(Moniteur belge n°29, du 29 janvier 1836)
(Présidence de M. Raikem.)
M. de Renesse fait l’appel nominal à midi et demi.
M. Dechamps donne lecture du procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. de Renesse présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.
« Le sieur Chavatte renouvelle ses doléances sur le prétendu déni de justice qu’il éprouve de la part de M. le ministre de la justice. »
« Le sieur J. De Maertelaire, directeur de la maison de sûreté civile et militaire d’Anvers, victime du bombardement, demande une indemnité pour les pertes qu’il a essuyées de ce chef. »
« Trois huissiers, porteurs de contraintes du contrôle de Thielt, se plaignent de ce que des personnes sans commission, et notamment les gardes champêtres, perçoivent le droit de 11 centimes par contrainte. »
- Ces mémoires sont renvoyés à la commission des pétitions.
M. Zoude, organe de la commission des pétitions, est appelé à la tribune. - Messieurs, dit-il, les propriétaires de bois des provinces de Namur, de Liége, du Limbourg et de l’arrondissement de Louvain exposent à la chambre que les arrivages de bois du Nord sont tellement abondants, que nos quais, chantiers et magasins en sont encombrés, et que les prix auxquels ils sont livrés au commerce sont tels que les arbres de nos forêts ne peuvent presque plus y trouver de placement.
La cause de ce bas prix tient à ce que dans le Nord les contributions sont à peu près nulles ; que la main-d’œuvre, vu la rareté du numéraire, y est à très bon compte ; que les frais d’arrivage sont des plus minimes, et que les droits d’entrée qui devraient rétablir l’équilibre avec les productions du pays ne sont, d’après le tarif néerlandais, qu’au taux ridicule de 50 c. par mille kilo.
Il résulte de la réunion de ces circonstances que les bois du Nord rendus à pied d’œuvre au centre du royaume coûtent moins que les seuls frais de transport des nôtres du lieu où ils croissent jusque sur nos marchés.
Aussi, messieurs, vous avez entendu les plaintes des propriétaires forestiers sur l’élévation des contributions qui frappent une nature de propriété dont les charges augmentent à mesure que ses produits diminuent ; car ce ne sont pas seulement les bois de construction et de sciage qui sont en souffrance, mais encore ceux de charbonnage dont la valeur est réduite par l’emploi du coak, et par la ruine de nos tanneries qui a fait baisser le prix des écorces à tel point que, dans les provinces un peu éloignées, on doit renoncer à l’écorçage qui présentait naguère des bénéfices considérables.
Les causes qui ont amené la ruine des tanneries vous sont connues : on sait que cette industrie avait pour débouché l’Europe presque tout entière, et qu’aujourd’hui l’entrée de nos cuirs est prohibée en Angleterre, en France, en Hollande, et qu’un droit prohibitif les repousse de tous les états de l’association allemande.
Le remède proposé par les pétitionnaires est dans la majoration du droit à l’entrée sur les bois de construction et particulièrement sur les bois sciés, dont l’étranger a recueilli tous les bénéfices de la main-d’œuvre.
Cette majoration de droit est justifiée par la raison : il est absurde en effet d’accorder un privilège à un produit étranger qui se présente sur nos marchés sous des conditions plus avantageuses et avec des droits moindres que ceux qui pèsent sur des produits similaires du pays.
Le moyen d’améliorer les prix du bois à écorce est dans la libre sortie des écorces par toutes les frontières du royaume. La restriction imposée à cet égard dans l’intérêt de nos tanneries ne leur est plus d’aucune utilité, aujourd’hui que cette industrie est presque anéantie, et elle n’a plus d’autre effet que d’apporter à nos bois une nouvelle cause de dépréciation.
Un honorable orateur qui, à propos d’une pétition signée par un grand nombre de chapeliers, regrettait naguère les changements qu’on apportait parfois au tarif des douanes, verra, par cet exemple, qu’il est nécessaire de le modifier lorsque des circonstances amènent des déplacements dans les intérêts industriels.
En Prusse les tarifs sont révisés tous les trois ans, et on n’hésite pas à détacher une pierre de l’édifice douanier dès qu’elle est devenue mauvaise, pour la remplacer par une meilleure.
D’ailleurs, messieurs, est-il bien concevable qu’une législation douanière, établie en 1822, lorsque les deux parties du royaume étaient si souvent opposées, puisse encore être regardée aujourd’hui comme la seule applicable à la partie qui a presque toujours été immolée à l’autre ?
C’était la marine hollandaise qu’il fallait protéger sous le régime d’alors ; c’était son bien-être seul qu’on avait en vue, lorsque les bois du Nord ont été favorisés aux dépens des nôtres ; c’est elle seule à qui la protection en est encore continuée au grand préjudice de tous nos propriétaires forestiers.
Messieurs, votre commission des pétitions partage toute l’impatience des pétitionnaires, et vous prie de mettre un prompt terme à leur souffrance : et, c’est pour l’atteindre plus efficacement qu’elle a l’honneur de vous proposer le renvoi de la pétition à M. le ministre de l’intérieur, à celui des finances, dans l’intérêt des forêts de l’Etat, et à la commission d’industrie.
M. le président. - La discussion continue sur l’article 3, chapitre III : « Hôpitaux (personnel). »
La chambre a adopté le chiffre de fr. 222,045 26 c.
M. le ministre de la guerre avait proposé celui de fr. 241,695 26 c.
Réduction, fr. 19,650.
M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Messieurs, il ne peut vous paraître étonnant qu’une affaire aussi minime que celle dite de charpie, et à laquelle cependant on a attaché de l’importance à l’une de vos séances précédentes, ait pu échapper à mes souvenirs et me laisser sans réponse aux interpellations qui m’ont été faites.
Il est difficile, vous en conviendrez, au milieu d’une vaste administration qui traite plusieurs milliers d’affaires chaque année, de se rappeler à l’instant l’une de ces affaires passée depuis 3 ans, et qui consiste en un échange de 752 kilo. de charpie, estimée à 1,786 fr. 18 c., contre du sel commun, dont l’approvisionnement, fait à l’invasion du choléra, n’était plus utile, et dont on cherchait à débarrasser le magasin.
Je me suis fait représenter tout le dossier de cette affaire qui se compose de 18 pièces originales et de 5 annexes, et dont je vais avoir l’honneur de vous donner une connaissance succincte, en vous priant de remarquer quel esprit d’ordre, de justice, de régularité signale cette affaire, et pour vous donner une nouvelle preuve que l’administration qui m’est confiée n’agit pas à la légère, comme on semble le croire, et pour que vous jugiez par l’exposé d’une affaire aussi simple en elle-même, de quels moyens d’investigations sa marche est entourée.
Je me trouve en mesure de prouver à la chambre que la manière dont cette affaire a été traitée, loin d’être un sujet de blâme, fait au contraire honneur à une administration dont les actes ont été si vivement attaqués dans cette enceinte.
Les pièces originales que j’ai l’honneur de déposer sur le bureau démontreront :
Pièce n°1 : Qu’une certaine quantité de charpie, refusée en 1832, a effectivement été offerte à l’inspecteur général du service de santé par lettre du 15 janvier 1833.
Pièce n°2 : Que, par dépêche du 17 du même mois, ce fonctionnaire a fait la demande d’un échantillon de cette charpie.
Pièce n°3 : Que l’envoi de cet échantillon a été fait à l’administration du service de santé par lettre du 18 janvier.
Pièce n°4 : Que sur l’avis du médecin de garnison, contrôleur de la pharmacie centrale, cette charpie a été considérée, d’après l’échantillon, comme étant de mauvaise qualité (comparé à l’échantillon-type, déposé dans l’établissement), et ne pouvant être admise.
Pièce n°5 avec une annexe : Que, par lettre de M. Pasquier à l’inspecteur général, ce pharmacien a dénoncé une offre faite par le sieur Servais pour admettre la charpie dont il est ici question.
Pièce n° 6 : Que, par une nouvelle lettre à l’inspecteur-général, le sieur Servais a insisté sur l’admission de sa charpie.
Pièce n°7 : Qu’un nouveau refus a été fait par l’inspecteur-général (15 février, n°145), fondé sur l’avis émis par le médecin de garnison, contrôleur de la pharmacie centrale.
Pièce n°8, avec une annexe : Qu’ayant échoué dans toutes ses démarches près des fonctionnaires qui étaient à même d’admettre sa marchandise, le sieur Servais s’est adressé à mon département par lettre du 18 avril 1833, en annonçant qu’il en avait fait choisir 700 kil. parmi la quantité refusée, et qu’il offre de subir la diminution qu’on voudra lui imposer, attendu qu’il ne peut tirer aucun autre parti de cette marchandise.
Renvoi de cette lettre à M. l’inspecteur-général du service de santé, par une dépêche du 29 avril suivant,
Pièce n° 9 : Qu’avant de me répondre, ce fonctionnaire a demandé l’avis des experts qui avaient refusé la charpie, telle qu’elle avait été présentée en 1832.
Pièce n°10 avec deux annexes : Qu’en l’absence de l’inspecteur-général, qui avait obtenu un congé, le médecin de garnison qui dirigeait son service m’en a proposé l’admission à une nouvelle expertise, et en cas d’acceptation, l’échange contre du sel, resté sans emploi.
Pièce n°11 : Que, par décision émanant de mon département, cette nouvelle expertise a été ordonnée, ainsi que l’échange proposé de la charpie contre du sel, en cas d’acceptation. (Dépêche du 4 juin, n°2222, 4ème division.)
Que j’ai donné connaissance de cette décision au sieur Servais par date du 23 mai, n° 2222, 4ème division.
Pièce n°13, avec une annexe : Qu’un procès-verbal constatant la qualité et la quantité de la charpie représentée à l’expertise a été dressé par MM. les médecins de garnison Lebeau et Van Biervliet, qui l’ont déclarée de qualité à pouvoir être admise et utilisée dans les hôpitaux.
On remarquera que ce procès-verbal est signé par deux médecins de garnison, et non par les experts qui l’avaient primitivement refusée ; et on concevra facilement qu’en présence des pièces n°5 et annexe 2° du n°10, il était indispensable qu’on prît l’avis de deux hommes de l’art d’un grade supérieur et entièrement étrangers à la question, ainsi que les premiers experts l’avaient eux-mêmes demandé.
Pièce n°14 : Que, par une lettre du 6 juin, n°41 bis, l’inspecteur-général a prescrit au directeur de la pharmacie centrale, conformément aux instructions contenues dans ma dépêche du 4 juin susmentionnée, les conditions auxquelles la charpie Servais, acceptée par les experts, pouvait être admise dans l’établissement.
Pièce n°15 : Que, par lettre du 7 juin suivant, le sieur Servais a adressé à l’inspecteur-général de vives réclamations sur les conditions de l’échange à opérer.
Pièce n° 16 : Que, par lettre du 9 juin, n°64, ce fonctionnaire lui a répondu que rien ne serait changé par lui à la décision prise.
Pièce n°17 : Que par lettre du 11 juin, le directeur de la pharmacie centrale a fait connaître à l’inspecteur-général que M. Servais souscrivait aux conditions arrêtées.
Pièce n°18 : Que par lettre du 17 suivant, ce fonctionnaire m’a fait part de la conclusion définitive ainsi que de l’exécution du marché.
La charpie, telle qu’elle a été reçue en dernier lieu, n’a donné lieu à aucune plainte. Elle a été totalement consommée. Ce fait seul prouve que les experts qui l’ont reçue ont rempli fidèlement leurs devoirs.
L’article 20 du règlement sur le service de santé est ainsi conçu :
« Lorsqu’on reçoit des médicaments, on s’enquiert soigneusement de leur qualité ; si l’on en trouvait de mauvaise qualité, on se conduirait comme il a été prescrit l’article précédent, en ajoutant toutefois au procès-verbal destiné à l’inspecteur-général un échantillon de ces substances, cacheté par le médecin surveillant le service. Si un inspecteur trouvait en magasin des médicaments de mauvaise qualité, il en rendrait responsable le pharmacien et les médecins qui les aurait acceptés sans remplir ces formalités. »
On conçoit qu’en présence d’une disposition aussi formelle, il a fallu que la charpie fût de qualité telle qu’elle ne pût être refusée.
Jugez maintenant, messieurs, après ces explications, quelle confiance il faut accorder à ces dénonciations calomnieuses, à ces fausses allégations de la presse périodique en Belgique ; il a suffi dans cette affaire, comme dans tant d’autres, d’un seul homme dont l’amour-propre ou l’intérêt sont lésés, pour fournir ces articles à quelques journaux, qui accueillent trop facilement toute attaque contre les dépositaires du pouvoir.
Mais s’il est pénible pour l’honnête homme de se voir attaquer dans cette chambre même, en son honneur et ses services, vous ne pouvez lui refuser que sa conduite soit mise au grand jour, afin de prouver la fausseté des faits allégués contre lui.
Je demande, en conséquence, l’impression de toutes les pièces qui sont relatives à cette affaire, et qu’elle soit autorisée dans le Moniteur.
Je viens maintenant à ce qui concerne l’école de médecine militaire.
Messieurs, convaincu comme je le suis, par une expérience de quatre années, que le mode d’admission et d’avancement dans le service sanitaire de notre armée présente des vices inhérents à sa composition actuelle ; averti par les plaintes qui ont retenti pendant trois sessions dans cette enceinte même, je ne conçois pas, je vous l’avoue, que vous ayez voulu m’ôter les moyens de mettre un terme à ces plaintes trop bien fondées, et que vous ayez refusé d’accorder la somme minime de 11,600 fr., que je regardais comme suffisante pour faire acquérir à nos officiers de santé, et à ceux qui se destinent à cette carrière, l’instruction qu’ils doivent avoir pour remplir convenablement les fonctions qui leur sont confiées.
En réfléchissant sur un pareil fait, je ne peux croire encore que telle a été votre intention.
Faudrait-il donc se résigner à un ajournement que partisans et adversaires du projet ne se dissimulent, ni les uns, ni les autres, équivaloir à un rejet ? Non, je ne peux le penser, car tout l’avenir du service sanitaire de l’armée me paraît attaché à la réalisation du projet et légitimer d’avance tous les moyens d’y parvenir.
La loi du 12 mars 1818 détermine les conditions d’aptitude pour pouvoir exercer une branche quelconque de l’art de guérir dans le royaume, et l’arrêté royal du 31 mai suivant prescrit, dans les articles 25 et 26, les formalités à remplir, sans lesquelles cette aptitude ne saurait être convertie en droit.
L’article 26 défend aux autorités constituées d’admettre, sous quelque prétexte que ce soit, à l’exercice d’une des branches de l’art de guérir, d’autres individus que ceux qui sont portés sur les listes des praticiens, et leur ordonne expressément de réprimer avec sévérité tous les abus qui pourraient se commettre à cet égard. Ces dispositions sont claires, précises, ne sont pas susceptibles de deux interprétations ; et cependant, messieurs, ces dispositions légales sont enfreintes sous un double rapport ; je vous ai démontré qu’il ne pouvait en être autrement dans le service médical de l’armée, et j’ajouterai ici que ces infractions existent depuis l’époque même de la loi que je viens de citer.
Ce sont là, messieurs, les dispositions sur lesquelles le projet de loi que j’ai eu l’honneur de vous soumettre vous appelle à prononcer : mais elles ne sont pas tellement liées aux cours que je désire faire ouvrir dans l'intérêt du service sanitaire de l’armée, que vous ne puissiez, avant l’examen et la discussion de ces dispositions, m’accorder les fonds que je ne cesserai de réclamer dans l’intérêt de ce service, dans celui de l’armée, et qui, s’ils me sont de nouveau refusés, m’empêcheront d’apporter dans ce service les améliorations que je projetais, et me forceraient à décliner la responsabilité des événements qu’un honorable orateur vous a signalés et auxquels je ne peux remédier si vous persistez à rejeter la minime allocation que je vous demande.
Je ne peux donc, sans compromettre ma responsabilité, me dessaisir du droit de répondre encore aux antagonistes du projet, et je vais réduire la question à sa plus simple expression.
J’avais déjà dit, dans une séance précédente, que le nombre des jeunes docteurs qui se présentent pour entrer au service militaire est insuffisant pour combler les vides que laissent les vacatures. J’ajouterai qu’il ne s’en présente pas pour entrer dans le service de la marine.
On a répondu à cette observation (qui suffirait seule pour démontrer la nécessité de la mise à exécution de mon projet) que s’il ne se présente pas assez de docteurs, c’est parce qu’ils ne sont pas assez stimulés, par le système de commissions qu’on a prétendu que j’ai adopté.
Mais, messieurs, j’ai fait un relevé de tous les éléments qui seront nécessaires à la formation du cadre des officiers de santé nécessaires au service sur le pied de paix, et qui doivent être brevetés, et il en résulte que le nombre de ces officiers de santé ne devra guère dépasser 110. Et il ne faut pas perdre de vue combien il serait imprudent, en présence de l’article 124 de la constitution, de breveter tous les officiers de santé de l’armée actuelle.
Une administration sage et prévoyante ne doit faire breveter que le nombre strictement nécessaire pour les besoins de l’état de paix. Le surplus ne doit être employé que temporairement, et le gouvernement doit avoir le droit de le licencier afin de ne pas obérer inutilement le trésor, lorsque le moment de la réduction de l’armée sera venu.
Or, le nombre des officiers de santé brevetés, actuellement au service, s’élève à 107. Nous n’avons donc plus qu’une très petite limite pour le nombre de brevets à accorder, pour suffire aux besoins de la paix, et ces brevets devront être donnés de préférence aux officiers de santé qui sont déjà au service.
Si donc, comme l’ont dit quelques honorables membres, l’attrait d’un brevet doit faire arriver au service de jeunes docteurs, je viens de vous prouver que je suis dans l’impossibilité de le leur offrir.
Mais, en admettant que de jeunes docteurs se présentent en assez grand nombre pour remplir tous les vides, en supposant, contre l’évidence, que les médecins militaires ne doivent point posséder des connaissances spéciales, ce ne serait pas encore une raison pour ne pas ouvrir l’hôpital d’instruction.
Ce qui manque aux jeunes docteurs, messieurs, c’est la pratique ; il n’est un d’entre eux, ou du moins il n’en est qu’un très petit nombre qui, au sortir de l’université, puissent se livrer immédiatement à la pratique. Il n’en est point qui aient déjà traité des malades, pratiqué des opérations, manipulé des médicaments.
Et dites, messieurs, en est-il un de vous qui leur confierait le soin de sa santé, de celle de sa famille ? Non, mille fois non ; eh bien, ce que vous ne voudriez pas faire pour vous-mêmes, vous ne pouvez vouloir que je le fasse pour une batterie, un escadron, un bataillon !
Vous ne pouvez vouloir que je confie la santé d’un millier d’hommes à des jeunes gens sortis tout frais de l’école et n’ayant jamais traité un seul malade, pratiqué la moindre des opérations.
N’oubliez pas que l’armée est une des portions les plus importantes de la nation ; que nos soldats sont nos concitoyens, et qu’en cas de maladie surtout, ils ont droit à toute la sollicitude du gouvernement.
Trop d’inconvénient, je dirai même trop de malheurs, ont été le résultat de l’état de choses actuel, pour que vous ne vous empressiez pas avec moi d’y mettre un terme.
Les jeunes docteurs qui s’adonnent à la pratique civile peuvent recourir, au besoin, aux lumières de leurs confrères, et c’est ce qu’ils font dans les cas difficiles. Un médecin militaire, au contraire, est trop souvent abandonné à lui-même et doit trouver en lui seul toutes ses ressources.
Il suit de ce que je viens d’avoir l’honneur de vous dire, qu’en supposant même que nous parvinssions à recruter un assez grand nombre de jeunes docteurs pour remplir les vacatures, il faudrait encore leur faire faire des cours spéciaux de pratique.
Or, cette pratique, ils pourront l’acquérir dans notre hôpital d’instruction.
Ce n’est pas tout : veuillez remarquer que le système d’instruction supérieure admis par la dernière loi et déjà en vigueur depuis 1817, est entièrement différent de celui de France et des autres pays.
En France, en Prusse, on ne peut obtenir le diplôme de docteur sans être apte à pratiquer les trois branches de l’art de guérir. Un docteur y est donc tout à la fois médecin, chirurgien et accoucheur. Chez nous, le diplôme de docteur en chirurgie est tout à fait distinct de celui de docteur en médecine. Chez nous, on peut être reçu docteur en médecine, sans posséder autre chose que les notions les plus superficielles et seulement théoriques de la chirurgie, puisque la loi a prescrit un examen spécial pour l’obtention du diplôme de docteur en chirurgie.
Il en résulte que les jeunes gens qui ne sont que docteurs en médecine ne peuvent nous convenir ; il faut que nos officiers de santé aient fait des études spéciales en chirurgie, et les docteurs en médecine n’en ont pas fait.
Les docteurs en médecine n’ont point fait non plus des études spéciales en pharmacie, n’ont point appris surtout à manipuler les médicaments ; et les médecins militaires se trouvent dans l’obligation, dans une foule de circonstances, de pratiquer l’art pharmaceutique. Sous ce double rapport, vous voyez donc encore, messieurs, l’indispensable nécessité d’un hôpital d’instruction.
Un honorable membre, M. de Jaegher, a dit, dans une des dernières séances : « Faites un appel aux capacités et les capacités viendront. » Messieurs, je désirerais plus qu’aucun autre que le vœu de l’honorable membre pût se réaliser. Mais pouvez-vous croire sérieusement qu’en cas d’appel il vous vienne des capacités à raison de 1,300 francs par an, avec la sujétion d’une vie vagabonde, rarement sédentaire, et la nécessité de supporter cet état de choses pendant plusieurs années ? Non, messieurs, vous ne le croyez pas, vous ne pouvez le croire. Oh ! si nous pouvions faire aux capacités l’offre de places sédentaires de 4,000 à 5,000 francs, je crois bien qu’elles nous arriveraient. Mais cela est impossible. Dans le service de santé comme dans toutes les armes, il y a des règles d’avancement auxquelles on ne peut déroger, à peine de porter le découragement dans les rangs.
Croyez bien plutôt, messieurs, que le service de santé militaire n’est, pour plusieurs médecins civils, qu’un pis aller, et qu’ils ne demandent à y entrer que lorsqu’ils n’ont pu obtenir des clients.
N’oublions pas enfin, messieurs, qu’ainsi que je vous l’ai déjà dit, nous avons un grand nombre de jeunes médecins militaires qui ont besoin d’instruction, et qu’ils viendront la puiser dans notre hôpital ; car, dans les universités, ils n’acquerront jamais, ils ne peuvent acquérir l’instruction pratique, dont j’ai déjà parlé, et que nous voulons qu’ils aient. Il serait par trop injuste de les renvoyer immédiatement après qu’ils ont rendu des services pendant trois ou quatre années.
J’ai donc l’honneur de vous proposer d’allouer à l’article 3 du chapitre III la somme de 19,650 fr. qui a été retranchée, dont
- 8,000 fr. pour le traitement des élèves,
- 8,000 fr. pour le supplément de traitement des professeurs,
- 3,650 fr. pour frais de premier établissement.
M. A. Rodenbach. - Messieurs, lorsque, dans les précédentes séances, on nous a présenté les amendements de MM. Brabant et Desmaisières, les ministres eux-mêmes ont dit qu’on ne pouvait insérer de nouvelles lois dans les budgets ; c’est là l’argument que les ministres ont opposé aux amendements des honorables députés de Namur et de Gand. Je m’empare de cet argument qu’un ministre a encore fait valoir hier, pour demander que la discussion actuelle soit renvoyée à la discussion du projet de loi que le ministre de la guerre a présenté à la chambre. Il a senti la nécessité d’un projet de loi spécial ; à cet effet il a déposé un projet de loi que nous discuterons en temps opportun.
Je ne sais si je dois rentrer dans la discussion pour combattre le discours que vient de prononcer M. le ministre de la guerre.
- Plusieurs membres. - Non ! non !
M. A. Rodenbach. - C’est cependant ce que je vais faire en tâchant d’ajouter, s’il est possible, de nouveaux arguments à ceux que j’ai fait valoir contre la proposition du ministre.
J’ai suivi M. le ministre dans la lecture qu’il vient de faire d’un long rapport ; mais comme on faisait beaucoup de bruit dans la salle, il est possible que je me sois trompé. Je demanderai donc si on n’a pas refusé trois ou quatre fois de la charpie, et cela parce que cette charpie était probablement mauvaise pour soigner les blessures de nos militaires ; car il n’est pas possible qu’il y ait eu d’autres raisons pour faire refuser cette charpie.
On a dit que le propriétaire de cette charpie a demandé si l’on voulait accepter cette charpie moyennant une diminution de 60 p. c. ; il a proposé un troc pour du sel qui se trouvait à la pharmacie centrale, un troc moyennant une baisse de 60 p. c. Mais, si cette charpie était mauvaise, en l’obtenant à moindre prix, la rendriez-vous donc meilleure ? c’est là une singulière opération ; je ne sais vraiment pas comment m’expliquer cette opération. A la vérité, on a dit que deux médecins ont accepté cette charpie et l’ont reconnue bonne. Après que des hommes spéciaux avaient rejeté cette charpie, le médecin militaire docteur Lebeau et un autre médecin l’ont acceptée. Ainsi, devant une commission la charpie a été trouvée mauvaise, et ensuite deux médecins la trouvent bonne. En présence de ces jugements opposés que pouvons-nous faire ?
On a peut-être exagéré les abus qu’il y a à la pharmacie centrale ; mais néanmoins il est positif qu’il y a des abus. Ainsi, des individus employés comme pharmaciens dans l’armée ont été renvoyés chez eux parce qu’on était mécontent de leur gestion ; arrivés chez eux, ils y ont bientôt reçu des brevets de pension ou de demi-solde de 900 fr. ou de 1,1100 fr. S’ils ne remplissaient pas leur devoir, il n’y avait pas lieu, ce me semble, à les pensionner. Ces faits existent, et quelque répugnance que l’on ait à entrer dans des questions de personnes, il est de notre devoir de les signaler.
Pour revenir à l’augmentation de crédit demandée, je demanderai si, en Belgique, où il y a 4 universités et 6 écoles secondaires, il n’y a pas en cela autant de moyens d’instruction qu’en Prusse, en France, en Angleterre, enfin que sur quelque partie du globe que ce soit. Que l’on compare la population et le nombre des écoles ; cette comparaison sera à l’avantage de la Belgique.
D’après la loi que vous avez votée sue l’enseignement supérieur, les jurys d’examen ne peuvent exclure les élèves qui ont fait preuve de connaissances spéciales. Le gouvernement peut, en outre, nommer une commission de docteurs ou de personnes non graduées, qui examinerait les personnes qui se présenteraient pour exercer des fonctions médicales dans l’armée ; elle admettrait ceux qui justifieraient des connaissances nécessaires et rejetterait ceux qui ne feraient pas preuve de ces connaissances.
Personne, dit-on, ne se présentera ; les traitements de médecins de l’armée sont trop faibles : eh bien, qu’on augmente ces traitements. M. le ministre de la guerre a parlé d’appointements de 1,300 francs. Mais, je le répète, qu’on les augmente. La chambre n’a jamais voulu lésiner ; elle veut qu’on paie le talent, mais elle ne veut pas qu’on établisse une école spéciale pour la médecine militaire. Vous avez dans nos universités de quoi composer tout le corps médical de l’armée. Le célèbre Dupuytren est un premier chirurgien du siècle ; cependant, il n’était pas médecin militaire. Un excellent ouvrage sur les instruments de chirurgie et sur les moyens économiques que l’on doit employer dans l’armée, ouvrage qu’il serait à désirer qu’on mît entre les mains des élèves, a été publié par un médecin qui n’est pas médecin militaire.
Il est certain que des médecins qui ont fait d’excellentes études, peuvent, après quelques mois passés dans un hôpital, exercer la médecine militaire. M. Fallot dit le contraire. Mais quand nous avons d’un côté l’opinion des hommes de l’art et d’un autre l’opinion de M. Fallot qui est intéressé dans la question, puisqu’il est nommé directeur de l’établissement, notre choix peut-il être douteux ? Je suis fâché de faire de ceci une question de personne. Mais ce n’est pas moi qui ai amené la discussion sur ce terrain, c’est l’honorable membre qui est venu nous lire une analyse de la brochure de M. Fallot.
On dit qu’en temps de paix nous avons besoin d’une centaine de chirurgiens militaires ; nous avons déjà dans l’armée 72 chirurgiens qui n’ont pas de diplôme : qu’on leur fasse suivre des cours dans les universités. Pourquoi leur refuse-t-on cet avantage que l’on accorde aux médecins de l’armée possédant le grade de docteur ?
Je termine en déclarant que je suis prêt à voter les 8,000 fr. dont M. le ministre de la guerre avait annoncé qu’il ferait la demande pour traitement de 16 élèves ; je crois que la chambre y est également disposée ; mais elle ne peut voter le crédit de 19,650 fr. demandé, parce que ce serait improviser un système, introduire une loi dans un budget. C’est chose impossible, comme l’ont fort bien dit MM. les ministres eux-mêmes.
M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Puisque l’honorable préopinant a cité ce qui se passe en France quant aux hôpitaux militaires d’instruction, je dois dire que moi aussi j’ai consulté sur ce point.
Si l’opinion de l’illustre baron Larrey, ce vétéran de la chirurgie française, celle de Broussais, de Desgenettes, de Dupuytren et de tant d’autres notabilités médicales françaises, que je pourrais citer, ont quelque poids sur votre opinion, je puis vous assurer que tous reconnaissent l’utilité et la nécessité d’un hôpital militaire d’instruction et de perfectionnement.
On m’a objecté que si le baron Larrey connaissait notre nouveau système d’instruction supérieure, il changerait bientôt d’avis. Messieurs, c’est bien plutôt cette connaissance qui le raffermirait dans son opinion.
En France, on n’obtient le diplôme de docteur, que lorsque l’on possède toutes les connaissances nécessaires en médecine, chirurgie et accouchements, de sorte que l’on peut s’y livrer à la pratique simultanée de ces trois branches. Chez nous, au contraire, on peut être docteur en médecine (la loi le veut), et n’avoir que des connaissances très faibles en chirurgie, surtout en chirurgie pratique.
L’avantage est donc du côté de la France, Et pourtant là, à côté de la plus illustre faculté de médecine du monde, vous voyez l’hôpital militaire d’instruction du Val de Grâce. A côté de deux autres facultés également renommées, à côté de vingt écoles secondaires, toutes pourvues de professeurs de mérite, vous voyez encore les hôpitaux d’instruction de Lille, de Metz, de Strasbourg, exclusivement pour le service de santé militaire.
Vous connaissez aussi ce qui existe en Autriche, en Prusse, en Angleterre, enfin en Hollande.
Croyons-en nos aînés, messieurs, lorsqu’il s’agit de ce genre d’institution et ne rejetons pas, sans y retarder à deux fois, ce qu’après d’infructueux essais et de pénibles tâtonnements, ils ont été obligés de créer chez eux.
Enfin, l’honorable M. Rodenbach invoque l’opinion publique ; mais qu’appelle-t-il donc de ce nom ; est-ce quelques articles de journaux ? Mais voyez, messieurs, ce qu’ils avancent sur l’affaire de la charpie. Il est réellement déplorable de voir accorder quelque importance à des articles de journaux, quand on devrait savoir le but dans lequel ils sont rédigés.
Je viens d’apprendre par le dernier bulletin que j’ai reçu qu’il venait d’être établi un hôpital d’instruction militaire à Alger.
M. F. de Mérode. - On vous a parlé de création improvisée au milieu d’un budget : y a-t-il de comparaison entre des lois qui ne concernent que des économies sur les grades supérieurs, résultat très incertain d’un libellé d’article du budget, et l’établissement si peu coûteux d’un hôpital d’instruction dont la nécessité est reconnue par M. le ministre de la guerre, qui persiste instamment pour l’adoption de son projet ? Et certainement on ne lui reprochera pas de maintenir ses propositions avec une obstination fatigante.
On parle de nos quatre universités ; mais à Paris il y a un hôpital d’instruction pour les officiers de santé militaires, et cependant les moyens de s’instruire dans l’art médical n’y manquent pas.
On ne s’en rapporte pas à M. Fallot seul. Brugmans, Larrey, ne sont pas M. Fallot.
On vous a dit que vous alliez préjuger une question de légalité, créer une école où tout sera fait par simple arrêté. Mais vous savez, messieurs, combien les lois les plus urgentes subissent ici de retard.
M. de Jaegher. - Après la détermination prise, par M. le ministre de la guerre, de présenter à la chambre un projet de loi pour l’institution d’une école de médecine militaire à Louvain, il y a lieu de s’étonner de ce qu’il insiste tant maintenant pour faire préjuger cette question.
L’opinion que j’avais émise n’était pas contraire à l’institution de cette école ; mais j’aurais désiré savoir sur quelles bases cette école serait établie, quelles seraient les conditions d’admission.
M. le ministre de la guerre a cité l’exemple de la France, de l’Angleterre, de l’Allemagne ; il a invoqué le témoignage des célèbres Larrey et Dupuytren. Mais il n’a pas dit si en France, en Allemagne, on acceptait les élèves sans qu’ils aient fait preuve des moindres connaissances théoriques. Il est probable que l’on n’est admis aux écoles pratiques dont M. le ministre a parlé qu’après avoir fait des études préalables. Il y aurait du danger à ce qu’il en fût autrement.
M. le ministre de la guerre a cru devoir citer les paroles que j’ai prononcées dans une précédente séance. J’ai dit que l’on pas fait d’appel aux jeunes gens ; je pense encore qu’il ne leur a pas été fait d’appels suffisants.
Je déclare, au reste, que si je suis opposé à la demande de crédit faite par le ministre, c’est dans le but d’améliorer le service de santé de l’armée, et parce que je suis convaincu que l’on trouvera dans nos universités tous les éléments nécessaires pour l’amélioration de ce service.
Je n’ajouterai rien à ces considérations, l’honorable M. A. Rodenbach m’ayant devancé sur plusieurs points.
M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Ainsi que j’ai eu l’honneur de le faire observer, le but que je me suis proposé lorsque j’ai eu l’honneur de soumettre un projet de loi à la chambre, n’a pas été, à proprement parler, la création de cours destinés à perfectionner l'instruction de nos officiers de santé ; mais bien de coordonner les dispositions des lois existantes avec le nouveau mode que je propose pour l’admission au service sanitaire de l’armée ; mode d’après lequel les conditions d’admission seront les mêmes que celles pour l’hôpital du Val-de-Grâce ; j’ai calqué les règlements de l’école projetée sur ceux de cet hôpital d’instruction et de perfectionnement. Le but de la loi n’est donc pas les cours, ou l’admission à ces cours. Son but est, je le répète, de mettre la législation en harmonie avec les dispositions proposées qui consistent à annuler celles de la loi de mars 1817 et de l’arrêté du mois de mai suivant qui empêchent toute personne, ne possédant pas le grade de docteur, d’exercer une des trois branches de l’art de guérir, et qui défend aussi de les exercer simultanément.
Nous avons voulu rentrer dans la légalité ; pour cela il était nécessaire d’adopter de nouvelles dispositions, qui mettront fin à ces infractions en abrogeant les dispositions existantes, puisqu’on les reconnaît inexécutables.
Je pense que pour juger de l’utilité de l’organisation de l’école de médecine projetée, il faut voir comment cela se pratiquera pendant la première année. C’est ainsi que nous avons fait pour l’école militaire dont nous recueillons maintenant les précieux avantages.
Si dans une année on reconnaît que cet établissement n’est pas utile, on repoussera le projet de loi. Je crois qu’un essai est nécessaire. On ne doit pas regretter pour le faire une dépense de 11,600 fr., lorsqu’il doit en résulter de notables améliorations dans le service de santé de l’armée.
Je prie la chambre de croire que je ne mets de persistance dans ma demande que parce que j’ai la conviction que c’est chose nécessaire.
M. Dumortier. - Je veux bien croire que M. le ministre de la guerre et M. F. de Mérode ne mettent autant de persistance dans la demande du crédit qu’ils sollicitent que dans l’intérêt bien entendu de l’armée, leurs intentions sont telles, j’en suis persuadé ; mais cela ne répond en rien à la question qui se présente. La question est toute simple : c’est une question de légalité et de constitutionnalité. On vous demande d’instituer au moyen d’un vote de crédit une école à l’établissement de laquelle la loi n’a pas pourvu. Tout serait fait par simple arrêté. C’est là l’inconstitutionnalité qu’on vous demande de consacrer par votre vote !
Je porte à l’armée un intérêt tout aussi grand que les personnes qui défendent le crédit du gouvernement, que M. le ministre de la guerre et M. F. de Mérode. Je désire que nos soldats ne soient pas confiés à des mains inhabiles, que toutes les personnes appelées à leur donner des soins aient donné des preuves de capacité. Mais ces preuves de capacité, on les donne en obtenant le grade de docteur en médecine. C’est la seule preuve de capacité que je connaisse en matière d’exercice de l’art de guérir. On vient dire : Confierez-vous votre santé à un jeune docteur qui sort des bancs de l’université ? Mais je réponds : Confierez- vous votre santé à un jeune docteur sortant de l’école de médecine militaire ? Car le même enseignement sera donné dans ces deux établissements.
M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Et les connaissances pratiques ?
M. Dumortier. - Il faut en avoir fait preuve pour obtenir le grade de docteur. Il faut avoir suivi pendant plusieurs années des cours de clinique pour être admis à passer les examens du doctorat. C’est une condition sans laquelle le plus habile ne serait pas admis à l’examen.
Qu’on ait suivi la clinique de quelque hôpital que ce soit, de l’hôpital Saint-Pierre ou de l’hôpital St-Paul, cela est fort indifférent.
Je n’admets pas les distinctions que l’on a faites : des malades sont des malades, des maladies sont des maladies ; un bras cassé est un bras cassé.
Vous avez créé par la loi sur l’enseignement supérieur des jurys d’examen. Si vous admettiez la proposition de M. le ministre de la guerre, il aurait d’autres jurys sous la main. Je crois, quant à moi, que pour l’exercice de la médecine militaire, comme pour l’exercice de la médecine civile, vous devez vous en tenir aux dispositions de la loi que vous avez votée.
Vous la renverseriez encore sous un autre rapport si vous accordiez le crédit.
Nous avons en Belgique deux universités aux frais de l’Etat. Le désir que nous avons eu de maintenir dans les villes qui avaient les universités, les institutions scientifiques dont elles étaient dotées, nos a fait admettre deux universités aux frais de l’Etat au lieu d’une. Indépendamment de ces deux universités, la liberté d’enseignement en a élevé deux autres. Ainsi, dans un petit pays comme la Belgique, nous avons quatre universités.
Vous citez toujours la France et vous dites qu’au Val-de-Grâce, il y a une école où les élèves qui se destinent à la médecine militaire font leurs études. Mais je ferai observer qu’en France, il n’y a que trois écoles de médecine pour tout le royaume, qui sont Paris, Strasbourg et Montpellier ; tandis qu’en Belgique il existe pour notre petit royaume de quatre millions d’habitants, quatre universités, sans compter les écoles médicales que nous avons.
M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Il y a en France vingt écoles secondaires de médecine militaire.
M. Dumortier. - Nous avons fondé un système d’instruction supérieure avec un soin tel, que dorénavant les jurys provinciaux ne pourront plus conférer de grades d’officiers de santé. Nous avons voulu perfectionner tellement l’art de guérir en Belgique, que nous avons supprimé les officiers de santé ; mais pour respecter les droits acquis par ceux qui ont étudié dans le but d’obtenir le grade d’officier de santé, nous avons décidé qu’après l’année expirée il ne serait plus conféré de grade de ce genre.
Nous avons voulu qu’à l’avenir, quiconque en Belgique s’adonnerait à l’art de guérir, eût suivi des cours non pas dans une petite école comme serait celle que veut établir le ministère de la guerre, mais qu’il eût puisé dans les plus grandes écoles l’enseignement dans l’art de guérir. Nous avons supprimé les jurys provinciaux qui existent encore dans toute la France, parce que nous avons voulu que celui qui exercerait l’art de guérir dans la plus petite commune fît la même preuve de capacité que celui qui devrait exercer dans la capitale.
Que demande le ministre de la guerre ? De pouvoir conférer des diplômes pour exercer l’art de guérir précisément au moyen de simples écoles comme celles que nous avons supprimées par la loi sur l’instruction publique. N’est-ce pas parce que nous n’avons pas trouvé que l’enseignement donné dans ces écoles fût suffisant pour exercer l’art de guérir, que nous en avons voté la suppression ? Si nous portons le même intérêt aux défenseurs du pays qu’aux autres citoyens, nous ne devons pas vouloir que les soldats soient traités par des hommes ayant moins de capacité que ceux qui donnent leurs soins aux citoyens de nos communes.
Je répéterai ici ce que j’ai déjà eu l’honneur de dire. Si vous voulez qu’on donne dans l’école de médecine militaire une instruction parallèle à celle qu’on donne dans les universités vous devez y créer un cours de philosophie, un cours de mathématiques, un cours de botanique, un cours de zoologie, un cours d’anatomie, un cours d’anatomie comparée, enfin des cours de toutes les sciences accessoires qui sont requises pour passer le grade de candidat en médecine, et alors vous aurez ajouté à nos deux universités une troisième université qui sera une université militaire.
Voilà des faits qui sont incontestables.
Si nous portons réellement intérêt à l’armée, nous devons vouloir que nos soldats ne puissent être traités que par des personnes qui ont suivi tous ces cours, et non pas seulement un seul petit misérable cours de médecine ou de chirurgie dans un hôpital, sans avoir fait leurs preuves dans les sciences accessoires. Je vous le demande, que serait-ce qu’un médecin militaire qui n’aurait aucune connaissance de la botanique, qui ne connaîtrait pas les simples qu’il devrait employer ? Mais il administrerait les poisons les plus violents croyant administrer les plantes les plus bienfaisantes. Que serait-ce qu’un médecin militaire qui n’aurait pas de connaissance en chimie ? Il pourrait à chaque instant se tromper dans les préparations chimiques qu’on emploie beaucoup aujourd’hui en médecine, et administrer les remèdes les plus dangereux en croyant administrer un remède bienfaisant. Pour exercer l’art de guérir, les connaissances accessoires sont aussi indispensables que les connaissances essentielles à la médecine.
De deux choses l’une : ou vous voulez introduire toutes ces branches d’enseignement dans votre école de médecine militaire, et alors vous en faites une université, ou vous voulez les repousser, et alors vous voulez en faire une école inutile et dangereuse.
Voilà le résultat du système qu’on propose. Quant à moi, je ne puis voir dans la persistance que l’on met à avoir une école de médecine militaire, qu’une seule chose, un nouveau pas dans le projet, que depuis longtemps je vois percer de créer une puissance militaire en Belgique.
On veut former de l’organisation militaire une puissance indépendante de tous les pouvoirs de l’Etat, une puissance indépendante de l’action législative, indépendante de l’action judiciaire, tandis qu’en Belgique, tous les pouvoirs se précédèrent les uns les autres. L’action de la chambre des représentants est soumise à l’action du pouvoir exécutif, et l’action du pouvoir exécutif est soumise à celle des chambres. Tandis que tous les pouvoirs s’arrêtent devant le pouvoir judiciaire, on voudrait faire de la puissance militaire un pouvoir qui se placerait au-dessus de toutes les lois.
Voilà le but qu’on se propose. Mais c’est en vain ; jamais la Belgique ne consentira à se laisser placer sous le joug d’une puissance militaire. Nos gouvernants peuvent bien rêver de pareilles doctrines, mais elles n’auront jamais d’appui dans le pays.
J’ajouterai quelques mots.
Vous avez dans la loi sur l’instruction publique admis un jury d’examen, un jury à qui seul appartient le droit de donner aux personnes qui se présenteront le diplôme de docteur, lorsqu’elles auront subi des épreuves suffisantes. Je vois au nombre des personnes fort honorables qui composent ce jury un des hommes les plus distingués de la Belgique, le médecin en chef de notre armée, dont personne ne contestera le haut talent, les grandes connaissances. Eh bien vous avez en lui un représentant de la médecine militaire ; il verra si les personnes qui se présentent, offrent les garanties nécessaires pour entrer dans l’armée et sa haute position dans le service de santé de l’armée le met à même de rendre d’immenses services, si vous suivez le système qui vous a été indiqué par plusieurs membres, d’ouvrir un concours pour pourvoir aux places vacantes.
Tous les jeunes médecins qui n’ont pas encore de clientèle, car comme chacun sait il faut longtemps pour en former une, tous ces jeunes médecins, si, au lieu d’une position qui n’en est pas une, au lieu d’un emploi purement temporaire, vous leur offrez une position établie, viendront bientôt se présenter à vous.
Vous ne voulez, dites-vous, breveter d’officiers de santé qu’autant qu’il en faut pour le temps de paix ? Mais pourquoi ne suivez-vous pas la même marche quand il s’agit des officiers de l’armée ? Dans l’armée tous les officiers sont brevetés, ont leur grade et l’occupent. Dans le service de santé, les trois cinquièmes au moins n’ont que de simples commissions. Suivez, pour le service de santé, le même système que pour l’armée et vous trouverez des jeunes gens de même capacité pour occuper les emplois. Mais aussi longtemps que vous ne le ferez pas, vous ne trouverez pas de jeunes gens qui se respectent qui aient le sentiment de leurs propres forces, car ils ne voudront pas pour deux ou trois ans courir de ville en ville autant que cela plaira à M. le directeur du service de santé. Si vous voulez des hommes de capacité, offrez-leur une position, offrez-leur de l’avenir.
Voilà ce qu’il faut faire. Quant à moi, quand je vois que depuis longtemps qu’on pouvait le faire, on n’a pas employé un moyen aussi sage, je crois qu’on avait l’intention de créer une école de médecine militaire et qu’on voulait laisser un vide dans le service, pour motiver cette création.
Je voterai donc contre le crédit demandé, parce que je le considère comme dangereux, en ce qu’il tend à sanctionner une mesure inconstitutionnelle, dangereux encore en ce qu’il tend à mettre nos soldats à la merci de personnes qui n’ont pas fait preuve de capacités suffisantes pour exercer la médecine, qui n’ont pas subi les examens que la loi dispose à ceux qui veulent se livrer à l’exercice de cette profession.
Je ne puis donner mon assentiment à une disposition qui mettrait nos soldats dans une position pire que celle du dernier citoyen.
M. F. de Mérode. - L’honorable préopinant vous a parlé de la loi que vous avez votée sur le jury d’examen ; mais cette loi produira-t-elle des fruits assez prochains sur l’organisation du service de santé militaire, pour que le service s’améliore un plus tôt possible, comme le désire M. le ministre de la guerre.
On a si peu de bonnes raisons à opposer à sa demande que l’on vous parle toujours de vos universités nombreuses ; mais y en eût-il cinquante en Belgique, cela ne détruirait pas les raisons qu’il a fait valoir en faveur d’une école toute spéciale. M. Dumortier ne voit dans la persistance du ministre et probablement dans la mienne qu’une seule chose : le désir de créer en Belgique une puissance militaire. Singulière puissance que celle d’un hôpital d’instruction. Mais si j’accusais, moi, le préopinant de ne vouloir de discipline nulle part. C’est là d’ailleurs encore un de ces arguments d’insinuation malveillante auxquels on a recours si volontiers lorsqu’on n’en a pas d’autre et qu’on est obligé de vous effrayer par de vains simulacres, comme ce fantôme ridicule d’une cinquième université.
M. Dubus. - Je reconnaîtrai que mon honorable ami a grandi la question plus qu’elle n’était nécessaire pour la résoudre. La question actuelle, quoique MM. les ministres persistent à la méconnaître, n’est autre chose qu’une question d’ajournement. Ils veulent trancher par anticipation une question grave ; et nous, nous voulons la tenir intacte jusqu’au moment où ce sera le lieu de la discuter. Ceci répond à l’observation du ministre de la guerre qui nous disait tout à l’heure : Consultons nos aînés et ne rejetons pas une institution dont l’expérience leur a fait reconnaître la nécessité. Est-ce que ceux qui s’opposent à l’allocation entendent, est-ce que par son vote précédent la chambre a entendu rejeter irrévocablement l’institution ?
Je le répète pour la quatrième fois, la principale considération qui détermine la chambre et qui détermine encore ceux qui repoussent le crédit demandé, c’est qu’il y a une loi présentée et que la question s’agitera plus convenablement quand nous discuterons cette loi. Nous ne devons, en effet, rien préjuger sur une question semblable. L’examen que la loi subira dans les sections facilitera le travail de la section centrale, et quand elle vous aura fait son rapport, nous pourrons nous prononcer sur une question instruite comme le prescrit notre règlement.
Maintenant, la question n’est pas instruite. Seulement quelques raisons pour l’appuyer ont été jetées dans la discussion, quelques raisons ont été renvoyées pour la combattre. Quant à moi, j’entends réserver mon vote sur le principe comme sur toutes les dispositions de cette loi.
Il n’est pas exact de dire que cette loi n’ait pas d’autre but que de mettre le service de santé militaire en harmonie avec certaines dispositions de nos lois, notamment avec la disposition qui défend d’exercer simultanément les trois branches de l’art de guérir.
Si j’ai bon souvenir, le premier article porte : Il sera établi une école de médecine militaire. Le but est donc l’organisation d’une école militaire ; et l’une des dispositions suivantes porte sur le point qu’on présente comme le seul but de la loi. Il faut une loi pour établir et organiser, et une des dispositions de l’organisation est celle qu’a indiquée M. le ministre.
Je veux, je le répète encore, réserver mon vote sur le principe et les diverses dispositions de la loi. Mais je l’avouerai, si je devais me prononcer immédiatement, mon vote serait plutôt défavorable que favorable à l’institution. Les raisons données contre cette institution me paraissent les plus fortes. Mais je n’aimerais pas à me prononcer sur une question de cette nature avant qu’elle ait été soumise à l’instruction prescrite par le règlement.
Je dis que si je devais me prononcer immédiatement, mon vote serait plutôt défavorable que favorable à la proposition. En effet, qu’aperçois-je comme conséquence de cette institution ? Il m’est impossible de mettre les motifs que l’on donne en harmonie avec le but de l’institution. Je vois qu’on se fonde sur les connaissances spéciales que doit posséder un médecin militaire, indépendamment des connaissances exigées des médecins civils. Mais que va-t-on obtenir de cette école de médecine militaire ? Elle sera tout à fait étrangère à notre système d’instruction publique ; elle sera excentrique ; ceux qui satisferont aux examens, indépendamment des connaissances exigées des médecins civils, seront censés connaître la médecine militaire. Cependant, s’ils viennent à perdre leur place dans la médecine militaire, et qu’ils rentrent dans la vie civile, ils seront réputés incapables d’exercer l’art de guérir, à moins qu’ils ne passent de nouveaux examens.
Je vous demande si vous pouvez reconnaître la moindre conséquence dans ce système. Voilà un homme qui doit être plus capable pour être médecin militaire, et qui, s’il perd sa place, devient incapable. Voilà le double résultat d’une institution mal conçue. Cette objection paraît très forte. Je crois qu’il y a lieu d’examiner plus à fond une matière aussi délicate avant de prendre un parti.
Puisqu’un médecin militaire doit posséder plus de connaissance qu’un médecin civil, prenez des mesures pour qu’il les possède réellement ; mais une fois qu’il aura fourni les preuves qu’il possède les connaissances, il faut qu’il puisse exercer sa profession dans le civil comme dans le service militaire. D’après notre système, il ne fournirait pas cette preuve ; car aux termes de la loi la preuve qu’on possède les connaissances nécessaires pour exercer l’art de guérir, c’est devant le jury d’examen établi par la loi qu’elle doit être faite, et vous dispenseriez l’élève de l’école de médecine militaire de cette justification.
Cependant si on a autant à cœur l’intérêt de la santé du soldat, que l’intérêt de la santé des autres citoyens, on ne doit pas être moins difficile pour les conditions qu’on exige de celui qui doit traiter les uns, que de celui qui doit traiter les autres.
Le ministre a dit encore que pour le service de santé de l’armée, il faut être à la fois chirurgien et médecin. A l’en croire on ne trouverait pas parmi les docteurs sortis de nos universités de jeunes gens réunissant des connaissances en médecine et en chirurgie. Je crois au contraire que la plupart de ceux qui suivent les cours de médecine suivent en même temps les cours de chirurgie. Tous ne prennent pas deux diplômes, mais il en est qui en prennent deux et quelquefois trois.
Quant à moi, je connais plusieurs jeunes docteurs qui ont les trois diplômes.
Je pense toujours que M. le ministre ferait chose fort utile dans l’intérêt de la santé du soldat, s’il ouvrait un concours pour appeler à remplir les places de médecins militaires, les jeunes gens qui ont reçu des diplômes dans les universités. Je suis persuadé que beaucoup se présenteraient, si on leur donnait des brevets définitifs. Mais, dit-on, si on donne des brevets définitifs à tous les officiers de santé, à la paix, quand on n’aura plus besoin de leurs services, ils auront des droits acquis au moins à une demi-solde. J’aime mieux qu’un certain nombre de nos officiers de santé, en cas de paix, ait des droits acquis, si à cette condition nous devons avoir des hommes capables.
Cette objection me fait croire que vous admettez avec brevets provisoires ceux qui n’ont pas la perspective d’obtenir des succès dans la vie civile. Ce ne sont pas ces hommes-là qui doivent être appelés à traiter nos soldats dont la santé doit exciter notre sollicitude tout autant que la santé des citoyens. Ne craignez donc pas de donner des brevets définitifs aux hommes véritablement capables et qui ont fourni la preuve de leur capacité, conformément à la loi.
Je ferai encore une observation sur les connaissances spéciales exigées du médecin militaire et sur la nécessité qu’on en fait résulter de créer une école de médecine militaire. Ce serait aussi une chose aussi plausible de demander la création d’une école militaire. Car nous avons aussi un droit militaire. Peut-être tout à l’heure vous proposera-t-on la création de cette école. On arrivera ainsi petit à petit à avoir une université militaire.
Je présente ces observations seulement comme objections, car j’entends réserver mon vote sur le principe et les dispositions de la loi quand on la mettra en discussion. C’est pour ne rien préjuger que je m’oppose à l’allocation du crédit, que je demande que la chambre maintienne sa première décision.
M. F. de Mérode. - On vous a donné comme objection concluante que si l’élève sorti de l’hôpital d’instruction perd ses fonctions militaires, il devient incapable d’exercer des fonctions civiles. C’est justement là un grand avantage, parce qu’un jeune homme devenu capable et instruit, se croyant circonscrit dans la carrière militaire y demeurera, tandis que les meilleurs sujets, libres d’exercer la médecine civile, ne resteront que très rarement au service de l’armée. (La clôture ! la clôture !)
M. Verdussen. - Si la chambre n’allouait pas 19 mille francs il faudrait toujours qu’elle allouât la somme demandée pour les élèves.
- Plusieurs membres. - Alors la division !
M. A. Rodenbach. - Quand nous avons combattu l’allocation pour la création d'une école de médecine militaire, le ministre nous a dit qu’il demanderait qu’on maintînt les huit mille francs demandés pour 16 élèves, afin que l’instruction de ces élèves ne soit pas arrêtée. Comme nous ne voulons pas qu’on nous fasse passez pour des rétrogrades, ni qu’on dise que nous négligeons ce qui intéresse la santé du soldat qui nous est chère, je demande qu’on divise le chiffre et je déclare que je voterai pour les huit mille francs que le ministre réclame pour continuer l’instruction sur le pied actuel.
M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Il me semble que l’on donne ici une signification extraordinaire au mot amendement. J’ai demandé 19,650 fr. de plus pour faire faire des cours dans un hôpital militaire ; la section centrale a proposé la réduction de cette somme. Dans la délibération que la chambre a prise relativement à ces 19,650 fr., j’ai fait observer qu’il fallait au moins diviser la somme, et accorder 8,000 fr. pour les élèves qui sont dans les hôpitaux en vertu de l’arrêté du régent de juillet 1831. Ainsi, sur la somme de 19,650, il n’y a que 11,600 fr. à supprimer, puisqu’on ne veut pas établir d’école médicale militaire.
- Plusieurs membres. - Eh bien, faisons la division !
M. Brabant. - Je ferai observer que l’année dernière on n’a accordé que 1,950 fr. pour les élèves qui sont dans les hôpitaux militaires.
M. Dumortier. - Alors donnons 1,950 fr. cette année. Messieurs, après ce que l’on vient de dire, je demande la division de la somme de 19,000 fr., et que l’on accorde 2,000 fr., somme ronde. Elle suffira, puisque 1,950 fr. ont suffi l’année dernière.
M. le ministre de la guerre (M. Evain). - L’année dernière, n’ayant que cinq à six élèves, j’ai demandé 1,950 pour cette dépense. Cette année, voulant avoir 16 élèves, je demande 8,000 fr., parce que je désire faire subir aux élèves des examens, afin de trouver parmi eux de jeunes médecins capables de donner des secours utiles aux soldats. C’est en vertu de l’arrêté du régent de juillet 1831 que 16 élèves sont dans les hôpitaux militaires et que je demande 8,000 fr.
- La chambre consultée ferme la discussion.
Le chiffre de 235,000 fr. mis aux voix est rejeté.
M. Dumortier. - Je propose de voter 224,000 francs. Je crois que le crédit vote l’année dernière doit suffire en 1836. La proposition par laquelle M. le ministre de la guerre demande 8,000 fr., pour avoir un grand nombre d’élèves, est un moyen indirect d’obtenir ce que nous ne voulons pas accorder.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Il me paraît qu’il y a une grande différence entre la destination de la somme rejetée et celle de la somme demandée actuellement. La somme rejetée était destinée à organiser une école, tandis qu’ici on demande en quelque sorte des bourses, un subside pour alimenter un plus grand nombre d’élèves que celui qui existe aujourd’hui. Et c’est avec raison que l’on fait cette demande, car il est reconnu que le service de santé est insuffisant, que les officiers de santé ne présentent pas tous l’instruction désirable, et le ministre de la guerre, dans sa sollicitude pour la santé du soldat, réclame l’augmentation du nombre des personnes qui se présentent pour suivre la carrière de l’art de guérir dans l’armée.
Je crois que votre sollicitude pour la santé de nos militaires ne sera pas moins vive que celle du ministre, et que vous voterez une allocation suffisante pour entretenir le plus grand nombre d’élèves déterminé par l’arrêté du régent. L’augmentation n’est que de 6,000 fr. pour une chose si utile.
M. Dumortier. - Les 6,000 francs demandés par le ministre sont destinés à introduire des élèves dans l’école de santé…
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - A introduire des élèves dans les hôpitaux militaires.
M. Dumortier. - Ce que je fais remarquer est si évident que M. le ministre vient de dire que notre vote accordait le moyen de recevoir des élèves dans l’école médicale militaire. Il s’agirait de bourses maintenant ; mais le projet de loi sur l’enseignement médical militaire contient des dispositions relatives aux bourses : messieurs, laissons les choses comme elle sont ; si nous votons plus qu’il n’a été accordé l’année dernière, nous donnons au ministre le moyen d’établir ce que nous avons démontré être inconstitutionnel.
M. A. Rodenbach. - Le ministre ne demande pas 8,000 fr. pour créer une école, payer de professeurs ; il a prétendu qu’il fallait augmenter le nombre des élèves dans les hôpitaux, le nombre des élèves qui suivent les cours de pathologie externe ; nous ne pouvons pas nous dispenser d’accorder cette somme.
Le député de Tournay voit toujours une école que l’on veut créer ; il ne s’agit pas de cela : on veut uniquement augmenter les élèves qui s’exercent à la pratique dans les hôpitaux, nous ne pouvons pas non opposer à cette allocation. Je voterai les 8,000 fr., avec la condition qu’il n’y aura pas d’école organisée.
M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Messieurs, l’arrêté du 2 juillet 1831 porte qu’il sera admis dans les douze hôpitaux du royaume des élèves obligés d’en suivre la clinique et les cours qui pourraient y être faits et qui recevraient des appointements fixes. Ces élèves sont divisés en deux classes. Je n’ai reçu jusqu’à ce jour que 5 ou 6 élèves payés ; mais il y a dans les hôpitaux des élèves non payés qui suivent la clinique des cours ; et c’est pour les encourager que je voulais porter à 16 le nombre des élèves payés. Je choisirais parmi les élèves libres, par le moyen d’examens sévères, ceux qui pourraient être véritablement utiles dans le service de santé.
M. Verdussen. - Après les explications données par le ministre, je renonce à la parole et je voterai les 8,000 fr.
M. Dumortier. - D’après les explications que nous venons d’entendre, je retire mon amendement.
- Le chiffre 238,000 fr. mis aux voix est adopté.
« Article unique. Dépenses imprévues : fr. 100,164. »
M. Dubus. - Lorsque ce chiffre a été fixé au premier vote, un honorable député de Gand avait donné lecture assez rapidement, d’une note sur l’emploi des diverses sommes affectées aux dépenses imprévues pour l’exercice 1835. D’après cette note, le crédit aurait été appliqué à des dépenses qui maintenant sont prévues au budget. Il y avait, par exemple, 15,000 fr. attribués à l’entretien des fourgons et au ferrage des chevaux : on en opère la réduction, il est vrai, mais en lisant la note dans le Moniteur, j’ai vu que d’autres sommes avaient été attribuées sur des dépenses qui sont prévues cette année ; ainsi 20,000 fr. pour les frais de table des officiers supérieurs pendant le premier trimestre de l’année 1835, ont été rejetés par la chambre. Il y a encore deux ou trois autres articles que je ne me rappelle pas bien. Je crois qu’il y a 3,809 fr. pour loyer d’un magasin, loyer qui est maintenant compris dans les allocations pour les dépenses prévues.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Mais aussi on réduit à 100,000 fr. la somme pour les dépenses imprévues.
M. Dubus. - La section centrale a réduit la somme au taux de l’année dernière, c’est-à-dire à 150,000 fr. ; on demandait davantage ; mais indépendamment de la réduction qu’elle a faite, le ministre a reconnu qu’il y avait à réduire 42,000 fr. pour les officiers sans troupes et pour les domestiques. Il y d’autres articles encore à déduire. Et d’après le calcul que j’ai fait, en tenant compte des sommes qui ne doivent plus être imputées sur les dépenses imprévues, nous pourrions descendre le chiffre à 62,000 fr. en sorte qu’un crédit de 70,000 fr. me paraît suffisant.
Je propose en conséquence une réduction de 30,000 fr. sur le chiffre de 100,000 fr. Il ne faut pas exagérer le chiffre des dépenses imprévues.
M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Messieurs, je crois devoir mettre sous vos yeux ce qui a eu lieu dans les exercices précédents relativement aux dépenses extraordinaires et imprévues.
Sur cet article vous avez accordé :
En 1832 la somme de fr. 732,000
En 1833, fr. 355,000
En 1834, fr. 220,000
En 1835, fr. 154,000.
En 1836, je réduis le chiffre à 100,000 francs ; c’est à peine la septième partie de ce que l’on a accordé il y a quatre ans.
Avec 154,000 francs j’ai payé la solde des domestiques des officiers qui figurent aujourd’hui au budget, et le supplément de traitements des officiers-généraux pendant le premier trimestre, ce qui fait une somme de 61,000 francs, laquelle ôtée de 154,000, reste 93,000 francs.
Nous ne pouvons pas prévoir tous les événements ; il faut une certitude dans le chiffre des dépenses imprévues ; en conséquence je crois que 100,000 fr. ne sont pas trop. Je demande le maintien de cette somme.
M. Verdussen. - J’ai préparé une note dont les résultats viennent à l’appui de ce que vient de dire M. Dubus et qui même porterait les réductions possibles à 10,000 fr. de plus ou à 40,000 fr.
De la manière dont nous procédons il faut nécessairement que le chiffre des dépenses imprévues diminue d’année en année puisque, autant que nous le pouvons, le budget présente le tableau de tous les besoins et des moyens d’y satisfaire. Toutefois, je sais qu’il faut laisser au ministre pour des objets imprévus, une somme capable de faire face à quelques dépenses tout à fait extraordinaires : mais tout en posant ce principe je dis en même temps qu’il ne faut plus grossir le chiffre des dépenses imprévues de chiffres qui trouvent leur solde dans divers articles du budget.
La note produite par M. Desmaisières prouve que l’on a porté dans les dépenses imprévues plusieurs objets dont les dépenses avaient été déterminées depuis plusieurs années dans des articles spéciaux.
Dans le rapport présenté par M. de Puydt, on trouve, par exemple, que les frais de route pour les miliciens ont constamment été payés sur les dépenses imprévues ; elles se montent à 27,000 fr., et ne peuvent plus figurer au même article.
M. le ministre de la guerre, par un esprit de justesse dont il a souvent donné des preuves, a reconnu aussi que les dépenses imprévues devaient se réduire à 108,000 fr., puisque les dépenses des domestiques ne pouvaient plus en faire partie.
Voyons comment j’arrive à une réduction plus considérable que celle qui est proposée par M. Dubus.
Le ministre demandait 150,000 fr. Sur l’observation faite par M. Dubus que les frais des domestiques étaient prévus, le ministre a consenti à abaisser le chiffre à 108,000 fr., qu’on a réduit à 100,000 fr. pour avoir un chiffre rond.
Or, voici de quelles sommes on peut réduire ce chiffre de 108.000 fr.
A la page 4 du rapport fait par M. de Puydt, vous trouverez qu’il y a le loyer d’une maison (rue Verte) porté à 1,100 fr., lequel a été payé sur les dépenses imprévues en 1835 ; comme ce loyer est prévu, maintenant il faut en faire déduction.
Vient ensuite le loyer du magasin de vivres qui s’élève à 3,800 fr. Cet article fait le cinquième de la note remise par le ministre de la guerre, concernant les objets qui ont été imputés en 1835, sur les dépenses imprévues.
En troisième lieu, l’article qui est porté chapitre 2, section 3, article 4, entretien des fourgons, est une dépense qui monte à 15,000 fr.
Chapitre 2, section 3, article 15, route des miliciens est une dépense qui se monte à 27,000 fr (page 19 du rapport de M. de Puydt.)
Enfin vient le supplément accordé aux aumôniers, montant à 4,000 fr., somme qui est maintenant comprise dans le budget de 1836.
En réunissant ces diverses sommes :
- Loyer rue Verte, fr. 1,100.
- Magasin de vivres, fr. 3,800.
- Fourgons, fr. 15,000.
- Route des miliciens, fr. 27,000.
- Suppléments aux aumôniers, fr. 4,000.
Total, fr. 50,900.
Et ce total retranché de 108,000 fr., reste 57,100 fr. Ainsi j’accorderais donc au-delà de ce qui est nécessaire pour les dépenses imprévues en ne votant que 60,000 fr. Cependant pour ne pas trop gêner le ministre, j’accorderai 70,000 fr. comme le propose M. Dubus.
M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Dans les différentes sommes que l’honorable membre vient d’énumérer, il y en aura plusieurs qui seront à payer en 1836. La somme de 15,000 fr. pour l’entretien des fourgons et ferrage de chevaux est dans ce cas, par exemple.
Les fourgons attachés aux régiments d’infanterie et de cavalerie ne reçoivent pas d’indemnité par la raison, qu’ayant obtenu 600 fr. pour les années 1833 et 1834, j’ai vu qu’il leur était resté sur ces deux exercices de quoi faire face aux dépenses de 1835 et 1836. C’est par ce motif que cette année je n’ai rien demandé sur ces deux exercices.
Quant aux 15,000 fr. ils sont destinés à l’entretien des fourgons des officiers-généraux. Ces dépenses ne figurent pas au budget. Elles doivent être imputées sur les dépenses extraordinaires. Faites attention, messieurs, que l’article en discussion ne comprend pas seulement les dépenses imprévues, mais aussi les dépenses extraordinaires, c’est-à-dire celles qui sortent de la règle ordinaire des choses. Je demande le maintien de l’allocation.
M. Verdussen. - Mon intention n’était pas de comprendre dans l’énonciation que j’ai faite, les chiffres qui n’ont pas été prévus en 1836 ; si c’est nécessaire, je consens à majorer mon chiffre de 15,000 fr., et le porter à 76,000 fr.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Je ne conçois pas que l’on puisse calculer mathématiquement un chiffre aussi vague que celui des dépenses imprévues. Le titre même de l’allocation n’emporte-t-il pas avec loi la nécessité de laisser quelque chose aux besoins éventuels ? Raisonnablement, on ne peut calculer rigoureusement sur les années précédentes, les dépenses imprévues de 1836.
Que résulterait-il en définitive d’une telle manière de procéder ? c’est que chaque année l’on demanderait au ministre de la guerre le compte des dépenses imprévues opérées l’année précédente, comme on l’a fait anticipativement, cette année, sur les comptes définitifs de l’Etat, en lui demandant le compte des dépenses de cet article de son budget, pour l’exercice qui venait de s’écouler.
A la fin, on forcerait le ministre pour obtenir, à l’avenir, un chiffre raisonnable, d’absorber toute la somme de l’allocation pour les dépenses imprévues, parce que si, en 1836, il arrivait que sur un crédit de 100,000 fr. il n’en dépensait que 20,000, il devrait craindre de ne plus obtenir que 20,000 fr. pour l’exercice de 1837.
La proposition des honorables préopinants n’est donc pas admissible Vous devez remarquer par les calculs mêmes auxquels ces honorables membres se sont livrés qu’ils ont dû successivement hausser leurs évaluations ; ce qui indique que l’on ne peut procéder de la manière qu’ils l’ont fait dans la fixation du chiffre des dépenses imprévues. Il faut laisser au ministre la latitude de payer immédiatement des dépenses non prévues et qui peuvent être très urgentes. D’ailleurs l’on ne doit pas peser aussi minutieusement les choses pour le complément d’un budget de 38 millions. (La clôture ! la clôture !)
M. Dubus. - J’ai une observation à présenter en réponse à ce qu’a dit M. le ministre de la guerre.
Je n’admets pas avec lui que le chapitre des dépenses imprévues puisse s’appliquer à des dépenses que l’on peut prévoir : du moment qu’une dépense comme celle qu’il a indiquée, le ferrage des chevaux de fourgons et l’entretien des fourgons, a été prévue, elle doit figurer dans un article du budget.
Si vous allez imputer sur les dépenses imprévues toutes les dépenses extraordinaires, l’on pourra réduire de beaucoup les articles du budget en demandant un chiffre énorme pour les dépenses imprévues. De cette manière le vote de la chambre n’aurait plus toute la portée qu’il doit avoir. L’on ne peut imputer sur les dépenses imprévues que celles que l’on n’a pu prévoir au moment de la confection du budget. M. le ministre de la guerre a pu prévoir les frais d’entretien des fourgons d’officiers-généraux et le ferrage des chevaux. Il y a même au budget un article qui se rapporte au ferrage des chevaux, c’est l’article 3, section III, chapitre II. Cet article porte un chiffre de 345,324 francs.
M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Le ferrage des chevaux de fourgons n’y est pas compris.
M. Dubus. - Si le ferrage de ces chevaux n’y est pas compris, qu’il figure dans un article séparé. Mais enfin ces chevaux existent et il faut les ferrer. Ces fourgons existent et il faut les entretenir. L’on a donc pu prévoir cette dépense, puisqu’elle doit être faite. Consacrez donc au budget, un article spécial. (Bruit.)
J’ai pris la parole pour faire ces observations, quoique cela paraisse mécontenter quelques membres qui frappent du pied, parce que j’ai cru de mon devoir de parler. Je dirai ce que j’ai à dire. C’est là une question importante en matière de confection de budget.
Vous ne pouvez pas imputer sur le chapitre des dépenses imprévues une dépense que vous prévoyez. Maintenant si quelqu’un veut contester cette donnée, je l’écouterai volontiers. Mais je doute qu’il puisse répondre à un argument aussi positif. La cour des comptes ne devrait pas, selon moi, accorder son visa à une imputation faite de cette manière.
On a parlé des éventualités possibles sur un budget aussi considérable que le budget de la guerre et l’on en a conclu qu’il ne fallait pas chicaner le ministre sur une somme de 30,000 francs comme on prétend que nous le faisons. Mais, messieurs, en votant le budget de la guerre qui comprend toujours nos fonds pour les dépenses imprévues, vous avez déjà fait le paiement des éventualités principales.
Je rappellerai une observation qu’a faite M. Desmaisières. Cet honorable membre a dit que, par l’article 154 du règlement, il est crée une masse de réserve pour les dépenses extraordinaires et imprévues.
M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Dans les corps.
M. Dubus. - Faites la soustraction de la partie du budget qui comprend les dépenses des corps dans lesquelles se trouve les fonds de réserve pour les dépenses imprévues et il ne reste plus qu’une faible partie du budget total pour laquelle une somme de 70,000 francs est plus que suffisante comme allocation pour les dépenses imprévues.
Il ne s’agit pas d’une allocation de 100,000 fr. de dépenses imprévues pour un budget de 38 millions. Il s’agit d’un chiffre bien moindre quand on a défalqué la partie du budget qui a déjà son crédit de dépenses imprévues.
M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Messieurs, un honorable membre, en vous faisant connaître les différentes recettes des masses pour les dépenses imprévues des corps, ne vous a pas fait connaître en même temps les charges des corps à prélever sur ce fonds de réserve. Ces charges sont énormes. Les corps, sans avoir un centime en caisse, reçoivent 10. 15 et 20 mille fr. Ce sont surtout les déserteurs qui coûtent aux corps. Tel régiment a dû payer 100,000 fr. pour les effets emportés par les déserteurs. Il n’y a donc aucune analogie entre ces fonds de réserve et les cent mille francs demandés pour dépenses imprévues au département de la guerre.
D’ailleurs, les 2 p. c. qui forment le fond de réserve des corps ne portent pas, comme on l’a dit, sur la presque totalité du budget du département de la guerre. On ne les prélève ni sur la masse de pain ni sur la masse de fourrages, etc., mais seulement sur la masse d’habillement, ce qui ne fait qu’une somme de 50,000 francs environ.
M. Desmaisières. - Je demande la parole pour un fait personnel.
Je crois qu’il n’est pas entré dans l’intention de M. le ministre des finances de m’adresser un reproche personnel. Cependant je dois relever ce qu’il a dit parce que cela pourrait être pris pour un fait personnel. Il a dit qu’il trouvait étonnant qu’un membre ait demandé que l’on fournît une note de ce qui a été dépensé sur l’allocation des dépenses imprévues pour l’exercice de 1833.
C’est parce que nous n’avons pas les comptes de l’Etat que nous sommes obligés de faire de pareilles demandes. Que l’on nous présente les comptes de l’Etat et nous ne serons plus dans la nécessité de faire des demandes de renseignements pareilles.
Du reste, nous n’aurons pas d’ici à longtemps les comptes de l’Etat ; car nous n’avons pas encore de loi de comptabilité de l’Etat. Je crois pouvoir adresser à cet égard un reproche à tous les ministres qui se sont succédé au département des finances. Pourquoi n’ont-ils pas présenté de loi de comptabilité de l’Etat ?
Nous ne pourrons de longtemps examiner convenablement les budgets, parce que nous n’aurons pas arrêté les comptes des exercices antérieurs, et nous n’aurons pas ces comptes aussi longtemps que nous n’avons pas de comptabilité de l’Etat.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Je ne sais pas trop ce que l’honorable préopinant entend par la loi sur la comptabilité de l’Etat. S’il veut parler de la loi des comptes je dirais que la chambre est saisie des comptes de 1830, 1831 et 1832. Et ce sont les seuls qu’elle puisse avoir puisque les exercices doivent être ouverts pendant trois ans avant d’être définitivement réglés. Lorsque l’impression des comptes dont la clôture définitive a eu lieu sera terminée, je déposerai sur le bureau un projet de loi qui résumera ces trois comptes que la législature arrêtera comme elle le jugera convenable. Si c’est là ce que l’honorable préopinant entend par une loi de comptabilité, le gouvernement n’est pas en demeure de la fournir. Cette loi sera très incessamment déposée sur le bureau. Elle l’aurait été depuis quelques jours, mais je ne pense pas qu’il y ait rien d’urgent à cet égard, lorsque nous sommes tellement encombrés de projets de loi à discuter que nous ne savons pas lequel commencer.
Ainsi, le reproche de l’honorable préopinant n’était nullement fondé et il avait si peu de raison de prendre la parole pour un fait personnel, que je ne savais pas que c’était M. Desmaisières qui avait demandé les renseignements. Je croyais que c’était la section centrale.
M. Desmaisières. - M. le ministre des finances me demande ce que j’entends par une loi de comptabilité de l’Etat. Selon lui, il ne s’agirait que d’arrêter définitivement les comptes des exercices antérieurs. Mais avant de les arrêter, il faut savoir comment on les arrêtera. Si M. le ministre a lu attentivement les observations de la cour des comptes, il aura vu qu’elle-même ai été embarrassée parce qu’il n’y avait pas de règle tracée. C’est ce que je demande. Il nous sera impossible d’arrêter les comptes de l’Etat si une loi ne règle le mode d’examen de ces comptes.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Le projet de loi que je présenterai pour arrêter les comptes des exercices de 1830 à 1833, comprendra dans sa forme le mode à employer pour arrêter ces comptes. Si ce mode ne convient pas à la chambre, si elle ne le trouvait pas suffisamment clair, on pourrait en adopter un autre. Mais toujours est-il que le gouvernement aura présenté ce que M. Desmaisières appelle une loi de comptabilité.
- La clôture de la discussion est prononcée.
Le chiffre de 100,000 fr. est mis aux voix et adopté.
Il est porté à 100,169 fr. 99 centimes pour former un chiffre rond.
Le budget de la guerre se trouve fixé à 36,341,000 fr.
Les deux articles de la loi sont successivement mis aux voix et adoptés.
La chambre vote par appel nominal sur l’ensemble de la loi.
Elle est adoptée par les 75 membres qui ont répondu à l’appel.
Deux membres se sont abstenus.
M. de Jaegher. - J’aurais voté contre le budget, si, moins pénétré des améliorations réelles que M. le ministre de la guerre a successivement introduites dans l’administration qui lui est confiée, je n’avais gardé en vue que les abus qui s’y font encore regretter ; j’aurais voté pour, si, sur les réponses aux diverses observations qui lui ont été faites, j’avais pu baser l’espérance qu’il y sera promptement mis un terme.
Si j’en juge par moi-même, la chambre pouvait se passer des détails dans lesquels il a cru devoir entrer pour mettre sa probité personnelle à l’abri de toute attaque ; mais, par cela même qu’il a dû en subir de nouvelles après les protestations réitérées de confiance dont il a fait l’objet, il a dû comprendre qu’une distinction était faite entre le ministre et l’agent responsable des actes du ministère.
Quand on manie la plus grosse part des deniers de l’Etat, il ne suffit pas d’être honnête homme, il faut encore savoir repousser ceux qui abusent de la facilité de ne pas l’être.
Le travail de la chambre sur le budget de la guerre, quelque stérile qu’il soit resté en résultats, ne me paraît pas perdu : à cette année, les semailles ; à la suivante, la récolte.
Je tiens à honneur de n’avoir pas insisté sur de mesquines économies, mais je tiens à honneur aussi d’en avoir indiqué de considérables à réaliser avec le temps, par le développement de la force morale de l’armée qui, sans affaiblir ses moyens d’action, permettrait de réduire sa force numérique. C’est au ministre, prévenu maintenant, à aviser aux moyens de s’assurer à l’avenir de l’appui de ceux qui partagent l’opinion que j’ai émise à cet égard.
Les motifs de mon abstention sont à déduire de ce qui précède.
M. Demonceau. s’est abstenu parce qu’il n’a pu assister à la discussion.
« Art. 1er. Frais d’entretien et de nourriture des détenus : fr. 700,000. »
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - J’avais promis, messieurs, de répondre aux observations qui ont été faites par un honorable député de Namur au sujet du compte-rendu de l’administration de la justice criminelle.
J’ai eu l’honneur de dire à la chambre que je ne revendiquais qu’un mérite pour ce travail, l’exactitude. Comme ce mérite a été mis en question, la chambre me permettra d’entrer dans quelques considérations.
A la page 9 du rapport au Roi on lit ces mots :
(L’orateur donne lecture de ce passage du rapport.)
L’honorable député de Namur a fait à cet égard l’observation suivante : Dans les autres provinces on a défalqué les accusés pour pillages politiques tandis qu’on ne l’a pas fait pour la province de Namur, et qu’on a gratifié en outre cette province de toute la bande Tornaco. De cette manière on a placé la province de Namur dans une exception défavorable. Il semblerait d’après ces paroles que l’on aurait suivi une règle différente pour la province de Namur. J’en aurais beaucoup de regret. Car pour ma part, je porte le même intérêt à la province de Namur qu’à toutes les provinces du royaume. Je serais même fâché que par erreur, l’on eût fait quelque chose qui pût blesser l’honorable susceptibilité des Namurois.
Quant au crime de la bande de Tornaco, c’est un délit politique. Les délits politiques sont restés dans la catégorie des délits ordinaires dans le tableau dont il s’agit. Ainsi à cet égard l’on a suivi la même marche pour la province de Namur que pour les autres provinces.
Si les accusés de la bande de Tornaco ont été compris dans la province de Namur, c’est qu’il ne s’agit pas ici du lieu de naissance des accusés. Il ne s’agit pas du lieu où le crime a été commis, mais de la province où se trouve la cour d’assises devant laquelle ils ont comparu.
Maintenant, messieurs, en ce qui concerne les accusés de pillage, j’appelle ici l’attention de la chambre.
On a tenu à éloigner des délits ordinaires les accusations de pillage pour cause politique. La raison en est simple. On voulait qu’il y eût une suite dans les travaux statistiques, que l’on pût comparer les délits commis après la révolution avec ceux commis avant la révolution. Il fallait donc écarter les crimes qui tenaient à des causes nouvelles et spéciales.
Cependant quand a-t-on déduit les accusations pour destruction de choses mobilières ? On ne l’a fait que quand ces accusations portèrent le caractère de pillages politiques. Car la destruction ordinaire de choses mobilières était portée au nombre des crimes ordinaires.
Qu’est-il arrivé dans la province de Namur ? Dans les tableaux venus de cette province même, je voyais figurer deux accusations de destruction de mobiliers, Ces deux accusations ne comprenaient ensemble que 8 accusés. Dans ce tableau, il n’y avait rien qui indiquât que c’étaient des pillages politiques. Rien, quant à la désignation même du crime, et quant au nombre des accusés ne pouvait faire croire qu’il s’agissait d’un pillage politique. Lorsque la destruction d’objets mobiliers embrassait un grand nombre d’individus l’éveil était donné sur la nature du délit et lorsque l’on avait des doutes on demandait des renseignements. Mais dans les deux accusations dont je parle, rien ne donnait l’éveil sur la qualification du crime.
L’on ne pourrait donc agir autrement et l’honorable orateur qui m’a adressé de bonne foi une critique à ce sujet, y aurait été trompé lui-même. Quoi qu’il en soit, si l’on avait connu la nature des faits, il aurait fallu déduire ces 8 accusés ; mais cela n’aurait rien changé au tableau, car alors au lieu d’un accusé sur 4,945 habitants cela aurait donné 1 accusé sur 5,250. Or, la province du Brabant qui vient immédiatement après la province de Namur, présente un accusé sur 5,309 habitants, et ainsi le tableau restait le même, Namur conservant le même rang.
Puisque j’ai la parole, permettez-moi de dire un mot sur les calculs auxquels un honorable député de Bruges s’est livré : la question n’est pas sans intérêt.
A la fin de 1834 quelques grands crimes qui avaient été commis dans les Flandres principalement avaient jeté une sorte d’épouvante dans le pays. On crut que les condamnations capitales étaient plus nombreuses qu’elles ne l’avaient été jusque là. L’honorable député de Bruges, pour combattre cette opinion commune, s’est servi des tableaux statistiques. Il a raisonné de cette manière : Comparez la période de 1831 et 1832 et celle de 1833 et 1834, vous verrez, a-t-il dit, que le nombre des crimes et délits n’est pas plus grand dans la seconde que dans la première. Mais, messieurs, jamais à cette époque l’on n’a prétendu que tous les crimes et délits augmentaient ; mais on a cru que les grands crimes qui effrayaient la population augmentaient. Or ce fait est prouvé par le tableau.
M. Devaux. - C’est ce que je conteste.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Je vais donner la preuve de ce que j’avance. L’honorable préopinant, dans ses calculs, comprend les crimes dont les auteurs sont restés inconnus avec les crimes dont les auteurs sont connus : cela n’est pas juste. Comparez les crimes dont les auteurs sont restés inconnus dans les années 1831 et 1832 avec ceux de même nature en 1833 et 1834, à la bonne heure. Comparez les crimes des deux périodes, mais ne confondez pas les différentes données.
Pour voir si les craintes élevées dans le pays étaient fondées, il fallait comparer les condamnations capitales de la première période avec celles de la seconde. Or, vous allez voir par ce calcul quelle a été la progression des condamnations capitales
Dans la première période de 1831 à 1832, il y a eu 16 condamnés à mort. Dans la seconde période de 1833 à 1834, il y a eu 35 condamnés ; ainsi dans la seconde période il y a eu plus du double de condamnés à mort. Voilà, messieurs, les faits qui avaient frappé les populations. C’est ce qui explique pourquoi l’on a cru à la nécessité de recourir à de nouveaux moyens de répression.
M. Devaux. - Je ne pense pas que M. le ministre de la justice soit fondé à reprocher de l’inexactitude à mes calculs. Je crois que j’ai eu raison d’y comprendre les crimes dont les auteurs sont restés inconnus pour faire voir, par exemple, que les assassinats n’avaient pas augmenté dans la deuxième période.
Ainsi il y a eu dix-huit assassinats dans la première période et vingt, je crois, dans la deuxième. Mais il y a eu cinquante crimes dont les auteurs sont restés inconnus dans la première période, et trente seulement et moins encore dans la deuxième. Certainement j’ai eu raison de croire que les crimes avaient diminué, mais d’assurer que l’on ne pouvait pas dire qu’ils avaient augmenté, alors que dans la première période les crimes dont les auteurs sont restés inconnus étaient dans une proportion plus forte.
M. le ministre de la justice a parlé du grand nombre de condamnations capitales qui ont eu lieu dans la deuxième période, à quoi ces condamnations se rapportaient-elles ? c’est principalement aux vols.
Pour les vols, il y a eu 17 condamnations et plus. Or, à moins que ces vols n’aient été accompagnés d’assassinat, vous conviendrez que ce n’est pas de ces condamnations capitales que l’on a pu demander l’exécution. Je ne pense pas que M. le ministre de la justice soutienne la nécessité d’exécution dans ce cas.
Tout le monde est d’accord sur ce point que la peine de mort ne doit pas être appliquée au vol avec des circonstances aggravantes.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Sans aucune doute.
M. Devaux. - Ainsi l’excédant que présente la deuxième période sur la première ne prouve pas la nécessité d’exécutions capitales.
En résumé, j’avais donc raison de tenir compte des crimes dont les auteurs sont inconnus. En second lieu, les condamnations dont vient de parler M. le ministre de la justice ne prouvent rien parce qu’elles se rapportent à d’autres crimes auxquels on ne veut pas appliquer la peine de mort.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Je pense que mes observations subsistent dans toute leur force. L’honorable préopinant n’aurait pas dû comparer les crimes dont les auteurs sont inconnus avec les condamnations capitales. Il n’est pas juste que l’on fasse cette comparaison, parce que, comme l’a fort bien fait observer M. le ministre des affaires étrangères dans la séance précédente, il n’est pas sûr que le crime dont les auteurs sont restés inconnus soit un crime.
Comparez donc les crimes connus d’une période avec les crimes connus d’une autre période et ainsi de suite. Il en résultera alors qu’en 1834, année à laquelle mes observations s’appliquent, il y a eu 28 condamnations à mort, 15 pour vol avec les cinq circonstances, 9 pour assassinats. Il faut remonter à plusieurs années antérieures pour retrouver autant de condamnations capitales.
Les brigandages à main armée, les assassinats avaient jeté la terreur dans le pays.
Un grand nombre de condamnés à mort, quand ils entraient dans les prisons, se rassuraient en disant : On n’exécute plus. La perspective de l’échafaud ne leur faisait plus peur. Il fait pour que la peine de mort soit un châtiment exemplaire que les criminels aient toujours l’épée de la justice suspendue sur leur tête. Lorsqu’un criminel commet un vol, pourquoi n’assassine-t-il pas ? Il n’aura point de témoin qui déposera contre lui ! C’est la crainte du supplice qui l’arrête. Il faut qu’il y ait une différence entre le vol avec ou sans assassinat.
M. Devaux. - Je ferai remarquer que j’ai eu parfaitement raison. Je répéterai à M. le ministre qu’il ne présente qu’un rôle de la question. Il ne montre que les crimes dont les auteurs sont connus, et il néglige les crimes, en plus grand nombre dans la première période, dont les auteurs sont restés inconnus.
J’ai eu raison de dire que votre allégation ne prouvait rien, parce que vous négligiez une grande partie de la question. Il faut voir dans quelle proportion sont les crimes dont les auteurs sont restés inconnus et s’il représentent la même proportion dans les deux périodes. Mais la proportion étant plus forte dans la première période que dans la seconde, vous ne pouvez pas tirer de conclusion.
Je regrette de rentrer dans cette grave question de la peine de mort que je n’aurais pas abordée, si M. le ministre de la justice n’en avait pas parlé ; mais il vient de présenter un nouvel argument auquel je dois répondre. Il nous dit : Il faut établir une différence entre le vol commis avec les cinq circonstances et l’assassinat. Nous sommes tous de cet avis.
Mais la législation actuelle n’admet pas de différence. Il faut donc changer notre législation pénale, car elle commise la peine de mort dans les deux cas. C’est cette différence que je réclame.
Le ministre vient de me dire : vous voulez appliquer la même peine dans les deux cas. Je lui répondrai que je n’ai pas dit qu’on ne devrait pas appliquer la peine de mort pour l’assassinat, mais quand ce serait mon opinion, que même pour l’assassinat la peine de mort ne devrait pas être appliquée, ce ne serait pas la même peine que je voudrais qu’on appliquât à l’assassinat et au vol commis avec les cinq circonstances.
Qu’on tue ou qu’on ne tue pas, tout le monde convient qu’il faut graduer les peines. Mais la question est de savoir quel est le maximum qu’on peut appliquer, et quand vous supprimeriez la peine de mort, vous devriez établir une peine différente pour l’assassinat et pour le vol avec les cinq circonstances.
Quelle que soit l’opinion que je professe, ce ne sera pas un argument pour appliquer la peine de mort à l’assassinat, car dans une prison des accusés auraient dit : On ne tue plus ; je suis persuadé que quand la torture a été abolie, il y a eu un moment de transition pendant lequel les coupables ont dit : On ne torture plus ; la peine de mort, c’est un instant.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Je ne prends la parole que pour faire une observation sur le danger de s’occuper incidemment d’une question aussi grave que celle de la peine de mort.
L’honorable préopinant a dit qu’il fallait faire une distinction entre l’assassinat et le vol avec toutes les circonstances et ne jamais appliquer la même peine. Je pense que la chambre connaît les cinq circonstances pour lesquelles la loi prononce la peine de mort. Ce serait, je crois, une grave question que celle de savoir si même pour ce cas la peine de mort doit être biffée du code. Si, comme cela est arrivé, il se présentait des bandes de chauffeurs qui portassent la terreur dans le pays et fissent trembler les habitants, non seulement pour la conservation de leurs biens, mais pour la conservation de leurs jours, car ces chauffeurs assassinaient chaque fois qu’ils avaient besoin de le faire. Dans ce cas, tout ne se réunirait-il pas pour exiger qu’on fît un exemple ?
Je désire qu’on n’abuse pas de la peine de mort, mais je pense qu’il peut arriver des cas où pour le vol commis avec les cinq circonstances, il faudrait recourir à ce moyen extrême.
Je ne veux pas insister davantage dans ce moment sur cette grave question ; qu’on en fasse l’objet d’une discussion, je le veux bien, mais qu’on ne préjuge rien sur cet important détail.
M. de Behr. - Je ferai observer que la discussion qu’on agite en ce moment trouvera mieux sa place lors de la discussion de la proposition faite par M. de Brouckere relativement à la peine de mort. Cette proposition a été envoyée à l’avis des cours et tribunaux et je crois qu’elle ne tardera pas à rentrer.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Nous sommes tous d’accord sur ce point, mais l’honorable député de Bruges ayant fait des comparaisons dont il a tiré des conséquences quant à la peine de mort, j’ai cru devoir de mon côté rétablir les faits à leur véritable point de vue. Du reste je n’ai pas voulu plus que l’honorable préopinant entamer la discussion sur la grave question de la peine de mort.
M. A. Rodenbach. - J’ai demandé la parole pour adresser une interpellation au ministre de la justice. Je lui demanderai ce qu’on a fait en Belgique relativement aux grands progrès de la réforme morale des prisonniers.
En France on a envoyé aux Etats-Unis des commissaires pour étudier les améliorations introduites pour la réforme morale des prisonniers ; ce sont MM. Beaumont et de Tocqueville. Le gouvernement anglais a envoyé je pense M. William Crawford.
Ces commissaires ont reconnu que le système de l’isolement était très utile pour l’amélioration morale des prisonniers, et il paraît qu’ils ont trouvé qu’à Auburn le système de l’isolement n’était pas parfait.
Pour la nuit, chaque prisonnier a bien une cellule, mais le jour ils travaillent dans une même salle et un silence absolu est exigé d’eux ; ils ne peuvent pas se communiquer.
En Pennsylvanie, l’isolement est complet, nuit et jour, et les prisonniers quand les commissaires les ont visités ignoraient que le choléra avaient existé à Philadelphie. Je demanderai si le gouvernement s’occupe de ce grand problème de réforme morale qui occupe la France et l’Angleterre, et s’il se propose d’adopter le système qui existe en Philadelphie.
C’est une chose reconnue que dans les prisons les grands criminels instruisent les petits coupables auxquels ils sont mêlés. Ils font un cours de code pénal et apprennent à se défendre devant les tribunaux. Ils s’instruisent également dans le crime.
Je demanderai si on a adopté en Belgique le système de l’isolement absolu ou si on exige le silence dans les ateliers de travail et enfin si on a construit des cellules pour les séparer la nuit. Je voudrais savoir enfin ce qu’on a fait pour améliorer l’état moral des prisonniers dans notre pays.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Messieurs, quoique le régime de nos prisons puisse être comparé avec avantage à celui des prisons des autres nations, je conviens qu’on peut encore faire beaucoup pour l’amélioration morale des prisonniers. C’est un objet qui n’est pas perdu de vue dans mon département. Je suis très bien secondé par mes collaborateurs pour rester au courant des progrès, des expériences faites dans les autres pays, soit par les voyages, soit par étude des ouvrages les plus avancés et les plus utiles.
Je ne discuterai pas ici la question du système pénitentiaire à suivre, je ne crois pas qu’il y ait de système général auquel on puisse donner une préférence absolue. Ce qu’on peut faire de mieux, selon moi, c’est d’introduire successivement les améliorations éprouvées par l’expérience.
M. Bosquet. - Je voudrais ajouter une observation à celles que vient de présenter M. le ministre de la justice. C’est relativement à l’isolement. Je crois qu’il serait très difficile d’établir l’isolement pour le travail, mais je pense qu’on pourrait le faire pour la nuit et se serait déjà une grande amélioration. Toutefois cette amélioration ne peut s’exécuter que successivement car il faudrait exécuter de grands travaux. C’est l’intention de l’administration et déjà elle a commencé dans la prison de Gand.
M. de Jaegher. - La discussion qu’a soulevée cet article a uniquement porté jusqu’ici sur des détails statistiques qui n’avaient pas précisément de rapport à son objet spécial ; je n’ai pas voulu interrompre la série des orateurs qui ont successivement pris la parole dans le même jour, mais maintenant que leur liste paraît épuisée, je crois pouvoir en venir à cet objet qui est celui des frais d’entretien et de nourriture des détenus.
Les renseignements compris dans le rapport de la section centrale nous font apprécier les motifs pour lesquels elle a adopté le chiffre de 700,000 fr. demandé par M. le ministre ; aussi n’est-ce pas sur une réduction instantanée de ce chiffre que porteront mes observations, mais sur les moyens d’en amener une pour les exercices suivants.
Les objets d’entretien et de nourriture des détenus sont spécifiées dans des cahiers de charges qui sont les mêmes pour toutes les provinces du royaume.
Les prix auxquels en revient respectivement la fourniture diffèrent néanmoins d’une manière assez considérable ; c’est ainsi que ces prix reviennent d’après la dernière adjudication pour 1836 à 48 centimes par tête, dans le Brabant ; à 52 dans la Flandre occidentale, et à 62 dans la Flandre orientale, pour ne citer que ces trois provinces.
Si l’on consulte les tableaux des prix des céréales, on trouve que c’est précisément dans le Brabant qu’ils sont en général le plus élevé, et dans la Flandre orientale le plus bas, et par conséquent on doit s’étonner que la différence s’opère en sens inverse de celui qu’elle devrait suivre. La conclusion naturelle à tirer de ce rapprochement, est que ce n’est pas la valeur des derniers qui déterminent ces différences locales, mais une cause qui est étrangère.
Les adjudications des fournitures précitées se font pour une province entière, pour autant qu’on n’y ait pas mis en pratique le système de régie ; l’adjudicataire principal s’entend avec des sous-adjudicataires dans chacune des localités qui forment son rayon, et c’est ainsi organisé que s’exécute le service sous la surveillance des autorités compétentes.
Des observations furent faites dans la Flandre orientale sur les désavantages pour le trésor du maintien d’un pareil mode.
On fit remarquer que l’importance de l’entreprise ne facilitait pas toute la concurrence désirable ; que l’adjudicataire ne trouvait annuellement rien qui mît des bornes à ses exigences ; tandis que si l’adjudication se faisait par prison, les entreprises plus à portée de la classe dans laquelle il trouve les sous-adjudicataires seraient plus disputées, et dès lors aussi moins onéreuses pour l’Etat.
Se rendant à ces observations et autres, le gouvernement fit un essai en 1834.
A Audenaerde, les résultats en furent avantageux. A Termonde il n’y eut guère de différence ; mais à Alost ils présentaient un chiffre de 15 centimes plus élevé que le prix d’adjudication de l’année précédente. Ces résultats défavorables à certaines localités s’expliquent assez facilement ; il était de l’intérêt de l’ancien adjudicataire général d’entraver l’adoption de ce nouveau système ; l’attention publique n’était pas encore assez fixée sur ce mode de spéculation qu’on venait lui offrir, pour que des concurrents se présentassent, et les sous-adjudicataires avaient intérêt à ne pas se brouiller avec celui qui, les années antérieures, avait traité avec eux, dans le doute où il étaient si l’essai serait maintenu ; l’effet de l’influence de ce dernier sur les opérations de cette première année, était donc à prévoir, mais il n’eût pas été rationnel de supposer qu’il se serait maintenu les années suivantes ; car pour celui qui en définitif se chargeait annuellement des fournitures, peu importait s’il traitait directement avec un entrepreneur-général ou avec le gouvernement. La publicité aurait d’ailleurs éveillé la concurrence et l’élévation des prix en serait insensiblement ressentie.
Quoi qu’il en soit le gouvernement s’effraya de ce début, et réunit en une ces entreprises partielles ; l’ancien adjudicataire général sentit l’opportunité d’user d’adresse, abaissa ses soumissions jusqu’au taux de 55 centimes et obtint le marché.
Dans le projet de l’année suivante, le gouvernement consulta les collèges des régents des prisons sur la question de savoir si le mode de régie pouvait être introduit dans les prisons, sous leur surveillance, et dans l’affirmative, à quel taux reviendraient l’entretien et la nourriture des détenus.
Des calculs faits à cette occasion par ce collège à Audenaerde, établirent que 45 centimes suffiraient pour couvrir les dépenses de ces deux chefs, y compris les frais du personnel nécessaire, administration, etc. Le gouvernement hésita encore et fut arrête paraît-il par la difficulté de pourvoir à ces fournitures dans les maisons de passage.
Je veux admettre que ces difficultés soient réelles, mais j’ai recherche l’importance du service de ces maisons de passage, et j’ai trouvé que dans le district d’Audenaerde, où il y en a trois, celle de Renaix, ville de 14,000 âmes, et celles de Cruyshauten et Nedenbrakel, communes de 7 et 5,000 âmes, il n’y avait eu en tout qu’environ 225 journées d’entretien et de nourriture pour un homme pendant tout le cours de l’année 1835.
SI l’on compare ce chiffre à celui des journées d’entretien dans la prison des mêmes arrondissements, on trouve qu’il est bien insignifiant, puisque la population y était habituellement de 80 sujets ; ces journées s’élèvent au nombre 29,200 par an.
Le district d’Audenaerde comprend approximativement le quart de la population rurale de la province ; en admettant cette proportion, tant pour le nombre des journées d’entretien dans les maisons de passage que pour celles dans les prisons, il y en aurait 1,000 dans les premières, et environ 120,000 dans les autres ou en d’autres termes, les journées d’entretien de détenus dans les maisons de passage de la province, seraient à celles dans les prisons (non compris la maison de force de Gand) comme 1 est à 120.
D’après ce que j’ai dit plus haut, il y aurait à économiser pour tout le bénéfice que réalise aujourd’hui l’entrepreneur-général, si le gouvernement divisait la fourniture en autant d’entreprises qu’il y a de prisons, c’est-à-dire en quatre et il économiserait davantage encore, s’il appliquait à ces prisons le système de régie dont l’expérience a démontré les bons résultats dans les maisons de force.
Admettons que la différence au lieu d’être de 45 à 62 centimes, ne soit seulement que de 10 centimes par journée pour ne prendre qu’un minimum, l’économie serait de 12,000 francs par an pour cette seule province.
Or, comme le service des maisons de passage paraît être le seul motif qui s’oppose à l’introduction de l’un ou de l’autre de ces deux systèmes, il en résulte que l’entretien de chaque détenu, au nombre total de 1,000 par an, comme je l’ai établi plus haut, y coûte en réalité à l’Etat 19 francs 63 centimes par jour, y compris le prix de l’adjudication générale.
Quoiqu’on pourrait se loger à moins de frais dans de très bonnes maisons, les malheureux n’y sont pas moins habituellement très mal hébergés. M. le ministre a lui-même fréquemment renouvelé ses instances pour faire disparaître les motifs des plaintes incessantes qui lui étaient parvenues à cet égard ; la surveillance y est difficile, et au taux des journées, l’entretien et la nourriture y sont impossibles à assurer.
Pour remédier à ce vice, et faire ce qu’exigent les intérêts de l’Etat, je soumets donc à M. le ministre de la justice la question s’il ne serait pas possible d’aviser de concert avec son collège de l’intérieur aux moyens de charger les administrations des villes et communes où se trouvent des maisons de passage, du soin de contracter avec l’un ou l’autre de leur administré, pour la fourniture aux termes d’un cahier des charges, mais d’une manière convenable, de tout ce qui a rapport à l’entretien et à la nourriture des détenus qui seraient appelés à y séjourner.
Si 62 centimes ne suffisent pas, qu’on leur accorde latitude jusqu’à un et même deux francs par jour s’il le faut ; l’économie à résulter de l’adoption d’un autre système pour le service des prisons, une fois que cet obstacle qui s’y oppose aura disparu, compensera amplement ce sacrifice, puisqu’elle laisse de la marge jusqu’a 12 fr. 62 centimes.
Qu’on leur recommande alors une surveillance plus spéciale à cet égard que celle qui leur est dévolue aujourd’hui, les sentiments d’humanité auxquels en Belgique on n’a jamais en vain fait appel se chargeront du reste.
Je n’ai parlé que d’une seule province ; vous remarquerez que mes calculs appliqués aux autres, pour autant qu’ils leur soient également applicables, indiqueraient une économie assez importante à réaliser de cette manière.
M. le président. - Voici les noms des membres de la commission chargée d’examiner le projet de loi tendant à réprimer la fraude des céréales : MM. Duvivier, Eloy de Burdinne, Desmet, de Saegher, Frison, Watlet et A. Rodenbach.
- La séance est levée à quatre heures et demie.