veut un bourgmestre d’une toute nouvelle espèce.
Il veut un chef de l’administration communale à l’instar de ce que la constitution appelle le commissaire du gouvernement près des conseils provinciaux, et qui est devenu le gouverneur, dans la loi provinciale. C’est-à-dire qu’il veut avoir dans chaque commune un gouverneur. Et pour que l’on ne se méprenne pas sur ses intentions, il a soin d’exclure ce gouverneur du conseil communal. Il lui donne bien la présidence du conseil ; mais il ne lui donne pas voix délibérative.
Quelle raison vous donne le gouvernement pour justifier le droit qu’il prétend à la nomination de son commissaire dans chaque commune ? Il puise ce droit je ne sais où, peut-être dans les dispositions de l’article 66 de la constitution, qui dit que le Roi nomme aux emplois d’administration générale.
Il est très facile, messieurs, de combattre cette prétention. J’ai déjà dit que la constitution consacre le principe de l’élection directe. Il est clair que vous seriez dans la constitution si vous décidiez l’élection directe du bourgmestre par le peuple. Le gouvernement serait donc étranger à toute nomination dans l’administration communale.
Que devient donc alors cette prétention du gouvernement de trouver dans la constitution le droit, pour le pouvoir royal, de nommer un chef, dans chaque commune, d’avoir un représentant à lui dans l’administration communale, qui serait chef de cette administration communale ?
Mais, messieurs, il est impossible de détruire plus clairement cette prétention que ne le fait cet article de la loi fondamentale, qui consacre l’élection directe en principe. Vous avez le droit d’appliquer ce principe comme vous le voulez. De ce que vous pouvez appliquer ce principe, il résulte que le gouvernement n’a pas le droit sur lequel il fonde ses prétentions.
Le projet donne le nom de bourgmestre à ce fonctionnaire qui est en réalité gouverneur dans la commune.
Qu’est-ce que c’est qu’un bourgmestre ? Quelle est l’idée que nous attachons à ce mot ? Il vient du flamand burgmester, c’est-à-dire chef des bourgeois. Eh bien ! voici qu’on en fait l’homme exclusif du gouvernement. Ce fonctionnaire aura-t-il un traitement ? sera-t-il à charge du trésor ou de la caisse communale ?
Je combats le système du projet dans la double hypothèse et de droit fondé sur l’article 66 de la constitution et d’exception autorisée par 108 ; je ne sais même si l’on ne veut pas mêler l’un avec l’autre. Enfin, on a même été jusqu’à prétendre, et c’est M. le ministre de l’intérieur qui l’a dit, que si nous soumettions le bourgmestre à l’élection directe, ce serait une usurpation. Oui, une usurpation. Le mot a été lâché.
Aussi, voyez jusqu’où l’on va avec des théories, avec des systèmes. La constitution consacre l’élection directe en principe des administrations communales. Et parce que vous voulez appliquer le principe aux chefs des administrations communales, M. le ministre de l’intérieur vient vous dire que vous commettez une usurpation. (Hilarité.)
Je vous demande de quel coté est l’usurpation. Ceci me rappelle la sentence d’un philosophe : Tout commence par la liberté ; tout finit par l’usurpation.
Réfléchissez-y, messieurs, quand le gouvernement aura son commissaire, son gouverneur dans chaque commune, que pensez-vous qu’il en fera, par rapport aux élections ? ne pourra-t-il pas agir à leur égard comme il a agi à l’égard des commissaires de district ? On vous a cité un exemple dans la précédente séance, je vous en rappellerai un qui est à votre connaissance ; c’est celui de notre honorable collègue M. Doignon. Vous avez entendu la lecture de la correspondance qui a eu lieu à ce sujet, M. Doignon était commissaire de district de Tournay ; il s’était mis sur les rangs en concurrence avec un ministre, M. Goblet, aux élections qui eurent lieu pour la chambre des représentants, après la dissolution en 1833, et le jour même des élections, sa nomination a été révoquée. Et cependant, remarquez, messieurs, que ce n’était pas la première fois que MM. Goblet et Doignon étaient en concurrence : en 1831, aux premières élections pour les chambres, ils étaient déjà sur les rangs, et n’ayant pas obtenu la majorité au premier scrutin, ils avaient été ballottés, et M. Goblet l’avait emporté.
Maintenant les commissaires de districts et les commissaires de communes étant tous des agents du gouvernement, et du gouvernement seul, lie se croira-t-il en droit de se conduire envers ces derniers comme envers les premiers, et dans ce cas, quel pensez-vous que sera le sort des élections lorsque le gouvernement, au lieu d’un agent par district, en aura un par commune et près de trois mille dans tout le pays.
L’on a parlé de pouvoir fort. Je suis très partisan du pouvoir fort. Car l’opinion que j’émets dans cette discussion, part de l’idée de donner de la force au pouvoir. Mais quelle est la force qu’il faut lui donner ? combien y a-t-il de forces dans le monde ? La force morale que le vulgaire connaît et comprend, c’en est une.
J’ai vu, à l’âge où je suis parvenu, bien des gouvernements forts. Je les ai vus tous succomber tour à tour, parce qu’ils ont voulut être forts, parce qu’ils se sont appuyés sur la force matérielle. Ou ils enfreignaient la loi, ou ils la fraudaient. Tous, je le répète, Je les ai vus succomber, parce qu’ils ont voulu être forts par la violence ou la fraude.
Quelle est la véritable force d’un gouvernement ? C’est la force morale. Avec la force matérielle, on peut être fort un moment, Mais il faut tomber ; c’est inévitable. Si ce n’est pas aujourd’hui, ce sera demain, dans un an, dans trois ans. La force matérielle n’est qu’une force éphémère et factice. Mais donnez à un gouvernement la force morale, la force populaire, et il se conservera. Il aura en lui des germes de durée.
Si Napoléon avait su conserver sa popularité en France, l’amour du peuple (je compte pour peu l’amour de l’armée), il aurait trouvé un appui dans la nation, lorsque la fortune se prononça contre lui. Mais il s’était créé une force matérielle, la plus grande force qui ait jamais été vue sous le soleil, et il est allé la perdre en Russie. Combien de temps cette force immense est-elle restée entre ses mains à partir de son expédition en Russie ? Un an, dix-huit mois. Si, au lieu de la force matérielle, il s’était fait une force morale, il ne serait pas tombé. Où était la force morale ? Chez les Espagnols, les Allemands et les Prussiens, chez les Prussiens surtout, parce qu’il les avait foulés aux pieds. Le peuple espagnol, le peuple allemand se levèrent devant lui, et le géant tomba en un instant, et sa grande force matérielle avec lui.
Moi, je dis au gouvernement : Je vous souhaite la force morale. Je souhaite que vous veniez dire à l’assemblée : La constitution consacre l’élection directe des administrations communales. Jusqu’ici, il n’en est pas résulté d’inconvénient. J’ai mes commissaires de district ; cela me suffit. Appliquons le principe de l’élection directe ; je n’invoque pas l’exception pour le moment. Si plus tard, l’expérience venait à en démontrer la nécessité, je la réclamerais, cette exception, et vous ne me la refuseriez pas.
Ainsi mon système tend à ceci : je demande l’élection directe des administrations communales. Le gouvernement a ses commissaires de district et ses gouverneurs. C’est bien assez pour le pouvoir central. Mais en même temps j’accorde au gouvernement la dissolution des conseils. L’élection directe et la dissolution des conseils marchent très bien ensemble.
J’ai tantôt parlé de la force morale. Notre force morale à nous repose sur notre nationalité. La force du gouvernement, c’est notre nationalité. Qu’est-ce que c’est que notre constitution ? C’est l’histoire abrégée de nos quinze années d’existence sous le royaume néerlandais. La Belgique, nation, s’est fait cette constitution. En même temps, elle s’est nommé un Roi. Elle a créé une dynastie. Constitution et dynastie tout cela ne fait qu’un. Tout cela doit se confondre. Tout ce qu’il y a de garanties de durée et de puissance dans notre constitution, la dynastie y participe. Pour qu’elle soit forte, il faut qu’elle ne forme avec la constitution qu’une seule et même nature. Voilà où est la force du gouvernement, voilà où est la force de la dynastie. (Approbation.)
Il faut, nous dit-on, donner aux municipalités des institutions qui soient en quelque sorte en rapport avec celles de nos voisins. L’on a même été jusqu’à dire que nous devions accorder au gouvernement la nomination des bourgmestres et des échevins par la raison qu’en France le pouvoir royal nomme les maires et les adjoints.
C’est très bien. Tâchez de vous assimiler avec les nations voisines, afin que, quand l’envie leur prendra de vous avaler, elles puissent vous digérer facilement. (Rire universel d’approbation.)
M. Dumortier, M. Gendebien, M. Dubus. - C’est très juste.
M. Trentesaux. - Je voudrais au contraire que les nations voisines disent de nous : Ne nous confondons pas avec ce peuple. Ses institutions diffèrent trop des nôtres. Laissons-le exister tel qu’il est. Il est d’ailleurs utile à la liberté.
Quelle est la politique suivie à notre égard par les puissances étrangères, lorsqu’elles nous ont reconnus comme Etat indépendant ? Elles ont fait de nous un peuple neutre destiné à une paix perpétuelle. Faut-il donc donner au gouvernement d’un pays tel que le nôtre un pouvoir central aussi fort que pour une nation prépondérante dans la balance européenne ? Avons-nous besoin d’un même système de centralisation des pouvoirs ?
Comparons-nous à la France. Nous formons le huitième de la population de ce grand royaume, en comprenant dans le calcul les neuf provinces dans leur intégrité. Le traité des 24 articles nous enlèvera une partie de notre population. Quant à la superficie, comme je pose en fait qu’il y a chez nous deux habitants par lieue carrée sur un qu’il y a en France, la Belgique ne forme en superficie que le seizième du territoire de cet Etat. Et l’on veut appliquer les mêmes règles aux deux pays et donner au gouvernement central en Belgique la même force que possède le gouvernement en France, tandis que les conditions d’existence sont si différentes.
Mais songez-y donc. Du train dont marchent les constructions de chemins de fer chez nous, avec les routes que nous possédons et que nous construisons, la Belgique ne formera bientôt plus qu’une seule commune, un forum, et c’est une petite municipalité isolée qui vous fait peur.
On parle de la nécessité de l’intervention du gouvernement dans les affaires de la commune. Mais c’est l’un des principes de notre constitution. L’article que j’ai cité tantôt consacre au cinquième paragraphe l’intervention du Roi ou du corps législatif pour empêcher que les conseils communaux ou provinciaux ne sortent de leurs attributions, ne blessent l’intérêt général.
Ainsi, selon la constitution, élection directe des personnes ; intervention du gouvernement ou de la législature dans les actes en ce qu’ils touchent l’intérêt général. L’intervention juste, raisonnable, la constitution l’accorde.
L’on a dit sur le mot « chefs » dans une précédente séance tout ce qu’il pouvait y avoir à dire. L’on a dit que le mot chefs est au pluriel pour lui faire comprendre tout à la fois le bourgmestre et les échevins. Mais dans cet article le mot commissaires du gouvernement est également au pluriel et cependant il n’y a qu’un chef par province. Le mot chefs demeure dans toute sa véritable signification.
Cependant je reconnais, comme l’honorable M. Devaux, que le mot de chefs peut s’appliquer à la fois à une collection d’individus, pourvu qu’ils soient égaux comme par exemple au directoire exécutif. Mais quand ils ne sont pas égaux le mot de chefs ne peut s’entendre que de celui qui l’est réellement, tant que vous organisiez l’administration communale de telle manière qu’il y ait un membre supérieur aux autres.
Le mot chef, d’ailleurs, qu’est ce qu’il signifie ? Il vient du latin caput ; c’est une figure, une trope, une métaphore, c’est une tête. Le corps, combien a-t-il de têtes ? Il n’en a qu’une : il en est de même d’un corps social. A moins que vous n’imaginiez une personne morale composée de parties égales. Mais s’il y a des degrés entre ces parties, le mot chef ne peut s’appliquer qu’à la partie la plus élevée.
Si nous étions un congrès, si nous faisions la constitution, les théories qu’on nous a développées pourraient être examinées ; elles pourraient être débattues, et il ne serait pas difficile de les combattre.
Parce que nous sommes devenus Belges, parce que notre histoire de 15 ans a créé notre constitution et que nous avons fondé une dynastie, je veux donner à cette dynastie de la popularité, je veux qu’elle soit une dynastie, non pour quelques-uns, mais pour tous.
Oui, la véritable force du gouvernement, je suis persuadé que personne ne la veut plus que moi. Mais j’explique ce que j’entends par cette force, c’est une force morale. Je veux que le gouvernement s’appuie sur la moralité et sur la véritable popularité.
Nous nous sommes faits ce que nous sommes : nationalité, dynastie, nous avons tout créé. De tels événements sont bien faits pour exciter en nous les plus vives émotions. Aujourd’hui quand j’entends le tambour, je dis c’est nous, quand je vois passer de la troupe, je dis c’est nous ; quand je vois flotter un drapeau, je dis c’est le nôtre ; c’est celui que la constitution nous donne. J’ai vu le drapeau autrichien, j’ai vu le drapeau français, j’ai vu le drapeau néerlandais, Aujourd’hui je vois le drapeau belge ; celui-là je ne veux pas qu’il soit remplacé, et pour qu’il soit conservé, il faut le maintien de la constitution qui l’a levé. Si l’on attaque cette constitution par la force, par la fraude ou par la ruse, on succombera, je le prédis.
(Moniteur belge n°42, du 11 février 1836) M. de Behr. - En prenant la parole dans cette discussion, mon but principal est de vous soumettre quelques considérations sur la question de constitutionnalité relative au collège des bourgmestre et échevins.
Lorsque le congrès résolut de s’occuper de l’examen du projet de constitution, je faisais partie d’une section à laquelle vingt membres assistèrent sous la présidence de feu M. Barthélemy, car les sections étaient alors très fréquentées. Parvenu au titre des institutions provinciales et communales, on discuta divers systèmes d’organisation municipale : la majorité inclinait vers l’établissement d’une autorité homogène et d’un pouvoir unique d’exécution dans la commune comme dans la province ; mais il y eut unanimité pour conférer au Roi la nomination des chefs d’administration. En qualité de rapporteur à la section centrale, je dus lui rendre compte des observations faites dans le sein de la section que je représentais. On reconnut qu’aucun mode d’organisation spéciale ne pouvait être admis sans une discussion approfondie ; que cela demanderait beaucoup de temps, et qu’il valait mieux se borner à poser quelques principes en abandonnant le reste à la législature. La section centrale adopta, en conséquence, la disposition suivante : « L’élection directe, sauf les limites à établir par la loi, quant aux autorités communales. » On sent que cette rédaction avait une portée trop large ; aussi fut-elle amendée en ces termes : « L’élection directe, sauf les exceptions que la loi peut établir à l’égard des chefs des administrations communales et des commissaires du gouvernement près des conseils provinciaux. » Quelques orateurs n’ont voulu voir dans ces exceptions qu’une simple faculté laissée à la législature ; mais il est à remarquer que le mot pouvoir a deux significations distinctes, l’une qui s’entend de la faculté de faire, l’autre de la puissance, du droit d’agir. Ainsi, quand le code civil dispose dans son article 190 que le procureur du Roi peut et doit demander la nullité du mariage dans les cas qui y sont énoncés, il est bien évident que ce n’est pas une simple fatalité, mais le droit d’agir que la loi confère à ce magistrat. Or, c’est dans ce dernier sens que doit s’entendre le mot « peut » qui se trouve dans l’article 108 de la constitution. En effet, ce terme n’a pas seulement trait aux chefs des administrations communales, il se rapporte également aux commissaires du gouvernement près des conseils provinciaux, et personne ne soutiendra, je pense, que le congrès ait jamais songé à faire élire ces fonctionnaires par le peuple. Il a donc été dans la pensée du congrès que le chef de la commune non plus que celui de la province ne seraient soumis à une élection directe et qu’un autre mode de nomination devait leur être appliqué. L’honorable M. Doignon a bien senti que le sens qu’il a voulu donner à la disposition de l’article 108, ne pouvait s’accorder avec les termes dans lesquels elle est conçue ; aussi n’a-t-il trouvé d’autre expédient que de soutenir que la rédaction en était vicieuse.
Quoi qu’il en soit, si l’on consulte les journaux de l’époque qui ont rendu compte des séances du congrès, on rester convaincu qu’il n’a surgi du sein de l’assemblée aucune proposition pour demander l’élection des bourgmestres par le peuple. Quelques membres ont proposé cette élection pour les échevins seulement. Mais ces propositions ont été retirées par leurs auteurs, après qu’on leur a fait observer qu’ils supposaient le maintien d’un collège échevinal, tandis qu’on ne voulait rien préjuger à cet égard. Et, en effet, messieurs, si vous lisez dans la constitution tout ce qui a rapport aux institutions provinciales et communales, vous n’y rencontrerez pas une seule expression qui ait le moindre trait au système maintenant en vigueur. C’est que le congrès n’a entendu consacrer aucun mode particulier d’organisation municipale, et qu’il a voulu laisser toute latitude à cet égard au pouvoir législatif. Si donc vous le jugiez convenable aux intérêts généraux et locaux, vous pourriez, messieurs, adopter une combinaison qui établirait pour chaque commune un bourgmestre à la nomination du Roi et un conseil à élire par les habitants.
Dans ce système, qui est celui proposé par l’honorable M. Pollénus, il n’y aurait pas de collège ; le bourgmestre seul en exercerait les attributions, et serait à l’égard de la commune ce qu’est le gouverneur pour la province : ce système ne blesserait en rien ni le texte ni l’esprit de la constitution. Je ne conçois donc pas comment on pourrait y porter atteinte.
Si l’on associe au bourgmestre deux ou quatre membres choisis dans le sein du conseil municipal ainsi que le bourgmestre lui-même, certes qui peut le plus peut assurément le moins ; et si jamais adage fut applicable, c’est bien dans la circonstance qui nous occupe.
L’honorable M. Dumortier vous a dit et répété que le conseil municipal n’était qu’un corps délibérant ; que le collège avait à lui seul toute l’administration de la commune. Je ne saurais partager une telle manière de voir. Parmi les nombreuses attributions conférées au conseil, il est une foule d’actes qui ont un caractère essentiellement administratif ; aussi est-il toujours désigné dans les lois sous le titre d’administration locale et communale. C’est également cette dénomination que l’on trouve dans les articles 155 et suivants de l’ancienne loi fondamentale ainsi que dans les règlements locaux. Je me bornerai à citer ici l’article premier du règlement pour les villes ; en voici les termes : « L’administration est composée d’un bourgmestre, de quatre échevins et d’un conseil. »
On a, messieurs, fait une peinture dramatique des libertés communales ; on les a représentées comme perdues sans retour, si le collège échevinal n’était pas élu directement par le peuple. Ces craintes me paraissent tout à fait exagérées. Si le congrès y avait attaché la même importance que les honorables préopinants, il n’eût pas manqué dans sa sollicitude pour toutes libertés de prendre quelque mesure à ce sujet. Il ne l’a pas les fait, parce qu’il savait bien que le pouvoir municipal, que les franchises communales ne reposaient pas plus sur le collège échevinal que les libertés provinciales sur le commissaire du gouvernement, que les libertés publiques sur le ministère. La véritable garantie de toutes ces libertés est dans l’institution des conseils, et des chambres élues directement par le peuple.
L’intervention du conseil municipal dans tous les actes qui intéressent la commune lui donne une influence si puissante qu’il serait plus difficile à un collège d’administrer contre son gré, qu’au ministère de gouverner sans l’appui des chambres législatives. Je suis, messieurs, autant une personne partisan des franchises municipales, mais il faut les organiser de manière qu’elles ne puissent jamais dominer sur les intérêts généraux. Il importe surtout de donner au pouvoir exécutif les moyens d’assurer son action par des agents de son choix ; sans cela, les lois que vous votez dans cette enceinte pour le bien du pays seraient sans force, surtout dans les localités dont elles froisseraient les intérêts, Je me rallierai donc à la proposition de l’honorable M. Desmet, parce qu’elle me semble concilier tous les intérêts par le double mandat que doit avoir chacun des membres composant le collège, y compris le bourgmestre. Cette proposition est à mon sens préférable de beaucoup au système proposé par le gouvernement. L’institution d’un pouvoir exécutif, tantôt unique, tantôt collectif, sera nécessairement une cause permanente de conflit et de division, qui ne sera pas moins funeste à l’Etat qu’à la commune. J’ai dit.
- La discussion est renvoyée à demain.
La séance est levée à 4 heures et demie.