(Moniteur belge n°235, du 22 août 1835)
(Présidence de M. Raikem.)
M. Verdussen procède à l’appel nominal à midi et demi.
M. Schaetzen lit le procès-verbal ; la rédaction en est adoptée.
M. Verdussen fait connaître l’objet des pièces adressées à la chambre.
« Le sieur S.-G. Coulon, avocat à Liège, renouvelle sa demande tendant à ce qu’il soit alloué au budget une certaine somme pour l’encouragement de la culture du mûrier. »
« Plusieurs habitants de diverses communes du canton de Venloo réclament l’exécution de la route accordée par arrêté du roi Guillaume, en date du 10 septembre 1830, entre Venloo et le village de Beck. »
- Ces pétitions sont renvoyées à la commission chargée d’en faire le rapport.
M. le ministre de la justice (M. Ernst) présente les amendements suivants :
« Art. 46. Le grade de candidat en sciences est préparatoire, soit à l’étude de la médecine, soit au grade de docteur en sciences naturelles, soit au grade de docteur en sciences mathématiques et physiques.
« Dans les deux premiers cas, on ne pourra l’obtenir qu’après avoir subi un examen sur la physique expérimentale, les éléments de la chimie organique et inorganique, les éléments d’anatomie et de physiologie des plantes, de zoologie et de minéralogie, la géographie physique et ethnographique, l’algèbre jusqu’aux équations du deuxième degré, la géométrie élémentaire et la trigonométrie rectiligne. »
Ce deuxième paragraphe diffère de l’amendement de M. Dumortier en ce qu’il substitue aux mots de physique générale ceux de physique expérimentale, à ceux de chimie générale et organique ceux de : les éléments de chimie organique et inorganique ; enfin, en ce qu’il ajoute les éléments de l’anatomie des plantes.
« Dans le dernier cas, l’examen comprendra, en outre, l’introduction aux mathématiques supérieures, le calcul différentiel et intégral.
« Nul ne sera admis à l’examen de candidat en sciences s’il n’a subi devant le jury de philosophie une épreuve préparatoire sur les matières suivantes :
« Les langues grecque et latine, la logique, l’anthropologie, la philosophie morale et l’histoire élémentaire de la philosophie. »
« Art. 47. L’examen pour le doctorat en sciences naturelles comprendra :
« L’astronomie physique, la botanique et la physiologie des plantes, la zoologie, la chimie, la minéralogie la géologie, l’anatomie et la physiologie comparées. »
Cet article ne diffère de celui de M. Dumortier qu’en ce qu’il conserve l’astronomie physique et substitue les mots de plantes à celui de végétales.
« Art. 49. Les examens en médecine et en chirurgie comprendront :
« 1° Celui de candidat : l’anatomie et des démonstrations anatomiques, la physiologie, la pharmacologie et la matière médicale, l’anatomie et la physiologie comparée, etc. »
L’amendement de M. le ministre de l'intérieur à l’article 46 devient sans objet.
M. Dumortier déclare ne pas se rallier aux amendements de M. le ministre de la justice.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Je pense, messieurs, qu’il serait utile de joindre dans la discussion les articles 46 et 47. Il y a une liaison intime entre ces deux dispositions. C’est en les comparant dans leurs rapports entre elles que la discussion a été élevée hier, et que des amendements ont été proposés par l’honorable député de Tournay. C’est dans ce sens que je parlerai.
Les objections de M. Dumortier ont donné lieu, de la part, à un nouvel examen des deux articles 46 et 47. Un hasard heureux m’a entouré des lumières dont j’avais besoin pour faire cet examen. J’ai été dans le cas de m’entourer des conseils de plusieurs hommes qui font autorité en Belgique dans les sciences naturelles, physiques et mathématiques.
J’ai accueilli quelques-unes des observations de l’honorable M. Dumortier. Il en est d’autres auxquelles je ne puis me rallier. Ainsi, par exemple, pour ce qui regarde la physique générale, j’ai cru devoir persister dans la proposition première, et conserver les mots de physique expérimentale. Dans la première proposition, il était parlé de chimie générale ; il n’était pas parlé de chimie organique. Elle faisait seulement partie du doctorat en sciences.
L’honorable député en a fait l’observation. La candidature en sciences conduit à la médecine comme au doctorat en sciences. La chimie organique est la partie de la chimie la plus importante pour la médecine. Il résultera cependant de la proposition du gouvernement, que le candidat en sciences qui se destine à la médecine ne connaîtra pas la chimie organique. Cette observation est juste, il en est tenu compte dans mon amendement.
Sous un autre rapport, la proposition du gouvernement était cependant rationnelle. Pour la candidature, on exigeait la chimie générale ; pour le doctorat, la chimie organique. La connaissance de la chimie est nécessaire pour étudier avec fruit la chimie organique. Restait l’inconvénient que j’ai signalé, il est obvié à cet inconvénient par la proposition que je viens de déposer sur le bureau.
Je n’ai pas accueilli d’une manière absolue les observations de l’honorable M. Dumortier. Il demande la connaissance de la chimie générale et organique pour la candidature, et pour le doctorat la chimie. Je crois être entré dans les intentions de M. Dumortier, en exigeant pour la candidature les éléments de la chimie organique et inorganique. Il est certain qu’il ne faut pas exiger des candidats qui se destinent à la médecine, des connaissances aussi parfaites que quand il s’agit du doctorat en sciences, c’est-à-dire de savants qui font des sciences naturelles l’objet de leurs études spéciales.
M. Dumortier avait été surpris qu’on exigeât la connaissance de la botanique et de la zoologie pour la candidature et que l’on ne l’exigeât pas pour le doctorat ; et à ce sujet, il avait fait cette observation qui n’était pas juste ; Eh quoi ! vous exigez davantage pour la candidature que pour le doctorat. Non, nous exigeons pour le doctorat ce que l’on avait exigé pour la candidature. Nous n’exigeons pas ce que nous supposons connu du récipiendaire. Voilà pourquoi la zoologie faisait dans la proposition du gouvernement partie de l’examen du docteur en sciences, et la physique, la botanique, la zoologie dans l’examen du candidat en médecine. Toutefois il a été possible de tout concilier. On a eu égard aux observations de M. Dumortier qui a eu raison de dire qu’il ne fallait pas exiger des médecins les mêmes connaissances en botanique et en zoologie que de celui qui aspire à être docteur en sciences.
Il a été tenu compte de cette observation de la manière suivante : dans la proposition que je viens de déposer sur le bureau, je dis : les éléments de botanique, d’anatomie et de physiologie. Ainsi, celui qui est candidat en médecine ou en sciences, étudiera ces matières, mais d’une manière élémentaire. Il ne sera interrogé d’une manière approfondie que quand il s’agira d’obtenir le dernier grade en sciences naturelles.
Enfin, il y a encore une différence entre la proposition de l’honorable M. Dumortier et la mienne. Je conserve à l’article 47 l’astronomie physique. Les observations que j’ai recueillies m’ont porté à rétablir cette science dans l’article 47. J’ai eu une conférence avec M. Dumortier. J’avais quelque espoir que l’honorable membre se serait rallié à ma rédaction, mais il n’a pas cru pouvoir se rendre à mes raisons. C’est sur le maintien de l’astronomie physique à l’article 47 que nous différons : suivant lui, c’est trop exiger d’un naturaliste que de lui demander de savoir l’astronomie physique.
J’ai cherché à lui faire comprendre qu’il entend l’astronomie physique autrement qu’on ne l’entend généralement. Il a cru que cela signifiait en général, c’est-à-dire les connaissances de tous les phénomènes naturels. Mais d’après les renseignements qui m’ont été donnés par un homme dont la réputation dans la science astronomique fait le plus grand honneur à la Belgique, ce n’est pas dans ce sens que l’on doit entendre physique dans le langage scientifique. On vous dira que cette branche de l’astronomie enseigne sans calculs profonds, mais au moyen de calculs que tout naturaliste peut faire, la connaissance des phénomènes célestes. Voilà la partie de l’astronomie que le docteur en sciences naturelles doit connaître.
Je n’ai fait ensuite qu’un simple changement de rédaction à l’article 47. J’ai cru qu’il était convenable de faire suivre, comme dans l’article 46, la botanique de l’anatomie et de la physiologie des plantes.
J’ai fait un autre changement à l’avant-dernier paragraphe de l’article 46. J’ai cru qu’il fallait indiquer devant quel jury l’examen se fera. J’ai donc ajouté les mots : « devant le jury de philosophie. » Cette modification ne peut rencontrer de difficultés, car c’est plutôt au jury de philosophie qu’au jury des sciences qu’il convient de faire l’examen dont il est parlé à l’article 46.
M. Jullien. - Les honorables MM. Dumortier et Ernst ont présenté chacun un amendement que vous connaissez. Je vous avoue que pour moi, s’il fallait, pour se décider sur la proposition de M. Dumortier et sur la discussion qui s’est élevée entre lui et M. le ministre de la justice, avoir la connaissance des sciences qui font la matière de leurs amendements, je déclarerais ma complète ignorance. Je crois qu’il y a plus d’un membre de cette assemblée dans le même cas que moi. Car si nous avons quelques notions des sciences dont il est ici question, elles sont du moins très imparfaites. Il faut cependant que nous nous décidions sur les amendements en présence. Il faut que nous cherchions les motifs de notre jugement ailleurs que dans la connaissance de ces sciences.
J’ai écouté avec attention M. le ministre de la justice que je reconnais être très compétent dans cette matière. Il vous a dit qu’il avait consulté les hommes de la science, que c’était d’après leur avis que la nomenclature de l’article 46 avait été définitivement fixée ou modifiée.
Il a dit également, dans la séance d’hier, que depuis que le projet de loi avait été rendu public et livré aux observations des savants, il n’avait pas rencontré d’objections.
Je crois que ces raisons peuvent suffire à ceux qui devront juger d’après la confiance qu’ils ont dans les matières des autres. Cependant l’honorable M. Dumortier, qui est aussi un homme de science, trouve qu’il y a des changements à introduire dans la rédaction des articles en discussion. Je voudrais pouvoir m’éclairer sur la portée de son amendement. Je le prie donc de vouloir bien nous dire de la manière la plus claire possible, en descendant autant que faire se pourra des hauteurs de la science jusqu’à notre intelligence (hilarité)… Oh ! je parle sérieusement, messieurs… Je le prie de nous dire pour quelle raison il préfère sa rédaction à celle de M. le ministre de la justice. C’est après l’avoir entendu que je fixerai mon vote. Car nous ne pouvons voter que de confiance.
M. Dumortier. - Il ne me sera pas difficile de répondre au désir de l’honorable préopinant. La différence qui existe entre la distribution des matières d’enseignement que je propose et celle du gouvernement est facile à saisir par les personnes même qui ne connaissent pas les sciences.
Je demande que l’élève qui se présentera pour obtenir le grade de candidat dans les sciences naturelles ne soit tenu qu’à la connaissance des éléments des diverses branches des sciences naturelles, tandis que le gouvernement demandait qu’il fît preuve de connaissances approfondie.
Pour faire apprécier la différence des deux propositions, je prends la zoologie ; c’est la science des animaux. Croyez-vous que l’on puisse raisonnablement exiger d’un candidat en sciences qu’il réponde sur tout ce qu’il est possible de lui demander sur la science des animaux, depuis le plus petit animal, l’animal le plus microscopique jusqu’à la baleine ? C’est inexécutable. Il ne faut exiger que la connaissance des éléments.
Telle est la grande différence qui existe entre ma proposition et celle du gouvernement. Pour l’examen du candidat en science, les éléments de toutes les branches des sciences. Pour l’examen du docteur, la connaissance approfondie de ces mêmes sciences.
M. le ministre de la justice, tout en adoptant presque littéralement mon amendement, vient de dire que les observations que j’avais présentées dans la séance d’hier n’étaient pas fondées. Dans ce cas, il ne fallait pas se rallier à presque tout ce que j’avais proposé.
La rédaction de M. le ministre ne diffère de la mienne que sur deux ou trois points. Je vais indiquer les motifs qui m’ont empêché de m’y rallier.
Par exemple, j’avais demandé que l’examen de candidat ne portât pas sur la physique générale. M. le ministre propose de mettre dans l’article la physique expérimentale. La physique expérimentale, messieurs, ne doit pas entrer dans un cours de sciences. Ce n’est pas pour faire des expériences que l’on apprend la physique.
Il ne s’agit pas de faire preuve d’habileté en fait de physique amusante. Tout homme étranger à la science peut réussir dans ce genre. Il faut que le candidat en sciences fasse preuve de connaissances générales en physique. La physique expérimentale est inutile. Si c’est la physique générale que le ministre de la justice a voulu dire, qu’il le dise dans son article. L’expression qu’il adopte est vicieuse. Habituons-nous à ne nous servir que d’expressions catégoriques. Car je ne pense pas que l’on veuille mettre une machine électrique sur la table du jury. C’est cependant la conséquence que l’on pourrait tirer de la physique expérimentale.
M. le ministre de la justice demande que l’on dise les éléments de la chimie organique et inorganique. Je me rallierai à cet amendement. Mais je déclare à l’assemblée que si je n’avais pas parlé de la chimie inorganique, c’est que je n’en vois pas la nécessité, c’est que l’introduction de cette science tend à étendre la sphère déjà si vaste des connaissances que l’on exige du candidat en sciences et de celui en médecine.
C’est ainsi que M. le ministre demande que le candidat soit interrogé sur l’anatomie des plantes. Je désirerais que cette branche des sciences naturelles fût réservée à l’examen du doctorat. L’anatomie comparée a des rapports intimes avec l’anatomie humaine, et l’on conçoit qu’elle soit du ressort de la médecine ; mais que voulez-vous que fasse l’élève qui se destine à la médecine, de l’anatomie des plantes qui n’a qu’une relation très éloignée de l’anatomie humaine ?
Il est plus simple de n’exiger la connaissance de cette branche que du docteur en sciences naturelles. Les éléments d’anatomie végétale ne serviront exactement à rien au médecin, tandis que le savant devra faire preuve de connaissance de cette science pour obtenir le grade de docteur.
M. le ministre de la justice demande que l’épreuve préparatoire sur les matières exigées du candidat ait lieu devant le jury de philosophie. Je ne m’oppose pas à ce changement. Mais je ferai observer que c’est exiger des séances de plus du jury. Il faudra que tous les élèves paraissent devant lui. Peut-être les membres du jury des sciences auraient pu faire les épreuves préparatoires. Je m’en référerai à ce que le M. le ministre de la justice croira le plus convenable. Il a à cet égard plus d’expérience que moi.
Vient l’article 47. M. le ministre de la justice veut exiger du docteur en sciences la connaissance de l’astronomie physique.
Il dit à cet égard qu’il s’est entouré des conseils de savants distingués. L’un de ceux auxquels il a fait allusion est mon ami, et quoique le premier à reconnaître son immense mérite, je me permettrai de ne pas partager une opinion qui saperait par sa base la distinction que la loi a voulu établir.
Autrefois il n’y avait qu’un seul grade de docteur en sciences. Il fallait faire preuve de connaissance dans les sciences mathématiques et naturelles. L’on a soutenu, et on l’a dit avec beaucoup de raison, qu’il est impossible qu’une seule personne possède une connaissance approfondie des sciences mathématiques et des sciences naturelles à la fois. Les sciences naturelles surtout, qui sont plus vastes que les mathématiques, exigent des spécialités même dans leurs subdivisions L’on a donc bien fait de distinguer deux espèces de docteurs, les docteurs en sciences mathématiques ou exactes, et les docteurs en sciences naturelles.
Maintenant il n’est personne qui ne reconnaisse que l’astronomie, et l’astronomie physique surtout, fait partie des sciences exactes, et quelque désir que le savant astronome auquel on a fait allusion éprouve de propager ses études chéries, on ne peut s’empêcher de reconnaître qu’exiger de la part du docteur en sciences naturelles des connaissances en astronomie physique, c’est détruire le principe de la grande division des sciences adoptée par l’assemblée.
Remarquez combien la proposition de M. le ministre est inadmissible : L’on exige de l’élève qui passe docteur en sciences naturelles qu’il connaisse l’astronomie physique, et l’on n’a pas demandé qu’il sache l’astronomie proprement dite. C’est vouloir qu’il possède toutes les branches de la science astronomique, car l’astronomie physique étant la connaissance des phénomènes célestes, il faut, pour apprécier ces phénomènes, que l’élève connaisse les corps célestes. Il faut donc que l’élève ait des connaissances en astronomie générale proprement dite, avant de répondre sur l’astronomie physique, de même que vous exigez de l’élève en droit les connaissances préliminaires du droit avant qu’il passe à l’étude du droit civil. L’astronomie physique ne peut que faire partie du doctorat en sciences exactes.
Si vous adoptez l’amendement de M. le ministre à cet égard, l’on n’exécutera pas la loi. Cela est tellement vrai, que je tiens d’un professeur que lorsque sous le roi Guillaume on exigea des candidats en sciences les connaissances en astronome physique, on se bornait à demander au récipiendaire le nom des astres.
Une autre considération qui doit faire rejeter l’amendement, c’est qu’il n’y a pas en Belgique de professeur d’astronomie physique. Comment exiger la connaissance d’une science qui n’est enseignée nulle part ? Je prie M. le ministre de la justice de réfléchir sur la portée d’un pareil système. L’on ne pourrait plus passer docteur en sciences naturelles, faute de connaissances en astronomie physique.
La proposition que j’ai faite contient déjà un nombre de sciences trop considérable. Mais elle a cela d’avantageux, qu’elle simplifie l’examen pour le candidat, et rend plus difficile celui pour le doctorat. Cependant, tels qu’ils sont, ces examens présentent une variété trop grande de connaissances.
Je le déclare positivement, dans mon opinion, le premier savant de l’Europe ne pourrait passer candidat, si on l’interrogeait à fond sur toutes les branches qu’on a exigées dans mon amendement. Mais, lié par le premier vote de l’assemblée, j’ai dû présenter un système analogue à celui qu’elle a adopté hier ; cependant les membres de cette assemblée auront pu remarquer que le numéro arrivé hier dans la soirée d’un des principaux journaux de France défend la même thèse que j’ai soutenue, que l’on ne devait exiger d’une personne qui se destine à l’étude des sciences que la connaissance de celles qui s’y rattachent directement.
Le système que nous adoptons est complètement vicieux. Quand on exige tant de connaissance de la part d’un candidat, il arrive que l’examen comme les études de celui-ci ne sont que superficiels. Les jurys d’examen feront ce que faisaient les commissions médicales des provinces. Il fallait que les candidats sussent la langue latine. Que faisaient les examinateurs ? Ils ouvraient la pharmacopée et faisaient traduire un recipe au candidat, c’est-à-dire un latin aussi difficile à comprendre que celui du Malade imaginaire. Il fallait subir un examen en botanique. On soumettait à l’élève une botte des plantes les plus communes, d’un usage journalier dans les pharmacies, et on lui en demandait les noms.
Nous arriverons aux mêmes abus par les mêmes errements. Voyez quelles en seront les conséquences. Vous exigez la connaissance du grec d’un candidat en sciences. Personne ne respecte le grec plus que moi. Mais l’élève en sciences obligé de suivre le cours de grec sera cause que le professeur qui aurait fait un cours de littérature grecque pour les élèves philologues, ne fera plus qu’un cours de grammaire. Ainsi élèves et professeurs ressentiront l’influence de cette universalité de connaissances que vous exigez pour les examens. Les élèves, obligés de savoir un peu de tout effleureront tout et n’approfondiront rien. Leur esprit, qu’ils auraient pu appliquer à une seule étude, s’éparpillera et s’usera en stériles efforts.
Voilà quel sera le résultat du système que vous avez adopté. J’en suis fâché pour mon pays comme législateur et comme ami des sciences. Je comprends fort bien qu’en exigeant tant de connaissances des élèves, vous doublerez le profit des professeurs. Mais c’est l’intérêt des élèves que nous devons avoir en vue. Vous n’aurez que des hommes superficiels et point de savants. Tenons-nous-en au strict nécessaire et écartons tout ce qui est superflu.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - J’ai dit que j’avais conservé une grande partie de la rédaction de l’honorable M. Dumortier. Je ne mérite pas le reproche qu’il m’adresse d’avoir déclaré non fondées des observations dont j’ai tire parti. Je me bornerai à relever deux points touchés par l’honorable préopinant.
L’un concerne l’épreuve préparatoire.
Je regarde, ainsi que M. Dumortier, comme un inconvénient le trop grand nombre d’examens attribués au même jury, parce que les examens ayant lieu dans la capitale, ils seront pour les familles une cause de dépense, et le séjour trop prolongé dans la capitale pourrait présenter des dangers sous d’autres rapports. Je reconnais très volontiers qu’il vaudrait mieux que le jury des sciences pût faire l’examen que j’attribue au jury de philosophie. Mais il serait difficile de trouver parmi les hommes dont se composera le premier des personnes capables de faire subir aux candidats l’épreuve préparatoire. Il n’était donc pas possible de trouver une autre disposition que celle que j’ai proposée.
Je ferai remarquer que l’élève en sciences qui passera son examen préparatoire devant le jury de philosophie n’aura rien à payer de ce chef, cet examen faisant partie de l’examen général. Ensuite, rien n’empêche que le jury de philosophie ne détache deux de ses membres pour interroger dans une salle destinée à cet effet les élèves en sciences. Il restera cinq membres encore pour continuer la majorité voulue par la loi. Ainsi disparaîtront les inconvénients du grand nombre d’examens.
Quant à l’astronomie physique, je ne puis abandonner ma proposition sur ce point, appuyé que je suis par l’autorité d’un savant dont on ne niera pas la compétence en pareilles matières. L’inconvénient signalé par l’honorable préopinant n’existe point. Il y a impossibilité, dit-il, d’étudier l’astronomie physique sans avoir étudié l’astronomie en général. Je me serai mal expliqué puisque l’honorable préopinant ne m’a pas compris. L’astronomie physique n’est pas cette science transcendante, qui rend compte des phénomènes célestes au moyen de l’analyse mathématique. Non, c’est l’astronomie élémentaire, qu’on appelle populaire en Allemagne, mais qui, dans le langage scientifique, doit conserver le nom d’astronomie physique.
M. Dumortier. - Pourquoi ne pas la nommer astronomie élémentaire ?
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Ce n’est pas le terme propre.
M. Dumortier. - Je ne vois pas pourquoi l’on exigerait du candidat en sciences naturelles des connaissances en astronomie. C’est comme si l’on voulait que le candidat en sciences mathématiques sût la zoologie. Il y a ici une véritable confusion. La chambre fera ce qu’elle voudra. Mais ce n’était pas la peine d’établir une division entre les sciences naturelles et les sciences mathématiques, si on devait s’en écarter.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - J’ai oublié de répondre au sujet de la physique expérimentale. Evidemment, il ne s’agit pas de faire des expériences devant le jury. Il en est de la physique expérimentale comme de l’astronomie physique ; ce sont les termes scientifiques qui désignent la partie élémentaire de chacune des sciences qu’il est utile aux médecins comme aux candidats en sciences naturelles de connaître.
- L’article 46 est adopté tel que M. le ministre de la justice l’a rédige (voir plus haut), à l’exception des mots : les éléments d’anatomie des plantes qui se trouvent au deuxième paragraphe.
L’article 47 est mis aux voix et adopté tel que l’a rédigé M. le ministre de la justice. (Voir plus haut.)
L’article 48 est mis aux voix et adopté. Il est ainsi conçu :
« L’examen pour le doctorat en sciences mathématiques et physiques comprendra les mathématiques supérieures, la théorie analytique des probabilités, la mécanique analytique, la mécanique céleste, la physique mathématique et l’astronomie. »
« Art. 49. Les examens en médecine et en chirurgie comprendront :
« 1° Celui de candidat, l’anatomie et des démonstrations anatomiques, la physiologie, la pharmacologie et la matière médicale ;
« 2° Le premier examen pour le doctorat, l’hygiène, la pathologie et la thérapeutique générales et spéciales des maladies internes ;
« 3° Le deuxième examen, la pathologie externe, les accouchements, la médecine légale et la police médicale ;
« 4° Pour réunir au grade de docteur en médecine celui de docteur en chirurgie et en accouchements, il est requis en outre de subir un examen spécial et pratique sur les opérations chirurgicales et les accouchements.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - L’article 49 suppose que le docteur en médecine qui veut devenir docteur en accouchements, sera obligé de prendre le titre de docteur en chirurgie ; les choses ne se passent pas ainsi habituellement ; les docteurs médecins prennent le titre de docteurs en accouchements, sans exercer la chirurgie. Voulant ne rien déroger à cet usage, nous proposerons l’amendement suivant :
« Le docteur en médecine pourra obtenir le titre de docteur en accouchements, en subissant un examen spécial et pratique sur les accouchements. »
M. Lejeune. - Messieurs, je dois parler avec beaucoup de réserve sur une science qui m’est tout à fait étrangère. Cependant, il y a ici une observation à vous présente, qui est à la portée de tout le monde ou de tous ceux qui ne sont pas médecins.
Dans l’examen pour être candidat, on exige la pharmacologie et la matière médicale, et dans l’examen pour être docteur, on exige l’hygiène. Ne serait-il pas plus convenable et surtout plus utile d’exiger l’hygiène du candidat, et la pharmacologie et la matière médicale du médecin ? La pharmacologie et la matière médicale sont des études avancées, des études pratiques ; elles appartiennent évidemment au doctorat ; l’hygiène est une science de théorie, et doit appartenir au candidat qui en est encore aux éléments. Je proposerai la transposition de la nomenclature sur laquelle je viens d’attirer votre attention, et je déposerai un amendement dans ce but.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - le gouvernement ne s’oppose pas à la transposition proposée par M. Lejeune et dont les motifs me paraissent fondés.
M. Lejeune. - Mon amendement n’est pas contraire à celui qu’a présenté M. le ministre de l’intérieur.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Nous adhérons à votre proposition.
M. Dechamps, rapporteur. - Lors de la discussion de l’article 46, M. Dumortier a fait une proposition pour modifier le second paragraphe, et l’on a substitué « les éléments de botanique » à « la botanique » ; mais pour passer de l’examen de docteur médecin, ne serait-il pas utile d’exiger la botanique ?
M. Dumortier. - Les éléments de botanique sont suffisants pour le médecin : s’il y avait des docteurs en pharmacie, il faudrait exiger la botanique ; mais quant au médecin, cela n’est pas nécessaire.
On n’a déjà mis que trop de choses dans les examens ; on a doublé, triplé les matières depuis le premier projet de loi ; ne les augmentons pas davantage.
- L’amendement de M. Lejeune est mis aux voix et adopté.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux) demande que dans les examens on exige les éléments d’anatomie et de physiologie comparée.
- Cet amendement est adopté.
Le premier amendement présenté par M. le ministre de l’intérieur relativement aux médecins qui veulent être accoucheurs est adopté et fera partie du quatrième paragraphe.
L’ensemble de l’article est adopté.
« Art. 50. Les examens en droit comprendront :
« 1° Celui de candidat, le droit naturel ou philosophie du droit, l’encyclopédie du droit, l’histoire du droit romain, les institutes du droit romain, et les éléments du droit civil moderne ;’
« 2° Le premier examen pour le doctorat en droit, la statistique, l’économie politique, l’histoire politique, le droit public et administratif ;
« 3° Le deuxième examen, les pandectes, l’histoire du droit coutumier de la Belgique et les questions transitoires, le droit civil moderne, le droit criminel, le droit commercial, la procédure civile et la médecine légale. »
M. de Brouckere. - Déjà dans la séance d’hier la discussion a porté sur l'article 50. J’ai annoncé que je présenterais un amendement. Je vais le faire connaître. Je demande la suppression du premier examen pour le doctorat en droit, ou que la statistique, l’économie politique, l’histoire politique et le droit administratif ne soient pas exigés ; et je demande en outre que le droit public soit placé après le droit commercial.
- L’amendement est appuyé.
M. Devaux. - Je demande le maintien de ce que l’on veut retrancher, c’est-à-dire que l’élève soit interrogé sur le droit public, l’économie politique, l’histoire politique et le droit administratif. Depuis l’installation de nos universités, ces matières ont fait partie de l’enseignement ; je crois que le pays s’en est bien trouvé. Vous remarquerez que les cours des étudiants en droit n’ont pas une étendue aussi grande que les cours des étudiants en médecine et des étudiants dans les autres facultés.
Il ne faut pas se laisser abuser par les mots, il y a dans la nomenclature relative au droit des cours qui occupent peu de temps. La médecine légale, par exemple, est un cours de trois mois. Le cours de droit criminel peut aussi être abrégé ; ii est évident qu’on peut l’allonger ; quoi qu’il en soit, il est beaucoup moins compliqué que le droit civil. Il ne reste que deux grands cours, le droit romain et le droit civil. Cependant on ne veut pas que l’élève fasse ses études en moins de trois ans.
Quand un homme entre dans le monde trois ans après sa sortie du collège, ce n’est pas trop tard. Il faut occuper ce temps. Les cours de droit politique et d’économie politique sont très propres à cet objet. On entend par histoire politique celle de l’Europe depuis la fin du 15ème siècle. Il faut connaître les législations qui ont régi les divers pays du vieux continent à partir de cette époque. Il serait difficile d’enseigner le droit public sans quelques notions sur l’histoire politique. Ce ne sont pas là des sciences qu’on puisse isoler. Elles sont basées sur des faits, et l’histoire politique seule les fournit.
J’en dirai autant de la statistique, de l’économie politique. Les lois financières font partie de la législation ; or, ces lois ont un grand rapport avec l’économie politique, avec la statistique. Ces sciences d’ailleurs ne sont pas désagréables à étudier.
L’élève qui demande un diplôme en droit n’est pas un élève qui demande simplement à être avocat. Beaucoup de familles envoient leurs enfants à l’université, sans que leur vocation soit bien décidée : quelques-uns de ces jeunes gens deviennent avocats, magistrats, d’autres administrateurs ; et les connaissances en économie politique, en histoire politique que l’on veut supprimer, sont très utiles et aux jurisconsultes et aux fonctionnaires.
On a exigé des médecins qu’ils subissent des examens sur l’anthropologie, la philosophie morale ; on a soutenu que ces connaissances seraient utiles à la société en ce qu’elles apprendraient à l’élève que les phénomènes qu’il étudie ont encore une autre cause que des causes matérielles. Eh bien, vous ferez également une chose utile en exigeant de l’élève en droit qu’il étudie l’histoire politique, le droit public. Aucun homme bien élevé ne peut, aujourd’hui, être ignorant sur ces objets, à plus forte raison un homme qui se voue à la jurisprudence ou à l’administration.
Dans les universités, les élèves ont généralement une grande peur des examens ; ils s’attachent à l’étude des sciences sur lesquelles ils seront interrogés et négligent assez les autres ; eh bien, interrogez-les sur toutes, pour qu’ils n’étudient pas les unes au détriment des autres.
Le droit administratif doit être conservé, on ne peut le contester. Quant aux autres, il y a tant de motifs pour les maintenir dans la nomenclature, et si peu d’inconvénient à cela, que je demande formellement qu’aucun retranchement n’ait lieu.
M. de Brouckere. - Tout ce qu’a dit le préopinant tend à prouver que l’économie politique, l’histoire politique, sont des choses fort utiles. Mais personne ne le conteste. Si l’on avait proposé de supprimer les cours qui se font sur ces sciences dans nos universités, je m’y serais opposé. Je comprends l’utilité de ces connaissances pour les jeunes gens qui se destinent à être avocats et à d’autres carrières. M. Devaux a détourné la question ; et ce n’est pas la première fois qu’il argumente de cette façon. Il traite la question de savoir si ces sciences sont utiles ; moi, je demande s’il est nécessaire de faire porter les examens sur ces branches de nos connaissances.
L’honorable M. Devaux a dit qu’on avait enseigné ces objets aux universités ; cela est vrai ; mais les examens ne roulaient pas sur ces matières...
M. Devaux. - Vous me pardonnerez ; j’ai été interrogé sur ces matières !
M. de Brouckere. - Je vous prie de ne pas m’interrompre, vous m’interrompriez vingt fois qu’il ne serait pas moins exact de dire que les examens ne roulaient pas sur ces sciences.
Au reste, supposons qu’on les eût exigées, c’étaient les professeurs qui faisaient les examens et ils savaient de quelle manière il fallait interroger des élèves qu’ils connaissaient.
Mais je vous demande quel est le jeune homme qui, ayant dû étudier onze branches de la science du droit et devant subir un examen sur ces onze branches, pourra encore subir, de la part du professeur qu’il ne connaît pas, un examen sur des sciences aussi différentes et aussi étendues que la statistique, l’histoire politique et l’économie politique ? Je pose en fait qu’il n’y en aura pas un seul. Oui, ils pourront répondre à certaines questions qui leur seront faites avec une certaine complaisance de la part des professeurs sous lesquels ils auront étudié ; mais, de la part de professeurs qui ne connaissent pas les élèves et qui leur sont inconnus, cela est de toute impossibilité.
Si vous maintenez cette disposition dans l’article, vous rendrez tout examen impossible.
Messieurs, on a voulu vous faire croire qu’on était moins exigeant pour les élèves en droit que pour ceux d’autres facultés, parce que plusieurs cours durent très peu de temps et sont faciles, et on a cité la médecine légale et le droit criminel.
Le cours de médecine légale, a-t-on dit, ne dure que trois mois. Je prétends que celui qui aura suivi pendant trois mois un cours de médecine légale ne pourra pas passer un examen sur cette matière. J’ai aussi suivi un cours de médecine légale, je l’ai suivi pendant deux années, et après cela je ne savais encore que très peu de chose. Un élève ne peut acquérir aucune idée de la médecine légale en trois mois. Deux leçons par semaine pendant trois mois, cela fait trente leçons. Or, qu’est-ce qu’un élève en droit qui n’a aucune idée de la médecine peut savoir de médecine légale quand on lui a donné 30 leçons sur cette matière ?
Le droit criminel a été présenté aussi comme très facile et pouvant être étudié en peu de temps. C’est vrai, si le professeur se borne à dire : L’article premier porte ceci, l’article 2 porte cela, et ainsi de suite jusqu’à l’article 463, rien n’est plus facile, Mais. pour l’élève qui voudra étudier la science du droit criminel, la philosophie du droit criminel, si je puis m’exprimer ainsi (et c’est ce qui s’enseigne dans toutes les universités, car ce n’est pas seulement le texte du droit criminel qu’on doit apprendre, mais la science du droit criminel), cette étude n’est pas si simple et si facile que le pense l’honorable préopinant.
En général, je le répète, les élèves en droit qui ont des examens à subir sur toutes les branches de la science du droit, ont là de quoi remplir les trois années que dure l’étude du droit, sans qu’on exige encore qu’ils subissent un examen sur des branches qui ne se rattachent pas à la science du droit, comme la statistique, l’économie politique et l’histoire politique ; j’ajouterai le droit administratif, car je ne vois pas la nécessité pour l’étudiant en droit de suivre un cours de droit administratif. Jusqu’ici, on ne l’a pas enseigné dans les universités du gouvernement.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - On enseigne le droit administratif à Liége.
M. de Brouckere. - Alors, c’est une innovation, et ce n’est que depuis un an ou deux qu’on l’enseigne. Pendant 13 ou 14 ans, on ne l’a pas enseigné : je ne vois pas la grande nécessité d’en exiger la connaissance du docteur en droit. Je trouve qu’on fait bien d’enseigner le droit administratif. Je conseille même à ceux qui se destinent aux fonctions administratives ou qui veulent arriver à la représentation nationale de suivre ce cours. Mais je trouve que ce serait trop exiger que de forcer les élèves en droit de répondre sur cette matière pour obtenir le grade de docteur.
Je persiste donc dans mon amendement. La chambre remarquera que j’ai laissée subsister le droit public.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Messieurs, en divisant les matières de l’examen en trois parties, on avait eu en vue de faciliter l’examen aux élèves ; mais on a signalé un inconvénient pratique à ce système, en ce qu’il nécessitait trois déplacements à un élève pour obtenir le grade de docteur. Je pense qu’il y aurait moyen de concilier les deux opinions, ce serait de renforcer l’examen de candidat d’une partie des matières comprises dans le premier examen du doctorat, et de joindre le reste aux matières dont se composait le second examen du doctoral, pour n’en faire qu’un seul.
Par exemple, l’examen de candidat, outre les matières énumérées dans le premier paragraphe, comprendrait la statistique, l’économie politique et l’histoire politique ; et l’examen de docteur comprendrait les pandectes, l’histoire du droit coutumier de la Belgique et les questions transitoires, le droit civil moderne, le droit commercial, le droit public et administratif, la procédure civile et la médecine légale.
De cette manière, l’élève n’aurait que deux examens à subir. Je pense que les examens peuvent fort bien être établis comme je viens de l’indiquer. Il est à remarquer qu’on n’exigera pas de l’élève des connaissances approfondies en statistique, en économie politique et en histoire politique, mais qu’il a au moins des connaissances élémentaires suffisantes pour approfondir ces sciences quand il aura achevé ses autres études.
En n’ayant que deux examens, l’élève aura d’autant plus de facilité pour étudier les matières qu’il doit particulièrement connaître et qui sont énumérées dans l’examen pour le doctorat, les pandectes, le droit civil et autres matières principales qu’un avocat doit absolument savoir. Il pourra se livrer avec plus de maturité à l’étude de ces branches, qu’il n’en sera pas distrait pour se préparer sur des matières plus ou moins étrangères au droit.
Je pense donc qu’au moyen de la nouvelle division que je propose on pourvoit aux inconvénients signalés.
M. Dubus. - J’appuie l’amendement proposé par l’honorable M. de Brouckere. J’ai déjà développé hier devant la chambre des considérations à l’appui de cet amendement, et quoique, d’après le résultat du vote d’hier, je puisse croire qu’il y a peu d’espoir de faire admettre l’amendement proposé, si la chambre se montre conséquente avec les principes qu’elle semble avoir consacrés hier ; j’insiste cependant, parce que je suis convaincu qu’elle est engagée dans une fausse voie, et, comme l’a très bien fait observer mon honorable ami, qu’on arrivera par là à rendre toutes les études superficielles.
La commission qui avait rédigé le premier projet de loi sur l’instruction paraissait avoir été convaincue de cette vérité, car elle avait formé un autre programme des examens à subir par ceux qui se destinaient à la carrière du barreau ou de la magistrature.
Cette commission pensait que les examens devaient uniquement avoir pour but d’acquérir la preuve que les aspirants aux grades académiques possédaient les connaissances essentielles pour les professions qu’ils voulaient embrasser, et elle avait formé ses programmes en conséquence. C’est la seule manière convenable et rationnelle de procéder. Encore une fois, vous ne pouvez demander que la preuve des capacités nécessaires pour certaines professions. Evidemment, vous ne pouvez pas exiger des récipiendaires plus que la preuve des connaissances essentielles pour la profession à laquelle ils se destinent ; vous n’avez pas le droit d’exiger d’eux la preuve d’autres connaissances.
Or, voilà quel était le programme des deux examens que devaient subir ceux qui se destinaient à la carrière du barreau et de la magistrature ; Pour la candidature en droit : la philosophie du droit, l’histoire du droit romain, l’encyclopédie du droit, les institutes du droit romain et les éléments du droit civil moderne.
Pour le doctorat : les pandectes, le droit civil moderne, le droit criminel, le droit commercial, la procédure civile, l’ordre des juridictions et la médecine légale.
On n’avait ajouté que le droit public, mais on n’exigeait pas la statistique, l’économie politique, l’histoire politique et le droit administratif.
S’il y a quelque chose à dire sur le programme de la première commission, c’est qu’il est déjà trop étendu. Ce programme doit être calculé sur le temps que le récipiendaire a dû donner à ses études. Or, le temps fixé pour les études du droit est 3 ans, c’est en trois années que l’élève doit avoir acquis les connaissances dont vous exigez les preuves.
Eh bien, je pose en fait qu’avec le programme de la première commission, pas un élève sur cent ne serait en état de répondre sur toutes les sciences pour lesquelles on exigeait une étude approfondie ; car remarquez-le bien, ce ne sont pas les éléments des sciences énumérées à l’article qu’on demande au docteur, mais on veut qu’il soit rompu dans ces sciences.
Vous ne pouvez pas entendre l’article autrement. La seule étude du droit romain et du droit civil moderne est déjà plus que suffisante pour absorber tous les moments d’un élève intelligent et studieux, pendant les trois années qu’il doit consacrer à l’étude du droit. Et nous exigeons encore la connaissance du droit criminel, du droit commercial, la procédure civile et la médecine légale, toutes branches de la science du droit qui demandent beaucoup de temps. Mais enfin, celles-là ont un rapport intime avec la science du droit, et en font même partie.
Vous n’êtes pas encore contents de cela, vous vous rejetez sur des connaissances accessoires, tout à fait étrangères au droit, et vous en imposez l’étude ; vous exigez que l’élève, à son examen pour le doctorat en droit, réponde sur ces matières : la statistique, l’économie politique, l’histoire politique.
Mais, réellement, je crois qu’on peut poser en fait, sans craindre d’être contredit par personne, que depuis qu’il existe des universités, jamais un docteur n’a été reçu qui eût pu justifier de connaissances approfondies sur toutes les sciences qu’on veut faire entrer dans le programme de l’examen du doctorat en droit.
Je demande si après cela le programme du gouvernement n’est pas réellement réduit à l’absurde. C’est si vrai que le ministre vient de dire qu’on interrogera sur les éléments de ces sciences. Il combat par là l’article du gouvernement, car cet article ne parle pas des éléments des sciences, mais des sciences elles-mêmes.
Et, comme c’est un jury spécial et distinct du corps professoral qui interrogera les élèves, il ne doit voir que le programme ; il n’a pas mission de rechercher si, dans tels établissements on n’a donné qu’un cours superficiel de trois mois sur la médecine légale, qui est moins étendue que le droit criminel, et dont l’étude cependant demanderait tant de temps pour être convenablement faite.
Le jury n’a pas à s’occuper de cela : toute question rentrant dans le cadre du programme pourra être adressée au récipiendaire ; toute question sur le droit criminel ou sur tout autre matière comprise dans l’article : statistique, économie politique, histoire politique, pourra être adressée à l’élève, et l’élève sera tenu d’y répondre, ou vous devez rédiger votre article autrement. Sans cela tout membre a non seulement le droit, mais ce sera un devoir pour lui d’adresser à l’élève des questions sur ces sciences, afin de se convaincre qu’il les connaît.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Il ne s’agit que des éléments de la statistique et de l’économie politique.
M. Dubus. - Encore une fois l’article ne parle pas des éléments de ces sciences, mais de ces sciences elles-mêmes. Après tout, qu’est-ce que les éléments de la statistique ? quant à moi, je n’en sais rien. La statistique, on vous l’a dit, est un recueil, un résumé de faits, et même de faits fondés sur des conjectures ; de telle sorte que je ne pense pas qu’il ait jamais existé deux statistiques qui fussent d’accord.
Qu’est-ce que les éléments d’une science qui consiste en un résumé de faits ? je le répète, quant à moi, je ne puis le comprendre.
Quant à l’économie politique, c’est une science extrêmement étendue ; il y a une complication presque infinie de systèmes. Il est très peu de personnes qui soient capables de répondre à un examen sur l’économie politique, et la raison en est simple, c’est que je ne crois pas qu’on pusse trouver plusieurs adeptes qui soient d’accord et qu’il y en a qui ne se comprennent même pas. Voulez-vous après cela qu’un élève réponde sur une pareille science ? On l’interrogera sur les éléments, dit M. le ministre ; mais d’après quel système ? car il y a une grande complication de systèmes, et le nombre va toujours en augmentant.
Il y a un vice bien plus grand encore dans la disposition que je combats. Il s’agit d’examen sur le droit ; vous nommerez un jury spécial pour les examens de droit et vous comprenez dans ces examens des sciences qui ne sont pas enseignées à la faculté. La statistique, l’économie politique et l’histoire politique sont enseignées à la faculté de philosophie et lettres et non à la faculté de droit. Le jury d’examen pour la faculté de philosophie et lettres pourra seul interroger sur ces sciences ; il faudra donc réunir deux jurys pour faire passer un examen de droit.
Pour cet examen, il faudra des hommes spéciaux qui ne pourront pas délibérer ensemble. Car vous ne trouverez pas un examinateur capable d’interroger un élève à fond sur le droit et sur la statistique, l’économie politique, l’histoire politique et le droit public et administratif.
Vous voyez où l’on arrive quand on s’écarte manifestement de la route qui mène au but que l’on veut atteindre, et ce but est de constater la capacité des candidats pour l’exercice de la profession du barreau et des fonctions de la magistrature judiciaire. Constatez donc que le récipiendaire a une connaissance approfondie du droit, mais bornez-vous là. Partout où vous rencontrez cette connaissance, dites qu’on est capable d’exercer la profession d’avocat ou les fonctions de juge ; mais si vous étendez l’examen au point où veut l’étendre M. le ministre, et que vous n’interrogiez les récipiendaires que sur des éléments, vous serez amenés à donner des brevets de docteur à ceux qui ont encore de longues études à faire avant d’être capables d’exercer la profession qu’ils veulent embrasser.
On vous présente toujours pour point de vue la possibilité que celui qui a étudié le droit et vient demander un diplôme d’avocat se livre à l’exercice d’une autre profession. Evidemment, ce n’est pas cette considération qui doit vous diriger. Vous devez la laisser à l’écart. Vous seriez inconséquents, et la loi entière serait une inconséquence si vous teniez compte de ces considérations. Si on pense qu’il faut un brevet de capacité pour l’exercice de ces autres professions, exigez ce brevet de capacité. Si vous voulez arriver à faire constater la capacité d’un candidat aux fonctions administratives ou à d’autres fonctions établissez, comme le proposait la première commission, un diplôme de docteur dans les sciences administratives et politiques ; faites plus, dites qu’on ne donnera tels et tels emplois qu’à ceux qui auront obtenu ce diplôme. Je verrai là une conséquence.
Mais, tandis que des personnes qui ne justifient par diplôme d’aucune étude sont cependant reconnues capables d’exercer ces fonctions, comment pourrez-vous vous diriger par cette considération que l’élève qui demande un diplôme pour exercer la profession d’avocat ou de juge pourra être appelé à remplir des fonctions administratives, pour exiger de lui des connaissances concernant spécialement ces fonctions ? C’est là une inconséquence et une injustice tout à la fois.
Au moyen de ces considérations et de celles qu’a fait valoir le préopinant, j’espère encore que la chambre adoptera l’amendement proposé.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Au moyen de l’amendement proposé par mon honorable ami, M. le ministre de l'intérieur, je crois que les inconvénients que présentait l’article 50 disparaissent.
Il y avait déjà un inconvénient à forcer ceux qui veulent prendre leurs grades à venir trois fois dans la capitale. D’après la nouvelle division proposée par M. le ministre de l’intérieur il n’y aura plus que deux examens. Mais est-il nécessaire que dans ces examens on comprenne la statistique, l’histoire politique, l’économie politique et le droit administratif ? car c’est sur ces quatre points que roule la discussion.
Quant au droit administratif, je pense qu’il faudrait commencer par le mettre hors de cause ; il est impossible de ne pas l’exiger. Le droit administratif appartient véritablement à la jurisprudence, et en Belgique plus que partout ailleurs, car les questions qui s’y rattachent sont maintenant du ressort des tribunaux. A chaque instant et surtout à la cour de cassation, il peut se présenter des questions qui nécessitent la connaissance du droit administratif. Cette connaissance est donc indispensable.
*>Le droit administratif en France et en Allemagne fait avec le droit public l’objet d’un cours complet, le cours de droit public et administratif. Je vous prie de remarquer que dans la rédaction de l’article on a entendu faire du droit public et administratif l’objet d’un seul cours.
Maintenant, l’histoire politique, l’économie politique et la statistique doivent-elles faire partie de l’examen pour le doctorat ? sont-ce là des matières étrangères à la jurisprudence ? Pour moi, je ne peux considérer ces sciences comme étrangères à la jurisprudence ; je crois au contraire qu’elles marchent de pair avec la jurisprudence, qu’il serait difficile d’étudier le droit public sans connaître l’histoire politique, qu’il est impossible d’acquérir des connaissances en droit public et administratif, sans connaître la statistique et l’économie politique.
Ces sciences se rattachent aux droits public et administratif, et quand elles ne s’y rattacheraient pas directement, elles s’y rattachent au moins d’une manière aussi directe que les sciences qui font l’objet de la candidature en philosophie et lettres.
Vous avez cru que l’élève en droit devait commencer par subir un examen sur des auteurs grecs et latins, la littérature française, les antiquités romaines, l’histoire ancienne, l’histoire du moyen âge, l’histoire nationale, la logique, l’anthropologie, la philosophie morale et l’histoire élémentaire de la philosophie, l’algèbre jusqu’aux équations du deuxième degré, la géométrie élémentaire, la trigonométrie rectiligne et la physique élémentaire.
Vous avez considéré que l’homme qui se livrait à l’étude du droit pouvait être appelé à jouer un grand rôle ; vous avez voulu dans l’intérêt de la société qu’il réunît toutes ces connaissances, et pour avoir la certitude qu’il les possède, vous avez voulu qu’il subît un examen sur ces matières. C’est dans cet esprit que je réclame de votre sagesse la conservation de la statistique, de l’économie politique, de l’histoire politique et du droit public et administratif dans l’examen de droit.
Pourquoi a-t-on exigé du médecin la connaissance de la philosophie morale ? Cette connaissance ne lui était pas indispensable, elle ne se rattache pas directement à la médecine ; mais on l’a exigée dans l’intérêt de la morale publique, dans l’intérêt de la société, afin que le médecin y tienne la place qu’il est convenable qu’il y occupe. De même si on exige de l’avocat des connaissances autres que la science du droit proprement dite, c’est pour que l’avocat envisage la jurisprudence, non sous le rapport étroit de quelques textes, mais comme les Romains l’entendaient ; c’est ainsi qu’il faut les considérer. Dès lors, vous ne pouvez pas regarder les sciences énumérées dans l’article, comme étrangères à la jurisprudence.
On a prétendu que nous n’étions pas d’accord avec la première commission qui, dit-on, n’avait exigé des récipiendaires que les connaissances essentielles pour la profession à laquelle ils se destinaient. On n’a cité que quelques phrases de l’exposé des motifs, mais je puis dire que le travail de la dernière commission a été rédigé dans le même esprit que celui de la première.
Sur la question dont il s’agit, la première commission a énoncé la même opinion que la section centrale. Voilà donc trois opinions émises dans le même sens.
L’ancienne commission, il est vrai, avait divisé le doctorat en droit en deux espèces ; elle avait considéré le doctorat en droit sous deux points de vue, et elle avait établi le doctorat en droit proprement dit et le doctorat en droit public et administratif.
Il est quelques universités étrangères où cette division a été admise ; mais dans la plupart des universités, on a suivi la ligne que nous avons cru devoir adopter parce que nous l’avons crue la meilleure. Nous avons été plus conséquents en ce point que la première commission, car pour la médecine elle n’avait pas créé deux espèces de docteurs, et elle avait réuni toutes les branches de cette science.
Nous avons suivi pour le droit la même ligne que pour la médecine. Nous avons exigé du docteur en droit et du docteur en médecine tout ce qui a rapport d’un côté à la jurisprudence, de l’autre à la médecine.
Dans le même système, nous avons divisé en deux examens les connaissances à exiger du docteur en droit. Il est vrai que nous nous sommes écartés de cette division en proposant qu’il n’y ait qu’un examen pour le doctorat. Nous nous sommes déterminés à vous faire cette proposition, parce que nous avons prévu que ces deux examens auraient des inconvénients assez graves pour être pris en considération.
On a dit dans une autre séance que l’on pouvait être un profond jurisconsulte et un excellent magistrat sans connaître la statistique, l’économie politique. Je n’en disconviens pas. Mais la question est de savoir s’il y a des inconvénients à ce qu’un jurisconsulte possède ces connaissances.
S’il y a dans cette assemblée des avocats, des docteurs en droit qui aient suivi des cours de statistique, d’économie politique et d’histoire politique, je leur demanderai s’ils regrettent le temps qu’ils ont employé à cette étude. Je demanderai d’un autre côté si ces connaissances empêchent qu’on ne devienne profond en droit. Assurément ces études n’empêcheront pas celui qui se destine à la magistrature ou au barreau de s’occuper plus particulièrement du droit civil et du droit romain
Je ne sais s’il m’est permis d’invoquer mon expérience de plusieurs années. La plupart des jeunes gens qui étudient le droit s’occupent plus particulièrement du droit civil et du droit romain. Ont-ils à suivre, pendant une matinée, un cours de droit civil, un cours de droit romain, un cours d’économie politique et un cours d’histoire politique, les heures sont distribuées de manière que l’histoire politique et l’économie politique soient en quelque sorte un délassement à l’étude plus sérieuse du droit civil et du droit romain. Mais, de retour chez lui que fait l’étudiant ? Est-ce sur l’économie politique, sur l’histoire politique que portent ses méditations et ses réflexions ? Non, c’est du droit romain, c’est du droit civil qu’il s’occupe alors.
Quelle sera la matière des études du droit dans le système que nous avons proposé ? Le premier examen comprendra l’histoire du droit, la philosophie du droit, les éléments du droit civil moderne et les institutes. Le deuxième examen comprendra les pandectes, l’économie politique, l’histoire politique et la statistique. Ces trois dernières sciences serviront de délassement à d’autres études.
J’ai vu fréquemment dans les universités (je pourrais même citer d’honorables collègues qui siègent dans cette assemblée) des élèves qui se livraient plus particulièrement à l’étude du droit civil et du droit romain. Mais j’ai connu aussi des élèves qui étudiaient d’une manière particulière la statistique, l’économie politique et le droit public, qui faisaient de ces sciences leur étude favorite et y consacraient leurs veilles et leurs soins, sans que cela les empêchât de donner le temps nécessaire à l’étude du droit civil et du droit romain.
Si vous suivez ces hommes dans la carrière qu’ils ont embrassée, vous trouvez que les uns brillent dans la magistrature, les autres dans la carrière parlementaire. Vous voyez où conduit un programme bien réglé d’études.
Un honorable collègue vient objecter qu’on ne peut, dans les trois années que durent les études universitaires, acquérir d’une manière profonde toutes les parties. Mais est-ce donc ainsi que doit être donné l’enseignement des universités ? Pour moi, ce n’est pas ainsi que je le comprends ; je le déclare franchement. Comment apprend-on ? Toutes les matières doivent-elles être approfondies ? Non, sans doute. On apprend à apprendre avec de bons maîtres, on apprend les règles qu’il faut suivre, les sources auxquelles il faut puiser, les auteurs qu’il faut consulter. Voilà principalement ce dont on s’occupe.
A l’académie de Bruxelles, a-t-on dit, on n’enseignait pas la statistique, l’économie politique et l’histoire politique. L’académie de Bruxelles a formé des jurisconsultes distingués. Je n’ai pas intérêt à rabaisser la faculté de droit : j’y ai fait mes études, et je déclare que j’ai souvent regretté de ne pouvoir pas y suivre des cours de droit naturel, de droit criminel, de droit commercial et d’histoire du droit, enfin une multitude de cours que tout le monde aujourd’hui considère comme essentiels. Encore moins ai-je voulu rabaisser les professeurs de cette faculté dont j’ai suivi les leçons, et dont l’un brille à la tête de la cour d’appel de Bruxelles.
Messieurs, dans les autres pays, l’utilité de ces connaissances est manifeste aujourd’hui. J’insiste fortement pour qu’on ne les retranche pas du programme des examens. Une telle décision ne ferait pas honneur à la législature de qui elle émanerait. Je n’entends blâmer personne. Mais j’exprime une conviction profonde.
En Allemagne, personne n’élève de doutes sur ce point. Je suis fâché qu’une question pareille doive être discutée devant des hommes qui n’ont pas fait une étude spéciale de l’enseignement ; car en vérité, c’est de cela qu’il s’agit. Il s’agit de savoir ce qui, dans l’état actuel des connaissances, doit faire l’objet de l’enseignement. (Réclamations de la part de quelques membres.) Oui, messieurs, de l’enseignement et des examens.
Ainsi que je l’ai dit, et que d’autres l’ont dit avant moi, c’est des examens que dépendra la prospérité ou la décadence de l’enseignement. Si vous n’exigez pas qu’on examine sur certaines parties, ces parties, soyez-en sûrs, seront négligées.
Ce que je dis ne se rapporte à aucun établissement en particulier, mais aux établissements libres et à ceux de l’Etat.
Je suis persuadé d’avance que les établissements libres seront organisés sur des bases aussi larges que ceux de l’Etat. Pour moi, je fais des vœux pour la prospérité de tous les établissements. Je n’ai de préférence pour aucun en particulier.
Je ne fais qu’un vœu, c’est qu’ils réussissent tous également à donner l’instruction au pays, c’est que ceux qui donneront la meilleure instruction aient le plus de succès.
Ce système est plus propre, je crois, à favoriser les hautes études dans toute la Belgique.
M. Devaux. - Il me semble que je me fais de la profession d’avocat une idée plus juste que les orateurs qui ont l’habitude de se constituer les défenseurs de la cause des avocats. Je crois que la profession d’avocat, pour être exercée dignement, exige les connaissances les plus élevées et les plus nombreuses. Je pense qu’au lieu de restreindre les connaissances à exiger de l’avocat, on devrait les étendre, et qu’on ne saurait trop les étendre.
Pressez les raisonnements de mes adversaires, qu’en résulte-t-il ? Qu’on ne doit exiger de l’avocat que les connaissances qui lui sont absolument indispensables. De quel droit, disent-ils, voulez-vous imposer à l’avocat la connaissance de la statistique, de l’économie politique et de l’histoire politique ? est-il donc besoin de tout cela pour être avocat ? Ne peut-on pas plaider sans cela ? Un tel système tendrait à ravaler la profession d’avocat au niveau d’une profession mécanique. Comment ! De la profession d’un avocat qui a toujours passé pour la profession la plus libérale, vous ferez une fabrique de plaidoyers ! L’avocat ne sera plus qu’un marchand mettant en vente ses avis et ses paroles !
Pressez, disais-je, les conséquences de ce système ; qu’arrivera-t-il ? Beaucoup d’avocats bornent leur carrière aux affaires criminelles. Eh bien, de quel droit alors les interroge-t-on sur le droit civil, le droit commercial, la procédure civile ? Comment ne se borne-t-on pas à les interroger sur le code d’instruction criminelle et sur le droit criminel ? Comment ne se borne-t-on pas à leur délivrer un brevet constatant qu’ils ont fait preuve des connaissances indispensables en droit criminel ? Tel avocat qui se destine au commerce, demandera de quel droit on vient l’interroger sur le droit criminel et sur des sciences qui n’ont pas de rapport avec le droit commercial. Tel autre avocat qui ne veut plaider qu’au civil ne devra être interrogé que sur le droit civil. Ainsi vous pourrez subdiviser ainsi les connaissances à demander à l’avocat, car c’est ainsi que les avocats se subdivisent. Vous arriverez à n’exiger de l’avocat que des connaissances partielles et mesquines. Mais alors vous pourrez rayer la profession d’avocat et y substituer le métier de procureur de village.
N’est-il pas d’avocat qui n’ait réellement besoin des connaissances qu’on veut supprimer ? L’avocat n’a-t-il pas besoin de connaître le droit public, l’histoire politique, l’économie politique ? Ne peut-il pas avoir à plaider de ces grandes causes qui sont toute politiques. Pensez-vous que dans ces grandes causes politiques la connaissance du droit ne soit pas utile, qu’elle ne soit pas même nécessaire. Croyez-vous que pour ces causes il ne faille pas connaître l’histoire politique, non seulement du pays, mais de l’Europe ? Ces connaissances ne sont-elles pas indispensables au juge ? Eh bien, pour être juge, il faut être docteur en droit. Vous devez donc comprendre ces connaissances au nombre de celles à exiger du docteur en droit.
Un avocat a souvent à traiter des questions de finances. N’a-t-il pas besoin alors de connaître l’économie politique et la théorie des finances ? Vous avez près des administrations, près des ministères, des avocats qui ont à résoudre des questions délicates, des questions mixtes d’administration et de droit. Vous voudriez que ces avocats ignorassent les sciences qu’ils doivent appliquer !
Notre constitution a supprimé les conflits, matière mixte d’administration politique et de droit. Ces questions sont maintenant plaidées par des docteurs en droit, jugées par des docteurs en droit. Pour juger les conflits, ces connaissances ne sont-elles pas nécessaires ? Pour savoir où se termine le droit civil et le droit proprement dit ; pour traiter les questions de compétence et une foule d’autres matières, la connaissance du droit politique n’est-elle pas nécessaire ?
A chaque instant, dans une même cause, l’avocat a à résoudre des questions de politique, de finances, d’administration et de droit civil, On me cite la question des engagères, la question de la banque, qui participent de ces diverses natures.
On dit, et on répète sans cesse, que pas un homme ne peut, en trois ans, approfondir tant de sciences. Je réponds qu’en trois ans pas un homme ne peut approfondir une seule science. Bornez-vous à une seule science, au droit romain si vous voulez. Eh bien, ce n’est pas en trois ans que vous approfondirez le droit romain. Pour cela, il vous faudra dix ans, vingt ans peut-être.
Mais la question est de savoir si vous ne devez pas donner, dans les universités, les moyens de cultiver des sciences dont on peut avoir besoin. Je préférerais à la suppression de ces connaissances l’amendement de M. le ministre de l’intérieur. Mais j’y préférerais encore le maintien des trois examens, ce qui ferait un examen par année, selon l’ordre des études.
Qu’on ne dise pas que l’enseignement aura lieu sur des connaissances qui ne seront plus l’objet des examens. Cela est bon en paroles. Mais qu’arrivera-t-il ? C’est que toutes les études qui ne seront pas exigées pour l’examen seront négligées par la plus grande partie des aspirants au doctorat. Ce sera un résultat très fâcheux ; car les avocats sont une grande puissance aujourd’hui. Presque partout ce sont eux qui gouvernent. Dans les chambres législatives, je ne dirai pas qu’ils conduisent ces assemblées, mais ils y sont en très grand nombre. Comptez combien il a eu d’avocats au ministère en France et même en Angleterre depuis quelque temps. Quand vous composez votre bureau, ne le composez-vous pas d’avocats ? Dans vos commissions combien y a-t-il d’avocats ! Dans les conseils municipaux, partout n’est-ce pas de même ?
Vous ne risquez rien à imposer la connaissance de quelques sciences. Vous risquez beaucoup à la retrancher.
Je dirai en terminant que jusqu’ici les aspirants au doctorat ont toujours été examinés sur l’histoire politique et l’économie politique. Ce qui, à cet égard, a induit en erreur l’honorable M. de Brouckere, c’est que cet examen n’avait pas lieu devant l’université assemblée, mais devant les professeurs. Je sais que de mon temps, qui est aussi celui de M. de Brouckere, on subissait cet examen. Je puis me citer comme exemple. J’ai été examiné sur l’histoire politique et l’économie politique. Il est possible que M. de Brouckere ait échappé à cette formalité. (M. de Brouckere fait un signe affirmatif) ; mais je puis assurer qu’un assez grand nombre d’étudiants a subi cet examen.
Mais, dira-t-on, c’étaient les professeurs qui vous interrogeaient. Et il y aura une grande différence entre des professeurs et les membres du jury. Croyez-le, messieurs, le jury saura faire la part de chacun ; il n’exigera pas qu’un élève ait approfondi toutes les sciences. Que fera le jury ? S’agira-t-il d’économie politique, il n’interrogera pas sur tous les systèmes. Il demandera à l’élève quel est le système qu’il a étudié, et il s’assurera qu’il l’a réellement étudié.
Je crois pour moi qu’il faut continuer de faire ce qui s’est fait, et qu’il ne faut pas retrancher deux connaissances toujours utiles et souvent nécessaires.
M. Dumortier. - Je suis d’avis qu’il faut retrancher des examens toutes les connaissances superficielles, parce qu’elles sont inutiles, parce qu’il serait dangereux de les exiger.
Je ne puis admettre ce qu’ont avancé M. le ministre de la justice et l’honorable préopinant.
Suivant l’honorable préopinant, il faut exiger d’un avocat des connaissances en finances, en politique et en statistique, parce qu’il peut avoir à traiter des questions de politique, des questions de finances. Si on adopte un tel système, il n’y aura pas de connaissances que l’on ne doive exiger de l’avocat. Tous les jours un avocat a à plaider des causes où il est question de coups de poing, de bras cassés ; il faudra donc qu’il ait fait un cours d’anatomie.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - N’a-t-il pas suivi un cours de médecine légale !
M. Dumortier. - Mais ce n’est pas cela. Il faut ne pas avoir une idée de ce que c’est que la médecine légale pour croire que dans une question de coups et blessures elle puisse être utile, pour croire qu’elle apprenne à distinguer quelle est la partie blessée ; si c’est, par exemple, une vertèbre ou bien un os allongé. Il faudra que l’avocat connaisse l’anatomie.
S’agira-t-il d’un empoisonnement ? il faudra que l’avocat ait fait un cours de chimie.
Sera-ce une question de mur mitoyen ? il faudra qu’il ait fait un cours d’architecture. (On rit.)
Pour discuter une question relative à des mines, il devra connaître la géologie.
Ainsi vous le voyez, l’avocat devra posséder toutes les connaissances imaginables. Voilà où vous arrivez. Mais je crois qu’ici l’absurdité est à toucher au doigt.
On vous a dit que le jury ferait une distinction entre les diverses matières de l’examen. Mais, messieurs, si le jury écarte certaines matières de l’examen, il manque à son devoir, il viole la loi qui lui impose l’obligation d’examiner sur toutes les matières de l’examen.
Je viens, messieurs, de faire quelques rapprochements que je crois dignes de l’attention de l’assemblée, et que j’aurai honneur de lui soumettre. M. le ministre de la justice a déclaré que le projet en discussion ne s’écartait pas du projet rédigé par une commission spéciale en 1831, par des professeurs d’universités, par des hommes spéciaux. Les rapprochements que je vais mettre sous vos yeux vous prouveront si l’assertion de M. le ministre de la justice est exacte.
D’après le premier projet l’examen de candidat en philosophie comprenait les littératures grecque, latine et française, les antiquités grecques et romaines, la logique : en tout six sciences. Aujourd’hui cet examen comprend : des explications d’auteurs grecs et latins, la littérature française, les antiquités romaines, l’histoire ancienne ; l’histoire du moyen âge, l’histoire nationale, la logique, l’anthropologie, la philosophie morale et l’histoire élémentaire de la philosophie, l’algèbre jusqu’aux équations du second degré, la géométrie élémentaire, la géométrie rectiligne et la physique élémentaire : en tout 15 sciences.
Ainsi vous demandez au candidat en philosophie 15 sciences au lieu de 6.
L’examen de candidat en droit est le même dans les deux projets.
Le premier examen de docteur comprenait, d’après le premier projet, les pandectes, le droit public, le droit civil moderne, le droit criminel, le droit commercial, la procédure civile, l’ordre des juridictions et la médecine légale : en tout huit matières. Remarquez qu’on a supprimé l’ordre de juridictions ; ainsi reste 7. Aujourd’hui cet examen comprend : la statistique, l’économie politique, l’histoire politique, le droit public, le droit administratif, les pandectes, l’histoire du droit coutumier, le droit civil moderne, le droit criminel, le droit commercial, la procédure civile et la médecine légale : en tout douze matières.
Ainsi, douze matières au lieu de sept, pour le premier examen de docteur en droit.
S’agit-il des sciences naturelles ? Dans le premier projet l’examen de candidat en sciences comprenait : la physique, la chimie, la botanique, la physiologie des plantes et la zoologie : en tout cinq matières. Eh bien, messieurs, ce même examen comprend maintenant seize matières, savoir : la langue grecque, la langue latine, la logique, l’anthropologie, la philosophie morale, l’histoire élémentaire de la philosophie, la physique élémentaire, la chimie organique, la chimie inorganique, la botanique élémentaire, la physiologie des plantes, la zoologie, la minéralogie, la physique, la géographie ethnographique, l’algèbre : en tout seize matières.
Ainsi, pour le candidat en sciences, 16 matières au lieu de 5.
Le docteur en sciences, d’après le premier projet, devait être examiné sur l’astronomie, la minéralogie, la géologie, l’économie rurale et l’anatomie comparée, plus les cinq matières que j’ai indiquées pour le grade de candidat : en tout 10 matières. Aujourd’hui il doit être examiné sur les 16 matières que j’ai indiquées pour le grade de candidat, et de plus sur la botanique, la zoologie, la chimie, la minéralogie, la géologie, l’anatomie comparée, la physiologie comparée, l’anatomie végétale et la physiologie végétale : en tout 26 sciences.
Ainsi, pour le docteur en sciences, 26 sciences au lieu de 10.
Vous voyez, messieurs, par ces divers rapprochements, combien est augmenté le nombre des connaissances qu’on exige aujourd’hui. La vie d’un homme ne suffirait pas pour acquérir les connaissances que vous imposez à des jeunes gens. Que résulte-t-il de là ? Qu’on a des connaissances superficielles. Pour moi, j’aime mieux que les connaissances soient peu répandues et plus approfondies. J’aime mieux qu’on puisse citer en Belgique 6 hommes qui ont approfondi une science, que 600 qui l’auraient étudiée superficiellement.
Je ne veux pas de ces demi-savants qui ont puisé toute leur science dans la petite encyclopédie, qui savent de tout un peu, et qui ne savent beaucoup de rien.
M. Jullien. - Messieurs, je conçois qu’en termes de discussion, on puisse trouver une sorte de luxe dans le nombre des connaissances qui composent le programme des examens, mais j’avoue que je ne conçois pas qu’on puisse contester la nécessité de comprendre dans l’étude du droit celle du droit administratif. Pour moi, je me sens convaincu par une assez longue expérience que la connaissance du droit administratif est indispensable à l’avocat comme au magistrat.
Un des plus grands bienfaits de la révolution française est d’avoir séparé par une ligne de démarcation infranchissable le pouvoir administratif et le pouvoir judiciaire. Eh bien, je le demande, comment connaîtrez-vous la limite du pouvoir judiciaire si vous ne connaissez pas le droit administratif ? Trop longtemps a duré cette plaie de l’administration de la justice qu’on appelle les conflits. Or, il n’y a jamais eu de conflits que parce qu’on ne connaissait pas le droit administratif. Je dis donc qu’il est impossible de ne pas exiger cette connaissance de celui qui se destine au barreau et à la magistrature.
Quant aux autres parties de l’examen de candidat, l’économie politique, l’histoire politique, on a dit beaucoup de choses. Je suis, quant à moi, de l’avis de ceux qui pensent que les connaissances d’un avocat ne peuvent pas être trop étendues. Pensez-vous donc que, dans tant de circonstances où l’avocat se trouve placé, il n’ait pas besoin de ces connaissances pour faire honneur à sa profession ? Auriez-vous autant de plaisir à lire les brillants plaidoyers des illustrations du barreau français, s’ils ne connaissaient que le droit, s’ils ne joignaient pas à la connaissance du droit de connaissances en littérature ?
Il n’y a rien de plus aride que la connaissance du droit. Celui qui n’a d’autre connaissance que celle du droit, pourra être fort savant, mais ce sera bien en société le plus sot mortel qu’il y ait au monde. (On rit.)
Peut-être vous est-il arrivé de rencontrer ces espèces d’hommes, je ne dirai pas bourrés de grec, puisqu’on n’en veut pas, mais bourrés de latin et de digeste ; et en fait de littérature, de sciences et d’arts, de la plus crasse ignorance : Sont-ce là des avocats ? Pour moi, je répudierais le titre d’avocat s’il n’était accompagné d’autres connaissances que de celle du droit,
Je comprends que l’honorable M. Dumortier, en réunissant tout ce qu’on enseigne dans les petites écoles, dans les petits collèges, arrive à établir qu’on exige de l’avocat jusqu’à 24 connaissances différentes. Il dit qu’alors, pour une affaire où il sera question de coups de poing, on devra exiger de l’avocat la connaissance de l’anatomie ; que pour une affaire de mur mitoyen, il devra connaître l’architecture ; qu’enfin l’avocat devra posséder la science infuse et universelle. Il est extrêmement facile de répondre à de pareilles arguties. D’abord, pour une affaire de coups de poing (pour me servir de l’expression de l’honorable député de Tournay), l’avocat n’a pas besoin de connaître l’anatomie, mais seulement la médecine légale.
La médecine légale a particulièrement pour objet des observations sur les infanticides, l’asphyxie par submersion, les blessures et l’empoisonnement. Sans aucun rapport avec l’art de guérir, la médecine légale n’a d’autre objet que de mettre les avocats et les juges à même de comprendre les raisonnements des gens de l’art : par exemple, sur les effets de l’asphyxie, sur la question de savoir si un enfant est né mort ou vivant, et dans ce dernier cas est né viable.
Mais, a-t-on dit, comment pouvez-vous exiger un aussi grand nombre de connaissances ?
Il faudra donc, dit-on, que l’on soit en état de répondre sur toutes ces sciences qui demanderaient la vie d’un homme laborieux pour être approfondies : mais il ne faudra pas montrer que l’on a approfondi tant de connaissances ; il faudra seulement montrer que l’on a marché dans le chemin de la science : voilà ce que les examens constateront, et à quoi ils se borneront. Ainsi, il ne faut pas se faire de monstre de ces examens. L’examinateur saura très bien proportionner ses demandes à l’intelligence de l’élève. Tout ce que l’on a dit contre la proposition du gouvernement, repose sur de véritables sophismes.
Messieurs, ce n’est que dans la jeunesse que l’on apprend : si l’on néglige cette époque de la vie, que peut savoir un homme ? En prenant des années, nous ne faisons qu’oublier ce que nous avons appris. Je ne pense pas que dans aucun pays civilisé on ait étendu moins loin l’étude des sciences, et par conséquent des examens.
Je voterai pour le projet du ministre de l’intérieur.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). On a combattu le projet en discussion, en disant qu’il exige plus de choses de l’élève que le projet de la première commission. Moi, je pense que sous ce rapport l’avantage est du côté du dernier système que nous soutenons.
Dans le projet de la première commission, on ne pouvait être admis à subir un examen pour être candidat en lettres et en sciences sans avoir subi un examen préalable sur les différentes branches de l’enseignement moyen. Cet examen préalable n’est plus exigé. Ceci explique suffisamment pourquoi l’énumération des matières pour le grade de candidat en sciences et en lettres est augmentée.
Dans le premier système, il eût été absurde de prescrire des examens sur les langues grecque et latine, puisque avant de pouvoir subir un examen pour être candidat, il fallait prouver qu’on avait subi un examen préparatoire sur ces langues.
La première commission, a-t-on dit encore, exigeait moins pour le doctorat en droit qu’on n’exige maintenant : la différence n’est pas grande ; il n’y a de plus que la statistique, l’histoire politique et l’économie politique, sciences qui conviennent à tout le monde et dont l’étude est loin d’être pénible et désagréable.
Mais quel a pu être le but de la commission en exigeant des connaissances dans le droit administratif ? Evidemment afin d’exiger plus tard des fonctionnaires qu’ils soient docteurs.
La comparaison du projet nouveau prouve ce que j’ai avancé. Il suffit de le lire pour en être convaincu. On verra de plus que dans le premier projet on créait un titre de docteur en droit administratif, titre que l’on n’a pas conservé.
Au reste, le droit administratif, l’histoire politique, le droit public, ne donneront lieu qu’à des études élémentaires dans les universités ; il suffira d’en connaître les principes pour être à même dans la suite de les approfondir soi-même sans difficulté.
Tous les anciens avocats possèdent ces connaissances : ceux qui ont étudié dans l’université de Bruxelles comme les autres, parce qu’ils ont senti la nécessité de les acquérir. Sans doute qu’ils auraient mieux aimé avoir reçu des notions sur ces matières quand ils étaient à l’université, que d’être obligés d’en analyser eux-mêmes les premiers principes. Il faut épargner aux jeunes avocats de notre époque la peine qu’ont dû prendre les avocats de l’époque antérieure. La situation de la société fait d’ailleurs un besoin de ces études.
Mais, ajoute-t-on, on a exigé tant de matières que le jury pourra écarter tout élève qui lui déplaira. Messieurs, il est impossible de mettre en doute l’impartialité du jury ; il saura facilement apprécier l’étendue des connaissances que le jeune homme aura acquises ; il saura discerner quelles sont les matières principales dans chaque faculté et sur quels points il doit insister ; et dès lors vous n’avez rien à craindre de lui.
Que si un membre du jury faisait des questions embarrassantes, inopportunes, ne pensez-vous pas qu’il se trouverait d’autres membres qui interrogeraient l’élève comme on doit le faire, et que celui-ci pourrait prouver qu’il n’est pas sans capacité ?
J’aurais préféré que l’on conservât trois examens pour le droit. S’il avait été possible de les faire subir près des établissements où les élèves étudient, on les aurait maintenus dans le nouveau projet ; mais il faut autant que possible ne pas augmenter le nombre des déplacements ? C’est pour ces motifs que nous les avons réduits à deux. (Aux voix ! aux voix ! la clôture !)
- La chambre ferme la discussion.
M. le président. - Il y a une question préalable à résoudre, celle de savoir si l’on supprimera le paragraphe 2, sauf à augmenter le premier et le troisième paragraphes.
- La chambre décide qu’il n’y aura qu’un examen pour le doctorat en droit. En conséquence, le deuxième paragraphe est supprimé.
M. le président. - M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux) demande que l’on mette dans le premier paragraphe : « La statistique, l’économie politique, l’histoire politique. »
- L’amendement est adopté.
M. le président. - M. le ministre de l'intérieur demande que l’on mette le droit administratif dans le troisième paragraphe.
M. de Brouckere demande qu’on y mette le droit public.
- Ces deux amendements sont adoptés.
L’article 50, ainsi modifié, est adopté.
« Art. 51. Les examens se feront par écrit et oralement. »
- Adopté sans débats.
« Art. 52. L’examen écrit précédera immédiatement l’examen oral. Il aura lieu à la fois entre tous les récipiendaires qui seront examinés oralement pour l’obtention du même grade dans la même faculté et dans la même semaine. »
M. Dumortier ne comprend pas la rédaction de cet article.
- Plusieurs membres le trouvent amphibologique.
M. Dumortier. - Quel est l’examen qui précédera l’autre ?
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - C’est l’examen écrit.
M. de Brouckere soutient aussi que la rédaction de l’article est vicieuse.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux) et M. le ministre de la justice (M. Ernst) présentent différents moyens de le rendre clair au gré des membres qui l’attaquent.
- On ne paraît pas satisfait de leurs expédients ni d’une autre rédaction que propose M. Devaux.
M. de Brouckere. - Remettez la discussion de cet article à demain, et priez M. le ministre de présenter une autre rédaction. Il faudrait qu’elle fût compréhensible et écrite en français.
- La discussion de l’article 52 est renvoyée à demain.
« Art. 53. Les questions sont tirées au sort et dictées tout de suite aux récipiendaires. Il y aura autant d’urnes différentes que de matière sur lesquelles l’examen se fait ; chacune de ces urnes contiendra un nombre de questions triple de celui que doit amener le sort.
« Les questions doivent être arrêtées immédiatement avant l’examen. »
M. Dumortier. - J’ai une explication à demander sur cet article. Je vois que les questions seront tirées au sort ; mais je voudrais savoir si une certaine latitude sera laissée aux examinateurs à l’égard de ceux, par exemple, qui n’auront pas suivi de cours de statistique.
M. le ministre a dit tout à l’heure que le jury ferait la part des circonstances. Mais vous devez établir ici cette latitude, car les questions étant tirées au sort, comme le sort est aveugle, si le sort amène des questions trop difficiles sur lesquelles le candidat est dans l’impossibilité de répondre ; pour que le jury en pose une autre, il faut que la loi l’y autorise.
Je ferai observer qu’indépendamment de l’examen, par écrit, il y aura un examen oral qui pourra durer deux heures. Je demanderai si cet examen oral portera sur d’autres questions que celles désignées par le sort. Si, par exemple, le sort amène une loi quelconque pour l’examen par écrit, pourra-t-on faire porter l’examen oral sur une loi différente ? Si le sort a désigné une question de botanique, pourra-t-on faire porter l’examen oral sur une question d’anatomie comparée ?
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Oui, certainement.
M. Dumortier. - Il me paraît que la marche des examinateurs sera grande.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Il est impossible qu’on ne laisse pas beaucoup de latitude aux examinateurs, sinon il faudrait faire un recueil de questions dont les examinateurs ne pourraient pas sortir. Les élèves pourraient les apprendre, et on manquerait le but qu’on se propose. Il est certain que les examinateurs feront la part des circonstances et décideront d’après l’ensemble des réponses. Tel élève qui aurait fait preuve de beaucoup d’application sur certaines matières, et n’aura pas répondu d’une manière satisfaisante sur d’autres, sera admis s’il a bien répondu sur les matières principales.
M. Dubus. - Je voudrais qu’il fût décidé s’il devra y avoir dans les urnes des questions sur toutes les matières que comprend le programme, et comment on fera si toutes les questions amenées par le sort portent sur la même matière.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux) - Il y aura autant d’urnes que de matières.
M. Dubus. - Il y a des examens qui portent sur 12 ou 13 matières, ce sera une opération considérablement longue en pratique que le tirage au sort. Tout le temps de l’examen se passera en tirage de questions.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - La durée de l’examen est indépendante du tirage des questions, qui est une opération préliminaire.
M. Dumortier. - Mon observation porte sur l’examen oral. Nous avons vu que pour l’examen par écrit, on tirera les questions au sort : fera-t-on un nouveau tirage pour l’examen oral ou bien sera-t-il loisible aux examinateurs d’interroger sur les matières ou sur les questions qui auront fait l’objet de l’examen écrit ?
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Sur les mêmes matières.
M. Dumortier. - Alors l’examen oral embrassera toute l’étendue des sciences. On pourra embarrasser l’élève comme on voudra. Je pense qu’il serait plus sage de dire que l’examen oral aura lieu sur les mêmes questions que l’examen écrit.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Avec le système du préopinant qui veut que l’examen oral porte sur les mêmes questions que l’examen écrit, de deux choses l’une, ou l’élève aurait eu le temps d’aller étudier les questions posées par écrit et serait sûr de répondre à l’examen oral ou bien, si l’examen oral suivait l’examen écrit de si près que l’élève ne fût pas dans la possibilité de recourir à ses livres en supposant qu’il ne connaisse pas la question, l’élève ne répondrait ni par écrit ni oralement. Or, dans quel but a-t-on établi un examen oral ? Dans l’intérêt de l’élève, car il est évident que les questions par écrit devraient suffire si l’élève avait répondu d’une manière satisfaisante.
Mais il arrive que l’élève ne peut pas répondre à telle question posée par écrit, parce qu’il n’en a pas bien compris la portée : le professeur dans l’examen oral pose d’autres questions à l’élève, de telle manière que si l’élève a réellement quelques connaissances, il puisse en faire preuve.
Ce n’est donc pas dans la vue d’embarrasser l’élève, mais pour faciliter la constatation de ses connaissances que l’examen oral a été établi de cette manière.
Je ne pense pas qu’on puisse faire d’objection sérieuse à la marche des examens tracée dans le projet.
M. Jullien. - J’avais demandé la parole pour faire une simple observation à l’honorable M. Dumortier. On ne peut pas demander sérieusement qu’on introduise dans la loi une disposition portant que le jury pourra être facile ou difficile. Vous créez un jury, il doit avoir un certain pouvoir discrétionnaire comme tous les juges ; il faut qu’on le suppose composé d’hommes capables, prudents et justes ; et alors comment irait-il chercher à embarrasser un élève lorsqu’il l’est déjà ?
Si on tire au sort une question à laquelle il ne pourra pas répondre, faudra-t-il en tirer jusqu’à ce qu’il en arrive une qui lui convienne ? Ce n’est pas là ce que peut vouloir M. Dumortier, il est trop éclairé pour cela, il faut donc laisser cela au jury. Vous avez institué un jury d’examen, il faut le laisser opérer ; car il est impossible de faire pour cela un règlement, des détails aussi minutieux ne peuvent pas entrer dans une loi.
M. Dumortier. - Quand l’élève fait son examen par écrit, il le fait en lieu privé, ayant le temps de la réflexion, et par conséquent dans les circonstances les plus favorables ; eh bien, pour cet examen, on devra tirer les questions au sort, tandis que pour l’examen oral, quand il sera interrogé publiquement, ce qui interdit toujours plus ou moins un élève, plus de tirage au sort, on lui posera telles questions qu’on voudra. Il est évident que c’est prendre le contre-pied de ce qu’on devrait faire.
Quel est le motif qui fait tirer les questions au sort ? c’est pour qu’il ne dépende pas des examinateurs d’embarrasser un élève. Eh bien, l’examen oral est celui pour lequel on devrait donner plus de garantie à l’élève parce qu’il faut répondre sur-le-champ, tandis que pour l’examen par écrit il peut méditer sa réponse avant de la faire. Je ne présenterai pas d’amendement, mais le système me paraît inadmissible ; je voterai contre.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Je tâcherai de prouver que le système proposé est conforme à la justice et à ce qui se passe dans tous les examens de cette espèce.
Pour l’examen écrit, les questions sont tirées au sort ; mais pour l’examen oral, c’est la discussion qui les fait naître. Aux premiers mots, vous voyez quinze, trente questions se succéder. J’adresse une question à l’élève : dès que je vois qu’il sait, je n’insiste pas, je saute à une autre que sa réponse fait naître pour m’assurer qu’il ne sait pas superficiellement, pour lui faire donner les motifs de ses réponses. Voilà comment se fait et doit se faire un examen oral.
D’un autre coté, de quelque manière qu’on compose le jury, je déclare que j’y ai la plus grande confiance et je suis persuadé qu’il cherchera à s’assurer si l’élève a les connaissances requises pour obtenir le grade qu’il postule. Le public est là, c’est une garantie de la justice et de l’impartialité du jury.
Chose étonnante, ce sont ceux qui attachent la plus grande importance au jury qui a chaque instant montrent de la défiance.
Il cherchera à embarrasser les élèves ! Non, il ne fera pas cela. Il se bornera à s’assurer si l’élève est instruit. On a établi l’examen oral et l’examen par écrit, parce qu’il est tel homme qu’un examen oral embarrasse et qui ne peut résoudre une question que s’il est seul livré à ses réflexions, et on l’a soumis ensuite à un examen oral pour voir s’il savait rendre compte de ses connaissances.
Si le jury est composé d’hommes probes, vous n’avez rien à craindre, et s’il est composé de malhonnêtes gens, toutes les précautions du monde n’empêcheront pas les injustices. Si, au contraire, le jury est bien composé, nous aurons toute satisfaction, et j’espère que nous l’aurons.
M. Dubus. - M. le ministre de la justice aurait raison, si un bon élève était certain de satisfaire à toutes les questions qu’on lui posera ; mais comme il est évident pour tout homme de bonne foi que l’examen est tellement étendu que sur mille élèves il n’y en aura pas un seul capable de répondre sur tout le programme, il est certain que le système laisse beaucoup à désirer.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Je conteste ce que vient d’avancer l’honorable préopinant. Je ne dis pas cependant qu’il soit facile ni même qu’il ne soit pas difficile de bien passer un examen. Mais on posera quelques questions de droit commercial à un élève ; cela suffit pour voir s’il en connaît les principes. Il en est de même des autres parties : il ne s’agit pas de faire interpréter toutes les lois par un élève, ce n’est pas là ce qu’on exige, on s’assure s’il sait ce qu’il a été dans l’intention du législateur d’exiger de lui.
Le jury fera la part de ce qu’un jeune homme peut apprendre en trois ans d’études. Il verra s’il connaît les matières principales de l’examen. En cela comme en toute autre chose, on ne sacrifiera jamais l’accessoire au principal. (Aux voix ! aux voix !)
- L’article 53 est mis aux voix et adopté.
La séance est levée à 4 heures et demie.