(Moniteur belge n°30, du 30 janvier 1836 et Moniteur belge n°31, du 31 janvier 1836)
(Moniteur belge n°30, du 30 janvier 1836)
(Présidence de M. Raikem.)
M. de Renesse fait l’appel nominal à midi et demi.
M. Dechamps donne lecture du procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. Verdussen présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.
« Le sieur Lichtentahl, facteur de pianos, demande une augmentation des droits d’entrée sur les pianos étrangers. »
« Cinq meuniers de l’arrondissement de Mons demandent une indemnité du chef des pertes essuyées par eux pour le chômage de leurs moulins pendant 59 jours, par ordre du génie militaire, à l’époque du choléra. »
« Plusieurs habitants d’Ostende demandent que la garde civique soit réorganisée en trois bans. »
M. d'Hoffschmidt, rapporteur du budget des dotations de la dette publique, présente son rapport.
- La chambre en ordonne l’impression.
M. Manilius. - Je prie M. le ministre des finances de vouloir bien présenter dans le plus bref délai possible le projet de loi pour la répression de la fraude des tissus de coton.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - J’espère pouvoir satisfaire très prochainement au désir exprimé par M. Manilius.
M. Legrelle. - Je me permettrai de demander à la commission chargée de l’examen du projet de loi relatif aux indemnités si le rapport sera présenté prochainement à la chambre. L’on a promis depuis longtemps la présentation de ce rapport. Jusqu’ici je n’en ai pas entendu parler.
M. Quirini., rapporteur. - Le rapport sur les indemnités est prêt depuis plusieurs jours. Depuis plus de 10 jours il aurait été présenté à la commission si elle avait pu réunir.
M. Smits. - A l’occasion du rapport fait dans la séance d’hier, sur la pétition de quelques propriétaires de forêts, je me suis rappelé que la chambre n’avait pris aucune détermination sur le projet de loi présenté par M. le ministre de l’intérieur pour l’encouragement des constructions navales. Comme ce projet de loi doit exercer de l’influence sur le débit des bois de construction, et comme d’un autre côté une foule d’armateurs et de sociétés particulières n’attendent que le vote de la loi pour commencer des constructions navales et raviver nos chantiers, je demande que la chambre nomme une commission spéciale pour l’examen de ce projet, ou tout au moins qu’il soit renvoyé à la commission de commerce et d’industrie. Si ce projet de loi n’était pas examiné avant le printemps prochain, nous perdrions toute une année. Cette considération, jointe à celle que ce projet ne peut entraîner de longues discussions doit engager la chambre à adopter la proposition que j'ai l’honneur de lui faire.
M. Desmet. - Comme le budget de l’intérieur va être bientôt discuté, je demanderai à la commission spéciale des travaux publics de vouloir bien faire son rapport sur le canal de Zelzaete. (Appuyé.)
M. F. de Mérode. - Il me semble que la proposition faite par un honorable député d’Anvers mérite une considération particulière. Puisque le projet de loi dont il a parlé ne peut donner matière à de longues discussions, il me semble qu’on devrait lui donner la préférence sur les autres. Des lois de cette nature qui peuvent être votées très vite doivent passer avant les autres.
M. le président. - Le projet de loi dont a parlé l’honorable M. Smits a été renvoyé dans les sections.
M. Smits. - Comme le projet de loi est tout à fait spécial, je crois qu’il conviendrait de le renvoyer à une commission nommée par la chambre à cet effet. Telle est la proposition que j’ai l’honneur de faire. Cependant je ne verrais aucun inconvénient à ce que le projet fût renvoyé à la commission spéciale d’industrie.
- Le projet de loi relatif aux constructions navales est renvoyé à une commission spéciale.
L’assemblée décide que cette commission sera nommée par le bureau.
M. A. Rodenbach. - Personne ne s’oppose à la motion qu’a faite l’honorable député d’Anvers relativement aux indemnités. Je crois qu’il serait convenable d’inviter la commission à faire son rapport le plus tôt possible.
Je demanderai également que la commission chargée de l’examen du projet de loi relatif au canal de Zelzaete s’en occupe dans le plus bref délai possible. .
Je demande que la chambre invite cette commission à présenter le rapport aussitôt qu’elle le pourra. Il serait important qu’elle accélérât son travail. C’est dans ce sens que l’honorable M. Desmet a fait sa proposition que je m’empresse d’appuyer.
M. le président. - Je ferai observer à l’assemblée que les travaux des différentes sections centrales ne peuvent marcher plus vite. Tous les jours la section centrale se réunit et s’occupe des matières les plus urgentes. Mais ces derniers temps, elle a été occupée uniquement des budgets. .
M. Desmet. - Il est un fait constant. C’est que la commission spéciale des travaux publics est saisie de l’examen du projet de loi relatif au canal de Zelzaete. Il me semble qu’elle pourrait nous présenter son rapport avant la discussion du budget de l’intérieur. Tant que cette loi ne sera pas votée, la navigation du canal de Bruges à Ostende en souffrira. Ce n’est pas une question de localité comme on semble le croire. C’est une question d’inondation et de navigation générale. Il n’y aura jamais de navigation régulière sur le canal de Bruges à Ostende, tant que le canal de Zelzaete ne sera pas construit.
M. Fallon. - La question du canal de Zelzaete a été examinée par la commission des travaux publics qui en est saisie. Mais obligée de demander des renseignements à M. le ministre de l'intérieur, elle attend que ces renseignements lui soient adressés pour continuer son travail. On s’en occupera de nouveau dès qu’on le pourra. Je ferai observer d’ailleurs que la commission a eu d’autres travaux également importants à mettre au courant.
M. Rogier. - Je crois qu’il est très important que la commission nommée pour l’examen du projet de loi relatif au canal de Zelzaete s’occupe sérieusement de nous présenter son rapport. Au contraire des différentes propositions restées dans le vague, cette loi a déjà subi une sorte d’enquête. Elle avait été préparée par le gouvernement puisqu’une somme avait été proposée à cet effet au budget de l’intérieur il y a déjà deux ans. Personne ne peut révoquer en doute l’utilité de cette construction. La commission des travaux publics ferait bien de fixer son attention sur quelques points et notamment sur celui-ci, attendu qu'il y a une proposition spéciale de la part du gouvernement.
J’en dirai autant de la loi des indemnités. Il y a près de trois ans que cette loi a été présentée à la chambre.
Je puis, sans exagérer, dire que plus de 20 fois l’on a demandé en séance publique que le rapport de cette loi fût présenté. Cependant il ne nous a pas été remis jusqu’ici. Il est temps pourtant que l’on s’occupe de ce rapport et qu’on le dépose sur le bureau. Je ne sais pas si le travail est prêt. S’il ne s’agit alors, comme on le dit, que de réunir la commission pour entendre ce rapport, il me semble qu’il est urgent d’aviser à ce que cette réunion ait lieu le plus tôt possible.
Je prierai donc M. le rapporteur de mettre toute la diligence possible à ce que la commission soit réunie, afin que le rapport nous soit remis tel qu’il a été arrêté en sections. Je sais bien que la loi ne pourra pas être discutée immédiatement. Mais au moins ayons le rapport, afin que nous puissions l’examiner et que le grand nombre des intéressés sachent à quoi s’en tenir sur leur sort.
Je ferai observer que cette question se rattache au budget de l’intérieur. L’année dernière, l’honorable M. Legrelle a proposé au budget un secours de 300,000 fr. destiné à subvenir aux besoins des victimes indigènes. Il est probable que le même député ou d’autres honorables membres renouvelleront cette proposition pour l’exercice de 1836. C’est une manière assez irrégulière de procéder. Ces secours ne peuvent pas être distribués avec autant d’équité que si une loi fixait les règles les plus justes d’une bonne répartition.
J’insisterai donc pour que la présentation du rapport ait lieu, si c’est possible, avant la discussion du budget de l’intérieur.
M. Dumortier. - Je ne veux pas contester l’utilité du projet dont on vous a parlé. Je sais, comme beaucoup de membres de cette assemblée, que la loi relative au canal de Zelzaete mérite toute votre attention. Je comprends qu’il soit nécessaire de pourvoir promptement aux moyens d’écoulement des eaux des Flandres. Mais ce que je conteste c’est la dépense de 5 à 6 millions dans laquelle on veut entraîner le pays (Interruptions.)
Il est étonnant que chaque fois que je prends la parole, MM. les députes des Flandres se lèvent comme des … Je ne dirai pas le mot. (Hilarité.) Ces interruptions ne m’empêcheront pas de parler.
Il est incontestable que, si l’on creusait pour l’écoulement des eaux des Flandres un canal analogue à celui d Isabelle, cela suffirait et ces travaux n’occasionneraient au pays qu’une dépense excessivement faible. (Non ! non !)
Je prierai M. Rogier de ne pas m’interrompre.
M. Rogier. - Vous entrez dans la discussion du projet.
M. Dumortier. - Vous y êtes bien entré, j’ai le droit de présenter mes observations comme vous.
M. Rogier. - Aussi usez-vous largement de ce droit.
M. Dumortier. - Il n’est pas nécessaire d’abord d’examiner une question aussi grave que celle de l’examen du canal de Zelzaete. Ce n’est pas lorsque le trésor est en déficit qu’il faut voter des dépenses ayant pour objet d’augmenter ce déficit, alors surtout qu’il y a des moyens très peu coûteux d’amener le résultat que demandent les députés des Flandres.
Je ne pense donc pas qu’il soit nécessaire de présenter le rapport que l’on demande.
J’appelle au contraire l’attention de la commission sur ce point. Au dire de beaucoup d’ingénieurs un simple canal vers l’écluse de Hazegras serait plus que suffisant pour l’écoulement des eaux des Flandres. Cela pourrait se faire au moyen d’une somme qui ne serait que la dixième partie de celle que l’on demande. Je veux bien que l’on rende justice aux Flandres, mais je veux aussi que ce soit d’une manière économique.
M. Raikem. - Je suis fort étonné, je l’avoue, de voir encore renouveler dans cette assemblée les observations relatives au rapport de la loi des indemnités.
Je me suis déjà expliqué à cet égard, et je répéterai ce que j’ai déjà dit.
Depuis longtemps, la section centrale s’est occupée de cet objet. Deux membres de la section centrale ayant été nommés ministres, il y a eu lieu de procéder à leur remplacement. Immédiatement après la nomination des deux nouveaux membres, la section centrale a repris son travail sur le projet de loi qui a constamment attiré ses méditations. Le renouvellement de la chambre par moitié est venu désorganiser de nouveau la section centrale qui, d’après une décision de la chambre, a été constituée en commission. Elle s’est alors occupée de ce travail avec le plus grand soin, en employant tous ses efforts pour présenter son rapport à l’assemblée.
Enfin, le travail est terminé. M. le rapporteur est venu m’en faire part. Là-dessus, je lui ai dit que je ne pourrais assembler la commission en ce moment, à moins qu’un de mes collègues ne voulût la présider.
M. le rapporteur m’a fait observer qu’ayant présidé antérieurement la section centrale, j’avais connaissance des antécédents, et m’a prié de continuer à présider la commission. Comme nous nous occupons des budgets, il m’a été impossible de me rendre encore au vœu de M. le rapporteur. Tous les jours, nous nous réunissons. MM. les membres des différentes sections centrales peuvent certifier ce fait.
Il m’est pénible, je vous l’avoue, de voir surgir à tout moment des motions d’ordre que l’on pourrait envisager comme des reproches. Je ne dis pas que telle est l’intention des honorables membres qui font de telles motions. Mais dans le public, en voyant ces motions d’ordre se répéter souvent, l’on pourrait les envisager comme des reproches, si l’on ne donnait des explications.
Je ne pense pas que l’on puisse en faire à des membres qui ont une aussi grande assiduité aux travaux des sections et à celui des sections centrales. Je n’en dirai pas davantage. J’espère que ces observations seront appréciées par l’assemblée.
Je répéterai à la chambre ce que j’ai dit à M. le rapporteur de la commission. Aussitôt que la chose sera possible, la section centrale s’occupera de l’examen du rapport de la loi des indemnités. Mais il n’était pas nécessaire de faire des observations ni des motions d’ordre.
M. Desmet demande la parole. (La clôture ! la clôture !)
M. Desmanet de Biesme. - Il est désagréable de passer le temps de la séance à ne rien faire.
M. Desmet. - M. Dumortier vient d’avancer un fait inexact. Je demande à dire deux mots.
M. Gendebien. - Il n’y a rien de personnel dans ce qu’il a dit.
M. Desmet. - Je n’ai pas demandé la parole pour un fait personnel. Je veux rectifier un fait.
- La chambre décide qu’elle passera à l’ordre du jour.
« Art. 1er. Frais de nourriture et d’entretien des détenus : fr. 700,000. »
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Messieurs l’article en discussion a pour objet les frais d’entretien et de nourriture des détenus.
Il est réclamé de ce chef une somme de 700,000 fr. qui a été allouée par la section centrale. Le gouvernement a proposé une réduction de 35,000 fr. Elle se trouve ainsi motivée dans le budget.
« Les économies successivement introduites dans le régime des prisonniers permettent de proposer cette réduction. »
Ce peu de mots vous indique assez que le gouvernement a fait ce qui dépendait de lui pour diminuer les frais dont il s’agit.
Cependant un honorable orateur, dans la séance d’hier, sans proposer de réduction, a cru que le gouvernement pourrait suivre une autre voie que celle qu’il a suivie jusqu’à présent et obtenir encore des économies.
Je pense, messieurs, qu’il suffira de faire connaître celles qui ont été introduites jusqu’à présent pour que vous ayez la conviction que le gouvernement a entièrement rempli son devoir à cet égard.
Le gouvernement, suivant les localités, a adopté deux systèmes pour la fourniture des prisons, celui de régie ou celui d’entreprise.
Le système de régie est adopté pour toutes les prisons dont la population est considérable, pour les maisons de force de Gand, Vilvolde, St-Bernard et Alost, et pour les maisons de sûreté d’Anvers, Bruxelles, Bruges, Gand, Namur, Liège et Mons.
Voici ce que c’est que ce système.
On a organisé dans ces prisons des boulangeries et des cuisines. Les ingrédients nécessaires sont mis en adjudication par les commissions administratives.
Ces adjudications se font avec toute la publicité possible. Elles sont soumises à l’approbation du gouvernement. Certainement il est impossible d’exiger plus de garanties.
Aussi vous allez juger si les résultats en sont favorables au trésor.
Pour les quatre maisons de force ci-dessus rappelées, le prix moyen de la journée d’entretien est de 21 centimes. Dans les autres maisons de sûreté également indiquées, le prix moyen de la journée est de 22 centimes. Je dois cependant faire observer que dans ce prix on ne comprend pas ce qui est nécessaire pour le chauffage, éclairage, couchage, blanchissage des détenus. Ce prix ne comprend que la nourriture.
Pour les prisons dont la population est moindre, il est impossible d’admettre le système de régie parce que les frais d’administration deviendraient trop considérables, et qu’au lieu d’y gagner, le trésor y perdrait beaucoup.
Que fait-on pour les maisons d’arrêt et les maisons de passage ? Dans la plupart des provinces une entreprise a lieu pour toute la province ; on y comprend les maisons d’arrêt et les maisons de passage. Du reste, c’est l’administration provinciale qui est consultée à cet égard et l’on suit le mode le plus utile au gouvernement.
Un honorable orateur, dont j’ai déjà parlé, prétend au contraire que nous devrions suivre le système de régie pour les maisons d’arrêt, et, à cette occasion, il a cité les maisons d’arrêt d’Audenaerde et de Termonde. Il a présenté des calculs d’après lesquels il résulterait une grande économie de ce système.
Je vais prouver que le gouvernement n’a pas été en retard de faire des essais à cet égard. C’est le gouvernement lui-même qui s’était adressé à l’administration provinciale de la Flandre orientale, pour s’assurer s’il ne serait pas plus convenable d’introduire le système de régie à Audenaerde et à Termonde. Les commissions de régences de ces villes ont été entendues. L’honorable membre qui a fait les observations auxquelles je réponds étant lui-même commissaire de district dans sa province et membre de la commission de régence, a dû faire à l’administration provinciale toutes les observations qu’il a soumises à la chambre, dans la séance d’hier. Si elles avaient été jugées utiles, elles auraient été prises en considération à cette époque.
Quoi qu’il en soit, il a été reconnu que ce système dont nous proposions nous-même l’introduction, serait nuisible aux intérêts que nous avions pour but de garantir. Dès lors, le mode proposé par l’honorable préopinant a été abandonné.
L’on m’adressera cette question : Puisque le système de régie est si favorable, pourquoi ne suit-on pas ce système pour le service des maisons d’arrêt comme pour les grandes prisons et les maisons de sûreté ? C’est que si l’on adoptait ce système pour quelques grandes maisons d’arrêt, comme celles d’Audenaerde, de Termonde, de Nivelles, etc., le gouvernement ne trouverait plus d’entrepreneur pour les maisons de passage. Un fournisseur, quand il ne peut pas compter sur une entreprise considérable, ne se soucie pas d’en courir les chances. C’est le bénéfice réel qui le détermine à entrer dans un semblable marché.
Mais, dit-on, adressez-vous aux municipalités, que les administrations communales se chargent des frais des maisons de passage. Mais les administrations communales ne s’en soucient pas non plus. Nous le leur avons proposé. Elles l’on refusé. Elles ne veulent pas prendre sur elles l’entreprise au prix que nous leur offrons. Ainsi, tous ce que l’on nous demande nous l’avons essayé.
Il y a plus, c’est que dans trois provinces l’on fait ce que l’on veut que nous fassions dans les Flandres, et c’est là que la journée de travail coûte le plus.
Ainsi, dans les provinces de Namur, du Limbourg et du Luxembourg, il y a une entreprise particulière pour les différentes prisons.
Quel est le prix de la journée d’entretien dans chaque province ? Il est de 63 centimes, y compris le couchage et l’éclairage dans le Limbourg, de 73 centimes dans la province de Namur et de 68 centimes dans le Luxembourg, tandis que dans les autres provinces où nous suivons un autre mode, dans la province de la Flandre orientale, par exemple, le prix de la journée d’entretien est de 62 centimes ; de 60 centimes pour la province d’Anvers, et de 42 centimes seulement pour le Brabant. Ainsi le prix est moins élevé dans les provinces où l’on veut introduire des économies que là on l’on suit la mesure que l’on vous propose.
Parmi les observations de l’honorable préopinant, il y en avait une qui m’avait frappé moi-même ; car la chambre doit penser que j’ai dû prendre des renseignements pour pouvoir entrer dans tous ces détails. Je ne puis me mêler moi-même de semblables choses. Dans le Brabant le prix de la journée d’entretien n’est que de 42 centimes, tandis qu’il est de 62 centimes dans la Flandre orientale. Cependant le prix des céréales est moins élevé dans cette province que dans les autres. D’où provient donc cette différence de 20 centimes sur la journée d’entretien ?
Je suis remonté aux causes, la différence ne s’expliquant que de cette manière. C’est que, cette année, un nouvel adjudicataire, plus hardi que les autres, a soumissionné à 42 centimes par journée d’entretien. Sa soumission nécessairement a été acceptée. Tel est l’avantage de la publicité des adjudications. C’est ce qui aurait eu lieu également dans les Flandres, si un adjudicataire aussi hardi s’était mis sur les rangs. Mais l’on voit, par la comparaison du prix des autres années, que souvent le prix de la Flandre orientale était inférieur à celui du Brabant. Je me suis procuré le tableau du prix moyen de la journée d’entretien pour 1835. Je me suis assuré qu’il a été de 52 centimes pour le Brabant, et de 50 centimes pour la Flandre orientale. Ainsi, en 1835, la journée d’entretien revenait à 2 c. de moins dans la Flandre orientale que dans le Brabant, et en 1836, il est revenu à 20 centimes de plus dans la première province que dans la seconde.
Quoi qu’il en soit, c’est par l’intermédiaire des administrations provinciales que ces adjudications se font. Le gouvernement paie plus ou moins selon les résultats de l’adjudication ; mais en définitive, il suit le seul mode qu’il puisse suivre.
Pour donner une preuve plus forte que le gouvernement ne gagnera point à traiter directement pour chaque maison de passage, je dirai que dans une partie de la province de Liége, il y a une entreprise générale, et dans l’autre la dépense se fait par maison d’arrêt ou de passage. En bien, là où il y a une entreprise générale, le prix moyen de la journée d’entretien coûte 58 centimes, et là où il y a une adjudication spéciale, par prison, ce prix est de 70 centimes. Ainsi un tiers de plus que dans la partie où nous suivons le même mode que pour toutes les autres provinces.
Quelque désir que j’aie de m’éclairer dans la discussion, quoique je ne doute pas que l’honorable membre n’ait présenté ses observations dans l’intérêt du gouvernement, je crois dès lors qu’elles ne peuvent être prises en considération.
Le même orateur avait recommandé à l’attention du gouvernement les maisons de passage. Il désirait que le gouvernement s’occupât de ces maisons pour en améliorer le régime. Le gouvernement n’a attendu ni les renseignements ni l’impulsion de l’honorable préopinant, pour prendre les mesures qu’il a jugées utiles.
Le gouvernement se fait rendre compte à des époques fixes l’état des maisons de passage pour s’assurer que toute surveillance à cet égard est observée. J’ai précisément sous les yeux une lettre du gouverneur de la Flandre occidentale arrivée aujourd’hui, qui servira de réponse à ce qui a été dit par l’honorable préopinant.
(Addendum inséré au Moniteur belge n°31, du 31 janvier 1836 :) « Conformément à votre circulaire du 26 novembre 1833,, n° 720 (4077 P), j ai l’honneur de vous adresser ci-joint l’état présentant des renseignements sur le nombre des détenus qui ont séjourné dans les maisons de passage de ma province, sur la conduite des concierges, ainsi que sur le service intérieur et la situation de ces dépôts.
« Je continue à faire surveiller les établissements de ce genre par les autorités locales, afin qu’aucun abus ne s’introduise dans le régime de ces maisons et que les prisonniers y soient convenablement traités. »
On dirait que cette lettre est venue tout exprès à mon secours.
D’un autre côté une circulaire a été adressée aux gouverneurs à l’effet de faire afficher dans les maisons de passage le cahier des charges de l’adjudication pour l’entretien des détenus. Dans beaucoup de localités nous sommes forcés de laisser l’entreprise au geôlier même de la maison de passage. C’est fâcheux. Mais enfin nous remédions au mal en faisant afficher les obligations imposées à l’entrepreneur. Le prisonnier qui se croira lésé dans ses droits, pourra se plaindre, si on ne lui donne pas la ration voulue par le cahier des charges.
M. de Jaegher. - J’avais espéré que. M. le ministre de la justice aurait pris en considération les observations que j’ai émises dans la séance d’hier sur le mode d’assurer le service d’entretien des détenus dans les prisons de la Flandre orientale, ou tout au moins qu’il n’aurait pas cherché immédiatement à les combattre.
Comme il est entré dans des calculs, je ne puis les laisser sans réponse.
Pour les maisons de force de Gand, de Vilvorde, d’Alost, et de St-Bernard, le prix moyen de l’entretien des détenus revient à 21 centimes. Pour d’autres maisons, dont la population est également forte, cet entretien revient à 22 centimes. Or, a dit M. le ministre, ce qui détermine ce bas prix, c’est la population de ces maisons ; le même système ne peut être appliqué aux maisons d’arrêt.
Je ne pense pas avoir proposé d’appliquer le système de régie. J’ai laissé l’initiative au gouvernement. J’ai dit que si l’on subdivisait dans les Flandres l’adjudication générale, telle qu’elle se fait aujourd’hui, en adjudications particulières, il y aurait un avantage pour le gouvernement, attendu que le service étant moins étendu, il serait plus à portée des sous-adjudicataires qu’emploie l’entreprise générale.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - On n’en trouve pas, je l’ai déjà dit.
M. de Jaegher. - Je dis que ce système pourrait être introduit si l’on écartait le seul obstacle qui s’y oppose, la difficulté d’organiser le service des maisons de passage.
M. le ministre a dit que, comme commissaire de district et membre de la commission de régence, j’ai dû émettre les mêmes considérations.
Mais alors je ne possédais pas les points de comparaison que j’ai aujourd’hui. Je ne savais pas que l’adjudication était de 42 centimes pour le Brabant. Je ne pouvais émettre les mêmes considérations à Audenaerde que maintenant.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Vous les avez émises cependant.
M. de Jaegher. - M. le ministre dit que les administrations communales ne veulent pas se charger de l’entreprise de l’entretien des détenus dans les maisons de passage. Il est possible que des démarches aient été faites par les provinces. Mais depuis 5 ans que j’occupe les mêmes fonctions à Audenaerde, jamais une pareille démarche n’a été faite auprès de la régence de cette ville.
Je regrette que M. le ministre de la justice ait mal compris le sens de mes observations. Il les a relevées d’une manière que je ne croyais pas avoir méritées. J’avais employé toutes les formes de politesse possibles.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Je n’en ai pas manqué non plus.
M. de Jaegher. - Une ou deux expressions de M. le ministre m’ont frappé péniblement. Je n’ai pas entendu lui donner une impulsion quelconque.
Il y a trois provinces, dit M. le ministre, où l’adjudication partielle est admise, et dans ces trois provinces le prix moyen de la journée d’entretien revient à un prix plus élevé. Je pense qu’il n’a pas assez tenu compte de la différence des localités ; ces provinces s’étendent sur une ligne beaucoup plus longue. La population pas aussi forte ; par conséquent les maisons de sûreté ne contiennent pas un aussi grand nombre de détenus. Cette considération doit avoir une grande influence sur le prix moyen, puisque M. le ministre de la justice a reconnu que le taux peu élevé de ce prix moyen dans les maisons de force était dû à la population de ces prisons.
L’exemple des trois provinces qu’il a citées ne peut donc s’appliquer à la Flandre orientale, où la population est plus pressée, où les distances sont moins grandes, où le séjour dans les maisons de passage est moins long, attendu qu’il n’y a souvent qu’une étape d’une maison à l’autre.
En 1835, le prix moyen de la journée d’entretien dans la Flandre orientale a été de 50 centimes, tandis que dans le Brabant il a été de 52 centimes.
J’ai cité ce fait. J’ai dit que l’adjudicataire avait senti la nécessité de baisser son prix, parce que des essais avaient été faits pour changer de système, et qu’il a craint qu’on ne lui retirât l’adjudication.
Il a haussé ce prix jusqu’à 62 c. pour 1836 ; il était seul adjudicataire comme en 1836. Mais cette fois il avait le même motif que dans l’année précédente pour baisser son prix.
M. le ministre de la justice a dit également, que pour les maisons de passage, j’avais appelé l’attention du gouvernement sur le mauvais état du service. A cette occasion il a cité une correspondance qui prouve qu’il a mis tous les soins à bien organiser le service des maisons de passage. Il a dit alors qu’il n’avait pas attendu l’impulsion des membres de la chambre et de moi particulièrement ; je n’ai pas cherché à me faire valoir, la preuve c’est que j’ai dit : « M. le ministre a lui-même renouvelé ses instances, etc. »
J’ai donc rendu hommage aux bons soins de M. le ministre de la justice. Il y a certaines maisons de passage où il n’y a eu dans le courant de 1835 que 13 détenus qui y ont séjourné, à Cruysauthem par exemple. Comment voulez-vous que l’on y organise un service journalier, que des moyens d’alimentation soient préparés à tout événement ? Aussi l’adjudicataire général est bien obligé de traiter avec des sous-traitants dans les communes pour l’entretien des prisonniers dans les maisons de passage. C’est une chose très difficile d’organiser ce service.
Si, comme je l’ai dit, on laissait aux administrations communales le soin d’entretenir les détenus dans les maisons de passage, si on leur accordait pour cela un taux moyen de 1 fr. 50 c., elles ne s’y refuseraient pas. La nourriture que recevrait le prisonnier ne serait pas celle à laquelle il a droit d’après le cahier des charges. Ce serait une nourriture convenable ; ce serait celle que l’on pourrait exiger pour un service non régulier. Telle est l’observation que j’ai faite dans la séance d’hier.
J’ai dit qu’au moyen de ce sacrifice de 1 fr. 50 c. par journée d’entretien, l’on regagnerait le surcroît de dépense qui en résulterait sur les bénéfices généraux des autres entreprises particulières.
Je persiste donc à croire que le changement de système que j’ai proposé n’est pas impraticable, et je termine en priant M. le ministre de la justice de croire que je n’ai eu aucune intention de lui adresser un reproche. (Aux voix ! aux voix !)
M. Bosquet. - Je suis convaincu, comme M. le ministre de la justice, que le système par voie de régie présente les résultats les plus favorables pour les prisons dont la population offre un chiffre élevé. Il suffit de citer la maison de force de Vilvorde, où la journée revient à 19 centimes, et la maison d’arrêt de Bruxelles où elle revient à 20 centimes. Mais il n’en est pas moins vrai qu’il a été signale une différence énorme entre le prix de la journée d’entretien dans la Flandre orientale et le prix de la journée d’entretien pour le Brabant. Cette différence est de 20 centimes.
M. le ministre de la justice croit pouvoir l’attribuer à des causes éventuelles. Je crois plutôt qu’il faut l’attribuer à un défaut de concurrence et de publicité, dont n’a pas été entourée l’adjudication de la Flandre orientale. J’appelle sur cet abus l’attention de M. le ministre de la justice. Il me semble que l’on aurait pu obtenir un prix moins élevé.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - L’adjudication des vivres pour les prisons est un fait qui se renouvelle tous les ans. Cette adjudication reçoit toute la publicité possible. Elle est annoncée dans les journaux. Je suis persuadé qu’aucun de ceux qui auraient voulu prendre part à l’adjudication pour la Flandre orientale n’ont ignoré les clauses de celle de 1836. L’honorable membre s’est trop hâté de qualifier d’abus ce qu’il a appris par ouï-dire, je proteste contre cette qualification. J’ai trop de confiance dans l’administration provinciale de la Flandre orientale pour supposer qu’elle ait pu nuire en aucune manière aux intérêts du trésor. On ne devrait pas qualifier d’abus un fait que l’on n’a pu constater.
M. Desmet. - En qualité de vice-président de la commission administrative de la prison d’Alost, je dois déclarer que l’on a donné la plus grande publicité à l’adjudication qui a eu lieu pour l’entretien et la nourriture des détenus de cette maison de force. Chaque année on consacre plusieurs séances à cette adjudication. Une trentaine de personnes y assistent.
Lorsqu’un article est très élevé, comme le gouvernement a le droit de faire refaire l’adjudication, on procède sur cet article à une seconde adjudication partielle. C’est donc une erreur de dire que l’on n’a pas donné toute la publicité possible aux adjudications de cette nature passées dans la Flandre orientale.
M. Dubus. - J’ai une explication à demander sur les motifs qui ont déterminé à fixer à 700,000 francs l’article en discussion.
Je lis dans le rapport de la section centrale qu’en 1834 la dépense réelle ne s’est élevée qu’à 622,000 francs. Il y a deux causes qui peuvent influer sur cette dépense variable de sa nature. La première c’est l’augmentation du prix de l’adjudication ; la deuxième c’est l’augmentation du nombre des détenus. Je crois que la première cause a disparu, car je pense que toutes les adjudications sont faites pour l’année 1836. Il ne resterait donc que la cause de l’augmentation du nombre des détenus, pour justifier l’élévation du chiffre proposé. Mais je ne crois pas que cette cause seule puisse justifier une augmentation de 78,000 fr. sur une somme à dépenser de 622 mille francs. Je désirerais que M. le rapporteur de la section centrale m’expliquât la nécessité de maintenir l’allocation de 700,000 fr. demandée par le gouvernement.
M. de Behr, rapporteur. - La section centrale a pensé que d’un côté le nombre des prisonniers pouvait varier, d’un autre que le prix des adjudications pouvait être plus élevé. Car les adjudications pour l’année 1836 ne sont pas toutes faites encore. Pour ne pas s’exposer au désagrément d’un crédit supplémentaire, la section centrale a cru devoir admettre le chiffre.
M. Desmet. - Je dirai, à l’appui du chiffre proposé, que la population de la prison d’Alost a augmenté du double cette année. S’il n’y avait pas une prévision au budget, il n’y aurait pas assez d’argent. Il faut remarquer que l’adjudication se fait par quantités que l’on livre et non par individus.
- L’article premier est mis aux voix et adopté.
« Art. 2. Traitement des employés attachés au service des prisons : fr. 240,000. »
- Adopté.
« Art. 3. Récompenses à accorder aux employés pour conduite exemplaire et actes de dévouement : fr. 2,500. »
- Adopté.
« Art. 4. Frais de bureau : fr. 8,000. »
- Adopté.
« Art. 5. Constructions nouvelles, réparations et entretien des bâtiments et du mobilier : fr. 150,000 fr. »
- Adopté.
(Moniteur belge n°31, du 31 janvier 1836) « Art. 6. Achat de matière première et salaires : fr. 950,000. »
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Je viens proposer une majoration considérable de 300,000 fr, et élever par conséquent le chiffre de 950,000 à 1,250,000 fr. Vous serez bientôt rassurés sur ma demande.
Il ne s’agit pas d’une dépense, mais il s’agit de l’acquisition de la matière première pour le travail des prisonniers. Les provisions de matières premières étaient tellement limitées dans les prisons, que, vers la fin de l’année qui vient de s’écouler, j’ai été obligé de vous demander un crédit supplémentaire de 100,000 fr. à l’effet de les renouveler.
Ce manque d’approvisionnements a empêché les prisons de satisfaire à des fournitures qu’elles avaient entreprises. La chambre n’a pas hésité à m’accorder le crédit que je demandais.
Je vais avoir l’honneur de vous indiquer les motifs qui m’ont engagé à vous demander cette majoration de 300,000 fr.
En vous proposant un transfert au budget de l’année écoulée afin d’être à même de pourvoir aux besoins des ateliers des prisons, le gouvernement a eu occasion de vous signaler le dénuement dans lequel se trouvent leurs magasins.
A l’époque où le projet du budget pour 1836 a été rédigé, au mois de septembre dernier, l’administration ne pouvait connaître d’une maniéré précise la situation de ces établissements. Les directeurs des travaux des prisonniers se réunissent vers la fin de chaque année au ministère de la justice pour combiner le plan de leurs opérations pendant l’exercice suivant. Ce n’est que dans la dernière réunion que l’on a pu préciser les besoins de 1836 avec exactitude.
L’on y a évalué les quantités de fil de lin nécessaires pour alimenter les ateliers de tissage des maisons centrales, de la manière suivante :
Gand, 175,000 kilogrammes.
Vilvorde, 100,000
St-Bernard, 50,000
Les deux directions de Gand et de Vilvorde avaient à peine le fil nécessaire pour alimenter la tisseranderie jusqu’à la fin de l’exercice 1835 ; l’une a encore 20,000 et l’autre 15,000 kilogrammes environ en manipulation et sur les métiers.
Saint-Bernard a un approvisionnement proportionnellement plus considérable, 95,000 kilogrammes. C’est ce qui a permis de réduire à 50,000 kilogrammes la quantité nécessaire pour l’alimentation de ce dernier établissement, quantité à laquelle il faut d’ailleurs ajouter 8,000 kilogrammes provenant de se filature.
Les 325,000 kilogrammes de fil adjugés pour 1836 pour un prix moyen de fr. 2-40 le kilogramme, représentent une somme de 780,000 fr.
A cette dépense principale il faut ajouter les dépenses accessoires suivantes pour l’alimentation du travail dans les 4 maisons centrales, 42,000 kilog. de lin espadé à une moyenne de fr. 1-50, fr. 63,000.
4,500 kilog. de laine filée pour le tricotage des chaussettes pour l’armée à fr. 4-45, fr. 20,000.
Frais généraux, manipulations, etc., fr. 100,000.
Paiement des objets d’équipement confectionnés par les sous-traitants, fr. 175,000.
Salaires et gratifications aux détenus, fr. 100,000.
Ainsi la somme à porter au budget pour les achats de matières premières, les salaires à payer aux détenus, les avances à faire aux sous-traitants et en général l’alimentation du travail dans les quatre maisons centrales, s’élèvera, pour 1836, à fr. 1,238,006.
Il y aura donc pour 1836 une adjudication assez forte du chiffre des années précédentes ; mais j’ai déjà démontré ailleurs, dans l’exposé des motifs du transfert opéré au budget de 1835 présentés dans la séance du 25 novembre, que cette majoration est devenue nécessaire pour augmenter les approvisionnements de matières premières et avoir ainsi dans les magasins une avance de trois mois au moins pour chaque exercice. L’absence de cette avance a porté un notable préjudice à l’économie des travaux durant les années précédentes ; il a fallu se résigner à des pertes notables sur les achats faits au jour le jour et au fur et à mesure des besoins. Avec un approvisionnement suffisant, au contraire, on aurait pu attendre, pour les achats, des époques plus favorables, et on aurait pu imprimer aux travaux cette activité soutenue que des circonstances dépendantes de l’inconvénient que je viens de signaler n’ont pas toujours permise.
Il doit en être à cet égard des fabriques, des maisons centrales, comme de toutes les autres manufactures. Il faut qu’elles aient à leur disposition un crédit qui les mette largement à même de se garantir contre la variabilité des marchés.
Ce défaut d’approvisionnement a empêché aussi de donner à certaines industries toute l’extension dont elles étaient susceptibles. Pour ces motifs , les prisons ont dû maintes fois abandonner à des entrepreneurs particuliers la fourniture d’une partie des effets militaires, et le trésor s’est trouvé frustré par là des bénéfices qu’elles lui auraient procurés à l’aide d’avances suffisantes.
Je rappellerai ce qu’un honorable membre a dit au sujet du budget de la guerre. Il a dit que ce département gagnait beaucoup à s’approvisionner dans les prisons tant sous le rapport de la qualité que sous celui du prix, Ainsi, quand les prisons ne peuvent fournir les demandes du ministère de la guerre, il y a une double perte pour le trésor. C’est pour éviter cette perte que je demande une majoration de 30,000 francs.
La majoration demandé pour les besoins de 1836 ne peut donc que produire des avantages certains. Non seulement elle assurera la marche du service, mais elle permettra d’imprimer plus d’activité aux ateliers et procurera au trésor des rentrées plus fortes, si ce n’est cette année même, au moins pendant les exercices suivants.
Il y a lieu de remarquer que d’ailleurs cette majoration n’est pas de nature à être continuée les années suivantes. Elle suffira pour approvisionner les fabriques des maisons centrales pour 15 à 16 mois au lieu d’un an, et les mettre ainsi à l’abri des fluctuations des marches de fil et de lin. Il est évident que, grâce à cette avance de 3 a 4 mois, il sera possible l’année suivante de rentrer dans la voie ordinaire et qu’il suffira alors, pour les travaux, d’une allocation de 900 à 950,000 francs, à moins cependant que le prix des fils de lin ne continue à augmenter dans une trop forte proportion ; mais alors encore cette augmentation sera compensée par celle du chiffre des recettes.
Il résulte de deux tableaux qui ont été intercalés dans l’exposé des motifs du transfert de 100,000 fr. au budget de 1835, que les sommes restées disponibles ou excédant des crédits sur les allocations portées aux budgets de 1831 1832, 1833 et 1834, présentent un total de 521,814-84, savoir 249,949-39 sur les crédits ouverts pour les travaux des prisonniers, 271,889-45 sur les crédits ouverts pour pourvoir aux frais de leur entretien ; ainsi la majoration que l’administration réclame pour l’allocation des travaux en 1836, majoration qui n’est après tout qu’une avance remboursable et un moyen infaillible d’avantages pour les achats, n’absorbera à peine que la moitié des économies réelles qu’elle a effectuées depuis cinq ans.
Ici j’ajouterai quelques mots.
Il a été reconnu par la chambre même que le crédit de 950,000 francs n’est pas suffisant ; dès lors je me verrais dans la nécessité de demander encore cette année un crédit supplémentaire.
Il a été reconnu par l’honorable rapporteur de la section centrale qu’il n’y avait aucun inconvénient pour le trésor à accorder un tel crédit, mais qu’au contraire il en retirait un grand avantage.
Voici comment il s’exprimait dans son rapport du 12 décembre 1835, en parlant de ce crédit nouveau : « Loin d’occasionner aucune charge nouvelle pour l’Etat, il lui sera au contraire fructueux : la dépense que nécessite le travail des prisons sera non seulement couverte par la vente des produits fabriqués, mais il en résulte pour le trésor un bénéfice plus ou moins considérable qui est porté en recette au budget des voies et moyens. »
Il est même à remarquer que ce que je demande à titre d’avance ne sort pas du trésor. Il s’établit une espèce de compte courant entre les départements de la guerre et de la justice.
Nous ne recevons pas de paiement du ministre de la guerre pour les objets que nous lui livrons. Le trésor est payé d’un côté de ce qu’il dépense de l’autre : le trésor se paie en quelque sorte lui-même.
J’avais eu un scrupule au moment de faire cette proposition à la chambre, je craignais que l’équilibre entre les recettes et les dépenses ne fût altéré.
Mais avant de demander une augmentation de crédit, j’ai consulté mon honorable collègue le ministre des finances ; il m’a répondu que la somme que je voulais demander pourra être portée, lors de la discussion du dernier budget des dépenses, celui des non-valeurs, comme annexe au budget des recettes, pour remboursement de ladite somme, et par ce moyen l’équilibre entre les recettes et les dépenses ne serait pas détruit.
Je pense qu’après ces explications la chambre ne fera aucune difficulté à allouer la somme que je réclame.
M. Doignon. - M. le ministre vient nous demander, séance tenante, une majoration très importante, une majoration de 500 mille fr. Il me semble qu’elle aurait dû être soumise à la section centrale. Des rapports ont eu lieu entre la section centrale et M. le ministre de la justice ; s’il lui avait remis cette demande d’augmentation, elle aurait été examinée avec soin, et la chambre, par un rapport, aurait été mise à même de l’apprécier. Car, à la lecture fugitive qui vient d’être faite d’un grand nombre de pièces, il est impossible de se former une opinion sur une majoration aussi considérable.
Je demande donc le renvoi de cette proposition nouvelle à la section centrale.
Quant à moi, je rejetterai et le crédit demandé par la section centrale et la majoration. Je crois que chaque année on alloue assez légèrement des sommes considérables pour achats de matières premières, destinées à alimenter les ateliers des prisons : jamais on ne nous communique de compte détaillé des produits de ces ateliers ; jamais on ne nous donne de compte des ventes et des achats qui se font. Notre honorable collègue, M. de Brouckere, a constamment combattu dans cette enceinte le système de régie adopté par le gouvernement. Selon moi, ce n’est pas le fait du gouvernement de faire le commerce, d’acheter et de vendre, de se constituer fabricant. Ce genre d’opérations devrait être abandonné à l’industrie privée ; car il est impossible que le gouvernement exerce une surveillance convenable. Un gouvernement marchand doit nécessairement être dupe, car il est impossible qu’il rencontre dans ses agents ce stimulant qu’on trouve dans l’intérêt privé.
On nous dira que le gouvernement ne fait aucune perte et qu’il fait au contraire des bénéfices, mais il ne s’ensuit pas qu’on administre bien, car si le bénéfice peut être plus considérable, il en résulte que l’affaire est mal administrée. Il est facile au gouvernement, non seulement de ne pas perdre, mais de faire des bénéfices, car il obtient à vil prix les objets fabriqués. C’est précisément parce qu’il peut faire des bénéfices considérables que probablement la chose est mal administrée.
Je ferai observer que la chambre n’a aucun moyen de contrôler l’emploi du crédit énorme qu’on lui demande. Elle n’y connaît rien ; elle ne connaît ni les objets qu’on fabrique, ni le prix de revient, ni les prix de vente, ni les prix des matières premières qu’on achète. D’un autre côté, ce système porte un préjudice notable au commerce et à l’industrie, qui sont dans l’impossibilité de lutter avec le gouvernement qui a la main-d’œuvre presque pour rien.
Les gouvernements sont établis pour protéger et encourager l’industrie et le commerce et non pour les envahir. Je préférerais qu’on adoptât le système proposé par M. H. de Brouckere, que je regrette de ne pas voir ici, celui d’adjuger chaque année les travaux des prisonniers, mais à des conditions telles que les entrepreneurs ne pussent pas abuser de la situation des prisonniers, qu’ils ne les soumissent qu’à des travaux modérés, à des travaux qui n’excédassent pas leurs forces. On pourrait également stipuler que l’entrepreneur serait tenu de fournir à l’armée les objets fabriqués à un prix modéré.
Quant au système de régie, je le repousse, parce que le gouvernement ne peut qu’être dupe. Libre au ministre de prétendre que cette régie est bien administrée ; mais, moi, je ne le crois pas, parce que cela n’est pas possible. C’est contraire à la nature des choses.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Sur une question aussi simple, je ne pouvais pas craindre l’examen soit de la section centrale, soit de la chambre. Si je n’ai pas soumis cette demande à la section centrale, c’est que les directeurs des prisons ne se sont réunis qu’à une époque où la section centrale avait terminé l’examen de son budget. Tout ce que j’ai pu faire a été de soumettre a l’honorable rapporteur de cette section l’exposé des motifs de la majoration que je réclame.
L’honorable préopinant est dans l’erreur quand il dit qu’on n’a pas fait connaître à la chambre le résultat des travaux des prisons, qu’on ne donne pas de compte des produits de ces travaux. Le gouvernement n’a jamais refusé de donner à la chambre tous les renseignements qu’elle pouvait désirer. Dans mon département on a même été au-devant des intentions de la chambre. Quand j’ai demandé un transfert de 100,000 francs, j’ai communiqué, à la suite de l’exposé des motifs, la récapitulation des produits des travaux des prisons pendant les années 1831, 1832, 1833 et 1834. On a pu voir ce qui était produit par les prisons.
L’honorable préopinant n’est pas porté pour le système de travail tel qu’il est établi dans nos prisons. Cette question a été débattue dans cette enceinte et au-dehors elle a été l’objet d’enquêtes très consciencieuse, après lesquelles le système actuellement suivi a été reconnu le meilleur par ceux-là même qui l’avaient attaqué sous le rapport matériel et moral.
On dit que le gouvernement ne doit pas se faire marchand. J’admets cet axiome en règle générale. Mais je ne sais pas pourquoi le gouvernement qui doit nourrir des prisonniers et vêtir des soldats n’emploierait pas des prisonniers pour confectionner les vêtements des soldats. En cela le gouvernement ne nuit pas aux industriels, il fabrique pour lui ; il ne jette pas dans le commerce les produits des prisons de matière à faire concurrente avec les fabricants.
Un grand bien qui est résulté du système de travail admis pour les prisons, c’est qu’il a fait baisser à leur véritable taux, à un taux raisonnable, les adjudications de fournitures du ministère de la guerre.
Quand il s’agit d’objets pour lesquels le gouvernement doit avoir recours à des sous-traitants, il modifie son système, car il n’a pas de système absolu ; il ne fait que suivre le système qu’il a reconnu le meilleur après avoir entendu les commissions administratives des différentes prisons, et après avoir débattu les motifs pour et contre chaque système.
M. Legrelle. - Je n’entrerai pas dans la question grave de savoir si pour le travail des prisonniers on doit préférer le système de régie ou celui d’adjudication. Cette question ne me paraît pas de nature à pouvoir être traitée incidemment d’une manière convenable. Mais j’aborde la demande de crédit assez considérable qui vous est faite pour achat de matières premières. J’appuie le renvoi proposé parce que je désire que la section centrale examine la question. Je pense que le ministre de la justice ne l’a pas envisagée sous toutes ses faces. Il ne l’a envisagée que sous le rapport de la bonne qualité et du bon marché des produits qu’on procurait à de la guerre. Mais il y a d’autres questions à examiner, par exemple celle de savoir si une fabrication pareille à celle qui a lieu dans les prisons et qui emploie principalement, en matières premières, la tuile et le lin, ne doit pas chercher le moment le plus favorable pour acheter cette toile et ce lin, et ensuite la question de savoir si les lins ne sont pas susceptibles de diminution. C’est une chose qui mérite un examen attentif, car nous avons vu déjà les lins diminuer de prix ; et l’extension que les cultivateurs donnent à cette culture par suite du bas prix des céréales, me porte à croire qu’au lieu de hausser, les lins diminueront encore de prix. Ce ne serait donc pas le moment de faire de forts approvisionnements.
Ensuite, M. le ministre a justifié une appréhension que j’avais de voir détruire l’équilibre entre les recettes et les dépenses si on augmentait son budget de 300 mille francs, et je prévois d’autres augmentations pour les autres budgets.
J’ai consulté, dit-il, le ministre des finances ; et rien n’est plus facile que de porter une augmentation de 300 mille francs de recettes pour ordre au budget des voies et moyens. Je comprendrais le moyen proposé, si c’était réellement une recette qui dût rentrer pendant le cours de l’année. Mais il n’en est pas ainsi. Car, comme vous l’a dit le ministre, la somme qu’il vous demande n’est pas seulement pour l’approvisionnement de l’année, c’est pour longtemps ; c’est une somme une fois donnée pour alimenter les ateliers des prisons, et au moyen de laquelle ces ateliers pourront marcher.
Les produits des objets fabriqués devront d’année en année être employés à l’achat de matières premières de provisions, si vous voulez que les ateliers restent alimentés. Ainsi, nul doute que vous ne pourrez pas faire rentrer la somme au trésor au bout de l’année. C’est cependant ce qui devrait avoir lieu si vous vouliez que la somme portée aux recettes pour ordre ne fût pas illusoire.
Il faudrait que la recette s’opérât, et elle ne doit pas s’opérer puisque vous dites que cette somme n’est demandée qu’une seule fois, et qu’elle continuera servir de fonds d’approvisionnement de matières premières qui restera en permanence. Il en résulte que vous ne pouvez pas porter une somme de 300 mille francs en recettes pour ordre, parce que cette recette ne sera pas effectuée à la fin de l’année.
M. le ministre ne remédie donc pas à l’inconvénient qu’il avait reconnu lui-même.
Je pense qu’il est nécessaire de renvoyer la proposition à la section centrale, et j’appuie ce renvoi.
M. Desmet. - Je comprends très bien l’objet de l’augmentation de 300 mille fr. que demande M. le ministre de la justice. Il veut avec raison que les prisonniers aient de l’ouvrage pendant toute l’année. Je prends la parole pour l’informer qu’on se plaint de ce qu’on laisse chômer les prisonniers militaires d’Alost. C’est qu’au lieu de faire faire les habillements des soldats dans la prison, on les fait faire dans les régiments, au détriment du trésor. Je trouve ici un tableau duquel il résulte qu’un régiment a fait faire trois mille pantalons dans la prison, tandis qu’un autre régiment n’en a fait faire que 300.
A Alost, il n’y a pas de matières premières à acheter, elles viennent des régiments qui envoient les pièces toutes coupées. Et il est à ma connaissance qu’elles sont bien confectionnées ; quand il manque la moindre chose à un pantalon ou autre objet, le quartier-maître le renvoie.
Si le ministre de la guerre voulait faire confectionner dans les prisons tous les habillements des soldats, les ateliers ne chômeraient jamais.
M. A. Rodenbach. - Je ne m’oppose pas à la proposition qui est faite de renvoyer la demande du ministre a la section centrale, mais je dois dire que le système suivi en Belgique est plus économique et plus humain que celui adopté en France. En France l’entrepreneur nourrit le prisonnier. J’ai été visiter l’abbaye de Lot près de Lille ; et là, j’ai entendu dire à un employé subalterne que ce système donnait lieu à beaucoup d’abus, que les prisonniers étaient exploités comme des esclaves par l’entrepreneur qui gagnait sur leur travail et spéculait encore sur la nourriture qu’il se charge de leur donner.
A Gand, on a fait quelques essais de ce système, mais on en est bientôt revenu, parce qu’on l’a trouvé inhumain, et en même temps moins économique que celui qu’on suit actuellement.
Je ne discuterai pas la question du renvoi, mais je ferai observer qu’il conviendrait de saisir le moment favorable pour faire les approvisionnements de matières premières. C’est ce qu’on fait pour les prisons des Flandres ; on achète à bon compte dans les moments favorables. On trouve aussi moyen de faire des économies. On a envoyé des circulaires pour engager à suivre ce mode qui est avantageux pour le pays.
Je préfère, je le répète, le système de régie à celui d’entreprise, parce que je le trouve plus humain et qu’on n’exploite pas les prisonniers. Ils sont malheureux. On doit les plaindre.
- Le renvoi à la section centrale est mis aux voix. Il n’est pas adopté.
M. Dubus. - Puisque la majorité de la chambre est suffisamment éclairée sur la question, attendu qu’elle repousse le moyen de faire une vérification de la proposition, je demanderai que l’un ou l’autre des membres de la majorité veuille bien donner les raisons qui doivent faire admettre une proposition semblable.
On nous a présenté un budget de la justice qui offrait une diminution de dépenses, et maintenant, par un amendement que la plupart de nous n’ont pas pu examiner un quart d’heure, on va changer le chiffre de ce budget de telle manière qu’au lieu d’une réduction de 175 mille fr il y aura une augmentation de 125 mille fr. Je ne sais pas ce qu’on fera dans les autres budgets, mais voilà une avance de 300 mille fr qui va être faite immédiatement.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Ce n’est qu’un crédit ouvert.
M. Dubus. - L’article qu’il s’agit d’augmenter fait chaque année l’objet de l’examen de la section centrale. On demande séance tenante une augmentation de 300,000 fr. fondée sur des dépenses que personne n’a pu saisir. Chacun de nous se trouve dans l’embarras.
M. le ministre dit qu’il a communiqué sa proposition au rapporteur de la section centrale. M. le rapporteur n’a donné aucune explication. J’aurais désiré qu’il convoquât la section centrale pour examiner la proposition.
Quant à moi je regarde comme un fâcheux précédent de voter ainsi une proposition semblable, sans examen préalable
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Ainsi que je l’ai déjà dit, ce n’est pas une dépense que je propose. Je n’abuserais pas de la bienveillance de la chambre au point de venir lui proposer séance tenante une dépense de 300,000 fr. ; mais la chambre sait avec quelle économie, quelle probité les prisons sont administrées et quelles améliorations on y a introduites. Lorsqu’elle a autorisé le transfert de 100 mille fr., elle a reconnu que la somme de 950 mille fr. était insuffisante. Je viens lui dire aujourd’hui quelle est la somme qui a été reconnue nécessaire par tous les directeurs de prison. Ce n’est que récemment que j’ai connu ce chiffre, pendant l’examen de mon budget par la section centrale, je l’ignorais, car ce n’est que dans le mois de décembre que les directeurs des prisons se sont réunis.
Hier, quand on a été sur le point de discuter mon budget, comme je ne voulais surprendre personne, j’ai fait connaître à M. le rapporteur de la section centrale la demande que je me proposais de faire et je lui en donnai les motifs que j’avais mis par écrit.
L’honorable M. Dubus a provoqué la majorité ; il lui a dit : Puisque vous êtes assez éclairés, donnez les raisons qui vous portent à allouer le crédit. Ces raisons je les avais déjà développées. J’ai indiqué les adjudications, j’ai indique toutes les sommes nécessaires. Mais avons-nous assez de temps de reste pour venir encore dans deux ou trois mois vous demander deux ou trois cent mille francs ? Si d’ici à quelques mois je venais vous dire : Les ateliers chôment, j’ai besoin de matières premières, certes vous vous empresseriez de me donner ce que je vous demanderais.
J’ai visité les prisons, j’ai pris personnellement connaissance de ce qui s’y passe, et j’ai beaucoup gagné à cette visite, car, elle me mettra à même de faire des améliorations.
Je me suis assuré que la demande que je vous fais est fondée. Ce n’est d’ailleurs qu’un crédit. Si nous faisons maintenant l’adjudication des matières premières, dans trois mois il y aura beaucoup de toiles fabriquées et quand le troisième trimestre commencera, les dépenses faites dans le premier trimestre, rentreront. Mais j’ai besoin d’un crédit plus ou moins grand pour profiter du moment le plus favorable pour l’acquisition des matières premières.
Comme je l’ai déjà dit, la somme ne se dépense pas : presque toutes nos livraisons se font au ministre de la guerre : ce qui se dépense d’un côté, rentre de l’autre, au trésor : le trésor n’est donc pas à découvert.
L’honorable M. Dubus peut allouer le crédit en toute sûreté de conscience et sans craindre que le gouvernement n’en abuse.
M. de Behr, rapporteur. - M. le ministre m’a effectivement communiqué sa proposition et les motifs sur lesquels il la fondait. Je ne comprends pas qu’on s’étonne de ce que je n’ai pas réuni la section centrale pour examiner cette proposition. La section centrale avait terminé son travail, elle n’était pas saisie de cette question ; j’ai dit à M. le ministre de la justice que nous attendrions la discussion. Il n’entrait pas dans mes attributions de réunir la section centrale.
Quant au fond de la question, ce qui me portera à adopter la majoration, c’est qu’il s’agit d’une avance dans laquelle le gouvernement rentrera avec un bénéfice plus ou moins considérable. J’avais été surpris de ce que le ministre dans son budget n’avait demandé que 950 mille francs, quand cette somme ne lui avait suffi l’année précédente, car il a dû vous demander un supplément de crédit de 100 mille francs ; mais il vous a dit que les besoins de ce service ne lui étaient pas encore connus quand il a préparé son budget.
J’ai vérifiée qu’en 1834 la chambre avait accordé une somme de 950 mille francs et qu’elle avait produit 1,102,000 fr., ce qui est un bénéfice considérable.
M. Gendebien. - Je pense bien que la somme demandée par le ministre de la justice n’est qu’une simple avance qui doit même produire des bénéfices au trésor. Mais je ferai observer qu’il y a au moins un peu d’imprévoyance de sa part ; il devait savoir, avant que la section centrale examinât son budget, qu’il aurait besoin d’un crédit plus élevé que celui qu’il y avait demandé. Il vous a dit que les directeurs des prisons ne s’étaient réunis qu’à la fin de l’année, et qu’il n’avait pas pu savoir avant la somme qui serait nécessaire. J’invite à l’avenir M. le ministre de réunir plus tôt les directeurs des prisons. Ce n’est pas à la chambre à attendre qu’il plaise aux directeurs des prisons de se réunir, ou au ministre de les réunir.
Il doit, avant de faire son budget, connaître les besoins. Au surplus, si les directeurs des prisons se sont réunis à la fin de décembre, il n’avait pas besoin d’attendre le 20 janvier pour faire sa proposition.
Je ne reproche ici au ministre que son imprévoyance.
Quant au crédit, comme il n’a pour but que de donner les moyens de travail aux prisonniers, je le voterai. Mais je dois le dire, c’est un vote de confiance, et j’invite M. le ministre à ne pas abuser de cette facilité, car nous sommes ici pour donner des votes de conscience et non des votes de confiance.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Je tiendrai compte des observations de l’honorable préopinant quand je ferai mon prochain budget.
L’allocation de 950,000 fr. avait suffi pour l’exercice de 1834 et lorsque je me suis trouvé dans la nécessité de demander un supplément de crédit de 100,000 fr. pour 1835, déjà le projet de budget pour 1836 était soumis à la chambre. Ce n’est qu’à la fin de l’année que j’ai appris qu’il était nécessaire de majorer la somme accordée en 1835, et alors j’ai réclamé un transfert. Ceci prouve les scrupules du gouvernement, et montre que ce n’est pas légèrement qu'il demande de fortes sommes.
Je profite de cette occasion pour faire observer à l’honorable M. Doignon qu’il changera peut-être d’avis relativement au mode de travail suivi actuellement dans nos prisons, s’il réfléchit que le système qu’il propose offre beaucoup plus d’inconvénients que celui qui est mis en pratique : si les bras des prisonniers étaient loués à des industriels, le commerce en souffrirait ; bientôt toute espèce de concurrence cesserait, parce qu’elle deviendrait impossible. C’est un fait qui est remarqué en France, et de toutes parts, dans ce pays, on élève des réclamations contre ce système. Et nous devons nous féliciter d’en avoir choisi un que nos voisins seront bientôt forcés d’imiter.
M. Legrelle. - Je crois bien que le crédit demandé ne rentre pas dans la catégorie des dépenses ; toutefois, je ne vois pas qu’il soit nécessaire d’augmenter le chiffre du budget des dépenses. Une partie de la nation ne fait pas de distinction dans le crédit et ne voit que la hauteur du chiffre. (Bruit.) Le chiffre de 1,050,000 fr. ayant suffi jusqu’à présent, pourquoi le porter à 1,250,000 fr. ? Je ferai de plus observer que le ministre n’a rien répondu aux objections financières que j’ai présentées.
M. le ministre de la justice (M. Ernst) se lève pour répondre.
- De toutes parts. - Aux voix ! aux voix !
- Le chiffre de 1,250,000 fr., mis aux voix, est adopté.
« Art. 1er. Frais d’entretien et de transport des mendiants dont le domicile de secours est inconnu : fr. 10,000. »
- Adopté.
« Art. 2. Subside à accorder extraordinairement à des établissements de bienfaisance : fr. 50,000.
- Adopté.
« Art. 3. Pour avances à faire au nom des communes, à charge de remboursements de leur part, au dépôt de mendicité établi aux colonies agricoles : fr. 74,074. »
M. Desmet. - Je demanderai au ministre s’il n’y aurait pas possibilité de résilier le contrat relatif à ces colonies agricoles qui coûtent annuellement si cher à l’Etat pour rendre encore pire la situation des malheureux qu’on y envoie ? La condition d’y envoyer mille mendiants gratuitement, à une certaine époque, devrait offrir un moyen de résiliation.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Messieurs, il n’y pas de somme à mon budget que je dépense avec plus de peine que celle-là, : il n’y a pas de somme plus mal employée tant sous le rapport moral que sous le rapport financier ; je dois déclarer que si j’avais pu trouver le moyen de me débarrasser de ce malheureux contrat, je me serais empressé d’en faire usage. Mais je suppose que l’on puisse, avec chance de succès, suivre la résiliation de ce contrat devant les tribunaux, il serait à craindre qu’on n’obtînt de décision définitive que dans cinq ou six ans, tant la cour de Bruxelles est surchargée de procès. Qu’il me soit permis de vous rappeler en passant, messieurs, la nécessité d’augmenter le personnel de cette cour. Du reste le gouvernement délibérera sur le meilleur parti à suivre à l’égard des colonies
M. de Behr, rapporteur. - Les moyens que l’on a fait valoir dans le sein de la section centrale pour obtenir la résiliation du contrat dépendent toutes de l’appréciation des tribunaux. Si j’étais appelé à donner mon opinion personnelle, je dirais qu’il y a moyen de faire prononcer la résiliation. Le ministre croit qu’on ne puisse obtenir de décision que dans cinq ou six ans, mais on peut prouver qu’il y a urgence, et le délai serait abrégé de beaucoup. Cependant je n’engage pas le gouvernement à commencer des poursuites ; il doit savoir ce qu’il a à faire ; c’est à lui de connaître s’il a des moyens suffisants pour intenter une action.
M. A. Rodenbach. - Je ne suis pas jurisconsulte, et je ne puis donner un avis dans cette occurrence ; mais je demanderai si l’on ne pourrait trancher la question administrativement.
- Plusieurs membres. - Non ! non !
M. A. Rodenbach. - Cette charlatanerie hollandaise coûte 75,000 fr. par an ; et puisque le député de Liége pense qu’il y aurait des moyens de résiliation, pourquoi ne réunirait-on pas les jurisconsultes qui sont en assez grand nombre dans la chambre pour leur soumettre la question ? Ils trouveraient probablement à quelle difficulté tient la solution du problème.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Je sais que l’on peut réclamer l’urgence ; mais quand même l’affaire serait engagée de cette manière, il s’écoulerait encore deux ou trois ans avant que la résiliation fût prononcée définitivement. Le personnel de la cour de Bruxelles n’étant pas suffisant, les affaires s’y décident lentement. J’en ai l’expérience, car j’ai un procès pendant devant cette cour depuis plusieurs années, et je ne puis pas encore prévoir quand il sera terminé.
Dans tous les cas, il faut examiner s’il y a espoir fondé que la résolution du contrat soit prononcée par la justice.
M. Gendebien. - Il m’est pénible d’entendre pour toute réponse une espèce de fin de non-recevoir fondée sur le défaut de justice : il y a longtemps que l’on devait savoir que la justice ne pouvait se rendre à Bruxelles, car j’ai démontré l’insuffisance du personnel de la cour de Bruxelles, en 1832, lors de la discussion de la loi d’organisation judiciaire. Chacun en paraît convaincu aujourd’hui ; mais le mal n’a pas moins été très grand, car une justice tardive est une véritable injustice. Mais ce mal va disparaître, et on n’attendra pas six ans, pas même deux ans, quand le personnel de la cour sera plus nombreux ; car il y a du zèle et de l’instruction dans la magistrature.
Si on ne peut pas résilier le contrat, ne pourrait-on pas le faire exécuter de manière à ne pas jeter 75,000 fr. au vent, pour faire des malheureux et des malheureux, d’une espèce qui surpasse tout ce que l’on peut imaginer ? Il y a des moyens administratifs, pour faire exécuter ce contrat, s’il n’y en a pas pour le résilier ; et par là on rendrait moins pitoyable sort de ceux qui souffrent dans la colonie. Je demande au ministre de la justice qu’il veille sur ce point. S’il faut diminuer le nombre des personnes qui sont dans cette colonie pour améliorer la position de celles qui resteront, qu’on le diminue, qu’on prenne enfin un parti quelconque. C’est une triste perspective pour ces malheureux de savoir qu’il y a doute sur la possibilité de résilier le contrat et qu’il leur faudra attendre cinq on six ans avant d’obtenir un changement dans leur position. Quoi qu’il en soit, il faut ajourner la solution de la question de droit, il faut songer à la question d’humanité. C’est une observation que j’adresse au ministre, et je l’invite à y faire attention.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - J’ai été visiter les colonies cette année, et je me suis assuré qu’il faudrait améliorer le sort des malheureux qui y sont ; mais on ne parviendra pas à ce but par des moyens administratifs ; ces moyens ont été employés, et ils sont demeurés inefficaces. Je serais bien aise que les honorables membres de cette chambre qui sont jurisconsultes voulussent se réunir en commission consultative afin de voir si l’on peut avec des chances de succès former une demande en résiliation du contrat. J’espère qu’ils me prêteront le secours de leurs lumières.
M. Raikem. - Ce n’est pas aujourd’hui seulement que la question relative à la résiliation du contrat a été soulevée dans cette assemblée ; déjà elle a été agitée et n’a pas reçu de solution.
Voici ce qu’on lit sans le rapport de la section centrale de 1834 sur cette question ; peut-être s’en est-on occupé dans les années antérieures.
« Plusieurs sections ont appelé l’attention du gouvernement sur les plaintes amères qu’un membre de la représentation nationale a fait entendre au sujet de la nourriture des détenus ; quelques-uns ont parlé de la résolution du contrat comme possible et dans l’intérêt de l’Etat.
« La section centrale a reçu l’assurance que les abus signalés avaient entièrement cessé et qu’une nourriture saine était depuis longtemps donnée aux détenus.
« Le gouvernement ne partage pas l’opinion émise dans quelques sections au sujet de la résolution du contrat.
« L’issue favorable du procès qu’il faudrait intenter n’est point aussi certaine qu’on semble le supposer, car si le gouvernement n’a placé en dépôt de mendicité de la société que 248 mendiants, au lieu de 1,000 que le contrat lui donne la faculté d’y faire recevoir, il reste vrai de dire que la société ne s’est jamais refusée à en accepter un plus grand nombre. D’ailleurs, il ne serait peut-être pas bien prudent, dans les circonstances actuelles, de rejeter subitement sur le pays une masse de mendiants. »
La question a encore été agitée dans la section centrale de 1835. Le rapport contient à cet égard des détails que je ne lirai pas à l’assemblée. Je ne lirai que le passage suivant :
« Une section avait même engagé la section centrale à examiner si le gouvernement ne pourrait pas demander la résiliation du contrat ; mais cette question rentrant dans le domaine des tribunaux, la section centrale a pensé qu’il est plus prudent d’en abandonner l’examen au pouvoir exécutif. »
Voilà la preuve que la question de la résiliation a été soulevée depuis plusieurs années. Et, sans doute que si l’on avait trouvé que la demande en résiliation était fondée et qu’il y aurait eu chances de réussite, le gouvernement aurait fait cette demande.
Je ne sais pas pourquoi, à propos du budget de 1836, on vient nous dire que ce serait à défaut d’un personnel assez nombreux à la cour de Bruxelles que l’on n’aurait pas intenté l’action en résiliation, surtout en considérant que le contrat expire en 1839. Messieurs, il me semble que la demande du gouvernement était indépendante de ces circonstances. Il aurait commencé l’action en résiliation, s’il l’avait crue fondée.
Je ne puis pas faire de reproche au gouvernement de n’avoir pas commencé cette action ; car, moi-même, après avoir examiné la question autant que mes faibles lumières me le permettent, j’ai eu des doutes, et des doutes graves. Et je ne pense pas qu’il serait prudent, au gouvernement, d’entreprendre un procès douteux quand le contrat expire en 1839.
Si la demande en résiliation eût été fondée, on n’aurait pas eu à craindre des délais dans une cause aussi urgente. Il est possible cependant que cette affaire eût subi quelques retards, en ce qu’une cause douteuse demande un long examen et plus de travail qu’une cause claire et précise. Quoi qu’il en soit, je ne conçois pas du tout l’incident qu’a voulu faire naître à cet égard le ministre de la justice, en voulant rattacher la question dont il s’agit à une question tout à fait différente, à celle du personnel de la cour de Bruxelles.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Messieurs, je n’ai pas soulevé d’incident relativement à l’arriéré des affaires de la cour de Bruxelles. Dans d’autres circonstances, j’ai demandé que son personnel fût augmenté en démontrant que malgré toute l’activité qu’elle déployait, elle ne pouvait parvenir à prononcer sur toutes les affaires dont elle était surchargée. J’ai seulement dit, comme par parenthèse, que si l’on voulait demander la résiliation du contrat, il serait possible que le jugement vînt quand le contrat serait à sa fin. Mais je n’ai pas présenté cette observation comme étant le motif pour lequel on n’intentait pas d’action.
A la section centrale de 1835, j’ai soumis toutes les pièces, tous les renseignements pour qu’elle jugeât en connaissance de cause. J’ai fait la même chose en 1836. Du reste, je sais très bien que la question est du ressort des tribunaux et que c’est au gouvernement à savoir s’il doit intenter une action en résiliation. Je soumettrai bientôt la question à un examen définitif.
M. Dubus. - La solution de la question dont il s’agit, ou de la résiliation du contrat, me paraît consister plutôt en fait qu’en droit. On a déjà établi que la société au profit de laquelle il faut voter 75,000 fr., n’exécute pas toutes ses obligations ou les exécute mal. On a déjà reconnu qu’il lui serait impossible de remplir une clause de son contrat, c’est-à-dire de nourrir gratuitement mille mendiants que l’Etat pourrait lui envoyer à l’expiration de la convention ou à partir de 1839. Il me semble qu’en posant les questions ainsi, la résiliation serait facile ; mais ce sont là des faits qu’il faut constater.
On nous a dit : En intentant une action, il faudra peut-être attendre 5 ou 6 ans pour avoir décision ; mais il y a ici évidemment erreur. Rien de plus urgent qu’une cause de cette nature, et je puis assurer que quand une affaire est véritablement urgente, il est arrivé qu’en 4 ou 5 mois de temps on a obtenu et le jugement de première instance et le jugement d’appel ; car ces causes-là passent avant toutes les autres.
Je crois que si l’affaire était présentée devant les tribunaux, il y a possibilité d’obtenir prompte justice.
M. A. Rodenbach. - D’après l’opinion de plusieurs jurisconsultes, il paraît que la cause est très soutenable. Le ministre de la justice a parlé d’une commission formée dans le sein de la chambre ; je crois que nos honorables collègues qui ont de hautes connaissances en droit ne refuseront pas le concours de leurs lumières au ministre.
Il s’agit de 75,000 fr. pour des malheureux qui sont dans un état affreux. Je demande que la chambre s’ocupe de constituer cette commission.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - J’ai dit que je m’entourerais des lumières des membres les plus éclairés de la chambre, en les invitant à se réunir dans une commission ; mais il ne faut pas faire intervenir la chambre pour former cette réunion ; c’est d’une commission officieuse qu’il s’agit.
- Le chiffre 74,074 fr. mis aux voix est adopté.
« Art. 4. Subsides pour les enfants trouvés et abandonnés sans préjudice du concours des communes et des provinces : fr. 200,000. »
M. Doignon. - Dans une note de M. le ministre, annexé au budget, il nous a dit que les documents lui manquaient pour juger s’il y avait lieu de modifier le chiffre de 200,000 fr. Il y a plusieurs mois de cela. Depuis cette époque, il a pu obtenir les renseignements nécessaires et voir si son chiffre est réductible ; je prie M. le ministre de s’en expliquer.
La loi qui a supprimé les tours a produit de bons effets. Les mères ont conservé leurs enfants, et aucun crime n’en a été la suite. La suppression des tours est certainement préférable au moyen employé en France dans certains départements, et qui consiste à transférer les enfants d’un département à l’autre, afin de les éloigner de leurs mères et d’ôter à celles-ci tout espoir de jamais les retrouver. Cette mesure est pour ces malheureuses mères une épreuve terrible, et il faut le dire, elle révolte la nature. Si c’est là ce que l’on appelle en France faire de la civilisation, je crois, moi, qu’on rétrograde lorsqu’on est obligé de recourir à de pareilles mesures. J’espère que le gouvernement n’emploiera jamais de semblables mesures chez nous. Je l’engage, au contraire, à faire bon usage de son influence pour augmenter les bons effets de la loi, ce qui par conséquent permettra la diminution du chiffre de l’article 4.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - La suppression des tours a produit sans doute des effets très avantageux ; cependant il ne serait pas prudent de demander une diminution sur le chiffre dont il s’agit. Il faut que le gouvernement soit à même de modérer les fâcheux effets qui pourraient résulter de cette transition d’un mode à un autre. Mais il est probable que pour 1837 on pourra diminuer le chiffre.
M. Gendebien. - Je ne veux pas par mon silence qu’on croie que j’adhère à l’opinion de M. Doignon relativement aux avantages qu’il trouve dans la suppression des tours. Quand le moment sera venu, je dirai mon sentiment sur cet objet.
- Le chiffre 200,000 fr. mis aux voix est adopté.
« Article unique. Dépenses imprévues : fr. 8,000. »
- Adopté.
M. le président. - La chambre passe au vote du texte du budget.
« Art. 1er. Le budget du département de la justice, pour l’exercice 1836, est fixé à la somme de …, conformément au tableau ci-joint. »
- Adopté.
« Art. 2. La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa promulgation. »
- Adopté.
- La chambre fixe à lundi le vote définitif du budget du département de la justice.
M. le président. - Aucun membre ne demandant la parole dans la discussion générale, il va être procédé au vote sur les articles.
Articles 1 à 4
« Art. 1er. Traitement du ministre : fr. 21,000. »
- Adopté.
« Art. 2. Traitement des fonctionnaires, employés et gens de service : fr. 42,000. »
- Adopté.
« Art. 3. Matériel : fr. 1,000. »
- Adopté.
« Art. 4. Achat de décorations de l’ordre Léopold : fr. 5,000 fr. »
- Adopté.
« Art. 1er. France : fr. 58,000. »
- Adopté.
« Art. 2. Grande-Bretagne : fr. 80,000. »
- Adopté.
« Art. 3. Prusse : fr. 54,500. »
- Adopté.
M. le président. - La discussion est ouverte sur l’article 4.
« Italie : fr. 40,000. »
M. Doignon. - Je ne puis donner mon approbation à la création des fonctions de ministre plénipotentiaire et envoyé extraordinaire près le Saint-Siège. Je crains que cette ambassade ne soit plutôt nuisible qu’utile à nos libertés religieuses. La constitution a défendu à l’Etat toute intervention dans les affaires des cultes, mais nous connaissons les détours de la diplomatie : on n’intervient jamais d’une manière directe et officielle, mais indirectement et officieusement ; or, il n’est pas plus permis d’intervenir indirectement que directement.
Au mois de septembre dernier, le gouvernement a obtenu une allocation pour l’ambassade près la cour de Rome. Mais ce vote ne vous lie pas ; car les dépenses doivent être votées pour chaque année, et la chambre a incontestablement le droit de mettre chaque année en question quelque allocation que ce soit.
On a dit qu’il était dans les convenances, puisqu’un ministre a été envoyé en Belgique par la cour de Rome, que la Belgique y envoie un ministre plénipotentiaire. Mais ce qui est de convenance n’est pas de rigueur. Ce n’est pas quand nous avons un déficit, ainsi que cela a été prouvé par M. le ministre des finances, que nous devons satisfaire à des obligations de simples convenances ; nous devons nous borner aux obligations d’une utilité réelle ou de nécessité.
Dans l’état des choses, je crois qu’il suffirait que nous ayons en Italie un chargé d’affaires, car notre but est tout simplement d’établir là un agent pour nos relations commerciales.
M. Simons. - Ce qui a principalement déterminé la section centrale à vous proposer l’adoption du chiffre de 60.000 francs, c’est que tout récemment (le 17 septembre), la chambre, après une discussion approfondie, s’est prononcée pour ce chiffre. Votre section centrale n’a pas cru devoir se mettre en opposition avec une décision aussi récente, d’autant moins que, depuis, aucun motif n’est survenu qui puisse faire présumer que la législature reviendra sur cette décision.
Au contraire, une considération majeure puisée dans la nomination de cet agent diplomatique vous impose en quelque sorte l’obligation de maintenir ce chiffre. C’est sur la foi de cette allocation que des engagements réciproques ont été pris de la part du gouvernement vis-à-vis l’agent nommé, et de la part de celui-ci envers le gouvernement ; il y aurait inconvenance, me paraît-il, de revenir sur vos pas.
Dans la section centrale j’ai été un de ceux qui se sont prononcés pour le chiffre de 30,000 fr., parce qu’alors les choses étant encore entières, l’agent diplomatique dont il s’agit n’était pas encore nommé.
Maintenant que cette nomination a eu lieu, je me rallie, en quelque sorte par nécessité, au chiffre demandé.
Je ne suis pas plus partisan du luxe diplomatique qu’aucun des membres de cette assemblée. Comme Etat du troisième ordre et surtout comme Etat neutre nous pouvons, je pense, nous passer de ce vain étalage de diplomatie, qui, au lieu de contribuer au bien-être matériel du pays, ne fait que l’appauvrir par les dépenses énormes auxquelles il entraîne nécessairement. Aussi, chaque fois que l’on nous proposera une nouvelle légation, je repousserai la proposition par mon vote négatif, à moins que des considérations majeures ne prouvent l’utilité pour le pays.
Mais une fois une légation établie, une fois une allocation fixée par le budget pour solder l’agent y attaché, et par suite la nomination faite du titulaire, je repousserai toute proposition en diminution de traitement, parce que moralement je me croirai lié par une première allocation.
Soyons rigoureux lorsqu’il s’agit de créer de nouvelles places, ne le soyons pas moins lorsque pour la première fois nous sommes appelés à en fixer les traitements ; mais ne touchons jamais, qu’en cas de nécessite absolue, aux traitements des fonctionnaires en place. Rien ne déconsidère tant le gouvernement, rien ne décourage, je dirai même, ne démoralise tant ses agents que de voir à chaque discussion de budget leur existence mise en question.
Je voterai pour le chiffre de 40,000.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Je ferai seulement remarquer qu’il y a à peine 5 mois que la chambre, après une discussion très approfondie, comme vient de le dire M. le rapporteur, a alloué 40,000 fr. pour la légation de Rome.
Je n’ai pas besoin de dire que l’établissement de cette légation est exclusivement politique et commerciales, et ne peut porter la moindre atteinte à l’indépendance garantie au culte catholique par la constitution.
La somme pétitionnée aujourd’hui a été votée par une loi spéciale. Si une réduction sur cette somme était possible, le gouvernement s’empresserait de la proposer lui-même. Mais il y aurait quelque chose d’inconvenant envers le Saint-Siège, qui traite la Belgique avec une bienveillance toute paternelle, à revenir maintenant sur une décision si récente.
M. Dubus. - Je n’étais pas présent dans l’assemblée, lorsqu’on a voté le crédit supplémentaire pour l’institution d’un ministre plénipotentiaire à Rome. Je déclare que si j’avais été ici, je m’y serais opposé de toutes mes forces. Maintenant, il s’agit, nous dit-on, d’exécuter notre décision. Cependant, nous pouvons maintenant, comme nous pouvons le faire chaque année, examiner s’il convient de voter à ce titre un crédit plus ou moins élevé.
D’après les renseignements qui m’ont été donnés, on pourrait avec un traitement beaucoup moindre déployer à Rome le caractère qu’on ne déploierait pas dans d’autres capitales, avec un traitement plus élevé. Si ces renseignements sont exacts je crois que ce serait par erreur qu’on aurait fixé le traitement à 40,000 fr.
Ainsi, considérant la chambre comme engagée en quelque sorte par son vote précédent, ce n’est qu’une diminution de crédit que je propose.
La somme de 30,000 fr. que l’on propose pour un ministre résident à Vienne doit être plus que suffisante à Rome. Si 30,000 fr. suffisent à un ministre résident à Rome, il devrait suffire de 20,000 fr. pour un ministre à Vienne. C’est parce que la chambre est engagée d’avance que je ne propose pas une plus forte réduction. Mais je crois que la chambre peut adopter celle de 10,000 fr. que j’ai l’honneur de proposer.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Je me permettrai de faire observer à l’honorable préopinant qu’il est complètement dans l’erreur sur la dépense qu’on est obligé de faire à Rome. Il y a à Rome deux manières de vivre ; et il est reconnu que pour toute personne revêtue du caractère d’ambassadeur ou d’envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire, les dépenses sont plus considérables à Rome que dans plusieurs autres capitales de l’Europe.
L’honorable préopinant prétend que, puisqu’il n’est alloué que 20,000 francs pour un ministre résident ou un chargé d’affaires à Vienne, 20,000 fr. doivent suffire pour la légation d’Italie. Mais veuillez remarquez qu’un ministre résident et un chargé d’affaires ne sont par leurs fonctions soumis à aucune dépense, et qu’il doit leur être alloué seulement la somme nécessaire pour leur existence et pour tenir un certain rang ; car ils ne doivent rien aux membres du corps diplomatique, tandis que le ministre plénipotentiaire est obligé par ses fonctions à d’assez fortes dépenses.
Sans doute, pour un simple particulier, la vie est à meilleur compte à Rome qu’à Vienne et à Berlin. Mais un homme revêtu d’un caractère public aura plus de dépenses à Rome que dans toute autre capitale.
M. Gendebien. - Si la différence du titre peut nous faire obtenir une économie, je demande qu’on change le titre de notre envoyé en Italie ; qu’au lieu d’être un ministre plénipotentiaire, ce soit, comme à Vienne, un ministre résident. Alors, d’après l’observation même de M. le ministre des affaires étrangères, nous pourrons réduire le crédit à 30,000 fr., somme allouée pour le ministre résident à Vienne, puisqu’il a dit qu’un tel agent vivrait à meilleur compte à Rome qu’à Vienne.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Vous avez pu remarquer que dans les précédents budgets, il avait été porté une somme moindre pour le chargé d’affaires à Rome que pour le chargé d’affaires à Vienne. Mais, lors de la discussion qui a eu lieu au mois de septembre dernier, j’ai expliqué les motifs qui nous imposaient, en quelque sorte, le devoir d’accréditer en ce moment un ministre plénipotentiaire à Rome.
En outre, je rappellerai que dans cette discussion (discussion que je ne m’attendais pas à voir se renouveler), j’ai prouvé que le traitement de notre ministre plénipotentiaire, fixé à 40,000 fr. (y compris bien entendu celui du secrétaire), était inférieur à celui de tous les agents du même ordre, accrédités dans la capitale du monde chrétien.
M. Dumortier. - Lorsque nous avons voté le budget des affaires étrangères, le gouvernement a déclaré formellement que la Belgique n’aurait que trois ministres plénipotentiaires, en France, en Prusse et en Angleterre. On disait alors que l’on pourrait se borner à avoir ailleurs des chargés d’affaires.
Sous le roi Guillaume, avant le concordat avec la cour de Rome, il n’y avait qu’un simple chargé d’affaires pour représenter à Rome le royaume des Pays-Bas.
Je vois avec regret que le gouvernement ait nommé un envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire près la cour de Rome ; il aurait fort bien pu nommer un ministre résident. Le grade de ministre résident a été institué précisément dans l’intérêt des petites puissances. Un ministre résident a ses rapports directs avec le chef du gouvernement, comme le ministre plénipotentiaire ; c’est le chargé d’affaires qui n’a de rapports qu’avec les ministres. Il me semble que l’on eût pu faire pour Rome ce qu’on a fait pour l’Autriche. Si on s’était borné à nommer un ministre résident ou un agent chargé d’affaires, le crédit demandé pour l’Autriche eût été également suffisant pour l’Italie.
On a dit qu’il y avait chose jugée. Non, messieurs, il n’y pas chose jugée. Si l’envoyé était à Rome, on pourrait dire tout au plus qu’il y a chose consommée. Mais il n’est pas encore parti. La question est encore entière, et nous pouvons encore la résoudre de manière à ne pas grever le trésor public.
Si on envoie à Rome un envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire, pourquoi n’en enverrait-on pas en Autriche, en Russie, si la Russie nous reconnaît ; en Hollande, si nous faisons la paix ; en Espagne, et près de toutes les puissances de l’Europe ? Nous finirions par n’avoir plus que des ministres plénipotentiaires, tandis que d’abord nous ne devions avoir que des ministres résidents, et seulement quelques ministres plénipotentiaires près des plus grandes puissances. Je vois avec peine qu’on s’est écarté des principes d’économie si bien proclamés par M. le ministre dans des circonstances précédentes.
M. Raikem. - Je demande la parole pour répondre à l’honorable préopinant, qu’une loi a été adoptée par les deux chambres qui allouaient un crédit comportant la nomination d’un envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire près la cour de Rome. C’est donc par suite d’une décision votée par les deux chambres que le gouvernement a nommé en Italie un envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire. Je conçois que quand il s’est agi du premier vote, on pouvait faire valoir tous les motifs contre le titre qu’on voulait donner à cet envoyé.
En effet, la question a été discutée alors, non seulement sous le rapport de la qualité de l’envoyé, mais aussi sous le rapport du chiffre de l’allocation. Et c’est à cause de cette décision prise par la chambre, dont il a paru à votre section centrale qu’on ne pouvait pas dévier facilement, qu’elle a adopté la demande faite par le gouvernement. Elle a considéré la chose comme jugée. Je sais qu’on peut à chaque budget représenter les objections faites lors du vote du budget précédent et demander des changements. Mais on doit reconnaître aussi qu’on ne doit pas changer légèrement des lois adoptées.
Il faudrait, pour motiver la demande de réduction qu’on fait en ce moment, prouver que la chambre s’est trompée en adoptant la disposition dont je viens de parler. Or, messieurs, dans les motifs énoncés jusqu’à présent, y en a-t-il aucun qui prouve que la chambre s’est trompée ? On a discuté le chiffre et la qualité. D’un côté on a dit que le chiffre de 30 mille fr. suffirait, le ministre a répondu à cette objection. D’un autre côté on a dit de changer le titre afin de pouvoir opérer la réduction. Mais il n’est aucun des motifs dont on a appuyé ces propositions auquel il ne me paraisse avoir été suffisamment répondu. Et l’on a dit que la qualité de l’envoyé était la conséquence de l’envoi par la cour près de laquelle il était accrédité d’un représentant de même rang. Quant à l’autre, on a répondu que pour suivre le rang que devaient tenir les envoyés de la nature de celui que nous avons accrédité, l’allocation demandée n’était pas trop forte. Ce sont ces motifs, qui me paraissent péremptoires, qui ont déterminé le premier vote de la chambre. Je pense que dans la circonstance il y a chose jugée par la chambre, et qu’il n’y a pas lieu de revenir sur une décision prise il y a quelques mois, et sur laquelle les deux chambres se sont trouvées d’accord.
M. F. de Mérode. - Je veux faire une simple observation. C’est que le ministre plénipotentiaire a des rapports directs avec le chef du gouvernement auprès duquel il est accrédité tandis que le ministre résident n’a de rapports qu’avec les ministres. Je ferai observer en outre qu’il y a fort peu de ministres résidents ; c’est un titre inconnu chez beaucoup de puissances, un titre fort peu en usage dans la diplomatie, et qui ne donne pas les prérogatives que lui a attribuées M. Dumortier.
M. Gendebien. - Je pourrais dire comme un honorable préopinant : Tout ce qu’on a dit jusqu’ici ne m’a pas convaincu, et on n’a répondu à aucune des objections faites.
Messieurs, la question de chose jugée ne peut pas faire fortune dans cette circonstance, sans cela il dépendrait d’un ministre d’attendre le moment où la chambre, par lassitude des travaux auxquels elle se serait livrée, se trouverait en petit nombre, pour faire voter ce qui lui plairait et lier ainsi une assemblée de 102 membres par une décision prise par une réunion de 52 ou 53 membres.
Cela n’est pas possible. La circonstance que, par un vote spécial, la chambre a accordé une allocation de 40 mille francs pour l’envoi éventuel d’un ministre plénipotentiaire en Italie, vous laisse pleine latitude pour discuter la qualité de l’envoyé et la somme qu’il convient de lui accorder. Ce serait un service à rendre au peuple romain qui est un peu moins riche que nous, de lui envoyer un représentant d’un grade inferieur, afin que son gouvernement pût accréditer près du gouvernement belge un envoyé d’un grade moins coûteux.
On nous a envoyé un ministre plénipotentiaire. Il faut envoyer un ambassadeur de même qualité.
Mais si cela était vrai, il s’ensuivrait que si toutes les puissances nous envoyaient des ministres plénipotentiaires, nous serions obligés de nous ruiner pour imiter leur folie ? Ce n’est pas comme cela qu’on agit en Belgique ; on calcule ses dépenses sur ses recettes, sans s’inquiéter de ce que dépensent les autres.
La Belgique est économe et elle n’imitera jamais les prodigues. Nous ne devons pas prendre en considération le grade de l’envoyé qu’une puissance accrédite près de notre gouvernement, pour déterminer la qualité de l’envoyé que nous accréditerons près d’elle. Si à Vienne un chargé d’affaires suffit, à plus forte raison un envoyé du même grade doit-il suffire à Rome, et il en est de même pour le traitement.
Il y a une décision, dit un honorable membre ; il faudrait prouver qu’il y ait eu erreur pour faire revenir la chambre de cette décision.
J’étais fatigué et j’avais été obligé de m’absenter lorsque la chambre a été saisie de cette question à la fin de la session dernière ; je ne sais si on a fait valoir une raison qu’on peut considérer sinon comme chose jugée, au moins comme fin de non-recevoir. En effet, il avait été décidé qu’il n’y aurait que trois envoyés extraordinaires ministres plénipotentiaires. Il y avait eu décision prise, et promesse, et engagement formel de la part du gouvernement. Si on veut invoquer comme chose jugée la décision prise au mois de septembre, j’invoquerai celle-là.
Je ne sais, je le répète, si on a fait valoir cette raison, si on a rappelé l’engagement qu’il y avait de la part du gouvernement.
Si vous déviez de cette résolution précédemment prise, parce que la cour de Rome vous a envoyé un ministre plénipotentiaire, vous serez obligés par les mêmes raisons de convenance d’envoyer des ambassadeurs de haut grade auprès des autres puissances, qui auraient droit de se plaindre si elles voyaient que vous avez, près d’une puissance de troisième ou quatrième ordre, un représentant d’un rang plus élevé que celui que vous avez près d’elles.
Je n’attache pas une grande importance à la dénomination des agents diplomatiques ; mais je dois faire observer à M. de Mérode, qui a été ministre des affaires étrangères, qu’il a commis une erreur quand il a dit que les ministres résidents n’avaient pas, comme les ministres plénipotentiaires, des rapports directs avec le chef du gouvernement auprès duquel il était accrédité. Je relève cette erreur en passant et je n’insisterai pas, car je ne la regarde pas comme de nature à exercer de l’influence sur la discussion.
Je considère la question qui nous occupe comme beaucoup plus grave qu’elle ne le paraît au premier aperçu. Chaque individualité belge, chaque corporation a le droit de s’adresser directement au souverain pontife. Je sais que la nomination d’un représentant près la cour de Rome n’entraîne pas la nécessite de passer par son intermédiaire. Mais c’en sera la conséquence, et cette conséquence on nous la fera sentir un jour. Il adviendra qu’à Rome on refusera toute communication en dehors des règles tracées par la diplomatie. J’en parle avec désintéressement pour mon compte, car je ne crois pas que j’aie jamais communiqué directement avec le pape ; mais c’est un droit que me donne la constitution, je ne vois pas pourquoi je l’abdiquerais. Cette fantaisie pourrait me prendre ; mais je veux surtout conserver ce droit, parce qu’il est consacré par la constitution.
Je vous répète que c’est une dépense inutile que vous faites et dans laquelle vous entraînez le malheureux peuple romain. Je pense donc qu’il y a lieu de ne pas allouer le crédit, ou du moins qu’il est facile de le diminuer. C’est de changer le titre de l’envoyé.
Je considère comme contraire au texte de la constitution d’envoyer un ministre plénipotentiaire à Rome. Par cette raison, je m’oppose au crédit demandé, et je voterai pour l’amendement de M. Dubus s’il y persiste.
M. Raikem. - Je demande à prendre la parole pour répondre à quelques observations de l’honorable préopinant.
Vous avez vu, par le rapport de la section centrale dont j’ai donné lecture, que quatre sections avaient adopté l’allocation et que deux avaient demandé qu’elle fût réduite à 30 mille fr. Et la section centrale, à la majorité de quatre voix contre deux, a admis le chiffre de 40,000 fr.
L’affaire a été examinée par la section centrale. Elle avait été examinée antérieurement par une commission nommée par la chambre, et c’est après avoir entendu le rapport de cette commission et l’avoir discuté, que la chambre dans une séance du mois de septembre dernier a accordé l’allocation de 40 mille francs qu’on vous demande aujourd’hui.
J’ai dit qu’il y avait chose jugée, non dans le sens que cette expression est employée devant les tribunaux, mais en ce sens que nous ne devions pas facilement changer nos lois, et que pour faire revenir la chambre de la décision prise au mois de septembre, il faudrait démontrer l’erreur dans laquelle la chambre aurait versé en émettant son premier vote. Vous avez entendu tout ce qui a été dit, et vous avez dû voir qu’on n’avait donné aucune raison pour démontrer cette erreur.
On a parlé d’une promesse qu’aurait faite le gouvernement de ne nommer des envoyés extraordinaires et ministres plénipotentiaires que près de trois cours.
Je conçois que si le gouvernement, avant de proposer une loi semblable à celle qui a été présentée en août dernier, avait nommé de sa propre autorité un ministre plénipotentiaire à Rome, on pourrait lui adresser des reproches : mais ici il n’a pas agi de son propre chef, il a agi avec l’assentiment de la législature ; et c’est après que la législature eut porté le décret, que le ministre a envoyé un agent tel que celui que les chambres avaient adopté.
On a fait entendre que la chambre pouvait être peu nombreuse quand le ministre a obtenu la décision, et on a fait remarquer que par ce moyen le gouvernement pouvait abuser la législature ; mais cette remarque est sans fondement. C’est dans le commencement de la session qui s’est continuée et qui continue encore, que le vote de la loi a eu lieu. D’ailleurs, la constitution a fixé le nombre des membres nécessaires pour que les chambres puissent prendre une résolution.
Ceci seul suffit pour prévenir les abus. Remarquez de plus qu’une discussion a eu lieu lorsque le ministre a demandé un crédit pour un envoyé extraordinaire à la cour de Rome. Je crois même me rappeler que la commission avait propose de réduire à 30,000 francs le chiffre de 40,000. (Plusieurs membres font des signes affirmatifs.) Je vois, d’après les signes que font plusieurs membres, que je ne me trompe pas. Ainsi, le chiffre de 30,000 francs a été discuté dans la chambre et soutenu par la commission.
Les moyens qu’elle a fait valoir ont été combattus par d’autres raisons, et vous voyez qu’en décrétant le chiffre de 40,000 fr., la chambre a décidé en toute connaissance de cause.
C’est en présence de ces faits que la section centrale, pour le budget de 1836, a adopté le même chiffre de 40,000 fr. ; car rien n’a pu lui démontrer qu’antérieurement la chambre avait commis une erreur.
M. Dubus. - Quoi qu’on dise, je crois que la chambre n’est pas liée par son vote précédent. On dit que la commission avait proposé le chiffre de 30,000 fr. et que la chambre a adopte 40,000 fr. On ajoute que c’est au commencement de la session que la décision a été prise ; moi je me rappelle que c’est à la fin de la session extraordinaire que l’on a discuté ce point, et que c’est par là qu’on a terminé les travaux.
Toutefois, je m’étonnerais que l’on pût considérer comme irrévocables les décisions de la chambre, quand elles augmentent un chiffre, tandis que ces résolutions, quand elles ont pour but des diminutions, sont toutes révocables.
Souvenez-vous que dans la même session on a présenté trois fois la même demande de crédit pour la caisse des retraites ; que deux fois on l’a rejetée, et que ce n’est qu’à la troisième fois qu’on l’a adoptée.
Quand il faut grever le peuple, il n’y a pas chose jugée ; mais il y a chose jugée quand il faut alléger le fardeau des contribuables.
Si nous pensons que le chiffre de 30,000 francs soit suffisant, nous ne devons pas nous arrêter à la considération que la chambre en aurait voté 40,000 ; nous devons d’autant moins nous y arrêter qu’on n’a pas fait usage du crédit ; que l’agent nommé n’a accepté que dernièrement ses fonctions ; qu’il n’est pas parti et que les choses sont entières.
C’est d’après des renseignements qui m’ont été donnés par des personnes qui connaissent parfaitement la résidence de Rome, que j’ai appris que 30,000 fr. seraient suffisants.
Au reste, votre budget indique simplement une légation pour l’Italie ; si le gouvernement croit que 30,000 fr. ne suffisent pas pour un ministre extraordinaire, eh bien, il lui donnera le titre de ministre ordinaire ; car l’Etat n’a rien à gagner dans les titres plus ou moins fastueux donnés à ses agents. Puisqu’un titre plus élevé entraîne des dépenses plus grandes, c’est une raison pour ne pas donner de semblable titre.
Je persiste dans l’amendement que j’ai déposé. (Aux voix ! aux voix !)
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Je n’ai pas à répondre sur la manière dont le crédit a été voté ; je ferai cependant observer que ce crédit n’a pas été surpris. La loi spéciale vous a été proposée dès le commencement de la session ; vous l’avez renvoyée à une commission ; elle a été mûrement examinée, et elle a subi une longue discussion dans cette enceinte, car elle a absorbé un jour presque tout entier. C’est en connaissance de cause et après avoir pris communication de documents qu’aujourd’hui je n’ai pas à la main, que la décision a été prise. J’ai prouvé par ces documents que toutes les autres puissances qui avaient des agents diplomatiques d’un ordre élevé près la cour de Rome les rétribuaient plus largement que nous, et c’est alors que la chambre a voté 40,000 fr. pour cette légation.
L’honorable M. Dubus, d’après les renseignements qui lui ont été fournis par des personnes qui connaissent parfaitement la résidence, prétend que l’on peut y vivre à peu de frais ; mais ces personnes ne connaissent probablement pas la manière dont doivent vivre ceux qui sont revêtus d’un caractère public : la dépense est très forte à Rome pour les agents diplomatiques ; vous pourriez vous en convaincre, en jetant un coup d’œil sur le tableau des traitements dont jouissent les agents des diverses puissances dans cette capitale.
On a dit qu’on pourrait changer le titre de l’agent à envoyer à Rome ; mais je vous ai exposé les motifs sous lesquels il était en quelque sorte impossible de lui donner d’autre qualité que celle d’envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire.
Cette qualité est équivalente à celle d’internonce. Il y aurait inconvenance politique à changer le titre de notre agent près de cette cour et à revenir sur le vote de la chambre. Abaisser le chiffre de l’allocation, ce serait nous placer dans l’impossibilité de pouvoir établir en ce moment des relations officielles d’une manière digne de la nation avec le Saint-Siège.
On a manifesté des inquiétudes relativement à l’existence d’une légation à Rome ; on a craint que par là on ne portât atteinte aux prérogatives garanties par la constitution en matière religieuse : mais je ne puis répéter assez que de pareilles craintes sont entièrement chimériques ; que c’est dans un tout autre but que la légation est établie, et que malgré la présence d’un internonce à Bruxelles, les évêques ne sont pas privés du droit de correspondre directement avec le Saint-Siège pour les affaires religieuses. Voilà un fait qui répond à toutes les objections. (Aux voix ! aux voix !)
M. Dubus. - Je demande la parole pour la position de la question. Au budget le titre n’est pas indiqué ; on a mis : « Italie : fr. 40,000. »
M. le président. - Le chapitre est intitulé « Traitement des agents à l’extérieur. »
M. Gendebien. - D’après l’observation faite par M. Dubus ,il suffit de réduire la somme. C’est au ministre à savoir quelle dénomination il donnera à son agent.
M. le président. - Je dois mettre aux voix le chiffre le plus élevé ou 40,000 fr,
- Ce chiffre de 40,000 fr. est adopté.
« Art. 5. Autriche : fr. 30,000. »
- Ce chiffre est adopté.
- De toutes parts. - A demain ! à demain !
M. le président. - Demain, rapport des pétitions : le budget sera terminé au commencement de la séance ; on la terminera par des rapports sur les pétitions.
M. Bosquet. - Après le budget de la marine, je demande que la chambre s’occupe de la loi concernant le personnel de la cour de Bruxelles, et ensuite des petites lois relatives aux tribunaux de Hasselt et de Verviers.
- Plusieurs membres. - Nous ne pouvons rien décider ; nous ne sommes plus en nombre.
M. Dumortier. - Qu’y a-t-il à l’ordre du jour ?
M. le président. - Il y a à l’ordre du jour le budget des affaires étrangères et de la marine, le rapport sur les pétitions, la loi communale…
M. Dumortier. - Comment, la loi communale !
M. le président. - Depuis six semaines elle est à l’ordre du jour !
M. Dumortier. - C’est justement parce qu’il y a six semaines qu’elle est à l’ordre du jour qu’il ne faut pas continuer…
- Messieurs les députés quittent en foule leurs places.
La séance est levée. Il est près de 5 heures.