(Moniteur belge n°34, du 3 février 1836)
(Présidence de M. Raikem.)
M. de Renesse procède à l’appel nominal à midi et demi.
M. Schaetzen donne lecture du procès-verbal de la séance précédente. La rédaction en est adoptée.
M. de Renesse lit le sommaire des pièces adressées à la chambre.
« Le sieur Ed. de Malingreau d’Hembise adresse des observations sur le projet de loi communale. »
« Des propriétaires de bateaux et négociants de Bruxelles, Alost et Termonde, demandent que la chambre s’occupe de la loi relative au transit. »
« Des propriétaires de bois de sapins de l’arrondissement de Louvain demandent qu’il soit frappé sur les sapins du Nord un droit tel que le bois indigène puisse soutenir la concurrence. »
M. Eloy de Burdinne. - Les propriétaires de bois de l’arrondissement de Louvain ont adressé une pétition à la chambre. Jusqu’à présent la chambre a renvoyé des pétitions de cette nature à M. le ministre des finances, à M. le ministre de l’intérieur et à la commission d’industrie. Je demande qu’il en soit de même pour la question actuelle.
- La proposition de M. Eloy de Burdinne est adoptée.
M. Beerenbroeck. - Dans le rapport de la section centrale sur le budget de l’intérieur qui vient de nous être distribué, je lis, page 26, que le gouvernement a fait une demande de crédit, postérieurement à la présentation du budget, pour travaux à exécuter à l’écluse de Hocht près de Maestricht.
Cette écluse serait convertie en écluse de prise d’eau pour l’alimentation du canal de Maestricht à Bois-le-Duc.
Depuis le mois d’octobre 1830, la navigation du canal est interrompue, parce que l’autorité militaire de Maestricht en défend le passage par cette forteresse. Si je suis bien informé, le génie hollandais avait même fait murer la galerie souterraine par laquelle le canal est introduit dans le bassin de la ville, afin de ne pas laisser échapper le peu d’eau qui pourrait filtrer à travers les joints des portes de l’écluse de prise d’eau.
Le crédit que M. le ministre vous demande a pour but d’affranchir à jamais de la dépendance de la forteresse de Maestricht et des caprices de sa garnison, la navigation du canal. Le prompt achèvement est d’une très haute importance pour le Limbourg et particulièrement pour les cantons de Mechelen, Peer, Bree, Achel, Weert et d’une partie de celui de Maaseck.
Déjà la chambre est saisie de plusieurs pétitions des administrations locales et des habitants de ces cantons, qui demandent l’ouverture du canal, pour rétablir avec les provinces de Liége et de Namur les relations qu’ils ont perdues depuis la révolution.
Il est inutile, messieurs, d’appeler votre attention sur les souffrances de ce pays depuis cette époque, sa situation est trop bien connue.
La section centrale, considérant que l’appréciation de ce projet exige des connaissances d’art, a été d’avis de vous proposer de renvoyer la demande de crédit à l’examen de la commission des travaux publics.
Pour que ce crédit puisse être discuté avec le budget de l’intérieur, je prie la chambre d’adopter les conclusions de la section centrale, en invitant la commission des travaux publics de nous présenter son rapport avant la discussion de ce budget.
- La proposition de M. Beerenbroeck est adoptée.
M. Dubus. - Je crois qu’il y a une pétition relative à la loi communale. Je demande qu’elle soit déposée sur le bureau pendant la discussion de cette loi.
- La proposition de M. Dubus est adoptée.
M. Pollénus. - La chambre est saisie d’un projet de loi relatif à la répression de la fraude des céréales aux environs de Maestricht.
Si je suis bien informé, cette fraude se commet avec la plus grande activité. Il est urgent d’y porter remède. Je prie en conséquence la chambre de vouloir bien engager la commission chargée de l’examen du projet de vouloir bien nous présenter son rapport dans le plus bref délai.
M. Duvivier. - Si l’honorable membre avait demandé les noms des membres composant la commission et s’était adresse à moi qui en suis le président, je lui aurais fourni les renseignements qu’il demande. Je lui aurais dit que la commission doit se réunir demain pour terminer son travail.
Il aurait vu qu’elle n’a pas perdu de temps puisqu’elle compte à peine deux jours d’existence et que le projet lui-même a été présenté tout récemment à la chambre.
M. Pollénus. - La véritable manière de demander des explications, c’est de s’adresser à la chambre. C’est pourquoi j’ai fait ma motion d’ordre.
M. Verdussen, rapporteur de la commission des pétitions. - « Par pétition en date du 12 mai 1835, un grand nombre d’habitants de la commune d’Ardoye adressent des réclamations en faveur des libertés communales. »
« Par 3 pétitions, un grand nombre d’habitants des communes de Wonterghem, Gotthem et Heusden (Flandre orientale) demandent que la chambre maintienne, dans le vote définitif de la loi communale, l’élection directe des échevins et l’étende même aux bourgmestres. »
« Par pétition non datée, plusieurs habitants d’Ath demandent :
« 1° L’élection directe des magistrats municipaux ;
« 2° La suppression des 10 p. c. additionnels ;
« 3° L’égalité du cens électoral, pour les villes et pour les campagnes. »
« Par pétition en date du 10 mai 1835, plusieurs habitants de Genappe demandent l’élection directe, par le peuple, de tous les membres des administrations communales. »
« Par diverses pétitions, plusieurs habitants des communes de Sulsique Oost-Eecloo, Knesselaere, Waerschoot, Somergem et Eecloo demandent le maintien des libertés communales. »
« Par deux pétitions, plusieurs habitants des communes de Wondelgem et de Everghem (Flandre orientale), demandent que la chambre maintienne l’élection directe des échevins et l’étende même aux bourgmestres. »
Toutes les pétitions dont je viens d’avoir l’honneur de vous donner l’analyse, ont pour but principal de réclamer en faveur de l’élection directe des échevins et des bourgmestres, et d’étendre, autant que possible, les, pouvoirs et l’indépendance de ceux-ci. Cependant parmi les six pétitions qui ont été réunies sous le n°5 du feuilleton, il s’en trouve qui demandent aussi l’abolition des 10 centimes additionnels ; la péréquation cadastrale ; la liberté de l’enseignement ; et enfin que la révocation du bourgmestre, par le Roi, ne puisse avoir lieu qu’avec le consentement de la chambre ou des états provinciaux.
Il est remarquer, messieurs, que plusieurs des pétitions qui nous ont été adressées par les habitants de différentes communes de la Flandre orientale sont littéralement copiées les unes d’après les autres ; que quelques-unes sont écrites de la même main ; tandis qu’en d’autres on retrouve les mêmes expressions, plus ou moins recherchées, qui indiquent que ces pièces partent d’une même source.
La commission vous propose le dépôt de toutes ces pétitions sur le bureau de la chambre, pendant la discussion de la loi communale.
« Art. 1er (suite.) Pensions militaires : fr. 1,520,000. »
- Adopté.
« Pensions de l’ordre Léopold : fr. 12,000. »
- Adopté.
- Le chiffre de 3,122,000 fr., qui représente le total de l’article premier est mis aux voix et adopté.
« Art. 2. Arriéré des pensions. (Exercices de 1833 et antérieurs) : fr. 5,000. »
- Adopté.
« Art. 3. Traitement d’attente : fr. 130,000. »
M. d'Hoffschmidt, rapporteur, monte à la tribune. - J’ai à vous entretenir, dit l’honorable membre, du rapport de la section centrale chargée de l’examen du budget soumis à vos discussions sur deux pétitions relatives à l’article des traitements d’attente.
M. le baron de Lamotte Baraffe, ex-conseiller d’Etat, demande, par sa pétition du 5 novembre dernier, que la chambre autorise M. le ministre des finances à lui payer l’intégralité du traitement d’attente de 1,500 fl. qui lui a été accordé par un arrêté royal du 6 juin 1824, pour le récompenser des services qu’il a rendus en sa qualité d’intendant du département de Jemmapes en 1814 et 1815, plus les arriérés de ce traitement sur lequel il n’a reçu que des à comptes depuis 1831.
M. de Lamotte Baraffe allègue, pour appuyer sa réclamation, qu’il est dans une position voisine de la misère et joint une déclaration de M. le bourgmestre de Tournay, de laquelle il appert qu’il a été entraîné, durant ses fonctions d’intendant, dans des dépenses considérables qui ont concouru à compromettre son avoir.
La section centrale, ayant été partagée sur la question de savoir si les titulaires inscrits sur les listes comprenant les traitements d’attente, ont des droits acquis à l’intégralité de ces traitements, et ayant été divisée également sur la proposition qu’elle a discutée tendant à admettre le chiffre de 50,000 francs alloué les années précédentes à titre de secours à répartir aux plus nécessiteux des titulaires, elle vous propose le renvoi de cette pétition au ministre des finances afin qu’il puisse y avoir égard dans le sens et d’après la décision que prendra la législature sur le crédit porté au budget pour le paiement des traitements d’attente.
M. Herla, ancien directeur des contributions dans la province du Brabant méridional expose, par pétition du 12 novembre dernier, qu’ayant obtenu la démission honorable de ses fonctions en 1827, il obtint une pension de 1,617 florins à charge de la caisse de retraite, pension que le roi Guillaume, prenant en considération ses longs et loyaux services, augmenta d’un supplément de 2,385 florins qui lui fut accordé en vertu de l’article 17 de l’arrêté-loi du 14 septembre 1814, de sorte que sa pension fut ainsi portée à 4,000 florins qu’il a touchés intégralement jusqu’à la révolution ; depuis lors il n’a plus touché que la pension de 1,617 fr. à charge de la caisse de retraite.
Il fonde sa réclamation sur la légalité de la collation du supplément qui lui a été accordé par des arrêtés royaux qu’il a joints à sa pétition et demande que M. le ministre des finances soit mis à même de lui payer tout ce qui lui revient de ce chef.
La section centrale, déterminée par les mêmes motifs qui l’ont portée à vous proposer le renvoi au ministre des finances de la pétition de M. de Lamotte Baraffe, vous présente les mêmes conclussions pour celle-ci.
M. Dumortier. - Je viens appuyer les conclusions de la section centrale quant à la première pétition, et m’opposer à ces mêmes conclusions quant à la deuxième.
Le motif pour lequel je viens présenter des conclusions différentes, c’est que le premier pétitionnaire ne jouit d’aucune espèce de pension sur l’Etat, tandis que le second touche sur la caisse de retraite une pension de 1,600 florins, c’est-à-dire au-delà de 3,000 francs, ce qui me paraît une pension très honnête.
Quant à la première pétition, j’avais toujours pensé qu’après que la législature avait accordé une partie du subside demandé pour les traitements d’attente, à l’effet de secourir les plus nécessiteux, que le gouvernement aurait compris dans la liste de ces personnes l’auteur de la première pétition. C’est un homme très honorable, qui a été gouverneur du Hainaut, ensuite conseiller d’Etat, enfin membre de la deuxième chambre des états-généraux où il s’est fait remarquer par son indépendance, ce qui était très honorable surtout à cette époque.
Cet ancien fonctionnaire est vraiment dans une position malheureuse. Je vous assure que de tous ceux qui jouissent d’un traitement d’attente, il n’est personne sans comparaison qui y ait plus de droits. Sa position est, je le répète, on ne peut plus malheureuse, et il avait droit à être porté sur la liste de ceux pour lesquels nous avons voté tous les ans un traitement d’attente.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - L’honorable préopinant a regretté que je n’aie pas examiné le fond de la question, la question des droits acquis aux traitements d’attente par les titulaires de ces traitements. Si je n’ai pas abordé cette question, c’est que j’ai pensé que c’était inutile et que je pouvais à cette occasion ménager le temps de l’assemblée.
Vous vous rappellerez que cette question a été agitée pour ainsi dire chaque année dans la chambre, et a été résolue quatre fois de la même manière ; de telle sorte que je ne pouvais pas présumer que, quels que fussent mes efforts, la chambre s’écarterait de ses antécédents à ce sujet.
Le gouvernement vous demande une allocation de 130,000 fr., ce qui constitue le dixième total des traitements d’attente ; preuve suffisante (alors même que les déclarations antérieures du gouvernement ne le constateraient pas) preuve, dis-je, que le gouvernement pense qu’il faut payer l’intégralité des traitements d’attente, aussi longtemps que la disposition accordant ces traitements n’a pas été révoquée.
Un honorable député du Limbourg a aussi appelé l’attention du gouvernement sur ce point. Il a demandé qu’il fît une proposition de manière à trancher la question une fois pour toutes, et ne pas la subdiviser en une infinité de petites questions de fait comme celles dont plusieurs honorables membres viennent de s’occuper. Mais le gouvernement n’a aucune proposition à vous soumettre en cette circonstance. Un de vous a usé de son initiative. Il a déposé depuis trois ans une proposition qui tranche la question, qui reconnaît pour le passé la légalité des traitements d’attente et en demande l’abolition pour l’avenir.
Dans cette position, le gouvernement doit attendre que la chambre mette à l’ordre du jour la proposition faite par M. d’Hoffschmidt en 1833 et examine s’il lui convient de l’adopter.
Je n’ai pas soutenu la demande d’une allocation de 130,000 fr., parce que je suis convaincu d’avance que la chambre réduira à 50,000 fr. la somme demandée. Je demeure au reste assuré que quand la chambre pourra aborder cette question, elle la résoudra selon l’équité et le droit.
L’honorable M. d’Hoffschmidt demande si des pétitions ne me sont pas adressées par les titulaires des traitements d’attente, pour en réclamer le paiement intégral. On présume, avec raison, qu’il m’en est arrivé. Mais il y a plus que des pétitions, je dois le dire, c’est qu’un procès est intenté au gouvernement de ce chef. Dix ou douze assignations ont été dirigées contre l’administration du trésor pour obtenir le paiement intégral de ces traitements d’attente. Voilà l’état des choses sous ce rapport.
Quand la chambre abordera cette question à fond, elle la tranchera sans doute définitivement. Mais en attendant je suis persuadé qu’elle allouera au moins, comme les années précédentes, une somme de 50,000 fr. destinée, comme vous savez, aux besoins réels de la majeure partie des titulaires des traitements d’attente.
(Moniteur belge n°35, du 4 février 1836) M. Dumortier. - J’ai été étonné d’apprendre que ce fonctionnaire n’avait pas été compris dans cette liste et qu’on ne lui avait accordé jusqu’à ce jour aucune indemnité. Je crois qu’il y a lieu de renvoyer sa requête à M. le ministre des finances, afin qu’il l’examine.
En ce qui concerne la seconde pétition, je ne pense pas qu’il faille la renvoyer à M. le ministre des finances. Le pétitionnaire dit lui-même qu’il reçoit une pension de plus de 3,000 fr. Il n’est donc pas dans la catégorie des personnes auxquelles le gouvernement vent accorder un secours sur leurs traitements d’attente. Si le pétitionnaire recevait, outre sa pension, un traitement d’attente, ce serait un véritable cumul en matière de pensions, et nous ne devons pas favoriser de semblables cumuls.
Je ferai remarquer en outre que si nous renvoyons toutes les pétitions de cette nature à M. le ministre des finances, celles qui ne sont pas fondées dans notre opinion comme celles qui sont fondées, M. le ministre aura nécessairement moins d’égard pour les pétitions renvoyées indistinctement à son département.
Je termine en recommandant la première pétition à l’attention de M. le ministre des finances.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - L’honorable M. Dumortier est dans l’erreur quand il pense que le pétitionnaire qui a adressé la première requête sur laquelle il vous a été fait rapport, n’a pas été compris dans la liste des personnes ayant droit à une partie de leur traitement d’attente. Je dois déclarer au contraire que M. Lamotte Barnaffe est compris dans la liste de répartition de ces traitements.
Je dirai même que ce n’est pas moi qui l’ai porté sur cette liste ; c’est mon honorable prédécesseur qui avait alloué un subside sur le fonds de 50,000 fr. de traitements d’attente. Le renvoi de la pétition de M. de Lamotte serait d’autant plus inutile que si par suite d’extinctions il était possible d’accorder un subside plus élevé à ce fonctionnaire recommandable et qui se trouve dans une position vraiment déplorable relativement à sa position ancienne, je me hâterais d’augmenter la faible part qu’il reçoit maintenant sur l’allocation portée à mon budget.
L. de Lamotte s’est adressé directement à mon département. Il lui a été répondu que le crédit alloué au budget ne représentant que le tiers de la somme des traitements d’attente, il avait été impossible de faire davantage en sa faveur.
Quant à la seconde pétition je ne pense pas qu’il y ait lieu de la renvoyer au département des finances.
Je suis de l’avis de l’honorable M. Dumortier. C’est un véritable cumul que le pétitionnaire demande en sollicitant le paiement simultané de deux pensions dont l’une est définitive.
M. Schaetzen. - Je pense qu’il y a lieu de renvoyer les deux pétitions à M. le ministre des finances. Je viens donc appuyer les conclusions de la commission. Il est temps que l’on fixe le sort de ces malheureux pensionnaires. Il ne faut pas qu’ils viennent tous les ans solliciter le paiement de leur traitement d’attente.
Cela soulève des questions personnelles toujours désagréables à traiter dans une assemblée délibérante. Je demande en outre que M. le ministre des finances nous présente un rapport définitif, à l’effet de nous proposer des mesures générales. C’est le seul mode à suivre pour éviter à l’avenir la reproduction de semblables réclamations.
M. d'Hoffschmidt, rapporteur. - Les honorables préopinants n’ont abordé que la question de fait. Ils n’ont pas touché la question du fond. Nous avons cependant à examiner si les titulaires ont des droits, oui ou non, à recevoir l’intégralité de leur traitement. Selon moi, et j’ai soutenu cette opinion dans la section centrale, les titulaires ont des droits acquis, incontestables, en vertu desquels ils peuvent réclamer le paiement, non seulement de leur pension annuelle, mais encore des arriérés qui leur sont dus, et je regrette que la chose soit ainsi, car j’ai toujours cherché jusqu’à présent à empêcher que le trésor soit grevé de ces traitements ou pensions qui ne peuvent être considérés que comme une vraie dilapidation des fonds de l’Etat.
Mais maintenant que j’ai examiné la question, je soutiens que les titulaires des traitements d’attente ont des droits acquis en vertu de l’arrêté-loi du 14 septembre 1814. En effet, vous avez si bien reconnu la validité de cet arrêté, que dans la loi du 4 août 1832 vous en avez abrogé l’article 17 en maintenant les autres articles. Pourrait-on nier que le roi Guillaume ait légalement accordé ces traitements d’attente, quand l’on fait attention que cet arrêté a été porté du temps où ce souverain avait l’omnipotence du pouvoir législatif, puisqu’en 1814 la constitution du royaume des Pays-Bas n’était pas en vigueur. Ainsi l’arrêté de 1814 subsiste, et jusqu’à ce qu’on en ait rapporté les dispositions, quant aux traitements d’attente, vous devez les payer ; et remarquez que vous pouvez abroger ces dispositions quant aux titulaires actuels, puisque le roi Guillaume s’était réservé de le faire ; mais pour cela il faut des dispositions législatives, c’est ce qui m’avait engagé en 1833 à vous faire une proposition qui tendait à abolir les traitements d’attente pour l’avenir.
Cette proposition était basée sur les abus de ces traitements ; car il est évident qu’ils n’étaient pour la plupart accordés qu’à des favoris du roi Guillaume. Ces traitements se divisent en trois catégories qui sont : les traitements d’attente, les suppléments de pensions et les secours annuels.
Dans ces trois catégories, il y en a une qui est faite, sans doute, pour réveiller vos sympathies : c’est la dernière, ayant pour objet des secours à accorder à des veuves et à des orphelins d’ex-employés. Ces secours sont très faibles, puisque leur somme totale n’est que de 3,630 fl., et je crois que l’on peut laisser continuer ces secours si l’on admet définitivement le système de la chambre, consistant à accorder, dans certains cas, des secours ou aumônes publiques, comme elle l’a fait encore hier sur la proposition de M. Legrelle, en faveur de la veuve d’un officier de marine. Mais quant aux autres traitements, je crois qu’il est temps de prendre une disposition.
Car je considérerais comme une véritable profusion sans motifs, le moindre à compte qui serait continué à l’avenir aux titulaires de deux premières catégories que je viens de vous désigner ; il suffit de parcourir les listes où ils sont inscrits pour juger des titres qu’ils avaient à l’obtention de ces traitements ou pension : par exemple, un abbé Félix a reçu une pension pour avoir fait un sermon qui a plu au roi Guillaume ; un ci-devant seigneur a reçu une pension, pour l’indemniser de la perte de ses droits féodaux, etc.
Je crois donc qu’il est urgent de discuter la proposition que j’ai eu l’honneur de faire et qui fut renvoyée à la section centrale chargée de l’examen du budget de la dette publique pour l’exercice 1833 ; mais je crois qu’alors la chambre, s’étant séparée immédiatement après ce renvoi, cette section ne put s’en occuper.
Je demanderai à M. le ministre des finances s’il ne reçoit pas de réclamations des titulaires des traitements d’attente, ayant pour objet d’obtenir le paiement intégral de ces traitements, y compris les arriérés, et s’il ne nous faudra pas tôt ou tard effectuer ce paiement. Je crois que ces titulaires ont le droit d’attraire le gouvernement devant les tribunaux pour obtenir le paiement de ces arriérés. Il ne faut pas nous exposer non seulement à être condamnés, mais encore à passer pour injustes. Etre juste pour le passé, être avare pour l’avenir, voilà la règle que l’on doit, à mon avis, suivre pour les traitements d’attente.
On m’objectera, je le sais, le traité du 15 novembre. L’article 22 de ce traité nous faisait en effet une obligation de payer ces traitements d’attente ; mais ce traité n’est pas exécutoire. Quand la chambre discutera le fond de ma proposition, j’aborderai cette question et je crois qu’il ne me sera pas difficile de prouver que ce traité ne doit pas nous empêcher de supprimer les traitements d’attente.
Je n’en dirai pas davantage pour le moment. J’attendrai les explications de M. le ministre.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - L’honorable préopinant a regretté que je n’aie pas examiné le fond de la question, la question des droits acquis aux traitements d’attente par les titulaires de ces traitements. Si je n’ai pas abordé cette question, c’est que j’ai pensé que c’était inutile et que je pouvais à cette occasion ménager le temps de l’assemblée.
Vous vous rappellerez que cette question a été agitée pour ainsi dire chaque année dans la chambre, et a été résolue quatre fois de la même manière ; de telle sorte que je ne pouvais pas présumer que, quels que fussent mes efforts, la chambre s’écarterait de ses antécédents à ce sujet.
Le gouvernement vous demande une allocation de 130,000 fr., ce qui constitue le dixième total des traitements d’attente ; preuve suffisante (alors même que les déclarations antérieures du gouvernement ne le constateraient pas), preuve, dis-je, que le gouvernement pense qu’il faut payer l’intégralité des traitements d’attente, aussi longtemps que la disposition accordant ces traitements n’a pas été révoquée.
Un honorable député du Limbourg a aussi appelé l’attention du gouvernement sur ce point. Il a demandé qu’il fît une proposition de manière à trancher la question une fois pour toutes, et ne pas la subdiviser en une infinité de petites questions de faits comme celles dont plusieurs honorables membres viennent de s’occuper. Mais le gouvernement n’a aucune proposition à vous soumettre en cette circonstance. Un de vous a usé de son initiative. Il a déposé depuis trois ans une proposition qui tranche la question, qui reconnaît pour la passé la légalité des traitements d’attente et en demande l’abolition pour l’avenir.
Dans cette position, le gouvernement doit attendre que la chambre mette à l’ordre du jour la proposition faite par M. d’Hoffschmidt en 1833 et examine s’il lui convient de l’adopter.
Je n’ai pas soutenu la demande d’une allocation de 130,000 fr., parce que je suis convaincu d’avance que la chambre réduira à 50,000 fr. la somme demandée. Je demeure au reste assuré que quand la chambre pourra aborder cette question, elle la résoudra selon l’équité et le droit.
L’honorable M. d’Hoffschmidt demande si des pétitions ne me sont pas adressées par les titulaires des traitements d’attente, pour en réclamer le paiement intégral. On présume, avec raison, qu’il m’en est arrivé. Mais il y a plus que des pétitions, je dois le dire, c’est qu’un procès est intenté au gouvernement de ce chef. Dix ou douze assignations ont été dirigées contre l’administration du trésor pour obtenir le paiement intégral de ces traitements d’attente. Voilà l’état des choses sous ce rapport.
Quand la chambre abordera cette question de fond, elle la tranchera sans doute définitivement. Mais en attendant je suis persuadé qu’elle allouera au moins, comme les années précédentes, une somme de 50,000 fr, destinée, comme vous savez, aux besoins réels de la majeure partie des titulaires des traitements d’attente.
M. Dumortier. - Je pense, malgré ce qu’a dit l’honorable M. d’Hoffschmidt, que les titulaires des traitements d’attente n’ont aucune espèce de droits aux pensions de ce genre, pas plus ceux de la troisième catégorie que ceux des autres catégories. En effet, ces prétendus droits ne reposent sur aucune espèce de disposition législative. Tout à l’heure je ferai voir que l’article 17 n’établit pas plus un droit que toutes les autres dispositions de l’arrêté dont parle M. d’Hoffschmidt.
D’abord, messieurs, vous savez que les traitements d’attente se composent de trois catégories. Les watchgeld, traitement de non-activité qui avait été accordé à d’anciens fonctionnaires publics qui n’avaient pas droit à la pension, mais auxquels le gouvernement hollandais jugeait à propos d’accorder un subside pour les aider à vivre. Cette catégorie s’élevait à 27 mille florins. Viennent ensuite les secours annuels, jaarlyksch onderstand, qui forment la seconde catégorie. Ce sont les pensions que l’honorable M. d’Hoffschmidt regarde comme devant être allouées. Elles ont été accordées pour services de toute espèce et s’élèvent à 3,600 florins pour 17 personnes.
La troisième catégorie, les toelage, sont des suppléments de traitement qui s’accordaient à des personnes qui avaient subi une réduction de traitement par suite d’une mesure générale prise par le gouvernement. Ce supplément de traitement était accordé aux titulaires pendant la durée de leurs fonctions. La somme de ces suppléments de traitements s’élevait à plus de 31 mille florins.
Quant aux titulaires de traitement d’attente de cette dernière catégorie, il est incontestable qu’ils n’ont aucune espèce de droit acquis. Quand le gouvernement hollandais a créé la banque caissier de l’Etat, par le contrat passé avec la banque, tous les anciens receveurs généraux et particuliers sont devenus agents de la banque, qui a dû leur donner un traitement stipulé par le contrat. Le gouvernement hollandais leur payait un supplément pour compléter leur ancien traitement.
Nous ne sommes pas tenus de continuer le paiement de ces suppléments de traitements. Nous ne sommes pas débiteurs envers la banque, nous n’avons pas à donner des suppléments de traitement à ses employés. Si les agents de la banque auxquels des suppléments de traitement ont été accordés ont droit à une pension par suite de la suppression de leurs fonctions, que leur pension soit liquidée, mais qu’on ne vienne pas demander un crédit pour compléter l’inégalité de leur ancien traitement. C’est là une demande qui ne peut pas être justifiée. Sans cela la banque pourrait diminuer le traitement qu’elle donne aux anciens employés de l’Etat, et l’Etat devrait augmenter les suppléments au fur et à mesure que la banque diminuerait les traitements. La banque finirait bientôt par mettre tous les traitements de ses agents à la charge du budget.
La section centrale qui examine le budget de l’exercice précèdent n’a reconnu aucune espèce de droit à ceux auxquels des suppléments de traitement avaient été accordés ; elle a pensé que s’ils avaient droit à une pension du chef de la suppression de leurs fonctions, ils n’avaient qu’à réclamer la liquidation de cette pension.
Il est évident que les titulaires de toelagen n’ont pas plus de droit au supplément qu’on leur a accordé, que si une réduction de traitement avait été opérée par la législature.
Assurément si vous votiez une réduction sur les traitements des fonctionnaires d’une administration, ces fonctionnaires ne seraient pas admis à demander au gouvernement un supplément de traitement pendant toute l’année. Eh bien, c’est ce qu’on vous demande ici. Si un pareil système était admis, quand un traitement aurait été affecté à une fonction, la législature ne pourrait plus le réduire sans devoir payer au titulaire pendant toute sa vie un supplément qui complète son ancien traitement
Je viens aux traitements de non-activité qui sont les véritables traitements d’attente. Sur quoi reposent ces traitements de non-activité ? On dit que c’est sur l’article 17 de l’arrêté-loi du 14 septembre 1815. Voyons ce que porte cet article.
L’arrêté commence par régler les pensions civiles et la manière dont elles seront accordées, et ensuite à l’article 17, il ajoute : « Nous nous réservons une exemption à ce qui est statué par le présent règlement, dans les cas extraordinaires où des services éminents ou d’autres causes pourront nous engager à donner des marques particulières de notre bienveillance. »
Il n’y a pas un seul mot qui tende à autoriser le gouvernement à donner des traitements d’attente ; il en résulte que ceux qui sont en possession de traitements de cette nature, en vertu de l’article 17, ne sont pas fondés à venir en demander le maintien. Cet arrêté du 14 septembre, comme le dit l’article 17, était un règlement purement et simplement, et non un décret, il ne peut pas avoir force de loi.
C’était une mesure provisoire et temporaire, qui ne confère pas de droits acquis. Le roi Guillaume, en déclarant la mesure réglementaire, montre que ce n’est pas un droit acquis qu’il veut établir au profit des possesseurs de wachtgeld.
Quel est le but de cet arrêté ?
« Considérant qu’il est de la justice du gouvernement de récompenser de longs et fidèles services et de fournir du soutien à des hommes qui, nés dans les provinces soumises à la domination du gouvernement actuel de la Belgique, ont consacré leur vie au service de l’Etat, et auxquels l’âge ou leur forces ne permettent plus de le servir activement ;
« Considérant qu’il y a lieu de secourir les anciens serviteurs de l’Etat dont les services ont été interrompus par les circonstances, pour qui les années de service antérieur et postérieur, réunies au temps de l’interruption, complètent le temps prescrit pour pouvoir obtenir la pension,
« Arrêté, etc. »
Il est donc manifeste que cet arrêté a été fait dans l’intérêt des citoyens belges qui avaient éprouvé une interruption dans l’exercice de leurs fonctions pendant le régime impérial ou qui n’avaient pas pu faire liquider leurs pensions pendant ce régime. Cet arrêté avait donc une destination spéciale. Il est incontestable que ce n’était qu’un règlement ; les considérants suffiraient pour le prouver, si l’article 17 ne le disait pas. Ainsi, ce règlement n’accorde aucune espèce de droit qui puisse être garanti par le traité du 15 novembre. D’ailleurs, ce traité lui-même n’est pas encore un traité, et j’espère qu’il ne le sera jamais ; j’espère que la Belgique aura un jour l’énergie de déclarer hautement qu’elle répudie hautement des conditions aussi onéreuses auxquelles nous n’avions consenti que parce que nous nous trouvions dans la plus grande crise. J’espère qu’un jour la Belgique aura le courage de s’en déclarer déliée.
Il est incontestable que le traité ne garantir aucune espèce de droit à ces traitements d’attente. Je pense donc que nous ne devons accorder de subside à titre de droit aux porteurs de traitement d’attente. Qu’on la leur accorde à titre de secours, j’y consens à cause de la position dans laquelle ils se trouvent ; mais à titre de droit, non, nous ne devons pas le faire. Nous ne devons reconnaître des droits à des subsides que quand ils résultent nettement de dispositions législatives.
M. d'Hoffschmidt, rapporteur. - Quand j’ai dit que je regrettais que le ministre n’eût pas abordé le fond de la discussion, ce n’est pas un reproche que j’ai voulu lui adresser. Je savais que plusieurs pétitions lui avaient été adressées par des porteurs de traitements d’attente pour réclamer les arriérés de leur traitement et qu’ils allaient assigner le gouvernement. Le ministre nous a assuré que la chose existait. Maintenant les tribunaux vont être saisis de la question de légalité ; ils vont décider si les titulaires de ces traitements ont des droits acquis ou non. Après cette décision, nous verrons s’il y a lieu ou non de discuter ma proposition. Cependant, j’aurais désiré que la chambre prît l’initiative pour résoudre cette question qui me paraît assez claire.
J’ai soutenu, et j’ai cru pouvoir le faire après M. H. de Brouckere et le ministre de la justice actuel, que les titulaires des traitements d’attente avaient des droits acquis. Ces honorables membres n’ont pas pensé que l’arrêté de 1814 ne devait être considéré que comme un règlement. Et en effet, messieurs, c’est que c’est en vertu de ce même arrêté qu’on accorde d’autres pensions que vous payez et pour lesquelles vous accordez des crédits au budget. Si l’argument de l’honorable préopinant était juste vous devriez rayer toutes les pensions. Car il ne s’appliquerait pas seulement aux traitements d’attente, mais aussi aux autres pensions.
Je bornerai là mes observations.
M. Jullien. - Je prends la parole, mais ce n’est pas pour parler sur le fond ; je ne veux faire qu’une simple observation.
Dans le temps, j’ai considéré les traitements d’attente comme une dette, c’est toujours mon opinion ; mais ce n’est pas le moment d’aborder cette question : la chambre est saisie d’un projet de loi sur cette matière, il faut en attendre la discussion ; ce que nous ferions aujourd’hui serait décider la question par anticipation, et c’est, je crois, ce que la chambre n’entend pas faire. Je pense qu’il y a lieu de passer à l’ordre du jour ; en attendant que la question soit décidée, la chambre fera bien de suivre ses antécédents en accordant une somme pour les plus nécessiteux.
M. A. Rodenbach. - Je suis de l’avis de l’honorable député de Tournay, je pense que ce n’est qu’à titre de secours pour les plus nécessiteux que nous devons accorder un subside. (Aux voix ! aux voix !)
M. le président. - M. le ministre a demandé 130,000 fr. A la section centrale on a proposé 50,000 fr. Mais sur cette proposition il y a eu partage, de sorte qu’il n’y a pas d’amendement.
M. A. Rodenbach. - Je propose de fixer l’allocation à 50,000 fr., à titre de secours.
Messieurs, de ce qu’on a occupé une fonction, on n’a pas acquis des droits à une pension. Vous savez d’ailleurs comment la plupart de ces traitements d’attente ont été donnés, c’étaient des marques de la bienveillance du roi Guillaume ; il en accordé à ceux qui s’étaient opposés au pétitionnement. Et nous irions maintenir des pensions à ceux qui ont voulu empêcher le pétitionnement qui a provoqué notre révolution !
L’argument qui tend à faire regarder ces traitements d’attente comme des dettes sacrées me paraît absurde. C’est comme si on prétendait que nous devions accorder des wachtgeld ou des toelagen aux employés du cadastre. Nous nous montrerons très généreux en accordait 50,000 fr., en attendant qu’une loi intervienne sur la matière. Il y a des personnes qui jouissent de 12 et 20,000 livres de rente auxquelles on accorde des wachtgeld et des toelagen.
Je vous demande s’il est juste de donner des pensions à des personnes jouissant de pareils revenus, pour avoir exercé pendant 5 ou 6 ans des fonctions publiques.
M. Dumortier. - Je voulais faire la même proposition que l’honorable M. A. Rodenbach.
L’honorable M. d’Hoffschmidt vient de dire que, dans son opinion, les titulaires de traitements d’attente avaient des droits acquis.
Je vous avoue que je crois qu’il serait difficile de se mettre plus manifestement en contradiction avec soi-même, que vient de le faire cet honorable membre. Car c’est lui qui a proposé une loi tendant à ce qu’on ne paie plus de traitement d’attente. Si les droits des titulaires de ces traitements sont aussi manifestes que vous le dites, il ne fallait pas proposer de ne plus rien payer du tout.
M. d'Hoffschmidt, rapporteur. - L’honorable préopinant vient de chercher à prouver que j’étais en contradiction avec moi-même, parce que d’un côté je faisais la proposition d’abolir les traitements d’attente et que de l’autre je demandais que les intérêts fussent payés aux titulaires de ces traitements.
Voici mon système. Je dis qu’en vertu d’une loi les titulaires avaient des droits acquis, mais j’ai ajouté que la nation ne devait pas payer davantage ces traitements que je regarde comme une véritable dilapidation des deniers publics. C’est pour cela que j’ai fait la proposition de ne plus les payer.
Mon observation a moins pour but de répondre à l’honorable préopinant que d’empêcher son accusation de se renouveler.
J’ajouterai que si je voulais prendre la parole chaque fois que l’honorable membre est en contradiction avec lui-même, nous n’en finirions pas.
Comme je n’ai pas intérêt à retarder la discussion de la loi communale, je borne là mes observations.
M. Jullien. - Nous avons gagné quelque chose en ce que la question se trouve réduite à la quotité du chiffre. Le gouvernement a demandé 130 mille francs, et MM. A. Rodenbach et Dumortier proposent de réduire l’allocation à 50 mille francs. Il est sensible pour ceux qui soutiennent que les titulaires des traitements d’attente n’ont aucun droit, que 50 mille francs c’est déjà beaucoup ; même trop, si ceux à qui vous accordez ce subside n’ont pas de droit du tout. Pour moi, je ne sais pas ce que c’est que des pensionnaires auxquels on accorderait des subsides auxquels ils n’auraient pas droit. Il y aurait la une véritable contradiction.
Si j’accorde un subside par mesure provisoire, c’est que je soutiens et que j’ai toujours soutenu que les titulaires les traitements d’attente devaient être considérés cousine ayant des droits acquis. Maintenant, qu’il y ait ou qu’il n’y ait pas dilapidation, cela m’est égal.
En fait de droits acquis il n’y a rien à retrancher. C’est une obligation ou ce n’en est pas une. Si c’est une obligation, il faut la payer intégralement. Si ce n’en est pas une, vous avez un moyen de vous soustraire à cette charge en faisant la révision des pensions.
Maintenant que la question se trouve réduite à la fixation de la quotité du chiffre, je désirerais savoir de M. le ministre des finances dans quelle proportion se trouve la somme qu’il réclame avec les traitements à payer.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - C’est la totalité que je demande.
M. Jullien. - Je voterai pour la totalité.
M. Dubus. - Je demande la parole parce que l’honorable préopinant vient de motiver son vote sur ce que les titulaires des traitements d’attente avaient des droits acquis, et d’ajouter que le résultat d’une allocation de 50,00 fr. pour cet objet serait de reconnaître ces droits acquis.
Je suis disposé à allouer les 50 mille fr., mais je ne pense pas pour cela que ceux à qui le roi déchu a accordé des traitements d’attente aient des droits acquis. On a invoqué l’arrêté de 1814, mais on n’a pas fait attention que cet arrêté renfermait deux espèces de dispositions, les unes qui fixent les cas dans lesquels des pensions pourront être accordées, et la manière dont elles seront accordées, et une autre par laquelle le chef du gouvernement se réserve le droit de disposer des deniers publics, selon son bon plaisir. Ces dispositions sont d’un ordre différent. Celles par lesquelles on fixe les cas dans lesquels des pensions pourront être accordées peuvent être considérées comme ayant force de loi, mais l’autre, celle par laquelle le chef du gouvernement se réservait le droit de disposer des deniers publics selon son bon plaisir, est tombée devant la constitution même de 1815.
Cela est si vrai, que si les états généraux avaient refusé les fonds pour les traitements d’attente, on ne les aurait pas payés. Eh bien, qu’avez-vous fait ? Usant de votre droit, vous avez refusé les fonds pour le paiement de ces traitements ; tout droit s’est évanoui. Seulement, vous avez accordé 50 mille francs à répartir entre les plus nécessiteux des titulaires de ces traitements. Ceux entre qui ces 50 mille francs ont été répartis, ont acquis des droits comme nécessiteux à la somme que vous avez accordée. Mais comme vous avez refusé le surplus du crédit, il me paraît manifeste qu’il n’existe aucun droit. On n’a pas pu user, sous l’empire d’une constitution, du droit de disposer des deniers publics, suivant le bon plaisir du chef constitutionnel.
Les traitements d’attente dont il s’agit ont été accordés sous l’empire de la constitution de 1815. Cela ne constitue aucun droit. Cela constitue si peu un droit que le chef de l’Etat pouvait révoquer ces traitements quand il le voulait. C’est ce qui a été reconnu de tout le monde.
Or, je demande comment vous pouvez voir un droit acquis là où il y a une distribution des deniers publics faite suivant son bon plaisir et qu’on peut faire cesser quand on veut ? Vous avez refusé l’allocation, pour le paiement de ces traitements ; est-ce que cela n’emporte pas plus que la révocation que le roi Guillaume aurait pu faire ? Il résulte de nos votes qu’il n’y pas de droits acquis aux titulaires des traitements d’attente. C’est dans ce sens que je voterai. S’il pouvait résulter de notre vote un droit, je rejetterais tout ce crédit.
Ce que nous avons voté pour les exercices antérieurs doit suffire ; le nombre des titulaires a dû diminuer, il a dû y avoir des extinctions, et il ne doit pas y avoir un plus grand nombre de personnes, parmi ces titulaires, dans une situation à avoir besoin de secours qu’il n’y en avait en 1830. Par tous ces motifs, je voterai pour l’allocation de 50 mille francs.
M. Fallon. - Comme on a anticipé sur une question importance que nous ne sommes pas appelés à résoudre en ce moment, je crois devoir motiver mon vote. Je voterai pour le subside de 50 mille francs, mais je déclare que je proteste contre la doctrine de ceux qui prétendent que les titulaires des traitements d’attente ont des droits acquis.
M. Gendebien. - C’est pour la quatrième fois que cette discussion se renouvelle. Je persiste dans l’opinion que j’ai émise dans les discussions précédentes, je reste convaincu qu’il n’y a aucun droit acquis de la part de ceux qui ont obtenu des wachtgeld du roi Guillaume ; j’accorderai le crédit de 50 mille francs pour ne pas rendre leur position plus fâcheuse. Je me borne à motiver mon vote. Je ne veux pas recommencer la discussion.
M. le président. - Je vais mettre aux voix les diverses propositions.
D’abord, sur les pétitions dont le rapport a été fait.
La section centrale propose le renvoi au ministre des finances.
M. le ministre des finances demande le dépôt au bureau des renseignements.
M. Dumortier demande le dépôt de l’une des pétitions et le renvoi de l’autre au ministre des finances.
M. Dumortier. - D’après les explications données par M. le ministre des finances, je me rallie à sa proposition.
- Le renvoi n’est pas adopté et le dépôt au bureau des renseignements est ordonné.
M. le président. - Je vais mettre le chiffre aux voix en commençant par le plus élevé.
- Le chiffre de 130,000 francs est mis aux voix. Il n’est pas adopté.
Le chiffre de 50,000 fr. est adopté.
M. le président. - Les articles 4 et 5 étant relatifs au même objet, je vais les réunir pour ouvrir la discussion sur ces deux articles en même temps.
« Art. 4. Subvention à la caisse des retraites : fr. 200,000. »
« Art. 5. Crédit supplémentaire remboursable sur les fonds de la caisse de retraite des employés des finances retenus en Hollande : fr. 180,000. »
La section centrale alloue la somme de 200,000 fr et propose d’ajourner l’allocation supplémentaire de 180,000 fr., jusqu’à ce que M. le ministre ait rendu compte à la chambre du rapport qui doit être fait par la commission chargée de la révision des pensions.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - La section centrale a émis le vœu que le gouvernement déposât le rapport de la commission instituée pour l’examen et la révision de la liste des pensionnaires de la caisse des retraites. Ce travail était assez avancé il y a trois mois, mais l’un des membres de cette commission qui s’en occupait particulièrement, qui était en quelque sorte l’un des deux rapporteurs de la commission, est tombé dangereusement malade, c’est l’honorable M. H. de Brouckere, et le travail s’est considérablement ralenti. Un autre membre, M. Donny, qui était également chargé d’une partie importante de ce travail, est également tombé malade depuis un mois à peu près qu’il n’assiste plus à nos séances.
Le rapport de cette commission ne peut donc être présenté à la chambre, et j’ignore même l’époque où il pourra être déposé. Nul doute qu’il s’écoulera un laps de temps assez long d’ici-là, et avant que je puisse, en conséquence des conclusions de la commission, proposer au Roi les modifications aux pensions de la caisse de retraite, qui seraient reconnues n’avoir pas été liquidées avec exactitude.
Je pense, messieurs, qu’il est utile de dire quelques mots sur les pensions de la caisse de retraite, considérées d’une manière générale, et si vous voulez me prêter quelque attention sur ce sujet, vous n’hésiterez pas, je crois, à allouer la somme de 380,000 francs que je demande.
Dans le rapport de la section centrale, on a mis en doute les droits qu’auraient les employés de l’administration des finances à obtenir des pensions, ainsi que cela a lieu pour les employés des autres administrations.
A cet égard, je crois cependant qu’il ne peut y avoir aucune espèce de doute, car dans la loi originaire des rémunérations de l’Etat, la loi institutive des pensions, celle du 22 août 1790 qui pose le principe, vous trouvez que le législateur veut que la nation récompense les services que lui sont rendus, ou qui sont rendus au corps social par les fonctionnaires publics. Cette loi ne comporte aucune exclusion, et elle comprend par conséquent les employés des finances, puisqu’ils rendent évidemment, dans la sphère de leurs attributions, des services très utiles au pays : ils consacrent, comme les autres fonctionnaires, leur vie à servir la patrie ; et ils ont des droits acquis à la pension tout comme les autres fonctionnaires.
Si dans la loi institutive des pensions on n’indique pas explicitement que les employés du département des finances auront des pensions, on ne les en exclut pas non plus. Mais cette loi de 1790, qui était la règle pendant la réunion de la Belgique à la France, a été suivie à la formation du royaume des Pays-Bas de l’arrêté-loi de 1814, lequel est encore en vigueur et sert de base à la liquidation de toutes nos pensions civiles ; cette loi est obligatoire ; et aussi longtemps qu’on n’y aura pas dérogé, et qu’on n’aura pas adopté un projet analogue à celui présenté par le gouvernement sur la caisse de retraite ; aussi longtemps qu’on n’aura pas porté une loi pour modifier cet arrêté de 1814, il subsistera dans toutes ses parties : une seule, celle qui conférait au Roi le droit d’allouer des pensions exceptionnelles, l’article 17, a été abolie par la loi sur l’organisation judiciaire.
Et à propos de cette disposition de la loi d’organisation judiciaire, je dirai que si j’avais besoin de trouver une preuve de l’existence de l’arrêté-loi de 1814, je la puiserais dans l’abrogation de l’article spécial que je viens de rappeler ; abrogation qui confirme tacitement la force obligatoire des autres articles.
Je dis donc que la législation existante jusqu’en 1814 admettait aux pensions les employés des finances, comme les employés des autres départements ; et ceci paraît à l’abri de toute espèce d’objection. Mais l’arrêté-loi ne laisse plus aucun doute à cet égard, car il y est fait mention des remises des receveurs et autres comptables, et chacun sait que ceci ne peut concerner que les agents des finances.
L’institution de la caisse de retraite a imposé des privations à ces employés ; elle les soumet à des retenues sur leurs traitements ; pourrait-on prétendre que cette position onéreuse ne leur donne pas droit à une pension de la part du gouvernement ? Ce serait vainement que l’on viendrait soutenir une pareille thèse. La caisse de retraite a été instituée pour améliorer le sort des employés des finances et grossir la pension à laquelle ils ont droit comme les autres fonctionnaires publics en vertu de l’arrêté-loi de 1814 ; cette caisse de plus a été formée pour assurer aux veuves et aux orphelins de ceux qui y ont contribué, des moyens d’existence après le décès de leur mari ou de leur père.
Ceci posé, je vais examiner ce qui serait arrivé si nous n’avions pas eu la caisse de retraite, établie le 29 mai 1822. J’ai fait faire un travail à cet égard, et il satisfera, je pense, l’assemblée. Il présente la liquidation générale de toutes les pensions accordées depuis la révolution aux fonctionnaires du département des finances d’après les règles fixées et suivant les bases établies par l’arrêté-loi de 1814.
J’ai trouvé dans ce travail, que je donne pour très exact, que depuis la révolution il a été compté pour la pension 5,835 années de service rendu dans le département des finances, et, en outre de cela, 603 années de service étranger aux finances, et qui avaient presque toutes été consacrées à des services militaires ou à des services dans diverses administrations.
Si les années de service des finances et autres avaient été rémunérées conformément à l’arrêté-loi de 1814, elles auraient coûté au trésor 256,655 fr., tandis que suivant le règlement de la caisse de retraite, fait pour améliorer les pensions des fonctionnaires de l’administration des finances, la liquidation de leurs pensions s’est élevée à 314,273 fr., c’est-à-dire à 57,618 francs de plus que si la caisse de retraite n’avait pas existé.
Je n’ai pu faire opérer le même travail sur les pensions obtenues avant la révolution, parce que je n’avais pas les pièces nécessaires ; mais, procédant du connu à l’inconnu et admettant que les choses s’étaient à peu près passées sous ce rapport de la même manière avant ou après la révolution, j’ai trouvé, par une simple règle de proportion, que les pensions antérieures à la révolution que le trésor aurait à payer s’il n’existait pas de caisse de retraite, s’élèveraient à la somme de 231,042 fr. ; de telle sorte que si toutes les pensions du département des finances, anciennes et nouvelles, eussent été liquidées sans qu’il eût été opéré des retenues sur les appointements pour la caisse de retraite, c’est-à-dire selon l’arrêté-loi de 1814, le trésor aurait incontestablement à sa charge une somme de 487,695 fr. : d’où résulte qu’il y a une augmentation, par le fait de la caisse des retraites pour les deux catégories de pensions, de 107,241 fr., à laquelle augmentation il faut ajouter celle résultant des pensions attribuées aux veuves et orphelins, et qui s’élève à 250 mille 419 fr. ; la somme à supporter par la caisse de retraite serait donc en bonne équité de 357,660 fr. sur le chiffre total des pensions montant à 845,355 fr.
Or la caisse des retraites a des revenus et des remises qui s’élèvent ensemble à 434,603 fr. Elle ne devrait à la rigueur intervenir que pour 357,660 fr. puisque c’est là la somme qui excède le taux des pensions qui eussent été accordées par la loi de 1814 ; elle paie donc réellement à la décharge du trésor 76,943 fr. Je donnerai au Moniteur ces résultats des tableaux que j’ai fait dresser, et vous verrez que la caisse de retraite, loin d’être onéreuse au trésor, le décharge en effet de la somme de 76,943 fr. Ainsi toutes les fois que l’on s’est récrié contre la caisse des retraites, on a eu tort ; et si l’on avait connu les chiffres que je cite, on aurait vu que les attaques n’étaient pas fondées.
Dans les discussions analogues des sessions précédentes, on s’est élevé contre l’énormité des pensions ; on a dit qu’il y en avait de portées à un taux scandaleux : pour m’éclairer et pour vous produire ensuite les renseignements recueillis, j’en ai fait dresser un tableau dont je viens déjà de présenter quelques résultats. Ces tableaux vous feront voir que l’exagération dans les pensions n’est pas telle qu’on a voulu le prétendre.
Les indications que je vais donner s’appliqueront à trois catégories différentes. La première concernera les pensions accordées antérieurement à la révolution ; la deuxième, les pensions accordées depuis la révolution jusqu’à mon entrée au ministère, et la troisième les pensions accordées depuis le 4 août 1834.
M. Desmet. - Ainsi, il y a augmentation.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Ne tirez encore aucune conclusion de ce fait ; attendez, et vous verrez qu’il n’y a pas d’abus.
M. A. Rodenbach. - Les augmentations sont des abus.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Je n’argumenterai pas sur les pensions des veuves et des orphelins, parce que le montant de celles-là restera, sans doute, à l’abri de toute critique ; il y en a 157.
Je dois une explication sur les pensions accordées depuis le 4 août 1834, avant d’aborder les chiffres. Beaucoup des pensionnaires de cette catégorie avaient été admis à la retraite par des arrêtés antérieurs à mon entrée à l’administration ; quoiqu’ayant été liquidées postérieurement à cette époque, elles doivent être comprises dans le nombre de celles qui ont été accordées depuis 1830 jusqu’au 4 août 1834 ; car c’est l’admission à la retraite qui donne ouverture à la pension ; c’est à l’époque de cette date qu’il faut rapporter les arguments que l’on fait contre le nombre des pensions accordées.
Ceci posé, voici ce que je trouve dans le tableau :
(Note du webmaster : le Moniteur reprend un tableau très détaillé du nombre des pensions accordées en raison, notamment, du taux. Parmi les éléments intéressants à constater, on peut mentionner que le nombre de pensions accordées par la caisse (hors les pensions nouvelles accordées depuis 1834) est de 1332, dont 6 au-dessus de 6,000 fr. ; 6 entre 5,000 et 6,000 fr. ; 9 de 4,000 à 5,000 fr. A l’inverse, 323 en-dessous de 200 fr. ; 294 de 200 à 300 fr. ; 205 entre 300 et 400 fr., etc. Quant aux pensions accordées depuis le 4 août 1834, leur nombre est de 111 : seules deux pensions supérieures à 3,000 francs font partie de ce nombre.)
Vous trouverez peut-être qu’il y a eu beaucoup de pensions accordées depuis mon entrée à l’administration. Mais il n’est pas loisible au département des finances d’échapper à la collation d’une pension qui incombe aux veuves et aux orphelins. Lorsque le père n’existe plus, les enfants ont droit à une pension sur la caisse de retraite, lorsqu’un employé laisse une veuve, il faut liquider la pension de cette veuve. Si le nombre total de 111 peut paraître élevé, il ne l’est pas partiellement du côté attaquable, car il n’y a que 47 pensions d’employés.
Depuis 1830, il a été accordé 5 pensions qui dépassent 6,000 fr. mais n’allez pas croire que l’excédant des 6,000 francs soit énorme ; vous seriez dans l’erreur.
Les cinq pensions les plus élevées accordées depuis la révolution ne dépassent ensemble que de 11,460 francs le taux auquel elles auraient dû rester si elles avaient été liquidées à leur maximum ; sont-ce là les pensions exorbitantes contre lesquelles on s’est récrié dans cette enceinte ?
Messieurs, j’ai dit tout à l’heure qu’il ne fallait pas se prononcer trop tôt sur l’élévation du chiffre des pensions accordées depuis 1830 jusqu’à mon entrée au ministère, et qu’il ne fallait pas trouver trop haut le taux de ces pensions.
Maintes fois, à d’autres époques, on a reproché au département des finances de conserver dans les fonctions administratives des hommes qui déplaisaient à l’opinion publique, des hommes que l’on prétendait avoir des idées de retour pour une dynastie déchue : eh, messieurs, le département des finances, placé en présence des avis qu’on lui donnait, et n’ayant aucun fait positif, n’ayant que des soupçons qui ne se fondaient sur aucun acte patent, et cependant devant satisfaire l’opinion publique sans être toutefois injuste ; le département des finances a été forcé par les circonstances politiques du moment de mettre à la pension plusieurs fonctionnaires, et surtout plusieurs hauts fonctionnaires, lesquels n’y eussent été admis que plusieurs années après. Sous ce rapport donc il y a eu nécessité de la part de ce département d’agir comme il l’a fait.
Vous n’oublierez pas que vous avez fait successivement des réductions immenses dans l’administration des finances ; et je rappellerai à la chambre, que tout d’un coup, sur une proposition faite, il y a 3 ans, vous avez sapé 30,000 francs ; que vouliez-vous que fît le ministre d’hommes qui n’avaient plus de traitement ?
Il eût été souverainement injuste de frapper des fonctionnaires qui avaient rendu de longs services au pays, de les exclure de l’administration ; vous vous seriez récriés vous-mêmes, messieurs, contre cette mesure, et le ministre des finances a été forcé d’admettre à la pension plusieurs des fonctionnaires supérieurs de l’administration centrale. Ces pensions figurent dans le tableau que je viens d’indiquer.
Depuis la révolution il a été alloué 525 pensions ; avant il en a été alloué 918. Ici j’irai au-devant d’une objection qui ne manquera pas d’être faite.
Les pensions antérieures à la révolution, au nombre de 918, ne montent qu’à 418,671 fr., tandis que les pensions postérieures à la révolution, au nombre de 525 seulement, montent à 424,356 fr. Il semblerait qu’on a été plus généreux depuis la révolution qu’auparavant. Mais je vais démontrer que la force des choses a dû amener un tel résultat, sans qu’il y ait eu pour cela largesse.
Les pensions antérieures à la révolution comprennent une durée de 15 années. Pendant ce temps, beaucoup de pensionnaires sont décédés. Mais ils sont décédés, en laissant des orphelins ou des veuves, et dès lors le chiffre de la pension s’est trouvé réduit, parce que les veuves et les orphelins ne reçoivent que les deux tiers de la pension. Et il en est résulté, en outre, que le nombre des pensionnés s’est accru : il n’y avait qu’un individu pensionné ; en mourant, il y a 4 ou 5 orphelins qui le sont devenus à sa place. Ainsi, un plus grand nombre de parts a été substitué pour prendre un chiffre moins fort. Voilà ce que l’intervalle de quinze années a amené très fréquemment.
Les pensions postérieures à la révolution ont été données pendant une durée de cinq années ; les extinctions ont été moindres ; proportionnellement elles ont dû être du tiers : de sorte qu’il y a eu beaucoup moins de réversions de pensions ; et dès lors le chiffre de ces pensions a dû être plus fort, quoique comparativement le nombre des pensions fût plus petit.
Voilà comment s’expliquent des chiffres qui au premier abord peuvent plaider contre l’administration qui les donne. Cependant, en examinant de près et en ne dégageant pas les actes de l’administration des considérations dont il faut équitablement et raisonnablement les entourer, on voit, je le répète, que la force des choses a dû amener ce résultat.
Je pense qu’il résulte des différentes observations que je viens de soumettre à la chambre, premièrement que si le rapport de la commission n’a pas été terminé, c’est par des causes que nous n’avons pu prévoir et qui ne doivent pas retarder le paiement des pensions ; deuxièmement, que la subvention que nous demandons est loin d’être onéreuse au trésor, puisque la caisse des retraites paie 76,000 fr. que le trésor aurait dû payer de plus, si elle n’avait pas existé.
M. Dumortier. - Je ne m’attendais pas à prendre la parole, parce que je pensais que M. le ministre des finances se serait rallié à la proposition d’ajournement faite par la section centrale. Mais puisque M. le ministre des finances insiste, je crois de mon devoir de contester quelques-unes des assertions qu’il a émises.
D’abord il présente les employés du ministère des finances comme ayant des droits à la pension résultant de l’arrêté du roi Guillaume dont nous avons parlé tout à l’heure, le règlement de septembre 1814. Cette prétention (car ce n’en est qu’une) a déjà été soutenue dans cette assemblée ; mais la chambre en a fait justice, et en cela elle a fort bien fait.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Jamais !
M. Dumortier. - Tous les orateurs se sont élevés contre cette prétention ; et la chambre n’a jamais reconnu de pareils droits ; car, si elle les avait reconnus, elle n’aurait pas accordé de subventions, elle aurait payé l’intégralité. La chambre a donc fait justice de cette prétention ; et, en effet, sur quoi repose-t-elle ? Sur le vote que vous avez émis dans la loi d’organisation judiciaire. M. le ministre des finances a dit que s’il fallait une preuve relativement à l’arrêté de septembre 1814, on la trouverait dans la loi d’organisation judiciaire. Eh bien, loin d’établir une preuve en faveur de l’argumentation de M. le ministre des finances, cette loi prouve, au contraire, qu’il n’a pu être accordé de pensions en vertu du règlement de septembre 1814. Ce règlement a été considéré depuis la révolution comme n’ayant plus aucune force légale ; il a fallu une disposition spéciale de la loi pour lui rendre force légale, et cette disposition a été insérée dans la loi d’organisation judiciaire. Relisez cette loi, vous verrez qu’elle rend force légale à cet arrêté, moins l’article 17 dont on avait abusé sous le gouvernement précédent. Tout en rendant force légale à l’arrêté de septembre, elle a décidé que l’article 17 ne serait pas remis en vigueur.
Ainsi cette disposition prouve que, depuis la révolution, on n’avait pu accorder aucune pension en vertu de cet arrêté. Cela est si vrai qu’en fait, avant la disposition insérée dans la loi d’organisation judiciaire, il n’a été accordé aucune pension en vertu du règlement de 1814. Il a fallu que la législature intervînt, qu’une disposition législative fût prise pour qu’une seule pension fût accordée en vertu de cette disposition.
Ainsi les fonctionnaires de l’administration des finances, depuis la révolution jusqu’à ce jour, n’ont aucun droit à la pension de retraite en vertu du règlement de 1814. Les fonctionnaires des autres services publics ont-ils plus de droit ? Non, sans doute ; car même sous le roi Guillaume, un arrêté fut pris pour régler les pensions militaires, et un autre arrêté pour les pensions des fonctionnaires des finances dans le service des douanes. Et c’est ce même arrête relatif aux employés du service des douanes qui a été ensuite étendu aux employés de toutes les branches du département des finances.
Ainsi il est évident que même sous le roi Guillaume les fonctionnaires publics de l’ordre financier n’avaient aucun droit du chef de l’arrêté qui nous occupe, et que des dispositions spéciales consacraient leurs droits à la pension de retraite.
Vous savez d’ailleurs qu’en 1824 une disposition générale du roi Guillaume a été prise relativement aux pensions de retraite du ministère des finances.
Je trouve d’autant plus singulier que M. le ministre des finances veuille faire résulter du règlement de 1814 un droit pour les employés de son ministère, que cet arrêté n’admet pas de pensions dépassant le chiffre de 6,000 francs. Or, vous avez accordé des pensions de plus de 6,000 francs. Vous avez donc violé l’arrêté de 1814. Il vous est impossible de mettre d’accord, de faire marcher de pair ces deux argumentations.
De deux choses l’une : ou votre argument donne une force légale aux pensions accordées en vertu de la loi de 1814, et alors les pensions accordées à des veuves et à des orphelins qui dépassent le taux de 6,000 fr., ont été illégalement conférées. Ou vous avez eu raison d’augmenter le chiffre de ces pensions, et alors vous ayez tort de vous prévaloir de cet arrêté-loi. Il vous est impossible de sortir de ce dilemme. Il n’y a pas de droit contre le droit ; si le droit résulte de l’arrêté de 1814, vous ne pouvez dépasser les limites fixées par cet arrêté. Si c’est en vertu de la loi qui a institué la caisse des retraites que vous avez conféré les pensions, vous ne pouvez invoquer les dispositions d’une loi antérieure qui sera en contradiction avec celle-là. Les lois ne peuvent se prêter à une pareille élasticité.
J’ai saisi, fort à la hâte, les chiffres donnés par M. le ministre des finances Je loue fort sa sollicitude pour les employés de son département. C’en une sollicitude toute naturelle, et véritablement paternelle. Mai, quelque estime que je professe pour M. le ministre des finances, je ne trouve pas moins des abus dans la collation des pensions du département des finances depuis la révolution.
M. le ministre des finances nous a présenté un tableau qu’il a divisé en trois catégories. Il aurait pu s’en tenir à deux catégories seulement, comme je vais le prouver.
Les pensions accordées aux employés du ministère des finances avant la révolution, s’élèvent à 918 et présentent un chiffre de 418,000 fr. Veuillez remarquer ces deux chiffres, messieurs.
Depuis la révolution le nombre des pensions conférées dans le même département s’élève à 525 et présente un chiffre total de 424,000 fr.
Que résulte-t-il de la simple énonciation des deux premiers chiffres comparés aux deux seconds ? Le chiffre des pensions accordées après la révolution est à peu près le même, est même un peu plus élevé que celui des pensions accordées avant la révolution. Ainsi nous avons eu en cinq ans une somme de pensions beaucoup plus forte que pendant les 15 années qu’a duré le règne du roi Guillaume. Que résulte-t-il encore de ce tableau ? C’est que 918 pensions représentent sous le roi Guillaume le chiffre des 525 pensions accordées depuis la révolution. Sous le roi Guillaume l’on avait accordé à peu près le double de pensions pour la même somme.
Le terme moyen des pensions accordées depuis la révolution est le double du terme moyen de celles accordées avant cette époque.
Voilà une première réflexion que je vous abandonne. Je vous demande si cette première comparaison ne commence pas par établir qu’il a dû exister des abus. Le terme moyen, résultant d’une disposition législative qui n’a pas changé doit être le même, et quand il diffère dans l’application de cette disposition, c’est qu’il y a eu abus.
Si nous suivons les chiffres fournis par M. le ministre, nous voyons qu’avant la révolution il a été accordé 609 pensions au taux de 500 francs et au-dessous, tandis que depuis l’époque de la révolution jusqu’à l’arrivée de M. le ministre des finances actuel, il n’a été accordé que 121 pensions du chiffre de 500 fr. et au-dessous. Ce nombre est augmenté, si je bien compris, de 22 pensions de cette catégorie depuis son arrivée.
Ainsi, avant la révolution, les petites pensions se sont élevées au nombre de 609 ; depuis la révolution, à 143 seulement. Vous voyez, d’après ce relevé, que sous le roi Guillaume on accordait dans le département des finances beaucoup de petites pensions, tandis que depuis la révolution on accorde beaucoup de grosses pensions.
Nous voyons qu’il y a :
30 pensions de 700 à 1,000 fr.
21 pensions de 1,500 à 2,000
14 pensions de 2,000 à 3,000
7 pensions de 3,000 à 4,000
6 pensions de 4,000 à 5,000
7 pensions de 5,000 à 6,000
5 pensions de 6,000 et au-dessus.
Il y a une pension qui s’élève à plus de 10,000 francs. C’est à un conservateur des hypothèques que l’on a accordé un chiffre aussi élevé. Comment M. le ministre des finances peut-il accorder de pareilles pensions ? M. le ministre répond à cela que la pension a été réglée d après les émoluments. Je le prierai de remarquer que la pension se calcule sur le traitement, et que les émoluments ne peuvent en aucun cas servir de base pour fixer le taux de la pension.
C’est une chose souverainement ridicule que de voir dans l’administration des finances un simple receveur toucher une pension triple, quadruple de celle de son supérieur. Un inspecteur ne touchera que 2 à 3,000 francs de pension, tandis qu’un simple receveur en touchera 10,000. C’est réellement absurde, c’est réellement scandaleux.
En France il y a dans l’ordre financier un maximum fixé par la loi pour chaque classe de pension.
La pension d’un receveur ne peut être plus élevée que celle d’un ordre plus élevé.
L’on a voulu que même dans les pensions la hiérarchie administrative fût conservée. Chez nous au contraire, cette mesure salutaire n’a pas été appliquée. L’on calcule la pension d’un receveur non seulement sur ce qui lui revient annuellement, mais sur les sommes éventuelles qu’il perçoit, et même sur ses frais de bureau. Car les frais de bureau entrent en compte dans le denier de la recette.
L’on en est arrivé à ce point qu’au moyen de la base admise, la pension d’un receveur est plus élevée que celle de son supérieur.
C’est là un véritable abus.
J’ai dit que parmi les neuf cents pensions accordées sous le roi Guillaume, il s’en trouvait six cents d’un ordre inférieur, de 500 francs et au-dessous, tandis que parmi les pensions conférées depuis la révolution ne s’en trouve que cent quarante-trois d’un chiffre inférieur. Sous le roi Guillaume, on accordait des pensions trop faibles tandis qu’à présent on accorde des pensions trop fortes. C’et là un abus que nous ne devons pas tolérer. Je ne puis donner mon assentiment à de pareilles majorations de crédits.
La chambre a accordé l’année passée, outre le subside ordinaire à la caisse de retraite, une subvention extraordinaire ; mais la chambre n’a pas voulu que cela continuât à perpétuité.
Si telle avait été son intention, elle n’aurait pas fait deux chiffres séparés de ces deux subventions, elle les aurait réunir en une seule allocation. Le chiffre de 180,000 fr. accordé au budget de l’année dernière porte le titre de subvention extraordinaire.
Les recommandations données tant de fois dans cette enceinte au gouvernement pour qu’il fît cesser les abus qu’on signale ont-elles été écoutées par M. le ministre des finances ?
Non, messieurs ; car naguère encore on a accordé des pensions de 7, 8, 9 et 10,000 fr. Qui est-ce qui paie ces pensions ? En définitive c’est le trésor public, puisque l’on demande au budget des dotations une subvention de 380,000 fr. Comme c’est le trésor public qui est forcé de payer ces pensions, du moins qu’elles subissent les conditions imposées à toutes les pensions à charge du trésor, qu’elles ne puissent en aucun cas dépasser le chiffre de 6,000 fr.
Comment, le président de la cour de cassation, le premier fonctionnaire de l’ordre judiciaire, le procureur-général de cette cour, son égal en rang, auront exercé pendant 50 ans ces hautes et honorables fonctions, et lorsque le grand âge aura déterminé leur retraite, ils n’auront droit qu’à une pension de 6,000 fr., tandis que nous verrions un simple receveur des hypothèques toucher une pension de 10,000 fr.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Vous ne tenez pas compte des retenues.
M. Dumortier. - Les retenues opérées sur les traitements des fonctionnaires de l’ordre financier ne doivent influer en rien sur le chiffre de leurs pensions. Elles ne servent qu’à assurer à leurs veuves et à leurs orphelins la réversion de la pension à laquelle ils ont eu droit.
Je le répète, il est scandaleux de voir qu’un des premiers fonctionnaires de l’Etat n’ait droit qu’à 6,000 francs de pension, tandis qu’un simple receveur communal, qui peut être tout aussi recommandable, j’en conviens, mais qui est un employé d’un ordre inférieur, recevra près du double de ce chiffre. Cela est un abus réel. Puisque c’est le trésor qui paie la pension de ces fonctionnaires, qu’ils se soumettent à la loi des pensions à charge de l’Etat, à la disposition qui veut que dans aucun cas ces pensions ne puissent dépasser le chiffre de 6,000 fr.
Maintenant, messieurs, je me demande si en droit nous devons la somme considérable que l’on sollicite au budget en discussion.
Non, messieurs, le trésor n’est pas redevable d’une pareille somme ; vous savez comme moi que sous le roi Guillaume, en vertu de la loi qui a institué la caisse de retraite, le syndicat pouvait donner au plus à cette caisse une somme de 60,000 fl. par an. Cette subvention ne pouvait dans aucun cas aller au-delà, mais pouvait être inférieure.
Remarquez que cette somme de 60,000 florins était donnée à la caisse de retraite des Pays-Bas. Ces 60,000 florins étaient donc alloués pour tout un royaume, dont le nôtre ne compose plus que la moitié. Supposons un moment que nous soyons liés par cet arrêté du roi Guillaume. Que devrait la Belgique à la caisse de retraite ? la moitié de la somme, 30,000 florins seulement. Une fois que vous payez cette somme, la caisse de retraire ne peut plus sainement rien exiger de vous. Je ne dis pas qu’elle pourrait exiger cette somme en droit, mais en équité du moins.
Aujourd’hui on vous demande pour la caisse de retraite 380,000 fr., c’est-à-dire 320 de plus que ce que vous devriez payer.
D’où vient ce déficit dans la caisse de retraite dont a parle M. le ministre des finances ? il provient des abus sans nombre qui se sont passés dans la collation des pensions.
J’ai signalé tout à l’heure ceux qui sont relatifs à l’augmentation du chiffre des pensions. Il en est d’un autre genre qui sont plus scandaleux encore. Il y a dans l’arrêté-loi de 1824 une disposition très salutaire à mon avis que l’on n’aurait jamais dû perdre de vue, qui porte que nul n’a droit à la retraite, s’il n’est dans une incapacité absolue de continuer son service.
Si cette disposition avait été fidèlement observée, vous ne verriez pas le total des pensions du département des finances monter à un chiffre aussi élevé, et l’on ne viendrait pas vous demander 380,000 fr. pour subvention à la caisse de retraite. Qu’a-t-on fait depuis la révolution ? L’on a accordé des pensions à des fonctionnaires valides ou invalides sans distinction. La chose en est venue à ce point au département des finances que quand un employé a accompli le nombre d’années de service qui constitue un droit à la pension, il se fait délivrer un certificat de maladie, et presque toujours il obtient une pension qu’il cumule avec un autre traitement.
Vous donc deux budgets des finances ; un budget pour les personnes qui travaillent et un budget pour celles qui ne travaillent pas. C’est un véritable abus. Si M. le ministre des finances, dont je connais les bonnes intentions et la bonne volonté, se faisait présenter toutes les personnes qui ont obtenu des pensions et disait à chacune d’elles : « Monsieur, vous êtes valide et capable de travailler, vous rentrerez en fonction ou vous ne toucherez plus votre pension, » ce moyen amènerait une économie notable dans le chiffre de 380,000 francs. Beaucoup d’entre les personnes qui reçoivent aujourd’hui une pension, ne seraient pas fâchées de reprendre leurs fonctions. Quant à celles qui s’y refuseraient, l’Etat ne leur doit rien.
Il ne faut pas que les pensions deviennent un droit acquis après tant d’années de service. Il faut n’accorder de pensions qu’aux fonctionnaires qui sont dans l’impossibilité de continuer leur service, qui ont blanchi sous le travail. Si la rigueur que j’aurais voulu voir apporter dans la collation des pensions avait guidé les ministres, nous n’aurions pas vu les pensions militaires s’accroître depuis la révolution de 500,000 francs et les pensions de l’ordre financier exiger une subvention annuelle de 380,000 francs. Si le gouvernement continue comme il l’a fait jusqu’à ce jour à accorder des pensions aux personnes valides, il est incontestable que le chiffre des pensions ira toujours croissant. Alors vous aurez un chancre dans le trésor public comme cela a existé sous le roi Guillaume.
Je sais que l’on peut répondre qu’à la suite de la révolution l’on a dû opérer des réformes dans le département des finances et que l’on a dû pensionner les fonctionnaires que leurs opinions politiques ou leur conduire sous l’ancien gouvernement avaient rendus odieux. Le gouvernement provisoire a bien fait en agissant ainsi. Mais le nombre des pensions qu’il a fallu accorder de ce chef s’est élevé à un chiffre peu considérable. Puis beaucoup de ces fonctionnaires se sont singulièrement amendés. Il en est de très peu que l’on ne puisse remplacer surtout en fixant leur résidence dans des localités où ils n’ont jamais exercé leurs fonctions. Vous ferez ainsi un acte à la fois utile à eux-mêmes et au trésor public.
Je maintiens que nous devons nous borner à adopter la subvention ordinaire telle qu’elle a été votée l’an dernier. Nous mettrons ainsi le gouvernement dans la nécessité de faire de cet objet le but de ses méditations.
Sous le ministère actuel, la plupart des pensions ont atteint un chiffre fort élevé. Une cinquantaine de pensions ont été conférées depuis que le ministre actuel des finances est aux affaires. Au-delà de la moitié de ce nombre dépasse 500 fr.
Il y en a 23 qui sont de 500 fr.
6 de 700 à 1,000 fr.
1 de 1,500 à 2,000 fr.
5 de 2,000 à 3,000 fr.
1 de 5,000 à 6,000 fr.
Voilà, messieurs, les pensions que l’on accorde aujourd’hui. Mais, à voir le taux de ces pensions, on se demande quels sont les traitements des fonctionnaires du département des finances dans un pays où un conseiller de cour d’appel n’a que 3,000 francs, un gouverneur de province que 15,000. Et nous voyons des personnes qui, pour ne rien faire, touchent 6, 8 et 10 mille francs par an.
Proportionnez donc les pensions aux services rendus à chacun suivant ses œuvres. Mais n’allez pas accorder des pensions énormes à ceux qui ne font rien.
L’Etat ne doit que le nécessaire à celui qui a cessé ses services. Il en est de même des femmes qui se séparent de leurs maris. Ceux-ci ne leur doivent que du pain, dit le code civil. L’Etat ne doit que du pain au fonctionnaire qui se sépare de lui. (Hilarité que partage l’orateur lui-même.)
Vous trouverez, comme moi, qu’il y a abus réel dans la collation des pensions du ministère des finances. C’est un scandale de voir des personnes qui ne font rien mieux rétribuées que celles qui travaillent. Il est nécessaire d’apporter une réforme à tout ceci. Je ne voterai que le chiffre proposé par la section centrale et j’ajournerai tout autre proposition jusqu’à la révision de la loi des pensions.
Cette révision pourra avoir lieu dans le courant de l’année, lorsque nous aurons terminé la loi communale et le rapport sur la banque ; nous pourrons nous occuper de cette loi et la terminer en quelques séances. C’est alors que nous verrons s’il y a lieu d’augmenter le crédit actuel. Si cette augmentation est justifiée, nous l’accueillerons. Mais nous prendrons des mesures pour réprimer les abus du présent comme du passé ; car je ne suis pas de l’avis de M. le ministre des finances qui veut sanctionner les abus commis dans la collation des pensions. Il faut porter la hache dans cette partie des charges du trésor. Donnons à chacun ce qui lui revient légitimement et pas plus. Soyons justes ; mais n’accordons de faveur à personne.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Quoique d’honorables orateurs aient demandé la parole, je crois nécessaire de parler avant eux pour répondre à quelques allégations de l’honorable M. Dumortier, et replacer la discussion sur son véritable terrain.
Il faut examiner avant tout et résoudre la question de savoir si les employés des finances sont dans une catégorie de fonctionnaires toute spéciale, bien qu’ils exercent des fonctions extrêmement pénibles, souvent fort désagréables, puisque c’est sur eux que repose le soin de faire rentrer les impôts ; il s’agit de savoir si vous voulez placer ces employés dans une condition plus défavorable que celle des autres employés. Je crois que la justice la plus ordinaire ne permettrait pas de le faire. La loi heureusement vient encore appuyer cette manière de voir.
Je pourrais me borner à citer un article de l’arrêté-loi de 1814 dont je n’ai pas besoin de défendre davantage la force obligatoire. En effet, si le gouvernement n’avait pas suivi dans la collation des pensions les dispositions de cette loi, assurément la législation n’aurait pas accordé les crédits demandés pour assurer le service de ces pensions, et certes vous ne l’auriez jamais fait pour des pensions accordées en vertu d’un arrêté de bon plaisir.
Il me suffirait, dis-je, de citer une disposition de cet arrêté pour prouver que les employés des finances ont été expressément compris dans la mesure générale comme les autres employés.
En effet, je vois dans le deuxième paragraphe de l’article 10 :
« Les remises des receveurs et autres agents comptables seront considérées comme traitement, mais seulement pour les 2/3 de ce qu’un pareil employé aura retiré de ce chef pendant le terme moyen des 3 dernières années de son service. »
Assurément cet article auquel j’ai déjà fait allusion, désigne les employés du département des finances ; car il n’y a d’agents comptables et de receveurs (dans l’administration générale, s’entend) ailleurs que dans le ministère.
Je dis donc que l’arrêté-loi de 1814 reste en vigueur, et qu’il confère un droit à des pensions aux employés du ministère des finances. Cela est trop évident pour que l’on puisse encore soutenir que ces employés n’ont aucun titre à être récompensés de leurs services.
Laissons de côté la caisse de retraite qui ne procure des avantages plus grands aux employés des finances que parce qu’ils s’imposent annuellement une retenue considérable sur leurs appointements. Si vous signalez le chiffre élevé de la pension que touche un receveur, faites attention que cette pension élevée est le résultat d’une retenue très forte faite sur son traitement ; n’oubliez pas qu’il a remis à la caisse de retraite chaque année 5 p. c. de ses appointements et que ce sacrifice doit lui valoir quelque chose. L’institution de la caisse de retraite est une charge que les employés se sont imposée pour jouir de quelques avantages, mais elle ne peut détruire les droits primitifs qu’ils ont à la pension. Laissons, dis-je, de côté la caisse de retraite, et examinons à quoi les employés peuvent prétendre d’après les lois préexistantes. Que voyons-nous ? C’est que, d’après le chiffre que j’ai présenté tantôt, l’Etat devrait 487,695 fr., et que demandons-nous ? Seulement 380,000 fr.
Ainsi, la caisse de retraite, loin d’être une charge pour le trésor, comme on se plaît à la représenter, vient au contraire chaque année à sa décharge pour une somme notable, pour une somme de près de 100,000 fr. Du moment que l’on met de côté l’institution de la caisse de retraite, et que l’on place les employés du département des finances dans la même situation que les autres employés, l’on voit que le trésor aurait 100,000 fr. de plus à payer.
L’honorable M. Dumortier a tiré quelques conséquences très inexactes du raisonnement que j’avais présenté. Il s’est élevé contre les pensions qui dépassent le chiffre de 6,000 fr., prétendant que dans aucun cas l’on ne pourrait accorder des pensions excédant ce taux. Il y a là une grande erreur. Je le prierai de vouloir bien remarquer que quand je l’ai interrompu je voulais lui démontrer son erreur en lui lisant l’article 9 de la loi de 1814 :
« La pension d’un employé qui a servi 40 ans et au-delà, peut aller aux deux tiers du traitement dont il a joui pendant le terme moyen des 3 dernière années de son service. »
Ainsi le fonctionnaire qui aura joui d’un traitement de 18,000 fr. peut avoir droit à une pension de 12,000 fr. Il en serait de même pour un fonctionnaire de l’ordre judiciaire.
Je rappellerai à cette occasion que l’honorable M. H. de Brouckere qui avait avancé la même allégation que l’honorable M. Dumortier, a reconnu lui-même son erreur, lorsque je lui citai cet article 9, et déclara que j’avais interprété cet article comme il devait l’être.
L’honorable M. Dumortier, pour exciter davantage au rejet de l’allocation demandée, est venu rappeler les pensions militaires. Il a entamé de nouveau une question qui avait été résolue par le vote de l’allocation demandée. Je suis charmé qu’il soit revenu sur ce point. Son insistance me fournira l’occasion de produire à l’assemblée un renseignement très favorable à l’administration de mon honorable collègue.
Je me suis assuré que, depuis 1833, 1106 pensions militaires ont été conférées par le département de la guerre ; mais, sur ces 1106 pensions, il y en a 961 qui ont été accordées à des soldats. Lorsque l’on rappelle le nombre exorbitant des pensions, très souvent on ne se rend pas compte des éléments de ce nombre. Si on avait su ce que je viens de dire, certainement on se serait bien gardé de faire un crime au ministre de la guerre de l’élévation du nombre des pensions.
Il y a d’ailleurs un autre fait à considérer. Si l’accroissement du nombre des pensions militaires paraît considérable, c’est que, jusqu’en 1833, on n’avait conféré aucune retraite définitive. Le département de la guerre payait aux soldats atteints de cécité par suite de l’ophtalmie des traitements provisoires sur les allocations de son budget. Ces ophtalmistes, au nombre de 961, pour lesquels tout espoir de recouvrer la vue est entièrement perdu, ont été admis définitivement à la pension.
Vous voyez ainsi, messieurs, que le nombre total des pensions militaires accordées aux officiers, n’est que de 145, ce qui réduit singulièrement l’énormité du chiffre signalée par quelques membres de cette assemblée.
Il faut avoir des considérations analogues pour les pensions du département des finances. Beaucoup de fonctionnaires remis en fonctions ou qui se trouvaient réemployés ont dû être mis à la retraite par différents motifs inhérents aux circonstances mêmes, motifs qui ne se renouvelleront plus, attendu que les exigences politiques ne doivent plus se reproduire.
Messieurs, je reviendrai très brièvement sur la légalité de la loi de 1814 et sur cette considération que l’institution de la caisse de retraite ne doit pas préjudicier à la position des employés des finances, attendu que cette institution leur impose un sacrifice annuel très considérable.
La preuve que l’institution de la caisse de retraite n’a pas pu empirer la condition des employés des finances, c’est qu’avant que cette institution existât, de 1814 à 1822, il a été conféré des pensions à des fonctionnaires de ce département. Ces pensions ont été mises à la charge du trésor. Je dirai en passant qu’il n’est pas juste de comparer le chiffre des pensions accordées depuis la révolution avec celui des pensions conférées sous le roi Guillaume, comme l’a fait l’honorable M. Dumortier. Le chiffre qu’il a cité n’embrasse qu’une période de 8 années, depuis 1822 jusqu’en 1830. Dans ce chiffre ne sont pas comprises les pensions accordées depuis 1814 jusqu’en 1822.
Il résulte de tout ceci que les employés des finances ont des droits à des pensions à charge du trésor, comme les autres fonctionnaires de l’Etat, et que la caisse de retraite n’a été instituée que pour améliorer leur position.
Pour mon compte, je désirerais qu’il fût décidé, une fois pour toutes, si les fonctionnaires du département des finances doivent être rangés dans une condition plus défavorable que celle des autres employés et fonctionnaires à qui l’on accorde gratuitement des pensions et qui pourtant n’exercent pas des fonctions très désagréables, qui exigent des forces physiques, bien vite épuisées par la nature même de leurs pénibles travaux.
Les impôts sont un mal, mais un mal nécessaire ; ceux qui sont chargés de l’exécution des lois qui en établissent la perception sont toujours, quoique remplissant les volontés du législateur, mal vus des contribuables, c’est-à-dire de la généralité des habitants ; ils sont par là assujettis, tout en remplissant leurs devoirs, à bien des désagréments que n’éprouvent pas d’autres fonctionnaires. Le juge, par exemple, qui remplit ses devoirs, qui applique la loi, n’est pas exposé aux récriminations qui s’élèvent contre les agents du département des finances qui appliquent aussi les lois qui concernent leurs attributions. En considération de tout cela, il n’y aurait rien que de très équitable, si proportionnellement les traitements et les pensions de ces derniers étaient plus élevés que ceux des fonctionnaires qui sont appelée à rendre des services physiquement et moralement moins pénibles.
M. Duvivier. - Une partie des observations que je me proposais de faire ayant été présentées par M. le ministre des finances, il ne me reste que peu de choses à ajouter.
Comme vient de le dire M. le ministre, c’est une erreur de penser que les fonctionnaires civils ne peuvent pas avoir de pension supérieure au maximum de 6 mille francs.
Je ferai observer qu’il y a deux catégories distinctes de pensions. Les uns s’accordent à des fonctionnaires qui ont 60 ans d’âge et 30 ans de service. Les pensions de cette catégorie excédant 6,000 fr. sont ramenées à ce chiffre de 6,000 fr., d’après une disposition de l’arrêté de 1814. Mais si le fonctionnaire a 60 ans d’âge et 40 ans de fonctions, il peut avoir jusqu’aux deux tiers de son traitement quelque peu élevé qu’il soit. Nous en avons eu un exemple récent ; un honorable gouverneur qui a été retraité par suite des changements faits il y a dix-huit mois dans les gouvernements de province, a reçu une pension qui excède 10 mille francs, parce que ce gouverneur qui est des doyens des fonctionnaires, et qui a été retraité à cause de son grand âge, avait plus de 40 ans de fonctions et plus de 70 ans d’âge.
Aussi, quand on s’est récrié qu’un premier président, un magistrat de premier ordre, si on lui donnait sa retraite après 50 ans de service dans la magistrature, n’aurait qu’une pension de 6,000 fr., on s’est trompé. Le magistrat auquel on a fait allusion, et qui a, je crois, un traitement de 14 ou 15,000 francs, après 50 ans de service, aurait au moins une pension de 12 à 13 mille francs. Ainsi, l’arrêté de 1814 n’empêche pas d’accorder une pension de plus de 6,000 fr. à un fonctionnaire ayant 60 ans d’âge et 40 ans de fonctions publiques.
Il est à regretter que cette question soit maintenant agitée ; j’avais envie de faire la motion de l’ajourner. Vous avez sagement agi à l’égard des traitements d’attente. Vous avez alloué le chiffre en disant qu’on discuterait la question du fond quand on serait saisi du rapport qui doit être fait.
Je pense que la discussion de la question qui nous occupe est également intempestive ; car vous n’êtes pas nanti des rapports de la commission de révision en qui vous avez toute confiance, et qui par suite de circonstances extraordinaires n’a pas pu encore terminer son travail. Ce n’est que quand vous aurez ce travail que vous pourrez aborder sainement cette question.
J’ajouterai que la première fois que le ministre des finances a pris la parole dans cette discussion, il a communiqué à la chambre des pièces de la plus haute importance présentant des comparaisons et des rapprochements très lumineux. Ces pièces seront imprimées au Moniteur.
Je pense que chacun de vous devrait avoir le temps de les méditer avant de résoudre la question dont on s’occupe d’une manière intempestive.
Si on voulait continuer la discussion, je me réserverais de reprendre la parole, attendu que j’ai une foule d’observations à faire. Mais je crois que la chambre ne s’occupera que du chiffre du budget, et remettra la discussion au fond jusqu’au moment où le rapport nous aura été remis. Nous pourrons ainsi examiner, avec attention, les différents renseignements qui nous ont été communiqués par le ministre des finances.
Je le répète, je me réserve de présenter mes observations sur le fond si la discussion continue.
M. Jullien. - Messieurs, la question des pensions de la caisse de retraite est encore une de ces questions graves qui reviennent tous les ans à la discussion du budget, et qui reviendront tous les ans aussi longtemps qu’on n’aura pas fait justice, et justice complète. En matière d’obligations, il n’y a que deux manières de résoudre une question, il faut ou reconnaître ou rejeter. Les pensions de retraite sont précisément dans ce cas. Vous vous rappellerez qu’il y a un an et il y a deux ans, quand cette question s’est présentée, on est entré dans de longs développements sur l’origine de la caisse des retraites.
Prenant égard à ce que vient de dire l’honorable préopinant, je ne dirai que peu de mots sur le fond.
La caisse de retraite doit son origine aux lois françaises. Pendant tout le temps que la Belgique est restés sous la domination de la France, tous les employés belges ont versé dans la caisse de retraite une partie de leur traitement. Mais comme ils ne pouvaient avoir droit à la pension que la caisse devait leur accorder qu’au bout de 20 ans de service, et que la Belgique a été séparée de la France 20 ans après y avoir été réunie, la caisse de retraite, en ce qui concernait les employés belges, se trouvait très riche au moment de la séparation.
Sous le gouvernement des Pays-Bas, lorsqu’il s’est agi d’après le traité d’avril 1815, de régler les droits des créanciers belges à la charge de la France, le gouvernement français a versé dans la caisse du royaume des Pays-Bas ce qui était dû aux employés belges qui avaient alimenté la caisse de retraite pendant 20 ans, et n’en avaient rien retiré ou n’en avaient retiré que très peu de chose, puisqu’ils n’avaient pas atteint les 30 années de service nécessaires pour avoir droit à la pension.
La caisse de retraite était donc riche. Le gouvernement des Pays-Bas l’a administrée à sa manière ; il s’est emparé des fonds, les a versés dans la caisse du syndicat et a accordé sur ces fonds diverses pensions à différents fonctionnaires.
Mais, en définitive, la somme versée par le gouvernement français dans la caisse du royaume des Pays-Bas était la propriété des employés, puisqu’elle était le résultat de retenues faites sur leurs appointements. C’était leur chose, leur propriété. Ce serait une souveraine injustice que de les en dépouiller maintenant.
Quand on a demandé un supplément de crédit pour la caisse de retraite, c’est parce que le gouvernement avait disposé des fonds de cette caisse d’une manière arbitraire et qu’il s’était mis dans une position à ne pas pouvoir représenter à la caisse de retraite les fonds qu’il en avait reçus.
Le gouvernement ne faisait donc, en demandant un supplément pour la caisse de retraite, que se mettre en mesure de rendre à cette caisse ce qu’il en avait reçu, ce qu’il lui devait.
C’est dans cette position qu’on se trouve encore aujourd’hui. Quand on dit que la question a été résolue, on se trompe. Elle ne l’a été ni affirmativement ni négativement. Elle a été débattue comme aujourd’hui, mais elle n’a pas été résolue. Elle est restée entière, et elle restera ainsi aussi longtemps qu’on ne statuera pas sur les pensions par la loi qui doit être soumise à la chambre.
En attendant cette loi, que reste-t-il à faire ? A déterminer la quotité du subside nécessaire pour payer les pensions dues aux titulaires. Le chiffre demandé par le ministre des finances ne me paraît être que l’expression du besoin. Si ce subside est nécessaire pour que tous les pensionnaires soient payés, je ne vois pas pourquoi, quand vous laissez les choses entières, vous ne l’accorderiez pas. Car toutes les pensions sont dues ou du moins censées dues jusqu’au moment où la révision sera faite.
Je vous prie de songer que si vous accordiez une somme moindre que celle qui est nécessaire pour payer toutes les pensions, les riches pensions seraient payées, tandis qu’une foule de petites pensions ne le seraient pas. Je connais dans ma province d’anciens fonctionnaires, d’anciens receveurs ayant des pensions de sept ou huit cents francs qui ne sont pas payées. Depuis trois ans ces malheureux réclament inutilement. On a droit de leur répondre : L’allocation est insuffisante, il faut que le déficit tombe sur quelqu’un.
Pour être juste, messieurs, il faut accorder exactement la somme dont le gouvernement a besoin pour payer toutes les pensions.
On s’est récrié contre les pensions accordées en vertu de l’arrêté-loi de 1814. Elles sont toutes illégales, s’est écrié un honorable membre. La constitution ne permet d’accorder aucune pension qu’en vertu d’une loi. Argumentant des dispositions de la constitution, il prétend que si ce n’est pas par une loi que des pensions ont été conférées à tel ou tel fonctionnaire, les pensions sont illégales.
Je n’admets pas ce raisonnement.
Dès l’instant que vous admettez que l’arrêté de 1814 a déterminé les cas dans lesquels on pourrait avoir droit à une pension et le mode d’après lequel cette pension devrait être accordée, il faut qu’il reçoive son application. Dès l’instant qu’il existe une loi qui détermine les cas dans lesquels on aura droit à une pension, cette loi doit être exécutée toutes les fois que les cas qu’elle détermine se présentent ; aussi longtemps que ces cas se présenteront et que vous n’aurez pas une nouvelle loi pour régler d’une autre manière la collation des pensions, cette loi devra être suivie. Autrement, il faudrait dire qu’il s’est ouvert depuis la publication de la constitution des droits à des pensions qui ne pouvaient pas être liquidées.
En définitive, messieurs, je crois que jusqu’à la révision des pensions, il est juste d’accorder les fonds nécessaires pour payer celles qui jusqu’à présent ont été reconnues en vertu des lois existantes ; et c’est aussi pour le chiffre demandé que je me réserve de voter.
M. Dubus. - Cette question, s’il s’agit de la discuter à l’instant au fond, présente de graves difficultés. Il me paraît certes à moi que le parti proposé par la section centrale n’en devait pas présenter, puisqu’il écartait, quant à présent, le subside supplémentaire réclamé par le ministre, et qu’elle lui accordât le subside ordinaire de la caisse des retraites. Ce que la chambre ferait de cette manière, elle l’a déjà fait, notamment dans la session de 1833.
Je rappelle cette époque, parce qu’alors la question avait été examinée par une commission nommée spécialement par la chambre ; que cette commission avait fait un rapport par l’organe de M. Liedts ; et que sur les conclusions de cette commission, la chambre a pris une décision dont les conséquences nous conduiraient à écarter tout à fait la proposition actuelle.
Alors on recommandait deux choses relativement à la caisse des retraites pour l’exercice 1832. On demandait un supplément de subsides, à peu près le même que celui qu’on demande aujourd’hui (185,000 fr.).
Au budget de 1832, il avait été voté par la chambre environ 200,000 fr. ; on venait lui exposer que ce crédit avait été insuffisant, parce qu’on n’avait pas pu élever les retenues au taux que l’on avait présumé. On avait promis en effet que la retenue serait élevée de manière qu’un subside de 200,000 fr. serait suffisant ; et la chambre confiante dans la promesse du ministre, vota l’allocation. Mais il est arrivé que les administrateurs n’ayant pas voulu élever la retenue, il y a eu déficit.
C’est pourquoi on a demandé 185,000 fr. de supplément pour combler ce déficit en 1832.
Après examen approfondi, voici les conclusions de la commission spéciale.
Elle proposait d’allouer les 185,000 fr., mais seulement à titre d’avance, et d’en exiger le remboursement par cinquième, d’année en année ; de sorte que bien loin d’avoir droit à un subside, la caisse de retraite est débitrice.
Cette proposition a été convertie en loi, c’est la loi du 10 juillet 1833. Et je crois que M. le ministre est tenu de la faire exécuter, comme toutes les autres, et par conséquent de faire les retenues d’un cinquième. Voilà la décision prise par la chambre dans sa session de 1833. Peu après elle en a pris une autre. C’est la loi du 7 octobre 1833. Là il s’agit de déterminer la subvention ou le subside pour l’année courante.
La chambre n’a accordé que, comme en 1832, une subvention de 200,000 fr. ; et en les accordant, elle a ajouté cette condition, que le gouvernement satisferait à tous les besoins de la caisse des retraites. La condition est passée en loi.
Voilà donc les décisions de la chambre, assez formelles, au moins pour les exercices 1832 et 1833.
Mais comme je le disais dans une occasion précédente, il n’y a pas chose jugée lorsque la chambre rejette les augmentations de crédit, et on revient incessamment à la charge. On était venu deux fois à la charge dans la session de 1832 ; on est venu à la charge aussi dans la session de 1834. A cette dernier époque la chambre a accordé quelque chose de plus que les 200,000 fr. ; elle a accordé une subvention extraordinaire de 50,000 fr.
En 1835, on a remis la même proposition sur le tapis ; elle a été rejetée par deux votes successifs ; on l’a reproduire une troisième fois, en la modifiant en ce sens, que c’était à titre d’avance sur les fonds de la caisse des retraites qui se trouvaient en Hollande.
Cette troisième fois, on a obtenu au budget de 1835, la subvention extraordinaire de 185,000 fr.
La section centrale propose maintenant d’écarter la subvention jusqu’à plus ample informé. En effet, il y a deux ans que l’on est en demeure de fournir à la chambre les documents indispensables pour apprécier la question du chiffre. Cette considération seule doit déterminer la chambre à adopter les conclusions de la section centrale.
Indépendamment de cette considération, il paraît résulter des faits communiqués qu’il y a abus véritable dans la distribution des pensions. Je ne reviendrai pas sur ces faits, ils ont été signalés tout à l’heure par mon honorable ami.
Toutefois, je m’étonne que l’on présente come incontestable l’arrêté-loi de 1814, comme étant la règle qu’il faut appliquer relativement aux pensions : tout au moins cela fait question. Cette question a été soulevée, elle a été débattue dans le rapport que j’ai cité il y a un moment, et il ne faut pas s’empresser de la résoudre.
Comme on vous l’a dit, messieurs, l’institution de la caisse des retraites est soumise à un mode tout spécial qui a été appliqué aux finances, tandis que l’arrêté de 1814 a été fait pour les employés civils.
Faut-il, dans cette expression, « employés civils, » comprendre les employés des finances ? Voilà une première question. Quand à moi, j’ai tout au moins des doutes à cet égard, quand je considère que le roi Guillaume a fait trois arrêtés différents ; l’un du mois de septembre 1814, pour les pensions des employés civils ; un autre pour les pensions militaires, un autre aussi pour la caisse des retraites, laquelle caisse ne s’appliquait alors qu’aux employés des domaines ; ainsi, elle ne rentre pas dans l’arrêté de 1814, et forme une institution tout à fait différente.
Cette caisse des retraites a été étendue, par des arrêtés subséquents de 1817 et 1822, à tous les employés des finances.
Maintenant, si l’on venait dire : par ces arrêtés de 1817 et 1822 le roi Guillaume n’a pas cru accorder aux employés des finances des pensions plus fortes qu’ils n’auraient eu en vertu des arrêtés antérieurs à la constitution, parce qu’il ne pouvait faire de sa propre autorité une loi sur les pensions, je comprendrais l’argument. Mais lorsqu’on vient dire ; Nous, employés des finances, nous avons droit de sortir de la pension que nous fait l’arrêté de 1822 pour entrer dans la pension que nous fait l’arrêté de 1814, parce que nous y trouvons profit, je crois que la question n’est plus la même et qu’il y a lieu à examen.
Les employés des finances ont été revêtus de leurs fonctions avec la perspective que leur faisait l’arrêté de 1822 ; ils savaient qu’ils jouiraient comme employés des finances de traitements plus forts que dans les autres administrations ; mais ils savaient aussi qu’ils devaient alimenter une caisse de retraites pour servir leurs pensions ; ils savaient encore que la subvention serait limitée à la somme de 30,000 francs. Ils connaissaient donc l’institution de la caisse des retraites, ses ressources et ses charges. Maintenant, c’est sur le trésor qu’on veut faire peser toutes les charges de la caisse des retraites.
Au lieu d’une subvention, dont le maximum avait été fixé par le règlement de 1832 à 30,000 florins, on vient nous demander une subvention de 200,000 fr. Comparez cette somme à celle de 30,000 florins qui avait été déterminée comme maximum par le règlement de 1822.
Il est impossible que le ministre soit admis à dire : Nous voulons pour la caisse de retraite l’exécution de l’arrêté-loi de 1814.
On ne peut sauter ainsi à son gré d’une branche sur une autre, d’un règlement à un autre, selon le profit qu’on y trouve : les privilèges de la caisse de retraite sont d’ailleurs formulés dans une loi du 2 floréal an V, et d’après les principes qui étaient en vigueur sous les gouvernement français, nulle pension de retraite ne pouvait excéder la moitié du traitement ; en outre on attendait qu’une pension fût devenue vacance pour en accorder une nouvelle, à moins que la situation de la caisse ne permît de créer une nouvelle pension, parce qu’il était reçu que la caisse de retraite devait se suffire à elle-même. Ces principes sont posés dans des lois antérieures à 1814, et on les a rétablis dans le règlement de 1822 avec cette seule modification que l’Etat pourrait subvenir jusqu’à concurrence de 30,000 florins.
Maintenant quels sont les sacrifices que nous faisons à la caisse de retraite ? d’abord, à titre de subventions à cette caisse, une somme de 200,000 fr. La section centrale vous propose d’accorder ces 200,000 fr. indépendamment de ces 200,000 fr., la caisse des retraites reçoit d’autres produits qui lui sont attribués par le règlement de 1822 et des règlements postérieurs, et qui sans cela entreraient dans la caisse de l’Etat ; il y a notamment une partie des amendes attribués à la caisse des retraites.
Souvenez-vous, messieurs, de l’argument qu’un orateur a fait valoir : on disait que vous deviez consentir pour l’administration des finances a des traitements plus élevés, attendu que les retenues sur ces traitements alimentaient une caisse des retraites.
Eh bien ! il se trouve que c’est le trésor de l’Etat qui alimente la caisse des retraites ; on vient vous demander pour cette caisse 380,000 fr., indépendamment du produit des amendes qui lui était attribué.
Quant aux chiffres que M. le ministre des finances a présentés, je déclare qu’il m’a été impossible de les saisir, et par conséquent je ne pourrai les rencontrer, mais je ferai une observation relative à ce qu’a dit tout à l’heure un honorable préopinant député de Soignies ; selon lui, la discussion actuelle est intempestive ; et il en a donné ce motif que la chambre, pour se prononcer, a besoin d’être mise à même de lire le rapport de la commission et d’examiner les considérations et les chiffres qui lui ont été soumis par M. le ministre des finances.
Mais si la discussion est intempestive, la demande de crédit est intempestive, car si l’on ne peut pas discuter, à coup sûr on ne peut pas allouer ; il est impossible d’accorder le crédit demandé alors que l’on ne peut pas apprécier les raisons sur lesquelles est fondée cette demande ; cela justifie la proposition de la section centrale d’écarter le crédit, sauf à y revenir lorsque nous aurons pu apprécier les documents sur lesquels est basée cette demande. Je crois donc pouvoir m’appuyer ici de l’argument qu’a fait valoir l’honorable membre.
Tout au moins la chambre devrait-elle se réserver d’examiner d’ici au second vote les chiffres qu’a présentés M. le ministre des finances et que nous trouverons demain dans le Moniteur. Dans cette position, je ne puis qu’appuyer la proposition d’ajournement faite par la section centrale ; c’est dans ce sens que je voterai.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - L’honorable M. Dubus a principalement basé son argumentation sur deux points. D’abord il pense que l’ajournement est la chose la plus utile et la plus convenable que nous puissions faire. Il nous renvoie ensuite à ce qui a été inséré au budget de 1833, loi par laquelle il était prêté à la caisse des retraites une somme qui devrait être remboursée maintenant par cette caisse au trésor public.
En ce qui concerne l’ajournement, si je ne suis pas d’accord avec le préopinant dans ce sens que c’est la chose la plus utile, je conviens au moins que c’est la chose la plus commode. Mais ce système commode que nous suivons peut-être trop fréquemment laisse une foule de questions à résoudre ; nous accumulons ainsi toutes les difficultés ou plutôt nous reculons devant elles, au lieu de les trancher immédiatement.
Je comprendrais la proposition d’ajournement, si le crédit demandé pouvait être abusivement employé. Mais il n’en est pas ainsi.
Permettez-moi un simple rapprochement de chiffres, et vous serez convaincus que bien loin que le chiffre des pensions du département des finances soit exorbitant, il est moins élevé que le chiffre des pensions des autres services publics, et que bien loin par conséquent d’avoir à vous élever contre le chiffre de ces pensions, vous devez applaudir à la situation des choses relativement aux pensions du département des finances.
Ainsi les pensions ecclésiastiques s’élèvent à la somme de 854,000 fr.
M. Desmet. - Ce ne sont pas des pensions, ce sont des indemnités.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Je vous demande pardon ; s’il y a dans le nombre des pensions tiercées, il y en a aussi d’autres qui ont été conférées sous le titre de pensions de retraite.
Au reste, parce que je cite ce chiffre, je suis loin de dire qu’il est trop élevé, qu’il est injustement accordé. Mais je puis bien sans doute comparer entre eux le chiffre des diverses natures de pensions qui sont également accordées équitablement.
Les pensions civiles s’élèvent à 526,000 fr.
Les pensions civiques s’élèvent à 225,000 fr.
Je ne veux établir dans ce dernier chiffre aucune comparaison. Ces pensions sont dans une catégorie à part ; elles sont accordées par la reconnaissance nationale pour services spéciaux rendus au pays, services qui, dans mon opinion, ne peuvent entrer en comparaison avec aucun autre.
Les pensions militaires s’élèvent à 1,520,000 fr.
Et que vous demande-t-on après cela pour le département des finances ? 380,000 fr. ! pour une administration dont le personnel comprend 7,000 individus et dépasse par conséquent de beaucoup celui de toutes les autres administrations civiques réunies, personnel à l’égard duquel il y a en outre une distinction importante à faire, en ce que la majeure partie des fonctionnaires qui le composent sont assujettis à un service actif, fatigant, à des fonctions pénibles qui souvent détruisent leur santé au bout de quelques années ; ce qui obligé d’admettre plus tôt ces fonctionnaires à la retraite que ceux d’autres administrations, où les devoirs sont physiquement plus faciles à remplir.
En présence de semblables considérations que l’on ne saurait méconnaître, loin de se récrier contre la quotité de la somme demandée, on devrait en vérité se féliciter d’avoir une caisse des retraites provenant des retenues faites sur les traitements des fonctionnaires des finances, au profit de leurs veuves et orphelins, et surtout l’on devrait faire attention que les participants aux avantages de cette caisse versent annuellement à ce titre dans la caisse des pensions une somme de 377,603 fr.
En parlant des revenus de la caisse de retraite, on a cité celui provenant de la part des amendes ; mais la somme est très minime, comparativement aux sacrifices annuels des employés puisqu’elle ne s’élève qu’à 30,000 fr. et en effet qu’est-ce que cela en comparaison de 377,605 fr. retenus sur leurs appointements ?
L’honorable M. Dubus, en nous renvoyant à la loi de 1833 qui a fait un prêt à la caisse des retraites, a réclamé l’exécution de cette loi quant au remboursement de la somme prêtée. Messieurs, reportons-nous à cette époque. Alors on supposait que bientôt la caisse des retraites obtiendrait la rentrée des fonds dont a parlé l’honorable député de Bruges, et qu’elle avait par là quelque chose de pouvoir restituer. Aujourd’hui, quelques mesures que vous preniez, ce remboursement serait impossible, à moins que l’on n’applique une retenue de 15 à 20 p. c. sur les traitements des employés, ce qui désorganiserait le service à moins qu’en retranchant ainsi une forte part des appointements d’un côté, l’on augmente immédiatement d’un autre côté le montant actuel des traitements ; or cette manière de procéder ne modifierait en rien le chiffre global du budget.
Les retenues opérées sur les traitements des employés des finances me fournissent l’occasion de dire que ce département est à l’abri du reproche qui lui a été mal à propos adressé en d’autres occasions au sujet de la manière favorable dont les employés les mieux rétribués sont traités comparativement aux petits employés.
En ce qui concerne la contribution à la caisse de retraite, les fonctionnaires jouissant d’un traitement de plus de 1,200 fr. la supportent à raison de 5 p. c. de leur traitement, tandis que ceux qui ont des appointements au-dessous de 1,200 fr. ne paient que 3 p. c.
Cette distinction vous prouvera, messieurs, la louable équité qui dirige sous ce rapport l’administration des finances.
Comment ! s’est-on bien souvent récrié dans cette enceinte, on donne dans le département des finances des pensions de plus de 10,000 fr. ! n’est-ce pas là une véritable dilapidation ? Une seule pension de plus de 10,000 fr., puisqu’elle s’élève à 10,300 fr., a été accordée depuis la révolution à un fonctionnaire des finances ; cela est vrai. Mais réfléchit-on bien à quel fonctionnaire et pourquoi cette pension a été accordée ? Oublie-t-on qu’elle est attribuée à un homme de 64 ans d’âge qui a 37 ans de service dans les grades supérieures de l’administration ; qui, il y a près de 30 ans, remplissait déjà une mission de confiance que lui avait donné le gouvernement d’alors pour aller en Espagne organiser un service au péril de sa vie ; un homme qui depuis 37 ans, je le répète, a rempli des fonctions supérieures dans l’administration des finances, et qui en dernier lieu occupait un des premiers emplois de l’Etat ?
Lorsqu’à son âge, en quittant ses fonctions publiques, il jouit d’une pension de 10,300 fr., peut-on dire que cette pension est trop élevée ? N’est-elle pas très faible au contraire, lorsqu’on considère qu’elle est le prix de longs services rendus au pays, la récompense d’une vie entière consacrée au service de la patrie ?
Messieurs, l’honorable M. Dubus s’est emparé d’un argument de l’honorable M. Duvivier, et il a cru le rétorquer victorieusement contre le vote immédiat du crédit de 380,000 fr. Il faut, disait M. Duvivier, l’examen des pièces pour se fixer définitivement sur la question, pour accorder non seulement les 380,000 fr. demandés, lesquels restent en dessous des besoins, mais pour accorder toute la somme nécessaire. M. Duvivier avait raison ; et si je demandais que l’on modifiât le chiffre de l’année précédente, je comprendrais la proposition d’ajournement. Mais je ne demande que le chiffre provisoire voté l’an dernier ; les choses restent dans le même état que l’année dernière, et dès lors il n’est pas besoin de renseignements nouveaux pour voter un chiffre que vous pourriez au surplus rejeter au second vote, si vous remarquiez des erreurs graves dans les renseignements que j’ai fournis.
M. d'Hoffschmidt, rapporteur, renonce à la parole.
M. le président. - « Art. 4. Subvention à la caisse de retraite : fr. 200,000. »
- Adopté.
La proposition d’ajournement de l’article 5, « crédit supplémentaire, remboursable sur le fonds de la caisse de retraite des employés des finances, retenue en Hollande : fr. 180,000. » est mise aux voix par assis et levé. Une première épreuve est douteuse. L’épreuve est renouvelée ; l’ajournement est prononcé.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - J’y reviendrai au deuxième vote.
- La séance est levée à 4 heures 3/4.
(Moniteur belge n°36, du 5 février 1836) (Séance du soir)
(Présidence de M. Fallon, vice-président.)
M. le président. - La discussion est ouverte sur l’ensemble du projet.
M. de Behr. - Par la loi qui a été portée en 1834, le personnel de la cour de Bruxelles a été augmenté de 3 membres, de sorte que le nombre des conseillers a été porté à 24. On propose maintenant d’augmenter ce personnel de 3 membres, ce qui le porterait à 27 membres.
Si ce nombre était complet, certainement il y aurait possibilité d’établir la troisième chambre civile. Mais il y a quatre places vacantes, et avec l’adjonction de 3 membres, le personnel sera réellement de 23 membres. Eh bien, ce nombre est insuffisant pour former la troisième chambre civile ; car il y a une chambre correctionnelle indépendamment des chambres civiles. Si vous établissez un troisième chambre civile, vous aurez donc 4 chambres, de sorte qu’en attachant 6 membres à chacune d’elles, il faudra au moins 24 membres pour organiser la troisième chambre civile.
Aussi longtemps donc que l’on n’a pas pourvu aux 4 places vacantes, il me semble que le projet ne doit pas être admis, car vous aurez toujours un nombre de conseillers qui ne suffira pas pour former la troisième chambre civile ; et si la cour de Bruxelles n’organise que deux chambres civiles, il est vrai de dire qu’il y aura des conseillers qui ne seront pas occupés. Je crois donc que le projet de loi ne doit pas être admis.
M. Bosquet. - Je conviens que le nombre des membres de la cour de Bruxelles sera momentanément réduit au chiffre de 23 membres jusqu’à ce que les conseils provinciaux aient pu présenter 4 conseillers pour remplir les places vacantes, et que par suite cette cour trouvera peut-être quelques difficultés à faire face au service. Mais il n’est pas exact de dire que la cour de Bruxelles sera dans l’impossibilité de former une troisième chambre civile. En effet, chaque chambre civile est composée de 5 membres. Donc, pour trois chambres civiles, il faudra 15 membres. Si j’ajoute 5 membres pour la chambre de police correctionnelle, je trouve qu’il faut 20 membres seulement ; il reste donc encore 3 membres pour le service des assises.
Je conviens que le service pourra être quelquefois entravé ; mais les 3 chambre pourront être formées, et l’on pourra commencer à faire écouler un grand nombre de causes actuellement à juger à la cour de Bruxelles.
Je pense donc que l’on ne saurait trop se hâter de venir au secours de l’administration de la justice dans le ressort de la cour de Bruxelles.
M. de Behr. - Il est certain que d’après le projet de loi il y aura trop de conseillers pour former 2 chambres civiles et trop peu pour former une troisième chambre civile ; car il faut à chaque chambre au moins 6 membres pour que l’on puisse remplacer les conseillers empêchés : ceux qui se récusent, ceux qui sont malades. Je ne conçois pas un service organisé sans qu’il y ait 6 membres par chambre. Or, trois chambres civiles et une chambre d’appel de police correctionnelle ne peuvent être organisées avec moins de 24 membres. Et je ne parle pas encore des conseillers délégués pour présider les assises à Anvers et à Mons, ni des assises du Brabant dont les sessions sont fort longues.
Il y a donc impossibilité physique d’organiser la troisième chambre civile, tant que l’on n’a pas pourvu aux quatre places vacantes, et jusque-là le projet de loi est inopportun et intempestif.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Lorsqu’une augmentation du personnel de la cour d’appel de Bruxelles a été demandée à la chambre, il a été prouvé dans l’exposé des motifs, par des aperçus de chiffres, qu’il y a nécessité absolue de pourvoir à cette augmentation. Cette nécessité ne peut être contestée ; on ne peut donc pas dire qu’il est inopportun, qu’il est intempestif de combler la lacune qu’il a dans la cour de Bruxelles.
Le nombre des conseillers à nommer peut seul faire question.
Les chiffres prouvent qu’au 15 août 1835 il y avait 830 causes arriérées ; parmi ces causes il y en a qui datent de 4, 5, 8, 10 et même 13 années.
Du 15 août 1835 au 31 janvier 1836, 343 affaires nouvelles ont été portées au rôle.
Je demande, après cela, s’il est nécessaire de venir au secours de la justice.
Je crois que trois conseillers, avec la nomination d’un président et d’un avocat-général, suffiront pour satisfaire au plus pressé. D’après les informations que j’ai prises à la cour de Bruxelles, on pourra, au moyen de cette adjonction, former la troisième chambre civile. Cette chambre ne pourra peut-être pas siéger pendant toute l’année, par exemple pendant que des conseillers seront délégués pour présider les assises ; mais autrement les trois chambres civiles pourront constamment marcher, et ce sera ainsi pendant la plus grande partie de l’année.
Parmi les 20 membres actuels de la cour de Bruxelles, il y en a 4 qui ont été malades pendant une partie de l’année. En supposant que ce malheur ne se renouvelle pas, les trois nouveaux membres aideront à former la troisième chambre civile ; et si ce malheur se présente encore, les nouveaux membres, en faisant le service des assises ou de la chambre correctionnelle, feront qu’au moins les deux chambres civiles siégeront constamment.
Ainsi, de quelque manière qu’on envisage la question, la nomination de conseillers est d’une grande utilité, et l’on ne peut nier la nécessité qu’il y a d’adopter le projet présenté.
L’honorable député de Liége trouve insuffisante l’augmentation de personnel proposée. Mais s’il ne pense pas qu’il suffise de 3 nouveaux conseillers, qu’il proposé une augmentation de 4, de 5 conseillers. (Rires d’approbation.) Voilà ce qu’il serait logique de faire ; car à coup sûr il faut rendre la justice. C’est là le premier des devoirs.
Il y a des réclamations qui sont parvenues au gouvernement et à la chambre. La chambre a renvoyé au ministère celles qu’elle avait reçues. Que peut faire celui-ci ? Il ne peut que demander une augmentation de personnel. Il ne propose pas une dépense trop forte. D’après les informations que j’ai prises, provisoirement 3 conseillers suffiront.
M. Raikem. - Messieurs, le projet de loi soumis à vos délibérations contient des dispositions totalement distinctes, et qui me paraissent devoir faire l’objet de deux projets de loi différents.
De ces dispositions, l’une est relative à l’augmentation du personnel de la cour de Bruxelles, une autre qui est générale et concerne toutes les cours d’appel, s’applique aux traitements des substituts ; cette dernière disposition est applicable au traitement des membres des cours, et nullement à la fixation du personnel.
En ce moment, je ne m’occuperai que de la demande d’augmentation du personnel de la cour d’appel de Bruxelles. Vous avez entendu les observations présentées par l’honorable député de Liége. M. le ministre a cru y répondre ; il ne l’a pas fait. Aussi a-t-il terminé par une invitation que je n’ai, je l’avoue, nullement comprise et qui consiste à dire : « Puisque vous n’êtes pas content d’une augmentation de trois, proposez une augmentation de quatre ou de cinq conseillers. »
M. le ministre de la justice, chargé à la fois de défendre, et ce qui est nécessaire pour que la justice soit rendue, et en même temps les intérêts du trésor, doit savoir lui-même ce qu’il croit nécessaire de proposer la chambre ; et il me semble qu’il n’aurait dû faire à cet égard aucun reproche à un membre de cette chambre lorsqu’il combat sa proposition. Je crois bien que si M. le ministre avait cru nécessaire une augmentation de conseillers il en aurait fait la proposition et n’aurait pas prié un membre de la chambre de la faire.
Voyons sur quoi est fondée la proposition de M. le ministre, sur la nécessité de former trois chambres civiles. Mais, en sus des chambres civiles, il y a une chambre des appels de police correctionnelle, une chambre de mise en accusation. Et la chambre des mises en accusation peut être aussi formée par une des autres chambres,
Dans ce moment, il y a 20 conseillers à la cour de Bruxelles. Si vous les divisez en 4 chambres, vous en aurez 5 à chaque chambre ; or, on vous a démontré l’impossibilité de faire marcher une chambre à laquelle il n’est attaché que cinq conseillers.
Si vous ajoutez à ce personnel 3 conseillers, il ne vous sera pas plus possible de former 4 chambres, puisque vous n’arriverez qu’au nombre de 23 et que 6 membres au moins sont nécessaires pour le service de chacune ; pour 4 chambres il faut un personnel de 24 membres au moins.
Dans cet état de choses, ce qu’il y a de mieux à faire, c’est de voter la loi communale et de hâter ainsi la mise à exécution de la loi provinciale qui permettra de porter à 24 membres le personnel de la cour de Bruxelles.
Tout le monde désire voter le personnel et les fonds nécessaires pour que justice soit rendue dans le ressort de la cour de Bruxelles ; mais il faut aussi que notre vote puisse être efficace ; or on vous a démontré que l’augmentation de personnel proposée ne permettrait pas de former une troisième chambre civile. Il nous faut donc, comme je l’ai dit tout à l’heure, voter la loi communale. Car aussitôt que nous aurons voté cette loi, nous aurons la loi provinciale : alors seront comblées les vacatures existant dans les cours d’appel, et il sera pourvu aux nominations de présidents de tribunaux de première instance, places si nécessaires ; car j’estime que les fonctions de président de tribunal de première instance sont des plus essentielles pour l’administration de la justice, et qu’il est plus difficile à un tribunal de première instance de se passer de président qu’à une cour d’appel de se passer de quelques conseillers.
J’insiste donc pour que la loi communale soit promptement votée. La loi provinciale la suivra immédiatement ; et alors les conseils provinciaux pourront présenter aux places vacantes dans la cour de Bruxelles ; ensuite s’il y a nécessité d’avoir des conseillers de plus pour que justice soit rendue, la chambre s’empressera de voter ce qui sera nécessaire afin d’atteindre ce but.
M. Gendebien. - Je suis étonné d’entendre deux membres de la cour de Liège, l’un venant dire que le nombre de 3 membres de plus dans la cour de Bruxelles étant insuffisant, il ne faut lui en accorder aucun ; car si l’on ne croit pas suffisants la nomination de 3 membres, il faudrait demander qu’il en fût nommé un plus grand nombre ; cette conclusion serait plus logique que celle qui tend à ce qu’il n’y ait aucune nomination ; l’autre, vous tenant à peu près le même langage, conclut à ce que l’on n’augmente pas le nombre des conseillers, mais qu’on se hâte de voter la loi communale, afin d’avoir la loi provinciale.
Je ne sais ce que la loi communale et la loi provinciale ont de commun avec le remède indispensable et urgent qu’on demande pour pourvoir aux besoins du moment de la cour de Bruxelles. Dans mon opinion, la loi communale ne sera mise en activité que dans 2 ans, ou tout au plus dans un an. Faut-il donc différer encore d’une année au moins cette augmentation de personnel ?
De tout ce que j’ai entendu, je suis autorisé à conclure que vous ne voulez pas que la cour de Bruxelles se complète, comme vous ne l’avez pas voulu et peut-être parce que vous ne l’avez pas voulu lors du vote des lois de 1832 et de 1834 ; car les deux membres auxquels je réponds ont reconnu en 1834 la nécessité d’augmenter la cour de Bruxelles. Ils ont refusé le nombre nécessaire pour former une chambre, ils n’ont accorde que trois membres, bien qu’il ait été démontré alors que cette augmentation ne suffisait pas. La cour de Bruxelles demandait une chambre de plus, vous n’avez pas voulu que cette chambre fût formée, bien que la nécessité en eût été démontrée ; vous voyez bien que vous êtes en contradiction avec vous-mêmes. Lorsqu’on demandait une chambre de plus, vous disiez qu’elle n’était pas nécessaire, que trois conseillers de plus devaient suffire ; aujourd’hui qu’on vous demande d’augmenter le personnel de trois membres, voue dites que cette augmentation est insuffisante, qu’il faut créer une chambre de plus, et attendre pour le faire les lois provinciale et communale.
Il ne faut pas de subtilité dans cette question ; car il s’agit de la justice à rendre. On dit (et les préopinants auxquels je réponds l’ont déclaré) : Il faut que justice soit rendue, c’est la première dette de l’Etat ; or, comme la justice ne peut pas se rendre avec le nombre actuel de conseillers, il n’y a que deux manières d’y porter remède : ou d’accorder le strict nécessaire pour diminuer le mal, ou de compléter la cour pour le faire disparaître entièrement et de suite.
Que l’on propose une augmentation de 7 membres pour compléter la cour d’une chambre de plus. Je ne manquerai pas d’appuyer cette proposition. Je serais le premier à la faire, si je ne craignais que la chambre hésitât à l’adopter. Mais en attendant que vous fassiez le mieux, faites au moins le nécessaire. Il y a rigoureuse nécessité de se prononcer immédiatement : pour le prouver, je ne ferai que reproduire les chiffres avancés par le procureur-général près la cour de Bruxelles en octobre dernier. Veuillez faire attention à ces chiffres, et vous reconnaîtrez qu’il y a nécessité d’adopter la loi proposée.
A la cour de Bruxelles, les audiences sont, terme moyen, de quatre heures par séance ; à Liége de trois, et a Gand elles sont de trois heures et demie.
M. Raikem. - Je demande la parole.
M. Gendebien. - Les jours d’audience ont été, en année commune, à Bruxelles au nombre de 551 ; à Liége, 505 ; à Gand, 360.
Malgré cela, il y a, à Bruxelles, un arriéré toujours croissant et tel que, si l’on doublait même le nombre des chambres, cette cour ne serait pas au courant avant deux ans.
Remarquez, messieurs, que le personnel de la cour de Bruxelles est le même qu’à la cour de Liége, bien que la première ait en 50 audiences de plus par an que la cour de Liége.
M. de Behr. - Je demande la parole. (On rit.)
M. Gendebien. - Ce n’est pas tout. (On rit.) Les causes à juger et pendantes, en terme de pratique, étaient, au 15 août 1834, de :
716 a Bruxelles ;
262 à Liége ;
113 à Gand.
Les causes introduites du 15 août 1834 au 15 août 1835 ont été de :
473 à Bruxelles ;
263 à Liège ;
167 à Gand.
Total des diverses affaires à juger en appel en 1834 :
1,189 à Bruxelles ;
529 à Liège ;
280 à Gand.
Voilà maintenant les arrêts rendus pendant 1834 :
379 à Bruxelles ;
279 à Liège, 100 arrêts de moins qu’à Bruxelles (on rit) ;
146 Gand.
Et il y avait un arriéré, à la fin de 1835, de :
830 à Bruxelles
269 à Liège ;
128 à Gand.
Vous voyez s’il y a nécessité d’augmenter le personnel de la cour de Bruxelles. Bien qu’elle ait rendu, de 1834 à 1835, 100 arrêts de plus que la cour de Liége, c’est-à-dire un grand tiers de plus ; quoiqu’elle n’ait que le même personnel, il lui reste un arriéré de 830 affaires, tandis que la cour de Liège n’a qu’un arriéré de 269.
Maintenant, que l’on commente ces données tant que l’on voudra, on ne pourra pas faire disparaître ces chiffres. On ne pourra contester la conséquence logique qui résulte de la comparaison des trois cours, de leurs travaux et de leurs résultats.
En 1832, lorsqu’on s’occupa de l’organisation ou plutôt de la désorganisation judiciaire, j’ai démontré par des chiffres l’impossibilité matérielle de rendre la justice à Bruxelles avec le personnel qu’on donnait à cette cour ; eh bien, ce que j’avais établi a été démontré depuis par le procureur-général près la cour de Bruxelles qui a eu sur moi l’avantage de l’expérience acquise ; il a démontré par des relevés statistiques, par des tableaux imprimés et faits (veuillez bien le remarquer) à une époque où la division des causes des divers tribunaux du ressort de la cour de Bruxelles devenait nécessaire, en raison de l’introduction de la langue soi-disant nationale, et de la classification des justiciables selon que dans leur province on parlait la langue française ou flamande ; il a prouvé, dis-je, par un relevé de 11 ans, que sur 30 causes 21 appartenaient au ressort de la cour de Bruxelles et 9 au ressort de la cour de Gand. Les procès-verbaux de cette distribution existent au greffe de la cour de Bruxelles, signés par l’ancien premier président.
Comment voulez-vous après cela qu’il n’y ait pas d’arriéré ! comment hésiteriez-vous à augmenter le personnel de la cour de Bruxelles, de sorte qu’elle puisse former une chambre de plus ! Car messieurs, veuillez remarquer que la cour de Bruxelles qui n’avait que trois conseillers de plus que la cour de Gand, avait cependant plus du double des affaires.
L’organisation judiciaire de 1832 était donc absurde et devait amener nécessairement le résultat déplorable auquel on propose de porter remède. Il faut plus que de l’entêtement pour s’opposer au remède d’un mal aussi flagrant.
Mais ce n’est rien encore que le nombre des affaires. Si vous voulez réfléchir un instant sur l’importance des affaires, vous verrez que la proportion n’est pas de 9 à 21, mais plutôt de 9 à 40 ; car dans les Flandres il ne s’agite guère que des questions de mur mitoyen, de fossés, de haies, en un mot des questions des plus simples.
Dans le Hainaut, au contraire, il y a à juger les questions les plus importantes, les plus difficiles, par exemple, les questions de charbonnage : veuillez faire attention que telle cause qui ne figure au rôle qu’à un seul numéro, revient souvent 2 ou 3 et 4 fois au rôle, et absorbe de 3 à 6 audiences entières et quelquefois plus. Ce sont des affaires très compliquées, et très difficiles parce qu’elles sont hérissées de questions de faits ; il y a des enquêtes volumineuses, des expertises compliquées, des actes sans fin, des faits contradictoires. Ce sont des questions de possession d’une propriété latitante, occulte, où les plus experts souvent ne savent que résoudre, après un très long travail ; voilà la nature des causes que la cour d’appel de Bruxelles à tous les jours à juger.
Maintenant songez que depuis la révolution, depuis l’établissement à Bruxelles du chef-lieu du gouvernement, toutes les affaires contentieuses de l’administration, toutes les affaires concernant le gouvernement, sont plaidées à Bruxelles ; dans tous les contrats élection de domicile est prise à Bruxelles, et les demandes du gouvernement viennent toujours devant le tribunal de Bruxelles et en deuxième degré devant la cour de Bruxelles, de telle sorte qu’aux procès que j’ai indiqués tout à l’heure et qui étaient, avant la révolution, de 21 à 9 relativement à la cour de Gand, vous devez ajouter tout le travail résultant pour la cour de Bruxelles du séjour du gouvernement dans cette ville.
Si l’on devait juger des besoins de la cour de Bruxelles par les besoins des cours de Liège et de Gand, on trouverait au premier abord que la cour de Bruxelles n’a pas besoin d’une augmentation de personnel. Mais quand on réfléchit à ce que j’ai eu l’honneur de dire, il semble impossible d’établir une comparaison, sans rester convaincu de la nécessité d’augmenter le personnel de la cour de Bruxelles.
Maintenant que faut-il faire ? Quant à moi je serais très disposé à proposer que l’on complétât le personnel de la cour, de la manière que les deux préopinants auxquels je réponds ont désiré ou plutôt devraient désirer de le faire ; mais je craindrais de heurter l’esprit parcimonieux de la chambre, qui veut compléter la cour par l’intermédiaire des conseils provinciaux ; je craindrais de heurter l’esprit de la constitution, qui veut l’intervention des conseils provinciaux dans la composition des cours ; je craindrais que la chambre ne trouvât que ce serait donner une trop grande part au gouvernement dans la composition d’un corps indépendant et à l’abri de son influence.
Ce qui m’étonne le plus, messieurs, c’est que le gouvernement ne demande pas à se charger de compléter dès à présent la cour. Si on craint sincèrement l’influence du gouvernement, le gouvernement doit désirer cette influence, cependant il ne la réclame pas, et tout en ayant l’air de la craindre, on semble le convier à la prendre. Quant à moi je préférerais donner au gouvernement une telle influence, que de le voir manquer au premier de ses devoirs, celui de rendre la justice bonne et prompte.
Depuis 25 ans que j’ai l’honneur de plaider devant la cour de Bruxelles (depuis quelques années j’y plaide moins, mais je sais par tradition ce qui s’y passe), je connais les difficultés insurmontables que rencontre cette cour pour se mettre au courant. Quels moyens pourrait-on employer ? Diminuer le nombre des juges ; composer par exemple les chambres de trois membres seulement ? Je le veux bien. Mais alors payez les conseillers en raison de leurs capacités et de leur travail. Comment les payez-vous ? vous leur donnez 5,000 fr. ! A un père de famille établi dans un tribunal de première instance vous donnez, pour l’envoyer à titre de récompense à Bruxelles, 5,000 fr., lorsque, s’il a 2 ou 3 enfants, il ne trouvera pas à se loger convenablement à Bruxelles à moins de 2,000 à 2,500 fr., les contributions comprises, car cela est positif. Et vous voulez avoir des hommes capables, et vous voulez les accabler de besogne.
Je ne veux pas critiquer le zèle ni le mérite des hommes qui composent la cour de Bruxelles, elle est aussi bien composée que si elle était bien payée. Il n’y a qu’une chose qui m’étonne, c’est que quand on a réduit leurs traitements en 1832, ils n’aient pas donné leur démission.
Réduisez donc, si vous le voulez, le nombre des magistrats nécessaires pour composer chaque chambre et augmenter ainsi le nombre des chambres, soit ; mais au moins payez-les bien. Car quel avocat, tant soit peu famé, voudra abandonner son cabinet pour la magistrature rétribuée comme elle l’est, quelque dignité que vous attachiez d’ailleurs à ces honorables fonctions ? Réduisez de 5 à 3 le nombre des magistrats qui composent une chambre. Je le veux bien, je n’y trouve aucun inconvénient si vous payez bien, je le répète.
Mais on craint de diminuer ainsi les garanties des justiciables. Je n’admets pas cela. Moins il y a d’hommes responsables pour un objet déterminé, plus il y a de garanties. La garantie est dans la capacité et dans la responsabilité morale, bien plus que dans le nombre : répartie entre 5 personnes, la responsabilité est presque nulle. La responsabilité qui pèserait sur une seule tête est immense ; celle qui pèsera sur 3 sera supportable, et elle sera plus grande que celle qui pèserait sur 5, et moins dangereuse que celle qui pèserait sur une seule personne. Vous pouvez donc admettre cette diminution de personnel ; mais alors, je le répète, augmentez les traitements, si vous voulez avoir des hommes capables et à l’abri de toute séduction, ou au moins de toute appréhension d’erreur ou de séduction.
Je voterai pour l’augmentation de personnel qui vous est demandée et pour une augmentation plus considérable si elle est proposée. Je n’ai pas fait moi-même cette proposition, par la crainte qu’elle ne fût pas accueillie.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Le devoir du gouvernement est de veiller à ce que justice soit rendue, et à ce que les intérêts du trésor soient conservés ; j’ai cru remplir ce double devoir en demandant une augmentation du personnel de la cour d’appel de Bruxelles, et en limitant cette augmentation à trois conseillers.
Un honorable orateur, tout en reconnaissant l’impossibilité que la cour de Bruxelles juge avec son personnel actuel toutes les causes qui lui sont dévolues, a prétendu qu’il ne suffirait pas de lui adjoindre trois nouveaux conseillers, et qu’il y avait lieu de rejeter le projet du gouvernement comme intempestif : j’ai répliqué que la conséquence logique de ce raisonnement était non pas de refuser une augmentation de personnel indispensable, mais de proposer la nomination d’un plus grand nombre de conseillers, si trois nouveaux membres ne peuvent satisfaire aux besoins du service.
En répondant de cette manière, j’ai usé du droit qui appartient sans doute aux ministres comme à tous les députés, d’opposer un argument à un argument, et je n’ai point donne lieu aux observations de l’honorable M. Raikem.
Le même préopinant a dit qu’il aurait fallu attendre la loi provinciale ; qu’il était urgent de voter la loi communale qui amènerait la loi provinciale que d’augmenter actuellement le nombre des magistrats, puisque cette dernière loi permettrait de compléter la cour de Bruxelles.
Oui, tâchons de voter la loi communale et le plus tôt possible, c’est aussi mon avis, c’est l’avis de la chambre ; mais rien n’empêche de discuter en même temps la loi communale et de donner à la cour de Bruxelles une augmentation de personnel démontrée urgente. La chambre a reconnu cette double nécessité, et par zèle tout à fait extraordinaire, elle a mis à l’ordre du jour pour midi la loi communale, et pour une séance du soir, le projet qui est en délibération.
L’honorable préopinant nous renvoie à l’exécution de la loi provinciale, pour donner à la cour de Bruxelles un supplément de conseillers ; mais je ne conçois pas son argumentation : en remplissant les places vacantes, la cour n’aura que 24 conseillers, et si 23 membres ne suffisent pas pour former trois chambres civiles, 24 ne suffiraient pas non plus.
Suivant moi, avec l’augmentation de personnel réclamée, on formera provisoirement trois chambres civiles, et lorsqu’il sera possible de pourvoir aux quatre places vacantes, la cour aura 27 membres au moyen desquels le service sera organisé définitivement d’une manière conforme aux besoins incontestables de la justice.
Refuser à la cour de Bruxelles les moyens de former trois chambres civiles, vouloir que l’arriéré se perpétue et s’accroisse indéfiniment ; c’est repousser les justes et vives réclamations des avoués, et des justiciables du ressort de la cour d’appel, adressées aux chambres et au gouvernement.
Vous n’ignorez pas, messieurs, que le retard dans la distribution de la justice entraîne avec lui un grand mal ; la mauvaise foi spécule sur ces lenteurs forcées : les débiteurs deviennent insolvables ; les créanciers sont obligés de consentir des transactions onéreuses, et quelquefois même leurs droits : il faut enfin mettre un terme à une espèce de déni de justice.
M. Coghen - Vous avez entendu l’honorable M. Gendebien et après lui, le ministre de la justice : il semblerait peut-être inutile que je prisse la parole pour appuyer le projet de loi ; toutefois, je vous ferai observer que dans la situation des choses, lors même que les lois communale et provinciale pourraient être mises à exécution immédiatement, le complet qui en résulterait pour la cour de Bruxelles serait encore insuffisant dans l’intérêt de l’honneur des familles, dans l’intérêt de leur fortune. Il n’y a rien moins que 868 affaires arriérées, parmi lesquelles on en compte 359 civiles et commerciales ; et il est inutile de faire remarquer que pour les affaires commerciales les retards sont souvent funestes, puisque la solvabilité des individus n’est plus la même trois ou quatre années après qu’on leur a intenté un procès, et que bien souvent on s’expose à de grandes pertes qui seraient évitées si on obtenait justice immédiate.
Dans mon opinion, messieurs, c’est une question d’équité nationale que de mettre la cour de Bruxelles à même de rendre justice à ceux qui sont obligés de se présenter devant elle.
M. Jullien. - Messieurs, lorsque j’entends de tous côtés réclamer une augmentation de personnel dans les cours et tribunaux, je dois vous avouer que je ne suis pas tout à fait sans crainte qu’en définitive on n’obtienne que la quantité au lieu de la qualité par cette augmentation. Cependant il y a pour moi une logique à laquelle je ne résiste jamais, c’est la logique des faits : or, il y a des faits qui dominent toute la discussion. Le premier, c’est qu’un nombre considérable d’affaires est arriéré, c’est qu’il est presque impossible de pouvoir obtenir de plaider une affaire ordinaire avant un terme de trois ou quatre ans : c’est qu’il y a des procès qui sont pendants depuis sept, huit ou neuf ans, ainsi que l’a exposé, je crois, l’honorable M. Gendebien, ou M. le ministre de la justice.
Dans cette position ce n’est pas là rendre la justice et je considère comme un déni de justice toutes les fois que les justiciables ne peuvent obtenir des jugements ; car pendant ces délais les garanties des tiers périssent et les réclamants en sont encore pour des frais considérables.
Il est un autre fait qui est parallèle au premier, c’est qu’on ne peut reprocher aux conseillers de la cour de Bruxelles ni négligence, ni mauvaise volonté ; c’est qu’il paraît prouvé qu’ils se livrent avec le plus grand zèle à l’exercice de leurs devoirs, et que s’il y a impossibilité de juger les affaires, il faut l’attribuer au grand nombre de ces affaires, et à l’impossibilité où sont les conseillers, eu égard à leur petit nombre, d’examiner toutes celles qui leur sont soumises.
De toutes ces considérations il me semble qu’il n’y a plus du doute sur la question.
Cependant deux députés de Liége qui, à raison de leurs fonctions, doivent s’y connaître, prétendent que ce serait une mesure inutile que d’augmenter le personnel de la cour de Bruxelles, parce qu’on ne pourrait pas encore former trois chambres civiles avec l’augmentation proposée ; si cela était vrai, il y aurait quelque chose de rationnel dans ce qu’ils ont dit ; si le but unique de l’augmentation est de composer une troisième chambre civile, et si au moyen de cette augmentation vous ne pouvez y parvenir parce qu’il y a quatre places vacantes qui ne pourront être remplies que quand la loi communale et la loi provinciale seront promulguées, on pourrait dire : Mais à quoi bon voter la loi ! vous n’atteindrez pas le but que vous vous proposez ? ainsi abstenez-vous ; c’est là le conseil de la sagesse.
Mais, d’un autre côté, j’ai entendu un magistrat de Bruxelles ainsi que le ministre de la justice, et d’après les calculs qu’ils ont établis, ils ont prouvé jusqu’à l’évidence, pour moi du moins, que l’augmentation du personnel permettrait de former trois chambres civiles permanentes quand on pourra compléter la cour, et que cette augmentation soulagerait dès actuellement les conseillers surchargés ; mais dans tous les cas l’augmentation ne serait pas inutile.
Quoi qu’il en soit, s’il fallait voter cette augmentation de personnel pour durer éternellement, j’aurais beaucoup d’observations à présenter ; mais le projet vient lui-même au secours de mes scrupules. Le projet a prévu que dans l’année 1842 on n’aurait plus besoin de l’augmentation du nombre des conseillers, de sorte que cette augmentation n’est demandée que pour combler l’arriéré.
Lorsque l’arriéré aura disparu, le nombre des conseillers de la cour d’appel de Bruxelles sera ramené dans la proportion établie par la loi de 1832 sur l’organisation judiciaire.
Ainsi vous voyez qu’il n’y a aucun danger à accorder cette augmentation puisqu’elle ne doit durer qu’autant que l’exigent les besoins.
Il y a une considération qui a pu déterminer la section centrale à proposer une restriction dans le délai, c’est que si une loi sur la compétence des tribunaux venait à être adoptée, il est certain que la compétence des cours d’appel diminuerait.
Si, par exemple, on augmentait la compétence des juges de première instance, il est évident que les causes de mille francs n’iraient plus en appel, et que le travail de ces cours diminuerait : mais en attendant qu’il en soit ainsi, et d’après les considérations que je viens d’exposer, je voterai avec pleine confiance pour le projet du gouvernement.
M. Raikem. - Je crois devoir ramener la question sur son véritable terrain, dont il me semble qu’on s’est éloigné jusqu’à un certain point ; car qu’avais-je dit ? avais-je contesté en aucune manière qu’il ne fallût pas accorder le personnel nécessaire pour que justice fût rendue ? nullement : mais, examinant la proposition soumise à la chambre, nous avons dit qu’elle tendait à accorder trop ou trop peu, qu’on ne pouvait atteindre par cette proposition le but qu’on se proposait, que pour faire une chose utile il fallait attendre la loi provinciale ; ainsi mon observation tendait plutôt à faire rendre justice et prompte justice ; et tout ce qui a été fait jusqu’à présent, ne peut atteindre l’efficacité qu’on obtiendrait en parvenant à pourvoir aux places vacantes.
On est passé de ce point à des calculs sur les heures, les jours et le nombre des audiences des cours d’appel. On a dit que les audiences de la cour d’appel de Bruxelles étaient de 4 heures et celles de la cour de Liége de 3 heures. Je ferai une observation, c’est que les audiences de la cour de Liége sont de 3 heures et demie et qu’il y eu a quatre par semaine, à chacune des deux chambres civiles.
Les chambres civiles s’occupent aussi, l’une des mises en accusation et l’autre des appels de police correctionnelle, indépendamment des 4 audiences civiles.
On en est venu à calculer le nombre des causes et des arrêts rendus. Eh bien, ce serait une très mauvaise base pour juger du travail des magistrats ; en effet, il y a telle cause qui peut exiger 3 ou 4 audiences ; d’autres peuvent être terminées en une seule, et même deux, trois ou quatre peuvent être plaidées dans la même audience ; cela dépend de leur nature : il y a tel arrêt qui demande plus de travail et de méditation qu’un grand nombre d’autres. Il est donc impossible de se faire une idée du travail des magistrats par le nombre des causes.
Il y a, dit-on, à la cour de Bruxelles, des causes très difficiles, notamment des affaires de charbonnages. Mais s’il y a des houillères dans le Hainaut, il y en a également dans la province de Liége. Il y a donc devant la cour de Liége des affaires aussi difficiles que devant la cour de Bruxelles.
L’honorable préopinant a parlé d’une cause dont les débats devant la cour de Bruxelles ont duré pendant 3 semaines ; eh bien, devant la cour de Liége, je connais une cause qui a duré pendant 6 semaines ; cette cause est celle de Constantini contre Gonvin.
Je cite les noms des parties.
Vous voyez donc qu’il est impossible de se former une opinion d’après le nombre des causes et des arrêts.
Un des derniers préopinants a fait une observation qui semblerait devoir déterminer la chambre à ajourner la mesure proposée.
Il nous a dit qu’au moyen d’un nouveau projet nouvellement soumis à la chambre et qui a été présenté par le ministre de la justice, le travail des cours d’appel allait diminuer, parce que la compétence serait réglée d’une manière différente, et qu’elle augmenterait la juridiction des tribunaux de première instance. Qui nous empêche de nous occuper de cette loi après avoir voté la loi communale ? En votant la loi communale nous aurons, je le répète, un autre avantage, celui de compléter la cour d’appel de Bruxelles au moyen des conseils provinciaux qui seront établis aussitôt ; car l’adoption de la loi provinciale sera une suite de ce vote.
On a fait une autre observation : on a dit que si on ne pouvait pas former trois chambres civiles au moyen de l’augmentation du personnel, cette augmentation viendrait aider la cour telle qu’elle est maintenant composée, et la mettre à même d’avoir toujours ses deux chambres civiles. Il est facile de voir que le but du ministre de la justice a été d’établir une nouvelle chambre, car non seulement il augmente le personnel de cour de deux conseillers, mais encore d’un avocat-général. Cependant, dans ce moment, le parquet est complet. C’est reconnaître que le projet serait inutile, si on ne pouvait pas parvenir à former une nouvelle chambre civile. Or, il serait impossible de remplir ce but. (La clôture ! la clôture !)
Si on ne veut pas entendre, on décidera ce qu’on voudra. Je ne continuerai pas.
- Plusieurs voix. - Parlez ! parlez !
M. le président. - La parole est maintenue à M. Raikem.
M. Raikem. - Je crois que je ne me suis pas écarté de la question.
Il me semble qu’on ne devrait pas interrompre un orateur. Le règlement aurait dû être respecté en ce point qu’il défend d’interrompre l’orateur auquel le président a accordé la parole.
Un honorable député de Bruges a dit que les affaires commerciales traînaient en longueur devant la cour de Bruxelles. Je ne sais pas si trois conseillers de plus suffiront pour juger d’une manière aussi prompte que le désirerait l’honorable membre toutes les affaires commerciales dont il a parlé ; et je ne sais pas non plus si cette nomination soulagera beaucoup le personnel actuel.
Quant à moi, je suis convaincu du contraire. Je terminerai comme j’ai commencé : vous faites trop ou trop peu en faisant ce que le ministre a demandé.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Je demande la parole.
- Plusieurs voix. - La clôture ! la clôture !
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Si la chambre était disposée à fermer la discussion, je serais fâché de la prolonger.
- La clôture de la discussion générale est mise aux voix et prononcée.
M. le président. - « Art. 1er (proposé par le gouvernement). Le personnel de la cour d’appel de Bruxelles est augmenté d’un président de chambre, de deux conseillers et d’un avocat-général. »
La commission propose d’amender cet article de la manière suivante :
« Le personnel de la cour de Bruxelles est augmenté de trois conseillers et d’un avocat-général. »
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - J’ai besoin de donner une explication à la chambre. Voici le sens de l’article premier. Le personnel de la cour de Bruxelles est augmenté d’un président de chambre, de deux conseillers et d’un avocat-général. C’est-à-dire que le gouvernement peut nommer trois conseillers s’il nomme un président dans le sein de la cour ; et s’il nommait deux conseillers et un président de chambre hors de la cour, comme c’est son droit, le personnel de la cour serait toujours augmenté de trois membres. Telle est la pensée qui a présidé à la rédaction du projet.
Par l’article 4, la nomination du président de chambre et des conseillers est déférée au gouvernement. De cette manière la prérogative du gouvernement ne serait pas restreinte, il pourrait prendre le président de chambre dans le sein de la cour ou en dehors. Mais comme cette rédaction a paru douteuse à quelques membres, je lèverai le doute en ajoutant quelques mots à l’article 4.
Voici l’amendement que j’ai l’honneur de proposer :
« Dans le cas où un des conseillers actuels serait appelé aux fonctions de président de chambre, le Roi nommerait à trois places de conseillers. »
Je suis d’accord avec la commission en ce sens que la cour de Bruxelles serait augmentée de trois conseillers, mais je ne suis pas d’accord avec elle en ce qu’elle propose de laisser la nomination du président à la cour, tandis que je soutiens que cette nomination appartient au Roi. Au reste, cette dernière question sera discutée à l’article 4.
M. Demonceau, rapporteur. - La commission chargée d’examiner le projet de loi qui vous est soumis a cru qu’à la cour seule appartenait le droit de nommer son président. Voilà le motif de la différence qui existe entre la rédaction de la commission et celle du gouvernement. La commission avait aussi pensé que la rédaction du gouvernement était incomplète, en ce sens que si le gouvernement avait choisi le nouveau président parmi les conseillers actuels, il se serait trouvé une place de conseiller vacante, et il aurait fallu attendre les présentations des conseils provinciaux, pour pourvoir au remplacement de ce conseiller.
Nous avons cru parer à cet inconvénient, en rédigeant l’article la manière suivante :
« Le personnel de la cour de Bruxelles est augmenté de trois conseillers. »
En cela, nous sommes d’accord avec le gouvernement.
Nous sommes persuadés qu’avec un personnel de 24 membres il n’est guère possible de composer trois chambres civiles, une chambre devant siéger aux assises et une autre devant juger les appels de police correctionnelle ; mais nous espérons que cette année il y aura possibilité de pourvoir aux places vacantes, et c’est pour ce motif que nous avons cru qu’on devait augmenter dès à présent de trois membres le personnel de la cour de Bruxelles.
M. Bosquet. - Je reconnais la difficulté qu’il y a de former trois chambres civiles avec 23 membres ; cependant il y aura possibilité d’avoir ces trois chambres civiles pendant une grande partie de l’année, et par suite de faire écouler un grand nombre tant des causes arriérées que de celles qui pourront survenir, et de faire marcher la justice d’une manière plus régulière.
J’ai dit tantôt qu’il y aurait possibilité de former trois chambres civiles avec 23 membres. En effet, en composant les chambres de cinq membres, les trois chambres civiles et la chambre des appels de police correctionnelle emploieront 20 membres et les trois autres seront employés aux assises. Je raisonne dans l’hypothèse où, ce que j’espère, il n’y aurait ni malades ni décès et aussi où aucun membre ne serait empêché de siéger à la cour, occupé qu’il serait dans cette enceinte.
Je fais une autre hypothèse. On nous a dit : La cour est composée de 20 conseillers, il est inutile de l’augmenter. Cela peut être vrai en chiffre, mais en fait cela n’est pas exact. Le personnel de la cour de Bruxelles, pendant l’année qui vient de s’écouter, a été, en fait, de seize membres ; deux membres siégeaient dans cette enceinte et deux membres étaient très dangereusement malades ; de manière que la cour de Bruxelles ne pouvait pas même former deux chambres civiles, du moins le service se trouvait continuellement interrompu. Si des empêchements semblables survenaient cette année, les trois conseillers qu’on propose de nommer viendraient au secours de l’administration de la justice, de manière à assurer le service de ces deux chambres. Et si on n’a pas de décès ou de maladies à déplorer, on pourra la plupart du temps former trois chambres civiles.
Je vous avoue que je m’étonne que des membres de la magistrature s’opposent au projet du gouvernement, lorsqu’ils voient que le ressort de la cour de Bruxelles a soif de justice ; que 830 affaires sont arriérées, qu’il en survient chaque année quatre à cinq cents nouvelles, et que la cour, composée de trois chambres, ne peut pas rendre plus de trois cents arrêts définitifs par an.
Avec l'augmentation du personnel qu’on demande elle aura encore la plus grande difficulté de faire face aux affaires qui s’introduisent dans le courant de l’année et à l’arriéré qui existe.
J’appuie donc le projet de toutes mes forces.
M. Milcamps. - Je n’ai pas pris la parole dans la discussion générale, mais j’ai l’intention de parler sur l’article premier et l’article 4.
M. Liedts. - Nous n’y sommes pas encore.
M. le président. - L’article 4 n’est pas en discussion.
- Une voix. - La clôture !
M. Meeus. - C’est de la tyrannie, laissez parler les orateurs.
M. Milcamps. - Par l’article premier de son projet de loi le gouvernement propose d’augmenter le personnel de la cour de Bruxelles d’un président de chambre, de deux conseillers, et d’un avocat-général et par l’article 4 il propose de conférer au Roi la nomination du président et des conseillers.
La section centrale a amendé ces deux articles, en proposant à l’article premier que le personnel de la cour de Bruxelles soit augmenté de trois conseillers et d’un avocat-général, et à l’article 4 que la première nomination aux places de conseillers soit faite par le Roi, mais que la cour choisisse un troisième président de chambre.
Ce changement est notable.
La section centrale se fonde sur ce que, de l’esprit et du texte de l’article 99 de la constitution, il résulte qu’il appartient à la cour de choisir son président dans la section centrale. J’ai eu quelques doutes si l’article 99 de la constitution s’opposait à ce que la nomination du troisième président fût attribuée au Roi, doutes que j’ai communiqués à mes collègues. Toutefois et au moment de la délibération je n’ai point émis une opinion contraire à celle du rapport.
Un examen ultérieur m’a donné la conviction que s’agissant, quant au troisième président de chambre, d’une première nomination nous pouvions, sans porter la moindre atteinte à l’article 99 de la constitution, l’attribuer au Roi ; que même cela était conséquent avec ce que nous avions fait précédemment.
Je reconnais qu’il n’y a dans la constitution aucun texte qui attribue au Roi la nomination directe des présidents, vice-présidents et conseillers des cours d’appel.
L’article 99 de la constitution porte, paragraphe 2, que « les conseillers des cours d’appel sont nommes par le Roi, sur deux listes doubles, présentées, l’une par les cours, l’autre par les conseils provinciaux. »
Paragraphe dernier. « Les cours choisissent dans leur sein leurs présidents et vice-présidents. »
Cependant, par l’article 53 de la loi du 4 août 1832, vous avez cru pouvoir conférer au Roi la première nomination des présidents et conseillers de la cour d’appel. Sur la loi du 17 août 1834, le personnel de la cour de Bruxelles a été porté à 24 ; et maintenant, pour pouvoir créer une chambre de plus, on propose d’augmenter le personnel d’un président de chambre et de deux conseillers. Quelle raison y a-t-il, quant au président de cette nouvelle chambre, de ne pas en attribuer la nomination au Roi ?
Il me semble que puisque le gouvernement a eu la première nomination du président et des deux présidents de chambre existant actuellement à la cour de Bruxelles, il y a les mêmes motifs de lui laisser également la première nomination d’un troisième président de chambre.
Si, en conférant au Roi la première nomination du président et des deux présidents de chambre actuellement existants, vous n’avez pas violé la constitution, et sur ce point il y a décision, vous ne la violerez pas davantage en conférant au Roi la nomination d’un troisième président de chambre.
A mon avis nous devons, sous peine d’inconséquence, faire pour la nomination d’un troisième président de chambre ce que nous avons fait pour les deux premiers. Je voterai dans ce sens.
M. Raikem. - Je demande la parole.
- Plusieurs voix. - La clôture ! la clôture !
M. Raikem. - Il paraît que c’est un parti pris de ne vouloir pas entendre les orateurs. Je ne parlerai pas.
M. Pollénus. - J’avais demandé la parole, mais ce que je me proposais de dire se trouvant maintenant inutile, je renonce à la parole.
- Quelques membres. - Ah ! ah !
M. Pollénus. - Je dirai à M. Desmet qui m’interrompt…
M. Vergauwen. - M. Desmet n’a rien dit.
M. Pollénus. - Je dirai à mon interrupteur que je n’ai pas l’habitude de laisser étouffer les observations que j’ai à présenter par des interruptions.
M. Meeus. - A la bonne heure, voilà de la fermeté !
M. Raikem. - Je demande la parole pour un fait personnel.
L’honorable préopinant s’est étonné de ce qu’un membre de la magistrature viendrait combattre un projet du gouvernement. Je demande si parce que nous faisons partie de la magistrature, notre opinion n’est plus libre dans cette enceinte, si nous avons ici un autre caractère que celui de représentant.
Qu’a dit le ministre de la justice dans un exposé des motifs :
« Ces considérations justifient suffisamment le projet de loi que nous venons soumettre à la sanction de la législature, et qui tend à mettre la cour de Bruxelles à même de former une troisième chambre civile, en augmentant le personnel actuel d’un président de chambre, de deux conseillers et d’un avocat-général. Par ce moyen, et par le complément de personnel que l’adoption prochaine de la loi provinciale permettra d’effectuer, cette cour sera en état de terminer les affaires qui lui sont soumises. »
Eh bien, messieurs, l’honorable préopinant, en combattant ce que nous avons dit, est convenu qu’il était impossible avec le personnel qu’on voulait établir, de former trois chambres civiles ; il a dit que quelquefois, dans le courant de l’année, on pourrait avoir cette troisième chambre civile.
D’après le décret de 1810, quand il y a deux chambres civiles, on peut en former une troisième car toujours, d’après ce décret, la chambre des appels de police correctionnelle peut connaître des affaires civiles. Puisqu’une cour composée de deux chambres civiles peut en avoir momentanément trois, le personnel qu’on nous demande serait donc pour tout autre chose que pour former une chambre civile ; nous aurions été induits en erreur par l’exposé des motifs du ministre. C’est en nous fondant sur ses motifs que nous avons combattu ses propositions, que nous lui avons dit : Nous ne pouvons pas remplir le but que vous vous proposez avec votre projet. Il est facile de voir qu’on veut créer une troisième chambre civile, puisqu’on demande la nomination d’un président de chambre et d’un avocat-général. Les honorables membres qui ont pris la défense du projet ont prouvé eux-mêmes qu’il ne pouvait pas remplir le but qu’on se proposait.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Certainement, il a été dans l’intention du gouvernement de rendre possible la création d’une troisième chambre civile. J’ai prouvé, ainsi que l’honorable M. Bosquet, que l’on pourrait le faire pour la plus grande partie de l’année. Cet honorable membre a ajouté que quelquefois, cette chambre ne pourrait pas siéger pendant que des conseillers seraient employés aux assises ; c’est dans ce sens qu’il a parlé ; telle est aussi l’opinion que j’ai émise, personne n’a établi le contraire.
Il ne s’agit donc pas de dire que le gouvernement a induit la chambre en erreur.
Je reproduirai un argument auquel l’honorable préopinant a essayé en vain de répondre ; j’avais dit : « Dans votre opinion 23 conseillers ne peuvent suffire pour former une troisième chambre civile, et cependant vous prétendez que l’organisation provinciale apportera un remède suffisant pour la cour de Bruxelles ; mais si on se bornait à remplacer les quatre conseillers décédés, le personnel de la cour ne s’élèverait qu’à 24 membres, et si 23 ne permettaient pas de constituer trois chambres civiles, on ne le pourrait pas davantage avec 24. » Cet argument subsiste dans toute sa force. L’adoption de trois nouveaux conseillers sera de la plus grande utilité ; et lorsque la cour sera portée, après l’organisation provinciale, au nombre complet de 27 membres, les trois chambres civiles siégeront pendant toute l’année, et l’on pourra espérer de voir disparaître un arriéré qui est une plaie pour les justiciables.
M. Bosquet. - Je demande la parole pour un fait personnel.
Lorsque je me suis étonné de ce que d’honorables préopinants étaient venus soutenir que la mesure proposée était intempestive, je n’ai pas entendu porter la moindre atteinte à la liberté de leur vote : je me suis seulement étonné de ce que des membres de la magistrature, plus à même d’être pénétrés de l’importance de la justice que d’autres, se soient opposés à la proposition du gouvernement tendant à porter remède à un mal évident pour tout le monde.
M. Raikem. - Je demande la parole pour un fait personnel. L’honorable préopinant m’avait adressé un reproche de ce que je n’avais pas voté pour la proposition du gouvernement. J’ai pu lui répondre que mon opinion était libre. L’honorable préopinant ne vient pas de détruire ce qu’il avait dit, puisqu’il n’a fait que répéter ce qu’il avait dit.
- L’article premier proposé par la commission est mis aux voix, il n’est pas adopté.
L’article premier du projet du gouvernement est mis aux voix et adopté.
M. le président. - L’article 2 proposé par le gouvernement et par la commission est ainsi conçu :
« Art. 2. L’ordre de la présentation aux places de conseillers qui deviennent vacantes, réglé par l’article 37 de la loi du 4 août 1832 (Bulletin officiel, n°582), et par l’article 3 de la loi du 17 août 1834 (Bulletin officiel, n°636), est modifié, en ce qui concerne la cour d’appel de Bruxelles, comme suit :
« Cour de Bruxelles.
« Le conseil provincial d’Anvers présente à huit places, celui du Brabant à neuf places, celui du Hainaut à dix. »
- Cet article est mis aux voix et adopté.
M. le président. - La discussion est ouverte sur l’article 3.
« Art. 3. (projet du gouvernement.) A dater du 15 octobre 1838, il ne sera plus pourvu aux places qui deviendront vacantes à ladite cour, jusqu’à ce que le personnel soit réduit au nombre fixé par la loi du 4 août 1832 (Bulletin officiel (n°LVII), n°582) »
« Art. 3. (projet de la commission.) A dater du 15 octobre 1842, il ne sera plus pourvu aux places qui deviendront vacantes à ladite cour, jusqu’à ce que le personnel soit réduit au nombre fixé par la loi du 4 août 1832. »
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Il est à remarquer que si le projet du gouvernement a pour objet de mettre la cour de Bruxelles à même de juger l’arriéré considérable dont elle est surchargée, il tend aussi à ramener la législation à son état normal, c’est-à-dire à revenir à la loi du 4 août 1832, de manière que la loi soumise à la chambre fera cesser à l’époque fixée non seulement l’effet de la loi actuelle, mais encore les effets de la loi du 17 août 1834, et de réduire la cour de 6 conseillers.
Mais je ne crois pas que cela puisse se faire à l’époque proposée par la commission : « 15 octobre 1838. » Cette époque est évidemment trop rapprochée ; car d’après le calcul que j’ai fait, en supposant que la cour de Bruxelles puisse former constamment 3 chambres civiles, il lui faudra 7 ans pour vider l’arriéré. Vous connaissez le grand nombre d’affaires qui restent à juger et l’augmentation successive des procès dont les causes permanentes vous ont été signalées.
Il est vrai que si la chambre adopte le projet de loi de compétence civile que j’ai eu l’honneur de lui présenter et qui a pour objet d’étendre les attributions en dernier ressort des tribunaux de première instance, de ce chef les cours d’appel seront soulagées ; mais il faudra encore un temps assez long pour que les effets de cette loi se fassent sentir.
Je suis persuadé que si vous restreignez l’effet de la loi au 25 octobre 1838, avant cette époque le gouvernement sera obligé de présenter une loi nouvelle. Je vous engage donc à ne pas prendre une demi-mesure, mais à voter une loi qui atteigne le but que nous nous proposons.
M. Demonceau, rapporteur. - Votre commission s’est déterminée à vous proposer le 15 octobre 1838 comme l’époque à laquelle il ne sera plus pourvu aux places vacantes de la cour de Bruxelles, parce qu’elle a pensé que la loi provinciale sera alors promulguée et que par suite le personnel de cette cour sera porté à 27 membres, et parce qu’elle a pensé aussi que vous auriez adopté aussi à cette époque la loi sur la compétence civile qui, en étendant jusqu’à 3,000 fr. en dernier ressort la juridiction des tribunaux de première instance et de commerce, diminuera de moitié le travail des cours d’appel.
Elle s’y est en outre déterminée parce que les membres de la cour de Bruxelles n’étant pas en général très âgés, elle n’a pas cru probable qu’il y eût des vacatures avant 1838. Cependant si l’époque de 1838 ne convient pas, on peut adopter celle de 1839 ou de 1840.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - La proposition du gouvernement n’a pas été faite au hasard ; elle a été calculée sur l’arriéré et sur le temps nécessaire pour vider cet arriéré.
L’honorable rapporteur vous a parlé de la loi de compétence civile. J’ai répondu d’avance à cette objection ; je ne répéterai pas ce que j’ai dit.
Il a dit ensuite, et cela est vrai, qu’il pouvait arriver que le nombre des conseillers ne diminuât pas et, qu’aucun d’eux ne vînt à mourir avant 1842. Mais s’ils restent vivants, il ne sera pas question de les remplacer ; de manière que, dans ce cas, il n’y a pas grand inconvénient à adopter la proposition du gouvernement.
D’un autre côté, s’il y a des places vacantes avant 1842, il faut qu’il y soit pourvu ; car les trois chambres civiles doivent être complétées jusqu’en 1842 pour que l’arriéré disparaisse.
Une troisième objection faite par le préopinant est relative au projet de loi qui tend à diminuer le nombre des magistrats siégeant aux assises. Ce projet sera-t-il adopté ? Quand la chambre pourra-t-elle s’en occuper ? Moi je suppose que de ce chef le nombre des conseillers pour les affaires civiles puisse être diminué ; la même loi qui introduira des modifications dans l’organisation judiciaire pourra réduire le personnel des cours d’appel.
M. Demonceau, rapporteur. - Aux observations de M. le ministre de la justice je répondrai que dans mon opinion, lorsque les magistrats seront nommés, on ne pourra pas en restreindre le nombre. Car les nominations sont à vie, et il ne dépendrait pas même de la chambre, par une loi, de révoquer ces nominations : un magistrat ne peut être déplacé. En sorte que si en 1842 l’arriéré est écoulé avec le personnel tel que nous allons le voter, et tel qu’il sera après la loi provinciale, comme il ne sera pas possible de renvoyer les conseillers, il y en aura sept qui seront inutiles. Prenez garde que jusqu’en 1842 il dépendre du gouvernement de compléter jusqu’à 27 le nombre des magistrats, lors même que l’arriéré serait écoulé.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Il convient de laisser quelque chose à la prudence du gouvernement. Il ne faut pas supposer qu’il nommera à des places de conseillers sans nécessité. Quand j’ai dit qu’il fallait 27 conseillers jusqu’en 1842, j’ai posé un maximum : on perd de vue, dans cette discussion, que le nombre des causes va sans cesse en augmentant à raison du siège du gouvernement, à raison des questions administratives qui toutes viennent à Bruxelles, à raison du chemin de fer, et à raison d’une foule d’expropriations qui viennent à cette cour, et des innombrables transactions auxquelles les progrès du commerce et de l’industrie donnent lieu.
M. Gendebien. - Je ne veux pas abuser des moments de la chambre. Je veux lui montrer brièvement et arithmétiquement la nécessité d’augmenter le personnel de la cour de Bruxelles.
Il y a à cette cour 830 causes arriérées ; c’est tout au plus si une chambre civile de plus pourra les faire disparaître en 4 ou 5 ans, et si vous y voyiez l’arriéré qui s’accroît tous les ans, vous vous convaincrez que malgré le zèle et les efforts des magistrats de Bruxelles, il sera fort difficile d’arriver à un état normal. En effet, le nombre des causes arriérées va toujours croissant : de 1832 à 1833 il a été introduit 83 causes de plus qu’on n’en a jugé.
De 1833 à 1834 il en a été introduit 132 de plus qu’on n’en a pu juger.
Pendant dix mois de l’an 1834 à l’an 1835, il y a eu 114 causes de plus qu’on n’en a pu juger.
L’arriéré va donc croissant chaque année quoique l’on prononce plus de jugements. Cet excédant des causes introduites comparé au nombre des causes qu’il a été possible de juger, est presque suffisant pour occuper une chambre pendant toute l’année. Ainsi vous ne risquez rien à prolonger le terme jusqu’à 1842. Je prévois même qu’en 1842 vous trouverez qu’il y aura nécessité de maintenir définitivement l’état de choses que vous établissez comme provisoire.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Je n’en doute pas !
M. Gendebien. - L’arriéré toujours croissant tient à une cause permanente ; il tient à la multiplicité des causes dont le tribunal de première instance de Bruxelles est saisi ; multiplicité qui augmente, par une suite nécessaire, les affaires pendantes devant la cour.
Comme je le disais tout à l’heure, il y a élection de domicile à Bruxelles, dans tous les contrats administratifs : ainsi lorsque le ministère est défendeur, c’est le tribunal de Bruxelles qui doit décider ; lorsque le ministère est demandeur, c’est encore à Bruxelles que le différent doit être jugé parce qu’il y a élection de domicile. D’autres causes concourent encore à cette augmentation de procès ; toutes les faillites qui arrivent par suite du jeu de la bourse, jeu qu’on n’est pas prêt à abandonner, vont devant la cour de Bruxelles. Nous en avons vu de considérables il y a peu de temps : elles sont la source de plusieurs procès et de procès difficiles. Rien que la question de savoir à quelle époque la faillite doit dater tient quelquefois 5 à 6 audiences : comme il y a toujours beaucoup de personnes intéressées dans les faillites, les questions à décider se multiplient, se compliquent et rendent ces procès plus difficiles et plus longs.
Les nombreuses expropriations pour cause d’utilité publique, et toutes les contestations qui sont la conséquence nécessaire des mouvements du commerce et de l’industrie, doivent nécessairement amener à Bruxelles de nombreux et importants procès.
On a dit que la loi sur la compétence civile ferait diminuer le nombre des causes en appel ; c’est une illusion. Quant à moi, je ne consentirai pas à augmenter la compétence des tribunaux de première instance jusqu’à 3,000 fr. Il y a quelques-uns de ces tribunaux qui sont composés de manière à permettre d’abandonner des causes de cette importance à leur jugement définitif ; mais il en est d’autres où il ne serait pas prudent d’en agir ainsi. Au reste, il faut observer que la plupart des causes ont un objet dont la valeur est indéterminée, et sont, en raison de cette circonstance, susceptibles d’appel ; ainsi, quand on fixerait la compétence des tribunaux de première instance à 2,000 fr., cela n’amènerait pas de changement considérable dans la multiplicité des affaires soumises aux cours d’appel.
Je crois que vous pouvez sans scrupule admettre le terme de 1842, à moins que vous ne preniez le parti de diminuer le nombre des conseillers formant les chambres en appel ; diminution qui me paraît possible, pourvu que vous les payiez bien. Dans ce cas vous pourrez diminuer le personnel, mais vous serez toujours forcés de maintenir au moins trois chambres civiles.
M. Raikem. - Le ministre de la justice propose l’époque 1842 et ne veut pas de 1838, parce que, dit-il, si dans l’intervalle on reconnaissait qu’il n’est pas nécessaire de nommer aux places qui seraient vacantes, le gouvernement ne nommerait pas. Mais il me semble résulter des termes de la loi concernant l’organisation judiciaire que jusqu’à 1842 les nominations pour les vacatures devront être faites. C’est ce qui me paraît résulter de l’article 38 de la loi de 1832 et des articles auxquels celui-ci se réfère.
Le président réunit la cour afin de procéder à la formation de la liste des candidats aux places vacantes, et quand la présentation est faite, il faut nommer. Je ne pense pas que, d’après les termes et l’esprit de la loi, il serait facultatif au ministre de la justice de ne pas remplir les places vacantes.
Puisque les conseillers sont nommés à vie et qu’il ne dépend pas du gouvernement de ne pas les remplacer, on n’obtiendrait des vacatures que dans un terme très éloigné ; aussi je crois que, sous ce rapport, il faut encore prendre le terme fixé par la commission.
Nous faisons ici une loi d’essai ; eh bien, dans l’intervalle qu’indique la commission, le législateur sera plus instruit des besoins des justiciables. Si l’état des choses ou l’arriéré subsiste encore en 1838, il sera facile, quand l’expérience nous aura éclairés, de continuer l’augmentation du nombre des conseillers. Cette augmentation ne souffrira aucune difficulté.
Mais, d’un autre côté, si les prévisions du ministre de la justice viennent à se réaliser, si l’arriéré disparaissait, alors chacun serait convaincu que des nominations ultérieures ne seraient plus utiles et, dans tous les cas, nous pourrions voter en connaissance de cause.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - La chambre a l’expérience des inconvénients qui résultent des lois d’essai, des lois provisoires qu’il faut renouveler : les grands travaux dont elle est surchargée lui font un devoir de ne pas prendre inutilement des obligations pour l’avenir, et de ne pas s’engager dans des révisions de lois sans fin. La question maintenant agitée doit être réduite à ces termes : y a-t-il lieu de prévoir qu’avant 1842 la cour de Bruxelles pourra satisfaire aux besoins des justiciables avec un personnel inférieur à 27 membres ? Il est évident que non.
Suivons donc les prévisions données par le gouvernement et donnons à la loi une durée telle que les causes arriérées puissent être enfin jugées.
Permettez, messieurs, que je présente une dernière observation ; l’importance des travaux de la cour d’appel de Bruxelles doit être appréciée, non seulement par le grand nombre des affaires qu’elle a eu à juger, mais encore par leur complication et les longs débats qu’elles ont provoquées ; ainsi parmi les 359 causes qu’elles a terminées pendant l’année judiciaire qui vient de s’écouler, il y en a 70 dont les plaidoiries ont occupé la cour chacune pendant 2, 3, 4, 5 et 6 jours, et qui ont absorbé à elles seules 165 audiences de 4 heures ou 4 heures et demie.
- L’article 3 proposé par la commission est mis aux voix, il n’est pas adopté.
L’article 3 du projet du gouvernement est mis aux voix et adopté.
M. le président. - « Art. 4. (projet du gouvernement.) La première nomination aux places de président de chambre et de conseillers, créées par l’article 1er ci-dessus, sera faite par le Roi. »
Paragraphe additionnel propose par M. le ministre de la justice :
« Dans le cas où l’un des conseillers actuels de la cour d’appel de Bruxelles serait appelé aux fonctions de président de chambre, le Roi nommera à 3 places de conseillers. »
« Art. 4. (projet de la commission.) La première nomination aux places de conseillers, créées par l’article premier ci-dessus, sera faite par le Roi.
« La cour choisira dans son sein un troisième président de chambre. »
M. Liedts. - Je demanderai à M. le ministre de la justice s’il est bien nécessaire qu’on procède à une nomination de président pour la chambre provisoire qu’il propose de créer à la cour d’appel de Bruxelles. Je ferai remarquer que si la chambre autorise la nomination d’un président pour cette chambre civile provisoire, dans quelques années il en résultera un inconvénient. Car d’après l’article 3, à dater du 15 octobre 1842, il ne pourra plus être nommé aux places qui viendront vacantes. Je suppose qu’un peu avant cette époque un président de chambre vienne à mourir, un nouveau président de chambre sera nommé à sa place, et qu’ensuite, à la date fixée par l’article 3, un conseiller vienne à mourir, on ne le remplacera pas.
Le personnel réduit d’une personne ne pourra jamais suffire. Créez une chambre de plus. Vous aurez alors un président de chambre qui ne pourra pas présider de chambre, puisque le personnel ne sera pas assez nombreux pour former quatre chambres civiles. Le service n’en souffrira pas si vous ne nommez pas de président, car d’après les lois existantes, en l’absence du président par décès ou maladie, le plus ancien conseiller est appelé à présider la chambre.
Je prie M. le ministre de nous dire s’il est bien nécessaire de nommer un président pour la chambre temporaire qu’il veut créer.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Je pense qu’il est de la plus grande utilité que le gouvernement puisse nommer un président de chambre de plus ; la loi n’atteindrait pas son but si on n’organisait pas la cour de Bruxelles comme le gouvernement le propose. De cette manière une troisième chambre pourra être créée. Vous savez combien un président capable peut donner d’impulsion aux affaires ; si vous faisiez présider la chambre qu’il s’agit de créer, par le plus ancien conseiller, ce conseiller n’apporterait pas la même activité, ne rendrait pas les mêmes services dans sa présidence temporaire que pourrait le faire un président définitif. Je crois donc que la nomination d’un président de chambre est de la plus grande utilité.
Quand on arrivera à l’époque où la cour se trouvera réduite au nombre de conseillers fixé par la loi de 1832, si une place de président de chambre vient à vaquer, il n’y sera pas pourvu, et si pendant quelque temps il se trouve un président de plus, il pourra présider la chambre des mises en accusation ou la chambre des appels de police correctionnelle. Il sera toujours utile.
Je ferai une autre observation qui, je crois, fera impression sur vos esprits. C’est que la cour, en ce moment, au lieu de deux présidents de chambre, n’en a qu’un, parce que la cour ne croit pas avoir le droit de remplacer le président dont la place est vacante. La raison en est que, d’après la loi de 1832, quand une place de président est vacante, il faut, avant de le remplacer, commencer par nommer à la place de conseiller. Comme on ne peut pas nommer à la place de conseiller tant que les conseils provinciaux ne sont pas organisés, on ne peut pas non plus nommer à la place de président. Vous rendrez donc un double service en autorisant la nomination d’un président, qui sera de remplacer le président dont la place est vacante, et de faire mieux faire marcher la chambre nouvelle que vous allez créer. (Aux voix ! aux voix !)
- L’amendement de la section centrale n’est pas adopté.
L’article du projet du gouvernement est adopté.
M. le président. - « Art. 5. A dater du 1er janvier 1836, les substituts des procureurs-généraux près les cours d’appel jouiront d’un traitement égal à celui des conseillers. »
La section centrale propose de rédiger cet article de la manière suivante :
« Les substituts des procureurs-généraux près les cours d’appel jouissent d’un traitement de 4,800 fr. »
M. de Behr propose de renvoyer cette disposition au projet de loi relatif au classement des tribunaux de Verviers et de Hasselt.
M. de Behr. - L’article 6 de la loi du 4 août 1832 contient toutes les dispositions relatives à l’organisation judiciaire ; le projet de loi en discussion jusqu’à l’article 4 se rapporte tout a fait à cette loi, ou plutôt en contient une modification ; ainsi, sous ce rapport, les deux projets concernant Verviers et Hasselt peuvent en faire partie. S’ils ne peuvent en faire partie, l’article 5 ne doit pas non plus trouver place dans le projet en délibération.
Les dispositions de cet article n’ont rien de commun avec l’augmentation du personnel de la cour de Bruxelles ; il contient une modification à l’article de la loi générale qui fixe le traitement des membres de la magistrature ; le projet de loi sur Hasselt et Verviers n’a que le même objet.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Le gouvernement, en présentant le projet de loi sur la cour de Bruxelles, a saisi cette occasion pour réparer une injustice par l’article 5 en élevant le traitement des substituts des procureurs-généraux au taux qu’exigent leurs fonctions et leur position. Je conviens que cet article trouverait mieux sa place dans l’autre projet soumis à la chambre ; aussi je consens à ce qu’il y soit transféré.
- Ce transfert mis aux voix est adopté.
La chambre procède à l’appel nominal sur l’ensemble de la loi.
56 membres sont présents.
51 votent l’adoption.
1 seul, M. Stas de Volder, vote le rejet.
4 membres, MM. de Behr, Gendebien, Raikem, Legrelle, s’abstiennent de prendre part à la délibération.
En conséquence la loi est adoptée et sera transmise au sénat.
Ont voté pour l’adoption : MM. Beerenbroeck, Bekaert-Baekelandt, Bosquet, Coghen, Cols, Dechamps, F. de Mérode, W. de Mérode, Demonceau, de Muelenaere, de Nef, de Puydt, de Renesse, de Roo, de Sécus, Desmanet de Biesme, Desmet, de Terbecq, de Theux, Bernard Dubus, Eloy de Burdinne, Ernst, Fallon, Jullien, Lardinois, Meeus, Milcamps, Morel-Danheel, Nothomb, Pirmez, Pollénus, Quirini, A. Rodenbach, Rogier, Rouppe, Schaetzen, Scheyven, Seron, Simons, Thienpont, Trentesaux, Vandenbossche, Vandenhove, Vanden Wiele, Verdussen, Vergauwen, Verrue-Lafrancq, H. Vilain XIIII, F. Constant Vuylsteke et Louis Vuylsteke.
M. Fallon, président. - Je prie MM. les membres qui se sont abstenus, de vouloir bien, conformément au règlement, en énoncer les motifs.
M. de Behr. - Ayant la conviction que le personnel de la cour de Bruxelles est insuffisant, je n’ai pas voulu voter contre la loi ; mais, convaincu que le projet ne peut atteindre le but qu’on se propose, je n’ai pas voulu non plus voter pour la loi.
M. Gendebien. - Je n’ai pas pu voter pour la loi, parce que selon l’esprit de la constitution, c’est aux cours d’appel que doit appartenir la nomination de leurs présidents. Mais convaincu que l’augmentation de personnel demandée est absolument nécessaire, je n’ai pas voulu voter contre la loi.
M. Raikem. - Je me suis abstenu parce que je crois que le projet n’est qu’un véritable replâtrage, et que nous ne pouvons faire quelque chose de bon en pareille matière que quand la loi provinciale et la loi communale, d’où dépend le vote de la loi provinciale, auront été votées. Dans cette opinion je n’ai pas pu voter pour la loi. Mais comme je ne veux pas empêcher que justice soit rendue et (erratum inséré au Moniteur belge n°37, du 6 février 1836 :) que d’un autre côté on a prétendu que l’augmentation de personnel proposée peut être utile, je n’ai pas voulu voter contre le projet.
M. Legrelle. - Voyant la grande majorité de la chambre se prononcer en faveur du projet, et sa nécessité reconnue par des jurisconsultes et des magistrats mieux que moi à même d’en juger, je n’ai pas voulu voter contre le projet. Cependant, n’étant pas plus que les honorables préopinants convaincu de l’opportunité de la mesure, je n’ai pas pu voter pour son adoption.
- La séance est levée à onze heures et demie.