(Moniteur belge n°15, du 15 janvier 1836)
(Présidence de M. Raikem)
M. Dechamps procède à l’appel nominal à midi et demi.
M. Schaetzen donne lecture du procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. Dechamps présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.
« Le sieur L. Chavatte, à Bruxelles, se plaint d’un prétendu déni de justice de la part de M. le ministre de la justice. »
« Le sieur A. Ruthul, batelier à Venloo, réclame le paiement d’une somme de 73 fr. 25 cent., du chef de transports militaires effectués à la requête du commandant de place de cette ville. »
« Les administrateurs des hospices civils de Liége demandent que la chambre adopte une disposition qui permette aux communes, hospices, etc., d’affermer leur baux pour 18 années et au-dessous, sans autres formalités que celles présentées pour les baux de 9 années. »
« Des cultivateurs du premier canton de Nivelles exposent qu’une épizootie ravage les bêtes à cornes de ce canton, et demandent le renouvellement de la loi du 16 juin 1816. »
« Les bourgmestres et échevins de la ville de Maeseyck demandent l’achèvement de la route projetée de Diest vers Ruremonde. »
« Le sieur Jean-François Flispart, né en France, habitant la commune d’Ethe depuis 1802, demande la naturalisation. »
« Le sieur J. Destombes, à Mons, adresse des observations contre le marché relatif aux lits de fer, qu’il déclare onéreux pour l’Etat, et demande que la chambre ne vote pas l’allocation demandée pour le casernement avant qu’une adjudication régulière et exacte donne la connaissance du chiffre que mérité ce service. »
M. Gendebien. - Il me semble qu’il est impossible de renvoyer la pétition de M. Destombes à la commission des pétitions. Nous ne pourrions en obtenir un rapport qu’après la discussion du budget de la guerre. Comme il importe d’apporter le plus de lumières possible sur la question que traite la pétition, je demande qu’il en soit donné lecture. (Appuyé !)
M. Jadot. - Je pense que la lecture de la pétition ne suffirait pas pour éclairer la chambre, et qu’il conviendrait de la faire insérer au Moniteur où tout le monde pourrait la consulter.
M. Dumortier. - L’un n’empêche pas l’autre.
- La lecture de la pétition, séance tenante, et l’impression de cette pièce au Moniteur, sont ordonnées.
La cour des comptes transmet à la chambre le complément des observations sur le compte définitif de l’Etat pour l’exercice 1831.
- L’impression en est ordonnée.
M. Dechamps donne lecture de la composition des bureaux des sections.
M. le président. - Il s’agit maintenant de déterminer à quel mode d’examen sera soumis le projet de loi relatif aux condamnés libérés.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Je propose à la chambre le renvoi de ce projet à l’examen des sections. J’ai remarqué que quand les sections ne sont pas surchargées de travaux, elles examinent les projets aussi rapidement qu’une commission spéciale pourrait le faire.
- Le projet de loi relatif à la surveillance des condamnés libérés est renvoyé aux sections.
M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Je viens d’écouter, avec la plus sérieuse attention, la lecture de la pétition que vous venez d’entendre, et son objet ayant déjà été traité par un des orateurs qui a parlé dans la dernière séance, ce que j’ai à répondre s’appliquera également à cette pétition.
Je laisserai toutefois aux sociétés qui, selon M. Destombes, se seraient entendues pendant l’adjudication, le soin de lui répondre à cet égard. Ce sont des particularités dans lesquelles je ne crois pas devoir entrer.
J’ai expliqué un peu longuement peut-être, dans la séance d’hier, les motifs qui m’ont décidé à établir deux bases d’adjudication. l’une consistant dans la fourniture des lits militaires avec couchettes aux frais de l’entrepreneur ; la deuxième base consistant dans la fourniture des literies sans couchettes en fer, lesquelles, dans ce cas, seraient fournies par le gouvernement.
J’ai développé les raisons qui m’ont engagé à faire fournir les couchettes en fer par les villes, si, comme mes prévisions me le faisaient supposer, les régences avaient voulu se charger de ces frais.
Je répète ce que j’ai déjà dit : j’aurais préféré 20 fois que les régences se chargeassent de la fourniture des couchette, en fer plutôt que d’avoir recours aux entrepreneurs.
Je suis de plus en plus convaincu que j’ai agi dans les vrais intérêts du gouvernement, en ne le chargeant pas de la fourniture des couchettes en fer pour le nouveau service des lits militaires ; car, malgré tout l’intérêt personnel qu’a l’entreprise actuelle à faire fabriquer ces couchettes et à les faire établir solidement, une partie est refusée comme défectueuse ; et quoique ayant en magasin ses sommiers, matelas, draps, traversins, couvertures, elle n’a pu encore monter complètement son service dans la place de Tournay, et ce n’est qu’à grande peine qu’elle a pu parvenir à le monter dans la place de Bruxelles,
Qu’eût-ce donc été, si le gouvernement s’était chargé de la confection de ces couchettes, et quelles indemnités l’entrepreneur n’aurait-il pas été en droit de demander au gouvernement en retard de cette fourniture, qui l’eût ainsi empêché de monter son service ? Surtout si cet entrepreneur eût été M. Destombes ?
Il est réellement heureux, je le répète avec intime conviction, pour les intérêts du gouvernement, que j’aie donné la préférence à la première des deux bases posées dans le cahier des charges, et que j’avais, je le répète encore, la faculté de choisir pour l’adjudication de l’entreprise ; car si j’eusse adopté la seconde, il en serait résulté des embarras inextricables qui auraient tous tourné au profit de l’entrepreneur et conséquemment au détriment de l’Etat.
Voyons maintenant s’il y a eu lésion dans les intérêts de l’Etat, en adoptant la première base d’adjudication, c’est-à-dire en obligeant l’entrepreneur à fournir les couchettes en fer à son compte.
Voici donc comme j’établis l’état de la question, en vous prévenant que je procède toujours dans mes opérations de calcul, du simple au composé, comme mode plus facile à me faire comprendre.
Le prix adjugé pour fourniture de literies avec couchettes est de 20 fr. 50 c.
Celui que demandait le sieur Destombes, sans fourniture de couchettes, était de 17 fr. 97 c.
Différence, 2 fr. 53 c.
J’avais calculé que le prix de la couchette serait de 28 fr., rendue dans chacune des places : mais je sais que si c’est effectivement le prix de revient de l’entreprise actuelle, il a dû être augmenté de 2 fr. par le coût de deux nouvelles couches de peinture qu’on a reconnues nécessaires.
Il faut donc actuellement baser sur 30 fr. pour prix d’une couchette en fer.
Or, on ne peut moins accorder à un entrepreneur pour capital engagé dans son affaire que 6 p. c. d’intérêts annuels : ce taux donne sur un capital de 30 fr. un intérêt annuel de 1 fr. 80.
En admettant qu’au bout de 20 ans, les couchettes ne vaudront plus que moitié de leur prix primitif, la perte sera de 15 fr. qui, répartie en 20 ans, fera par an une perte de 75 c..
Total : 2 fr. 55 c.
M. Destombes demandait, pour la fourniture des couchettes, 5 fr. 45 c. en sus de son prix, sans couchettes, plus de deux fois de ce que demandait M. Félix Legrand.
Ainsi, messieurs, vous voyez qu’en accordant 2 fr. 53 c. en sus du prix de M. Destombe sans fourniture de couchettes en fer, je n’ai réellement accordé que ce qui était juste et raisonnable, et que j’ai débarrassé le département de la guerre de toutes les difficultés qui seraient surgies de la fabrication et de la fourniture des couchettes en fer à son compte, autre source d’embarras et d’intrigues qui feraient le pendant de ceux qui se présentent aujourd’hui et qu’il eût été encore plus difficile d’aplanir.
Maintenant, messieurs, je vais répondre aux différentes observations présentées par les trois orateurs qui ont parlé dans la précédente séance.
L’idée qui me paraît dominer dans leurs discours, est que j’ai pu employer les fonds, accordés par les budgets, à d’autres dépenses que celles qui étaient spécifiées aux divers articles de ces budgets, et que j’ai ainsi excédé le montant de plusieurs de ces articles en prenant sur d’autres les fonds nécessaires pour couvrir l’excédant des dépenses faites.
Je leur ferai observer que si, dans le budget de 1836, j’ai effectivement outrepasse quatre articles d’une somme totale de 40,000 fr., j’en ai déduit et justifié les motifs, et que la loi du 15 avril 1835 m’a accordé un crédit supplémentaire de la même somme.
Que si, dans le budget de 1835, j’ai aussi outrepassé de 15,000 fr. la fixation d’un des articles de ce budget, une autre loi de la même date m’a également accordé ce supplément de crédit, dont j’ai pleinement justifié les causes, qui n’avaient nullement dépendu de ma volonté.
Enfin, dans le budget de l’exercice 1832, s’il y a un excédant de dépenses sur deux articles, il a suffi d’un simple transfert, autorisé par la loi du 15 août 1834, pour couvrir cet excédant avec les fonds qui étaient restés disponibles sur d’autres articles.
Mais ce qu’il importe de rappeler à la chambre, c’est :
1° Que les crédits accordés par le congrès et par les chambres pour l’exercice 1831, ont couvert toutes les dépenses faites sur cet exercice, sans spécification ni spécialité d’articles, puisqu’il n’y eut aucun budget arrêté pour cet exercice, d’où il est résulté que les corps ont reçu plus de fonds que les revues trimestrielles que je fis vérifier et arrêter en 1832 ne leur en ont reconnu comme acquis : cela s’explique par les dépenses extraordinaires qu’ils furent obligés de faire pour l’habillement des hommes qu’ils ont reçus pendant cette année ;
2 Que quand j’ai pris la direction du ministère de la guerre, en 1832, je trouvai le budget de cet exercice fixé par la loi du 20 mars de cette année, et que j’ai dû me conformer aux spécialités qu’il avait établies.
Et ici, je dois également rappeler à la chambre que les spécialités étaient fixées par armes, c’est-à-dire qu’il n’y avait qu’un seul et même article du budget pour toutes les dépenses de chaque arme.
Ainsi l’article de l’infanterie, par exemple, comprenait les traitements, la solde et les masses de pain, de fourrages, de casernement, d’habillement et entretien, de première mise d’équipement, de buffleterie, de frais de bureau, de transports, etc. ; et il en était de même des armes de la cavalerie, de l’artillerie, du génie, de la gendarmerie et des gardes civiques mobilisées.
Mon devoir était donc de me tenir dans les limites de la fixation des fonds affectés à chaque arme, pour toute espèce de dépenses, et c’est ce que j’ai fait, aux trois exceptions près et de si minime importance, que j’ai signalées sur les années 1833 et 1834.
Ce système d’allocations par armes, formant un seul et même article du budget, convenait mieux, sous tous les rapports, aux éventualités de la situation où nous trouvions en facilitant les moyens de faire varier l’effectif de chaque arme, selon les circonstances qui forçaient le gouvernement à tenir plus ou moins d’hommes sous les armes.
C’est le même système que j’ai suivi dans la rédaction des budgets de 1833 et de 1834, et jusqu’alors nulle réclamation ne s’éleva dans les chambres sur la forme que j’avais trouvée établie et que je crois devoir maintenir.
Ce ne fut qu’au budget de 1835 que la section centrale proposa et que la chambre adopta :
1° Que l’article affecté à chaque arme ne comprendrait que les traitements et la solde.
2° Qu’il y aurait au budget 12 articles distincts et séparés pour chacune des masses affectées à tous les corps de l’armée.
C’est dans ce nouveau système qu’a été établi et géré le budget de 1835, dont on pourra très prochainement vous présenter le résultat.
Je conviens que le compte à rendre sera beaucoup plus facile à établir, sous le rapport de l’emploi de chaque masse, que ceux des trois exercices précédents.
Mais ceux-ci, pour être rendus dans la même forme, et par allocation séparée de chacune des masses, demanderont un travail long et pénible, qui pourra cependant être dressé d’après l’arrêté des revues trimestrielles, ainsi que je l’ai déjà établi dans le compte-rendu de la masse d’habillement et d’entretien.
Il faudra d’abord convertir les budgets précédents, arrêtés et spécialisés par armes, dans le nouveau système adopté depuis celui de 1835, y coordonner ensuite toutes les allocations acquises aux corps de l’armée, d’après leurs revues trimestrielles basées sur l’effectif, et établir la comparaison entre ce qui était alloué au budget pour traitement, solde et masses de toute espèce, avec le montant des sommes touchées par les corps, en subdivisant le montant de leurs recettes faites au titre d’un seul article du budget en autant de fractions qu’il y a de masses différentes à la dépense totale.
Ce travail fera connaître le montant exact des dépenses faites sur chaque masse, et démontrera, je l’espère, que les dépenses ont été faites dans les limites affectées à chaque masse.
Ce qui m’en donne l’assurance, c’est que, m’étant renfermé dans l’allocation totale affectée à chaque arme, il ne peut se faire autrement que chacune des spécialités n’ait été renfermée dans les limites des subdivisions de cette allocation.
Mon devoir m’obligeait, je le répète, à me tenir, pendant ces trois exercices, dans les limites des allocations accordées par armes, pour toute espèce de dépenses ; et je m’y suis renfermé aussi exactement que je l’ai fait, pour l’exercice qui vient de finir, dans les allocations par masse.
Un honorable orateur a demandé comment j’avais pu faire des avances aux villes pour la construction d’écuries destinées à la cavalerie.
Je vais faire connaître les mesures qui sont été prises et les moyens employés pour y faire face.
Il me suffira, messieurs, de vous donner connaissance d’un rapport que je soumis au Roi le 13 janvier dernier, et qui résume l’état de la question.
« Rapport au Roi.
« Bruxelles, 23 janvier 1835.
« Sire,
« Depuis trois années, 4 à 5000 chevaux des troupes de cavalerie et d’artillerie sont placés en cantonnement, à cause du manque d’écuries dans le places fortes et les villes de garnison.
« L’excédant de dépenses qui en est résulté pendant ces trois années s’élève à plus de deux millions de francs, et les chevaux ont eu à souffrir dans les mauvaises écuries des cultivateurs où ils ont été placés ; il en est même résulté une grande mortalité.
« La discipline n’a pu être maintenue dans les cantonnements, comme elle l’aurait été dans les villes, et il en est résulté aussi des délits et des désertions.
« Mais les graves inconvénients qui sont résultés de cet état de choses sont : 1° la charge des habitants des communes qui ont servi de cantonnements ; 2° la démoralisation qui s’y est répandue ; 3° les plaintes aussi justes que fondées qu’adressent continuellement les bourgmestres et les autorités, et dont la tribune des chambres n’a que trop souvent retenti.
« Pour faire cesser ces dépenses énormes et pour mettre fin à ces réclamations, j’avais proposé au conseil des ministres qui avait agréé ma proposition, et par suite aux chambres, d’employer une partie de la somme qui serait accordée au budget de 1835, pour les dépenses de cantonnements, à bâtir des écuries provisoires dans les places de garnison où les casernes permettraient de loger les hommes à proximité de ces écuries,
« Cette proposition fut accueillie généralement et je m’occupai de suite de sa mise à exécution.
« Je comptais établir les écuries pour 3,000 chevaux, qui réunies à celles qui existent aujourd’hui et ne peuvent en contenir 7,000, permettraient de caserner convenablement 11,000 chevaux de cavalerie et d’artillerie.
« D’après les devis que j’ai fait dresser pour des écuries provisoires en planches, ainsi que cela devait avoir lieu dans le premier projet, ces écuries revenaient à 120 francs par cheval.
« Mais je renonçai à ce premier projet, pour bâtir de bonnes écuries en maçonnerie, et les nouveaux devis en portèrent la dépense à 200 francs par cheval pour frais de construction seulement et non compris le terrain.
« C’était donc une dépense de 800,000 francs à faire, sans compter les frais d’acquisition du terrain.
« Afin de diminuer les dépenses à la charge de l’Etat, je proposai aux régences d’entrer pour le tiers ou 2/5 dans les prix de construction, et j’ai obtenu ce résultat dans la majorité des villes avec lesquelles je suis entre en négociation,.
« Je demandai de plus que les dépenses que ferait le gouvernement lui fussent successivement remboursées et ne fussent considérées que comme avances ; j’ai encore obtenu ce point important.
« C’est après de longues négociations que je suis parvenu à ce double résultat, et c’est en conséquence que j’ai rédigé le projet d’arrêté ci-joint qui borne les avances à faire par le gouvernement à la somme de 400,000 fr., qui lui sera remboursée et qui laisse toutes les autres dépenses à la charge des villes.
« Ainsi, pour une somme de 400,000 fr, et payée seulement à titre d’avance, on met fin à une dépense annuelle de plus de 500,000 fr., on caserne 4,000 chevaux, et l’on fait cesser les justes plaintes d’un grand nombre de communes... »
Je dois rappeler ici qu’il avait d’abord été question de faire la totalité des dépenses aux frais de l’Etat, et que c’est même ainsi que les chambres l’avaient entendu, pour voir enfin le pays délivré de la charge des cantonnements. Mais j’ai obtenu, par les mesures que j’ai prises, que ces frais ne seraient qu’une simple avance remboursable. J’ai donc réduit à cette avance de 400,000 fr. une dépense qui se serait élevée à plus d’un million, y compris l’achat du terrain, et je réduis ainsi une dépense annuelle de plus de 500,000 fr.
Un honorable membre a parlé du boni des hôpitaux voici les renseignements que je puis donner à cet égard :
Ainsi que l’observation en a déjà été faite, les hommes reçus dans les hôpitaux y sont entretenus au moyen de leur solde de l’indemnité pour le pain et d’un supplément de solde pour ceux dont la solde n’excède pas 52 c. par jour ; ce qui porte pour le plus grand nombre d’hommes aux hôpitaux qui sont généralement de l’infanterie :
Pour la solde, 52 c.
Pour le pain, 12 c.
Supplément, 14 c.
Total, 78 c.
Le boni que laisse parfois, lorsqu’il y a un grand nombre de malades en traitement, le ménage de ces établissements, est employé aux séparations des locaux et du mobilier, et en achats d’objets neufs : c’est ainsi que le nombre de matelas, couvertures, draps de lits, etc., a été considérablement augmenté depuis trois ans, et c’est sur ces fonds aussi que 1,000 couchettes en fer seront fournies, outre les 600 qui sont déjà en usage.
D’après le vœu exprimé dans la discussion du budget de 1835, par un honorable représentant, les comptes trimestriels de ces hôpitaux ont été soumis au contrôle de la cour des comptes qui en est maintenant saisie.
Les sommes qui excèdent le nécessaire du service courant de ces établissements sont déposées dans la caisse des corps en garnison dans la place et c’est ce qu’on nomme le boni des hôpitaux.
(D’après les explications détaillées que donne le ministre, le boni a été de 42,000 fr. pour l’année 1834.)
L’administration des hôpitaux, sous le rapport financier, me paraît parfaitement entendue et bien supérieure à ce que j’ai connu en en ce genre jusqu’à ce jour.
Un honorable membre a dit qu’il y avait un grand déficit dans le nombre des sous-officiers et caporaux de l’armée, j’en ai fait faire le relevé ce matin. Voici le résultat que j’ai obtenu.
- Ici le ministre établit par des calculs, pris sur l’effectif au premier janvier, que les corps d’infanterie ne manquent pas de sous-officiers et qu’au moyen des écoles des régiments, on parviendra facilement à compléter prochainement le nombre des caporaux manquant au complet d’organisation, exposé dans mon rapport d’hier les motifs qui donnent l’explication des trois prix qui sont affectés à payer l’indemnité de casernement fourni par les régiments, et je ne pourrais que répéter ce que j’ai suffisamment expliqué.
Une des honorables préopinants a demandé comment il se faisait que l’on produisît pour la première fois un article de dépenses montant à la somme de 42,000 fr., pour solde des domestiques des officiers sans troupe. Lorsqu’à la fin de 1832, le gouvernement décida que les cavaliers qui servaient de domestiques aux officiers sans troupe seraient renvoyés dans leurs régiments, comme la solde de domestiques qu’il convenait d’accorder aux officiers sans troupe, rentrait dans la catégorie des dépenses extraordinaires, j’ai cru devoir affecter cette dépense sur cet article dans les budgets de 1833 à 1835 ; mais la continuation de cette dépense ayant permis de la régulariser, j’ai pensé qu’il convenait de consacrer un article spécial à cet objet dans le budget de 1836. C’est ce qui fait qu’il figure actuellement au chapitre des traitements divers.
L’honorable M. de Jaegher a dit que l’on avait annoncé avec quelque emphase que le budget de 1836 comparé à celui de 1835 offrirait une diminution de trois millions de francs, mais que par compensation on avait laissé pour mémoire un article très important.
Il est vrai, messieurs, que lors de la rédaction du budget de 1836 au mois d’août et de septembre derniers, j’étais loin de pouvoir être fixé sur le nombre de troupes à conserver en cantonnement dans le courant de 1836. J’ai cru devoir laisser cet article pour mémoire, sauf à le déterminer à la fin de l’année et à en fixer le chiffre.
Ce chiffre sera de 384,000 francs, il présente la défense nécessaire pour 3 mille hommes. En 1835, il était de 1,993,000 fr. il y a donc sur cet article seulement une diminution de 1 million six cent mille francs.
Le même orateur a pensé que si je ne croyais pas le nombre des hommes sous les armes pendant l’exercice de 1836 susceptible de diminution, c’était parce que je devais employer 26,000 hommes d’infanterie au service des places du royaume. Il n’en est pas ainsi. La plupart des places peuvent se passer de garnison. Cela a lieu quand les troupes vont aux camps. Si j’ai fait la déclaration que l’on a rappelée, c’est dans l’intention d’avoir toujours disponible une force égale à celle de nos adversaires. Tant que l’effectif de l’armée hollandaise ne sera pas diminué, il est prudent de conserver le nôtre. (Approbation).
L’on a fait des observations sur le non-emploi des officiers d’état-major.
Je dois dire que cette année j’ai envoyé une brigade de ces officiers pour lever le camp du Demer. Ils ont employé deux mois à ce travail dont ils se sont parfaitement acquittés.
Je m’étais proposé d’employer une partie des officiers de l’état-major à des travaux topographiques. C’eût été une occasion excellente d’instruction pratique pour ce corps. Mais la chambre ne m’ayant pas accordé les fonds nécessaires, je n’ai pu donner suite à ce projet.
Enfin, l’on a fait une observation sur les sapeurs des corps d’infanterie de l’armée. Je déclare d’abord que ces hommes sont choisis parmi les meilleurs sujets des compagnies d’élite, dont ils continuent à faire partie pour l’effectif, leur solde et les autres allocations. Il est nécessaire que je relève une erreur très grave commise par un honorable membre dans l’évaluation de leurs dépenses.
L’on a calculé 125,000 fr. par an pour leurs buffleteries, ce qui, ajouté aux autres frais, ferait une dépense totale de 242,000 fr, la masse de buffleteries pour chaque sapeur n’est pas d’un franc par jour, mais bien d’un fr. par an. Ce qui réduit le chiffre à 342 fr. au lieu de 125,000 fr. par an. (Hilarité.)
Il y a encore deux ou trois observations auxquelles je n’ai pas répondu. Je demanderai à la chambre le temps de réfléchir pour répondre d’une manière complète.
M. de Puydt, rapporteur, autorisé par les sections à donner lecture de la proposition qu’il a déposée au le bureau, monté à la tribune.
- La proposition de M. de Puydt est prise en considération.
La chambre en ordonne le renvoi aux sections.
M. le ministre de la guerre (M. de Puydt) - Un honorable député qui a parlé hier dans la discussion générale, a débuté par déclarer qu’il n’avait pas pu à la section centrale remplir le mandat qui lui avait été confié par la section, attendu qu’il n’avait pu s’entourer de tous les renseignements nécessaires pour s’éclaircir. Comme il y a dans cette observation une sorte d’accusation portée contre la section centrale, je crois devoir m’expliquer à cet égard en ma qualité de rapporteur.
Toutes les sections ont envoyé à la section centrale des nombreuses observations sur les différentes parties du budget de la guerre. Elles ont demandé au ministre des renseignements nouveaux, afin d’éclairer la discussion ultérieure dans le sein de la chambre. Ces demandes ont été faites aussitôt au département de la guerre. Une notice très nombreuse a été envoyée à M. le ministre. Nous avons été bientôt saisis d’une quantité de pièces conformément au vœu de toutes les sections. Je ne pense pas que l’on ait passé sous silence une seule observation faite par les sections. Je ne sache pas qu’une seule demande adressée à M. le ministre par la section centrale soit restée sans réponse.
S’il est vrai que l’honorable membre n’a pu s’entourer de toutes les lumières qu’il désirait, ce n’est pas la section centrale qu’il faut en accuser, puisqu’elle a satisfait à toutes les demandes que les sections lui ont faites. Ce n’est pas non plus M. le ministre de la guerre qui s’est empressé de se rendre aux invitations de la section centrale.
L’honorable membre qui faisait partie de la section centrale pouvait faire, dans le sein de cette commission telle proposition qu’il jugeait convenable et la soumettre à un vote. Je lui demanderai de me dire si la section centrale a refusé de transmettre aucune de ses demandes au département de la guerre, ou si M. le ministre a refusé d’y répondre.
Les orateurs qui ont parlé dans la discussion générale ont critiqué l’administration de la guerre.
Plusieurs abus ont été signalés ; les uns sont relatifs à un marché passé par ce département, d’autres à l’organisation même des corps de l’armée.
Vous venez d’entendre les explications de M. le ministre de la guerre ; elles sont plus ou moins accompagnées de calculs dont on ne peut saisir l’ensemble à une première lecture. La chambre aura le temps de réfléchir sur leur justesse et sur le plus ou moins de fondement des réponses de M. le ministre : quant aux questions qui touchent à l’organisations des corps, il en est une seule, celle relative à la réserve de l’armée, sur laquelle j’aurais désiré présenter des observations ; pour ne pas prolonger la discussion générale, je me réserve de les produire lors de la mise en discussion du chapitre relatif à l’infanterie.
Il est un autre point que je ne puis laisser passer sous silence, parce qu’il touche à un service sur lequel ma position me permet de donner des renseignements. C’est au sujet de la fusion du génie, de l’artillerie, de l’état-major et même du corps des ponts et chaussées, demandée par un honorable membre, que je vais entretenir la chambre.
Une observation assez singulière a été faite par un honorable orateur à propos du service des armes spéciales.
Le génie et l’artillerie exigent, dit-il, les mêmes connaissances théoriques et se touchent quant aux applications. L’état-major et les ponts et chaussées se placent dans la même catégorie par la communauté des études préliminaires : enfin entre plusieurs de ces corps et peut-être entre tous, pourrait-on trouver une analogie qui permettrait de confondre plus ou moins leurs attributions, et de là, on conclut à supprimer le génie militaire par une répartition entre les trois autres services.
Je dois avouer que ce qui m’a surpris le plus, c’est la conclusion. En effet, si c’est par mesure d’économie qu’il faut agir de la sorte, il serait, ce me semble, plus rationnel de supprimer le service le plus coûteux ou plutôt de les confondre tous en un seul.
Ceux qui ignorent les principes de la science militaire, son but et ses moyens ; ceux qui n’ont pas étudié et comparé les attributions des armes spéciales, peuvent entrevoir peut-être dans une pareille mesure une apparence de vérité ; mais pour peu qu’on soit familier avec les connaissances positives et qu’on sache que c’est par la spécialité qu’on arrive aux progrès et qu’on obtient le plus grand effet utile, on ne peut que s’étonner de voir produire ici une proposition en contradiction aussi évidente avec l’expérience du passé, la marche des perfectionnements présents et les principes.
Réunir en un service commun les attributions de plusieurs armes spéciales, n’est ni une idée neuve, ni une idée progressive.
Elle n’est pas neuve, car à diverses époques elle a été bazardée par l’inexpérience de quelques hommes et repoussée par l’influence des perfectionnements de la science militaire.
Elle n’est pas progressive, car elle tend à rétrograder vers les institutions antérieures.
La division du travail multiplie les forces. Cela est vrai pour les travaux qui demandent le concours des forces intellectuelles, comme pour ceux qui exigent le concours des forces matérielles.
Il ne sera pas difficile de démontrer qu’à l’application de ce principe on doit l’organisation actuelle des différentes armes spéciales ; je vais le faire en peu de mots.
Pour cela remontons de quelques siècles dans l’histoire des guerres modernes et arrêtons-nous au point où la sciences a dû nécessairement subir une révolution par l’invention de la poudre à canon.
Dans les temps les plus reculés, tout ce qui constituait la science militaire, comme la conduite, l’administration et les manoeuvres des troupes, les connaissances géographiques et statistiques des pays où l’on faisait la guerre, l’art des sièges, la balistique ou l’emploi des machines, tout était du ressort du chef de l’armée : un général était presque toujours commandant de troupes et ingénieur, combattant et diplomate, militaire et administrateur.
C’est à la longue et à mesure des perfectionnements théoriques et mécaniques, que des hommes spéciaux, attachés aux chefs des armées, pour prendre à eux quelques-unes de ces attributions, ont rendu par là plus puissante l’action des machines et celle des travaux du terrain combinées avec les manœuvres des troupes.
Déjà les premiers ingénieurs des temps modernes, à partir du siècle de Philippe-Auguste, réunissaient beaucoup sous leur direction : Ils construisaient et manoeuvraient les engins ou machines défensives et offensives, de là leur dénomination d’hommes d’engins ou ingénieurs.
Ils dirigeaient les mines, les ouvrages de terrassements, les travaux de toute nature en campagne, ils construisaient les places.
Plus tard, la nature et la forme des armes de jet s’étant modifiées par l’invention de la poudre ; la science de la balistique devint plus compliquée. La fortification des places prit à son tour un autre caractère ; l’attaque et la défense de cette fortification nécessitèrent des travaux basés sur de nouveaux principes, quelques siècles après.
Sous François Ier, on a commencé à diviser les attributions jusque-là très étendues des hommes d’engins, et de là date à peu près la séparation de ce qui était alors le service du génie d’avec ce qui devenait le service de l’artillerie.
Les premiers progrès amenèrent donc cette première division de travail, et dès lors la marche des perfectionnements dans l’une et l’autre partie fut rapide, parce que chacun se préoccupa de sa spécialité pour en hâter les développements.
C’est sous Louis XIV que l’organisation des ingénieurs fut réglée tout à fait militairement.
Enfin, pendant le règne de Louis XV, on fit une tentative pour réunir de nouveau le génie à l’artillerie, et la fusion dura de 1755 à 1757, c’est-à-dire environ deux ans. Après cette épreuve qui, par ses résultats constatés alors, a décidé pour toujours la question, les services furent séparés et l’on a reconnu qu’ils concourraient plus efficacement au but commun par des moyens qui leur sont propres qu’en se confondant.
Jusque-là aussi, les ingénieurs avaient eu dans leurs attributions avec les travaux militaires, une partie des travaux civils ; mais les mêmes nécessités progressives qui avaient antérieurement séparé l’artillerie du génie, séparèrent aussi et à toujours, le génie civil du génie militaire ; les travaux civils, les travaux militaires n’ont de rapport entre eux que par les principes qui fondent la science de la construction. Hors de cette communauté de connaissances premières, tout diffère dans l’application, dans le service, dans les obligations personnelles. Il faut pour ces deux carrières des vocations toutes différentes et incompatibles. Dans l’une on mène une vie paisible et consacrée aux travaux qui ont uniquement pour objet les travaux industriels. Dans l’autre, on prend part aux opérations des armées ; on fait des travaux qui reposent sur des principes tout à fait spéciaux ; on est soumis à une discipline et à un esprit militaire ; on est destiné aux périls et aux fatigues de la guerre.
Après la révolution française, le corps du génie militaire figura, avec les avantages qui résultent de ses attributions, dans toutes les guerres dont nous avons été les témoins, et c’est à la fin de cette époque qu’apparaît l’état-major, dont une première et éphémère organisation, date de la guerre d’Amérique.
L’assemblée constituante avait détruit cette institution à peine ébauchée, il n’y eut plus de corps de ce nom, mais ses fonctions furent confiées en partie à un grade nouveau d’officiers supérieurs que l’on créa sous le titre d’adjudants généraux, certaines autres parties du service ; elles furent exercées le plus souvent par les officiers du génie attachés aux états-majors des corps d’armée.
Enfin l’état-major n’est devenu un corps fixe, une armée spéciale qu’après 1815. Dès ce moment les officiers du génie militaire ont cessé d’être chargés des reconnaissances, des levées en campagnes ; mais ils ont conservé les travaux de construction et d’entretien des places de guerre ; les travaux d’attaque et de défense de ces places, les reconnaissances de leurs abords, la construction de la fortification de campagne, l’établissement des camps retranchés, des positions fortifiées, celui des postes fixes et des communications militaires. Pendant la paix comme pendant la guerre les travaux dont ils sont chargés entraînent une responsabilité immense.
La création de l’état-major, comme corps, est un progrès sans doute, et n’est un progrès que par sa spécialité. Vouloir réunir d’autres services, c’est remonter le courant, c’est méconnaître les motifs, ou plutôt les nécessités d’amélioration qui ont amené les dislocations successives, parce que les allocations ont été effectuées, non pour affaiblir les attributions des corps respectifs, mais pour leur donner au contraire bien plus grande force d’action par leur spécialisation, si je puis m’exprimer ainsi, ce qui leur permet de chercher chacun de nouvelles applications plus particulièrement efficaces.
S’il pouvait être démontré par un raisonnement quelconque que le génie militaire doit être réuni à l’état-major, ou l’état-major au génie, ce serait démontrer que l’on a eu tort de créer l’état-major ; et de conséquence en conséquence ce serait, en condamnant la création de chaque service particulier, annuler les progrès scientifiques qui en sont le résultat, et qui sera encore à naître sans la série des spécialités.
Considérée sous le rapport des principes, des progrès de la science et des convenances militaires et politiques, la mesure n’est pas soutenable.
Considérée sous le rapport de l’économie, on n’y voit également aucun avantage.
En 1831, on essaya en Belgique la fusion entre les ingénieurs et les ingénieurs militaires ; tout paraissait facile tant qu’il ne s’est agi que de classer les grades et les personnes, mais dès qu’il a fallu déterminer les attributions, les obstacles se sont montrés en foule et l’on a dû y renoncer.
Le tableau du personnel des deux corps réunis présentent un total de 76 officiers et ingénieurs de tous grades, et comme la solde du génie diffère de celle des ponts et chaussées, on attribuait tout naturellement aux officiers du corps nouveau la solde la plus élevée, puisque la fusion avait pour résultat d’augmenter les attributions et la responsabilité de chacun.
La dépense d’après ce tableau devait être de 366,000 fr.
Tandis que les soldes respectives des mêmes individus dans les corps séparés étaient à cette époque :
Pour le génie, 183,600 fr.
Pour les ponts et chaussées, 121,000 fr.
Différence en plus, 61,400 fr.
Donc au lieu d’une économie on obtient par là un excédent de dépense.
Mais si la fusion s’opère entre le génie et l’état-major, la différence en plus sera bien plus grande, car la solde de l’état-major, sans qu’on sache trop pourquoi du reste, est plus élevée que celle du génie.
Enfin pour donner à cette proposition l’appui d’une autorité, on a cité le général Vandoucour, on en peut même citer d’autres encore, je le veux bien. Mais à cela je répondrai : si quelques militaires de l’empire, entraînés par une idée spécieuse, ont hasardé sans succès une innovation qu’a repoussée Napoléon, cela seul condamné la proposition ; car de toutes les autorités voilà la plus puissante sur de pareilles questions.
M. Dechamps donne lecture de la pétition de M. Destombes.
(Le texte de cette pétition s’étend sur quatre colonnes du Moniteur belge. Il n’est pas repris dans la présente version numérisée.)
M. de Jaegher. - M. le ministre de la guerre, en prenant la parole tout à l’heure, nous a annoncé qu’il se proposait de réfuter les différents arguments présentés successivement dans la séance précédente.
Je suis encore, pour ce qui me concerne, à attendre cette réfutation. Je n’ai rien entendu qui réfutât mes observations.
M. le ministre de la guerre nous a lu un mémoire dans lequel il déduit les mesures qu’il a prises pour engager les villes à construire des écuries. Je n’ai pas attaqué la mesure en elle-même. Seulement j’ai demandé à M. le ministre où il avait trouvé les fonds nécessaires pour solder les dépenses faites de ce chef. C’était une question de comptabilité et non d’administration que je posais. M. le ministre ne m’a pas répondu, Il m’a cité un arrêté pris par lui. Je ne pense pas que de simples arrêtés puissent être substitués à un budget.
M. le ministre a dit que cet arrêté avait été pris pour régulariser le service, mais il n’a pas parlé de la manière dont s’opéreraient les remboursements des avances faites aux villes.
J’avais demandé également à M. le ministre où il avait trouvé les fonds nécessaires pour payer la solde des domestiques des officiers sans troupe.
M. le ministre a dit que c’était sur le fonds des dépenses imprévues. Je ne pense pas, messieurs, que ce soit une dépense imprévue que celle qui dure quatre années consécutives. C’était une dépense très prévue. Mais elle était faite de manière à nous la laisser ignorer.
M. le ministre de la guerre a abordé l’observation que je lui ai faite relativement aux sous-officiers et caporaux de l’armée. Il a dit que le nombre en était presque au complet ; je n’ai pas prétendu le contraire. Mes observations ont porté sur le manque d’instruction des sous-officiers de l’armée que l’on est obligé de prendre parmi les simples soldats. J’ai appelé l’attention de la chambre sur le système d’instruction actuel adopté par M. le ministre de la guerre et sur la nécessité de la modifier.
M. le ministre de la guerre a dit que l’on n’exigeait pas d’engagements volontaires de la part des sous-officiers et caporaux ; mais comment se fait-il alors que les simples soldats refusent ces grades ? Il est de fait qu’il y en a qui ont déchiré leurs galons. Je tiens cette particularité d’un honorable représentant. Si les congés et les avantages sont les mêmes que pour les simples soldats, quelle raison ceux-ci auraient-ils de refuser d’être caporaux ?
M. le ministre de la guerre a dit que les 26,000 hommes d’infanterie qu’il demande à conserver sous les armes ne lui sont pas nécessaires pour les garnisons des villes, mais qu’il importe de conserver sur pied une force égale à celle de la Hollande. Soit, mais il me semble alors qu’il ne devrait pas être aussi sévère sur le nombre des congés. Dans un pays aussi petit que le nôtre, il est facile de réunir, en un instant, sous les armes, les hommes envoyés en congé.
Je crois avoir prouvé que mes arguments, imparfaitement réfutés par M. le ministre de la guerre, restent entiers.
L’honorable M. de Puydt a cru trouver dans mes paroles un reproche adressé à la section centrale et particulièrement à son rapporteur sur le manque de renseignements dont je me suis plaint. Je n’ai pas dit que la section centrale avait négligé de demander les renseignements nécessaires ; mais j’ai dit qu’il lui avait été impossible, malgré tous les renseignements dont elle s’était entourée, d’examiner les dépenses faites pour les fournitures, par exemple, dans l’absence des comptes des exercices précédents. Mon reproche ne s’adressait pas à la section centrale, mais à l’administration de la guerre.
L’honorable rapporteur a examiné au long la proposition que j’ai faite de supprimer le corps du génie. Je ne le suivrai pas dans les longs développements qu’il a donnes. Je ne remonterai pas de trois ou quatre siècles. Je lui dirai seulement qu’il n’a pas tenu compte des modifications introduites dans le système de la guerre. Lorsque les armées s’arrêtaient pendant toute une campagne devant une place forte, le génie jouait un rôle beaucoup plus important que maintenant.
L’honorable membre a dit que l’idée que j’ai émise n’est pas neuve. Cela n’a pas été ma prétention. J’ai cité l’opinion d’un illustre général à l’appui de la mienne. L’honorable membre a prétendu que ceux qui n’ont pas étudié les armes spéciales peuvent seuls faire une semblable proposition. Cependant le général Vaudoucœur, juge compétent en pareille matière, a fait de la réunion des différentes armes spéciales en une seule, l’objet de plusieurs propositions successives. Permettez-moi de vous lire un passage qui vous fera connaître à quelle époque cette idée remonte :
(Ici l’honorable membre donne lecture d’un passage extrait d’un mémoire du général Vaudoncoeur.)
Jusqu’en 1815 le corps du génie a fait exclusivement aux armées le service du corps de l’état-major général, qui fut organisé en France sur la proposition du maréchal de Saint-Cyr, et reçut la majeure partie des attributions affectées jusque-là au service du premier, telles que :
1° Les reconnaissances militaires ;
2° La direction des mouvements et des opérations ;
3° La construction des camps, et des travaux de fortification passagère de siège ;
En temps de paix :
4° La rédaction des mémoires militaires sur la défense du pays, et des mémoires d’attaque des pays voisins ;
5° Le levé topographique de l’intérieur du pays.
Cette soustraction des travaux importants du corps du génie réduisit son rôle à la simple construction des forteresses et à leur entretien.
Or, si l’on considère que les officiers d’artillerie reçoivent jusqu’au moment de sortir de l’école militaire la même instruction ; que toutes leurs études spéciales sont tournées vers l’attaque et la défense des places ; que dans les siéges ils sont forcés de réunir aux connaissances spéciales de l’officier du génie, celles de l’artillerie, on concevra que dans un petit pays comme le nôtre le corps du génie est une superfétation complète.
On m’objecte que les connaissances spéciales de ces deux catégories d’officiers exigent une séparation et qu’il est impossible que l’on puisse s’occuper à la fois avec succès de ces deux métiers.
La chose pourrait être vraie, si l’on voulait exiger des officiers commandant des batteries, véritables officiers de troupe, les connaissances spéciales de l’officier de génie, et l’application constante qu’on exige de celui-ci ; mais le corps de l’artillerie est lui-même divisé en deux catégories.
1° Les officiers-commandants des batteries et des compagnies de siége ;
2° Les officiers de l’état-major de l’artillerie, officiers directeurs, etc. du matériel dans chaque place de guerre. Or, ces derniers, une fois la place construite et armée, n’ont plus qu’à se promener les bras croisés ; il en est de même des officiers de génie qui se trouvent dans les mêmes places.
En France, les officiers d’artillerie de cette dernière classe sont chargés de la construction et de la bâtisse des arsenaux, des magasins à poudre, etc. ; s’ils sont en état de se charger de ces constructions, si on reconnaît que dans les sièges et ailleurs ils se chargent de la construction des batteries et d’autres travaux de terrassement, pourquoi ne pourraient-ils pas aussi se charger de la construction d’une simple muraille ?
Pourquoi les plans des travaux à effectuer ne peuvent-ils pas émaner de l’état-major général, et l’exécution en être laissée soit à ceux-ci, soit au corps des ponts et chaussées ?
L’instruction de ce service est identiquement la même que celle des officiers de génie, et la meilleure preuve que je puisse en donner, c’est que des ponts et chaussées sont sortis la plupart de nos officiers du génie que nous n’envisageons aucunement comme au-dessous de leur position dans l’armée.
Il n’y aurait plus dans ce cas l’anomalie qui nous choque aujourd’hui, quand nous voyons dans chaque place trois administrations spéciales pour les mêmes travaux :
1° Les officiers des ponts et chaussées,
2° Ceux du génie avec leur personnel,
3° Les officiers du matériel de l’artillerie.
Ces considérations, ce n’est pas de mon autorité privée que je veux les étayer ; elles ont, comme je l’ai déjà dit, été développées par le général d’artillerie français, Vodoncourt entre autres, dont on ne contestera probablement pas la compétence, comme on pourrait décliner la mienne.
Elles le sont aussi dans l’article : Mémoire à l’usage des officiers d’artillerie de France, par le célèbre général d’artillerie Gassendi, que M. le général Evain doit personnellement connaître.
Qu’en France elles aient trouvé de l’opposition, rien d’étonnant ; elles avaient à combattre un système auquel de longues années d’existence avaient permis de pousser de profondes racines ; intérêts individuels, susceptibilités d’amour-propre, elles avaient tout contre elles ; dans notre corps du génie qui ne date que d’hier, à part cinq ou six officiers qui en ont fait le noyau au moment de la révolution, on trouve déjà les mêmes germes : le tout est de savoir s’il seront assez puissants pour se faire également prévaloir.
Le travail des officiers du génie exige des connaissances spéciales que n’exige pas celui de l’état-major ; voilà le grand argument. Eh bien, messieurs, ces connaissances spéciales se trouveront dans les mêmes individus qui ne feront que passer d’un corps à l’autre.
Ils ne perdront rien de leur savoir en perdant leur uniforme distinct, et il ne restera pas plus caché sous l’habit brodé qu’il ne l’est aujourd’hui sous les aiguillettes. Je persiste donc dans l’opinion que j’ai émise.
M. Jadot. - Au début de ses observations, le ministre a dit qu’il avait employé les crédits portés au budget : cela est vrai. Je le reconnais avec lui, je dis même qu’il les a employés entièrement ; mais ce en quoi nous différons, c’est que je soutiens qu’il les a dépassés. Je vais le prouver.
M. le ministre assimile toujours l’avance faite par le trésor aux autres fonds accordes par le budget.
Cependant la différence est immense, et c’est cette différence qui doit trancher la question.
L’avance est une somme prêtée sous la condition qu’elle sera restituée.
Les fonds alloués au budget forment une dette que le gouvernement remet au ministre, d’avance si vous le voulez, mais non comme prêt, pour acquitter des dépenses qu’il doit supporter, mais à charge par le ministre d’en justifier l’emploi.
L’avance au contraire doit être restituée en numéraire.
Lorsqu’un corps a reçu plus de fonds qu’il n’en a dépensé pendant un trimestre, il se constitue débiteur de l’argent qui lui reste en caisse pour l’imputer sur les dépenses du trimestre suivant. Cela est dans l’ordre ; ces fonds ont été donnés pour être dépensés, pour acquitter la dette de l’Etat.
Mais il n’en est pas de même de l’argent de quelque manière qu’il l’ait reçu, celui-là, le corps ne peut le dépenser ; il n’a pas été alloué pour être dépensé, mais donné en prêt.
Je citerai encore l’exemple donné par M. le ministre de la guerre.
Les feuilles de revue ont alloué à un régiment pour les dépenses d’instruments, 720,000 fr.
Le budget ne lui allouait que 680,000 fr.
Les 40,000 fr. manquant ont été payés avec les rentrées faites sur le prêt.
Eh bien, dans ce cas on a dépensé 40,000 francs qui n’avaient pas été alloués et fait des dépenses pour 40,000 fr. de plus qu’on ne pouvait.
Quand, après l’expiration d’un exercice, M. le ministre vient vous dire : Vous m’aviez remis pour être employée aux dépenses du budget une somme de 40 millions, je n’en ai dépensé que 38 et je vous propose de transférer cette somme à un autre budget ; cela est dans l’ordre : mais si, au lieu de vous proposer ce transfert, il vous dit qu’il a imputé ces deux millions sur le prêt que vous lui avez fait, il est clair qu’il vous paie avec votre propre argent.
Une seconde erreur non moins grave est celle-ci :
M. le ministre a toujours considéré le crédit porté au budget pour masse d’habillement comme étant mis à sa disposition et destiné à passer dans la caisse du magasin pour des dépenses générales.
Mais ce n’est ni à l’armée collectivement ni pour des dépenses générales que ce crédit est alloué, il est alloué à chaque soldat individuellement et pour payer ses dépenses purement personnelles.
Que résulte-t-il de la manière de l’employer de M. le ministre de la guerre ?
Il en résulte que les soldats qui paient leurs effets de leur propre denier, les paient une seconde fois au moyen de la retenue qu’on leur fait et que l’on garde au lieu de leur restituer.
Il en résulte que cette retenue que l’on garde injustement, sert à payer des effets qui restent au bénéfice du magasin, c’est-à-dire du magasinier. Car, quand les soldats qui auront payé de leurs deniers les effets qu’on leur aura livrés, viendront en prendre d’autres, on ne leur tiendra pas compte de cette retenue, et cependant elle ne profitera pas à l’Etat.
Je demanderai encore à M. le ministre de la guerre s’il est vrai, ainsi que je le prétends, que jusqu’à ce jour il n’a été fait de décompte à aucun soldat. Il aurait dû déjà répondre à cette question, elle est assez simple. On retient à chaque soldat 18 centimes par jour pour sa masse d’habillement, ce qui fait une somme de 65 à 70 francs au bout de l’année. Il me semble que quand on donne son congé à un soldat, on devrait lui restituer la somme qu’on lui a retenue et qui n’a pas été employée.
Je prie donc de nouveau M. le ministre de nous donner une explication sur ce point, et s’il prétend qu’on a fait des décomptes aux soldats relativement à leur masse d’habillement, je demanderai à lui répliquer.
Dans la séance d’hier, j’ai avancé un fait grave sur lequel le ministre a gardé le silence ; j’ai dit qu’un major avait été condamné à restituer une somme de 18 à 20 mille francs et que l’apurement de son débit s’était fait sans qu’il en ait versé la somme, et qu’on avait pris cette somme sur le boni de l’hôpital d’Anvers.
J’avais encore demandé s’il était vrai que l’article 51 de l’ordonnance du 19 février 1819 n’était pas exécuté. Cette ordonnance veut que tout officier ayant droit à des rations de fourrage présente ou fasse présenter ses chevaux au commandant de la place avec une feuille de signalement, et justifie de cette présentation pour obtenir ses rations.
J’ai dit qu’un officier qui avait exigé cette justification avait été mis à la retraite.
Voilà des faits sur lesquels le ministre aurait dû s’expliquer. Il y en a une foule d’autres encore que j’ai signalés hier et sur lesquels il n’a été donné aucune explication. J’espère que M. le ministre voudra bien s’expliquer sur ceux que je viens de rappeler de nouveau.
M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Il est vrai que je n’ai pas répondu à toutes les questions qui m’avaient été adressées dans la séance d’hier, mais il m’avait été impossible à l’audition des discours de prendre note de toutes les interpellations, et le Moniteur m’est arrivé trop tard ce matin pour que je pusse y réfléchir et y répondre en détail. Cependant je vais donner quelques explications sur les questions qui viennent d’être renouvelées.
Si l’honorable préopinant avait jeté les yeux sur le travail qui a été distribué à la chambre et que je tiens en main, il aurait vu à la troisième colonne les sommes payées chaque année aux soldats pour décompte de leur masse d’habillement ; il aurait vu qu’on leur a payé en 1831 et 1832, 267,240 fr ; en 1833, 154,128 francs, pour le premier semestre de 1834 159,460 ; pour le second semestre, 213,019 ; pour le second semestre de 1835, 67,636 fr., ce qui fait, 1,159,834 fr. qui ont été payés aux soldats en décompte de leur misse d’habillement.
Cette somme a été payée à ceux qui, après avoir apuré leur compte, se sont trouves avoir un excédant ou moment où le compte a été réglé avec eux. L’excédant leur a été remis moins trois florins qu’on a retenus pour compte à nouveau, conformément à un article de règlement qu’on a cité.
Ainsi vous voyez qu’on a fait un décompte à tous les hommes qui ont eu droit de le recevoir.
Pour prouver que je n’ai pas fait payer doublement les effets aux soldats, comme vient de le prétendre l’honorable préopinant, je citerai un exemple. Je suppose un milicien de la classe de 1834 qui arrive sous les drapeaux. L’Etat lui donne gratis tous les effets de petit équipement, chemises, souliers, guêtres, etc.
Le gouvernement accorde 40 fr. pour cette fourniture de première mise de petit équipement.
Il n’en est pas de même des effets d’habillement, schako, capote, habit, veste et pantalon de tenue ; ceci vaut 95 fr. Ces effets, il doit les payer dés le premier jour ; on alloue au soldat pour payer cela 18 centimes, on crédite le compte individuel de chaque soldat de ce qui lui revient de l’allocation pour habillement ; à la fin du trimestre cela lui fait 16 francs ; on fait alors son décompte, on lui dit : Vous avez à votre masse d’entretien d’habillement 16 fr, et vous ne devrez plus au corps que 79 fr. Comme il faut que ce soldat non seulement paie les effets qu’il a reçus, mais encore qu’il entretienne et renouvelle, quand ils sont usés, les effets de petit équipement, et qu’il trouve de suite au magasin les objets dont il a besoin, on porte sur son livret les effets qu’on lui a donnés, et au bout du trimestre on lui fait son compte, on lui dit : vous devez 79 fr,, vous avez à votre masse 16 fr., pour ce nouveau trimestre à raison de 18 centimes qui vous sont allouées par jour, on vous a donné pour 18 fr. d’effets vous redevez 84 fr.
Quand ils doivent renouveler et le petit et le grand équipement, leur dette s’élève beaucoup plus, il y a des soldats qui sont endettés jusqu’à 150 et 180 fr. On se trouve alors dans la nécessité de recourir à une mesure prescrite par le règlement qui est de retenir le tiers et même la moitié de ce qui revient au soldat, prélèvement fait de la somme mise à la masse de l’ordinaire.
Ce n’est ordinairement que six mois après que le milicien est arrivé au corps, qu’on lui fait cette retenue. On lui dit : Outre les 15 fr. que vous avez de l’allocation pour votre masse, je vais vous faire une retenue de 10 fr. en juillet, de 6 fr. en août et de 4 fr., je suppose, en septembre. Cette réduction opérée, on lui fait un décompte. Vous voyez qu’il est impossible qu’on fasse payer deux fois aux soldats les effets qu’ils ont reçus du magasin.
On comprend la nécessité pour les corps d’avoir toujours dans les magasins un approvisionnement d’effets d’habillement et d’équipement suffisante pour faire face aux besoins. Cet approvisionnement ne peut pas être d’une valeur de moins de deux millions pour tous les corps de l’armée, et pour être à l’aise il faut qu’elle soit de 2,000,000 francs, comme elle est aujourd’hui.
Au mois d’avril, les miliciens vont arriver sous les drapeaux, on leur donnera un habillement complet, il faut que les corps puissent remplacer les effets qu’ils leur donneront. Il est donc indispensable que quand les soldats seront entièrement libérés, le gouvernement veuille bien accorder aux corps une avance une fois faite, afin qu’ils puissent toujours avoir la même valeur d’effets en magasin.
Je viens au major dont on a parlé. Il est vrai qu’un major de garde civique, Français d’origine, mais qui a servi, dans notre armée dès les premiers jours de notre révolution, qui était domicilié dans le pays depuis 7 ou 8 ans, et qui quitta un établissement pour se mettre à la tête des volontaires de la ville qu’il habitait, avec lesquels il rendit de grands services, a été impliqué dans une affaire de vol de caisse, Dans cette affaire, le quartier-maître était le vrai coupable ; mais comme ce major n’avait pas exercé une surveillance assez sévère sur ce comptable, la haute cour militaire le reconnut responsable de la somme de 15,800 fr, qui avait été détournée, et le condamna à la payer au moyen d’une retenue sur ses appointements.
Cet officier demanda ensuite l’autorisation de quitter la Belgique et sa démission. Je n’ai pas cru devoir lui refuser ce qu’il demandait, et comme il n’y avait plus possibilité d’opérer de retenue sur ses appointements, puisqu’il n’en recevait plus, j’ai cru pouvoir le libérer.
C’est par considération pour les services réels qu’il avait rendus au pays que j’ai agi comme je l’ai fait. Mais je dois dire aussi que la somme n’a pas été prise sur le boni de l’hôpital d’Anvers.
Je profiterai de ce que j’ai la parole pour faire connaître à la chambre mon opinion sur la discussion scientifique qui vient de s’élever concernant la réunion du corps d’état-major au corps du génie.
Si vous voulez avoir quelque confiance dans mon expérience, je vous dirai que cette question a été plusieurs fois controversée et que j’assistais au conseil où elle a été débattue en présence de Napoléon, et que malgré les avantages que cette réunion présente au premier coup d’œil, on a pensé généralement qu’il valait mieux maintenir la spécialité de chaque arme, comme le moyen d’avoir des officiers plus distingués. En effet, si vous chargiez les mêmes officiers de trop de besogne, elle sera moins bien faite. Consentez donc à faire quelques sacrifices d’argent pour avoir de bons officiers d’artillerie, de bons officiers du génie.
M. A. Rodenbach. - Ce que vous a dit le ministre de la guerre relativement à l’adjudication des lits en fer ne m’a pas fait revenir de l’opinion que j’avais émise. Le ministre nous a dit qu’il aurait préféré que les villes ou des particuliers dans chaque ville fissent des propositions pour fournir les literies, mais qu’on n’avait fait que des soumissions générales et que voyant cela, il avait cru devoir demander aux entrepreneurs la fourniture des couchettes.
Si j’ai bien entendu la lecture de la pétition du sieur Destombes, il y est parlé de plusieurs villes et particuliers de certaines villes qui auraient proposé de se charger du couchage de leur garnison ; je crois avoir entendu les noms de Tournay, Ath, Nieuport, Ostende.
Cependant le ministre nous a dit que les villes n’avaient fait aucune soumission. Je ne sais jusqu’à quel point on doit ajouter foi aux assertions de la requête ; mais j’ai entendu un honorable membre dire que des particuliers de Tournay avaient fait des soumissions pour le couchage de la garnison de cette ville.
Je reviendrai là-dessus.
Je passe aux calculs que vous a présentés le ministre. Il vous a dit que les couchettes coûteraient 30 fr. Mais la requête qu’on vient de lire annoncer qu’on a proposé de les fournir à raison de 25-75 les lits à une place, et de 45 fr. les lits à deux places. Cette proposition aurait été faite par une maison très respectable de Liége. Ainsi donc, si le gouvernement avait acheté les lits en fer, comme je le disais hier, non pas avec un capital de 552 mille fr., comme le dit le pétitionnaire, mais moyennant 560 mille fr., chiffre proposé par M. le ministre lui-même, l’Etat aurait fait une grande économie : un calcul très simple suffit pour le démontrer.
D’abord, on paie pour les couchettes, à la maison Legrand et comp., 57 mille fr. par an. Il paraît d’après la lecture de la pétition qu’on aurait pu emprunter le capital de 560 mille fr. pour l’acquisition des couchettes, moyennant un intérêt de 22 mille fr. par an. Au lieu de cela nous en payons 57 ; voilà un bénéfice de 35 mille fr. de rente que va faire, pendant 20 ans, la compagnie Legrand. Si on calculait les intérêts, on arriverait à une somme immense. C’est une affaire qui va au-delà d’un million dont le gouvernement se trouve lésé. Je voudrais qu’on expliquât l’énorme différence que présentent ces deux chiffres : 22 mille fr. et 57 mille fr.
Hier, on a jeté du doute sur la solvabilité de M. Destombes ; je viens d’entendre M. le ministre lui-même reconnaître la solvabilité des quatre soumissionnaires, ainsi M. Destombes est solvable. Il paraît même qu’il paie le cens pour être sénateur.
Un chose qui m’a frappé, c’est que des quatre soumissionnaires, trois sociétés ont dit s’être réunies à l’hôtel de Belle-Vue, ont présenté, dans leurs soumissions, presque le même chiffre, et ensuite qu’elles ont été caution les unes pour les autres. Il paraîtrait que ces sociétés se seraient réunies, comme on dit, pour faire une bonne affaire. Un membre de la chambre était présent, sans doute il s’expliquera là-dessus. Une affaire de cette nature doit être éclaircie. Peu importe qui y a pris part, député ou ministre ; il n’y a pas de considération qui doive arrêter nos investigations.
Une chose importante c’est que ces trois sociétés se sont ensuite réunies et n’ont ont plus formé qu’une seule.
J’ai dit hier qu’indépendamment de l’économie que le gouvernement aurait faite sur la dépense annuelle en achetant les couchettes au bout des 20 ans, il aurait encore eu une valeur de 180 à 200 mille fr. ; je me suis trompé, car M. Destombes, en demandant 375 mille fr. pour le couchage, s’engageait à entretenir les lits en fer et à les remettre au bout de 20 ans dans l’état où il les avait reçus. Ainsi, on aurait payé un intérêt de 22 mille fr., au lieu de 27 ; on aurait eu au bout de 20 ans des lits d’une valeur de 500 mille fr., au lieu de 200 mille comme je l’avais pensé d’abord. J’attends les explications de M. le ministre.
M. le ministre de la guerre (M. Evain). - J’ai écouté avec toute l’attention possible la lecture de la pétition du sieur Destombes, et je vous avoue que je n’ai pas entendu qu’elle fasse mention de places qui aient fait des soumissions pour fournitures de lits militaires. S’il s’en fût trouvé, le procès-verbal d’adjudication en aurait parlé ; je n’en ai pas vu, je le déclare positivement.
M. Dumortier. - Je demande la parole.
M. le ministre de la guerre (M. Evain). - J’avais reçu, il est vrai, une soumission d’un fabricant de la ville de Liége, pour fournir couchettes en fer, à raison de 25 fr. 75 c., mais prises sur place ; il fallait alors ajouter à ce prix les frais de transport, de démontage et remontage. On peut estimer ces frais à 2 fr. 25, ce qui portait le prix à 28 fr. Il fallait encore ajouter la double couche de peinture, reconnue nécessaire et qui coûte à peu près deux francs. Voilà donc 30 fr ; que le gouvernement aurait dû débourser par couchette.
Je vous ai fait connaître les motifs vrais, sincères, qui m’ont empêché d’admettre la seconde base d’adjudication. Je ne voulais fournir les couchettes qu’autant que les villes se chargeraient du couchage ; mais quand j’ai vu qu’il ne se présentait que des entreprises générales, je n’ai pas balancé, j’ai voulu que l’entrepreneur se chargeât de fournir et couchettes et literies ; je ne voulais pas exposer le gouvernement à des contestations continuelles avec l’entrepreneur sur le bon ou mauvais entretien des couchettes et sur l’époque de leurs fournitures.
On se récrie parce que je paie 2 fr. 53 centimes de plus pour avoir exigé cette fourniture au compte de l’entrepreneur.
L’entrepreneur, comme je l’ai établi tout à l’heure par des calculs exacts, a dû débourser 600 mille francs. J’ai dit que tout capital déboursé par une entreprise devait rapporter 6 p. c. ; soit 30 fr. le prix des couchettes, l’intérêt annuel est de 1-80.
Je pose en fait que les frais d’entretien, de peinture, de détérioration, et les chances de guerre, calculés, on peut estimer qu’au bout de 20 ans, ces couchettes seront réduites de valeur de moitié, de 15 francs ; or, ces 15 francs de perte en 20 ans, si vous les divisez par vingtièmes, vous avez 75 centimes par an ; ces 75 centimes joints aux intérêts de 1-80 font 2-55. J’ai donné 2-53. J’ai donc passé un marché qui ne lèse en rien les intérêts du gouvernement.
Je me félicite d’avoir exigé que l’entrepreneur fournît les lits, couchettes en fer. Cette faculté d’option était stipulée dans le cahier des charges. M. Dechamps ne peut pas exiger que j’adopte une base plutôt qu’une autre. J’avais mon libre arbitre. Dès que j’en avais fait usage, je devais donner l’entreprise à la société qui, sur cette base, offrait les prix les plus bas. D’après mes calculs, c’est la société Legrand et compagnie qui les offrait. Je ne pouvais pas faire autrement que de lui donner l’entreprise sans enfreindre les clauses du cahier des charges qui doit faire loi pour tous.
M. Verrue-Lafrancq. - Je demande la parole pour un fait personnel.
Messieurs, précisément parce que je suis intéressé dans l’entreprise des lits militaires, je comptais m’abstenir de prendre la parole dans cette discussion. D’ailleurs, je n’ai rien à ajouter aux explications données par M. le ministre de la guerre. Je me bornerai donc à repousser les inductions qu’un honorable membre tire contre moi de plusieurs faits que le pétitionnaire a avancés à ma charge et qui sont inexacts ; je dis qu’il est positivement faux que les trois compagnies qui avaient soumissionné en concurrence avec le sieur Destombes se fussent communiqué leurs projets de soumissions. Ce fut le 16, lorsque le sieur Destombes se flattait d’avoir obtenu l’entreprise sur la seconde base, que l’autre société avait fait la plus basse soumission sur la première base, et qu’elle se flattait également de l’obtenir, que les bases d’une société nouvelle à établir furent arrêtées, donc après l’ouverture des soumissions. Ce fut par suite de cette nouvelle société, formée depuis, que des membres des deux autres soumissions devinrent cautions de celle de MM. Legrand et compagnie.
Je dirai aussi que ce que le sieur Destombes a dit, que le prix des offres de confection de couchettes en fer me fut communiqué au ministère, est également inexact ; c’est une maison de Liége qui annonça elle-même à la compagnie qu’elle avait offert au ministère de faire les couchettes à un chiffre que je ne me rappelle pas et que M. Destombes porte à fr. 25 75 c. : toujours dirai-je que n’ayant pu tomber d’accord avec cette maison sur la qualité des fers à employer, nous avons traité avec d’autres fabricants, et que ces couchettes en prix principal et frais reviendront à la compagnie à environ trente francs comme l’a dit le ministre.
J’ai dit et je répète qu’aucune communication de soumissions n’a été faite avant leur ouverture le 15, et que les trois sociétés n’ont projeté de société qu’après leur ouverture, c’est-à-dire le 16, quand il n’y avait plus rien à changer aux soumissions ni à leur prix.
M. Liedts. - Messieurs, convaincu des bonnes intentions du ministre de la guerre si l’on n’entendait que quelques plaintes isolées contre son administration, je les attribuerais volontiers à de mauvaises passions, à des prétentions qu’on n’est pas parvenu à satisfaire ; mais lorsque je vois que les plaintes sont générales, qu’elles sortent de la bouche des personnes les moins hostiles et les plus désintéressées, je dois croire qu’il existe des abus réels, des vices radicaux dans cette administration, et qu’il faut faire disparaître. A la série de ceux que l’on a signalés je dois en indiquer d’autres. Toutefois, je ne désire rien tant que de voir le ministre répondre d’une manière victorieuse aux observations que je ferai.
On s’est beaucoup étendu sur les adjudications faites par l’administration de la guerre ; on vous a montré que les entrepreneurs ne satisfaisaient pas à leurs engagements ; que tantôt ils fournissaient autre chose que ce qu’ils devaient fournir, que tantôt ils manquaient d’une autre manière aux clauses de leur contrat. Mais il est une cause d’abus qu’on a omis de citer : c’est la facilité qu’on trouve dans l’administration de la guerre à accorder la remise des amendes encourues par les entrepreneurs qui n’exécutent pas fidèlement leurs engagements. Quand des amendes sont prononcées, ne croyez pas que jamais on en ait exigé le paiement des entrepreneurs ; ceux-ci savent qu’en s’adressant au ministère, ils parviendront à obtenir décharge complète de la pénalité.
Il est telle province, du moins, où il n’y a pas d’exemple qu’un entrepreneur ait subi la peine prononcée contre lui. Qu’arrive-t-il de là ? C’est que les uns s’inquiètent peu de faire des fournitures régulières, et que les autres négligent de s’enquérir si ce qui est livré à nos armées est capable de satisfaire aux besoins du service.
Pour remédier à un tel mal, un honorable membre a parlé de la création d’un conseil qui serait chargé de la révision des fournitures faites par les entrepreneurs, conseil qui serait composé, a-t-il dit, de militaires et de membres de la cour des comptes.
Je ne ferai pas ressentir l’absurdité qu’il y aurait à faire prendre part à l’administration aux membres de la cour des comptes, eux qui, le lendemain, seraient appelés à contrôler leurs propres opérations ; je ne parlerai que de l’impossibilité de constituer une pareille commission.
En effet, si une commission était instituée, le ministre aurait beau jeu : à chaque fois que l’on ferait entendre des plaintes il se retrancherait derrière elle. Si vous voulez parvenu aux moyens de réprimer les abus, ne supprimez pas la responsabilité ministérielle.
Je ne dirai pas pour faire cesser les abus, mais pour les diminuer, du moins, il faut joindre deux choses à la responsabilité ministérielle : la publicité des actes de l’administration et l’exécution des pénalités contre les infracteurs de leurs engagements. Mais en voilà assez sur les fournisseurs ; passons à d’autres abus.
C’est encore par un excès d’indulgence de la part du ministre de la guerre que l’on voit chez nous les officiers-généraux séparés des corps qu’ils commandent. Il est tel officier-général qui, depuis trois ans, reste à Bruxelles, quoique le corps sous ses ordres soit à Malines ou à Anvers ; il en est un autre qui reste aussi à Bruxelles, quoique son corps soit à Gand ou aux environs ; il en est un troisième qui est dans sa campagne près de Mons, quoique son corps soit dans les Flandres. On comprend combien il doit résulter d’inconvénients d’un tel état de choses.
Jusque dans la répartition entre nos cités des dépôts des régiments, on peut trouver des abus. En France, on tâche de rapprocher les dépôts des bataillons de guerre ; en Belgique, on dirait que l’on s’efforce à les éloigner les uns des autres le plus possible.
Par exemple, le premier de ligne est à Liège, et son dépôt est à Bruxelles ; il en est de même de beaucoup d’autres régiments. Quelle est la conséquence d’une semblable répartition ? C’est que lorsque des permissions sont accordées aux soldats, ceux-ci ont 20 ou 30 lieues à faire, avant et après l’expiration de leurs congés. Ce n’est pas tout : à chaque trimestre, il y a des envois d’habillements aux corps, et ces objets ont aussi 20 ou 30 lieues à faire pour arriver ; et vous comprenez quel surcroît de dépenses il en advient pour le pays. Si je suis bien informé, en rapprochant les bataillons de guerre des dépôts, il y aurait probablement économie de 20 à 30,000 fr. par an.
Si de l’administration nous passons à la hiérarchie militaire, là encore nous trouverons des abus. En France, comme chez nous, il y a des lieutenants-colonels ; mais en France, du moins, ces officiers ont des fonctions spéciales ; ils remplacent les colonels. Chez nous, le lieutenant-colonel est une espèce d’être amphibie : tantôt il commande un dépôt, tantôt il commande un bataillon de guerre, tantôt il fait partie d’un conseil de guerre, tantôt il commande un fort.
Il en est même un dont on a fait un prévôt. Ces anomalies excitent l’étranger qui connaît la guerre à rire à nos dépens ; mais indépendamment de l’espèce de déconsidération qui frappe notre organisation militaire, il en naît des conflits fâcheux pour le service. Qu’un colonel se fasse remplacer par un major, celui-ci investi momentanément de toute l’autorité du chef du corps, donne des ordres au dépôt ; mais si le dépôt est commandé par un lieutenant-colonel, ce dernier refuse d’obéir à un officier qui n’est pas de son rang et met aux arrêts le major, qui dans l’intérêt du service militaire veut que les ordres soient exécutés. Il serait temps que le ministre de la guerre mît fin aux suites d’un tel désordre.
Quoi qu’en ait dit le ministre, l’économie ne préside pas toujours à des frais de bureau. Nous avons dans notre armée un vaguemestre qui depuis trois ans est sans fonctions, et qui cependant reçoit 600 francs pour frais de bureau : c’est bien assez qu’il reçoit des appointements pour ne rien faire, sans lui payer des frais pour un bureau qui n’existe pas.
Je citerai encore le grand prévôt de l’armée, charge qui est une inutilité quand on n’est pas en guerre et qui, je crois, n’aurait pas même été créée si on avait pu employer autrement le lieutenant-colonel qui la le remplit.
En temps de paix, ce sont les auditeurs militaires qui font les fonctions de grand prévôt. Cependant, on accorde à celui-ci 1,800 francs pour frais de bureau ! Si on lui demandait de présenter ses registres de correspondance, on n’y trouverait pas inscrites dix lettres par an. Les frais que sa charge lui occasionne ne sont pas aussi considérables que ceux que doit faire un capitaine près d’un dépôt ; et pourtant l’on ne compte les frais de ce dernier qu’à raison de 36 francs par trimestre : on voit que l’on peut au moins retrancher ce chiffre de 1,800 fr.
Ce n’est pas seulement relativement aux frais de bureau qu’on peut introduire l’économie dans les dépenses. J’ai remarqué que M. le ministre de la guerre trouvait des moyens indirects d’augmenter les traitements des officiers-généraux.
Nous avons quatre inspecteurs-généraux ; c’est beaucoup plus qu’il ne nous en faut.
En France, il existe aussi des inspecteurs-généraux là, on les choisit parmi les hommes blanchis dans la carrière ; ils inspectent chacun 30 à 40,000 hommes ; en Belgique, on prend des généraux de brigade pour inspecter leurs propres brigades à la fin de chaque année ; est-il besoin de vous dire qu’ils déclarent que ces brigades sont en bon état ? on ne peut pas attendre d’eux d’autre attestation. Et pour cette promenade ils obtiennent 1,500 francs.
Ce n’est pas là le seul abus que l’on ait à remarquer dans ces inspections ; on en trouve à signaler dans la manière dont elles se font.
Si l’inspection avait lieu quand les troupes sont réunies, soit au camp, soit ailleurs, elle pourrait signifier quelque chose ; mais MM. les généraux attendent que les deux tiers des hommes des bataillons soient en congé, pour commencer leur travail ; ou bien, comme dans telle province que je pourrais désigner, au lieu de se transporter dans les endroits où les bataillons sont répartis pour le service, M. l’inspecteur fait venir ces bataillons près de lui, et en envoie d’autres les remplacer momentanément afin de ne pas se déranger dans son inspection. Ainsi, il faut, et fatiguer les hommes, et augmenter les dépenses, plutôt que de déranger un seul individu qui cependant reçoit 1,500 francs de frais de tournée.
Si l’économie ne préside pas toujours aux opérations qui s’exécutent sous la responsabilité du ministre de la guerre, je vois que c’est souvent par défaut de prévoyance. Que s’est-il passé, en effet, quand on a acheté de l’armée française les denrées qu’elle laissait dans la citadelle d’Anvers, après l’avoir prise ? Il y avait là 33,000 kil. de viande salée, 6,000 kil. de lard, du vinaigre… L’administration belge de la guerre, pour se défaire de ces denrées, a attendu jusqu’en 1835, c’est-à-dire quand tout a été gâté. Il est inutile de vous dire qu’il a fallu revendre à vil prix et faire des pertes considérables.
Messieurs, on a parlé plus d’une fois des officiers français et des autres officiers étrangers qui sont à notre service ; je ne suis pas du tout de l’avis de ceux qui pensent qu’on peut les renvoyer. Rappelez-vous comment ils sont entrés dans les rangs de notre armée ! Après la campagne du mois d’août, la nation s’est aperçue qu’elle ne pouvait conserver son indépendance qu’avec une armée bien disciplinée ; et alors elle a fait un appel aux officiers étrangers.
Cent dix-huit se sont présentés ; il en reste encore soixante-quinze dans notre armée. Ces officiers avaient pris service jusqu’à la paix ; or, à mon avis, il faut qu’il y ait réciprocité complète dans l’exécution du contrat ; et de même que l’officier ne pourrait pas se délier de ses engagements, et retourner dans son pays, malgré le ministre de la guerre, de même je ne comprends pas qu’on puisse le renvoyer s’il n’y consent pas. Je comprends bien qu’on le laisse se retirer, quand il le demande ; mais ce qui me passe, c’est qu’on croie pouvoir le supprimer, quand il y a engagement contracté avec l’assentiment de la législature.
Ce n’est donc pas la présence des officiers français dans notre armée que je trouverais à blâmer ; mais ce que je blâmerai c’est la manière favorable et partiale dont on les traite. Un colonel français est à notre service ; il y est depuis le commencement de notre révolution, je le sais ; il va en France, le roi Louis-Philippe lui donné le grade de général ; il revient, et notre ministre s’empresse de lui donner la solde de général : c’est là, selon moi, un grand abus.
Ce n’est pas seulement envers les officiers étrangers que les règles de l’économie sont mises en oubli ; je dois dire aussi deux mots à cet égard relativement à un officier-général belge. Celui-ci est mis en disponibilité ; il n’avait droit par conséquent qu’au traitement affecté à cette situation ; mais on le charge d’organiser la garde civique et dès cet instant il obtient le traitement d’activité.
Si c’est parce qu’il a organise la garde civique qu’on lui donne le traitement de pleine activité, pourquoi ne pas accorder le même traitement à tous les officiers généraux qui ont coopéré à cette organisation ? ou bien si ces derniers n’avaient pas droit à un tel traitement comment le premier a-t-il pu l’avoir ?
J’ai dit qu’on ne traitait pas toujours de la même manière les officiers étrangers et les officiers belges : en effet, quand un officier belge veut obtenir un congé, on ne le lui accorde qu’avec la demi-solde ; mais si c’est un officier étranger qui fait cette demande, on lui donne le congé avec solde entière.
Des réclamations ont été adressées au ministre sur cet objet ; qu’a-t-il fait alors ? Il a employé des moyens indirects pour conserver à l’officier étranger la solde entière. Par exemple, un officier va en France et on nous déclare qu’il a une mission diplomatique à y remplir, c’est-à-dire, qu’il y est aller porter une lettre ou un paquet au ministre du pays voisin, mission que la poste se serait chargée de remplir avec autant d’exactitude et avec moins de frais. Mais à défaut de motifs, on recourt aux prétextes pour traiter favorablement les étrangers.
Un orateur a dit hier, a répété aujourd’hui que l’on pouvait supprimer le corps du génie ; je ne reviendrai pas sur tout ce qui a été dit à ce sujet ; je crois qu’il serait impossible d’obtenir des autres armes les mêmes services que nous obtenons des corps du génie, et il me semble que notre territoire, couvert de places fortes, exige des officiers consacrés à cette spécialité. Je ne blâmerai donc pas le ministre de la guerre de ce qu’il conserve le corps du génie ; je le blâmerai plutôt de ce qu’il ne le consulte pas assez relativement aux choses qui sont dans ses attributions et je vais donner un exemple des inconvénients qui en résultent.
Après le siège de la citadelle d’Anvers, notre gouvernement acheta pour quarante-quatre milles francs de fascines. Elles sont transportées aux forts Sainte-Marie et Lacroix, par ordre du ministre de la guerre, et ce transport coûte six mille francs. Arrivées là, on s’aperçoit qu’il n’en fallait que douze mille cinq cents ; il en reste par conséquent sans emploi trente-cinq mille cinq cents ; si l’on avait consulté le génie, on n’aurait pas effectué le transport de toutes les fascines, car il aurait indiqué le nombre de celles qui étaient nécessaires pour les travaux à exécuter.
En ce qui concernent ces fascines, leur transport en totalité n’est pas la seule chose que l’on ait à critiquer. Au lieu de faire rentrer les 35,500 fascines restantes, on les laisse jusqu’en 1835 ; elles sont par conséquent détériorées et on n’a pu les vendre que deux à trois mille francs. Le gouvernement a perdu a peu près 30,000 francs ; perte que l’on aurait évitée si l’on eût consulté le corps du génie.
Je vais citer encore un exemple qui montre qu’on eût évité des pertes assez considérables en consultant ce corps.
Quand on a commencé le chemin de fer allant à Anvers, l’ingénieur civil sans prendre avis de l’ingénieur militaire trace le chemin sur le glacis et de façon à établir véritablement une tranchée pour l’ennemi et très près de la place ; en sorte que les fortifications devenaient presque inutiles ;le ministre est averti ; il vient ; on reconnaît la faute ; on détruit le travail ; ainsi perte de temps et perte parce que n’a pas consulté le génie.
Je bornerai là mes observations ; j’en présenterai probablement d’autres quand nous en serons aux articles et je terminerai en répétant ce que j’ai dit en commençant : c’est que je ne désire rien tant que de voir M. le ministre répondre complètement à toutes les attaques dont son administration est l’objet.
M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Il existe des marchés dans lesquels on stipule des pénalités pécuniaires ; c’est principalement dans ceux qui ont pour objet la construction des fortifications. La pénalité est prononcée dans le cas où l’entrepreneur qui s’est chargé d’exécuter des travaux, en cinq ou six mois par exemple, ne les a pas terminés au jour indiqué ; alors il est porté au contrat une amende par jour s’élevant à 50 ou 60 francs selon l’importance du travail.
Quand les entrepreneurs sont dans le cas de subir ces amendes, ils s’adressent à mon département. Je n’en connais aucun personnellement. Je renvoie leurs réclamations au directeur des travaux lui-même, qui les renvoie au chef du génie, lequel met son apostille. La demande me revient ensuite. Le directeur du génie me fait un rapport motivé et c’est après avoir pris connaissance de toutes ces pièces que je prononce sur la pénalité.
Je suis parfaitement d’accord avec l’honorable préopinant sur ce point, qu’un conseil de révision des marchés est chose inexécutable. Pour ma part, je désirerais beaucoup que ce fût possible. Mais cela n’entre pas dans le système du gouvernement représentatif. Il faut que les ministres soient personnellement responsables. Ce serait leur donner beau jeu que mettre leur responsabilité à l’abri d’un conseil de révision. D’ailleurs, la composition de ce conseil ne pourrait être effectuée sans donner lieu à de nouvelles récriminations de la part de ceux qui se prétendraient lésés dans leurs intérêts particuliers.
Il est vrai que quelques officiers-généraux résident à Bruxelles, mais il n’y a rien d’extraordinaire à cela ; ils font partie de trois commissions qui exigent leur temps, et presque toujours quatre jours par semaine : la commission des codes qui a enfin terminé son important travail ; les codes de procédures et d’instruction, le code pénal, pour le projet de loi relatif à la justice militaire, la commission chargée de déterminer le classement des officiers, qui est sur le point de terminer aussi son travail, et la commission de pensions de retraite.
Il y a en outre quelques commissions spéciales où je suis obligé d’employer des officiers-généraux.
Ces officiers résident à Bruxelles ; celui qui commande la division dont le quartier-général est à Malines, y va une ou deux fois par semaine.
Les lieutenants-colonels n’ont pas effectivement, dans ce pays- ci, des fonctions aussi bien déterminées qu’en France. Cela tient à ce que, par principe d’économie, on a décidé, lors de la réorganisation, que les lieutenants-colonels commanderaient un bataillon, et en l’absence du colonel, tout le régiment. Mais aucun lieutenant-colonel n’est à la tête d’un dépôt ; tous les dépôts d’infanterie sont, commandés par des majors pour éviter les conflits qui pourraient résulter du commandement confié à un lieutenant-colonel.
Je sens aussi bien que l’honorable préopinant la nécessité de réunir les corps de troupes à leur dépôt ; et, s’il veut bien y faire attention, il verra que c’est même ce que j’ai fait. J’ai réuni le dépôt des lanciers à Louvain avec son régiment, celui des cuirassiers à Gand ; j’ai réuni les 6 dépôts des régiments de cavalerie avec leurs régiments ; je l’ai fait aussitôt que la construction des nouvelles écuries m’en a donné la possibilité. Quant aux régiments d’infanterie, s’il n’en est pas ainsi, cela tient à ce que les divisions sont et doivent être par des motifs stratégiques dans des villes qui ne peuvent avoir tous les dépôts des régiments. Néanmoins autant que les motifs stratégiques ne s’y sont pas opposés, j’ai réuni les régiments d’infanterie à leurs dépôts, ou à proximité.
Le vaguemestre et le grand prévôt ne sont employés qu’aux camps ; mais comme il y a un camp chaque année, comme nous tenons l’armée sur le pied de rassemblement et de telle sorte qu’elle puisse se réunir, en cas d’événement extraordinaire, on n’a pas cru convenable de supprimer ces 2 officiers, le vaguemestre et le grand-prévôt.
Le traitement de 1,500 fr. accordés aux inspecteurs-généraux, l’est pour frais de représentation et afin que ces officiers généraux puissent donner des repas aux officiers des corps qu’ils inspectent. Je me suis assuré que tous ont rempli les obligations que je leur ai imposées à cet égard.
Les travaux des inspections générales sont fort longs : ce sont de nombreux états et relevés des inspections individuelles, des travaux indiquant les résultats généraux de l’administration. Cela exige un temps considérable ; je ne crois pas qu’il soit possible de faire ce travail dans les camps. Aussi dans tous les pays, ce sont les mois de septembre et octobre que l’on choisit pour le temps des inspections de corps.
L’armée française, à son départ d’Anvers, nous a laissé des denrées dont l’honorable préopinant a fait l’énumération et des fascines en grande quantité ; je ne les ai pas achetées ; je m’en serais bien gardé. Mais dans la liquidation que la France a établie entre les prestations de vivres et du transport que la Belgique lui avait faites et le paiement qu’elle a dû en effectuer, elle nous a précompté la valeur de ces différentes denrées.
Je les ai effectivement conservés jusqu’en octobre 1835 ; mais, après inspection faite, et sur le compte qui m’en fut rendu, voyant que ces salaisons ne pouvaient plus être utiles sous aucun rapport, j’en ai fait faire la vente comme hors de service.
Quant aux congés, le règlement est précis. Tout officier qui demande un congé de plus de 15 jours, n’a droit qu’à sa demi-solde. Mais quand il y a preuve certaine que sa santé est vivement altérée (cette preuve est établie par un certificat donné par le médecin du corps à l’officier, qui est en outre contre-visité par le médecin principal de la division, ou par le médecin en chef de l’hôpital près duquel il se trouve) alors le règlement m’autorise à donner des congés avec solde ; c’est ce que je fais très consciencieusement, parce qu’il y a beaucoup d’officiers, atteints des fièvres, dans les polders, et qui ne peuvent se rétablir que dans leurs foyers. Ils sont assez malheureux d’être malades ; il ne serait pas juste de ne leur accorder que la demi-solde.
Le règlement porte encore que tout officier qui veut aller en pays étranger ne peut obtenir que des congés sans solde ; j’ai appliqué cette disposition à plusieurs officiers qui voulaient aller en France et qui en ont paru mécontents, parce qu’ils se comparaient aux officiers français que nous avons maintenant dans nos rangs, et auxquels il a été accordé des congés avec demi-solde pour aller en France. Mais tel officier de la Bretagne ou du Languedoc qui demande un congé pour affaires pressées à régler dans son pays, m’a paru être dans un cas spécial ; je n’ai pas cru pouvoir le considérer comme allant en pays étranger.
Il est vrai que deux officiers ont été chargés de dépêches pour le gouvernement français ; c’était en 1832 ou 1833 ; mais ils étaient chargés en outre de traiter diverses affaires ; car s’il ne se fût agi que de dépêches à remettre, je me serais assurément servi de la voie de la poste.
Quant aux fascines, c’est d’après la proposition du chef du génie que j’ai ordonné leur transport aux forts de Ste-Marie et de Lacroix, parce que je croyais qu’elles seraient utiles dans ces forts et que les ingénieurs des ponts et chaussées s’en serviraient avec avantage pour les digues. Par différents motifs, ils n’ont pas cru devoir les employer.
Quant aux travaux du chemin de fer, près d’Anvers, j’avoue que j’ai également été fâché que les ingénieurs civils se soient mis, sans autorisation aucune, à faire travailler à un tracé des route parallèles à la ligne magistrale de la place, et formant une véritable tranchée. Dès que l’ingénieur militaire de la place m’en a informé, j’en ai écrit à M. le ministre de l’intérieur, en le priant fortement de faire suspendre les travaux.
M. le ministre de l’intérieur me proposa de former une commission composée de ses ingénieurs et d’ingénieurs, messieurs, que j’indiquerai ; et sur le rapport de cette commission, on se mit d’accord sur les travaux déjà faits qui pourraient présenter des inconvénients, et sur les dispositions à prendre pour les éviter.
M. de Puydt, rapporteur. - Je demande la parole.
- Un grand nombre de membres. - A demain ! à demain !
- La séance est levée à 4 heures trois quart.