(Moniteur belge n°228, du 15 août 1835)
(Présidence de M. Raikem.)
La séance est ouverte à une heure.
M. Verdussen fait l’appel nominal.
M. Schaetzen lit le procès-verbal ; la rédaction en est adoptée.
M. Dumortier. - Je désire que le procès-verbal contienne à l’avenir l’énoncé des propositions présentées à la chambre.
M. le président. - Il sera fait droit à la proposition de M. Dumortier.
M. Manilius demande un congé.
- Accordé.
Le bureau a nommé membre de la commission chargée de l’examen du projet de loi relatif à la pêche du hareng et du cabillaud MM. Hye-Hoys, Desmanet, de Vries, Donny, David, Legrelle, Vanderbelen.
M. Bosquet, autorisé par les sections à donner lecture de la proposition qu’il a déposée sur le bureau dans la séance d’hier, monte à la tribune et s’exprime en ces termes :
« Projet de loi.
« Léopold, etc.
« Revu l’article 4 de la loi du 17 août 1834, qui augmente le personnel du tribunal de première instance de l’arrondissement de Bruxelles, de trois juges, de deux suppléants et d’un substitut du procureur du Roi, et qui crée à ce tribunal une troisième chambre ;
« Considérant qu’il convient et qu’il est même requis que chaque chambre soit présidée par le président ou par un vice-président ;
« Nous avons, de commun accord avec les chambres, décrété et nous ordonnons ce qui suit :
« Art. 1er. Il y aura au tribunal de première instance de l’arrondissement de Bruxelles un deuxième vice-président, sans augmentation du personnel actuel.
« Art. 2. La première nomination sera faite directement par le Roi. »
- La prise en considération de la proposition de M. Bosquet est mise aux voix et adoptée.
M. Dubus. - Je propose de renvoyer cette proposition à la commission qui a été chargée par la chambre de l’examen de 4 ou 5 projets de cette nature.
M. de Brouckere. - Je ne m’opposerai pas à la proposition de M. Dubus. Je désirerais que la commission fût priée de faire un rapport spécial sur le projet présenté par l’honorable M. Bosquet. Il y a urgence de s’en occuper ; car M. Bosquet ne demande que la réparation d’un oubli commis par la législature qui, en créant une chambre de plus au tribunal de Bruxelles, a omis de statuer qu’il y aurait un vice-président parmi les nouveaux conseillers. Il est nécessaire que cette omission soit réparée avant le commencement de l’année judiciaire l835-1856. D’ailleurs la chose est si simple, si juste, que je pense qu’il n’y aura pas la moindre discussion à cet égard.
M. Pirmez. - Il serait également à désirer que la commission s’occupât également de faire son rapport sur les autres projets.
M. Gendebien. - J’ai demandé la parole pour proposer à la commission de faire son rapport le plus tôt possible sur les projets dont elle est saisie. Il y a la plus grande urgence de compléter le tribunal de Charleroy. L’on peut dire qu’il n’y a pas de justice dans l’arrondissement de Charleroy. Le tribunal a à peine une chambre constituée, et deux cependant ne suffiraient pas. On a laissé ce tribunal sur le même pied qu’il y a 40 ans, tandis que depuis cette époque le nombre des procès a presque triplé. C’est peut-être le tribunal de la Belgique où il y a le plus d’affaires, où tous les procès sont ruineux dans leurs résultats s’ils sont mal jugés ou s’ils sont jugés trop tard. Toutes les affaires des mines doivent être jugées immédiatement. Il est donc urgent de compléter le tribunal de Charleroy. Il est impossible d’y rendre en ce moment la justice. Car je suis d’avis que la justice tardive ressemble fort à une injustice.
M. Lebeau. - Je ne puis qu'appuyer les observations du préopinant sur le tribunal de Charleroy. La légitimité des réclamations de ce tribunal a été reconnue par tout le monde et par l’administration elle-même sous le ministère dont j’ai fait partie. Si un projet de loi n’a pas été présenté, c’est que l’on instruisait alors quelques demandes faites par des tribunaux, qui prétendaient à une augmentation de personnel, et dont les droits paraissaient moins évidents que ceux du tribunal de Charleroy.
M. Dumortier. - Je demande la parole.
M. Lebeau. - A l’égard de ce dernier tribunal, l’instruction était complète, l’instruction pour les autres n’était pas achevée. Aussi je n’entends préjuger en riens les droits qu’ils pouvaient avoir à une augmentation.
En ce qui concerne la proposition de M. Bosquet, il y a un motif tout particulier pour l’adopter. Il s’agit de compléter la volonté de la législature et du gouvernement. Ce n’est que par oubli que l’on n’a pas, tout en constituant une chambre nouvelle, déclaré qu’une place de vice-président devait être créée en même temps, pour régulariser le service que cette nouvelle chambre était appelée à faire. Je pense que cette proposition ne peut rencontrer d’objections. Je voterai donc pour un rapport spécial sur la proposition de M. Bosquet et la proposition relative au tribunal de Charleroy.
M. Dumortier. - Je ne peux pas laisser passer sous silence les paroles du préopinant qui tendent à démontrer à l’assemblée que le tribunal de Charleroy est, de tous ceux qui ont adressé une demande d’augmentation de personnel, le seul dont les droits soient évidents.
- Plusieurs voix. - Il n’a pas dit cela.
M. Dumortier. - M. Lebeau l’a dit. J’en appelle au souvenir de la chambre. Il a commencé par dire que les droits des autres tribunaux n’étaient pas évidents.
- Plusieurs voix. - Que l’instruction n’était pas achevée.
M. Dumortier. - C’est ce qu’il a ajouté ensuite. Je ne puis pas laisser passer ces paroles sous silence. Mon intention n’était pas de contester les droits du tribunal de Charleroy. Mais puisque l’on conteste ceux des autres tribunaux… (Non ! non !) Laissez-moi parler, messieurs ; parmi les tribunaux qui siègent en Belgique, il n’y en a pas dont les droits à une augmentation de personnel soient plus incontestables que ceux du tribunal de Tournay. (Réclamations.)
Je ne crains pas de l’avancer. Puisque chacun prêche pour son clocher, je ne vois pas pourquoi je ne prêcherais pas pour le mien. Le tribunal de Tournay siège tous les jours, tandis que le tribunal de Charleroy ne donne que deux audiences civiles par semaine. (Bruit.) C’est l’auteur même de la proposition qui a fait connaître ce fait.
- Plusieurs voix. - L’ordre du jour !
M. Dumortier. - Vous ne pouvez demander l’ordre du jour. J’ai une proposition à faire.
M. le président. - Il s’agit dans ce moment de statuer sur le renvoi de la proposition de M. Bosquet.
M. Dumortier. - Je tiens à continuer. Nous sommes tous d’accord sur le renvoi. Mais j’ai une proposition à faire sur ce point. Puisque les préopinants ont parlé sans être interrompus, je réclame la parole comme eux sans interruption.
Les droits des autres tribunaux ne sont pas plus incontestables que ceux d’autres tribunaux. La question que présente la demande de ce tribunal en soulève une plus importante. Si le personnel est incomplet et reste tel, c’est que nous sommes privés d’une loi provinciale, c’est le refus fait par l’autre chambre de discuter cette loi qui laisse les tribunaux dégarnis comme ils le sont. Nous, messieurs, nous avons fait notre devoir. Nous avons envoyé au sénat la loi provinciale que la constitution déclare urgente, et depuis cet envoi le sénat ne s’en est pas occupé. L’on se rappellera que lorsque le gouvernement présenta un projet de loi pour la formation des budgets de l’exercice 1834 par les députations des états, je déposai un amendement afin que ces budgets fussent réglés pour le terme de six mois.
L’on me répondit que le sénat voterait la loi provinciale dans l’intervalle. Nous voici arrivés au mois d’août et le sénat ne s’est pas encore occupé de la loi provinciale. Que l’autre chambre adopte ou rejette la loi, c’est son affaire ; mais le gouvernement devrait bien faire en sorte qu’une loi reconnue de la dernière urgence fût donnée au pays.
- Plusieurs voix. - L’ordre du jour !
M. Dumortier. - Je fais la proposition formelle que le gouvernement soit invité à demander au sénat la discussion de la loi provinciale. (Bruit.) Je fais cette motion de la manière la plus formelle.
M. Frison se lève pour parler.
- Plusieurs voix. - L’ordre du jour !
- L’honorable membre se rassied.
La proposition de M. Bosquet est renvoyée à la commission chargée d’examiner plusieurs projets de loi sur les tribunaux.
M. F. de Mérode, autorisé par les sections à donner lecture de la proposition qu’il a déposée sur le bureau dans la séance d’hier, monte à la tribune et s’exprime en ces termes :
« Projet de loi.
« Léopold, Roi des Belges,
« A tous présents et à venir, salut.
« Nous avons, etc.
« L’article 21 du code civil ne sera pas appliqué aux Belges de naissance qui, ayant été au service militaire de puissances étrangères, sont rentrés en Belgique avant la publication de la présente loi.
« Art. 2. Sont exceptés de la disposition qui précède les Belges restés, après le 1er août 1831, au service d’une puissance en guerre avec la Belgique.
« Art. 3. La présente loi sera exécutoire le lendemain de sa publication. »
- La prise en considération de la proposition de M. de Mérode est mise aux voix et adoptée.
Le renvoi de cette proposition à une commission nommée par le bureau est mis aux voix et adopté.
M. le président. - Les dispositions en discussion sont :
- L’article 21 ainsi conçu :
« Chaque professeur a un droit exclusif à la somme provenant des inscriptions à ses cours, après déduction de ce qui est alloué au receveur par le conseil académique. »
- La deuxième disposition de l’article 9 :
« Le suppléant jouira des rétributions payées par les élèves, proportionnellement au temps pendant lequel il aura enseigné»
- Les trois derniers paragraphes de l’article 9 :
« Les professeurs ordinaires jouissent d’un traitement fixe de 6,000 fr, et les professeurs extraordinaires d’un traitement de 4,000 fr. »
« Le gouvernement pourra augmenter le traitement des professeurs ordinaires de 1,000 à 3,000 francs, lorsque la nécessité en sera reconnue.
« L’arrêté royal qui contiendra cette disposition en donnera les motifs précis. »
- Enfin l’amendement de M. Dumortier à l’article 21 :
« Chaque professeur aura un droit exclusif à la somme provenant des inscriptions à ces cours, après déduction d’une part de ce qui sera allouée au receveur par le conseil académique, d’autre part d’un quart de cette somme qui sera affecté à indemniser les professeurs dont les cours seraient moins fréquentés.
M. Dumortier. - J’ai déjà exposé sommairement les motifs de mon amendement. Il me semble que l’équité exige que tous les professeurs soient tous traités à peu près sur le même pied. C’est ce qui n’arriverait pas si vous adoptiez la proposition faite par le gouvernement. En effet, il résulte des documents fournis à la section centrale que deux de mes honorables collègues ont bien voulu me communiquer, il résulte qu’il y aurait une inégalité réellement choquante dans la répartition des inscriptions payées par les élèves. En prenant la moyenne des élèves qui ont fréquenté les universités dans ces dernières années et, en appliquant à ce calcul le prix des cours tel qu’il est fixé par la présente loi, l’on trouve que pour devenir docteur :
- dans la faculté des lettres, il faudra dépenser 650 fr. ;
- dans celle des sciences, 690 fr. ;
- dans celle de médecine, 1,590 fr. ;
- dans celle de droit, 1,050 fr.
Ces chiffres sont exacts, messieurs ; car ils ont été fournis à la section centrale par l’administration de l’instruction publique. Dès lors vous devez reconnaître qu’il y a une différence immense entre les dépenses occasionnées par les diverses facultés. Si vous appliquez ces mêmes calculs aux émoluments des professeurs, vous aurez un résultat plus choquant encore.
Ainsi un professeur de la faculté des sciences recevra en inscriptions 19,745 francs.
Un professeur de celle des lettres, 2,745 fr.
Un professeur de celle de médecine, 6,375 fr.
Un professeur de celle de droit, 8,268 fr.
Ici il ne s’agit que des émoluments. Ajoutez-y les traitements fixes de 6,000 francs pour les professeurs ordinaires et de 4,000 francs pour les professeurs extraordinaires, vous trouverez qu’un professeur ordinaire de la faculté des sciences recevra, terme moyen, 7,900 francs, tandis qu’un professeur ordinaire de la faculté de droit recevra, terme moyen, 14,200.
Messieurs, cette différence est réellement choquante ; comme l’a dit M. Devaux dans la séance précédente, les dépenses exigées pour se tenir au courant des progrès des sciences, surtout des sciences naturelles, sont bien plus considérables que celles qu’exige la science du droit, essentiellement stationnaire, tandis que les sciences naturelles marchent toujours.
Et cependant le professeur en droit recevrait le double du traitement de son collègue en sciences qui a plus de dépenses à faire que lui. Cette disparate m’a toujours choqué. Je ferai d’ailleurs remarquer que dans la loi actuelle, l’on pas a augmenté les émoluments des professeurs des facultés de médecine, des sciences et des belles-lettres, tandis que ceux des professeurs de droit ont éprouvé une augmentation ; l’on a donné pour motif que l’on ne voulait pas favoriser la nuée d’avocats qui sortent tous les ans des universités.
Cependant il ne faut pas que ce soient les professeurs qui en profitent. Un demi-cours qui coûtait autrefois 15 florins, se trouve porte à 50 francs, c’est-à-dire augmenté de près des deux tiers. Un cours entier de droit qui était de 60 fr. coûtera 80 fr., augmentation de 20 fr. Si la cause de cette augmentation est le désir de rendre l’étude du droit moins accessible, ce n’est pas une raison pour rétribuer outre mesure les professeurs ; mais l’augmentation devrait favoriser ceux qui sont aujourd’hui les moins rétribués.
Je pense donc qu’il est juste d’admettre la proposition que j’ai eu l’honneur de déposer sur le bureau. Dans mon système, tous les professeurs auraient droit aux trois quarts des émoluments. Ainsi, messieurs, la position des professeurs de la faculté de droit reste la même. Le motif d’émulation qui leur a fait accorder un traitement subsiste, puisqu’ils recevront ce qu’ils recevaient par le passé. Seulement le quart d’augmentation dans le produit des inscriptions sera réparti entre les professeurs de l’université qui auront le moins d’élèves. Remarquez, messieurs, que le professeur des langues orientales aura tout au plus 7 à 8 élèves. Celui d’anatomie comparée n’en aura guère plus. Le fonds commun dont je propose la création suppléera à l’insuffisance de leur traitement.
Mon amendement a l’avantage de faire disparaître la faculté que demande le gouvernement d’augmenter le traitement fixe des professeurs. Cette augmentation facultative est inouïe. Toute loi qui stipule un traitement impose une obligation au gouvernement au-delà ni en deçà de laquelle il ne peut aller. Une pareille disposition serait sans exemple. Dans la loi d’organisation judiciaire, dans la loi communale, dans la loi provinciale, dans toutes les lois ou un traitement est fixé, il n’est pas permis au gouvernement d’augmenter ni de diminuer le traitement des membres de l’ordre judiciaire, ni des administrations communales ou provinciales. Les traitements sont toujours fixés d’une manière invariable. Il faut qu’il en soit de même dans la loi d’instruction publique.
Je terminerai en faisant observer que j’ai omis à dessein le mot de faculté dans mon amendement, parce que je veux que la répartition du quart des émoluments soit faite entre tous les professeurs de l’université et non au profit de ceux de la faculté de droit, dont on a augmenté le prix des inscriptions des deux tiers, comme je l’ai démontré.
M. de Brouckere. - Si je ne me trompe, la discussion en ce moment doit porter sur les 3 derniers paragraphes de l’article 9 combinés avec l’article 21. Ces deux articles réunis ainsi statuent sur ce qui est relatif aux appointements des professeurs.
Je commence par déclarer que je voterai pour l’amendement de M. Dumortier. Je pense comme lui qu’il faut autant que possible que les appointements des divers professeurs ne diffèrent pas entre eux d’une manière choquante. Si vous n’établissez pas un équilibre, certains professeurs seront découragés par la comparaison de leurs appointements avec ceux de leurs collègues.
J’ai d’autres réflexions à présenter sur les deux articles en discussion.
L’on a dit et répété plusieurs fois qu’il fallait que les professeurs des universités fussent bien payés, que c’était le seul moyen de s’en procurer qui fussent à la hauteur de leurs fonctions. Mais il faut cependant que l’on se renferme dans de justes proportions. Il ne faut pas que les appointements des professeurs soient tellement élevés qu’ils paraissent aux yeux de tous exorbitants, comparés à ceux des autres fonctionnaires.
Calculons avant de voter quels seront les appointements de la seule faculté de droit d’après le projet du gouvernement
Il y aura dans cette faculté 13 cours ; j’admets que le gouvernement se rangeant à l’opinion de M. Ernst n’établisse que deux cours annuels. Ce sera le minimum.
Il y aura donc deux cours annuels à 80 fr. et onze cours semestriels à 50 fr. ; cela fait que les études en droit d’un élève coûteront en trois années, 710 fr. non compris les 15 fr. d’inscription, etc., etc.
Je vois que dans la faculté de droit de l’université de Liège il y a eu, l’année dernière, 150 élèves, à 710 fr. chacun, cela fait un total de 106,500 fr.
Il faut diviser cette somme en trois parties ; chacune sera de 35,500 fr.
Il y aura sept professeurs ; chacun aura donc 5,071 fr. Et voilà la part moyenne qui revient à un professeur en droit dans les sommes perçues sur les élèves.
Ajoutez à ces 5,071 fr. les 6,000 demandés par le gouvernement pour appointements fixes, cela fait 11,071 fr.
Si le gouvernement, selon la faculté qu’on veut lui donner, augmente encore de 3,000 fr. les traitements fixes, voilà les appointements fixes portés à 14,071.
Rappelez-vous maintenant quels sont les appointements touchés par un premier président de la cour d’appel, de la cour des comptes, de la haute cour militaire. Aucun ne s’élève à plus de 9,000 fr. ; de sorte qu’un professeur en droit aura 5,000 fr. de plus qu’un des premiers magistrats du royaume. Il aura des appointements plus forts que le premier président de la cour suprême, de la cour de cassation, lequel ne reçoit que 14,000 fr.
Le professeur aura aussi 6,000 fr. de plus que l’administrateur de l’instruction publique, qui est son chef.
Pour vous engager à adopter le projet du gouvernement, on vous a dit que les professeurs avaient eu jusqu’ici certains émoluments qu’ils ne toucheront plus ; que les élèves ne leur paieront plus certaines sommes pour les examens. Mais il ne faut pas perdre de vue que le nombre des universités étant réduit de trois à deux, il y a probabilité que le nombre des élèves dans chacune augmentera dans un rapport inverse. De sorte que, si le nombre des élèves restait le même qu’il a été, il y aurait encore à ajouter 2,555 fr. aux émoluments des professeurs, puisqu’une université serait détruite et que ses dépouilles seraient partagées entre les deux autres. Ainsi, les sommes reçues par un professeur pourraient s’élever annuellement à plus de seize mille francs.
Vous conviendrez que c’est là un chiffre exorbitant. Il ne peut entrer dans l’idée du législateur, quelque généreux qu’il veuille être, de porter les appointements des professeurs à un pareil taux.
Je m’opposerai à ce qu’on laisse dans la loi l’article qui donne au gouvernement la faculté d’augmenter les traitements des professeurs de 3,000 francs.
J’appuie l’amendement de M. Dumortier tendant à mettre plus d’égalité entre les traitements des professeurs.
Quant aux appointements fixes, la chambre verra s’il faut les porter à 6,000 fr. ou à 5,000 fr.
A Gand, les professeurs reçoivent maintenant 2,400 florins ; à Liége et à Louvain, ils reçoivent 2,200 florins. Le projet de loi augmente donc les traitements fixes de 1,500 fr. pour l’université de Liége. Vous voyez où conduit le projet du gouvernement. Je m’oppose à de semblables résultats.
M. Pollénus. - Des opinions émises par MM. Dumortier et de Brouckere, il suit qu’il serait désirable que les traitements de tous les professeurs d’une même université fussent égaux ; je partage cet avis ; mais pour atteindre ce but, il y a un autre moyen que celui de rendre mobiles les appointements.
Il faut sans doute placer les professeurs dans la position la plus convenable ; et sous ce rapport, si l’on pense que les traitements donnés par le gouvernement sont insuffisants, je voudrais qu’on les augmentât. Je ne saurais adopter le principe de l’article 21. Chaque professeur, y dit-on, a un droit exclusif sur les sommes provenant des inscriptions. Voici pourquoi j’éprouve de la répugnance à admettre ce principe.
Ce que l’élève donne au professeur ne peut tendre qu’à diminuer l’estime que le premier doit porter au second : les services que l’élève paiera d’une manière si directe paraissent être un obstacle à toute reconnaissance. Si je suis bien informé, le système des appointements fixes est adopté en France, et il y produit de bons effets.
On a fait valoir en faveur du système de la mobilité des traitements l’intérêt que le professeur prendra à avoir le plus grand nombre d’élèves ; mais cette considération pourrait avoir un effet diamétralement opposé à l’intérêt de l’élève, à l’intérêt du pays qui est de former des hommes instruits. Le professeur doit avoir une action disciplinaire sur les élèves ; s’il est intéressé à en avoir un grand nombre, signalera-t-il les écarts de ceux qui encourront des peines disciplinaires ? Je suis sûr que ses rapports seront infidèles, ou qu’il ne fera pas usage de ses pouvoirs pour infliger des peines à des élèves qui contreviendront à l’ordre.
Je regarde le partage des minervales comme la source des plus fâcheux résultats ; elles seront pour les professeurs ce qu’étaient les épices pour les juges. On a bien fait de supprimer les unes ; il faut écarter les autres.
Si l’on a des motifs pour augmenter les traitements des professeurs, l’un des paragraphes des articles en discussion en donne le moyen au gouvernement.
Je voterai donc contre les dispositions de l’article 21, parce que je les considère comme peu en harmonie avec la dignité du professorat.
M. Devaux. - Est-ce seulement l’amendement de M. Dumortier qui est en discussion ?
M. Fallon, vice-président, occupe le fauteuil. - On a mis, dit-il, en discussion les derniers paragraphes de l’article 9 qu’on avait ajournés, l’article 15 ajourné également, et l’article 21.
M. Devaux. - Je vous avoue que je suis extrêmement étonné de voir que du côté de la chambre où l’on ne cesse de montrer hautement les intentions les plus bienveillantes envers l’instruction publique, on exprime des craintes que les professeurs ne soient trop payés. J’ai peine à comprimer la manifestation des sentiments qu’un pareil langage m’inspire...
M. de Brouckere. - Ne comprimez pas vos sentiments ! Dites ! dites !
M. Devaux. - Je regrette de n’avoir pas saisi tous les chiffres sur lesquels on s’est appuyé ; toutefois il est facile de démontrer que les calculs sont erronés, que le traitement des professeurs en droit ne sera pas de 16,000 fr.
Quel a été le nombre des élèves pendant les années les plus prospères ? En droit, c’est la faculté la plus suivie, il a été de 500.
Certainement les universités libres en enlèveront quelques-uns. La faculté de pouvoir étudier chez soi en enlèvera encore.
L’autorisation d’étudier à l’étranger en enlèvera probablement un grand nombre, surtout pour la médecine. Plusieurs jeunes gens iront étudier l’art de guérir en France, en Allemagne. Il faut admettre que 200 élèves au moins suivront les universités libres, étudieront solitairement ou à l’étranger ; il en restera donc 300 pour les deux universités de Gand et de Liége, ou 150 pour chacune.
On suppose que les 150 élèves suivront les treize cours de la faculté : il n’en sera pas ainsi ; ils ne suivront que quelques cours.
On cite un ou deux professeurs qui obtiendront de forts émoluments ; mais ils formeront exception, et il ne faut pas regarder aux exceptions pour établir une règle générale.
La moyenne des minervales ne s’élèvera pas à 5,000 fr. Eh bien, est-ce trop ? Serait-ce donc un si grand malheur qu’un professeur fût payé à raison de 11,000 fr. ?
Mais l’administrateur de l’instruction publique, chef des professeurs, n’a que 8,000 fr. ! Eh bien, messieurs, il faut un autre mérite pour être professeur que pour être chef de l’instruction publique ! Quelle tête un peu saine peut comparer un professeur à un administrateur ?
On s'écrie encore : Le premier magistrat du royaume, le président de la cour de cassation n’a que 14,000 fr. ! Eh bien, les professeurs n’auront pas plus de 14,000 fr. Ils seront payés comme les avocats-généraux à la cour de cassation ; or, croyez-vous qu’un Cuvier, qu’un de Savigny, qu’un Humbolt ne puisse pas être payé autant qu’un avocat-général à la cour de cassation ? Portez vos regards sur une entreprise commerciale, financière ; que donne-t-on à ceux qui les dirigent, aux chefs de ces administrations qui pullulent ? On leur donne dix ou douze mille francs et encore une part dans les dividendes.
Que donne-t-on aux professeurs ? On leur donne 6,000 fr. et un partage dans les minervales ; mais considérez donc que la chaire du professeur est le bâton de maréchal du savant, que sa carrière se borne là.
Dans les universités il y aura une foule de professeurs qui n’auront pas 8,000 francs. Autrefois, dit-on, ils ne recevaient que 5,000 francs ; soit ; mais autrefois il y avait défense de faire ses études chez soi, défense d’aller étudier à l’étranger.
Les rétributions pour examens rentrent dans les caisses de l’Etat maintenant, et ne sont plus laissées aux professeurs. Si vous voulez avoir des hommes de mérite dans vos universités, il faut laisser au gouvernement une certaine latitude ; c’est pourquoi je tiens à ce que le gouvernement puisse augmenter les appointements de 1 à 3 mille francs.
J’appuie bien l’argument de M. Dumortier ; cependant il se trouvera des circonstances où des sacrifices seront nécessaires pour avoir un professeur d’un mérite supérieur. Si vous ne lui offrez que les mêmes avantages qu’il peut se procurer là où il est, il ne se déplacera pas.
Quel est l’avocat d’un peu de mérite qui ne gagne pas 20,000 fr. ? Quel est le médecin qui ne gagne pas 12,000 à 15,000 fr. ? Cet avocat, ce médecin, ne sont pas capables cependant d’être professeurs. Quel est l’industriel qui ne gagne pas 15,000 fr. ? Si vous ne voulez que des médiocrités, il s’en trouvera partout pour 5.000 fr. ; cette somme sera suffisante. Vous voulez l’égalité par le retranchement de la minervale ; allez plus loin, retranchez le traitement lui-même, et vous aurez l’égalité absolue, l’égalité du néant.
Voyez ce qui s’est passé à Bruxelles pour y établir une académie de musique : on voulait un homme capable pour diriger le conservatoire de musique ; eh bien, pour l’obtenir, il a fallu que la liste civile créât un maître de chapelle afin de donner des appointements suffisants au directeur du conservatoire.
Supposez un savant, supposez un homme qui se livre à des recherches scientifiques ; ne lui faut-il pas de forts émoluments pour subvenir aux frais de ses investigations, de ses expériences ? Envoyez un médecin de Bruxelles à l’université de Liége, il perdra sa clientèle, et il lui faudra un dédommagement pour le déterminer à abandonner le lieu où il est.
Nous avons déjà vu dans ce pays des professeurs auxquels on a fait des offres supérieures pour aller dans d’autres pays. En France les ressources des savants sont considérables. Tous les professeurs distingués sont membres du conseil de l’instruction publique ; ils sont membres de l’académie, quelquefois conseillers d’Etat, et tout cela procure des appointements. Il y a encore en France des bibliothèques, des archives, des collections scientifiques à conserver, et ces emplois dans les goûts des savants.
Ici toutes ces ressources manquent : quand un savant veut publier un ouvrage, il faut qu’il en paie l’impression ; et le plus souvent il perd ses frais ; ou bien, il faut que le gouvernement vienne à son secours. La haute science n’est pas populaire.
La question des universités est tout entière dans leur personnel. Ayez une ou deux universités, qu’elles soient à Liége ou à Gand, dès que le personnel sera bon, les études seront bonnes ; si le personnel est mauvais, les études seront mauvaises ; ou si elles sont bonnes, ce sera par suite d’un mouvement spontané de la nation, et non par suite de l’action des universités. Il faut que le gouvernement ait le moyen de faire de bons choix, et ce n’est pas lui laisser un moyen trop puissant que de l’autoriser à faire une augmentation de 3,000 fr. Quand il aura fait emploi de deux ou trois suppléments, il viendra les justifier devant la chambre.
M. de Brouckere. - Je n’imiterai pas le ton d’amertume affecté par l’honorable préopinant…
M. Devaux. - Il n’était pas affecté ! il était très sincère !
M. de Brouckere. - Je n’imiterai pas le ton d’amertume affecté par le préopinant, parce que les arguments ne gagnent rien à être présentés d’une telle manière. Au reste, moi, je n’ai rien à comprimer, parce que je n’éprouve aucun sentiment que je ne puisse avouer devant toute la chambre et devant chacun de ses membres en particulier. Je répondrai donc froidement, tranquillement, aux arguments présentés d’une façon si véhémente par l’orateur.
L’honorable M. Devaux a commencé par témoigner son regret de ce qu’il n’était pas présent à la séance lorsque j’ai présenté mes calculs ; puis il a entrepris leur réfutation. Ce qu’il a dit prouve en effet qu’il n’était pas présent. Qu’a-t-il dit pour démontrer que j’avais mal calculé ? S’en tenant à la faculté de droit, il a supposé qu’il y avait 500 élèves qui se livreront à l’étude du droit, et il a réduit ce nombre à 300 pour les deux universités, c’est-à-dire à 150 pour chacune : eh bien j’ai pris aussi ce chiffre de 150 élèves pour chaque université. Où donc est l’erreur ?
L’honorable membre a fait observer qu’il n’y avait pas obligation pour les élèves de suivre tous les cours ; j’admets que quelques-uns ne suivront pas les treize cours, qu’ils n’en suivront que onze ou douze. Cependant il est probable que quant on fait des études, ou veut qu’elles soient complètes. Si M. Devaux avait à surveiller l’éducation d’un jeune homme à l’université, je crois qu’il lui conseillerait de suivre tous les cours.
Tous mes calculs sont parfaitement justes, et je défie M. Devaux, tout bon calculateur qu’il soit, d’y rien changer ; et il en résulte que les traitements des professeurs seront de 11,071 fr.
Il en résulte encore qu’en ajoutant les 3,000 fr. dont il est question, vous portez les appointements à 14,000 fr, Je trouve ce taux trop élevé, et si l’honorable M. Devaux veut en tirer la conséquence que je ne suis pas ami des lumières, je devrais le prendre en patience, mais je ne crains pas que cette opinion soit partagée par beaucoup de membres de cette assemblée. Je persiste à dire que les professeurs doivent être bien payés ; mais quelqu’un s’est-il plaint qu’ils ne le fussent pas assez ? jamais. Aussi, quelques efforts que fasse l’honorable M. Devaux, je m’opposerai de tout mon pouvoir à ce que la chambre adopte le paragraphe 3.
Quand même, ajoute l’honorable M. Devaux, les professeurs auraient 14,000 fr., où serait le grand malheur ? Ce n’est point l’habitude de parler ainsi quand il s’agit de rétribuer les fonctionnaires. C’est ordinairement de la partie opposée à celle où je siège que partent les reproches sur ce sujet.
Mais dit-on, voyez les administrations financières qui se forment, voyez toutes ces sociétés ; quels appointements y trouve-t-on ? 12 ou 13,000 francs.
D’abord, libre aux sociétés particulières de donner ce qu’elles veulent ; peu m’importe, pourvu que je ne sois pas forcé de le payer. Ensuite, je dirai que les appointements de 15,000 francs ne se donnent qu’aux chefs de ces banques, tandis qu’ici on parle d’en donner, non seulement aux chefs de l’université, mais encore à 12 ou 15 autres personnes.
L’honorable M. Devaux s’est écrié qu’il fallait savoir beaucoup plus de chose pour être professeur que pour être administrateur de l’instruction publique ; je n’avais pas besoin de son assertion pour convenir de ce fait, mais je dirai qu’il n’y a qu’un administrateur de l’instruction publique.
Je prétends que l’autorisation dont il est question serait une autorisation exorbitante, mais je prétends aussi que la chambre ferait bien d’adopter la proposition de l’honorable M. Dumortier qui mettrait une espèce de niveau dans les appointements des professeurs.
M. Jullien. - Il ne faut pas être étonné si la décision que vous avez prise sur l’article premier réagit naturellement sur les articles en discussion. Dans mon opinion il ne fallait en Belgique qu’une seule université riche, forte, puissante et capable de résister aux coups qu’on veut lui porter. J’aurais dit avec l’honorable M. Devaux qu’il fallait appeler toutes les capacités, de quelque pays qu’elles vinssent. Traitez-les d’une manière digne : avec un pareil système je n’aurais pas marchandé. Mais quand il s’agit de jeter l’argent du pays à deux universités dont l’existence me paraît fort équivoque, je ne suis plus du même avis. Je ne veux pas plus que l’honorable M. Devaux lésiner, mais je me prononce aussi comme mon honorable ami M. de Brouckere, contre toute prodigalité.
D’après des calculs que je n’ai pu vérifier, on prétend que le traitement pourrait s’élever de 10 à 15 mille francs ; cela me paraît excessif, et ce traitement limité à 10 mille fr. me paraît fort raisonnable et tout à fait suffisant. Dans les grandes villes, a ajouté l’honorable M. Devaux, est-il un industriel, un avocat, qui ne gagne pas davantage ? Je ne sais ce que gagnent d’autres avocats ou les industriels, mais l’honorable membre n’ignore pas qu’il y a pour ceux-ci un revers de médaille qui n’existe pas pour les professeurs. Je veux parler des banqueroutes, etc.
Je crois qu’il faut rester dans les termes les plus raisonnables : si les universités ont vie, qu’on leur donne un traitement suffisant ; si on ne veut pas décider que l’autorisation demandée par le gouvernement doive être accordée, qu’on veuille bien décider, d’après la proposition de l’honorable M. Dumortier, à quel taux doivent s’élever les appointements des professeurs.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Je commence par déclarer que je ne forme aucune opposition à l’amendement de l’honorable M. Dumortier, parce qu’il laisse encore une carrière suffisante à l’émulation, en laissant à chaque professeur les 3/4 des rétributions payées à son cours, et qu’en outre il fournit un moyen facile de parer au désavantage du petit nombre d’élèves qui fréquentent certains cours.
Pour écarter la faculté de majorer certains traitements en cas de nécessité, l’on a dit que les professeurs en droit auront 4,000 francs avec les minervalia.
Si, pour être admis aux grades de candidat et de docteur, il fallait avoir fait toutes ses études en Belgique, cela pourrait se prévoir. Mais aujourd’hui qu’on peut faire des études à l’étranger, qu’on peut les faire dans les universités libres, il est impossible d’avoir un jugement fixe.
Si les professeurs recevaient un traitement de 11 mille francs, il serait suffisant et il n’y aurait d’exception que lorsqu’on voudrait appeler un savant célèbre en Belgique.
Ce ne pouvait être que dans ce cas que l’on pouvait faire cette exception. L’honorable M. Dumortier a proposé un amendement qui, je pense, sera adopté et qui pare aux inconvénients, que l’on peut redouter.
Un honorable préopinant a pensé que ce qui avait lieu en ce moment était une réaction du vote de la chambre en créant deux universités. Jusqu’à présent je ne m’en étais pas aperçu ; j’ai vu que, de toutes parts, on était disposé à doter les universités et à rétribuer convenablement les professeurs. Il vous a dit qu’il eût voulu une université riche, forte et puissante ; la chambre a fait plus, elle en a crée deux riches, fortes et puissantes.
Mais je regrette de revenir sur cet objet et je soutiens que le vote de la chambre n’entraînera pas un surcroît de dépense. En effet, la première commission, consultée à cet effet, proposait une seule université et en même temps une école polytechnique, et la dépense que cela eût occasionnée n’est pas accrue par la fondation de deux universités où sera donné un enseignement polytechnique, et cela dans les villes où cela est le plus nécessaire, à Liége et a Gand. J’ajouterai encore que les trois universités coûtaient davantage avant la révolution de 1830 que les deux universités ne coûtent aujourd’hui. Cependant avec ces trois universités vous n’aviez pas un enseignement aussi complet qu’aujourd’hui avec deux, et en outre il manquait un enseignement polytechnique.
(Erratum au Moniteur belge n°231 du 18 août 1835 : « Le paragraphe suivant qui commence par ce mots : « Joignez-y les six mille francs de traitement, etc. » appartient à un discours de M. Demonceau dont le commencement n’a pas été reproduit par le sténographe chargé de cette partie.) M. Demonceau. - Joignez-y les six mille francs de traitement fixe et vous aurez un maximum de dix mille francs. Je ne suppose pas qu’on trouve que c’est là un traitement trop élevé. Je serais de l’avis de M. de Brouckere, si je pouvais penser que le gouvernement userait, vis-à-vis d’un seul professeur de la faculté de droit, de la faculté que lui donne le paragraphe dont il s’agit ; car il est certain que le gouvernement pourra trouver dans le pays suffisamment d’hommes capables pour enseigner à la faculté de droit. Or, la disposition dont il s’agit n’est proposée que pour des cas de nécessité ; si le ministre en usait pour des professeurs de la faculté de droit, comme il n’y aurait pas nécessité, il en abuserait ; nous pourrions, la première fois que nous aurions à voter le budget, lui retirer la faculté que nous lui aurions accordée.
Je crois en avoir dit assez pour motiver mon opinion.
M. Devaux. - J’avais cru que 14,000 francs était le chiffre qu’on avait présenté comme étant la moyenne du traitement des professeurs, mais il paraît que ce n’est que 11,000 francs.
M. de Brouckere a reconnu lui-même que tous les élèves ne suivraient pas tous les cours. On en suivra trois, quatre, cinq ou six cours, et pour les autres, les élèves préféreront puiser l’instruction dans les livres. Cela leur coûte moins cher. M. de Brouckere m’a fera l’honneur de penser que si j’avais une instruction à diriger, je conseillerais de suivre les cours. Je ne crois pas que l’instruction puisse coûter trop cher, tandis que parmi ceux qui combattent mon opinion, il peut y en avoir qui le pensent.
Si la somme de 11,000 francs était la moyenne du traitement des professeurs ce serait assez. Mais elle ne s’élèvera pas à ce chiffre, par la raison que tous les élèves n’achèveront pas toujours leurs cours en trois ans et que beaucoup mettront quatre ans pour les faire. Cela réduit beaucoup la moyenne du traitement, car la masse des professeurs n’aura qu’en quatre ans ce que, d’après les calculs de M. de Brouckere, ils devraient avoir en trois ans.
Il ne faut pas perdre de vue qu’il y aura des agrégés qui ne reçoivent aucun traitement, des professeurs extraordinaires qui n’ont pas 6 mille francs de traitement, mais 4 mille ; ensuite qu’il y aura deux cours sur la même matière, quand les cours devront réunir un grand nombre d’élèves, et qu’alors les minervales seront partagées. Cela réduit le chiffre qu’on a posé. Il faut donc descendre beaucoup pour être près de la réalité.
Si, dit-on, les associations particulières rétribuent largement les professeurs, c’est leur affaire. Je répondrai à cela que l’intérêt particulier est avide d’argent, mais il sait qu’un établissement d’enseignement ne prospère qu’à la condition d’avoir des hommes de mérite pour professeurs, et qu’on ne peut avoir des hommes de mérite qu’à prix d’argent. Si vous voulez que vos universités prospèrent, appelez-y des hommes de mérite, excitez l’intérêt particulier, faites des sacrifices.
Une chose qu’on n’a pas remarquée, c’est que la carrière de professeur est une carrière très coûteuse ; elle exige de grandes dépenses ; les professeurs de sciences doivent avoir des collections particulières ; celles de l’université ne suffisent pas ; et les professeurs de toutes les facultés sont obligés d’avoir des bibliothèques et de les tenir au courant de la science ; ils doivent pour cela acheter des livres dans tous les pays. Je connais tel professeur qui dépense deux à trois mille francs par an pour sa bibliothèque, Ce n’est pas tout : pendant les vacances, un professeur doit voyager, visiter tous les foyers de sciences, l’Allemagne, l’Ecosse, la France, pour suivre les progrès de la science. Voila des dépenses qu’il ne faut pas rendre impossibles. Je l’ai déjà dit, je serais satisfait si chaque professeur tirait 11,000 fr. de ses fonctions. Mais, par la raison que j’ai donnée, il n’en est pas ainsi.
Je ferai observer, d’un autre côté, qu’il y a peut-être en Europe vingt ou trente hommes d’un mérite transcendant, qui sont une puissance dans l’enseignement ; eh bien, si l’occasion se présentait d’avoir un de ces hommes renommés qui font la fortune des universités où ils professent, et le succès de l’instruction en stimulant l’émulation des élèves, le gouvernement sera-t-il obligé de s’arrêter devant un sacrifice de deux ou trois mille francs ? Ces hommes-là sont recherchés ; si on veut leur faire une position, il faut pouvoir leur offrir un équivalent.
Je ne veux pas que le gouvernement puisse abuser de cette faculté d’accorder à un professeur un supplément de traitement, mais je ne pense pas qu’il jette des suppléments de traitement à la tête de tous les professeurs. Cependant, pour faire cesser toutes craintes, je consentirai à ce qu’on ajoute à la disposition ces mots : « Sans que toutefois l’augmentation de dépense, résultant de cette faculté, puisse dépasser la somme de huit ou dix mille francs (le chiffre qu’on voudra), par chaque université. »
Je me contente de cette disposition. Le gouvernement fera usage de cette faculté en faveur des professeurs qui font peu d’argent de leur cours ou de ceux qui auraient des sacrifices à faire pour se déplacer. De cette manière, il pourra faire à l’occasion des acquisitions précieuses devant lesquelles il devrait reculer sans la disposition dont je demande l’adoption.
M. Jullien. - Vous vous perdez dans une discussion de chiffres, dont il vous sera de plus en plus difficile de sortir, tandis qu’en adoptant l’amendement de M. Dumortier, on mettrait fin à tous ces calculs différentiels de traitement. L’économie de cet amendement est toute simple. Si vous admettez qu’on fixe le traitement des professeurs et qu’on leur distribue les minervales en proportion du traitement fixe qui leur est alloué, chaque professeur sera certain d’avoir une somme fixe et en même temps de prendre, en proportion de son traitement fixe, une part de la partie des minervales attribuée aux professeurs. De cette manière il est impossible de se tromper.
Mais, dit-on, vous détruisez l’émulation, un professeur ne sera plus intéressé à appeler le plus de monde possible à ses cours. Je trouve, moi, que le contraire aura lieu, car tous les professeurs devant avoir une part égale dans les minervales, seront intéressés à voir leurs cours réunir le plus d’élèves possible, et chercheront à les attirer par leurs études et leurs travaux.
C’est après tout la seule manière de sortir de la répartition de traitement
Quant à la faculté à laisser au gouvernement d’augmenter à sa volonté de 1,000 à 3,000 fr. le traitement de certains professeurs, je ne peux l’admettre, parce que presque toujours ces suppléments de traitement seront donnés à la faveur plutôt qu’au mérite. Je ne veux pas mettre les hommes du gouvernement en position de recevoir le reproche d’avoir versé la faveur ministérielle sur celui-ci plutôt que sur celui-là. Quand il y a des faveurs à accorder, il est de notre nature que chacun s’en croie plus digne que son compétiteur.
Pourquoi placer le ministère dans une position aussi fâcheuse ?
Cependant je ne rejetterai pas la disposition si on adopte le moyen indiqué par M. Devaux pour empêcher qu’on n’en abuse. Je ne voudrais pas mettre le gouvernement dans l’impossibilité de faire l’acquisition d’une capacité spéciale si l’occasion s’en présentait, mais je ne veux pas lui donner les moyens de répandre des faveurs sur ceux qui lui plairaient, à l’exclusion de ceux qui ne lui plairaient pas.
M. A. Rodenbach. - On a déjà discuté longuement sur les minervales. Je crois que de toute cette discussion il est résulté que ce que nous avons de mieux à faire, c’est d’admettre l’amendement de M. Dumortier.
Quant à la faculté que demande le ministre d’augmenter le traitement de certains professeurs de mille à trois mille francs, je ne puis l’accorder. M. Devaux vous a dit qu’on ne pouvait compter en Europe que vingt ou trente hommes d’un mérite extraordinaire. Je demande si c’est avec trois mille francs qu’on pourra attirer est Belgique des hommes de ce mérite.
Il faudrait pour cela laisser au ministre la faculté d’augmenter les traitements de 5 à 6 mille fr., au moins. Il y a un moyen plus simple de remplir le but que se propose M. Devaux. Quand le ministre aura occasion d’attacher à l’une des deux universités un homme d’un mérite extraordinaire, le ministre n’aura qu’à s’adresser aux chambres, qu’à présenter un projet de loi. Nous ne reculerons pas devant les sacrifices qui seront nécessaires pour avoir dans nos universités des grandes capacités d’Ecosse, d’Allemagne ou de France.
Mais en attendant que ces occasions se présentent, nous pouvons nous en tenir aux traitements fixes.
Je voterai dans le sens de l’opinion de M. de Brouckere et de l’amendement de M. Dumortier.
M. Gendebien. - Messieurs, mon intention n’était pas de prendre part à la discussion, parce que je suis persuadé que la loi que vous faites n’aura pas de durée. Comme je n’ai pas l’habitude de m’occuper de non-sens, et que ce qu’on fait en ce moment est tellement hypothétique qu’il approche de la réalité, sous le rapport de la non-existence, je m’étais proposé d’y rester étranger. Si j’entre maintenant dans la discussion, c’est uniquement pour vous faire voir les conséquences de ce que vous avez adopté. Si vous n’aviez admis qu’une seule université, vous pourriez doubler les traitements des professeurs et il n’en coûterait pas un sou de plus à l’Etat.
Je suis du nombre de ceux qui veulent que chacun soit rétribué suivant son mérite, et il en faut pour être professeur.
Je ne ferai aucune comparaison. Mais puisqu’on a parlé d’avocats qui gagnent trente ou quarante mille francs par an, je répondrai quelques mots.
Savez-vous la différence qu’il y a entre un professeur et l’avocat qui gagne 30 ou 40 mille fr. ? Un avocat ne gagne 30 ou 40 mille fr. que pendant huit à dix ans au plus, et il est obligé pour cela de travailler de 15 à 18 heures par jour ; il travaille jour et nuit, il sacrifie son repos, sa santé, sa vie pour sa famille, tandis que le professeur mène une vie égale, douce, toujours certain de toucher son traitement annuel et ses minervales. Le professeur va à l’université trois fois par semaine pendant une heure, l’avocat va tous les jours au palais. On s’est récrié contre les sommes énormes que gagnent les avocats ; il est vrai que certains avocats gagnent la somme dont on a parlé, mais il y en a à peine un sur cent qui arrive là.
Quoi qu’il en soit, je dis qu’un professeur doit être bien payé, et quel que soit le traitement que vous lui accorderez, je dis qu’il ne sera pas bien payé avec deux universités, parce qu’il n’est pas un homme de bon sens qui n’ait la certitude que les deux établissements crouleront, parce qu’ils ne seront pas fréquentés. Il est certain qu’on n’a créé deux universités que parce qu’on n’en veut pas du tout. Après cela, il est inutile de s’occuper des moyens d’attirer des savants de l’étranger, parce qu’il n’est pas de savant assez sot pour abandonner une position et venir en Belgique après la discussion de notre loi.
On s’est beaucoup occupé du sort des professeurs. Si on faisait chose sérieuse, ce que je demanderais d’abord, ce serait un traitement unique. Je voudrais en outre que tous les professeurs eussent au moins huit mille francs. On pourrait en diminuer le nombre en chargeant chaque professeur de faire plusieurs cours. Il y a des matières qui ont une telle analogie entre elles que je ne conçois pas que des personnes différentes soient chargées de les enseigner. Je ne conçois pas, par exemple, qu’on divise le cours des institutes et celui des pandectes ; il y a une telle liaison entre ces deux cours que je ne comprends pas qu’on les divise. Il en est de même pour presque toutes les parties. Diminuez donc le nombre des professeurs, vous pourrez en avoir de plus capables en les rétribuant mieux ; et en somme, il en coûtera moins à l’Etat.
Nous devons nous occuper aussi de la classe un peu plus nombreuse de ceux qui travaillent. Je voudrais qu’on élevât le traitement des professeurs au moins à huit mille francs et qu’on réduisit les minervalia à la moitié.
A la faculté de droit de Bruxelles, le cours complet de 3 ans coûtait 180 fr. Je sais qu’on s’est plaint du trop grand nombre d’avocats. Il y a abus dans toutes les catégories de citoyens, mais il serait à désirer que les hommes qui méritent le titre d’avocat fussent plus nombreux. A-t-on jamais entendu dire que la science ait pu nuire ? Il serait à désirer qu’avant d’entreprendre une industrie, le commerce ou toute autre profession, on commençât par faire des études en droit ; moins de fripons abuseraient de la bonne foi des industriels, on serait moins souvent obligé de recourir aux conseils d’avocats. Vous voyez que j’en parle avec désintéressement. Je ne conçois pas que, dans le siècle où nous sommes, des industriels osent entreprendre des affaires sans avoir fait des études d’avocat, car ils se trouvent à chaque instant en présence de questions de droit.
Je voudrais qu’on encourageât l’étude du droit, qu’on la rendît plus facile, afin de mettre chacun en mesure de connaître ses droits et ses devoirs. Aussi proposerai-je, quand nous nous occuperons sérieusement d’une loi sur l’instruction publique, qu’on dote convenablement les professeurs, de manière à avoir ce qu’il y aurait de mieux dans le pays et à pouvoir en aller chercher à l’étranger si cela était nécessaire.
Sur ce dernier point, je ferai une observation.
Je conçois qu’il y a vingt ans, on ait eu de la peine à trouver dans le pays des professeurs pour nos trois universités. La Belgique qui jusque-là avait toujours été traitée en paria avait peu d’hommes propres à l’enseignement ; mais quand je me rappelle les nombreuses réclamations qui s’élevèrent alors contre les recherches de professeurs faites à l’étranger, je me demande comment, aujourd’hui que les indigènes ont pu puiser la science dans nos trois universités, que ces trois universités sont réduites à deux (on aurait dû se borner à en avoir une seule) ; je me demande, dis-je, comment on peut, sans faire injure au pays, supposer qu’on n’y trouvera pas assez de professeurs et mettre dans la loi un article qui met à la disposition du gouvernement une prime pour en faire venir de l’étranger.
Je suis assez incrédule sur le mérite de ces hautes capacités qu’on va chercher à l’étranger. Je sais qu’il en existe en France et en Allemagne, en Ecosse ; mais j’aime à croire qu’il y eu a aussi en Belgique. Si, comme disait un honorable préopinant, l’étranger est assez ingrat ou assez aveugle pour ne pas retenir chez lui une capacité supérieure, c’est une exception très rare. D’ailleurs, le nombre de ces capacités lui-même est très petit, car un honorable membre a dit qu’on pouvait n’en compter que 20 ou 30 en Europe ; eh bien, on pourra en faire l’objet d’une proposition spéciale.
Alors tout sujet d’inquiétude cesse. Car rarement le gouvernement use bien des faveurs qu’on lui permet de distribuer ; presque toujours ses faveurs, si on l’autorise à en faire, tomberont sur quelques hommes seulement, mais non sur ceux qui travaillent dans leur cabinet et passent du cabinet d’étude à la chaire ; elles arriveront à ceux qui encombrent les antichambres des ministres et de plus haut lieu, à ceux qui font charlatanisme de leur profession.
Je le répète, je voudrais qu’on rétribuât très bien les professeurs et qu’il n’y eut qu’une seule université, il y aurait économie au budget et vous pourriez diminuer les minervalia. Vous mettriez les cours à la portée d’un plus grand nombre de jeunes gens et vous éviteriez cet inconvénient de donner au gouvernement la faculté d’accorder des primes à la bassesse, à l’intrigue et à la délation.
Je déclare de nouveau en terminant que je ne parle pas sur la loi telle qu’on la discute, mais telle qu’on devrait la faire. Car vous faites chose complètement inutile en vous occupant ultérieurement d’une loi basée sur deux universités.
M. Rogier. - Si on avait décidé la question du nombre des universités, comme j’ai eu l’honneur de le proposer dans une précédente séance, la difficulté qui se présente en ce moment eût été moindre, car la dépense eût été moindre de moitié. Mais, enfin puisqu’il a été décidé qu’il y aurait deux universités et puisqu’on les veut toutes deux bien complètes, car la section centrale s’en est expliquée ainsi, quelle est pour cela la première condition à remplir ? C’est d'avoir de bons professeurs ; pour avoir de bons professeurs, il faut les bien payer : tout le monde est d’accord sur ce point.
On ne discute pas tant sur le traitement de 4 et 6,000 fr. que sur la faculté demandée par le gouvernement d’augmenter ce chiffre de mille à trois mille fr., et on ne s’aperçoit pas que dans le budget annuel, on laisse cette faculté aux ministres, non pas pour des fonctionnaires aussi importants que des professeurs mais pour des employés d’administration. Chaque année il peut arriver que le ministre augmente les appointements de certains employés de mille à trois mille fr. Cela est arrivé et pourra encore arriver dans l’intérêt d’une bonne administration : eh, bien, personne ne s’est avisé de contester au ministre la faculté de faire de telles augmentations.
On n’est pas venu parler d’intrigues, d’obsessions ; cependant cela s’est fait, à plusieurs reprises ; le ministre a agi suivant les besoins de l’administration comme il agira suivant les besoins de l’instruction.
On a dit que s’il s’agissait d’une augmentation de traitement pour un professeur spécial, rien ne serait plus simple que de venir demander une autorisation à la chambre.
Messieurs, je ne pense pas qu’un professeur, doué d’un peu de cet amour-propre que donne toujours la conscience du talent, consente jamais à passer par la filière législative, veuille se laisser marchander pour une somme de deux mille francs. Je ne pense pas qu’un ministre non plus accepte de telles conditions.
Pour moi, j’ai admiré la facilité de mon honorable ami qui a consenti à limiter à dix mille francs la somme dont pourrait disposer le gouvernement. Je trouve cette somme beaucoup trop faible. Si on peut avoir deux bonnes universités susceptibles de devenir florissantes en présence des universités libres, il faut au moins mettre le gouvernement en position de disputer les professeurs aux universités libres. Si vous n’accordez pas au gouvernement la faculté qu’il vous demande, il pourra arriver qu’à défaut de 2 ou 3 mille francs les universités libres accaparent les professeurs au préjudice de l’enseignement national.
Voilà un danger que je vous signale et sur lequel j’appelle votre attention.
Si le gouvernement avait fait abus, chaque année, au budget, vous auriez pu l’entraver. Mais le gouvernement n’aurait pas fait abus, il ne le fait pas alors qu’il a la faculté d’augmenter un si grand nombre d’employés de l’administration ; car cette faculté existe, et existera toujours.
M. Lebeau. - Je crois comme mon honorable ami, M. Rogier, que l’instance que l’on met pour fixer à un chiffre peu élevé le traitement des professeurs est une conséquence naturelle du vote précédemment émis par la chambre, et duquel il résulte qu’au lieu d’une université il y en aura deux. Je regrette d’autant plus cette décision de la chambre, qu’indépendamment de l’influence qu’elle a sur la question financière en augmentant le nombre des professeurs, et en ne permettant pas de leur donner des traitements aussi élevés, il en résulte cette autre conséquence que d’immenses avantages financiers vont nous échapper au profit d’autres établissements.
En effet, l’université que nous avons supprimée était dotée d’après d’anciennes dispositions de revenus considérables qui réduisaient d’autant le montant de la dépense à porter au budget universitaire. Ces dotations considérables vont profiter à d’autres établissements prêts à se substituer à l’université de Louvain, prétention que je trouve d’ailleurs fort logique de la part de ceux qui la forment.
L’honorable M. Rogier a dit tout à l’heure qu’il était singulier qu’on redoutât à ce point la latitude très bornée qu’aurait le gouvernement d’augmenter les traitements de mille à trois mille francs, alors que pour chaque administration de l’Etat, il n’y a pas un ministre qui ne soit investi de cette faculté. Les ministres peuvent selon le plus ou moins de capacité des employés, selon le plus ou moins de zèle avec lequel ils remplissent leurs fonctions, donner plus aux uns, moins aux autres, exciter ainsi l’émulation de ceux-là et faire expier à ceux-ci leur manque de zèle ou d’aptitude.
Mais il y a plus dans le projet en discussion. Vous avez accordé au gouvernement, dans plusieurs cas, une latitude bien plus grande. Qui empêchera le gouvernement, lorsqu’il sera content de tel agrégé, de le nommer professeur ? Irez-vous vous informer si c’est par suite d’obsessions dans les antichambres des ministres qu’ils ont obtenu cet avancement, si c’est parce que, dérogeant aux habitudes et au caractère honorable du corps enseignant, ils se sont faits les agents d’intrigues ministérielles ? Cependant de tels services (si le gouvernement était assez maladroit pour les recevoir ou pour les solliciter) pourraient être récompensés au moyen de la faculté qu’a le gouvernement de nommer les agrégés professeurs extraordinaires, et de nommer les professeurs extraordinaires, professeurs ordinaires ; car le nombre des professeurs ordinaires n’est pas limité.
Le gouvernement peut ainsi augmenter les traitements d’un tiers, sans autres motifs que ceux qu’on se plaît à attribuer au gouvernement. Comme si, lorsque le ministère use de la faculté que lui confère la loi pour des cas d’exception, il ne se trouvait pas en présence de l’opinion publique, de la presse et des chambres, prêtes à lui faire expier durement l’abus qu’il aurait fait de la confiance de la législature, s’il avait eu l’imprudence de commettre cet abus de confiance.
On a paru quelque peu surpris de ce que l’honorable préopinant, avec lequel j’ai l’habitude de voter, ait parlé de la nécessité pour le gouvernement de choisir à l’étranger certaines capacités spéciales. Mais je crois qu’on peut dire cela, sans jeter le blâme sur son pays. Car il y a bien plus de latitude pour faire un choix dans une population de deux cents millions d’habitants que dans une population de deux millions d’habitants.
Remarquez que les deux universités, dont les fondateurs assurément ne manquent pas de patriotisme, n’ont pas cru faire injure au pays en allant recruter à l’étranger des hommes qui sans doute justifient pleinement leur confiance.
Prenez-y garde. Je puis vous citer un fait qui démontre le danger de dispositions contenant des limites trop étroites, dans lesquelles on veut enfermer le gouvernement.
On dit que les grandes capacités ne consentiront jamais à venir dans notre pays. Eh bien, je connais un fait qui prouve le contraire. Lorsqu’il fut question d’établir à l’université de Liége une chaire politiqué on fit des offres à un savant étranger que je puis nommer, car il est mort : c’est M. J.-B. Say. Il avait consenti à occuper cette chaire. J’en ai reçu l’aveu de la propre bouche de M. Say, à qui je me suis permis de demander ce qui en était, il était disposé à venir résider en Belgique. Mais par une interprétation trop judaïque des règlements de l’université on voulut lui imposer l’obligation de faire, indépendamment du cours d’économie politique, un cours d’histoire générale. M. Say, modeste comme le sont tous les savants, a décliné son incompétence pour donner un cours général. Voilà pourquoi la Belgique s’est trouvée privée des leçons d’un homme de premier ordre dans une science qui, je puis le dire, est encore à son berceau en Belgique. Cet exemple démontre que les hypothèses présentées par mon honorable ami et moi n’ont rien d’illusoire.
Il faut que le gouvernement puisse augmenter les professeurs, qu’il puisse leur assurer une position honorable et lucrative.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - L’honorable préopinant a fait allusion à des revenus considérables dont jouirait l’université de Louvain. Je dois déclarer que je ne connais aucun revenu spécialement attribué à l’université de Louvain. Toutes les bourses qui appartenaient à l’ancienne université de Louvain ont été rétablies par arrêtés royaux, avec cette clause que les jeunes gens jouissant de ces bourses devraient faire leurs études dans le royaume. Mais je ne connais aucun arrêté fondant des bourses pour tel ou tel établissement en particulier.
M. Dubus. - Je voulais faire l’observation que vient de présenter l’honorable ministre de l’intérieur relativement à l’assertion d’un honorable préopinant, qu’une université supprimée par le premier article de la loi aurait une dotation qui eût diminué les dépenses que le gouvernement aurait eu à faire pour cette université. Mais le budget est là qui atteste que les dépenses universitaires ne sont pas diminuées par des revenus de cette nature.
J’entends alléguer qu’il y a des fondations de bourses. Mais les bourses ne sont pas plus en faveur d’une université que d’une autre. Les bourses ne sont une faveur que pour les élèves qui les obtiennent ; elles ne diminuent en rien les dépenses que l’Etat a à faire pour une université. Il n’y a donc pas à s’occuper de cette considération.
Les honorables préopinants semblent reprocher à la chambre d’avoir établi deux universités au lieu d’une. Mais il me semble qu’il n’y a pas à revenir sur ce point ; il me semble qu’un vote une fois consommé, il n’y a pas lieu à revenir. Si les préopinants avaient des motifs à faire valoir contre ce système, et que ne l’ayant pas fait, avant que le vote ait été émis, ils en aient du regret, je le comprends. Mais il ne faut pas reprocher à la chambre d’avoir voté inconsidérément car son vote a été donné en pleine connaissance de cause.
Avec une seule université du gouvernement, vous aviez l’enseignement supérieur limité dans un rayon de 4 lieues ; car il était donné seulement à Bruxelles, Malines et Louvain. Avec deux universités du gouvernement, vous avez 3 foyers d’instruction supérieure établis sur 3 points importants du royaume. Cette opinion me paraît mériter quelque considération. Car ceux qui veulent une seule université avouent qu’il en résulterait que beaucoup de jeunes gens des Flandres et de Liége, qui suivent assidûment les cours des universités de Liège et de Gand, seraient obligés de renoncer à l’instruction supérieure. La province de Brabant, au détriment de toutes les autres parties du royaume, aurait, par le fait, le monopole de cette instruction.
Mais venons à la question en discussion : celle du traitement des professeurs. Sur ce point j’admets à la fois et l’amendement de la section centrale, à l’article 9, et l’amendement proposé par mon honorable ami, à l’article 21. Ce second amendement corrige tous les inconvénients des premiers.
D’abord, je dis qu’en thèse générale un traitement fixe de six mille francs pour les professeurs est suffisant. Notez que ce traitement s’augmentera des rétributions des élèves ; car, en général, les cours seront suivis ; si quelques cours ne sont pas suivis, ce ne sera que par exception ; et l’on vous propose une disposition spéciale pour cette exception. D’après cet amendement, il serait prélevé un quart sur les rétributions des élèves pour former un fonds qui serait réparti par le gouvernement entre les professeurs.
Le gouvernement, dit-on, aura des professeurs d’un grand mérite dont les cours ne seront pas suivis. Cette répartition d’un quart des rétributions des élèves ne leur suffira pas. Il faudra que le gouvernement puisse les augmenter.
J’admets la possibilité de ce que vous dites ; mais attendez qu’elle se réalise avant d’accorder un fonds au gouvernement. Ne courez pas au-devant d’éventualités qui peuvent ne pas se réaliser.
Je bornerai là mes observations.
M. Quirini. - Je ne veux pas attaquer le vote de la chambre qui a décidé qu’il y aurait deux universités. Vous avez décidé qu’il y aurait deux universités, c’est-à-dire qu’il n’y en aurait pas du tout.
Mais je veux répondre à une assertion de M. le ministre de l’intérieur. Il a dit qu’il ne connaissait aucun fonds spécialement attribué à l’université de Louvain. Eh bien, je dis que, d’après ma connaissance à moi, il y a plusieurs fondations spécialement attribuées à l’université de Louvain. Je dis d’après ma connaissance à moi, par la raison que j’ai eu à diriger un procès très important sur cette matière contre la ville de Louvain.
Je conçois que le gouvernement, après avoir ravi à la ville de Louvain son université, veuille aussi mettre la main sur ses fondations. Mais la ville de Louvain saura bien citer devant les tribunaux M. le ministre de l’intérieur. Il y a encore des magistrats en Belgique.
M. A. Rodenbach. - On se plaint de ce que deux universités sont trop pour la Belgique. Mais, messieurs, en Allemagne, ce pays où, d’après Victor Cousin et tous les hommes d’études, l’enseignement universitaire est à son apogée, en Allemagne il y a une université pour un million d’habitants. Or, Ici avec deux universités nous n’en aurons qu’une par deux millions d’habitants. L’Angleterre suit cet exemple, elle a reconnu que le nombre de ses universités n’était pas suffisant, et une nouvelle université vient d’être fondée à Londres. D’après ces exemples nous ne devons pas regretter d’avoir décidé qu’il y aurait deux universités.
M. Dumortier. - J’avoue que je vois avec peine cette séance en partie consacrée à des récriminations de la part de certains orateurs contre l’un des votes de la chambre. Pour moi, j’éprouve du regret de n’avoir pas motivé mon vote sur la question du nombre des universités. Je me serais prononcé pour deux universités, parce que depuis longtemps j’ai déclaré qu’il fallait au moins ce nombre.
Je déclare en fait que dans un pays ayant une population de quatre millions d’habitants, une seule université ne peut suffire.
Prenez exemple de ce qui se passe en Allemagne, en Prusse. Ignorez-vous qu’en Prusse, où il n’y a que 6 millions d’habitants, il y a 6 universités !
Comment, vous qui vous proclamez les amis du progrès, de la civilisation et des lumières, vous voulez restreindre le nombre des universités ! Il est singulier de vous voir soutenir une pareille thèse. Il s’agissait de donner au pays un bon enseignement supérieur, un enseignement supérieur répandu dans toutes les parties du royaume. La chambre, dans ce but, maintient les universités de Liège et de Gand. Si elle eût maintenu la seule université de Louvain on eût dit que la chambre hésitait.
Mais non, la chambre n’a pas lésiné ; elle a voté le nombre d’universités qui était nécessaire, elle a voté tous les cours qui pouvaient être utiles au progrès des études. Et c’est alors qu’on vient récriminer contre sa décision. Mais ces récriminations, le pays les désavoue. Elles peuvent être l’expression de l’opinion d’un parti, d’une coterie ; mais, je le répète, le pays les désavoue.
Maintenant que je me suis expliqué sur ce point, je dirai que pour ma part je ne puis adopter l’amendement du gouvernement. Je ne saurais admettre la faculté qu’il lui donnée d’augmenter les professeurs dans une telle proportion. Cette faculté, dit-on, le gouvernement n’en usera que pour quelques spécialités que l’on ira chercher à l’étranger. Mais où trouve-t-on dans la loi que le gouvernement n’usera que dans cette circonstance de la faculté que vous voulez lui donner ?
Cette faculté d’augmenter les professeurs est, dit-on, nécessaire pour que le gouvernement puisse fixer en Belgique des hommes spéciaux, des hommes d’un grand talent. Mais, messieurs, ces hommes ne courent pas les rues. On ne les trouve pas comme les bornes sur les chemins. Ces hommes sont très rares ; vous ne pouvez espérer de les attirer en Belgique. Je dirai au gouvernement : Prenez vos hommes en Belgique. Car il y a en Belgique des hommes capables dans toutes les branches d’études. Il suffit que vous donniez l’élan pour que le pays fasse de grandes choses.
On a cité M. J.-B. Say, qui est assurément un des premiers hommes du siècle, et qui n’a pas voulu professer à l’université de Liége, parce qu’on voulait qu’il fît un cours d’histoire générale. Ainsi ce n’est pas la question d’argent qui l’a arrêté. L’exemple cité n’est donc pas applicable à la question qui nous occupe, d’autant plus que depuis lors les traitements ont été augmentés d’un tiers environ, puisqu’ils ont été portés de 2,200 florins à 6,000 francs.
Permettez-moi, messieurs, de citer un exemple que je crois s’appliquer mieux à la question ; car il prouve le mauvais usage que fait quelquefois le gouvernement de la faculté de choisir des professeurs étrangers. Il s’agissait d’une chaire de botanique vacante à l’université de Liége. Le gouvernement des Pays-Bas consulta sur le professeur qu’il devait prendre un des hommes les plus savants du siècle, M. de Candolle. Vous n’avez pas besoin d’aller chercher un professeur à l’étranger, dit M. de Candolle, vous avez en Belgique M. Lejeune, de Verviers, qui est très capable de faire ce cours, qui est l’homme qu’il vous faut. Pensez-vous que le gouvernement le prît ? Non, il alla chercher dans une petite ville du nord de l’Allemagne... Qui ? Un apothicaire (on rit), et nomme cet apothicaire professeur de botanique à Liége. Erratum au Moniteur belge n°232, du 19 août 1835 :) Voici ce que disait dans son cours un autre professeur étranger de l’université de Louvain qui n’avait d’autre mérite que d’être le frère d’un médecin du roi Guillaume : « Animalia habent vier en twentig costas, totidemque vertebras. » (Hilarité.) Voilà, messieurs, les notabilités qu’on allait chercher à l’étranger.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Je regrette de ne pas m’être trouvé présent lorsqu’un honorable député de Louvain a répondu à ce que j’avais eu l’honneur de dire à la chambre. Mais je ne puis que répéter ce que j’ai dit, c’est que le gouvernement, en rétablissant les bourses qui avaient été fondées, ne les a attribuées à aucun établissement en particulier.
M. Dumortier. - Comme on pourrait tirer du fait que j’ai cité une conséquence, qui serait contraire à mon opinion, je m’empresse de reconnaître que parmi les professeurs étrangers, il y a des hommes d’un grand mérite, et qu’il y en a plusieurs qui sont des hommes de premier ordre.
M. Gendebien. - Mon intention n’est pas de continuer la digression à laquelle on vient de se livrer, mais de rentrer dans la discussion de l’article qui devrait nous occuper.
Parlant de la faculté qu’il s’agirait de donner au gouvernement d’augmenter le traitement des professeurs de mille à trois mille francs, un honorable préopinant a dit que si le gouvernement pouvait faire abus de cette faculté, il pourrait aussi bien abuser de la faculté qu’il a de nommer des agrégés professeurs et des professeurs extraordinaires, professeurs ordinaires. Mais est-il nécessaire de faire remarquer la différence qu’il y a entre une nomination, rendue publique et soumise ainsi au contrôle de tous, et une augmentation de traitement presque clandestine, qu’on saura à peine et qu’on aura aussitôt oubliée qu’apprise ?
Je dirai un mot sur l’amendement de M. Dumortier. Je crois que pour être juste, et pour éviter les embarras de la répartition du fonds commun provenant de la rétribution des élèves, il faudrait que l’amendement fût ainsi conçu :
« Chaque professeur a un droit exclusif aux deux tiers des sommes provenant des inscriptions à ses cours, après déduction de ce qui est alloué au receveur par le conseil académique. L’autre tiers sera partagé entre tous les professeurs. »
Je crois que ce système est plus équitable et évitera toute espèce de difficulté.
Sur l’article 9, je proposerai d’élever le traitement des professeurs de 6 à 8 mille francs.
Enfin sur l’article 19, dans l’intérêt des élèves, je proposerai de réduire de moitié les minervalia.
M. Dechamps, rapporteur. - Je proposerai un amendement ainsi conçu :
« Toutefois le gouvernement ne pourra majorer le traitement des professeurs, quand leurs minervalia atteindront la somme de 4,000 fr. »
L’honorable M. Devaux a dit que si les professeurs avaient un traitement de 10 à 11 mille francs, il serait satisfait. Il me semble que mon amendement remplit ce but.
M. Devaux. - L’amendement que je proposerai sera ainsi conçu :
« Le gouvernement pourra augmenter les traitements des professeurs de mille à 3,000 francs, lorsque la nécessité en sera établie, sans qu’en aucun cas ces augmentations puissent excéder dix mille francs par chaque université. »
Ayant déjà développé mon amendement, je me bornerai à faire remarquer qu’il se concilie avec celui de M. Dumortier.
M. de Brouckere. - Je propose d’ajouter au paragraphe 3 de l’article 9 :
« Sans que les augmentations puissent porter les émolument des professeurs au-delà de 10,000 fr. »
M. Dechamps, rapporteur. - Je me rallie à l’amendement de M. de Brouckere, qui remplit mieux que le mien le but que je m’étais proposé.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - J’ai demandé la parole pour réclamer en faveur de la mémoire d’un ancien collègue, dont la veuve et les enfants sont restés en Belgique, une justice que l’honorable M. Dumortier ne lui a pas rendue. Le professeur étranger dont il a parlé, était un homme d’un grand mérite ; il a enseigné avec beaucoup de distinction l’histoire naturelle, la botanique et la minéralogie. C’était un savant modeste, fort honnête homme, zélé dans ses fonctions, attaché à ses élèves. La mort de M. Gaëde a excité les plus vifs regrets.
M. Dumortier. - Je comprends que M. Ernst prenne le parti d’un de ses anciens collègues. Mon observation sur M. Gaëde a porté uniquement sur ce qu’on l’avait choisi, alors qu’il y avait dans le pays un homme très capable d’occuper la chaire qu’il s’agissait de donner.
M. Rogier. - Messieurs, le système proposé en dernier lieu est à mon avis le plus mauvais de tous, car il tend à détruire toute émulation chez les professeurs.
En Allemagne on comprend autrement ce genre d’émoluments. C’est là qu’outre le traitement fixe, les professeurs parviennent souvent à se faire un supplément de plusieurs centaines de louis, qui vont quelquefois jusqu’à 600. C’est un fait cité par M. Cousin. Personne ne s’élève contre ces émoluments. Je crois, messieurs, qu’il faut laisser à cet égard toute espèce de latitude aux professeurs. Je me rallierai cependant à l’amendement de M. Dumortier qui propose de défalquer un quart des minervalia pour les distribuer entre ceux des professeurs ayant le moins d’élèves.
Cependant il est un point sur lequel je diffère avec M. Dumortier.
Je suis un de ceux qui ont soutenu le système d’une université unique. J’ai dit là-dessus tout ce que je croyais le plus utile à l’enseignement en Belgique, le plus utile à notre pays. M. Dumortier a cru voir dans cette discussion une sorte de tactique de la part d’une coterie qui a le chagrin de ne pas pouvoir faire triompher son système.
M. Dumortier est connu pour ses récriminations et ses habitudes d’insinuations ; il n’épargne personne, pas même ceux que la tombe semblerait devoir mettre à l’abri de ses coups. Quant à moi, je ne récriminerai pas contre lui ; je pense qu’il défend consciencieusement le système des deux universités, quoi qu’il soit savant et économe. Toutefois je puis dire que si je cédais aux sentiments qui dominent si souvent l’honorable membre, je montrerais qu’en cette circonstance le savant et le députe économe ont fait place à l’homme de coterie.
M. Dumortier. - Je demande la parole pour un fait personnel.
Il y a dans le règlement un article qui défend les insinuations...
M. Lebeau. - Mais c’est vous-même qui avez parlé de la coterie.
M. Dumortier. - Le règlement défend impérieusement les inculpations et les insinuations de toute espèce. Le préopinant n’a pas eu l’embarras de l’oublier puisqu’il paraît ne l’avoir jamais connu. Mais on aurait dû le rappeler à l’ordre pour les insinuations directes qu’il s’est permises.
Vous dites que je me suis montré plus homme de coterie qu’ami des sciences et des économies : oui vraiment, lorsqu’il s’agira de défendre le progrès de la civilisation et des lumières, de protéger la liberté et les établissements scientifiques, je me constituerai toujours homme de coterie contre ceux qui supposent la marche de l’intelligence et au développement des sciences. Ma coterie à moi sera toujours de défendre la science et la liberté.
Ah ! vous avez bonne grâce de venir me taxer d’être opposé aux études universitaires ; vous qui avez signé l’arrêt qui a porté la haché dans les universités de notre pays.
Je n’examine pas les motifs qui ont dirigé le préopinant dans son vote, je ne veux pas savoir si en demandant la suppression de deux de nos universités, il a voulu servir la science ou établit la domination d’une coterie, s’il a voulu encore détruire l’enseignement ou réparer le tort qu’il lui a fait en 1830 ; je me bornerai à déclarer hautement, comme ami des sciences et de mon pays, que deux universités sont indispensables. Et ce n’est pas d’aujourd’hui que je partage cette opinion, je l’ai professée dès mes premiers pas dans cette enceinte ; mes idées sur ce point ne sont nullement modifiées. Oui, messieurs, il faut, comme je l’ai dit cent fois, favoriser chez nous les études fortes et philosophiques.
Il faut favoriser le développement de l’intelligence ; et n’est-ce pas une absurdité que de prétendre arriver à ce résultat en restreignant à un seul le nombre des établissements d’instruction. Combien de jeunes gens des Flandres ou des bords de la Meuse n’eussent jamais fait d’études s’ils n’eussent pas eu près d’eux un foyer scientifique ? Je conçois que vous auriez des reproches à nous adresser si nous refusions les cours, les professeurs nécessaires ; mais il est d’une injustice criante de venir nous accuser de détruire l’enseignement, nous, qui faisons tous nos efforts pour former deux universités aussi complètes que possible ; nous, qui établissons l’instruction supérieure sur un pied digne de servir de modèle à l’étranger ; nous, qui ne reculons devant aucune dépense pour arriver à ce résultat. Oui, je suis partisan des économies, mais jamais je ne parlerai d’économie lorsqu’il s’agira de développer les lettres et les sciences parmi nous.
Nous sommes, dites-vous, des démolisseurs, nous ne voulons pas d’instruction universitaire.
Mais rappelez-vous, messieurs, que ces mêmes bancs qui nous accusent aujourd’hui, sont précisément les mêmes qui, dans le sein de la première législature, réclamaient à grands cris la destruction des universités. Rappelez-vous ces jours où l’on réclamait la suppression de l’Observatoire, du Jardin Botanique, de la bibliothèque de Bourgogne et de cette académie, qui fait l’honneur de la Belgique. Qui alors s’est élevé pour combattre ces motions ? Oui, je m’en fais honneur ; c’est moi qui, le premier, me suis levé dans cette enceinte pour combattre ces projets, et ceux qui nous attaquent aujourd’hui étaient précisément ceux qui réclamaient à grands cris ces mesures dévastatrices.
Ainsi, vous avez grand tort de donner de fausses couleurs aux opinions que je professe relativement à l’instruction, et si je voulais me permettre de pareilles insinuations sur le compte de mon adversaire, j’aurais, certes, beaucoup de choses à dire aujourd’hui.
M. Eloy de Burdinne. - Mais tout cela n’avance à rien !
M. Dumortier. - Oui, cela n’avance à rien ; mais pourquoi se permet-on des insinuations sur mon compte ? Je veux prouver que je pourrais en faire aussi sur le compte d’autrui.
M. le président. - Je vais mettre aux voix les amendements sur l’article 21, présentés par MM. Gendebien et Dumortier.
Celui de M. Gendebien est ainsi conçu :
« Chaque professeur a droit aux deux tiers des sommes provenant des inscriptions à ses cours, après déduction de ce qui est alloué au receveur par le conseil académique. L’autre tiers sera partagé entre tous les professeurs. »
Voici l’amendement de M. Dumortier :
« Chaque professeur a droit aux trois quarts de la somme provenant des inscriptions à son cours, après déduction de ce qui est alloué au receveur par le conseil académique. L’autre quart servira à indemniser les professeurs dont les cours, par leur spécialité, seraient le moins fréquentés. »
M. Lebeau. - Je voudrais savoir comment, dans l’amendement de M. Dumortier, on fera la répartition. Cet amendement est incomplet.
M. Dumortier. - Il y aura un règlement à faire par le gouvernement.
L’amendement de M. Gendebien ne remplit pas le but que je me propose d’atteindre : je veux que les professeurs qui ont le moins d’élèves partagent le quart restant tandis que le tiers restant, suivant la proposition de M. Gendebien, se partagerait entre tous les professeurs.
M. Gendebien. - L’amendement de M. Dumortier pose un principe, mais il laisse dans le vague le moyen de faire la répartition. Opérera-t-on au marc le franc ? Opérera-t-on selon les sciences enseignées. On ne le sait pas. Il sera peut-être un moyen d’exciter des jalousies entre les professeurs : Comment apprécierez-vous leur mérite ? Par ma proposition quoique je n’arrive pas à une péréquation exacte entre tous les professeurs, j’arrive au moins à ce qui approche le plus de l’équité sans blesser les susceptibilités. Celui qui reçoit plus verse une somme plus forte dans le fonds commun ; celui qui reçoit moins y verse une somme moins forte. Du reste, si l’on propose un moyen facile de compléter l’amendement de M. Dumortier, je le préférerai au mien.
- L’amendement de M. Gendebien mis aux voix est écarté.
L’amendement de M. Dumortier mis aux voix est adopté et remplacera l’article 21 du projet de loi.
(Il a été perdu des feuilles sténographiques qui comportaient : 1° l’adoption du deuxième paragraphe de l’article où il est dit que les professeurs jouiront d’un traitement fixe ; 2° le rejet de la proposition de M. Gendebien et l’adoption de celle de M. Devaux, qui accordait aux professeurs une augmentation de 1 à 3,000 fr., sans que cette augmentation pût en aucun cas excéder 10,000 fr. par université. M. de Brouckere avait retiré son amendement.)
- L’article du gouvernement, amendé par M. Devaux, est mis aux voix et adopté.
M. le président. - Le dernier paragraphe de cet article est ainsi conçu :
« L’arrêté royal qui contiendra cette disposition en donnera les motifs précis. »
M. Lebeau. - Je demanderai si cet arrêté royal sera publié ; s’il ne devait pas l’être, il serait inutile d’insérer cette disposition dans la loi. Je fais cette observation parce que comme ce n’est pas un arrêté administratif général, la publication n’est pas obligatoire.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Je ne puis pas affirmer que jamais il n’y aura d’inconvénients à insérer cet arrêté dans le Moniteur, mais il sera toujours communiqué à la chambre, ou à la section centrale chargée d’examiner le budget, si le gouvernement use de la faculté qui lui est donnée par cette disposition.
- Le dernier paragraphe de l’article 9 est adopté, ainsi que l’ensemble de l’article.
M. le président. - Il y a encore une disposition qui a été ajournée, c’est le second paragraphe de l’article 15 qui est ainsi conçu :
« Le suppléant jouira des rétributions payées par les élèves proportionnellement au temps pendant lequel il aura enseigné. »
- Un membre. - Il faut mettre les trois quarts des rétributions.
- Ce paragraphe est adopté avec cette modification.
L’ensemble de l’article 15 est également adopté.
La séance est levée à 4 heures et demie.