(Moniteur belge n°321, du 17 novembre 1835)
(Présidence de M. Raikem.)
M. Verdussen procède à l’appel nominal.
M. de Renesse donne lecture du procès-verbal de la séance précédente. La rédaction en est adoptée.
M. Verdussen donne connaissance des pièces adressées à la chambre.
« Le sieur H. J. Verrassel, rentier sur la ville et chaussées de Nivelles, réclame de nouveau le paiement des intérêts arriérés de ses rentes. »
« Le sieur Sigismond Benda, né à Furth (Bavière), négociant à Bruxelles, habitant la Belgique depuis 1819, demande la naturalisation. »
« Le sieur Jos Begasse, né à Schleyden, ancien département français réuni à la Prusse en 1814, actuellement domicilié à Liége, demande la grande naturalisation. »
« Le sieur Jean Mercken, ouvrier, domicilié à Tongres, demande la révocation de la décision de M. le ministre de l’intérieur, qui appelle sous les drapeaux le nommé Pasques, qu’il a remplacé pendant deux ans. »
« L’administration communale de Corthys (Limbourg) demande qu’il soit alloué un crédit spécial au budget de la guerre pour indemniser cette commune d’une fourniture de 928 rations de fourrages, faite par elle, pendant le troisième trimestre de 1831, aux troupes de l’armée française, et que l’armée française a admise en liquidation. »
Il est fait hommage à la chambre d’un ouvrage intitulé : « Code ou bibliothèque complète de l’officier de l’état-civil de la Belgique, par M. T.-J. Vervloet, procureur du Roi à Malines.
- Les articles 1, 2, 3, 4, 5, 6 et 7, mis en délibération sont de nouveau adoptés sans opposition.
M. Verdussen. - Je crois que le premier paragraphe de l’article 8 a besoin d’une légère modification dans sa rédaction pour présenter un sens clair/
Il a été dans l’idée de la chambre, et il est dans l’esprit de la loi, que les lettres venant de l’étranger paient comme les autres pour le parcours à l’intérieur et qu’elles paient un droit supplémentaire pour le parcours en mer ; or, c’est ce qui sera dit explicitement et sans équivoque si le paragraphe est ainsi rédigé :
« La taxe des lettres de et pour les pays d’outre-mer, transportées par d’autres voies que celles réglées par les conventions postales, sera formé de celle due pour le parcours intérieur, et d’une taxe progressive, en raison du poids, de cinq décimes par lettre simple pour le parcours en mer. »
- Cette modification, qui n’a pour but qu’une transposition de mots, est adoptée.
- Les articles 9 et 10 sont adoptés sans discussion.
M. Liedts, rapporteur. - Quelques libraires m’ont demandé quel serait le mode d’exécution de l’article 10 ; on m’a fait remarquer que la progression va de 12 à 30 centimètres dans le tarif qu’il établit, et l’on m’a fait remarquer en outre que 12 n’est pas une fraction de 30. Dans la librairie cependant les livres in-8° présentent une fraction de trente centimètres. Ils voudraient savoir si une feuille de 30 centimètres, pliée en in-octavo, paiera comme in-octavo, ou paiera selon sa dimension intégrale ; si par exemple, une feuille de 30 centimètres étant pliée en deux, chaque moitié paiera 15 centimètres, c’est-à-dire si chaque moitié paiera autant que la feuille entière : ce qui aurait lieu, si l’on avait droit de demander la fraction au-dessus de 12. Des explications sont nécessaires à cet égard.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Je confesserai d’abord que la division par 12 centimètres paraît n’être pas d’accord avec le système décimal, que l’on suit pourtant autant que possible ; mais on n’a pris cette dimension que parce que plusieurs journaux auraient profité de la taxe si on avait admis une dimension supérieure : cependant il est juste que tous les journaux paient un droit proportionné qui d’ailleurs n’est pas considérable.
Relativement aux feuilles des ouvrages, il est clair qu’on ne mesurera pas les dimensions telles qu’elles se présentent en ouvrant un livre, mais comme elles se présentent dans leur réunion en feuilles entières, et telles qu’elles ont été tirées l’imprimerie. C’est ainsi qu’il faut entendre la loi ; c’est même assez explicite dans son texte. On calculera les feuilles étendues et développées, et non pas les feuilles pliées.
M. Gendebien. - Ainsi on ne calculera pas 2 fois 15.
M. Verdussen. - Je veux aussi présenter une observation sur le pénultième paragraphe de l’article 10.
D’après les opinions qui ont été développées en discutant cet article, et notamment d’après celle de M. Gendebien, la moitié du produit des journaux doit être partagée entre les employés qui travaillent au départ et à la réception de ces journaux et les employés à gros traitements ne peuvent avoir aucune part dans ce partage. Pour que ce but soit atteint, il me semble qu’il faudrait supprimer les mots « des bureaux » dans le paragraphe dont il s’agit, et le rédiger ainsi : « La moitié du produit de la taxe sur les journaux, déterminée par cet article, sera perçue par le trésor ; l’autre moitié sera repartie entre les employés chargés de l’expédition et de la réception. »
De cette manière le paragraphe sera plus restrictif, et sous aucun prétexte les employés des bureaux ne recevront rien quand ils ne participeront pas au travail.
M. Legrelle. - C’est un simple changement de rédaction que demande M. Verdussen ; il ne propose pas un amendement ; il veut uniquement que la pensée de la chambre soit exprimée plus clairement.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Je ne m’oppose pas à la proposition faite par M. Verdussen.
- La suppression des mots « des bureaux, » mise aux voix, est adoptée.
- Les articles 10 et 11 sont adoptés.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Le paragraphe dont il s’agit a été admis définitivement, c’est par erreur qu’on le compte au nombre des amendements ; ainsi aux termes du règlement on ne peut plus le mettre en délibération ; toutefois je ne m’oppose pas à la modification proposée.
Puisque j’ai la parole, j’ajouterai que, relativement aux livres, le gouvernement aurait désiré faciliter encore plus leur transport ; mais il a pensé qu’il ne pouvait réviser ce point que lorsqu’il sera question de modifier généralement la loi sur les postes.
En effet, Si on apportait maintenant des modifications à cet égard, il faudrait faire des changements dans l’administration des transports, et donner deux chevaux quelquefois là où on n’en emploie qu’un, car les livres sont pesants.
M. Legrelle. - Mais ce que propose M. le ministre est un véritable amendement, et l’article n’est pas susceptible d’être amendé. Nous devons nous conformer au règlement. Les journaux étrangers sont d’ailleurs assez favorisés, il ne faut pas augmenter cette faveur au détriment des nôtres.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - A l’article 12, j’avais indiqué une adjonction comme étant nécessaire ; on a fait des objections, et je n’ai pas cru devoir insister ; mais depuis, ayant examiné cet objet de plus près, je me suis convaincu que l’adjonction était indispensable. Elle consisterait à rédiger ainsi l’article 12 :
« Le port des journaux, ouvrages périodiques, livres, papiers de musique, prospectus, annonces et imprimés de toute nature, venant non affranchis de l’étranger, est fixé à un décime par feuille, quelle qu’en soit la dimension et quelle que soit la distance parcourue dans le royaume. »
Je ne veux qu’ajouter les mots « non affranchis,» et voici pour quel motif :
Il est déterminé dans cet article que chaque exemplaire sera taxé à un décime par feuille ; mais s’il existe une convention avec un pays voisin, comme Paris, par exemple, pour le transport des journaux à Bruxelles, et que l’affranchissement total soit admis moyennant 8 centimes, il faut que la poste belge se contente d’une partie de cette taxe ; cependant si l’article restait tel qu’il est, cela deviendrait impossible, puisque la poste belge devrait toujours percevoir pour elle seule un décime, attendu que la cour des comptes exigerait que l’on justifiât le paiement de ce décime par feuille.
C’est donc suivant les conventions postales que la taxe doit être perçue lorsqu’il y a affranchissement, et non d’après une règle invariable.
M. Liedts, rapporteur. - La proposition que fait le ministre est toute en faveur de la presse ; si on l’a combattue dans la première séance, c’est par erreur et alors je ne vois pas pourquoi on se ferait un scrupule de l’adopter maintenant en reconnaissant qu’on s’est trompé. Les journaux étrangers sont déjà frappés d’un droit élevé, et ce n’est pas pour quelques centimes en moins à recevoir que nous devons repousser l’amendement.
Les conventions postales ne peuvent grever les journaux d’un droit plus élevé que celui qui est porté dans la loi ; mais comme elles peuvent être plus favorables aux journaux que la loi même, j’appuie la proposition du ministre pour qu’il en soit ainsi toutes les fois que nos relations avec les pays voisins le permettront.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - La proposition que je fais est un amendement d’une nature à peu près semblable à l’amendement qu’a présenté tout à l’heure l’honorable M. Verdussen ; il est explicatif.
Je ferai observer à M. Legrelle que cet amendement n’est pas exclusivement en faveur des journaux étrangers, qu’il est aussi en faveur des nôtres. Par réciprocité nos journaux pourront être transportés à l’étranger à moins de frais. Si l’article n’était pas modifié, il aggraverait la position actuelle de plusieurs journaux ; car il en est qui, sous l’empire de la nouvelle loi, seraient obligés de payer plus qu’ils ne paient maintenant. Il en est en effet, qui, de Paris à Bruxelles, ne paient que huit centimes de droit, qui est partagé entre l’administration des postes belges et l’administration des postes françaises.
M. Legrelle. - Le respect que nous devons au règlement nous interdit d’adopter l’amendement. Il est une modification à l’article, et un tel antécédent pourrait être très dangereux. Après avoir adopté un article de loi dans une délibération, il autoriserait à vous en venir demander le lendemain le changement. Il n’y a pas ici nécessité suffisante pour ne pas suivre rigoureusement le règlement ; d’ailleurs, si des changements sont nécessaires, le sénat les fera.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Alors la loi nous reviendrait.
M. Dumortier. - Je ne partage pas les craintes de l’honorable préopinant.
Je reconnais avec lui que la proposition est réellement un amendement et que l’article a été adopté dans la séance précédente sans modification ; mais je dois dire qu’il y a eu erreur dans la discussion. J’ai combattu l’amendement du ministre dans la dernière séance, et j’avoue que je me suis trompé. Comme j’ai peut-être déterminé l’assemblée à repousser l’amendement, je dois aujourd’hui déclarer mon erreur.
L’amendement ministériel ne s’applique pas seulement aux journaux ; il s’applique encore à tous les ouvrages scientifiques qui viennent par livraisons de l’étranger. Qu’un ouvrage scientifique paraisse par livraisons en France, par exemple, il faut qui l’acquéreur belge puise profiter de l’affranchissement, tandis que si l’on n’adopte pas l’amendement, il faudra que l’acquéreur paie toujours un décime.
- Les mots « non affranchis, » mis aux voix, sont adoptés ; et l’article 12, ainsi amendé, est également adopté.
M. Desmanet de Biesme. - Vous avez repoussé dans la séance d’hier l’amendement que j’avais proposé à l’article 13 pour empêcher les vexations qui pourraient résulter dans le service de la poste rurale. Je vais aujourd’hui proposer une disposition qui, je crois, ne rencontrera pas d’obstacle à son admission.
Cette disposition a été introduite dans la loi française de juin 1829. Alors le ministre français, comme aujourd’hui notre ministre, prétendait qu’elle était inutile. Toutefois la chambre l’a adoptée.
Voici cet article : « Les dispositions pénales relatives au transport de livres en contravention ne sont pas applicables à ceux qui font prendre et porter leurs lettres dans les bureaux de poste circonvoisins de leur résidence. »
Il résulte de là que, malgré la loi, chacun reste maître d’envoyer chercher sa correspondance dans le bureau le plus voisin.
Vous vous étonnerez peut-être de me voir mettre tant de persistance dans ma proposition, quoique le ministre ait déclaré qu’on ne ferait pas exécuter rigoureusement les lois sur les postes. Je ne mets pas en doute les bonnes intentions du ministre ; mais je crois que dans un pays constitutionnel il faut que les citoyens soient régis par la loi et n’aient aucune obligation aux personnes qui sont au pouvoir.
D’après ces considérations, je présente l’amendement dont je viens de vous donner lecture. Il fait l’article 3 de la loi de juin 1829.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Il me semble, messieurs, que nous ne pouvons nous dispenser d’adopter la question préalable sur l’amendement de M. Desmanet de Biesme ; car cet amendement est en quelque sorte plus large que le sous-amendement qu’il avait fait à sa propre proposition dans la dernière séance.
Dans ce sous-amendement, il ne parlait que des lieux où un service journalier n’était pas établi ; mais l’amendement qu’il propose maintenant serait applicable même là où un service régulier et journalier serait organisé ; il va donc plus loin sous ce rapport. Je pense que la chambre ne peut pas revenir sur ce qu’elle a fait et doit repousser par la question préalable l’amendement présenté.
Admettre cet amendement ce serait admettre dans la loi la ruine de la poste rurale. Car si une personne peut envoyer prendre ses lettres à la poste, 20 personnes peuvent se réunir pour envoyer chercher leurs lettres à la poste et exclure ainsi le service de la poste rurale.
Puisqu’on veut maintenir le monopole de la poste, je ne crois pas qu’on puisse se refuser à l’appliquer dans son extension à un service qui doit être si utile au pays.
M. Gendebien. - Il est possible que je n’aie pas bien compris l’amendement de l’honorable M. Desmanet de Biesme. Mais il me semble que c’est M. le ministre qui ne l’a pas bien compris.
L’amendement de M. Desmanet de Biesme tend à autoriser à transporter les lettres au bureau de poste le plus voisin et à aller les chercher à ce bureau. Mais d’abord, pour expédier les lettres, il n’y a pas d’autre moyen que de les porter au bureau de poste ; ainsi sous ce rapport l’amendement est inutile. Il autorise à aller prendre les lettres au bureau de poste voisin ; mais en cela il est encore inutile, car le port de la lettre est payé, quand on va la prendre au bureau. Ensuite, il n’y a pas de fraude à craindre ; car le timbre de la poste prouve qu’il n’y a pas fraude.
Si donc j’ai bien compris l’amendement, que la chambre l’adopte ou le rejette, cela est fort indifférent.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Je n’ai pas compris l’amendement comme cela.
M. Desmanet de Biesme. - Si le ministre défendait son opinion sans élever une fin de non-recevoir contre ma proposition il ne nous resterait qu’à persister l’un et l’autre dans notre opinion. Mais je suis étonné de l’entendre m’opposer une fin de non-recevoir, quand lui-même vient de faire adopter par la chambre un amendement qu’elle avait rejeté au premier vote, et cela à l’instant même et sur l’article précédent.
J’ai présenté mon amendement sur un article qui est un amendement de M. Verdussen ; je suis donc en droit de présenter cet amendement.
On vient dire que mon amendement renverse le système ; je ne conçois pas que cette disposition renverse le système ici, quand elle ne l’a pas renversé en France.
L’honorable M. Gendebien croit qu’il y aura partout des bureaux de poste. Il y aura dans chaque village une boîte, et il faudra attendre deux jours avant que le messager vienne chercher les lettres. Pour les jours où le service ne sera pas régulier il me semble nécessaire que chacun puisse envoyer chercher les lettres à la poste.
Pour moi, je désire la poste rurale ; si elle assurait la distribution journalière des lettres, je n’aurais aucune objection à faire. Mais si vous n’établissez qu’un service irrégulier accompagné de dispositions vexatoires, je ne puis donner mon assentiment au projet de loi qui nous occupe.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Je me permettrai de faire remarquer à l’honorable M. Desmanet et à la chambre qu’il y a de la différence entre un amendement introduit dans un article adopté et un amendement rejeté. Dans ce dernier cas, il y a chose jugée ; la disposition a été soumise à la chambre, qui l’a rejetée, tandis que mon amendement n’était qu’une addition explicative à un article.
Maintenant, si on comprend l’amendement comme l’a compris M. Gendebien, je n’ai pas d’opposition à y faire. Mais je ne pense pas que M. Desmanet de Biesme l’entende ainsi. Je suppose qu’il entend, par exemple, qu’on peut d’un endroit quelconque de sa province envoyer à Namur même chercher les lettres.
M. Desmanet de Biesme. - Aux bureaux circonvoisins.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - C’est-à-dire, qu’on pourra envoyer chercher les lettres non pas seulement au bureau de distribution, mais au bureau principal, de telle sorte que la poste perdra le décime qui se paie pour le transport de la direction au bureau de distribution. Si l’amendement tend seulement à ce qu’on puisse aller chercher les lettres au bureau de distribution, je n’ai pas d’objection à faire. Au reste, un tel amendement ne changera-il rien à la loi existante.
M. de Jaegher. - J’ai demandé la parole pour donner quelques explications sur l’amendement de M. Desmanet de Biesme. Je ne l’entends pas comme M. Gendebien. Je crois que son erreur vient de la fausse idée qu’il se fait de l’exécution de cette partie de la loi.
Il y aura dans toute commune une boîte aux lettres. La différence entre les communes ayant un service journalier et les autres sera que dans celles-ci, la poste ne sera vidée que quand le messager viendra pour distribuer les lettres, et en même temps chercher les lettres déposées dans la boîte et les porter au bureau principal.
Je regrette que l’amendement de l’honorable M. Gendebien ait été écarté. Je pense que quelques communes seront, pour le transport de leurs transports, moins favorisées, par suite de la loi, qu’elles ne le sont maintenant.
Effectivement, aujourd’hui, des messagers sont envoyés 2 ou 3 fois par semaine, suivant les besoins du service. Désormais ces communes jouiront du même avantage ; la seule différence qu’il y aura, c’est qu’elles perdront l’avantage de pouvoir envoyer leur messager une fois de plus par semaine, si le service l’exige.
Je crois que ce serait très sévère de déclarer applicables les dispositions pénales que l’amendement de M. Desmanet de Biesme tend à rendre inapplicables.
M. Verdussen. - Mon intention est également d’expliquer l’amendement de l’honorable M. Desmanet de Biesme, tel que je le comprends, et de faire ressortie l’erreur dans laquelle l’honorable M. Gendebien est tombé.
Il est certain que l’amendement tend à détourner du trésor au profit des particuliers la taxe d’un décime établie par le deuxième paragraphe de l’article 13.
Voici le cas : je suppose par exemple qu’il y ait un bureau à Schaerbeck, mais qu’un piéton dans une localité voisine aille chercher les lettres à ce bureau et les porte à domicile ; évidemment il privera le trésor du décime qu’il percevrait pour le transport des lettres, du bureau au domicile des personnes.
Ainsi vous le voyez, l’amendement ne tend pas à expliquer le sens d’un article, mais à bouleverser un article adopté par la chambre. C’est un changement fondamental, et qui détruirait l’action de la loi, telle que la chambre l’a adoptée en premier lieu. Je pense donc qu’il faut adopter sur l’amendement la question préalable.
M. Demonceau. - Je regrette, ainsi que plusieurs préopinants, que l’amendement de l’honorable M. Desmanet de Biesme n’ait pas été adopté par la chambre.
Voici pourquoi : c’est que d’après plusieurs décrets, notamment une loi de 1790, des décrets de ventôse et de fructidor an VI, un décret de l’an IX et un décret de l’an XII, il est aussi clair que le jour que chaque fois que la question sera soumise aux tribunaux, tout porteur de lettres ou de journaux sera condamné à une amende dont le minimum est 150 fr. et le maximum 300 fr.
Je puis, en cela, invoquer ma propre expérience. Comme président du tribunal de Verviers, j’ai concouru à l’application du décret de l’an VI ; on en a soutenu l’illégalité, nous avons cru à sa légalité, nous l’avons appliqué, et pour que vous le sachiez, c’était à une messagerie qui transportait les journaux ; le jugement a été confirmé en appel, et je crois même en cassation. Nous l’avons appliqué aussi à un pauvre messager sur qui on avait trouvé une lettre et cette autre application du décret de l’an VI a également été confirmée.
M. le ministre dit qu’il ne fera pas exécuter la loi ; mais, mandataires de la nation, magistrats, il me semble que notre devoir est d’exécuter et de faire exécuter les lois ; si elles ne sont pas bonnes, nous devrons les changer.
Dans tous les cas une contravention peut être constatée par un simple gendarme, par un simple employé des postes, et lorsque les tribunaux en seront saisis, esclaves de la loi, ils l’appliqueront. Le pouvoir modérateur pourra ensuite accorder remise de l’amende.
Il vaudrait beaucoup mieux que la chambre changeât la loi ; elle est d’ailleurs sans sanction ; car quand on a condamné un pauvre messager à l’amende, la condamnation ne peut être exécutée que par la contrainte par corps.
- M. Raikem quitte momentanément le fauteuil où il est remplacé par M. Fallon, premier vice-président.
M. Raikem. - On oppose à la proposition de l’honorable M. Desmanet de Biesme la question préalable en ce que, dit-on, elle a été rejetée par la chambre au premier vote. Mais remarquez, messieurs, qu’il y a une certaine différence entre la proposition qui nous a été faite en premier lieu, et celle qui vous est maintenant soumise.
Celle-là s’appliquait généralement à tous ceux qui porteraient des lettres dans les endroits où la poste rurale serait établie, au lieu que l’amendement actuel se rapporte à ceux auxquels les lettres seraient adressées, et qui les feraient porter au prendre au bureau de la poste.
Remarquez que dans le projet en discussion, on a pris pour type les articles premier et 2 de la loi française de 1829. Ces articles avaient été proposés par le gouvernement. La chambre des députés de France a ajouté à ces articles celui qui forme l’article 3 de la loi, et qui est reproduit dans l’amendement de M. Desmanet de Biesme.
Le droit que consacre cette disposition de porter ou de faire porter des lettres aux bureaux de poste circonvoisins, est un droit qu’a chaque particulier ; il s’agit de savoir si on veut restreindre ce droit. Quant à moi, je ne pense pas que cela puisse être. Les arguments que d’honorables préopinants ont fait valoir en faveur de l’amendement sont encore présents à votre mémoire, j’en suis persuadé. Du reste, il n’y a pas lieu d’adopter la question préalable, puisque l’amendement diffère, quant à la forme et quant au fond, de celui rejeté au premier vote.
L’amendement, dit-on, est inutile ; on fit la même observation lorsqu’il fut présenté à la chambre des députés de France ; toutefois l’amendement fut renvoyé à la commission qui, après mûr examen, proposa une autre rédaction qui est celle qu’a reproduite M. Desmanet de Biesme.
On disait que l’amendement résultait des explications données dans l’exposé des motifs du projet de loi ; de là le ministre français tirait la conséquence que l’amendement était inutile. Que répondit-on ? Qu’il fallait par une disposition de loi rassurer les citoyens contre les vexations ; et la disposition fut adoptée par la chambre des députés et par la chambre des pairs, et elle a été convertie en loi.
Que faisons-nous ? à l’instar de la France nous établissons la poste rurale. Sans doute nous ne voulons pas plus de vexations qu’en France. La disposition proposée par M. Desmanet a pour but d’en mettre les citoyens à l’abri.
Quel reproche en effet pourrait-on faire à une autorité subalterne qui suivrait le texte de la loi, sans entrer dans son esprit, qui, en dressant des procès-verbaux pour contravention, exécuterait trop littéralement la loi ? Quand même les tribunaux jugeraient dans un autre sens, il en serait toujours résulté des poursuites fâcheuses pour ceux qui en seraient l’objet ; elles pourraient entraîner la ruine d’hommes peu fortunés. L’amendement tend à empêcher ces inconvénients.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Quant à la question préalable, je n’ai fait que l’indiquer ; il me paraît que c’est ici ou jamais le cas de l’adopter ; mais je n’insiste pas et je ne présente même aucun argument pour la faire passer. La chambre en décidera.
Comme je ne veux pas plus que l’honorable préopinant effrayer les citoyens, je ne m’opposerais pas à une disposition à peu prés semblable à celle proposée par M. Desmanet de Biesme. Si son amendement portait « au bureau de poste le plus voisin » au lieu de « aux bureaux de poste circonvoisins, » je serais tout disposé à l’admettre.
Voici pourquoi je demande ce changement, c’est afin d’éviter qu’au lieu d’aller simplement chercher les lettres au bureau de distribution, on aille les prendre à un bureau de direction, et qu’ainsi le décime supplémentaire alloué pour l’établissement de la poste rurale, et qui doit être perçu pour le transport du bureau de la direction à celui de la distribution, se trouve enlever à l’administration.
Vous voyez que mon intention est à bien peu de chose près la même que celles des honorables préopinants, puisque je ne m’opposerais pas à l’amendement, rédigé dans le sens de l’observation que je viens de faire.
M. Raikem. - Je veux donner une simple explication sur le mot « circonvoisins » qui se trouve dans la loi française. Il n’a pas été inséré dans la loi sans mûre réflexion ; en effet la première rédaction portait le mot « voisins. » C’est sur les observations faites à la chambre des députés de France qu’on a préféré le mot « circonvoisins » comme plus propre à rendre l’idée énoncée dans l’amendement.
Je ne crois pas que la chambre doive adopter une autre expression que celle adoptée dans un pays voisin après un mûr examen.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Je désirerais savoir quelle portée on donne au mot « circonvoisin » et ce qui détermine à le préférer au mot « voisin ; » car il ne suffit pas qu’une expression ait été admise en France pour que nous devions de suite lui donner la préférence. Du reste si la portée du mot « circonvoisin » n’est pas autre que celle des mots « le plus voisin, » je ne vois pas d’inconvénient à l’adopter.
M. Verdussen. - Il ne faut pas se faire illusion, l’amendement change et bouleverse complètement l’article.
Quelle est sa portée ? qu’un seul individu pourra aller chercher à la poste les lettres de 20 personnes et les porter à leur adresse ; et qu’ainsi ces personnes ne paieront pas à l’Etat le décime qui lui est dû ; ce décime sera perdu pour le fisc.
Lorsque j’ai eu l’honneur de présenter un léger changement de rédaction, qui était dans l’esprit de la loi, on m’a fait remarquer que ce serait une violation du règlement. Cette fois la violation du règlement serait manifeste. Je m’oppose à ce que le règlement soit ainsi violé, car s’il en était ainsi, il n’y aurait plus de loi pour la chambre.
M. de Jaegher. - Je ferai une seule observation à l’honorable M. Verdussen ; il perd de vue qu’il ne s’agit que des communes où il n’y aura pas de service journalier. Que serait donc la spéculation dont il a parlé ? elle aboutirait au transport de 2 ou 3 lettres ; si la spéculation en valait la peine, le ministre aurai tort de ne pas établir un service journalier, et si le service est journalier, la commune sort de la catégorie de celle dont il est question dans l’article.
Je crois qu’il n’y a pas de difficulté à adopter le mot « circonvoisins ; » car cette expression tend à éviter toute sorte de chicanes et de vexations.
M. Dumortier. - Je ne puis partager ni l’opinion de l’honorable M. Verdussen, ni sa tendre sollicitude pour le fisc.
J’ai déclaré que j’étais opposé à la loi sur la poste rurale ; non pas que je ne veuille pas de poste rurale, mais parce que je ne veux pas de vexations, et j’ai toujours regardé la loi actuelle comme le germe des plus cruelles vexations.
Je pense donc que vous devez adopter tout ce qui tend à améliorer le système de la loi. Si vous voulez la poste rurale, établissez-la, mais faites les choses grandement ; dites : « Nous voulons sacrifier un demi-million dans ce but. » Quand vous sacrifiez 40 ou 60 millions pour l’armée, vous pouvez bien sacrifier un demi-million pour les habitants des campagnes.
Mais, mon Dieu, ne prenez pas de mesures qui ramèneront les vexations que nous avons vu disparaître avec tant de plaisir. Messieurs j’ai été témoin des vexations occasionnées par le système suivi en France. J’ai vu un de mes amis condamné à une amende de 300 francs pour avoir porté une seule lettre. En France on pousse la rigueur jusqu’à ne pas permettre aux diligences de transporter une seule lettre ou un journal. M. le ministre a beau dire qu’il n’exécutera pas la loi. Il est forcé de l’exécuter. S’il ne l’exécute pas, comme on l’a fort bien fait observer, il viole la constitution.
Si vous voulez la poste rurale sans vexations, c’est à vous de faite un sacrifice de quelques milliers de francs. Mais ne renouvelez pas un système de vexations qui ne peut que faire détester notre révolution.
Je ne vois pas en quoi les craintes qu’on semble éprouver, si l’amendement est adopté, sont réellement fondées. Quand un particulier fera transporter une lettre par un exprès, elle lui coûtera 10 fois plus que s’il la confiait à la poste rurale. C’est une preuve qu’il en a manifestement besoin.
Comment ! vous voulez que les lettres ne puissent circuler qu’au moyen de la poste rurale, et cependant vous reconnaissez qu’il y aura des communes où les lettres ne seront distribuées ou transportées que deux fois par semaine ! Que voulez vous qu’on fasse d’un journal qui n’arriverait que deux fois par semaine ? Ou bien je suppose qu’un citoyen ait un billet à échéance à recevoir. Il a 24 heures pour faire son protêt. La lettre de change lui arrivera deux jours après le terme fixé par la loi. Jugez des inconvénients qui en résulteraient pour le commerce et l’industrie. Je ne finirais pas si je citais toutes les circonstances où un retard de deux jours peut entraîner les conséquences les plus fâcheuses.
Interdire aux particuliers la faculté de se procurer leurs lettres tous les jours, est réellement vexatoire et ridicule. Voilà cependant où vous en viendrez avec le système que l’on propose. Adoptons la poste rurale, je le veux bien ; mais n’ayons pas peur de sacrifier 300,000 francs pour éviter des mesures vexatoires. Quant à moi, je les repousse de tous mes moyens et je m’oppose fortement à ce qu’on y donne accès dans la loi soumise à votre second vote.
M. Raikem. - Je n’aurais pas pris la parole une troisième fois si M. le ministre des finances n’avait exprimé le désir de connaître les motifs qui ont fait introduire dans la loi française le mot « circonvoisins. »
Je crois ne pouvoir satisfaire à sa demande qu’en donnant lecture de la discussion qui a en lieu à la chambre des députés de France sur ce point,
(Ici l’orateur donne lecture de l’extrait suivant du compte-rendu d’une des séances de la chambre des députés de France :)
« M. Sapey. (c’était le rapporteur de la loi) - Après m’être concerté avec mes collègues qui composent la commission, pour concilier les intérêts de ceux qui feront prendre et porter leurs lettres au bureau, je vais vous faire connaître la disposition qu’elle vous propose :
« Les dispositions pénales relatives au transport des lettres en contravention ne seront pas applicables à ceux qui feront prendre et porter leurs lettres dans les bureaux de poste voisins de leur résidence.
« M. le ministre des finances. - Je ne crois pas que l’on puisse admettre dans toutes ses expressions l’amendement qui vous est présenté. A quels bureaux s’appliqueront les mots : « les plus voisins ? » On connaît bien celui le plus voisin, mais...
« M. le président - Je ferai remarquer à M. le ministre des finances que l’amendement ne porte pas ces mots : « les plus voisins ; » Il y a : « dans les bureaux de poste voisins. »
« M. le ministre des finances : Eh bien ! je dis qu’il n’y a qu’un bureau qui soit voisin. Mon observation a pour objet de prévenir l’arbitraire dans l’intérêt de tous ; car je ne veux d’arbitraire ni contre les citoyens ni contre l’administration. Si vous dites : « les bureaux de poste voisins, » on prétendra qu’un bureau est voisin parce qu’il est à une, deux, trois lieues de résidence ; ces mots sont trop vagues, et il est impossible, si la rédaction proposée est admise de ne pas dire : « le bureau le plus voisin. »
« M. Dupin, aîné. - La proximité dépend de la direction.
« M. Demarçay. - Je vais proposer la substitution d’un seul mot qui, je crois, présentera une idée bien déterminée ; au lieu de « bureaux voisins, » il faut dire : « bureaux circonvoisins. » L’observation de M. le ministre est fondée. Sous prétexte qu’un bureau est voisin, on pourrait passer un bureau intermédiaire. On pourrait même franchir deux, trois bureaux. Le mot « circonvoisins » exprime nettement les bureaux entre lesquels il n’y a pas de bureaux intermédiaires. (Appuyé.)
« - Le sous-amendement proposée par M. Demarçay est mis aux voix et adopté.
« La disposition proposée par la commission ainsi sous-amendée est adoptée. »
Vous voyez, messieurs, les motifs pour lesquels on a introduit dans la loi française le mot « circonvoisins » au lieu du mot « voisins. » Je crois qu’il serait inutile de rien ajouter à cet égard.
M. Liedts, rapporteur. Il me semble qu’après la lecture que vient de faire l’honorable M. Raikem, tout doute doit cesser sur la portée du mot « circonvoisins. » Elle prouve que c’est précisément l’opinion de M. le ministre des finances qui est consacrée par cette expression. M. le ministre a dit qu’il ne verrait aucun inconvénient à ce qu’on introduisît les mots « les plus voisins. »
Personne ne pousserait la sévérité et je puis dire le ridicule jusqu’à vouloir qu’un particulier aille chercher ses lettres à la poste et qu’il ne puise se faire remplacer par un domestique ou par un messager. Mais à la chambre des députés de France, on s’est aperçu que l’expression de « les plus voisins » aurait amené du doute. A la campagne, on est parfois entouré de 7 ou 8 communes. Quel est le bureau de poste le plus voisins ? C’est une question qui peut donner lieu à contestation. Le mot « circonvoisin » la résout, parce que l’on entend par là que l’on ne pourra passer un bureau de distribution intermédiaire.
Si un particulier faisait chercher ses lettres à un bureau situé au-delà du bureau le plus voisin dans quelque direction que ce fût, il serait en contravention et la loi lui deviendrait applicable. Mais l’administration ne peut s’opposer à ce qu’il fasse chercher et porter ses lettres au bureau le plus voisin, puisque payant le même port que si on les lui remettait à domicile ou qu’il les portât lui-même, il ne cause aucun préjudice au trésor public. Ainsi, au moyen du mot « circonvoisins, » la disposition présentée par M. Desmanet de Biesme concilie tout et ne peut donner lieu à de fausses interprétations.
Quant à la question préalable que l’on a soulevée, je ne l’adopterais pas.
M. Dubus. - L’amendement qui vous est présenté et les explications auxquelles il a donné lieu prouvent une chose, c’est que la loi est tout à fait vicieuse et que l’amendement est incomplet.
C’est une loi vexatoire que vous faites. Quand on veut établir un monopole, surtout en matière de transport des lettres, il faut que l’exploitation de ce monopole présente dans son exécution toutes les conditions de célérité de telle façon que le particulier n’ait jamais intérêt à prendre une autre voie que celle que vous lui imposez. Ici c’est le principe contraire que l’on a suivi.
Vous donnez au public un moyen de transport qui ne se renouvellera que tous les 3 jours dans certaines communes. Dans l’intervalle il n’y aura aucun moyen de correspondance, car vous les interdisez. C’est là de la vexation et rien que de la vexation ; mon honorable ami l’a déjà dit.
Je puis me trouver dans la nécessité de faire connaître une nouvelle à un habitant d’un village à une époque déterminée, il faudra que j’attende trois jours que la poste veuille bien se charger de transmettre ma correspondance ou que j’aille moi-même sur les lieux faire connaître ma nouvelle de vive voix. Peut-on concevoir quelque chose de plus iniquement vexatoire qu’une disposition semblable ! La poste ordinaire dans les villes part tous les jours. Quelquefois il y a deux, trois courriers par jour. Pour les postes rurales, il y aura deux courriers par semaine.
Ceux qui ont un rapport très fréquent avec les campagnes peuvent se faire une idée des vexations qui résulteront de cette loi. Le but que vous vous en proposez est manqué. Elle ne fera que soulever des réclamations violentes qui surgiront de toutes parts. Elle sera plus odieuse et plus inique que celle qui vous régissait sous le roi Guillaume.
Tous les jours j’ai eu comme avocat, ayant une certaine clientèle, l’occasion de correspondre avec les habitants de la campagne. Quoi qu’il y ait des messagers dans toutes les communes, il m’est arrivé de ne pas me servir de cette voie, parce qu’il me fallait à un certain jour, à une certaine heure, faire parvenir une pièce, ou obtenir un renseignement pour une époque déterminée, après laquelle le succès de l’affaire que j’avais à traiter pouvait être compromise. J’envoyais un exprès. Cela me coûtait 20 fois autant. Mais l’urgence du temps ne me permettait pas d’employer une autre voie.
Je vois bien dans la loi et dans l’amendement proposé que la correspondance par messager est permise entre le particulier et le bureau de poste le plus voisin, mais de particulier à particulier elle est interdite.
Pourtant, comme je viens de le faire comprendre, il y a des occasions où l’on ne peut se dispenser d’envoyer des exprès, dût-on les payer 40 fois plus cher que la voie par la poste. Evidemment une fois que le service des postes rurales sera organisé, pour qu’un particulier se soumette à cette dépense, il faudra qu’il y ait pour lui nécessité absolue de la faire, et qu’un retard de quelques heures, de deux jours quelquefois, lui porte un préjudice notable.
L’amendement en discussion devrait donc être plus étendu. Je voudrais que les lois répressives ne fussent appliquées qu’à ceux qui feraient métier de transporter les lettres, qui iraient ainsi sur les brisées de l’administration. Mais il faut que tout particulier ait le moyen de transmettre les lettres par un exprès.
Comment les maisons de commerce pourraient-elles faire connaître par une voie plus rapide que celle de la poste, des nouvelles qu’il leur est indispensable de faire parvenir dans un délai déterminé ?
Je voudrais donc que les lois pénales sur la matière ne pussent être appliquées toutes les fois qu’il y aura correspondance entre les particuliers par voie d’exprès ou de courriers. L’on a cité des faits qui prouvent la nécessité de donner plus de latitude à l’amendement de M. Desmanet de Biesme. L’on vous a dit que des particuliers qui s’étaient chargés de lettres par complaisance, avaient été atteints par la loi pénale. Ii ne faut pas qu’une semblable vexation puisse se renouveler.
M. Liedts, rapporteur. - Si la loi pénale contre le transport illicite des lettres devait être exécutée avec la rigueur que semblent craindre les honorables préopinants, il faudrait se hâter de la modifier. Mais il n’en est point ainsi. Et moi aussi je parle par expérience. Je puis affirmer qu’à la cour d’appel de Bruxelles on ne condamne jamais dans les cas cités par les préopinants. L’on peut consulter à cet égard la jurisprudence de la cour qui est très récente.
Je le répète. On ne condamne pas les individus qui transportent une ou deux lettres et qui ne font pas métier de ce transport. Le tribunal d’Anvers a acquitté un individu qui était porteur de plusieurs lettres, parce que l’on n’a pas pu prouver qu’il en fît métier.
D’ailleurs, la loi pénale porte qu’elle ne peut être appliquée dans les endroits où il n’existe pas de poste. Cependant je ne puis admettre qu’il soit permis à tout individu de se livrer au transport des lettres, ce serait tuer dans son principe le service des postes rurales.
Je m’étais rallié à l’amendement modifié par l’honorable M. Desmanet qui consistait à permettre le transport des lettres par voie particulière là où il n’existerait pas de service journalier. La chambre en a pensé autrement. Il n’y a plus à revenir sur cet amendement. Mais l’on peut au moins améliorer la loi dans le sens présenté par la chambre des députés de France.
Je crois qu’il pourra parer à l’inconvénient que j’ai signalé, parce que, rigoureusement parlant, l’on pourrait inquiéter les individus qui transporteraient des lettres dans les communes où le service ne serait pas organisé journellement. Une preuve que cette sévérité déplacée n’a jamais été mise en avant, c’est que tous les jours les courriers de commerce vont d’un lieu à un autre au vu et su de l’administration, que leur départ et leur arrivée sont connus par les journaux sans que le gouvernement ait songé à les inquiéter en rien. Il n’entre dans l’idée de personne que la loi actuelle soit le signal d’une plus grande rigueur.
M. A. Rodenbach. - Je sais bien que les lois pénales sur la matière ne seront pas exécutées dans toute leur rigueur tant que M. le ministre des finances sera au pouvoir. Mais son successeur ne sera pas lié par sa promesse. Le membre qui siège derrière moi a été arrêté à Furnes il y a 6 ans à son retour d’Angleterre, parce qu’il était porteur d’une lettre. Il n’en a pas été quitte sans payer l’amende. Ce qui est arrivé il y a 6 ans peut très bien se reproduire dans 6 ou dans 8 ans d’ici.
M. Demonceau. - C’est parce que la jurisprudence a varié que j’ai soumis mes observations à la chambre.
La cour de cassation de France décide indistinctement que tout individu porteur de lettres cachetées et adressées à des particuliers doit être condamné à l’amende comminée par la loi. Les cours d’appels de Belgique ont changé de jurisprudence depuis quelque temps. Mais il est certain que la plupart des tribunaux ont suivi l’ancienne jurisprudence.
Pour mieux faire comprendre à la chambre l’état de la question je vais lui donner lecture du décret même.
« Arrêté du directoire en date du 7 fructidor, an VI.
« Le directoire exécutif, etc.
« Arrête :
« Art 1er. Les dispositions de l’arrêté du 2 nivôse an VI sont, en tant que de besoin, renouvelées. Il est en conséquence expressément défendu à tous les entrepreneurs de voitures libres et à toute autre personne étrangère au service des postes de s’immiscer dans le transport de lettres, paquets et papiers du poids d’un kilogramme, ou de deux livres et au-dessous, journaux, feuilles à la plain et ouvrages périodiques dont le port est exclusivement confié à des postes aux lettres.
« Art. 2, etc.
« A la suite du décret du 26 ventôse an VII est imprimé l’extrait suivant des règlements des 18 et 29 novembre 1681 :
« ... Il est fait très expresses inhibitions et défenses à tous messagers auxquels la finance de leurs offices a été remboursée et à tous maîtres des coches, carrosses et litières, poulaillers, beurriers, muletiers, piétons, mariniers, bateliers, rouliers, voituriers tant par terre que par eau, et à toutes autres personnes de quelque qualité et condition qu’elles soient, autres que ceux qui auront droit et pouvoir dudit Patin de se charger ni souffrir que leurs valets ou postillons et même les personnes qu’ils conduiront sur leur voiture, se chargent, etc. »
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - L’honorable préopinant, en faisant connaître la jurisprudence de la cour de cassation de France, n’a pas répondu à la réplique de M. le rapporteur, car les tribunaux belges ne sont liés que par la jurisprudence de la cour de cassation de Bruxelles.
Au surplus, les textes mêmes dont il a donné lecture viennent à l’appui de l’opinion que nous soutenons ; car ils interdisent à tout individu de s’immiscer dans le service du transport des dépêches, c’est-à-dire d’entrer en concurrence avec l’administration. L’on n’a donc jamais pu appliquer la loi aux exprès ni aux courriers de commerce.
La jurisprudence est fixée en Belgique. Jamais le gouvernement ne pourrait songer à poursuivre d’autres personnes que celles qui entreraient en concurrence avec le monopole de la poste. Les craintes de vexations que l’on a manifestées sont donc exagérées.
Je reviens à l’amendement de l’honorable M. Desmanet de Biesme. C’est une question d’argent. Il s’agit de savoir si l’on veut s’exposer à perdre une partie du revenu de la poste en l’admettant. Si la chambre veut consentir à cette perte, je n’insisterai pas, attendu que, réflexion faite, je ne la crois pas très considérable. Vous jugerez, messieurs, si l’amendement est assez important pour passer sur cette considération financière.
M. Gendebien. - J’ai dit en commençant que l’amendement me paraissait inutile, qu’il était indifférent qu’on l’admît ou qu’on le rejetât. Je ne pouvais concevoir que l’administration s’aveuglât au point de méconnaître l’esprit de la loi et de voir une contravention dans l’acte de porter on de prendre une lettre au bureau le plus voisin. C’est ce qui se pratique tons les jours à Bruxelles. Un individu part de la porte de Hal par exemple, et va porter une lettre à la poste sans qu’il y ait contravention. Tout ce que l’on a dit aujourd’hui serait excellent s’il s’agissait de révoquer les dispositions exorbitantes encore en vigueur. Que l’on fasse une proposition à cet égard, je l’appuierai de toutes mes forces.
Mais, messieurs, il ne s’agit pas de ces décrets ; je ne conçois pas cette tendre sollicitude qu’on montre pour les habitants des campagnes. Personne ne peut supposer qu’on songe à appliquer aux habitants des campagnes des dispositions qu’on n’a pas appliquées à tous ceux qui ont usé de messagers ou de courriers, pour envoyer des lettres.
C’est à propos d’une amélioration qu’on introduit dans le régime des postes, qu’on se récriée contre la rigueur des lois et décrets qui la régissent. Si j’avais la même opinion que les honorables préopinants sur ce point, je n’hésiterais pas à donner ma voix à la loi, parce que de l’excès du mal naîtrait le remède. En généralisant les occasions de vexation, on ferait naître des réclamations qui s’élèveraient de toutes parts et mettraient dans la nécessité d’abolir ces dispositions. Mais on ne doit pas invoquer contre une amélioration au service des postes des dispositions vexatoires qu’on a subies jusqu’à présent.
Si vous craignez qu’on n’en abuse, faites-les disparaître et pour la poste rurale et pour la poste des villes. Toutes les objections fondées sur ces dispositions vexatoires peuvent-elles autoriser le rejet de la loi qui nous occupe ? Certainement non ; je ne vois rien dans cette loi qui rende la législation, concernant les postes, plus vexatoire qu’auparavant. L’habitant des campagnes sera soumis aux dispositions qui régissent aujourd’hui l’habitant des villes, à moins de supposer que l’un sera traité autrement que l’autre.
J’ai dit que l’amendement de M. Desmanet de Biesme était inutile ; je dis qu’il serait même dangereux, dans l’opinion de ceux qui ont en vue d’éviter des vexations, car en établissant une exception pour la poste rurale, vous fortifiez la règle qui établit des vexations à l’égard de tous.
Et dans quelle circonstance voulez-vous agir ainsi ? Dans le moment où le ministre lui-même vient de reconnaître que ces lois qu’on a citées étaient tombées en désuétude, qu’elles ne seraient jamais appliquées dans la rigueur de leurs termes, et qu’elles ne recevraient d’application que pour empêcher que des services particuliers vinssent à en concurrence avec le service de l’Etat.
Vous aurez beau dire que les ministres sont transitoires et que le successeur d’un ministre pourra ne pas se croire lié par les paroles de son prédécesseur, mais les tribunaux sont là. Quand ils sont appelés à appliquer une loi, ils recherchent son esprit, et où le recherchent-ils ? dans la discussion. En voyant que le gouvernement représenté par un ministre responsable a expliqué le sens dans lequel la loi devait être appliquée, il n’est pas un homme de bon sens ayant l’honneur de siéger dans un tribunal, dans une cour d’appel, qui applique la loi dans la rigueur que l’on craint.
Je conçois que l’amendement pourrait avoir quelque utilité pour les communes où il n’y a pas de service de postes journalier, si l’administration était assez stupide pour empêcher les particuliers de correspondre par des messagers à cheval ou à pied quand il n’y a pas de service régulièrement établi. Mais il faudrait qu’un ministre fût fou pour abuser ainsi de la loi. Il a d’ailleurs émis une opinion toute contraire, et remarquez que ce que dit un ministre lors de la discussion d’une loi n’est pas seulement son opinion personnelle qu’il émet. Il explique le sens dans lequel le gouvernement entend la loi. Ainsi, que le ministre change, la loi reste telle qu’on a entendu la voter.
Puisqu’on paraît attacher une grande importance à l’amendement de M. Desmanet de Biesme, j’y donnerai mon assentiment, bien entendu qu’on ne pourra tirer de l’adoption de cet amendement aucun argument pour demander l’application des décrets dont on a parlé. Au surplus, s’ils donnent lieu à des abus, il se trouvera toujours des hommes assez courageux pour les dénoncer et en demander la réforme.
Je voterai donc pour l’amendement de M. Desmanet, tout inutile qu’il me paraisse.
M. le président. - M. Dubus vient de déposer un amendement ainsi conçu : « Tout particulier demeure autorisé à expédier un courtier ou un exprès à ses frais, pour le transport de ses lettres. »
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - M. Dubus va plus loin que je ne voudrais. Son amendement me semble plutôt restreindre ce qui existe aujourd’hui que l’étendre. Je ne crois pas qu’il puisse s’élever de doute sur l’existence de la faculté que l’honorable membre veut attribuer aux particuliers. Il est libre à chacun d’expédier pour son compte personnel un courrier de commerce, cela se fait journellement. Il existe même des services réguliers de cette nature. Je pense donc que l’amendement de M. Dubus est plutôt restrictif qu’extensif du droit des particuliers, et il ne voudra sans doute pas persister dans sa proposition ainsi entendue.
M. Dubus. - Si ma proposition est considérée comme inutile, cette considération d’inutilité par laquelle on m’engage à la retirer me fera atteindre mon but ; mais je dois dire qu’à la manière dont avait marché la discussion jusqu’au moment où j’ai pris la parole, j’avais remarqué une tendance contraire à la proposition que j’ai eu l’honneur de soumettre à la chambre. Et pour le dire en passant, j’avais remarqué que l’amendement sur lequel on discute en ce moment, l’amendement de M. Desmanet de Biesme, pouvait donner lieu à une interprétation qui rendait nécessaire la disposition additionnelle que je présente.
En effet, quel est l’objet de cet amendement ? de dire que les dispositions pénales pour les contraventions en matière de poste ne sont pas applicables à ceux qui font prendre et porter leurs lettres aux bureaux circonvoisins.
Cet amendement n’avait en vue que les particuliers qui, aux jours autres que les jours de départ du courrier, enverraient un exprès pour chercher ou porter leurs lettres aux bureaux circonvoisins. De là n’aurait-on pas pu tirer la conséquence que celui qui, au lieu de porter ou d’envoyer chercher ses lettres à un bureau voisin, enverrait un exprès à son correspondant, tomberait sous le coup des dispositions pénales ? On se déciderait alors par un argument a contrario. Je sais que c’est un argument qu’on n’emploie que dans des cas extrêmement restreints. On aurait pu tirer des arguments de même nature de bien des choses qui se sont dites dans la discussion.
Mais maintenant qu’il est convenu qu’un particulier ne tombera sous l’application des dispositions pénales qu’autant qu’il fasse métier de transporter des dépêches au préjudice du monopole de la poste, comme ces principes sont les miens et que je désire que la loi soit entendue et appliquée ainsi, je retire mon amendement. Cependant si des doutes s’élevaient dans l’esprit de quelques membres, je les prierais de les exprimer, parce qu’alors je maintiendrais ma proposition.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - D’après ce que vient de dire l’honorable préopinant, il semblerait que c’est seulement depuis ses observations que le gouvernement a déclaré qu’il ne serait fait application des dispositions pénales concernant les contraventions en matière de transport de dépêches, que pour empêcher l’établissement de services particuliers en concurrence avec celui de l’administration. La chambre se rappellera que j’ai eu l’honneur de lui faire cette déclaration dès la première séance où on s’est occupé de la loi relative à la poste rurale.
M. Jadot. - Je pense que les particuliers n’ont pas la faculté d’expédier des courriers, comme le pense M. le ministre des finances. Ils sont obligés de passer par l’intermédiaire de la poste et d’y déposer l’argent nécessaire pour l’envoi qu’ils veulent faire. Si on ne passait pas par cet intermédiaire, on serait en contravention.
M. Dubus. - Je viens d’entendre une observation qui, si elle est exacte, doit me faire reprendre ma proposition. L’honorable préopinant vient de dire que pour expédier un courrier, il faut passer par l’intermédiaire de l’administration des postes et payer.
M. Gendebien. - M. Lefebvre-Meuret a un service régulier organisé depuis longtemps.
- L’amendement de M. Desmanet de Biesme est mis aux voix et adopté, ainsi que l’article 13 amendé.
- Les articles 14, 15 et 16 sont confirmés sans discussion.
On passe à l’appel nominal sur l’ensemble de la loi.
En voici le résultat.
72 membres ont répondu à l’appel.
3 se sont abstenus.
51 ont répondu oui.
18 ont répondu non.
En conséquence le projet de loi est adopté.
Il sera transmis au sénat.
Ont répondu oui : MM. Beerenbroeck, Bekaert, Berger, Bosquet, Coghen, Coppieters, David, de Behr, de Jaegher, (Erratum inséré au Moniteur belge n°322, du 18 novembre 1835 :) de Longrée, de Meer de Moorsel, W. de Mérode, Demonceau, de Muelenaere, de Puydt, Dequesne, de Renesse, Desmanet de Biesme, de Terbecq, de Theux, d’Hoffschmidt, d’Huart, Dubus Bernard, Eloy de Burdinne, Ernst, Fallon, Heptia, Hye-Hoys, Keppenne, Lejeune, Liedts, Milcamps, Morel-Danheel, Nothomb, Pirmez, Raikem, C. Rodenbach, Rogier, Rouppe, Schaetzen, Scheyven, Smits, Trentesaux, Troye, Vandenhove, Vanden Wiele, Verdussen, Verrue-Lafrancq, H. Vilain XIIII, Watlet, Zoude.
Ont répondu non : MM. de Foere, Desmaisières, Desmet, Dubois, Dumortier, Jadot, Legrelle, Mast de Vries, Polfvliet, A. Rodenbach, Simons, Stas de Volder, Thienpont, Ullens, Vanderbelen, C. Vuylsteke, L. Vuylsteke et Wallaert.
M. le président. - MM. de Nef, Dubus aîné et Gendebien, qui se sont abstenus, sont invités aux termes du règlement à énoncer les motifs de leur abstention.
M. de Nef. - Je me suis abstenu parce que je n’ai pas assisté à la première discussion.
M. Dubus. - Je me suis abstenu par le même motif.
M. Gendebien. - La loi a sans contredit mon assentiment. Je regrette de n’avoir pas pu lui donner mon vote. Mes motifs vous sont connus, ce sont les scrupules que j’éprouve sur la constitutionnalité d’une disposition. Mais je déclare itérativement que dans mon opinion le gouvernement a doté le pays d’une institution utile.
M. le président. - Nous passons à l’objet qui est à l’ordre du jour.
M. Jadot. - Je m’étais proposé de faire précéder les motifs de mon vote d’observations assez étendues sur le syndicat. J’y ai renoncé après avoir lu le rapport de l’honorable M. Fallon, et surtout pour ne pas introduire dans la discussion des faits qui pourraient la rendre plus longue sans amener un meilleur résultat ; car je le crois bien ; le projet ministériel sera adopté.
Déterminé comme je le suis à émettre un vote négatif j’ai cru qu’il était de mon devoir de le motiver, afin qu’on ne puisse pas m’accuser de faire de l’opposition quand même.
Vous savez, messieurs, dans quelle triste situation les finances du royaume des Pays-Bas se trouvaient au premier jour de sa formation, et combien les embarras du gouvernement étaient augmentés au moment de la révolution.
Le syndicat institué sous prétexte d’alléger à l’Etat le fardeau de ses charges n’était destiné qu’à cacher à la nation une situation aussi affligeante et à permettre au gouvernement de faire, sans devoir en rendre compte, des opérations qui ne pouvaient qu’aggraver ce malheureux état des choses.
Le syndicat aura à justifier de l’emploi de plus d’un milliard de francs qui lui ont été confiés pour être utilisés dans l’intérêt du pays. Je crois que, sans attendre la liquidation d’Utrecht, on peut dès à présent être convaincu que nous espérerions en vain un boni qu’on a bien voulu nous présenter comme possible.
Sous un gouvernement qui ne pouvait soutenir son état financier qu’en dévorant l’avenir, nos belles forêts, dont les lois françaises avaient interdit à l’Etat de se dessaisir, ne pouvaient échapper à l’engloutissement général.
Après s’être approprié, en vertu d’une loi du mois d’août 1822, et jusqu’à concurrence d’un capital de 20 millions, des propriétés nationales qui valaient plus du double, le roi Guillaume qui avait à revêtir ses spoliations du manteau de la légalité, obtint, en décembre de la même année, de la représentation nationale dont la majorité lui était servilement dévouée, une seconde loi qui autorisait le syndicat à administrer le restant de nos domaines et à en vendre ou hypothéquer jusqu’à concurrence d’un revenu de 1,750,000 florins, ce qui sur le pied de 2 1/2 p. c. ou au denier 40, taux qui avait déjà servi de base à l’évaluation des domaines cédés par la loi d’août, et dont le roi Guillaume a ensuite doté la société générale, représentait une valeur de 70 millions de florins, capital égal, à peu près, à la valeur de nos domaines non aliénés.
Pour la réaliser, cette valeur, le syndicat ouvrit un emprunt de 140 millions de florins en obligations dites los-renten, que les porteurs avaient la faculté d’employer en achat de domaines ou dont ils pouvaient exiger le remboursement au pair, à partir du 1er octobre 1830, en en faisant la demande six mois d’avance.
La première émission de ces obligations eut lieu en juin 1824, pour 35,180,000 fl.
La seconde en avril 1826, pour 40,000,000 fl.
Ensemble, pour 75,180,000 fr.
Il importe de remarquer : 1° que les dépenses à solder au moyen de ce capital étaient pour la grande partie dans l’intérêt de la Hollande et de ses colonies, au secours desquelles nous venons chaque fois que nous escomptons ces valeurs, tandis que, de l’avis de beaucoup d’entre nous, le malaise de notre industrie cotonnière provient de ce que notre commerce est exclu de ces colonies ;
2° Que tous les domaines situés en Hollande ayant été mis à l’abri du syndicat par la cession qui en avait été faite au roi Guillaume, les 75 millions d’obligations émises n’ont pour hypothèque que des biens situés en Belgique, qui, prétend-on, doivent seuls répondre d’une dette qui nous est commune avec nos ennemis ;
3° Qu’avant la révolution nous avions déjà rembourser au moyen de l’emploi de ces obligations, en paiement de nos domaines, une part de cette dette s’élevant à 18,000,000 fl. et depuis la révolution à 12,000,000 fl., ensemble environ 30,000,000 fl.
4° Enfin que la Hollande n’a contribué en rien au remboursement de cette somme.
Ces faits étant ainsi établis, voici la question des los-renten réduite, selon moi, à sa véritable expression.
Le roi Guillaume s’est fait escompter et a encaissé avant la révolution la valeur de tous les domaines situés en Belgique.
Méconnaissant ses engagements, et au mépris de la sainteté des contrats, il a refusé de rembourser la partie de cet emprunt, exigible le 1er octobre 1830.
Il est certain toutefois que, détenteur d’un capital emprunté, il en est le principal débiteur. Aussi les fonds nécessaires à ce remboursement avaient-ils étaient faits tant à Amsterdam au syndicat qu’à Bruxelles à la société générale ; mais la révolution venant d’éclater, le roi Guillaume comprit qu’il pourrait fort bien avoir besoin de ces fonds pour se défendre contre nous, et il les garda.
A la vérité, il s’obligea à payer à raison de 5 p. c. l’intérêt de cet emprunt forcé fait à ses créanciers, et en cela il n’a fait que ce qu’il devait faire ; mais comment peut-on trouver juste que la Belgique paie pour le roi Guillaume l’intérêt d’un emprunt contracté pour faire la guerre à la Belgique ?
La justice du roi Guillaume ne resta pas en si beau chemin, il déclara que les obligations qu’il avait refusé de rembourser pourraient de nouveau être employées en acquis des domaines vendus, faculté que les porteurs avaient perdue en déclarant vouloir être remboursés en numéraire.
Mais il n’y a pas de domaines à payer à la Hollande, et l’effet de cette mesure a été de laisser à la Belgique le privilège d’encaisser ces valeurs mortes.
Vous voyez par là, messieurs, combien il faut se défier des mesures prises en Hollande et de la justice du roi Guillaume, surtout lorsque l’on veut en faire la base d’une proposition qui intéresse notre pays.
Mais, me dira-t-on, il ne s’agit maintenant que des los-renten dénoncés à Bruxelles ; il ne s’agit que de l’intérêt de nos compatriotes, des Belges porteurs de ces obligations, des Belges acquéreurs de nos domaines, de la société générale qui est éminemment belge, comme chacun le sait, et nullement des los-renten hollandais dont les Hollandais sont porteurs.
Je suis enchanté, messieurs, de voir que les intérêts belges trouvent toujours et partout de nombreux et chauds défenseurs, mais je voudrais que les intérêts de la Belgique dont on ne parle pas en trouvassent aussi. Le pays s’obère, le trésor public s’épuise, je vois beaucoup de mesures pour augmenter nos dépenses, et je n’en vois aucune pour améliorer notre état financier.
Quant aux los-renten non dénoncés, le roi Guillaume n’avait pas besoin d’en occuper sa justice. Il savait bien que leur emploi en acquit des domaines n’était possible qu’en Belgique et qu’il y trouverait des gens disposés à faire honneur à ces obligations, espèces de bons de son trésor particulier qu’il multiplie à volonté, dont il peut élever l’émission de 75 à 100 millions sans qu’on puisse l’en blâmer, ce qu’il n’a probablement pas manqué de faire, toujours dans cet esprit de justice qu’on se plaît à lui reconnaître, de sorte que l’on peut encaisser aujourd’hui en Belgique, au lieu du numéraire, des los-renten émis hier à Amsterdam.
Pour prouver que nous avons dû continuer à les admettre dans nos caisses depuis la révolution, on a invoqué la sainteté des contrats et l’autorité du code civil.
Pour repousser cette prétention, il me suffirait de faire remarquer que de cette manière on pourrait également établir qu’en nous révoltant, en chassant le roi Guillaume, nous avons violé le contrat trois fois saint, puisqu’il est le fait de la sainte-alliance, qui nous unissait à cette majesté, et que nous lui devons des dommages et intérêts pour ne lui avoir pas laissé tout le temps de nous dévaliser complètement ; mais je me bornerai à une supposition qu’on ne taxera pas d’exagération, puisqu’il a dépendu du roi Guillaume de la réduire légalement en fait.
Si donc le roi Guillaume, au lieu d’assigner sur nos domaines le remboursement des sommes qu’on lui a prêtées y avait affecté les contributions à recevoir dans ses provinces méridionales, serions-nous tenus de porter notre or en Hollande pour être échangé contre des valeurs mortes à verser dans notre trésor public ?
Si, comme j’aime à le croire, vous repoussez cette supposition, au moins comme ridicule, comment pouvez-vous trouver juste que nous fassions cet échange, lorsqu’il s’agit d’acquitter le prix de nos biens qui a la même destination que nos impôts ?
La foi due aux contrats a été invoquée dans cette enceinte en faveur des acquéreurs de domaines qui, dit-on, n’ont acquis que dans l’espoir de pouvoir s’acquitter en los-renten au-dessous du pair, et il est possible que cet argument ait décidé la proposition qui vous est soumise ; mais depuis qu’elle a été présentée, les los-renten sont montés de 95 à 100, ce qui donne la mesure de la reconnaissance que doivent les acquéreurs des domaines à ceux qui les protègent d’une manière qui tient tant soit peu de la justice du roi Guillaume.
Un autre fait bien plus remarquable, et dont je laisserai aux financiers habiles qui siègent dans cette enceinte le soin de donner l’explication, est celui-ci :
Jusqu’au mois de juillet 1835. l’annexe au Bulletin officiel a marque la valeur des los-renten comme effets publics de la Belgique et de la Hollande séparément. (Voyez l’annexe au Bulletin officiel, n°36.)
Les bulletins postérieurs à celui-là ne marquent plus la cote de cette dette à l’article Hollande ; elle ne figure plus qu’à l’article Belgique.
Elle était comme suit :
Au Bulletin du 2 juillet,
Belgique, rentes de domaines avec coupons, 98 3/4
Belgique, inscrites, 98 3/4 101
Hollande, rentes de domaines sans distinction, 98 3/4
Bulletin du 10 juillet,
Belgique, rentes de domaines avec coupons, 98 7/8
Belgique, inscrites, 101 1/2
Hollande, rentes de domaines sans distinction, non cotées.
Et il en a été de même jusqu’à ce jour.
Ainsi la bourse de Bruxelles a fait seule le prix de ces valeurs.
Je livre ce fait, dont les conséquences peuvent être très graves, à vos réflexions.
Quoi qu’il en soit, vous ne pouvez vouloir obliger les acquéreurs de nos domaines à donner aux spéculateurs 102 fl. qu’ils ne pourraient employer que par 100 fl., et dès lors vous permettrez qu’ils se libèrent en numéraire au pair.
Mais que devient dans ces cas la sainteté des contrats invoqués avec une ferveur toute financière par les porteurs des obligations dénoncées, et qu’invoqueront à leur tour les porteurs des obligations non dénoncées ? Le gouvernement, à qui ceux-ci voudraient faire signifier la demande de remboursement au pair en vertu du même contrat, pourra-t-il s’y refuser ? Non ; la loi que vous allez rendre sera un titre qu’ils feront valoir contre lui pour l’obliger à leur accorder cinq pour cent d’intérêts, aussi bien qu’aux porteurs qui avant eux ont usé de la faculté d’exiger le remboursement au pair.
En résumé j’ai toujours été d’avis que nous ne devons pas plus souffrir que la Hollande perçoive la portion non encore soldée du prix de nos domaines vendus par le syndicat, que nous ne devons lui permettre de venir vendre les domaines qui nous restent ; et je persiste dans cette opinion.
Je voterai contre le projet.
M. le président. - M. Zoude est appelé à la tribune.
- Plusieurs voix. - A demain ! à demain !
- Un grand nombre de membres quittent leurs places.
M. Rogier. - Je demanderai si mercredi prochain on commencera la discussion de la loi communale, comme l’a décidé la chambre, alors que la question des los-renten ne serait pas vidée.
M. de Nef. - Après la loi sur les los-renten, nous devrons nous occuper de la proposition sur l’entrée du bétail, avant d’entamer la discussion de la loi communale.
M. Rogier. - Outre la loi sur le bétail, on avait encore mis l’ordre du jour celle des crédits supplémentaires demandés par le ministre de l’intérieur.
M. le président. - Après les los-renten viendront les crédits demandés par le ministre de l’intérieur, puis la loi relative à l’entrée du bétail étranger et ensuite la loi communale.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Je pense qu’il est inutile de décider aujourd’hui l’ordre dans lequel seront discutes ces projets. Nous verrons demain à quoi nous serons parvenus.
Il est possible que tous ces projets soient votés demain, et s’ils ne l’étaient pas, il serait préférable de les terminer avant de commencer la loi communale.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Je pense que la chambre avait entendu fixer ainsi ses travaux : d’abord la poste rurale que nous venons de voter, ensuite les los-renten et les crédits pour le département de l’intérieur, puis l’introduction du bétail et enfin la loi communale.
Lorsque la chambre a mis à l’ordre du jour de mercredi la loi communale, elle pensait que les autres projets seraient terminés pour cette époque. Et cela est encore possible, car la question des los-renten, qui est la plus grave, a été traitée avec tant d’élucidité dans le rapport de la commission, que je crois que quand on aura entendu un ou deux discours, chacun sera à même de se prononcer ; aucun organe de la presse ne s’est opposé au projet, on pourra alors aborder les deux autres projets ; si la discussion devait toutefois prendre une partie de la séance de mercredi, il n’y aurait aucune difficulté à les terminer avant de commencer la loi communale.
- Plusieurs membres. - La chambre l’a décidé ainsi.
M. le président. - Demain à l’ouverture de la séance on décidera les questions d’ordre du jour.
- La séance est levée à 4 heures.