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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 27 août 1835

(Moniteur belge n°241, du 28 août 1835 et Moniteur belge n°242, du 29 août 1835)

(Moniteur belge n°241, du 28 août 1835)

(Présidence de M. Raikem.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse procède à l’appel nominal à midi et demi.

M. Schaetzen lit le procès-verbal ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse lit l’analyse suivante des pièces suivantes envoyées à la chambre.

« Le sieur Louvrey, ancien receveur des taxes municipales de la ville de Liège, demande l’application de la loi du 5 prairial an VI sur les pensions. »

« Le sieur Ernotte, pharmacien à Bruxelles, réclame le paiement de l’indemnité qui lui revient du chef de la dévastation de sa maison par les Hollandais en 1830. »

« Le tribunal de première instance de Bruges demande à être porté à la première classe des tribunaux de première instance. »

- Renvoi à la commission des pétitions.

M. Jullien. - Je demande que la pétition des membres du tribunal de Bruges soit renvoyée directement à M. le ministre de la justice pour être comprise dans le travail général qu’il doit présenter à la chambre, car cette pétition a le même objet que les propositions qui lui ont été renvoyées.

- Le renvoi proposé par M. Jullien est prononcé.

Ordre des travaux de la chambre

M. Lebeau. - Je crois devoir rappeler à la chambre qu’elle s’est réservé de fixer aujourd’hui le jour de la discussion de la proposition de M. de Mérode.

- Plusieurs membres. - Nous n’avons pas le rapport.

M. Lebeau. - M. de Behr pourrait nous donner sur ce rapport les renseignements nécessaires pour savoir à quelle époque on doit en fixer la discussion.

M. de Behr, rapporteur. - La proposition de M. de Mérode est une loi transitoire qui a des rapports intimes avec la loi générale sur la naturalisation, car on a tiré de cette loi quelques dispositions pour les insérer dans la loi transitoire. Je pense qu’on doit fixer et je demande qu’on fixe la discussion de cette loi avant la loi générale.

- La proposition de M. de. Behr est mise aux voix et adoptée.


M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Je demande la parole.

Messieurs, il est un objet très urgent que je voudrais que la chambre mît à l’ordre du jour, c’est la discussion du rapport de l’honorable M. Fallon sur la question concernant la société générale. Il est là une question qui doit être discutée et décidée par la chambre, parce que le gouvernement a besoin de connaître quelle sera la résolution de la chambre avant de présenter le budget des voies et moyens ; c’est l’objet de la transaction passée en 1833 pour le solde ; il faut que le gouvernement sache à quoi s’en tenir à l’égard de cette transaction. Je regarde cet objet comme urgent, et je prie la chambre d’en fixer la discussion après les deux lois de naturalisation dont on vient de parler.

- La chambre, consultée, fixe la discussion du rapport de M. Fallon après la loi générale sur la naturalisation.

Projet de loi concernant les étrangers résidant en Belgique

Discussion générale

M. le président. - L’ordre du jour est la suite de la discussion sur la loi relative aux étrangers.

Je vais donner lecture des amendements que vient de déposer M. Vandenbossche :

« Article premier. Tout étranger qui, soit par paroles, soit par écrits, soit par un acte quelconque, excite ou tente d’exciter des dissensions en Belgique, provoque à l’anarchie, sert ou tente de servir les desseins de nos ennemis, trouble ou tente de troubler la paix entre les habitants ou la sécurité générale, sera puni d’une amende de 300 fr. et en outre expulsé du royaume, sauf les pénalités établies pour les crimes et délits contre la sûreté de l’Etat. »

« Art. 2. La cause sera soumise aux tribunaux, qui en décideront.

Le gouvernement désignera le tribunal qui devra en connaître. »

« Art. 3. Le gouvernement est autorisé, par mesure préventive, à contraindre l’étranger prévenu, de résider dans la commune, le canton, l’arrondissement ou la province qu’il lui désignera, ainsi que de donner caution ; sinon, de consigner une somme de 500 francs pour assurer l’amende et les frais auxquels le jugement à intervenir donnerait lieu en cas de condamnation, sauf le cas d’emprisonnement pour les crimes et délits prévus par notre code pénal. »

« Art. 4. Si l’étranger n’obtempère pas aux injonctions qui lui seraient faites en vertu de l’article précédent, le gouvernement est autorisé à l’expulser du royaume de la manière qu’il le jugera à propos. »

« Art. 5. Les étrangers, condamnés ou poursuivis dans leur patrie du chef de banqueroute frauduleuse, d’escroquerie ou d’abus de confiance, de crimes, d’assassinat ou de vol, pourront, dans tous les cas, être repoussés du territoire belge, ou expulsés, s’ils y résident, par le gouvernement qui en fera connaître les motifs aux chambres. »

« Art. 6. Les étrangers qui seront condamnés par un tribunal belge, pour un des crimes ou délits spécifiés dans l’article précédent, pourront, après avoir subi leur peine, être expulsés du royaume par le gouvernement qui en donnera avis aux chambres. »

M. Pirson. - Je demande la parole.

M. le président. - J’ai inscrit pour la discussion générale MM. de Brouckere et Lejeune. Je ne puis pas vous donner maintenant la parole.

M. Pirson. - Chacun sait qu’hier, sur l’invitation de plusieurs membres, j’ai déposé mes amendements sans pouvoir les développer. Mon droit, ce me semble, est de les développer maintenant, puisque c’est hier, à la fin de la séance, que je les ai déposés.

M. le président. - Il ne s’agit encore que de la discussion générale.

M. Pirson. - Je veux parler sur la discussion générale et sur mes amendements.

M. le président. - Dans ce cas, je ne puis que vous inscrire à la suite des orateurs qui sont déjà inscrits.

La parole est à M. de Brouckere.

- Le ministre des affaires étrangères demande la parole.

M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Messieurs, dans la séance d’hier, des membres de cette assemblée, après avoir combattu et le projet de la section centrale et celui du gouvernement, ont déposé des amendements qui dénatureraient le droit politique d’expulsion ou en paralyseraient complètement l’effet.

La réfutation de ces amendements, déjà faite par d’autres orateurs, trouvera mieux sa place lors de la discussion des articles ; toutefois je me permettrai de faire observer dès à présent que l’honorable député de Namur ne me paraît pas avoir envisagé la question sous son véritable point de vue politique.

Sans renoncer en aucune manière à faire de cette mesure l’usage que l’intérêt du pays et les circonstances peuvent réclamer, il est cependant permis d’espérer que cette loi au bout d’un certain temps deviendra plutôt préventive que réellement répressive. C’est une considération qu’il importe de ne pas perdre de vue dans la discussion.

Au surplus, si je parle des amendements proposés, je ne veux que constater un fait qui n’aura échappé à personne. C’est que la plupart de ceux mêmes qui ont combattu le projet de la section centrale et le projet du gouvernement n’ont pas contesté le principe même de la loi ; qu’ils ont reconnu son opportunité, et qu’il en est même parmi eux qui en ont hautement proclamé la nécessité.

En effet, messieurs, je ne comprends pas que l’opportunité et la nécessité d’une pareille loi puissent être sérieusement contestées. Le premier besoin des peuples, messieurs, c’est l’ordre. Veiller à son maintien est aussi le premier devoir du gouvernement ; c’est sa plus haute, sa plus noble mission ; car l’ordre intéresse également toutes les classes de la société.

Les intérêts matériels, et c’est un progrès que j’aime à signaler au pays, les intérêts matériels trouvent depuis quelque temps dans cette enceinte de nombreux et zélés défenseurs.

C’est à eux surtout que je m’adresse. Les défenseurs des intérêts matériels savent mieux que moi que l’ordre seul peut faire naître la sécurité publique, et que la sécurité publique est la source et le véhicule de tout commerce, de toute industrie, de tout travail. Mais il ne suffit pas, messieurs, qu’il y ait sécurité pour le présent, il faut qu’il y ait encore sécurité pour l’avenir. C’est à cette seule condition qu’on peut espérer le développement de l’industrie, l’extension des relations commerciales, et par une conséquence nécessaire l’accroissement du travail.

Or, cette sécurité qui est d’une si haute importance pour les intérêts matériels surtout, cette sécurité n’est entière, elle n’est complète qu’autant que le négociant, l’industriel, tout en jouissant du présent, soit également rassure sur l’avenir, qu’autant qu’il sache bien que le gouvernement est investi de toute la puissance nécessaire pour déjouer les tentatives des malveillants et maintenir au besoin force à la loi. Ce sont là des vérités premières, des vérités incontestables. Il est facile de troubler momentanément l’ordre public, mais les préjudices qui en résultent sont difficilement réparés.

Les classes industrielles surtout doivent être convaincues aujourd’hui que l’ordre est essentiellement dans leur intérêt, que c’est de l’ordre que dépend leur bien-être, leur aisance et qu’une heure, une seule heure d’émeute leur fait un mal immense, et les prive souvent pendant plusieurs mois de toute espèce de travail.

Le peuple belge a, j’ose le dire, l’instinct de l’ordre, parce que le peuple belge est tout à la fois religieux, moral, actif et ami du travail. Mais notre position géographique, les agréments mêmes qu’offre le pays, nos institutions et plus particulièrement encore le bas prix modéré des objets de première nécessité, amèneront toujours en Belgique une foule d’étrangers.

Il est permis de croire que tous ces étrangers n’auront pas au maintien de l’ordre le même intérêt que les régnicoles. Ils ont une autre patrie, ailleurs sont leurs affections, leur famille, le siège de leur fortune ; aucun intérêt matériel, aucune sympathie politique ni religieuse, ne les attache au pays qui les reçoit ; il est permis même de craindre que quelques-uns d’entre eux ne puissent avoir intérêt à troubler l’ordre, dans le but de satisfaire leurs haines politiques ou particulières ; il est permis de craindre que le désordre ne puisse favoriser leur ambition déçue ou leurs espérances trompées. Dès lors, messieurs, je vous le demande, le gouvernement doit-il demeurer désarmé en présence de pareils hommes. Oseriez- vous assumer sur vous la responsabilité de refuser au gouvernement votre appui et votre concours ? La prudence la plus vulgaire ne vous commande-t-elle pas de mettre le gouvernement à même de pouvoir faire légalement ce que peut exiger de lui le besoin de sa propre conservation et celui de la société belge ?

Voyons maintenant quelles sont les objections faites contre le projet. Je n’en trouve réellement qu’une seule et je veux la présenter dans toute sa force.

Le gouvernement, dit-on, peut abuser de la loi. Eh bien, messieurs, oui, le gouvernement peut abuser de la loi, parce qu’on peut abuser de tout. Mais l’abus qu’il en ferait, ce serait sous sa propre responsabilité.

Cette responsabilité n’est pas, comme le prétendent quelques orateurs, illusoire, elle n’est pas un mot vide de sens. Elle est réelle, parce que les chambres seront toujours les appréciateurs et les juges des actes du gouvernement. Plus la confiance que vous aurez témoignée aux hommes du pouvoir est grande, moins le ministère serait excusable en abusant de la loi. Le vote d’une loi politique est toujours un acte de confiance envers le gouvernement, et cette confiance des chambres impose au gouvernement le devoir de la justifier.

Le contrôle constitutionnel que vous exercez sur les actes de l’administration, est une garantie contre les abus. Aussi lorsque dans les gouvernements représentatifs les chambres votent des lois de confiance, c’est pour que le ministère en use conformément aux intentions des chambres.

Le prétendu abus qu’on pourrait faire d’une loi ne doit donc pas vous effrayer, parce qu’un ministère, quel qu’il soit, n’ira pas de gaîté de cœur, engager sa responsabilité vis-à-vis des chambres et s’exposer à perdre leur confiance pour l’avenir.

D’ailleurs, pour supposer un abus plus ou moins grand de la loi dont il s’agit, il faudrait supposer aussi que le gouvernement est atteint de folie. Car si le gouvernement allait arbitrairement expulser du pays, je ne dirai pas tous les étrangers qui s’y trouvent, mais un seul homme paisible qui y eût transporté son industrie ou le siège de sa fortune dans le but d’en faire un légitime usage, ce gouvernement agirait contre ses propres intérêts. Car le plus beau titre de gloire d’un gouvernement consiste toujours dans l’accroissement de la prospérité du pays, dans l’augmentation de l’aisance individuelle et dans le développement des richesses nationales.

Dès lors il est de son devoir d’accueillir, de protéger, d’entourer de sa bienveillance, les étrangers qui viennent s’établir parmi nous dans un but industriel ou commercial.

Cette faculté d’ailleurs, que nous réclamons aujourd’hui d’exclure du territoire les étrangers qui pourraient y compromettre l’ordre, existe de fait ou de droit dans tous les gouvernements, parce qu’elle est une des conditions nécessaires de leur existence.

L’Angleterre elle-même, que non seulement sa position insulaire, mais que ses mœurs, ses habitudes, ses lois, si différentes de celles de toutes les autres nations du continent, paraissent devoir soustraire à toute influence étrangère, l’Angleterre elle-même à son alien bill qu’elle évoque chaque fois que des circonstances exigent l’expulsion des étrangers. Comment concevoir en effet l’existence d’une société organisée qui serait condamnée à recevoir aveuglement dans son sein tous les étrangers qui voudraient y arriver, et cela, sans pouvoir s’enquérir du but qui les amène, de leurs moyens d’existence, ni des dangers que leur conduite peut présenter pour les membres de cette société ?

Une telle société, à mes yeux, aurait une existence bien précaire.

L’expérience a prouvé que le contrecoup des événements qui se passent en France se fait presque toujours sentir en Belgique. Nous ne saurions donc être indifférents au bonheur ni à la prospérité de nos voisins. Tant de liens d’ailleurs nous rattachent à la France et à l’auguste famille qui règne sur ce pays ! De là sans doute ces inquiétudes naturelles qui se font sentir chez nous à la nouvelle du moindre désordre qui se manifeste en France ; de là encore, cette profonde indignation qui a saisi tout homme qui porte un cœur honnête contre les auteurs de l’attentat du 28 juillet.

Cependant, messieurs, nous pouvons chez nous créer une nationalité qui soit à l’abri des vicissitudes qui menacent encore les autres pays.

Mais il faut que cette nationalité soit réelle, et non d’importation étrangère, il faut que ce soit une nationalité fondée sur nos mœurs, nos habitudes, nos idées, je dirai même sur nos opinions religieuses. Voilà, selon moi, la seule condition qui puisse mettre la nationalité belge à l’abri des vicissitudes qui peuvent encore agiter les autres pays.

Je crois que les moyens d’arriver à ce but, nous les trouvons dans la loi que nous discutons aujourd’hui. Cette loi aura pour effet, pour résultat, d’empêcher que les étrangers ne puissent venir se mêler à nos affaires, dénaturer notre constitution, dans un but qui n’est pas le nôtre, pour amener le triomphe momentané d’opinions que la Belgique repousse.

C’est surtout pour cela que je crois que la loi peut être utile et que j’espère que vous la voterez.

Je suis convaincu d’avance que le pays sanctionnera votre vote, parce qu’il y verra un motif de sécurité pour l’avenir.

M. de Brouckere. - Messieurs, un des orateurs que vous avez entendu dans la séance d’hier, vous a dit avec raison que ce qui dominait surtout dans la loi que nous discutons, c’est le vague et l’arbitraire ; il en a tiré la conclusion que la loi était bonne et vous a annoncé qu’il voterait en sa faveur. Moi, messieurs, au rebours : c’est parce que le vague et l’arbitraire dominent dans la loi, c’est parce que le vague et l’arbitraire en sont le principe, que je la rejetterai.

Un autre orateur a dit avec une sorte de plaisir que chaque fois qu’il en avait trouvé l’occasion, il avait défendu le principe qui sert de base au projet. Il a ajouté qu’il n’avait rien à rétracter de ce chef, rien à dire de neuf. Je dis moi, messieurs, que chaque fois que l’occasion s’en est présentée (et elle s’est offerte très souvent ; car la haine des étrangers ou plutôt la crainte des étrangers est héréditaire chez les ministres, tellement qu’elle semble née avec eux), chaque fois, dis-je, que l’occasion s’en est présentée, j’ai combattu le principe de la loi. Ainsi ferai-je aussi souvent que j’en trouverai l’occasion.

Je n’ai non plus rien à rétracter et je dirai aussi que je n’ai rien de neuf à ajouter. Je serai plus franc que l’orateur dont je parle. Car après son préambule, il a dit non seulement des choses neuves, mais des choses extraordinaires. Du reste, je ne lui reproche ni ce qu’il a dit ni la longueur de son discours. Quand on a autant de talent que lui, on est sûr de ne jamais ennuyer.

L’honorable membre vous a fait voyager cette fois-ci en France comme, dans ses précédents discours, il nous avait promenés sur le Rhin, la Meuse et la Moselle, (Hilarité.) Pour moi, je resterai dans mon pays. Sans m’occuper de ce qui se passe chez nos voisins, je dirai quelques mots de ce qui se passe chez nous. Je m’inquiéterai un peu moins des lois qu’on vote en France pour m’inquiéter un peu plus de la constitution qui nous régit.

Messieurs, selon moi (et je croyais que tel était aussi l’avis à l’unanimité des membres de la chambre, mais M. le ministre des affaires étrangères vient de me prouver que je me trompais) ; selon moi, il s’agit ici d’une loi d’exception. Eh bien, pour qu’une loi d’exception puisse être adoptée par la législature, deux conditions sont requises. Pardonnez-moi, messieurs, si je rapporte ici textuellement ce que j’ai dit en 1831, à propos d’une loi conçue dans les mêmes termes. Force m’est bien de me répéter. Je n’ai pas l’avantage d’avoir à ma disposition deux convictions et deux consciences. Comme j’ai pensé en 1831, je pense encore aujourd’hui.

Deux conditions sont requises pour que la législature puisse voter une loi d’exception : c’est que la loi soit nécessaire et que les circonstances la rendent indispensable ; en second lieu, c’est que cette loi soit constitutionnelle. Si le projet que l’on a soumis à nos discussions renferme ces deux conditions, il faut l’adopter. Si l’une des deux manque, nous devons le rejeter.

Eh bien, messieurs, je demande d’abord s’il y a nécessité d’adopter une loi de circonstance, une loi extraordinaire. Je fais remarquer en passant que MM. les ministres partagent absolument ma manière de voir sur ce point ; car quand on a présenté la loi de 1831, loi qui est exactement la même que la loi actuelle, en ce qui concerne les étrangers, l’honorable M. de Muelenaere disait formellement que dans les temps ordinaires il n’accepterait jamais aucune loi d’exception, que dans des temps ordinaires il accueillerait la loi en discussion avec une profonde indignation. Il y avait donc des circonstances extraordinaires.

Voici comment il s’exprimait : « Ne vous y trompez pas. La révolution de septembre a aussi son Coblentz. (Profond silence.) Au moment où je parle, une intrigue infernale, qui ne doit pas vous effrayer, parce que le gouvernement veille, mais qui a ces ramifications connues de la plupart d’entre vous ; une intrigue infernale, dit-je, est tramée dans la plupart de nos villes. »

C’était parce que des intrigues infernales se tramaient dans toutes nos villes que M. le ministre des affaires étrangères demandait une loi d’exception ; qu’il voulait exercer des mesures extraordinaires contre les étrangers. Malgré toutes ces mesures extraordinaires, malgré les intrigues infernales qui menaçaient d’éclater, la chambre se prononça si nettement contre la loi que le ministre fut obligé de la retirer.

Je suis donc d’accord sur ce point avec le ministère qu’il faut des circonstances extraordinaires pour que la législature puisse adopter une loi d’exception. Il faut que les circonstances rendent nécessaire une loi contre les étrangers pour que nous en votions une.

Est-ce que depuis peu de temps des étrangers ont tramé un complot, ont suscité des émeutes ? Non, messieurs, et je ne sache pas que depuis notre révolution il en ait été autrement. Je rappellerai à cette occasion à l’assemblée ce que j’ai déjà dit dans cette enceinte, que lors des pillages du mois d’avril 1834, que dans le grand nombre de prévenus qui ont été arrêtés et mis en jugement, il ne s’est pas trouvé un seul étranger. Ainsi ni en 1834 ni en 1835 la conduite des étrangers n’a été coupable en Belgique. Par conséquent, il n’est pas nécessaire de faire contre eux une loi d’exception.

Mais enfin, dit-on, la constitution permet par son article 128 des lois exceptionnelles contre les étrangers. J’en conviens. Eh bien, je ne suis pas éloigné de croire qu’il est à désirer, dans l’intérêt du pays et dans l’intérêt des étrangers eux-mêmes, qu’une fois pour toutes l’on sache à quoi s’en tenir relativement aux droits qu’ils ont à exercer en Belgique.

Je dis avec l’honorable M. Fallon que j’appelle de mes vœux, que j’appuierai de mon vote une loi sur les étrangers, non pas que je la croie précisément nécessaire, mais parce que je la crois utile, afin que MM. les ministres n’aillent plus rechercher d’anciennes lois soit de la révolution de 93, soit des lois portées dans le principe de notre révolution ou pendant l’existence du gouvernement provisoire.

Mais au moins vous en conviendrez avec moi, il faut que la loi soit constitutionnelle, ne s’écarte ni des termes ni de l’esprit de la constitution. Eh bien, messieurs, je ne crains pas de le dire, la loi que l’on vous présente anéantit la constitution en ce qu’elle est contraire à l’article 128 de la constitution.

Je dirai comme l’honorable M. d’Huart, qui assurément ne compte pas prendre la parole dans cette discussion ; je répéterai donc l’opinion qu’il a émise ici dans les termes les plus formels, heureux que je suis toujours de me trouver d’accord avec les ministres. Je dirai donc comme lui que la loi que l’on nous présente anéantit l’article 128 de la constitution. Cet article promet à tout étranger, du moment qu’il a touché le sol de la Belgique, la même protection pour sa personne et pour ses biens dont tout Belge jouit. Cependant cet article permet des exceptions à la règle générale. Etablissez des exceptions ; j’y donnerai mon vote si elles sont justes ; mais ce n’est pas là ce que demande le ministère.

Il veut qu’au lieu que les étrangers trouvent les garanties auxquelles ils ont droit, quant à leurs personnes et à leurs biens, ils soient laissés au bon plaisir des ministres. Si vous abandonnez le sort des étrangers à la disposition des ministres, ceux-ci, sous prétexte qu’ils compromettent l’ordre et la tranquillité publique (expressions élastiques s’il en fut), pourront leur assigner une commune du territoire pour résidence ou les expulser sans autre forme de procès.

Pouvez-vous appeler une semblable loi une exception à la règle générale qui assure protection à tout étranger quant à sa personne et à ses biens ? Ce n’est pas une exception. C’est l’anéantissement de la règle de l’article 128 de la constitution. Cela est si vrai, que si l’article 128, au lieu de faire partie du pacte fondamental, était inséré dans une loi, je proposerais, comme sixième article de votre loi exceptionnelle, qui en a 5, je crois, l’abrogation de l’article 128, accordant toute protection aux personnes et aux biens des étrangers.

Nous ne pouvons en agir ainsi, parce que l’on ne peut formellement abroger une disposition constitutionnelle. Mais il n’en résultera pas moins de l’adoption de votre loi que l’article 128 se trouvera en réalité abrogé non seulement en ce qui concerne la protection accordée aux personnes, mais même aux biens.

Je suppose en effet qu’un étranger vienne fonder en Belgique un établissement de commerce ou d’industrie. Il dépendra du bon plaisir de l’un de MM. les ministres de l’expulser. Je demande où est la protection que l’on accorde aux biens ; la fortune de l’étranger ne se trouvera-t-elle pas compromise, en quelque sorte anéantie par l’arrêté d’expulsion qui éloigne l’étranger du siège de sa fortune et le force à transporter sur une terre étrangère ?

Messieurs, vous venez d’entendre M. le ministre des affaires étrangères, et chose qui ne vous étonnera pas, ce discours ne contient rien de neuf. Je crois en effet qu’il n’est plus possible de dire quelque chose de neuf sur la matière. Mais M. le ministre a présenté des considérations générales. Il vous a dit que la sûreté du pays dépendait de l’adoption de la loi, que c’était une loi de confiance, que le gouvernement représentatif était avant tout un gouvernement de confiance, qu’il fallait s’en rapporter à la sagesse des ministres, et autres lieux communs de la même force.

Messieurs, avec de semblables principes savez-vous où l’on va ? à rendre toute loi inutile. Car enfin, si votre confiance dans les ministres est si grande, si vous croyez n’avoir aucun abus à craindre de leur part, pourquoi siégeons-nous ici, pourquoi votons-nous les budgets, pourquoi faisons-nous des lois d’organisation ? Ayez confiance dans MM. les ministres. Ils ne s’en rendront jamais indignes.

Il ne paraît pas cependant jusqu’ici que nous soyons bien convaincus que même leur conduite soit de nature à nous convaincre de leur infaillibilité. Je ne vois pas pourquoi nous leur témoignerions aujourd’hui une confiance plus grande que dans d’autres circonstances. Vous croyez une loi sur les étrangers nécessaire. Je suis prêt à la voter. Mais renfermez-vous dans les termes de la constitution. Expliquez-nous dans quels cas le ministère pourra faire des expulsions. Spécifiez ces cas, et je voterai en faveur de la loi.

Vous avez pu voir par le rapport que vous a présenté l’honorable M. Milcamps qu’une section a rejeté le projet.

Cette section est celle à laquelle j’appartenais et que j’ai eu l’honneur de représenter à la section centrale. Voici en quelques lignes comment elle expliquait son rejet. Ce peu de mots résumera ce que j’ai dit et mon opinion toute entière.

« Si une seule section, la quatrième, a rejeté la loi, c’est par d’autres considérations. Il a paru à la majorité de cette section que l’article premier du projet de loi est trop général ; qu’il donne au gouvernement une latitude telle qu’il consacre en quelque sorte l’arbitraire ; qu’il est inconstitutionnel en ce qu’il abroge l’article 128 de la constitution ; que si cet article autorise des exceptions, il faut qu’elles soient spécifiées et que la loi exprime d’une manière plus ou moins précise dans quels cas le droit d’expulsion s’exercera. »

Telle est, messieurs, mon opinion ; c’est vous dire que je voterai contre le projet, à moins qu’on n’y introduise des amendements tels que ces amendements rentrent dans les considérations que je viens de développer.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - La loi soumise à vos délibérations est constitutionnelle, elle est juste et nécessaire.

J’essaierai de le démontrer en répondant en même temps à ce qu’il y a de plus saillant dans les discours prononcés par les honorables préopinants.

La loi est constitutionnelle : l’article 128 de la constitution, tout en accordant aux étrangers, quant à leurs biens et à leurs personnes, la même protection qu’aux Belges, ajoute « sauf les exceptions établies par la loi ; » et en cela, la constitution belge diffère de la loi fondamentale des Pays-Bas qui, dans son article 4, ne contenait pas cette restriction.

Ainsi des exceptions sont autorisées. Que vous propose-t-on ? De permettre au gouvernement d’enjoindre aux étrangers qui compromettent l’ordre et la tranquillité publique de sortir du territoire du royaume ou de leur fixer une résidence dans une commune de la Belgique. Voilà les exceptions déterminées par la loi.

Du reste, quant à sa personne et à ses biens, l’étranger conserve tous ses droits. Quant à sa personne, son domicile, ses opinions, son culte, sont sous la protection de la loi commune. Quant à ses biens, il sera traité comme le seraient les Belges ; s’il est l’objet d’une injure ou d’une attaque de la part d’un Belge ou d’un étranger, il peut invoquer la loi comme un citoyen belge. Si un fonctionnaire porte atteinte à ses droits personnels ou patrimoniaux, les lois seront son égide. L’exception ne touche qu’aux lois de police et de sûreté. Pour toutes les autres lois la règle reste entière, sauf quelques différences.

C’est ainsi que nos lois civiles, correctionnelles ou criminelles traitent en général l’étranger comme le Belge. Elles présentent cependant quelques exceptions qui dérivent de sa condition même d’étranger.

Quant aux lois de police et de sûreté, est-il nécessaire de faire une différence entre le Belge et l’étranger ? Je crois que la nécessité de cette différence est incontestable.

L’étranger, comme on l’a déjà dit, n’a pas les mêmes devoirs envers le pays que l’indigène, il n’a pas le même intérêt à la conservation de l’ordre. Il faut contre lui des mesures plus fortes que contre l’indigène. Voilà ce qui motive l’exception établie à son égard.

Je comprends bien que je n’ai pas répondu aux objections faites par un honorable préopinant. Ce n’est pas une exception, a-t-il dit, que vous établissez, c’est la règle que vous anéantissez. A la règle, vous substituez l’exception. C’est comme si vous disiez dans la loi sur les étrangers : L’article 128 de la constitution est abrogé.

J’ai déjà indirectement répondu à l’objection en disant que l’article 128 reste en vigueur pour la personne et les biens de l’étranger ; qu’il est placé comme le Belge sous la protection des lois civiles, correctionnelles et criminelles ; qu’il n’y a d’exceptions que pour les lois de sûreté et de police.

De la manière dont la loi est faite, vous dit-on, toute les garanties sont enlevées à l’étranger. Voyons si cela est vrai.

L’étranger, disent nos adversaires, sera soumis au bon plaisir d’un ministre. Toutes les garanties seront perdues pour lui. Tout le monde, messieurs, convient qu’il est nécessaire de faire une différence entre le Belge et l’étranger quant aux lois de sûreté et de police. Comment faut-il la faire ? Puisque nous reconnaissons tous la nécessité d’établir une différence, voyons si l’on peut agir autrement que nous fait en présentant la loi.

Il faut spéculer les cas d’expulsion, nous dit-on. Mais, messieurs, plusieurs honorables préopinants ont reconnu eux-mêmes qu’il était impossible de spécifier ces cas. Ils ont senti (erratum inséré au Moniteur belge n°242, du 29 août 1835 :) qu’une loi pareille serait inefficace, que ce serait par conséquent une loi inutile. Je déclare que mieux vaudrait ne pas avoir de loi que d’exiger que le gouvernement assume la responsabilité des infractions à l’ordre public qui pourraient résulter de la présence des étrangers, sans lui donner les moyens suffisants de les réprimer.

L’honorable rapporteur de la section centrale a dit, un honorable député de Namur a dit aussi : « Prévoyez tous les cas que vous voudrez. » Il arrivera toujours des circonstances extraordinaires où le gouvernement se trouvera désarmé en présence d’une loi ainsi faite. Spécifier les cas d’expulsion est donc de toute impossibilité.

Nous ne pouvons offrir à l’étranger que les garanties qui dérivent de notre constitution même. Ces garanties sont nombreuses. Ces garanties, quoi qu’on en ait dit, sont efficaces. Quelles sont ces garanties ?

D’abord, le droit de pétition, Mais, a dit un honorable membre, ce droit est illusoire. Comment voulez-vous que l’étranger se plaigne ? il ne saura pas pourquoi il aura été expulsé.

Ce seront peut-être ses talents qui offusqueront un ministre ou un employé ; son industrie, qui excitera la jalousie ; ses opinions, qui porteront un fanatique à le dénoncer. Enfin ce sera le bon plaisir du gouvernement qui le plus souvent motivera son expulsion. Voilà ce qu’on vous dit. Mais, messieurs, si l’étranger ignore la cause de son expulsion, c’est alors qu’il fera un appel à l’opinion publique. Il sera connu comme un homme paisible, industrieux, qui mérite à tous égards l’estime des Belges.

On suppose que l’étranger n’aura pas le moyen de se plaindre : mais il saura mieux que personne s’il a donné lieu ou non par sa conduite à une mesure d’exception. Quand il fera sa dénonciation, la presse s’en emparera.

Mais, dit-on, la presse sera bâillonnée.

S"il est un pays où la presse est libre, c’est bien la Belgique. Je comprends du reste ce qu’ont voulu dire les honorables préopinants. Comment la presse pourra-t-elle exposer les causes d’expulsion que ni l’étranger ni elle ne connaîtront ? Lorsque des mesures ont été prises envers des étrangers dans l’année qui vient de s’écouler, n’avez-vous pas vu les journaux attaquer le gouvernement qui avait usé d’un moyen légal et, qui avait agi dans l’intérêt public ? Vous vous rappelez les réclamations dont les journaux ont retenti à cette occasion. Croyez-vous que lorsqu’un citoyen estimable viendra faire un appel aux journaux, ses réclamations ne seront pas entendues ?

M. Gendebien. - Et Guinard ?

M. le ministre de la justice (M. Ernst).- L’opinion publique vous dit-on, sera égarée, elle ne saurait se prononcer en faveur d’un étranger, parce que les motifs de son expulsion seront inconnus. Mais l’étranger n’aura-t-il pas assez de défenseurs dans les journaux du pays, dans ceux qui sont toujours portés à croire que les ministres ont tort, dans tous les organes de la presse enfin qui se déclareront ses avocats, parce qu’ils comprendront qu’il a plus besoin de protection qu’un indigène ?

La tribune, d’ailleurs, n’offre-t-elle pas une garantie pour l’étranger expulsé ? La tribune, répond-on, sera muette, Mais l’a-t-elle été lors de l’expulsion d’un étranger qui, moins que tout autre paraissait avoir droit la reconnaissance des Belges, du sieur Dejudicibus ?

Le ministère a-t-il refusé des explications à l’occasion de la pétition de cet étranger ? Des explications ne seront jamais refusées, à moins que des raisons d’ordre public ou l’intérêt même de l’étranger ne s’y opposent.

C’est donc à tort que l’on a dit que les garanties que je viens d’énumérer seraient illusoires. Elles existent dans toute leur force. Je pense que si un ministre se permettait d’expulser sans motif un étranger placé par cette qualité sous la protection des Belges, il n’oserait pas se présenter devant vous. Car il tomberait sous les attaques de la presse et de la tribune. Non, la tribune ne serait pas muette. Elle ferait écouter ses réclamations en faveur de l’étranger. Il n’y aurait qu’une seule voix dans l’assemblée contre le ministre, auteur d’un pareil acte d’arbitraire.

Voyons maintenant quelles sont les garanties que proposent nos honorables contradicteurs. Quant à moi, je déclare que toute garantie qui est compatible avec le droit lui-même, qui ne l’altère pas, qui n’ôte pas au gouvernement les moyens dont il reconnaît la nécessité, doit être conservée à l’étranger.

On veut d’abord que les arrêtés soient motivés. Mais, messieurs, est-ce que cette condition serait toujours en faveur de l’étranger, et dans son intérêt ? Il saura bien pourquoi il aura été expulsé. Il saura bien provoquer des explications s’il a à se plaindre ; ainsi les motifs de son expulsion seront indirectement connus, si l’étranger a intérêt à ce qu’on les sache. Car il pourra avoir intérêt à ce qu’on ne les connaisse pas.

Si l’étranger se plaint à la législature de son expulsion, le ministère sera forcé d’en faire connaître publiquement les motifs. Rien n’est donc plus inutile que la garantie que l’on réclame.

L’on propose de faire communiquer les arrêtés aux chambres. L’étranger recevra la signification de l’arrêté d’expulsion. Il pourra communiquer cet arrêté, soit à des membres de la chambre, soit aux journaux, s’il est intéressé à ce que l’on connaisse la mesure dont il aura été l’objet. Vous pouvez donc vous reposer sur l’intérêt même de celui qui aura été l’objet d’une mesure d’expulsion. D’un autre côté, l’étranger peut désirer que l’on ne parle pas de la mesure prise à son égard. La communication de l’arrêté à la chambre est donc inutile. Elle sera même fâcheuse pour l’étranger quand il aura donné de justes motifs d’expulsion.

Un honorable député de Namur a proposé une autre garantie qui réclame toute notre attention, la nomination d’une commission dans le sein de la chambre, à laquelle tous les arrêtés d’expulsion seraient communiqués et à laquelle seraient renvoyées les pétitions adressées à la chambre. Cette commission ferait son rapport à la chambre chaque fois qu’elle croirait découvrir un abus.

Suivant moi, cette proposition est inconstitutionnelle. Dans tous les cas, elle est inutile. Je dis d’abord qu’elle est inutile. N’y a-t-il pas ici une commission spécialement chargée d’examiner les plaintes de ceux qui croient avoir à en adresser contre un abus quelconque ? La commission des pétitions.

La pétition adressée par l’étranger expulsé sera renvoyée à cette commission. Il n’est pas loisible à cette commission de ne pas faire son rapport. Vous serez toujours les juges souverains et non pas les ministres. Car c’est sous leur responsabilité et sous votre contrôle que les ministres exécuteront la loi. (Erratum inséré au Moniteur belge n°242, du 29 août 1835 :) La commission que propose l’honorable M. Fallon est donc inutile, car l’étranger a pour juge, non seulement une commission de la chambre, mais toute la chambre. Si la commission des pétitions ne présentait pas de conclusion en faveur de l’étranger, tout membre de cette chambre serait libre de prendre la parole, de signaler les abus qu’il aurait découvert, de démontrer l’injustice de la mesure d’expulsion dont l’étranger aurait été frappé, de prouver qu’elle est un acte de vengeance. Il y a ici une commission, il y a la chambre tout entière qui ferait respecter l’hospitalité outragée.

J’ai ajouté que cette commission serait inconstitutionnelle, du moins dans le sens de la proposition faite par l’honorable député de Namur. Cette commission serait le juge souverain des ministres, ce serait elle qui discuterait s’il y a eu abus ou non ; car ce serait elle qui devrait prendre l’initiative pour saisir la chambre d’une accusation contre le ministère. Ce serait une commission de surveillance du pouvoir exécutif. Mais où serait l’inconstitutionnalité ? c’est qu’il serait libre à cette commission de ne pas faire de rapport sur les pétitions.

Cela ne peut pas être : les pétitions sont adressées à la chambre, aucune pétition ne peut être soustraite à votre contrôle, à votre décision. Je ne sais si je me trompe, mais il me semble qu’au lieu de donner un droit plus fort à l’étranger, on lui ôte une de ses plus grandes garanties qui consiste dans l’intervention de la chambre tout entière.

L’honorable orateur qui a fait cette proposition a dit qu’à coup sûr ce ne serait pas du banc des ministres que partirait une attaque contre cette proposition ; qu’on admettrait l’intervention de la chambre dans cette circonstance, comme elle l’a été dans une loi récemment adoptée. D’après ce que vous venez d’entendre, l’honorable préopinant s’est trompé.

Il a fait allusion à l’intervention de la chambre dans la nomination des jurys d’examen à laquelle le gouvernement a consenti. Pour ma part, je crois que le gouvernement a très bien fait. S’agissait-il dans cette loi d’une intervention de la chambre dans l’administration du pays ? S’agissait-il de contrôler les actes du gouvernement ? De faire d’une commission de la chambre une commission de police et de sûreté pour les étrangers ? Non certainement. Je ne sais s’il y a quelque chose d’aussi haut placé dans le pays que le jury d’examen. C’est une sorte de jury moral et religieux. Je ne conseillerai jamais au gouvernement de prendre une part active dans les questions morales et religieuses, c’est ici que l’opinion du pays, que l’esprit du pays doit dominer.

Le corps électoral du jury devait être la représentation nationale du pays, il ne devait être soumis à aucune autre influence que l’influence du pays.

Si le gouvernement avait formé à lui seul le jury d’examen, comme c’est une institution nouvelle qui a besoin de l’expérience du temps, si elle n’avait pas répondu aux vœux du pays, on n’aurait pas manqué de dire que c’était parce que le gouvernement en avait mal composé le personnel. Je suis fâché d’être obligé de m’appesantir sur cette question. Mais il est important de démontrer la différence de l’intervention à laquelle nous avons consenti et de celle que l’on propose aujourd’hui.

Il importe surtout que le jury d’examen soit une institution de confiance. Or, je le demande, cette institution aurait-elle inspiré une confiance entière, si le gouvernement en avait seul formé les éléments, lui qui soutient les universités de l’Etat ? Quant à moi, je crois que si le gouvernement avait été chargé de ce soin, il l’aurait rempli avec la plus haute impartialité. Les défiances n’auraient pas existé dans le pays, mais bien dans les établissements libres, parce qu’il y a entre ceux-ci et les universités libres de l’Etat une sorte de rivalité.

Ici le cas est tout différent. L’intervention de la législation dans la formation du jury n’est pas une intervention dans l’administration. Au contraire, la commission que propose l’honorable député de Namur, est une véritable commission d’administration qui exercerait sa surveillance sur le gouvernement. D’un autre côté, elle enlèverait à la chambre des prérogatives qui lui appartiennent.

Un honorable député a demandé pourquoi nous refusions tout contrôle sur nos actes, pourquoi nous refusions d’en rendre compte à la chambre. Je viens de démontrer que la chambre exerce un contrôle absolu sur nos actes. Nous refusons de rendre compte de nos actes à la chambre ! Mais le droit d’enquête existe. Voilà la seule manière dont le gouvernement peut rendre compte à la chambre.

On demande pourquoi nous refusons toute responsabilité : nous assumons sur nous, sous le contrôle de la chambre, la responsabilité de nos actes. L’on a demandé pourquoi nous nous défions de la chambre ; nous avons la plus grande confiance dans la chambre. Quels sont ceux qui ont montré le plus de confiance, ou de l’honorable député que nous combattons ou de nous : si nous refusons la nomination d’une commission, c’est que nous défendons la prérogative du gouvernement en même temps que celle de la chambre.

Un autre honorable député vous a proposé l’établissement d’une commission judiciaire, c’est-à-dire, qu’il voudrait que la chambre des mises en accusation fût consultée sur les expulsions. Une pareille proposition ne peut être prise en considération. Pour qu’un corps judiciaire intervienne dans les questions d’expulsion, il faudrait que les cas fussent prévus. Cela me semble évident. Or, tout le monde convient que l’on ne peut prévoir les cas d’expulsion.

Voilà la différence qu’il y a entre les extraditions et les expulsions.

Nous n’avons trouvé aucune difficulté à ce que l’on prît l’avis de la chambre du conseil ou de la chambre des mises en accusation, en cas d’extraditions.

En effet il s’agit de délits ou crimes déterminés. Il s’agit de vérifier si la demande d’extradition est fondée sur un des cas prévus par la loi. Mais comment la chambre du conseil ou la chambre des mises en accusation pourrait-elle examiner un cas d’expulsion ? Sa mission serait donc de se mêler de police. Ce serait ériger la chambre du conseil en tribunal de haute police. Ce serait enfin mêler le pouvoir judiciaire au pouvoir exécutif. Vous savez que la séparation de ces deux pouvoirs est nécessaire pour conserver l’ordre constitutionnel.

Puisque j’ai parlé des extraditions il importe de relever ce qui a été dit par un honorable préopinant. Il a dit que nous aurions mieux fait de laisser subsister la loi de vendémiaire an VI que de proposer une loi nouvelle. Je dirai d’abord, messieurs, que quand il s’est agi d’extraditions, (je rappelle des faits qui se sont passés dans cette chambre) une extradition qui avait été attaquée dans cette enceinte a été maintenue. La chambre n’a pas cru que l’on dût jeter du blâme sur le ministre, auteur de cette extradition.

Cependant personne n’a contesté la nécessité de faire une loi sur les extraditions. Moi-même qui m’étais élevé contre cette extradition que je considérais comme illégale, j’ai été le premier à défendre la loi d’extradition dont j’ai été nommé rapporteur.

Lorsqu’il s’est agi des expulsions, il en a été de même. La loi de vendémiaire an VI était suivant moi abrogée. Cependant la chambre a maintenu les expulsions. Elle n’a pas permis non plus que le blâme fût jeté sur le ministre auteur de ces expulsions. La chambre n’a jamais déclaré que la loi de vendémiaire an VI fût abrogée ou non, pas plus qu’elle n’a déclaré qu’il y avait une loi ou non en vigueur sur l’extradition.

Le seul doute qui existait sur la loi de vendémiaire an V suffisait pour ôter toute la force qu’une loi d’expulsion devait avoir entre les mains du gouvernement. Pour moi qui étais d’avis que cette loi était abrogée, comment peut-on me donner le conseil de faire exécuter une loi que je croyais ne pas exister ?

Quelle a été dans cette position ma conduite personnelle en fait d’expulsions ? J’ai dit qu’aussi longtemps qu’il n’y avait pas de lois spéciales, il ne restait au gouvernement d’autres moyens que de poursuivre les étrangers en justice. Mais je n’ai jamais pensé que les expulsions judiciaires fussent le seul moyen convenable dans les affaires politiques. J’avais présenté avec l’honorable M. Dubus (erratum inséré au Moniteur belge n°242, du 29 août 1835 :) un projet d’adresse où je disais :

« Si le gouvernement croit qu’il soit nécessaire pour la sécurité de l’Etat de soumettre les étrangers à des mesures exceptionnelles autorisées par l’article 128 de la constitution, la chambre toujours prête à concourir au maintien de l’ordre autant que des libertés publiques, prendra en mûre considération le projet qu’il plaira à Sa Majesté de lui présenter. »

Ainsi, croyant que la loi n’existait pas, j’ai dû en proposer une aujourd’hui.

Mais, dit-on, la loi de vendémiaire an VI offrait tout autant de garanties que celle que vous proposez aujourd’hui, ou, en d’autres termes, la loi actuelle, est tout aussi vague, tout aussi arbitraire que la loi de vendémiaire an VI.

Messieurs, où sont les garanties de l’étranger contre l’application injuste de la loi soumise à vos délibérations ? Ces garanties sont dans la constitution même. Lorsque la loi de vendémiaire an VI a été faite, ces garanties existaient-elles ? non. L’étranger n’avait aucune garantie politique. Car cette loi avait été faite peu de temps après le coup d’Etat de fructidor an V.

La représentation nationale venait d’être mutilée. Les opérations électorales de 48 départements avaient été annulées. Les places des députés de ces 48 départements étaient restées vacantes. Un grand nombre de députés avaient été déportés. Les journaux avaient été placés sous la surveillance de la police qui pouvait les prohiber.

(Erratum inséré au Moniteur belge n°242, du 29 août 1835 :) Par la même loi, toutes les associations politiques avaient été fermées. Par une loi du 22 fructidor an V, les propriétaires, éditeurs et rédacteurs de 42 journaux avaient été condamnés à la déportation. La loi de vendémiaire an VI n’offrait dont aucune garantie à l’étranger. Point de représentation nationale. Point de liberté de la presse. Tonte liberté publique était anéantie.

Rien ne nous empêche aujourd’hui, et la constitution n’y fait pas obstacle, de présenter une loi qui est nécessaire pour la conservation du bon ordre. Je pourrais à cet égard citer les opinions d’un grand nombre de députés, parmi eux sont d’honorables préopinants qui ont cru (et ils ont été plus loin que moi à cet égard) que le droit d’expulsion n’avait pas besoin d’être organisé par la loi ; que les expulsions pouvaient se faire sans loi. Je citerai à cet égard l’opinion de l’honorable M. de Brouckere. Voici les paroles qu’il a prononcées lors de la discussion de la loi sur les extraditions. (Moniteur 1833, n°228) :

« Puisque j’ai la parole, j’en profiterai pour dire à M. de Mérode que s’il est des étrangers qui nous nuisent, nous avons des moyens de nous en défaire, c’est de les expulser. L’Angleterre expulse les étrangers qu’elle craint, et on ne se plaint pas dans ce pays d’une telle manière de procéder. »

J’ai dit, messieurs, que la loi est constitutionnelle. J’ai dit qu’elle est juste et nécessaire. La loi est juste :

L’étranger paisible, l’étranger qui n’abuse pas de l’hospitalité, ne trouvera dans la loi qu’une garantie de plus. La loi tout en protégeant l’étranger paisible ne prend des mesures que contre celui qui se rend indigne de l’hospitalité qu’on lui accorde. En arrivant en Belgique, l’étranger saura à quelle condition l’hospitalité lui est accordée. Il saura que s’il vient en Belgique pour y exercer son industrie, ses talents, il sera protégé par les lois, mais que s’il vient pour organiser des factions destructives de l’ordre, que c’est en vain qu’il espère établir en Belgique un foyer de séditions. Alors ou il ne viendra pas ou il saura se mettre en garde contre les mesures qui le menacent ; s’il tient à mettre à exécution ses coupables projets, il n’aura qu’à s’imputer à lui-même les mesures rigoureuses dont il sera l’objet.

Ce n’est pas sérieusement que l’on a dit que l’honorable homme craindra de venir en Belgique : l’intérêt du gouvernement, les mœurs du pays, l’intérêt même des ministres sont des garanties que ce ne sera qu’à la dernière extrémité que l’on prendra des mesures contre ceux qui devront être expulsés.

La loi est juste pour l’étranger. Lorsque dans une localité il aura contracté des relations qui pourraient le porter indirectement à des actes contraires à l’ordre, le gouvernement pourra lui fixer une autre résidence ; ce sera un premier essai. L’expulsion ne sera prononcée que contre l’étranger incorrigible.

Il y a un autre moyen pour l’étranger de se mettre à l’abri de toute mesure d’expulsion, c’est de demander l’autorisation de jouir des droits civils. Elle est accordée à l’étranger paisible, à celui qui exerçant une industrie a intérêt que le bon ordre soit maintenu en Belgique.

J’ai ajouté que la loi est nécessaire. Je ne sais pas, messieurs, s’il est besoin de beaucoup d’arguments pour démontrer cette proposition.

L’honorable rapporteur de la section centrale a fait remarquer dans son rapport que toutes les sections avaient reconnu l’opportunité de la loi. Tout le monde sait que cette loi était réclamée depuis longtemps. Vous savez aussi, messieurs, comment la publication a été envisagée dans le pays.

J’ai dit que c’était une mesure nécessaire. L’honorable ministre des affaires étrangères vous a fait voir combien cette mesure se liait à la prospérité même du pays. Il vous a exposé les maux irréparables que les commotions intérieures causaient à l’industrie et au commerce, et que cette loi éloignerait en partie ces commotions.

L’honorable ministre a ajouté que ce serait de la part de la chambre une marque de confiance que le vote de cette loi. Un honorable orateur a demandé à quel titre le gouvernement méritait cette haute confiance. On a ajouté que par sa conduite le ministre s’en était rendu indigne. Je laisse la chambre juge entre cette orateur et nous.

Quelles circonstances extraordinaires, a-t-il demandé, exigent l’emploi de mesures exceptionnelles ?

Faut-il rappeler les événements qui se passent actuellement dans toute l’Europe ? Qui ne sait le nombre d’étrangers qui affluent continuellement dans notre pays ? Qui nierait qu’il ne soit nécessaire de prendre des mesures en présence de cette affluence ? L’état d’exaspération des opinions politiques dans certaines parties de l’Europe, notre position géographique, comme on l’a fait observer, surtout notre position vis-à-vis de la Hollande, voilà les raisons du gouvernement qui motivent une loi spéciale.

(Erratum inséré au Moniteur belge n°242, du 29 août 1835 :) Fait-il rappeler ce qu’a dit un honorable orateur, au sujet des moyens de donner des garanties nouvelles à nos libertés intérieures. Il a dit avec raison que pour que nos libertés restent large et sans restriction, il faut éviter que des étrangers qui n’ont pas d’intérêt à respecter nos institutions viennent faire chez nous sans courir des risques des essais qui pourraient en compromettre l’existence.

Je n’insisterai pas davantage. L’accueil que la loi a reçu dans la section centrale est un sûr garant des suffrages de la chambre. L’usage que le ministère fera de la loi qu’il vous demande, prouvera qu’il n’a pas été indigne de votre confiance.

(Moniteur belge n°242, du 29 août 1835) M. de Brouckere. - Je demande la parole pour un fait personnel.

Comme mon nom a été cité, je veux dire quelques mots. Je veux uniquement rappeler à l’assemblée qu’aujourd’hui comme autrefois je consens à admettre les cas d’expulsion, mais des cas spécifiés dans la loi, ainsi que le prescrit la constitution.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Ce droit existe-t-il dans la législation actuelle ? Peut-on expulser d’après les lois en vigueur ?

M. de Brouckere. - Je n’ai point à répondre aux interpellations des ministres : je déclare seulement que j’admets les expulsions dans les cas déterminés par la loi.

(Moniteur belge n°241, du 28 août 1835) M. Lejeune. - La discussion qu’a soulevée la loi qui nous est soumise me fait éprouver la nécessité de faire connaître brièvement les considérations qui me guideront dans le vote de cette loi, à laquelle le pays attache la plus grande importance.

Quelques orateurs ont repoussé le projet de loi parce qu’ils le regardent comme contraire à la constitution. Si je partageais l’opinion de ces honorables préopinants, s’il me restait le moindre doute sur la constitutionnalité de la loi, je me prononcerais comme eux pour le rejet, sans examen ultérieur.

Mais je ne trouve aucun obstacle dans le pacte fondamental.

La constitution a conservé un principe hospitalier, en faveur des étrangers ; mais à côté de ce principe, elle a posé une exception dans l’intérêt du pays.

L’exception, quand il y a lieu de l’appliquer, me paraît tout aussi constitutionnel que le principe.

Cela posé, j’approuve le principe de la loi qui nous est soumise, j’appelle de tous mes vœux les garanties d’ordre qui doivent en résulter pour le pays. Je ne veux pas que des étrangers fauteurs de troubles puissent venir à leur aise saper notre nationalité.

La constitution ne me paraît ici nous imposer qu’un seul devoir c’est de veiller à ce que l’exception ne détruise point la règle, comme l’a dit l’honorable M. Fallon.

Le projet ne présente point de garantie à cet égard.

J’ai déplore amèrement, comme Belge, l’usage qu’on a fait, à une époque peu éloignée de nous, de la loi du 28 vendémiaire an VI. J’ai considéré l’exhumation de cette loi comme un malheur pour mon pays, comme une faute qu’on lui reprochera longtemps encore.

Dans la supposition que cette loi n’eût pas été abolie, personne ne contestera qu’elle ne fût tombée en oubli, et que son application n’ait été au moins une surprise, un moyen auquel personne n’avait songé auparavant.

Eh bien, messieurs, ce n’est pas ainsi que doit agir un peuple loyal, comme le peuple belge.

Je ne voudrais pas que la loi qui vous est soumise puisse, dans un avenir qui est plus ou moins éloigné, recevoir une application tout à fait inopinée comme celle du 28 vendémiaire an VI. C’est un motif de plus pour exiger quelques garanties contre les abus.

J’accepterais la loi quand elle ne serait que temporaire ; je crois avec la section centrale que cette condition offre beaucoup de garanties.

Veut-on rendre la loi permanente, ce qui serait préférable peut-être, j’y donnerais mon adhésion, quand elle offrirait les garanties dans le genre de celles que présente l’amendement de l’honorable M. Fallon.

Je ne finirai pas sans parler de l’impression qu’a faite sur moi le discours de l’honorable député d’Arlon, M. Nothomb ; si je votais d’après cette impression, je rejetterais la loi.

Il y a sans doute des gens qui pourraient abuser de nos libertés constitutionnelles, mais je ne puis aucunement partager la crainte que chez nous on en fasse jamais sortir l’anarchie. Quand on a de pareilles craintes, on doit chercher, contre le mal, des précautions plus fortes que celles qu’on vous demande aujourd’hui.

Ce sont ces précautions que je crains beaucoup plus que le mal imaginaire qu’on voudrait combattre. Ce sont ces précautions qui mettraient nos libertés en péril.

Je ne conçois vraiment pas ce qu’on pense quelquefois de nos libertés et de la représentation nationale, comment on voudrait la qualifier : tantôt c’est un amendement que la chambre ne peut comprendre, parce qu’il trop long ; tantôt on vous présente, comme une chose possible, l’anarchie sortant du droit de pétitions, comme si la représentation nationale n’était pas à même de faire prompte justice des pétitions qui provoqueraient à l’anarchie.

Pour moi, je suis convaincu que la représentation nationale continuera de prouver, comme elle l’a fait jusqu’ici, que de pareilles allégations ne sont nullement fondées.

Quoique je ne craigne nullement que les anarchistes étrangers parviennent jamais aux résultats qu’on vous a fait entrevoir, je ne voudrais pas que le gouvernement reste désarmé devant eux.

Dans l’intérêt de la tranquillité publique, je voterai pour la loi, à condition qu’elle soit temporaire, ou que, si elle est permanente, elle présente d’autres garanties contre les abus.

M. de Jaegher. - J’ai examiné le projet de loi qui vous a été soumis, celui de la section centrale, et les divers amendements présentés dans la séance d’hier.

L’abolition, soit de droit, soit de fait, de la loi de vendémiaire an VI, laisse une lacune ; aucun des orateurs qui ont successivement pris la parole n’a jusqu’ici contesté la nécessité de la combler.

Divisés sur la forme, ils sont d’accord sur le fond.

Mettre la loi en rapport avec la constitution, ôter au ministère les moyens d’abuser du pouvoir qu’il réclame, tel est le but des amendements.

L’article 128 de la constitution qui assure à l’étranger la protection accordée aux personnes et aux biens, établit la règle, mais admet l’exception.

Généreux d’une part, le législateur a dû être prudent de l’autre ; en agir autrement eût été s’exposer à sacrifier le repos intérieur à l’intégralité d’un principe.

Les circonstances exigent-elles que l’exception soit opposée à la règle ? On a dit non, et je dis oui.

A l’appui de l’opinion négative, on cite le rejet, dans des temps plus difficiles, de dispositions restrictives des droits reconnus à l’étranger par l’article précité de la constitution ; ces citations sont justes, messieurs, mais à cette époque le gouvernement pouvait encore se croire armé de la loi de vendémiaire an VI ; aucune voix n’en avait encore soutenu l’abrogation implicite, et en cas d’événement grave personne de vous se serait-il levé pour lui contester le droit de l’appliquer ? Non, messieurs ; placés entre le danger et leurs doutes mêmes, ceux qui plus tard lui ont fait un crime d’en avoir usé, se seraient crus en devoir de lui en faire un mérite.

D’autres Etats recourent-ils à ces moyens excentriques, nous demande-t-on ? et on nous a cité l’Angleterre. L’oubli d’une juste appréciation de la différence des situations topographiques des deux pays a trop bien été relevé par l’honorable M. Nothomb, pour que j’y revienne. Séparée, du reste, par des mers du foyer des passions qui menacent le monde, l’Angleterre ne doit compte qu’à elle-même de sa quiétude ; nous qui y touchons, nous le devons à l’Europe entière.

Quels sont les graves événements qui nécessitent ce déploiement de mesures extraordinaires ? Ceux qui nous font cette demande les connaissent, et en apprécient comme nous toute la portée, messieurs. Qu’ils aient d’autres sympathies que les nôtres, notre devoir est d’être tolérants, mais il ne s’étend pas jusqu’à en être dupes.

Le projet du gouvernement, nous dit-on, prête à l’abus, prête à l’arbitraire.

Le premier amendement, celui de l’honorable M. Fallon, y apporte-t-il un correctif ? Je ne le pense pas, messieurs ; l’arbitraire resterait le même.

En déférant l’appréciation des actes à une commission spéciale, nous ne ferions que passer les mêmes armes d’une main à une autre ; nous ne ferions que faire surgir du sein des chambres un pouvoir tout aussi exorbitant, qui n’offrirait aucune garantie de plus et aurait une responsabilité de moins. J’admets l’intervention de la chambre, mais constitutionnellement ; elle a le droit d’interpeller les ministres sur chacun de leurs actes, qu’elle examine et qu’elle blâme s’il y a lieu.

Le second amendement, celui de M. Liedts, concilierait-il les besoins et les garanties ? Je ne le pense pas plus, messieurs ; c’est une loi de police politique, une loi exceptionnelle qui nous est demandée. Politique, elle n’est pas du ressort des tribunaux qui ne peuvent juger que des faits ; exceptionnelle, elle n’admet pas les lenteurs des formes judiciaires, parce que, pour être efficace, son effet doit être prompt.

Le projet de la section centrale et le troisième amendement, celui de l’honorable M. Pirson, tendent tous deux à limiter la durée de la loi ; d’accord avec quelques orateurs qui m’ont précédé, je repousse l’idée odieuse que prêterait à la loi un caractère temporaire ; les circonstances présentes la rendent à mes yeux instantanément indispensable ; les circonstances futures peuvent à époques indéterminées la rendre nécessaire, et son effet moral doit la rendre d’une utilité permanente.

C’est, dit-on, une garantie contre l’abus ; mais, messieurs, les articles 21 et 43 de la constitution qui garantissent le droit de pétition, ne sont-ils pas là ? Toutes les lois ne prêtent-elles pas à l’abus, et les mêmes moyens ne nous sont-ils pas laissés pour réprimer ceux qui dériveraient de celle qui nous occupe ?

Ma garantie à moi est dans l’étendue de nos pouvoirs.

Est-ce la seule marque de confiance que nous accordons à un ministère ? Mesurons-nous nos lois à l’échelle de garantie que nous présentent les principes momentanément personnifiés sur ces bancs ? Nos intérêts les plus chers, nos droits les plus sacrés ne sont-ils pas placés sous leur sauvegarde ? Eh bien, messieurs, si dans le cas présent les ministres abusaient de notre confiance, nous ferions ce que nous ne manquerions pas de faire en d’autres cas, nous nous rappellerions qu’ils ne sont pas inamovibles, et s’ils l’avaient oublié, nous n’en sommes plus à apprendre les moyens de leur rafraîchir la mémoire.

La section centrale a supprimé les catégories d’étrangers auxquelles la loi ne serait pas applicable : pour les numéros 1 et 2, elle a eu tort selon moi ; les étrangers qui en sont l’objet présentent, par leur position, des garanties que nous ne pouvons méconnaître ; laisser planer le doute sur le sort qui leur est réservé serait les condamner à un supplice permanent, dont la rigueur augmenterait en proportion des liens qui les attachent à la Belgique, liens d’intérêt, liens de famille.

Quant à la troisième catégorie, celle qui concerne les décorés de la croix de fer, je partage son opinion.

Reportons-nous au temps ou ces décorations ont été gagnées ; la lutte entre la république et la monarchie venait de se décider en France en faveur de cette dernière ; transportée sur un nouveau terrain, elle s’engageait en Belgique. Vue à travers les brouillards des événements, notre cause devait être celle de tous les partis ; amis de la nouvelle royauté de juillet, réunionistes, républicains, vinrent, sous la même bannière, unir leurs efforts vers un but différent.

Aujourd’hui, la position est changée ; la monarchie constitutionnelle est venue serrer nos rangs ; elle a divisé les leurs. Tel qui bravait alors la mort pour notre affranchissement, la braverait aujourd’hui contre notre indépendance ; le triomphe de ses principes politiques était le prix qu’il attendait de son courage ; la croix des mains d’un roi constitutionnel n’a été pour lui qu’une amère récompense. Quelques-uns l’ont acceptée cette récompense, gage d’un gouvernement monarchique ; d’autres, plus conséquents avec leurs principes, l’ont refusée, et je ne blâme pas leur franchise mais j’en prends acte comme d’un argument.

Messieurs, l’ingratitude n’est pas un des vices qu’on reproche au Belge ; son devoir est d’accueillir en frère l’étranger qui, n’importe dans quel but, a versé son sang pour sa cause. Que lui demande-t-il en revanche ? Respect à ses lois, respect à son repos intérieur.

A cette condition, il n’a rien à craindre de la loi qui vous est soumise ; sans cette condition, et s’il y manquait, l’ingratitude serait de son côté ; il aurait abusé des droits de l’hospitalité, abusé de ceux que lui conférait la plus honorable marque de reconnaissance ; il serait doublement coupable, et la loi devrait, à plus de titre qu’à tout autre, lui être appliquée.

L’article 5 du projet de la section centrale donne à la loi une sanction que n’assure pas le projet du gouvernement.

J’approuve cette modification, et y donne mon assentiment. J’ai exprimé sommairement, messieurs, mon opinion personnelle sur les principaux points de la loi ; je la développerai au besoin, ultérieurement, lorsqu’il s’agira de discuter les articles.

(Moniteur belge n°242, du 29 août 1835) M. Jullien. - Messieurs, c’est presque toujours par la manière dont un peuple comprend en pratique le droit des gens, et surtout dont il exerce I’hospitalité, qu’on le juge à l’étranger ; ainsi la loi qui nous est soumise intéresse au plus haut degré l’honneur du pays.

Il serait donc à désirer que nous fussions unanimes dans notre décision, puisqu’en fait d’honneur national, je dois penser que nous sommes tous solidaires. Je suis tellement convaincu de cette vérité, que j’éviterai tout ce qui pourrait exciter de l’irritation dans les débats. Je serai d’aussi bonne composition que M. Nothomb ; je ne rappellerai pas les opinions passées des ministres, mais je combattrai leurs opinions présentes, avec cette franchise, avec cette loyauté que nous avions, eux et nous, quand nous marchions sous la même bannière.

Avant d’entrer dans cette discussion, je crois devoir reconnaître quelques principes.

C’est un principe incontestable que toutes les fois qu’un étranger est admis dans un pays, il contracte par cela même l’obligation de respecter les lois du pays qui l’a reçu. S’il enfreint ces lois, il n’est pas digne de la protection qu’on lui accordait, pas plus que le régnicole qui se place dans le même cas. L’étranger aura beau dire avec le poète :

« Ne connaissant vos lois, je n’ai pu les enfreindre. »

Il est censé les connaître ; il a violé le contrat. Il doit être puni. Ainsi, quand on vient vous dire qu’on a besoin de sûretés, de garanties pour se défendre contre des étrangers qui viennent semer le désordre en échange du bienfait de l’hospitalité qu’ils ont reçue, on ne vous débite que des lieux communs, que des vérités triviales qui ne sont pas contestées. Quand un étranger aura troublé la tranquillité publique, n’y a-t-il pas, en effet, dans l’arsenal de vos lois pénales, assez d’armes pour le frapper et pour punir son offense ?

Si vous voulez quelque chose de plus, ordonnez qu’en vertu de l’exception de l’article 128 de la constitution, il soit expulsé, après avoir subi sa peine. J’admettrai volontiers cette différence entre la peine du régnicole et celle de l’étranger, parce qu’une fois trompée par lui, la société ne doit pas s’exposer à l’être une seconde fois. Mais, hors ce cas, quelle nécessité y a-t-il de demander contre lui des lois telles qu’elles équivalent à l’arbitraire le plus révoltant ?

Les lois existantes n’ont pas laissé le gouvernement désarmé contre les étrangers. Lorsque le congrès a formulé l’article 128, qui dit « que l’étranger qui se trouve en Belgique jouit de la protection accordée aux personnes et aux biens, sauf les exceptions qui seront établies par la loi, » le congrès, messieurs, délibérait sous l’influence de l’article 4 de la loi fondamentale des Pays-Bas.

Vous savez que cet article 4 ne faisait aucune distinction entre l’étranger et le régnicole, qu’il assimilait l’un à l’autre pour la protection de sa personne et de ses biens ; et qu’il a fait soulever bien des questions, sous l’ancien gouvernement, pour savoir s’il y avait contre les étrangers d’autres mesures à prendre que contre les nationaux. En levant cette difficulté, le congrès n’a pas voulu empirer leur condition, mais la règle invariable qu’il a voulu poser, c’est que protection est due à l’étranger pour sa personne et pour ses biens.

Voyons maintenant en quoi peut consister l’exception, et ne vous laissez pas prendre, messieurs, à de vaines déclamations.

Quand une règle est nettement posée et que la loi admet une exception, il faut que cette exception soit aussi nettement posée que la règle, parce que si vous posiez l’exception d’une manière vague et assez ambiguë pour qu’on ne puisse la reconnaître, tout en lui donnant le pouvoir d’absorber la règle, alors il est vrai de dire qu’il n’y a plus ni règle, ni exception ; il ne reste que l’arbitraire, et c’est ce que veut le gouvernement. Car examinez, messieurs, attentivement et de bonne foi la loi qu’on vous propose, et vous reconnaîtrez qu’il est impossible d’en avoir une autre idée.

L’article premier qui est toute la loi est ainsi conçu : L’étranger résidant en Belgique qui, par sa conduite, compromet l’ordre, trouble la tranquillité publique, peut être contraint à sortir du royaume.

Eh bien, je vous le demande, est-il possible de compromettre l’ordre et la tranquillité publique autrement que par des faits ? Celui qui compromet l’ordre, commet du désordre ; celui qui provoque l’anarchie, ne peut le faire que par des faits ; et s’il commet ces faits, il se rend coupable de délits prévus par la loi. Et puisque les délits sont prévus par la loi, pourquoi voulez-vous qu’on renvoie l’étranger en lui faisant encore la politesse de lui demander par quelle porte il veut sortir ?

Je suis plus sévère que vous, car je veux moi que l’étranger soit puni, sauf à le conduire hors du royaume après qu’il aura subi sa peine ; de quel droit en effet lui accordez-vous l’impunité si les délits qu’il a commis ont troublé l’ordre et la tranquillité publique, s’ils ont compromis la sûreté de l’Etat ? Et si vous ne pouvez articuler aucun fait contre lui, de quel droit le punissez-vous de l’expulsion ?

Le crime que vous supposez dans votre loi, n’est possible que s’il se traduit en actions : ouvrez le code pénal et vous y trouverez un article qui punit ceux qui troublent le repos et la tranquillité des habitants ; mais quoiqu’il ne s’agisse que d’une simple contravention de police, le législateur a grand soin de dire comment le délit sera commis : c’est par des tapages nocturnes et des bruits injurieux ; tant il est vrai qu’on ne peut comprendre des troubles, des rebellions, des séditions, sans des faits qui en déterminent la criminalité.

Cessez donc de feindre, MM. les ministres, ce ne sont pas des faits que vous voulez atteindre ; ce sont les opinions ; ce n’est pas la justice que vous voulez, c’est l’arbitraire.

On semble douter de l’effet qu’aurait une loi semblable à celle que nous discutons ; on ne croit pas qu’elle empêche les étrangers de venir dans ce pays : soyez convaincus au contraire qu’elle les éloignera. Croyez-vous qu’un étranger viendra nous apporter ses capitaux, son industrie, quand il saura que le dernier des policiers, que le plus vil des mouchards pourra, par un rapport, le faire expulser ?

Et ne vous imaginez pas que l’étranger saura pourquoi il a été chassé ; non, il recevra par huissier un arrêté qui lui enjoindra de quitter le royaume dans 24 heures, et voilà tout. Et savez-vous pourquoi on ne lui fera pas connaître les motifs de la mesure qui le frappe ? C’est par une tendre sollicitude pour lui ! c’est parce qu’en exposant les motifs de l’arrêté, cela pourrait lui porter préjudice, le compromettre !!

Ainsi par votre loi vous pouvez expulser un homme qui depuis 20 ans est en Belgique, qui s’y est marié avec une Belge ; qui a des enfants ; qui y possède un établissement de commerce. Si la police inférieure, la basse police ; si des jaloux, des envieux, le dénoncent ; s’il est en butte à toutes ces viles passions qui ne sont que trop communes dans la société, il sera chassé sans savoir pourquoi ; et le tout par bienveillance !

Voyez, messieurs, où mène la soif de l’arbitraire.

Il y a plus. C’est qu’on ne s’attaquera pas seulement à des hommes domiciliés dans le pays, ayant femme et enfants ; on pourra encore s’en prendre à des nationaux eux-mêmes. N’avons-nous pas vu des individus belges frappés par les derniers arrêtés qui ont expulsé tant de personnes ? Il n’est pas toujours facile de reconnaître la nationalité ; elle est quelquefois douteuse, parce que les individus manquent de papiers, parce qu’ils ignorent le lieu de leur naissance ; eh bien, ces Belges dans ce cas pourront être atteints aussi bien que les étrangers.

Mais, a dit l’honorable rapporteur de la section centrale, ne croyez pas que si on s’attaque aux personnes, on ne respectera pas les biens ; nous faisons deux parts de la personne et des biens....

Je ferai remarquer que cette distinction a quelque chose de dérisoire. Quand vous enlevez le chef de famille à sa maison, à ses affaires, est-ce que ses propriétés et ses biens ne souffrent pas ? Je conçois que vous ne livrerez pas sa maison au pillage, que vous mettrez les scellés sur ses magasins, sur ce qu’il laisse ; mais vous ne le ruinez pas moins avec ces précautions.

Si, même sans l’expulser, vous forcez un étranger qui a un établissement de commerce à Bruxelles, d’aller prendre sa demeure à Furnes, par exemple, ne le frappez-vous pas dans sa propriété, ne ruinez-vous pas son commerce ? Il y a donc violation manifeste de la constitution.

Si l’article 128 de la constitution peut comporter les exceptions que vous voulez et comme vous les entendez, vous n’avez pas besoin de la loi, il n’y a qu’un léger changement à faire à l’article 128 ; vous n’avez qu’à le lire ainsi : « Tout étranger qui se trouve sur le territoire de la Belgique, jouit de la protection accordée aux personnes et aux biens, sauf qu’il pourra être expulsé quand il plaira au gouvernement. » (On rit.)

Voilà tout ce que vous demandez et voilà votre loi toute faite.

M. de Brouckere vous disait tout à l’heure que si vous adoptiez la loi, il fallait rayer de la constitution l’article 128 ; et moi, je vous conseille de le conserver avec cette variante, de sorte que si nous ne sommes pas d’accord sur la forme, nous le sommes du moins sur le fond.

Il y a quelque chose de déplorable dans cette affaire, c’est que le gouvernement avait proposé des exceptions et notamment en faveur des étrangers mariés en Belgique et ayant des enfants : eh bien, par une rigueur que je ne saurais concevoir, ou par des motifs qui passent la portée de mon imagination c’est la section centrale qui a supprimé cette exception.

On s’est borné à dire dans le rapport qu’il n’y avait de la part de ces étrangers aucune manifestation suffisante de l’intention de s’attacher à la Belgique. Ainsi, quand un homme s’est fixé en Belgique, qu’il y a pris son principal établissement, qu’il s’y est marié, il n’y a pas manifestation de la volonté de s’attacher au pays, selon M. le rapporteur ? Cependant y a-t-il une plus grande manifestation de la volonté de s’attacher à un pays que de s’y marier, que d’y habiter ? Cette manifestation n’est pas suffisante, d’après M. le rapporteur, pour motiver l’exception proposée par le gouvernement ! Mais elle est tellement suffisante que, d’après le code civil, elle fait perdre à étranger sa qualité de citoyen dans son pays natal, si l’établissement fait en Belgique est fait sans esprit de retour. Je le répète, il y a dans la suppression proposée par la section centrale quelque chose d’extraordinaire que la chambre appréciera.

Vous nous assurez que l’étranger paisible n’aura rien à craindre, On vous a cité un exemple tout récent pour vous montrer que l’étranger, quel qu’il soit, avait tout à craindre.

M. Guinard est arrivé en Belgique ; son père y a longtemps demeuré ; sa mère était Belge ; son père et lui ont dans le pays de grandes propriétés ; il a été accueilli par la population de Charleroy ; vingt habitants notables de cette ville se sont présentés pour répondre de lui et de sa conduite ; eh bien, on l’a chassé. Cependant cet individu n’a rien fait ; il n’avait même pas eu le temps de penser à faire quelque chose de mal sur le territoire. Pouvons-nous, d’après cela, avoir confiance en ceux qui ont agi de la sorte envers un homme qui n’avait rien à se reprocher ? Mais encore une fois, ce ne sont pas les faits que l’on poursuit ; ce sont les opinions.

Une chose que les ministres ne comprennent pas, et que comme homme je comprends parfaitement bien, c’est que c’est une grande erreur de croire que les réfugiés politiques viennent ici pour y semer le désordre.

Quand ils arrivent dans notre pays encore tout meurtris des chaînes qu’ils ont brisées, ils ont besoin de repos. Quand on a vécu quinze ou vingt mois dans les cachots et que l’on touche une terre de liberté, ce n’est pas pour troubler la tranquillité de ses habitants ; quand on aspire soi-même après le repos, on n’est pas disposé à troubler celui des autres : on veut rester en paix, on veut respirer un air libre, un air pur ; voilà les sentiments que je crois plus naturels au cœur de l’homme que tous ces sentiments hostiles que vous leur supposez. Qu’ils soient entreprenants dans leur patrie, on le comprend ; mais ici leur activité serait sans but.

Ce que je conçois encore, c’est que la présence chez nous de quelques-uns de ces individus puisse inquiéter la police d’un gouvernement voisin : mais sommes-nous donc descendus si bas que nous soyons obligés, nous Belges, d’être les agents de M. Gisquet !

Ainsi, ce serait à cause de la police de France que Guinard et d’autres ont été chassés du pays ! C’est cette police étrangère qui agit sur nos hommes d’Etat.

Messieurs, tout est trouble et agitation autour de nous : allez dans notre voisinage, vous y trouverez tous les éléments de désordre ; aller plus loin, c’est la guerre civile ; mais nous, nous sommes en paix, laissez-nous-y, laissez-nous la paix de Dieu : pourquoi nous tourmenter sans utilité, pourquoi des lois d’exception ? Vous voulez éviter les troubles, et vous prenez le meilleur moyen de les exciter : ce sont les lois d’exception qui les font naître.

Il y a en France un homme d’Etat dont j’estime d’autant plus le talent qu’il s’est séparé avec éclat des doctrinaires ; il a dit que les lois d’exception étaient un emprunt usuraire fait par le pouvoir et qui finissent par le ruiner. Il avait dit cela aux ministres de la restauration ; eh bien, messieurs, l’homme d’Etat avait dit juste ; il était prophète, car, en juillet 1830, le peuple a fait rembourser l’emprunt en principal et intérêts, et il a prouvé au pouvoir le danger des lois d’exception. Cet homme d’Etat est M. Royer-Collard, qui, toujours dans les mêmes principes, défendait encore, il y a quelques jours, à la tribune de France, la liberté de la presse, si imprudemment et si violemment attaquée.

Messieurs, puisque j’ai la parole, il faut bien que je dise quelques mots sur les opinions émises par MM. les ministres des affaires étrangères et de la justice.

M. le ministre des affaires étrangères, si j’ai bien compris la portée de son discours, a fait tout uniment un appel aux professions industrielles, aux amis de l’ordre et de la tranquillité. Ne savez-vous pas, leur a-t-il dit, que s’il vient une seule petite émeute, votre commerce en souffrira, vos ouvriers en pâtiront ?

Mais depuis combien de temps ne savons-nous pas cette vérité-là ? Fallait-il attendre la présentation de votre projet de loi pour savoir que toutes les fois que la tranquillité publique est troublée, c’est l’industrie qui souffre, c’est tout le monde ? Si votre loi était un remède infaillible contre les émeutes, si vous aviez le moyen d’empêcher les troubles et les dommages qui peuvent en résulter, je dirais : Vous avez raison.

Mais quand vous viendrez jeter ces phrases banales de repos, de tranquillité, phrases que nous savons tous et que dans tous les temps on met en avant quand on veut surprendre une loi dont on a besoin ou dont on croit avoir besoin, je me tiens sur mes gardes.

Il y a cependant eu un peu de franchise dans le discours du ministre des affaires étrangères. Il a bien senti qu’il ne pouvait pas dissimuler le reproche que le gouvernement pouvait abuser de la loi. Voilà un aveu qui a au moins le mérite de la franchise. Oui, le gouvernement peut en abuser ; mais c’est ici une loi de confiance que nous vous demandons, donnez-la nous, nous vous promettons que nous n’en abuserons pas.

C’est là le langage de tous les ministres passés, présents et futurs, quand ils demandent une loi profitable pour eux. Ils font toujours la promesse de ne pas abuser de la confiance qu’ils demandent.

Si vous avez, messieurs, tant de confiance dans les ministres, déchirez votre constitution, vous n’avez plus besoin de lois préventives ou protectrices ; remettez-leur la dictature, et dites-leur : Puisque vous êtes si habiles et que vous méritez tant de confiance, nous n’avons plus besoin de vous imposer de frein, de faire des lois : gouvernez.

Si c’était là votre idée, messieurs, quant à moi, je vous avoue que ce n’est pas la mienne.

Il faut établir chez nous une nationalité, vous a dit encore le même ministre ; mais cette nationalité doit être totale dans nos moeurs, dans nos habitudes, dans nos idées ; enfin c’est une nationalité nationale, si j’ose m’exprimer ainsi, que veut M. le ministre des affaires étrangères. (On rit.)

Je n’en disconviens pas, je veux qu’on établisse en Belgique une nationalité. C’est parce que nous voulions dans le pays une nationalité conforme à nos mœurs, que nous avons demandé qu’il n’y eût qu’une seule université, qu’un seul foyer où seraient venues se fondre toutes les opinions diverses et rivales qui affligent les différentes provinces. Nous voulions que, dans ce foyer commun, les jeunes gens, réunis par cette fraternité d’études qui ne s’oublie jamais, reportassent chez eux l’oubli de ces sentiments hostiles qui divisent nos provinces et qui ne permettront jamais que nous ayons une nationalité. Car nous voulons aussi une nationalité, mais nous la voulons à l’ombre de nos lois.

Aussi dirai-je à MM. les ministres : Si vous voulez une nationalité, commencez par respecter nos lois et surtout la constitution qui est la loi des lois. Or comme je crois l’avoir prouvé, l’article 128 de la constitution sera violé si on adopte ou si on vous donne la loi que vous voulez avoir.

Après le ministre des affaires étrangères est venu le ministre de la justice, qui n’a pas manqué de vous dire combien étaient justes les observations faites par son honorable collègue. Il a débuté par vous dire : La loi est constitutionnelle, elle est juste, elle est nécessaire.

Si tout cela est vrai, c’est une loi que vous devez vous empresser d’adopter sans prolonger davantage la discussion.

Mais si on répondait à M. le ministre de la justice : Votre loi n’est pas constitutionnelle, elle n’est pas juste, elle n’est pas nécessaire, il y aurait procès, et ce procès, il faudrait que la chambre le jugeât.

Or c’est là précisément ce qui est en question, car je soutiens que la loi n’est ni constitutionnelle, ni juste, ni nécessaire.

Vous avez, dit-on, en dehors de cette loi toutes les garanties imaginables, et ces garanties consistent dans un appel à l’opinion publique, dans la tribune. Eh, messieurs, lorsqu’un étranger aura été déporté, qu’il aura dépassé la frontière, qu’il sera rentré peut-être sous la main de ceux qui le traquaient, qui le pourchassaient, que viendra faire l’opinion publique pour le soutenir ? cet étranger aura-t-il le moyen d’y recourir, et d’après la manière dont on va la traiter, la presse sera-t-elle disposée à prendre fait et cause pour lui ? Ainsi l’opinion publique ne sera peut-être pas même avertie qu’un étranger aura été expulsé sans raison. On aura soin de ne pas lui laisser les moyens de se plaindre de l’expulsion qui l’aura frappé.

Ces garanties sont donc tout à fait dérisoires.

Quant à l’intervention des chambres, on a dit des choses assez raisonnables pour me déterminer à rejeter les amendements de l’honorable M. Fallon, sauf à adopter ceux de M. Liedts, ou à en proposer d’autres, parce que l’intervention des chambres me paraît encore une chose inutile pour le malheureux déporté.

En effet, les chambres ne sont pas toujours assemblées. Plusieurs mois pourront se passer avant que la réclamation de l’étranger déporté n’arrive aux chambres, et ensuite, j’en appelle à vos souvenirs, toutes les fois que de pareilles discussions se sont élevées, à quoi ont-elles abouti, si ce n’est à exciter de l’irritation sans avoir aucune espèce de résultat pour celui qui réclamait ? Voila ce qu’ont produit tous ces débats portés dans les chambres. Quand il s’agit d’une mesure exécutée, d’un fait accompli (pour me servir du langage de la diplomatie), sur lequel il n’y a pas à revenir, ceux qui parlent contre ces abus sentent eux-mêmes l’inutilité de leurs paroles, et ils finissent par abandonner des discussions qui n’aboutissent qu’à faire perdre du temps à la chambre.

Il me reste encore des observations à faire sur les amendements proposés, mais je me réserve de les présenter lors de la discussion des articles, pour ne pas prolonger davantage la discussion générale.

Je ferai une dernière observation sur laquelle j’appelle toute l’attention de la chambre.

On ne peut pas s’occuper d’une loi sur les étrangers sans être obligé de faire un retour sur soi-même. Car si vous avez de étrangers dans votre pays, quand vous en sortirez, vous serez étrangers chez les autres. Il faut donc songer un peu à la réciprocité.

Dans ce moment, vous êtes au sein de vos familles, tranquillement assis sur vos chaises curules ; vous jouissez en paix de vos biens, de vos honneurs, de vos prérogatives ; mais vous aussi vous avez fait une révolution, vous aussi vous avez eu un maître qui dans des jours de vicissitudes et de malheur n’oublierait pas peut-être comment et par qui il a été chassé de ses Etats. Combien de fois, messieurs, depuis quarante ans, n’avez-vous pas vu changer la face des empires ? Qui donc vous répond que vous ne serez pas un jour obligés d’aller mendier un asile et du pain sur la terre étrangère ? Et il est amer, messieurs, le pain de l’étranger !

Dans ces prévisions que je désire ne se réaliser jamais, suivez le précepte de l’évangile : Faites pour l’exilé ce que vous voudriez qu’on vous fît en pareil cas ; ne vous exposez pas, en rencontrant ceux que vous auriez chassés, à devoir détourner la tête et rougir devant leurs concitoyens.

Cette réflexion est la dernière que je vous laisse ; je vous prie de la méditer.

- Plusieurs voix. - Très bien ! très bien !

(Moniteur belge n°241, du 28 août 1835) M. F. de Mérode. - Je voudrais pouvoir partager avec raison, messieurs, la sécurité de plusieurs de nos collègues, qui ne semblent ordinairement préoccupés que d’un seul péril, celui dont la constitution serait menacée par les envahissements de l’autorité gouvernementale. Quant aux dangers qui naissent, pour un ordre constitutionnel jeune encore, de l’activité et de l’infatigable violence avec lesquelles s’agite l’esprit factieux après les révolutions, ils sont considérés par les mêmes personnes comme infiniment éloignés et comme n’étant pas de nature à donner d’inquiétudes sérieuses aux hommes prévoyants.

Je le répète, messieurs, je voudrais pouvoir m’abandonner à une douce quiétude, à une confiance ingénue, car j’aime singulièrement la paix, et le plaisir que j’éprouve lorsque j’ai l’occasion de donner l’hospitalité à un étranger, me paraît bien préférable aux pénibles débats qui surgissent dans cette enceinte sur le droit d’expulsion. Malheureusement notre siècle, malgré toutes les promesses de la révolution de 1789, est loin d’être l’âge d’or. Nos pères ont subi de cruels mécomptes, et au lieu de la liberté qui leur était annoncée, le despotisme sanguinaire, abject, puis conquérant, les a placés sons un régime de fer, dont nos premières années nous ont rendus témoins.

A une époque récente, en 1830, de nouvelles espérances firent battre bien des cœurs généreux.

Messieurs, le progrès, l’amélioration du sort des classes nombreuses privées des bienfaits de l’aisance parurent à l’ordre du jour. Lorsque l’on résistait en France et en Belgique aux essais rétrogrades de deux gouvernements maladroits en sens inverse sous le rapport moral et religieux, après les avoir vaincus, qui pensait qu’il faudrait se défendre contre une fraction homicide bien plus rétrograde que tous les absolutismes unitaires, puisqu’elle veut ramener l’Europe au despotisme le plus atroce qui ait épouvanté le monde depuis six mille ans ?

Qui pensait, en juillet et en septembre 1830, après le double triomphe rapidement obtenu sur les tentatives d’un bon plaisir dont les velléités étaient plus folles que cruelles, qui pensait aux septembristes de 93, à la prétention de ressusciter non pas la terreur dont a parlé un honorable ministre français et qui consiste dans la crainte salutaire que les lois doivent être imprimer aux méchants, mais cette erreur qui décima ce qu’il y avait de plus respectable en France et aussi en Belgique pendant moins longtemps à la vérité, grâce au tardif supplice des bourreaux ?

Eh bien, messieurs, voilà le progrès vers lequel on nous conduirait probablement, si nous n’y prenions garde, de concert avec nos voisins. En 1791 les membres de l’assemblée constituante étaient comme nous populaires, comme nous ils dictaient assez paisiblement des lois ; deux ans plus tard ils étaient victimes de leur confiance dans la liberté pure et simple ; d’audacieux ennemis les garrottaient et les égorgeaient au nom de la liberté du crime, dominateur absolu. Et qu’on ne dise pas que les temps sont changés, que les fanatiques du jacobinisme sont en petit nombre, que la société, plus forte qu’autrefois, ne saurait leur appartenir un seul jour désormais. Cela serait vrai si les bons étaient aussi hardis, aussi persévérants que les méchants.

D’ailleurs, je ne disconviens pas que le combat ne soit mieux soutenu qu’il y a 40 ans. L’émigration armée ne gêne plus la défense du citoyen fidèle au drapeau de la liberté et de l’ordre public. Toutefois il peut se décourager à la longue, et dans un moment de sommeil, être saisi à la gorge par un ennemi aussi vigilant qu’acharné.

En attendant, voici le langage que lui tient l’adepte des prétendus droits de l’homme, ou pour mieux dire des droits du tigre et du loup-cervier : « Citoyen garde civique, et vous tous libéraux sincères, représentants, ministres ou administrés, nous réclamons de vos généreuses consciences le droit de la liberté en tout et pour tous que vous avez proclamé ; nous voulons la liberté pleine et entière de renverser vos institutions qui nous laissent outrageusement dans l’obscurité, nous voulons posséder la liberté d’user comme il nous convient de vos biens et de vos vies. Les hommes de 93 étaient trop doux ; nous couperons beaucoup plus hardiment vos bourses et vos têtes qui tomberont par centaines de milliers, le tout pour le bonheur indéfini de l’humanité. Bonnes gens vrais libéraux, laissez-nous faire, ou vous êtes parjures. Gardez-vous de gêner nos mouvements ; du moins prenez vos mesures restrictives de nos projets dans une si bénigne légalité qu’elles demeurent sans résultat. »

Voilà, messieurs, le résumé de la polémique néo-Robespierrienne qui n’est pas un songe de mon imagination, mais la vraie réalité.

En Belgique, dira-t-on, nous n’avons rien à craindre, le peuple est bon : je le veux ; cependant est-il incorruptible et indéfiniment à l’épreuve contre une licence que rien n’arrête ? la presse de carrefour cherche depuis longtemps à détruire dans l’esprit de ce peuple tout respect, et pour le chef de l’Etat, et pour les chefs de notre église, désignés par elle sous les termes qu’inspire le plus brutal mépris. Le dévergondage de cette presse est sans bornes.

Et qu’on ne dise pas qu’elle est sans influence. J’en conviendrais si le nombre des abonnés aux journaux écrits avec de la boue était très limité. Malheureusement les faits parlent autrement, et les écrivains spéculateurs d’immoralité, après avoir commencé par répandre leur venin en français, annoncent qu’ils vont exploiter les populations flamandes ; et si les indigènes corrompus travaillent déjà avec ardeur à étendre leur pourriture assaisonnée de sel grossier et plat en lui-même, mais piquant pour le palais de mauvais goût, que sera-ce s’ils sont secondés par une foule d’étrangers de même trempe qui se rendront en Belgique de tous les pays ?

La partie intelligente de la population ne se laissera sans doute point séduire par cette méchanceté repoussante. Mais, comme le disait un député à la chambre de France, en vertu d’une triste compensation, les hommes sans lumière seront pervertis par les organes de ces désorganisations ; ensuite, lorsque j’entends proclamer qu’en Belgique le peuple est bon, je n’adopte pas entièrement cette assertion laudative ; une révolution conduite avec les intentions les plus patriotiques et les plus pures porte presque toujours avec elle certains désordres dans la société ; les liens moraux se relâchent, parce que dans les villes populeuses on abandonne les moyens de répression qui empêche le vice de s’étaler effrontément. La mauvaise coutume des ouvriers de cesser tout travail le lundi de chaque semaine, et de passer ce jour et la moitié de la nuit dans les tavernes aux dépens de l’existence de leur famille, s’enracine de jour en jour davantage. Je ne pense pas que le peuple de la capitale se soit amélioré depuis 1830, je crois plutôt le contraire, et la facilité des communications portera au loin ce levain de corruption qui existe trop abondamment dans le centre, pour ne pas déborder à la circonférence/

S’ensuit-il qu’il faille arrêter le développement des routes pavées et des chemins de fer, qu’il failler tuer l’imprimerie des livres et des journaux ? non sans doute. Mais les ferments délétères qui existent chez nous ne doivent pas être accrus par une large hospitalité envers l’étranger quel qu’il soit.

Résister au mal qui se développera chez nous de lui-même, et sans secours exotique, ne sera pas aussi facile que l’imaginent beaucoup d’esprits forts, qui se rient de toutes les craintes et de tous les périls entrevus par des hommes moins nantis et moins sûrs de l’avenir.

Maintenant, messieurs, que l’on vienne tant qu’on voudra citer à un ministre les mots qu’il a improvisé lorsqu’il n’avait qu’une responsabilité de paroles, et aucune responsabilité d’action. Qu’est-ce que ces citations bien ou mal appliquées prouveraient ? Rien, sinon qu’il sera toujours beaucoup plus facile de discourir sur un banc d’opposition que de diriger avec assurance le timon des affaires publiques.

Je demanderai à ceux qui trouvent toujours le gouvernement trop fort et trop bien armé : Avez-vous renoncé à siéger jamais dans les conseils du Roi ; avez-vous renoncé à servir votre pays autrement que par la critique des actes du pouvoir exécutif ? Si tel est décidément et définitivement votre rôle, continuez, votre tâche ne sera jamais laborieuse ; parlez sans réflexion, faites hardiment des phrases sonores de générosité et de popularité éphémère ; mais si vous voulez accepter un jour la part active que vos talents, unis à l’expérience, peuvent vous donner à la direction des intérêts de l’Etat, prenez garde à vous. Messieurs, n’oubliez pas ce que vous disait hier mon honorable ami, M. Nothomb : « L’extrême libéralité de notre constitution rend plus dangereuse la présence des étrangers remuants dans un pays étroit et ouvert de tous côtés. »

Remarquez aussi que l’article 128 ne parle point du droit de résidence en Belgique assuré à l’étranger, mais seulement de la protection accordée à la personne et aux biens de celui qui se trouve sur le territoire belge. Fût-ce accidentellement même, sans passeport, s’il traverse une minime fraction de ce territoire, il sera protégé par la loi commune aux citoyens belges ; mais de ce droit d’être protégé que l’on acquiert lorsqu’on est dans le pays, du droit de ne pas être livré à une justice étrangère sauf les exceptions établies par les lois, jusqu’au droit d’habiter le pays et qui appartient aux régnicoles, quelle énorme différence !

Quelle différence aussi entre le droit pur et simple d’expulsion attribué au gouvernement et la rigueur de la loi conventionnelle que nous citait hier un membre de cette chambre, comme préférable au projet qui vous est soumis ! C’est précisément afin d’éviter à jamais le retour de ces lois barbares que nous voulons, messieurs, maintenir notre liberté présente. C’est pour éviter au peuple les misères des époques désastreuses où l’on promulgue de telles lois que vous adopterez celle-ci sans restriction, parce que restreinte, elle serait sans effet.

Messieurs, un des préopinants vous a dit qu’il n’avait reconnu parmi les acteurs dans les troubles d’avril aucun étranger. Je le crois volontiers. Les étrangers n’ont point armé leurs mains des instruments qui servirent aux destructions ; mais rappelez-vous le discours de l’honorable M. Devaux, discours contenant en résumé toutes les provocations au désordre qui étaient alors publiées par des étrangers, lesquels furent expulsés.

Rappelez-vous qu’un ex-député, banni de France, attaqua dans un journal de Paris le Roi des Belges, dont le gouvernement le laissait en parfait repos séjourner parmi nous. Souvenez-vous que les articles attentatoires à l’inviolabilité royale furent répétés dans des journaux publiés en Belgique et que signaient encore d’autres étrangers réfugiés ici. Souvenez-vous enfin qu’après les déplorables événements de Lyon et de Paris la Belgique, sans les expulsions, eût été envahie par une foule de provocateurs des émeutes qui venaient d’ensanglanter ces deux premières villes de France : rappelez-vous ces circonstances, et vous jugerez du mérite de l’observation présentée par l’honorable membre auquel je réponds.

Un autre orateur a fait un appel à vos sentiments, à votre propre intérêt, et vous a indiqué la possibilité de revers imprévus ; événements qui vous forceraient à vous expatrier et à réclamer l’hospitalité d’une nation étrangère. Messieurs, jamais vous ne souffrirez que le malheureux innocent, obligé de fuir son pays natal et qui se réfugiera sur le vôtre avec des sentiments d’ordre et de paix, soit repoussé de vos limites ; aucun ministre belge n’oserait se permettre une telle injustice, et je serais le premier à abandonner le ministère qui s’en rendrait coupable.

M. Pirson. - Je n’avais point le projet de prendre la parole dans la discussion générale du projet de loi sur les étrangers.

J’étais tout disposé à la voter de confiance, à condition qu’elle fût temporaire et pourvue de la plus simple garantie contre les erreurs ou les passions de la police secrète.

Mais, tout à coup, le discours de M. Nothomb a éveillé chez moi des soupçons de la nature la plus grave.

En effet, M. Nothomb, étant par sa position plus à même que personne de savoir ce qui se passe en diplomatie, ses réflexions sur le jury et la presse pourraient bien, me suis-je dit, être un avant-goût de lois liberticides, qui nous seraient demandées par une influence étrangère.

On commence par attaquer notre droit hospitalier, parce qu’on s’imagine que nous céderons plus facilement sur ce point que sur ce qui nous concerne plus directement. On compte sur l’égoïsme, ce fléau destructeur de toute association civile et politique. Je serais tenté d’ajouter religieuse : en effet, messieurs, ce qui déconsidère le prêtre de toute religion, c’est l’égoïsme.

Ne vous y trompez pas, messieurs, si vous entrez dans la voie des concessions en faveur de l’absolutisme, vous serez entraînés malgré vous, c’en est fait de toutes vos libertés.

Si vous voulez les conserver intactes, suivez l’exemple qu’il vous donne pour sa propre conservation ; n’entendez-vous pas tous les jours ses fauteurs répéter : Si nous faisions la moindre concession aux libéraux, nous aurions de suite une révolution. Oui sans doute, ils auraient une révolution ; mais cette révolution peut s’opérer de deux manières, par la violence ou par une réforme sage et prudente des abus amoncelés par la grossièreté des temps. S’ils ne veulent point de celle-ci, gare à celle-là.

Nous avons fait la nôtre, nous savons ce qu’il nous en a coûté ; maintenant la pire des révolutions serait la contre-révolution, j’entends le retour vers l’absolutisme.

Eh bien, l’égoïsme seul nous fera peut-être éprouver ce malheur.

C’est l’égoïsme qui nous a fait consentir à l’abandon de plusieurs milliers de nos concitoyens. Si ce sacrifice et celui de nos intérêts matériels qui s’en est suivi n’est pas encore entièrement consommé, ce n’est point à notre diplomatie tant vantée que nous le devons ; c’est à l’entêtement du roi Guillaume. Grâce à lui, un long statu quo nous conduira, j’espère, à toute autre fin que celle qui résulterait des traités qu’il n’a pas voulu accepter.

Je n’en doute pas, si vous faites aujourd’hui le sacrifice de votre droit hospitalier, demain commencera la sape de toutes vos libertés propres. C’est la diplomatie qui dirigera les travaux.

Dans cette persuasion intime, je voterai contre toute loi sur les étrangers, parce que je n’en vois pas la nécessité, parce que tout est tranquille chez nous, parce qu’il n’existe aucun symptôme de désordre, parce que la peur et la terreur de nos voisins n’est point arrivée jusqu’à moi.

Cependant comme je l’ai dit hier, il serait possible que tout le monde ne partageât point le même calme que moi sur l’arrivée possible d’un grand nombre d’étrangers en Belgique, et alors je dois contribuer autant que possible à rendre la loi que nous discutons efficace avec les garanties les plus simples contre les passions et les erreurs de la police.

L’amendement de M. Fallon ne me convient pas du tous. Il ne faut pas que les chambres interviennent jamais dans les actes du pouvoir exécutif, ce serait détruire la responsabilité ministérielle.

Celui de M. Liedts conviendrait beaucoup mieux, s’il était question d’une loi permanente ; mais je préfère, dans les circonstances où nous nous trouvons, une loi temporaire. La limite du temps est déjà une forte garantie contre l’abus.

C’est au projet ministériel que je donne la préférence. Je ne propose que de bien légers amendements.

Je m’abstiens de toutes réflexions sur le travail de la commission centrale. Seulement je ferai observer à M. Fallon qu’il manquerait son but en faisant concourir une commission des chambres dans les actes d’expulsion, s’il croit obtenir un adoucissement ; car la commission centrale offre maintenant au ministère une telle dose d’arbitraire qu’elle pourrait le faire tomber d’ivresse.

Voici mes amendements :

« Art. 1er. L’étranger résidant en Belgique, qui, par sa conduite en Belgique, etc. »

Je répète en Belgique, parce que c’est la conduite de, l’étranger en Belgique et non ailleurs, ni antérieurement à sa résidence en Belgique, qui doit être surveillée. A la suite de l’article premier, j’ajoute le paragraphe suivant :

« L’autorité municipale du lieu où se trouve l’étranger sera toujours entendue avant l’exécution de l’arrêté pris contre lui. »

Cette garantie est simple et prompte.

A la fin de l’article 4, je dis « par la force publique, » au lien de « par la gendarmerie. » Puis j’ajoute le paragraphe suivant : « S’il rentre dans le royaume sans autorisation, il sera appréhendé et condamné par le tribunal correctionnel du lieu où il se trouvera, d’après le réquisitoire du procureur du roi, à trois mois de prison, à l’expiration desquels il sera reconduit de nouveau hors la frontière. »

« Art. 5 nouveau. - La présente loi cessera d’être obligatoire le premier janvier 1837, si elle n’est renouvelée avant cette époque. »

(Moniteur belge n°242, du 29 août 1835) M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Pour repousser le projet de loi, plusieurs orateurs se sont appuyés de l’autorité de la chambre qui siégeait en 1831. Mais ces honorables membres ont perdu de vue le motif du retrait du projet de loi.

En effet, le motif unique du retrait de cette loi est qu’à l’article premier la chambre avait adopté un amendement qui modifiait un des articles les plus importants du code pénal. Cette disposition par sa nature était totalement étrangère au projet, et dans l’opinion du gouvernement cette disposition n’avait pas été suffisamment mûrie pour pouvoir être adoptée. Dès lors toute discussion devenait inutile, parce que la loi se trouvait viciée dans son principe.

Voilà les véritables motifs du retrait de la loi ; mais il est inexact de dire que la chambre, en 1831, ait voulu refuser une loi sur les étrangers.

Pour revenir au projet qui nous occupe, je n’examinerai plus si la loi est utile et nécessaire, Trop d’orateurs l’ont déjà démontré. J’ajouterai seulement que la loi est vivement désirée, surtout dans la capitale du royaume, qui s’est trouvée plus d’une fois inquiétée par la présence d’étrangers suspects.

Toutes les nations ont admis le droit d’expulsion. Ce droit, en effet, est une prérogative essentielle de l’indépendance nationale et de la souveraineté. Ainsi le congrès belge n’a-t-il pas hésité à déposer le principe exceptionnel dans la constitution.

Pour que le projet soit franchement constitutionnel, il faut deux choses : il faut que le droit d’expulsion soit accordé à l’autorité à laquelle il doit appartenir par la nature même des choses ; il faut en second lieu qu’il soit entouré des formalités que la sûreté de l’Etat et l’ordre public permettent d’introduire dans la loi ; mais il ne faut jamais sacrifier la sûreté de l’Etat ni l’ordre public à des formes que la matière ne comporte pas.

Tels sont les principes fondamentaux du projet.

En ce qui concerne l’autorité chargée d’appliquer la loi, quelques orateurs auraient désiré l’intervention de l’autorité judiciaire. Mais, comme on l’a déjà démontré, cette autorité est, par sa nature, incapable d’appliquer cette loi. En effet, pour faire une juste application de cette loi, il faut savoir apprécier ce qu’exigent les intérêts de l’Etat, et pour cela il faut être entouré de tous les renseignements capables de former un jugement certain. Or les tribunaux ne peuvent pas faire une telle investigation. C’est l’administration seule qui peut en être chargée. Aussi l’honorable député de Namur n’a pas hésité à reconnaître ce principe.

Un honorable membre a dit hier : « Il faut que les ministres soient tout-puissants pour faire le bien et impuissants pour faire le mal. » Je demande comment ils seront tout-puissants pour faire le bien, s’ils sont impuissants pour faire le mal. C’est une explication que je désirerais obtenir. Mais je crois qu’elle serait difficile à donner. Et moi aussi je dis qu’il faut que les ministres soient tout-puissants pour faire le bien ; et je dis que par ce motif vous devez voter la loi que le ministère réclame, c’est ce que plusieurs orateurs n’ont pas hésité à reconnaître.

Maintenant quelles sont les garanties dont l’exécution de la loi peut être environnée ? Il faut d’abord que la loi détermine les causes générales pour lesquelles un étranger pourra être expulsé. Ces causes générales sont déterminées dans la loi. Ce sont : l’ordre public, la sûreté publique.

Il faut pour l’exécution de la loi un agent responsable. Cette garantie, vous l’obtiendrez par le contreseing d’un ministre ; car, aux termes de la constitution, ce contreseing rend son auteur responsable de ses actes.

Vous avez un contrôle de l’administration ; en effet, la constitution établit les moyens de contrôle de la part des chambres sur les actes ministériels.

Un honorable député de Namur aurait désiré qu’à ces garanties, on en ajoutât d’autres. Mais déjà on a suffisamment démontré que cet honorable membre se trompe dans son but. En effet, d’un côté, si la commission, dont il a parlé, pouvait retenir les pétitions adressées à la chambre et s’abstenir de faire rapport à la chambre sur les arrêtés d’expulsion, elle annihilerait une partie des prérogatives de la chambre. On a dit d’autre part qu’il suffirait que le ministère fût d’accord avec la majorité de la commission pour que toute espèce de recours devînt impossible.

Une autre considération, c’est que cette commission aurait véritablement un caractère administratif ; car elle s’associerait aux mesures prises par le ministre. Dès lors vous entrez dans l’administration par voie de commission.

Nous, nous ne repoussons nullement le contrôle des chambres ; nous l’admettons dans toute sa plénitude, mais tel qu’il est consacré par la constitution, sans aucune limite et sans aucune addition. Et c’est la seule garantie que vous puissiez vous réserver. Tout autre système ne tendrait qu’à restreindre vos prérogatives.

Mais, dit-on, ce n’est pas le ministre qui en réalité prescrit l’expulsion ; ce sera un agent subalterne de la police. Il suffira que l’on ait déplu à l’un ou l’autre agent du pouvoir, à un homme public, pour encourir sa disgrâce.

Certes, il faut se faire une idée bien fausse de la position d’un ministre pour imaginer les choses de cette manière. Assurément personne n’appose sa signature à un arrêté d’expulsion avant de s’être entouré de tous les renseignements désirables. Mais j’admets que dans quelques cas un ministre ait pu être induit en erreur, le mal ne sera pas sans remède. Que l’erreur soit démontrée, et le ministre sera le premier à la réparer.

Messieurs, on s’est prévalu, pour attaquer l’intervention des ministres dans les expulsions, de certains actes qui ont eu lieu en 1834. Mais on se rappelle dans quelles circonstances nos prédécesseurs étaient placés. C’était au milieu d’une perturbation générale, alors que l’urgence ne permettait pas un examen approfondi. Mais si quelques erreurs ont été commises, elles ont été réparées.

Un honorable membre disait hier, en plaisantant, que l’on avait été jusqu’à expulser un mort. J’avoue que je ne vois pas que ce fait, fût il exact, eût une grande portée. Car ce mort pouvait, durant sa vie, avoir porté atteinte à l’ordre public ; sa mort pouvait être inconnue au ministre : en effet, elle était récente ; et on sait que, lorsqu’un individu décède, on n’en informe pas l’administration supérieure, qu’on se borne à en donner avis à l’état-civil. Il est juste, comme je viens de le dire, de faire la part des circonstances dans lesquelles ces arrêtés d’expulsion ont été pris. Dès lors on comprendra que s’ils n’ont pas été pris avec toute la maturité désirable, il ne s’ensuit nullement que dans les circonstances ordinaires on agira sans mûr examen.

J’ajoute que dans le contreseing du ministre vous avez garantie que vous n’obtiendrez pas, si toute autre autorité est chargée de l’exécution de la loi. En effet, cette autorité ne serait nullement responsable ; elle n’aurait aucun compte à rendre de ses actes, tandis qu’il est assez notoire que, dans cette matière, chaque fois que l’on s’est adressé à la chambre, et qu’on a requis son intervention, il y a eu discussion.

La seule considération qui retienne l’étranger dont l’expulsion a été prononcée, et qui l’empêche de recourir aux chambres, c’est la crainte que les véritables motifs de l’expulsion soient dévoilés. A cet égard, je dirai que si souvent nous n’avons pas donné les motifs d’expulsion, ç’a été par égard, par indulgence pour les individus expulsés, et que plusieurs étrangers qui ont réclamé l’intervention de la chambre avaient le plus grand intérêt à ne pas le faire. Car pour donner les motifs de leur expulsion, il eût fallu entrer dans des détails véritablement fâcheux pour eux.

Mais, dit-on, le ministère peut renverser l’article 128 de la constitution. Je dis que c’est là une véritable erreur. Il ne peut renverser l’article 128, puisqu’il ne peut prononcer l’expulsion que dans les cas déterminés par la loi. Ces cas sont les atteintes à l’ordre public, les atteintes à la sûreté intérieure. Ces cas atteignent-ils la généralité des étrangers ? Évidemment non, car nous le reconnaissons avec plaisir, la grande généralité des étrangers qui habitent le pays l’habitent paisiblement et se montrent dignes de l’hospitalité qu’ils y reçoivent.

Mais il n’en est pas moins vrai qu’il y a dans le pays un nombre d’étrangers qui nécessite une surveillance active de la part du gouvernement ; il n’en est pas moins vrai que si les étrangers étaient assurés de trouver l’hospitalité en Belgique, quels que fussent leurs actes et leur conduite, la Belgique deviendrait pour certains étrangers un rendez-vous pour conspirer avec plus de sûreté, soit contre notre propre sécurité, soit contre la sécurité de nos voisins.

Il est encore inexact de dire que l’article 128 de la constitution devient sans application car, sous tous les autres rapports, l’article 128 devient une règle invariable. Ainsi non seulement l’étranger qui n’aura pas porté atteinte à l’ordre public et à la sûreté de l’Etat pourra habiter le pays sans inquiétude de devoir en sortir, mais il trouvera encore protection absolue pour sa personne et garantie illimitée pour ses biens. Or, on sait que ces garanties ne sont pas consacrées dans toutes les constitutions. Il est diverses époques où la personne et les propriétés de l’étranger ont été loin de jouir de la même protection que celles de l’indigène.

La loi que nous proposons n’autorise plus l’expulsion en masse des étrangers ; elle exige un décret individuel, tandis que dans d’autres temps on a vu des exclusions des étrangers en masse. Je signale là un fait connu. Car vous savez que, sous la république française, et à diverses époques, les étrangers ont été exclus en masse du territoire français.

Si, dit un orateur, la confiance dans le ministère doit suffire pour qu’on lui donne carte blanche, dès lors pourquoi faisons-nous des lois ? Je dis que cet argument n’a aucune valeur. Je réponds que vous réglez par la loi ce qui est susceptible d’être réglé par la loi ; que vous abandonnez au gouvernement ce qui doit essentiellement appartenir au gouvernement, et ne doit pas être réglé par la loi. Et cette dernière catégorie est d’une grande importance.

Ainsi le gouvernement nomme à toutes les fonctions publiques, dispose de l’armée, fait rentrer les contributions publiques, est chargé de l’exécution des budgets. C’est ainsi que le gouvernement est, pour les relations extérieures, chargé de ce qui concerne, soit la paix, soit la guerre. Vous voyez que par la force des choses, des attributions nombreuses et importantes sont dévolues au gouvernement.

Je soutiens que le projet de loi abandonne moins au gouvernement que ne lui abandonnent plusieurs autres dispositions constitutionnelles et légales. Je dis donc qu’il est étonnant que cette loi destinée à préserver le pays des atteintes d’étrangers qui voudraient abuser d’une loyale hospitalité puisse rencontrer une opposition quelconque dans cette chambre.

Je me résume, et je dis : De deux choses l’une : ou vous devez laisser l’article 128 de la constitution sans exécution, et en ce cas n’accordez pas au gouvernement les mesures qu’il vous demande ; mais alors n’exigez pas qu’il réponde du maintien de l’ordre public et de la paix intérieure. Car, sans moyens d’exécution, vous n’êtes en droit de rien exiger du gouvernement sous ce rapport. Ou l’article 128 doit être mis à exécution, et alors portez une disposition exceptionnelle à l’égard des étrangers ; alors, si vous voulez avoir une sécurité réelle, accordez au gouvernement les moyens nécessaires pour l’assurer.

L’honorable député de Bruges a terminé son discours d’une manière touchante. Il a dit : Mais vous-mêmes vous auriez pu être obligés de quitter votre patrie. Peut-être encore vous faudra-t-il un jour aller chercher un asile à l’étranger. Je réponds : Oui ; mais nous n’aurions demandé à l’étranger qu’une juste hospitalité ; nous n’aurions pas troublé la tranquillité du pays qui nous aurait donné un asile ; nous aurions observé ses lois, respecté ses institutions. Alors nous aurions toujours été assurés de trouver un asile à l’étranger.

L’honorable membre a dit : Le gouvernement ne se contentera pas d’expulser l’étranger qui compromettra l’ordre public ; il a expulsé l’étranger inoffensif qui n’avait commis aucun fait et il a fait allusion au sieur Guinard.

Je dirai que ce n’est pas en vertu de la loi de vendémiaire an VI que le sieur Guinard a été contraint de sortir de la Belgique, mais en vertu d’une loi dont l’existence n’a jamais été contestée par personne, et conforme aux principes du droit public. En effet, la loi du 2 messidor an III contient à cet égard les dispositions les plus formelles ; elle porte : « Art. 5. Les dispositions des articles précédents seront appliquées aux étrangers qui, se prétendant nés dans des pays alliés ou neutres, ne seront pas reconnus et avoués par leurs ambassadeurs et agents respectifs. »

Les dispositions des articles précédents obligent l’étranger à sortir du territoire français.

L’article 9 est encore plus précis, il porte : « Tout étranger, à son arrivée dans un port de mer ou dans une commune-frontière de la république, se présentera à la municipalité : il déposera son passeport, qui sera envoyé de suite au comité de sûreté générale, pour y être visé ; il demeurera, en attendant, sous la surveillance de la municipalité, qui lui donnera une carte de sûreté provisoire, énonciative de la surveillance. »

Voici l’arrêté du directoire exécutif qui prescrit les mesures d’exécution relatives aux passeports des étrangers ; il est du 4 nivôse an V.

« Art. 1er. Le commissaire du directoire exécutif près l’administration municipale de chaque port de mer ou commune-frontière de la république, devant laquelle se présentera tout étranger arrivant en France, ainsi qu’il y est obligé par l’article 9 de la loi du 5 messidor an III, pour y déposer son passeport à l’effet d’être envoyé au ministre de la police générale et être par lui visé, s’il y a lieu, sera tenu d’adresser sur-le-champ copie dûment certifiée de ce passeport à l’accusateur public et au commissaire du directoire exécutif près le tribunal criminel du département. »

Ainsi c’est pour être visé, s’il y a eu lieu…

M. Gendebien. - Ce n’est pas cela !

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Je sais qu’on dira qu’un passeport belge avait été délivré au sieur Guinard, mais ce passeport ne le dispensait pas de s’adresser à l’administration de sûreté publique. Dans tous les cas, je prétends que l’autorité municipale de Charleroy n’avait pas le droit, contre la volonté du gouvernement, de délivrer un passeport à un étranger. Si l’autorité municipale a ce droit, ce n’est que du consentement exprès du gouvernement, et pour faciliter l’entrée des étrangers dans le pays, sans qu’ils aient besoin de faire venir des passeports de la capitale. Mais ce droit appartient essentiellement au gouvernement.

Ces principes sont extrêmement élémentaires. Sans cela tous les étrangers pourraient venir habiter le pays quand cela leur plairait et alors qu’il y aurait les raisons les plus grandes pour les en empêcher. Or, je le demande, n’y avait-il pas ici les raisons les plus grandes ? Accueillir le sieur Guinard, n’était-ce pas attirer en Belgique tous les républicains évadés de France et leurs amis, et, par une suite ultérieure, les admettre à former ici les comités supprimés en France ? Je le demande, les ministres n’auraient-ils pas été justement accusés d’incurie, de faiblesse et d’ineptie, s’ils avaient cédé à de pareilles exigences ?

Ces principes, je le répète, sont des principes extrêmement élémentaires. Consultez tous les auteurs qui ont écrit sur le droit public ; vous y trouverez que les gouvernements doivent, dans certains cas, repousser certains hommes. C’est ce que dit M. Vatel dans son ouvrage sur le Droit des Gens. La doctrine de ces publicistes est conforme à la loi.

En fait, l’intérêt public imposait évidemment au gouvernement le devoir d’agir comme il l’a fait.

Mais, dit un honorable membre, c’est à l’instigation d’un gouvernement étranger que le gouvernement belge a ordonné l’expulsion du sieur Guinard. Je réponds que non ; que le gouvernement belge a ordonné spontanément cette expulsion et qu’il n’a pas hésité à le faire. Il n’y a eu aucun doute à cet égard.

(Moniteur belge n°241, du 28 août 1835) M. Dumortier. - Messieurs, j’ai toujours professé cette pensée qu’aucun Etat ne peut subsister sans une loi sur les étrangers, et qu’il fallait une règle différente pour les étrangers et les indigènes. J’ai toujours cru qu’il était des circonstances dans lesquelles l’intérêt bien entendu de l’Etat exigeait des mesures spéciales relatives aux étrangers, et que pour ces circonstances il devait être accordé au gouvernement une loi conformément à la constitution. J’ai, à diverses reprises, professé cette opinion dans cette enceinte.

Aujourd’hui nous sommes appelés à voter une loi sur les étrangers. Il importe avant tout de nous assurer si la loi proposée est d’accord avec la constitution, et si elle présente de garanties suffisantes. Pour moi, je dois le déclarer, la loi telle qu’elle est présentée par le gouvernement est à mes yeux inconstitutionnelle.

La loi, telle qu’elle est proposée par la section centrale devient constitutionnelle ; mais elle est d’un arbitraire effrayant.

D’abord je vois que la section centrale a été bien plus loin que le gouvernement, que la section centrale a supprimé dans la loi les stipulations qui avaient été établies en faveur de l’étranger ; et ces stipulations sont importantes, car si vous avez dans l’intérêt de votre propre conservation des droits à exercer sur l’étranger qui fomente des désordres, vous avez aussi des devoirs à remplir envers l’homme banni par une puissance étrangère et qui, sans vouloir attaquer nos institutions, ne vient dans le pays que pour respirer librement à l’ombre de ces institutions.

Ces garanties, je ne les trouve pas dans le projet de la section centrale. Ce projet détruit les faibles garanties qu’offrait le projet du gouvernement. A la vérité il contient d’autre part une amélioration sensible, en ce qu’il limite la loi, tandis que le projet du gouvernement est une loi définitive.

Le projet du gouvernement est, à mes yeux, inconstitutionnel, j’aurai peu de chose à ajouter à ce qu’ont dit, à cet égard, d’honorables préopinants.

L’article 128 de la constitution assure aux étrangers la protection accordée aux personnes et aux biens, sauf les exceptions. Mais comme on l’a dit, vous ne pouvez en établir une qui absorbe, qui détruise la règle, qui annule la constitution. Une loi semblable, s’il était possible que vous la fissiez, serait évidemment inconstitutionnelle ; et je ne pense pas qu’il y ait dans cette enceinte beaucoup de personnes qui veuillent de propos délibéré violer la constitution. Or, le projet du gouvernement, à mon avis, viole évidemment la constitution en ce que la loi, telle qu’elle est conçue, absorbe entièrement la règle posée par la constitution.

On dit : mais nous ne touchons pas aux biens de l’étranger ; c’est ce que vient de répéter M. le ministre de l’intérieur.

Je m’étonne qu’on reproduise un pareil argument après la manière dont l’honorable M. Fallon y a répondu. La clause constitutionnelle est indivisible ; il ne vous appartient pas de diviser la personne des biens, ni les biens de la personne ; il ne vous appartient pas de prendre une mesure qui confisque les biens de l’étranger ; il ne vous appartient pas de prendre une disposition qui confisque la personne. La constitution établit une règle, elle ne permet que des exceptions.

La loi présentée par la section centrale est constitutionnelle malgré son arbitraire effrayant ; pourquoi ? C’est que j’y vois une immense garantie qui constitue l’exception, celle de sa durée. La loi étant temporaire devient une loi de confiance, devient une loi qu’on peut espérer ne pas voir tomber en des mains dangereuses. C’est là une puissante garantie à mes yeux. En donnant une loi sur les étrangers au gouvernement, nous ne devons pas lui donner l’arbitraire à toujours. Il est des temps ou des mesures exceptionnelles sont nécessaires ; mais elles doivent cesser d’exister avec les circonstances qui les ont fait naître.

La loi de la section centrale est certainement d’un vague effrayant. La preuve m’est facile à en acquérir. Le gouvernement proposait, par l’article premier, de dire que l’étranger résidant en Belgique, qui, par sa conduite, compromet et trouble la tranquillité publique, peut être contraint de s’éloigner d’un certain lieu où même de sortir du royaume. Que fait la section centrale ? Elle supprime la clause : par sa conduite ; alors qui ne voit tout ce que l’on peut comprendre par ces mots : « Tout étranger qui compromet la tranquillité publique ? « Un étranger ne pourra-t-il pas troubler la tranquillité publique par sa seule présence ?

Vous voyez que l’arbitraire est dans la rédaction de l’article de la section centrale : la présence d’un étranger motivera son expulsion ! Il ne faudra pas qu’il commette des actes coupables dans le but de renverser notre constitution, ou les pouvoirs nés de notre constitution ; pour être expulsé, il suffira qu’il soit présent ! La section centrale a été plus loin que le gouvernement, et elle supprimé de l’article premier une garantie importante, car la conduite de l’étranger est un fait, et si cette conduite est irréprochable, la loi ne saurait lui être appliquée.

Mais comment la section centrale justifie-t-elle cette suppression ? comment ? elle garde le silence ; elle ne la justifie pas. C’est une manière fort étrange de nous faire des rapports.

Le gouvernement avait encore proposé des réserves très sages. Il exceptait de la rigueur de la mesure, l’étranger marié en Belgique avec une Belge et ayant des enfants et l’étranger décoré de la croix de fer ; qu’a fait la section centrale ? Elle va plus loin que le gouvernement ; elle propose de livrer pieds et poings lies aux exigences des puissances étrangères, les hommes qui ont rendu des services immenses à la révolution, qui ont scellé de leur sang l’indépendance nationale.

Je le déclare, le projet du gouvernement était plus sage que celui de la section centrale, Il présentait des garanties faibles à la vérité, mais il est difficile d’en établir du plus grandes ; et je vois avec peine qu’on les a effacées. Je désire qu’on les rétablisse.

En effet, parce qu’une puissance étrangère viendra exiger l'expulsion de tel individu, cela ne suffit pas pour l’ordonner. La Belgique n’étant qu’une puissance de quatre millions d’habitants, nous serons toujours exposés à subir l’influence des grandes puissances qui nous entourent ; mais d’après cette considération même, ce serait un mauvais service à rendre au gouvernement que de le mettre dans la possibilité de satisfaire les exigences du dehors.

Celles du gouvernement français se sont déjà fait sentir ; faites la paix avec la Russie, l’autocrate poursuivra chez vous les enfants de la malheureuse Pologne ; en pareille circonstance il vaut beaucoup mieux que le gouvernement ait les mains liées que d’être investi d’un pouvoir absolu sur les étrangers, car alors il pourra dire aux puissances étrangères qu’il ne peut pas aller aussi loin qu’elles le voudraient parce que la législature ne lui a pas donné les moyens de les satisfaire.

C’est encore pourquoi je voudrais que la loi fût temporaire. On abuse d’ailleurs bien moins d’une loi de cette nature, que d’une loi permanente ; il est incontestable que si vous accordez une loi perpétuelle, on en fera un usage très large et que les ministres qui se succéderont l’appliqueront au gré de leurs passions, tandis que si sa durée est limitée, on sera d’autant plus réservé dans son application qu’on désirera la continuer encore.

M. le ministre des affaires étrangères a réclamé la loi comme une loi de confiance, et je prends acte des paroles de ce ministre.

Vous savez tous, messieurs, qu’il existe des lois de deux sortes, des lois de confiance et des lois de durée. Les premières reposent uniquement sur la bonne opinion que la chambre a des ministres auxquels elle les accorde ; elles n’ont d’autre garantie que dans le caractère des ministres eux-mêmes, et sont éminemment temporaires. Les secondes étant permanentes et destinées à servir à tous les ministères qui se succèdent, doivent présenter des garanties dans l’emploi qui en sera fait. Or, quel est le caractère de la loi présentée par le gouvernement. Efface-t-elle les caractères d’une loi de confiance ? non ; puisqu’on la demande comme devant être permanente. Mais tout le monde comprend que telle loi que l’on accorde à un ministère, on pourrait la refuser à un autre ; ainsi la loi étant permanente, ne sera pas loi de confiance, et c’est dénaturer les choses que de la désigner ainsi.

Quel est le caractère de la loi ? C’est manifestement une loi martiale que l’on nous soumet : Par cette loi c’est le gouvernement qui juge et qui exécute la sentence ; c’est une loi qui porte le caractère de l’arbitraire ; or une loi semblable doit être nécessairement une loi de confiance ; donc elle doit être temporaire, accordez-la au ministère actuel, soit, mais faites que le ministère suivant ne puisse en abuser. Voter une loi semblable et la voter à perpétuité, c’est ce que je ne pourrai jamais comprendre.

Messieurs, c’est ainsi qu’on en use en Angleterre. L’alien bill n’est jamais voté que pour un temps déterminé. Nous devons suivre un pareil exemple. Je déclare que si la loi est portée temporairement et améliorée, je pourrai l’adopter ; mais que si elle est permanente, je ne pourrai jamais l’admettre.

Ici je dois présenter à la chambre une remarque qui mérite toute son attention ; c’est que la loi qu’on nous présente est loin d’être aussi effrayante qu’aucune des lois de circonstance qui ont été portées dans les pays voisins. On a cité les lois françaises, mais je citerai un alien bill. J’ai parcouru avec attention celui de 1793. Voici en substance les dispositions principales dont il se compose : Vous jugerez de la différence qu’il présente avec la loi actuellement en discussion.

D’après l’alien bill, tous les étrangers, quels qu’ils soient, sont soumis à la surveillance permanente et de chaque jour des magistrats des communes où ils se trouvent ; ils doivent déclarer aux magistrats ce qu’ils possèdent chez eux, leurs moyens, leurs armes, etc... Le secrétaire d’Etat peut ordonner la recherche et l’expulsion de tout étranger, purement et simplement sans réserve aucune.

Il y a plus, c’est que le roi, par une proclamation, peut expulser tous les étrangers qui se trouvent sur le sol de l’Angleterre, mais si un étranger rentre dans le pays après en avoir été expulsé, il est déporté à vie, et s’il parvient à s’échapper du lieu où il a été déporté, et qu’il rentre une seconde fois en Angleterre, il est puni de mort. Voilà l’alien bill de 1793.

Si une pareille loi nous était proposée, je serais le premier à la repousser de tous mes moyens et de toutes mes forces. Mais, messieurs, il faut le reconnaître, il y a une différence immense entre la loi qu’on vous propose et celle qui existe dans d’autres pays. Je trouve d’ailleurs aussi que nous ne sommes pas dans des circonstances qui exigent qu’on ait recours à de pareils moyens.

Il faut donc ne pas s’effrayer autant qu’on le fait de la loi que nous discutons, surtout si sa durée ne doit être que temporaire.

Il faut cependant que nous sachions allier aujourd’hui ce qu’exige la tranquillité de l’Etat avec tous les devoirs de l’humanité ; il faut en un mot, qu’en vertu de la loi que nous allons faire, l’étranger qui vit tranquillement en Belgique ne puisse être recherché par qui que ce soit et surtout par les agents d’une puissance étrangère, mais que celui qui vient chez nous troubler l’ordre public soit impitoyablement expulsé, voilà ma manière de voir et je crois qu’elle sera partagée par la grande majorité de l’assemblée.

Je voterai donc pour la loi si elle est temporaire. Mon désir même est que le terme pour lequel vous la voterez ne soit pas trop long. Je voudrais que la loi n’eût d’effet que jusqu’au 1er janvier 1837, comme une section l’a proposé. Nous verrons l’emploi que le gouvernement en aura fait, et le gouvernement sentant le besoin d’avoir un renouvellement à l’échéance n’en fera qu’un usage modéré et n’en abusera pas.

Je désire aussi que les pièces soient déposées sur le bureau de la chambre. Je ne demande pas qu’elles soient publiées, je conçois que la publicité pourrait avoir des inconvénients, mais je n’en vois aucun à ce que ces pièces soient déposées afin que chacun de nous puisse en prendre inspection. J’espère que le ministre ne s’y opposera pas ; avec ces conditions, je donnerai mon assentiment à la loi, non pas au projet de la section centrale, mais à celui du gouvernement.

Maintenant, messieurs, si l’on présente d’autres garanties, je m’empresserai également de les adopter.

Je le répète, si la loi est temporaire, je n’en suis nullement effrayé. En demandant que ce soit la conduite de l’étranger qui donne lieu à l’application de la loi, on exige des actes présents pour motiver l’expulsion, ainsi on fait tout ce qui est nécessaire, nul ne peut se tromper sur sa portée. En rédigeant l’article dans ce sens on satisfait en même temps à ce qu’exigent et l’intérêt de l’Etat et l’humanité ; et nous faisons ce que nous devons pour ceux qui se sont compromis pour une cause analogue à la nôtre.

M. le ministre des affaires étrangères vous a dit que l’industrie avait besoin d’ordre. Il craint que l’ordre ne puisse être troublé par les étrangers qui viendraient en Belgique. Jusque-là, nous sommes parfaitement d’accord ; je le déclare franchement, je l’ai déjà dit je n’aime pas à être gouverné par des étrangers.

Un pays n’est jamais mieux administré que par ses propres enfants. C’est pourquoi, en toute circonstance, je me suis prononcé contre des étrangers aux emplois publics, c’est pourquoi je n’ai pas vu avec plaisir la grande quantité de personnes qu’on introduisait dans l’administration civile, dans l’armée et dans l’instruction publique ; je n’aime à les voir appeler dans aucune branche quelconque du service public. Nos affaires ne seront jamais mieux traitées que quand elles seront faites par nous-mêmes.

Messieurs, je pense que nos affaires ne seront jamais mieux faites que quand elles seront faites par nous-mêmes. Ainsi, n’appelons pas les étrangers à se mêler de nos affaires intérieures. Mais aussi, je désire que le gouvernement nous donne l’exemple à cet égard, et qu’il accorde moins de faveurs aux étrangers qui viennent le flatter. Cette loi doit être une leçon pour lui.

S’il veut avoir le droit d’expulser les étrangers qui vexent le pays, et tentent de le soulever, d’un autre côté, il ne doit pas faire pleuvoir ses faveurs sur des étrangers, qui trop souvent cherchent à violer nos institutions, qui trop souvent cherchent à honnir et à bafouer cette chambre dans laquelle nous siégeons et tout ce qu’il y a de plus sacré dans le pays. Vous ne voyez l’ordre troublé que quand on porte atteinte à la majesté royale mais nous, si nous voulons qu’on respecte la majesté royale, nous voulons aussi qu’on respecte la majesté du peuple. (Mouvement d’approbation.)

M. Dubois. - Messieurs, ce que j’ai à dire n’a d’importance que pour moi ; je n’ai pas voulu interrompre la discussion en demandant la parole pour un fait personnel.

Dans le début du discours de l’honorable M. de Brouckere, vous avez entendu, messieurs, ces mots : « Dans la séance d’hier un orateur a dit que le vague et l’arbitraire ressortent de la loi qui vous est présentée, et il en a tiré la conclusion qu’il n’hésitera pas à l’adopter. »

Il n’était pas nécessaire, je crois, que M. de Brouckere indiquât autrement le collègue qu’il avait en vue. C’est moi, messieurs, qui ai dit que la rigueur, que l’arbitraire dominent et dominent essentiellement dans toute loi pareille ; mais si mon honorable adversaire avait bien voulu voir de plus près mon argumentation, il se serait facilement convaincu qu’il se trompait sur les conséquences qu’il a tirées de cette proposition ; il aurait vu que loin de me trouver en opposition avec lui, loin d’être aussi absurde qu’il veut bien le prétendre, j’ai rencontré les mêmes raisons qui l’engageaient à adopter la loi, si, selon lui, elle n’était inutile et inconstitutionnelle.

Pour que nous puissions adopter cette loi, a dit M. de Brouckere, il faut d’abord qu’elle soit nécessaire. Ai-je dit autre chose ? Je le demande à M. de Brouckere, n’ai-je pas dit sans détour que je croyais que cette loi doit être adoptée parce que cette nécessité existe, parce qu’elle existe pour nous fatale et pressante ? Ce sont les termes mêmes dans lesquels je m’exprimais. M. de Brouckere dirait-il autrement ? Que M. de Brouckere ne reconnaisse pas cette nécessité, libre à lui ; c’est là son opinion.

Quant à moi, messieurs, je pense que mon adversaire me permettra d’en avoir une tout autre. J’ai dit assez longuement pourquoi tout ce qu’on m’a répondu n’a pas suffi pour me faire changer d’avis.

Je dois le prier en même temps de croire que je n’aime pas plus que lui l’arbitraire, pour cela seul que ce soit de l’arbitraire ; que je ne plaide jamais la cause du pouvoir pour le pouvoir lui-même, et que si je suis déterminé à voter pour cette loi, ce n’est aucunement pour le vague qu’elle renferme, mais bien à cause de l’impérieuse nécessité qui nous domine.

- Plusieurs membres. - La clôture !

- La clôture de la discussion générale est mise aux voix et prononcée.

La séance est levée à quatre heures trois quarts.